Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
D o m i n i q u e S c h m i D t
Le pouvoir
transformateur
de la
Simplicité
Pourquoi la simplicité,
si facile à comprendre,
semble-t-elle si difficile
incarner ? Pour approfondir
cette question, dominique
Schmidt décrit les raisons
égotiques de nos vies aux
prises avec une société
L
déshumanisante et a simplicité est la clé du bonheur
et de la découverte du Soi.
mécanique. Pour aller plus
La simplicité est un pouvoir trans-
en profondeur, il s’agit alors,
formateur de notre conscience et
par la connaissance de soi,
de la vie. Contrairement à ce que
par une « observation l’on pense, ce n’est pas par l’accumulation des
silencieuse », de « résoudre biens du monde ou de l’esprit mais par la désap-
notre complexe nature propriation que la joie sans objet, le bonheur sans
psychologique », et par cette vouloir, “advient”. La simplicité ne peut être attein-
« expérience directe » réaliser te par notre ego, qui vit pour lui-même, elle est une
la « découverte de l’unité soli- vertu du Tao qui consiste à n’être rien aux yeux des
“
daire à toute chose » – c’est là
le « retour à la simplicité ».
Dans notre monde où chacun
autres ou à soi-même, ce qui nous rend attentifs à la gnifiant aux yeux des autres, être soi-même sans
vie du tout. C’est sans mobile que la richesse de aucune prétention, sans se comparer à quiconque.
l’existence se dévoile. Nous devenons vraiment Il faut réapprendre à vivre dans la nudité de l’être
nous-mêmes dans la mesure où nous nous libérons et du cœur. Paradoxalement, c’est ainsi que l’on
de tout artifice. C’est dans la simplicité de ce devient un vrai individu, unique dans son expres-
dépouillement que la liberté d’être inconditionnelle sion tout en étant universel, ouvert à tout.
et la vérité de l’existence adviennent naturellement. Quelles que soient les vertus que nous possé-
La simplicité, si facile à comprendre en tant dons, nos qualités humaines, il semblerait que la
que notion, pourtant semble plus difficile à incar- connaissance de soi soit incontournable. Voulant
ner. En effet, dans notre monde où chacun veut le bonheur, nous semons, dans notre ignorance, le
être quelqu’un, il faut être prêt à n’être rien, insi- conflit et la douleur concomitante. La paix,
”
veut être quelqu’un , il faut être prêt à n’être rien.
8 - DomiNique SChmiDt
l’amour, la justice, la fraternité, l’égalité, mots si dans l’harmonie et la simplicité. Mais avant tout,
facilement employés, ne sont que des idéaux qui il nous faut prendre conscience de cet état général
recouvrent l’actualité des faits : la querelle, l’inté- gangréné de notre mentalité qui contamine chacun
rêt, l’injustice, la rivalité, l’inégalité. Nous ne cer- de nous. Le problème, c’est que très peu d’entre
nons pas les vraies causes de cette disharmonie en nous sommes conscients de notre condition psy-
nous-mêmes, que, dans notre conscience divisée, chique : nous sommes conscients des conflits
nous projetons à l’extérieur. Ces idéaux qui sont qu’elle génère sans réaliser que c’est en fait nous-
en soi des plus purs, sont utilisés par le politique, mêmes qui créons la réalité que nous subissons
le religieux, les médias, comme armes de persua- ensuite. Le monde qui nous entoure et dont nous
sion pour convertir ou conditionner les individus nous plaignons est le reflet de chacun de nous, de
à leurs programmes afin de les asservir à leurs notre manière de vivre et de penser.
intérêts et ambitions. Nous nous contentons Que faire dans cet état lamentable dans lequel
d’idées et nous nous nourrissons de mots, à tel nous sommes tous empêtrés à l’échelle planétai-
point que le mot “maladie” ou “pandémie” nous re ? Retrouver la simplicité d’existence, qui cer-
fait peur, que le mot “solidarité” nous fait nous tainement devait être présente avant l’industriali-
conformer au slogan du jour proposé par les sation, la robotisation de la société et l’invasion
médias fabricateurs de mots porteurs de sensa- de notre monde par la machine et l’intelligence
tions et d’émotions et pour lesquels nous sommes artificielle, semblerait la solution. Le retour à la
prêts à nous battre ou nous confiner. Le mot est simplicité, non pas à la Jean-Jacques Rousseau
devenu un outil de lavage de cerveau. Un mot dans la régression à la nature, coupé du monde,
planté dans notre subconscient, comme par mais dans une conscience épanouie, en harmonie
exemple “complotisme”, porte systématiquement avec les êtres, les choses et les idées. La simplici-
ses fruits. Ceux qui ont étudié les techniques de té et la joie d’être sont certes la solution à notre
persuasion, les individus qui aspirent au pouvoir, situation actuelle de désarroi psychologique dans
connaissent bien le pouvoir absolu du subcons- lequel toute action pour changer les choses
cient dans le contrôle des masses. Krishnamurti a semble les empirer. Mais préalablement, un
bien raison d’attirer notre attention sur le fait que double travail sur soi-même de connaissance et de
‘le mot n’est pas la chose’ et nous encourager à purification de sa nature est absolument nécessai-
apprendre à voir la réalité qu’il évoque, qui n’ap- re : il n’y a pas de baguette magique ! Faire l’au-
partient pas au langage mais à la vie même. C’est truche, en acceptant passivement, sans question-
simplement qu’il faut approcher la vie en com- ner, ce que l’on nous impose pour notre soi-disant
muniant avec son essence. Mais l’homme dans sa bien-être, semble “simplifier” les choses sans
confusion en est-il capable ? vraiment les résoudre. Ce n’est pas de cette sim-
Le souci, c’est que le virtuel a pris la place du plicité passive qui se réduit au confort dont il est
réel à tel point que nous l’avons réduit aux don- question ici mais d’une simplicité dynamique
nées de l’ordinateur. Pourquoi regarder le réel dont la force intérieure ne peut pas être manipu-
quand le téléphone, que nous regardons à tout lée, car elle n’est pas corruptible par le chantage.
moment, est tellement plus alléchant ? Nous avons Le mot simple n’est donc en fait pas si simple
perdu tout contact avec la nature, les animaux et que cela ! Si vous avez côtoyé un être d’une gran-
les êtres ; à part ce qu’ils nous apportent – reflet de simplicité vous vous êtes aperçu qu’elle est due
d’une société consumériste – nous sommes indif- à une victoire sur lui-même qui cache générale-
férents aux autres et à la situation mondiale. Nos ment une vie riche d’expériences transformées en
vies sont devenues sans âme, les psychologues sagesse par les leçons apprises. En effet, chaque
n’ont jamais eu leurs cabinets aussi pleins. Il s’agit expérience “vécue consciemment” nous amène à
de retrouver un esprit sain et de vivre une vie saine une plus haute compréhension de l’existence qui
nous libère du besoin de revivre cette expérien- Prendre conscience de l’unité sous-jacente à
ce, ce qui nous rend du même coup psychologi- notre monde est la porte de la simplicité dont
quement plus simples. Le désir d’une expérien- l’amour est l’expression. L’Un est la source, l’es-
ce particulière résulte des besoins de notre sub- sence du Multiple, de notre monde manifesté. Le
conscient de vivre certaines choses. Ces besoins sage vit dans cet Un en pleine conscience, l’hom-
attirent à nous-mêmes les circonstances et les me non réalisé vit dans ce même Un mais sans le
objets désirés et ainsi toute une complexité à la savoir : il ne voit que le Multiple, les objets et les
fois subjective et objective se met en place dans êtres séparés les uns des autres. C’est ainsi que
laquelle nous nous trouvons enfermés. Une fois l’ego a bâti sa demeure sur le fondement de la
la problématique d’un objet résolue, nous séparation et de la division. De surcroit, nous ne
sommes libérés de nous-mêmes, le sujet, et en vivons que dans une sélection du Multiple (ma
même temps de l’expérience afférente. Le femme, mon village, mon pays), dont résultent
dépassement d’une expérience particulière par les conflits des différentes parties que nous avons
la compréhension élargit notre champ de nous-mêmes sélectionnées, qui nous coupent de
conscience qui devient plus détendu, plus la totalité du réel. La simplicité d’être ne peut être
serein, et nous libère de la complexité relation- provoquée par notre volonté contaminée par le
nelle du sujet et de son objet. C’est ainsi que désir. Elle ne peut “advenir” sans le contact avec
notre existence se simplifie et engendre la sim- la vie universelle, car seul ce contact met fin à la
plicité d’être. confusion générée par les pseudo-divisions de
Évidemment toute une panoplie d’expé- notre monde séparé de l’Un. La terre est une,
riences est nécessaire avant d’atteindre cette légè- mais fragmentée par notre pensée en mille fron-
reté d’être, car chaque expérience est un poids tières nationales.
dans notre conscience qui s’estompe une fois La raison en soi ne peut percevoir l’Essence,
intégrée consciemment. Notre subconscient est qui est de nature indivisible et ne peut être per-
un réservoir de tout ce que nous devons vivre çue par nos sens et notre mental, dont la fonc-
selon notre maturité, le niveau de conscience tion est de séparer les formes les unes des autres
acquis. Il nous pousse à notre insu à rencontrer tel et de les nommer. Pour pénétrer l’essence uni-
être, à partir à l’étranger, à quitter sa femme ou fiée il faut une autre forme de perception qui ne
son mari ou à les retrouver, et à des milliers d’ex- se laisse pas éblouir par l’extériorité des choses.
périences, qui ne sont en fait que des moyens de L’essence universelle qui soutient et maintient
nous élever à des cimes toujours plus hautes de la toutes les créatures dans une même unité indivi-
réalité où rayonnent la simplicité d’être – une fois sible est de nature spirituelle. L’intellect est le
conquise la dualité inhérente aux relations de support de l’ego séparé qui s’identifie à son
dépendance qui construisent notre ego. habitat, le corps, par lequel il perçoit le monde.
Notre psychologie humaine bien que née D’un côté, nous avons le mode non duel de la
dans la matière a son origine réelle dans le spi- réalité essentielle et de l’autre nous avons la réa-
rituel. C’est pourquoi il n’y a pas de solution à lité fragmentée par la pensée identifiée aux
nos problèmes égotiques psychologiques au seul formes extérieures. C’est dire que le développe-
niveau de la pensée dualiste sans accès à la réa- ment unilatéral de notre intellect ne pourra
lité supérieure spirituelle. La simplicité prend sa jamais nous faire découvrir la simplicité propre
source dans le spirituel où tout est l’expression au monde spirituel : n’étant pas composé, il
de l’Un et non pas dans l’ego divisé et tiraillé appartient à un autre ordre de réalité, dont seul
par ses désirs. L’ego ne peut donc connaître la l’amour peut nous révéler la présence.
vraie simplicité à moins qu’il ne découvre la La complexité qui résulte de la multitude des
source unifiée de son existence séparée. formes, composée des différents règnes qui habi-
”
dont il est question ici mais d’une simplicité dynamique.
10 - DomiNique SChmiDt
tent notre terre, est inhérente à notre monde. sensationnel et émotionnel, et un véhicule men-
Cependant complexité n’implique pas nécessai- tal dont l’intellect et la raison sont le principe.
rement antagonisme et dissension. La complexi- Ainsi selon l’évolution de l’individu la conscien-
té n’est pas en soi un mal, si elle est comprise ce sera positionnée davantage dans le corps,
comme une vision holistique qui perçoit dans la dans son être vital ou son être mental. Les
diversité la richesse de l’infini. En revanche, si consciences physique, vitale et mentale corres-
elle n’est pas comprise ou bien mal comprise, pondent aux différents centres de notre nature.
elle devient une source de conflits pour nos Ceci explique, incidemment, les différents “je”
esprits non éclairés par l’unité essentielle sous- qui articulent notre être à notre insu. Par
jacente à notre monde. Ainsi elle provoque des exemple, un être où le vital prédomine percevra
complications dans notre existence qui à leur le monde essentiellement à travers sa libido et
tour prolifèrent jusqu’à devenir le tableau d’au- ses désirs ; un autre où le physique prévaut le
jourd’hui où l’humanité est divisée, par percevra dans son besoin de sécurité et de
exemple, par le recours à un pass sanitaire qui confort ; et un individu chez qui le mental domi-
prouve que l’on est en bonne santé et pas dan- ne percevra le même monde à travers ses idées,
gereux pour les autres ! ses conceptions. Ceci n’est qu’une généralisa-
Le retour à la simplicité implique la décou- tion, mais elle suffit à montrer la complexité de
verte de l’unité solidaire à toutes choses par une notre nature qui explique les perceptions variées
expérience directe, et non pas juste intellectuel- de l’homme selon les différents centres activés.
le, qui éveille un regard bienveillant sur toutes Sans connaissance de soi, elles deviennent anta-
les existences. Mais pour qu’elle advienne, il goniques et rentrent en collision les unes avec
nous faut tout d’abord résoudre la complexité les autres, ce qui rend impossible la naissance de
que comporte notre nature. Le danger propre à la simplicité d’être. Le premier travail de la
notre mental est le réductionnisme. La com- connaissance de soi est de prendre conscience
plexité de l’existence nous dépassant, nous cher- de ces différents “je” qui interagissent dans
chons à la réduire à notre propre entendement notre subconscience.
qui est lui-même limité à notre champ de Ainsi pour découvrir l’état de simplicité, il
conscience et à notre maturité. Ainsi nous la nous faut préalablement résoudre notre com-
‘simplifions’ à notre propre niveau et tout ce qui plexe nature psychologique. Les trois aspects de
est en dehors est soit considéré comme non exis- notre nature, physique, émotionnel et mental,
tant, soit relégué dans la subconscience. ont chacun leur difficulté. L’ego, le centre par
N’oublions pas la loi psychologique que tout ce lequel on pense, résulte des mémoires des expé-
qui est réprimé en nous devient une ombre qui riences non résolues qui se nouent en notre
sera ensuite projetée sur notre prochain, un grou- conscience et devient ce que l’on appelle “un
pe, une collectivité. Cela explique pourquoi le complexe” à partir duquel nous “réagissons”
monde va mal, puisqu’il est victime de nos aux provocations de l’existence. Ainsi, sans
ombres projetées incessamment. (Voir sur ce sujet comprendre le complexe particulier (vital, émo-
mon livre, Krishnamurti, Sexe, Ombre et Vérité). tionnel ou mental) qui nous habite, est-il pos-
Il y a l’essence immuable, le fond intempo- sible d’avoir une perception harmonieuse d’où
rel qui sous-tend la substance muable manifes- découle la simplicité d’être ? Arriver à l’harmo-
tée qui constitue les différentes formes appa- nie des trois parties de notre nature est donc la
rentes temporelles. La substance est la pâte à seule solution aux perturbations individuelles et
modeler avec laquelle la nature façonne les collectives. Une fois notre être physique, émo-
choses et les êtres. Dans la confection de l’hom- tionnel et mental en harmonie, la lumière du réel
me, elle fabrique un corps, un véhicule vital, peut descendre et illuminer notre conscience.
”
complexe nature psychologique.