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Bergson, Les Deux Sources de la morale et de la religion, 1932

1-Quel est l’utilité de la religion selon Bergson ?

La religion permet à l’homme de retrouver un élan de vie à la suite de l’apprentissage de sa propre


mort. L’homme, dès lors qu’il prend conscience de sa finalité en tant qu’être vivant, perçoit dans
chacun des moments de sa vie un rapprochement inexorable de la mort, et perd ici sa faculté
d’instinct. « Si l’élan de vie détourne tous les êtres vivants de la représentation de la mort, la pensée
de la mort doit ralentir chez l’homme le mouvement de vie ». Ainsi, par la conceptualisation de la
mort, grâce à la raison, l’homme se tue à se représenter sa finalité en tant qu’être vivant. C’est ici
qu’intervient la religion, définie comme « jeu tout particulier d’images et d’idées ». On retrouve le
besoin humain d’échapper à sa condition d’être fini, dans la temporalité déterminée de son
existence, que Marx nomme expression de la détresse. Puisqu’elle octroie à l’homme une vie après
la mort (réincarnation chez les bouddhistes, statut immortel de l’âme chez les chrétiens), elle lui
permet de ne plus se soucier de sa condition de mortel, et de lui faire retrouver ce que Bergson
appelle l’élan de vie.

2-En quoi la religion est-elle le propre de l’homme ?

Par la simple phrase, « les animaux ne savent pas qu’ils doivent mourir » Bergson opère une rupture
entre les êtres humains et les autres êtres vivants. Il prend l’exemple du suicide pour démontrer que
l’animal, quand bien même il sait reconnaître la mort et faire ce qu’il faut pour l’attendre, ne peut
pas en déduire de sa propre finitude : « la distance est grande, entre faire ce qu’il faut pour mourir,
et savoir qu’on en mourra ». Autrement dit, l’animal, même s’il est capable de reconnaître la mort,
il ne peut pas l’imaginer, de la comprendre, de la conceptualiser ; différence entre entendement,
comme faculté, de reconnaissance, et raison, comme faculté de réflection. Pour Bergson, l’animal
n’est capable que d’intuition, et même s’il fait preuve d’entendement, il ne serait pas susceptible de
raisonner, aptitude propre à l’homme. Bref, puisque la religion est créée par celui qui sait qu’il est
mortel, et que l’homme seul a conscience de sa mortalité, la religion est le propre de l’homme.

3-Commentez la thèse conclusive de Bergson.

Ici, dès que l’on effectue un travail de définition autour du terme d’intelligence, il apparaît un
paradoxe. La religion est dite réation « par l’intelligence », mais la religion n’est-elle pas qu’un
système idéologique fait de convictions, « un délire » selon Nietzsche ? Comment l’intelligence (du
latin intellegere : comprendre), qui se veut au service de la bonne compréhension du réel, peut-elle
produire un mensonge au service du sentiment, un système de croyances servant de « bonheur
illusoire du peuple » comme Marx en parle dans sa critique de la philosophie d’Hegel ? Dès lors, on
ne peut concilier foi et raison, croyance et vérité, car ces termes s’auto-détruisent, l’un est
respectivement l’antonyme de l’autre.
Mais la religion, religare d’après son étymologie, n’est-elle pas aussi, et surtout, ce qui rassemble
les hommes entre eux, c’est-à-dire un lien social ? Car selon Kant, la religion est « la connaissance
de tous nos devoirs, en tant que commandement divin », c’est-à-dire le fondement de la morale. Ici,
le terme de morale se rapproche de celui d’intelligence, dès lors que la religion permet de discerner
le bien du mal, le sacré du profane, elle se présente comme le moyen pour les hommes de créer des
communautés plus soudées, plus unies, et donc plus aptes à combattre la mort. L’intelligence peut
donc être aussi perçue comme cette réaction naturelle de l’homme, animal faible dans la nature,
pour survivre par la formation de groupes, de clans, de peuples, et de civilisations.
En fait, même si le contenu du rite religieux est souvent contraire à la vérité, la religion est bien une
réaction défensive de la nature contre la représentation, par l’intelligence, de l’inévitabilité de la
mort, dès lors que par intelligence on parle de la disposition naturelle de l’homme à socialiser.

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