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Par la simple phrase, « les animaux ne savent pas qu’ils doivent mourir » Bergson opère une rupture
entre les êtres humains et les autres êtres vivants. Il prend l’exemple du suicide pour démontrer que
l’animal, quand bien même il sait reconnaître la mort et faire ce qu’il faut pour l’attendre, ne peut
pas en déduire de sa propre finitude : « la distance est grande, entre faire ce qu’il faut pour mourir,
et savoir qu’on en mourra ». Autrement dit, l’animal, même s’il est capable de reconnaître la mort,
il ne peut pas l’imaginer, de la comprendre, de la conceptualiser ; différence entre entendement,
comme faculté, de reconnaissance, et raison, comme faculté de réflection. Pour Bergson, l’animal
n’est capable que d’intuition, et même s’il fait preuve d’entendement, il ne serait pas susceptible de
raisonner, aptitude propre à l’homme. Bref, puisque la religion est créée par celui qui sait qu’il est
mortel, et que l’homme seul a conscience de sa mortalité, la religion est le propre de l’homme.
Ici, dès que l’on effectue un travail de définition autour du terme d’intelligence, il apparaît un
paradoxe. La religion est dite réation « par l’intelligence », mais la religion n’est-elle pas qu’un
système idéologique fait de convictions, « un délire » selon Nietzsche ? Comment l’intelligence (du
latin intellegere : comprendre), qui se veut au service de la bonne compréhension du réel, peut-elle
produire un mensonge au service du sentiment, un système de croyances servant de « bonheur
illusoire du peuple » comme Marx en parle dans sa critique de la philosophie d’Hegel ? Dès lors, on
ne peut concilier foi et raison, croyance et vérité, car ces termes s’auto-détruisent, l’un est
respectivement l’antonyme de l’autre.
Mais la religion, religare d’après son étymologie, n’est-elle pas aussi, et surtout, ce qui rassemble
les hommes entre eux, c’est-à-dire un lien social ? Car selon Kant, la religion est « la connaissance
de tous nos devoirs, en tant que commandement divin », c’est-à-dire le fondement de la morale. Ici,
le terme de morale se rapproche de celui d’intelligence, dès lors que la religion permet de discerner
le bien du mal, le sacré du profane, elle se présente comme le moyen pour les hommes de créer des
communautés plus soudées, plus unies, et donc plus aptes à combattre la mort. L’intelligence peut
donc être aussi perçue comme cette réaction naturelle de l’homme, animal faible dans la nature,
pour survivre par la formation de groupes, de clans, de peuples, et de civilisations.
En fait, même si le contenu du rite religieux est souvent contraire à la vérité, la religion est bien une
réaction défensive de la nature contre la représentation, par l’intelligence, de l’inévitabilité de la
mort, dès lors que par intelligence on parle de la disposition naturelle de l’homme à socialiser.