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ANTHROPOLOGIE THÉOLOGIQUE

INTRODUCTION GÉNÉRALE

Du point de vue étymologique, l’anthropologie est un discours méthodique organisé


sur l’homme. Par rapport à d’autres sciences, elle est une discipline neutre, car le regard était
initialement tourné vers ce qui est extérieur à l’homme. C’est à partir du XVIIIème Siècle que
l’intérêt sera porté sur l’homme lui-même : sa nature, le sens à sa destinée, sa place dans le
cosmos et sa place dans l’histoire humaine. Certaines questions ont permis d’en poser les
jalons, au nombre desquelles nous retenons les suivantes:

►Pourquoi la différence des couleurs ? Celle des mentalités et celle du développement ? Eu


égard à ces différences, vont naître des théories visant à les expliquer, à les interpréter. On
retient essentiellement les plus en vogue dont le fonctionnalisme, l’évolutionnisme et le
diffusionnisme. D’abord, selon le fonctionnalisme, la culture est présentée comme un organe
vivant ayant plusieurs membres qui doivent tous fonctionner. En fait le développement est
conditionné par la participation et l’activité de tous les membres. Quant à l’évolutionnisme, il
stipule que le développement est transversal à toutes les cultures. La différence réside
seulement dans le timing. Toutes les cultures sont en chemin ; certaines évoluent plus vite que
d’autres ; le point de départ est le même, le point d’arrivée sera le même. Enfin, pour le
diffusionnisme, le développement prend corps à partir du foyer, de la source. Plus on est
proche du foyer, plus on est apte au développement. Le développement est donc lié à la
proximité d’avec le foyer.

Par ailleurs, ces questions-réponses donnent lieu à la possibilité de parler de


l’anthropologie au pluriel, d’où l’anthropologie culturelle, philosophique, médicale,
paléontologique,…

Quant à l’anthropologie théologique, l’homme y est considéré dans sa relation à Dieu.


Il s’agit d’une réflexion menée sur l’homme à partir de la foi chrétienne. Elle est multi-
dimensionnelle.

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CHAPITRE I : QU’EST-CE QUE L’HOMME ?

L’homme est un être étrange, difficile à connaître, à saisir. De fait, il est à la fois
capable d’orchestrer la nuisance, le meurtre et toutes sortes de mal, mais aussi d’organiser le
Bien. Sous cet angle, il ne serait pas du tout erroné de postuler l’impossibilité de dompter
l’homme du fait que son cœur reste insondable. C’est pourquoi pour le comprendre, l’analogie
est prise comme l’une des approches les plus réalistes. On peut, par exemple, le comparer à un
être végétal, en tant qu’il naît, grandit et meurt. On peut également le comparer à l’animal, en
tant qu’il est capable de mouvement et partageant la faculté de l’instinct. (Suivant ce dernier,
l’homme tout comme l’animal peut user de la violence pour atteindre ses fions : nourriture et
procréation,…). On peut enfin le comparer à un être spirituel ; à ce niveau, il est pris dans ses
facultés supérieures dont l’intelligence, le raisonnement, la créativité (mise en pratique de
l’intelligence), par lesquelles il peut provoquer l’étonnement, en établissant par exemple les
normes de la vie sociale. Il ressemblerait donc à un ange ou à un microcosme (un petit
cosmos). Dans notre entreprise de compréhension, nous aborderons l’homme en trois étapes
essentielles : l’homme anté-objectif (métaphysique), l’homme objectif (de la science) et
l’homme comme sujet personnel (de la théologie ou de la religion).

A. L’HOMME ANTÉ-OBJECTIF

Il s’agit ici de l’homme tel que vu de la philosophie. Il s’agit donc d’une réflexion,
d’une pensée ou mieux d’une imagination logique, qui n’a rien d’empirique, l’objectif étant
de se démarquer de la conception mythique de l’homme pour tout fonder sur la pensée
logique. Il en existe trois périodes correspondant aux trois périodes de l’histoire ; ce sont les
périodes cosmologique, anthropologique et le mouvement syncrétique.

1. La période cosmologique

Elle met l’accent sur la cosmologie, i.e., la tentative de déterminer l’origine de tout ce
qui existe, la base, l’urstoff ou encore la substance première. L’objectif sous-jacent à cette
démarche est de pouvoir déterminer la place de l’homme. Trois écoles se sont illustrées dans
cette activité : l’école des Ioniens, l’école Italique et l’école des Eléates.

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a. L’homme héraclitien (l’école des Ioniens)

C’est un homme intellectuel qui ne peut plus se contenter des connaissances acquises à
partir des sens, car ces derniers sont trompeurs et les connaissances qui en dérivent sont
illusoires, passagères. Ce qui demeure, c’est le Feu primitif qui, de fait, est à l’origine de tout
et c’est de là qu’émane l’âme humaine. L’âme est ici évoquée en opposition aux sens car c’est
grâce à elle que l’homme connaît vraiment, qu’il arrive à acquérir une connaissance
surpassant celle issue des illusions. Dans cet ordre d’idée, l’homme, c’est celui qui dévoile ce
qui est voilé et sa valeur, dès lors, réside dans sa capacité à connaître.

b. L’homme pythagoricien (de l’école Italique)

Pythagore, lui, postule l’existence préalable d’une âme universelle dont l’âme humaine
serait une des émanations. (En fait, l’âme universelle est un réceptacle d’âmes). Dans la
perspective pythagoricienne, l’âme peut vivre en-dehors du corps ; et si elle y entre, c’est pour
le vivifier, lui donner être et vie par ses facultés supérieures (intelligence et volonté) et
inférieures (les cinq sens et l’instinct). Sans l’âme, le corps (végétal, animal et humain) ne
peut faire usage d’aucune faculté. C’est donc l’âme qui régit tout de l’activité du corps. C’est
donc pourquoi, au jugement c’est elle qui est soit condamnée ou récompensée dépendant de la
manière dont elle avait animé le corps. Il faut entrevoir par-là, l’immortalité de l’âme et la
durée de vie limitée du corps. À la destruction du corps, l’âme retourne à l’âme universelle
pour entrer plus tard dans un autre corps : c’est cela la métempsychose encore appelée
réincarnation ou régénération. Elle se fait selon l’échelle des espèces et des rangs sociaux,
dépendant de la qualité de l’existence antérieure de l’âme en question. En plus de l’éternité de
l’âme, on retrouve chez Pythagore l’idée de jugement (rétribution) ; ces deux vérités ont été
récupérées par l’Église.
Au fond, l’homme pythagoricien est, avant tout, un être moral. Dès lors, vertus et vices
deviennent déterminants en tant qu’ils sont facteurs révélateurs de l’être intime de l’homme,
i.e., son âme. La valeur de l’homme, chez lui, réside dans ses vertus. Il détermine quatre
niveaux de la pratique des vertus : la Monade, la Dyade, la Triade et la Tétrade. Dans la
première, la vertu de l’individu réside dans sa capacité à être en harmonie avec lui-même,
dans sa capacité à établir l’unité entre les différentes composantes de sa vie. Dans la dyade, il
s’agit de la justice vécue en famille ; elle y opère positivement. Dans la Triade, c’est la justice
au niveau de la commune et enfin dans la Tétrade, c’est au niveau de la Cité.

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c. L’homme parménidien (de l’école des Éléates)

Le point de départ, chez lui, c’est l’Être. Tout est dans l’Être ; le non-être n’existe pas
et tout ce qui existe c’est l’Être. Pour lui, être homme, c’est être doué de raison. Seule la
raison donne la vraie connaissance, la vraie science. L’homme est la lumière de l’être et qui
dit homme dit raison.

2. La période anthropologique

La préoccupation ici, c’est la personne humaine, c’est sa vie. Nous partirons de


Socrate à Aristote en passant par Platon.

a. L’homme socratique

C’est un être doué de conscience, d’une vie antérieure. En d’autres termes, il est
capable de dédoublement d’où que sa vie extérieure est une manifestation de sa vie intérieure.
C’est peut-être là qu’il faut situer l’importance de l’appel socratique « connais-toi toi-même ».
Cela n’est, par ailleurs, possible que grâce à l’âme. Socrate emprunte à Pythagore la notion
d’âme universelle (réceptacle d’âmes). Pour lui, l’âme s’incarne dans le corps par accident
(contre sa volonté) puisque le corps est une prison. C’est d’ailleurs pourquoi l’âme cherche
perpétuellement à s’en libérer. Mais au terme, c’est à cette incarnation accidentelle que l’on
doit la vie (vivification) du corps.
Par ailleurs, en présentant l’homme comme un être doué de conscience, Socrate entend
insister sur sa dimension morale. Et comme fait le mal par ignorance (c’est la thèse de
Socrate), il y a nécessité de l’éduquer à la sagesse et au sens du bien. À cet effet, Socrate
suggère la maïeutique comme méthode. Elle consiste en un échange de questions-réponses
dans lequel le maître feint l’ignorance aux fins de permettre à l’individu en question de
s’éveiller à la vérité par lui-même, de distinguer le bien du mal et d’éventuellement faire le
choix du bien au détriment du mal. Ces capacités sont inhérentes à l’individu. La tâche de la
maïeutique consiste, dès lors, à les réanimer de sorte que par la réminiscence, l’individu fasse
le retour à son être intime pour y contempler la vérité à nouveau. En conclusion, l’homme est
un être moral ; il est guidé par la morale et il a besoin de s’y entraîner par la contemplation
philosophique. Il est, par extension, un être politico-social.

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b. L’homme chez Platon


Platon distingue trois entités de l’âme que sont les parties rationnelle, spirituelle et
sensorielle. Elles sont souvent à l’origine de conflits internes à l’homme (conflits intra-
personnels ou intra-psychiques). Il y a lieu de soumettre la partie sensorielle aux deux autres
en vue de sa nécessaire éducation (les désordres affichés par le sujet humain sont, dit-on, des
résultantes de sa prédominance). Cette troisième instance est également appelée « appétit ».
Par ailleurs, l’homme platonicien est un être à la recherche du bonheur qui, en fait, dépend de
la capacité de chacun à s’acquitter de ses devoirs de citoyen et de la possibilité qui lui est
donnée de jouir de ses droits. Dès lors, une bonne organisation de la cité devient indispensable
à la réalisation effective de ces deux conditions sus-mentionnées (La République). Cette
bonne vie recherchée par l’homme est à la fois harmonie intérieure (avec soi-même) et avec
les autres citoyens.

c. L’homme selon Aristote


Il met l’accent sur l’animalité et la divinité en tant que l’homme est en continuelle
vacillation entre les deux. Il n’est jamais entièrement l’un ou l’autre. Il lui est possible d’agir
selon les deux tendances, dépendant des contextes. Il est à même d’étonner comme le divin
par la réalisation de choses grandioses, comme il peut également choquer par son abaissement
dans l’animalité. Dans son approche de l’homme, Aristote invente la théorie de
l’ilémorphisme (matière et forme). L’homme, chez lui, se définit par l’union de l’âme et du
corps, une union indispensable. Le corps est la matière substantielle tandisque l’âme est la
forme substantielle. L’âme est l’entéléchie de l’âme, son principe ou sa source d’énergie. Ses
facultés, la raison et la volonté, font de l’homme un être supérieur dans la hiérarchie des êtres.
Par ailleurs, l’homme aristotélicien est aussi un être en quête de bonheur. Mais il souligne tout
de suite la relativité et la variété du bonheur. Chacun en a sa réalité bien que le principe de
recherche demeure le même. Par exemple, pour le malade, c’est certainement la santé et pour
le pauvre, l’argent. Comment peut-on arriver à construire un bonheur universel de sorte qu’il
n’y ait pas de conflits de « bonheurs » ?
Aristote soutient que c’est par l’amour de la sagesse. Si la sagesse devient le principe de la
quête du bonheur, on finira certainement dans la pratique des vertus, ce qui exclurait toute
possibilité de conflits et garantirai à chacun le type de bonheur qui lui sied. De plus, l’homme
chez lui, l’homme est à la fois capable de nuire et de protéger. Cependant, contrairement à ses

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prédécesseurs, Aristote soutient que l’homme fait le mal par choix et non par ignorance, d’où
la nécessité de l’éduquer aux vertus, au choix préférentiel du bien contre le mal. La mère de
toutes les vertus, selon lui, c’est la justice et il en distingue plusieurs modalités d’application :
►La justice commutative : à chacun ce qui lui est dû
►La justice distributive : à chacun selon ses besoins ; prise en compte des pauvres, des
défavorisés, des invalides ; en Afrique ce pourrait s’appeler solidarité.
►La justice corrective ou réparatrice : l’homme vicieux doit rendre compte de son
comportement ; la police et les tribunaux entrent en jeu ici.
Par la pratique de la justice, l’homme devient un être civique ; c’est pourquoi il doit
impérativement y être éduqué afin de pouvoir transcender ses appétits et les dompter.

3. Le mouvement syncrétique
Il s’agit ici d’une pensée théosophique, c’est-à-dire un mélange logique de philosophie
et de théologie. Nous faisons ici le choix des pensées augustinienne et thomiste.

a. L’homme augustinien

L’âme est une substance immortelle et spirituelle insufflée en l’homme par le Créateur
(Dieu). Et il n’y a que les êtres supérieurs –les anges et les hommes- qui ont des âmes. De
plus, la dignité de l’homme dépend de son âme et la perfection de son être en dépend. L’âme
vit dans le corps, mais elle reste toujours naturellement tendue vers son origine, vers son
créateur. Aussi l’homme est-il lui aussi toujours tourné vers la recherche du bonheur, de l’être
suprême, Dieu. Il chemine vers lui par la pratique de l’amour et par la contemplation ; son
cœur est sans repos jusqu’à ce qu’il repose en Lui.
Par ailleurs, Augustin a développé une éthique volontariste, en soutenant que tout dépendrait
de l’homme, au moins tout ce qui relève de l’ordre du choix, d’où sa maxime « ama et fac
quod vis » ou aime et fais ce que tu veux. Si l’amour gouverne effectivement notre penser et
notre agir, notre volonté ne saurait que se configurer à celle de Dieu. Quant à nos actions,
elles seront certainement bénéfiques, salvifiques et méritoires.

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b. L’homme thomiste

Son anthropologie a trois dimensions : la psychologie (étude de l’âme/ de l’esprit),


l’épistémologie (étude des connaissances) et la morale (étude de l’action humaine).

►La Psychologie
L’âme et le corps constituent respectivement la forme et la matière substantielles de
l’homme et les deux sont intrinsèquement liés. L’homme est une unité et l’âme est infuse dans
tout son être. Un corps sans âme est un corps sans vie, car il ne saurait exercer aucune faculté
et il en est de même pour l’âme. Thomas distingue cinq facultés humaines dont trois
inférieures et deux supérieures. Les premières sont régies par le corps et l’homme, il les a en
partage avec les animaux ; il s’agit des cinq sens, de l’imagination et de la perception/
estimation. Quant aux deux autres, elles sont régies par l’âme et consacre la supériorité de
l’homme dans l’odyssée cosmique ; il s’agit de la raison et de la volonté ; il les a en partage
avec les anges. C’est justement sur ces dernières que Thomas fonde son épistémologie.

►L’Épistémologie
Dans la perspective thomiste, on ne peut vraiment connaître que si l’on est doté des
facultés supérieures, d’où que seul l’homme est capable de connaître et que seul lui connaît.
De plus, la connaissance de l’homme a ceci de spécifique qu’il n’y s’agit pas simplement de
connaître des choses, mais aussi d’avoir conscience de connaître. L’homme connaît et sait
qu’il connaît et ce, grâce à la raison réfléchie.
Quant à la volonté, elle est le principe du choix. C’est elle qui oriente l’homme vers le bien et
lui rejeter le mal. Cependant, chez Thomas, la volonté est auxiliaire à la raison, en tant que
l’on ne doit choisir qu’après avoir eu une connaissance éclairée des différents objets de son
choix. Cela ne s’applique tout de même pas à tout. Pour ce qui est de la connaissance de Dieu,
Thomas privilégie la volonté, car il est impossible de posséder la connaissance parfaite de
Dieu. Mais Dieu, plus on l’aime, mieux on le connaît. Il reconnaît, du reste, que l’homme est
capable de Dieu, capable d’en posséder une certaine connaissance et d’entretenir une relation
avec lui (Capax Dei), même si cela dépend de sa disponibilité, de son obéissance (Potentia
obedientialis).

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►La Morale
Selon lui, elle est essentiellement ordonnée à l’organisation de la cité et elle est en vue
du bien de la société. Il définit deux types d’actes : l’acte de l’homme, commun à tout être
humain tel que tousser ; et l’acte humain, celui qui peut être jugé à partir des principes
moraux. Ces lois morale sont bénéfiques à l’homme en tant qu’elles lui servent de garde-fous
à l’intérieur desquels il se doit d’inscrire son agir. C’est grâce à elles, que peuvent régner la
sécurité, la justice et la paix. De plus, Thomas privilégie, l’ensemble, la communauté par
rapport à l’individu, en tant que c’est en elle qu’il puise sa force et son assurance. Il doit, de
ce fait, pouvoir s’investir pour elle, voire se sacrifier. Et quand il est fautif, il se doit
d’accepter volontiers la punition y afférente. Aussi Thomas accepte-t-il la peine capitale ;
mais à la différence d’Aristote, elle ne doit pas être mise en exécution. Quant à la fin ultime
de l’action humaine, Thomas l’identifie dans le bien suprême, Dieu.

B. L’HOMME OBJECTIF
Il s'agit de l'homme étudié par la science, dont l'objectif premier est de déterminer une
vérité universelle. L'homme y est approché selon ses aspects externes. La science en tant que
telle a connu deux précurseurs (prodrones) qui en ont assis les fondations; il s'agit de
Descartes et de Kant.

a. L'homme cartésien
Son postulat est que l'on doit arriver à saisir une vérité universelle, une qui ne souffre
d'aucun doute, démontrable et acceptable de tous. Et la méthode qu'il préconise est celle du
doute hyperbolique ou méthodique. Tout doit être remis en cause jusqu'à ce que le doute soit
levé. Rien ne doit être pris pour vrai tant que cela n'a pas été au préalable passé au crible du
doute. Il part de l'analyse à la synthèse, de l'induction à la déduction. Descartes réserve
cependant deux réalités qui échappent au doute: ma propre existence et l'existence de Dieu.
Par ailleurs, l'homme cartésien est un être connaissant. Il est doté d'une âme qui, en fait, en est
l'élément constitutif même. Descartes en présuppose l'existence à priori. Elle est le siège de
ses facultés cognitives (sentir, penser, vouloir.) et il ne peut donc connaître sans elle.

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b. L'homme kantien
Kant est, lui aussi, intéressé par l'homme comme être connaissant. Mais la faculté
cognitive de l'homme, chez lui, est réflexive et seul l'homme est capable de connaître, d'où sa
méthode de la critique, en vue d'atteindre une vérité universelle. Pour vraiment connaître,
l'homme doit tout critiquer. C'est la critique qui fait l'homme. Il existe trois champs de
connaissance auxquels correspondent trois types de critiques :
►La connaissance par les sens, d’où la critique des sens ou esthétique transcendantale ;
►La connaissance par l’apprentissage, d’où la critique de l’entendement ou logique
transcendantale (Est-ce que j’ai bien compris ?)
►La connaissance par l’intelligence (personnelle), d’où la critique de l’intelligence ou
dialectique transcendantale ; on y retrouve la critique de la raison pure (que puis-je savoir ?),
la critique de la raison pratique (Que dois-je faire ?) et la critique du jugement (qu’est-ce qu’il
m’est permis d’espérer –dans la recherche du bonheur? Il y a des types d’aspirations qui
peuvent nous dévoyer). Par ailleurs, deux champs de connaissance échappent à la critique : il
s’agit de la liberté humaine qui, pour Kant, est une valeur fondamentale innée. Il y a
également l’existence de Dieu ; en fait, Kant la présuppose en vue de donner un fondement à
sa morale. C’est à partir de là que se dégage la conception kantienne de l’homme comme un
être moral, un être qui sciemment choisit le bien au détriment du mal. Et ce qui lui fait choisir
le bien et éviter le mal, ce que Kant appelle la loi du devoir ou principe catégorique, a été
infusé en lui par Dieu. Sans cet impératif, l’homme serait exposé à la grossièreté, d’où la
nécessité de l’éducation pour renforcer l’impératif catégorique.

c. L’homme de la science

En rappel, la motivation principale de la science est l’universalité de la vérité objective


. Elle va donc trouver en l’homme un terrain d’expérimentation et d’application des méthodes
initiées par Descartes et Kant, à savoir le doute et la critique, pour n’accepter comme vrai que
ce qui est observable, démontrable et acceptable de tous.

►La science du cerveau


Il est possible d’étudier l’homme tel qu’on le fait pour l’animal, puisque les deux ont
une propriété fondamentale en commun, à savoir le cerveau. Il en résulte que l’homme

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fonctionne comme l’animal, car le moteur de ses actions, le centre de ses décisions, c’est le
cerveau. C’est lui qui harmonise nos actions, et peut, dans un langage électrique, être assimilé
au tableau divisionnaire destiné à alimenter la maison, i.e. le corps. Les fusibles fixés sur le
tableau sont eux aussi comparables aux divers types de neurones (du cerveau). Il y a des
neurones commandant les facultés affectives, la mémoire,…Tout compte fait, l’objectif de
cette entreprise est de prouver qu’il n’y a rien d’étrange, rien de mystérieux et de supérieur en
l’homme, contrairement à certaines opinions qui le passeraient pour supérieur dans la
hiérarchie des êtres.

►La Psychanalyse
S. Freud en est la figure de proue. Son postulat, c’est que la conscience claire n’est pas
toujours au fondement de nos comportements. Il développe le principe de l’Inconscient et y
met l’accent en vue de montrer que nos choix ne sont pas toujours réfléchis, clairement
connus et bien jaugés. L’Inconscient est à l’origine de beaucoup de nos actions. C’est
pourquoi, selon Freud, on devra raisonner en termes de « ça » au lieu de « je ». Par exemple,
pendant l’anesthésie, le cerveau échappe à nos facultés cognitives (le contrôle) ; le « moi »
diminue et le « ça » se dévoile. On est dès lors porté à dire des choses qu’on ne dirait peut-être
pas quand on a le contrôle de toutes ses facultés.

►Le Behaviorisme
C’est une théorie psychologique selon laquelle le comportement de l’homme est une
réaction à un stimulus, à une provocation. Ce qui régit son attitude n’est pas une faculté
intérieure, mais un mécanisme extérieur. C’est de là que les tenants de ce courant ont
développé le concept d’apprentissage social : mon comportement dépend de ce que j’apprends
et j’apprends à partir de ce que je vois (faire). Il y a donc conditionnement ; c’est comme si
nos choix, faits et gestes sont conditionnés au point que notre liberté et notre intériorité
(humaine) s’en trouvent diminuées, supprimées ou même niées.

►L’Économie
Que ce soit le libre arbitre ou l’option fondamentale, tout est déterminé par la situation
économique de chaque individu. L’avoir conditionne, détermine le comportement, les choix et
même les relations sociales.

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►La Sociologie
Elle présente l’homme comme un être qu’on peut contraindre. Il est conditionné par
les faits sociaux tels que les règles de la circulation, le mariage, les règles de la vie
religieuse,…Tout est contrat et l’homme en vit. Une fois à l’intérieur du contrat, il est obligé
d’en suivre les clauses et sa survie même en dépend.

►L’ Histoire
Pour elle, l’homme est un être influençable. L’homme l’a inventé pour recenser les
faits du passé certes, mais elle n’est pas neutre. Elle a une dimension conative en tant qu’elle
influence le comportement, détermine les actes et a des effets sur la postérité.

►La Linguistique
L’homme est un être obligé de…On est conditionné par le code commun de toute
langue que l’on parle. On en respecte la sémantique et la grammaire. L’homme entre
simplement dans le jeu de la langue.

►La Biologie
L’homme est un être manipulable. Tout comme l’animal, il peut être disséqué. On peut
lui donner du sang ou des organes d’autrui ; il est simplement une marionnette sur laquelle on
peut agir à sa guise.

C. L’HOMME, SUJET PERSONNEL

Il s’agit de l’homme vu de la théologie ou de la religion. Avant tout, il y a lieu de


reconnaître le mérite de la science en tant que ses investigations ont été d’un grand apport à la
connaissance que la théologie a progressivement acquise de l’homme. Cependant, il est aussi
important de mettre en lumière les dérapages de la science, parmi lesquels son « tout »
lacunaire. En fait, elle en est arrivée, à partir de la connaissance partielle qu’elle a réalisée sur
l’homme, à prétendre le connaître dans sa totalité. Au fond, elle en a une conception
réductionniste puisqu’elle le restreint en quelques-uns de ses aspects, en l’occurrence les
aspects externes auxquels elle a accès. Elle ignore simplement la vérité fondamentale selon

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laquelle l’homme est un être qui sait prendre de la distance par rapport à ce qu’il fait et est, et
par rapport à ce que sont et font les autres. Il est un sujet personnel.

a. L’intériorité et la subjectivité
L’homme porte en lui, une lumière et une force intérieure qui font que son instinct ne
l’emporte pas toujours. Il est doué d’une capacité de jugement personnel qui lui garantit
toujours la possibilité d’effectuer un dialogue intérieur, un jugement de valeurs, un
discernement. C’est comme s’il se produisait en lui un dédoublement qui, dans un langage
théâtrale, mettrait en jeu plusieurs personnages, engagés dans une discussion, avant tout acte
de la part de l’individu. C’est pourquoi « le stimulus », les mécanismes extérieurs n’ont pas
toujours la réaction attendue, puisque l’homme a une grande marge de manœuvre sur son
comportement.
Pour ce qui est de sa subjectivité, elle réside dans la conscience de soi, cette capacité de
l’homme de réfléchir sur lui-même et sur sa condition, sa capacité de se connaître et de
connaître sa condition et de travailler à l’améliorer et à la contrôler. Malgré sa ressemblance
avec l’animal, cette faculté qui lui est propre marque une rupture de taille d’avec lui. Par
exemple, l’animal peut sentir qu’il peut ou va mourir. Quant à l’homme, il le sait, il y pense et
cela génère en lui anxiété (voire angoisse) et incertitude, d’où qu’il est un roseau pensant (B.
Pascal). Roseau du fait de sa fragilité et pensant du fait de sa capacité à connaître les choses
(liées à sa condition d’homme) à telle enseigne qu’il cherche même à les manœuvrer pour
qu’elles arrivent selon son souhait. L’incertitude est en relation avec les facultés cognitives
(l’homme réalise son incapacité de connaître tout –surtout son futur- de sa condition et de
façon certaine) ; l’anxiété, elle, résulte des facultés sensibles. Son désir de contrôler et de
minimiser l’incertitude se manifeste dans son agir par anticipation, la mise au jour de certains
projets. Il en est de même pour l’anxiété ; là cela transparaît dans le renforcement des liens
sociaux. Il existe d’autres preuves de la subjectivité de l’homme. Nous retenons, entre autres :
►La créativité : C’est cette capacité de chercher à améliorer sa condition
(environnement physique et social) par des idées nouvelles, en sortant des chemins battus
pour se frayer son propre chemin. Il tient cela de sa force intérieure qui le dépasse à aller au-
delà de ce qu’il aurait appris.
►La conscience morale : C’est cette faculté qui lui permet d’opérer le passage de
l’hominisation à l’humanisation. L’homme a le sens du bien et du mal, et il a cette capacité de

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faire option pour le bien plutôt que pour le mal. L’homme est cet être qui fait le choix de vivre
selon les vertus.
►La liberté : Elle est une réalité fondamentale innée et indéniable. L’homme l’exerce
par rapport à lui-même ; ce qui le met à l’abri de tout agir instinctif. Il l’exerce par rapport aux
autres et en cela il interagit avec eux de façon respectueuse et en exigeant d’eux le même
respect. Il l’exerce enfin par rapport aux choses qu’il contrôle.

b. Les deux pôles de l’être humain


Il s’agit des pôles objectif et subjectif dont la « dualité nous permet de réfléchir
comme un miroir réfléchit notre image ». Tous deux sont présents, innés en chaque être
humain.
►D’abord le pôle objectif : Il est facile à définir et il passe, en effet, par des mots et
des phrases que nous nous adressons nous-mêmes, et que nous adressons aux autres, que nous
écrivons aussi. C’est lui qui est connu des sciences et qui est utilisé par elles dans leur
approche de l’homme. C’est en outre en lui qu’elles résument l’homme. De façon
caractéristique, il est facile à connaître, à décrire ; il est visible.
►Le pôle subjectif : Il est beaucoup plus difficile à définir et à saisir. Nous ne
pouvons jamais le regarder en face ; il joue toujours en arrière de nous pour nous projeter en
avant. Mis en comparaison, l’homme et son pôle subjectif sont comme l’œil et sa rétine. L’œil
ne peut se retourner sur lui-même. Ou encore, je ne peux voir mon propre dos sans miroir. Le
recours à tous ces éléments analogiques démontrent bien la complexité que recèle le pôle
subjectif. Pourtant, c'est un moteur infiniment plus fort et plus profond (par rapport au pôle
objectif). Il le dépasse et le pousse en avant sans cesse, d’où que « l’homme est un iceberg
dont la partie immergée est beaucoup plus importante que la partie émergée ». C’est en ce
pôle que se retranche le mystère de l’homme. [C’est là que la science atteint ses limites même
si elle semble ne pas vouloir l’admettre et c’est également là que la théologie supplée à sa
faiblesse].Il est une sorte de dynamisme qui prend distance vis-à-vis du premier et œuvre à
son amélioration. À ce titre, il est le siège de l’auto-évaluation, de l’auto-critique, de la
reconnaissance de ses erreurs et imperfections ainsi que de la résolution de les corriger en vue
de s’améliorer soi-même, d’être une meilleure personne, d’être de plus en plus humain. Il est
le lieu de nos désirs, de nos passions, de nos créations artistiques ou professionnelles, de nos
décisions, bref ! De l’engagement de notre liberté. Il y a donc une concomitance dans la

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ANTHROPOLOGIE THÉOLOGIQUE

relation pôle subjectif et pôle objectif et cela n’est possible que grâce à la liberté. Il existe
deux types de libertés :
►Le libre arbitre qui régit les petits choix quotidiens que nous effectuons ; par
exemple aller visiter un ami ou donner de l’aide à un pauvre…
►L’option fondamentale : C’est l’orientation de base que l’on donne à son existence
et à partir de laquelle les projets et rêves voient le jour. C’est l’ensemble des choix constituant
la plaque tournante de l’existence d’un être humain. Elle est la conséquence du libre arbitre.
Si les petits choix de la vie quotidienne qui, en fait, sont préparatoires à l’option fondamentale
ne sont pas bien jaugés et sont faussés, cette dernière s’en trouvera également dévoyée. Dès
lors, la nécessité d’une préparation sérieuse à ce type de choix est un prérequis on ne peut plus
vital. En fait, dans la théologie ancienne, l’option fondamentale était un choix irréversible.
Aujourd’hui cependant, les nouvelles sensibilités théologiques admettent l’argument de la
dynamicité de l’homme, d’où la possibilité de modifier l’option fondamentale avec tous les
risques possibles, car modifier ou changer l’option fondamentale peut désorienter la vie. Voilà
pourquoi la même mesure de moyens investis dans la préparation de l’option fondamentale
doit être employée pour son éventuelle modification.

I.Le pôle subjectif ouvert à l’infini


Ce pôle est habité par un désir jamais satisfait d’aller plus loin, de posséder plus et de
vouloir être plus. À la différence de l’infini mathématique (synonyme d’impossibilité et donc
de stagnation=il ne mène à rien), l’infini dont il est question ici est cet horizon à la fois
proche et lointain vers lequel l’homme est toujours tendu, assoiffé d’atteindre le meilleur de
lui-même et pour lui-même. C’est donc un infini qui a un sens et qui dénote la tension
éternelle de l’homme vers un plus dans tous les domaines. Du fait que ce pôle soit habité par
le dynamisme du toujours plus, l’homme n’est jamais satisfait de ce qu’il a et il voudrait
toujours avoir quelque chose de plus, dans le domaine de l’habitat, du salaire, des études, des
loisirs, de l’affectivité et de la durée de la vie. Par suite, l’homme lui-même devient un être
infini grâce à ce pôle. [Dans une certaine mesure, on peut même assimiler cet infini à Dieu
dont l’homme porte l’image et la ressemblance. C’est surtout la ressemblance qui lui sert de
pôle d’énergie pour œuvrer inlassablement à se configurer à cet infini qui, pour lui, est la
perfection-même]. Et puisqu’il est un être de désir en quête de bonheur, l’homme évolue par

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ANTHROPOLOGIE THÉOLOGIQUE

les questions qu’il se pose et auxquelles il s’évertue à apporter des éléments de réponses.
Nous en retenons essentiellement trois types :
►Les pourquoi naïfs mais profonds ; ce sont des questions de l’âge métaphysique
(enfance) ;
►Les questions de l’adolescent, contestant l’ordre de sa famille, de la société et rêvant
de refaire le monde ;
►Les questions de l’âge adulte portant sur le sens de la vie ; l’homme adulte effectue
une sorte de retour sur son passé ; ce type de questions émergent donc de son for intérieur.
On relève tout de même un paradoxe dans l’existence de l’homme : bien que limité dans le
temps et bien qu’il en ait conscience, l’homme recherche cependant l’infini toujours dans le
temps. C’est cela la caractéristique du pôle subjectif qui veut toujours transcender ces limites
objectives (jour et lieu de naissance, milieu familial, l’appartenance à un pays donné, les
capacités, la mort et l’échec…). C’est ce qui fait dire à Rahner que l’homme aspire à l’infini,
à l’intarissable ; et à B. Pascal que « l’homme passe l’homme ; l’homme passe infiniment
l’homme ; l’homme porte plus que l’homme ».

d. L’Absolu
Dans toutes les cultures et civilisations, on en reconnaît l’existence même si l’on
utilise diverses nomenclatures pour l’identifier. Il est une question que tout homme,
explicitement religieux ou non, finit par se poser, tôt ou tard. C’est peut-être ce qu’entend
Rahner lorsqu’il soutient que « chaque homme a un savoir anonyme de Dieu ». Tout homme
en porte la marque indélébile au tréfonds de son être. Cependant, souligne Rahner, « l’homme
a une constitution instable », provoquée par la prise de conscience de ses limites
indépassables. Ce « déhanchement » serait au fondement de sa quête de quelque chose ou de
quelqu’un de plus stable ; ce qui recouvre un danger, puisque la recherche de cet être absolu
peut s’avérer illusoire : n’est-ce pas parce que l’homme a réalisé ses limites qu’il s’est créé
(inventé, imaginé) cet absolu ? Une tentative de réponse nous est donnée par Henri de Lubac
dans le dialogue entre Moïse et Xénophane. En effet, pour le premier, Dieu a créé l’homme à
son image et à sa ressemblance (cf. Genèse). Par contre, Xénophane soutient que c’est
l’homme qui a créé Dieu pour suppléer à sa faiblesse, à son impuissance.
Solution : Apparemment, Xénophane a raison, car objectivement, l’homme est limité
et porte un besoin indiscutable de plus fort, de plus parfait, de mieux que lui pour le porter et

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ANTHROPOLOGIE THÉOLOGIQUE

le supporter. Mais, au fond, c’est Moïse qui a raison, car il n’y a pas de généalogie de l’idée
de Dieu dans la vie de l’homme ; il naît avec elle, elle est gravée en lui, elle est innée. En
toute personne, habite la question de Dieu ; elle ne vient pas de l’extérieur, elle jaillit plutôt de
l’intérieur, comme le soutient Hegel : « l’absolu est auprès de nous dès le commencement ».
Alors pourquoi l’athée rejette-t-il l’idée de l’existence de Dieu ? Pour Rahner, l’athée manque
d’humilité, car il y a un lieu inextricable entre foi et humilité. C’est le manque d’humilité qui
conduit l’individu à méconnaître ou à nier la valeur des autres. La connaissance de Dieu et la
foi ne sont possibles que par la grâce et l’acceptation humble du sujet croyant. De plus, dans
la foi, il y a la conjugaison de deux libertés : celle de Dieu et celle de l’homme. Il en est de
même dans tout acte salvifique, car on ne peut assumer le salut dans la passivité.

CONCLUSION
Deux affirmations (conflictuelles) émergent de l’étude sur l’homme :
►L’ homme est objectivable
►L’intériorité humaine est irréductible ; on ne peut la nier.
Face à ce conflit, il y a de prendre en compte :
*Le positivisme qui met l’accent sur la dimension extérieure et nie l’intériorité de
l’homme.
*Le spiritualisme qui met l’accent sur l’intériorité et nie la dimension objectivable de
l’homme.
C’est pourquoi notre option est pour la dualité des pôles, car l’homme reste un microcosme,
un petit cosmos, donc complexe. Il ressemble au végétal : naît, grandit et meurt. Il est
également assimilable à l’animal : doué de motivations, héréditaires ou acquises, qui
cordonnent ses mouvements. Il ressemble enfin à un être supérieur, c’est-à-dire au-delà de
notre terre ; et à ce titre, il est capable de prendre de la distance par rapport à ce qu’il a appris
et par rapport à lui-même. C’est grâce à cette dimension d’être supérieur que l’homme
s’engage dans le processus d’humanisation puis de divinisation. Et c’est cette relation
(homme-végétal-animal) que nous allons approfondir dans le chapitre suivant.

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ANTHROPOLOGIE THÉOLOGIQUE

CHAPITRE II : L’HOMME DANS LE MYSTÈRE DE LA CRÉATION

PREMIERE PARTIE : LE MONDE VU DE LA SCIENCE

1. L’ordre de causalité

Le monde et l’homme sont issus du hasard car ils n’ont pas été conçus comme projet.
On peut, cependant, remonter à leur origine en établissant la succession des causes naturelles.

A. Conflit entre foi et science au sujet de la création

Il y a lieu de reconnaître tout de suite que les deux savoirs sont différents. Il y a d’une
part ce que l’on diffuse comme savoir à l’école, et d’autre part, ce qui est délivré à la
catéchèse comme vérité de foi. Imaginons un individu (un enfant) faisant l’expérience des
deux cas de figures ; il naîtra nécessairement en lui une sorte de conflit entre les deux types de
savoir qui lui sont proposés. La théorie scientifique la plus en vogue (étudiée) est celle du
« Bigbang » portant sur les étapes de la formation du monde : formations des systèmes
stellaires, des planètes et des différentes espèces. Ici, il n’y a pas idée d’un quelconque être
supérieur (Dieu), créateur de tout ce qui existe, car le discours scientifique n’a pas à faire
intervenir Dieu dans l’ordre des causes et effets. Pourtant à la catéchèse, on apprend que c’est
Dieu qui a tout créé. Qui faut-il croire : l’enseignant ou le catéchiste ? Que faut-il croire : la
science ou la religion ? Il y a pratiquement deux récits, d’où le devoir du théologien de ne rien
rejeter, mais de s’intéresser aux deux en vue de se donner suffisamment de moyens dans sa
recherche de la vérité.

Il est impératif de retenir une vérité essentielle ; c’est que la conception scientifique se
base sur des calculs mathématiques, sur des observations systématiques à l’aide d’appareils
conséquents et « rend compte selon des lois précises de l’ensemble des phénomènes ». La
science appartient clairement à l’ordre de la causalité et procède avec la question
« comment ? ». Elle s’intéresse à la succession des causes si bien que même quand elle utilise
le « pourquoi ? », il reste indissociable du « comment ». Dans ce monde de la science, deux
hypothèses sont à retenir : l’origine de l’univers et celle de l’homme.

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ANTHROPOLOGIE THÉOLOGIQUE

►L’origine de l’univers

L’univers est apparu il y a plus de quinze (15) milliards d’années et il a commencé en


un centième de seconde. Il y eut un éclatement (bigbang), puis assemblage de protons et
neutrons qui donna des noyaux Deuterium. Des heures après, il y eut apparition d’atomes
d’hydrogène, d’où l’union avec les noyaux d’hélium qui aboutit à la formation des nuages au
bout d’un million d’années. Sous l’effet de la gravitation, les nuages se condensèrent pour
donner les galaxies, après cent millions d’années du bigbang. Cinq milliards d’années plus
tard, apparaissent les premières étoiles. La planète terre commença à exister dix milliards
d’années après le bigbang, soit depuis 4.5 milliards d’années.

►L’apparition de l’homme

Elle va de pair avec celle de la vie. La terre ressemblait à une boule de larve : la vie
était impossible. Suite au refroidissement, apparut la croûte terrestre et la vapeur d’eau
condensée donna naissance aux océans. Les premiers êtres vivants furent des unicellulaires
(insectes sans système nerveux) et des bactéries. De l’union des bactéries, naquirent des
organismes multicellulaires, après 1.3 milliards d’années. Puis apparurent les animaux, les
mollusques sans coquilles, après 3 milliards d’années. Suivront les reptiles. Mais 300 millions
d’années plus tard, apparurent les dynausores qui, eux, mirent tout à sac : végétaux,
mollusques et tous les autres êtres ; ils rayèrent tout de la surface de la terre. Quelques temps
plus tard, ils disparurent à leur tour, par la chute d’une astroïde qui, en tomba nt, un
réchauffement climatique insupportable. Advint un autre refroidissement qui fut suivi de
l’apparition de forêts d’arbres géants. Apparut enfin l’homme, sous la forme de
l’australopithèque. Il connut une évolution progressive jusqu’à la stature de « l’homo sapiens
sapiens » tel que nous le connaissons aujourd’hui. Il fut d’abord nomade, vivant de la pêche,
de la chasse et de la cueillette. Grâce aux Chinois, apparut l’agriculture qui occasionna la
sédentarisation de l’homme. Ainsi donc prit fin l’évolution biologique de l’homme, et fut
amorcée son évolution culturelle.

B. Quelques hommes de science

Nicholas Copernic (1473-1543) : Polonais ; il fut le premier à découvrir que c’est la terre qui
tourne autour du soleil.

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ANTHROPOLOGIE THÉOLOGIQUE

Galilée (1564-1642) : Catholique ; il mit en œuvre la théorie de Copernic en utilisant le


télescope pour vérifier ses résultats. Il vérifia et confirma la dite théorie et en fit les frais au
prix de sa vie (inquisition).

Kepler (1571-1630) : Protestant ; il découvrit le mouvement des astres ainsi que l’éclipse. Lui
aussi fut condamné par son église.

Newton (1643-127) : Les scientifiques s’émancipent du joug de l’église. Avant lui, l’on
pensait que l’univers était une manifestation de Dieu et de l’homme. Avec lui, le monde est
un automate qui n’a pas besoin de Dieu. Il a ses propres lois à partir desquelles il fonctionne.
Il ne dépend aucunement de l’homme. (La croyance selon laquelle des sacrifices sont
nécessaires à l’apparition du soleil ou pour une bonne pluviométrie se trouve ainsi mise à
rude épreuve).

Jean Laplace (1749-123) : Contemporain de Napoléon ; pour lui, le monde est un parfait
automate, il n’a pas besoin d’observateur. Dieu n’intervient pas dans le fonctionnement du
monde car ce dernier obéit à des lois naturelles.

Jacques Monod : Il a vécu au XXème siècle. Nous devons nous libérer de


l’anthropocentrisme qui voudrait que le monde ait été créé pour l’homme. Sans l’homme, le
monde saura évoluer et il va évoluer. L’homme est un être marginal par rapport au
fonctionnement du monde ; il est un tzigane. Dieu et l’homme se trouvent donc évacués du
centre du monde ; c’est le règne du déterminisme scientifique.

2. L’ordre de la finalité

C’est l’ordre de la foi. Le postulat ici c’est que seule la foi donne la véritable
explication sur l’origine du monde et de tout ce qui existe, car la théorie du bigbang échoue à
expliquer l’instant zéro ; d’où sont venus le bigbang et tout ce qui s’en est suivi ?
L’hypothèse, c’est que la science étudie les causes secondaires et non celle première. Celle-là
est l’intérêt et le devoir du théologien. Du point de vue de la foi, « il existe une solidarité entre
l’origine et la fin, et c’est la ligne qui relie les deux qui fait sens, c’est-à-dire donne une
direction. Car l’origine a été posée en fonction d’un but. De plus, rien d’extérieur à Dieu ne
peut servir de point de départ puisqu’en dehors de lui, il n’y a rien». Tout ce qui existe a pour

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ANTHROPOLOGIE THÉOLOGIQUE

origine, un acte créateur de Dieu. Par ailleurs, déjà au IVème siècle, Aristote demandait :
Pourquoi l’univers ? Pourquoi est-il ainsi et pas autrement ? Au XXème siècle, ce fut le tour
d’Heidegger : Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Ces questions traduisent un
désir de dire la motivation, le but et la pertinence de l’univers.

3. La complémentarité entre les deux ordres

L’ordre de la finalité nous emmène à l’instant zéro et celui de la causalité nous conduit
à la succession des causes. Le dernier complète le premier en tant qu’il décrit l’évolution
progressive des choses, les liens entre elles. Pour une meilleure complémentarité, il faut une
attitude de dialogue qui devra nécessairement passer par l’humilité, la conscience de leurs
limites et la libération des préjugés antireligieux. D’abord, il y a nécessité pour les deux
ordres, d’accepter les résultats l’un de l’autre. Par ailleurs, la science se doit de reconnaître
qu’elle n’atteint pas le temps de Planck (temps physiquement repérable) et que tout ce qu’elle
établit comme vérité n’est que de l’ordre des hypothèses spéculatives, du fait de ne pas donner
d’informations concluantes sur l’instant zéro. Elle ne peut nous dire pourquoi l’univers est
ainsi et non autrement ; elle ne peut non plus répondre aux questions de la motivation et du
but de l’univers. Enfin, « si le monde a un auteur, il n’est pas à chercher dans l’ordre des
causes secondes qui s’enchaînent les unes aux autres, mais dans l’autre d’une cause première,
transcendante aux précédentes ». C’est ainsi que certains scientifiques en sont arrivés à
accepter le principe anthropique bien s’opposant à l’anthropocentrisme :

►Il y a un lien nécessaire entre la caractéristique globale de l’univers et l’existence de


l’homme.

►L’univers est tel qu’il est parce que l’homme existe (la présence de l’homme modifie
l’univers ; il n’est donc pas un être contingent).

Pour Teilhard de Chardin (homme de foi et de science), l’homme a une place privilégiée
dans le concert de la création ; il faut donc lui restituer la place qui lui appartient, car il n’est
pas un être quelconque. Grâce à sa culture, il se distingue de tous les autres créés ; de la
conscience d’être homme (hominisation), il opère le passage à l’intégration des valeurs
culturelles et sociales (humanisation), d’où la conscience mondiale qu’il acquiert. De plus, il
reste une singularité dans l’odyssée cosmique, en vertu de sa raison, c’est-à-dire sa
transcendance. Cette transcendance détermine ses relations avec autrui et avec l’univers. Ni la

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ANTHROPOLOGIE THÉOLOGIQUE

foi n la science ni peut nier cette transcendance qui est une donnée fondamentale. Au
demeurant, quelles en sont les marques ?

►La main : c’est à partir d’elle que les conceptions rationnelles sont mises en œuvre.

►Le visage : il est subjectivité et reconnaissance ; il est aussi lieu d’altérité et d’échange ; le
visage affecte le comportement et la moralité.

►Le corps tout entier : il transmet la transcendance au contact avec l’Infini.

DEUXIEME PARTIE : LA CRÉATION DANS LA RÉVÉLATION BIBLIQUE

Il en existe deux récits : Gn 2,4-25 (le plus ancien) et Gn 1, 1-27. Ils émanent de deux
traditions, l’une yahwiste et l’autre sacerdotale qui, toutes deux ont leur vision du monde. Ces
deux récits sont fondamentaux aussi bien pour les juifs que pour les chrétiens en tant qu’ils
expliquent l’origine du monde.

a. Les caractéristiques communes des deux récits

On en retient essentiellement trois. La première est leur caractère étrange. En fait, ce


sont des récits au sens codé, allégorique qui nécessite du lecteur un effort d’’interprétation ; il
y a donc nécessité d’un dépassement de la lettre pour en saisir plutôt l’esprit. Cela ouvre ainsi
sur la deuxième caractéristique : ces deux récits ‘entendent pas relater une histoire
événementielle ou factuelle. Leur histoire se démarque de la conception moderne de l’histoire,
car elle s’inscrit en-dehors de toute dimension spatio-temporelle. Leur objectif, loin de relater
des faits, est plutôt de communiquer un sens, d’où l’usage abondant d’images et de symboles
propres au terroir de l’auteur et du peuple directement concerné. Nous pouvons retenir, entre
autres, le jardin d’Eden qui n’a jamais géographiquement existé, mais fait plutôt allusion à la
vie paradisiaque de l’homme dans la présence de Dieu. La dernière caractéristique, c’est que
ces deux récits sont, malgré leur étrangeté, la Parole de Dieu. On entend ici mettre en exergue
le mystère qu’ils renferment. Quel que soit l’effort d’interprétation de l’homme, il ne saura
jamais épuiser ces textes qui font état d’un dieu à la fois personnel (ayant nom, des
sentiments,..) et transcendant (que l’homme ne peut apprivoiser). Ce Dieu a créé le monde et
l’homme par sa souveraine liberté et il a tout créé à l’avantage de l’homme.

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ANTHROPOLOGIE THÉOLOGIQUE

Par ailleurs, on peut apercevoir dans les deux récits que la création n’est pas éternelle, car elle
a un commencement, un point de départ. Pour tout dire, aucune créature n’a une existence
antérieure à Dieu. Tout ce qui existe n’a pour source que Dieu.

Dans la perspective biblique, créer est une tâche laborieuse. « Créer ne se fait pas en un tour
de main ; c’est un labeur patient d’élaboration d’une œuvre qui se développe et grandit ». Ses
trois étapes sont l’élaboration, la réalisation et le soutien ; sans ce dernier, le projet retourne
en poussière. Cependant, la création n’est pas une émanation, i.e. partie constituante
de…Sinon, nous serions des dieux.

b. Le second récit biblique (Gn 2, 4b-25)

►Gn 2, 4b-7 : Ce récit (de la tradition yahviste) parle d’Adam, i.e. homme en général, tiré de
terre. Il y a lieu de préciser que selon la mentalité sémitique, Adam est une personnalité
corporative, entant qu’il représente l’humanité dans son ensemble. En lui, sont incorporés tous
les hommes et tous se reconnaissent en lui. Ce récit attribue à Adam les caractéristiques
d’homme relationnel : avec Dieu, avec le cosmos et avec les autres êtres humains.

1. L’homme et son créateur (Gn 2, 8-14)

L’auteur vit dans un paysage où le désert n’est jamais loin et où des ressources telles
que l’eau se font rares. On comprend donc pourquoi il met l’accent sur le thème de
l’environnement paradisiaque qui va accueillir l’homme, un environnement propice à sa
croissance intégrale. Dans la même veine, il évoque un fleuve (source d’eau) avec quatre
démembrements. Ici non plus, il n’y a pas de visée scientifique (historique) ; c’est du
symbolisme par lequel l’auteur entend insister sur l’importance et la nécessité de l’eau dans
son environnement désertique, le désert qui est loin d’être un environnement merveilleux pour
l’eau.

Pour Irénée de Lyon, in Contre les Hérésies, Chp IV, 1 la mention du jardin d’Eden
(qui n’a pas d’existence géographique), est un langage symbolique visant à montrer que ce qui
fait la grandeur de ce paradis, c’est la communion avec Dieu, l’existence béate de l’homme

22
ANTHROPOLOGIE THÉOLOGIQUE

dans la présence de Dieu. De plus, dans sa perspective, Dieu a modelé l’homme non parce
qu’il avait besoin de lui, mais plutôt parce qu’il avait besoin de quelqu’un pour en faire
bénéficiaire de ses largesses.

Quant à Tertullien, in Résurrection de la chair, Chp IV, abordant le thème du


modelage de l’homme, il soutient que Dieu a travaillé à la manière d’un potier et sa procédure
comporte trois étapes. La première étape fut celle de la conception. La création n’est pas un
acte instantané ; elle fut grande entreprise laborieuse. La deuxième étape : la réalisation. A
travers l’homme, se révèlent l’intelligence, l’action, le conseil, la sagesse, la providence et
l’affection de Dieu. Enfin, l’accomplissement : dans le modelage, Dieu voyait déjà l’homme à
venir, l’homme accompli, réalisé, i. e. Jésus-Christ, l’homme obéissant même jusqu’à la
mort ; l’homme capable d’une relation parfaitement harmonieuse avec Dieu…

2. L’homme et l’univers (Gn 2, 15-18)

►Cultiver : L’homme doit maintenir la beauté et l’harmonie de l’environnement, d’où


son rôle d’intendant. Et de l’intendant, on attend une attitude de responsabilité, sa vocation
étant la culture, le travail, la fructification. Le progrès de l’humanité et de l’univers dans son
ensemble est inséparable du travail.

►La liberté de l’homme : C’est une qualité essentielle, fondamentale de l’être


humain, car Dieu l’a ainsi créé. Et c’est ce qui donne son sens à l’interdit « tu ne mangeras
pas », car un interdit ne peut être validement donné qu’à des êtres libres. Cet interdit sollicite
l’éducation de la liberté de l’homme, car il ne s’agit pas d’une liberté absolue, mais d’une
liberté créée, donc toujours en progrès, en devenir. Bernard BRO, dans Dieu seul est humain,
développe les qualités essentielles de l’humanité dont la liberté, la justice et la miséricorde.

►L’arbre : Il n’existe nulle part. L’auteur en fait usage à titre symbolique.

►Manger : Ce que nous mangeons devient progressivement partie de nous-mêmes ;


manger, c’est posséder. Manger le fruit de l’arbre de la connaissance d bien et du mal, c’est
posséder la connaissance du bien et du mal (mérisme), c’est posséder la connaissance totale,
intégrale, ce qui est, en fait, l’apanage de Dieu. Par l’interdit qui, au fond, est un signe de la
tendresse et de l’amour de Dieu pour l’homme, le Souverain Créateur entend mettre l’homme

23
ANTHROPOLOGIE THÉOLOGIQUE

en garde ; mieux, il entend lui révéler sa condition, ses limites, son incapacité de posséder la
connaissance totale. Il doit se garder de vouloir une telle chose, car il est créé limité. Il doit
renoncer à revendiquer l’auto-détermination de son être et de son action. La liberté humaine
est réelle, mais créée, vocationnelle. Au fond, l’homme n’est pas libre de soi ; il doit
apprendre à être libre, il doit apprendre à découvrir sa liberté.

►La mort : Elle est la conséquence de la transgression de l’interdit « tu ne mangeras


pas ». Elle est entrée dans l’existence de l’homme par l’entremise du péché. Mais de quelle
mort s’agit-il ? André Mutien Léonard dans La mort et l’au-delà, soutient que ce serait une
mauvaise interprétation que d’imputer notre mortalité physique au péché. La mort engendrée
par le péché et dont il est question ici, est une mort spirituelle : rupture de communion,
désharmonie avec le Créateur, privation de la vision et de la présence de Dieu. Quant à la
mort physique, (rupture d’avec la vie), elle est un phénomène naturel indissociable de l’être
humain. En clair, l’injonction « vous mourrez » dénote une rupture relationnelle, une rupture
de communion. Et Joseph Ratzinger, dans L’Enfance de Jésus (p.68-69), révèle que la relation
à Dieu est fondamentale pour l’homme, car quand il y a rupture relationnelle avec Dieu,
toutes les autres relations (avec les autres et avec le reste de la création) s’en trouvent
perturbées.

3. L’homme en société (Gn 2, 18-25)

►L’ homme nomme : Dieu crée et donne à l’homme le pouvoir de nommer, c’est-à-
dire la responsabilité de gérer toutes les autres créatures, car il est doué des capacités
intellectuelles et spirituelles qui y sont nécessaires. Cependant, il ne nomme pas Dieu, car il
ne peut le gérer.

►Assortir : Une première acception serait « aller ensemble » et à ce titre, il n’y a


qu’Ève qui lui corresponde. La deuxième acception dénote une attraction sexuelle ; il n’y
avait qu’avec Eve que l’Adam pouvait ressentir et développer de telles relations, car en
Lévitique 18, 22, il y a interdiction d’aller avec un autre homme ; et en Lév.18, 23,
interdiction d’aller avec un animal sous peine d’impureté le reste de sa vie.

►La création de la femme (Gn2, 21-24) : C’est le fondement de l’altérité qui, en


d’autres termes, est un regard objectif porté sur l’autre. Il est créé semblable à moi et différent
de moi. Cette différence demande de moi un respect pour l’autre, une vénération pour

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ANTHROPOLOGIE THÉOLOGIQUE

l’histoire sacrée, le mystère qu’il comporte. Cette reconnaissance est en vue de la


collaboration et deux extrêmes sont à éviter : le premier est de diviniser, i.e. se penser
meilleur et supérieur aux autres ; le deuxième est de diaboliser l’autre, i.e. le rabaisser, le
diminuer. Ce serait une rupture d’avec lui que de le traiter ainsi.

►Le silence de l’homme (sommeil) : Ce sommeil, par rapport à l’altérité, dénote la


nécessité d’observer l’intimité et le mystère de l’autre. L’autre est un mystère que l’on reçoit ;
c’est pourquoi l’homme n’est témoin, de quelque manière que ce soit, de la création de la
femme. Dans la société, l’autre est reçu et non créé, possédé. En Maccabées 7, 22, on réalise
que même la femme ne sait point comment l’enfant est conçu ; elle le reçoit simplement.

►La première parole de l’homme : Ce fut une parole d’émerveillement et


d’admiration que l’on identifie en ces termes « os de mes os et chair de ma chair ».
Fondamentalement, cette parole dénote une alliance et une égalité ; c’est déjà là le fondement
de l’union maritale. L’alliance réside dans le fait qu’Adam ait reconnu en Ève une partenaire,
et ce type de partenariat, loin de consister seulement à faire des choses ensemble, consiste au
partage d’une existence, d’une vie. Ève est un être qu’il n’avait pu trouver dans les autres
êtres et que par conséquent, il reconnaît comme son semblable. Il s’identifie en elle, ce qui
peut renvoyer à des points communs tels que la morphologie corporelle, la composition
biologique et génétique, ainsi que les facultés mentales et intellectuelles. De plus, bien que
semblables, Adam et Ève présentent des dissemblances, ne serait-ce que celle des organes et
du sexe (genre). C’est pourquoi d’ailleurs Adam peut déjà rêver d’une union maritale, car il
n’y a qu’elle qui soit assortie de lui, i.e. celle avec qui il est à même d’entretenir une relation
sexuelle. C’est ici que la dimension de l’égalité entre en ligne de compte. L’homme ne peut,
au sens propre du terme, être en partenariat avec des animaux. Il ressort ici la reconnaissance
d’une égalité anthropologique, ontologique et de dignité, fondée sur l’altérité. On reconnaît en
cette égalité le ferment du partenariat et de la collaboration. C’est aussi le gage de la fécondité
de l’union maritale dont les objectifs sont la stabilisation sexuelle, la procréation, l’éducation
des enfants et la collaboration dans le travail.

►Sans habit et ils n’avaient pas honte : Pourquoi ? L’homme vivait en harmonie avec
Dieu, obéissant et conscient de la place qui est la sienne, de sa condition d’homme (être
limité). Il était en bons termes avec Dieu et n’avait rien à se reprocher.

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ANTHROPOLOGIE THÉOLOGIQUE

c. Le premier récit biblique de la création (Gn 1, 1-27)

►Ce récit est issu de la source sacerdotale (P). Chronologiquement, il est le deuxième
en tant qu’il vient compléter le premier. Il est plus abstrait et plus théologique et on y trouve
un classement logique et exhaustif des êtres qui, par ailleurs, sont créés par appel : Dieu dit :
« … ». Ces êtres se succèdent par ordre de dignité croissante : cosmos, végétation, animaux et
l’homme.

►La chaîne de la création (Gn 1, 1-5)

▬ Création de la terre et du ciel ; puis survinrent la lumière et sa séparation d’avec les


ténèbres (Premier jour).

▬ Les eaux : au ciel (nuages) et sur la terre (fleuves et océans) ; deuxième jour.

▬ Les Continents (séparation par les mers) ; toutes sortes d’arbres fruitiers (Troisième jour).

▬ La lune, les étoiles et le soleil (Quatrième jour).

▬ Les vivants des eaux (monstres marins et poissons) et les oiseaux (Cinquième jour).

▬ Les bêtes, les bestiaux, les bestioles, l’homme et la femme (Sixième jour).

Dans l’ensemble du récit, on peut faire deux principaux constats relatifs au style de narration :

●Il y a une scansion : « Il y eut un soir, il y eut un matin». C’est un signe de proclamation qui,
au-delà d’annoncer, révèle que Dieu, en créant, proclame.

●De plus, on note un refrain : « Dieu vit que cela était bon ». Cependant, à la création de
l’homme, Dieu fait usage du superlatif « très bon ». Ce récit entend susciter un respect
particulier et un regard positif sur tout ce qui existe, en tant que c’est l’œuvre d’un Dieu bon ;
le monde est un don plein de bénédictions.

► L’homme au cœur de la Création

Le point culminant de la Création, c’est l’homme qui, en fait, en est le gérant,


l’intendant. Deux vérités se dégagent de l’avènement de l’homme : L’homme est créé à
l’image et à la ressemblance de Dieu ; l’homme et la femme sont égaux.

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ANTHROPOLOGIE THÉOLOGIQUE

►À l’image et à la ressemblance de Dieu

Qu’y a-t-il en l’homme qui fasse de lui l’image de Dieu ? Cette image a fait l’objet de
réflexions et d’interprétations théologiques variées. Mais aujourd’hui, les diverses sensibilités
voudraient que l’image de Dieu soit (saisie) recherchée dans l’agir même de l’homme. On
retient trois champs de cet agir :

●La paternité : Ici, l’aspect de l’homme comme image de Dieu se définit comme
participation à la paternité divine (maternité) divine. De fait, en plusieurs passages bibliques,
Dieu se révèle comme père (Is 6,13/ Is 64, 7/ Nb 11, 12) ou comme mère (Is 66, 13/ Is 49,..).
Cette paternité peut être biologique (à travers la procréation) ou culturelle (éducation
professionnelle). Par ailleurs, cesser de transmettre la vie par égoïsme, c’est voiler l’image de
Dieu. L’image de Dieu est active dans l’activité de l’homme. Parmi les auteurs qui ont
développé cette théorie d’image de Dieu, l’on retient Karl Barth et Dietrich Bonhoeffer.

●La Seigneurie divine : Il faut préciser dès l’abord, que seigneurie ici ne s’entend pas
en termes de domination (oppression). Il y a lieu de rompre avec l’interprétation
anthropocentrique qui a occasionné une sorte d’absolutisation de l’homme. Voici trois aspects
d’anthropocentrisme :

▬Croire que l’homme est la créature la plus importante, la plus proche de Dieu et que
par conséquent, il a le pouvoir de dominer, de régner en maître absolu sur les autres créatures.

▬Croire que l’homme est le point culminant d’une longue chaîne de création et que
par conséquent, tout a été créé pour lui, pour son profit, sa jouissance, taillé sur mesure selon
ses besoins.

▬Croire que l’homme est l’intendant irremplaçable de la création et que par


conséquent, c’est lui qui doit continuer l’œuvre de la création, en tant que Dieu a démissionné
et que tout fut remis entre ses mains.

Aujourd’hui, les nouvelles sensibilités théologiques viennent en réponse à cet


anthropocentrisme et soutiennent que Dieu n’a jamais démissionné de son œuvre de création ;
il ne cesse de la soutenir ; sinon, elle retournerait en poussière. Il en demeure le maître absolu,
contrairement à l’argument anthropocentriste. La domination de l’homme est une domination
de dépendance vis-à-vis du Créateur. Il se devrait donc d’éviter d’en abuser et respecter

27
ANTHROPOLOGIE THÉOLOGIQUE

l’essence de chaque créature, en gardant une bonne relation avec chacune d’elles. En d’autres
termes, puisque Dieu l’a doué de facultés qui le rendent supérieur à tous les autres créés, il lui
incombe de veiller à l’harmonie de la création dans son ensemble. Il s’agit d’un appel pressant
à la solidarité avec les autres créés, surtout les plus menacés. En outre, la participation à la
seigneurie divine nous pousse à développer trois niveaux d’éthique :

▬Une éthique sociale : Elle est relative à la relation avec les autres humains et elle
consiste dans la prise de conscience que l’on gagnerait à s’associer les uns aux autres, à se
tenir mutuellement en estime, à reconnaître aussi bien nos ressemblances que nos
dissemblances qui, d’ailleurs, doivent être facteurs d’enrichissement mutuel. Tout homme se
tient de Dieu et tous se valent en dignité anthropologique ; aucun homme n’est supérieur aux
autres, aucune race n’est supérieure aux autres. C’est là le gage d’une attitude d’humilité qui
mettrait fin à toutes sortes de discrimination et de colonisation. Ce niveau implique une
dépendance vis-à-vis de Dieu et une relation d’inter-dépendance entre humains.

▬Une éthique zoophilique : elle éduque au respect et à la protection de l’espèce


animale, car ils (les animaux) jouent un grand rôle dans le développement de l’homme.
L’homme ne peut prétendre à une harmonie avec Dieu s’il a rompu toute harmonie avec le
reste de la Création. Plus grave encore, l’inattention aux autres créatures divines est même
une rébellion contre Dieu, le Créateur souverain lui-même.

▬Une éthique géophilique : il s’agit de la relation de l’homme avec les réalités


cosmiques. L’homme doit prendre conscience des réalités cosmiques. « Dominer la terre »,
c’est la protéger, d’où le devoir du théologien d’éduquer ses contemporains à une sensibilité
nouvelle par rapport à la gestion de la terre. (Lire Kathryn Tanner, Creation, environmental
crisis and ecological justice).

● Le Christ lui-même : L’image de Dieu, c’est le Christ lui-même. Dieu a créé


l’homme à son image pour qu’il ressemble au Christ. En effet, le Christ est le prototype de
l’homme, l’homme véritable et nouveau. En s’efforçant de ressembler au Christ, l’être humain
se bonifie nécessairement et révèle, par le fait même, l’image de Dieu, bonté absolue. Dans le
prologue de Saint Jean, il apparaît que la finalité de l’homme, c’est devenir le Christ, car il
s’est incarné pour révéler l’homme parfait, l’homme à imiter.

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ANTHROPOLOGIE THÉOLOGIQUE

►Homme et femme, il les créa

Cette deuxième vérité affirme l’égalité des sexes, en tant que l’homme et la femme
sont égaux en dignité. Ils ont été créés par le même Dieu (créateur) et ont reçu de lui le même
pouvoir (même si l’interprétation patriarcale voudrait donner le primat à l’homme). En nous
référant au livre de la Genèse, nous découvrons que le principe d’égalité fait état d’une égalité
anthropologique et ontologique. Par conséquent, toute forme de domination perpétrée par
l’homme sur l’homme est un péché, car elle trahit un désir inavoué de se rendre maître de
l’autre, alors que Dieu seul est maître.

Pour mettre en exergue le rôle joué par la femme dans la condition déchue de l’homme, Saint
Augustin fait état de trois maux sur lesquels l’homme n’a aucune emprise et pour lesquels il a
absolument besoin de la grâce de Dieu. Il s’agit de l’ignorance, l’envie et la mort. L’envie est
portée par la femme qui, en fait, est responsable de la frustration de la relation entre Dieu et
l’homme. Elle est à a base du mal.

CONCLUSION

Ce parcours nous a fait découvrir qu’il n’y a pas de distance insurmontable entre la
vision scientifique et celle chrétienne du monde. Pour la première, le monde est issu du hasard
et l’homme est un élément qui est apparu au cours de l’évolution de l’univers. Dieu et
l’homme sont des réalités contingentes. Pour la deuxième, Dieu est le réalisateur, l’unique
ouvrier de tout ce qui existe. Quant à l’homme, il en est le destinataire, le bénéficiaire
privilégié. Ces deux approches ont tout de même quelques points de convergence :

►Toutes deux soutiennent que l’homme et tout ce qui existe ne sont pas éternels, car ils ont
connu un commencement (début).

►L’ homme est une créature spéciale. Il est doté de facultés particulières qui font de lui un
être supérieur dans la hiérarchie des créatures. C’est d’ailleurs pourquoi il a le statut de gérant,
même s’il demeure une potentielle menace pour ce dont il est supposé être le protecteur
(l’homme est capable à la fois du bien et du mal).

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ANTHROPOLOGIE THÉOLOGIQUE

CHAPITRE III : L’HOMME FACE AU MAL

Ce chapitre vient en continuité du deuxième qui prend fin sur une note positive : la
création est bonne et l’homme très bon, puisque créé à l’image et à la ressemblance de Dieu.
Il vient couronner la création et il en est même l’idéal, en tant qu’il la gère bien qu’en toute
dépendance avec le Créateur.

Si tout était si bon, comment expliquer l’existence du mal, expérimenté dans la


souffrance ? Pour un homme de foi tenant pour vérité ferme l’idée selon laquelle Dieu créé
l’homme et le monde et qu’il a vu que tout était bon, le mal peut apparaître comme une
contradiction, un choc qui le réveille de son sommeil dogmatique et le pousse à une réflexion
sérieuse.

A. L’EXPÉRIENCE DU MAL

Geiger, dans L’Expérience du mal, soutient que le mal provoque un déséquilibre


intérieur et il en donne six champs d’expérimentation, dont nous retenons quatre.

►Le mal psychologique : Le mal est connu par la souffrance qui affecte et
déstabilise l’homme dans sa vie psychologique. L’un des symptômes est l’angoisse qui génère
diverses réactions, dépendant de sa teneur (colère, perte d’appétit, maladie mentale grave…).
Ce type de mal peut être lié soit à des facteurs génétiques, soit environnementaux (l’ambiance
de l’entourage, pensées, mauvaises collaborations) ou à des facteurs biochimiques (alcool,
drogue,…). Les maladies mentales affectent l’intelligence (baisse du Q.I.), affectent les
sentiments ou l’affectivité (instabilité sentimentale qui peut résulter dans l’incapacité à
entretenir une relation durable). La forme la plus avancée du mal psychologique peut
occasionner des maladies graves telles que la schizophrénie, la folie, la paranoïa ainsi que des
maladies légères telles que la pédophilie (crise sentimentale).

►Le mal physique : Il attaque, affecte et déséquilibre le corps. Il provoque en


l’homme un sentiment d’incomplétude. Certains naissent malades (surdité, mutisme et toutes
sortes d’handicaps). Mais le mal physique le plus redoutable, c’est la mort. Elle est
irréversible et l’expérience humaine ordinaire montre que personne n’y échappe et personne

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ANTHROPOLOGIE THÉOLOGIQUE

n’en revient. (La peur de l’inconnu, l’angoisse liée à l’incertitude entraîne l’homme à voir en
la mort, une néantisation, un arrachement violent, une dégénération définitive).

►Le mal social : C’est le type de mal expérimenté dans l’organisation de la société.
Toutes les sociétés en sont témoins. L’exploitation des pauvres, les injustices sociales (entre
races ou générations…). Les injustices entre races peuvent aboutir au génocide.

►Le mal institutionnalisé : Il y a des institutions qui sont naturellement mauvaises


pour la personne. Ce peut être des institutions politiques (apartheid, dictature), économiques
ou religieuses. Au fond, ce sont des structures d’oppression. Ce type de mal (esclavagisme,
colonisation, rivalités ethniques) est très difficile à éradiquer ; la violence y est souvent
indispensable. Caractéristiques de la dictature : concentration du pouvoir, domination,
répression (torture).

►Le mal moral : Ce mal est ressenti par l’individu en son for intérieur. Il résulte du
rapport entre le comportement du sujet et le contrat social dans lequel il est inséré. Il dénote
un écart entre la loi et les actes de l’homme, entre la théorie et la pratique, entre ce que
l’homme doit faire et ce qu’il fait, entre l’idéal et la réalité. C’est une expérience commune à
tous les hommes normaux. En d’autres termes, c’est la dissension entre l’orthodoxie et
l’orthopraxie. Ce mal s’étend même au niveau social, intersubjectif, public. Là, il désintègre
les amitiés.

B. INTERPRÉTATIONS

D’où vient le mal ? Pourquoi le mal ? Ces diverses questions et interprétations


qui en sont assorties sont symptomatiques d’un désir de comprendre le mal dans son origine
et dans sa pertinence, surtout quand on se situe dans la perspective de la foi.

→ Interprétations traditionnelles

►Le mal comme fatalité : Cette interprétation est issue e la philosophie grecque et
soutint que le mal est une réalité sur laquelle l’homme n’a pas d’emprise. Il est de toujours à
toujours (ananché, fatum, destin). Il fait partie même du destin de l’homme si bien que ni
l’homme ni les dieux n’y peuvent rien (volcans, tremblements de terre…). Dès lors, la

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ANTHROPOLOGIE THÉOLOGIQUE

résistance morale semble être la seule issue possible car toute résistance physique n’aurait
point de sens puisque d’office vouée à l’échec. Pour le Stoïcisme, il s’agit de rester
imperturbable (l’ataraxie) et d’orienter la volonté de sorte qu’elle accepte tout ce qu’elle ne
peut changer. Dans la même veine, Démocrite suggère que l’on travaille à une victoire morale
sur la souffrance. Il soutient que l’on peut même éviter le mal dans le cadre de la prévention
en vue d’une vie morale sainte. Il condamne l’intempérance, la course effrénée aux biens
matériels et aux plaisirs, car tout cela constitue de sérieux obstacles à la tranquillité de l’esprit
(l’âme).

►Le mal comme loi de l’existence : C’est un mal nécessaire, entant qu’il est agent de
rénovation (régénération). C’est le type de mal qui nous recycle. Il est douloureux, mais fait
partie du cycle de la vie. Toutes les institutions se renouvellent en mourant (familles, partis
politiques,…). Ce mal est nécessaire pour la continuité de la vie et de l’existence. Il n’y a
donc pas de raison de s’en faire.

►Le mal comme faute contre la loi : Là où il y a faute, il y a mal. Ici le mal découle
du mauvais comportement de l’homme par rapport à la loi. C’est une transgression de la loi.
« Au fond de son cœur, l’homme découvre la présence d’une loi qu’il ne s’est pas donnée lui-
même, mais à laquelle il est tenu d’obéir ; cette voix qui ne cesse de le presser d’accomplir le
bien et d’éviter le mal, au moment opportun, résonne dans l’intimité de son cœur « fais ceci,
évite cela », car c’est une loi inscrite par Dieu au cœur de l’homme » (Gaudium et Spes 16). Il
existe plusieurs types de lois :

*La loi naturelle : On la ressent à travers la conscience naturelle de l’homme à


distinguer le bien du mal. L’Ancien Testament la présente comme un ensemble de préceptes
que Dieu a infusés en l’homme pour pouvoir choisir le bien et éviter le mal. Par exemple,
Caïen, a réalisé au fond de lui, qu’il avait mal fait. Quant à Saint Paul, il soutient qu’aussi
bien le peuple juif (d’Adam à Moïse) que les païens, ont été régis par la loi naturelle. Partant
de cette loi, chaque peuple est à même d’établir son propre code moral (inceste, meurtre,…).

*La loi positive : Elle a toujours un législateur, d’où le qualificatif « positive ». Elle a
pour rôle de déterminer et de préciser ce que la loi naturelle laisse indéterminé. Elle est soit
divine, soit humaine. Par exemple, Dieu, par le biais de Moïse et de Jésus est le législateur de
la première et l’homme législateur des institutions civiles, ecclésiales. Cette loi divine est

32
ANTHROPOLOGIE THÉOLOGIQUE

contenue dans le Pentateuque. On y trouve toutes sortes de préceptes régissant la vie en


société. Le respect de la loi dans ce contexte était la condition indispensable à la tenue
(longévité) de l’Alliance. Son non-respect entraînait la malédiction.

Jésus entre dans la continuité de la Torah, donc de l’Alliance. Il parle, cependant d’une
purification, c’est-à-dire une réinterprétation de la loi : il établit, en premier, une différence
entre la tradition et la loi, entre l’essentiel et l’accidentel. En second lieu, il établit une
hiérarchie des lois, d’où que la loi la plus grande est celle de l’amour, qui est le résumé de la
loi et des prophètes (la visée fondamentale de la loi, c’est la construction de la famille
humaine, peuple de Dieu appelé à perpétuer ce dont ils sont issus, l’amour). En troisième lieu,
il actualise la loi pour qu’elle soit dynamique et non statique. Il entreprend alors d’expliquer
Moïse, de le prolonger et de perfectionner son enseignement, d’où l’affirmation de la
supériorité de l’homme sur la loi (sabbat), sur le code de pureté et sur l’union civile. Il se
révèle ainsi l’unique docteur.

C. L’ATTITUDE DE L’HOMME FACE AU MAL

Nous retenons trois attitudes-types : celles d’Adam, de Job et de Jésus.

1. L’homme, agent du mal

Dieu a doté l’homme de la capacité de distinguer le bien du mal, mais celui-ci peut se
dévoyer et choisir le mal ; l’exemple nous est donné en Adam. Le mal entre dans le monde
par des hommes ; il vient troubler le bien originel. Selon certaines approches théologiques,
l’ombre du mal existait déjà en l’homme, dès sa création ; en d’autres termes, sa fragilité lui
est innée (envie, ignorance, mort).

►Gn 3, 1-6 : le péché d’Adam

▬Les Pères l’interprètent comme le péché de l’humanité, comme pur dire que chacun de
nous, s’il s’était trouvé à la place d’Adam et Eve, aurait fait la même chose. La différence
sérieuse entre Adam et nous, c’est que nous naissons dans la situation d’Adam, situation de
péché, alors qu’Adam, lui a connu la condition paradisiaque d’avant le péché.

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ANTHROPOLOGIE THÉOLOGIQUE

▬De plus, Adam est considéré comme une personnalité corporative, éponyme : ce qu’il dit
ou fait nous engage tous. Nous sommes indélébilement marqués par sa faute qui, désormais
est la nôtre.

▬Le péché d’Adam est l’expérience imagée et symbolique d’un évènement de liberté par
lequel l’humanité refuse le don de Dieu et s’oriente contre Dieu. C’est le drame de l’homme
voulant assumer lui-même sa destinée. Paul Ricœur souligne que le point fort de ce récit, c’est
d’avoir séparé l’origine bonne du monde et le temps du péché.

*La nature du péché d’Adam

La présence du serpent est une personnification du mal d’où qu’il (malin, Satan)
représente tout ce qui est contraire au projet de Dieu ; il peut se muer, grandir,.. Et l’auteur a
fait recours à l’image du serpent à cause des caractéristiques de ce dernier :

*Le serpent sait se cacher, il est silencieux

*Il attaque par surprise

*Ses morsures sont dangereuses et mortelles (l’auteur connaît le désert et sait combien
dangereux sont les serpents de ce milieu.

Dans le dialogue entre Eve et le serpent, il apparaît trois facteurs du péché : la confusion,
l’exagération et la rationalisation.

▬Gn 3, 1 : le serpent crée la confusion. Or, là où il y a confusion là aussi advient le


ma ; par exemple, Dieu avait interdit à Adam de manger du fruit de l’arbre de la
connaissance du bien et du mal ; cependant le serpent laissa entendre tout arbre.

▬Gn 3, 2 : Eve est agent d’exagération ; or le mal entre aisément là où la loi est
exagérée. Cette exagération s’entend comme volonté manifeste d’étendre et de falsifier la loi.
Alors que Dieu utilise le verbe « manger » dans sa formulation de l’interdiction, Eve, elle,
relate l’histoire avec le verbe « toucher ».

▬Gn 3, 4 : La rationalisation ou projection : Il s’agit de mettre de mauvaises idées au


compte de quelqu’un, de lui prêter des intentions. On en tient une illustration dans le
qualificatif « jaloux » que le diable colle à Dieu qui, pourtant, est infiniment bon.

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ANTHROPOLOGIE THÉOLOGIQUE

N.B. : Le péché se couve dans le cœur de l’homme, car c’est là que se trouve la liberté de
choisir ou d’abandonner Dieu. Le péché est donc une épreuve de la liberté de l’homme qui, au
terme, faillit et échoue, puisque l’homme fait choix de son autonomie tournant ainsi le dos à
Dieu. Son péché est, avant tout, celui de la désobéissance. Cependant, quelle en est la réelle
motivation ?

La Bible nous dit que ieu a créé l’homme à son image et à sa ressemblance ; en
d’autres termes, c’est Dieu lui-même qui a inscrit en lui la possibilité et la capacité de lui
ressembler ; ce qui, dès lors, se donne comme une vocation à l’homme, un appel auquel il ne
peut effectivement répondre que par la grâce et l’assistance divine. Mais le hic, c’est que
l’homme dans son orgueil, en a fait une conquête personnelle, où il a fini par se représenter
Dieu comme un rival injuste et dangereux. Il a voulu devenir Dieu non seulement sans Dieu,
mais même contre Dieu. Il entra ainsi en compétition avec Dieu ; ce qui, en rigueur de termes,
est une impossibilité métaphysique.

*Les conséquences du péché

La conséquence immédiate du péché est une division en chaîne, une rupture de l’harmonie par
rapport à lui-même, par rapport aux autres et à toute la création.

→La division de la conscience humaine

Il s’agit du regret (remords) qui dénote l’expérience d’un mal moral dû certainement à
la conscience de son acte qui, clairement, est une transgression de la loi positive divine
consignée dans l’interdit « tu ne mangeras pas ». C’est donc l’expérience d’un malaise, d’une
disharmonie symbolisés par la nudité. L’homme fait l’expérience de l’échec dans son désir
d’auto-détermination et réalise, à ses dépens, sa condition de finitude, d’imperfection. C’est
cela d’ailleurs la tentation la plus profonde de l’homme, qui est de refuser sa condition de
créature. Tout péché crée un désarroi dans la conscience.
Il faut noter qu’avant le péché, la vie d’Adam et Eve était faite de théonomie : vie en présence
de Dieu, suivant la volonté de Dieu. Le péché se situe justement dans le passage de ce régime
de vie à celui de l’autonomie, qui est symptomatique d’un désir d’auto-détermination. Mais
l’autonomie est fallacieuse, car l’homme y a vu la frustration de tous ses rêves. Il y a fait

35
ANTHROPOLOGIE THÉOLOGIQUE

l’expérience de l’échec, il y a eu la vision de sa nudité, d’où son recours à l’hétéronomie :


soumission à l’Autre. Cette hétéronomie se donne comme un nouveau chemin, une nouvelle
ouverture à l’arbre de vie. Dieu intervient désormais par des voies externes ; il est donc
impossible de retourner à Dieu en-dehors de cette expérience. En fait, avant le péché, la loi de
Dieu était inscrite au-dedans de l’homme. Mais la contraction du péché l’a enlevée de son
cœur ; c’est pourquoi pour retourner à la communion avec Dieu, l’homme a désormais besoin
de passer par l’ascèse, la conversion quotidienne.

→La division de la famille humaine


On se rappelle qu’à la question « qu’as-tu fais là Adam ? », ce dernier avait pointé du
doigt sa compagne Eve, et Dieu avec. En fait, là où il y a le mal, la solidarité n’existe pas.
Dans l’état de péché, les relations sociales sont dans le mode « évolution naturelle », c’est-à-
dire le mode de la disharmonie relationnelle où tout est fondé sur la compétition, la
convoitise, la domination, la compétition, l’individualisme, l’égoïsme, le repli sur soi. Le tissu
social s’en trouve fragilisé ou même déchiré. Dans l’état de grâce, cependant, les relations
humaines s’inscrivent dans le mode « évolution sociale », c’est-à-dire le mode de l’harmonie
relationnelle où les rapports sont fondés sur l’altérité, le sens de la communauté, le partage,
l’amitié et la fraternité. La société s’en trouve épanouie et l’homme en voie d’humanisation.

→L’univers devient hostile à l’homme

Dès l’origine, Dieu après avoir créé l’homme l’a constitué seigneur de toute la
création ; il avait ainsi reçu le pouvoir et la mission de la dominer. Les prouesses
électroniques et les progrès techniques en sont une preuve. Cependant, au fil du temps, les
relations entre l’homme et la nature se sont dégénérées du fait de la domination sauvage de
l’homme, du fait de ses abus perpétrés sur la nature qui, aujourd’hui, réagit de plusieurs
manières. De fait, comme le dit Paul, elle gémit et attend elle aussi la libération du Seigneur.
L’homme découvre alors que la nature, bien que muette, a des secrets, recèle une puissance
destructrice qu’il ne peut cependant contrôler comme il l’aurait imaginé. Par ailleurs, on pense
qu’une des possibilités de résolution est l’urgente prise de conscience de l’homme, du cercle
vicieux dans lequel il se met lui-même : porter atteinte à l’intégrité de la nature, c’est se
mettre lui-même en danger. Nous en voulons pour preuve le réchauffement climatique,…

36
ANTHROPOLOGIE THÉOLOGIQUE

2. L’homme, victime du mal (cf. Job)

*Contexte

Dans le long poème qu’est le livre de Job est exposé le traitement d’une question
complexe : Pourquoi le juste souffre-t-il, si la souffrance est le prix du péché, du mal
commis ? En effet, telle était la conception classique du mal expérimenté par la souffrance. Il
faut ajouter que toujours selon cette conception, la vie après la mort n’est pas envisageable ;
tout se paie ici-bas. Les deux premiers chapitres (prologue) nous précisent le contexte de tout
le document : Il existait un homme juste, un craignant Dieu, un homme pieux et très riche du
nom de Job. Dieu se plaisait en lui. Le diable, probablement jaloux de Dieu, alla le voir Dieu
avec une interprétation négative de l’attitude de fidélité à Dieu dont fait preuve Job. Il
présente la prospérité et l’aisance matérielle de Job comme la seule vraie raison de sa fidélité
à Dieu. Il défie alors Dieu dans un pari : enlever à Job tout ce qui fait son bonheur et on verra
jusqu’où sa fidélité est inconditionnelle. Dieu le lui permet, mais le met cependant en garde :
sa vie ne doit pas en pâtir. La permission donnée, Job est successivement dépouillé de tout et
même frappé d’une maladie infecte.

* Intervention des amis de Job

Éliphaz, Bildad et Çophar, amis de Job, sages, héritiers de la tradition et prophètes


vont le voir, pour le consoler mais ils y vont aussi avec la conception classique du malheur.
Selon eux, il est clair que Job a péché, d’où sa souffrance, et il se doit d’avouer sa faute. De
plus, Dieu pour eux, est un justicier, un être terrifiant ; il guette patiemment les pas de
l’homme mauvais pour le frapper au bon moment. Quant à l’homme, il leur apparaît comme
un être au cœur fourbe et tortueux ; on ne doit point lui faire confiance. Leur conclusion, c’est
que Job doit se réconcilier avec Dieu et avec ses prochains, car c’est la seule condition pour
qu’il retrouve le sourire…

*Réponse de Job

Après son examen de conscience, Job se connaissant mieux que quiconque, réfute
cette thèse classique, plaide non-coupable et clame son innocence. De fait, Job est un fin
connaisseur des Ecritures ; il sait qu’est juste :

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ANTHROPOLOGIE THÉOLOGIQUE

▬Celui qui délivre le pauvre en détresse et qui est l’appui (matériel, spirituel et social)
de l’orphelin

▬Celui qui redonne la joie à la veuve

▬Celui qui habille les nus

▬Celui qui assiste les malades : yeux des aveugles, pieds des boiteux

▬Défenseur des opprimés, père des étrangers

Il admet ceci : peut-être que j’ai commis des péchés dans mon enfance, par ignorance ; ce sont
des erreurs de jeunesse. « Alors pourquoi de telles atrocités s’abattent-elles sur un juste ? »,
interroge-t-il Dieu. Pour lui, il y a une disproportion entre sa souffrance et le mal qu’il aurait
pu commettre dans sa jeunesse. Et même s’il avait commis des fautes, Dieu serait-il un dieu
vengeur ?

*Élioud : Il apporte une interprétation qui tranche sur celle des trois mis de Job. Il met
en exergue la transcendance de Dieu. Ses chemins et ses pensées sont de loin, au-delà de ceux
de l’homme ; il reste bien-au-delà de toutes considérations ayant trait à l’infliction de peines
et souffrances à l’homme. C’est lui prêter des attitudes humaines que de le croire
vengeur…Dans son être et dans son agir, il reste insondable. Quant à la souffrance de
l’homme, elle est un mystère de foi. On ne devrait pas se contenter d’explications simplistes.

*Dieu s’entretient avec Job : Dieu choisit enfin de se manifester à Job, son serviteur. Il
tient un discours que Job ne comprend peut-être pas, mais à même de le convaincre. Il
demande à Job de se taire, de professer la grandeur de Dieu même dans sa souffrance, car elle
peut se manifester même par le biais de l’épreuve. Par ailleurs, devant la grandeur et le
mystère de Dieu, le silence est l’attitude la plus adéquate. De plus, Dieu condamne l’attitude
des amis de Job ; il leur ferme la bouche, eux qui lui imputent la souffrance de Job. Dieu reste
un mystère et la vie de l’homme reste dans le mystère de Dieu.

*Épilogue : La question du mal et de la justice de Dieu dans le monde est posée d’une
nouvelle façon. Il y a comme un progrès dans la théologie : initialement, le bonheur et la
souffrance étaient conçus comme rétribution du bien et du mal que l’homme aurait faits. Tout
est récompensé ici-bas (justice naturelle). Cependant, cette interprétation suscite la révolte de

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ANTHROPOLOGIE THÉOLOGIQUE

Job qui ne s’y retrouve pas du tout. Suite à l’échange entre Dieu et Job, ce dernier comprend
que le juste peut souffrir ; cette souffrance, dès lors, reçoit un nouveau sens : elle est un test,
une mise à l’épreuve de sa fidélité. En d’autres termes, Dieu peut permettre la souffrance du
juste. Sa résistance, à l’instar de Job, est une victoire sur le Malin et elle ne peut qu’être
récompensée bien au-delà de son espérance. Ce récit en lui-même a un caractère pédagogique.
En clair, la conception de la bénédiction de Dieu va bien au-delà des biens matériels, d’où le
complément apporté par Quohélet : « tout est vanité ». Ce qui comble l’homme, c’est sa
fidélité à Dieu. Le bonheur dépasse le tombeau, dit-on.

3. L’homme, libérateur du mal (Jésus)

Avec le Christ, la réponse au mal, c’est le combat, la résistance. Il ne s’agit cependant


pas de la résistance stoïcienne. Celle du Christ est active, elle est un refus, un rejet de l’état
maléfique des choses ; elle vise un changement radical, une transformation de la situation.

D’abord, Jésus, pour révéler à l’homme sa vérité (l’homme véritable, l’homme tel qu’il doit
être), se révèle lui-même. À travers son agir et son être, l’on aperçoit vrai, le prototype de
l’homme. Dans le déroulement de sa vie, l’on découvre l’accomplissement parfait de la
vocation de l’homme, c’est-à-dire être-pour-les-autres. Il est la vérité de l’homme car en lui,
apparaît le but de la création et de la vie de l’homme. En lui, Dieu se manifeste de façon
immédiate et directe. Comme l’entérine Gaudium et Spes 22, « le mystère de l’homme ne
s’éclaire vraiment que dans celui du Verbe Incarné ». En tant que modèle, il faut se tourner
vers lui pour mieux appréhender l’homme. Sa Révélation nous fait découvrir les deux
horizons de la vie de l’homme : Dieu et l’homme (le prochain). En cela, se donne le résumé
de la Loi et des Prophètes. L’homme est un être pour les autres ; son agir est orienté vers Dieu
et vers l’autre. Mais qui est cet autre ? Le témoignage de sa vie nous le découvre dans les
persécutés, les affligés, les pauvres, les petits pour qui il avait une attention et une compassion
particulières. De plus, il y a les ennemis à qui il demande de pardonner ; enfin, les pécheurs
publics (Zachée, Marie M.) Ainsi Jésus a initié un mouvement d’humanisation, car la vérité
de l’homme consiste à devenir humain, et cela passe par l’imitation de Jésus-Christ. Les dires
et les faires de Jésus étaient destinés à révéler à l’homme ce qu’il est appelé à être et à faire.

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ANTHROPOLOGIE THÉOLOGIQUE

En effet, le drame pour chacun de nous, serait de réaliser à la fin de notre vie que, quelque
part sur le chemin, nous avons échoué d’être ce que nous étions appelés à devenir.

*Le sens de sa passion

C’est une lutte immédiate contre le mal dont nous retenons deux interprétations :

→Jésus prophète : Le côté prophétique de Jésus donne lieu à une attitude duelle
remarquable : Il dénonce le mal d’une part et annonce le bien de l’autre. Il réfute une attitude
et en propose une autre. Sa passion, sous cet angle, apparaît comme la conséquence de sa
mission prophétique qui était de combattre le mal et d’instaurer le bien. Le film de sa vie
révèle qu’il a incorporé en sa seule personne trois figures prophétiques correspondant aux
différentes modalités de son action et de sa souffrance :

▬Elie a dénoncé la fausseté de la religion, c’est-à-dire la religion comme


accomplissement d’un devoir, ce qui n’a aucun incident sur la vie concrète, aucun
changement.

▬Jérémie, lui, dénonce les injustices sociales ;

▬Jean-Baptiste dénonça l’incohérence morale et spirituelle.

Par ailleurs, la souffrance de Jésus lui apparut comme une coupe à boire dont il avait pleine
connaissance avant même d’entreprendre la mise en œuvre de sa mission. Sa destinée n’avait
rien de secret pour lui ; c’est le baptême dont il devait être baptisé : la mort afin de sauver une
multitude de vies innocentes. Le sort de Jésus et celui des prophètes donc similaires ; il est
scellé au leur du fait de son engagement qui tranchait sur l’attitude des chefs religieux et
politiques de son temps. Leur résistance le verra chasser du temple et des synagogues, d’où il
devint prédicateur ambulant ; dès lors, il n’y avait que deux attitudes possibles :

*L’exil : fuir pour échapper aux complots de ses ennemis ; changer de chemin,
abandonner la mission pour laquelle il était sorti du Père ; inconcevable, car ce serait à la fois
une incohérence morale et spirituelle, pour un qui sait afficher comme maître spiritu el et
figure publique. In cesserait mêmes d’être prophète, car c’est la fin (finition) de sa vie qui
justifie et crédibilise sa vocation.

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ANTHROPOLOGIE THÉOLOGIQUE

*La deuxième est de tenir bon, même jusqu’à la mort ; c’est refuser la fatalité, refuser
d’être complice du malheur où les « petits » sont tenus, c’est refuser de se taire quand parler
est à la fois vital pour les autres et mortel pour soi-même. C’est ce que fit Jésus. Il « alla à sa
passion », comme l’écrit B. Pascal. Il resta fidèle à sa vocation qui est de vivre (et mourir)
pour les autres. Et cette façon de mourir ne peut pas mourir, car il donne un exemple qui doit
se perpétuer ; il initia une lutte qui ne prendra fin que lorsque tous apprendront à devenir
frères et sœurs, tous fils et filles du même Père.

→Don de sa vie pour le pardon des péchés

Cette interprétation nécessite un sursaut de foi, pour sa compréhension. Sans foi, il est
difficile, voire impossible de comprendre que la vie et la mort de Jésus étaient ordonnées à la
Rédemption du monde. En Mt 26, 26-29/ Mc 14, 22-25/ Lc 22,15-20, nous lisons « (…) la
coupe de mon sang versé pour l’humanité » ; ce texte entérine bien l’affirmation précédente.
Dans le mystère de cette rédemption, apparaissent deux cas de figures où l’on remarque un
excès d’amour dont l’homme est le but, le bénéficiaire privilégié. D’une part, il y a l’excès
d’amour du Père qui n’épargne pas son Fils Unique ; d’autre part, l’excès d’amour de Jésus,
qui n’a pas trahi son Père, mais à accepter d’endurer l’humiliation et la mort. La Passion, dès
lors, devient souffrance acceptée pour une juste cause, pour autrui ; elle est à la fois
souffrance et engagement avec et solidarité avec l’homme. Jésus apparaît ainsi comme le
Nouvel Adam, obéissant parfaitement au Père et sur lui, le Malin n’a aucun pouvoir pour le
dévoyer (Cf. Rm 5, 12-13).
Une autre interprétation est celle du Second Isaïe, le serviteur souffrant. Dans Salvifici
Doloris, Jean-Paul II laisse entendre que la rémission des péchés, c’est-à-dire la rédemption
de l’humanité est le diphtyque entre la vie et la mort de Jésus. Dans sa misère et son
abaissement, il acquiert l’élévation de l’homme déchu. Lui qui n’avait aucun péché, qui
n’avait fait point de mal, en paya pourtant le prix ; c’est le mystère de l’erreur qui nous a valu
le salut. Voici les fruits de la Passion du Christ :
▬Le pardon des péchés

▬Assurance de la communion avec Jésus

▬Exaltation et glorification de Jésus (prix de sa fidélité).

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ANTHROPOLOGIE THÉOLOGIQUE

Conclusion

Deux éléments sont à retenir :

► Dieu n’est pas étranger au problème du mal : Il souffre avec l’homme qui souffre ;
il n’est pas justicier, vengeur ; il a horreur du mal, il le dénonce et le combat pour en délivrer
l’homme. Le déroulement de la vie de Jésus en est un exemple probant.

►L’homme doit sans cesse lutter pour éradiquer le mal : Pour un chrétien, c’est un
devoir et une nécessité de lutter contre le mal au prix de nombreuses tribulations dont le
climax serait la mort (le martyre). Il ne le cherche pas, mais peut y consentir, si le bien tient à
cela. Et cela vaut pour tous les hommes de bonne volonté dans les cœurs desquels la grâce
agit.

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ANTHROPOLOGIE THÉOLOGIQUE

CHAPITRE IV : CONDITION ET DESTINÉE DE L’HOMME

Comment l’homme doit-il vivre et qu’est-ce qui l’attend après la mort ? Ce thème
résulte de la Révélation, d’où l’obligation de partir des Saintes Ecritures. En réalité, la
grandeur, l’identité et l’actualisation de l’homme nous sont données par la Révélation
(chrétienne). L’homme se connaît intérieurement lorsqu’il s’ouvre à Jésus qui, en fait, est la
lumière de la condition de l’homme. Dieu a créé l’homme à sa ressemblance. Il a donc une
dignité incomparable à celle des autres créés et il est (même) le sommet de la création. La
ressemblance à Dieu signifie que les droits de la personne s’enracinent même dans les droits
de Dieu, d’où son caractère sacré. (Lire Nodet, La liberté, pour quoi faire ?) On distingue
trois moments importants de la condition et de la destinée de l’homme, selon la théologie
chrétienne inspirée de la culture gréco-orientale.
Le premier, c’est celui de l’homme ici-bas ou status viae. Ce temps est toujours limité
en tant que l’homme s’y trouve en pèlerin ; il est de passage. Ce temps nous prépare au futur
et l’homme y vit le « pas encore et le déjà là », c’est-à-dire un avant-goût de l’eschatologie
qui, en fait, a déjà commencé mais ne sera accomplie qu’au dernier stade. Ici, l’homme est
dans l’inachèvement (imperfection) et la précarité (tantôt malade, tantôt bien portant,…). Il
serait donc illusoire de rechercher ou d’espérer une situation de perfection, un bonheur total
ici-bas. C’est aussi le temps de l’insécurité, celui de l’impossibilité d’entretenir une relation
parfaite et constante avec Dieu.
Le deuxième temps est celui de la mort, passage obligatoire entre le status viae et la
dernière étape. Il y a lieu de signaler dès l’abord, que la mort du sujet humain tranche sur celle
de l’animal, en tant que l’homme a conscience de sa condition, de son irréversibilité et il
arrive même à y penser et à en parler. C’est, en effet, une étape cruciale de la condition
humaine, d’où la nécessité qu’elle soit préparée, car dit-on, l’on meurt comme on a vécu.
Le troisième temps est celui du status patriae ou la vie après la mort ; on parle même
de plérôme, c’est-à-dire accomplissement, l’étape où nous aurons la totalité de la stature du
Christ, la totalité de la stature de l’homme. Mais il n’y a pas de plérôme sans résurrection.

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ANTHROPOLOGIE THÉOLOGIQUE

I.LE STATUS VIAE


1. Les fondements théologiques
Les documents magistériels Gaudium et Spes, Lumen Gentium et Humanae Dignitatis,
donnent une synthèse sur la manifestation de l’homme dans la pleine dignité de sa nature qui
ne peut se faire que dans la référence à Dieu ; l’homme sans Dieu ne saurait réaliser
l’humanité dans sa pleine dignité (divinisation). Cela passe par diverses étapes. Au premier
abord, l’homme acquiert la conscience d’être homme, d’un être différent de l’animal ; c’est
l’hominisation. Ensuite, l’homme conscient de ses responsabilités vis-à-vis de lui-même et de
la société passe de l’hominisation à l’humanisation (apprentissage et intégration des valeurs
humaines, sociales, culturelles,..). Dès lors, l’éducation (familiale ou scolaire et universitaire)
devient indispensable, car c’est l’éducation aux valeurs sociales qui cimentent le processus
d’humanisation ; autrement, l’individu risque de rester au niveau de l’hominisation. Tout
individu qui mène une vie contraire à ces valeurs (les droits de l’homme sont fondés sur des
valeurs essentielles à la personne), est agent de déshumanisation. La dernière étape est celle
de la divinisation, possible seulement en Jésus-Christ et qui passe nécessairement par des
expériences spirituelles (personnelles). L’être humain ne devient compréhensible qu’à la
lumière du dessein de Dieu révélé en Christ (selon la Révélation chrétienne), un dessein
célébré, annoncé et vécu dans une communauté appelée « Église ». En d’autres termes,
l’homme doit, pour réaliser sa divinisation, vivre les valeurs chrétiennes dans l’Eglise qui
devient non seulement le lieu de l’humanisation mais aussi celui de la divinisation ; c’est-à-
dire que ceux qui disent oui au Christ, doivent vivre pleinement la communion avec Dieu,
l’aimer et le servir. Dès lors, on perçoit le rôle préparatif du status viae pour le status patriae.
Selon E. Schillebeeckx, in Histoire des hommes, récit de Dieu, la divinisation se
réalise dans l’histoire. C’est dans l’histoire que l’homme assure son salut. Et dès lors, « le
monde devient le lieu du salut ». On ne peut donc le fuir, car notre engagement dans le monde
détermine notre vie dans l’autre (du point de sa qualité). Le salut ne peut se préparer ou
s’assurer en-dehors de l’histoire, en-dehors de l’ici-bas. (On ne peut assumer le salut dans la
passivité).
Quant à M. Zundel, in Croyez-vous en l’homme ?, il définit l’homme comme
l’espérance de Dieu ; il fait spécifiquement allusion à cet homme qui a fait le cheminement de
l’hominisation à l’humanisation en route vers la divinisation et qui a découvert sa vocation. Si
l’homme est l’espérance de Dieu, la sainteté est donc dans la vie, la vie devient le sanctuaire

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ANTHROPOLOGIE THÉOLOGIQUE

de la divinité. Le terme « vie » renvoie ici aux différents aspects entrant dans la composition
quotidienne de l’existence : travail, loisirs, émerveillement, joies, tendresse,…C’est à travers
tout ceci que la sainteté s’assure.

2. L’identification au Christ
Elle conditionne la divinisation, elle constitue le passage nécessaire à la configuration
au Christ. C’est une nouvelle naissance qui implique une expérience d’être recréé. (Cf. Jn 3 :
Dialogue de Jésus avec Nicodème). C’est une expérience de communion avec Jésus, une
expérience d’être recréé par lui. Cependant, il est apparu plusieurs types de fausses
anthropologies visant à brouiller la relation entre Dieu et l’homme.
►L’anthropologie horizontale sépare l’homme d’avec Dieu, présente l’homme
comme un être qui n’a pas besoin de Dieu, qui se passe de Dieu et qui est absolument
responsable de lui-même et de son existence. En évacuant Dieu, elle néglige la dimension
ontologique de l’homme et exagère l’existence. L’être humain n’a que des attributs
existentiels. C’est au fond, une anthropologie qui falsifie l’homme et le méconnaît, de fait. On
la retrouve sous des formes diverses dans la Gnose, le naturalisme, le culturalisme et
l’intégrisme.
►L’anthropologie verticale, elle, présente l’homme comme un instrument de Dieu ; il
n’a de valeur qu’aux yeux de Dieu, celui qui en fait usage. Sa responsabilité personnelle n’est
pas du tout sollicitée, elle est même niée. L’accent est mis sur Dieu qui entre dans la vie de
l’homme et s’y impose. Ce type d’anthropologie culmine dans le déterminisme. On la
retrouve sous les formes de spiritualisme, de fidéisme et de manichéisme.
Quant à l’anthropologie chrétienne, la véritable anthropologie, elle ne sépare l’homme
de ni ne le noie en Dieu. Elle n’absolutise ni ne nie sa responsabilité et sa liberté. Elle prend
ensemble les deux tendances et les présente de façon harmonieuse. En effet, c’est le Christ,
l’homme-Dieu, qui assure l’union de l’homme à Dieu. En réalité, Dieu a créé l’homme à son
image et à sa ressemblance, l’a doté d’une liberté spéciale et l’a appelé à partager sa condition
divine. Donc, même s’il arrive que l’homme se sépare de lui par le péché, on ne peut tout de
même pas l’imaginer sans Dieu. Mieux, en Jésus-Christ, on découvre l’homme vrai,
l’homme-type avec sa double origine : le premier Adam venu de terre et le second venu du
ciel (Jésus-Christ). La vie du Christ devient source et plénitude de la vie du chrétien. Il s’agit
de sa personne, de sa vie et de son œuvre qui deviennent source d’inspiration.

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ANTHROPOLOGIE THÉOLOGIQUE

L’anthropologie chrétienne est christologique. Dans le status viae, le dynamisme est la


transformation de la vie humaine à la lumière de la vie, de l’œuvre et de la personne du
Christ. (Lire Redemptor Hominis et Mulieris Dignitatem).

3. Le chrétien comme citoyen du monde et de l’Église

a. Chemin de justice
L’intention ici est de mettre en exergue la double insertion du chrétien. L’homme engagé dans
son processus de divinisation comprend sa vocation dans cette double perspective. Pour Paul,
cette vocation doit être comprise en termes de réconciliation avec Dieu et les autres, d’où la
dimension de la recherche de la paix. Le chrétien doit être artisan de paix et d’harmonie, les
deux ne pouvant être réalisées sans justice. Le chrétien, dans son engagement, doit marcher
sur les chemin de Justice, car l’absence de justice entraîne violences, guerres et tueries. Il lui
incombe donc d’œuvrer à mettre un terme à l’injustice qui, du reste, est un défi majeur pour
toute personne vivant en relation avec le Christ. Cet engagement du chrétien peut être orienté
dans cinq champs principaux :
►La protection des travailleurs : y déroger est une injustice
*Le droit au travail en constitue le premier aspect ; ne pas donner du travail à un adulte
est une grave injustice, une dérogation à ses devoirs (par les autorités compétentes). C’est une
source de satisfaction à la fois morale et matérielle ; ne pas le lui donner c’est le livrer à toutes
sortes de vices (vol, mendicité, prostitution, drogue,…). Ne dit-on pas que l’oisiveté est la
mère de tous les vices ?
*Le droit au salaire : quiconque travaille a droit à une rémunération décente qui lui
permette de vivre et de subvenir aux divers besoins de base de sa famille (nourriture, frais de
santé, scolarité, vêtements,…).
*La sécurité sociale : Il s’agit de la rémunération pour le travailleur qui n’est plus en
mesure de rendre service, dû à l’âge, un accident de travail, etc. Son invalidité ne doit pas le
priver de son droit à une vie digne.
►La promotion de la participation de tous à la gestion de la chose commune ; on doit
stimuler chez tous la volonté de prendre part aux entreprises communes de sorte que le plus
grand nombre possible de citoyens puissent participer aux affaires publiques ; et la condition

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ANTHROPOLOGIE THÉOLOGIQUE

est que les gens découvre dans le corps social auquel ils appartiennent des valeurs qui les
attirent et qui les disposent au service de leurs semblables.
►La promotion sociale : La lutte contre la maladie, la faim et les différents fléaux sociaux
requièrent l’engagement du chrétien. Il doit s’investir pour l’effectivité de la justice sociale ;
cela passe par la répartition équitable des services et des biens communs de sorte qu’il n’y ait
pas de clivages sociaux entre riches et pauvres. C’est travailler au respect du droit à une vie
vraiment humaine pour tous.
►Action en faveur des catégories défavorisées : Les chrétiens ont le devoir de donner des
réponses concrètes contre ce qui met leurs semblables dans des situations défavorisées
(enfants abandonnés, vieillards sans ressources, chômeurs aliénés, clochards, etc.). Jésus s’est
identifié à eux ; la mission de l’Eglise est donc de lutter avec eux. On se doit de les arracher
de la situation dans laquelle l’égoïsme et l’individualisme des différentes couches sociales les
ont plongés, pour les faire remonter là où ils sont supposés être, c’est-à-dire situation de
mieux être.
►La situation et le rôle de la femme dans la société : C’est aussi du devoir du chrétien
d’œuvrer à l’améliorer en combattant les différents abus dont il fait l’objet.

b.La mission du chrétien en politique


C’est une application de l’Evangile. En fait, on ne peut fuir le monde, car il est le
champ d’application de l’Evangile. Se retirer de la politique, c’est se retirer de la société
humaine. C’est dans ce cadre que Vatican II appela à une insertion en politique pour œuvrer à
l’avènement d’une cité humaine plus épanouissante et plus fraternelle. Cependant, ce type
engagement est réservé au laïc. Et pour cela, il doit être proprement formé, d’où le rôle du
prêtre. C’est la compétence professionnelle qui exige cette préparation. Il doit être doté de
valeurs humaines et spirituelles, il doit pouvoir harmoniser sa foi et son action politique. Il ne
doit pas y avoir de contradiction car ses valeurs chrétiennes doivent accompagner son
engagement et éclairer son action. (Lire Jacques Maritain, Humanisme Intégral). Il existe
deux plans de l’agir du chrétien : On peut agir en tant que chrétien ou en chrétien. Ces deux
plans doivent être assumés.
*Agir en tant que chrétien, c’est agir conformément aux instructions de l’autorité
compétente ; en communion avec l’Église.

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ANTHROPOLOGIE THÉOLOGIQUE

*Agir en chrétien, c’est agir selon ses convictions personnelles au nom de sa


conscience et de sa foi. Il y a ici prise d’initiative personnelle (sans engager l’Église ou
l’autorité ecclésiale).
Quant aux consacrés, ils n’assument pas de fonctions politiques à moins d’avoir reçu une
autorisation expresse du Saint Siège, pour une juste cause. Pour ce qui est spécifiquement du
prêtre, son rôle est double :
*Renforcer la fraternité universelle (fonction de rassemblement)
*Témoigner de la primauté du Royaume des Cieux. Il doit donc éviter de prendre part
à des divisions politiques, de diriger l’action du temporel. Il ne doit pas publiquement afficher
son affinité pour tel ou tel parti politique donné, ni transformer le temps de la prédication en
séance de campagne politique. En outre, les religieux, eux, doivent témoigner de la primauté
du Royaume par une vie de prière. Ils doivent s’intéresser à la politique pour avoir des thèmes
(sujets) de prière (pour le monde, le pays, l’Église…). Ils doivent également accomplir leur
devoir de citoyens.

4. Les autres perspectives de l’agir du chrétien

a. Prendre conscience de la liberté de Dieu sur l’Eglise et sur le monde : cela nous aidera à
éviter l’intégrisme (conservatisme intransigeant). Dieu n’agit pas toujours de la même façon,
il ne suit pas un chemin tracé, il nous surprend toujours ; avec lui, il n’y a pas
d’accoutumance.
b. Renforcer la pratique du pardon : c’est un enseignement fort, que le geste du pardon !
c. Tenir une distinction entre Évangile et Église : L’Eglise n’est pas l’Evangile ; il existe des
erreurs dans l’Eglise qui ont besoin d’être approchées par l’Evangile. C’est pourquoi l’Eglise
doit rester ouverte à l’Evangile qui demeure un défi aussi bien pour elle que pour l’individu.

Conclusion partielle
●Le chrétien doit être attentif à la nature historico-évolutive de la compréhension de la
Parole de Dieu. Elle est vivante et doit donc être actualisée, contextualisée.
●Il doit savoir que la conscience de l’humanité refuse de plus en plus la violence.
●Il doit prendre conscience de la consistance propre et de l’autonomie des choses
humaines et de leur processus.

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ANTHROPOLOGIE THÉOLOGIQUE

II. L’ÉTAPE DE LA MORT


C’est l’étape transitoire entre le status viae et le status patriae. Il existe peu d’écrits
théologiques sur la mort, dû au fait que l’on n’en a pas une expérience directe, même si
l’extinction des autres nous sert d’expérience, cependant indirecte. Ainsi apparaît-il
l’interpellation selon laquelle la dégradation dont les autres font l’objet peut aussi nous
atteindre. De par l’expérience quotidienne, la mort apparaît comme un malheur, une force,
une violence qui nous sépare. Etant donné son irréversibilité, on se résout à reconnaître
qu’elle est une réalité inséparable de la nature humaine. Elle est, bien qu’un drame, aussi
naturelle que la vie ; elle est une nécessité organique. C’est enfin une épreuve, une perte pour
la communauté.

1. Comment mourir dignement ?


Dans chaque culture, on découvre une esquisse de règles pour une bonne mort. À en
croire, Tristan, la mort des autres est un avertissement pour les vivants, en tant qu’elle incite à
la préparation qui, en fait, consacre la beauté de la mort. En termes simples, la qualité de la
mort dépend de la préparation qu’on en fait, d’où la notion de sacrement dans la perspective
chrétienne. Le sacrement implique réconciliation avec soi-même, avec les autres et avec Dieu.
Dans ce sens, on peut voir dans le status viae une préparation à long terme (avec la confession
inclusivement) tandisque le sacrement des malades tiendrait lieu de préparation à court terme.
De plus, l’homme est cet être qui sait qu’il va mourir, qui sent même son heure venir ; la
préparation dans ces deux dimensions s’avère on ne peut plus indispensable.

2. Comment parler de la mort ?


L’expérience quotidienne semble présenter la mort comme un sujet tabou ; en
témoigne l’usage du langage symbolique pour la désigner : voyage, migration, traversée, etc.
Quant au chrétien, il peut et doit parler de la mort même la culture actuelle (surtout
occidentale) semble occulter le sujet (semble l’ignorer). Il y a comme une tendance à voiler, à
cacher l’inquiétude, le malaise, la douleur et la souffrance qu’engendre la mort. (Cela est, au
fond, symptomatique d’un malaise profond expérimenté à l’idée de la mort). C’est pourquoi le
chrétien, conscient du temps qui lui est imparti pour sa mission, doit aborder le thème de la
mort à partir de la mort de Jésus ; sa mort est survenue seulement à la fin de sa mission. En
clair, le chrétien ne cherchera pas la mort, mais doit la comprendre comme accomplissement

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ANTHROPOLOGIE THÉOLOGIQUE

de sa vocation terrestre (toujours à l’image du Christ). Il se doit de mener sa vie de sorte que
le moment venu, la mort lui apparaisse ainsi.

3. La célébration de la mort
Il existe deux raisons fondatrices (justificatrices) de de la célébration de la mort, dans
la perspective chrétienne.
►La résurrection de Jésus : Célébrer la mort, c’est réitérer notre foi en la résurrection de
Jésus qui, en fait, est le gage, la garantie de notre propre impérissabilité. Si Jésus n’était pas
ressuscité, vaine serait notre foi et vaine serait notre espérance…
►La foi en la miséricorde de Dieu : Célébrer la mort, c’est exprimer notre foi en la
miséricorde de Dieu qui surpasse nos péchés et qui les pardonne jusqu’à les oublier. C’est
espérer qu’en vertu de la Passion-mort et résurrection de Jésus, la miséricorde de Dieu
relèvera le défunt d’où il était tombé pour l’admettre en sa demeure céleste où nous espérons
tous nous revoir un jour.

4. Dieu face à la mort de l’homme


Dieu voudrait-il la mort de celui qu’il a créé pour la vie ? Non ! Car il est Dieu de vie
et de mort. Un fait demeure pourtant : l’homme est indélébilement marqué du sceau de la
mort. Elle est une marque à la nature humaine, une marque à notre être de créature. Elle est
une étape nécessaire car Jésus lui-même en a fait l’expérience. Dès lors, la théologie de la
mort apparaît comme nécessaire ; elle comporte un enseignement (apprentissage) sur
comment mourir avec dignité, comment obéir (Henri Bourgeois). Dans cette théologie,
l’accent est mis sur le lien entre créateur et créé. Dieu n’est pas un être sadique ; au contraire,
il aide l’homme à assumer la mort ; il l’aide à prendre conscience du germe d’éternité qu’il a
planté en lui, puisqu’il l’a créé à ses propres image et ressemblance. C’est en somme, une
théologie qui n’occulte pas la dimension anthropologique de l’homme ; la mort demeure, pour
chaque individu, un mystère.

III. LE SATUS PATRIAE

Il s’agit de la cité de notre patrie, la cité du ciel et c’est la mort qui nous y conduit. Le
fondement de cette hypothèse est la foi en la Résurrection de Jésus. Tandisque les Grecs

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ANTHROPOLOGIE THÉOLOGIQUE

parlent d’immortalité de l’âme, la tradition judéo-chrétienne professe la résurrection de la


chair. Dans cette tradition, nous sommes personnes en vertu de notre corps et de notre âme.
C’est cette totalité qui est vivifiée à la résurrection. Cependant, il est important de souligner
que notre connaissance du status patriae est imparfaite, fragmentaire, du fait que la révélation
(dans sa dimension individuelle) est incomplète (Rm8, 19-25). Voilà pourquoi il demeure un
objet d’espérance et c’est cela même le mystère de la résurrection. Cette étape concerne, en
fait, la vie après la mort, impliquant nécessairement la résurrection. Dans la perspective
catholique, il existe deux approches de la Résurrection : la résurrection individuelle et la
résurrection collective (Parousie).

1. La résurrection individuelle-immédiate
Quelques références bibliques de résurrection individuelle : Lc 16, 19-31 : le pauvre
Lazard et le mauvais riche/ Lc 23, 43 : le bon larron/ Lc 24 : les apparitions de Jésus.
Ici la théologie soutient que la résurrection est immédiate, elle apparaît comme une
récompense, une glorification immédiate de la part de Dieu. Mais comment apparaîtra celui
qui aura fait cette expérience ? Paul en 1 Co 15, 35, soutient que notre corps sera transformé
à la résurrection ; et en 2 Co 5, 1 et ss, nous aurons un corps spirituel propre pour le status
patriae. C’est ce type de corps avec lequel Jésus apparaissait après la résurrection. Quant à
notre corps matériel, il est une habitation provisoire ; nous allons être revêtus du corps
spirituel comme récompense à notre résurrection. Par ailleurs, il faut comprendre que la
Résurrection implique nouvelle vie et non bonne qualité de vie. Elle concerne donc tout le
monde.

a. Le Purgatoire
L’Église enseigne que c’est un état transitoire, un processus de purification. C’est la
situation d’une personne qui meurt avec des péchés non graves. Saint Jean, en 1 Jn 1, 5, relève
que « nous sommes tous porteurs de péchés » ; une façon de dire qu’il est bien possible que
nous passions tous par le Purgatoire. Il passe donc pour une étape obligée pour tous, d’où la
pertinence des messes de suffrage (intercession) dont le fondement biblique est donné en 2
Mc 1, 39-45. Nous devons prier pour les morts, pour leur purification ; et à ce titre, la prière la
plus importante pour la rémission des péchés, est la messe qui, en elle-même, est efficace (ex

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ANTHROPOLOGIE THÉOLOGIQUE

opere operato). Dans cet état, les âmes font l’expérience d’une union imparfaite avec Dieu.
Pour certains Pères, ce sont les péchés véniels (petites dettes envers Dieu) qui y sont
pardonnés. Pour Clément d’Alexandrie, « les âmes qui sont au purgatoire ont besoin de nos
prières », car il est un processus de rémission des péchés en vue de voir Dieu face à face. Il
existe deux traditions sur le Purgatoire :

*Dans la tradition latine, c’est l’aspect juridique qui prévaut ; l’accent est mis sur la loi et le
jugement. Il revient à la bonté de Dieu de déterminer la gravité du péché. Cette tradition
imagine le purgatoire comme un lieu, une prison, en vue de la réhabilitation. Saint Augustin
précise que ce sont les péchés véniels qui nous font entrer au Purgatoire. Quant à Caesarus
Aeles, lui, distingue les péchés capitaux avec pour conséquence l’enfer et les péchés mineurs
conduisant au Purgatoire. Les Scolastiques vont s’inscrire dans la même logique.

*Dans la tradition orientale qui, elle, est plus mystique, on ne détermine pas la gravité du
péché. Elle décrit le P. comme un moment de toilettage nuptial, un moment où l’individu qui
doit rencontrer Dieu, est nettoyé de ses impuretés, de ses péchés. C’est donc un bien ; même
si c’est douloureux, c’est en vue du bien du pécheur : retrouver l’image de Dieu.

Pour ce qui est de la durée du P., personne n’en sait rien. Ce serait même fallacieux de
chercher à la déterminer puisque le P. lui-même est une réalité extra-temporelle (atemporelle).
C’est un secret divin.

b. L’Enfer

État de peine éternelle, lieu où le feu ne s’éteint pas, privation éternelle du bonheur
offert dans le partage de la vie de Dieu, telles en sont quelques-unes des appellations qui
clairement dénotent une situation mauvaise et irrévocable. La théologie scolastique en fait
deux compréhensions :

*La souffrance physique telle celle du mauvais riche (Lc 16, 19-31). Elle est dite paena
sensus. Cette souffrance met l’individu dans une situation d’ennuis éternels.

*La souffrance morale : elle est d’ordre psychologique car on la ressent au fond de son être ;
elle est dite paena damni (Mt 22, 11-14/ Lc 14, 16-24). Il s’agit du fait de vivre dans

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ANTHROPOLOGIE THÉOLOGIQUE

l’isolement, le fait d’être exclu de l’amour de Dieu, d’être coupé de Dieu et des autres.
L’enfer est donc un état désagréable, un état où il n’y a pas de relation.

→L’enfer existe-t-il malgré l’amour inconditionnel de Dieu ? Pour certains, oui ! Mais il n’y
a personne.

Marcel Jouhandeau, dans Contes d’enfer, conclut : Si l’homme ne comprend pas


l’enfer, c’est qu’il ne comprend pas sa propre réalité. Sans l’enfer, la liberté de l’homme ne
peut être évaluée. L’enfer est donc dû au fait que Dieu demande des comptes à l’homme, par
rapport à sa liberté. Sans cela, la liberté de l’homme resterait infantile. À y voir de près,
l’enfer est simplement un facteur de conditionnement de l’attitude de l’homme ; une incitation
au bien.

Par ailleurs, il y a lieu de distinguer l’enfer et les enfers. Selon l’Ancien Testament, les enfers
renvoient au Shéol, au séjour des morts. Alors que signifie « Jésus est descendu aux enfers » ?
Il est mort comme tous les autres hommes avant et après lui. Il faut remarquer que le verbe
« descendre » dénote une activité : Jésus entre en contact avec ceux qui l’ont précédé et vient
opérer leur rédemption ; il y descend pour les ramener tous à la vie (Adam et tous ses
associés).

c. Le Ciel

Il en existe plusieurs appellations dont Paradis, Cieux, lieu où Dieu règne et ne connaît
aucune opposition. C’est la récompense éternelle (Mt 19, 27-30). C’est un état de bonheur, de
joie éternelle, de communion éternelle avec Dieu, de la vision béate de Dieu, de la
connaissance totale de Dieu. Le ciel se mérite donc ! Tandisque la résurrection est pour tous,
le Ciel (tout comme l’enfer) est pour certains, puisqu’il y en a qui ressuscitent pour la
condamnation éternelle. Certaines âmes passent directement du jugement au Ciel tandisque
d’autres doivent séjourner au Purgatoire pour leur préparation.

2. La résurrection collective

Tous les morts ressusciteront grâce au Christ qui sera de retour (Cf. Jn 25, 28-29) et
les vivants se présenteront avec eux, pour le jugement. En voici les étapes :

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ANTHROPOLOGIE THÉOLOGIQUE

►Par sa puissance, il ramènera tous les morts à la vie ;


►Il détruira ensuite la mort (1Co 15, 23-55). Elle est son adversaire le plus farouche ; quand
il l’aura détruite, elle n’aura plus de pouvoir sur personne.
►La troisième étape marque le jugement de l’humanité. Il y a des gens qui ne mourront pas ;
ils resteront jusqu’au retour du Christ et ils seront associés aux morts pour le jugement. Deux
tendances se dégagent par rapport à cette résurrection :
▬La tendance exclusiviste : Seuls les chrétiens, eux qui ont fait profession de foi
explicite au Christ, ressusciteront, car le pouvoir de ressusciter appartient au Christ. (Ce fut la
croyance au VIIème siècle). Cette approche met l’accent sur la conversion à Jésus comme
condition sine qua non de la vie éternelle.
▬L’approche inclusiviste : Elle n’exige pas la conversion des non-chrétiens car les
bien-aimés du Christ sont aussi bien dans l’Église qu’en dehors d’elle. Il s’agit de toutes les
personnes de bonne volonté. En effet, les valeurs chrétiennes sont aussi remarquables dans la
vie des non-chrétiens. Le salut apporté par le Christ s’adresse à l’humanité entière, donc le
jugement aussi. Mais le jugement sera sévère pour ceux qui ont connu le Christ (Mt 11, 22-
24).
►Dans la quatrième étape, le Christ remettra au Père, l’autorité qu’il avait reçue pour pêcher ;
c’était un honneur, un privilège.
►En cinquième lieu, il glorifiera les corps de ceux qui appartiennent à Dieu (1 Co 15).
►En sixième étape, il prendra les siens avec lui au Ciel. La vie au Ciel est une vie de
communion non seulement avec Dieu, mais aussi avec tous les récompensés, tous les gens de
bien.

Conclusion du chapitre
La condition et la destinée de l’homme sont centrées sur le Christ, car c’est une
expérience de vie avec lui ; il ne s’agit pas de titres qu’il faut lui accorder (Sauveur,…), ni de
la connaissance intellectuelle des valeurs qu’il a enseignées. Ce doit être une expérience de
solidarité avec Jésus en vue de se laisser transformer, car par lui que l’homme devient image
de Dieu. La fidélité au Christ signifierait, dans cette perspective, obligation de lutter contre les
maux de l’histoire. Et c’est cela la condition de l’homme : lutter avec le Christ. Dans cette
lutte en solidarité avec les autres, se révèlent à la fois la croix et la miséricorde de Jésus.

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ANTHROPOLOGIE THÉOLOGIQUE

CONCLUSION GÉNÉRALE

L’anthropologie théologique, qu’est-ce ? C’est une tentative de description des


conditions générales et des prérogatives personnelles de l’homme qui vit en allié de Dieu et
qui persévère dans ses initiatives de communion et d’attente en vue de la parousie.
L’anthropologie théologique illustre l’appel que Dieu adresse à l’humanité en Jésus-Christ.
Elle pénètre et décrit le style de vie personnel et collectif de ceux qui se convertissent aux
exigences de l’Évangile. Elle vient réconcilier l’anthropocentrisme et le théocentrisme. En
rappel, le premier met l’accent sur l’autonomie et la liberté de l’homme qui organise sa vie,
avec comme conséquence le juridisme (l’institution). Le deuxième présente Dieu comme
l’être qui, seul, organise la vie sur terre ; dès lors, tout dépend de la Grâce.
L’anthropologie théologique étudie le mystère anthropologique vu de Jésus, c’est-à-dire avec
nécessité d’harmonie. Dieu et l’humanité étant inséparable en Jésus-Christ, l’anthropologie
doit devenir théologie et vice-versa. Les hommes de Dieu et le Dieu des hommes sont unis en
Jésus-Christ.

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