Vous êtes sur la page 1sur 29

Dr D. FOFANA et D r F.

DIARRA - PHILO GENERALE L2SA |1

UNIVERSITE DES LETTRES ET DES SCIENCES HUMAINES DE BAMAKO


(ULSHB)

FACULTE DES SCIENCES HUMAINES ET DES SCIENCES DE


L’EDUCATION (FSHSE)

Département de Socio-anthropologie

***

PHILOSOPHIE GENERALE : PHILOSOPHIE ET EPISTEMOLOGIE

Licence 2

Dr Drissa FOFANA et Dr Françoise DIARRA


Dr D. FOFANA et D r F. DIARRA - PHILO GENERALE L2SA |2

INTRODUCTION
1. La description

Destiné à la Licence 2 de la Socio-anthropologie, ce cours, « La


philosophie générale : Philosophie et Epistémologie CM », regroupe des
informations générales sur la philosophie des sciences et la science. Dans son
développement, l’étude porte d’abord sur des thèmes scientifiques abordés par
des philosophes : la logique et l’épistémologie, la méthode dans le cartésianisme
et dans le kantisme, les conceptions de la dialectique avec Platon, Hegel et
Marx. Il s’agit ensuite d’étudier l’épistémologie descriptive et le renouveau de la
philosophie des sciences avec des auteurs contemporains, notamment Bachelard,
Popper, Althusser et Foucault. L’étude s’achève avec les critiques morales
constitutives de l’épistémologie prescriptive.
Les thèmes majeurs : Critique, Epistémologie, Méthode, Philosophie et
Science.

2. Les objectifs

- Le déploiement de l’esprit critique. Il s’agit d’affûter la critique, au travers des


discussions méthodologiques qui marqueront ce cours.

- Le renforcement de la culture générale des étudiants en Licence 2 de la Socio-


anthropologie, en leur proposant des méthodes scientifiques développées par des
philosophes.

3. L’organisation et la méthode

- La théorie est dispensée en Cours Magistral. Mais selon les besoins, les
étudiants seront invités à travailler et à discuter autour de thèmes contradictoires.

- Les méthodes de ce cours sont thématique et critique. Il s’agit d’aborder les


thèmes scientifiques cités, dans leurs diversités et contradictions.

4. Les exigences

- La présence des étudiants.

- Pour chaque étudiant, la réplique du support confié au responsable.


Dr D. FOFANA et D r F. DIARRA - PHILO GENERALE L2SA |3

- La lecture du support, les explications et les études de textes.

- Les étudiants prendront des notes pendant les divers échanges.

5. Le plan

INTRODUCTION

CHAPITRE 1 : LA LOGIQUE ET L’EPISTEMOLOGIE

1.1 La méthode scientifique chez Descartes et Kant

1.2 La dialectique chez Platon, Hegel et Marx

1.3 La philosophie comme une épistémologie

CHAPITRE 2 : LA PHILOSOPHIE ET L’EPISTEMOLOGIE DESCRIPTIVE

2.1 L’épistémologie descriptive : l’objectivisme et le subjectivisme avec


Russell, Bachelard et Popper

2.2 Le renouveau de l’épistémologie marxiste avec Althusser et Foucault

CHAPITRE 3 : LA PHILOSOPHIE ET L’EPISTEMOLOGIE PRESCRIPTIVE

3.1 La définition de l’épistémologie prescriptive

3.2 La morale comme une épistémologie prescriptive : Platon et Rousseau

3.3 Les critiques morales et écologistes à l’époque contemporaine

CONCLUSION
Dr D. FOFANA et D r F. DIARRA - PHILO GENERALE L2SA |4

CHAPITRE 1 : LA LOGIQUE ET L’EPISTEMOLOGIE

Ce premier chapitre porte sur le lien logique et épistémologie. La logique


(du grec logia, théorie ou de logos, discours, verbe, raison) est la science des
inférences nécessaires et de la forme juste du discours scientifique. La logique
étudie les règles qui déterminent le raisonnement formellement acceptable.

L’épistémologie (du grec epistêmê, science et logos, étude) est la branche


de la philosophie qui étudie la science : ses règles logiques, ses méthodes
scientifiques, ses valeurs et insuffisances.

Dans cette subdivision, nous étudions d’abord des méthodes logiques


chez cinq épistémologues (philosophes des sciences) : Descartes, Kant, Platon,
Hegel et Marx. Nous étudions ensuite la valeur épistémologique de la
philosophie.

1.1 La méthode scientifique chez Descartes et Kant

1.1.1 L’importance de la méthode scientifique

Nul ne saurait décrire toute l’importance de la méthode dans la vie


ordinaire, la science et la philosophie. Chaque homme possède une raison (le
bon sens) qui semble le prédisposer au bien et au scientifiquement vrai.
Descartes affirme cette essence universelle : « Le bon sens est la chose du
monde la mieux partagée » 1 . Cependant, ce philosophe rationaliste ajoute
quelque chose qui est important. La raison naturelle ne saurait fonctionner de
façon adéquate, si elle ne s’appuie pas sur une méthode rationnelle, c’est-à-dire
sur des règles logiques.

1
DESCARTES R., Discours de la méthode.
Dr D. FOFANA et D r F. DIARRA - PHILO GENERALE L2SA |5

La méthode est une culture rationnelle ; c’est le chemin rationnel que la


raison naturelle doit suivre pour produire de bons résultats. Nous analysons ici
des méthodes différentes dans les épistémologies cartésienne et kantienne.

1.1.2 La déduction et les règles de la méthode de René Descartes

Descartes (1596-1650) est un philosophe rationaliste et un mathématicien


français du 17e siècle. Sa pensée cartésienne accorde une importance capitale à
la méthode scientifique déterminée par la raison.

Pour ce philosophe des sciences, l’application et la qualité de la méthode


rationnelle fait une différence indiscutable entre les hommes, même s’ils
possèdent tous naturellement la faculté de savoir. La raison et la méthode
rationnelle suffisent à connaitre. Nous retiendrons plusieurs règles dans la
méthode cartésienne :

- De l’intuition à la méthode déductive : la déduction.

L’intuition. Descartes pense qu’il n’y a pas de fausseté entre un objet et


son essence2 : chaque chose est conforme à ce qu’elle est essentiellement. Ainsi,
l’objet cuivrique reste un vrai cuivre. Mais c’est l’homme qui est enclin à
confondre les natures, quand, par précipitation ou par prévention, il prend une
essence pour une autre, « quand il se peut faire que je me trompe, et ce n’est
peut-être qu’un peu de cuivre et de verre que je prends pour de l’or et des
diamants. »3. Les choses du monde naturel ne trompent pas. La vérité est dans la
nature des choses. Et quand il est dit que « nos sens nous trompent »4, cette
tromperie devrait être partagée entre la complexité des réalités sensibles et
l’insuffisance de la sensibilité.

2
Essence : nature, être ou définition, etc.
3
DESCARTES R., Discours de la méthode.
4
DESCARTES R., Méditations métaphysiques.
Dr D. FOFANA et D r F. DIARRA - PHILO GENERALE L2SA |6

Pour Descartes, l’homme est capable de saisir immédiatement l’essence


absolue et simple d’un objet ; cette capacité mentale est alors appelée l’intuition.
« Dans la seule intuition des choses simples ou composées il ne peut y avoir
d’erreur »5.

La méthode déductive : la déduction. L’intuition est efficace pour


appréhender les choses simples. Toutefois, il existe des objets complexes ;
probablement, ces derniers seraient les plus nombreux. Par exemple, nous avons
le laiton6 et le bronze7 . Ils sont composés d’une pluralité d’éléments simples
(les essences) et souvent d’accidents8.

Il devient impossible de connaître les objets excessivement complexes par


l’intuition immédiate, au risque de tomber dans l’erreur. Le doute et l’analyse
rationnels permettent de démêler les éléments de la complexité, pour rejeter
ceux qui ne sont pas essentiels et pour saisir l’impact que les uns ont sur les
autres. Cette analyse (la seconde règle de la méthode cartésienne), c’est « la
déduction »9.

- Les quatre préceptes de la méthode cartésienne. Descartes construit quatre


préceptes, en combinant l’intuition et la déduction :

Le précepte de l’évidence :

« Le premier était de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie, que je ne la


connusse évidemment être telle : c'est-à-dire, d'éviter soigneusement la précipitation
et la prévention; et de ne comprendre rien de plus en mes jugements, que ce qui se
présenterait si clairement et si distinctement à mon esprit, que je n'eusse aucune
occasion de le mettre en doute. »10

Le précepte de l’analyse :
5
DESCARTES R., Règles pour la direction de l’esprit.
6
Alliage complexe de cuivre (essence majoritaire) et de zinc (jusqu'à 46 pour 100).
7
Un autre alliage complexe : constitué principalement de cuivre (en général plus de 80 pour 100 en poids) et
d'étain.
8
Les accidents sont des éléments non essentiels dans la nature d’une réalité. Par exemple, pour confectionner des
outils à base de bronze (l’essentiel), les fondeurs grecs et romains y ajoutaient le zinc, le plomb et l'argent (ses
trois derniers éléments sont ici des accidents).
9
DESCARTES R., Règles pour la direction de l’esprit.
10
DESCARTES R., Discours de la méthode.
Dr D. FOFANA et D r F. DIARRA - PHILO GENERALE L2SA |7

« Le second, de diviser chacune des difficultés que j'examinerais, en


autant de parcelles qu'il se pourrait, et qu'il serait requis pour les mieux
résoudre. »11

Le précepte de l’ordre déductif :

« Le troisième, de conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les
plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu, comme par degrés,
jusques à la connaissance des plus composés; et supposant même de l'ordre entre ceux
qui ne se précèdent point naturellement les uns les autres. »12

Le précepte du dénombrement :

« Et le dernier, de faire partout des dénombrements si entiers, et des revues si


générales, que je fusse assuré de ne rien omettre. »

1.1.3 La méthode transcendantale avec Emmanuel Kant

Emmanuel Kant (1724-1804) est un philosophe allemand du 18e siècle. Il


est le fondateur de la philosophie critique, une pensée qui est à l’origine de la
‘‘révolution copernicienne’’ en philosophie. Sa méthode est dite
transcendantale.

- La critique transcendantale. Kant veut connaitre les règles et les conditions


logiques de la connaissance des choses, avant l’expérience des choses elles-
mêmes.

Kant quitte le dogmatisme dans lequel des anciens comme Platon,


Descartes et Leibniz étaient relativement tombés. L’empirisme de Hume l’avait
aidé à se réveiller, pour critiquer l’ancienne vision de la connaissance : la pensée
kantienne est le criticisme. Le dogmatisme classique (le rationalisme absolu et le
rationalisme allemand) consistait à croire que la raison seule suffit à trouver la
vérité. Kant accorde une place à l’intuition sensible dans la connaissance
rationaliste :

11
DESCARTES R., Discours de la méthode.
12
DESCARTES R., Discours de la méthode.
Dr D. FOFANA et D r F. DIARRA - PHILO GENERALE L2SA |8

« Que toute notre connaissance commence avec l’expérience, cela ne soulève aucun
doute. En effet, par quoi notre pouvoir de connaître pourrait-il être éveillé et mis en
action, si ce n’est par les objets qui frappent nos sens et qui, d’une part, produisent
par eux-mêmes des représentations et d’autre part, mettent en mouvement notre
faculté intellectuelle, afin qu’elle compare, lie ou sépare ces représentations, et
travaille ainsi la matière brute des impressions sensibles pour en tirer une
connaissance des objets, celle qu’on nomme l’expérience ? »13

L’intuition sensible est un donné extérieur (une représentation) que Kant


saisit pourtant comme étant incontournable. Mais il lui serait impossible de
saisir le noumène (l’essence).

En matière de connaissance, Kant préfère la synthèse de Newton (la


physique mathématique) au dogmatisme de Descartes (le mathématisme et la
métaphysique).

-La sensibilité et l’entendement. Chez Kant, en effet, la méthode consiste à


synthétiser la sensibilité (la faculté de sentir et la réalité physique sentie) et
l’entendement (la raison mathématique). La première faculté (la sensibilité)
travaille dans le temps et dans l’espace, pour être frappée par les impressions
sensible. La seconde faculté (l’entendement) travaille les impressions, à l’aide
de ses possibilités innées, pour produire le savoir.

1.2 La dialectique chez Platon, Hegel et Marx

1.2.1 Une méthode multiséculaire : la dialectique


L’on retrouve les premières traces de la méthode dialectique (du latin
dialektikos, « qui concerne la discussion », l’opposition des contraires) dans les
philosophies antiques14, chez les matérialistes aussi bien que chez les idéalistes.
C’est la méthode pédagogique des socratiques (Socrate et Platon). Elle perdure
jusqu’à l’époque contemporaine, à travers des philosophies aussi différentes que
l’hégélianisme (l’idéalisme et le rationalisme de F. Hegel) et le marxisme (le
matérialisme historique et dialectique de K. Marx). Pourrait-on expliquer la

13
KANT E., Critique de la raison pure.
14
Antiquité : période de l’histoire occidentale comprise entre la naissance du monde grec vers 2000 av. JC (l’âge
de bronze) et la fin de l’empire romain d’occident en 476 ap. JC.
Dr D. FOFANA et D r F. DIARRA - PHILO GENERALE L2SA |9

longévité de cette méthode dialectique ? En d’autres termes, quelle est la valeur


de la dialectique ?

La dialectique est une méthode qui met des réalités en conflit, afin que
l’existence et la connaissance puissent être possibles. La valeur de la dialectique
réside donc dans le fait qu’elle exprime l’être et la vérité. D’une part, sur le plan
ontologique, les réalités du monde sont dans des relations conflictuelles (thèse et
antithèse) ; les conséquences de tels conflits déterminent le progrès (synthèse).
D’autre part, sur le plan gnoséologique, la dialectique dépasse le dogmatisme,
pour admettre un combat d’idées entre des thèses opposées. Comme une
synthèse, la vérité procédera logiquement d’une telle discussion. Le combat
d’idée apparait même comme la logique de la raison qui gouverne notre monde.
Héraclite d’Ephèse soulignait ainsi que la raison est le « logos agonistique »15 :
la raison qui combat la raison, pour que la raison puisse triompher.

1.2.2 La dialectique l’idéalisme et la pédagogie de Platon


Philosophe idéaliste et mathématicien grec antique, Platon (-427 à -347)
suit la philosophie des Idées et la méthode dialectique de son maître Socrate. Ce
dernier, traité de corrupteur de la jeunesse, est contraint à boire de la ciguë (399
av. J.C.).

Les premiers et les véritables ennemis de la société, ce sont des esprits :


les mentalités et les idéologies illusoires qui réduisent l’idée du bonheur humain
à la richesse matérielle et à la gloire politicienne. Ces mentalités produisent les
seconds ennemis de la société (les hommes ignorants et endoctrinés). Ces
ennemis spirituels (constitutifs du système déraisonnable) ont accusé et
condamné Socrate. « Les premiers sont les plus redoutables, parce que, prenant
la plupart d’entre vous dès l’enfance, ils m’ont chargé d’accusations qui ne sont
que mensonges »16.

15
BERNHARDT J., La philosophie païenne du VIe siècle avant J.C au IIIe siècle après J.C.
16
PLATON, Apologie de Socrate.
D r D . F O F A N A e t D r F . D I A R R A - P H I L O G E N E R A L E L 2 S A | 10

Platon prend le relais, après la mort de son maître, dans la mission


pédagogique, pour conduire les hommes ignorants et endoctrinés (les prisonniers
de la caverne17) vers la vérité : la morale ascétique et les idées immuables du
monde intelligible. Cette mission platonicienne, l’éducation intellectuelle, elle
est rendue possible par la méthode dialectique. Il s’agit de libérer les âmes
prisonnières à partir de la discussion. Dans La République de Platon, deux
chemins opposés sont proposés pour la libération spirituelle :

-La dialectique ascendante. La montée de l’âme ignorante vers les idées justes
(vers le monde intelligible), par la discussion avec l’âme savante : l’éducation
pour délivrer le prisonnier.

-La dialectique descendante. Le retour de l’âme éduquée, son retour dans la


caverne (dans le monde sensible ou dans la société ignorante) pour éduquer et
gouverner les autres prisonniers.

1.2.3 La dialectique dans l’idéalisme et l’historicisme de Hegel


Idéaliste, rationaliste et dialecticien allemand de l’époque contemporaine,
Friedrich Hegel (1770-1831) donne une autre envergure à la méthode étudiée :
la dialectique serait la logique du monde et de l’histoire.

Hegel soutient une méthode dialectique qui s’oppose à la critique


transcendantale de Kant. En effet, la méthode hégélienne se refuse d’être une
théorie pure qui penserait la réalité a priori de la réalité elle-même. La
phénoménologie de l’esprit et la dialectique du maître et de l’esclave pourraient
nous édifier davantage :

- La phénoménologie de l’esprit. L’hégélianisme dépasse l’étape


transcendantale qu’on pourrait nommée ici la subjectivité rationnelle ou la thèse
pure. La Raison devrait sortir d’elle-même, pour produire le monde et l’histoire
rationnels (l’antithèse ou l’aliénation de l’esprit : l’histoire, le travail, l’activité
17
PLATON, La République.
D r D . F O F A N A e t D r F . D I A R R A - P H I L O G E N E R A L E L 2 S A | 11

sociale de l’homme, la matérialisation de la raison), pour tirer des leçons de


l’histoire du monde (la synthèse : la philosophie de l’esprit), afin de devenir
pleinement l’Esprit absolu : « La raison est esprit quand sa certitude d’être
toute réalité est élevée à la vérité, et qu’elle se sait consciente de soi-même
comme de son monde, et du monde comme de soi-même. »18

L’esprit absolu se développe dans un cercle infini qui met des contraires
en jeu. L’esprit philosophe serait la synthèse scientifique ou le résumé des
réalités contradictoires d’une époque : « Le philosophe est le fils de son
temps »19.

- La dialectique du maître et de l’esclave. Kant pourrait être identifié à un


maître qui décide de sa victoire avant le combat contre son compétiteur. Au
contraire, Hegel n’admet aucune victoire, aucune science véritable, avant la
confrontation dialectique : la conscience de soi véritable vient après la
reconnaissance par autrui.

En effet, nous pouvons imaginer deux consciences en quête de


reconnaissance. Dans cette situation, seul le conflit permet de définir le maître
provisoire (la conscience victorieuse) et l’esclave provisoire (la conscience
défaite). Cependant, l’esprit esclave s’enrichit de sa confrontation avec la
matière (le travail) pour retourner s’imposer comme le nouveau maître, du
moins comme un maître encore provisoire.

1.2.4 La dialectique dans le matérialisme et l’historicisme de Marx


Karl Marx (1818-1883) est un philosophe matérialiste, un économiste et
un dialecticien allemand de l’époque contemporaine. Les marxistes (Marx,
Engels et Lénine) empruntent puis modifient la dialectique hégélienne : « La
dialectique est l’étude des contradictions l’essence même des choses » pense V.
Lénine.

18
HEGEL F., La phénoménologie de l’esprit.
19
HEGEL F., Principes de la philosophie du droit.
D r D . F O F A N A e t D r F . D I A R R A - P H I L O G E N E R A L E L 2 S A | 12

Pour Marx, la vie, l’histoire et la vérité scientifique sont des mouvements


qui englobent des conflits dialectiques entre des éléments opposés. C’est par des
rapports conflictuels qu’il explique les réalités naturelles et culturelles. Il y a
certes des relations étroites entre les formes de la conscience sociale (la morale,
la religion, la philosophie, etc.) et la réalité sociale vécue. Toutefois la
dialectique hégélienne est renversée chez Marx. Pour ce dernier, ce n’est pas les
idées et la raison qui initient le mouvement, pour produire l’histoire et la réalité
matérielle. Au contraire, ce sont les conflits d’intérêts matériels (les combats
existentiels autour des richesses économiques, autour des infrastructures) qui
produisent les idées et les idéologies (les superstructures). La matière forge la
raison : « Ce n’est pas la conscience des hommes qui déterminent leur existence,
c’est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience »20.

-Le matérialisme historique. C’est la conception marxiste de l’histoire. Les


conflits matériels entre les classes sociales font évoluer la pensée et l’histoire.
L’histoire humaine a toujours été une lutte entre classes conscientes mais
opposées, entre oppresseurs et opprimés. La lutte finit toujours par une
transformation révolutionnaire de la société entière.

-Le matérialisme dialectique. Le marxisme explique l’origine de la pensée et


des idées, à partir des phénomènes matériels. Connaître, c’est transformer la
matière en idées, en pensées : « les concepts sont les produits les plus élevés du
cerveau qui lui-même est le produit le plus élevé de la matière » Lénine.

Les idées tirées de la vie matérielle reviennent modifier cette même vie
matérielle. Donc, la matière et l’idée s’expliquent mutuellement, dans une union
dialectique : on dit que le marxisme est un matérialisme dialectique

1.3 La philosophie comme une épistémologie

20
MARX K., Critique de l’économie politique.
D r D . F O F A N A e t D r F . D I A R R A - P H I L O G E N E R A L E L 2 S A | 13

1.3.1 Des définitions étymologiques : la philosophie et l’épistémologie

La philosophie est l’amour du savoir : du grec philein, aimer et sophia,


sagesse, science, savoir. Le philosophe et médecin allemand Karl Jaspers en
donne une définition : « Le mot grec « philosophe » (philosophos) est formé par
opposition à sophos. Il désigne celui qui aime le savoir, par différence avec
celui qui, possédant le savoir, se nomme savant. »21

L’épistémologie et la philosophie se retrouvent dans leurs définitions


étymologiques. La philosophie est l’amour de tous les savoirs. Elle s’intéresse
donc au savoir scientifique. Or l’épistémologie porte sur un tel savoir : du grec
epistêmê, science et de logos, étude.

1.3.2 L’épistémologie : une fonction première des philosophes


Le terme épistémologie n’apparait pas avec celui de philosophie, puisque
c’est en 1854 que nous découvrons le néologisme avec le métaphysicien anglais
James Ferrier (1808-1864). Non plus, les contenus que nous plaçons aujourd’hui
dans ce terme n’ont pas été perçus par les premiers philosophes comme pouvant
constituer une discipline séparée. Du début de l’histoire de la philosophie, c’est-
à-dire depuis l’Antiquité, jusqu’à des moments assez récents, il n’était pas
possible de parler d’une démarcation entre la philosophie et les sciences. On ne
pouvait aucunement concevoir une discipline qui appliquerait l’une à l’ensemble
constitué par les autres, car il n’y avait pas de dualité.

La philosophie elle-même était la science, et le philosophe antique Aristote a


appelé philosophe, celui qui possède la totalité du savoir dans la mesure du
possible. Il en fut ainsi jusqu’au 17e siècle avec le philosophe et scientifique
Descartes chez qui

21
JASPERS K., Introduction à la philosophie.
D r D . F O F A N A e t D r F . D I A R R A - P H I L O G E N E R A L E L 2 S A | 14

« Toute la philosophie est comme un arbre, dont les racines sont la métaphysique, le tronc
est la physique et les branches qui sortent de ce tronc sont toutes les autres sciences, qui se
réduisent à trois principales, à savoir la médecine, la mécanique et la morale »22.

Par cette cohésion entre la philosophie et les sciences, nous retrouverons les
mêmes noms de Pythagore de Samos (v. 570-v. 490 av. J.-C.), Descartes,
Leibniz (1646-1716), Newton (1642-1727), aussi bien dans les manuels de
mathématiques et de physiques que dans les livres de philosophie.

22
DESCARTES R., Principes de la philosophie.
D r D . F O F A N A e t D r F . D I A R R A - P H I L O G E N E R A L E L 2 S A | 15

CHAPITRE 2 : LA PHILOSOPHIE ET L’EPISTEMOLOGIE


DESCRIPTIVE

2.1 L’épistémologie descriptive : l’objectivisme et le subjectivisme avec


Russell, Bachelard et Popper

2.1.1 Les définition des termes

L’épistémologie descriptive est l’ensemble des théories philosophiques


et scientifiques qui décrivent et expliquent les contenus du monde scientifique :
les méthodes, les paradigmes, les découvertes, la valeur de la vérité scientifique,
etc. Il s’agit de faire un jugement de réalité, pour exprimer ce qui est.

Deux modes majeurs de l’épistémologie descriptive sont étudiés ici. Il y a,


en premier lieu, l’objectivisme. Il regroupe les théories qui soutiennent que
l’activité scientifique décrit la vérité de façon objective. L’objet est conçu
comme le centre de la science. La théorie du langage de Bertrand Russell en est
un exemple. En second lieu, il y a le subjectivisme. Il regroupe des théories qui
accordent une place privilégiée à la liberté et à la conscience de l’homme. Le
sujet est conçu comme le centre de la science. Bachelard, Popper, Althusser et
Foucault, en opérant une coupure épistémologique, adhèrent à cette dernière
position épistémologique.

2.1.2 L’objectivisme avec Russell

Philosophe logicien, mathématicien, épistémologue et littéraire


britannique, Bertrand Arthur William Russell, 3e comte Russell (1872 - 1970),
lui-même influencé par le logicien anglais John Stuart Mill (1806 - 1873),
influencera considérablement la philosophie du 20e siècle.

La philosophie objectiviste de Russell ne privilégie pas une méthode


d’analyse particulière. Pour lui, l’essentiel est de comprendre la rigueur du
cheminement mathématique et de l’appliquer aux divers travaux humains,
D r D . F O F A N A e t D r F . D I A R R A - P H I L O G E N E R A L E L 2 S A | 16

particulièrement dans la connaissance du monde. Quel que sera le domaine


d’investigation, un homme de méthode restera plus efficace, parce qu’il déplie et
divise la réalité pour mieux la comprendre en toute objectivité, par la rigueur des
mathématiques. Par sa philosophie du langage, il veut exprimer la réalité
objective telle qu’elle est réellement.

Texte d’étude :
« La théorie du jugement que je défends consiste à dire que le jugement n’est pas une
relation duale de l’esprit à un objectif unique, mais une relation multiple de l’esprit
aux différents autres termes avec lesquels le jugement a affaire. Ainsi, si je juge que A
aime B, il ne s’agit pas d’une relation de moi-même à « l’amour de A pour B », mais
une relation entre moi-même, A, B et l’amour. S’il s’agissait d’une relation entre moi-
même et « l’amour de A pour B », cette relation ne pourrait exister que s’il existait
quelque chose comme « l’amour de A pour B », c’est-à-dire à condition que A aime B,
c’est-à-dire à condition que le jugement soit vrai ; mais en fait des jugements faux sont
possibles. Lorsque le jugement est considéré comme une relation entre moi-même, A,
l’amour et B, le simple fait que le jugement soit énoncé n’implique pas une relation
entre ses objets A, l’amour et B ; ainsi la possibilité de jugements faux est entièrement
préservée. Lorsque le jugement est vrai, A aime B ; dans ce cas il y a donc une relation
entre les objets du jugement. Par conséquent, nous pouvons établir la différence entre
le vrai et le faux de la manière suivante : tout jugement est une relation d’un esprit à
plusieurs objets dont l’un est une relation ; le jugement est vrai lorsque la relation qui
est l’un des objets relie les autres objets, sinon il est faux. Ainsi dans l’exemple ci-
dessus, l’amour, qui est une relation, est l’un des objets du jugement, et le jugement
est vrai si l’amour relie A et B. La formulation qui précède appelle quelques précisions
supplémentaires qui seront données par la suite ; pour l’instant, nous pouvons y voir
une première approximation.
L’un des mérites de la théorie exposée ci-dessus est d’expliquer la différence entre
jugement et perception, et pourquoi la perception n’est pas susceptible d’erreur comme
le jugement. Tant que nous nous en tenions à la théorie selon laquelle le jugement
consiste en une relation duale de l’esprit à un objectif simple, la théorie fonctionnait
admirablement pour les jugements vrais, mais elle ne permettait pas de rendre compte
des jugements faux. Or cette difficulté ne vaut pas pour la théorie de la perception
correspondante. Il est vrai que dans certains cas la perception apparaît erronée, comme
dans le cas des rêves et des hallucinations. Je crois cependant que dans tous ces cas-là,
la perception elle-même est correcte, et ce qu’il y a de faux réside dans un jugement
fondé sur la perception. Développer ce thème nous éloignerait beaucoup trop de notre
sujet, car il nous faudrait examiner la relation entre les sense-data (c’est-à-dire les
choses que nous percevons immédiatement) et ce que nous pouvons appeler la réalité
physique, autrement dit ce qui existe indépendamment de nous et de nos perceptions.
En tenant pour acquis le résultat d’un tel examen, j’admettrai que la perception, en tant
qu’elle s’oppose au jugement, n’est jamais dans l’erreur, ce qui signifie que, chaque
fois que nous percevons quelque chose, ce que nous percevons existe, au moins tant
que nous le percevons.
D r D . F O F A N A e t D r F . D I A R R A - P H I L O G E N E R A L E L 2 S A | 17

À partir du moment où l’on admet l’infaillibilité de la perception, il devient permis


d’appliquer à la perception la théorie de l’objectif unique que nous avons trouvée
inapplicable au jugement. Considérons par exemple un cas comme celui des relations
spatiales. Supposons que je voie simultanément, sur ma table, un couteau et un livre, le
couteau étant situé à gauche du livre. La perception me présente un objet complexe
consistant dans le couteau et le livre situés d’une certaine manière l’un par rapport à
l’autre (aussi bien que d’autres objets dont nous pouvons ignorer l’existence). Si je
concentre mon attention sur cet objet complexe et que je l’analyse, il se peut que
j’aboutisse au jugement « le couteau est situé à gauche du livre ». Dans ce cas, le
couteau et le livre et leur relation spatiale sont présents individuellement à mon esprit ;
mais dans la perception, j’avais affaire au tout simple « le couteau-à-gauche-du-livre
». Ainsi, dans la perception, je perçois un seul et unique objet complexe, tandis que
dans un jugement fondé sur la perception, les parties de l’objet complexe se présentent
individuellement, bien que simultanément, devant moi. Pour que je puisse percevoir
un objet complexe comme un « couteau-à-gauche-du-livre », il doit exister un tel
objet, car sans cela ma perception n’aurait pas d’objet, et il n’y aurait donc pas de
perception, puisque la relation de perception réclame les deux termes, celui qui perçoit
et la chose perçue. Mais s’il existe un objet comme « le couteau-à-gauche-du-livre »,
alors le couteau doit être à gauche du livre ; d’où il résulte que le jugement « le
couteau est à gauche du livre » doit être vrai. Ainsi, tout jugement de perception, c’est-
à-dire tout jugement dérivé immédiatement de la perception par simple analyse, doit
être vrai. (Cela ne nous autorise pas, dans tous les cas, à être entièrement certains que
notre jugement est vrai, car il peut se faire que, par inadvertance, nous ne soyons tout
simplement pas parvenus à analyser ce qui était donné dans la perception.) Nous
voyons que dans le cas du jugement de perception il y a, correspondant au jugement,
un certain objet complexe qui est perçu, comme un complexe, dans la perception sur
laquelle le jugement est fondé. C’est parce qu’il y a un tel objet complexe que le
jugement est vrai. Cet objet complexe, dans les cas où il est perçu, est l’objectif de la
perception. Là où il n’est pas perçu, il est encore la condition nécessaire et suffisante
de la vérité du jugement. Il y a eu un événement complexe comme « la mort de
Charles Ier sur l’échafaud » ; c’est pourquoi le jugement « Charles Ier est mort sur
l’échafaud » est vrai. Il n’y a jamais eu un événement complexe comme « la mort de
Charles Ier dans son lit » ; c’est pourquoi le jugement « Charles Ier est mort dans son
lit » est faux. Si A aime B, il y a un objet complexe comme « l’amour de A pour B » et
vice versa ; ainsi l’existence de cet objet complexe donne la condition de la vérité du
jugement « A aime B ». Et la même chose vaut dans tous les autres cas.
Nous sommes désormais en mesure de donner une explication exacte de la «
correspondance » qui constitue la vérité. Prenons le jugement « A aime B ». Il consiste
en une relation de la personne qui juge à A, à l’amour et à B, c’est-à-dire aux deux
termes A et B et à la relation « amour ». Mais ce jugement n’est pas le même que le
jugement « B aime A » ; ainsi la relation ne doit pas se présenter de manière abstraite à
l’esprit, mais elle doit se présenter à lui comme allant de A à B plutôt que de B à A.
L’objet complexe « correspondant » qui est requis pour rendre vrai le jugement
consiste en A relié à B par la relation qui se présentait à nous dans notre jugement.
Nous pouvons distinguer deux « sens » d’une relation selon qu’elle va de A à B ou de
B à A. La relation, telle qu’elle intervient dans le jugement, doit donc avoir un « sens »
et elle doit avoir le même dans l’objet complexe correspondant. Donc le jugement
selon lequel deux termes entretiennent une certaine relation R est une relation de
l’esprit aux deux termes et à la relation R avec son sens approprié : le complexe «
correspondant » consiste dans les deux termes reliés par la relation R avec le même
D r D . F O F A N A e t D r F . D I A R R A - P H I L O G E N E R A L E L 2 S A | 18

sens. Le jugement est vrai lorsqu’il y a un tel complexe, et faux lorsqu’il n’y en a pas.
La même explication vaut, mutatis mutandis, pour tout autre jugement. Cela nous
fournit la définition de la vérité et de la fausseté.
Nous voyons que, selon l’explication qui précède, le vrai et le faux sont avant tout des
propriétés des jugements, et par conséquent qu’il n’y aurait ni vérité ni fausseté s’il
n’existait pas d’esprit. Néanmoins, la vérité ou la fausseté d’un jugement donné ne
dépend ni de la personne qui l’énonce ni du moment où il est énoncé, puisque le
complexe « correspondant », et dont dépend sa vérité ou sa fausseté, ne contient pas la
personne qui juge comme constituant (sauf, naturellement, lorsque le jugement se
révèle porter sur soi-même). Ainsi le mélange de dépendance et d’indépendance à
l’égard de l’esprit que nous avons relevé comme une caractéristique de la vérité est
entièrement préservé par notre théorie.
Les questions de savoir quelles choses sont vraies et lesquelles sont fausses, si nous
connaissons quelque chose, et dans cette hypothèse, comment nous parvenons à le
connaître, découlent de la question « qu’est-ce que la vérité ? », et sauf brièvement
dans le cas du jugement de perception, j’ai évité de telles questions dans la discussion
qui précède, non pas parce qu’elles sont d’un moindre intérêt, mais afin d’éviter
d’obscurcir la question. C’est l’une des raisons du lent progrès de la philosophie que
ses questions fondamentales ne sont pas celles qui intéressent le plus les gens, et qu’il
existe, en conséquence, une tendance à aller de l’avant sans s’assurer préalablement
des fondations. Afin de vaincre cette tendance, il est nécessaire de distinguer les
questions fondamentales et de les examiner sans trop se préoccuper de leurs éventuels
développements ; c’est ce que j’ai essayé de faire pour l’une de ces questions au cours
des pages qui précèdent. »
Bertrand Russell, Essais philosophiques.

2.1.3 Le subjectivisme avec Bachelard et Popper

- Le subjectivisme avec Gaston Bachelard

Gaston Bachelard (1884-1962) est un épistémologue français. Il reconnait


que les sciences dites objectives ont souvent des valeurs non négligeables. Par
exemple, la représentation géométrique est une méthode pédagogique
acceptable, pour décrit une réalité sensible et simple. Mais il en est autrement
dans les vraies sciences.

Dans La formation de l’esprit scientifique (1938), Bachelard soutient que


« les tendances normales de la connaissance sensible, tout animées qu’elles sont
de pragmatisme et de réalisme immédiats ne déterminaient qu’un faux départ,
qu’une fausse direction. » Pour l’auteur, il ne faut pas se fier immédiatement à
l’objet d’étude, comme l’homme ordinaire le fait. Un scientifique construit
D r D . F O F A N A e t D r F . D I A R R A - P H I L O G E N E R A L E L 2 S A | 19

progressivement la vérité en fonction de son expérience subjective et récurrente,


c’est-à-dire « En revenant sur un passé d’erreurs, on trouve la vérité en
véritable repentir intellectuel. »

-Les critiques de l’objectivisme et de l’historicisme avec Karl Popper

Karl Raimund Popper (1902-1994) est un philosophe des sciences


britannique. Dans sa théorie descriptive, il rejette la prétention des scientifiques
à vouloir atteindre la vérité en toute objectivité. Il rejette l’induction de Francis
Bacon qui prétend saisir la réalité objective en partant de l’observation
impartiale de l’objet d’étude. De même, Popper critique le déterminisme
historique (l’historicisme) tel que cela revient chez Hegel et Marx. Pour
l’épistémologue britannique, c’est l’irrésolution qui règne dans l’univers.

Popper pense que la méthode inductive ne permettrait ni la découverte ni


la confirmation des hypothèses scientifiques (les énoncés généraux). Ces
énoncés ne sont pas formés à partir de l'observation de régularités, mais sont le
fruit de l'imagination créatrice du sujet scientifique. Il revient donc au
scientifique, à partir de la méthode déductive, de se construire une science qui
sera d’ailleurs toujours provisoire.

Texte d’étude :
Nous pouvons si nous le voulons distinguer quatre étapes différentes au cours
desquelles pourrait être réaliser la mise à l’épreuve d’une théorie. Il y a, tout d’abord,
la comparaison logique des conclusions entre elles par laquelle on éprouve la
cohérence interne du système. En deuxième lieu s’effectue la recherche de la forme
logique de la théorie, qui a pour objet de déterminer si elle constituerait un progrès
scientifique au cas où elle survivrait à nos divers tests. Enfin, la théorie est mise à
l’épreuve en procédant à des applications empiriques des conclusions qui peuvent en
être tirées.
Le but de cette dernière espèce de test est de découvrir jusqu’à quel point les
conséquences nouvelles de la théorie – quelle que puisse être la nouveauté de ses
assertions – font face aux exigences de la pratique, surgies d’expérimentations
purement scientifiques ou d’applications techniques concrètes. Ici encore, la procédure
consistant à mettre à l’épreuve est déductive. A l’aide d’autres énoncés préalablement
acceptés, l’on déduit de la théorie certains énoncés singuliers que nous pouvons
appeler « prédictions » et en particulier des prévisions que nous pouvons facilement
D r D . F O F A N A e t D r F . D I A R R A - P H I L O G E N E R A L E L 2 S A | 20

contrôler ou réaliser. Parmi ces énoncés l’on choisit ceux qui sont en contradiction
avec elle. Nous essayons ensuite de prendre une décision en faveur (ou à l’encontre)
de ces énoncés déduits en les comparant aux résultats des applications pratiques et des
expérimentations. Si cette décision est positive, c’est-à-dire si les conclusions
singulières se révèlent acceptables, ou vérifiées, la théorie a provisoirement réussi son
test : nous n’avons pas trouvé de raison de l’écarter. Mais si la décision est négative
ou, en d’autres termes, si les conclusions ont été falsifiées, cette falsification falsifie
également la théorie dont elle est également déduite.
Il faudrait noter ici qu’une décision ne peut soutenir la théorie que pour un temps car
des décisions négatives peuvent toujours l’éliminer ultérieurement. Tant qu’une
théorie résiste à des tests systématiques et rigoureux et qu’une autre ne la remplace pas
avantageusement dans le cours de la progression scientifique, nous pouvons dire que
cette théorie a « fait ses preuves » ou qu’elle est « corroborée ».
Karl Popper, La logique de la découverte scientifique.

2.2 Le renouveau de l’épistémologie marxiste avec Althusser et Foucault

2.2.1 Le matérialisme aléatoire avec Louis Althusser

Louis Althusser (1918-1990) est un philosophe français de tendance


marxiste. Dans ses œuvres structuralistes, en l’occurrence Pour Marx et Lire le
Capital, il se propose de réécrire la théorie sociologique de Karl Marx, en la
nettoyant des idées de la jeunesse de son auteur : l’hégélianisme, l’humanisme et
le déterminisme historique.

Dans théorie critique (le matérialisme aléatoire), Althusser pense que la


société n’est pas fondée sur des classes d’hommes aux intérêts opposés, c’est-à-
dire des hommes oppresseurs et opprimés. Pour lui, la société est une hiérarchie
de structures distinctes, autonomes et déterminées par des facteurs économiques.
L’histoire ne suit pas un déterminisme rationnel. Dit-il « l’histoire est un
processus sans sujet ». Les hommes ne sont que les supports et les effets des
structures qui sont en conflits dialectiques.

2.2.2 Michel Foucault

Paul-Michel Foucault (1926-1984) est un philosophe français assez souple


dans sa théorie. Il pense que la vérité scientifique est tributaire de la méthode
employée, celle-ci est évolutive. Les représentations des phénomènes sociaux et
D r D . F O F A N A e t D r F . D I A R R A - P H I L O G E N E R A L E L 2 S A | 21

humains changent radicalement par la manière de les approcher. Dans Les Mots
et les choses, Foucault énonce deux concepts intéressants : la formation
discursive (le regard critique du sujet sur lui-même et sur ses propres
conceptions) et la coupure épistémologique (le fait de rompre avec son passé,
étape par étape, pour évoluer vers de nouvelles conceptions). La vérité, la
philosophie et la science évoluent par trahison.
D r D . F O F A N A e t D r F . D I A R R A - P H I L O G E N E R A L E L 2 S A | 22

CHAPITRE 3 : LA PHILOSOPHIE ET L’EPISTEMOLOGIE


PRESCRIPTIVE

3.1 La définition de l’épistémologie prescriptive

L’épistémologie prescriptive est la critique morale que la philosophie


adresse à la science. Il s’agit de faire un jugement de valeur en exprimant ce qui
doit être. La philosophie est une discipline morale qui s’est toujours préoccupée
des motivations et des actions pratiques de l’homme.

3.2 La morale comme une épistémologie prescriptive : Platon et Rousseau

Comme nous le voyons avec Platon, des philosophes ont critiqué


l’enrichissement matériel non éclairée par une conscience capable de faire la
part des choses. Effectivement, il est nécessaire de connaître le bien, c’est-à-dire
d’avoir une idée des conditions générales dans lesquelles une quête particulière
devient bénéfique, non seulement pour l’agent, mais aussi pour toute la
collectivité humaine, car

« Même si, sans tracas de notre part et sans fouiller le sol, tout l’or du monde tombait
entre nos mains, en sorte que nous aurions beau savoir transformer les rochers en or,
notre science n’aurait aucune valeur. Car si nous ne savons pas aussi nous servir de
l’or, il n’a, nous l’avons prouvé, aucune utilité. »23

A l’origine, les hommes pensaient, de bonne foi, trouver dans le


développement des sciences de la nature, des moyens certains pour remédier aux
souffrances matérielles, telles que les maladies, les adversités naturelles et
l’absence d’instruments techniques pour accroitre les rendements humains,
quoiqu’ils n’ignorassent pas que des desseins malveillants pouvaient toujours
prendre ce développement en otage. Pour sa part, Descartes s’est clairement lavé
les mains de toute intention de déployer les sciences pour un dessein personnel
détaché du bien général de l’Homme : « Ni l'honneur, ni le gain qu'elles
promettent, n'étaient suffisants pour me convier à les apprendre ; car je ne me

23
PLATON, Euthydème.
D r D . F O F A N A e t D r F . D I A R R A - P H I L O G E N E R A L E L 2 S A | 23

sentais point, grâces à Dieu, de condition qui m'obligeât à faire un métier de la


science, pour le soulagement de ma fortune »24.

Malheureusement, les sciences de la nature et leur application technique


sont devenues un véritable danger pour la survie de l’humanité. Nous nous
demandons finalement si les hommes n’ont pas pris ce qui n’était que du cuivre
pour de l’or.

Rousseau n’a pas douté de l’existence d’une erreur humaine. Pour lui les
sciences et les arts (la technique) sont des facteurs de déshumanisation. Les
sciences et techniques ont donné naissance au mal social : des adultes précoces,
des égoïstes, des êtres humains faibles dans « le corps et l’esprit »25. Mais c’est
une illusion que de vouloir rétrograder l’humanité dans le temps, pour retourner
à un paradis préscientifique perdu où l’homme menait une existence naturelle,
simple et pleine de compassion vis-à-vis de l’autre. Rousseau mise plutôt sur
une nouvelle éducation, une libération de l’enfant du carcan d’un monde faussé :
« L’éducation que reçoit Émile obéit à un grand principe : laisser une liberté se
confronter aux nécessités de la nature. »26

3.3 Les critiques morales et écologistes à l’époque contemporaine

La décadence morale issue de l’activité technologique s’est accentuée,


avec le machinisme du 19e siècle, avec la perversion dans la conception même
du travail. Marx résume l’une des conséquences du développement égoïste de la
technique : en s’appropriant les moyens technologiques de production matérielle
et l’Etat, la minorité bourgeoise a aliéné la classe ouvrière, en la transformant en
une vulgaire machine de production de biens :

« L’ouvrier s’appauvrit d’autant plus qu’il produit plus de richesse, que sa production
croît en puissance et en volume. L’ouvrier devient une marchandise. Plus le monde

24
DESCARTES R., Discours de la méthode.
25
ROUSSEAU J.-J., Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes.
26
ROUSSEAU J.-J., Émile ou De l’éducation.
D r D . F O F A N A e t D r F . D I A R R A - P H I L O G E N E R A L E L 2 S A | 24

des choses augmente en valeur, plus le monde des hommes se dévalorise ; l’un est en
raison de l’autre. »27

Les conséquences des activités scientifiques et techniques ont dépassé les


niveaux de la décadence morale. Elles deviennent de vrais problèmes
environnementaux et écologiques. L’humanité est menacée d’une mort lente, par
l’accélération du réchauffement climatique sous l’effet des rejets anthropiques
de dioxyde de carbone et de méthane des industries. Les conséquences sont
l’augmentation du niveau moyen des mers, le rétrécissement des espaces vitaux
des populations et de la faune polaires, sous l’effet de la fonte des glaciers. Des
pays à faible altitude, tels que le Pays-Bas et le Bangladesh, sont fortement
menacés. L’accélération de ce réchauffement favorise l’expansion de certaines
maladies dont le paludisme avec l’expansion de l’aire de répartition des
moustiques. Les dangers nés de l’exploitation technique de la nature n’ont pas
de frontières. Paradoxalement, cette destruction touche encore plus les pays
pauvres du globe, comme le dénonce les analyses actuelles de l’épistémologue
burkinabé Gomdaogo Pierre Nakoulima :

« La dette que l’occident a contractée envers les pays les plus pauvres est écrasante
car c’est d’abord en effet dans le Sud que le désert croît, que les sols s’érodent, que
l’eau se raréfie, que les pandémies se développent, que les vagues migratoires se
préparent… et c’est encore dans le tiers-monde que les usines polluantes du Nord se
délocalisent, que les déchets empoisonnés, en toute impunité, sont expédiés et
stockés… »28.

L’homme se nuit, en nuisant à la Terre. La vie humaine est déterminée par


la bonne santé de la Terre sur laquelle il existe.

« La terre ne peut plus être traitée comme un simple objet, comme une matière inerte,
utilisable, façonnable n’importe comment selon le bon vouloir humain. Elle doit être
perçue comme un organisme vivant qui peut être en bonne ou mauvaise santé, et qui
peut être blessée ou tuée. »29

27
MARX K. H., Manuscrits de 1844.
28
WARIN F., La préservation de la planète - défis contemporains de la modernité, préface.
29
NAKOULIMA G. P., La préservation de la planète - défis contemporains de la modernité.
D r D . F O F A N A e t D r F . D I A R R A - P H I L O G E N E R A L E L 2 S A | 25

Il s’agit à présent de réviser le projet cartésien : « La célèbre formule de


Descartes doit être revue : il ne s’agit plus de se rendre maître et possesseur de
la nature mais de la technique. »30

Avant même de la tuer lentement par la pollution, le technicien


d’aujourd’hui a créé les conditions pour directement anéantir la Terre. Il a forgé
une technologique épée de Damoclès dans des capacités thermonucléaires et des
réserves biochimiques, pour donner naissance à la haute technologie militaire,
continue le philosophe français Jacques Bouveresse, afin de « nous mettre en
état de faire disparaître notre espèce de la face de la terre jusqu’au dernier
exemplaire. »31

30
NAKOULIMA G. P., La préservation de la planète - défis contemporains de la modernité.
31
BOUVERESSE J., Rationalité et cynisme.
D r D . F O F A N A e t D r F . D I A R R A - P H I L O G E N E R A L E L 2 S A | 26

Conclusion

Les thèmes de la philosophie des sciences tissent entre eux des rapports
qui n’échappent pas aux regards attentifs. Ainsi, si la logique est la forme juste
du discours scientifique et du raisonnement, elle fait directement appel aux
règles de la méthode rigoureuse. De cette manière, ce n’est pas une erreur de
confondre les deux concepts si importants que sont la logique et la méthode.
Toute méthode scientifique se veut logique, pour aider la raison dans son travail.
Il est impossible d’être logique dans l’interprétation du monde sans au préalable
installer une méthode adéquate. Par contre, les méthodes et logiques
particulières sont divergentes. Elles se critiquent, pour ainsi dire, elles font de la
coupure épistémologique. Et cette critique apparait inlassablement, lorsqu’on
passe des préceptes objectiviste de Descartes au bouleversement
épistémologique opéré par Kant. La critique et la divergence sont partout réelles
et porteuses de richesses culturelles : entre les méthodes dialectiques (Platon,
Hegel, Marx), entre les modes de l’épistémologie (l’objectivisme de Russell, les
formes diverses du subjectivisme apportées par Bachelard, Popper, Althusser et
Foucault, l’épistémologie prescriptive…).

Par ailleurs, le rapport entre la philosophie et l’épistémologie est


indiscutable. L’épistémologie est la critique philosophie appliquée à la science
et à la technique transformatrice, sur les plans descriptifs et prescriptifs. Depuis
toujours, les mêmes auteurs sont à l’origine de la philosophie, de
l’épistémologie et de la science.

Les philosophes des sciences se sont définis comme les porteurs de


critiques les plus objectives et subjectives, pour conduire le monde scientifique
au changement de paradigmes. Dans cette tâche déterminante, ils sont présentés
comme des jalons de la pensée évolutive. Ils renouvellent la culture.
D r D . F O F A N A e t D r F . D I A R R A - P H I L O G E N E R A L E L 2 S A | 27

Bibliographie

ALTHUSSER Louis, 2017, Idéologie et appareils idéologiques de l’Etat,


Québec, version numérique, J.-M. Tremblay. Site web :
http://classiques.uqac.ca/.

ALTHUSSER Louis, BALIBAR Etienne, ESTABLET Roger, MACHEREY


Pierre, RANCIERE Jacques, 1965, Lire le capital, Paris, PUF.

BACHELARD Gaston, 1938, La formation de l’esprit scientifique, Paris, Vrin.

AUBENQUE Pierre, BERNHARDT Jean, CHATELET François, 1972, La


philosophie païenne du VIe siècle avant J.C au IIIe siècle après J.C., Paris,
Hachette.

BOUVERESSE Jacques, 1985, Rationalité et cynisme, Paris, Minuits.

DESCARTES René, 1966, Œuvres et Lettres de Descartes, Bruges, Gallimard.

ENGELS Friedrich, 1971, L’origine de la famille, de la propriété privée et de


l’Etat, traduction J. Stern, Paris, Editions Sociales.

FOUCAULT Michel, 1969, L’Archéologie du savoir, Paris, Gallimard.

FOUCAULT Michel, 1966, Les Mots et les Choses, Paris, Gallimard.

HEGEL Friedrich, 1947, La phénoménologie de l’esprit, traduction J. Hyppolite,


Paris, Aubier.

HEGEL Friedrich, 1970, Principes de la philosophie du droit, traduction J.


Tricot, Paris, Gallimard.

JASPERS Karl, 2001, Introduction à la philosophie, Paris, 10/18.

KANT Emmanuel, 1965, Critique de la raison pratique, traduction F. Picavert,


Paris P.U.F.
D r D . F O F A N A e t D r F . D I A R R A - P H I L O G E N E R A L E L 2 S A | 28

LEIBNIZ Gottfried Wilhelm, 1996, La Monadologie, Paris, Garnier-


Flammarion.

MARX Karl, 1968, Manuscrits de 1844, traduction M. Rubel, Paris, Gallimard.

MARX Karl, 1965, Critique de l’économie politique, traduction M. Rubel et L.


Evrard, Paris, Gallimard.

MARX Karl, 1966, L’idéologie allemande, traduction R. Cartelle et G. Badia,


Paris, Sociales.

NAKOULIMA Gomdaogo Pierre, 2010, La préservation de la planète, défis


contemporains de la modernité, Paris, Harmattan.

NEWTON Isaac, 2011, Les principes mathématiques de la philosophie


naturelle, Malakoff, Dunod.

PLATON, 1965, Apologie de Socrate, traduction É. Chambry, Paris, GF-


Flammarion.

PLATON, 1966, Protagoras, Euthydème, Gorgias, Ménexène, Ménon, Cratyle,


traduction É. Chambry, Paris, GF-Flammarion.

PLATON, 1966, La République, traduction R. Baccou, Paris, GF-Flammarion.

POPPER Karl Raimund, 1973, La logique de la découverte scientifique,


traduction N. Thyssen-Rutten et P. Devaux, Paris, Payot.

POPPER Karl Raimund, 1984, L’univers irrésolu, traduction R. Bouveresse,


Paris, Hermann.

ROUSSEAU Jean-Jacques, 1971, Discours sur l’origine et les fondements de


l’inégalité parmi les hommes, Paris, Garnier-Flammarion.

ROUSSEAU Jean-Jacques, 1966, Du Contrat Social, Paris, Flammarion.


D r D . F O F A N A e t D r F . D I A R R A - P H I L O G E N E R A L E L 2 S A | 29

ROUSSEAU Jean-Jacques, 2009, Emile ou de l’éducation, Paris, GF-


Flammarion.

SERRES Michel, 1982, Le système de Leibniz et ses modèles mathématiques,


Paris, PUF.

TYBURCE Bernard, 2015, La science selon Galilée, Descartes et Newton,


Paris, Ellipse.

Vous aimerez peut-être aussi