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Le test du Rorschach: fondements théoriques

Chapter · October 2013

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Anne Andronikof Patrick Fontan


Université Paris Ouest Nanterre La Défense Université Paris Ouest Nanterre La Défense
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Andronikof, A., & Fontan, P. (2013). Le test du Rorschach: fondements théoriques. In J.
Englebert (Ed.), Test de Rorschach et Perception: Perspectives cognitives et
phénoménologiques (Vol. 20-21, pp. 13-22). Paris: Vrin.

La psychologie, en tant que discipline académique et en tant que pratique, s’est résolument
affirmée comme discipline scientifique aux antipodes des croyances, superstitions et autres
divinations qui l’ont précédée, sans toutefois les faire disparaître. L’idée de classer les
êtres humains selon leur type de personnalité est très ancienne, la médecine depuis
Hippocrate ayant toujours établi des correspondances entre les particularités de
fonctionnement des organes du corps et des caractéristiques psychologiques. C’est d’ailleurs
dans cette tradition médicale que se situe le modèle du développement libidinal psycho –
sexuel imaginé par Sigmund Freud et les correspondances de caractère développées à sa
suite par Karl Abraham. Du côté de la psychologie, c’est probablement Carl Gustav Jung
qui a produit l’une des premières typologies de personnalité en se fondant uniquement sur
des critères psychologiques : introversion, extraversion (C.G. Jung, 1921). C’est aussi lui
qui a inventé une méthode d’exploration des complexes, dans la perspective de la
psychologie des profondeurs, qui se fonde sur les réactions émotionnelles des sujets
investigués, si l’on veut bien considérer que les émotions, quoique conservant une assise
physiologique, sont des phénomènes proprement psychologiques. (C.G. Jung, 1910)

L’idée que des taches d’encre obtenues de manière aléatoire pouvaient stimuler
l’imagination s’est répandue en Europe dès la fin du XIXe siècle, d’une part en tant qu’un
jeu de société (Klechsografie) et d’autre part comme stimulus à la créativité dans diverses
tentatives pour inclure les taches d’encre dans des tests psychologiques. Alfred Binet lui-
même, avait expérimenté les taches d’encre comme stimulus à la créativité. On estimait
alors que l’activité imaginative provoquée par les taches d’encre était similaire à celle que
déclenchait l’observation des nuages dans le ciel. Hermann Rorschach, jeune psychiatre
suisse du début du XXe siècle, eut l’idée d’utiliser les taches d’encre dans une
perspective complètement différente.

L’aventure intellectuelle d’Hermann Rorschach s’origine probablement dans sa thèse de


médecine soutenue en 1912 sous la direction de E. Bleuler, intitulée « Hallucinations-
réflexes et phénomènes associés ». Il y étudie les expériences hallucinatoires de certains
patients hospitalisés en psychiatrie mais sa réflexion commence par l’analyse de certains de
ses propres rêves. L’un d’entre eux l’aura particulièrement marqué, celui dans lequel après
avoir assisté à une séance d’anatomie où l’on découpait le cerveau d’un cadavre, il rêve
que l’on est en train de découper son propre cerveau et il en éprouve des sensations
fortes. Au réveil, il s’étonne d’avoir éprouvé des sensations en rapport avec un événement
qui, par définition, n’a jamais pu être ressenti par quiconque. Il associe cette expérience
étrange à une observation clinique : alors qu’il est dans son bain, un patient mime les
mouvements d’un rameur et hallucine qu’il se trouve au milieu d’un combat naval ; il voit
des navires de guerre, des gens qui nagent et il entend un bruit assourdissant ; au fur et
à mesure que ses mouvements de rames ralentissent, il voit le combat diminuer et des
navires qui sombrent.
Hermann Rorschach en conclut qu’il n’existe en fait pas de séparation entre nos différentes
afférences sensorielles. Il pense que notre perception passe par tous les sens à la fois et
c’est seulement par une « conception intellectuelle » que nous attribuons la perception à
un organe spécifique (par exemple un bruit à l’oreille). Il postule l’existence d’une zone
neurologique de coordination où convergent toutes nos perceptions qui sont alors
transformées en des entités significatives ou, dans ses propres termes, « interprétées ». Il
ajoute que la justesse de cette interprétation dépend de nos états de conscience et que
dans certains cas les perceptions peuvent être mal interprétées et/ou provoquer un train
d’associations d’idées. Cette faculté de transformation, il l’appelle « le principe
kinesthésique ».

Le principe kinesthésique, intuition géniale, deviendra le concept central du modèle de


personnalité qu’Hermann Rorschach développera dans son test.

La construction du test

Les recherches effectuées aux archives Hermann Rorschach situées au Musée et Archives
Hermann Rorschach à Berne (Suisse) ont dévoilé une part du mystère qui entoure ce
test car on y découvre qu’Hermann Rorschach a longuement tâtonné avant de fixer son
choix sur les dix taches d’encre qui constituent aujourd’hui le test : après avoir produit
quantité de taches d’encre plus ou moins aléatoires, il en a sélectionné des parties, qu’il
est arrivé à reproduire plusieurs fois, et les taches d’encre finales semblent bien avoir été
agencées de manière délibérée, conformément à des principes de construction qui sont
exposées dans son livre Psychodiagnostik au chapitre où il donne des instructions pour
l’éventuelle construction de sériesparallèles de planches (Rorschach, 1921/1947).
« La répartition de la tache dans l’espace de la planche doit satisfaire à certaines
conditions du rythme spatial » (…) « Caque image de la série, prise à part, doit
obéir non seulement à ces conditions générales mais encore à des conditions qui
lui sont particulières » (4e édition, p. 1).
Un exemple de ces « conditions particulières ».« Planche II : noire et rouge.
Éveille plus facilement que la pl. I les kinesthésies. Elle contient une figure
intermédiaire frappante. Elle introduit une couleur qui produit déjà parfois une
ébauche de choc-couleur. Le rouge se superpose au noir. (4e édition, p. 43)
Ce qu’il ne dit pas, c’est l’autre idée, l’autre principe de construction qui a présidé à la
fabrication de ses planches et que nous avons découvert aussi dans ses documents
préparatoires. Dans ses carnets privés on trouve en effet des dessins d’objets composites
qui contiennent des informations contradictoires et visent à provoquer un conflit cognitif. Il
dessine par exemple un chat assis que l’on voit de dos mais dont la couleur est celle
d’une grenouille ou encore un écureuil discrètement affublé d’une crête de coq. Nous
pensons aujourd’hui qu’Hermann Rorschach a délibérément introduit dans toutes les
planches des éléments susceptibles de provoquer des conflits de tous ordres (cognitif,
affectif). Aussi, c’est dans la façon dont le sujet va résoudre ces conflits que vont
s’exprimer les caractéristiques de sa personnalité, de sa créativité, de sa pathologie.

Les réponses au test de Rorschach sont donc non pas des faits de perception passive
plus ou moins influencée ou déformée par les préoccupations du moment ou les fantasmes,
mais bien les produits d’un travail mental auquel participent les stratégies individuelles de
résolution de problèmes et la régulation des émotions. Face aux planches du Rorschach le
sujet ne se trouve pas dans un état de douce rêverie, ses facultés mentales sont au
contraire vivement sollicitées.

Ce qu’il ne dit pas non plus c’est la fascination qu’il éprouvait pour les jeux de
perception. On trouve en effet dans ses documents privés une quantité impressionnante de
petites images découpées dans des journaux qui représentent des scènes à première vue
facilement reconnaissables mais où le lecteur doit découvrir quelque objet caché qui, une
fois perçu, va venir modifier le sens global de la scène. Tel par exemple un dessin
bucolique dont l’élément principal est un insecte tranquillement posé sur la tige d’une
plante; or dans le feuillage des arbres sont tapis deux prédateurs prêts à le gober, qui ne
sont perceptibles que si l’on inverse visuellement la figure et le fond. Ou encore, découpée
dans un journal russe, une image qui met en scène deux poivrots qui, à la tombée de la
nuit, se dirigent en titubant vers un banc dans un jardin public ; « où se trouve le
garde ? ». Et voilà l’observateur renvoyé à une activité perceptive fébrile à la recherche
d’une figure à la fois présente et cachée.

Dans la version d’Hermann Rorschach, le test des taches d’encre est tout entier fondé sur
une association complexe entre conflit cognitif, jeu de relation entre figure et fond,
sollicitations émotionnelles contradictoires et superposition de sensations diverses.
« Les interprétations des formes fortuites n’ont cependant rien à voir avec la
fonction de l’imagination (…) Les interprétations des images fortuites se situent
plutôt sous la rubrique de la perception et de l’idée1. » (Ibid. p. 3)

1
Italiques d’Hermann Rorschach.
« L’interprétation des formes fortuites apparaît comme une perception dans laquelle
le travail d’assimilation du complexe de sensations et de l’engramme est si grand
qu’il est justement perçu intérieurement comme un travail d’assimilation2. »(Ibid. p.
4)

Pour expliquer le processus de la réponse, c'est-à-dire ce qui se passe dans la tête d’un
sujet prié de dire « ce que cela pourrait être », Hermann Rorschach insiste beaucoup sur
le rôle de la conscience qu’a le sujet d’interpréter les formes, par opposition à percevoir :
« C’est cette perception intérieure d’une équivalence imparfaite entre le complexe de
sensations et de l’engramme qui donne à la perception le caractère d’une
interprétation ». (Ibid. p. 4)
Hermann Rorschach appelle engramme les « images-souvenirs » disponibles au sujet, et
complexe de sensations les afférences suscitées par une situation ou un objet extérieur, ici
la planche du test. En faisant passer le test à une multitude de sujets il constate que
l’absence de cette conscience d’interpréter (ou « d’assimiler ») ne se rencontre que dans
des pathologies graves (« Chez les déments séniles, les maniaques, les faibles d’esprit,
etc.) (Ils n’interprètent pas les images, ils les définissent. » (Ibid. p. 4).

Pour résumer, on peut dire que les taches d’encre construites par Hermann Rorschach ont
les caractéristiques suivantes : chacune a un certain pouvoir d’évocation (des éléments
« ressemblent » à tel ou tel objet ou « renvoient » à telle ou telle émotion) mais avec
deux particularités : a)les informations véhiculées par les taches ne sont pas nettes et
b)elles sont divergentes, voire contradictoires. C’est ce que la plupart des auteurs
ultérieurs ont appelé « ambigüité » du stimulus. Le sujet, s’il veut bien donner une
réponse, est forcé de se positionner face à cette ambigüité en résolvant le conflit qu’elle
suscite et en choisissant telle représentation plutôt que telle autre.

La complexité du stimulus et de l’activité psychologique qu’il déclenche constituait un défi


pour l’interprétation des réponses. Hermann Rorschach a élaboré, autre coup de génie, un
système d’interprétation à la fois cohérent et sophistiqué qui repose précisément sur son «
principe kinesthésique » à savoir que toute perception est une interprétation c’est-à-dire le
produit d’une transformation produite par un travail mental.

Pour « attraper » ce travail mental Hermann Rorschach se détache de ce que le sujet dit
percevoir (c’est-à-dire du contenu de sa réponse) pour s’intéresser à la façon dont le
sujet traite le stimulus perceptif (c’est-à-dire les éléments du stimulus qu’il a utilisés dans
l’élaboration de sa réponse). Hermann Rorschach est très critique envers ses
prédécesseurs qui ont utilisé des taches d’encre comme un test de créativité ou
d’imagination. Il cite par exemple Szymon Hens (1917), qui avait utilisé des taches

2
idem
d’encre analogues aux siennes pour tester l’imagination d’un grand nombre d’écoliers, et il
commente son travail de thèse de la manière suivante : « Dans son commentaire il touche
à certains des problèmes formels que nous abordons ici, mais il n’a pas pu y pénétrer
profondément parce qu’il s’est trop arrêté d’une part au contenu des interprétations et
d’autre part à la notion d’imagination (…) Ses conclusions se rapportent donc plutôt au
contenu qu’à l’aspect formel des processus de perception. » (Ibid. p. 107).

C’est là la clef de l’interprétation des réponses : il faut s’attacher à « l’aspect formel des
processus de perception. »
Hermann Rorschach était persuadé qu’il tenait là une idée originale et que son test allait
permettre d’établir des diagnostics de personnalité très approfondis – il a intitulé son test
« psychodiagnostic » - mais il estimait que son test en était encore à un stade
expérimental. Il n’a malheureusement pas pu lui-même poursuivre ses recherches car il est
mort peu de temps après la publication de sa monographie.
Beaucoup de psychiatres, de psychologues et de psychanalystes sur tous les continents ont
développé son test, chacun à son idée, avec pour résultat une cacophonie de méthodes
d’interprétation plus ou moins farfelues.

Certains auteurs, tels Bohm (1955), Klopfer (1942), Beck (1937), Piotrowski (1957),
pour ne citer que les principaux, ont tenté de repartir des idées d’Hermann Rorschach
pour en développer certains aspects. La synthèse de tous ces apports a été réalisée aux
Etats-Unis par John Exner, psychologue clinicien, qui a consacré sa vie à élaborer une
méthode qui soit à la fois fidèle à la conception originale d’Hermann Rorschach, valide au
plan psychométrique, pertinente dans la détection des troubles mentaux, et précise dans la
description du fonctionnement psychologique. Entre la première édition du Système Intégré,
en 1974 et la dernière en 2005, John Exner a considérablement enrichi la méthode
(Exner, 1974/2005), aujourd’hui utilisée dans un grand nombre de pays (traduction
française, Exner, 1999).

La méthode élaborée par John Exner est fondée sur un modèle du processus de la
réponse qui distribue la perception-interprétation du stimulus (les taches d’encre) en
plusieurs moments, ou phases distinctes : 1. Saisie perceptive, 2. Afflux d’images, de
sensations, d’idées, 3. Tri des images et 4. Sélection des réponses. Les trois premières
phases se déroulent quasiment instantanément à la présentation d’une planche, alors que la
4enécessite un choix délibéré, conscient, du sujet et prend parfois plusieurs secondes.
L’état psychologique dans lequel se trouve le sujet le jour où il passe le test (gai, triste,
stressé, anxieux etc.), ainsi que son éventuel état psychopathologique, va influencer les
phases 2 et 3 (c’est ce que Hermann Rorschach appelait « les associations
disponibles »), tandis que le choix final des réponses (phase 4) sera aussi déterminé
par des considérations situationnelles, du type ‘qu’est-ce que j’ai intérêt à dire (ou ne
pas dire)’, ‘comment le psychologue va interpréter mes réponses’ ou, typique chez les
enfants ‘qu’est-ce qui va faire plaisir au psychologue’.
En outre, si l’on se souvient que les taches d’encre sont pleines de « dissonances »
cognitives et affectives, le test est assimilable à une tâche de résolution de problèmes. Et
c’est précisément dans la façon dont le sujet va résoudre les problèmes que s’inscrit sa
personnalité de base, quelle que soit son humeur du moment ou sa pathologie.

Le Système Intégré permet de repérer distinctement les différents registres du


fonctionnement psychologique : ce qui relève de l’état pathologique, du stress et de la
personnalité de base. Le fonctionnement psychologique sera décrit dans ses différentes
composantes, à savoir le rapport à la réalité, les types de raisonnement, la gestion des
émotions et des affects, les modalités du rapport à soi-même et aux autres.

Hermann Rorschach, comme on l’a vu, a cherché à élaborer une typologie des
personnalités à partir du modèle jungien introversion/extraversion mais en le rendant plus
complexe. Il a découvert, à partir des réponses données à son test, que les gens étaient
systématiquement sensibles à des caractéristiques différentes des planches : les uns vont
fortement réagir à leurs couleurs, alors que d’autres vont surtout s’attacher à leurs formes,
et d’autres vont « animer » les formes en voyant beaucoup de personnages en
mouvement. Cette sensibilité de base, il l’a appelée « Erlebnis » qui veut dire expérience
(dans le sens de vécu, éprouvé), et en a créé des types (Erlebnistypus), que l’on
repère au test en établissant le rapport entre le nombre de réponses « kinesthésiques »
(personnages en mouvement) et le nombre de réponses plus ou moins influencées par la
couleur. Ce rapport a été merveilleusement traduit en français par Ombredane avec
l’expression « type de résonance intime ».
John Exner a repris cette typologie et compris que ce type de base, ce style de
personnalité, constitue le cadre interne propre à chaque personne, détermine sa modalité de
résolution de problème, colore son rapport au monde. En conséquence le psychologue ne
peut interpréter justement le protocole de test qu’en le situant par rapport au style propre
du sujet. Outre les types « introversif » dilaté/équilibré, « extratensif » dilaté/équilibré,
« coarté » et « ambiéqual », que Hermann Rorschach avait définis, John Exner a décrit
des styles complémentaires : narcissique, passif, hypervigilant, obsessionnel (ou
méticuleux). Connaître le style de base d’un sujet permet de comprendre la forme que
prennent ses difficultés ou ses pathologies et de savoir quelle serait la meilleure façon de
l’aider (quel type de psychothérapie ou de médicaments, de conseils, d’assistance,
d’orientation professionnelle).
Récemment, une nouvelle méthode d’interprétation du Rorschach, a été élaborée aux Etats-
Unis (Meyer, Viglione, Mihura, Erard, & Erdberg, 2011) qui repose sur un modèle
dimensionnel de la personnalité de type « Big Five » (Goldgerg, 1990) et néglige
complètement la notion des styles de personnalité. En outre les modèles dimensionnels, qui
sont fondés sur l’analyse statistique du langage, produisent une conception continue entre
maladie et santé,la différence entre elles étant seulement question de quantité. Or maladie
et santé sont des états différents, qualitativement différents l’un de l’autre, ils engagent
l’ensemble du fonctionnement de l’organisme et/ou de la psyché et modifient le rapport du
sujet au monde et à lui-même. On « bascule » dans la pathologie et on « retourne » à
la santé, tout en sachant que ce retour se fera non pas à l’identique de l’état antérieur,
mais à un état de santé modifié (renforcé, fragilisé, différent …). L’augmentation ou la
diminution (en termes quantitatifs) de certains éléments ou aspects du fonctionnement
peuvent rester dans le cadre de l’homéostasie interne propre au sujet, ou au contraire
atteindre un seuil, ou un agencement, qui provoquera une rupture de celle-ci et, partant,
le poussera à chercher un nouvel équilibre dans le registre pathologique. Il s’agit bien
alors d’un changement de registre, ou de modalité de fonctionnement.

Le Rorschach, et principalement dans la méthode du Système Intégré, reste un outil de


diagnostic psychologique extrêmement puissant, encore faut-il expliquer ce que nous
entendons par « diagnostic psychologique ».
Cette notion est en effet à distinguer de celle de diagnostic médical (ici psychiatrique).
En effet, en médecine le diagnostic consiste à faire entrer le malade dans une case,
c'est-à-dire à repérer les caractéristiques (les symptômes) que le malade a en commun
avec tous les malades qui présentent le même syndrome, ce qui permet de comprendre
l’étiologie de la maladie et, partant, de savoir comment le soigner. En psychologie, la
démarche est rigoureusement inverse : il va s’agir de repérer les caractéristiques qui
diffèrent de celles des autres malades qui présentent la même pathologie. Le diagnostic
psychologique consiste, au-delà du diagnostic médical, à comprendre comment s’agencent
les forces et les faiblesses du sujet pour proposer la démarche thérapeutique qui paraît la
plus pertinente, et probablement la plus efficace.
Ce type de conception peut surprendre, mais l’expérience clinique est encore plus
surprenante car il n’existe pas deux protocoles de Rorschach identiques, même lorsqu’on a
à faire à des personnes souffrant d’une pathologie majeure, telle par exemple la
schizophrénie. Le diagnostic psychologique permet d’établir une sorte d’itinéraire
thérapeutique pour le patient, en complément ou non de son traitement médical : par
quelle technique commencer, par laquelle poursuivre, quels objectifs peut-on fixer
progressivement etc.
Outre les caractéristiques individuelles des patients, le Rorschach peut mettre en évidence
des configurations plus générales qui permettent de spécifier des formes particulières de
troubles. Comme exemple nous prendrons le syndrome de dépression (unipolaire). Il est
connu qu’un certain nombre de personnes « se traînent » dans des états dépressifs
chroniques qui répondent peu ou pas aux antidépresseurs. John Exner a réalisé une étude
de ces cas et découvert qu’ils présentaient, au Rorschach, une configuration particulière qui
permet de penser que la difficulté centrale de ces patients réside dans leurs difficultés
relationnelles, et non pas dans un trouble de l’humeur. Chez eux la plainte dépressive
n’est en quelque sorte que l’artefact d’une incompétence sociale et/ou d’une immaturité du
développement. Il est alors préconisé de traiter le problème de fond (il existe diverses
techniques individuelles ou de groupe qui peuvent rapidement améliorer les compétences
sociales) avant de prescrire des médicaments. Nous avons appelé ces configurations des
pseudo-dépressions (Andronikof-Sanglade, 1992).

Conclusion
Le test du Rorschach, tel qu’il a été créé par Hermann Rorschach et développé par John
Exner dans le Système Intégré, n’est pas un test « projectif » au sens où l’on entend
habituellement ce terme. Il ne vise pas à dévoiler l’histoire personnelle du sujet, ni à
découvrir ses fantasmes, pas plus qu’il ne donne d’informations sur les aléas du
développement libidinal (d’autres techniques, véritablement projectives, sont disponibles pour
recueillir ce type d’information). Hermann Rorschach était lui-même très au fait des
développements de la psychanalyse de son époque et il était membre de la société
psychanalytique de Suisse. Ce n’est donc pas par méconnaissance de ces modèles ni par
réticence envers eux qu’il n’a pas orienté ses travaux dans ce sens. Non, il voulait
décidément créer une technique originale de « psychodiagnostic » qui donnât des
informations sur le fonctionnement psychologique global d’un sujet en des termes non pas
médicaux ni psychanalytiques mais proprement psychologiques.

Le test créé par Hermann Rorschach repose sur un trépied : une convic- tion, une
trouvaille méthodologique et une hypothèse. Il a ancré son test dans le phénomène
perceptif de « formes fortuites » comme il les appelait ou ambigües, la perception étant
comprise comme une opération men- tale active de l’appareil psychique mettant en jeu
l’ensemble des facultés de l’homme, tant cognitives qu’affectives. Loin d’être plongé dans
un état régressif, le sujet est mis dans un état de vigilance cognitive, qui commen- ce
d’ailleurs par le fait même de se trouver dans un processus d’évaluation et se prolonge
dans les opérations de tri et de choix auxquelles l’obligent le matériel et la consigne. Sa
conviction était que les caractéristiques du fonctionnement psychologique d’une personne
pouvaient se lire dans son acte perceptif-interprétatif, et que finalement on peut chercher à
la com- prendre à travers sa façon de voir le monde. La trouvaille méthodologique est le
système de codage qui s’attache aux aspects formels des réponses (et non à leurs
contenus). Quant à l’hypothèse, c’est le « principe kines- thésique », qui préfigure et
anticipe la description récente des neurones miroirs (observer un mouvement est équivalent,
au plan neurologique, à effectuer ce mouvement) et la conception moderne de la multi-
modalité du cerveau (les afférences sensorielles se regroupent en un lieu unique et
peuvent se translater d’un sens à un autre).
Le test du Rorschach commence à peine à livrer ses secrets, tant dans les idées qui ont
présidé à sa création que dans la compréhension du pro- cessus mental qu’il déclenche,
mais il est certain qu’au plan empirique il demeure un outil d’évaluation clinique
extrêmement puissant.
Bibliographie

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Intégré (Exner). Bulletin de la Société du Rorschach et des Méthodes Projectives de
Langue Française, 36, 41-50.

Beck, S. J. (1937). Introduction to the Rorschach Method: A Manual of Personality


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Exner, J. E. (1974/2005). The Rorschach: A Comprehensive System. New York: Wiley.

Exner, J. E. (1999). Le Rorschach : un Système Intégré. Paris : Frison-Roche.

Exner, J. E. (2004). Manuel de cotation du Rorschach pour le système intégré. Paris :


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Rorschach, H. (1912). «Reflexhalluzinationen» und verwandte Erscheinungen. Zeitschrift für


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Rorschach, H. (1921/1947). Psychodiagnostic. Traduction M. Ombredane et A. Landau.
Paris : PUF.

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