Vous êtes sur la page 1sur 13

20 Les conceptions théoriques de l’intelligence et de sa mesure

(K-M). Une fois retirée la variance de ces deux grands facteurs, la variance
restante se répartit entre plusieurs facteurs plus spécifiques qui correspondent
aux facteurs primaires de Thurstone (cf. figure 1.3).

Figure 1.3
Représentation schématique du modèle hiérarchique de Burt et Vernon.

Les deux modèles hiérarchiques de ces auteurs présentent des points


communs mais aussi plusieurs différences qui sont restées longtemps non
résolues. Le modèle de Burt et Vernon comprend trois niveaux alors que celui
de Cattel et Horn n’en contient que deux : il ne fait pas figurer de facteur
général coiffant l’ensemble. Ce n’est que plus récemment que Gustaffson
(1984) a apporté les éléments permettant d’expliquer les contradictions
entre ces deux modèles. Grâce aux possibilités offertes par les analyses
factorielles confirmatoires, il montre que le modèle le mieux ajusté aux
données d’une batterie de tests (analyse factorielle restrictive) est bien un
modèle en 3 niveaux comportant un facteur général. Il montre aussi que le
facteur général de Burt et Vernon explique la même part de variance que
le facteur d’intelligence fluide (Gf) de Cattel et Horn. Il parvient donc à
un modèle stabilisé de la structure factorielle de l’intelligence, modèle qui
sera confirmé et affiné quelques années plus tard par Carroll (1993). Nous
présentons le modèle de Carroll, qui constitue la meilleure référence à ce
jour sur la question, dans la partie suivante.
Aspects historiques, théoriques et méthodologiques 21

3. Principaux repères actuels de la psychométrie


de l’intelligence

La structure factorielle de l’intelligence : modèles de synthèse

John B. Carroll, procède par méta-analyse, c’est-à-dire qu’il collecte les


données issues de nombreuses études publiées relatives à la structure
factorielle des tests d’intelligence et retraite ces données afin de trouver
le modèle hiérarchique qui reflèterait le mieux l’ensemble de ces données.
Il obtient les informations relatives à 460 études (ce qui correspond à plus
de 130 000 sujets !) et constate que le modèle qui rend le mieux compte de
ces données est un modèle en 3 niveaux (3 strates) qui intègre l’ensemble
des modèles précédemment fournis. On y retrouve ainsi le facteur g de
Spearman, ainsi que la structure multifactorielle de Thurstone et une
structure hiérarchique qui concilie à la fois le modèle de Cattel et Horn
et celui de Burt et Vernon. Ce modèle présente bien des similitudes avec
celui de Gustaffson, mais offre une vision plus exhaustive et détaillée de la
structure hiérarchique. Ce modèle, dont l’organisation est présentée dans la
figure 1.4, fait aujourd’hui l’objet d’un large consensus.
La strate I correspond aux facteurs spécifiques (une trentaine), la strate II
aux facteurs de groupe (8), et la strate III au facteur général. Les facteurs de
la strate II sont hiérarchisés en fonction de leur niveau de saturation dans le
facteur g. Ainsi, par exemple, les tests d’intelligence fluide sont de meilleurs
représentants de l’intelligence générale que les tests de vitesse de traitement.
Nous pouvons noter que ce modèle distingue des formes variées
d’intelligence (identifiées en particulier par les facteurs de la strate II). Ils
présentent entre eux une relative indépendance qui rend compte du fait
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

qu’un individu peut être performant dans un domaine sans nécessairement


l’être dans tous les autres. Cela permet d’analyser les différences individuelles
autrement qu’à travers un score unique sur une échelle unique et justifie le
recours aux batteries factorielles d’intelligence. Néanmoins, la présence dans
le modèle d’un facteur général témoigne d’une tendance statistique non
nulle à ce que les résultats obtenus dans l’ensemble des épreuves corrèlent
ente eux, ce qui donne également un sens à l’utilisation des épreuves de
facteur g.
Les modèles multifactoriels hiérarchiques peuvent fournir une aide
précieuse au praticien de l’évaluation. La sélection des tests ou des tâches
à utiliser pour mener à bien une évaluation peut être éclairée par un
22 Les conceptions théoriques de l’intelligence et de sa mesure

Strate III Strate II Strate I

Raisonnement Général
Induction
Intelligence fluide
Raisonnement quantitatif
Raisonnement Piagétien

Développement du langage
Compréhension verbale
Intelligence Connaissance lexicale
cristallisée Compréhension de lecture
Codage phonétique

Mémoire Empan mnémonique


et apprentissage Mémoire associative
Mémoire visuelle
Intelligence
générale Visualisation
Représentation Relations spatiales
G visuo-spatiale Vitesse de clôture
Flexibilité de structuration

Représentation Discrimination auditive


auditive Jugement musical
Mémoire des sons

Récupération Originalité / créativité


en mémoire Fluidité idéationnelle
long terme Fluidité d’association
Fluidité verbale

Facilité numérique
Rapidité cognitive
Vitesse perceptive

Vitesse Temps de réaction


de traitement Vitesse de comparaison mentale

Figure 1.4
Structure hiérarchique des capacités cognitives (d’après Caroll 1993. Facteurs de vitesse
en italiques et de puissance en caractères normaux).

positionnement des épreuves existantes, ou des types de tâches, en fonction


de la place qu’occupent les capacités correspondantes dans le modèle
hiérarchique (identifiée par l’analyse des saturations des items de ces tests
dans les différents facteurs).
Aspects historiques, théoriques et méthodologiques 23

Nous présentons dans la figure 1.5 une cartographie de tests d’intelligence


proposée par Snow, Kyllonen et Marshalek (1984), Snow et Lohman (1989)
qui s’appuie sur une représentation en « Radex » élaborée à partir des travaux
de Guttman (1957, 1965).

Numérique
Addition
Multiplication
Soustraction
Division
Jugement numérique
Comparaison
Empans
de chiffres
de chiffres, Raisonnement numérique de symboles
de lettres Série de nombres de figures identiques

Analogies de nombres

Rotation
Anagrammes mentale
Voc. Série Matrices Développement
Voc. déf. de lettres de Raven de surfaces Reconstruction
reconn. de formes
Analogies
Formation verbales Analogies
de concepts géométriques Assemblage

Sp
mécanique
l

Compréhension
rba

à l’écoute Cubes
d’un texte de Kohs
a t
e

ial
V

Rappel Assemblage
de paragraphe d’objets
Complétion
Compréhension d’images
de lecture
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

Figure 1.5
Représentation selon le modèle du Radex d’un ensemble fini de tests d’intelligence (d’après
Snow et Lohman, 1989 et Lohman, 2000, cité par Juhel, 2005).

La figure représentée doit se voir comme un cône divisé en 3 grandes


parties. Le radex fournit des informations sur la nature de ce qui est évalué
et sur le niveau de simplicité ou de complexité cognitive des tâches. Il se lit
de la façon suivante :
• Plus le test est proche du sommet du cône (centre de la figure), mieux il
mesure le facteur g ;
24 Les conceptions théoriques de l’intelligence et de sa mesure

• À l’inverse, plus un test est situé vers la périphérie, mieux il mesure des
aptitudes spécifiques ;
• La nature des aptitudes évaluées dépend de la zone où est située l’épreuve.
Une première région concerne les épreuves offrant un contenu figuratif
ou dont les items sont des figures géométriques (domaine spatial), une
seconde région rassemble les épreuves du domaine verbal (compréhension,
lecture, vocabulaire...) et la troisième région correspond aux épreuves à
contenu numérique (tâches impliquant des chiffres, des nombres, des
calculs...).
La position du test dans l’espace de la figure informe donc sur la nature
de la dimension qu’il évalue.
La position du test informe également sur le degré de complexité cognitive
des épreuves (cf. Guttman et Lévy, 1991) :
• Les tests situés vers le sommet, requièrent de la puissance de raisonnement
et sont intellectuellement plus complexes ;
• Le niveau intermédiaire marque des tâches plus simples où il est
simplement nécessaire d’appliquer des règles sans avoir à les découvrir ;
• La base du cône correspond à des tâches plus spécifiques, s’acquérant
principalement par apprentissages et pour lesquels la vitesse de réalisation
est généralement importante.
Il est possible de choisir les différents subtests constitutifs d’une batterie
en fonction de leur position dans l’espace du Radex. Cela constitue alors
un élément supplémentaire de validité de l’épreuve par le choix de tâches
non redondantes et couvrant plus largement l’ensemble des domaines et
des niveaux d’évaluation. On peut également le faire à titre confirmatoire
sur une batterie déjà existante. Une démarche de validation de ce type a été
menée pour la batterie NV5R que nous présentons dans le chapitre 5.

Le niveau intellectuel est-il stable d’une génération à l’autre ?

Le psychologue néo-zélandais James R. Flynn a édité en 1984 et 1987 deux


premières publications faisant état d’un phénomène peu pris en compte
jusqu’à ce jour : une tendance à l’augmentation des résultats moyens dans
les tests d’intelligence au fil des décennies et des générations. Ce phénomène
a des conséquences importantes au plan théorique mais aussi au plan des
pratiques de l’évaluation et mérite que l’on s’y attarde. Une très bonne
synthèse sur le sujet a été publiée par Flieller en 2001.
Aspects historiques, théoriques et méthodologiques 25

➤ Description de l’effet Flynn

Flynn a constaté que « des cohortes de naissance testées au même âge et dans
les mêmes conditions à l’aide d’une même épreuve d’intelligence obtiennent
des scores moyens qui s’ordonnent comme leur année de naissance » (Flieller,
2001, p. 43).
Flynn a mené des travaux dans quatorze pays situés sur 4 continents et
aboutit à la conclusion que la progression moyenne est d’environ 5 points
de QI par décade, c’est-à-dire un écart-type par génération. D’autres études,
réalisées depuis par divers auteurs un peu partout dans le monde, parviennent
aux mêmes conclusions (voir par exemple Raven, 2001). L’effet Flynn,
même s’il fluctue selon les pays, les périodes et les tests considérés, s’avère
néanmoins un phénomène très général. Curieusement, la progression est plus
importante dans les tests d’intelligence fluide que dans les tests d’intelligence
cristallisée, ce qui paraît surprenant, puisque le registre de l’intelligence
cristallisée est a priori mieux à même de profiter des apprentissages. En
France, le phénomène a également été observé par plusieurs études : Flieller
et al. (1986) observent une augmentation de 24 points de QI sur une
période de 40 ans ou encore Baudelot et Establet, analysant les résultats
des tests passés par les conscrits lors de leur incorporation, constatent une
progression moyenne de 5 points de QI entre 1968 et 1982 (sur 14 ans).
En outre, des données anciennes attestent de la présence de ce phénomène
dès la fin de la première guerre mondiale et montrent qu’il s’est prolongé à
un rythme très régulier jusqu’à nos jours, concernant tous les âges de la vie
(groupes de jeunes, d’adultes mais aussi de personnes âgées).
La grande généralité du phénomène est donc attestée et ne laisse pas
d’interroger.
Tentatives d’explications du phénomène
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

Les tentatives d’explications sont nombreuses mais l’on doit bien admettre,
comme le rappelle Flieller (2001), que le phénomène demeure encore une
énigme.
Plusieurs hypothèses sont candidates à l’explication de l’effet Flynn. On
retiendra en particulier :
– l’augmentation du brassage génétique des populations ;
– l’amélioration de la nutrition et des conditions d’hygiène et de santé ;
– l’augmentation des exigences et sollicitations cognitives de l’environne-
ment ;
– les progrès de l’éducation.
26 Les conceptions théoriques de l’intelligence et de sa mesure

Chacune de ces hypothèses est plausible. Cependant, les tentatives de


validations menées pour chacune d’entre elles n’ont pas permis d’aboutir à
des confirmations satisfaisantes. Le problème de l’origine de l’effet Flynn
demeure donc entier.
Plusieurs pistes sont envisagées pour élucider le mystère. Certains
privilégient l’hypothèse d’une origine plurifactorielle : plusieurs facteurs
contribueraient conjointement à l’explication du phénomène. D’autres
auteurs préfèrent remettre en cause l’interprétation du phénomène comme
témoignant d’une augmentation du niveau intellectuel des populations :
l’effet observé serait un artéfact du en particulier à la banalisation des tests
(familiarisation des individus vis-à-vis des tests) ou encore à un changement
d’attitude face aux situations d’évaluation par les tests. D’autres encore,
et Flynn lui-même en fait partie, s’appuient sur la difficulté rencontrée
à identifier les facteurs explicatifs du phénomène pour remettre plus
fondamentalement en cause la capacité même des tests à évaluer l’intelligence.
Conséquences pour l’évaluation de l’intelligence
Quelles que soient les origines effectives de ce phénomène, celui-ci a
des conséquences importantes d’une part pour notre connaissance de
l’intelligence et d’autre part pour la qualité de sa mesure.
Concernant le premier point, l’effet Flynn, complique fortement les études
développementales de l’intelligence et en particulier celles qui concernent
le vieillissement cognitif. En effet, chaque fois que l’on est amené à étudier
le développement en comparant des groupes d’âges différents (approche
transversale), il devient difficile de savoir si les groupes sont réellement
comparables et dans quelle mesure les résultats obtenus renseignent sur les
effets de l’âge et ne sont pas dus à cet effet de cohorte. Nous reviendrons
sur ce point dans le prochain paragraphe.
Concernant le second point, l’augmentation moyenne régulière des
résultats aux tests d’intelligence accélère l’obsolescence des étalonnages des
tests. On remarquera que, dans ce cas précis, le risque est, fort heureusement,
de surestimer les résultats des individus dans les tests, et non l’inverse.
Néanmoins, la validité de la mesure s’en trouve affaiblie et il est donc
indispensable pour les auteurs et les éditeurs de réétalonner très régulièrement
les tests et, pour le praticien de se garder d’utiliser des tests dont les
étalonnages ne seraient pas récents (inférieurs à 10 ans). Les réétalonnages
successifs, outre le coût qu’ils représentent, risquent de poser des problèmes
méthodologiques relatifs au pouvoir discriminant des tests (lorsque le test
devient par exemple trop facile pour tous). Nous évoquerons ces difficultés
méthodologiques dans le chapitre 2 de cet ouvrage.
Aspects historiques, théoriques et méthodologiques 27

Le niveau intellectuel est-il stable chez l’adulte ?

Les premiers travaux portant sur l’évolution de l’intelligence chez l’adulte


sont apparus avec le développement de la méthode des tests. Ils ont tout
d’abord été menés principalement à l’occasion des étalonnages, c’est-à-
dire selon la méthode transversale. La méthode consiste donc à comparer
les performances de groupes de sujets d’âges différents et à inférer le
développement de l’intelligence durant la vie à partir des performances
moyennes obtenues aux différents âges (par ex. Jones & Conrad, 1933 ;
Miles & Miles, 1932, Wechsler, 1939). Les données fournies par ces études
ont étayé un modèle du développement de l’intelligence de l’adulte se
présentant sous la forme d’un accroissement des capacités intellectuelles
jusqu’à environ 20 ans, âge à partir duquel débute un déclin régulier qui
s’accélère ensuite vers 60 ans.
C’est en se référant à ce modèle que certains auteurs ont pu émettre
des doutes quant à la plasticité de l’intelligence de l’adulte de plus de
20 ans. C’est également ce modèle qui alimente encore très largement la
représentation que le grand public a de l’intelligence de l’adulte.
On sait cependant aujourd’hui que les études transversales sont affectées
par un biais méthodologique résultant de l’effet Flynn. Dans ces études, en
effet, on ne compare pas seulement des sujets d’âges différents mais aussi
des sujets de générations différentes. Les résultats caractérisant les différents
âges n’étant pas obtenus sur les mêmes sujets, l’effet attribué à l’âge peut
en réalité être dû, pour tout ou partie, aux différences de conditions de
vie (éducation, santé, activités, stimulations) entre générations. En raison
de ce biais, le modèle de l’évolution de l’intelligence issu de l’approche
transversale, a été l’objet de nombreuses controverses (cf. Botwinick, 1977)
et remplacé par un autre, issu d’études longitudinales.
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

Un vaste courant de recherche s’est développé à partir des années


soixante-dix aux États-Unis (Birren, Dixon, Schaie, Willis...) et en Europe
(notamment en Allemagne : Baltes et coll.) et a contribué, par des études
longitudinales, à renouveler les connaissances sur l’intelligence de l’adulte.
L’approche adoptée y est celle d’un « développement tout au long de la
vie » (« life span development ») en rupture avec l’idée d’un développement
s’arrêtant à la fin de l’adolescence et d’un âge adulte principalement marqué
par le déclin.
Dans leur forme la plus simple, ces études longitudinales consistent en
un suivi des mêmes sujets sur une certaine période, à l’aide d’évaluations
répétées. Mais une difficulté demeure alors puisque le contrôle de l’effet
28 Les conceptions théoriques de l’intelligence et de sa mesure

de cohorte n’est effectif que pour une seule génération. Pour pallier cette
difficulté, les études visant l’obtention d’une vue d’ensemble de l’évolution
« life-span » de l’intelligence ont eu recours à un plan plus sophistiqué (appelé
séquentiel) qui est une combinaison des plans transversaux et longitudinaux.
L’étude longitudinale est alors menée simultanément sur plusieurs cohortes,
ce qui permet d’isoler les effets de cohorte des effets propres du vieillissement.

Nous pouvons retenir de ces travaux trois grandes conclusions :


1. Le déclin s’avère généralement plus tardif que ne le laissaient penser
les études transversales
La plus importante étude longitudinale a été menée sous la responsabilité
de Schaie (1979, 1983, 1994) : c’est l’« Étude longitudinale de Seattle ».
L’étude a débuté en 1956 sur un échantillon de 500 sujets adultes âgés de
20 à 70 ans évalués à l’aide de différents tests d’intelligence dont les PMA de
Thurstone. Ensuite, tous les sept ans, les auteurs ont procédé à la constitution
d’un nouvel échantillon similaire et à l’évaluation des échantillons existants.
Les dernières évaluations ont porté sur 8 cohortes de sujets âgés de 22 à
95 ans et, au total, près de 5000 personnes ont participé à l’étude. L’étude
de Schaie montre ainsi que les performances dans les PMA de Thurstone ne
commencent en moyenne à décroître qu’entre 50 et 60 ans (Schaie, 1994)
(voir figure 1.6).
2. Le déclin n’affecte pas de la même façon les différents registres
d’activité cognitive
Déjà dans les années soixante, Cattel et Horn avaient signalé une
évolution différente avec l’âge des capacités relevant de l’intelligence fluide
et de l’intelligence cristallisée (Horn, & Cattel, 1966) : les premières ayant
tendance à décliner et les autres à se maintenir, voir à continuer de croître
progressivement.
Ces différences ont été confirmées par un grand nombre d’études. Par
exemple, Fontaine (1999) publie un tableau (voir tableau 1.3) issu des
travaux de McGhee (1993) qui précise pour 9 grands domaines de capacités
cognitives leur sensibilité aux effets négatifs du vieillissement (voir tableau
1.3).
Des évolutions dans la structure factorielle des aptitudes ont également été
décrites. Symétriquement au processus de différenciation des aptitudes qui se
manifeste dans l’enfance et à l’adolescence (Larcebeau, 1967 ; Nguyen-Xuan,
1969), un phénomène de dédifférenciation est observé en relation avec
le vieillissement. Il se traduit par une diminution du poids des facteurs
primaires et par une augmentation du poids du facteur g. Ce phénomène
Aspects historiques, théoriques et méthodologiques 29

60

55
Moyenne T-scores

50

Compréhension verbale
45
Aptitude spatiale
Raisonnement inductif

40 Aptitude numérique
Fluidité verbale

35
25 32 39 46 53 60 67 74 81 88
Age

Figure 1.6
Courbes moyennes d’évolution avec l’âge des résultats dans les PMA de Thurstone observées
dans l’étude longitudinale de Seattle (d’après Schaie, 1994).

initialement décrit par Balinsky (1941) a été confirmé et précisé par plusieurs
études (Poitrenaud, 1972, Baltes et al., 1980). Balinsky (cité par Fontaine,
1999) avait comparé des groupes d’âges différents et observé une diminution
progressive des corrélations entre les subtests de la WAIS de 9 à 30 ans, puis
une augmentation progressive de ces corrélations de 30 à 60 ans. Poitrenaud
(1972) a observé une telle différence de structure factorielle entre deux
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

groupes de sujets âgés respectivement de 64-69 ans et de 74-79 ans, alors que
Lindenberger et Baltes (1997), comparant deux groupes âgés respectivement
de 70-84 ans et de 85-103 ans, ne l’observent pas. On peut donc penser
que cette dédifférenciation débuterait vers 30 ans et serait achevée vers
75 ans. Ce phénomène reste cependant controversé dans la mesure où il
a principalement été observé par des études transversales et n’a pas trouvé
de confirmation dans l’étude longitudinale conduite par Schaie. En outre,
son étude présente un certain nombre de difficultés méthodologiques
(Nesselroade et Thompson, 1995, Baltes et al. 1999).
30 Les conceptions théoriques de l’intelligence et de sa mesure

Tableau 1.3
Tableau des domaines de capacités intellectuelles et de leur sensibilité au vieillissement
(McGhee, 1993, Fontaine, 1999).

Sensibilité au
Nom Définition
vieillissement
Connaissance Capacité à comprendre les concepts quantitatifs Faible
quantitative et leurs relations.
Compréhension, Profondeur des connaissances. Insensible
connaissance
Mémoire à court Capacité à enregistrer des informations et à les Sensible
terme utiliser dans les secondes suivantes.
Récupération à long Capacité à enregistrer des informations et à les Sensible
terme récupérer après un délai supérieur à quelques
secondes.
Processus auditif Capacité à analyser et à synthétiser des stimulis Sensible
auditifs.
Vitesse de décision Capacité à répondre à des questions portant sur Très sensible
correcte des problèmes de difficulté modérée nécessitant
raisonnement et compréhension.
Raisonnement fluide Capacité à raisonner, à construire des concepts, à Très sensible
résoudre des problèmes dans des contextes
nouveaux.
Processus visuel Capacité à analyser et à synthétiser des stimulis Sensible
visuels
Processus de rapidité Capacité à réaliser rapidement des tâches Très sensible
cognitives automatiques sous pression et à
maintenir l’attention

3. Une grande variabilité inter individuelle apparaît dans la façon de


vieillir intellectuellement
La dispersion des résultats dans les tests augment avec l’âge (Nelson &
Annefer, D., 1992). Lorsque l’on analyse cette variabilité on constate que
l’avancée en âge ne se traduit pas pour tous les individus par les mêmes
effets : les capacités intellectuelles ne déclinent pas de la même façon chez
tous, pas nécessairement dans le même ordre, pas nécessairement au même
âge, et pas avec la même intensité.
Aspects historiques, théoriques et méthodologiques 31

L’augmentation des différences interindividuelles avec le vieillissement


pose assez logiquement la question des facteurs susceptibles d’influencer, de
façon différentielle, ces évolutions cognitives liées à l’âge.
Plusieurs sources de variation ont été identifiées comme pouvant, seules
ou en combinaison, contribuer à expliquer cette hétérogénéité.
Les facteurs les plus fréquemment évoqués sont relatifs aux conditions de
vie actuelles de la personne, telles que son état de santé (cf. Herzog et al.,
1978 ; Perlmutter et Nyquist, 1990), l’intensité de sa vie sociale (cf. Moritz,
1989), ou son état marital (cf. Rogers, 1990), mais aussi aux caractéristiques
de la personne avant qu’elle ne vieillisse, telles que son niveau culturel, la
longueur de sa scolarité, ses activités professionnelles, son niveau intellectuel,
ses antécédents de santé... (cf. Craik et al., 1987 ; Schaie, 1987 ; Ska et al.,
1997). Ces dernières variables, que Schaie (1990) appelle « antécédents des
différences interindividuelles » peuvent ainsi jouer le rôle de prédicteur de
la qualité du vieillissement.
Depuis une quinzaine d’années, des travaux ont été conduits visant à
mieux connaître ces facteurs et la façon dont ils agissent, afin de déterminer
les conditions optimales d’un « vieillissement réussi » (« successful aging »).
L’une des hypothèses retenues par ces auteurs est que l’activité menée dans
tel ou tel domaine puisse venir atténuer, voire totalement préserver de,
certains effets négatifs du vieillissement et contribuer ainsi à expliquer les
différences inter-individuelles dans la façon de vieillir (cf. Marquié, 1996,
Loarer, 2000).
Par ailleurs des travaux menés dans le cadre de la psychologie cognitive ont
permis d’identifier un certain nombre de processus cognitifs élémentaires
particulièrement sensibles aux effets du vieillissement. Il s’agit en particulier
de l’attention, de la mémoire de travail, de l’inhibition cognitive et de
la vitesse de traitement. Ce dernier facteur apparaît essentiel (Salthouse,
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

1994, 1996) : la vitesse de traitement diminuant avec l’âge, le ralentissement


cognitif pourrait contribuer fortement à la diminution des performances
avec l’âge dans un grand nombre de registres. Pour un approfondissement
de ces aspects, voir Lemaire et Behrer (2005).

Une ou plusieurs intelligences ?

La question de l’unicité ou de la pluridimentionnalité de l’intelligence était


déjà présente dans l’opposition entre Spearman et Thurstone. On pourrait
penser qu’elle a été résolue par les modèles hiérarchiques synthétiques que
32 Les conceptions théoriques de l’intelligence et de sa mesure

nous venons de présenter. On peut pourtant s’interroger sur le fait que ces
modèles refléteraient la totalité de ce qui caractérise l’intelligence humaine.
En particulier, dès lors que l’on considère l’individu engagé dans des
tâches et des situations pratiques de la vie quotidienne, l’intelligence évaluée
par les tests peut sembler insuffisante pour rendre compte de l’ensemble de
ses fonctionnements adaptatifs.
L’interrogation n’est pas récente et de nombreux auteurs ont opté pour
une vision élargie de l’intelligence. Déjà, en 1920, Edward L. Thorndike
(1874-1949) identifiait 3 facettes à l’intelligence. Il la définissait comme
l’habileté à comprendre et à gérer 1/ les idées (intelligence abstraite), 2/ les
objets (intelligence concrète ou mécanique) et 3/ les personnes (intelligence
sociale). Cette dernière facette est ainsi définie par Thorndike comme la
capacité à « comprendre et gérer les autres personnes » et à « agir sagement
dans les relations humaines » (1920, p. 228). L’intelligence classiquement
évaluée par les tests d’intelligence ne correspond donc principalement qu’à
la première de ces facettes.
Par ailleurs, Weschler s’est également un temps intéressé à ce qu’il
appelait les « facteurs non-intellectifs » de l’intelligence (1943, p. 108). Il
désignait par là en particulier l’intelligence sociale. Il conclura cependant
quelques années plus tard que l’intelligence sociale n’est rien d’autre que de
« l’intelligence générale appliquée aux situations sociales » (1958, p. 75).
Cette question a cependant repris de la vigueur dans la période récente.
Elle correspond à la tendance de plus en plus affirmée à ne pas considérer
l’intelligence uniquement sous l’angle de la pensée logicomathématique mais
d’accorder une place plus importante aux différentes facettes des activités
mentales qui contribuent à l’adaptation de l’individu et à son efficacité dans
les différentes sphères de ses activités. Cette tendance s’exprime notamment
dans le modèle de l’intelligence de Sternberg, en particulier par la prise en
compte de formes d’intelligence dites « pratiques » ou « non académiques »
(Sternberg, 1985, Sternberg et al., 2000), ainsi que dans le modèle des
intelligences multiples de Gardner (1996, 1999) ou encore dans les travaux
menés sur l’intelligence émotionnelle (Salovey & Mayer, 1990) et sur
l’intelligence sociale (voir Loarer, 2005 sur ces deux aspects).
Ces modèles et ces travaux présentent à notre avis l’intérêt d’élargir la
notion d’intelligence pour chercher à mieux prendre en compte l’étendue
de la palette des ressources adaptative des individus et à mieux saisir
ce qui sous-tend l’organisation des conduites dans les situations de la
vie quotidienne. L’intelligence cognitive, celle qui prend appui sur le
traitement logique de l’information, joue à l’évidence un rôle essentiel pour

Vous aimerez peut-être aussi