Vous êtes sur la page 1sur 20

Ludwig Fineltain, LES MANUELS PSYCHIATRIQUES (2003)

L’histoire de la psychiatrie se confond avec celle des livres qui lui sont dédiés. Les manuels,
traités et précis jalonnent et embellissent l’histoire de cette sévère spécialité médicale. Le péché véniel
des psychiatres tout le long de leur carrière consiste à assembler une bibliothèque des ouvrages classiques
des grands fondateurs de la psychiatrie. J’ai toujours été bibliophile! Qui n’a rêvé de posséder chez soi un
exemplaire de Boissier de Sauvages de la Croix, du Pinel de l’An IX, le traité d’Esquirol avec ses
gravures ou bien la 1ère édition de 1933 du Traité de Karl Jaspers?
Tandis que de 1968 à 1971 je faisais à Sainte-Anne office de conférencier pour des étudiants,
assez brillants d’ailleurs et impatients de réussir le tout nouveau concours de l’Internat Psychiatrique de
Paris, je fus tenté à la faveur de ces moments exaltants de composer un précis de psychiatrie. A la même
époque j’eus la chance de terminer mon internat chez le Dr Daumezon que j’admirais beaucoup. Je lui
posai la question suivante: "Ne seriez-vous pas intéressé d’écrire un manuel de psychiatrie fondé sur une
étude syndromique et je serais dans ce cas honoré d’y participer". Il m’avait répondu évasivement. Mais
un tel projet demande de l’expérience et du temps. Avais-je à cette époque acquis un savoir suffisant? Et
disposions-nous réellement d’un temps suffisant devant nous? Rien n’était moins sûr. L’année même de
mon psychiatricat en 1974 j’eus l’occasion de présenter l’agrégation de psychiatrie, tentative que je n’ai
pas réitérée. Cet épisode a réveillé en moi l’intérêt pour l’enseignement et les manuels. Je crois en fait,
malgré toutes les conférences prodiguées, que je n’étais pas vraiment fait pour l’enseignement. Cette
fonction requiert une grande patience que je ne possède pas.
Mais l’intérêt pour les manuels de psychiatrie ne m’a jamais abandonné. Ces sortes d’ouvrages
sont tout à la fois des objets de science, des objets esthétiques et la preuve chez leur auteur d’un grand
courage scientifique.
Comparez les ouvrages les uns aux autres. Voyez d’une part la science de Kraepelin puis celle de
Henri Ey, le génie précoce de Karl Jaspers et d’autre part le merveilleux style d’un Lévy-Valensi sans
oublier celui de la litote chez un Jacques Borel. Je privilégie bien entendu, dans cette introduction, les
œuvres d’hommes seuls. Nous savons tous que la science a évolué et que les manuels contemporains sont
rédigés par des équipes très nombreuses de spécialistes. Nécessité fait loi! Mais la rançon de ce progrès
c’est l’absence d’originalité. Il manque parfois une patte personnelle dans les manuels de ces 15 dernières
années écrits par trente six auteurs à la fois. Les grandes œuvres psychiatriques sont celles d’hommes
solitaires.
Qu’est-ce qu’un manuel? L’effort loyal et tenace d’un psychiatre de faire la synthèse de la
sémiologie, de la nosologie, de la nosographie et des traitements. Cette tâche n’est pas donnée à tout un
chacun. C’est un effort gigantesque: tout à la fois un état des lieux et un lieu de mémoire. Le manuel
représente donc un effort de synthèse. Une fois composé il agrègera autour de lui les acquis épars de la
psychiatrie. Il servira enfin de catalyseur d’idées pour les psychiatres contemporains et pour les disciples
du lendemain.
Faut-il en apporter une définition? Les auteurs font une synthèse de la séméiologie, de la
nosologie et des traitements psychiatriques de l’époque considérée. Certains d’entre eux sont émérites. Ils
sortent du lot commun et l’histoire les a consacrés. La rhétorique les a, elle aussi, consacrés par le
raccourcissement de la formulation, la syntaxe appositive, une figure de style comme la synecdoque ou
l’antonomase pour désigner l’œuvre mémorable. Ce sont ces sortes de livres qu’on nomme par le nom
propre de l’auteur. Ainsi dit-on "le Kraepelin", "le Guiraud" ou "le Henri Ey" sans même citer le titre de
l’ouvrage. Ce sont donc le Kraepelin, le Gilbert Ballet, le Lévy-Valensi, le Guiraud, le Morel et enfin le
Henri Ey ou bien le Ey Bernard Brisset puis ensuite la partie psychiatrique de l’EMC, le DSM et le CIM.
Ces deux dernières œuvres sont d’excellentes synthèses collectives de ces quinze dernières années et sans
aucun doute dominent-elles aujourd’hui la pensée psychiatrique mondiale.
Le rôle des dictionnaires, lexiques et glossaires est plus modeste. Chacun connaît les dictionnaires
majeurs comme par exemple celui de Porot ou celui de Lafon. Les dictionnaires ferment la marche des
cortèges psychiatriques.
Quant aux traités d’histoire de la psychiatrie ils sont peu nombreux. L’histoire des hommes, des
textes et des idées apparaît proche de la philosophie et de la littérature. La situation en psychiatrie est très
différente des autre spécialités. L’histoire des concepts en psychiatrie est une nécessité pour la
compréhension de la clinique. La psychiatrie, fait important, est la seule spécialité médicale qui fait un
usage constant de l’histoire de ses principaux concepts.
Ainsi par exemple l’important travail d’Alexander et Selesnick en 1966 a-t-il été très important
pour nos collègues psychiatres. Plus récent le traité de Postel et Quétel est bien entendu beaucoup plus
proche de nos préoccupations européennes. Celui qui n’entend pas le débat d’hier entre Séglas et
Baillarger à propos des hallucinations psychomotrices verbales ne comprendra pas demain la psychose
délirante.

LES OUVRAGES ANCIENS DES PRECURSEURS


LES CLASSIQUES DE LA PSYCHIATRIE

Jean Wier "De prestigiis daemonum et incantationibus ac veneficiis" (1567). Une importante
réédition a été faite en 1884 Histoires disputes et discours 2 vol, Ed. Delahaye à Paris.
Jean WIER, célèbre médecin des Pays-Bas, dont le vrai nom était Johannes ou Johann Weier,
Weiher ou encore Johannes Weyer, naît à Grave, en Hollande, dans le Brabant, sur la Meuse, en 1515 et
meurt en 1588. Dans son "De praestigiis daemonum" (1567) Wier élabore un discours critique de type
érasmien. La sorcière est l’emblème de tous les malheurs du temps. Les origines de la psychiatrie, comme
discipline médicale, sont donc inséparables des études et des expertises relatives aux procès de
sorcellerie. La clinique psychiatrique est née parmi les accusateurs et les défenseurs des sorcières, parmi
les magistrats, les prêtres et les médecins. Je regarde Jean Wier comme le premier grand clinicien de la
psychiatrie.
Paolo ou Paul Zacchias (1584-1659), médecin de la Rotae Romanae, Quaestio medico-legales en
1651 avec de nombreuses rééditions.
L’œuvre de Zacchias est écrite en latin. C’est avec Wier le premier spécialiste de la médecine et
de la psychiatrie légales. Elle a beaucoup inspiré les psychiatres français du XIXème siècle. Bien que
l’œuvre n’ait jamais été traduite elle a passionné très tôt les historiens de la psychiatrie. Ainsi Charles
Vallon Médecin de l’Asile Clinique de Sainte-Anne et Georges Génil-Perrin Interne à l’Asile clinique de
Sainte-Anne en 1912 dans ‘La psychiatrie médico-légale dans l’oeuvre de Zacchias’ étudient-ils les
chapitres du célèbre livre. Ils résument ainsi les différents chapitres psychiatriques de l’ouvrage: I) Paul
Zacchias et le Tribunal de Rote, II) Nosologie et Méthode, IV) Les Etats d’Insania, délires sans fièvre,
VI) Simulation et dissimulation, Les intervalles lucides et enfin les principes généraux.
J’ai de mon côté publié un article sur les médecins experts au cours de procès en sorcellerie. Jean
Wier, médecin du Duc de Trèves et Paolo Zacchias, médecin de la Rotae Romanae, ont joué un très grand
rôle au cours de ces événements dramatiques.

I.- Le siècle des Lumières


Le XVIIIème siècle, la période des Encyclopédistes et enfin la période révolutionnaire.

William ou Guillaume Cullen (1710-1790) Institution de Médecine pratique, textes édités entre
1769 et 1783. Cet auteur anglais né en 1712 en Ecosse et mort en 1790 a été traduit en français par
Philippe Pinel en 1785. L’ouvrage de Cullen qui constitue probablement le premier manuel méthodique
de psychiatrie a connu un grand succès non seulement en Grande Bretagne mais aussi en France. L’auteur
anglais invente en 1769 le terme "névroses" désignant ainsi un ensemble de troubles des sentiments et du
comportement moteur sans fièvre ni lésion organique décelable.
Tissot Simon-André (1728-1797), Traité des nerfs et de leurs maladies, en 4 volumes, à Paris en
1782. On lui doit par ailleurs le célèbre Onanisme en 1760 qui n’a qu’une valeur bibliophilique et L’avis
au peuple sur sa santé (il faut distinguer cet auteur de Joseph Tissot, moine, tout à la fois malade mental
et médecin des aliénés en 1852).
François Boissier de Sauvages de la Croix, Nosologia Methodica sistens Morborum Classes
1768 trad. Nosologie Méthodique, in-X, Lyon 1772. Boissier de Sauvages (1706-1767) est le premier
auteur capable de classer méthodiquement 2400 maladies regroupées en classes, ordres, genres et espèces,
suivant l’esprit de Sydenham et surtout conformément à la méthode des botanistes. Parmi celles-ci
2
apparaissent les maladies psychiatriques. Toutes les classifications ultérieures se référeront peu ou prou à
celles des botanistes.
Pinel Philippe, Nosographie philosophique ou la méthode de l’analyse appliquée à la médecine,
Ed. Richard, Caille et Ravier, Paris An VII. Le 1er volume est consacré à la médecine. Les névroses - au
sens du 18ème siècle - sont décrites dans le 2ème vol. En fait c’est un ouvrage consacré à la médecine
interne.
Pinel Philippe, Traité médico-philosophique sur l’aliénation mentale ou la manie. Richard, Caille et
Ravier, Paris An IX (1798). (Alain Brieux et Claude Tchou en ont fait un reprint de qualité en 1965 que
des laboratoires ont diffusé auprès des psychiatres). Une autre édition du Pinel doit être signalée. Traité
médico-philosophique sur l’aliénation mentale, Ed. Ant. Brosson, 1809, à Paris, dont l’imprimerie
Feugueray, à l’initiative des laboratoires Clin, Comar & Byla, a fait en mai 1975 une magnifique
réédition.

II.- La psychiatrie de 1800 à 1914


XIXème siècle, de 1860 à 1918 ou d’Esquirol à Gilbert Ballet et Séglas

Esquirol J.-E.-D., Des maladies mentales considérées sous les rapports médical, hygiénique et
médico-légal, 2 tomes et un atlas en 2 vol in-8 Baillière, Paris, 1838.
Guillaume Ferrus. Les leçons cliniques vers 1830. Ferrus vient à Paris en 1789 et soutient une
thèse de médecine en pluviose An XII. Notons qu’il fut chirurgien à la bataille d’Austerlitz.
Prosper Lucas "Traité de maladie du système nerveux" en 1847 puis en 1850.
Jean Baptiste Maximilien Parchappe de Vinay (1800-1566) "Traité théorique et pratique de la
folie" (1841, in-8°). En fait il fut essentiellement le promoteur enthousiaste d’établissements pour aliénés
qui manquaient cruellement en son temps!
Henri Dagonet Traité des maladies mentales, en 1876 et qui a connu pas mal de rééditions
jusqu’en 1894 avec un certain nombre de photos d’aliénés.
Bénédict Augustin Morel Traité des dégénérescence 1857. Morel (1809-1873), Médecin chef à
Saint-Yon, publie deux sommes remarquables: "Etudes cliniques" en 1853 et surtout "Traité des maladies
mentales" en 1869. Morel comme beaucoup d’autres auteurs de manuels avaient une passion pour les
sciences naturelles en général et pour la taxinomie en particulier. On peut lui reconnaître l’effort de
prendre en compte, dans sa construction nosologique une double étiopathogénie, psychique et organique.
L’usage du concept d’hérédité transformatrice fait de lui, au fond, le modèle lointain de plusieurs écoles
très différentes, celle de Jean Delay tout d’abord (la théorie neuro-humorale de la pathologie mentale) et
celle, beaucoup moins étayée des psychogénéalogistes.
Falret Jean-Pierre Les Leçons cliniques de médecine mentale professées à la Salpêtrière sont
publiées en 1854. Le traité de Falret justifie une étude attentive. Les études cliniques sur les mécanismes
ou le travail psychique qui engendre le délire, bref l’étude du délire phénomène central dans la psychose,
est caractéristique de cette œuvre. Elle va influencer toute la psychiatrie européenne. Falret d’autre part
conçoit en 1853 une double étiologie de la psychose dite "folie circulaire", une étiologie "morale" mais
surtout organique. J. Falret est né à Marcilhac-sur-Célé en 1794. Il fait sa médecine à Montpellier puis à
Paris où il rencontre presque par hasard Pinel et Esquirol. On note parmi ses autres œuvres: Des maladies
mentales et des asiles d’aliénés en 1864 puis Des maladies mentales et nerveuses en 1890 aux Ed.
Baillière, rééditées en 1894. Ainsi par exemple l’année 1850-1851 est-elle consacrée à l’étude des
hallucinations comme perceptions sans objet

Jules Falret a secondé l’œuvre paternelle dans une atmosphère de touchante vocation familiale.
Puis il publie son Etude clinique sur les maladies mentales et nerveuses 1889 éd. Baillière. Jules Falret
(1824-1902) à la fin de sa vie avait réuni les notes de toutes ses leçons cliniques mais celles-ci ne furent
pas publiées.
Paul-Emile Garnier Traité de Thérapeutique des maladies mentales et nerveuses, écrit avec
Cololian en 1901
Trois traités représentent donc en fait les chefs-d’œuvre de la psychiatrie classique. Ce sont ceux
de Séglas, de Ballet et de Jean-Pierre Falret:

3
Séglas Louis Jules Ernest, Leçons cliniques, puis il rédige une partie du volumineux Traité de
pathologie mentale de Gilbert Ballet. Séglas (1856-1939) succédant à J.P. Falret démontre beaucoup de
subtilité quant à l’étude des hallucinations. Cet auteur fut absolument imprégné des découvertes de Broca
en 1861 et de Wernicke. En quelques années la découverte des mécanismes neurologiques des aphasies,
la cartographie des aires cérébrales et la mise en évidence de la latéralisation a bouleversé le monde
neuropsychiatrique. Ainsi Séglas fut-il conduit à mieux étudier les hallucinations verbales et à tenter de
les incorporer dans une nosologie rénovée. Dans un article paru en 1913 les réflexions de Séglas sur les
hallucinations psychomotrices verbales se rapprochent des hallucinations psychiques de Baillarger. Ce
genre de recherche clinique -je veux parler des hallucinations psychiques- fera, peu de temps après, la
gloire de Clérambault.
Gilbert Ballet, Les Leçons cliniques (1854) et surtout le Traité de pathologie mentale en
1903 (1600 pages). Ce traité comprend un chapitre des névroses!
Jean-Pierre Falret, le Traité des maladies mentales (1854-1864) Magnan - Traité des maladies
mentales, Paris, 1860. Valentin MAGNAN (1835-1916) fut le véritable successeur de MOREL. Et voici à
cet égard le commentaire de POSTEL: "Il distingua soigneusement les délires polymorphes d’autres
espèces morbides, telles que la folie intermittente, et surtout le délire chronique systématisé. Il reprit la
description classique de Charles LASÈGUE du délire de persécution, en en précisant la marche évolutive
avec ses quatre périodes successives: période de simple interprétation, puis période de persécution, avec
hallucinations, puis période ambitieuse et mégalomaniaque, et, enfin, période démentielle terminale, dite
de dissolution. Il décrit encore la folie circulaire en 1854".

Le destin français de la psychiatrie allemande et suisse de 1880 à 1911. Christian Friedrich Nasse
et Meynert - qui était à Vienne le professeur de psychiatrie de Freud - constituaient "Le groupe de la
mythologie cérébrale". Un de leur contemporain, le Dr Aloys Alzheimer, a réalisé une œuvre qui a
cependant traversé les décennies malgré le sobriquet dont on les affublait. Cette sorte de tension entre
organicistes et psychiatres demeure au cœur de la problématique psychiatrique. Avec Bleuler c’est l’accès
de la psychiatrie à la maturité. Bleuler reconnaît la parenté entre la schizophrénie, l’ataxie intrapsychique
du viennois Stransky et la discordance de Chaslin (1912). C’est le trait de génie de Bleuler. La "nébuleuse
schizophrénique tuait la classification"! Bien que son œuvre fût écrite en allemand et traduite fort
tardivement elle a néanmoins exercé une immense influence sur la psychiatrie française.
Emil KRAEPELIN Introduction a la psychiatrie clinique. Traduction de la seconde édition
allemande par Albert Devaux et Prosper Merklen, P. Vigot, 1907
En 1916 une profusion d’entités cliniques en France et en Allemagne interdisait la classification
rationnelle. Ainsi par exemple le système de Krafft-Ebing 1840-1903 dans "Médecine légale des aliénés"
était-il beaucoup plus un catalogue d’entités qu’un système méthodique.
La carrière de Kraepelin (1856-1926) le mène de Munich, où il sera l’assistant du Pr VON
GUDDEN (qui sera noyé par son patient, Ludwig II de Bavière) puis il devient professeur de psychiatrie,
à Dorpat en 1886, puis enfin à Heidelberg, en 1890. En 1903 il obtiendra une Chaire dans un des grands
centres psychiatriques de Munich.
L’élaboration du manuel se poursuit méthodiquement entre 1883 et 1896.
Une véritable passion scientifique l’anime et l’incite à confectionner le manuel. Kraepelin rejette
la vision philosophique de la maladie mentale. KRAEPELIN ne s’intéresse pas au sens profond des
symptômes - on dirait aujourd’hui qu’il récuse l’herméneutique et a fortiori l’interprétation-. Seuls
l’intéressaient les signes des maladies. Pichot nous dit que Kraepelin emportait avec lui des centaines de
dossiers de patients et tâchait de les regrouper par critère -pendant des mois et des mois-. Il avançait dans
cette séméiologie comme on organise le gouvernement d’un pays!
Cet acharnement assez rare a abouti à la construction progressive de sa nosologie à la faveur des
différentes éditions. Voici donc le signe caractéristique de la nosographie de KRAEPELIN: elle apparaît
transformée, peaufinée et mordancée au fil des huit éditions successives. Ainsi la première édition en
1883 présente-t-elle une classification surtout psychologique proche d’Esquirol et de Parchappe. Je
rappelle que cette première édition, faite de chic était dénommée Compendium. Dans la 2ème édition de
1887 l’évolution clinique devient le critère essentiel opposant les maladies mentales curables (mélancolie,
manie, délire et états d’épuisement aigus) et les incurables (folie périodique ou circulaire et délire
chronique - qui correspondait alors à la folie systématisée avec démence plutôt qu’à la simple paranoïa-.
4
La 4ème édition dans laquelle apparaît le grand œuvre de Kraepelin. Elle expose les dégénérescences
comprenant la démence précoce, la catatonie et la démence paranoïde qui dans la 5ème édition de 1896
seront nommées ‘processus démentiels’. Avec la 5ème édition en effet apparaissent la ou les maladies et
corollairement le pronostic ou critère évolutif. La démarche de Kraepelin permet à la psychiatrie de se
séparer de la psychologie et de s’orienter dans l’univers des syndromes. Dans la 6ème édition de 1899 les
processus démentiels deviennent la dementia praecox qui comprend les formes cliniques suivantes:
hébéphrénique, catatonique et paranoïde (qui assemble la démence paranoïde et les paraphrénies).
La mise en œuvre des 13 chapitres des principales maladies dans la 6ème édition signe la
psychiatrie contemporaine. Voyons comment KRAEPELIN progresse-t-il entre la sixième et la huitième
édition. D’une part, il isole la démence précoce, avec ses différentes formes cliniques, hébéphrénie,
catatonie et démence paranoïde, et qu’il caractérise à la fois par une atteinte affective spécifique et une
évolution déficitaire. Et d’autre part il repère les délires paranoïaques tout en reconnaissant l’existence
des délires chroniques hallucinatoires systématisés. La 8ème édition est volumineuse, 4 volumes, entre
1909 et 1915, comprend les affections endogènes, psychoses évoluant vers une détérioration totale dont
la dementia praecox et les paraphrénies. A la fin du XIXème siècle l’auteur trace dans l’univers des
psychoses une frontière entre la psychose maniaco-dépressive d’une part et la paranoïa d’autre part puis
enfin laisse émerger un troisième chapitre psychotique la dementia praecox qui deviendra la ou les
psychoses schizophréniques. Dans cette 8ème édition nous avons la dementia praecox avec une mise en
lumière de la forme paranoïde de la démence précoce, des affaiblissements paranoïdes ou paraphrénies
des français et de la psychose dite PMD (il n’y a donc plus de mélancolie autonome). Le champ
sémantique du terme psychose s’est donc considérablement réduit depuis le temps où il désignait
l’ensemble du domaine de la pathologie psychotique, de la psychose unique.
Le but fondamental de Kraepelin consistait donc à clarifier la classification des symptômes et à
créer une nosologie conséquente. Il redoutait les descriptions mythologiques de ses prédécesseurs comme
celles de Wernicke. L’historique de l’affection compte plus qu’une étiopathogénie mythologique. D’autre
part le concept de dégénérescence est au fond aussi obscur que démoniaque! Bien entendu il va s’inspirer
du corpus scientifique français en particulier de Magnan. Comment raisonne-t-il? Le destin d’une maladie
fait figure de loi. Ainsi tire-t-il argument de l’hypothèse de l’incurabilité de la démence précoce - en quoi,
en son temps, il n’avait pas tort-. Entre-temps en 1822 la paralysie générale venait d’être découverte par
BAYLE. KRAEPELIN s’inspire des descriptions de la catatonie de KAHLBAUM. Il estimait que cet
auteur avait su distinguer un tableau, un syndrome, une maladie ou une entité psychiatrique. Reconnaître
la maladie mentale permet de préciser un pronostic. L’état terminal est le moment de vérité. Toute
psychose devient chronique jusqu’à la démence la plus profonde. C’est ainsi qu’il faut lire son
introduction à la leçon clinique aux étudiants de Heidelberg en 1901. L’état terminal des déments
précoces était donc pour Kraepelin un critère évolutif de grande valeur. Ce n’est pas l’expression chez cet
auteur d’une sorte de pessimisme mais en réalité une critériologie nosologique, une méthode scientifique.
Le raisonnement nosologique qui installe une opposition nette entre la psychose maniaque
dépressive ou périodique, curable, et la démence précoce nous projette dans la psychiatrie moderne.
Kraepelin reconnaissait bien entendu la multiplication des variétés de "délires systématisés", théorie
caractéristique du génie psychiatrique français. Dans la classification clinique de Magnan la
dégénérescence était un concept clef. Kraepelin inclura la plupart des ces processus dans la nouvelle
maladie, la démence précoce. De même Kraepelin décrit-il la paranoïa en adoptant totalement la leçon de
SERIEUX et CAPGRAS quant au délire d’interprétation - concept qui leur garantit une célébrité
justifiée-. La dementia praecox de Kraepelin préfigure ce que sera la schizophrénie de BLEULER.
Kraepelin est donc incontestablement le fondateur de la nosologie psychiatrique contemporaine. Les
nosologies actuelles continuent sans cesse de s’y référer.

Kraepelin nous surprend aujourd’hui encore par cette sorte de ténacité qu’il a déployée pour
élaborer son système. Il fonde en réalité la psychiatrie clinique moderne. Il élabore les principaux cadres
nosologiques qui demeurent en vogue aujourd’hui encore en psychiatrie de telle façon que nous pouvons
légitimement dire que nous exerçons une psychiatrie en grande partie kraepelinienne.
Atlas-manuel de psychiatrie [Atlas und Grundriss der Psychiatrie], par G. Weygandt, écrit vers
1904; édition française par le Dr J. Roubinovitch, la même année, avec 24 planches en couleur. Weygandt

5
(1870-1939), élève de Kraepelin, illustre dès 1904 les dérives de la psychiatrie allemande: il
préconise l’exposition des nouveaux-nés faibles

Bénédict Morel Traité des dégénérescences 1857, Etudes cliniques (1857) et Traité des maladies
mentales (1860). Voyons à ce sujet l’exposé du Dr Postel dans l’Encyclopedia Universalis: ’Morel (1809-
1873) surtout célèbre par son Traité des dégénérescences physiques, intellectuelles et morales de
l’espèce humaine et des causes qui produisent ces variétés maladives, dans lequel il privilégie l’origine
héréditaire des maladies mentales, il s’inspire de la philosophie conservatrice de L. de Bonald qui croyait
à la dégénérescence, sous l’effet des vices et des révoltes, d’une race humaine modelée à l’origine sur
l’exemple divin. Il se situe donc à l’opposé de tout évolutionnisme (L’Origine des espèces de Darwin ne
paraîtra qu’en 1859). Cette notion d’hérédo-dégénérescence est encore plus systématisée dans son Traité
des maladies mentales (1860), où les "aliénations et folies héréditaires" occupent une place
prépondérante.’
BALL Benjamin Leçons sur les maladies mentales, 1880 In-8°, 884 pp. Ball fut le premier
titulaire de la chaire à Sainte-Anne. On attendait Magnan et ce fut Benjamin Ball qui en 1877 inaugurera
la 1ère chaire de maladies mentales grâce aux efforts de Georges Clémenceau.

Charcot et Bernheim représentent ensemble, l’un à Paris et l’autre à Nancy, l’un des sommets
de l’Ecole Psychiatrique Française. Charcot situe l’hystérie et l’hypnotisme au centre des préoccupations
scientifiques. En 1884 il montre la différence entre les paralysies hystériques et les organiques
lésionnelles.
Charcot Jean-Martin Leçons sur les maladies du système nerveux, faites à la Salpétrière, publiées
par Bourneville et rééditées en 1875 et Leçons du mardi à la Salpêtrière de 1887 à 1889 publiées à Paris
au Progrès Médical et Clinique des Maladies du Système Nerveux en 1893. Il s’agissait de présentations
de patients devant les internes tandis qu’il proposait un diagnostic devant l’auditoire dans la très classique
et très grande tradition du médicat et du psychiatricat des hôpitaux.
Bernheim à Nancy, à la même époque, montre que l’hypnose est un simple sommeil. Déjà
comprend-il, -son point de vue épistémologique est en avance sur son temps-, un phénomène remarquable
qui envahit les services psychiatriques. Et c’est ceci: "La vérité que l’homme reçoit le plus volontiers
c’est celle qu’il désire". Toute la thérapie de Charcot à la Salpêtrière était une culture de la névrose! Ainsi
Bernheim s’il avait été psychiatre (il était un brillant interniste) il eût été plus neutre et plus objectif que
Charcot pour écrire un bon manuel.
Roubinovitch H. Variétés Cliniques de la Folie 1896
Rogues de Fursac J., Manuel de psychiatrie, 3é éd., Félix Alcan, Paris, 1905 puis 1909 puis 1923.
Cette édition est un gros in-12 relié de 906 pages, 6ème édition revue et augmentée, avec 4 planches hors
texte.

Chaslin Philippe Eléments de séméiologie et clinique mentales Editions Asselin & Houzeau, 1912,
après son Confusion Mentale Primitive, en 1895. Les Eléments de séméiologie et clinique mentales de
Chaslin (1857-1923), sont un ouvrage massif, de 956 pages, possédant tous les attributs des manuels
contemporains. Voyez par exemple au chapitre des idées délirantes, Idées de possession. Tous près des
idées de persécution, hypocondriaques, de transformation, mystiques, sont les idées de possession dont
j’ai déjà parlé chemin faisant. Elles sont surtout liées à l’idée du démon, parfois seulement à l’idée de
persécution. L’ennemi ne fait plus agir le malade à distance, il est dans le malade. On connaît ces idées
dans l’hystérie du moyen âge et les épidémies dont la plus célèbre est celle de Loudun. Elles ont à peu
près la même valeur séméiologique que les idées mystiques. Elles peuvent faire partie du syndrome de
Cotard. Elles peuvent aussi se rencontrer dans une variété de folie des persécutions. Elles indiquent en
général la chronicité. Le même auteur réunit les anciennes formes cliniques comme la stupidité de
Georget en 1820, les démences aiguës d’Esquirol sous un seul et même vocable à savoir la confusion
mentale. Cette forme clinique, très légitime, sera reprise par Régis puis par Seglas.

III.- Les premiers manuels modernes

6
De 1911 à 1920. Naissance de la psychiatrie moderne
De 1920 à 1940. Les années de la découverte de la schizophrénie. Bleuler en est le héraut: la
spaltung est son étendard et la schizophrénie sa maladie. Eugène Minkowski assistant de Bleuler à la
Burghölzli Klinik exprime l’idée que la schizophrénie n’est pas une maladie mentale mais la maladie
mentale. Naissance de la psychanalyse et rencontre de celle-ci avec la psychiatrie: ce fut plus volontiers
une collision qu’une collusion. Enfin le 8 mai 1937 les asiles d’aliénés deviennent les hôpitaux
psychiatriques
Régis E., Précis de psychiâtrie (sic: c’était l’écriture de l’époque), 4e éd., Doin, Paris, 1909 puis
en 1911 puis enfin la 5ème, édition de 1913 qui est dite édition freudique.
Gilbert BALLET (1853-1916). Le Traité de Gilbert Ballet en 1911 peut être considéré comme le
premier traité moderne. On y traite non plus de dégénérescences mais de prédispositions. L’opposition à
Kraepelin peut aussi être expliqué par l’atmosphère de l’époque: nous sommes en 1911 à 3 ans de la
guerre. Reprenons certains passages du texte de BALLET de 1911 dans lequel il nous parle de la
psychose hallucinatoire chronique. Il isole pour la première fois cette entité clinique remarquable. Ce
qu’il dit me semble intéressant pour notre travail sur trois points. Le premier niveau: comment établir une
classification des troubles. Le deuxième: le commentaire sur les rapports entre la psychose hallucinatoire
chronique et la démence paranoïde qui fait partie de la dementia praecox de Kraepelin. Le troisième
niveau: les réflexions sur les rapports entre la psychose hallucinatoire chronique et le délire chronique de
Magnan. BALLET sera en quelque sorte le successeur du grand homme de la psychiatrie française
puisqu’il s’inspire directement du délire chronique de MAGNAN et s’oppose à la nosographie clinique de
KRAEPELIN
Kurt Schneider Psychopathologie Clinique 1918

IV.- La psychanalyse et les traités psychiatriques

FREUD, contemporain de Kraepelin, ne produira pas de traité de psychiatrie. Freud a fort peu
étudié les psychoses. La psychanalyse d’une façon générale approche difficilement la psychose. Elle
adopte à grand peine une attitude cohérente à propos des classifications nosologiques. Les tentatives ont
cependant existé avec Régis et Hesnard dans La psychanalyse des névroses et des psychoses Edition 1912
puis une édition révisée en 1929 et E. Glover dans L’approche psychanalytique de la classification des
troubles mentaux 1932. Le même effort est perceptible chez Herman Nunberg et surtout Otto Fenichel.
Ainsi la rencontre et les moments de convergence entre psychiatrie et psychanalyse ont été évidents
surtout en France. Mais toutefois la psychanalyse n’a jamais eu l’ambition ni la capacité de remodeler la
nosographie psychiatrique.
L’œuvre de Freud aura sur la nosologique psychiatrique une influence aussi grande que celle de
Kraepelin mais de façon latérale et souterraine. L’étude précise de cette influence est difficile parce que
l’œuvre de Freud a été constamment faussée par une insistante hagiographie.

V.- Le cas particulier des phénoménologues

Traité de psychopathologie Eugène Minkowski en 1966, dans la collection Logos aux PUF.
Minkowski (1885-1972) aura donc mis 28 ans pour terminer ce livre! Il s’inspire de la méthode
phénoménologique. Ce traité et l’analyse phénoméno-structurale représentent bien le cheminement
intellectuel de l’auteur. Minkowski avait lu attentivement Hüsserl et Bergson. Rappelons enfin que
Minkowski fut l’un des fondateurs de la prestigieuse association "L’Evolution Psychiatrique". La Société
"L’Evolution Psychiatrique" a réuni et réunit encore en son sein les plus brillants psychiatres que nous
puissions connaître autour de nous.
Introduction à la psychopathologie de Rodolphe Roelens, publiée vers les années 1969. Ce précis
était largement inspiré des concepts de la phénoménologie
Karl Jaspers Psychopathologie générale. Trad. fr. d’après la 3ème édition allemande, Félix Alcan,
Paris, 1913 et plusieurs éditions successives notamment en 1928, précisément 6 éditions jusqu’en 1953!

7
La phénoménologie subjective de Jaspers dans son traité de Psychopathologie générale en 1913
est fondée sur la compréhension et la distinction entre le processus morbide et le concept de
compréhensibilité.
Que dire de la phénoménologie subjective de Jaspers? Elle est fondée sur le concept de processus
morbide et celui de compréhensibilité. C’est sans doute l’un des traités les plus originaux du 20ème
siècle. Vous trouverez dans l’édition de 1922, traduit et publié en français en 1933, une remarque des
traducteurs remerciant deux élèves de l’Ecole Normale, Sartre et Nizan, pour l’aide qu’ils ont apportée -
en particulier à propos de verstehen, verständlich (compréhension) et verstebar qui doivent être nettement
distingués de erklären (explication causale).
Jaspers estime en 1913 que la France et l’Allemagne sont les deux seuls pays importants dans le
monde de la psychiatrie.
Songez à la psychothérapie existentielle mais aussi les progrès de la compréhension des
schizophrènes. Voyons en particulier le chapitre "Les préjugés en psychopathologie" en page 16, mais
encore la discussion sur les concepts de processus et de compréhensibilité et "Les relations de
compréhension (psychopathologie compréhensive)", les différents genres de compréhensions sous forme
d’exemples, en page 274, et encore le contentieux avec Freud quant au concept d’explication causale en
page 442.
Jaspers écrit donc le Traité de Psychopathologie comme son oeuvre de jeunesse, à 30 ans, en
1913. C’est stupéfiant! N’eût-il existé en somme qu’un seul génie en psychiatrie ce serait Karl Jaspers! Il
fut médecin puis psychiatre mais seulement de façon marginale ou accessoire. Ce n’est pas la psychiatrie
qui intéresse ce penseur exceptionnel. Il va toute sa vie durant se consacrer à la philosophie. Qui est donc
Jaspers? Né en 1883 il fait du droit puis des études de médecine puis enfin de la neuropsychiatrie. Après
cela il étudie la psychologie et puis il obtient enfin la chaire de philosophie d’Heidelberg. Mais de quel
bois cet homme était-il donc fait? Chassé par les Nazis il poursuit sa carrière à Bâle et ne consentira
jamais à rentrer en Allemagne.
L’apport de la pensée phénoménologique à la psychiatrie contemporaine a été et demeure
considérable, profonde mais discrète. On ne saurait comprendre l’œuvre de Henri Ey sans Jaspers. Un
grand nombre de psychiatres contemporains ont une dette à l’égard de Jaspers. Notre collègue des Cahiers
Henri Ey, le Dr Mahieu, estime que l’œuvre de Lacan est elle aussi en réalité dédiée à Jaspers (alors que
je l’eusse plutôt considéré comme un disciple des concepts heideggériens d’archi-pensée et du la langue
pense en nous). Nous observons depuis une dizaine d’années un renouveau de la réflexion
phénoménologique dans la psychiatrie française. Le lecteur doit savoir que des régions entières d’Europe
ont développé une psychiatrie sous l’empire de la phénoménologie. Lors de mes entretiens avec des
psychiatres de Thurgovie en 1998 j’ai remarqué à quel point la pensée phénoménologique était
prédominante dans leur esprit.
Bref tout y est brillant et on regrette que Jaspers n’ait pas souhaité consacrer toutes sa carrière à la
psychopathologie.

VI.- La parenthèse de la guerre 1914-1918.

Les ravages considérables de cette guerre ont justifié la création de barèmes médico-légaux. Les
premiers barèmes psychiatriques difficiles apparaissent. Ainsi par exemple le premier guide barème date-
t-il de la loi du 31.03.1919 et les dernières modifications sont du 15.01.56 et de 1963. Un autre guide
barème est dit du Concours Médical. J’ai publié dans ce "Bulletin 4.2" le petit barème de Mélennec et
Bornstein daté de sept. 1988.
ANDRE BRETON ET LES MAITRES DE LA PSYCHIATRIE
Les hommes meurent ou survivent sous la mitraille et les poètes aussi. Breton en 1916, étudiant en
médecine, est affecté sous l’uniforme comme psychiatre au centre militaire neuropsychiatrique à Saint
Dizier. Le jeune étudiant hésite longtemps entre la psychiatrie et l’écriture. Il lit soigneusement les
ouvrages qui assuraient à l’époque la formation de base des étudiants en psychiatrie: le Précis de
psychiatrie du Dr Régis, qu’il appelle "le Faguet de la psychiatrie", le Traité de pathologie mentale de
Gilbert Ballet et ses Leçons de clinique médicale sur les psychoses et les affections nerveuses,
l’Introduction à la médecine de l’esprit de Maurice de Fleury, qualifié de "délicieux roman", les Leçons
8
cliniques sur les maladies mentales de Magnan, les Leçons sur les maladies du système nerveux de
Charcot, l’ouvrage de Constanza Pascal sur La Démence précoce édité chez Masson vers 1911, tout
imprégné des idées de Kraepelin dont Breton a vraisemblablement connu dès ce moment l’Introduction à
la psychiatrie clinique traduite en 1907. Notons à ce propos que Mme Constanza Pascal fut la première
femme nommée Interne des Hôpitaux Psychiatriques de la Seine.

VII.- La période pré-contemporaine 1918-1940

Des ouvrages aussi importants que ceux de Dupré, Pathologie de l’Imagination et de l’Emotivité
en 1925, ceux de Blondel et ceux de Janet, L’automatisme psychologique en 1889, Névroses et Idées
Fixes et Les Médications Psychologiques, 3 volumes, en 1925, ont largement inspiré les rédacteurs de
manuels de l’époque.
Bientôt cependant émerge une civilisation détestable. Le nazisme plonge le centre de l’Europe
dans une idéologie basée sur la détestation de l’humanité. Cette observation n’est pas dénuée d’intérêt
pour comprendre le destin de la psychiatrie. La pensée psychiatrique et psychanalytique a été annihilée
pendant 12 ans. Ceux qui pratiquaient cette spécialité en Allemagne et en Autriche étaient tout
simplement des auxiliaires de torture et de mort. De cette brillante communauté de psychiatres de la
Mitteleuropa, les meilleurs d’entre eux ont pris la fuite ou bien ont péri dans les camps. La psychiatrie est
une science fragile. Elle ne peut pas survivre dans des civilisations d’anéantissement!
L’antagonisme entre communisme et capitalisme et la guerre froide ont paralysé la recherche
psychiatrique en URSS et dans les pays satellites. Elle est régressé dans ces pays à un niveau quasiment
médiéval qui est encore peu ou prou perceptible aujourd’hui en 2003. Mais surtout elle a conduit à des
crimes médicaux révoltants dont nous avons pu mesurer l’horreur (cf. mes publications sur les victimes
des internements psychiatriques arbitraires en URSS, Revue de l’AMIF de septembre 1977 et Revue de
l’Evolution Psychiatrique octobre 1977). La compromission de beaucoup de ces psychiatres, encore en
exercice en Russie, doit être signalée. Ceux-ci excipaient d’une interprétation vicieuse d’une prétendue
nosologie soviétique. Je rappelle le concept de "schizophrénie larvée" qui eût pu en Europe correspondre
à la schizophrénie incipiens; mais ils en faisaient un usage criminel. Ils se sont rendus coupables d’un
nouveau crime: le crime nosologique!
Dide M. et Guiraud P., Psychiatrie du médecin praticien, Masson, Paris, 1922. Cet ouvrage
remarquable, extrêmement célèbre, comprend une trentaine de photos. Il faut relire en particulier le
chapitre consacré aux idéalistes passionnés. Mais voyons quelques lignes sur les idées délirantes en page
7, c’est un bon exemple du style de ces auteurs: "Quelquefois, surtout au début des psychoses, les
malades ont conscience des modifications pathologiques qui s’opèrent en eux. Quelques-uns se rendent
spontanément auprès du médecin ou même réclament leur internement. Un périodique, plusieurs fois
traité à l’asile de Clermont, avait au début de son accès une notion si juste de son état qu’il demandait
télégraphiquement qu’on l’envoie prendre par des infirmiers. Caractères généraux des idées délirantes.
L’ensemble des idées délirantes constitue le délire. Celui-ci peut être créé de toutes pièces ou reposer sur
des faits exacts mais mal interprétés. Il résulte, dans ce dernier cas, d’interprétations délirantes. Quand
les interprétations délirantes portent sur les faits anciens, le délire est dit rétrospectif. Parfois le délire
succède au rêve, se confond avec lui et en présente tous les caractères (délire onirique); tel est le cas
dans beaucoup de psychoses infectieuses et de psychoses toxiques. Presque toujours les idées délirantes
sont multiples. Même dans les cas désignés autrefois sous le nom de monomanie, l’idée morbide primitive
entraîne un certain nombre d’idées morbides secondaires qui en sont la conséquence. Tantôt différentes
conceptions délirantes coexistent simplement, sans aucun lien entre elles, tantôt e1les se groupent de
façon à constituer un tout plus ou moins logique et plus ou moins vraisemblable. Le délire est dit
incohérent dans le premier cas, systématisé dans le second. Systématisées ou non les idées délirantes sont
généralement, comme les hallucinations, en harmonie avec le ton émotionnel., Cette harmonie cesse
quand le processus pathologique perd de son activité, soit que la maladie tende vers la guérison, soit
qu’elle se termine par l’affaiblissement intellectuel. Chez les déments, les idées délirantes entraînent
souvent ni état affectif ni réaction. Un malade peut se dire empereur et accepter de balayer une salle, un
autre se croire privé d’estomac et cependant manger de bon appétit. On distingue trois grandes
catégories d’idées délirantes -Les idées mélancoliques; -Les idées de persécution -Les idées de grandeur.
9
Nous nous bornerons à les passer rapidement en revue, réservant les détails pour les affections où elles
se rencontrent."
Précis de psychiatrie. Barbé André, (né en 1877) - Masson 1930
Codet Henri (1889-1939) Précis de psychiatrie. Ce petit manuel édité chez Doin en 1925 dans la
collection ‘Les consultations journalières’ contient un long chapitre sur les syndromes et les états
psychopathiques tandis que la démence précoce occupe seulement 8 pages.
Kretschmer E., Manuel théorique et pratique de psychologie médicale. Trad. fr., Payot, Paris,
1927. Ce manuel fut plus ou moins bien accueilli. Dans une sorte de "contre Kretschmer", depuis
Heidelberg, voici la vision de Karl Jaspers: "Ce pourrait être par son contenu un livre classique mais ce
n’en est pas encore un. Pour être un Classique il lui manque l’achevé et le clair qui se passent
d’accessoires". Ces gens avaient sans doute la dent dure mais le souffle de l’histoire passe sur ces grands
livres.
Lévy-Valensi Joseph Précis de Psychiatrie Editions J.P. Baillière & Fils, éd. 1938 et éd.
successives jusqu’en 1948. Cet auteur né à Marseille en 1879 et mort à Auschwitz en 1943 a eu sur ses
élèves une influence considérable. Il avait la responsabilité de la chaire de psychiatrie de Sainte-Anne. Je
suis persuadé que ce texte représente, dans l’histoire de la psychiatrie, un sommet dans l’art d’exposer de
façon synthétique tous les aspects de la pathologie mentale. Le précis est écrit dans une langue
remarquable. On y trouve une quinzaine de précieuses photos. La disparition du Pr Lévy-Valensi laissa
vacant le poste de professeur agrégé qui fut attribué à titre provisoire au Pr Delay. Il faut citer pour la
qualité textuelle le chapitre des délires rétrospectifs, historiques ou palingnostiques ou encore les deux
petits chapitres sur les délires de supposition et de fabulation:. Délire de supposition. - C’est un délire
d’interprétation chez un douteur. Le malade soupçonne, mais n’arrive jamais à la conviction passant
successivement par des espoirs et des désespérances, les certitudes et des doutes. Délire de fabulation. -
C’est un délire d’interprétation chez un imaginatif c’est dans ce groupe qu’entrent pas mal
d’interprétateurs filiaux et en particulier les revendicateurs d’illustres origines. C’est dans ce groupe que
je crois devoir faire rentrer le délire d’imagination de Dupré et Logre. D’après ces auteurs cependant, il
s’agirait d’un délire purement intuitif. "Ce délire ne présente aucune trace d’hallucination; tout au plus
pourrait-on noter des représentations mentales vives, fréquentes chez les imaginatifs, surtout chez les
visuels" "Les interprétations sont rares. Plusieurs d’entre elles, qui portent sur le passé, relèvent en
réalité d’un trouble bien plus imaginatif que mnésique; il ne s’agit pas d’interprétation, mais de
fabulation rétrospective". Il s’agirait d’une juxtaposition de conceptions imaginatives, qui se présentent
spontanément à l’esprit du malade, ce dernier les enrichit constamment, voire au cours de
l’interrogatoire. Dans ce groupe entrent de nombreux mégalomanes, constructeurs de châteaux en
Espagne, d’inventeurs, etc. - Dupré et Logre ont bien étudié ce type clinique et mis en valeur ses
caractéristiques. Je crois néanmoins qu’il n’y a pas lieu d’en faire quelque chose de spécial. Les
quelques malades de ce type que j’ai eu 1’occasion d’étudier m’ont surtout paru des interprétants
imaginatifs.
Voici, à la même époque, un traité inclassable: H. Bless, recteur de l’Institut Psychiatrique
"Voorburg" à Vugt, traduit du néerlandais, PSYCHIATRIE PASTORALE, Ed. Beyaert, Bruges et
Lethielleux à Paris,1936. C’est un traité psychiatrique méritant et courageux puisqu’il tente de rapprocher
en 1936 la théorie psychanalytique et les préceptes de l’église catholique.

VIII.- MANUELS PSYCHIATRIQUES MODERNES

1940-1980 - Le secteur (1960) et l’avénement du Largactil (1950-1952). Henri Ey le catalan


français Quels furent les grands courants entre 1950 et 1965? Le 1er congrès mondial, en 1950, fut certes
présidé par Jean Delay mais en fait la psychiatrie de ce temps était absolument et universellement
dominée par Henri Ey. Jean Delay fut un excellent formateur d’internes et de chefs de clinique à la
Clinique Universitaire de Sainte-Anne. On lui sait gré d’avoir fermement maintenu la psychiatrie dans
l’univers médical stricto sensu. Mais l’enseignement et les publications d’Henri Ey représentent tout à la
fois la réflexion, la recherche et la novation dans la psychiatrie contemporaine.
Les manuels de psychiatrie de l’adulte

10
Henri Baruk (né en 1897) Précis de psychiatrie -clinique, psychophysiologie, thérapeutique- en
1950
BARUK PSYCHOSES ET NEVROSES QSJ en 1946 avec de très nombreuses rééditions. Le
même auteur publie "THERAPEUTIQUES PSYCHIATRIQUES" (QSJ) en 1955. Ce psychiatre eut une
carrière hors norme. Il possédait en particulier une connaissance approfondie de la Thora. Cette
propension se fit sentir lorsqu’il élabora le test Tsédek. Je crois savoir qu’il continua de recevoir des
patients en consultation alors qu’il avait plus de 100 ans!
Guiraud P. Psychiatrie clinique Ed. Le François éd. 1950 et celle de 1956. Autant le Traité de
Dide et Guiraud en 1922 eut un impact considérable autant celui de 1950 passa-t-il quasiment inaperçu.
Louis Gayral (né en 1916), Précis de psychiatrie et La psychiatrie contemporaine en 1954
Jacques BOREL, PRECIS DE DIAGNOSTIC PSYCHIATRIQUE Ed. Causse Graille Castelnau,
1958à Montpellier. Ce fut à l’époque un remarquable petit précis pour des étudiants assez avancés par
exemple de jeunes internes capables de prendre en charge des patients. Je prendrai pour exemple la page
90 consacrée à la psychose hallucinatoire chronique et le développement remarquable, en page 91, dans
une langue claire, simple et concise sur les idées délirantes dans la ‘Psychose Hallucinatoire
Chronique’: "Au syndrome hallucinatoire s’ajoutent très souvent des interprétations. Idées délirantes. Cet
automatisme mental (écho des pensées et des actes, des souvenirs etc.) donne au malade l’impression
d’être continuellement vu, surveillé, espionné; des appareils permettent de voir tout ce qui se passe chez
lui et même dans sa tête. Expériences scientifiques, radio, microphones, filmage de la pensée. Les
hallucinations psychiques entraînent des idées d’influence, télépathie, ondes, médium. Les hallucinations
de la sensibilité donnent les idées de courant électrique, fluides. Thème général de persécution. Le
malade se croit l’objet d’une hostilité plus ou moins diffuse, d’une malveillance plus ou moins générale;
et. de la part de l’entourage, soit d’inconnus, qualifiés on ou les invisibles, soit de corps organisés, la
police, les jésuites, les francs-maçons, etc. L’intention et le but sont tantôt définis, mais souvent
rudimentaires: jalousie des voisins, qui veulent lui faire perdre sa place, prendre son logement; ou bien
rattachés à un événement ancien, haine d’un ex-fiancé ou d’une rivale etc. Tantôt le motif reste incertain.
Tantôt même l’intention, le but, les auteurs restent inconnus. La persécution intérieure s’exprime en
plaintes quotidiennes sur les organes sectionnés, triturés, broyés toutes les nuits; parfois possession par
le démon, un animal logé dans le ventre"
Ey H., Bernard P., Brisset Ch. Manuel de Psychiatrie Editions Masson, 1960 et 1963. C’est un
gros volume de 1010 pages
L’apparition de ce manuel a été un événement considérable. Aujourd’hui encore au début du 21 ème siècle
il demeure un ouvrage majeur dans le monde de la psychiatrie. Il a été d’ailleurs plusieurs fois remis à
jour.
Que n’a-t-on dit d’Henri Ey (1900-1977)? Affectueusement qualifié de Pape de la psychiatrie
mondiale ou bien le Maître de Sainte-Anne il a été sans doute l’un des plus grands psychiatres du 20ème
siècle. Né à Banyuls dels Aspres le 10 août 1900, après des études médicales à Toulouse, il étudie la
psychiatrie à Paris en même temps que des études philosophiques à la Sorbonne. Il fut Interne des
Hôpitaux Psychiatriques de la Seine, élève de Paul Guiraud, de Marie, de Capgras et d’Henri Claude,
Chef de Clinique des maladies mentales et de l’encéphale à la Faculté de Paris de 1931 à 1933 puis enfin
Médecin chef de l’Hôpital psychiatrique de Bonneval, en province, de 1933 à 1970, poste qu’il ne
consentira jamais à quitter. Il y organise des colloques absolument historiques, il dirige la Société de
l’Evolution psychiatrique et enfin il préside l’Association mondiale de psychiatrie.
La Bibliothèque de l’Hôpital Sainte Anne était devenue son fief et il y réunissait son état-major
scientifique entre 1931 à 1970. Il était impossible d’aller à la rencontre de la psychiatrie sans connaître
l’enseignement d’Henri Ey. Sa conception est centrée sur une vision de la maladie mentale comme d’une
pathologie de la liberté et sa théorie est l’organo-dynamisme. Son œuvre est gigantesque, plus de 430
textes très denses, dont Les Etudes psychiatriques (1948 à 1954), le Traité de Psychiatrie de l’EMC
(1955) mais surtout le Manuel de Psychiatrie qui demeure encore de nos jours un ouvrage modèle.
J’ajoute que j’ai eu la chance de mieux le connaître entre 1969 et 1972. Il était très bienveillant
avec les jeunes psychiatres et il consentit à me confier quelques tâches au sein de son fameux Cercle
d’Etudes Psychiatriques en particulier un séminaire intitulé ‘Psychiatrie et Philosophie’. J’étais
impressionné par son immense culture psychiatrique, historique et philosophique. Il était entouré d’une
sorte de garde rapprochée qui rassemblait tout ce que la psychiatre française et même mondiale possédait
11
de brillant. Daumezon, Lantéri-Laura, Trillat et Postel, Green, Lacan et Melman - bref tous ceux qui
comptaient alors dans l’univers psychiatrique l’ont approché et admiré. De brillants collègues venaient
d’Argentine ou du Japon le visiter à Sainte-Anne, tout étonnés qu’il n’eût point son service personnel
dans les murs de l’hôpital parisien.
L’Exposé du Pr Lantéri dans l’Encyclopedia Universalis est tout à fait remarquable: ’L’organodynamisme
de H. Ey, synthèse originale de la psychiatrie à la lumière des travaux neurologiques de H.Jackson,
considère, du point de vue clinique, que les troubles mentaux ont toujours un aspect négatif, dû
directement au processus en cause et marqué par une déstructuration plus ou moins profonde, et un
aspect positif, dû à la levée des inhibitions et aux efflorescences des productions inconscientes qui
deviennent alors manifestes. La déstructuration peut porter sur la structure de la conscience (manie ou
mélancolie, bouffées délirantes, états oniroïdes et états confusionnels, soit l’ensemble des psychoses
aiguës); quand la déstructuration altère à la fois la structure de la conscience et celle de la personnalité,
ce sont les psychoses chroniques, dont la schizophrénie et la paranoïa constituent les deux pôles. Le
champ de la psychiatrie est conçu par cette école comme le domaine des désintégrations globales - par
opposition à la neurologie, aire des désintégrations partielles - et comme centré sur la pathologie de la
personnalité.’. On ne peut mieux dire et nous retrouvons tout ceci dans son fameux Manuel mais aussi
dans plusieurs chapitres des 6 volumes de psychiatrie de l’EMC.
EMC PSYCHIATRIE 6 volumes, oeuvre collective dirigée par Henri Ey. C’est une somme
psychiatrique considérable, exhaustive et évolutive puisqu’elle est constamment remise à jour à la faveur
d’une sorte d’abonnement. Chacun sans doute en possède chez soi un exemplaire mais il est bien rare
qu’on le consulte.
GUELFI ELEMENTS DE PSYCHIATRIE 1976. C’est un bon manuel de base pour étudiants en
psychiatrie
LEMPERIERE Th., FELINE A., GUTMANN A., ADES J., PILATE C. -Abrégé de psychiatrie de
l’adulte. - Editions Masson, Paris, 1977, dans la collection des Abrégés. On connaît les qualités de
méthode et de clarté des travaux de Mme le Pr Lempérière.
Traité de psychopathologie, de Daniel Widlöcher. 1994, PUF, 1005p. "Il nous faut donc
considérer, non pas une, mais diverses approches psychopathologiques". Cet auteur remarquable est
connu pour son approche subtile et variée de la nosologie.
Psychopathologie de l’adulte Par Quentin Debray, Bernard Granger, Franck Azaïs Coll. Abrégés
de médecine. 1998. 464 pages, broché, 13,5x21. Masson. L’ouvrage fait une synthèse des nouvelles
thérapeutiques, biologiques, comportementales et cognitives, psychanalytiques. On peut déjà observer
après une étude attentive de ce manuel que la psychose, véritable peau de chagrin, y est réduite a quia:
une vingtaine de pages sur les 400 qui composent l’ouvrage. Voici dons la tendance contemporaine des
manuels de psychiatrie. Elle consiste en somme à évacuer le noyau vivant de la psychiatrie elle-même au
profit des syndromes accessoires.

LES CLASSIFICATIONS INTERNATIONALES


Le Manuel Diagnostic et Statistique des Troubles Mentaux est né en 1952 sous le parrainage de
l’Association Américaine de Psychiatrie. Le DSM-I paraît avec son glossaire des catégories
diagnostiques. Le DSM-II en 1968 paraît en même temps que le CIM-8. Le DSM III en 1974 et le DSM
III R en 1983. Enfin le DSM-IV paraît en France en 1996. Les DSM - Diagnostic and Statistical Manual
of Mental Disorders - soit Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux. Comment le
clinicien se référe-t-il à l’une des deux classifications utilisée sur le plan international: la CIM-10 (ou
10ème version de la Classification Internationale des Maladies de l’OMS, 1992) ou le DSM-IV (4ème
version du "Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders", édité par l’Association Psychiatrique
Américaine, 1994)?
Le DSM vit donc une prodigieuse aventure. Simple classification dans un premier temps il est
devenu progressivement un véritable manuel. Une telle œuvre n’était possible qu’aux Etats-Unis. Elle
requérait un long et laborieux travail de consensus entre une masse énorme de psychiatres bien formés,
des statisticiens et des rédacteurs informatisés. C’est le mariage de la raison, du savoir, du nombre, de
l’argent et de l’informatique. Le traité est syndromique et athéorique. Est-ce la première fois qu’un traité
de psychiatre est athéorique? Probablement! Mais j’affirme cela avec quelques réserves.

12
INSERM CLASSIFICATION FRANCAISE DES TROUBLES MENTAUX, Paris 1968. Ce
travail intéressant, de petite taille (29 pages), sous la direction du Dr Sadoun et du Dr Kammerer a été
réalisé au milieu du bruit et de la fureur d’une foule préoccupée avant tout de détruire l’université. Aussi
passa-t-il assez inaperçu. La classification tentait en tous cas de se conformer aux travaux de l’OMS.
CIM - Organisation Mondiale de la Santé, Troubles mentaux: glossaire et classification en
concordance avec la neuvième révision de la Classification internationale des maladies. Genève, 1979. Le
CIM-10/ICD-10 est de 1992 et 1994
DSM-III. Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux. Trad, fr., Masson, Paris, 1983.
DSM-III-R. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (Third Edition Revised). APA
(American Psychiatric Association), Washington, 1987. Prenons deux entrées caractéristiques du DSM: -
TROUBLES ANXIEUX (ou Etats névrotiques anxieux et phobiques). 300.01. TROUBLE PANIQUE SANS
AGORAPHOBIE 300.21 TROUBLE PANIQUE AVEC AGORAPHOBIE 300.22 AGORAPHOBIE SANS
ANTECEDENTS DE TROUBLE PANIQUE 300.29. PHOBIE SPECIFIQUE 300.23. PHOBIE SOCIALE
Spécifier si c’est généralisé (peur de tout contact sociaux) et -Troubles dissociatifs (ou névrose
hystériques type dissociatif) 300.14 Personnalité multiple A Existence chez la même personne de deux ou
plusieurs personnalités ou "états de personnalité" distincts (chacun ayant ses propres modalités de
perception, de pensée et de relation concernant aussi bien la personne propre que l’environnement). B.
Au moins deux des personnalités prennent tour à tour le contrôle total du comportement du sujet.
DSM-IV. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (Fourth Edition). APA. Washington,
Les formes MINI DSM-III-R et MINI DSM-IV sont vraiment ingénieuses. Leur succès est considérable
bien qu’il s’agisse uniquement d’une forme réduite et simple de classification. Masson
DSM-IV. Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux. Trad. fr. Masson, Paris, 1996
et surtout sa forme mini, si pratique, la même année.
Retraçons l’histoire des DSM jusqu’au DSM-IV. Le DSM-IV présente deux particularités
introduites en 1980 par le DSM-III:
Il propose une classification des troubles mentaux en grands groupes de syndromes définis à
partir de critères diagnostiques précis (critères symptomatiques, critères de durée d’évolution, etc.),
dépourvus d’ambiguïté au point de vue sémantique et:
La classification multi-axiale: elle situe chaque patient dans une matrice psycho-sociobiologique
selon 5 axes correspondant à:
1. la symptomatologie psychiatrique,
2. les troubles de la personnalité et de son développement,
3. les troubles somatiques associés,
4. les stress psycho-sociaux et les événements de vie déclencheurs,
5. l’adaptation psycho-sociale (niveau et qualité) durant l’année précédente.
Le manuel contient essentiellement un guide d’utilisation qui définit, entre autres, ce qu’est une
classification multi-axiale et en quoi consiste le système dit des critères diagnostiques. Pour chaque
catégorie diagnostique sont données différentes informations: les caractéristiques essentielles, les
caractéristiques associées, l’âge habituel de survenue, l’évolution la plus fréquente, le handicap (surtout
socioprofessionnel), les complications, les facteurs prédisposants lorsqu’ils sont connus, la prévalence
lorsque des données épidémiologiques suffisantes existent, la répartition selon le sexe, les aspects
familiaux, le diagnostic différentiel enfin.
Le D.S.M.-IV est actuellement très utilisé dans le monde pour la recherche clinique,
l’épidémiologie, les essais thérapeutiques: c’est un instrument standardisé visant à échantillonner des
groupes homogènes de malades. C’est pourquoi l’intérêt de cette classification est immense malgré une
relative faiblesse du contenu séméiologique.
Le DSM-IV-TR Text Revised 2000 n’est pas encore traduit.
Wing J. K., Cooper S. E., Sartorius N., Guide pour un examen psychiatrique. Trad, fr., Mardaga,
Bruxelles, 1980.
Précis de psychiatrie [sous la direction de] Cyrille Koupernik, Henri Lôo et Édouard Zarifian
Précis de psychiatrie clinique de l’adulte sous la direction de P. Deniker, Th. Lempérière, J.
Guyotat Ed Masson 1990.
Pierre Lalonde et collaborateurs, Psychiatrie clinique, Une approche bio-psycho-sociale, 1980 et
1988. On trouve également un manuel de psychiatrie ambitieux au Canada, plus précisément au Québec.
13
Une nouvelle édition en 2 tomes Introduction et syndromes cliniques puis Spécialités psychiatriques,
traitements psychiatriques, sciences fondamentales, sujets d’actualité. Boucherville, Gaëtan Morin
La Psychiatrie d’aujourd’hui Du diagnostic au traitement, sous la direction du Pr Bernard Granger,
en janvier 2003, 545 pages, broché, Odile Jacob. Une étude attentive de ce manuel étonnant et paradoxal
découvre seulement deux petits chapitres consacrés aux psychoses, celui de C.-S. Péretti intitulé
"Schizophrénies" (33 pages) et celui de Gorwood intitulé "Autres troubles psychotiques" (14 pages).

Les manuels se sont multipliés depuis 1999. On note un grand nombre de traités américains
traduits en français ce qui -à l’exception des DSM- est assez surprenant: Guide Pratique de Psychiatrie
Rouillon Coll. Médiguides en 1999. Godfryd Psychiatrie de l’adulte chez Doin en 1999 (cet auteur est
décidément prolifique et polyvalent); Précis de Sémiologie des troubles psychiatriques Tribolet et Mazda
Shahides en 2000; Bottero Canoui Granger Psychiatrie (Coll. Révision accélérée 1992
Quelques manuels sont parus depuis janvier 2002 que je n’ai pas encore examinés: Manuel de
*Psychiatrie de Bouvard & Walliser Odile Jacob 2002 -
GUELFI & Boyer & Consoli & Olivier-Martin Psychiatrie aux PUF. Ce gros traité de 930 pages
est une excellente référence pour les étudiants. Il bénéficie de l’expérience et de l’érudition démontrées
par l’auteur principal dans son précédent traité de 1976.
Les petits précis et les vade-mecum pour étudiants débutants. Les polycopiés et autres fascicules
destinés aux étudiants en médecine existent seulement depuis 1945
R. BENON Vingt Leçons de Psychiatrie, Paris Ed. Vigné 1944. Petit ouvrage dans lequel apparaît
à la fin une leçon sur aphasie, apraxie et agnosie pour bien comprendre les démences.
Abrégé de psychiatrie: à l’usage de l’équipe médico-psychologique - Anty Michel - 1968 avec des
rééditions jusqu’en 1975
Michel Hanus & Le Guillou-Eliet Psychiatrie intégrée de l’étudiant en 1970. Ce petit précis pour
étudiants en médecine a joui longtemps d’une bonne réputation entre 1970 et 1990. Il reprend dans les
grandes lignes la nosographie de Henri Ey.
PSYCHIATRIE Ed. de l’AGEMP Paris, vers les années 1964-72. Je signale ce petit polycopié
pour étudiant. Il est certes modeste mais il a joué un certain rôle dans la formation de jeunes étudiants de
4ème année de médecine. Il pourrait avoir été rédigé par Hanus.
Initiation à la psychiatrie, Israël Lucien en 1984
Duguay, R., H.F. Ellenberger et collaborateurs. 1981 Précis pratique de psychiatrie. Montréal:
Chênelière et Stanké. Notons encore le dynamisme des auteurs canadiens.
Hanus Psychiatrie de l’Etudiant 1992 et 1998. Les excellents précis de cet auteur continuent
d’intéresser les étudiants. L’influence prépondérante est celle d’Henri Ey.
Le livre de l’interne Psychiatrie Olié Gallarda & Duaux chez Flammarion en 2003
Les traductions et les adaptations:
Henderson et Gillespie, Manuel de psychiatrie pour les étudiants et les praticiens [Text-book of
psychiatry for students and practitioners], par Sir David Henderson, et R. D. Gillespie. Traduit d’après la
7e édition anglaise par D. Anzieu, avec la collaboration de Guy Serraf et Mmes A. Garnier, D. Maroger,
Geneviève Testemale. Cet excellent manuel fut conseillé aux étudiants en psychologie à la Sorbonne
depuis les certificats de licence jusqu’au DESS entre 1955 et 1960

Les inclassables

Leland E. Hinsie, Manuel de psychiatrie traduit de l’anglais par Jean-Daniel Favre et Claude
Badoux chez Payot en 1951.
Manuel de l’infirmier en psychiatrie par Paul Bernard, en 1963 avec plusieurs révisions vers 1969.
Le Dr Bernard a composé ce manuel avec beaucoup d’application à l’époque où, à l’Hôpital Sainte-anne,
il dirigeait le service de psychiatrie du 5ème arrondissement.
Joannès Vinatier. Manuel de psychiatrie à l’usage des infirmiers. en 1963
Bercherie P., Les fondements de la clinique. Ornicar, Le Seuil, Paris, 1980. C’est un excellent
ouvrage, examen très vaste des concepts psychiatriques fondamentaux, éclairés par la formation
psychanalytique lacanienne de l’auteur. Il se situe entre le glossaire et le précis historique.

14
Manuel de psychiatrie du praticien maghrébin S. Douki, D. Moussaoui, F. Kacha (Masson, Paris,
1987)
Jean Delay et Pichot Abrégé de psychologie Ed. Masson, 1990
Manuel de psychiatrie clinique Harold I. Kaplan et Benjamin J. Sadock chez Maloine en 1992
traduit par Dreyfus de l’édition américaine de 1990.
Kaplan et Sadock Synopsis Psychiatrie en 1998 trad. 2002 et, des mêmes auteurs, Livre de poche
Psychiatrie 1998. Remarquons à quel point ces deux auteurs américains ont eu quelque succès en France
alors que cette spécialité paraissait autrefois si difficile à traduire.
Manuel de psychiatrie générale, directeurs. de la publication Howard H. Goldman, traduction de
Benzaken 1988 & 1992
Précis de pathologie médicale. Tome 8, Système nerveux, psychiatrie par Henri Péquignot, et J.
Dormont, J.-P. Etienne, D. Laurent [et al.]
D’autres traités inclassables:
Précis de psychologie médicale et de psychiatrie: à l’usage du praticien et de l’étudiant en
médecine Régis Pouget & CASTELNAU Dauramps Médical, 1984.

VIII.- Les manuels de psychiatrie de l’enfant

Les manuels de psychiatrie de l’enfant sont peu nombreux. Les uns sont destinés aux étudiants en
psychologie comme le livre de Beauchesne et Gibello ou celui de Duché tandis que les autres, plus
volumineux, aux psychiatres ou aux pédiatres dont les plus célèbres furent ceux de Michaux mais surtout
celui d’Ajuriaguerra. L’ensemble de ces manuels, du moins les plus sérieux d’entre eux, à partir de 1945,
ont beaucoup bénéficié de l’apport psychanalytique.
Les anciens
Moreau Paul dit Moreau de Tours La folie chez les enfants 1888 (son père Jacques Moreau fut
l’auteur du célèbre "Du haschisch").
Les Troubles mentaux de l’enfance, précis de psychiatrie infantile avec les applications
pédagogiques et médico-légales, par le Dr Marcel Manheimer, Préface de M. le professeur Joffroy,
Societé d’éditions scientifiques en 1899
Précis de neuropsychiatrie infantile, neuropsychiatrie et neuropsychologie infantile, psychologie
clinique et médico-pédagogie, clinique psychanalytique, thérapeutique, psychothérapie, rééducation,
réadaptation, par le Dr Gilbert-Robin, Préface du Prof. Heuyer 1939 avec une réédition en 1950
Les modernes

Léon Michaux Psychiatrie infantile, PUF et EMC en 1950 et 1965. C’est un ouvrage sérieux et
méthodique. Il bénéficie de la collaboration de Duché et surtout de Koupernik. On y remarque une grande
richesse de l’étude psychométrique, une bibliographie très riche. Mais en contrepartie pratiquement
aucune réflexion psychanalytique!
Julian de AJURIAGUERRA, Manuel de Psychiatrie de l’enfant, 1970, 1023p.- Ce manuel très
important a fait date. Il a bénéficié jusqu’à nos jours de nombreuses rééditions. Il continue de figurer en
bonne place dans les bibliothèques des services de psychiatrie infanto-juvénile. Ajuriaguerra possédait
une connaissance encyclopédique de la psychiatrie et de la méthode psychanalytique.
Duché Didier-Jacques, PRECIS DE PSYCHIATRIE DE L’ENFANT, 1971 PUF avec de
nombreuses rééditions.
P. Debray-Ritzen Abrégé de neuropsychiatrie infantile - Editions Masson, Paris, 1981, dans la
collection des Abrégés.
Traité de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, Serge Lebovici, René Diatkine, Michel Soulé.
Hervé BEAUCHESNE & Bernard GIBELLO TRAITE DE PSYCHOPATHOLOGIE
INFANTILE, PUF en 1990. Cet excellent ouvrage destiné aux étudiants en psychologie contient un
brillant aperçu sur les troubles des contenants de pensée et sur les troubles de l’apprentissage. Ces
auteurs, que je connais bien, font en effet partie de ces rares psychiatres qui ont bien étudié et compris
l’épistémologie génétique de Piaget.

15
CIM-10 Classification multi-axiale des troubles psychiatriques chez l’enfant et l’adolescent Daniel
Marcelli - Organisation Mondiale de la Santé, Cette classification exploite au mieux le modèle multi-
axial. Ed. Masson 2000.
Voici des ouvrages récents que je n’ai pas encore analysés:
Canoui Psychiatrie de l’enfant et de l’Adolescent (Coll. Révision accélérée) 1992
Un petit précis: Psychiatrie infanto-juvénile de Bourcet & Tyrode chez Ellipses en 2000
Habimana & Ethier & Petot Psychopathologie de l’enfant et de l’Adolescent Ed. Morin en 2002
Dumas Psychopathologie de l’enfant et de l’Adolescent en 2002
Collège National Universitaire de Psychiatrie Psychopathologie de l’enfant et de l’Adolescent Ed.
Morin en 2002
Les manuels de psychiatrie de l’enfant traduits de l’anglais ou de l’allemand
J. LUTZ PSYCHIATRIE INFANTILE, Ed. Delachaux Niestlé. Ce traité de Lutz, professeur à
Zurich a été publié en 1961 et traduit de l’allemand en 1968. C’est un ouvrage intelligent qui consacre
trois pages denses à l’autisme. Il intègre correctement la psychanalyse à la stratégie psychiatrique.
Manuel de psychiatrie infantile générale, par M. Tramer, Traduit de l’allemand par M. Schachter,
aux PUF en 1949

IX.- LES MOTS, LES LOIS ET L’HISTOIRE


LES DICTIONNAIRES PSYCHIATRIQUES

POROT Antoine, Manuel alphabétique de Psychiatrie., 1955, aux Presses Universitaires de France
éditeur, Paris, 1965. dans la collection "Bibliothèque de psychiatrie". C’est un ouvrage qui a eu un grand
succès d’estime parfaitement justifié. Les rééditions sont régulières jusqu’en 1975!
Lafon, Robert Vocabulaire de psychopédagogie et de psychiatrie de l’enfant PUF 1969 et 6e
édition. 1991 Ce vocabulaire qui a été rédigé avec le plus grand soin a eu un grand succès d’estime.
Postel J. Dictionnaire de psychiatrie et de psychopathologie clinique. Éd. entièrement refaite 1998
Ce dictionnaire destiné au grand public a eu un immense succès très mérité.
Brenot a dirigé en 1999 ou 2000 l’édition d’un volumineux dictionnaire: Les Objets de la
Psychiatrie - Dictionnaire de concepts en Psychiatrie - sous la direction du Professeur Yves Pélicier et des
éditeurs, les Ds Philippe Brenot et François Rigal. (650 p). 150 psychiatres ont contribué à la rédaction
des 234 notices qui décrivent les objets de pensée de la psychiatrie contemporaine dans toute sa diversité
(biologie, psychanalyse, phénoménologie, cognitivisme. J’ai repéré parmi les auteurs des noms aussi
prestigieux que Lebovici et Postel. Quant à l’éditeur, le Dr Brenot, psychiatre et sexologue très inventif,
en a été le véritable maître d’œuvre.
Marcel Garnier et Valery Delamare, Dictionnaire des termes techniques de Médecine 19ème
édition en 1974, augmentée par Jean et Jacques Delamare, éd. Librairie Maloine Paris. Ce petit
dictionnaire est principalement consacré au jargon médical et chirurgical. Mais il contient cependant
beaucoup de termes psychiatriques fort bien définis. Voici par exemple quatre entrées:
-"Catatonie  tension) (Kahlbaum, 1866). Attitude psychomotrice constituée essentiellement
par de l’inertie et du négativisme vis à vis du milieu extérieur etc." -"Schizophasie ( parole)
(Kraepelin), voir verbigération", -"Verbigération. Verbiage incohérent dans lesquels les mêmes mots ou
les mêmes séries de mots sont répétés indéfiniment: on l’observe chez certains déments excités" et enfin
-"Hallucinose (Dupré et Gelma, 1911) etc.". La qualité de ce petit dictionnaire fondée en outre sur une
connaissance assurée de l’étymologie gréco-latine est si remarquable que je ne peux manquer d’en
recommander la lecture.
Glossaires et lexiques de petit format
Lise Moor Glossaire de Psychiatrie, de psychologie pathologique et de neuropsychiatrie infantile,
1966 MASSON
DICTIONNAIRE DES TERMES PSYCHIATRIQUES 1969, pour le compte du Laboratoire
Servier
Jean Carrère & Jacques Dessaigne LEXIQUE DES TERMES USUELS DE PSYCHIATRIE 1976
BERGER-LEVRAULT (114p.)
Lexique psychiatrie de Yves Pélicier, PUF 1976 (153p.) C’est un travail limité.
16
Garrabé - Dictionnaire taxinomique de psychiatrie. Masson, Paris, 1989.
Godfryd, M. Vocabulaire psychologique et psychiatrique. 2e éd. mise à jour. QSJ janvier 1993.
Petit, comme le veut la collection, c’est en effet plus volontiers un lexique qu’un véritable glossaire ou
dictionnaire.
Pommereau, X. et al. Dictionnaire de la folie: les mille et un mots de la déraison. 1995
Tribolet, S. Lexique de santé mentale. 1997
Ludwig Fineltain, Glossaire Psychiatrique, 1.1.2000, Ed. Frison-Roche, rue Mazarine Paris

Les glossaires polyglottes et étymologiques


Kapsambelis V., Termes psychiatriques français d’origine grecque. 1997. Cet ouvrage est amusant
mais il paraît nécessaire tant les termes grecs sont fréquents dans le jargon psychiatrique. J’y ai, de mon
côté, également consacré un chapitre entier dans mon Glossaire
Dictionnaire de psychiatrie français-anglais Pierre Juillet, Académie de médecine.
Dictionnaires inclassables
André Lalande Vocabulaire technique et critique de la philosophie de Lalande Paris PUF en 1937
et plus tard Vocabulaire de la philosophie du même auteur au PUF en 1958 Cet ouvrage comme celui de
Laplanche et Pontalis aura une grande influence sur la construction des concepts psychiatriques
contemporains.
Vocabulaire de la psychologie de H. Piéron Paris PUF 5ème éd. 1973
Laplanche J. et Pontalis J.-B., Vocabulaire de psychanalyse. PUF, Paris en 1967. Ce livre n’est pas
à proprement parler un dictionnaire de psychiatrie mais il a joué dans cette discipline un rôle considérable
parce qu’il a contribué à mieux définir les concepts psychanalytiques. Beaucoup de psychiatres et même
de psychiatres psychanalystes ont tendance à utiliser les concepts psychanalytiques de façon tout à fait
maladroite ou fausse, comme par exemple le terme d’insight. Prenons trois exemples d’entrées: la pulsion
d’emprise, l’intrication et enfin l’insight. Ce dernier terme est légitimement ignoré dans le Vocabulaire. Il
est en effet depuis 1960 tout à la fois emprunté au vocabulaire de la Psychologie de la Forme et
au pidgin anglo-américain et, de ce fait, il acquiert un sens imprécis quand il est transporté dans le
domaine de la psychanalyse. L’introduction progressive de la pensée psychanalytique dans l’univers des
Hôpitaux Psychiatriques a été contemporaine de l’éclosion de la psychothérapie institutionnelle proposée
par Torrubia, Gentis, Oury, Bonnafé, Tosquelles etc. Il apparaissait un nouveau jargon psychanalytique et
méta-psychanalytique comme par exemple le ‘familialisme’ dans l’ouvrage de Félix Guattari. Il a donc
paru important à Laplanche et Pontalis de préciser le sens des mots. Ces deux auteurs issus de la khâgne
d’Henri-IV puis de l’Ecole Normale de la rue d’Ulm, en particulier Laplanche, philosophes, ont fait, je
crois, leur médecine dans la foulée de l’agrégation de philosophie pour exercer comme analystes. Ce fut
en tous cas le parcours de Laplanche qui fut nommé Interne des Hôpitaux Psychiatriques de la Seine au
concours de 1955. Je ne sais quelle était exactement l’intention première des auteurs, c’est à dire quel
était à leurs yeux le public privilégié -très probablement les analystes et les étudiants en psychologie-. Or
les lecteurs les plus attentifs furent certainement les psychiatres du secteur d’hygiène mentale. Comme
dans beaucoup d’ouvrages majeurs les mots définis ne sont pas les seuls à compter. Dans un ouvrage si
longuement médité il faut considérer attentivement les mots absents -ceux qui sans doute, pour certains,
sont absents -à tort-! Ainsi la plupart des concepts jungiens, reichiens et surtout lacaniens (grand A, petit
a, forclusion etc.) brillent par leur absence. Cet ouvrage quoi qu’il en soit figure en bonne place dans les
rayonnages des bibliothèques des psychiatres lettrés.

LES MANUELS DE PSYCHIATRIE LEGALE

Les anciens
Tardieu Ambroise Etude médico-légale sur la folie en 1872
Henri Legrand du Saulle (1830-1886). Cet auteur conçoit en 1863 un livre intitulé ‘L’application
de la photo à l’étude des maladies mentales’. Notons cependant son ‘Traité de Médecine Légale et de
Jurisprudence médicale’ en 1874
Henri CLAUDE PSYCHIATRIE MEDICO-LEGALE, Ed. Doin, Paris 1932
Les modernes
17
POROT & BARDENAT PSYCHIATRIE MEDICO-LEGALE, Maloine 1959
Jacques LEYRIE Manuel de psychiatrie légale et de criminologie clinique en 1977 chez Vrin. Cet
ouvrage est encore très souvent consulté.
Goumilloux Abrégé de législation psychiatrique - Editions Masson, Paris, 1981
Michel GODFRYD PSYCHIATRIE LEGALE (QSJ) 1989
Précis de psychiatrie légale: conduites à tenir en matière pénale, civile, sociale, administrative
Michel Godfryd
TYRODE & ALBERNHE PSYCHIATRIE LEGALE Ed. ELLIPSES 1995

LES TRAITES D’HISTOIRE DE LA PSYCHIATRIE


Les traités d’histoire de la psychiatrie sont encore moins nombreux que les traités de psychiatrie
de l’enfant. Ils requièrent une érudition considérable. Des pays privilégiés ont permis à des auteurs
prestigieux de réaliser des ouvrages de référence. Ce sont essentiellement les Etats-Unis et le Canada. On
ne dira jamais assez combien le privilège de l’année sabbatique, pratique traditionnelle dans les
universités de ces pays, facilite les recherches des spécialistes.
Nous savons qu’Henri Ey, peu de temps avant sa mort, préparait en 1977 une très ambitieuse
histoire générale de la psychiatrie dont nous ne verrons sans doute jamais la publication. Henri Ey
réunissait très régulièrement un vaste auditoire à la faveur d’exposés sur l’histoire de la psychiatrie, dans
la salle de lecture toute neuve de la bibliothèque de Sainte-Anne tandis que l’amphithéâtre attenant,
encastré par les soins d’une architecture mystérieuse entre la bibliothèque et l’internat, lui servait aux
présentations didactiques des malades.
Cette discipline acquiert peu à peu ses lettres de noblesse en France depuis la création en 1982 de
la Société Française (devenue Société Internationale) d’Histoire de la Psychiatrie et de la Psychanalyse
sous la direction de Quétel, Postel et Collée.
Alexander Franz G. MD With Sheldon T. Selesnick MD The History of Psychiatry. New York:
Harper and Row, 1966. First Edition et sa traduction française 6 ans plus tard, Histoire de la psychiatrie.
Trad, fr., Armand Colin, Paris, 1972.
Henri BARUK. La psychiatrie française de Pinel à nos jours. PUF, 1967.
Pélicier Y., Histoire de la psychiatrie. QSJ PUF., Paris, 1971. C’est un excellent petit traité.
Pichot P., Un siècle de psychiatrie. Edité pour le compte des Laboratoires Roche, Paris, 1983.
C’est un petit livre bien documenté.
POSTEL Jacques & QUETEL Claude Nouvelle Histoire de la Psychiatrie PRIVAT, Toulouse
1983. Cet ouvrage est important compte tenu de l’érudition des auteurs. Il devrait bénéficier de réédition
(en fait entre-temps je me suis aperçu que Dunod en avait assuré une réédition en 2002). On eût aimé une
description de l’œuvre de Lévy-Valensi. Ceci dit, c’est un travail très dense.
VIII.- DE QUOI EST FAITE LA PSYCHIATRIE DU TROISIEME MILLENAIRE?
Quel est le destin de la psychiatrie contemporaine?
Les nouveaux traités exposent une nosologie profondément modifiée. On y décèle des influences
combinées: celle du DSM, bien entendu, de la théorie des neurotransmetteurs mais aussi l’effet de la
résurgence des psychothérapies comportementales. L’essence de la psychiatrie, le champ des psychoses
délirantes et hallucinatoires, y apparaît au second plan. Une psychiatrie sans psychiatrie! C’est le
témoignage étonnant d’un incontestable trouble existentiel des psychiatres du 21ème siècle. J’observe
donc qu’à partir de l’an 2000 apparaissent des manuels innovants mais paradoxaux. Les traités se veulent
exhaustifs, faisant volontiers le point sur l’ensemble de la psychiatrie de l’adulte comme celle de l’enfant
et de l’adolescent, mais je le répète, nous constatons une quasi disparition des catégories de la psychose!
La déshérence de la psychose mais aussi de la psychanalyse dans les nouveaux traités est un
événement considérable. Quel est le sens de cette évolution? Comment interpréter cette évolution des
catégories de la pensée psychiatrique? Une première réflexion instinctive nous vient à l’esprit. La perte de
prestige des Hôpitaux Psychiatriques, la fermeture des grands centres, le développement des structures
d’accueil extra-hospitalières, tout cela entraîne des effets pervers imprévus. Voyez comme les centres
d’urgence psychiatrique sont assumés de plus en plus par les Hôpitaux Généraux. Voyez comme certains
traitements difficiles, du point de vue technique, ne sont plus pratiqués dans les Hôpitaux Psychiatriques
depuis une vingtaine d’années! Les praticiens de ces hôpitaux, en Ile de France, doivent requérir
l’assistance de services spécialisés extérieurs. Une partie de la psychiatrie s’est déplacée vers les
18
Hôpitaux Généraux et vers les autres spécialités médicales. Bref! La psychiatrie serait-elle devenue une
chose trop sérieuse pour être confiée aux seuls psychiatres? S’agit-il d’une sorte d’annonce d’un
démembrement de la spécialité?
Voici encore une autre réaction instinctive. La diminution de la nosographie psychiatrique en peau
de chagrin a été de toute façon déclenchée par le succès du DSM. Nous en observons constamment les
effets dans les versions successives. Cette classification par exemple ne connaît ni la paraphrénie
fantastique ni la bouffée délirante. Sa propension à baptiser ces formes nosologiques sous la rubrique des
schizophrénies aiguës ou chroniques est patente. Même réflexion quant aux catégories que la
psychanalyse nous a apportées. Ainsi le DSM ne connaît-il pas la névrose de destinée ou névrose d’échec
qui est pourtant très présente dans les consultations des psychiatres compétents en Europe.
Plus sérieusement encore devons-nous prendre en compte l’impact considérable des psychotropes
-en particulier des neuroleptiques- depuis 1960. Cet effet a été encore plus considérable avec l’apparition
de la clozapine, de la rispéridone en 1994, de l’olanzapine en 1999, de la ziprasidone (Zeldox), du
sertindole, de la quetiapine et bientôt de l’aripiprazole. La transformation du concept heureux,
neuroleptique, en un concept hypothétique, antipsychotique, le glissement sémantique - dis-je - indique
beaucoup plus un mouvement de l’esprit scientifique qu’une constatation objective. pharmacologique. On
ne peut pas en effet affirmer scientifiquement que les nouveaux neuroleptiques atypiques soient plus
spécifiquement antipsychotiques que les précédents. Mais on peut attester un nouveau mode de pensée
scientifique.
Si la pensée psychiatrique prédominante s’appuie en priorité sur les mouvements des
neurotransmetteurs alors la séméiologie et la nosologie seront inéluctablement modifiées. Une théorie très
en vogue mais très discutable nous dit que les pharmacologues ont intérêt à concentrer les catégories
nosologiques. Pourquoi? Parce que l’effet des neuroleptiques est comparable dans une bouffée délirante
polymorphe et dans une schizophrénie au début. Ainsi l’intérêt des prescripteurs consisterait à simplifier
la nosologie. Voici donc une théorie qui me paraît conspirationiste à quoi je n’adhère pas.
Une autre théorie nous dit ceci: la nosologie psychiatrique se réduit sous l’emprise d’une nouvelle
idéologie et de nouvelles épistémologies. Les bienfaits des psychotropes depuis 1956 modifient la
séméiologie et la nosologie, thème déjà abordé. Existerait-il donc une nosologie sous influence?
L’emprise des nouveaux champs de la psychiatrie a influencé la plupart des auteurs de manuels
psychiatriques depuis 2000. Mais en réalité toute la génération de la fin du 20ème siècle a vécu les effets
de ce processus de rénovation psychiatrique. Le théâtre des conflits d’hier s’est déplacé. Hier les
neurologistes s’opposaient aux aliénistes, les somatistes aux psychistes, les organicistes aux
psychothérapeutes, les psychiatres aux psychanalystes et aujourd’hui sans doute les pharmacologues aux
psychiatres.
Il serait nécessaire d’étudier beaucoup plus attentivement qu’on a fait jusqu’à présent quelles sont
les influences déterminantes sur le DSM. Voici quelques unes de mes premières réflexions:
- La psychologisation de la psychiatrie est tout à fait évidente dans le DSM. Les items y
remplacent les séries séméiologiques des classiques et les échelles d’évaluation y sont envahissantes etc.
Nous entrons dans l’univers d’une sorte de psychométrie de la pathologie mentale avec l’appareil
scientifique de la psychologie expérimentale de Piéron.
- On peut aussi rappeler à cet égard l’étonnant débat à propos de personnalités multiples. Ce
symptôme en grande partie issu des travaux de Janet dans Médications et dans Automatismes
Psychologiques avait totalement disparu des nosologies européennes. Cette sorte de récupération de
concepts un peu archaïques a d’ailleurs provoqué des remous et des démissions dans le comité de
synthèse du DSM.
- L’absence de théorie pathogénique fait disparaître des pans entiers de la nosologie - en
particulier une grande quantité de névroses et une partie des délires aigus-.
- La démarche syndromique conduit à une sorte d’émiettement des catégories de troubles. Cette
démarche contrarie l’inventivité des cliniciens.
- Ces réflexions ne peuvent cependant masquer ni diminuer les avantages remarquables des DSM
et des CIM comme par exemple la possibilité d’instaurer un langage scientifique universel pertinent.

Bibliographie

19
POSTEL Jacques & QUETEL Claude Nouvelle Histoire de la Psychiatrie PRIVAT, Toulouse
1983.
Les Cahiers FMC Psychiatrie oct 1996 supplém au N°193 Classifications diagnostiques en
psychiatrie: efficacité et limites sous la coordination du Pr J.D. Guelfi. Référence très intéressante: on y
trouve notamment: "Intérêt des classifications des troubles dépressifs" de D.Purper et "Les délires
chroniques à l’épreuve des classifications diagnostiques" de J.Desmarquet dans lequel l’auteur compare la
classification de l’INSERM (1968) qui, comme Henri Ey dans son traité, décrit les ‘délires chroniques’, le
CIM-10 de 1992 qui décrit en F22 ‘les troubles délirants persistants’ et le DSM-IV (delusional paranoïd
disorders). Ainsi donc apparaît-il qu’une maladie psychiatrique peut disparaître corps et bien dans une
nouvelle classification. Ceci démontre qu’une classification et un manuel cela représente tout un univers
de la pensée.
Pierre-Henri Castel La querelle de l’hystérie de 1870 à 1892

20

Vous aimerez peut-être aussi