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ACHIM ESCHBACH
(University of Essen)
Volume 14
Gérard Deledalle
par
GÉRARD DELEDALLE
1987
Library of Congress Cataloging in Publication Data
Deledalle, Gérard.
Charles S. Peirce, phénoménologue et sémioticien.
(Foundations of semiotics, ISSN 0168-2555; v. 14)
Bibliography: p.
Includes index.
1. Peirce, Charles S. (Charles Sanders), 1839-1914. I. Title. II. Series
B945.P44D43 1987 191 86-3333
ISBN 90 272 3285 7
© Copyright 1987 - John Benjamins B.V.
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Du même auteur
Pour Myriame
AVANT-PROPOS
"Sur une nouvelle liste de catégories" dont Peirce disait encore en 1895 que
c'était l'article "le moins insatisfaisant du point de vue logique" qu'il eût ja
mais écrit (2.340), expose les résultats de l'analyse plus approfondie de la na
ture des arguments à laquelle Peirce vient de procéder. Mais, comme on le
verra, il s'agira moins de substituer une nouvelle liste de catégories aux lis
tes existantes (car l'analyse peircienne n'atteint pas seulement Kant, mais
également Aristote et Hegel) que d'introduire entre les catégories extrêmes
de la substance et de l'être les catégories nécessaires pour passer de l'une à
l'autre. Au point de départ, le problème est celui de Kant, celui-là même
que le "nominalisme" pose à Peirce: Comment réduire le divers du sensible
à l'unité, mais la réponse peircienne s'inspirera plus de Duns Scot que de
Kant à l'idéalisme duquel il opposera bientôt son réalisme catégoriel.
Peirce concède d'abord que la réduction à l'unité de la diversité du sen
sible ne peut se faire qu'au moyen des conceptions. La conception univer
selle la plus proche du sensible est celle de "ce qui est présent en général"
(1.547): "ça" (It) ou "substance", "pure capacité dénotative de l'esprit"
sans connotation et par conséquent sans unité propre. "L'unité à laquelle
l'entendement réduit les impressions est l'unité de la proposition" qui
"consiste dans la liaison du prédicat avec le sujet" et "ce qui est impliqué
dans la copule — la conception de l'être — est ce qui complète le travail des
conceptions, à savoir la réduction du divers à l'unité" (1.548). La substance
et l'être marquent donc "le commencement et la fin de toute conception.
La substance est inapplicable à un prédicat et l'être l'est également à un su
jet" (Ibid.).
L'union de la substance et de l'être se fait par la précision (préscission)
ou abstraction qui diffère de la discrimination et de la dissociation. La dis
crimination est une distinction "mentale"; la dissociation une séparation
"physique"; la précision se situe entre les deux. La hiérarchie de ces modes
de différenciation est la suivante, par ordre croissant.
Discrimination: On peut discriminer le rouge du bleu, l'espace de la
couleur, la couleur de l'espace, mais non le rouge de la couleur.
Précision: On peut préciser (préscinder ou abstraire) le rouge du bleu,
10 CHARLES S. PEIRCE, PHÉNOMÉNOLOGUE ET SÉMIOTICIEN
à trois.
"La conception d'un troisième est celle d'un objet qui est ainsi relié à
deux autres que l'un de ceux-ci doive être relié à l'autre de la même maniè
re que le troisième est relié à cet autre. Or cette conception coïncide avec
la conception d'un interprétant. Un autre est évidemment équivalent d'un
corrélat. La conception de second diffère de celle d'autre parce qu'elle im
plique la possibilité d'un troisième. De la même manière, la conception de
soi (self) implique la possibilité d'un autre. Le fondement est le soi abstrait
de la concrétude qui implique la possibilité d'un autre" (1.556).
3. Etant donné qu'une catégorie ne peut être préscindée de celle qui
est au-dessus d'elle, la liste de leurs objets possibles est la suivante:
"Ce qu'est
Le quale (ce qui renvoie à un fondement)
Le relat (ce qui renvoie au fondement et au corrélat)
Le representamen (ce qui renvoie au fondement, au corrélat et à
l'interprétant) 8 .
Ça" (1.557).
4. Les signes se divisent en ressemblances, indices et symboles (1.558)
que Peirce définira différemment quand il maîtrisera mieux la logique des
relatifs (1.564). En fait, il n'emploie pas le mot "icône" pour "ressemblan
ce" (ce qu'il fait en 1.564 qui est de v. 1899), appelle l'indice "indice ou si
gne" et fait du symbole un "signe général".
"Cette troisième classe consiste réellement en relations plurielles qui
peuvent toutes être considérées comme des composés (compounds) de rela
tions triadiques, c'est-à-dire de relations entre triades d'objets. Une classe
très vaste et importante de caractères triadiques comprend les représenta
tions. Une représentation est ce caractère d'une chose en vertu duquel,
pour la production d'un certain effet mental, il peut tenir la place (it may
stand in place) d'une autre chose. La chose ayant ce caractère je l'appelle
un representamen, l'effet mental ou pensée, son interprétant, la chose pour
laquelle elle est mise, son objet" (1.564).
On remarquera donc que dès son premier article important — et c'est
par cela qu'il est important — Peirce propose une théorie logique des caté
gories et des signes. Certes, par la suite, la logique des relations supplantera
la logique prédicative aristotélicienne, ce qui entraînera une modification
du contenu des catégories et une redéfinition des signes, mais, dès le dé
part, la structure du système est posée: les trois catégories première, secon
de et troisième, la division des signes en signe premier, objet second et in-
SORTIR DE LA CAVERNE 13
dise que ia conclusion est vraie. Il doit donc y avoir dans l'organisme quel
que chose d'"équivalent au processus syllogistique" (5.268).
Peirce ne tardera pas sous l'influence de Duns Scot à donner un nom à
cet équivalent organique de l'inférence. C'est l'habitude. "Il y a deux fa
çons pour une chose d'être dans l'esprit, dit Peirce dans son compte rendu
de l'oeuvre de Berkeley, — habitualiter et actualiter. Une notion est dans
l'esprit actualiter quand elle est actuellement conçue; elle est dans l'esprit
habitualiter' quand elle peut directement produire une conception10. C'est par
association mentale (comme nous le disons aujourd'hui) que les choses sont
dans l'esprit habitualiter" (8.18). De ce fait, l'"association mentale" est plus
qu'une simple association des idées obéissant aux trois principes de la res
semblance, de la contiguïté et de la causalité: "l'association des idées
consiste en ceci qu'un jugement occasionne un autre jugement dont il est le
signe. Or ceci n'est ni plus ni moins qu'une inférence" (5.307) dont les trois
principes de ressemblance, de contiguïté et de causalité sont les principes
directeurs.
Le troisième principe proposé par Peirce décrit ce processus d'inféren-
ce continue: c'est un processus de signes. Toute représentation présente à
la conscience est un signe. "Or un signe a, en tant que tel, trois références:
la première, c'est un signe pour la pensée qui l'interprète; la seconde, c'est
un signe pour l'objet dont il est dans cette pensée l'équivalent; la troisième,
c'est un signe dans un certain rapport ou une certaine qualité qui le met en
relation avec son objet" (5.283). 1. Quand nous pensons, la pensée-signe
est "toujours interprétée par une pensée subséquente" sans qu'il puisse y
avoir interruption, sans quoi nous enfreindrions le deuxième principe sui
vant lequel toute connaissance est déterminée par une connaissance anté
rieure. L'apparition d'une connaissance nouvelle n'est donc jamais une af
faire instantanée, mais un "événement occupant du temps et venant à pas
ser par un processus continu" (5.284). Mais bien entendu cette continuité
infinie du processus de la pensée, sans commencement ni fin, est une conti
nuité a parte ante logice, car la pensée a "un commencement dans le temps"
(5.311) et elle peut s'abîmer "d'une manière abrupte et définitive dans la
mort" (5.284). 2. "Pour quoi la pensée-signe est-elle mise — que nomme-t-
elle — quel est son suppositum?" Pour une chose externe réelle, si l'on pen
se à une chose externe réelle, répond Peirce. Mais étant donné que "la pen
sée est déterminée par une pensée antérieure du même objet", elle ne ren
voie à cet objet qu'en "dénotant cette pensée antérieure". Ainsi si nous
pensons au général Toussaint11 "et que nous pensions d'abord à lui comme
SORTIR DE LA CAVERNE 19
existence dans les choses et de sa conception dans l'esprit. Cette théorie qui
a sa source dans une lecture de Duns Scot est à rapprocher de la conception
jamésienne de Inexpérience pure" qui donnera naissance au néo-réalisme
américain dont le principal représentant sera Ralph Barton Perry.
Le réel est négativement ce qui n'est pas irréel ou illusoire. La notion
nous en vient quand, à la suite d'une "erreur", nous nous corrigeons. Le
réel est positivement ce sur quoi les hommes finissent par s'entendre. "Le
réel est donc ce à quoi tôt ou tard l'information et le raisonnement abouti
ront finalement et qui est donc indépendant de mes fantaisies et des vôtres"
(5.311). "Cette opinion finale (...) est indépendante, non certes de la pen
sée en général, mais de tout ce qui est arbitraire et individuel dans la pen
sée; est tout à fait indépendante de la manière dont vous ou moi ou n'im
porte quel nombre d'hommes pensons. C'est pourquoi tout ce qui sera pen
sé exister dans l'opinion finale est réel, et rien d'autre" (8.12). Cette
conception du réel est étroitement liée à la définition de la pensée comme
processus temporel, avec tout ce que cette définition implique, à savoir que
ce processus est auto-correcteur et communautaire. "Ainsi, poursuit Peir-
ce, l'origine même de la conception de la réalité montre que cette concep
tion implique essentiellement la notion d'une communauté sans limites dé
finies et susceptible d'une croissance définie de la connaissance. Et ainsi ces
deux séries de connaissances — le réel et l'irréel — comprennent celles qu'à
une époque suffisamment future la communauté continuera toujours de
réaffirmer, et celles que, dans les mêmes conditions, elle ne cessera jamais
de nier. Or une proposition dont la fausseté ne peut jamais être découverte
et dont par suite l'erreur est absolument inconnaissable ne contient en prin
cipe absolument aucune erreur. En conséquence, ce qui est pensé dans ces
connaissances est le réel comme il est réellement. Il n'y a donc rien qui
puisse nous empêcher de connaître les choses extérieures comme elles sont
réellement et il est fort probable que nous les connaissons ainsi dans un
nombre incalculable de cas, bien que nous ne puissions jamais être absolu
ment certains de les connaître dans un cas particulier" (5.311).
Etant donné qu'aucune de nos connaissances n'est absolument déter
minée, les généraux (ou universaux) doivent avoir une existence réelle"
(5.312). "Un réaliste, dit Peirce, est simplement celui qui ne connaît pas plus
de réalité mystérieuse que ce qui est représenté dans une vraie représenta
tion. Puisque donc le mot "homme" est vrai de quelque chose, ce que
"homme" signifie est réel" (5.312). Le nominaliste est celui qui croit qu'il y
a sous le mot "une chose en soi, une réalité inconnaissable". "Le grand ar-
SORTIR DE LA CAVERNE 21
gument en faveur du nominalisme est qu'il n'y a pas d'homme s'il n'y a pas
quelque homme particulier". Cela n'affecte pas le réalisme de Duns Scot tel
que Peirce le conçoit, "car, bien qu'il n'y ait pas d'homme dont toute déter
mination ultérieure puisse être niée, il y a pourtant un homme, abstraction
faite de toute détermination ultérieure" (5.312).
En conséquence, ce qui est général est aussi réel que ce qui est concret.
"Il est parfaitement vrai que les choses blanches ont la blancheur en elles,
car en disant cela on ne fait que dire sous une autre forme verbale que tou
tes les choses blanches sont blanches; mais puisqu'il est vrai que des choses
réelles possèdent la blancheur, la blancheur est réelle. C'est une réalité qui
n'existe qu'en vertu de l'acte de pensée par lequel on la connaît, mais cette
pensée n'est pas une pensée arbitraire ou accidentelle qui dépendrait de nos
idiosyncrasies, mais une pensée qui sera maintenue dans l'opinion finale"
(8.14).
Mais, bien entendu, la réalité des choses générales n'affecte en rien
celle des choses concrètes qui en est en quelque sorte le modèle: "les uni-
versaux peuvent être aussi réels que les singuliers"12; "une chose en général
est aussi réelle que dans le concret" (8.14). "Cette théorie est également
hautement favorable à la croyance aux réalités externes". Puisque "exter
ne" signifie simplement "indépendant des phénomènes immédiatement
présents, autrement dit de la manière dont nous pouvons penser ou sentir"
et "réel" "indépendant de la manière dont nous le pensons ou le sentons",
il faut accorder "qu'il y a beaucoup d'objets de la vraie science qui sont ex
ternes, parce qu'il y a beaucoup d'objets de pensée qui, s'ils sont indépen
dants de l'acte de penser par lequel on les pense (autrement dit, s'ils sont
réels), sont indiscutablement indépendants de toutes les autres pensées et
de tous les autres sentiments" (8.13).
Un réaliste ne peut donc pas être dualiste. Il ne dresse pas une barrière
infranchissable entre "l'existence hors de l'esprit et l'être dans l'esprit.
Quand une chose entretient avec l'esprit individuel une relation telle que
cet esprit la connaît, la chose est dans l'esprit; et le fait qu'elle soit ainsi
dans l'esprit ne diminue en rien son existence externe" (8.16).
Mais cette conception de la réalité porte un coup fatal à la chose en soi,
qui est une chose dont l'existence est "indépendante de toute relation avec
la conception que l'esprit en a" (8.13). Elle n'interdit pas, tout au contraire,
de "considérer les apparences sensorielles comme de simples signes des réa-
lités", à cette condition près que les réalités qu'elles représentent ne soient
pas "la cause inconnaissable de la sensation, mais des noumena, ou concep-
22 CHARLES S. PEIRCE, PHÉNOMÉNOLOGUE ET SÉMIOTICIEN
tions intelligibles qui sont les produits ultimes de l'action mentale que la
sensation déclenche" (8.13). Les conceptions sont bien nécessaires pour
réduire les impressions à l'unité, mais celles-ci sont la "condition" de celles-
là (1.549). "Nous n'avons, il est vrai, immédiatement présentes en nous que
des pensées. Ces pensées ont cependant pour cause des sensations et ces
sensations nous sont imposées par quelque chose en dehors de notre esprit"
(8.12).
On aurait pu s'attendre à ce que Peirce lie les sensations aux qualités et
donne, ce faisant, un contenu réel à la catégorie première, référence à un
fondement, comme il en a donné un à la catégorie seconde, référence à un
corrélat: le concret et à la catégorie troisième, référence à un interprétant:
le général. Sur ce point, sa position reste "phénoméniste", que ce soit un
phénoménisme à la Kant plutôt qu'à la Hume ne change rien à l'affaire
(8.15). Les qualités sensibles ne sont pas réelles au sens peircien: elles ren-
voient à ces autres réalités que sont les noumena, dont elles sont les simples
signes incarnés dans les choses: Dire que "les choses blanches ont la blan-
cheur en elles" est une autre façon de dire que "les choses blanches sont
blanches" (8.14). C'est donc la blancheur qui est le fondement des choses
blanches, autrement dit un troisième. On pourrait même se demander
pourquoi Peirce se sent plus proche de Kant que de Hume, alors qu'il re
jette l'intuition kantienne pour une perception qui n'est pas aussi étrangère
qu'il le dit à la connaissance empirique, si n'était que Kant n'est pas, com
me Hume, un nominaliste déclaré, sa révolution copernicienne marquant
précisément aux yeux de Peirce "le passage de la conception nominaliste à
la conception réaliste" (8.15). "Si le matérialisme sans idéalisme est aveu
gle, disait le jeune Peirce en 1863, l'idéalisme sans matérialisme est vide"13.
Et cette paraphrase de Kant ne serait pas une mauvaise définition du systè-
me réaliste de Peirce sous sa forme achevée, dans lequel chacune des caté
gories correspond à un univers réel.
"Telle étant la nature de la réalité en général, en quoi consiste la réali
té de l'esprit?" (5.313), se demande Peirce. Sa réponse est que l'homme
étant un signe, il est une réalité du même type que celle qu'il vient de décri
re. Il n'y a pas lieu d'attribuer à l'homme une réalité particulière. Que
j'existe est un fait que prouve sans discussion l'existence "de l'ignorance et
de l'erreur" (5.283). Etant donné, d'autre part, qu'à chaque fois que nous
pensons, "nous avons présent à la conscience quelque sentiment, image,
conception ou autre représentation qui sert de signe", il suit que "tout ce
qui est présent en nous est une manifestation phénoménale de nous-
SORTIR DE LA CAVERNE 23
poignées de haricots d'un sac contenant des haricots blancs et des haricots
noirs et à partir de cet échantillon je peux déterminer approximativement la
proportion de haricots blancs et noirs qui se trouvent dans ce sac. Pourquoi
ce type d'inférence est-il valide? Parce que "à la longue" on retirera aussi
souvent un haricot blanc qu'un haricot noir (5.349). Il en va de même de
l'induction: "On ne peut pas dire que la généralité des inductions soient
vraies, mais seulement qu'à la longue elles approcheront de la vérité." On
ne peut donc pas dire non plus que "nous savons qu'une conclusion inducti
ve est vraie", mais que "nous savons seulement qu'en acceptant les conclu
sions inductives, à la longue, nos erreurs se contrebalanceront" (5.350).
Pourquoi toutes les inductions humaines ne sont-elles pas erronées? Parce
que le réel existe. "Puisque s'il existe quelque chose de réel, alors (étant
donné que cette réalité consiste dans l'accord ultime de tous les hommes et
étant donné que le raisonnement qui va des parties au tout est le seul genre
de raisonnement que les hommes possèdent), il suit nécessairement qu'une
succession suffisamment longue d'inférences des parties au tout conduira
les hommes à sa connaissance, de sorte que, dans ce cas, ils ne peuvent pas
se tromper en général d'une manière constante dans leurs inductions"
(5.351).
Qu'en découle-t-il pour l'homme? "Que la logique requiert, avant
tout, qu'aucun fait déterminé, rien qui puisse arriver à un homme ait plus
d'importance pour lui que n'importe quoi d'autre. Celui qui ne sacrifierait
pas son âme pour le salut du monde, serait illogique dans toutes ses inféren-
ces. Aussi le principe social est-il intrinsèquement enraciné dans la logique"
(5.354).
Ce sacrifice donne une dimension morale au fondement ultime de la
logique et par là même une raison morale de la validité de l'induction et de
la nouvelle conception du processus de la pensée. "La révélation de la pos
sibilité de ce sacrifice total de soi pour l'homme et la croyance en son pou
voir salvateur serviront à racheter la nature logique de l'homme. Car celui
qui reconnaît la nécessité logique de l'identification totale de ses propres in
térêts avec ceux de la communauté et son existence potentielle en l'homme,
même s'il n'y est pas parvenu lui-même, percevra que seules les inférences
de cet homme en qui elle est effective, sont logiques et considérera que ses
propres inférences ne seront valides que dans la mesure où elles seront ac
ceptées par cet homme. Mais s'il possède cette croyance, il s'identifie à cet
homme. Et cette perfection idéale de la connaissance dont nous avons vu
qu'elle constitue la réalité, doit par conséquent appartenir à une commu
nauté dans laquelle cette identification sera totale" (5.356).
Chapitre deuxième
l'éclipse du soleil
(1870-1887)
1. Voyages et travaux professionels.
En 1868, Peirce sort de la Caverne conduit par Duns Scot sur le chemin que
Kant lui avait indiqué. De 1870 à 1887, Peirce va parcourir le monde à la re
cherche du soleil dans ses reflets. Et ceci est plus qu'une figure de rhétori
que, car, nommé Assistant à l'Observatoire de Harvard en 1869, Peirce est
chargé l'année suivante par le Service Géodésique des Etats-Unis d'aller en
Europe observer l'éclipse du soleil du 22 décembre 1870. Ce premier séjour
lui permet de parcourir la Grèce et l'Italie à la recherche d'un site propice
pour faire ses observations. Son choix se fixera pour finir sur Catane en Si
cile. Mais, entretemps, comme l'a fait fort justement remarquer Max Fisch,
il découvre la Grèce antique à laquelle les fouilles archéologiques de Schlie-
mann redonnent vie en cette même année 1870 qui voit à Rome proclamer
l'infaillibilité pontificale. C'est à ce premier séjour que Peirce pensera
quand il donnera à sa maison de Milford le nom d'"Arisbe" et soutiendra sa
thèse du faillibilisme.
Peirce fera encore d'autres séjours en Europe pour le compte du Servi
ce Géodésique en 1875-1876, 1877, 1880 et 1883. En 1875, il est le premier
délégué de l'Amérique à la Conférence Géodésique Internationale de Pa
ris. Il y présente une communication sur ses travaux sur le pendule. Pen
dant son séjour à Paris qui se prolongera jusqu'en juillet 1876, Peirce y cal
cule la valeur de la pesanteur. En 1887, il représente à nouveau l'Amérique
à la Conférence Géodésique Internationale de Stuttgart où il fait un exposé
sur "l'influence de la flexibilité du trépied sur l'oscillation du pendule à ré
version". Pendant tout le temps qu'il travaillera pour le Service Géodésique
il ne cessera de publier des notes, observations, études et communications
à des congrès aux Etats-Unis et ailleurs relatives à ses travaux profession
nels: compte rendu de l'éclipse du soleil de 1870, calcul de la latitude, puis
de la longitude, expériences multiples sur le pendule, mesures de la pesan
teur; il mettra au point des appareils d'observation et de mesure et propose
ra des théories sur "la photométrie stellaire" (1872), sur la forme de la Voie
Lactée (Recherches photométriques, 1878) et sur un nouveau mètre étalon:
"le mètre spectre'' (1882).
Peirce était accompagné pendant ses deux premiers voyages en Europe
32 CHARLES S. PEIRCE, PHÉNOMÉNOLOGUE ET SÉMIOTICIEN
de sa femme Melusina Fay qui le quitta en 1875 pour rentrer aux Etats-Unis
et dont il vécut séparé jusqu'à son divorce et son remariage en 1883 avec
Juliette Anna Pourtalais, une jeune femme de nationalité française, qui
partit immédiatement avec lui pour l'Europe. Peirce la connaissait depuis
1878 au moins. Peut-être l'avait-il rencontrée à Paris ou à New-York, l'an
née précédente. Juliette sera la compagne de la période de la résurrection
de la pensée cosmologique grecque, du soleil libéré.
Mais au sortir de la Caverne ce ne sont encore que les reflets du soleil
dans le miroir des mathématiques que Peirce va d'abord contempler: reflets
logiques du calcul des relations (1870), reflets méthodologiques de la théo
rie de la science (1871-1879), reflets de la mathématique pure et de la logi
que mathématique (1879-1885), auxquels l'enseignement de la logique à
l'Université Johns Hopkins (1879-1884) donne un éclat fascinant, bientôt
terni cependant par la découverte de la cosmologie grecque qui le rend au
soleil.
2. La naissance de la logique des relations et la nouvelle conception de la
proposition.
C'est un fait16 que Peirce s'est intéressé à la logique des relations avant de lire
De Morgan en 1866, même s'il n'en vit les implications épistémologiques
qu'après avoir écrit sa "Description d'une notation pour la logique des rela
tions" en 1870 et les implications phénoménologiques qu'après avoir écrit son
étude "sur l'algèbre de la logique" en 1885.
Dans les Conférences Lowell de 1866, Peirce distingue deux sortes de re
lations, les relations d'équiparence et les relations de disquiparence qu'il ap
pellera dans l'article de 1867 "Sur une nouvelle liste de catégories" respecti
vement relations de "concurrence" et relations d'"opposition". La première
est celle des relats dont la référence à un fondement est une qualité interne ou
"préscindable" et la seconde celle des relats dont la référence à un fondement
est une qualité relative ou "non préscindable" (1.558). Les propositions mo-
nadiques appartiennent à la première catégorie, les propositions dyadiques à
la seconde. Par proposition dyadique, Peirce entend des propositions comme
"Tout homme aime ceux qui l'aiment" où "tout homme" est le sujet, "aime"
le prédicat et "ceux qui l'aiment" l'objet. Une propositon de disquiparence
possède donc trois termes au lieu de deux. Peirce examine de même des pro
positions comportant des expressions comme "plus léger que", "plus lourd
que", "moins que", "plus que", "tué", "est tué par". Il faut donc distinguer
dans les propositions de disquiparence des propositions actives et des propo
sitions passives.
Peirce dira plus tard en 1895 qu'il a commis une erreur en 1867 en "iden
tifiant les relations constituées par des caractères non-relatifs avec les rela
tions d'équiparence, c'est-à-dire avec les relations nécessairement récipro
ques et les relations dynamiques avec les relations de disquiparence ou rela
tions qui peuvent n'être pas réciproques" (1.567). Dans son article de 1870,
il semble encore maintenir la même distinction. "Le caractère qui est signifié
par une relation de concurrence est un caractère absolu, celui qui est signifié
par une relation d'opposition est un caractère relatif, autrement dit un carac
tère qui ne peut être préscindé de la référence à un corrélat" (3.136). Mais
dans cet article la proposition n'est plus décrite comme étant formée d'un su-
34 CHARLES S. PEIRCE, PHÉNOMÉNOLOGUE ET SÉMIOTICIEN
jet, d'une copule et d'un prédicat, mais comme étant une relation transitive
d'inclusion:
"Si
et
alors
Le syllogisme dépend donc "du caractère transitif de ces relations".
C'est en effet grâce au caractère transitif de ces relations que
"de
et
on peut inférer
c'est-à-dire que de ce que tout Français est un homme et que tout homme
est un animal, on peut inférer que tout Français est un animal" (3.66).
Les termes absolus ont cédé la place aux relations. Peirce le dit expres
sément au début de son article quand il propose de développer la notation
de Boole qui ne l'avait appliquée lui-même qu'à "la logique des termes ab
solus", à la logique des "termes relatifs" de De Morgan (3.45).
3. La théorie de la recherche.
dans L'Origine des espèces. Alors que James adopte le darwinisme parce
que ce dernier autorise à penser, àl'rencontredu lamarckisme, que l'hom
me est indépendant, en partie du moins, de son hérédité, Peirce est plus
réticent. Il n'accepte pas la théorie de Darwin seule: il la complète des vues
de Lamarck et de la conception "cataclysmique" de l'évolution. Il ne l'ac
cepte pas comme telle: c'est à titre d'élément de sa logique de la probabilité
qu'il la reçoit. Peirce fut en effet le premier à faire ressortir l'importance de
l'idée de hasard dans la théorie darwinienne et à l'étendre à la conception
statistique de la loi, ce que n'avait pas fait Darwin (5.364)21.
Les articles qui parurent dans The Popular Science Monthly en 1877 et
1878 sous le titre de "Illustrations de la logique de la science" développent
donc des idées discutées au cours de réunions du Club Métaphysique. Ils
sont comme ceux de 1868 anticartésiens. Dans le premier, Peirce dénonce
expressément la prétention de ceux qui veulent commencer par le doute
universel, fût-il méthodologique, et dans le second, il se demande comment
rendre nos idées claires, ces idées dont la clarté paraissait évidente à Des
cartes. Ces deux articles parurent en français en 1878 et 1879 dans la Revue
philosophique.22 Le second, Peirce l'avait écrit directement en français sur
le bateau qui le ramenait pour la troisième fois en Europe. C'est dans ce se
cond article que Peirce expose pour la première fois la conception pragma
tiste de la connaissance. Ils sont en fait une introduction à l'étude du pro
blème de l'induction qui fait l'objet principal de cette série d'articles.
Le premier article s'intitule "Comment se fixe la croyance". L'homme
a une propension naturelle à croire. C'est une habitude qui détermine nos
actions (5.371) et qui constitue le principe directeur de l'inférence (5.367).
Le doute vient cependant parfois troubler "état de calme et de satisfac
tion" de la croyance (5.372). Alors "l'irritation produite par le doute nous
pousse à faire des efforts pour atteindre l'état de croyance" (5.374). Cette
lutte pour retrouver l'état de croyance, Peirce l'appelle "enquête". C'est
une recherche. Elle "commence avec le doute et finit avec lui" (5.375).
Mais ce doute ne peut pas être celui de Descartes. "Quelques philosophes
ont imaginé que, pour entamer une recherche,23 il suffit de formuler une
question ou de la coucher par écrit. Ils ont même recommandé de commen
cer l'étude en mettant tout en question. Mais le seul fait de donner à une
proposition la forme interrogative n'excite pas l'esprit à la lutte pour la
croyance. Il doit y avoir doute réel et vivant; sans quoi toute discussion est
oiseuse" (5.376). Dans son deuxième article de 1868, Peirce soulevait déjà
le problème du doute universel. "Nous ne pouvons pas commencer par le
L'ECLIPSE DU SOLEIL 37
doute complet. Nous devons commencer avec tous les préjugés que nous
avons réellement quand nous abordons l'étude de la philosophie. Ces pré
jugés, on ne les supprimera pas au moyen d'une maxime, car ce sont des
choses qu'il ne nous vient pas à l'esprit qu'on puisse les mettre en question.
Par suite, ce scepticisme initial sera purement illusoire; il ne sera pas un
doute réel; et tous ceux qui suivent la méthode cartésienne ne seront satis
faits que lorsqu'ils auront formellement retrouvé toutes ces croyances qu'ils
ont abandonnées pour la forme (...). Une personne peut, il est vrai, au
cours de ses études, trouver des raisons de douter de ce qu'elle a commencé
par croire; mais, dans ce cas elle doute parce qu'elle a une raison positive
de douter et non parce qu'elle applique la maxime de Descartes. Ne préten
dons pas douter en philosophie de ce dont nous ne doutons pas dans nos
coeurs" (5.265).
Pour chasser l'irritation du doute et parvenir à la croyance, les métho
des ne manquent pas. Peirce en dénombre quatre: la méthode de ténacité,
la méthode d'autorité, la méthode a priori et la méthode scientifique. La
première consiste à vouloir croire pour obtenir la paix d'esprit que procure
la croyance. Cette méthode ne pourra pas "s'appliquer constamment dans
la pratique", car "elle a contre elle les instincts sociaux" (5.377). La secon
de substitue "la volonté de l'Etat à celle de l'individu" (5.378). Elle est fort
efficace. Mais comme l'organisation sociale ne peut régler dans les plus pe
tits détails les opinions de tous sur tous les sujets, "il faut abandonner l'es
prit humain à l'action des causes naturelles. Cette imperfection du système
ne sera pas une cause de faiblesse aussi longtemps que les opinions ne reagiront
pas les unes sur les autres", mais quand elles réagiront, ceux qui ont
"une sorte d'instinct social plus large" constateront que "les hommes en
d'autres pays et d'autres temps ont professé des doctrines fort différentes
de celles auxquelles on les a habitués à croire". Et ceci fera "naître des dou
tes dans leur esprit" (5.381). La troisième méthode ne se contente pas de
renforcer la tendance à croire, elle détermine aussi quelles propositions il
faut croire: celles qui sont "agréables à la raison". "Platon, par exemple,
trouve agréable à la raison que les distances entre les sphères célestes soient
proportionnelles aux longueurs des cordes qui produisent les harmonies
musicales" (5.382). Mais cette méthode fait de la recherche "quelque chose
de semblable au goût développé". Aussi de cette méthode a priori "som
mes-nous amenés nécessairement à la véritable induction" qui est la métho
de scientifique de l'enquête (5.383).
Les trois méthodes que Peirce rejette ne sont pas citées au hasard: la
38 CHARLES S. PEIRCE, PHÉNOMÉNOLOGUE ET SÉMIOTICIEN
rait une grosse erreur de supposer qu'elle rend parfaitement claire l'idée de
réalité". Il suffit de lui appliquer la maxime pragmatiste pour s'en convain
cre. Au troisième degré de clarté, "la réalité comme toutes les autres quali
tés consiste dans les effets perceptibles particuliers produits par les choses
qui la possèdent". Le seul effet des choses réelles étant de produire la
croyance, "la question se ramène donc à savoir ce qui distingue la croyance
vraie ou croyance au réel, de la croyance fausse ou croyance à la fiction"
(5.406).
Les méthodes de ténacité et d'autorité peuvent régler la question pour
un temps, mais il vient un jour, nous l'avons vu, où le doute apparaît du fait
de la divergence des opinions. Descartes et les partisans de la méthode a
priori ont cru qu'il suffisait de convaincre par le recours à la controverse
pour résoudre la difficulté, autrement dit de "chercher quelle croyance était
mieux en harmonie avec leur système". C'était avoir une bien piètre
conception de la vérité (5.406). Ce n'est pas la méthode utilisée par les
hommes de science. Leurs procédés d'enquête peuvent varier, les résultats
qu'ils obtiennent peuvent être fort différents, mais à mesure que l'enquête
avance, "une force extérieure à eux-mêmes les entraîne vers une seule et
même conclusion (...). Cette grande loi est contenue dans la notion de vé
rité et de réalité. L'opinion prédestinée à réunir finalement tous les cher
cheurs est ce que nous appelons le vrai, et l'objet de cette opinion est le
réel" (5.407). Telle est la méthode pragmatiste grâce à laquelle on parvient
au troisième degré de clarté.
On pourrait objecter, dit Peirce, que le troisième degré de clarté
conduit à une idée de la réalité absolument contraire à celle que le deuxiè
me degré nous avait autorisés à concevoir. En fait, celle-ci est abstraite et
celle-là concrète ou mieux "pragmatique". La réalité, certes, est indépen
dante des pensées individuelles, mais non de la pensée en général (5.408).
Un individu peut se tromper, l'Etat peut imposer des croyances erronées
"par le feu et la roue" (8.16) et la race pourrait disparaître avant qu'on ne
prenne conscience de l'erreur contenue dans nos croyances, car, tant qu'on
ne les met pas en question, nos croyances sont vraies "et le dire est réelle
ment une pure tautologie" (5.375). Mais "si, après l'extinction de notre
race, il en apparaissait une autre", tout aussi douée pour la recherche,
"l'opinion vraie serait précisément celle qu'elle atteindrait finalement", car,
bien que l'objet de l'opinion finale dépende de ce qu'est cette opinion, "ce
pendant la nature de cette opinion ne dépend pas de ce que pense tel ou tel
homme" (5.408).
42 CHARLES S. PEIRCE, PHÉNOMÉNOLOGUE ET SÉMIOTICIEN
"Comment rendre nos idées claires". Il faut pour cela, dit-il, franchir "le
seuil de la logique scientifique" (5.410). Et c'est ce qu'il fait dans les autres
articles de la série consacrée à la logique de la science. Comme nous le di
sions en commençant, ce qui est en question est la nature de l'induction ou
inference inductive qui est la forme logique que revêt ou doit revêtir tout
processus de pensée.
La question fondamentale est la nouvelle relation de la pensée et de la
nature que la théorie de l'enquête implique. Les lois de la pensée sont-elles
des lois de la nature? Quelle place le hasard occupe-t-il dans l'univers? La
continuité est-elle une catégorie de la pensée ou du monde? Peirce ne nous
donne pas ici une solution définitive à ces problèmes. Il est convaincu ce
pendant que la solution existe et qu'il faut la chercher dans une nouvelle
théorie de la probabilité conçue comme "une quantité continue" (2.648).
C'est cette théorie qu'il expose dans la "Doctrine des chances" et qui sous-
tend tous les autres articles de la série: "La probabilité de l'induction",
"L'ordre de la nature", "Déduction, induction et hypothèse" et un autre ar
ticle de 1883 "Une théorie de l'inférence probable".
Peirce entend élucider la notion de probabilité en lui appliquant la
maxime du pragmatisme. Il se demande "quelle différence réelle et sensible
il y a entre un degré de probabilité et un autre" (2.649). Et il répond que
"dans le fréquent emploi de deux modes différents d'inférence, l'un condui
ra à la vérité plus souvent que l'autre. Il est évident que c'est la seule dif
férence qu'il y a dans les faits. En possession de certaines prémisses, un
homme tire une certaine conclusion, et en ce qui concerne cette inférence la
seule question pratique possible est de savoir si cette conclusion est vraie ou
non, et entre l'existence et la non-existence, il n'a pas de moyen terme".
Nous avons vu, en effet, que "la distinction de la réalité et de la fiction dé
pend de la supposition qu'une recherche suffisante fera qu'une opinion sera
universellement reçue et que toutes les autres seront rejetées". La probabi
lité d'un mode d'argument est donc "la proportion de cas dans laquelle il
conduit à la vérité" (2.650) dans des conditions déterminées (2.651).
Etant donné que Peirce la rejettera plus tard, il est inutile d'examiner
plus longuement sa théorie de la probabilité et la théorie de l'induction
dont elle est inséparable. Il est cependant important pour notre propos de
donner la raison pour laquelle il l'abandonnera. Examinant en 1910 son ar
ticle sur la "doctrine des chances" de 1878, Peirce lui reconnaît deux méri
tes, celui d'insister sur la nature sociale de la logique (ce qu'il avait déjà fait
et même mieux en 1868) et celui d'avoir dit "que la probabilité ne renvoie
44 CHARLES S. PEIRCE, PHÉNOMÉNOLOGUE ET SÉMIOTICIEN
croit Mill, de l'uniformité des lois de la nature, mais du fait que l'homme
choisit le caractère à étudier avant d'examiner un échantillon. "Si l'on n'a
pas d'abord choisi ce caractère, alors un échantillon dans lequel il sera pré
valent ne pourra que suggérer qu'il peut être prévalent dans la classe entiè
re", non pas qu'il l'est. L'induction est "l inference suivant laquelle un ca
ractère antérieurement désigné a à peu prés la même fréquence d'occurrence
dans une classe entière qu'il a dans un échantillon pris au hasard en dehors
de cette classe" (6.409). Si l'uniformité de la nature était la seule garantie de
l'induction, "nous n'aurions pas le droit, fait remarquer Peirce, d'induire
quoi que ce soit concernant un caractère de la constance duquel nous ne
connaîtrions rien" (6.412). Le principe de causalité, suivant lequel il n'y a
pas d'effet sans cause, ne vaut pas plus que celui de l'uniformité de la natu
re. Bien qu'il existe une cause pour chaque effet et qu'on puisse la décou
vrir, "s'il n'y a rien pour nous guider vers la découverte" de cette cause,
"alors il n'y a aucune chance pour que cette découverte se fasse jamais"
(6.415). "Il semble donc incontestable que l'esprit de l'homme est forte
ment adapté à la compréhension du monde; qu'à cet égard, tout au moins,
certaines conceptions hautement importantes surgissent naturellement dans
son esprit; et que, sans cette tendance, l'esprit n'aurait pas pu se dévelop
per du tout" (6.417).
D'où vient cette tendance? se demande Peirce. Probablement, répond-
il, "de la sélection naturelle" dont on peut dire en terminant l'examen des
articles de 1878 que la nouvelle théorie de l'enquête est l'expression métho
dologique et métaphysique la plus cohérente, sinon encore la plus parfaite.
Il faudra attendre pour cela que Peirce accorde au hasard dans sa métaphy
sique et à l'abduction dans sa méthodologie la place qui leur revient en har
monie avec la continuité du processus évolutif de la rationalisation de l'uni
vers.
4. Mathématiques et logique symbolique.
dans les Etudes de logique par des membres de l'Université Johns Hopkins
de 1883 (3.328-358). Bien que les symboles proposés par Peirce ne soient
pas ceux que la logique a retenus, les travaux logiques de Peirce marquent,
comme nous le disions en commençant, une étape décisive dans l'histoire
de la logique. On peut, en étant maintenant plus explicite, répartir les ap
ports de Peirce sous les quatre rubriques de la logique booléenne, de la lo
gique des relations, de la logique prédicative ou logique des termes et de la
logique propositionnelle.
Logique booléenne. Nous avons déjà signalé à propos de la nouvelle
conception de la proposition l'une des améliorations apportées au calcul
booléen: l'introduction de la notion d'inclusion et du symbole ' pour
l'exprimer. Elle avait été précédée de la substitution de la disjonction alter
native à la disjonction exclusive. Soit le signe de l'égalité avec une virgule
en dessous pour exprimer l'identité numérique (=) (3.2); soit a +, b pour
dénoter tous les individus contenus sous a et b ensemble. "Cette opération
différera de l'addition arithmétique à deux points de vue: premièrement,
elle renvoie à l'identité et non à l'égalité, et deuxièmement ce qui est com
mun à a et b n'est pas pris deux fois en compte, comme il le serait en
arithmétique." Cette opération que Peirce appelle "addition logique" est "à
la fois commutative et associative":
"a +,b =b +,a
et (a +, b) +, =a +, (b +, )" (3.3) 29
Du texte inédit de 1880, il faut retenir deux innovations importantes.
La première: la substitution des propositions aux noms marque chez Peirce
le point de départ de la logique propositionnelle qui entraîne une nouvelle
définition du signe de l'inclusion que l'on peut lire dans l'article paru
la même année: "Le symbole est la copule et signifie premièrement
que tout état de choses dans lequel une proposition de la classe P. est vraie
est un état de choses dans lequel les propositions correspondantes de la
classe C. sont vraies". Ce que Peirce écrit:
pour signifier qu'un individu existe qui ou bien n'est pas roi ou bien est heu
reux. Ainsi
Quelque (rh)
signifie quelque roi est heureux, et
Tout (rh)
signifie que tout individu est à la fois roi et heureux". Et pour rendre la no
tation "aussi iconique que possible", Peirce suggéra d'utiliser Σ pour "quel
que" qui évoque une somme et pour "tout" qui évoque un produit
(3.393).
Si a., signifie que i aime y et bij que i est le bienfaiteur de y', alors
signifiera que toute chose est à la fois amant et bienfaiteur de quelque chose
(3.394).
Cette notation, à l'exception de et 2 , est celle que Peirce avait déjà
proposée pour la logique des relations qu'il enrichit par l'introduction des
quantificateurs. Peirce eut donc dès le point de départ une claire notion de
la relation où les termes en relation apparaissent comme indices: aij signifiant
qu'un individu i en aime un autre ; (3.219); avec ses classifications en
relation reflexive comme dans la relation où un individu i s'aime lui-même
(aii), converse où l'ordre des membres de la paire est inversée (3.330), dya-
dique (duelle) et polyadique (plurielle) (3.219), etc.; avec toutes ses opéra
tions de combinaison: addition et multiplication "soumises à la loi de l'asso
ciation" (3.334).
Pour exprimer l'identité, Peirce fait appel à un symbole de seconde in
tention: 1. Il écrit donc 1 . Cette relation a des propriétés particulières. Si i
et y sont identiques, tout ce qui est vrai de i est vrai de y. Ce que l'on peut
écrire:
Une autre propriété est que si tout ce qui est vrai de i est vrai de y, alors i
et j sont identiques, que l'on pourra écrire:
Cet axiome "ne justifie pas par lui-même une transformation, une inférence.
Il justifie seulement que nous le maintenions parce que nous l'avons
maintenu" (3.376). Le logicien anglais A. N. Prior a montré en 1958 que cet
axiome était en fait superflu.
A peine Peirce a-t-ii dressé sa nouvelle liste des catégories en 1867 qu'il
l'abandonne parce qu'elle ne cadre plus avec sa nouvelle conception de la
logique que la logique des relations impose à son esprit. On pourrait s'éton
ner de cet abandon, s'il est vrai Que 1a phénoménologie est indépendante de
la logique. Mais, outre le fait que Peirce n'exclut pas que la phénoménolo
gie fasse appel à la logique déductive (8.297), la phénoménologie dépend
de la mathématique qui démontre qu'il est impossible de former un trois
authentique par simple modification de la paire (1.363) et que, par consé
quent, la phénoménologie ne peut être que triadique ainsi que la logique
dont elle est le fondement, — ce qui n'était pas le cas de la logique d'Aris-
tote qui est dyadique.
Par ailleurs, la critique du cartésianisme interdit tout recours aux im
pressions sensorielles, ce qui vidait la catégorie première de la qualité de
tout contenu, alors que sa tâche était d'unifier le divers des impressions sen
sorielles. Et la nouvelle théorie de la connaissance qui en découle comman
de que l'on donne un nouveau contenu à la secondéité qui n'est plus une
simple "relation" passive et à la tiercéité qui ne peut pas davantage être une
"représentation" statique.
Dès 1875, la nouvelle liste des catégories est prête, mais Peirce atten
dra dix ans avant d'en apporter une justification logico-mathématique et de
lui donner un contenu cosmoiogique. Le texte de 1875 mérite d'être repro
duit in extenso, ne fût-ce que pour permettre de le comparer à la liste de
1867. "Par le troisième, j'entends l'intermédiaire ou la connexion entre le
premier absolu et le dernier absolu. Le commencement est premier, la fin
seconde, le milieu troisième. La fin est seconde, le moyen troisième. Le fil
de la vie est un troisième; le destin qui le coupe, son second. Une bifurca
tion est troisième, elle suppose trois chemins; une route droite considérée
simplement comme connexion entre deux lieux est seconde, mais dans la
mesure où elle implique le passage par des lieux intermédiaires, elle est
troisième. La position est première, la vitesse ou relation de deux positions
successives seconde, l'accélération ou relation de trois positions successives
troisième. Mais la vitesse dans la mesure où elle est continue implique aussi
64 CHARLES S. PEIRCE, PHÉNOMÉNOLOGUE ET SÉMIOTICIEN
Sciences des fins, les sciences normatives se distinguent par la nature phé
noménologique ou phanéroscopique de leur relation avec les fins: senti
ment pour l'esthétique première; action pour l'éthique seconde; pensée
pour la logique troisième (1.574).
Esthétique et éthique. Peirce est un logicien. Il ne s'intéressa à l'esthé
tique que fort tard et fort peu et uniquement contraint par la logique de son
système. Il ne semble pas que les Lettres sur l'esthétique de Schiller qu'il lut
quand il avait seize ans l'aient beaucoup marqué à cet égard. Il aura en ef
fect quelque peine à admettre que l'esthétique puisse être une science nor
mative. Car ce qui fait justement que la logique et l'éthique sont normatives
est "que rien ne peut être logiquement vrai ou moralement bon sans qu'on
le veuille"38, alors qu'"une chose peut être belle ou laide qu'on le veuille ou
non". "Il semblerait donc que l'esthétique n'est pas plus essentiellement
une science normative que n'importe quelle science nomologique" (1.575).
Même quand il aura inclus l'esthétique dans les sciences normatives en
1902, Peirce continuera à considérer avec scepticisme l'esthétique du
"goût" que les Allemands ont contribué à répandre, car, écrit-il en 1906,
"la théorie est la même qu'il soit question de se former le goût pour les bon
nets ou de préférer l'électrocution à la décapitation ou de choisir d'élever sa
famille en pratiquant l'agriculture plutôt que le brigandage" (1.574).
Peirce vint à la morale plus tôt. Du moins lut-il l'Ethique à Nicomaque
et la Politique d'Aristote en 1883 quand il eut la responsabilité des articles
se rapportant à la morale pour le Century Dictionary. C'est vers cette épo
que, dit-il, qu'il commença à être impressionné par l'importance de la théo
rie morale. Il ne prit cependant la théorie morale véritablement au sérieux
que lorsqu'il fut en possession de la clef phénoménologique de son système
en 1896. Jusqu'en 1883, en tout cas, il douta que la morale "pût être autre
chose qu'une science pratique" (1.298). Or Peirce ne s'est pas plus intéressé
à la morale pratique qu'à l'esthétique. Il se contentait dans ce domaine
d'écouter la voix de sa conscience et de suivre les usages, — sage conduite
que les traités de morale qu'il avait lus de Jouffroy, de Kant et des militaris
tes ne semblaient pas mettre en question. Peirce se déclare d'ailleurs
70 CHARLES S. PEIRCE, PHÉNOMÉNOLOGUE ET SÉMIOTICIEN
rationaliser l'univers" (1.590) qui est la fin des Stoiciens, de Kant et de Peir
ce lui-même (5.3).
Quelle fin choisir en définitive? Pas la première en tout cas, car l'hom
me moral est celui "qui contrôle ses passions et les conforme aux fins qu'il
est délibérément prêt à adopter comme fins ultimes. S'il était dans la nature
de l'homme d'être parfaitement satisfait quand il fait de son confort person
nel sa fin ultime, il ne serait pas plus à blâmer s'il agissait ainsi qu'on ne
blâme un pourceau de se conduire de la même manière" (5.130). La
deuxième fin est conforme à la nature sociale de l'homme. Mais, dans l'es
prit de Karl Pearson, la société dont il s'agit est la société anglaise. "Je veux
bien accorder, dit Peirce, que l'Angleterre a été pendant deux ou trois siè
cles, un facteur fort précieux du développement humain", mais demander
que l'homme ait pour fin ultime la "société britannique" ou "la société en
général" (le genre de société importe peu) ou la "perpétuation de la race",
c'est demander beaucoup trop (8.141). D'autant plus, ajoute Peirce — et
c'est une remarque qui revient souvent sous sa plume, mais nulle part avec
cette note de mépris pour l'humanité — que "l'espèce humaine disparaîtra
un jour — et quand ce jour viendra l'univers en sera sans aucun doute bien
débarrassé" (8.141). Car l'homme n'est qu'un épiphénomène dans l'évolu
tion de l'univers. C'est pourquoi la fin ultime, "le bien ultime réside dans le
processus évolutif", non dans "des réactions individuelles séparées", fus
sent-elles rationnelles, mais dans la raison qui transcende à l'intérieur
même de l'évolution ses expressions individuelles "en quelque chose de gé
néral ou de continu". La fin ultime est bien la raison, mais "la Raison gou
vernant réellement les événements": "L'être même du Général, de la Rai
son consiste à gouverner les événements individuels. C'est pourquoi l'es
sence de la Raison est telle que son être n'a jamais pu être complètement
réalisé" (1.615). C'est l'aspect moral du synéchisme qui "se fonde sur la no
tion que la coalescence, le devenir continu, le devenir gouverné par des
lois, le devenir pétri d'idées générales ne sont que des phases du seul et
même processus de croissance de la raison" (5.4).
Cette fin ultime est le summum bonum (5.433) que Herbert Schneider
appelle la quartéité40. Peirce n'en fait pas cependant une quatrième catégo
rie. Fin ultime de la morale, le summum bonum est l'objet propre de l'es
thétique. Du moins lui appartient-il de le déterminer (1.191), car, étant un
"idéal admirable", il posséde le seul genre de bonté qu'un tel idéal peut
avoir: la bonté esthétique" (5.130).
L'objet de l'esthétique n'est donc pas la beauté. Science normative,
72 CHARLES S. PEIRCE, PHÉNOMÉNOLOGUE ET SÉMIOTICIEN
son objet est le bien et le mal comme il est celui de la logique et de la mora
le, "la logique eu égard aux représentations de la vérité, l'éthique eu égard
aux efforts de la volonté, et l'esthétique dans les objets considérés simple
ment dans leur présentation" (5.36). De même que la logique troisième
doit demander à l'éthique seconde quelle est la fin ultime de l'action, l'éthi
que doit .demander à l'esthétique quelle est "la seule fin qui satisfasse". Il
appartient par conséquent à l'esthétique de dire "quel est l'état de choses
qui est le plus admirable en soi indépendamment de toute autre raison"
(1.611). Le "moralement bon" est "une espèce de l'esthétiquement bon"
(5.130).
Mais dès l'instant où un idéal esthétique est proposé comme fin ultime
de l'action, un impératif catégorique se prononce pour ou contre cet idéal.
Cet impératif peut-il échapper à tout contrôle ? Tout idéal, répond Peirce,
qui peut être adopté et maintenu d'une manière continue et cohérente exer
ce un contrôle sur lui-même. Il est véritablement une fin ultime (5.133).
Encore faut-il qu'il soit "immuable dans toutes les circonstances". Il le
peut à deux conditions qui ressortissent à la nature esthétique de la déter
mination du summum bonum. Premièrement, il doit coïncider avec "le li
bre développement de la propre qualité esthétique de l'agent" et, deuxiè
mement, il ne doit pas être affecté par "les réactions du monde extérieur
qui est supposé dans l'idée même d'action", réactions que l'agent ne peut
manquer de ressentir. "Il est clair que ces deux conditions ne peuvent se
réaliser à la fois que s'il se trouve que la qualité esthétique vers laquelle
tend le libre développement de l'agent et celle de l'action ultime que l'ex
périence exerce sur lui sont des parties d'un tout esthétique unique" (5.136)
en devenir dans le processus cosmique de la rationalisation de l'univers.
Logique. Maintenant que "la logique a présenté ses devoirs à l'esthéti
que et à l'éthique, il est temps, comme le dit Peirce, qu'elle se mette à son
travail régulier" (2.200). La logique est la science de "la manière dont nous
devons penser" "afin de penser ce qui est vrai". Elle étudie donc la relation
"des symboles en général avec leurs objets" (1.559). Son domaine est la
tiercéité. Mais selon qu'on examine les symboles par rapport à leur fonde
ment, à leur objet et à leur interprétant, la logique se subdivise, comme
nous l'avons dit dans la présentation générale, en grammaire spéculative
première, en critique ou épistémologie seconde, en rhétorique spéculative
ou méthodeutique troisième.
Sémiotique. La grammaire spéculative est la théorie des signes ou sé-
miotique: les signes sont étudiés en eux-mêmes comme symboles. La théo-
LE SOLEIL LIBÉRÉ 73
rie des signes est liée chez Peirce, dès ses premiers écrits, à la logique for
melle et à la phénoménologie et en suivit le développement en 1867 et 1885,
mais jamais Peirce ne tenta de la constituer en science séparée avant sa ren
contre avec Philodème. La sémiotique est le produit de la conjonction de la
sémiôsis de Philodème et de la logique triadique des relations. La sémiose
est l'action triadique d'un signe, impliquant "la coopération de trois sujets:
un signe, son objet et son interprétant", cette action "tri-relative" n'étant
en aucune façon réductible à des actions entre des paires" (5.484). Le signe
se divise donc suivant la priméité, la secondéité et la tiercéité respective
ment par rapport à son fondement, à son objet et à son interprétant en trois
trichotomies de signes, que l'on peut ranger dans le tableau suivant (cf.
2.243-252).
Ce qui donne 3 , soit vingt-sept classes de signes possibles dont dix seu
lement respectent le principe de la hiérarchie des catégories qui stipule
qu'un troisième présuppose un second et un premier, un second un pre
mier, un premier rien d'autre que lui-même. Ce sont les dix classes de si
gnes que Peirce décrit en 1903 (2.254-263). Son nombre passera à 28 quand
Peirce en 1908 distinguera six trichotomies au lieu de trois en subdivisant
l'objet second en deux objets immédiat et dynamique et l'interprétant troi
sième en trois interprétants immédiat, dynamique et final, le representa
men premier ne se subdivisant pas. Le nombre de classes de signes serait de
66 si, comme Peirce le pense, il y avait dix trichotomies possibles et non six
ou trois.
Dans le tableau des trois trichotomies, seule la trichotomie du repre
sentamen est vraiment nouvelle: elle analyse le signe en tant que tel suivant
qu'il est un premier, un second ou un troisième. Premier — qualisigne ou
signe qui est une qualité indépendamment du fait qu'elle s'incarne dans un
objet individuel concret: le rouge, même s'il n'existait aucun objet rouge.
Le qualisigne est un sensible au sens aristotélicien: il est possible, mais réel.
Second — sinsigne ou signe réalisé dans un objet: le rouge de ce chapeau.
Troisième — légisigne ou loi qui est un signe, le plus souvent convention
nel: tous ces mots que j'écris; non en tant que marques graphiques cepen-
74 CHARLES S. PEIRCE, PHÉNOMÉNOLOGUE ET SÉMIOTICIEN
dant, car alors le légisigne ne serait pas général, mais en tant que règle de
signification; l'expression graphique d'un légisigne est une réplique indivi
duelle concrète qui est une sorte de sinsigne (2.244-246). Par rapport à l'ob
jet qu'il désigne le signe peut être icône, indice ou symbole. Une icône est
"un representamen dont la qualité représentative est la priméité du repre
sentamen en tant que premier" (2.275), un indice est "representamen dont
le caractère représentatif consiste en ce qu'il est un second individuel"
(2.283), un symbole est "un representamen dont le caractère représentatif
consiste précisément en ce qu'il est une règle qui déterminera son interpré
tant" (2.292). "Une icône est un signe qui posséderait le caractère qui le rend
signifiant même si son objet n'existait pas; example: un trait de crayon re
présentant une ligne géométrique. Une indice est un signe qui perdrait im
médiatement le caractère qui en fait un signe si son objet était supprimé,
mais ne perdrait pas ce caractère s'il n'y avait pas d'interprétant. Exemple:
un moulage avec un trou de balle dedans comme signe d'un coup de feu;
car, sans le coup de feu, il n'y aurait pas eu de trou; mais il y a un trou là,
que quelqu'un ait l'idée de l'attribuer à un coup de feu ou non. Un symbole
est un signe qui perdrait le caractère qui en fait un signe s'il n'y avait pas
d'interprétant. Exemple: tout discours qui signifie ce qu'il signifie par le
seul fait que l'on comprend qu'il a cette signification" (2.304). L'icône et
l'indice n'affirment rien: l'icône se conjugue en quelque sorte au subjonctif,
l'indice à l'impératif. Seul le symbole affirme: il se conjugue à l'indicatif ou
mieux au déclaratif (2.291). Par rapport à son interprétant, le signe est un
rhème, un dicisigne ou un argument. Cette trichotomie correspond à la tri-
chotomie logique classique du terme, de la proposition et du raisonnement
syllogistique, mais transformée par la nouvelle logique issue de la logique
des relations. La transformation affecte toute la trichotomie: l'argument est
une proposition hypothétique du type "si... alors...", la proposition est "in
clusive" et le rhème est une fonction propositionnelle.
La sémiotique à ce niveau troisième est inséparable de la nouvelle logi
que formelle et de ses développements au cours de la dernière période de la
vie de Peirce. Le rhème, pour commencer par lui, est une fonction proposi
tionnelle. Si dans une proposition représentée graphiquement, nous rem
plaçons les termes en relation par des traits, nous obtenons des rhèmes. Les
traits marquent à la manière des chimistes les valences du radical logique.
Ainsi "— aime —" est un rhème dyadique; "— donne — à —" est un rhème
triadique, etc. Un rhème peut n'avoir qu'une valence et être monadique:
"— est mortel"; "— est un homme". Dans ce cas, le rhème est dit non-rela-
LE SOLEIL LIBÉRÉ 75
V V
v ƒ
ƒv
ƒ ƒ
En 1902 également, reprenant une idée de 188042, Peirce invente ce qui de
viendra la fonction de Sheffer du nom de son réinventeur en 1921 (4.264-
265). Et, en 1909, il décrit une logique trivalente, tables de vérité compri
ses, plus de dix ans avant Lukasiewicz43. Mais la grande découverte dont
Peirce s'enorgueillira toujours, disant qu'elle est son "chef d'oeuvre", est la
logique des graphes existentiels. Elle systématise d'une manière originale
l'apport de Peirce à la logique moderne. Peirce y a travaillé constamment
de 1889 à la fin de sa vie. Nous ne pouvons pas en donner ici une idée
même approximative44. Disons qu'elle pousse la traduction graphique des
relations logiques à son point extrême. Le système qui est décrit est celui
76 CHARLES S. PEIRCE, PHENOMENOLOGUE ET SÉMIOTICIEN
et "Il est vrai que A et B: AB. L'implication "S'il est vrai que A, alors B",
s'écrira:
duction.
L'abduction "est une méthode de formation d'une prédiction générale
sans assurance positive qu'elle réussira dans ce cas particulier ou en géné
ral, sa justification étant qu'elle est le seul espoir que nous ayons de diriger
rationnellement notre conduite future" (2.270). Peirce avait d'abord opposé
l'abduction à l'induction. Dans l'induction, on infère l'existence de phéno
mènes semblables aux phénomènes observés, dans l'abduction, on assume
l'existence de "quelque chose d'un genre différent de ce que nous avons di
rectement observé et fréquemment quelque chose qu'il nous serait impossi
ble d'observer directement" (2.640). C'est à l'abduction, prise en ce sens,
que Peirce fit appel, dit-il lui-même, quand en débarquant dans un port
turc, il vit passer un homme à cheval entouré de quatre cavaliers portant un
baldaquin et en inféra que cet homme était le gouverneur de la province.
C'est à l'abduction que l'on a également recours pour soutenir que la mer
recouvrait jadis les terres où l'on trouve aujourd'hui des poissons fossilisés
et que Napoléon exista puisque l'on possède de nombreux documents le
concernant. Et Peirce concluait que l'abduction est un "genre d'argument
faible" (2.625). Il n'en va plus de même si au lieu d'opposer l'abduction à
l'induction, on l'intègre, comme Peirce le fait en 1902, dans le nouvelle
conception de l'inférence ou de l'induction rénovée. "L'induction est un ar
gument qui part d'une hypothèse résultant d'une abduction antérieure, et
des prédictions virtuelles, obtenues par déduction, des résultats d'expéri
mentations possibles, et, ayant réalisé ces expérimentations, conclut que
l'hypothèse est vraie dans la mesure où ces prédictions sont vérifiées, cette
conclusion étant cependant sujette à modification probable pour se confor
mer aux expérimentations futures" (2.96).
Cette nouvelle théorie de l'abduction et de l'induction a été rendue
possible parce que Peirce est parvenu à fonder la validité de l'induction sur
une conception réaliste de la probabilité. Peirce décrit les trois types d'in-
férence probable: l'inférence inductive ou expérimentale, la déduction pro
bable et l'inférence présomptive ou abductive, dans le Dictionnaire de Bal
dwin en 1902.
Dans le premier type, nous procédons par induction et nous inférons à
partir d'observations répétées et vérifiées que "le caractère général de la
succession totale indéfinie d'événements similaires dans le cours de l'expé
rience aura approximativement le caractère observé". Peirce justifie cette
induction de la manière suivante: "Cette série infinie doit avoir un caractè
re et il serait absurde de dire que l'expérience a un caractère qui ne se mani-
LE SOLEIL LIBÉRÉ 79
blable à l'induction (...)" (2.778). (Cf. 3.363 cité, plus haut, p. 48.)
Le troisième type d'inférence probable est l'abduction que Peirce ap
pelle aussi présomption. Cet argument se ramène à ceci que "les faits obser
vés montrent que la vérité est similaire au fait affirmé dans la conclusion."
Mais qu'est-ce qui justifie l'acceptation de la conclusion? Elle ne découle
pas nécessairement ni "avec une probabilité objective nécessitée" des pré
misses, et la méthode ne conduira pas nécessairement à la vérité. Une seule
méthode, "sans conduire nécessairement à la vérité, a néanmoins une chan
ce raisonnable d'y parvenir" parce qu'elle se fonde sur une probabilité ob
jective ou réelle, c'est la méthode inductive. C'est elle et elle seule qui peut
justifier la validité de l'inférence abductive ou présomptive (2.786). Le fon
dement ultime de l'inférence probable sous ses trois formes est donc la réa
lité de la probabilité. Le chemin de la vérité et de la réalité passe par le fail-
libilisme (5.587).
La logique ne serait pas complète si elle s'arrêtait là. Il est nécessaire
de savoir quelle est la nature des signes et quelle relation ils entretiennent
avec leurs objets, nécessaire mais non suffisant, car il faut encore se deman
der ce qui fait leur force au niveau des interprétants (1.559). C'est à la rhé
torique spéculative qu'il appartient de répondre. Traitant des "lois de l'évo
lution de la pensée" qui est "l'étude des conditions de la transmission de la
signification par signes d'un esprit à un autre et d'un état d'esprit à un au
tre" (1.444), la rhétorique spéculative que Peirce appelle le plus souvent
méthodeutique a donc pour objet la recherche d'une "méthode pour décou
vrir les méthodes" (2.108) qu'il faut utiliser "dans la recherche, l'exposé et
l'application de la vérité" (1.191). Peirce ne l' pas développée pour elle-
même, non parce qu'elle est une branche mineure de la logique, — elle est
au contraire "la branche la plus haute et la plus vivante de la logique"
(2.333) — mais parce qu'elle est impliquée dans toute sa théorie des signes
qui présuppose la possibilité de la découverte, de la communication et de
l'application des signes. Il importait cependant de lui assigner une place
dans l'architecture du système.
5. La métaphysique scientifique.
troisième. L'esprit est premier, la matière est seconde, l'évolution est troi
sième", 6.32), et en décrivant la "philosophie cosmogonique" à laquelle ces
conceptions conduisent. Elle n'est autre que la vieille cosmologie grecque
d'Aristote et d'Epicure confirmée par la science évolutionniste. "Elle sup
poserait qu'au commencement — infiniment lointain — il y avait un chaos
de sentiment impersonnel, qui, étant sans connexion ni régularité, serait
proprement sans existence. Ce sentiment apparaissant ici et là d'une ma
nière purement arbitraire aurait déposé le germe d'une tendance générali
sante. Ses autres apparitions seraient evanescentes, mais celle-ci aurait un
pouvoir de croissance. Tel serait le point de départ de la tendance à l'habi
tude; et de celle-ci, avec les autres principes de l'évolution, toutes les régu
larités de l'univers découleraient. Mais un élément de pur hasard survit tou
jours et survivra jusqu'au moment où le monde deviendra un système abso
lument parfait, rationnel et symétrique, où l'esprit enfin se crystallisera,
dans un avenir infiniment lointain" (6.33).
Dans le second article, Peirce veut montrer que "le principe de la né
cessité universelle est indéfendable comme postulat du raisonnement"
(6.43). Il résume les quatre arguments qu'il y produit en faveur de la réalité
du hasard dans sa "Réponse aux déterministes": " 1 . La prédominance gé
nérale de la croissance, qui semble s'opposer à la conservation de l'énergie.
2. La diversité de l'univers qui est hasard et qui est manifestement inexpli
cable. 3. La loi, qui requiert d'être expliquée et comme tout ce qui doit être
expliqué doit être expliquée par quelque chose d'autre, c'est-à-dire par la
non-loi ou le hasard réel. 4. Le sentiment, pour lequel on ne peut trouver
de place si la conservation de l'énergie est maintenue" (6.613). Le dévelop
pement du troisième point mérite une attention particulière, il complète
l'argument tiré de la comparaison de la loi mentale et de la loi physique.
"Ces observations que l'on apporte en faveur de la causalité mécanique
prouvent simplement qu'il y a un élément de régularité dans la nature et
n'impliquent rien concernant la question de savoir si cette régularité est
exacte et universelle ou non. Au contraire, en ce qui concerne cette exacti
tude, toute l'observation lui est directement opposée; et le plus qu'on puisse
dire est qu'une grande part de cette observation est inexplicable. Essayez
de vérifier une loi de la nature et vous verrez que plus vos observations sont
précises, plus il est certain qu'elles révéleront des écarts irréguliers par rap
port à la règle. Nous les attribuons d'ordinaire, et je ne dis pas indûment, à
des erreurs d'observation, cependant nous ne pouvons pas d'ordinaire ex
pliquer ces erreurs d'une manière que l'expérience antérieure rendrait pro-
84 CHARLES S. PEIRCE, PHÉNOMÉNOLOGUE ET SÉMIOTICIEN
bable. Remontez à leurs causes suffisamment loin et vous serez forcés d'
admettre qu'elles sont toujours dues à une détermination arbitraire ou au
hasard" (6.46).
Qu'on ne dise donc pas que le hasard est un nom donné à notre igno
rance. Car ce serait supposer une cause inconnue qui agirait avec une régu
larité que nous ne percevrions pas. "Chaque dé se déplacerait sous l'in
fluence de lois mécaniques précises (6.54). Or "le hasard réside dans la di
versité des coups; et cette diversité ne peut être due à des lois qui sont im
muables" (6.56) ni avoir été posée une fois pour toutes dès le commence
ment. Il faut donc "que la diversification, la spécification se soit produite
continuellement" (6.57) et qu'il y ait quelque chose dans la nature qui
"puisse augmenter la complexité et la diversité des choses" (6.58). "En ad
mettant ainsi la pure spontanéité ou la vie comme caractère de l'univers,
conclut Peirce, agissant toujours et partout, bien qu'enfermée dans des li
mites étroites par la loi, s'écartant infinitésimalement de la loi continuelle
ment et énormément à des intervalles infinis, je rends compte de tout ce
qu'il y a de varié et de divers dans l'univers" (6.59). Le tychisme "doit don
ner naissance à une cosmologie évolutionniste" (6.102).
Le synéchisme. "Le tychisme n'est qu'une partie et un corollaire du
principe général du synéchisme", écrit Peirce dans une lettre à William Ja
mes en 189748. Le synéchisme est la doctrine de la continuité gouvernant
l'univers de la tiercéité. Peirce expose sa doctrine dans deux articles de la
série du Monist: "La loi de l'esprit" (6.102-163) et "La transparente essence
de l'homme" (6.238-271) en 1892, dans le texte d'une conférence de 1898
sur "La logique de la continuité" (6.185-213) et dans le Dictionnaire de Bal
dwin en 1902 (6.164-168 et 169-173). Il y revient dans ses écrits sur le
pragmatisme en 1906 en particulier (6.174-176).
Dans le premier article de 1892, Peirce dit qu'il ne fait ici que reprendre
ses articles de 1868 en corrigeant ce qu'ils avaient encore de nominaliste
(6.103). L'erreur que Peirce commettait alors était de considérer tout ce qui
se rapporte à ce qu'il appellera plus tard la catégorie du sentiment comme
étant purement sensoriel et individuel, autrement dit comme n'ayant aucu
ne véritable réalité. Il déclare maintenant que "lorsque l'on considère les
idées d'une manière nominaliste, individualiste et sensualiste, les faits les
plus simples de l'esprit perdent toute signification. Qu'une idée ressemble à
une autre ou en influence une autre ou qu'un état d'esprit puisse être pensé
dans un autre est, de ce point de vue, un pur non-sens" (6.150). En bref, les
idées ne peuvent pas être individuelles: elles doivent être continues. Com-
LE SOLEIL LIBERE 85
"il est déjà esprit" et, possédant de ce fait la vie, "est capable d'évoluer en
core" (6.289). L'évolution agapistique se manifeste au niveau de la pensée
par la manière dont une tendance mentale peut s'acquérir. 1. En s'écartant
légèrement des idées habituelles, sans raison ni contrainte, c'est le ty-
chasme. Elle a des conséquences imprévues dont certaines plus que d'au
tres se figent en habitudes. 2. En adoptant de nouvelles idées sans prévoir
leurs conséquences, mais sous la contrainte externe des circonstances ou la
contrainte interne de la logique des idées, c'est l'anancasme. 3. En adop
tant certaines tendances mentales par sympathie pour une idée "en vertu de
la continuité de l'esprit", c'est l'agapasme. Ces tendances sont de trois sor
tes: l'idée peut affecter tout un peuple ou une communauté; elle peut affec
ter une personne privée directement, sans que celle-ci ait le moyen d'en ap
précier l'attrait, la conversion de saint Paul en fournit un exemple; elle peut
enfin "affecter un individu indépendamment de ses affections humaines en
vertu d'une attraction qu'elle exerce sur son esprit avant même de la com
prendre. C'est le phénomène que l'on appelle avec justesse la divination de
génie; car elle est due à la continuité de l'esprit de l'homme et du Très-
Haut" (6.307).
Dieu. Nous passons ainsi sans transition de la métaphysique ou cosmo
logie à la métaphysique religieuse. Nous avons examiné la métaphysique
générale ou ontologie quand nous décrivions les catégories à l'oeuvre dans
les trois univers de la priméité, de la secondéité et de la tiercéité. La méta
physique religieuse traite de Dieu, de la liberté et de l'immortalité. De l'im
mortalité personnelle, il y a peu à dire: elle est incompatible avec le syné-
chisme. La liberté au contraire trouve un appui dans le tychisme. Le Dieu
de Peirce enfin n'est pas plus pour Peirce que pour Kierkegaard, celui des
Eglises qui par leurs pratiques tuent l'esprit de la vraie religion qui est "la
religion d'amour" 51 . L'homme étant un être social, l'idéal serait que "le
monde entier soit uni dans l'union d'un commun amour de Dieu réalisée
par l'amour de chaque homme pour son prochain. Sans une église, la reli
gion d'amour ne peut avoir qu'une existence rudimentaire" (6.443). Le
Dieu de Peirce n'est pas non plus celui de ces théologiens qui cherchent à
prouver que Dieu existe. Car Dieu n'existe pas d'une existence de secon
déité ni non plus ne se prouve par les raisons de la tiercéité. La réalité de
Dieu apparaît d'elle-même dans la contemplation des trois univers, dans ce
phénomène de "divination" où Dieu se trouve dans la continuité de l'esprit.
Ce phénomène que Peirce décrit dans un article de 1908 intitulé "Un argu
ment négligé en faveur de la réalité de Dieu" (6.452-485) est, en quelque
LE SOLEIL LIBERE 89
2. Prononcer: "peurce".
12. Manuscrit 931, cité par Fisch, "Peirce's Progress From Nominalism To
ward Realism", The Monist, 1967', p. 163.
13. Cité par Philip P. Wiener, Charles S. Peirce: Selected Writings, Dover,
1966, p. 11.
14. Peirce divise les sophismes en trois classes: ceux qui se rapportent à la
continuité, ceux qui se rapportent aux conséquences qui découlent du fait
de supposer que les choses sont autres qu'elles ne le sont et ceux qui se rap
portent aux propositions qui impliquent leur propre fausseté (5.333). Au
premier groupe appartiennent les paradoxes de Zénon du type Achille et la
tortue. Selon Peirce, ils proviennent de ce qu'on suppose que le continu
possède des éléments ultimes. "Or un continuum est précisément ce dont
toutes les parties ont des parties dans le même sens" (5.335). Les sophismes
de la deuxième classe se résolvent en distinguant deux sortes d'universaux:
"ceux qui n'affirment pas que le sujet existe et ne comprennent aucune pro
position particulière et ceux qui affirment que le sujet existe". Ainsi, "Si je
renverse mon encrier, l'encre ne se répandra pas" ne contredit pas vraiment
"Si je renverse mon encrier, l'encre se répandra", si l'on applique la distinc
tion. Dans le premier cas, il s'agit d'une implication matérielle (au sens rus-
sellien), dans le second d'une implication où il est tenu compte de la réalité.
S'il y a de l'encre dans l'encrier, l'implication est valide, s'il n'y en a pas,
elle est invalide (5.337). On mettra dans la troisième classe des sophismes,
des paradoxes comme celui du menteur. Peirce soutient qu'on n'a pas à se
demander si "Cette proposition n'est pas vraie" est une proposition vraie
ou fausse, car "toute proposition affirme sa propre vérité" (5.340).
NOTES 95
16. Cf. Emily Michael, "Peirce's Early Study of the Logic of Relations,
1865-1867", Transactions of the Charles S. Peirce Society, 1974, pp. 63-75.
17. Sur le Club Métaphysique, cf. Philip P. Wiener, Evolution and the
Founders of Pragmatism, Harvard University Press, 1949 et Max H. Fisch,
"Alexander Bain and the Genealogy of Pragmatism", Journal of the History
of Ideas, juin 1954, pp. 413-444.
20. Bain, Mental and Moral Science, cité par Fisch, art. cit., p. 422.
22. Revue philosophique, dec. 1878, pp. 553-569; janv. 1879, pp. 39-57.
Nous donnons la référence des Collected Papers, mais nous utilisons le
texte français de la Revue philosophique, sauf exceptions signalées et jus
tifiées.
23. Le traducteur du premier article traduit le mot inquiry tantôt par "re
cherche", tantôt par "investigation". Nous leur préférons "enquête".
25. C'est en ces termes que Manley Thompson pose ce qu'il appelle "le
paradoxe du réalisme de Peirce", in Wiener et Young, Studies in the
Philosophy, of Charles S. Peirce, Harvard University Press, 1952, p. 138.
28. Cf. Contributions to "The Nation", vol. II, pp. 85 et 102 et notre comp
te rendu: "Les grands thèmes de la philosophie de Charles S. Peirce",
Semiotica 32-3/4, 1980, pp. 334-335. Voir plus loin, Ch. III, Déduction.
31. Sur cette question, cf. l'article de Max Fisch, "Peirce's Arisbe", cité, à
qui nous devons l'essentiel de cette partie.
36. Nous utilisons la terminologie des textes sur la classification des sci
ences.
39. Dans deux textes: dans un brouillon de lettre à Lady Welby (8.357) à
propos de la nature sémiotique des monuments aux morts de la Guerre de
Sécession, érigés dans le Nord des Etats-Unis, mais l'allusion n'apparaît pas
dans la lettre envoyée; et dans un manuscrit inédit (Ms 596) qui n'a pas été
inclus dans les Collected Papers où, pour montrer qu'on peut ne pas avoir
conscience de ce à quoi l'on croit, Peirce donne l'exemple des gens du Nord
qui, jusqu'à l'attaque du Fort Sumter, ne se rendaient pas compte "qu'ils
croyaient que la suprématie de l'Union devait être maintenue à tout prix".
Ce dernier texte m'a été signalé par Max Fisch.
NOTES 97
43. Cf. Max Fisch et Atwell Turquette, "Peirce's Triadic Logic", Transac
tions of the Charles S. Peirce Society, 1966, pp. 71-85.
44. Les textes les plus importants se rapportant aux graphes existentiels
sont ceux de 1897 (3.456-552), de 1903 (4.350-529) et de 1906 (4.573-584).
On peut lire sur les graphes existentiels: Don D. Roberts, The Existential
Graphs of Charles S. Peirce, La Haye, Mouton, 1973 et Pierre Thibaud, op.
cit., pp. 161-173. Cf. également la lettre de Peirce à A. Robert que nous
avons publiée dans les Ecrits sur le signe, pp. 192-199.
46. Fisch, art. cit., p. 198 et Peirce in Wiener, Charles Peirce, Selected Writ
ings, op. cit., p. 300.
1859 B. A.
1. Les titres en italiques sont ceux des articles publiés. Les revues ou ou
vrages dans lesquels ils ont paru figurent entre parenthèses.
100 CHARLES S. PEIRCE, PHÉNOMÉNOLOGUE ET SÉMIOTICIEN
1871 Compte rendu de The Works of George Berkeley (The North Ameri
can Review): Exposé du réalisme; première expression du pragmatisme.
1896 Compte rendu des Vorlesungen über die Algebra der Logik de
Schroeder (The Monist)
The Logic of Mathematics: An Attempt to Develop My Categories From
Within: Nouvelle révision des categories.
102 CHARLES S. PEIRCE, PHÉNOMÉNOLOGUE ET SÉMIOTICIEN
1908 A Neglected Argument for the Reality of God (The Hibbert Journal).
Oeuvres de Peirce
Collected Papers, Harvard University Press, I-VI publiés par Charles
Hartshorne et Paul Weiss, 1931-1935; VII et VIII publiés par Arthur
W. Burks, 1958.
Charles S. Peirce's Letters to Lady Welby, publié par Irwin . Lieb,
New Haven, Connecticut, Whitlock's Inc., 1953.
Richard S. Robin, Annotated Catalogue of the Papers of Charles S.
Peirce, The University of Massachusetts Press, 1967.
Contributions to the Nation, rassemblés par Kenneth L. Keiner, et
James E. Cook, 3 vol., Texas Tech Press, 1975, 1978, 1979.
The New Elements of Mathematics, édités par Carolyn Eisele, 4 vol.
Mouton, La Haye, 1976.
Semiotic and Signifies, The Correspondence between Charles S. Peir
ce and Victoria Lady Welby, éditée par Charles S. Hardwick, assisté
de James Cook, Indiana University Press, 1977.
Complete Published Works including Selected Secondary Material,
Microfiche Edition, Herbert Johnson of Johnson Associates, Green
wich, Connecticut, 1977.
Writings of Charles S. Peirce, A Chronological Edition, publiés sous
la direction de Max H. Fisch, Bloomington, Indiana University
Press, en cours de publication. Vol. I, 1857-1866 (1982), Vol. II,
1867-1871 (1984), Vol. III, 1872-1878 (1986).
Recueils accessibles
Philosophical Writings of Peirce, publiés par Philip P. Wiener, Dover
Publications, 1966 (1ère éd., 1940).
Charles S. Peirce: Selected Writngs, publiés par Philip P. Wiener,
Dover Publications, 1966 (1ère éd., 1958).
Charles S. Peirce: Essays in the Philosophy of Science, publiés par
Vincent Tomas, The Liberal Arts Press, 1957.
Charles S. Peirce: The Essential Writings, publiés par Edward C.
Moore, Harper & Row, 1972.
106 CHARLES S. PEIRCE, PHÉNOMÉNOLOGUE ET SÉMIOTICIEN
INDEX NOMINUM
Avant-propos xi
Introduction 1
Chapitre premier: Sortir de la Caverne (1851-1870) 5
1. Du nominalisme à la critique de la logique kantienne 7
2. Une nouvelle liste de catégories 9
3. Contre l'esprit du cartésianisme: une nouvelle conception
"réaliste" du processus de la pensée 15
4. Les fondements de la validité des lois de la logique: la nature
de la réalité et le caractère social de la logique. 25
Logique formelle 75
Abduction, induction, déduction 77
5. La métaphysique scientifique 81
— Le tychisme 82
— le synéchisme 84
— L'agapisme 87
— Dieu 88
Conclusion 91
Notes 93
Chronologie 99
Bibliographie 105
Index
Index nominum 107
Index rerum 109
Table des matières 113