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DTUNmuaxDSRoSE
Paul Cnlax
Theo Bucr
Laurent Cassacwa,u
Andrei ConseA.-Hotsrn
Wolfgang EtrlrnRlcH
JeanFncns
Anna Gr,lzovl,
Christine IvaNor,ré
Aldréa Llurnnwsrx
Peter Florst NSUMANN
Herta Luise OrT
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Mex RSTFrMANN
DirkWerssMANN
Ralf ZscrraclgtLrrz
trDITIONS
D U T E MPS
Illustration de couverture :
Sti.llebenmit Engelinuasion (détail), Berlin 1997
(AdelchiRiccardo Mantovani)
M.-Q. Quéval remercie Monsieur Lajarrige sans lequel ce liwe n'existerait pas-
Elle remercie éeâlement M. A:rdreas Schumm et Adelchi-Riccardo Mantovani.
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@ éditions du temps, 2002. iiese Unterste
22, rue Racine- 44OOONantes.
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Catalogue : *'ç'w.editions-du-temps.com - Portail : www.edutemps.fr \erhakt \r,ie br
Let'ensgesch
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strictement réservées à I'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective Beda Allemarn
dune part, et, daufre part, que les analyses et les citations dans un but d'exemple et 1 Hugo HuppeG
d illusfration" \leminghaus (l
Paul Celan
entre philologie et philosophie :
autour d'une lecture française
du poème u In Eins ,
(Schibboleth, de Iacques Derrida)
Dirk Veissmann
Agrégé d'allemand, il enseigne à I'université de Paris-\rIII.
Le commentairedu poème< Du liegst> (Gw II, 334) par peter Szondi,publié pour la premièrefois en
1972 (< Eden in : P. Szondi,Celan-stutlien, FrancfortlMain, Suhrkamp, 1972 trad. fianç. par Jean et
",
MayotteBollack dansL'Éphémère, n"19120,1912-1973)peut êtreconsidérécommele documenrfondareur
des discussions. En témoin privilégiéde la genèsedu poème,Szondi y démontreI'importancedes faits
biographiques et historiquespour la compréhensiondu poème.Restéinachevé,le texte n'apponepas de
solution définitive au problème; il a ainsi pu devenir une référencepour des courantsinterprétatives
hétérogènes"
Je me permetsde renvoyerici à mon travail Le problème tle la référentialité biographico-historiquedans
!'czuvrede Paul Celan,mémoirede maîtrisede Lettresmodernes. Univ. de la Sorbonne-Nouvelle. 1998.
Neben-Erden. Paul CelansGedichtWaspeschah?
Hinterwelten.Gepenworte.
Si les travauxqui ont été entreprisen vue de l'établissement d'une édition savante
de l'æuvre de Paul Celan illustrent peut-êtrele mieux I'approchephilologique2"les
lecturesphilosophiquesse situentpour I'essentieldu côté d'une approcheinternedes
textes, en ce qu'elles se refusent à ramener le poème à un référent extérieur ou anté-
rieur à l'écriture.Plaçantleurs interrogationsau-dessusdes préoccupationsdes scien-
ces, les approchesphilosophiquesde la poésie de Celan renoncentgénéralementà
prendreappui sur un savoir historiqueet philologiqueconstituéd'avance.Par consé-
quent,on leur a souventfait le reprochede réduire à des généralitésphilosophiques
ce qui a été un messageconcretet personnelde la part du poète.Recherchephilolo-
gique et réflexion philosophiqueen sont ainsi venuesà représenterdeux approches
opposéesde la poésie de Celan, dont la communicationpose de nombreux problè-
mes3"
À partir de la lecture du poème < In Eins > par JacquesDerrida, je voudrais par la
suite illustrer certains aspectsdu différend entre lecture dite interne et externe.L'ana-
lyse seraplacée dans le contexte plus large de la réception française de la poésie de
Paul Celan, en apportant égalementquelques matériaux complémentairespour une
interprétation du poème. J'espère ainsi contribuer à une mise en perspective des
différentes approchesde l'æuvre.
paradigme bien français, à ce que lbn appelle outre-Atlantique la < french theorie" et outre-Rhin le
<<Poststrukturalismus >>.
1. Manfred Frank, Qu'est-cequ'est le néo-structuralisme?, trad. Ch. Bemer, Paris,Éditions du Cerf, 1989.
2. J. Derrida,op.cit, p.51. Dans un entretienau moment de la parution de son livre, il explicite cette
affirmation : [...] C'estce que j'essaiede soulignerà propos de Celan, qui passepour un poètedifficile et
"
cryptique dan-, par exemple,la manièredont il disposeles dates,les allusionsaux expériencesqu'il a faites,
etc., avectous les problèmesde déchiffrementque cela suppose...Ce que j'ai suggéré,c'estqu'il ne le faisait
pas par calcul, mettant au travail dés générationsd'universitairesqui cherchaientles clefs d'un texte. C'est
I'expériencede l'écritureet du langagequi a affaire à cettecrypte, à cette cryptelà >, repris dans: Points de
suspension, Paris,Gallilée,1992,p.215.
3. Paul Celan, < Der Meridian. Rede anlâsslich der Verleihung des Georg-Bûchner-Preises
',
GWIII, 187-202.Dans ce texte, Celan parle du poème qui garde la mémoire de ses dates (<Daten
eingedenkzu bleiben p. 196),dansle sensoù il renvoie à des événementssingulierset datés.Les æuvres
",
de Celan sont cités dans l'édition GesammeheWerke, 5 vol., éd. B. Allemann, Francfort/Main, 1983, le
sigleGW étantsuivi desnumérosdu volumeet de la page.
4. J. Derrida,Schibboleth, op. cit., p.61.
5. Ceci étant, Derrida s'est très tôt étonnédu <<contrasteentre la fragilité théorique des reconstructionset la
richessehistorique,archéologique, [...] philologiquede I'information> dansles scienceshumaines.ce qui
l'a amenéà une critique, souvent réitérée,des études littéraires (J. Derrida, De la grammatologie, Pans" I
Minuit, 1967,p. 44). )
6. Livre publié au Seuil en 1967,reprisen 1979dansla collectionFolio. Il faut signalerici que les enjeux 3
proprementphilosophiquesdes théoriesde Derrida ne pounont faire I'objet de mon analysequi se situe sur 4
le terrain d'unehistoire de la réception. !
Paul Celan entrephilologie et philosophie...
Derrida en question
1. I b i d . ,p . 4 8
2. Voir à ce sujetJ. Derrida,Passions,Paris,Galilée,1993.
3" Cf. supra,notel, p.223"
4. J. Derrida,Schibboleth.,op. cit., p.35.
5. Ibid.,p.60"
Neben-Erden.
HinterwelTen. Paul CelansGedichtWaspeschah?
Gepenworte"
l GW TII, 196. 1.
2. Il ne s'agit pas d'une omission volontaire ou accidentelle. Dans le cadre de son séminaire de l'année )
200112002,JacquesDerida a récemmentindiqué qu'il n'avait effectivementpas eu connaissancede cette
référencejusqu'à la publication, en 2001, d'une nouvelle traduction, commentée,du texte (l,e Méridien et
d'autres lextes, trad. Jean Launay, Paris, Le Seuil, 2001), établie sur la base des travaux de Bemhard
Bôschenstein.
3. Le coup d'envoi des nombreux conflits qui ponctuent l'histoire de la réception françaisede Celan jusqu'à
nos jours a été donné en 1972 par un texie d'Henri Mechonnic, On appelle cela traduire Celan >, ler
"
Cahiersdu Chemin, no14,15 janvier 1972,p. 114-149,dans lequel il attaqueviolemmentles lraducteursdu
premier volume de traductionsfrançaisesde poèmesde Paul Celan (Strette,poèmes,suivis du Méridien er
de /Entretien dansla montagne,trad. André du Bouchet, Jean-PierreBurgart et Jean Daive, Paris,Mercure
de France.1971).
Pattl CeLan entre philologie et pltil.osophie...
derlin à Celan, pendant lequel le poème a pris sur lui certaines des fonctions
anciennementattribuéesau texte philosophique,devenantainsi un modèle pour la
penséel; mais elle a provoquéde nombreusescritiquesparmi ceux qui cherchent
dansla poésiede Celanun sensprécis,une prisede positionfaceà I'Histoire,I'enga-
gementpersonnelde celui qui écrit. Cettecritique s'esténoncéesoustrois formes :
D'abord, sur arrière-fonddes débatsautour de I'engagement politique de Martin
Heideggerdans la relationà sa pensée,d'aucunsse sont heurtésà I'utilisationpar
Derrida de conceptsphilosophiques empruntésà I'ontologieheideggérienne, allant
jusqu'àparlerd'uneassimilationdu poètejuif au << penseurnaziz>>.On a également
reprochéà Derrida de ne pas faire assezattentionaux enjeuxspécifiquesde la poésie
de Celanet d'en abuserpour une mise en scènede sa propre< déconstruction >, de
profiter du < grand poète> pour accroître sa propre gloire3. Enfin" les critiques
craignentsurtoutque le refus par Derrida d'un sensunivoqueet stablene cautionne
un jeu formalisteet irresponsableavec les référenceshistoriques,ce qui reviendrait
finalernentà une violationde la mémoiredesvictimesa.
Ainsi il apparaîtque Denida, aprèss'êtrelui-mêmeplacéà l'écart de la recherche
biographiqueet historique,a souventété perçuepar les autreslecteursde Celan com-
me l'< anti-philologue > par excellence,interprèteirrespcctueux des référencescon-
crètesdes textes.Il seraitpourtant faux de considérerque I'approchede Derrida ne
prêteaucuneattentionà I'expérience historiquequi s'estcondensée dansla poésiede
Celan.Ne parle-t-ilpas,dansSchibboleth,de Hitlcr, de iUussolini,de Franco,de la
DeuxièmeGuerremondiale,de I'extermination des.1uifset de ia d'Algérie5?
-euerre
Il convientalorsde nuancercetteimagequelquepeu schématique d'unelecturephi-
losophiquesanségard pour I'Histoireet la biographie.en citant i'exempled'une
référencehistoriquechezPaul Celan,que JacquesDenida a été probablementle pre-
mier à avoir relevée.Il s'aeitde sa lecturedu poème < in Eins " de la Niemandsrose"
Comme I'indique déjà son titre, le poème < In Eins > du quatrièmecycle de la
Rose de personnel condense,réuni < tout en un >>,une multitude d'événements
hétérogènes,séparésdans I'espaceet le temps.De la Bible à la guerre d'Algérie, en
passantpar la Révolution française,la Révolution d'octobreen Russie et la guerre
r. Ibid .,p.4 l.
2. GWI, l3 t.
Paul Celan entre philologie et philosophie...
à la genèsede < In Eins >. Le lien causalentre les deux papiersparaîten effet faible. d
Pourtantle documentécrit de la main de Celan, même s'il contient peu d'informa- t(
tions, sert ici de cautionscientifique,alors que l'< intuition > du philosophe-essayiste n
souffre peut-êtred'une mauvaiseréputation.Il est vrai que Derrida s'estplacé trop
loin des préoccupationsde la philologie pour que la piste qu'il proposepuisse être
explicitementcitée par le commentaire.Mais il y a un deuxième exemple, plus d
surprenant,de la méconnaissance du texte de Derrida.
À consulter I'ouvrage au demeurantexemplaire qu'est le Kommentar zu Paul a
Celans < Niemandsrose>, édité par Jûrgen Lehmann2,on constate que la partie sur
< In Eins >, signéepar Thomas Span, fait I'impassetotale sur ce qui s'estpasséle 13 ft
février 1962 à Paris, bien que ce commentaireait été publié après la parution de I'
l'édition de Tûbingen du recueil, et que le livre de Derrida figure dans la bibliogra- b
phie donnée par le commentateur.Ceci est d'autant plus regrettable que le livre fait c
autoritéet qu'il risque d'être considérécomme la seuleclé pour une compréhension \
de la Niemandsrose.S'il est vrai qu'aucuncommentairene peut prétendre à I'exhaus- q
tivité, la lacuneesten I'occurrencede taille. n
La référencedans les brouillons du poète à un lieu parisien précis, n'a pas non d
plus fait I'objetd'uneexplicationsatisfaisante. On peut comprendreque Th. Sparr ne d
s'interrogepas sur les variantesdu poème et donc sur la signification possible de E
< vom Boulevard du Temple bis / zur Rue du Chemin Vert >>.Son commentaire ne C
concerneque la versiondéfinitive du poème.Mais que dire de la TùbingerAusgabe
qui, quant à elle, se contente d'indiquer qu'il s'agirait là du < lieu traditionnel, à le
proximité de la Place de la Bastille, où se déroulent les grandes manifestations à II
Paris3>>,ce qui est faux pour la rue du Chemin Vert qui ne se trouve pas sur l'iti- p
néraire des manifestationsqui vont de la Place de la Bastille à la Place de la Répu- p
blique. p
Il faut ici ajouterquelaTilbinger Ausgabe,qui présenteles étapesgénétiquesdes a
différents recueils, n'est pas conçue comme un coffnentaire de l'æuvre de Paul Ce- r(
lan. On ne sauraitdonc critiquer I'absencede certainesinformationsdansles notesde B
cette édition. Or, même en reconnaissantla très grande qualité de ce travail, il est r(
évident qu'une information tronquée,voire fausserisque d'être préjudiciable à la 1
compréhension du poème. fe
jr
I'i
La guerre dAlgérie comme contexte de la genèse
b
bi
On peut affirmer que c'est précisémentI'apparition de la Rue du Chemin Vert dans
I'appareil génétiquedu poème qui permet d'identifier plus précisémentles références
dr
du poème,en confirmantI'intuition de Derrida d'une influencedes événementspar!
c(
1 . M s . c l a s s é< - i- l. 1 .2 0 > .
2, JùrgenLehmann,Kommentar7u Paul Celans Die Niemandsrose>, Heidelberg,C. Winter, 1997.
"
naheder Bastille in Paris>. p. 107.
3, < traditionellerOrt von Massendemonstrationen
PaulCelanentrephilologieetphilosoplùe...
l. gras,sousforme
Le Mondedu 10 février 1962,où cetteinformationestbien visible,impriméeen caractères
d'intertitre.
BemardDroz,ÉvelyneLever,Histoirede la guerred'Algérie,1951-1962,Paris,Le Seuil, 1982.
Paul CelansGedichtWasgeschah?
Hinterwelten.Gegentvorte.
Neben-Erden.
I
seulementl'évocationde la Rue du Chemin Vert ne permetpas d'y voir une simple
d
référence d'ordre général aux manifestationspopulaires à Paris, mais la logique
t'
internedu poèmes'accordeavec la conjoncturepolitique de l'époque.À cet égard,il À
faut rappelerque les années1961 et 1962 ont été une périodede vive agitationpour
une sociétéfrançaiselasséepar les < événements> d'Algérie.La populationest han-
tée par le spectrede la guerrecivile, par la crainte d'un putschmilitaire qui instau-
rerait un régime fascisantl.En plus, I'activité terroristede I'OAS, fomentéepar les a
l. Iljsto
C f . s e r g e B e m ste in ,Pie n e M ilza , ir e d e la F r a nceauWesi ècl e,t.IY ,B ruxel l es,Ë di ti onsC ompl exe,
1992,p. 32 sq.
2. Cf- Benjam.inStora,La gangrèneet l'oubli : la mémoire de Ia guerre d'AIgérie, Pans, La Découvene 1998
4.
( 1 9 9 1 )p, . 10 0 sq .
3. Il est intéressantde noter que I'opinion publique de l'époquefaisait déjà en partie ces rapprochements.La
5.
comparaisondu 13 février 1962 avec le 6 février 1934, avec la Commune (évocation du < Peuple de
6.
Paris et la Libération était récurrente.
")
Paul Celanentrephilologieet philosophie...
195'7à 1959, faisant son service militaire cornme enseignantdans une école près
d'Algert. Appelantde sesvæux une forme indépendancequi permettraitune cohabi-
tation pacifique entre Algériens et < Pieds noirs >, il appartientà cette génération
d'intellectuelsfrançais qui a vécu très douloureusementla dimension fratricide de
cetteguerTe.
À cet égard, I'OAS, qui à la même époque se lance dans une série d'actions
aveugleset désespérées pour empêchertoute coexsistenceentre les communautés
européenneset musulmanesaprès I'indépendance,apparaît corlme radicalement
opposéaux espérancesdu jeune philosophe.Par-delàsa connaissancedes circons-
tanceshistoriques,qui lui a permis de reconnaîtreI'allusionau 13 février 1962,Der-
rida a dû être personnellementtouché par I'engagementdu poème de Celan pour la
caused'une cohabitationpacifique, sous le signe d'une fraternisationdu peuple. Si
l'on rajouteà cela qu'à l'époquede la rédactionde Schibboleth(1984),la mémoirede
la guerred'Algérie en Francerestaiten grandepartie une pageblanchepour I'histoire
nationale,comportantune part importantede refoulementet de dénégationdes évé-
nementsles plus atrocesz,le poèmede Celan apparaîtnon seulementcomme un allié
de sa < déconstruction>, mais aussicomme un moyen pour préserverune mémoire,
en I'occurrencela mémoire des victimes du métro Charonne.massacreclassésans
suitepar lajustice, quelquesannéesaprèsles faits. À traversla poésiede Celan,Der-
rida exprime ainsi son malaiseface à une histoire exposéeau risque de I'oubli ou
déjà oubliée.On est ici loin de l'image d'un Denida lecteurfrivole et irresponsable3.
D'une manière générale,on peut lire à travers l'æuvre de JacquesDerrida une
véritable obsessionde la disparition.Comme l'écrit FrançoisDosse, < Derrida revit
[...] au plan de l'écritureson expériencepersonnellede la perte,perte du temps,de la
mémoire,de ce qui resteaprèscetteexpériencede la mort4>>.Cette observationvaut
en particulierpour sa lecturede la poésiede Celan, qui est traverséepar I'idée d'un
anéantissement de la date,de la cendre,de I'holocaustecomme disparition de la mé-
moire, etc. Ne souligne-t-ilpas dès la premièrepage de son livre que le thème en
<<fera signe vers la dernièreguerre,toutesles guerres,Ia clandestinité,les lignes de
démarcation,la discrimination, les passeportset les mots de passes>. Et quand
Derrida se demandeau sujet de la date <<comment sa mémoire [celle de la
^ate]
peut-elledisposerencored'un avenir6> ?, il devientpossiblede lire son essaicomme
I'expressionsymbolique d'une mémoire menacée,dont il trouve la trace dans ia
poésiede Celan.
Conclusions
L'æuvre de Paul Celan fait ainsi apparaîtreun problème crucial : comment, d'une
part, prendre au sérieux le fond biographique et historique des poèmes, sansretom-
ber dansquelquepositivismeréducteurqui finirait par détruirela mise-en-æuvrede
la mémoirecommepoésie; et comment,d'autrepart, rendrecomptedes modesspé-
cifiques de l'écriture sans finalement enfermer le texte dans une structure auto-réfé-
rentielle écartanttoute référenceconcrète ? L'opposition stricte entre les deux appro-
ches- lecture externeet lecture interne - s'esten effet avéréeintenable.
Philosopheou philologue, il semble bien qu'aucunlecteur de la poésie de Paul
Celan ne resteinsensibleaux enjeux existentielsde cetteæuvre : la situationdu poè-
te juif faceà la Shoah,la préservationde la mémoiredes opprimésde I'Histoire,leur
actualisationpour l'époque contemporaine.Les conflits de I'interprétation ne doivent
pas faire disparaîtreun consensusgénéral qui s'estformé autour de cette æuwe et de
sa valeur comme lieu de mémoire. Par-delà leurs pratiques divergentes, les diffé-
rentesapprochessont ainsi appeléesà devenircomplémentaires, car le poèmen'estni
tout entier dans le matériel biographique et historique, ni enfermé dans une textualité
aux règles abstraites.Sa lecture ne saurait se réduire à une question théorique ou
technique.
De la mêmemanière,la réceptionfrançaisede la poésiede Celan,ne peut se pen-
ser uniquementen termes d'écart, de trahison, voire de contre-sens.Si la lecture
< étrangère> adopteun point de vue différent, contredisantparfois des convictions
bien établies,la rencontreproductriceentredeux contemporainssur fond d'uneexpé-
rience historiquecommunea montré qu'elle peut apporterun éclairageessentielsur
1 . Cf. Mark M. Anderson, The "Impossibility of Poetry". Celan and Heideggerin France>>,New German
"
, 9 9 1 (, p . 3 - 1 8 ) ,p . 5 .
C r i t i q u e , 53 1
2. !. Dernda,Altérités, Paris,Osiris, 1986,p. 32.
PaulCelanentrephilologieetphilosophie...
Bibliographiet
r <Tiibingen, Jânner tNR 2121', trad. (en bilingue) John E. Jackson, dans: Bernhard
Bôschenstein,< Hôlderlin et ia poésie allemande contemporaine>>,Les Lettresfrançaises,
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Strette,poèmes, suivis da Méridien et de lEntretien dans la montagne, Paris, Mercure de
France,1971, contient,en traductionbilingue,8 poèmesde NR: <Tiibingen,janvier
[Tùbingen,Jânner,NR 27] >>(trad. André du Bouchet) ; < Par le vin et l'égarement[Bei
Wein und Verlorenheit,NR l5l > ; < Odeursd'automne,muettes[StummeHerbstgerùche,
NR24 l> ; < Chy m ique [ Chy m is c h,NR 2 8 ] >; <<E r r a t i q u[eE n a t i s c h ,N R 3 4 ] >; <C e
n'est pius [Es ist nicht mehr, NR 37lrr; n Anabase [Anabasis,NR 50] >>;<Les Globes
INR 66] > (trad.JeanDaive).
<Il y avait de la terre en eux [Es war Erde in ihnen, NR 13]
", "Psaume [Psalm,
NR26l>, trad. (bilingue) John E. Jackson,Revue des Belles-Lettres,n"2-3, fiuin] 1972
(n" spécialPaul Celan).
< Mandorle [Mandorla, NR 41] >>,trad. (bilingue) Yves Bonnefoy, Revue de Belles-
Lettres,n"2-3, [uin] 1972(n" spécialPaul Celan)"
Septpoèmes,trad. René Daillie, Solaire, n"10-11, été 1975; contient 5 poèmesde NR:
<Il y avait de la terre en eux [Es war Erde in ihnen, NR 13] >>;<Zurich, à la Cigogne
fZûnch, Zum Storchen,NR 16] , ; * À trois, a quatre [Selbdritt, selbviert, NR 17] > ;
< ToutescesétoileslSoviel Gestime,NR i8] > ; Radix, Matrix [NR 38].
< Fenêtrede hutte [Hùttenfenster,NR 69] >>,<<Tout est autre [Es ist alles anders,NR 75] >,
trad. (bilingue)John E. Jackson,Revuedes Belles-Lettres,no3-4,[automne] 19'76.
< Die Niemandrose(dix-neuf poèmes)>, trad. (en bilingue) par Martine Broda et Marc
Petit, Le Nouveau Commerce,no38, automne 1977; contient: <11 y avait de la terre en
eux [Es war Erde in ihnen, NR 13] " ; ,,Zuirch, À la Cigogne fZnnch, Zum Storchen,NR
161 passageau-delà[Dein Hinùbersein,NR 19] "; < À main droite et à main
"; "Ton
gauche[Zu beidenHànden,NR 20] >; <L'Ecluse [Die Schleuse,NR 23] >; <Psaume
[Psalm,NR 26] > ; < Un air de filous et de brigands[Eine Gauner-und Ganovenweise, NR
< Par le vin et par la perte [Bei wein und verlorenheit, NR 15] ; odeurs d'automne
" "
muettes [Stumme Herbstgertiche, NR 24]>; <Glace, Eden [Eis, Eden, NR 25]>;
< Chymique [Chymisch,NR 28] > ; < Erratique [Erratisch,NR 34] > ; < Ce n'esrplus [Es
istn ich tm ehr , NR3' llo; r r Anabas e[ Anaba s i s , N R 5 0 ] >; <L e M e n h i r l N R 5 3 l >; <L e s
Globes [NR 66] >.
<La Contrescarpe[NR 73frr;.rPsaume [Psalm, NR 261>, trad. (en bilingue) Jean
Bollack et Halù, dans: Sar quatre poèmes de PC. (Jne lecture à plusieurs, éd. Jean
Bollack, Jean-Mariewinkler et wemer wôgerbauer, n" spécial dela Revuedes sciences
hu main esn"3.
. 1991"
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