Vous êtes sur la page 1sur 19

Lectures d'une æuvre

DTUNmuaxDSRoSE
Paul Cnlax

Coordonné par Marie-Hélène Quéval

Theo Bucr
Laurent Cassacwa,u
Andrei ConseA.-Hotsrn
Wolfgang EtrlrnRlcH
JeanFncns
Anna Gr,lzovl,
Christine IvaNor,ré
Aldréa Llurnnwsrx
Peter Florst NSUMANN
Herta Luise OrT
Marko Pa:nlté
Mex RSTFrMANN
DirkWerssMANN
Ralf ZscrraclgtLrrz

trDITIONS
D U T E MPS
Illustration de couverture :
Sti.llebenmit Engelinuasion (détail), Berlin 1997
(AdelchiRiccardo Mantovani)

M.-Q. Quéval remercie Monsieur Lajarrige sans lequel ce liwe n'existerait pas-
Elle remercie éeâlement M. A:rdreas Schumm et Adelchi-Riccardo Mantovani.

Viele Gedi
gar als vollk(
\\'oran liegt es
in der Celan-
\\-issenûber d
ein diskreter
Freundder Ve
-\bstinenzvon
Eindruck der
immer ahnen
Schreibenden
\-entândnis d
anmutenden)
Huppert. Dort
Leser;er kann
men. immer gl
\\'arum abt
suibe<.ein >S
:eine l-eser lel
rsBN 2-84274-205-2
der \achfolge
-\nnahme, und
@ éditions du temps, 2002. iiese Unterste
22, rue Racine- 44OOONantes.
'Àelcher Epoc
Catalogue : *'ç'w.editions-du-temps.com - Portail : www.edutemps.fr \erhakt \r,ie br
Let'ensgesch
Tous droits résewés. Toute représentation ou reproduction même partielle, par quelque
procédé que ce soit, est interdite sans autorisation préalable (loi du 11 mars 1957, alinéa 1
Jahrhunderts
de I'article 40). Cette représentation ou reproduction constituerait une contrefaçon
sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code Pénal. La loi du L1 mars 1957
n'autorise, au termes des alinéas 2 et 3 de I'arficle 41, que les copies ou reproductions 1. Terie Celans s
strictement réservées à I'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective Beda Allemarn
dune part, et, daufre part, que les analyses et les citations dans un but d'exemple et 1 Hugo HuppeG
d illusfration" \leminghaus (l
Paul Celan
entre philologie et philosophie :
autour d'une lecture française
du poème u In Eins ,
(Schibboleth, de Iacques Derrida)

Dirk Veissmann
Agrégé d'allemand, il enseigne à I'université de Paris-\rIII.

Partage entre deux orientations de la lecture

Durant ces trois dernièresdécennies,les discussionsautour de la poésiede Paul


Celan ont été largementdominéespar le problèmede I'interprétationbiographiqueet
historiquel. En effet, les nombreusesréférencesque comportent les poèmes,ren-
voyant à la vie privée,aux dateset événementshistoriques,ou encoreà des texteslus
par I'auteur,ont déclenchéune longue réflexion sur la démarcheà adopterdevant
cette ceuvrejugée difficile. Au fil du temps,la questionest devenueI'enjeuprincipal
du conflit des interprétationsqui opposeles exégètesz.Ainsi, la plus ou moins gran-
de importanceaccordéeà la collecte d'informationsfactuellesen lien avec les poè-
mes structurele champ de la réception,notammenten Allemagneet en France,con-
férant une identitéaux différentsacteursdu débat"
L'un des principaux différends au sujet de l'interprétationde l'ceuvrede Celan
oppose les défenseursde la sciencephilologique, qui tâchentd'éluciderI'obscurité
des poèmesmoyennantle travail génétiquesur les manuscritset la recherchesysté-
matiquedes référencesintertextuelles,historiquesou biographiques,à ceux pour qui
le poèmedoit en principe être lisible sansavoir recoursaux informationsexternes.à
I'aide de la seule lecture dite interne, avec l'idée d'une interprétabilitéà I'infini du
texte poétique"Pour les premiers, seule une parfaite connaissançedes références

Le commentairedu poème< Du liegst> (Gw II, 334) par peter Szondi,publié pour la premièrefois en
1972 (< Eden in : P. Szondi,Celan-stutlien, FrancfortlMain, Suhrkamp, 1972 trad. fianç. par Jean et
",
MayotteBollack dansL'Éphémère, n"19120,1912-1973)peut êtreconsidérécommele documenrfondareur
des discussions. En témoin privilégiéde la genèsedu poème,Szondi y démontreI'importancedes faits
biographiques et historiquespour la compréhensiondu poème.Restéinachevé,le texte n'apponepas de
solution définitive au problème; il a ainsi pu devenir une référencepour des courantsinterprétatives
hétérogènes"
Je me permetsde renvoyerici à mon travail Le problème tle la référentialité biographico-historiquedans
!'czuvrede Paul Celan,mémoirede maîtrisede Lettresmodernes. Univ. de la Sorbonne-Nouvelle. 1998.
Neben-Erden. Paul CelansGedichtWaspeschah?
Hinterwelten.Gepenworte.

implicitesou explicitespeut finalementmener à une compréhensionjuste et précise,


alors que les autres considèrent le texte poétique avant tout comrne une création
autonomeet libre, possédantsa temporalitéet sa logique propres,donc dépassantles
conditionsde sa genèse,La questionposéeen 1972 par Peter Szondi a ainsi gardé
toute son actualité :
Dans guelle mesure la compréhension dépend-elle de I'acquisition d'un
matériel historique ? [...] Dans quelle mesure [e texte] est-il déterminé
par des éléments qui lui sont extérieurs, et cette détermination
extérieure est-elle évincée par la logique propre au poèmel ?

Si les travauxqui ont été entreprisen vue de l'établissement d'une édition savante
de l'æuvre de Paul Celan illustrent peut-êtrele mieux I'approchephilologique2"les
lecturesphilosophiquesse situentpour I'essentieldu côté d'une approcheinternedes
textes, en ce qu'elles se refusent à ramener le poème à un référent extérieur ou anté-
rieur à l'écriture.Plaçantleurs interrogationsau-dessusdes préoccupationsdes scien-
ces, les approchesphilosophiquesde la poésie de Celan renoncentgénéralementà
prendreappui sur un savoir historiqueet philologiqueconstituéd'avance.Par consé-
quent,on leur a souventfait le reprochede réduire à des généralitésphilosophiques
ce qui a été un messageconcretet personnelde la part du poète.Recherchephilolo-
gique et réflexion philosophiqueen sont ainsi venuesà représenterdeux approches
opposéesde la poésie de Celan, dont la communicationpose de nombreux problè-
mes3"
À partir de la lecture du poème < In Eins > par JacquesDerrida, je voudrais par la
suite illustrer certains aspectsdu différend entre lecture dite interne et externe.L'ana-
lyse seraplacée dans le contexte plus large de la réception française de la poésie de
Paul Celan, en apportant égalementquelques matériaux complémentairespour une
interprétation du poème. J'espère ainsi contribuer à une mise en perspective des
différentes approchesde l'æuvre.

l" PeterSzondi, .. Eden >, repris dansPoésreset poétiquesde la modemité,Lille, Pressesuniversitaires,1982,


(p. 201-209),p. 205. Voir aussiszpra,n. 1, p.223.
On y penserasurtout à la Historisch-kritischeAusgabe,fondéepar Beda Allemann à lUniversité de Bonn,
et en cours depuis plus de trente ans. Aucun des volumes de commentaire prévus n'ayant vu le jour
jusqu'ici, d'autres équipes ont cherché à combler les lacunes. Ainsi sont nés notamment l'édition de
Tiibingen, dirigée par Jûrgen Wertheimer, qui comporte des commentairesde base, et le commentaire
collectif de 7aNiemandsrose,édité par Jiirgen Lehmann, certainementle plus abouti dans son genre à ce
jour. D'une manière générale, les méthodes de la critique génétique, de la recherche historique et
lexicologiquesont aujourd'huitrès répanduesdansle champ des recherchessur Paul Celan.
Il faut ici signalerque l'école de JeanBollack entenddépasserlbpposition entre lecture inteme et exteme,
en mettanttoutefois I'accentsur l'aspectsavantet hermétique,voire fermé de la poésiede Celan. Voir Jean
Bollack, Poésiecontre poésie (recueil de textespubliésentre 1985et 2000), Paris,PUF, 2000.
Paul Celan entre philologie et philosophie...

PauI Celan lu par les philosophes français

Loin de représenterune spécialitéfrançaise,la lecture philosophiquede l'æuvre


de Paul Celan tient un rôle particulier dans son pays d'adoptionl.En effet, il est aisé
de repérerun véritablemomenl philosophique2dans I'histoirede la réceptionfran-
çaise du poète, commençantau milieu des années 1980 et s'étendantau moins
jusqu'audébut des années1990, date à laquelle le champ de la réceptionen France
se voit soumisà un profond remaniement.On pourrait définir ce momentphilosophi-
que comme la période pendant laquelle la réception françaisede Paul Celan est
effectivementdominée par des approchesphilosophiques,ce qui n'exclut ni une
cohabitationavecd'autresapproches(notammentpoétiquesou judaïsantes),ni I'exis-
tencede lecturesphilosophiquesavant cettedate3.
Parmi les textesimportantsde cette période,je m'intéresseraisurtout à I'essaide
JacquesDenida, Schibboleth- pour Paul Celan, publié en janvier 19864.Paru en
môme tempsque deux livres de Philippe Lacoue-Labarthes et de Maurice Blanchot6,
ce texte a un caractèreinauguralpour le courantfrançais7de la lecturephilosophique

t . Je ne traiteraipasici de la situationbiographiquede PaulCelanen Frarce.Pourune premièreapprochede


la questionje renvoieà la présentation et aux commentaires de BertrandBadiou dans: Paul CelanJGisèle
Celan-Lestrange, Correspondance, 1951- 1970,Paris,Le Seuil,2001"
Ce momentphilosophique s'inscritdansun mouvementen trois étapesqui caractérise la réceptionfiançaise
de Paul Celan: le premiermomenta été particulièrement marquépar les jeunespoètesrassemblés, entre
1967 et 1973,autourde la revueL'Êphémàre(notammentAndré du Bouchet,Yves Bonnefoy,Jacques
Dupin) ; il serarelayédès 1971 par I'apparitionde lecturesjudaïsantes (Henri Meschonnic,MartineBroda,
Marc Petit,Alain Suied)qui s'organiseront notammentautourde la traductionfrançaisede Ia Niemands-
rose,publiéeen 1979 au NouveauCommerce;c'estsur ce deuxièmemomentque se grefferaensuiteIa
lecture philosophique. Cf. ma rechercheen cours: Poésie,judaïsme,philosophie: la Franceet Paul
"
Celan, i952-1991. thèsede doctorat,Universitéde la Sorbonne-Nouvelle, sous la directionde Gérald
",
Stieg.
Il faut ici ajouterque la premièrelectureproprementphilosophique de PaulCelanpar un auteurfrançaisfut
publiéeenjuin 1972(E. Levinas, De l'êtreà I'autre>>, RevuedesBelles-Lettres,n"2-3,1972, p. 193-199).
"
Pami les lecturesphilosophiques de PaulCelan,publiéesen France,de 1986à 1991,on peut encoreciter:
JeanGreisch,< Zeitgehôftet Anwesen(La dia-chroniedu poème)>, dansContre-joar, éd. M. Broda, Paris,
Éd. du Cerf, 1986,p. 167-183; RogerLaporte,Lecturesde Paul Celan,s.1.,Éditions Ulysse,1987; Alain
Badiou, Manrfestepour la philosophie, Paris, Le Seuil, 1989 ; Michel Deguy, < Paul Celan, 1990 Les
",
TempsModernes,n'529-530,août-sept.l990, p. 2-14.
Aux EditionsGalilée,à Paris.Il s'agitde la versionaugmentée et remaniéeci'uneconférenceprononcéelors
du premiercolloqueinternationalconsacréà Paul Celan,organiséà l'universitéde Washington,Seattle,en
octobre1984.Des extraitsen furent publiéspour la premièrefois dans les Cahiersde l'Archipel,n"13,
1985(numérospécial Ethiqueet écriture p. 140-143"
" "),
Derrida avait connu Celan à Paris peu de temps avant sa mort. Or ce n'estqu'en 19'19,en marged'un
colloquesur PeterSzondi,qu'il se prononcepour la premièrefois au sujet de sa poésie,remarquesqui
contiennent en geme le livre qu'il lui consacrera plus tard. Cf. L'acte critique: un colloquesur I'æuvretle
Peter Szondi(Paris, 2I-23 juin 1979),éd. M. Bollack, Lille, PressesUniversitairesde Lille-Éd. de la
MaisondesSciences de l'Homme,1985.
La Poésiecommeexpérience,Paris,ChristianBourgois, 1986 (à I'instigationde Ph. Lacoue-Labarthe et
Jean-Christophe Bailly, l'édition des traductionsfrançaisesde Paul Celan,entre 1986 et 1991, se fera
principalement chezle mêmeéditeur).
Le dernierà parLer,[Montpellier],FataMorgana,1986(rééditiond'untextede 1912,reprisen volumepour
la premièrefois en 1984, puis retiré de la vente à cause des nombreusescoquillesdans les citations
allemandes despoèmesde PaulCelan).
7. Je ne tiendraipas compteici de I'histoirede la réceptionde la philosophiede Derridaen général.Si son
æuvre a connu sa plus grandefortune en dehorsde son propre pays, elle appartientnémmoins à un
Neben-Erden. Paul CelansGedichtWasgeschah?
Hinterwelten.Geg,enworte.

de Celan.Il est exemplairede la manièredont une certainepf,loropni) française(ce


que Manfred Frank a désignécorune le < néo-structuralismel >) a su intégrer Paul
Celandans le cadre plus large d'uneréflexion sur les rapports entre poésieet pensée,
inauguréepar le Romantismeallemand, puis réactivée par la philosophie de Martin
Heidegger,et sur les conséquenÇes de I'exterminationdes juifs d'Europe pour la
penséephilosophiqueoccidentale.Ces implicationsphilosophiquesdépassantlarge-
ment le cadre de cette présentation,je mettrai en I'occurrenceI'accentsur le traite-
ment desréférencesbiographiqueset historiquespar Denida.
Pour situer I'approchede JacquesDerrida par rapport aux deux orientationsde
lectureque I'on vient de voir, il faut d'abordparler de son parti pris explicite contre
la rechercheuniversitaire,notamrnentdans le domainede la poésie,ce qui confirme
son appartenanceau camp de la lecture interne. En effet, selon Derrida rien n'eût été
plus étrangerà Paul Celan que d'avoir adopté une < poétique du chiffrage destinée
[...] à faire travaillerdes générationsd'universitaires2 >'.Les référencesbiographiques
et historiques,que Derrida désigne, à la suite du Méridien3, sous le nom de la
< date >, bénéficientd'une <<lisibilité minimale et dite "interne" du poèmea>>,sans
qu'aucunsavoir particulier ne soit nécessaire.L'approchephilologique se voit ainsi
écartéeau profit d'une conception < déconstructrice> de la référentialité du poème.
Or, si Derrida récuse I'idée qu'il s'agit chez Celan d'une poésie hermétiquement
chiffrée dont on ne pourrait trouver la clé qu'au bout de longs efforts de recherche,
ce n'estpas en premier lieu pour procéderà une critique de la sciencephilologique5;
la viséede sa lecturephilosophiqueest plus fondamentale.À partir de conceptstels
que I'archi-écriture,la trace, la < différance >>,ou encore I'indécidable et I'itérabilité,
tous élaborésdèsl'Écriture et Ia différence',Denida met en causeI'univocitéde la
référencehistoriqueet biographique,et par conséquentla possibilitémêmed'un sens

paradigme bien français, à ce que lbn appelle outre-Atlantique la < french theorie" et outre-Rhin le
<<Poststrukturalismus >>.
1. Manfred Frank, Qu'est-cequ'est le néo-structuralisme?, trad. Ch. Bemer, Paris,Éditions du Cerf, 1989.
2. J. Derrida,op.cit, p.51. Dans un entretienau moment de la parution de son livre, il explicite cette
affirmation : [...] C'estce que j'essaiede soulignerà propos de Celan, qui passepour un poètedifficile et
"
cryptique dan-, par exemple,la manièredont il disposeles dates,les allusionsaux expériencesqu'il a faites,
etc., avectous les problèmesde déchiffrementque cela suppose...Ce que j'ai suggéré,c'estqu'il ne le faisait
pas par calcul, mettant au travail dés générationsd'universitairesqui cherchaientles clefs d'un texte. C'est
I'expériencede l'écritureet du langagequi a affaire à cettecrypte, à cette cryptelà >, repris dans: Points de
suspension, Paris,Gallilée,1992,p.215.
3. Paul Celan, < Der Meridian. Rede anlâsslich der Verleihung des Georg-Bûchner-Preises
',
GWIII, 187-202.Dans ce texte, Celan parle du poème qui garde la mémoire de ses dates (<Daten
eingedenkzu bleiben p. 196),dansle sensoù il renvoie à des événementssingulierset datés.Les æuvres
",
de Celan sont cités dans l'édition GesammeheWerke, 5 vol., éd. B. Allemann, Francfort/Main, 1983, le
sigleGW étantsuivi desnumérosdu volumeet de la page.
4. J. Derrida,Schibboleth, op. cit., p.61.
5. Ceci étant, Derrida s'est très tôt étonnédu <<contrasteentre la fragilité théorique des reconstructionset la
richessehistorique,archéologique, [...] philologiquede I'information> dansles scienceshumaines.ce qui
l'a amenéà une critique, souvent réitérée,des études littéraires (J. Derrida, De la grammatologie, Pans" I
Minuit, 1967,p. 44). )
6. Livre publié au Seuil en 1967,reprisen 1979dansla collectionFolio. Il faut signalerici que les enjeux 3
proprementphilosophiquesdes théoriesde Derrida ne pounont faire I'objet de mon analysequi se situe sur 4
le terrain d'unehistoire de la réception. !
Paul Celan entrephilologie et philosophie...

stabledu poème.car lorsquele philosophedit à propos de celan qu'< une date [= un


renvoi à la réalitéextérieurelrestetoujoursune sorted'hypothèse,le supportpour un
nombre par définition non limitée de projections de mémoirel >, il s'ensuit que
I'interprétationdu poème est interminable,inépuisable.On a alors affaire à la con-
ception d'une vérité en mouvement,d'un sensen suspens,d'un indéfini textuel, qui
est largementincompatibleavec I'idée d'une élucidation univoque et définitive du
poème.À I'instarde toute véritablelittératureselon Derrida, l'æuvrede celan appa-
raît ainsi commelieu exemplairedu secretz.
La place occupéepar la recherched'un référent historique ou biographiques'en
trouve fortementlimitée. Sansnier l'existenced'une référentialitéréelle des poèmes,
Derrida accordele primat aux propriétésgénéralesdu texte poétique,dans laquelle
se trouvent inscritesces références.Ainsi, revenantsur le mémorablecommentaire
du poème< Du liegst > par PeterSzondi3,il peut écrire :
Le témoignage [cest-à-dire le commentaire écrit par Szondi] est à la fois
indispensable, essentiel à la lecture du poème 1...] et finalement
supplémentaire, non essentielle, garante fsic { seulernent dun surcroît
d'intelligibilité dont le poème peut aussi se passer4.

La découverted'un vécu concret,du renvoi à un événementprécis, ne constitue


donc qu'uneseulepossibilitéde lectureparmi d'innombrablesautresinscritesdans le
texte,et qu'il est impossiblede totaliser.L'autoritéde I'approchephilologique,repo-
sant sur le fait positif et empirique,est ici ébranléepar une philosophiede l'écriture
conçuecomme ce qui détruit toute maîtrisedu sens.La liberté affirmée d'une inter-
prétationactiveet individuelle se met à la place de la recherchedes conditionsexac-
tes de productiondu texte. Il n'y pas de clé de compréhensionunique,ni un seul mot
de passeou schibboletfr,pour le déchiffrementdu poème :
Aucun témoig'nage)âucun savoir, pas même celui de Celan, ne saurait
par définition[...] épuiser le décryptage. D'a]ord parce qu'il ny a pas de
témoin absolu pour un déchiffrement externe. Celan peut toujours sour
entendre rn schibboleth de plus : sous url mot, un chi{fre, une letfre.
Puis il n'aurait pas prétendu lui-même totaliser
les sens possibles et
compossibles d'une constellation" Enfin et surtout,
le poème se destine à
rester seul, dès son premier souffle, seul à disparition des témoins et des
témoils de témoins. Et du poète5.

Derrida en question

Il apparaîtainsi que la lecture de JacquesDerrida accordeune importancetoute


relative à la collectedes informations,qui pour d'autresinterprètesa valeur d'impé-

1. I b i d . ,p . 4 8
2. Voir à ce sujetJ. Derrida,Passions,Paris,Galilée,1993.
3" Cf. supra,notel, p.223"
4. J. Derrida,Schibboleth.,op. cit., p.35.
5. Ibid.,p.60"
Neben-Erden.
HinterwelTen. Paul CelansGedichtWaspeschah?
Gepenworte"

ratif scientifique.Si sa défense,à la suite de Nietzscheet de Heidegger,d'une logi- d


que propre de l'écriturepoétique,polysémiqueet soustraiteà la penséerationnelle,
introduit une complexitéet une exigencenouvellesdans la lecturede Paul Celan, la p
mise à l'écart du travail génétiqueet historique ne va pas sansméconnaîtreI'impor- d
tancede certainesdatescrucialesdansl'æuvre. I

À titre d'exempleon peut citer I'unedes référenceshistoriquesles plus connuesde


l'æuvredu poète:.le2}janvier 1942.En effet, Paul Celan,dans son discoursde F
remerciementpour le prix Bûchner, intitulé Der Meridian, cite le début du Lenz de T
Georg Bùchner,où il est questiond'un certain 20 janvier (20. Jrinner),quand < Lenz jr
s'en alla à la montagne>. Celan énonce alors un élément de son art poétique,en f(
affirmantque de nosjours chaquepoèmese souvientde son 20 janvier, de sa propre d
datel. Il est aujourd'huiunanimementadmis que Celan entendici renvoyerson lec- n
Y

teur au 20 janvier 1942, datede la tristement célèbre Conférencede Wannsee,où fut c


décidée la mise en place de la < Solution finale de la questionjuive >, à savoir u
I'exterminationpar les nazisdesjuifs d'Europe. fr
La lecture de Derrida, bien que construite en grande partie autour d'une interro-
gation sur la significationpotentiellede cette date, dont Celan nous dit I'importance b
pour sa poésie,ne fait en aucun endroit référenceàlaWannseekonferenzz.L'infor- n
mation était pourtant connue depuis un certain temps et circulait dans les textes
critiques.Faut-il dire que la projection sanslimites d'hypothèsessur le texte fait ici p
disparaîtrele sensprécis ? De toute façon, les lacunesde ce genren'ont pas manqué c
de provoquerdes critiquesparfois violentesà l'égard du texte de Derrida, ce qui me t
permet de revenir un instant au champ de la réception françaisede l'æuvre de Celan. T
D'une manière générale,on peut observer un accueil mitigé de la lecture de Derri- k
da en France: signé par I'un des grandsnoms de la philosophie françaiseactuelle, r(
jouissantd'un renom international,Schibboleth- pour Paul Celan a d'abord large- n
ment contribué à agrandir le cercle des lecteurs (français, mais aussi américains,
voire allemands) de I'ceuvrede Paul Celan, vers un public philosophiquement inté-
ressé,ignorant parfois tout du poète juif germanophone; d'autre part, la pratique de
la lecturemise en ceuvredansces textesa suscitéde nombreuxéchoscritiquesdans
un champ de réceptiondéjà constituéet potentiellementconflictuel3.La lecture de
Derrida a fait école dans des cerclesattachésà ce qu'Alain Badiou appellela < su- ]R
ture >>entre philosophieet poésie,déf,rnissant un certain < âge des poètes>, de Hôl- h
p

l GW TII, 196. 1.
2. Il ne s'agit pas d'une omission volontaire ou accidentelle. Dans le cadre de son séminaire de l'année )
200112002,JacquesDerida a récemmentindiqué qu'il n'avait effectivementpas eu connaissancede cette
référencejusqu'à la publication, en 2001, d'une nouvelle traduction, commentée,du texte (l,e Méridien et
d'autres lextes, trad. Jean Launay, Paris, Le Seuil, 2001), établie sur la base des travaux de Bemhard
Bôschenstein.
3. Le coup d'envoi des nombreux conflits qui ponctuent l'histoire de la réception françaisede Celan jusqu'à
nos jours a été donné en 1972 par un texie d'Henri Mechonnic, On appelle cela traduire Celan >, ler
"
Cahiersdu Chemin, no14,15 janvier 1972,p. 114-149,dans lequel il attaqueviolemmentles lraducteursdu
premier volume de traductionsfrançaisesde poèmesde Paul Celan (Strette,poèmes,suivis du Méridien er
de /Entretien dansla montagne,trad. André du Bouchet, Jean-PierreBurgart et Jean Daive, Paris,Mercure
de France.1971).
Pattl CeLan entre philologie et pltil.osophie...

derlin à Celan, pendant lequel le poème a pris sur lui certaines des fonctions
anciennementattribuéesau texte philosophique,devenantainsi un modèle pour la
penséel; mais elle a provoquéde nombreusescritiquesparmi ceux qui cherchent
dansla poésiede Celanun sensprécis,une prisede positionfaceà I'Histoire,I'enga-
gementpersonnelde celui qui écrit. Cettecritique s'esténoncéesoustrois formes :
D'abord, sur arrière-fonddes débatsautour de I'engagement politique de Martin
Heideggerdans la relationà sa pensée,d'aucunsse sont heurtésà I'utilisationpar
Derrida de conceptsphilosophiques empruntésà I'ontologieheideggérienne, allant
jusqu'àparlerd'uneassimilationdu poètejuif au << penseurnaziz>>.On a également
reprochéà Derrida de ne pas faire assezattentionaux enjeuxspécifiquesde la poésie
de Celanet d'en abuserpour une mise en scènede sa propre< déconstruction >, de
profiter du < grand poète> pour accroître sa propre gloire3. Enfin" les critiques
craignentsurtoutque le refus par Derrida d'un sensunivoqueet stablene cautionne
un jeu formalisteet irresponsableavec les référenceshistoriques,ce qui reviendrait
finalernentà une violationde la mémoiredesvictimesa.
Ainsi il apparaîtque Denida, aprèss'êtrelui-mêmeplacéà l'écart de la recherche
biographiqueet historique,a souventété perçuepar les autreslecteursde Celan com-
me l'< anti-philologue > par excellence,interprèteirrespcctueux des référencescon-
crètesdes textes.Il seraitpourtant faux de considérerque I'approchede Derrida ne
prêteaucuneattentionà I'expérience historiquequi s'estcondensée dansla poésiede
Celan.Ne parle-t-ilpas,dansSchibboleth,de Hitlcr, de iUussolini,de Franco,de la
DeuxièmeGuerremondiale,de I'extermination des.1uifset de ia d'Algérie5?
-euerre
Il convientalorsde nuancercetteimagequelquepeu schématique d'unelecturephi-
losophiquesanségard pour I'Histoireet la biographie.en citant i'exempled'une
référencehistoriquechezPaul Celan,que JacquesDenida a été probablementle pre-
mier à avoir relevée.Il s'aeitde sa lecturedu poème < in Eins " de la Niemandsrose"

Le rôle de la date dans Ie poème In Eins

Comme I'indique déjà son titre, le poème < In Eins > du quatrièmecycle de la
Rose de personnel condense,réuni < tout en un >>,une multitude d'événements
hétérogènes,séparésdans I'espaceet le temps.De la Bible à la guerre d'Algérie, en
passantpar la Révolution française,la Révolution d'octobreen Russie et la guerre

l. Alain Badiou.Manifestepour la philosophie,PNts,Le Seuil, 1989.


2. Les propos de Georges-Arthur Goldschmidt,<Celan et ses commentateurs>, La QuinTainelittéraire.
n"479, 1"r15 février 1987,p. l3-14, et d'Alain Suied,Kaddishpour Paul Celan: essais,notes,tradltcîiotts,
Paris,Obsidiane,1989,vont le plus loin dars ce sens; la contributionde JohnE. Jackson," Celanvictime
d'un attentatcritique Le Journal de Genève,5 juillet 1986,p.lI (Samedilittéraire), est plus nuancée,
",
maisportemoinssur Derrida.
3" Critique énoncéenotammentpar Thieny Guinhuit,< Sur Paul Celan", Art press,n'1 15,juin 1987,p.90,
et PetreSolomon,Paul Celan,L'Adolescence d'un adieu,Essai trad. du roumainpar Daniel Pujol, Paris,
ÉditionsClimats.1990.
4. Le plus clairementfomulé par JeanBollack, < Pour une lecturede PaulCelan>" Lignes,nol, novembre
1981, p. 141-16l ; voir également : J. Bollack,Poésiecontrepoésie,p. 191-192.
5 . J . D e r i d , t .u p . t' it..p .4 5 e rp a ssim
Neben-Erden. Patil CelansGedichtWasseschah?
Hinterwelten.GeRenworte.

civile en Espagne,toute la compositiondu poèmereposesur une mise en relation des


différentescouchesde l'histoire,en vue d'une actualisationde leur significationpour
le tempsprésent.
L'auteur de Schibboletha été particulièrementattentif à ce poème qui a dû lui
paraître comme un allié essentiel de sa stratégie de lecture. Le fait que ce texte
rassembleen lui une multiplicité d'événementssemble soutenir son idée d'une
référentialitééclatée,de ce qu'il désignecomme < métonymiede la datel >>.En plus,
le conceptpharede son essai,schibboleth,mot de passe,figure dansle corps même
du poème,ce qui confèreà < Tout en un >>le statutd'un poèmeessentielaux yeux du
philosophe.
Dans la troisième partie de son essai, essentiellementconsacréeà < In Eins >,
Derrida fait d'abord remarquerque la première strophe du poème mentionne la date
du 13 février, écrite dans une forme archaïsante (ou autrichienne) de la langue
allemande: < Dreizehnter Feber >. Il enchaînealors une brève analysedu poème qui
a comme objectif de démontrer que cette datation d'un événementsingulier permet
au moins trois lecturesdifférentes :
Premièrement,de par sa datation, le texte pourrait renvoyer à février 1936, le
mois où I'Espagne,à la veille de la guerrecivile, vit la victoire électoraledu Frente
Popular, une hypothèsesoutenuepar la citation du mot d'ordre <No pasarân>, qui
était utilisé à cette époquepar les Républicains espagnols.Deuxièmement,il se peut
que ce même poème réfère au 12 ûévrier 1934, date qui pour la France signifie I'ori-
gine du Front populaire ; aprèsl'échec de la tentative du <<Front Commun de Ia Droi-
te >, et après l'émeutedu 6 février, se déploie à Paris un immense défiIé regroupant
les masseset les dirigeants des partis de gauche. L'apparition de I'expression< Peu-
ple de Paris >>en français dans le texte semble confirmer cette interprétation. Mais
c'est surtout la troisième date évoquéepar Derrida qui s'avèreintéressantepour notre
analyse.
Mettant le poème en rapport avec <<Schibboleth2>>du recueil Von Schwelle zu
Schwelle(1955), Derrida insiste sur un changementde datation survenuedans <<In
Eins >>.Tandis que < Schibboleth>>établit une relation entre les villes de Vienne et
Madrid, autour du mois de fé.;rier,le poème de la Niemandsrose,tout en reprenant
certains éléments du poème antérieur, transforme la date en mettant : Dreizehnter
Feber. Derrida évoque alors une hypothèseaussi surprenanteque pertinente :
Mais si, dans 1n .6r'ns, Celan précise le 13 de féwier (Dreizehnter Feber),
on peut penser au 13 février 7962. Ie liue cette hlpothèse à ceux qui
peuvent avoir connaissence et témoigrrer de la date dite "externe" du
poème. Ie l'ignore, mais si mon hypothèse était factuellement fausse,
elle désignerait
encore le pouvoir de ces dates à venir vers lesquelles, dit
Celan, nous nous transcrivons. [...] Ainsi, le 13 février 1962, Celan est à
PaÀs. Die Niemandsrose n'est pullié qu'en 1963. D'autre part, d'un
poème à I'autre, de Schibboleth. publié huit ans auparâyant, à In Eiræ,

r. Ibid .,p.4 l.
2. GWI, l3 t.
Paul Celan entre philologie et philosophie...

Celan précise 13 fér.rier là oir le prernier


poème disait seulement féorier.
Il a donc bien dtr se passer quelque chose. Le 13 féwier 1962, c'est à
Paris le jour où I'on enterre les victimes du massacre du métro
Charonne. Manifestation anti-OAS à la fin de la guerre d'Algérie.
Plusieurs centaines de milliers de Parisiens, le Peuple de Paris défilent
alors. Der-x jours après commencent les rencontres en 'ç/ue des accords
dÉvian. Ce Peuple de Paris reste celui de la Commune avec lequel il
faut sallier: avec toi, Peuple de Paris. Dans le même événement, à la
même date, guerre nationale et grrerre civile, la fin de I'une et le
commencement - commele commencement de l'autrel,

On peut sansdoute lire dansce passageune sortede réaffirmationpar Derrida de


son refus de recourir aux informations<<externes>. La validité scientifiquede son
hypothèselui importe peu, et le philosophesemble laisserà d'autresle soin d'aller
vérifier la référencez"Il n'en reste pas moins qu'il y apparaît une autre image de
Derrida lecteurde Celan,qui de ce fait nous livre un témoignageprécieuxsur le con-
textehistoriquede l'élaborationdu poème,tant il est vrai que cettepiste de lecturese
vérifie sur la basedesmanuscritsdu poèmede Celan.
Grâce aux travauxde la Historisch-kritischeAusgabede Bonn et de la Tiibinger
Celan-Ausgabe,nousdisposonsaujourd'huid'une édition scientifiquedes manuscrits
de Ia Niemandsrose3 . Ainsi, il est possibled'observerie travail dans I'atelierdu poè-
te, de la premièreversiond'un poèmejeté sur le papierjusqu'auxépreuvesde I'impri-
meur corrigéespar I'auteur.Pour le poème < In Eins > ont été conservésept feuillets
qui semblent au départ appartenir à deux projets d'écriture différents, avant d'être
réunis sous un même titre. Je m'intéresseraiparticulièrementà un manuscritadu 20
février 1962, qui contient la premièreébauchedu début du poème. En dehors des
élémentsqui figurentdansla versiondéfinitive du poème,Celany note - entre < Mit
dir, / Peuple de Paris >>et < No pasarân>>- cette indication de lieu : <<vom Boulevard
du Temple bis / zur Rue du CheminVert. >
Cette esquissede poèmeconfirme effectivementI'hypothèsede Derrida d'un lien
entre la genèsede < In Eins > et la manifestationanti-OAS du 13 février 1962.Il faut
alors s'étonnerde voir que cetteremarquepertinentede la part du philosophen'a pas
été reprise par les travaux de recherchepubliés ultérieurement.Pe.t-on parler d'un
boycott de la part des commentateurs universitaires,dû au parti pris anti-scientifique
et anti-philologiquede Derrida ? La questionest délicate.11resteque si l'édition de
Tûbingen cornmentebrièvementla date du 13 février 1962, elle ne le fait pas en se
Éférant à celui qui I'a probablementdécouverte,mais sur la based'un autographedu

1. J. Derrida,op. cit, p.48-49.


2. Cette attitude ne lui permetd'ailleurspasde voir une quatrièmepossibilité de lecture,qui pourtant s'impose
étant donné le rapprochementqu'il opère avec le poème < Schibboleth,, : Dreizehnter Feber peut en effet
être lu comme l'évocation,en dialecteautrichien,et a fortiori viennois, du soulèvement,commencéle 13
fiévner 1934,des ouvriersde Vienne contrele régime austro-fachistedu chancelierDollfuss.
3. Paul Celan,Die Niemandsrose,Historisch-kritischeAusgabe,U6.2, éd. A. Gellhauset alii, Francfort/Maln,
Suhrkamp,2001; Paul Celan,Die Niemanclsrose, Vorstufen- Textgenese- Endfassung(<Tùbinger
Ausgabe>), éd. H. Schmuller alli, Francfort/Main, Suhrkamp,1996.
4. ce manuscritest reproduitp. 233 dansl'éditionde Bonn et p. 106dansl'éditionde Ttbingen.
Neben-Erden. Paul CelansGedichtWaspeschah?
Hinterwelten.Gep.enworte.

poètequi, bien que daté1< 13. Feber 62rr,est assezéloignédes manuscritsattribués S

à la genèsede < In Eins >. Le lien causalentre les deux papiersparaîten effet faible. d
Pourtantle documentécrit de la main de Celan, même s'il contient peu d'informa- t(
tions, sert ici de cautionscientifique,alors que l'< intuition > du philosophe-essayiste n
souffre peut-êtred'une mauvaiseréputation.Il est vrai que Derrida s'estplacé trop
loin des préoccupationsde la philologie pour que la piste qu'il proposepuisse être
explicitementcitée par le commentaire.Mais il y a un deuxième exemple, plus d
surprenant,de la méconnaissance du texte de Derrida.
À consulter I'ouvrage au demeurantexemplaire qu'est le Kommentar zu Paul a
Celans < Niemandsrose>, édité par Jûrgen Lehmann2,on constate que la partie sur
< In Eins >, signéepar Thomas Span, fait I'impassetotale sur ce qui s'estpasséle 13 ft
février 1962 à Paris, bien que ce commentaireait été publié après la parution de I'
l'édition de Tûbingen du recueil, et que le livre de Derrida figure dans la bibliogra- b
phie donnée par le commentateur.Ceci est d'autant plus regrettable que le livre fait c
autoritéet qu'il risque d'être considérécomme la seuleclé pour une compréhension \
de la Niemandsrose.S'il est vrai qu'aucuncommentairene peut prétendre à I'exhaus- q
tivité, la lacuneesten I'occurrencede taille. n
La référencedans les brouillons du poète à un lieu parisien précis, n'a pas non d
plus fait I'objetd'uneexplicationsatisfaisante. On peut comprendreque Th. Sparr ne d
s'interrogepas sur les variantesdu poème et donc sur la signification possible de E
< vom Boulevard du Temple bis / zur Rue du Chemin Vert >>.Son commentaire ne C
concerneque la versiondéfinitive du poème.Mais que dire de la TùbingerAusgabe
qui, quant à elle, se contente d'indiquer qu'il s'agirait là du < lieu traditionnel, à le
proximité de la Place de la Bastille, où se déroulent les grandes manifestations à II

Paris3>>,ce qui est faux pour la rue du Chemin Vert qui ne se trouve pas sur l'iti- p
néraire des manifestationsqui vont de la Place de la Bastille à la Place de la Répu- p
blique. p
Il faut ici ajouterquelaTilbinger Ausgabe,qui présenteles étapesgénétiquesdes a
différents recueils, n'est pas conçue comme un coffnentaire de l'æuvre de Paul Ce- r(
lan. On ne sauraitdonc critiquer I'absencede certainesinformationsdansles notesde B
cette édition. Or, même en reconnaissantla très grande qualité de ce travail, il est r(
évident qu'une information tronquée,voire fausserisque d'être préjudiciable à la 1
compréhension du poème. fe
jr
I'i
La guerre dAlgérie comme contexte de la genèse
b
bi
On peut affirmer que c'est précisémentI'apparition de la Rue du Chemin Vert dans
I'appareil génétiquedu poème qui permet d'identifier plus précisémentles références
dr
du poème,en confirmantI'intuition de Derrida d'une influencedes événementspar!
c(

1 . M s . c l a s s é< - i- l. 1 .2 0 > .
2, JùrgenLehmann,Kommentar7u Paul Celans Die Niemandsrose>, Heidelberg,C. Winter, 1997.
"
naheder Bastille in Paris>. p. 107.
3, < traditionellerOrt von Massendemonstrationen
PaulCelanentrephilologieetphilosoplùe...

siensdu l3 février 1962sur sa genèse.S'il ne faut pas surévaluerI'importance de la


datationinternedu poème,I'inscriptiondu < DreizehnterFeber> au début même du
texte lui confèreun statutparticulier: c'està partir de ce 13 février, quand les souve-
nirs se condensent< tout en un >>,que le poème se déploie. J'aimeraidonc rappeler
rapidementles faits historiquesqui sontcontemporainsde la rédactiondu poème.
Il faut d'abordpréciserque le déhlé du l3 février 1962 n'a pas empruntéla Rue
du Chemin Vert. Le journal Le Monde, daté du même jour, a publié I'itinérairedu
cortège prévu pour I'après-midi: boulevard du Temple, place de la République,
avenuede la République,boulevardde Ménilmontantjusqu'à I'entréeprincipale du
cimetièredu Père-Lachaise. Il paraît donc peu probable que les manifestantsdu 13
février aient pris un raccourcipar la petite Rue du Chemin Vert au lieu d'emprunter
I'Avenuede la République,en passantpar la Place de la République,qui, elle, est
bien connue comrne un des hauts-lieuxdes manifestationsparisiennes.Est-ce que
Celan veut alors n'évoquerqu'un tronçon du parcours,jusqu'à la Rue du Chemin
Vert ? Cela paraît peu probable.Est-ce que la Rue du Chemin Vert apparaîtparce
qu'elle est communémentassociéeau cimetière du Père-Lachaise? Pourtant, la
manifestation ailait plus loin, jusqu'à I'entrée principale du lieu. Qu'est-ce qui
distinguedonc plus précisémentla Rue du Chemin Vert ? Mon hypothèse,à la suite
de JacquesDerrida, est que Paul Celan, fidèle à un même principe poétique (< In
Eins >), fait se conjoindredeux événementsliés dans l'histoire : le massacredu métro
Charonneet la manifestationanti-OAS.
On sait que la manifestationdu 13 février est avant tout un cortègefunérairepour
les victimes des violents affrontementsentre la police et les participantsd'une autre
manifestation,celle du 8 février 1962.8n effet, suite aux nombreuxattentatscommis
par 1'OAS,les syndicatset les partis de gauche avaient appelé à une manifestation
pour la paix en Algérie, rassemblementinterdit par la police qui s'acharnasur un
petit groupede manifestants. faisant9 morts À consulterla pressede I'ipoque.on
apprend que, si l'événementest connu sous le nom de <<massacredu métro Cha-
ronne >>,les premiersaffrontementsont eu lieu précisémentà I'angle du Boulevard
Beaumarchaiset de 1a...Rue du Chemin Vert, la police y semblantavoir barré la
route au cortègel.De Bastille,les manifestantsavaientauparavantrejoint la Placede
la République,où, face à une très forte mobilisation de la police, ils ont décidé de
faire demi-tour. En passantpar le Boulevard du Temple, ils sont alors parvenus
jusqu'à la Rue du Chemin Vert, avant que la violence n'éclate.Une pharmaciesur
I'angle de la rue avait d'ailleurs été transformée en inflrmerie pour soigner les
blessés.<<Vom Boulevarddu Temple bis / zur Rue du Chemin Vert > pourrait donc
bien se référerà ces incidentsqui ont aboutit au dramedu métro Charonne.
S'il est impossibled'affirmer avec certitude que Celan eut connaissancede ces
détails, iI est plus que probableque la première strophedu poème < In Eins >>a éLé
composésous I'effet des événementsde la fin de la guene d'Algériez.En effet, non

l. gras,sousforme
Le Mondedu 10 février 1962,où cetteinformationestbien visible,impriméeen caractères
d'intertitre.
BemardDroz,ÉvelyneLever,Histoirede la guerred'Algérie,1951-1962,Paris,Le Seuil, 1982.
Paul CelansGedichtWasgeschah?
Hinterwelten.Gegentvorte.
Neben-Erden.

I
seulementl'évocationde la Rue du Chemin Vert ne permetpas d'y voir une simple
d
référence d'ordre général aux manifestationspopulaires à Paris, mais la logique
t'
internedu poèmes'accordeavec la conjoncturepolitique de l'époque.À cet égard,il À
faut rappelerque les années1961 et 1962 ont été une périodede vive agitationpour
une sociétéfrançaiselasséepar les < événements> d'Algérie.La populationest han-
tée par le spectrede la guerrecivile, par la crainte d'un putschmilitaire qui instau-
rerait un régime fascisantl.En plus, I'activité terroristede I'OAS, fomentéepar les a

partisansde I'Algérie française,qui veut empêcherI'aboutissement de la politique de e

paix lancéesousla Ve République,connaît une forte recrudescence dans le courant


t,
des mois de janvier et de février 1962, où I'on compteplus d'unecentained'attentats
dans la seule métropole2.Une terreur quotidienne régnait alors en France et en
Algérie.
I

Dans ce contextehistorique,la mise en relation, autour d'une même date, de la


guene civile en Espagne,du soulèvementantifascisteà Vienne, du combat du Front li
populaire contre les Ligues de I'extrême-droiteet du Peuple de Paris manifestant n
n
contre I'OAS apparaît dans toute sa nécessité.Car le poème de Celan fait ainsi se
d
conjoindredes événementsprésentant,malgré le tempset I'espacequi les sépare,de
forts traits communs, colrlme I'affrontement gauche-droite, I'engagement pour la
S
paix, le dangerdu fascisme3.Il est alors légitime de penserque la premièrestrophe
ri
doit se lire comme I'actualisationd'un fond d'expérienceshistoriquesà la lumière
d
d'un événementrécent.Si ces élémentsen soi ne peuventpas constituerune véritable
interprétationdu poème, ils apportent néanmoins des précisions nécessaires,en
éclairantle poèmed'unjour nouveau.
La découverte par JacquesDerrida de cette référence importante du poème < In t
n
Eins > contraste singulièrement avec le peu d'importance que sa lecture de Paul
Celan veut en généralaccorderà la collecte d'informationsbiographiqueset histo-
al
riques.Néanmoinson peut démontrerque son parcourspersonnelI'a en quelquesor-
n
te prédestiné à catte rencontre avec le texte de Celan, faisant ainsi apparaître, sur
<
fond existentiel,la dimensionphilologique et historiquedans le travail du philoso-
phe. C'est sur ce point queje termineraicetteprésentation. d,
D
pr
Face à l'histoire l'(
pr
Juif algérien,né à l'époquede I'Algérie française,Derrida a en effet vécu de près
le dramedu conflit dansson pays natal.Ayant quitté I'Algérie en 1949 pour Paris où
1.
il entreraà l'École normale supérieure,il y revient en pleine période de guerre,de
1

l. Iljsto
C f . s e r g e B e m ste in ,Pie n e M ilza , ir e d e la F r a nceauWesi ècl e,t.IY ,B ruxel l es,Ë di ti onsC ompl exe,
1992,p. 32 sq.
2. Cf- Benjam.inStora,La gangrèneet l'oubli : la mémoire de Ia guerre d'AIgérie, Pans, La Découvene 1998
4.
( 1 9 9 1 )p, . 10 0 sq .
3. Il est intéressantde noter que I'opinion publique de l'époquefaisait déjà en partie ces rapprochements.La
5.
comparaisondu 13 février 1962 avec le 6 février 1934, avec la Commune (évocation du < Peuple de
6.
Paris et la Libération était récurrente.
")
Paul Celanentrephilologieet philosophie...

195'7à 1959, faisant son service militaire cornme enseignantdans une école près
d'Algert. Appelantde sesvæux une forme indépendancequi permettraitune cohabi-
tation pacifique entre Algériens et < Pieds noirs >, il appartientà cette génération
d'intellectuelsfrançais qui a vécu très douloureusementla dimension fratricide de
cetteguerTe.
À cet égard, I'OAS, qui à la même époque se lance dans une série d'actions
aveugleset désespérées pour empêchertoute coexsistenceentre les communautés
européenneset musulmanesaprès I'indépendance,apparaît corlme radicalement
opposéaux espérancesdu jeune philosophe.Par-delàsa connaissancedes circons-
tanceshistoriques,qui lui a permis de reconnaîtreI'allusionau 13 février 1962,Der-
rida a dû être personnellementtouché par I'engagementdu poème de Celan pour la
caused'une cohabitationpacifique, sous le signe d'une fraternisationdu peuple. Si
l'on rajouteà cela qu'à l'époquede la rédactionde Schibboleth(1984),la mémoirede
la guerred'Algérie en Francerestaiten grandepartie une pageblanchepour I'histoire
nationale,comportantune part importantede refoulementet de dénégationdes évé-
nementsles plus atrocesz,le poèmede Celan apparaîtnon seulementcomme un allié
de sa < déconstruction>, mais aussicomme un moyen pour préserverune mémoire,
en I'occurrencela mémoire des victimes du métro Charonne.massacreclassésans
suitepar lajustice, quelquesannéesaprèsles faits. À traversla poésiede Celan,Der-
rida exprime ainsi son malaiseface à une histoire exposéeau risque de I'oubli ou
déjà oubliée.On est ici loin de l'image d'un Denida lecteurfrivole et irresponsable3.
D'une manière générale,on peut lire à travers l'æuvre de JacquesDerrida une
véritable obsessionde la disparition.Comme l'écrit FrançoisDosse, < Derrida revit
[...] au plan de l'écritureson expériencepersonnellede la perte,perte du temps,de la
mémoire,de ce qui resteaprèscetteexpériencede la mort4>>.Cette observationvaut
en particulierpour sa lecturede la poésiede Celan, qui est traverséepar I'idée d'un
anéantissement de la date,de la cendre,de I'holocaustecomme disparition de la mé-
moire, etc. Ne souligne-t-ilpas dès la premièrepage de son livre que le thème en
<<fera signe vers la dernièreguerre,toutesles guerres,Ia clandestinité,les lignes de
démarcation,la discrimination, les passeportset les mots de passes>. Et quand
Derrida se demandeau sujet de la date <<comment sa mémoire [celle de la
^ate]
peut-elledisposerencored'un avenir6> ?, il devientpossiblede lire son essaicomme
I'expressionsymbolique d'une mémoire menacée,dont il trouve la trace dans ia
poésiede Celan.

1 " Geoffrey Bennington,JacquesDerrida, Pans,Le Seuil, 1991.


) Benjamin Stora,loc. cit.
A I'occasiond'un colloqueintitulé < 17 et 18 octobre 196l: massacresd'Aigérienssur ordonnance?>>,
JacquesDerridaa naguèrelancécet appel: pensonsd'abordaux victimes,rendons-leur la voix qu'ellesont
"
perdue.,r, pour affirmerque . nousn'accepteronsplus de vivre dansun mondequi non seulementtolèreles
violencesillégalesmais viole la mémoireet organiseI'amnésiede sesforfaits.>>;versionintégralepubliée
dansLel7 octobre1961,uncrime d'Etatà Pcris, Paris,La Dispute/SNEDIT,200l,p.252-253.
FrançoisDosse,Histoire du structuralisme-II. Le chant du ctgne, 1966 à nos jours. Paris, La Découverte
1992, p.31.
op.cit.,p. ll
5. J. Derrida,Schibboleth,
6. Ibid.p.20"
Paul CelansGedichtWaspeschah?
Hinterwelten.Gepenworte.
Neben-Erden.

On peut alors affirmer que la lecture de JacquesDerrida comporteégalementune


sensibilitéaiguë par rapport à I'expériencehistoriquefaite par Celan, en particulier
corrrmevictime de I'Holocaustelet comme exilé, et rien ne s'éloigneraitplus de sa
penséeque le fait d'abandonnerI'actecommémoratifde cettepoésieà un libre jeu du
sensmenantà sa dissolution.Le fond de I'essaide Derrida comporte bien un parti
pris pour la sauvegardede la mémoire unique de cettepoésie.Bien que tout son tra-
vail philosophiqueautourde la notion de la < différance>>s'attacheà démontrerI'ins-
tabilité essentiellede cettemémoire,il contribueen fait à la préserver.L'approchede
Denida contiçnt donc un élément performatif très fort qui place malgré tout cette
poésiedansun contextedéterminéet reconnaissable. C'est ainsi que dans sa lecture
de l'æuvrede Celan,se dessineun partageaporétique,ou, cornmele disait Denida,
une ( guerreabsoluez>>entre son désir, en tant que juif et maghrébin,de garder la
mémoire,et la nécessité,qui s'imposeau philosophede la différence,de réfléchir sur
la possibilitémêmed'unetelle conservation.

Conclusions

L'æuvre de Paul Celan fait ainsi apparaîtreun problème crucial : comment, d'une
part, prendre au sérieux le fond biographique et historique des poèmes, sansretom-
ber dansquelquepositivismeréducteurqui finirait par détruirela mise-en-æuvrede
la mémoirecommepoésie; et comment,d'autrepart, rendrecomptedes modesspé-
cifiques de l'écriture sans finalement enfermer le texte dans une structure auto-réfé-
rentielle écartanttoute référenceconcrète ? L'opposition stricte entre les deux appro-
ches- lecture externeet lecture interne - s'esten effet avéréeintenable.
Philosopheou philologue, il semble bien qu'aucunlecteur de la poésie de Paul
Celan ne resteinsensibleaux enjeux existentielsde cetteæuvre : la situationdu poè-
te juif faceà la Shoah,la préservationde la mémoiredes opprimésde I'Histoire,leur
actualisationpour l'époque contemporaine.Les conflits de I'interprétation ne doivent
pas faire disparaîtreun consensusgénéral qui s'estformé autour de cette æuwe et de
sa valeur comme lieu de mémoire. Par-delà leurs pratiques divergentes, les diffé-
rentesapprochessont ainsi appeléesà devenircomplémentaires, car le poèmen'estni
tout entier dans le matériel biographique et historique, ni enfermé dans une textualité
aux règles abstraites.Sa lecture ne saurait se réduire à une question théorique ou
technique.
De la mêmemanière,la réceptionfrançaisede la poésiede Celan,ne peut se pen-
ser uniquementen termes d'écart, de trahison, voire de contre-sens.Si la lecture
< étrangère> adopteun point de vue différent, contredisantparfois des convictions
bien établies,la rencontreproductriceentredeux contemporainssur fond d'uneexpé-
rience historiquecommunea montré qu'elle peut apporterun éclairageessentielsur

1 . Cf. Mark M. Anderson, The "Impossibility of Poetry". Celan and Heideggerin France>>,New German
"
, 9 9 1 (, p . 3 - 1 8 ) ,p . 5 .
C r i t i q u e , 53 1
2. !. Dernda,Altérités, Paris,Osiris, 1986,p. 32.
PaulCelanentrephilologieetphilosophie...

le texte. Si Paul Celan est aujourd'huiconsidérécomrne I'un des grandspoètes du


siècle dernier,c'est aussigrâce aux différentesappropriationsdont son æuvre a fait
I'objet et qui dans leur divergenceconstituentautant de garantiespour la survie de
cettelittérature.

Bibliographiet
r <Tiibingen, Jânner tNR 2121', trad. (en bilingue) John E. Jackson, dans: Bernhard
Bôschenstein,< Hôlderlin et ia poésie allemande contemporaine>>,Les Lettresfrançaises,
ll-17.5.1967 (reprisedansLa Revuedes Belles-Letîes, n"2, 1968).
. < Ti.ibingen,janvier [Tûbingen,Jânner,NR 27] >, trad. (en bilingue) André du Bouchet,
L'Éphémère,n"7, oct. 1968.
< PsaumelPsalm, NR 26] >, trad. John E. Jackson,Joumal de Genève(Samedi littéraire),
16 -18.5. 1970.
Strette,poèmes, suivis da Méridien et de lEntretien dans la montagne, Paris, Mercure de
France,1971, contient,en traductionbilingue,8 poèmesde NR: <Tiibingen,janvier
[Tùbingen,Jânner,NR 27] >>(trad. André du Bouchet) ; < Par le vin et l'égarement[Bei
Wein und Verlorenheit,NR l5l > ; < Odeursd'automne,muettes[StummeHerbstgerùche,
NR24 l> ; < Chy m ique [ Chy m is c h,NR 2 8 ] >; <<E r r a t i q u[eE n a t i s c h ,N R 3 4 ] >; <C e
n'est pius [Es ist nicht mehr, NR 37lrr; n Anabase [Anabasis,NR 50] >>;<Les Globes
INR 66] > (trad.JeanDaive).
<Il y avait de la terre en eux [Es war Erde in ihnen, NR 13]
", "Psaume [Psalm,
NR26l>, trad. (bilingue) John E. Jackson,Revue des Belles-Lettres,n"2-3, fiuin] 1972
(n" spécialPaul Celan).
< Mandorle [Mandorla, NR 41] >>,trad. (bilingue) Yves Bonnefoy, Revue de Belles-
Lettres,n"2-3, [uin] 1972(n" spécialPaul Celan)"
Septpoèmes,trad. René Daillie, Solaire, n"10-11, été 1975; contient 5 poèmesde NR:
<Il y avait de la terre en eux [Es war Erde in ihnen, NR 13] >>;<Zurich, à la Cigogne
fZûnch, Zum Storchen,NR 16] , ; * À trois, a quatre [Selbdritt, selbviert, NR 17] > ;
< ToutescesétoileslSoviel Gestime,NR i8] > ; Radix, Matrix [NR 38].
< Fenêtrede hutte [Hùttenfenster,NR 69] >>,<<Tout est autre [Es ist alles anders,NR 75] >,
trad. (bilingue)John E. Jackson,Revuedes Belles-Lettres,no3-4,[automne] 19'76.
< Die Niemandrose(dix-neuf poèmes)>, trad. (en bilingue) par Martine Broda et Marc
Petit, Le Nouveau Commerce,no38, automne 1977; contient: <11 y avait de la terre en
eux [Es war Erde in ihnen, NR 13] " ; ,,Zuirch, À la Cigogne fZnnch, Zum Storchen,NR
161 passageau-delà[Dein Hinùbersein,NR 19] "; < À main droite et à main
"; "Ton
gauche[Zu beidenHànden,NR 20] >; <L'Ecluse [Die Schleuse,NR 23] >; <Psaume
[Psalm,NR 26] > ; < Un air de filous et de brigands[Eine Gauner-und Ganovenweise, NR

1, Bibliographie chronologique des traductions françaises des poèmes extraits de la Niemandsrose


(196'l-I991): Cettebibliographiea étéétabliesur la based'unerechercheen cours,portantsur la réception
françaisede PaulCelan.Si pour des raisonsde placeje m'abstiendrai de la commenterici, je crois qu'elle
fait apparaître,même publiée sous cette forme brute, une certaine évolution de l'intérêt français pour la
poésiede Paul Celan,à traversune attentioncroissantepour les poèmesdela Niemanclsrosz,recueil qui fut
vite considérécommel'æuvrela plus importantedu poète.Que cettebibliographiepuisseêtreune aideutile
pour le lecteurfrancophone qui chercheà appuyersa lecturesur l'uneou I'autredes traductionsque voici
relevées.
2. L'abréviation NR suivi du numéro de la page renvoie à l'édition de la Niemandsrosechez Fischer
Taschenbuch(n"2223).
Neben-Erden.Hintenvelten. Gegentorte. Paul Celans Gedicht Was geschah?

291,, i ,, Arbre-auxlueurs [Flimmerbaum,NR 33f ,, ; .r...Bruit la fontaine [...Rauschtder


Brunnen, NR 361> ; < Radix, Matrix [NR 38] ; Contre personnelové [An niemand
" "
geschmiegt, NR 421> ; < Double est ta demeure [Zweihâusig, Ewiger NR 43] > ;
(
< Sibérien[Sibirisch,NR 44] >; BenedictaINR 45] >; <Les pierres claires [Die hellen
Steine, NR 491 ; Après-midi avec cirque et citadelle [Nachmittag mit Zirkus und
" "
Zitadelle,NR 541); <Qu'est-il arrivé [Was geschah?,NR61]>>;<Couronné dehors
[Hinausgekrônt,NR 63] > ; < Et avec le livre de Tarussa[Und mit dem Buch aus Tarusse,
NR 781>.
La Rose de personne/Die Niemandsrose, éd. bilingue, trad. Martine Broda, Paris, Le
NouveauCommerce,1979 (traductionintégrale).
< Tout est autre [Es ist alles anders,NiR 75] >, trad. (en bilingue) John E. Jackson,Revue
des Belles-Lettes,n"l-4, 1981(n" spécialOssip Mandelstam).
<Il y avait de la terre en eux [Es war Erde in ihnen, NR 13] >>;<Zljnch, Auberge de la
cigogne [Zùrich, Zum Storchen, NR 16] >, trad. Alain Suied, Contre toute attente, rf4,
1 98 1.
< Havdalah [Hawdalah, NR 52] > (deux versions); < J'ai coupé du bambou [Ich habe
Bambus geschnitten, NR 571> (deux versions); <<Les Globes [NR 66] > ; < Un
boomerang [Ein Wurftrolz, NÂ 51]>>, trad. Jean-Paul Douthe et Bemard Salignon,
Prévue,n"21, octobre 1982.
<Tiibingen, janvier [Ti.ibingen,Jânner,NR 27] >>,trad. (en bilingue) Philippe Lacoue-
Labarthe,danstt., < Deux poèmesde Paul Celan>>,Aléa,n"5, fév. 1984.
<Il y avait de laterre en eux [Es war Erde in ihnen, NR 13] >, trad. Alain Suied, dans:
to., La poésieet le réel : Paul Celan (1920-1970),Paris,L'encredes nuits, 1985.
< Fenêtre de hutte [Hùtenfenster, NR 69] >, trad. M. Broda ; < Il y avait de la terre en eux
[Es war Erde in ihnen, NR 13]>, trad. A. Suied; <Psaume [Psalm, NR 26] >>,trad.
M. Broda et M" Petit, dans: Anthologie de Ia poésie juive, du monde entier, depuis les
tempsbibliquesjusqu'à nosjours, éd. Pierre Haiat, Paris,Éditions Mazarine, 1985.
< TLibingen, Jânner [NR 27) >>,trad. (en bilingue) Jean-PierreLefebvre, dans : Philippe
Lacoue-Labarthe,I^a poésie comme expérience, Ch. Bourgois, 1986.
< Tiibingen, Jiinner >>,trad. (en bilingue) André du Bouchet, dans:. Poèmes, trad. André
du Bouchet,Paris,Mercure de France,1986.
< Mandorle [Mandorla, NR 41], trad. Martine Broda, dans : Daniel Dobbels, Les Impasses
ou l'Entrée du mendiant, avec la reproduction de lavis de Louis Cordesse et André
Marfaing, Paris,Clivages,1987.
<Psaume [Psalm, NR 26)>>, trad. Martine Broda, danc: <<La longue vie de la
métaphore>, trad. Marie Moscovici, Écrit du temps,n"l4).5, été-automne1987.
Po ème s,tr ad. par J ohnE. J ac k s on, LeM uy , U n e s 1, 9 8 7 ; c o n t i e n t , e n v e r s i o n b i l i n g u e , 4
poèmesde NR : < Il y avait de la terre en eux [Es war Erde in ihnen, NR 13] >>; < Psaume
[Psalm, NR 26] > ; < Fenêtre de hutte [Hûttenfenster, NR 69] >>; <<Tout est autre [Es ist
alles anders,NR 751>.
<<Ziich, Aubergede la cigogne lZùnch, Zum Storchen,NR 161r ; .Il y avait de la terre
en eux [Es war Erde in ihnen, NÀ 13] >, trad. Alain Suied,dans : n., Kaddish pour Paul
Celan : essais,notes, traductions, Paris, Obsidiane, 1989.
<Psaume [Psalm, NR 26] >; <Tûbingen, Janvier [Ttibingen, Jânner, NR 27]>'; <La
Contrescarpe [NR 73], trad. (en bilingue) de Jean-Marie Winkler, La Sape : revue
t r i mestr i eIle d'expr ession p oétique, n"22, | 989"
Strette& d&trespoèmes,trad. Jean Daive, Paris, Mercure de France, 1990; contient, en
versionbilingue, 1l poèmesde NR : < Il y avait de la terre en eux [Es war Erde in ihnen,
NR 131)); (Le mot d'aller-à-la-profondeur[Das Wort vom Zur-Tiefe-Gehn,NR i4] >;
Paul Celan entrephilologie et philosophie...

< Par le vin et par la perte [Bei wein und verlorenheit, NR 15] ; odeurs d'automne
" "
muettes [Stumme Herbstgertiche, NR 24]>; <Glace, Eden [Eis, Eden, NR 25]>;
< Chymique [Chymisch,NR 28] > ; < Erratique [Erratisch,NR 34] > ; < Ce n'esrplus [Es
istn ich tm ehr , NR3' llo; r r Anabas e[ Anaba s i s , N R 5 0 ] >; <L e M e n h i r l N R 5 3 l >; <L e s
Globes [NR 66] >.
<La Contrescarpe[NR 73frr;.rPsaume [Psalm, NR 261>, trad. (en bilingue) Jean
Bollack et Halù, dans: Sar quatre poèmes de PC. (Jne lecture à plusieurs, éd. Jean
Bollack, Jean-Mariewinkler et wemer wôgerbauer, n" spécial dela Revuedes sciences
hu main esn"3.
. 1991"

,ir,

;$
ffi
;H
iw
JB

ffi

Vous aimerez peut-être aussi