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Cette livraison des Carnets du paysage a pour objectif, d’une
part, de rendre compte des divers types d’utilisation que les paysagistes font ou pourraient faire de la
cartographie, aussi bien dans leurs pratiques de projet que dans des approches plus “pédagogiques” qui
les mettent aux prises avec des élus, des commanditaires ou des étudiants. Mais elle cherche également,
d’autre part, à témoigner de la vitalité actuelle des recherches sur la cartographie dans des domaines
aussi divers que l’histoire de l’urbanisme et des territoires, les arts visuels ou la théorie de la connais-
sance, entre autres. Des recherches qui illustrent parfaitement l’extraordinaire inventivité plastique dont
la cartographie a été le prétexte et le support depuis quelques années. Et qui, surtout, montrent qu’il n’y
a pas aujourd’hui une mais des cartographies, des pratiques cartographiques très diverses.
Toute carte instaure un monde autant qu’elle le révèle. Elle peut conduire à la rêverie ou à l’exploration
alors même qu’elle revêt les apparences les plus austères de la science. Elle signale que le réel et
l’imaginaire sont des provinces parentes dans le pays de la vérité, et que les cartes d’artistes en disent
tout autant sur l’imagination géographique d’une culture que les productions les plus rigoureuses de
la cartographie scientifique ou que les propositions les plus audacieuses des paysagistes.
www.actes-sud.fr
ACTES SUD ET L’ÉCOLE NATIONALE SUPÉRIEURE DU PAYSAGE | www.ecole-paysage.fr
9 782742 795338 DÉPÔT LÉGAL : NOVEMBRE 2010 | ISBN : 978-2-7427-9533-8 | 26 € TTC FRANCE
Les carnets du paysage n° 20
ACTES SUD ET L ’ ÉCOLE NATIONALE SUPÉRIEURE DU PAYSAGE
Licence eden-75-d121d6529c7c4568-a19cf643cb144bbb accordée le 31
août 2022 à E16-00982132-Pazun-BArbarz
CARTOGRAPHIES
Vous qui construisez des jardins, ne faites pas des parcs, des espaces verts ; faites des marges.
Ne faites pas des terrains de loisirs et de jeux ; faites des lieux de jouissance, faites des clôtures
qui soient des commencements. Ne faites pas des objets imaginaires ; faites des fictions.
Ne faites pas des représentations ; faites des vides, des écarts ; faites du neutre…
Louis Marin
N° 20 automne/hiver 2010-2011
© Ecole nationale supérieure du paysage, 2010
ISBN 978-2-7427-9533-8
ISSN 0766-2130
Commission paritaire n° 66517
Adresse de la rédaction
Ecole nationale supérieure du paysage
Les Carnets du paysage
10, rue du Maréchal-Joffre
78000 Versailles Cedex
France
Les cartes sont utiles pour s’orienter à chaque hésitation sur notre destination et donc presque sur notre destinée ; d’autant qu’un chemin, parfois, semble le
miroir d’un autre. Les cartes sont également des objets que nous utilisons pour rêver, fasciner, décider, tuer, exploiter, sauver, prémunir, atteindre, décorer,
instruire, tromper, conquérir, faire la cour, exclure, accueillir, se perdre, exercer un pouvoir, projeter, aménager et jouer ; jouer aux cartes, avec le double sens de
la carte à jouer et de la carte géographique. C’est le même mot qui vient du matériau utilisé : un papier fort, presque un carton, qui a “une bonne main”, comme
disent encore les imprimeurs, c’est-à-dire un papier qui résiste à de nombreuses prises en main et qui reste charpenté.
Jean-Luc Brisson
Cartographies
Éditorial
Cette livraison des Carnets du paysage a pour objectif, d’une part, de rendre L’auteur est directeur de recherche
au CNRS (UMR géographie-cités).
compte des divers types d’utilisation que les paysagistes font ou pourraient faire
de la cartographie, aussi bien dans leurs pratiques professionnelles, projectuelles,
que dans des approches plus “pédagogiques”, qui les mettent aux prises avec des
élus, des commanditaires, ou des étudiants. Mais elle cherche également, d’autre
part, à témoigner de la vitalité actuelle des recherches, des réflexions, des propo-
sitions concernant la cartographie dans des domaines aussi divers que l’histoire
de l’urbanisme et des territoires, les arts visuels, ou la théorie de la connaissance,
entre autres.
Notre époque est celle de l’espace, avait naguère écrit Michel Foucault, dans
un contexte intellectuel et politique certainement distinct de celui que nous
connaissons aujourd’hui. La remarque du philosophe avait peut-être une valeur
prémonitoire. Les thématiques liées à la globalisation des activités écono-
miques, les revendications concernant les identités locales et nationales, la
page précédente
prise de conscience du caractère planétaire des transformations environne-
Rosanna Ricalde, Le Voyage de
mentales, les inquiétudes provoquées par l’urbanisation généralisée du monde, Marco Polo, 2009.
Livre éponyme découpé et disposé
le développement des inégalités territoriales, mais aussi, sur un registre diffé-
en ligne continue pour créer une
rent, l’essor des problématiques de la spatialisation dans la littérature, les image, 150 x 150 x 5 cm.
6 éd itoria l
édito rial
7
8 éd itoria l
édito rial
9
60 Echappées d’âme
muriel moreau
90 La carte radar
laurence cremel
134 Grand paysage : le projet est dans l’écart entre la carte et le terrain
Entretien avec Jacques Sgard
denis delbaere
anthologie
varia
212 Librairie
219 Résumés/Abstracts
Pour entrer dans la question qui va ici nous occuper, je partirai d’une émotion. Nicolas Verdier est historien
géographe, chargé de recherche au
Pratiquant il y a de cela vingt-cinq ans le vol à voile, j’avais effectué un stage sur
CNRS au sein de l’équipe
le terrain d’aviation de Vauville, dans le Cotentin. C’est là que pour la première d’épistémologie et d’histoire de la
géographie (UMR géographie-cités)
fois j’ai vraiment pris conscience de voir une forme géographique que je ne
connaissais que par la carte : la péninsule du Cotentin. Comme l’écrivait Ptolémée,
page précédente
la carte nous montre des choses que nous ne pouvons pas voir. C’est l’expérience Louis-Nicolas de Lespinasse, Traité
du lavis des plans…, 1801.
du vol, finalement récente dans le monde occidental, qui brise cette règle. Cette
planche VII (détail). Bibliothèque
figuration, c’est-à-dire le dessin d’un objet qui ne préexiste pas à son image, peut de Nantes.
alors devenir (et c’est encore plus vrai avec la cartographie à partir de photogra-
1. Je reprends ici les propos de
phies aériennes) une représentation, soit une reproduction d’une réalité
Jean-Marc Besse dans “Cartographie et
préexistante1. pensée visuelle. Réflexion sur la
schématisation graphique”, dans Isabelle
Nous nous appuierons ici sur une définition assez récente et généralement
Laboulais (dir.), Les Usages des cartes
acceptée de la carte et du plan. Celle-ci fait des plans, des types de carte définis par (XVIIe-XIXe siècle). Pour une approche
pragmatique des productions
leur projection plane. Dans la posture que je prendrai, cette définition est tenable
cartographiques, Presses universitaires
puisqu’il va s’agir tout au long de cet article de considérer toutes les cartes quelles de Strasbourg, Strasbourg, 2008, p. 19-32.
2. Nicolas Verdier, “Modeler le
que soient leurs projections. On peut cependant la renforcer pour le XVIII siècle
e
territoire : les ingénieurs des Ponts et
en s’appuyant sur des définitions moins explicites qui placent la carte du côté Chaussées et leurs usages de la carte
(fin XVIIe-début XIXe siècle)”, dans
d’une figuration statique et le plan dans le cadre d’une dynamique. Un même objet
Isabelle Laboulais (dir.), Les Usages des
peut être carte ou plan selon sa place dans un processus. Ainsi, une carte de France, cartes (XVIIe-XIXe siècle, pour une
approche pragmatique des productions
sur laquelle se trouveraient tracés des aménagements souhaités est un plan. Mais
cartographiques, op. cit., p. 51-66 et
en imaginant que ces aménagements aient lieu, elle n’en est plus que la carte2. VI-VII.
13
décrite comme suit : “26 s La 2. Maison, cour boutique et 2. calle de Jarden. 5”. Les
26 s sont probablement 26 sols qui correspondraient à une imposition. Mais,
au-delà, il semble que ce dessin renvoie également à la connaissance intime que
son auteur a des lieux. La maison cotée 7, qui se situe au centre du plan, est ainsi
décrite “1# 25 s. Maison nous apartiens”.
quelles évolutions ?
Ce cas, très particulier, d’un très beau plan terrier, permet de poser les éléments forts
de la fabrication de ces documents, et permet de se faire une idée de ce qu’il est
possible d’y lire. Ainsi, l’élément structurant principal est-il la relation à la fiscalité.
Ce qui s’opère au travers de la représentation planimétrique, c’est une répartition
de l’impôt. La difficulté réside cependant ici dans un discours sur l’évolution. D’une
part, la maigreur des dossiers mène à des datations très larges et parfois douteuses
des documents. D’autre part, les cas où l’on trouve une succession de plans terriers
datés pour un même lieu sont rares. Enfin, la fabrication d’une carte dépend de trois
éléments, le terrain, bien sûr, mais aussi la nature de la demande, ainsi que les spéci-
ficités relatives au cartographe. Le terrain peut sembler être l’élément le plus stable,
on pourrait cependant réfléchir, à l’exemple des travaux de Simon Schama, aux
modes tout autant qu’à l’évolution des perceptions du paysage10. Valoriser des
10. Simon Schama, Landscape and rochers, des arbres isolés, des bosquets, des landes désertées, c’est y attacher une
Memory, HarperCollins, New York,
description... En deçà de ces amples variations, la nature de la demande joue un rôle
1995. On lira également Nicole Gouiric,
“Remarques sur l’interprétation des majeur. Le fait de voir sa propriété au centre du plan, celui de faire apparaître le
cadastres ; deux exemples du jardin de
relief, voire le choix d’une production en couleur ou en noir et blanc font varier
Méréville”, Polia, revue de l’art des
jardins, n° 2, automne 2004, p. 41-61. considérablement le résultat. De même la question du coût est lourde de
L’un des lieux donc où se constitue une tentative de conciliation entre le visible
sur le terrain et le figuré sur la carte est celui de l’apprentissage de la cartographie
à l’usage des militaires. On devrait certainement partir ici des plans-reliefs dont
la production va se développer en France après la commande que Louvois fait à
Vauban du relief de Dunkerque en 1668. Ces morceaux de paysage lient plan
16. Pierre-Yves Saunier, “Haut lieu et
géométrique et relief tout en offrant une “vue sur une étendue de pays”. Mais les
lieu haut : la construction du sens des
lieux Lyon et Fourvière”, Revue exigences semblent être les mêmes qu’il s’agisse des plans-reliefs ou des cartes,
d’histoire moderne et contemporaine,
c’est pourquoi nous nous limiterons ici à la question des cartes17. De ce point de
vol. 40, n° 2, avril-juin 1992, p. 202-227.
17. René Siestrunck, “Plans-reliefs et vue, il est possible de partir du manuel de Buchotte, intitulé Les Règles du dessein
aquarelles”, dans collectif, Cartes et
et du lavis pour les Plans particuliers des ouvrages & des batimens... et qui
figures de la Terre, op. cit., p. 375-378 ;
Isabelle Warmoes, “La rationalisation de compare paysages en plans et en perspective18 :
la production cartographique à grande
“A l’égard de l’accompagnement du plan en entier, je veux dire du païsage qui
échelle au temps de Vauban”, Le Monde
des cartes, n° 195, mars 2008, p. 55-66. l’environne, il y a peu de personnes qui en fassent les terres labourées, les
18. Le texte reprend pour l’essentiel les
montagnes & les collines de bon goût, ces choses n’étant pas si aisées qu’elles le
exigences de Vauban, Instruction pour
les ingénieurs et dessineurs qui levent paroissent ; car il y a bien de la différence du païsage en Plan, à celui qui est en
les Plans des Places du Roy ou des
perspective19. Dans celui-ci, pour peu que l’on profile les objets que l’on voit
Cartes, Imprimerie royale, Paris, 1714.
19. Souligné par nous. d’après nature, ils font toujours leur effet. Il n’est est pas de même du païsage en
La relation entre cartes et paysages a donc donné lieu à une série de tentatives
de négociation entre des formes divergentes de description picturale. Les unes, en
élévation, qui rappellent aisément le paysage tel qu’il est défini dans la peinture
dite de paysage du XVIIIe siècle ; les autres, en plan, qui se limitent aux dimensions
horizontales, et fournissent des informations précises sur les surfaces. Si la préci-
sion finit par l’emporter35, au plus grand bénéfice de la carte par triangulation, il
33. Patrice Bret, “Le moment
n’en reste pas moins que, dans le cas de la carte au moins, les productions
révolutionnaire, du terrain à la
mitoyennes entre cartes et paysages sont restées longtemps importantes. Qui commission topographique de 1802”,
dans Isabelle Laboulais (dir.), Les
regardera attentivement une carte routière récente en trouvera quelques traces,
Usages des cartes (XVIIe-XVIIIe siècle).
comme ces petits figurés en formes de roseaux pour signifier les zones de marais. Pour une approche pragmatique des
productions cartographique, op. cit.,
L’hybridation ainsi opérée explique-t-elle pour autant le succès de la cartographie
p. 81-97.
géométrique pour dire le territoire ? Dans les faits les choses sont probablement 34. L. Puisant, Principes du figuré du
terrain et du lavis sur les plans et
plus complexes. En effet, si la carte par triangulation est rendue pertinente, c’est
cartes topographiques, susceptibles de
surtout parce qu’elle rend possible la mise en place d’un discours de la précision servir de base à l’enseignement du
dessin dans les écoles des services
sur le territoire ; précision limitée, il est vrai, à l’étendue.
publics, Janet et Cotelle, Paris, 1827.
35. Marie-Noëlle Bourguet, Christian
Licoppe et H. Otto Sibum (éd.),
Instruments, Travel and Science...,
op. cit.
31
de la maquette au bloc-diagramme
Une manière de comprendre ce qu’est un bloc est de le voir comme le dessin d’une
maquette, c’est-à-dire d’un objet cernable et maîtrisable représentant le réel à petite
échelle. Cette relation à la maquette est utilisée dans le cadre d’un exercice de
première année4 de l’ENSP où chacun, habile ou pas, découvre qu’il peut construire
un bloc de manière empirique.
Le point de départ en est une excursion de terrain ayant pour vertu d’aiguiser
la curiosité naturaliste des élèves. Nous les invitons à noter entre autres, le long
4. Occupant un couple de jours
d’un itinéraire, tout ce qu’ils perçoivent du relief : plats, qualités des pentes, déni- contigus, cette “Séquence relief” inclut
aussi de brefs exposés sur les sources et
velées, montées et descentes, ruptures de pente convexes et concaves.
ressources cartographiques ordinaires,
Plus tard, en salle, chaque étudiant dessine sur calque, à partir de cartes topo- sur l’histoire de la représentation du
relief et sur la mobilisation projectuelle
graphiques en courbes de niveaux, un croquis morphologique en hachures resti-
des motifs du relief et de la géologie.
tuant, par un petit nombre de figurés simples5, les traits du relief que livre la carte, 5. Ces figurés sont directement inspirés
de la Légende pour la carte
où s’incarnent plus ou moins les souvenirs de terrain. Ce croquis est ombré et
géomorphologique de la France au
coloré selon une légende hypsométrique laissée au choix de chaque auteur. 1 /50 000, CNRS/RCP 77, 1970.
un volume familier
Le bloc-diagramme fait converger les avantages de plusieurs modes de représen- Blocs-diagrammes à main levée
d’après maquettes ; massif de
tation. Son montage manuel bénéficie en outre de la relation au terrain que sait
Fontainebleau, première année
traduire le croquis. ENSP novembre 2009
(de haut en bas : M.-C. Choin,
La rencontre entre chacune des quatre tranches verticales et la surface dessine
D. Happel, C. Caubel).
des lignes de coupe. Quoique un peu déformées par la perspective, ces coupes
permettent d’apprécier8 les hauteurs et les longueurs. Elles font aussi ressortir avec
force les dissymétries de versants et les pentes de talus, les ruptures de pente, les
concavités et les convexités. Le choix empirique de l’exagération des hauteurs y
produit les mêmes effets que sur une coupe, amplifiés par la mise en abîme de la
perspective. 8. Voire de les mesurer avec exactitude,
comme dans ces montages par
Lui aussi gauchi par la perspective, le “plan” plissé de la surface du bloc nous
infographie qui permettent de disposer
renseigne sur le sol et son occupation avec plus de réalisme qu’une représentation d’un grand nombre de coupes sériées
parallèles à l’une des tranches du bloc.
en deux dimensions comme celle qu’offre une carte . Le tracé d’une route, sa logique
9
Quel que soit le procédé, c’est la base du
d’implantation sur le relief, ses relations aux autres motifs s’illustrent avec clarté. calcul des “cubatures” (volumes de
déblais).
9. Voir Alain Freytet, “Carte et paysage.
Quand le bloc-diagramme représente les motifs de paysage avec finesse, il L’invention d’un mode sensible de
représentation des pays, des sites et des
emprunte au croquis ses valeurs graphiques (voir page 30) donnant vie à une
lieux”, Paysage et aménagement, n° 32,
représentation que sa nature même tendrait à figer dans la froideur du août-septembre 1995, p. 27-37.
Le bloc-diagramme est très efficace quand il représente sur une même portion
d’espace une succession d’épisodes illustrant l’évolution géologique ou histo-
rique. Les images se succèdent en scènes différenciées racontant chacune un
page suivante temps particulier, ère ou étage, âge (de la pierre, du fer…) ou stade d’érosion, de
Le bloc-diagramme s’associe
sédimentation…
à la coupe et au croquis de détail
pour transmettre, à toute échelle,
les intentions d’un projet en vue
de sa mise en œuvre. Le bloc
un outil efficace pendant le chantier et pour
confère de l’ancrage et de la réalité partager le projet
à ce que la coupe technique saisit
plus abstraitement. Croquis de
chantier pour le belvédère de Le bloc-diagramme permet de prendre de la distance en schématisant le réel tout
la Pausa à Saint-Martin-Vésubie,
en trouvant une représentation compréhensible par tous : maître d’ouvrage, entre-
pour le conseil général des
Alpes-Maritimes. prise, partenaires du projet. Hybride entre coupe technique et plan d’exécution,
il fait alors astucieusement le lien entre une représentation technique et l’effet
recherché en termes d’ambiance et de paysage.
Le bloc-diagramme numérique,
à la bêche dans les courbes
de niveau…
Modèle numérique de terrain (MNT), maquette numérique, modèle 3D : autant Laurent Defrance est paysagiste
et infographiste, il enseigne
de termes pour désigner un fichier informatique vectoriel en trois dimensions.
l’informatique à l’ENSP. Il est
Il existe pléthore de logiciels pour le concevoir ; plus que de temps pour les l’auteur des illustrations
présentées aux pages suivantes.
maîtriser ! Il en est de gratuits1, ou bon marché, parfois plus efficaces – pour
notre sujet, assurément – que certains grands frères dix fois plus onéreux.
Suivant les fichiers de géomètre disponibles (ou non), la puissance des ordi-
nateurs, les licences acquises, les connaissances informatiques, l’attention
portée à la chaîne graphique2, la résolution souhaitée et l’étendue du site3, ou
le besoin final, les paysagistes utilisent par exemple (par ordre alphabétique,
1. Il est de bon ton de parler d’une
liste non exhaustive) : Autocad, Cinema 4D, Covadis, Dataflor, Max, Maya, gratuité qui n’existe pas ; le sujet
est trop vaste, ou hors propos.
Microstation, Mensura, Rhino, Sketchup, Terragen, Vue d’Esprit, etc. Tous ont
2. Tout dessin vectoriel est
leurs avantages et leurs manières de procéder, trop longs à expliquer ici. exportable dans tous les logiciels
de dessin du même nom. On a vu,
pour l’Atlas de Poitou-Charentes,
Cette très brève contribution explorera plutôt les différences et les apports intégrer sous ArcInfo, de manière
géoréférencée, les entités
respectifs des bloc-diagrammes “crayon” et “souris”, à supposer qu’on maîtrise
paysagères travaillées avec la
aussi bien la perspective sensible que le dessin vectoriel en trois dimensions. plume de Photoshop. Mais il y faut
de la rigueur et il peut être
L’écran, affublé du meilleur progiciel, piloté par le meilleur infographiste, est
raisonnable de tout gérer dans une
beaucoup moins efficace que le carnet à dessin (du moins entre les mains d’un même application, d’où l’idée de ne
pas rompre la chaîne graphique.
Alain Freytet) pour présenter en quelques minutes, les pieds dans la boue,
3. Plus précisément le nombre de
devant un parterre d’élus et de propriétaires, le fonctionnement d’un site et polygones au mètre carré.
Ou la continuité terre-mer
La rencontre de ces deux disciplines paysage / géomorphologie, dessus / dessous page précédente
Chemin du sonar dans la baie de
nous semble encore plus intéressante au bord de la mer, sur l’estran, entre la ligne
Quiberon (détail).
des plus hautes eaux et celle des plus basses eaux, un espace en mouvement conti-
nuel, difficile à mesurer ou à cartographier.
Ainsi s’ouvrent à nous, autour de cet outil commun qu’est la cartographie, de
nouveaux territoires de collaboration.
L.R.
47
Pour remonter dans le temps et étudier ces dessous de cartes, il faut aller en
dessous de la ligne des plus basses mers. L’une des méthodes de prospection
employée est un bateau équipé d’un sonar latéral qui peut réaliser une échographie
des fonds marins. Le sonar est tracté dans l’eau, au-dessus du fond, à une altitude
variable (entre 8 et 12 mètres) et produit une image acoustique de 100 mètres de
large de chaque côté. Les différences de gris correspondent aux différentes carac-
téristiques des sédiments (les teintes gris foncé caractérisent les sédiments gros-
3. BP : Before Present. siers, les teintes claires les sédiments fins, vaseux).
Echappées d’âme
A la recherche de constructions minutieuses, je suis entrée dans l’univers de Diplômée de l’Ecole des arts
décoratifs de Strasbourg,
l’eau-forte.
Muriel Moreau est artiste graveur.
Graver est pour moi imaginer, réinventer la matière.
Lorsque je grave, j’aime cette forte intimité entre la plaque et moi. Je me sens page précédente
Alma de jour, fleuves, rivières,
travailler sur des choses précieuses, sensibles et importantes, un peu comme un
ruisseaux (détail).
inventeur.
La gravure me cadre dans la construction de mes images. Je travaille au rythme
ci- dessous
de cette discipline longue et méthodique. Ce temps nécessaire à la réalisation de Atelier, Casa de Velázquez.
61
Les échappées d’âme, tissus de microstrates, se font puis se défont sous notre
regard ; quelque chose de vital s’approche, puis disparaît, puis revient encore
comme une respiration.
62 éch ap p é es d’âme
Où suis-je ?
Comment cartographier
un monde mobile ?
En abandonnant les câbles, les systèmes numériques en réseau ont pu quitter les Andrea Urlberger est maître
assistant à l’Ecole nationale
espaces confinés des appartements et des ordinateurs fixes pour se faire légers et
supérieure d’architecture de
accompagner chacun lors de ses déplacements1. Tout en restant mobiles, il est Toulouse, laboratoires LRA, EdNM.
75
3. Les téléphones portables et iPod dan belasco rogers, The Daily Practice of Map Making.
Touch ne se localisent pas forcément
Certains travaux GPS de l’artiste anglais Dan Belasco Rogers4 lient étroitement sa
avec le Global Positioning Système,
mais ils utilisent parfois le système vie personnelle et la production d’une cartographie. The Daily Practice of Map
GSM.
Making consiste à enregistrer, depuis 2003, ses trajets quotidiens, dans son lieu
4. http://www.planbperformance.net/
dan/ de vie, Berlin, ou lors de ses voyages. Toutes les coordonnées GPS assemblées
5. The Daily Practice of Map Making
forment des lignes qui produisent une carte plus ou moins dense. La quantité de
rappelle la performance réalisée dans le
cadre de l’exposition Traffic, au CAPC lignes et donc la densité de la carte sont liées au nombre de parcours. Pour certaines
Bordeaux en 1996 de l’artiste américain
cartes, il s’agit d’enregistrements de quelques jours, pour d’autres de quelques
Jason Rhoades. Assez atypique pour
Rhoades en raison de son caractère semaines, ce sont même parfois des enregistrements sur une ou plusieurs années.
minimal, The Caprice Auto Project
Tous ces enregistrements convergent pour former une seule carte d’un lieu. Ces
consistait à utiliser une voiture, une
Caprice, lors de tous ses déplacements cartes se construisent uniquement à partir des déplacements quotidiens de l’ar-
sans faire de différence entre ses trajets
tiste, à partir d’un usage de la ville dont les motivations ne s’affichent d’ailleurs
quotidiens, personnels ou artistiques.
Ce sont tous ses parcours dans Los pas dans la carte. Il n’y a donc pas de lien direct entre le but que l’on cherche à
Angeles qui forment l’œuvre, d’ailleurs
atteindre et son enregistrement ; c’est l’existence de l’artiste qui produit une repré-
sans aucune forme d’enregistrement de
la performance en soi. sentation cartographique du monde5.
Toutes ces cartes géolocalisées s’inscrivent à la fois dans une vaste expérimenta-
tion artistique de la cartographie17 et dans une recherche autour des nouveaux
dispositifs technologiques géolocalisés qui se répandent massivement dans tous
les usages, connectant deux domaines qu’on pensait séparés, le monde physique
et le monde virtuel.
Liant étroitement cartographie et déplacements, le GPS permet une nouvelle
représentation à travers l’usage d’un territoire. Cartographier le mouvement est
d’autant plus nécessaire que celui-ci ne s’inscrit pas dans un espace physique figé.
Déplacements et territoires s’hybrident pour former un seul espace. Comme l’ex-
plique Alain Bourdin, toute la ville est un espace de flux où l’on ne peut plus faire
abstraction des questions de mouvement18. Un des textes les plus influents sur la
domination des flux, La Société en réseaux de Manuel Castells19, se réfère à ces
emboîtements. Si les technologies de la géolocalisation lient mobilités physiques
et mobilités virtuelles et font émerger des nouvelles pratiques et des nouvelles
représentations, les cartographies GPS en art ne reflètent pas n’importe quelle
mobilité. Il s’agit essentiellement de la mobilité humaine. Une cartographie appa-
16. Masaki Fujihata / The Making of
raît là où un ou plusieurs corps ont éprouvé le monde ; la carte est le résultat de Masaki Fujihata’s Landing Home
in Geneva, DVD, 2005.
cette rencontre, de ce frottement qui ne permet plus de détecter de différences
17. Katharine Harmon, The Map as Art,
entre existence, déplacements et territoire. Princeton Architectural Press,
New York, 2009.
Le GPS a de cette manière une portée autre que d’être une simple commodité qui
18. Alain Bourdin (dir.), Mobilité et
évite d’avoir à se repérer sur une carte numérique. Ce dispositif peut changer les écologie urbaine, Descartes & Cie, Paris,
2007.
représentations et en conséquence les cartographies territoriales en se glissant au
19. Manuel Castells, La Société en
plus près de notre corps. Greffe ou prothèse20, comme la montre au poignet qui a réseaux, Fayard, Paris, 1998.
20. Notion développée par Pascal
permis de se situer dans le temps, le GPS permet de se situer aussi dans le temps,
Amphoux, http://www.mobilisable.
mais surtout dans l’espace. L’utilisation comme greffe ou comme prothèse apparaît net/2008/?page_id=24
Le récit sous une autre forme est d’ailleurs étroitement lié à l’usage du GPS.
Commenter ses parcours est récurrent dans ces cartographies. Même si les motiva-
tions des déplacements de Dan Belasco Rogers restent imprécises, il indique néan-
moins que l’enregistrement est étroitement lié à la totalité de sa vie quotidienne.
Christian Nold, Esther Polak, mais aussi Masaki Fujihata dans ses travaux Field-
24. Jean-Louis Boissier, entretien,
Work@Alsace, 2002-2004, ou Landing Home in Geneva, 2005, vont se soumettre à juin 2006, Paris. http://www.ciren.org/
ciren/laboratoires/Paysage_
divers commentaires sur leurs parcours. Comment se déplace-t-on, pourquoi, quelles
Technologique/art/sciboz/index.html
émotions nous lient à des lieux spécifiques ? L’artiste japonais Masaki Fujihata25 a 25. http://www.fujihata.jp/ et
http://www.arpla.fr/canal20/adnm/?p=278
expérimenté fréquemment les enregistrements GPS, notamment autour du récit, de
26. http://www.centreimage.ch/
la mobilité ou de l’immobilité. Dans Field-Work@Alsace26, les parcours enregistrés expos_events.php?id=14
27. Andrea Urlberger, “Géolocaliser les
sont ses propres parcours en Alsace, où sont localisés ses rencontres et entretiens
pratiques artistiques, la question de la
filmés avec des personnes vivant des deux côtés de la frontière franco-allemande27. frontière”, ETC, n° 85, Montréal, mars,
avril, mai 2009, p. 6-9.
Jeremy Woods utilise le récit encore différemment, écrivant parfois directement
28
28. http://www.gpsdrawing.com/jw/
des textes dans l’espace. Il parcourt l’espace pour écrire par exemple : “It is not down work/meridians.html
in any maps; true places never are29”, une citation de Moby Dick, d’Herman Melville.
Le GPS enregistre le déplacement et donc le texte30.
La représentation cartographique GPS passe par le récit, mais un récit particulier,
proche de la navigation. On navigue à travers des textes comme on navigue à
travers des lieux en s’appuyant sur des coordonnées spatiales et temporelles qui
fonctionnent comme des microrécits. Dans son article “The Territory is the Map
– Space in the Age of Digital Navigation31”, Bruno Latour explique que, depuis son
apparition, le support numérique procède à une transformation radicale de la carte
et notamment à une extension du terme de navigation. La navigation à partir de
29. “Ce n’est sur aucune carte ; les
endroits vrais n’y sont jamais”, Janet cartes ou la navigation qui engendre des cartes ont toujours existé. On peut mobi-
Abrams et Peter Hall (éd.), Else / Where,
liser sa mémoire des cheminements déjà effectués, suivre des panneaux, demander
Mapping New Cartographies of
Networks and Territories, University of son chemin. Autrefois on naviguait en calculant les cordonnées spatiales sur le
Minnesota Design Institut,
papier, aujourd’hui avec le GPS on calcule sans papier. Naviguer avec des instru-
Minneapolis, 2006.
30. http://www.gpsdrawing.com/jw/ ments signifie que l’écran de contrôle domine. La carte numérique est le résultat
work/meridians.html
de cette navigation, elle la matérialise, mais elle matérialise également son insta-
31. http://www.bruno-latour.fr/articles/
index.html bilité. Les cartes GPS sont transformables, elles sont des plateformes de navigation
La carte radar
Je propose avec la carte radar une nouvelle carte géographique. Son nom provient
de sa capacité à capter les éléments vus et à en donner leur positionnement dans
l’espace.
La carte radar rappelle le panoramique des tables d’orientation, elle est destinée à
ceux qui, comme moi, agissent sur l’espace réel. Elle devient, une fois constituée, le
garant de l’espace extérieur lorsque je travaille à mon bureau à la conception d’un
projet d’aménagement.
La carte radar transpose une vue à plat. Elle traduit l’épaisseur, la profondeur de
champ et la matière des éléments qui se trouvent dans notre angle de vue. Elle traduit
ces trois dimensions d’un site. En effet, les distances révélées des éléments vus et leur
taille forment le fond de la carte et montrent l’étendue des éléments cachés. La ligne
d’horizon détectée dans la vue présente l’aspect d’une ligne découpée.
page précédente
La carte est élaborée à partir d’un balayage de la vue à trois cent soixante degrés.
Carte de la vue (détail), élaborée
Elle représente l’espace terrestre et illustre l’intervention de l’homme. Ainsi, elle se depuis la terrasse du bâtiment
de Cassan à Jussieu, le long de
réfère à l’espace réel, l’espace du vivant et du construit qui nous entoure, l’agencement
la Seine à Paris, août 2009.
qui, dans la majorité des cas, a déjà subi de nombreuses interventions où coexistent
cohérence et disharmonie. Sur la carte s’impriment les éléments qui accrochent la vue.
Leur transposition rend concrètes les profondeurs de champ, révèle les formes et les
orientations d’un lieu.
91
Le panorama est une représentation mue par le désir de voir, de saisir où l’on
se trouve et donc de comprendre sa position dans l’espace. Pour faire l’expérience
de l’horizon à trois cent soixante degrés, le spectateur doit tourner autour de son
propre axe, ce qui lui permet de voir la totalité de ce qui l’entoure.
92 la c ar te rada r
la ca r te rada r
93
application
La carte radar est constituée de trois éléments : la vue panoramique, la carte des
éléments vus et la carte de la vue. Les cartes suivantes sont des exemples de cartes
radar, avec des modes de lecture variés adaptés à chaque site et à sa problématique.
Le choix des cartes présentées dans cet article correspond à l’évolution de mes
expériences sur des sites très différents.
94 la c ar te rada r
C’est à Dunkerque que ma première carte radar a été constituée. Pour comprendre et apprécier le site sur lequel j’avais choisi de faire mon diplôme de fin d’étude,
j’avais besoin de constituer un outil capable d’appréhender les étendues immenses qui se trouvaient face à moi. Le site était une mer de rails, bordée par des
objets industriels de grandes dimensions et une façade de ville pavillonnaire ridiculement petite. Mon but était de savoir m’orienter et de composer des rapports
entre ces deux entités radicalement opposées et pourtant si proches dans leur géographie.
Les cartes des éléments vus évaluent ici l’impact de l’industrie (repéré en orange) et celui de la ville (repéré en noir). Les éléments industriels imposants sont
présents en permanence. Côté ville, on aperçoit la lisière urbaine, puis les quelques édifices institutionnels visibles. Ainsi, seuls les clochers, l’octroi et la
communauté de communes émergent dans l’horizon. En bleu, sont dessinées les surfaces au sol visibles depuis des points de vue stratégiques choisis pour leur
qualité visuelle, spatiale, ou de point de rencontre entre ville et industrie.
Les cartes de sélection (en noir) issues des cartes des éléments vus sont un travail de projection. Ici, il a été possible de trouver un équilibre entre les éléments
industriels et les éléments urbains grâce aux vues révélées par la carte radar. Des filtres et des cadrages permettent ainsi de légitimer la présence industrielle car
l’industrie produit des objets à caractère fort, des formes spécifiques et étonnantes qui, en quantité réduite et à une distance suffi sante, deviennent remarquables
et positives.
Dans le parc nouvellement créé par l’atelier 710 à Nicola Lenivets en Russie, j’ai choisi d’élaborer trois cartes radar à partir de trois points importants du parc. Ce
sont des lieux stratégiques, parce que l’un (le “temple”) est établi sur un point de basculement topographique, l’autre est situé dans l’axe du parc et le dernier
est un belvédère dominant la vallée de l’Ougra.
Cette carte est établie depuis le temple, implanté sur un point haut du plateau, dans un champ cultivé, avec une vue dégagée, dont l’horizon est ici marqué par la
limite entre les champs et les boisements. La première carte fait apparaître les éléments présents dans la vue. Au premier plan, on aperçoit des champs puis des
bosquets d’arbres accompagnant le bâti du village de Nicola Lenivets. La vue est limitée par la forêt dont la lisière arrête le regard, puis, au fond, on voit la forêt
qui prend les formes de la topographie la plus élevée. Le clocher de l’église est représenté en rouge car il est un élément repère dans le paysage. La carte de la vue
(en noir) montre les surfaces visibles de manière stricte sans distinction des matières. Elle indique que l’ouverture, la vue, est nettement orientée selon un axe nord/
sud, qui est très profond vers le sud. Il apparaît également que la vue est plus importante à l’ouest qu’à l’est. En réalisant des carrés gagnés sur le boisement et
bordés par des haies sur la rive est (en gris clair sur la carte), l’atelier 710 conforte cette orientation première nord-sud. La hauteur de ces haies déterminera l’horizon
de demain. Si elles sont entretenues et taillées pour rester basses, la vue vers les aménagements créés dans la partie est, en gris foncé, sera conservée.
ci- dessous : Carte des éléments vus, carte de la vue et panoramique à 360° depuis le temple de Nicola Lenivets. Festival Archstoyanie, Russie, juillet 2009.
Cette carte radar est constituée dans l’axe principal du parc. Elle montre des ouvertures visuelles importantes vers l’est et l’ouest. L’axe orienté nord-est/sud-ouest
est peu perceptible dans sa forme car il est interrompu par des boisements à ses extrémités et seule la prairie tondue indique sa trajectoire. Mais la carte radar
indique avant tout que le trajet dessiné nord-sud est le lieu de saisie des paysages est et ouest. Cet axe ouvert est alors non seulement une orientation, une
trajectoire qui lie un point à un autre, mais c’est aussi un observatoire dont la qualité est de rendre visibles les éléments qui l’entourent. Ici, ce sont les œuvres
disposées de part et d’autre de l’axe (représentées en rouge) et la vue profonde sur le paysage lointain.
ci- dessous : Carte des éléments vus, carte de la vue et panoramique à 360° depuis l’axe du parc de Nicola Lenivets. Festival Archstoyanie, Russie, juillet 2009.
La carte radar est constituée à partir d’un petit belvédère qui regarde la vallée de l’Ougra. La carte montre que le point de vue est adossé au relief du coteau, la
vue est donc mono-orientée. La carte présente un petit cône de visibilité. Elle indique une vue très étroite et densément plantée. La rivière est à peine perceptible,
la vue sur la courbe de la vallée est infime. On constate la fragilité de cette vue qui est davantage marquée par les boisements des coteaux que par la présence
de l’eau. Le premier plan est brouillé par la présence des végétaux et les arbres peuvent à terme fermer la vue sur l’eau et amoindrir le dessin de la courbe.
ci- dessous : Carte des éléments vus, carte de la vue et panoramique à 360° de la vallée de l’Ougra dans le parc de Nicola Lenivets. Festival Archstoyanie,
Russie, juillet 2009.
La carte radar permet de saisir une vue panoramique de Paris, une vue large où l’horizon est découpé par le relief et l’émergence du bâti. Pour le site de Jussieu,
trois cartes doivent être réalisées, en fonction de trois hauteurs de point de vue. La carte de la terrasse Cassan, réalisée ci-dessous, est une carte depuis le niveau
intermédiaire. Il me reste à effectuer la carte radar depuis le haut de la tour de Jussieu et une autre depuis le Gril d’Albert, sol repère du campus. Ces trois cartes
rassemblées deviendront un outil complet capable d’identifier les horizons parisiens depuis les différentes hauteurs du campus de Jussieu.
Le pont Hoche est un point stratégique de ce territoire. Les vues proches et lointaines s’y rassemblent. Le pont, en léger surplomb, fait le lien entre les
grands espaces ouverts de l’échangeur A14 / A86 et les percées ponctuelles sur la ville de Nanterre. Au nord, l’horizon est dessiné par les infrastructures ;
au sud, c’est la ville qui limite la vue. Les vues sud-est et nord-ouest sont cadrées par le gabarit de la rue, elles incluent la ripisylve de la Seine et, à
son opposé, les hauts édifices de la Défense. Cette carte montre le rôle de pivot que joue le pont sur ce territoire, elle déploie la qualité visuelle que
procure cette infrastructure et signale l’influence primordiale de cet élément sur l’aménagement futur de la parcelle repérée en jaune.
Graphie du déplacement
Que reste-t-il d’une promenade ? Comment un espace perçu en mouvement peut-il Mathias Poisson est artiste
promeneur.
être dessiné ? Comment un trajet est-il mémorisé ? Peut-on représenter une journée
d’exploration d’un territoire ? Je tente de répondre à ces questions en passant des
journées à marcher dans des villes inconnues, à ausculter des quartiers, à explorer
des zones marginales, à trouver des échappées, à musarder sous les ponts, dans les
bois, et à contempler les paysages qui sont là. Je témoigne de sensations, de préoc-
cupations et d’observations survenues lors de ces déambulations hasardeuses. Je
dessine des cartes qui décrivent ce que j’ai vécu ou je dessine des cartes qui propo-
sent d’accomplir des marches possibles sur des territoires que j’ai arpentés.
105
Licence eden-75-d121d6529c7c4568-a19cf643cb144bbb accordée le 31
août 2022 à E16-00982132-Pazun-BArbarz
Ces cartes invitent le lecteur à pratiquer des lieux précis selon un protocole défini
et expérimenté. Elles sont élaborées à la suite d’observations répétées et documen-
tées pour décrypter un espace et le donner à pratiquer à des promeneurs
inconnus. C’est avec Alain Michard (chorégraphe) qu’a commencé l’édition de
cartes à utiliser comme des modes d’emploi. A Naples, pour l’exposition Napoli
Présente au musée d’Art contemporain de Naples (PAN), j’ai réalisé huit cartes
postales de promenade pour visiter cette ville touristique à partir de ses clichés
mourants. A Bordeaux, en 2006, toujours en dialogue avec Alain Michard, j’ai
dessiné la carte de Promenade blanche, en tactile et en braille, après avoir exploré
la ville avec un groupe de déficients visuels. D’autres cartes m’ont ensuite été
commandées à Rennes (Entre les dalles, avec le centre culturel du Colombier) et
à Dijon (Autrement vu, une traversée sensible du campus carte dessinée avec des
étudiants, avec l’Atheneum). Ces cartes prescriptives proposent des marches
variées qui peuvent aboutir à des expériences où le lecteur devra prendre position
dans l’espace public en tant qu’observateur aventureux.
Le paysage urbain de Hanoi tel que nous l’étudions aujourd’hui résulte de l’histoire Emmanuel Cerise est architecte,
docteur en architecture et chercheur
particulière qui, dans le temps long, a lié la ville et ses villages . Hanoi est situé au
1
à l’IPRAUS.
cœur du delta du fleuve Rouge, dans une plaine alluvionnaire caractérisée par la
densité des groupements villageois. Ces derniers ont joué un rôle particulier dans
page précédente
la formation et la transformation d’Hanoi, de la capitale impériale à celle de la La ville et les villages. En 2010,
cent quarante-huit villages sont
république socialiste du Viêtnam. Eléments constitutifs et générateurs de la ville,
situés à l’intérieur des limites des
ils ont contribué à façonner un paysage marqué par la coexistence des univers arrondissements urbains.
117
118 le rappor t entre ville et villages à hanoi à travers les plans historiques
la ville précoloniale
Les premiers plans français sont dressés par les militaires 10, pour rendre compte
de leurs actions et pour organiser la ville suivant les besoins occidentaux.
Construction géographique mesurée et représentée à l’échelle, le plan va progres-
sivement devenir un outil de gestion et de projet, utilisé par les autorités colo-
niales. Ainsi, en 1890 un premier “plan d’ensemble d’alignement 11” projette un
nouveau quartier quadrillé au sud de la ville et de nombreuses modifications dans
9. Ces quatre temples, situés au nord, à
les quartiers existants. Ce document est élaboré par le service de la voirie munici-
l’est, au sud et à l’ouest, avec le palais
impérial au centre, positionnent la ville pale dont le but, visible à travers la lecture du plan et le contexte colonialiste de
dans le cosmos et participent à
cette époque, est de faire d’Hanoi une ville française. Pour cela, le projet s’appuie
l’équilibre géomantique du territoire.
10. Le plan de 1883 légende en rouge les sur un nouveau réseau de voirie – larges rues plantées d’arbres, avec trottoirs et
bâtiments occupés par les troupes
chaussée asphaltée – et sur la construction d’équipements publics 12 – mairie,
françaises. 1883 est la date de signature
du traité de protectorat du nord du théâtre, écoles, palais de justice… Les urbanistes français de la période coloniale
Viêtnam, qui marque la fin d’une longue
n’appréhendent pas les villages comme des éléments constitutifs de la ville, mais
période de conquête militaire.
11. “Plan de la ville de Hanoi”, 1890, comme des composantes extérieures. Aussi le périmètre de la ville est-il stricte-
dressé par M. Leclanger, chef du service
ment circonscrit à la zone urbanisée.
de la voirie municipale. Illustration b
p. 131. L’organisation urbaine proposée dans le plan de 1890 est la suivante : au centre,
12. Le service de la voirie municipale se
une ville à l’urbanité très forte, puis un faubourg qui a vocation à s’urbaniser et,
charge de la construction des rues et le
service des bâtiments publics de celle en périphérie plus éloignée, la campagne et les villages souvent exclus des projets.
des équipements. Plusieurs architectes
Ces entités ne sont pas nommées sur le plan, mais apparaissent à travers les limites
se sont relayés à la tête de cet important
service de l’administration coloniale, mentionnées : la ville à l’intérieur de la “limite de la ville”, le faubourg entre celle-ci
dont Auguste-Henri Vildieu, qui en est
et la “limite de la concession française” et la campagne à l’extérieur de cette
une figure emblématique. Il a signé de
nombreux bâtiments à Hanoi. dernière.
120 le rappor t entre ville et villages à hanoi à travers les plans historiques
a)
nord
fleuve
routes et le réseau hydrologique dans le Sud de la province.
Rouge
“Province de Hanoi” dans la Géographie descriptive de
l’empereur Dông Khánh (1886-1888), 42 x 32 cm, conservé Limite de la province de Hanoi
c)
a
0 1 km
c
b
Voie existante
Voie projetée
d e Limites de la ville
Limites de la concession
k Jardin, verger
h
Palais - 1ère enceinte Pagode
i h
f
Citadelle - 2 enceinte
e
j
l
Ville - 3e enceinte
o
g r
p q
6 m
q
Nom des villages
x
72 n p
12 a : Yen Phu p
55 14
72 b : Nam Trang
42 F
c : Yên Binh
13 d : Thuy Chuong ville G
n L
e : Khan Xuan n w C "faubourg
28 62 g" O
f : Ngoc Ha n M
g : Van Bao Ha D E
23 n N Q
h : Huu Thiêp t H
24 s y P Q
nord 51 i : Dai Yên
j : Liêu Giao u
30 champ de tir
k : Vinh Phuc dépotoire v
J I
36 57 l : Tô Ma
z F Q
m : Tap Ma R
n : Hoa Nam Q
o : Thanh Bao rg"
28 E : Liên Duong A
ubou
54 p : Yên Trach "fa n e
q : Co Giam F : Phu Lâm S pag
G : Ham Khanh cam
r : Van Tan K
32 27 H : Giao Phuong
s : Thanh Nho abattoire
t : Thanh Nhan I : Dông Tan
J : Thuyên Quông B
u : Xa Dan
v : Tho Quan K : Vân Hô
Quartier marchant des 36 rues 48 17 L : Long Duc
w : Linh Quong
x : Yên Hoa M, Phuc Cô
Villages y : Tiên My N : Duc Viêm
z : Trung Phung O : Co Xa
Palais et équipements P : Village des lépreux
A : Trung Tu
Q : Luong Yên
Rues et routes B : Kim Liên
C : Linh Dông R : Cam Hôi
Lacs D : Nam Ngu S : Thinh Yên
0 1 km
a) b)
6 – Vân Miêu (pagode des corbeaux), temple provincial de la littérature (Lieu de réunion des mandarins provinciaux).
12 – Truong Thi (camp des lettrés) emplacement actuel de la chambre de commerce
13 – Trang Tiên, sapéquerie (il en existait deux au Tonkin, la première à Hanoi et la seconde à Sontay)
14 – Hoc Tinh Duong, école mandarine
17 – Dan Nam Giao, esplanade pour le sacrifice sous les rois lê (emplacement actuel de la fabrique d'allumettes)
23 – Village de Kinh Hàc où s'élevait jadis le palais des rois Trinh. Le village est encore habité aujourd'hui par des familles de la
descendance des Trinh.
24 – Dinh - Chua Trinh, pagode élevée sous les Lê à la mémoire des Trinh.
27 – Duong Tê Hai, village des lépreux.
30 – Lac de Thuy Quan sur lequel les marins du Roi s'exercaient à la manœuvre des armes.
32 – Chua Hai Ba, pagode des deux sœurs, élevée à la mémoire des sœurs Trung qui délivrèrent l'Annam du joug chinois.
36 – Pagode de Kiên Son, dédiée à Chu Diêu (moineau rouge) gardien des régions sud du ciel.
42 – Pagode de Duc Thiên Ôn (Boulevard Gia Long)
48 – Dinh Kim Liên, Pagode dédiée aux trois génies Thanh-Long (dragon vert), Chu-Diêu (moineau rouge) et Bach-Hô (tigre blanc)
gardiens des régions Est, Sud et Ouest du Ciel.
51 – Chué Hàm Lonh, pagode bouddhique construite sous les Lê, 1460-1491)
54 – Chua Tô Ong (construite sous la dynastie des Lê)
55 – Dinh Tu Uyên, dédiée au lettré Tu Uyên, héros du poème populaire : Bich câu ky ngô.
57 – Chua Hoa Ma (pagode bouddhique 1342-1370)
62 – Chua Hoi Thuân, dédiée au génie Quan Dê.
72 – Am Chung Sinh, pagode réservée aux âmes errantes.
Organisation des “faubourgs” de la Selon ce principe, certains villages constitutifs de la structure urbaine du Hanoi
ville coloniale dans le secteur des
précolonial qui assuraient un rôle économique et démographique au sein de la
villages de la ville asiatique.
ville, sont dissociés de celle-ci. Seuls les villages situés dans la zone de “faubourg”
a) Le plan représente Hanoi au
susceptible d’être rapidement intégrée à la ville sont concernés par la planification
moment de la conquête des
Français en 1873. Ainsi nous urbaine. Ainsi l’ordre urbain colonial remet en cause l’organisation spatiale de la
donne-t-il une vision de la ville
ville ancienne ; les règles d’urbanisme produites s’appliquent sur un territoire
asiatique avec la citadelle, la ville
marchande et un large secteur contrôlé selon de nouveaux critères. Le découpage territorial ainsi défini permet
mixte compris dans la troisième
de préserver certains secteurs qui ne sont pas pris en compte dans le nouveau
enceinte, composé de lacs, de
villages, de terres agricoles, de périmètre urbain. Les villages localisés à proximité du centre urbain illustrent cette
temples et d’équipements urbains.
tendance : situés à l’intérieur des limites de la ville avant la colonisation, ils en
Analyse du “plan de Hanoi”, 1873,
dressé par Pham Dình Bách,…/… sont exclus après la redéfinition et la réduction du périmètre de la ville par
122 le rappor t entre ville et villages à hanoi à travers les plans historiques
L’intervention française a un effet paradoxal : elle efface les regroupements 13. Voir l’article d’Emmanuel Pouille,
“Ernest Hébrard et la question de
villageois dans la ville (selon l’acception coloniale du terme), en particulier dans
l’urbanisme en Indochine”, dans Pierre
les secteurs de projets ; mais, en même temps, elle contribue à préserver, voire à Clément et Nathalie Lancret (dir.),
Hanoi, le cycle des métamorphoses,
développer, les structures villageoises situées à l’extérieur de son cadre adminis-
formes architecturales et urbaines,
tratif, par omission. Ce faisant, elle repousse les villages à l’extérieur de la ville ; Recherches / IPRAUS, Paris, 2001,
p. 117-125.
ce qui correspond à une mutation profonde de l’espace urbain vietnamien, notam-
14. Sa réflexion s’inscrit dans la
ment du rapport entre le rural et l’urbain. Ces villages, exclus du contrôle urbain, continuité des nombreux plans dessinés
par les métropolitains pour les villes de
deviendront rapidement le lieu du contre-pouvoir colonial et de la résistance
la colonie, tels que ceux d’Henri Prost
vietnamienne. pour Casablanca, Fès, Meknès,
Marrakech ou encore Rabat (auxquels
En 1924, l’architecte grand prix de Rome Ernest Hébrard dresse un “plan général”
Hébrard fait directement allusion).
pour Hanoi conformément à la loi Cornudet 13 édictée en 1919 et révisée en 1924 Hébrard connaît personnellement Henri
Prost et Léon Jaussely avec lesquels il
qui préconise aux communes de plus de dix mille habitants de se doter d’un plan
entretient des liens d’amitié. Ils étaient
d’aménagement 14. Hébrard n’est pas un adepte de la tabula rasa ; au contraire, il ensemble étudiants à l’Ecole des
beaux-arts de Paris et ils se sont croisés
projette la ville en tenant compte de l’existant. Selon l’architecte, en situation
à Rome, à la villa Médicis. Yiakoumis,
urbaine, il est possible de faire “intervenir l’esthétique locale lorsque d’anciens Yerolympos et Pedelahore, Ernest
Hébrard, 1875-1933. La vie illustrée d’un
monuments méritent d’êtres conservés et mis en valeur ”. En témoigne le quartier
15
architecte, de la Grèce à l’Indochine,
du gouvernement où les éléments architecturaux et urbains, tant coloniaux que Potamos, Athènes, 2001, p. 14-15.
124 le rappor t entre ville et villages à hanoi à travers les plans historiques
a
g
al
uvi
t fl
por Les villages dans le projet d’Hébrard.
0 1 km b)
Jardin botanique
Villas unifamilliales
de type européen
a)
a)
Riv
ièr
eT
oL
ich
Chua Lang
Pagode de village
Thanh Quang
b)
b)
dans laquelle l’agriculture et les campagnes jouent un rôle moteur dans la société
productiviste contribuent à renégocier les rapports entre rural et urbain.
Les modèles urbains mis en œuvre pendant cette période demeurent dans l’igno-
rance des caractéristiques locales, en particulier de la relation de la société vietna-
mienne à son organisation villageoise. On observe là un paradoxe entre, d’une
part, le découpage administratif qui redonne une place aux villages dans les limites
de la ville et, d’autre part, les méthodes et modèles importés d’Union soviétique
qui tendent à les ignorer. 19. Les Khu tâp thê sont généralement
des immeubles de quatre à cinq
La volonté de construire une ville socialiste et l’urgence de la reconstruction
niveaux, avec des appartements dont
créent les conditions favorables à une nouvelle politique du logement, celle des l’attribution suivait des grilles et des
ratios très précis. Ce type de logement
Khu tap thé, dits KTT . Ces quartiers résidentiels seront, avec le programme d’in-
19
est intimement lié au système politique
dustrialisation, le geste architectural et urbain majeur de la période bao câp. Ces de cette époque, il faisait partie de la
pratique d’encadrement de la
KTT sont d’abord construits dans la première couronne d’urbanisation de Hanoi,
population. Khu tâp thê peut se
sur les anciennes terres agricoles des villages qui ont servi à leur donner un nom. traduire par “unité collective”.
Le dõi mói marque une rupture radicale dans le développement de Hanoi. Il s’ap-
puie désormais sur l’économie de marché et l’internationalisation. En 1992 un
plan-constat est dressé par le service géographique du Viêtnam et un schéma
directeur pour Hanoi 2010 est dessiné par le ministère de la Construction (avec
l’aide de l’IAURIF). Dans ces documents, les villages réapparaissent comme
éléments existants du paysage urbain et suburbain à prendre en compte dans le
projet.
130 le rappor t entre ville et villages à hanoi à travers les plans historiques
Nord
Zone urbaine
b) c)
Le schéma directeur conserve quasiment tous les villages, y compris dans la zone 22. Georges Rossi et Pham Van Cu’ (dir.),
Péri-urbanisation dans la province de
de projet et à l’intérieur de la zone à urbaniser après 2010 ; leur localisation et leur
Hà Nôi, atlas infographique de la
existence sont pérennisées, mais leurs terres agricoles disparaissent. Les villages province de Hà Nôi, maison d’édition de
la cartographie (Nhà xuât ban Ban dô),
situés en dehors de la zone de projet ne sont pas pris en compte ; ils sont dessinés
Hanoi, 2002. Voir également Sylvie
sur le schéma directeur en l’état. Or une étude 22 montre à quel point l’impact du Fanchette et Nicholas Stedman, A la
découverte des villages de métier au
développement urbain d’Hanoi modifie considérablement les villages de la
Viêtnam. Dix itinéraires autour de
province dès les années 1990. Hanoi, IRD/Thê Gió’i, Paris-Hanoi, 2009.
Haie végétale
limite du village
Canal
Lac - mare
Digue
Rue du village
Édifice religieux
132 le rappor t entre ville et villages à hanoi à travers les plans historiques
DENIS DELBAERE : Jacques Sgard, vous avez été (et vous demeurez) l’un des Denis Delbaere et Jacques Sgard sont
paysagistes DPLG.
principaux propagateurs d’une pratique du projet de paysage à la grande
échelle. Les territoires sur lesquels vous travaillez depuis cinquante ans sont
en général de très grandes dimensions, ce qu’on appelle dans le monde paysa-
giste le “grand paysage”. La saisie de ce grand paysage a naturellement
convoqué chez vous l’outil cartographique. Pouvez-vous nous expliquer de
quelle manière ?
JACQUES SGARD : En effet, la carte constitue pour moi un mode d’entrée privi-
légié dans le paysage, et la lecture d’une carte IGN est toujours pour moi une
expérience stimulante ! Le paysage se construit pour moi dans la relation entre la
carte et le terrain, les deux ne racontant évidemment pas la même chose. Mais c’est
justement cet écart qui est porteur du projet. L’expérience de cet écart, je peux la
faire dans les deux sens : de la carte au terrain ou du terrain à la carte. Dans le
page précédente
premier cas, je consulte les cartes avant de me rendre sur place. Dans l’autre, je
Carte en couleur du projet du Val
prends la voiture pour sillonner le territoire en long et en large, je m’arrête à Suzon, SDAU de Dijon, 1975 (détail).
135
Cette distinction très claire que vous opérez entre ce qui relève de la carte et ce
qui relève du paysage explique peut-être que vos cartes présentent souvent un
traitement graphique plutôt “sec”, quoique non dénué à mon avis d’une réelle
beauté : codes graphiques abstraits, hachures, flèches, nomenclatures et légendes
rigoureuses. Votre enseignement à l’ENSP coïncide avec la montée en puissance,
au début des années 1975, de ce mode de représentation jusque-là peu, voire pas
136 grand paysag e : le pro jet est dan s l’éca r t en tre la ca r te et le terrain
Votre manière de faire les cartes et de regarder le grand paysage à travers elles,
et non par elles, résulte-t-elle d’influences particulières ?
Pas vraiment, je n’ai pas eu de “maître en cartographie”, et d’ailleurs je n’ai jamais
voulu inventer une nouvelle sorte de cartographie. Si j’ai eu recours abondam-
ment, dès le plan de paysage de Lamalou-les-Bains (mon premier projet de paysage
en 1955), aux hachures et aux flèches, c’est tout simplement parce que c’était ainsi
qu’on faisait à cette époque. En revanche, cette manière d’utiliser la carte pour le
projet de paysage vient de mon expérience néerlandaise. Le professeur Bijhouwer,
qui dirigeait mon stage d’étudiant aux Pays-Bas en 1954, m’a appris beaucoup par
l’usage qu’il faisait des cartes à l’occasion des projets de refonte complète du terri-
toire qui avaient alors lieu : la poldérisation de l’Ijsselmeer, les plans d’extension
des grandes villes hollandaises et les premiers plans de paysage. Revenu en France,
j’ai naturellement voulu procéder de même. Mais il a fallu attendre les OREAM
(Organisations pour les études d’aménagement d’aires métropolitaines) pour qu’il
me soit vraiment donné de composer de grands projets sur carte. Mais je le
précise : à ce moment-là, ce n’est pas moi qui dessinais les cartes, mais des carto-
graphes spécialement affectés aux bureaux d’étude des OREAM, et qui travaillaient
à partir de mes croquis réalisés sur place. Le terrain, c’est là que je préfère me
trouver. Le terrain, c’est tout le plaisir de notre métier.
138 grand paysag e : le pro jet est dan s l’éca r t en tre la ca r te et le terrain
Carte IGN, de Cassini, d’état-major, de l’île au trésor, toutes ont cette magie, du fait Ingrid Saumur est paysagiste DPLG.
que, dans la limite de leur cadre, elles définissent un ailleurs où l’on ne peut poser
le pied1. Echappatoire suprême, une carte laisse cours à tous les scénarios possibles.
Ce qui est passionnant, c’est cet étrange mimétisme entre la carte et l’écriture, voire
leur complémentarité. Si le texte peut user de métaphores pour figurer un espace,
un continent, une île, il trouvera ses limites dans le positionnement exact des
choses et ne donnera que de vagues repères d’échelle et de distances, comme le
rappelle Christian Jacob2 en s’appuyant sur les textes de Denys le Périégète.
L’écriture serait impuissante face à la représentation cartographique. D’ailleurs,
on dit bien “lire une carte”, car c’est un ensemble de signes comparables à des
lettres, mots ou phrases lorsqu’ils sont assemblés sur un support, dans un ordre
ou une logique dépendant du bon vouloir de celui qui tient le stylo. En tant que
page précédente
paysagiste, la carte est pour moi un outil d’exploration et de subjectivité ; je prends
Carte 1 : Carte réalisée d’après la
le pouvoir avec le stylo, décide du moindre trait, sélectionne, réinterprète. En me carte IGN 1/25000 et des
impressions de voyage.
détachant de toutes les conventions habituelles de représentation, je peux
confronter l’imaginaire, alimenté de lectures, de peintures, de voyages cartogra-
phiques, à la réalité, faire coïncider les choses. 1. Cet article est tiré de mon diplôme
“De Paris au Havre, voyage en Seine”,
“De Paris au Havre” est un voyage ordinaire que j’ai entrepris dans le cadre de
soutenu en juillet 2009.
mon diplôme de paysagiste. Le voyage, la carte et le récit ont été les trois outils 2. Christian Jacob et Franck Lestringant,
Arts et légendes d’espaces. Figures du
que j’ai utilisés. Quels sont les éléments essentiels qui caractérisent ce parcours ?
voyage et rhétorique du monde,
Quelles sont les “scènes” significatives ? Celles retenues par l’imaginaire ? Montrer Rue d’Ulm, Paris, 1981.
141
En voyage, je m’appuie sur la carte IGN, me repose entièrement sur son caractère
exhaustif. Elle constitue la clé de lecture des paysages que je traverse : je suis dans
la boucle de Chanteloup, je suis au pied du plateau du Vexin, je vois le clocher de
Mantes. Je griffonne la carte, je sais déjà que je vais retracer mon itinéraire. Je
récite les toponymes, prends des photos, esquisse quelques croquis, note une
impression, une anecdote, attrape des bribes de discussions, capte un bruit, une
lumière singulière.
Pour communiquer ce voyage, j’ai besoin de le redessiner. Je fais mes choix, je
dessine ma carte comme j’écris, à plat, et l’histoire prend forme. Avec la pointe de
mon stylo, je refais le voyage, recolle les morceaux : la carte vient relier mes prises
de notes et révèle mes absences qui deviendront des ellipses dans le récit. La carte
IGN en fond me permet de ne pas perdre le fil. Je choisis mon cadrage, l’échelle, mes
codes de représentation, ma légende : tout relève de mon propre choix (carte 1).
Sur la carte, je ne représente que ce que j’ai vu, rencontré, exploré : souvent, les
paysages de plateaux n’apparaissent pas ou peu car mon trajet s’est concentré au
bord du fleuve. Pour montrer une autre vision de ce territoire, je fais le trajet
Paris-Le Havre en train :
Ce voyage, d’autres l’ont fait avant moi, en bateau à vapeur, à cheval, à bord d’un Profils.
Anthologie
Les paysagistes comme les artistes ont un rapport biaisé à la cartographie qu’ils détour-
nent le plus souvent à des fins toutes personnelles. Grâce aux cartes ils proposent un
regard singulier sur le territoire ou tout simplement sur les procédures cartographiques
elles-mêmes. Qu’elles soient utilisées par le paysagiste pour exprimer son propre regard,
faire un diagnostic, prendre position, qu’elles deviennent un outil d’animation et de
partage entre divers acteurs sociaux, la carte appartient à ce que l’on appelle une
“démarche de projet”. C’est cette même démarche, au fond, qui anime les artistes, à ceci
près qu’ils considèrent souvent davantage les cartes comme un moyen d’investigation
plastique et conceptuel ou comme un déclencheur d’imaginaire que comme un outil de
fabrication. Certes les paysagistes s’intéressent à la matière même des cartes, ou à ce
que Bruno Tanant appelle la “turbulence créatrice” du dessin, mais c’est pour mieux
comprendre les paysages réels sur lesquels ils interviennent alors que les artistes s’in-
téressent davantage aux territoires possibles dont ils dessinent ainsi les contours pour
page précédente
mieux interroger la réalité du monde dans lequel nous vivons. Mais les artistes comme
La carte comme création au cœur
les paysagistes s’emparent de cet instrument pour créer de nouvelles conditions de des paysages : présentation du
diagnostic territorial du canton
visibilité et développer une approche sensible de notre environnement. Les cartes sont
d’Aniane (Hérault), ENSP, 2010.
pour eux une manière de faire des mondes. C’est en partant de ces présupposés que Félix Bourgeau, Simon Lacourt et
Thomas Orssaud.
nous avons décidé de montrer ensemble les cartes des uns et des autres dans la mesure
où elles ouvrent également l’activité cartographique à un imaginaire dont nous ne
pouvons nous passer pour voir, analyser et transformer notre monde.
Gilles A. Tiberghien et Michel Viollet
149
La cartographie traduit ici une typologie paysagère établie sur des fondamentaux et non sur la physionomie ou l’occupation du sol.
L’approche typologique proposée met en avant les fondamentaux constitutifs du substrat paysager. Elle explore quatre niveaux :
– Les unités de paysages, déjà repérées dans le cadre des atlas de paysages, identifient les territoires morphogéographiques ;
– Les structures paysagères : structures spatiales et structures d’articulation traduisent, au sein des unités de paysages, les grands traits
de caractères physiques et sémiotiques et, selon l’échelle, les structures emboîtées des sites ou des lieux ;
– Les gammes de paysages sont définies par des variations de caractères et d’ambiances fondatrices de sens et de continuité de sens
(par exemple : gamme des paysages de l’eau, des pentes abruptes, du plateau volcanique, etc., puis, à une échelle emboîtée, gamme des
paysages des implantations humaines, des villages, etc.). Leurs domaines d’appartenance, unités ou structures spatiales qui les portent,
regroupent et classent les caractères identifiants sensibles et perçus ;
– Les motifs d’intérêt paysagers, mais aussi leurs logiques d’enchaînement et leur sens, qualifient les caractères susceptibles d’agir dans
le sentiment paysager.
ci- dessous
Extraits zoom sur les structures spatiales et les structures d’articulation les
plus signifiantes à retenir en vue du diagnostic des enjeux. Ces structures
sont exprimées en termes de dynamiques afin de souligner que leur
principal intérêt paysager réside, bien au-delà de la forme statique, dans
leur théâtralité propre et dans leur présence “scénique” mise en relation
avec le contexte paysager.
Fonds IGN 1/25 000. Cartographie des structures d’enjeux paysagers :
Thierry Bedu, assistant paysagiste.
Les photographies de ces œuvres multidimensionnelles évoquent une dislocation à l’intérieur des fragments de cartes. Ce travail nous
fait considérer qui, et ce qui, est à la base de la mémoire historique. La notion de crise, au premier plan depuis les débuts du modernisme,
hier, se reflète physiquement dans les plans flottants – tordus, distordus, sans correspondance au lieu ni à une réalité physique continue.
Pour faire l’expérience du lieu par opposition à l’espace, il faut re-tracer l’expérience initiale à travers les événements de ce lieu, à la
fois connus et recréés – à travers l’imagination et le “fait”. Pour voir le lieu, nous devons déployer la possibilité d’une régénération/
recréation.
En commençant à se mouvoir dans l’espace
réel, ces cartes adoptent le point de vue selon
lequel ce que nous voyons puisse en réalité
décrire la chose disparue aussi bien qu’imaginée,
la chose intermédiaire entre le connu et l’incon-
naissable. Elles enjoignent au spectateur de
reconsidérer l’impression de confiance et de puis-
sance que donnent les cartes traditionnellement.
Alors qu’on suit la mémoire à la trace dans les
cartes partielles, la défiance vis-à-vis de cette
mémoire se traduit aussi par la remise en cause
des notions de continuité et de totalité. En imitant
la tentative de mainmise sur la mémoire et le fait,
on obtient des surfaces peintes, marquées par l’in-
décision, l’élision, la fragmentation. C’est le
mouvement à travers l’espace et le temps qui
définit le lieu historique, imaginé ou bien recréé.
Le paysage en changement constant, qui n’est en
réalité que destruction et régénération ininter-
rompues, reprend le déracinement et la redéfini-
tion produits par le mouvement des constructions.
De par notamment ces mutations géographiques,
temporelles, ou ces strates labiles, nous arrivons
à la notion de mouvement de l’histoire. C’est en
défaisant et re-traçant les cartes, c’est par la
re-présentation que les idées de résistance et de
déplacement de groupes de populations (en
partie dus à des mutations géographiques / urba-
nistiques) trouvent, en tant que thèmes histo-
riques, une présence tangible.
Red Breath, technique mixte, 270 x 140 cm, 2009. page suivante : Towering, photographie, 46 x 31 cm, 2009.
Ces croquis d’analyse des paysages et des sites culturels des Causses et des Cévennes préfigurent les plans qui seront réalisés en vue de
l’inscription du territoire au patrimoine mondial de l’Unesco, au titre des paysages culturels issus de l’agropastoralisme. Ce dossier est
présenté par le ministère de l’Ecologie et du Développement durable.
Apparemment, comme le montre la carte de la structure paysagère et le confirme la carte des paysages présentées ici, les deux régions
s’opposent par le relief, la nature des sols (plateaux calcaires des Causses, dômes granitiques de la montagne cévenole, vallées schisteuses
de la basse Cévenne) ; le contraste offert par les types de paysage et le mode de construction de l’habitat et des abris pour le bétail est
également frappant. En réalité, ces territoires sont complémentaires les uns des autres ; le pastoralisme, avec ses vastes étendues qui
découvrent les lointains, ses innombrables
témoignages d’une culture pastorale qui
remonte à la nuit des temps, impose la vision
d’un paysage culturel unique.
Les deux croquis présentés sont – quoi
qu’il puisse paraître ! – le résultat d’allers et
retours nombreux entre la carte (1/250 000,
1/100 000, 1/25 000) et la visite de terrain ;
c’est le contact avec celui-ci qui m’a permis
de découvrir l’essentiel et surtout de préciser
ce qui, à mes yeux, constitue la “valeur
universelle et exceptionnelle” requise pour
l’inscription au patrimoine de l’Unesco. A
quoi il convient d’ajouter les innombrables
textes et les conversations qui enrichissent
notre regard et notre connaissance des
lieux et font découvrir ce que ces paysages
représentent pour ceux qui ont eu à les
parcourir et à les connaître.
Carte rouge (manifeste), technique mixte sur carte géologique, 100 x 80 cm, 2005.
Utopographie
A l’origine de l’élaboration de Carte rouge, il était une carte, une carte géologique destinée à un usage professionnel. Ce document a subi
une intervention picturale dont le but était de détourner sa fonction initiale pour qu’il devienne un objet plastique. Ce document géogra-
phique de départ, cette représentation de l’espace des hommes, est matière à imagination. Toute fiction s’inspire du réel afin que la réalité
puisse s’enrichir par la fiction, et ce va-et-vient participe à la perte de repère indispensable à l’imagination. Conjointement, Robert Filliou
rappelle que “l’art est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art”.
Beaucoup d’artistes utilisent la cartographie comme un outil pour leur travail. “Ces artistes ont été amenés à interroger la carte comme
instrument de représentation. En faisant apparaître, par et dans leurs œuvres, les dimensions réflexives et créatrices de la carte, ils ont fait
apparaître du même coup en quoi celle-ci, beaucoup plus qu’une simple intention de représentation, portait également en elle un projet
d’interprétation et de transformation du territoire1.” L’utopographie se propose de partager ce projet en augmentant les possibilités territo-
riales par le biais de la pratique artistique.
L’utopographie est l’écriture de lieux qui n’existent pas (u- privatif, topos, le lieu, et graphein, l’écriture). Il s’agit ici de non-lieux et non de
beaux lieux. Conventionnellement la carte est un outil qui sert à se situer, à avoir des certitudes et des preuves. Ici la carte sert à se perdre.
La typologie particulière qui est utilisée dans cette carte est le résultat de l’observation passionnelle de documents topographiques. Elle construit
ici des masses de couleurs, des lignes, des signes, et l’absence de légende invite le spectateur à s’approprier les significations suggérées.
Le dessin d’une utopographie s’apparente à l’écriture d’une histoire, d’un roman ou d’un essai. Point, ligne et surface deviennent ainsi nom,
phrase et paragraphe. La carte n’est pas assujettie à un propos premier, elle est son propre sujet dont la signification narrative n’appartient qu’à
l’imaginaire du regardeur.
1. Jean-Marc Besse, Le Goût du monde, Actes Sud / ENSP, Arles-Versailles, 2009, p. 142.
Cart[p]eaugraphie, variation pour archipels et coups de soleil, 2007. Fragments de peau déshydratés sous presse et plexiglas, 10 x 15 cm.
Le traitement graphique recherchait l’expressivité du ressenti paysager : lumière des étangs, ombre de la forêt, ouverture des champs,
cloisonnement des prés bocagers, présence du bâti affirmée par le rouge, taches colorées des vergers sur les côtes. Une carte expressive...
mais qui restait muette par l’absence de toponymie : c’était une option graphique rendue possible par la faible étendue du territoire d’étude.
La carte forme alors une “œuvre” unique qui sert de référence pour la suite de l’analyse paysagère. Avec le recul, on peut dire aussi que
les choix graphiques, éloignés des codes de représentation traditionnels en cartographie (type IGN), a posé parfois des problèmes de
compréhension pour les non-initiés à la cartographie paysagère.
Sur un fond cartographique de repérage, on renforce les éléments les plus pertinents par rapport à l’expression des caractéristiques et des
enjeux paysagers (dans le massif vosgien : le relief, le contraste ouvert / fermé, la dispersion du bâti). On superpose ensuite sur ce fond
les informations issues de l’analyse (délimitation des unités paysagères) ou les propositions d’actions.
L’utilisation des systèmes d’information géographique (SIG) a considérablement modifié l’approche de la cartographie. Si l’expressivité
des cartes se standardise en raison de la dépendance aux différentes couches numériques disponibles, la facilité à les produire permet en
revanche de multiplier les cartes thématiques ou sectorielles. La carte n’est plus une œuvre unique de référence produite par le paysagiste,
mais elle se décline en plusieurs séries cartographiques, permettant d’étayer et de synthétiser l’analyse paysagère et l’argumentaire du
projet paysager.
La carte devient également un outil d’animation lors d’ateliers avec des élus ou la population, l’outil informatique permettant une grande
réactivité et une prise en compte quasi immédiate des propositions et des décisions prises. La carte devient alors ainsi une coconstruction
issue d’un travail collectif. Cette approche est très importante dans les démarches de plan de paysage où la recherche d’un consensus est
primordiale.
Atelier Montagne
LOURDES
ARGELÈS-GAZOST
Col de Couraduque
Val d’Azun
Vallée du Gave de Pau
Hautacam
Gorges d’Estaing
PIERREFITTE
SOULOM
Col du Soulor ARRENS-MARSOUS
ARRENS-MARSOUS
Gorges de Cauterets
Lac du Tech
Lac d’Estaing
Gorges de Luz
Tourmalet-La Mongie
BARÈGES
CAUTERETS
Vallée du Bastau
Le Lys Luz-Ardiden LUZ-SAINT-SAUVEUR Forêt domaniale de l’Ayre et du Lisey
Forêt domaniale
de Peguère
Pont-d’Espagne
10 km
Pragnères
5 km
GÈDRE
2 km
1 km
Gorges de Gèdre et Gavarnie
0
Le réseau de déplacements publics et mutualisé de fond de vallée Le réseau des villages perchés en relation
L’axe de déplacement en site propre entre Lourdes et Pierrefitte-Soulom avec la centralité de la vallée
La route en liaison directe avec Lourdes La route des villages
La relation avec Arrens-Marsous, Cauterets, Luz Saint-Sauveur Le chemin du versant
La relation avec les stations de Gavarnie et de Gèdre GAVARNIE
Les polarités urbaines et leurs villages en réseau
Les relations à la haute montagne
Vallée des Espécières Cirque de Troumouse
Le réseau de transport public organisé vers les sites d’altitude
- En hiver -En été
Le réseau des remontés mécaniques
Les liaisons piétonnes entre Val d’Azun, Cauterets et Luz St Sauveur
Grands domaines durables
Cirque de Gavarnie
Les sommets : territoire naturel préservé 2 500 ha
Les estives : territoire agricole des transhumances d’été 500 ha
Les espaces intermédiaires : un projet agro-forestier en relation avec la vie urbaine.
Les boisements constitués : territoire agricole de transition entre plaine et estives
Les versants abrupts et les rebords des estives : l’exploitation ou l’entretien des boisements
préservent les vallées des risques d’éboulement. Les chemins d’accès sont supports de gestion
Les terrasses
et d’itinéraires touristiques vers les sommets.
La plaine : réserve de terre agricole exploitable toute l’année
Les premières terrasses une gestion agropastorale à assurer autour des villages en développement
sur le versant.
LA MISE EN RELATION = Le Gaves et ses berges créent des continuités de liaison à travers la vallée et entre les villages :
support des circulations douces et des espaces d’agrément.
100 ha
LE PROJET GLOBAL PARTAGÉ Ministère de l’Écologie, de l’Energie, du Développement Durable et de l’Aménagement du Territoire
Direction Générale de l’Aménagement, du Logement et de la Nature
ATELIER DES PAYSAGES - Alain Marguerit
SOBERCO Environnement - Atelier Pascal Gontier
L’Oeil / Laurent Davezies - Ecologie Industrielle Conseil AT E L I E R M O N TA G N E
Communauté de communes du Haut-Allier - Lozère
Communauté de communes de la Station des Rousses - Jura
Pays des Vallées des Gaves - Hautes-Pyrénées
25 Mai 2009
Présentation commune à Paris
LA STRATÉGIE DE PROJET
La carte
Au-delà de l’image, la belle image qui illustre le territoire, la carte est plus ou moins expressive, impressionniste ou détaillée selon la
thématique à laquelle elle répond et surtout la sensibilité de celui qui la réalise. Les cartes présentées ici sont des outils de travail, des
outils d’expression d’une démarche spécifique, les “ateliers projet” commandités par le ministère de l’Ecologie et du Développement
durable.
La carte (comme la maquette) est l’outil central de l’atelier, lieu de partage et de confrontation des acteurs. Elle affirme un diagnostic,
des prises de position ou une spatialisation par le paysagiste à chaque phase d’élaboration du projet. “Nous pouvons affirmer ceci : dans
des situations complexes, c’est-à-dire là où dans un même temps il y a non seulement de l’ordre mais aussi du désordre, là où il y a non
seulement des déterminismes mais aussi des hasards, là où émerge l’incertitude, il faut l’attitude stratégique d’un sujet ; face à l’ignorance
et à la confusion, sa perplexité et sa lucidité sont indispensables.” (Edgard Morin)
La carte revêt des formes différentes selon les phases du projet et les moments de la discussion. De la carte analytique on passe à la
carte stratégique, au plan guide puis au plan d’action, pour arriver au plan d’aménagement. Cette approche par phases se doit d’être itéra-
tive pour être créatrice.
Pour chaque atelier, c’est le niveau du débat qui illustre la carte et non l’inverse. Le niveau d’expression, la qualité, la précision du dessin
traduit le niveau auquel se situe le débat sur l’évolution du territoire. La carte est au service des acteurs du projet autour de la table. Si le
débat est fructueux, la carte évolue et devient un outil partagé qui n’appartient pas qu’au paysagiste, comme il se doit de tout projet.
Cartes du monde ciselées avec un cure-dent à l’aide d’un compte-fil, dans la pruine d’un grain de raisin.
Planisphère, raisin jaune “Muscat”, et Mappemonde, raisin rouge “Alphonse Lavallée”, 1995 à 2010.
Tirages d’exposition couleur dit “classic”, format 20 x 30 cm et 30 x 30 cm.
Le schéma départemental des paysages de l’Essonne ou le projet de paysage territorial au défi de sa représentation cartographique
L’avenir va nous conduire à représenter non pas le paysage mais le projet de paysage, non plus à l’échelle d’un site, mais à l’échelle d’un
territoire. Pour cela, on ne peut se contenter de représenter seulement les espaces ouverts non bâtis, comme on tend à le voir au travers
des expériences récentes. Le paysage inclut l’espace bâti, les infrastructures et surtout les relations entre ces trois éléments fondateurs du
territoire. Se pose ainsi le défi de la lisibilité de la représentation, face à la complexité assumée du réel.
Le département de l’Essonne, en réalisant son schéma départemental des paysages, ouvre une voie. La carte de projet est une tentative
de synthèse. Elle fait le choix de montrer comment peut s’organiser la rencontre de la ville, de la nature et des infrastructures, formulée
par des concepts. Il est clair qu’en spatialisant, la carte devient le bras armé de la politique de paysage du conseil général : le document
stratégique du schéma, aux côtés des outils opérationnels.
La Charte paysagère et environnementale des garrigues de Nîmes métropole ou le défi de la cartographie pédagogique, sensible et lisible
Brésil 1500-1996, 1996, gravure et sérigraphie, feuille d’or et crayon de couleur, 46 cm x 81 cm.
La carte : une objectivation utile mais qui ne suffit pas à rendre compte des paysages
Le paysage étant affaire de perception, il est indispensable de faire part des sensations à l’aide
de photographies, de textes, ainsi que de coupes et de diagrammes exprimant les logiques d’en-
chaînement et de structure.
Sur les cartes, pas de territoires cachés ou inaccessibles par exemple, comme celui de l’eau,
qui apparaît nettement et qui souvent structure l’image, alors que, dans bien des cas, sur le
terrain, on ne voit pas l’eau, faute de chemins ou parce qu’elle est masquée dans des vallées
fermées par la végétation.
La carte est aussi associée aux pratiques du zoning souvent néfastes au paysage. Il faut bien
sûr s’en servir mais aussi s’en méfier, prudence donc ! On peut facilement se laisser fasciner
par la fabrication d’une image flatteuse du territoire, sans l’associer réellement aux modes de
perception et aux ambiances.
Les cartes de paysage permettent aux paysagistes de rassembler et de partager en une seule et belle image des impressions dispersées sur
un vaste territoire. Bien que vues du ciel, elles tentent d’offrir l’évidence d’un premier contact avec un site. Sans légende, allégée d’un aller
et retour fastidieux entre l’image et le texte, l’attention des acteurs et partenaires peut se porter directement sur la qualité des lieux et
évoquer les aménagements qui les concernent. Sous des allures d’objectivité, ces cartes sont orientées. Elles rehaussent des motifs qui sur
le terrain nous ont touchés ou sur lesquels se portent des menaces ou des enjeux plus ou moins importants.
Ces deux “cartes des paysages” des Agriate et de Roccapina ont été dessinées pour le Conservatoire du littoral en Corse. Réalisées au
pastel et au crayon de couleur avec l’aide de Pierre Le Den, paysagiste illustrateur, retravaillées à l’ordinateur, elles ont été l’une des pièces
maîtresses des projets de paysage.
Îles Antipodes, 2005, peinture acrylique et carte marouflée, 250 cm x 250 cm, collection particulière.
Vue de l’exposition Naturalia, château de Trebesice, République tchèque.
Le schéma d’orientation pour les paysages (SOP) de la communauté urbaine de Brest (CUB) est l’aboutissement d’une démarche expéri-
mentale de “Plan de paysage” réalisée entre 1990 et 1992 par une équipe comprenant Pascal Aubry, Claude Chazelle, Alain Mazas, paysa-
gistes DPLG, et Jean-Luc Hadji Minaglou, sociologue.
Ce SOP comportait une carte réalisée à l’échelle du 1/10 000, en utilisant les moyens cartographiques de la banque de données urbaines
(BDU) de la communauté urbaine : le fond de carte est constitué de l’assemblage des données de l’Institut géographique national (IGN), en
ce qui concerne notamment la topographie et l’hydrographie, et du cadastre, en ce qui concerne le repérage des parcelles et de l’habitat.
L’occupation agricole du sol a été reportée sur la carte, au crayon de couleur, à partir de l’interprétation des photographies aériennes de
l’IGN ; elle devait ultérieurement faire l’objet d’une saisie informatique.
Cette carte localise et représente, de façon sensible et symbolique, les grands motifs de paysage et les continuités paysagères, inventés
lors de la reconnaissance paysagère des lieux, sites et pays de la communauté urbaine. “Inventé” est le terme utilisé pour les inventeurs
de trésor, nous le reprenons ici pour insister sur la préexistence, sur le terrain physique, de l’élément de l’espace concret que nous recon-
naissons en tant que motif de paysages, et aussi, sur le “terrain culturel”, du motif qui schématise notre regard.
Une légende accompagne cette carte qui ne peut, ni ne doit, être dissociée du moindre extrait de celle-ci, quelle qu’en puisse être l’échelle.
Celle-ci est très différente des légendes habituelles des cartes de géographie dans la mesure où elle associe les données localisées sur la
carte avec, d’une part, des émotions et impressions ressenties sur le terrain physique et, d’autre part, des opinions et des savoirs recueillis
lors de l’analyse du “terrain culturel”. Formellement, cette légene se présente donc comme un livret assez volumineux comprenant des
textes et des représentations photographiques. Méthodologiquement, elle doit permettre de situer l’aménageur, utilisateur de cette carte,
dans une problématique qui ne soit pas seulement de l’ordre de l’exploitation de l’espace concret comme seul support physique pour la
localisation d’activités, mais de sa reconnaissance en tant que substrat paysager ayant une certaine épaisseur culturelle.
La totalité de la carte1 doit encore pouvoir être consultée à la banque de données urbaines de Brest métropole. L’extrait présenté ici,
évidemment sans légende, et donc inutilisable, concerne la ville et les ports de Brest.
L’entité “ville lumière” comprend la ville reconstruite par Mathon mais aussi toute la frange urbaine littorale qui, sur le rebord du plateau
Léonard, donne une image lumineuse de Brest, en contraste avec la roche sombre de la falaise, les eaux profondes de la rade et, selon les
conditions météorologiques, la couleur du ciel.
L’entité “ville du plateau” a été reconnue et nommée ainsi par rapport, d’une part, au réseau des vallons et des ruisseaux et, d’autre part,
azux autres modes d’urbanité que constituent les villages et les bourgs. Elle est représentée par un bâti de couleur brun-rouge brique sur
un fond ocre jaune teintant les parcelles privées ; le domaine public reste blanc et les voies sont seulement indiquées au trait.
La gamme des bleus teinte les éléments de l’espace qui “appartiennent” à la rade. Le bleu pâle qui a été choisi pour teinter toute la partie
comprise entre le niveau de la mer, ou plus exactement de la rade, et le niveau à plus de 10 mètres, colore et met en évidence le “domaine
de la rade et de la mer”. Pour aider la lecture de ce domaine, les courbes de niveaux de 0 à 12 ont été également tracées en bleu. Il conviendra
sans doute de ne pas gommer cette différence entre ce qui constitue le domaine de la rade et ce qui est du domaine de la terre, du plateau
du Léon, par la côte rocheuse, pour et par l’aménagement de l’espace concret.
Les remblais du polder constituant le socle du port de commerce ont été qualifiés d’“eau de rade cristallisée” pour qu’ils ne soient pas
confondus avec le véritable sol du plateau Léonard sur lequel est édifiée la ville.
1. Elle a fait l’objet d’une édition dans l’ouvrage de Pierre Donadieu et Michel Périgord, Clés pour le paysage, Ophrys, Paris, 2005.
La cartographie du paysagiste est l’affirmation d’une lecture orientée du territoire, un regard qui doit assumer sa subjectivité.
Je ne crois pas à l’objectivité en paysage. Le paysagiste, comme tout un chacun, a une histoire propre qui corrige et oriente ce qu’il voit.
Par la cartographie, il s’agit de mettre en concurrence plusieurs fragments, plusieurs formes, plusieurs histoires : éclats qui s’addition-
nent, se soustraient, pour confronter leur autonomie et leur origine. Tous ces éléments ont un point commun : ils n’ont plus leur vocation
première, ce qui leur permet une grande mobilité, une grande liberté. Les éléments repérés et sélectionnés jouent avec le voisinage qu’on
leur impose ou que les événements déterminent. Ainsi, ils se modifient, s’éclairent, s’effacent.
Enfin, il s’agit d’un moyen plastique qui gomme les anciens contours et offre d’autres plans, d’autres surfaces, parfois insolites ou
dérangeantes. On fige un instant les éléments. Minuscules géométries et vastes étendues, qui parfois s’ignoraient, se combinent et inven-
tent, souvent à notre insu, de nouveaux paysages.
La cartographie nous montre que la frontière de nos projets n’est pas définie. La limite n’est marquée que sur un bout de papier, elle
n’existe pas. La feuille est toujours trop petite.
Jacques Brel
Jardinier, artiste, ingénieur : par ce triptyque, voici dix ans1, Jean-Luc Brisson
tentait de cerner la nature des paysagistes. L’intitulé jalonnait d’un cairn solide le
chemin de l’école du paysage de Versailles, en quête chronique d’identité. Il inter-
rogeait aussi mon propre parcours d’enseignant au service de la refondation d’une page précédente
Planche tirée de Jacques
profession.
Montégut, Atlas des semences de
Entré dans le jardinage par le potager paternel, jardinant à domicile comme au travail, j’assume mauvaises herbes, Société
aussi mes diplômes : ingénieur horticole, écologue. Pas assez artiste pour me prétendre paysagiste, française de phytiatrie et de
j’ai tout de même, plus tôt que d’autres, compris et défendu la dimension créatrice et poétique du phytopharmacie, Versailles, 1971.
métier. J’ai fleureté, de ce fait, avec l’art et l’invention : ce n’est pas un modèle courant chez mes pairs.
Cousin de l’horticulture, l’art paysager marche de cheville avec le jardin. Mais peu disposé à le
reconnaître, il tend, dans son orgueil adolescent, à mépriser le jardinage. Or, pour enseigner l’éco-
logie à des futurs paysagistes, j’ai réactivé puis maintenu contre toute sagesse, avec quelques
complices, une dimension jardinière que n’assument plus les ingénieurs horticoles, et qui n’est
guère dans la culture des écologues. 1. Exposition Le jardinier, l’artiste et
l’ingénieur, Paris, Espace Electra,
Vigilant, Jean-Luc Brisson sait que l’enchaînement de ces choix pourrait bien
20 septembre-10 décembre 2000.
éclairer l’histoire, ancrée à Versailles, du paysagisme en France. Voilà comment L’ouvrage homonyme est paru la même
année chez L’Imprimeur, Besançon.
Les Carnets du paysage m’ont commandé un récit des enseignements qui, depuis
2. Les sigles sont explicités en fin
un tiers de siècle, se sont regroupés à l’ENSP2 sous le drapeau de l’écologie. Rude d’article.
179
Géographie, génie paysager : entre ces deux pôles, et passée à la moulinette dans
3. Voir ici même l’hommage que je lui
laquelle, quelques toqués et moi, nous l’avons malaxée, l’écologie a pris une consis-
consacre, p. 196 , et p. 182 la partie
“Ingénieur urticole”. tance peu banale. Il faut, par le détour d’une rétrospective, dire ici ce qu’elle
4. C’est cette dimension géographique
recouvre et en quoi elle est appliquée au projet de paysage.
qu’explore l’écologie du paysage, à
laquelle le précédent numéro des
Carnets du paysage s’intéressait de
près.
sortie d’éclusage
5. D’autres intitulés essayés, comme
“Connaissance du milieu”, ne
Cette singularité s’est construite en parallèle à la “filiation révoltée” dont résulta,
conviennent pas mieux.
6. Voir ma notice “Jacques Coulon et les en France, la renaissance du paysage au sein de l’horticulture, et du paysagisme
dernières promotions de la section du
au sein de l’ingénierie6. Il se trouve que j’en fus aussi l’un des acteurs, parmi les
paysage à l’ENSH”, dans Michel Racine
(dir.), Créateurs de jardins et de plus intérieurs.
paysages en France du XIXe siècle au
Ingénieur était l’un de mes désirs de petit garçon. Après le bac, je poursuivis
XXIe siècle, Actes Sud / ENSP,
Arles-Versailles, 2002, p. 307-311. naturellement ce Graal imprécis. Le vrai choix avait été celui du baccalauréat : la
Plus attractifs, à mon gré, étaient les enseignements11 qui diffusaient des savoirs
intéressant toutes les branches de l’ingénierie : botanique, zoologie, biologie, géné-
tique, écologie, physiologie, pathologie…
Paradoxalement, les matières scientifiques, continuatrices des prépas, offraient une pédagogie plus
pratique que l’ingénierie, pourtant située en aval. Les sciences établies, qui n’avaient rien à prouver,
livraient certes le pointu de leur savoir, telle la physiologie en plein essor, mais elles étaient, miracle,
représentées par des naturalistes. Les ingénieries, a contrario, se donnaient une image scientifique,
croyant ainsi se dépouiller de leur gangue d’empirisme. L’évolution de la littérature professionnelle, à
l’exemple de PHM-Revue horticole ou du Bon Jardinier, est significative de ce mouvement.
ingénieur urticole12
11. Dispensés par des enseignants
(Claude Bigot, Maryvonne Decharme, Nous étions alors invités à choisir, en troisième et dernière année, une spécia-
Martine Mitteau, Jacques Montégut) et
lité. Autant inspiré par le bonhomme que par la discipline, je devins, sous la
des chercheurs de l’INRA (Rémi Coutin,
Albert Faivre-Amiot, Bernard direction de Jacques Montégut, malherbologue en herbe.
Trouvelot).
La malherbologie* offrait à Montégut d’enseigner botanique et écologie au-delà des deux ans de tronc
12. Urticole (jeu de mots) : qui cultive
commun. Mais son public débordait le cercle de l’horticulture. Son acuité d’observation, ses talents de
ou habite (colere) l’ortie (urtica).
dessinateur et d’écrivain en faisaient une référence unique dans l’univers phytosanitaire, qui appréciait
13. J’entends ceux qui ont suivi une
ses outils pratiques et ses travaux sur la biologie et l’écologie des adventices.
spécialisation sous sa direction, tels
Michel Cambornac (fondation Yves Trop pédagogue pour avoir dégagé dans sa carrière le temps d’une thèse, et affranchi
Rocher et jardin botanique de la
par son statut de la publimania académique, Montégut veillait à ce que ses élèves13 ne
Gacilly), Paul Henquinez, Jean-Pierre
Reduron (Ombellifères de France), etc. suivent pas son exemple. Attentif aux évolutions du recrutement, il avait établi, avec
J’aime le mot sortie : dès lors qu’on est dehors, tout est différent. On doit porter
attention aux choses, qui résistent aux modelages de nos interprétations ex cathedra.
Craignant la routine, ou convaincu que le terrain ne bégaie jamais, Montégut repérait ses sorties,
même les anciennes. Il veillait à nous transmettre en détail son savoir naturaliste et ses tuyaux de
guide, mais aussi à dialoguer pour faire évoluer nos réflexions sur l’écologie des espèces et des commu-
nautés. L’exploration en petit comité permet les questions dont on s’approprie les réponses : on passe,
sur un sujet, le temps qu’il faut, pas celui que vous laissent le groupe et la tenue de l’horaire.
Pierre Donadieu nous a d’abord apporté son réseau de relations, notamment dans
21. Monographie des groupements
le monde agronomique.
végétaux de la vallée de Maincourt-
L’enseignement actuel de “lecture de l’espace”, par exemple, doit une fière chandelle au coup de sur-Yvette (Yvelines).
main que nous ont donné Yves Peyre et Bernard Fournier, de l’INA-PG, pendant deux ou trois ans, 22. Corps d’ingénieurs du ministère de
pour monter un enseignement actif de lecture des caractères physiques d’un territoire. C’est avec l’Agriculture, destiné à fournir les
eux que j’ai compris quels bénéfices on peut espérer du commentaire de travaux menés par des cadres de l’enseignement supérieur
élèves aux niveaux d’information disparates. agronomique, des DDA et de divers
services décentralisés ou non.
C’est aussi avec Donadieu que j’ai mieux compris, dans ce domaine en refonda-
23. Maître de conférences en “écologie
tion, l’intérêt de la contribution des élèves à la constitution d’un corpus collectif appliquée au projet de paysage”. Tous
les autres enseignants, mis à part
de références.
M. Corajoud, P. Donadieu et les
C’est sur une sienne idée que nous avons initié l’exercice de “Levés de structures végétales24”, titulaires de l’ENSH, étaient contractuels
aujourd’hui valeur sûre de notre enseignement d’utilisation des plantes. Initialement, chaque élève ou vacataires.
devait étudier, sur vingt motifs d’assemblages végétaux, en situation urbaine ou para-urbaine, les 24. Voir p. 192 la partie “Créer des
relations entre leur organisation spatiale et leurs ambiances, usages et fonctions. espaces vivants”.
L’arrivée de Gabriel Chauvel34 procède d’un contexte tout autre, mais lui aussi
instructif.
En 1986, à la suite d’une crise de croissance importante qui avait engendré le départ de Bernard
Lassus puis d’Allain Provost, Gilles Clément souhaita lui aussi s’éloigner un moment de l’école. Il
était, parmi les paysagistes35, le seul fin connaisseur de végétaux capable d’enseigner ce à quoi
mon parcours horticole ne m’avait pas préparé : raisonner la mobilisation de ce savoir au service
de la fabrication d’espaces. La perspective de son départ m’inquiétait donc beaucoup, vu l’inadé-
quation de mes références d’enseignant – déjà riche d’expertises mais vide de projets
autonomes.
Or dans le même temps, Michel Corajoud recevait une lettre d’un ancien étudiant de la section
du paysage, qui exprimait le désir de renouer avec l’univers d’échanges d’expériences et de débat
…/… Verrières-le-Buisson, mémoire de
que représentait pour lui l’école, après une douzaine d’années de pratique professionnelle trop
TPFE, ENSP, Versailles, 1985, 118 p.
isolée. Connaissant mon inquiétude, Michel Corajoud organisa une rencontre avec Gabriel
32. Voir ici même p. 30 l’article que
Chauvel dans son village introuvable des bords de Vilaine, près de Redon. Mais il laissa ce soir-là
nous cosignons sur les blocs-
si peu de place à la parole de son élève que je n’eus d’autre choix que de faire confiance à l’intuition
diagrammes et p. 171 un échantillon
du maître bavard, longuement argumentée pendant le voyage de retour.
très réduit de ses cartes de paysages.
Bien m’en prit. Gabriel Chauvel est un expérimentateur de première catégorie, un 33. Marc Rumelhart, “Mise en jambes
pour sortir des chemins battus”,
inventif détonnant et un bricoleur génial. En outre, quoiqu’il s’en défende, il aime et
Les Carnets du paysage, n° 11
sait écrire, et possède l’art de résumer une pensée ou une découverte par une formule “Cheminements”, automne/hiver 2004,
p. 109-111.
concise d’une efficacité didactique redoutable. Nous avons presque immédiatement
34. Voir ma notice “Gabriel Chauvel (né
accordé nos violons. J’ai très vite compris que son expérience d’entrepreneur, de en 1948)”, p. 314-315 dans Michel Racine
(dir.), Créateurs de jardins et de
paysan et de jardinier allait répondre au-delà du souhaitable à mon constat de
paysages, op. cit.
carence sur l’utilisation des plantes. Et lui, impatient de transmettre, s’est mis dare- 35. Voir la partie “Organiser la soupe
primitive”, p. 185. A cette date, Gilles
dare à concevoir des cours dont la préparation partagée a forgé une complicité très
Clément avait tout de même déjà animé
productive. Longuement penchés sur la table lumineuse, nous avons tissé nos diapos aussi quelques ateliers de projet.
36. Sauf mention contraire, je n’emploie
de jardin et de campagne pour nous raconter des histoires évolutives dans lesquelles
36
ce mot qu’au sens large de réalisation
nous trouvions tous deux bénéfice. Il revisitait par ma “science” ses intuitions paysagiste ou jardinière.
mélange
• Dans l’état de relation à l’environnement que diffusent les approches scolaires relayées par des
médias bavards et omniscients, d’autres zappent du réchauffement planétaire aux OGM, traversant
le tangible en sourds et en aveugles. Nous les invitons à explorer laborieusement le monde à une
échelle tactile, les pieds sur terre et le regard portant “seulement” jusqu’à l’horizon ; et d’abord
à ne pas tenir pour rien leur expérience, quand bien même serait-elle très locale, ou très esthétique,
très affective, etc. Alors ils découvrent avec quelles petites satisfactions peut s’amorcer progressi-
vement leur bagage, et donner place périodiquement aux engrangements nouveaux. Nous voici
envers eux le devoir de l’ethnologue : respecter chaque taxonomie vernaculaire.
Tous réclament bientôt, cependant, qu’on emplisse leur besace, charge à eux de trier.
Reconnaissons parfois transvaser quelque merveille de notre grand sac poussiéreux,
sans souci du qu’en-fera-t-on. Mais toujours, parce que nous regardons à l’aval ce que
les projets racontent de ces savoirs distribués, nous revenons à prêcher l’appropria-
tion d’un petit nombre de références et à vilipender la thésaurisation stérile.
compagnonnage
Au bilan, sur plus de trois décennies, le volume des enseignements abandonnés est
très voisin de celui des activités présentes. Or si tous nos élèves, anciens et actuels,
se plaignent globalement de ne pas avoir fait assez de biologie et d’écologie, aucune
génération, autant qu’on puisse le vérifier, n’a jamais dénoncé de scandaleuses
erreurs de pondération thématique. Cela signifie tout simplement qu’il n’existe pas
d’attendus incontournables – du moins dans un volume horaire donné.
Si l’on prend la question par l’aval, c’est-à-dire par les domaines de compétence
professionnelle des paysagistes, nous sommes toutefois clairement identifiés sur
deux grands ensembles de savoir-faire que je développerai pour finir. On pourrait
les nommer savoir-lire et savoir-écrire. Mais voyons tout de suite en quoi la ques-
tion des “bases”, classiquement considérées comme prérequises, est en partie une
mauvaise question dans notre contexte.
On pense d’ordinaire, et nous avons longtemps pensé, que l’acquisition par les
paysagistes de compétences professionnelles liées au vivant présuppose un
minimum de culture biologique. Mais notre recrutement large contredisant large-
ment ce schéma, nous en sommes venus à assumer l’idée que notre pari pédago-
gique doit lui aussi s’en détacher.
On a le droit – c’est celui que prend par exemple Gilles Clément – de penser qu’un
paysagiste doit être un bon botaniste et un biologiste correct pour faire du vivant,
dans toute sa complexité, le moteur même de ses réflexions projectuelles. Mais un
tel point de vue, à notre sens, remet en question, à durée d’études constante, le
profil de paysagiste projeteur et généraliste que l’école de Versailles continue à
tenter de former.
Sortir dans la rue ou dans la campagne livre mille exemples d’installations végétales, parfois
riches en espèces, conçues par des créateurs “connaissant” bien les plantes, et qui se révèlent
médiocres quant à l’espace ou aux effets produits, ou peu adaptés au contexte écologique ou gestion-
naire. Symétriquement, nous avons parfois été très heureusement surpris, visitant les réalisations
de nos anciens élèves, d’y trouver la manifestation de réflexions très fines sur l’usage des plantes
ou sur la création d’écosystèmes artificiels aimables et durables. Ce n’est sans doute pas à l’école
qu’ils en avaient acquis tous les mécanismes, mais nous voulons croire que nous avons contribué
à leur en donner le désir ; ce n’est pas si simple qu’il paraît et, en tout cas, ce n’est pas mineur.
Depuis que nous avons abandonné l’enseignement spécifique de la biologie végétale, au profit
d’un développement de la formation à l’utilisation des plantes, on nous reproche chroniquement
son “absence” – formulation excessive de sa réduction-dispersion. Au point que les permanents
corvéables exorcisent parfois cette culpabilisation en dispensant des cours facultatifs, acrobatiques
et matutinaux, de biologie et de botanique au succès variable, mais émouvant. Quand les collègues
insistent, je leur demande de donner du “temps-élève” pour étancher plus officiellement cette soif
de culture biologique. Cela relativise immédiatement les reproches.
• Mais nous somme tenus, également, d’aller sur le terrain des sciences de
l’homme et de la société. Cherchant en effet à cerner, en termes de lecture de l’es-
pace, un champ particulier pour l’écologie, on rencontre la difficulté relevée par
Georges Bertrand45 : il est impossible et vain, dans nos territoires de vieille civili-
sation, de séparer systèmes écologiques et sociaux.
Notre premier devoir est évidemment de bien connaître les apports du département de sciences
humaines, notamment au travers d’enseignements mutualisés comme le diagnostic territorial de
deuxième année et l’option “territoires à l’œuvre” du mémoire de troisième année. Nous devons
pour notre part inviter nos élèves à prendre leurs distances avec l’anthropophobie latente de
l’écologisme militant et à relever partout, au contraire, les traces du génie vernaculaire. Qu’ensuite
on les restaure ou qu’on les transpose, il faut savoir les lire et les dire, car un projet de paysage
digne de ce nom ne peut pas être indifférent à leur empilement. Ces missions de réconciliation
sont réitérées au cours des séminaires itinérants et des voyages, par exemple en forêt ou en haute
montagne, supposées vierges au-delà du raisonnable, mais aussi, tout simplement, à la campagne,
lue comme “œuvre de nature” par nombre de nos jeunes recrues. Nos interfaces avec les ateliers
de projet donnent l’occasion de prêter une attention proprement paysagère aux productions
humaines dont l’écologie a sa lecture propre, souvent négative : modelés anthropiques, agriculture
intensive, végétations rudérales*. Le paysage contemporain se construit souvent dans ces sites
dynamiques : on se doit, pour commencer, de ne pas en occulter les qualités.
Ici les savoirs ne sont pas très établis ; ils sont encore, pour l’essentiel, à consti-
tuer ou, pour le moins, à raviver, rajeunir, accommoder. L’un de nos appuis réside
dans les traités d’art des jardins, que nous avons appris à revisiter pour y puiser,
par-delà les réponses et techniques spécifiques, les attitudes et les quêtes qui
traversent les époques et les styles.
Nous avons commencé à explorer, pour chacun des trois grands dispositifs spatiaux que sont le
couvert, le découvert et la lisière, comment les motifs d’assemblages spatiaux préconisés (et les
conduites associées) servent des intentions : jalonner, border, garnir, guider, montrer, protéger, clore,
abriter, ombrager, produire (du bois, des fruits, du foin…), etc. Le corpus est énorme, et l’on trouve à
chaque plongée de nouveaux éléments d’éclairage. La recherche ferait bien de s’en occuper…
Mais il faut aussi explorer par secteurs les réalisations concrètes issues des
démarches actuelles et passées des paysagistes praticiens.
Des chercheurs46 commencent cette exploration, mais il faudrait aussi susciter des travaux
d’élèves47. Les projets de paysage constituent en effet une documentation très confidentielle, qu’il
faut aller chercher, ou compléter, dans les agences. La recherche, faible en effectifs, aurait avantage
à voir s’accumuler les monographies factuelles, même de qualité disparate.
Apprendre à agir, pour nous, veut dire d’abord tirer un parti optimal des ressources
existantes. C’est dans ce sens que le partage entre analyse et projet est lui aussi
artificiel.
Quand nous aidons les élèves à savoir lire l’espace, ce n’est presque jamais sans les inviter à quali-
fier les dynamiques en route, les enjeux, les évolutions possibles et à s’interroger sur les formes
qu’elles peuvent prendre, c’est-à-dire sur les projets en gestation. Quand, à l’inverse, nous aiguisons
leurs outils de création et de construction, ce n’est presque jamais sans exiger qu’ils disent en
même temps précisément de quoi l’on part et comment on le fait bouger.
Au-delà des apparences, cette attitude est inhérente à l’art des jardins depuis l’ori-
gine, et seule une dérive récente a pu laisser croire à l’autonomie créatrice du projet
de paysage. Voilà pourquoi nous attachons tant de valeur à l’interface pédagogique
entre les ateliers de projet et les champs cognitifs ou les pratiques enseignés par
notre département.
Malgré l’écologisme ambiant, ou peut-être à cause de ses idéaux trop exclusivement
conservateurs, nos sociétés n’ont pas fini de se débarrasser du formalisme en matière
d’aménagement et de gestion de l’espace. A travers les choix techniques que nous ensei-
gnons, notre mission première consiste, sans brider la créativité, à éveiller l’amour de la
transformation complice, de la récupération maligne, de l’installation durable (car rajeu-
nissable), de l’économie d’énergie. L’écologie n’est pas loin… mais le jardinage non plus !
sigles et abréviations
CEPE : Centre d’études phytosociologiques et écologiques (créé en 1961 à Montpellier).
CNERP : Centre national d’étude et de recherche du paysage (Guyancourt, 1972-1978).
DDA(F) : Direction départementale de l’agriculture (et de la forêt).
DEA : diplôme d’études approfondies (ancêtre de l’actuel master 2).
DPLG : diplômé par le gouvernement.
ENESAD : Ecole nationale d’enseignement supérieur agronomique de Dijon.
ENGREF : Ecole nationale du génie rural et des eaux et forêts (Nancy, Paris, Clermont-Ferrand).
ENH : Ecole nationale d’horticulture (devenue ENSH par la suite).
ENSH : Ecole nationale supérieure d’horticulture (Versailles).
ENSP : Ecole nationale supérieure du paysage (Versailles et Marseille).
IH : ingénieur horticole.
INA-PG : Institut national agronomique Paris-Grignon (fondu dans AgroParisTech).
INH : Institut national d’horticulture (aujourd’hui Agrocampus Ouest) d’Angers.
INRA : Institut national de la recherche agronomique.
ITF : ingénieur des travaux forestiers.
ITH : ingénieur des travaux horticoles.
OREAM : Organisation pour les études d’aménagement d’aires métropolitaines (années 1970).
TD : travail dirigé, travaux dirigés.
TP : travail pratique, travaux pratiques.
TPFE : travail personnel de fin d’études (du cycle paysagiste DPLG).
VSNA : volontaire du service national actif.
Au moment de l’élaboration de son projet, le paysagiste a généralement recours Nolwenn Nicolas est paysagiste DPLG
(2007), agrégée en arts appliqués,
à une diversité documentaire s’inscrivant dans différents registres disciplinaires
doctorante à l’école doctorale ABIES.
afin de l’aider à élaborer ses pistes de réflexion1. A cette concentration d’éclai-
rages variés portant sur le site à transformer, et sa démarche projectuelle, le
concepteur associe une pratique de terrain. Nous nous attacherons ici à
page précédente
comprendre les différentes modalités de pratiques projectuelles expérimentées
Bertrand Richard, “La route
par les étudiants paysagistes lors de leurs diplômes à l’Ecole nationale supérieure landaise ou la recherche d’une
esthétique de la sécurité”, mémoire
du paysage de Versailles (ENSP).
de TPFE, ENSP, Versailles, 1989.
Au cœur de la formation du paysagiste, le projet croise des disciplines telles Symbolisation des essences
rencontrées au bord de la route.
que l’écologie, la géographie, les arts plastiques, la technique, la sociologie, etc.,
qui fondent le caractère transdisciplinaire du projet de paysage. En effet, au 1. Cet article est la photographie à un
moment “t” d’une recherche en cours
cours du processus de projet le praticien fait appel à des sources documentaires
portant sur la part prise par la pratique
variées, issues de disciplines dont les méthodes, voire les objets de recherche, du site dans les démarches de projet de
paysage étudiantes et professionnelles.
sont proches du paysage (l’histoire du site, par exemple, au travers de l’étude de
La période abordée se trouve donc
cartes anciennes), mais aussi à des méthodes de terrain (relevés botaniques, limitée du fait de l’inachèvement actuel
de cette étude.
entretiens dirigés avec des habitants…) usitées dans d’autres domaines.
2. “La transdisciplinarité est
La transdisciplinarité2 consiste alors à la traversée de ces disciplines, en utili- complémentaire de l’approche
disciplinaire ; elle fait émerger de la
sant pour certaines d’entre elles leurs méthodes ou modes de représentations, et
confrontation des disciplines de
à la construction d’outils méthodologiques et représentationnels plus spécifiques nouvelles données qui les articulent
entre elles ; et elle nous offre une
aux besoins du paysagiste. Loin d’une déviation ou d’un détournement négli-
nouvelle vision de la nature et de la
geant les apports spécifiques de ces sciences, elle permet tout en s’appuyant sur réalité. La transdisciplinarité ne …/…
199
D’autres mémoires se caractérisent plutôt par le type de site choisi ou projeté. 12. Marion Gilliot, “Techniques de
plantation, formes et structures
Pendant ces dix ans d’école, la préoccupation de bâtir un fond de connaissances
végétales”, mémoire de TPFE, ENSP,
et de savoir-faire communs à l’usage des paysagistes eux-mêmes semble avoir Versailles, 1985.
13. Ibid.
trouvé un certain écho. Bon nombre de propositions sont des arboretums ou des 14
14. Alain Freytet, “Mémoires et
sites d’expérimentation végétale appelés “jardin expérimental15”, “laboratoire à possibles d’un lieu. L’arboretum de
Verrières”, mémoire de TPFE, ENSP,
dominante végétale ”, ou encore “laboratoire de paysage ”.
16 17
Versailles, 1985 ; Véronique Boulard,
Au-delà du choix fonctionnel accordé au site – un lieu dédié aux plantes et à leur “Vers une organisation fonctionnelle
plus moderne du jardin botanique de
mise en scène –, la démarche générale s’appuie sur un inventaire de l’existant le
Palerme”, mémoire de TPFE, ENSP,
plus complet possible, pour ce qui relève tant des essences végétales en présence Versailles, 1986 ; Florence Mercier,
“Vers une organisation fonctionnelle
que de leurs associations, de leurs formes, mais aussi de la nature du sol. On trouve
plus moderne du jardin botanique de
dans ces travaux des listes botaniques organisées selon les unités paysagères Palerme”, mémoire de TPFE, ENSP,
Versailles, 1986.
déterminées, ou encore des cartes de répartition du végétal sur l’ensemble du site . 18
15. Pascale Jacotot, “Devenir de la
Ces sites ont pour fonction de présenter à un public des ambiances végétales ou Combe Valton”, mémoire de TPFE, ENSP,
Versailles, 1986.
des spécimens. L’inscription de l’écologie dans ces travaux a impliqué un position-
16. Isabelle Schmitt, “Pratique
nement tout particulier face au statut du végétal, qui, bien qu’envisagé dans sa paysagères en pays berrichon”, mémoire
de TPFE, ENSP, Versailles, 1986.
dimension plastique (couleurs, textures, associations…), est saisi dans sa dyna-
17. Jean-François Quesson, “Un
mique temporelle, sans distinguer les essences horticoles des essences pionnières laboratoire de paysage”, mémoire de
TPFE, ENSP, Versailles, 1987.
(ce qui serait un jugement de valeur). La plante vaut non pas pour sa rareté, ou sa
18. Abordant plus loin l’écologie
sophistication, mais pour l’effet produit, par son nombre, pour sa relation avec comme filtre d’appréciation du site,
nous ne nous attacherons pas ici à cette
l’existant qui a été relevé précédemment. Les essences spontanées sont valorisées
orientation qui se superpose aux
et par là les dynamiques écologiques. démarches étudiées.
Un des caractères les plus constants des divers ateliers de projet de l’ENSP est le
rôle qu’y tient l’écologie dans la connaissance de “l’existant”. C’est par l’inventaire
et l’observation que l’étudiant prend connaissance du site. Herbiers, listes floris-
tiques, prélèvements de sols, croquis d’ambiances, portraits botaniques, relevés
de structures… : les données collectées résultent d’un regard orienté par des ques-
tionnements d’écologue. Devant quelles qualités de milieux suis-je, quelles sont
les caractéristiques du sol, quelles plantes peuvent s’y installer ? Quelle est la santé
des végétaux en place, quelles sont leurs formes, à quoi sont-elles dues ? Quand le
site a-t-il été bouleversé ?, etc.
Décrivant22 ainsi les lieux, on comprend leur évolution et on peut tester empiri-
quement les premières intuitions de projet. La communication de cette phase dans
20. Dominique Caire, “Les textures
les mémoires de diplômes est malheureusement souvent minimale ou implicite.
végétales”, op. cit.
Du fait de l’effort de synthèse que demande le partage du projet, l’étudiant met de 21. Bruno Gadrat, “Il était une fois le
hêtre, une base de données et un
côté des séquences entières de son processus de réflexion au profit de données ou
paysagiste”, mémoire de TPFE, ENSP,
propositions qui lui paraissent plus formalisées ou objectivées. Les notes du carnet Versailles, 1986.
22. “Souvent en géographie, on oppose
de terrain, les photos nombreuses ou encore les croquis d’intention faits in situ
(et fait se succéder) description et
sont souvent absents. Les listes de végétaux, signe d’expertise, y trouvent en explication, la première étant supposée
plus directe et objective, plus
revanche une place plus grande.
immédiate. Or la description suppose
Le diplôme de Bertrand Richard23 est un exemple de ce type de posture dans le en aval un choix et une catégorisation
de ce que l’on voit, en amont un langage
projet. La communication de l’expérience du site implicitement présentée comme
et des conventions stylistiques ; elle
essentielle au processus de réflexion et de programmation est réduite à des contient déjà de l’explication. Peut-on
décrire un paysage dont on ne
synthèses cartographiques condensant de la manière la plus complète possible
comprend rien ?” Jacques Lévy et
l’inventaire fait in situ. Ces synthèses font l’objet d’une attention toute particu- Michel Lussault, Dictionnaire de la
géographie et de l’espace des sociétés,
lière, elles sont indicatrices d’enjeux quant aux potentialités du site.
op. cit.
Les cartes présentées montrent une notation de l’existant végétal, à des fins 23. Bertrand Richard, “La route landaise
ou la recherche d’une esthétique de la
d’amélioration du paysage de la route pour l’usager qui l’emprunte. Elles ont
sécurité”, mémoire de TPFE, ENSP,
comme principale orientation les conditions de perception de l’automobiliste. Les Versailles, 1989.
L’écologie peut aussi prendre une part active dans le processus de transforma-
24. Martine Renan, “Expérimentations”, tion. La gestion est l’une de ces stratégies. Elle intègre au cœur de la réflexion le
mémoire de TPFE, ENSP, Versailles, 1986.
jardinage ainsi que les méthodes de conduite et d’entretien des végétaux et du
25. “Préverdir, c’est apprendre dès le
début aux différents acteurs à travailler sol. L’échelle d’intervention associée aux qualités du site nécessitent une adap-
ensemble, à comprendre un site, à en
tation des techniques aux usages actuels et futurs, à une certaine économie de
voir se dessiner l’avenir. L’évolution de
la ville ne puise pas alors son moyens, mais aussi à l’identité du lieu. Les formes du projet sont alors déduites
fondement uniquement sur des
d’un va-et-vient entre l’observation du site existant et les actions jardinières,
architectures de chiffres, de besoins, de
programme, de quantités d’espaces, de parfois même forestières, que le paysagiste envisage sur des temps longs.
zonage. Elle s’appuie aussi sur un
Ainsi Martine Renan24 propose-t-elle dans son diplôme une stratégie de gestion, le
projet, que l’on voit grandir et que l’on
peut adapter progressivement dans le préverdissement25, qui anticipe le phasage du projet. Après un inventaire botanique
temps”, Martine Renan, rencontre avec
et édaphique, elle propose de mettre en valeur l’existant, en partie en friche, par le
A. Peter, le 4 octobre 1984, “Planter
avant de bâtir : le préverdissement”. biais d’actions de gestion telles que la taille, l’éclaircie, la sélection de sujets, l’élagage,
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Eco-logics for landscape designs. Autobiography of a When drawing up a project, landscape designers usually
legacy. resort to documents relating to different subjects to help
marc rumelhart them elaborate ways of reflecting. The various lights shed
on the site to be transformed and its project approach are
One had to tell of the unique implemention of an ecology complemented by the conceivers’ “field experience”.
course in Versailles in 1975 to serve landscape project ap- We attempt to understand the various project methods
proaches. The easiest thing was to help landscape designers tested by the graduates of the Ecole nationale supérieure
detect resources and constraints of a territory, without du paysage (ENSP) of Versailles. Once they have graduated,
regarding its perceptive qualities as indescribable. By re- these young landscape designers develop their roles as
ferring to a teaching method tested by the pioneer Jacques conceivers. The manner in which they build these different
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