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Février 2016

RÉTROSPECTIVE
Les secrets
PEINTURE
des mondes CONTEMPORAINE
fantastiques
de JÉRÔME BOSCH
LE GRAND
RETOUR
DE LA
FIGURATION

FRÉDÉRIC LÉGLISE
China girl with flowers,
2013

FESTIVAL D’ANGOULÊME
LES TENDANCES ET
MEILLEURS ALBUMS DE BD

REPORTAGE
DE PÉKIN À SHANGHAI,
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LA NOUVELLE SCÈNE CHINOISE
- LE BON MARCHÉ – 24, RUE DE SÈVRES – PARIS 7 E .
Édito
par
Fabrice Bousteau

L’art, c’est bon pour l’économie


L’économie de la culture et de la création est un moteur majeur de l’économie mondiale : elle représente 3 % du
PIB et près de 30 millions d’emplois ! C’est l’une des conclusions de la première étude sur le sujet, réalisée par le
cabinet d’audit financier EY (Ernst & Young) à l’initiative de l’Unesco et publiée fin décembre 2015. Les industries
créatives et culturelles (ICC) génèrent un chiffre d’affaires de 2 250 milliards de dollars, soit un montant supérieur
à celui des services de télécommunications à l’échelle planétaire. En Europe, aux États-Unis et au Japon, ces sec-
teurs emploient davantage de personnes que l’industrie automobile. La culture est donc non seulement bonne
pour le moral mais aussi essentielle à l’économie. Et les auteurs du rapport d’insister sur la nécessité pour les pou-
voirs publics d’investir fortement dans ces industries créatives et culturelles. À l’instar de la Chine, dont le gou-
vernement a fait de la culture un secteur stratégique dès 2009. En cinq ans, ses subventions ont augmenté de
200 %. L’Italie, elle, a décidé d’affecter un milliard de budget supplémentaire à la sécurité et un autre à la culture.
Cela pour lutter contre le terrorisme : «Ils imaginent la terreur, nous répondons avec la culture», a déclaré le pré-
sident du Conseil Matteo Renzi. On aimerait que la France en fasse autant. Sur les onze secteurs (télévision, arts
visuels, presse, publicité, architecture, édition, spectacle vivant, jeux vidéo, cinéma, musique et radio) qui consti-
tuent les ICC, le premier pourvoyeur d’emploi est très largement celui des arts visuels, et il se place en deuxième
position, après la télévision, en termes de revenus générés ! Les arts visuels loin devant le cinéma, les jeux vidéo, la
musique… c’est là une vraie belle surprise. Autre point d’étonnement : l’Asie représente le marché le plus impor-
tant des ICC, avec 34 % des revenus mondiaux de la culture, 40 % des emplois et la plus grande base de consom-
mateurs. Elle est suivie de peu par l’Europe (32 % et 25 %) et l’Amérique du Nord (28 % et 15 %). Cette dernière
souffrant, selon les auteurs du rapport, d’une forte baisse des subventions publiques au point de mettre le secteur
en difficulté. Elle demeure cependant la région du monde où l’on trouve le plus de créateurs tous domaines confon-
dus, ainsi qu’un réseau unique d’équipements culturels, d’universités, etc. Le top 5 des villes réunissant un nombre
record de «créatifs» (artistes, auteurs, designers…) est également riche d’enseignements : New York est numéro 1,
suivi de Londres, Paris, San Francisco et Singapour. En troisième position du fait de son patrimoine culturel et de
sa créativité en matière de technologies, Paris est pénalisé par le manque d’encouragement public en faveur des
initiatives privées, soulignent les auteurs de l’étude. Un rapport qui montre combien la classe politique française,
de droite comme de gauche, est totalement déconnectée du secteur culturel. Et surtout comment, en le négli-
geant par des politiques culturelles insipides et «paillettes», elle risque de rater des opportunités majeures en termes
d’emplois et de croissance pour notre pays. Comme le prouve cette étude, la culture est un enjeu au moins aussi
important que l’industrie automobile. Ce qui réclame qu’elle occupe une place centrale dans les réflexions, les
discours et les engagements des hommes et femmes politiques. Refondre et dynamiser notre politique culturelle
et nos industries créatives doit être au cœur de notre projet de société.

Beaux Arts 3
DAIDO TOKYO
6 février › 5 juin 2016

261 boulevard Raspail 75014 Paris / #FondationCartier #DaidoMoriyama / fondation.cartier.com


Sommaire N° 380 rfévrier 2016

Le journal Le magazine Le guide


6 Vur"SSËUTVSJNBHFT 46En couverture 121 Musées & centres d’art
12 Ils font l’actu SEXY ET SANS COMPLEXES : 122 -FTJOGPTÆSFUFOJS
-BVSFOU(SBTTPTFGBJUVOFQMBDFBVTPMFJM 123 ©2VJNQFS VODFOUSFEBSU
14 L’essentiel de l’actualité en France LA PEINTURE FIGURATIVE DPOUSFWFOUTFUNBSÊFT
$IBNCPSEUSJORVFGBDFÆ,SPOFOCPVSH AUJOURD’HUI 124 -FTFYQPTJUJPOTJODPOUPVSOBCMFT
16 2VFMBWFOJSQPVSMÏMFEFMB$JUÊ 
128 Galeries
18 Sur la planète 62 Édition d’art -FT FYQPTJUJPOTÆOFQBTNBORVFS
©MBEÊDPVWFSUFEVOIFSCJFSDPTNJRVF
20 6OFHVFSSFTVSMFUFSSBJOEVQBUSJNPJOF 130 Week-end arty
68 Rétrospective au Palais de Tokyo /PVWFMMFWBHVFÆ4BO4FCBTUJÃO
22 Hommage +FBO.JDIFM"MCFSPMBj6OBSUJTUFEPVÊ 
&MMTXPSUI,FMMZ  DFTUVOBSUJTUFRVJGBJUEPOv 132 Marché
MBEJFVÆVONJOJNBMJTUFMVNJOFVY -FTWFOUFTEVNPJT
74 Événement aux Pays-Bas
26 Architecture 'BOUBTUJRVFFUEÊQSBWÊ MFNPOEF 133 4BMPOT
7JTJPOTEBOUJDJQBUJPO TFMPO+ÊSÔNF#PTDI 134 Calendrier des expositions
28 1JOBVMUDSÊFEFTOJETQPVSBSUJTUFT 86 Reportage à Pékin et Shanghai 138 Les Aventures de l’art de Willem
30 Design -BSUQMBOBOUFUUVSCVMFOU
-FTQFSMFTGPOUGFVEFUPVUCPJT EFMB$IJOFDPOUFNQPSBJOF
32 CinéArt 98 Festival d’Angoulême
(VZ3JCFT NBÏUSFGBVTTBJSF -FOPVWFMÄHFEPSEFMBCBOEFEFTTJOÊF
34 Livres 108 Exposition au musée du quai Branly
1SPGFTTFVS/JNCVT $FTPCKFUTUFMMFNFOUIVNBJOT
36 -FTQFJOUSFTSPJTEVTVTQFOTF 114 Rétrospective à New York
'JTDIMJ8FJTT BSUJTUFT
38 Philo
EFTQFUJUTSJFOTFUEVHSBOEUPVU En couverture
2VJBDIBVEBV2* 
FRÉDÉRIC LÉGLISE China girl with flowers
40 Télévision, radio 
Plus que jamais figurative : telle est aujourd’hui la peinture,
#FUUJOB3IFJNTGBDFDBNÊSB comme le démontre notre dossier spécial, dédié à une
42 Revue de web  génération d’artistes qui en a fait son credo. Comme ici
Fa si la DMJRVFS avec Frédéric Léglise (né en 1972) et ses modèles
toujours sensuels, se détachant sur des fonds monochromes,
44 La chronique de Nicolas Bourriaud dépourvus du moindre élément superflu.
$POUSFMFTJEÊPMPHJFT[PNCJFT  IVJMFFUGFVJMMFEBMVNJOJVNTVSUPJMF YDN

Beaux Arts 5
Vu par
Charlotte Ullmann

JEAN-FRANÇOIS MILLET Les Glaneuses, 1857


ARTHUR COULET Gluten Free Museum, d’après Jean-François Millet, 2015
glutenimage.tumblr.com

Un monde sans gluten?


Cachez cette miche que je ne saurais voir ! Photoshopez Picasso prétend que ses doigts sont des pains au lait, il
ce vieux croûton, ma mie ! Arthur Coulet, jeune graphiste et tond le champ de blé des Glaneuses de Millet pour ne lais-
professeur d’arts appliqués de 26 ans, a mené ce travail à ser apparaître que de l’herbe verte, et il allège les natures
la baguette ! À l’heure où l’on reproche beaucoup de choses mortes de Cézanne de leur pain. Un bon pied de nez aux
au diabolique gluten, l’artiste a choisi de s’en amuser en diktats culinaires et l’occasion de regarder des chefs-
supprimant le coupable présumé de tous nos maux d’esto- d’œuvre que l’on pensait connaître par cœur sous un nou-
mac des œuvres les plus connues de l’histoire de l’art. Il vel aspect grâce à une étonnante exposition virtuelle dont
dépouille ainsi la photographie de Robert Doisneau où on ne perdra pas une miette…

6 Beaux Arts
Vu par
Natacha Nataf

OKUDA Kaos Temple, 2015


http://churchbrigade.wix.com/iglesia

La Sixtine du street art


Entrez dans le Saint des Saints de l’art urbain ! La chapelle de chef-d’œuvre en sept jours. Par la grâce de sponsors, d’une
tous les miracles ! Construite en 1902 pour les travailleurs campagne de crowdfunding et d’excellents assistants, l’édifice,
d’une fabrique d’explosifs fermée juste après la guerre civile entièrement rénové, a ressuscité dans un style cosmique néo-
espagnole, l’église Santa Bárbara de Llanera, dans les Asturies, psychédélique. Sous le souffle duquel les vitraux ont volé en
a été sauvée de l’abandon par le collectif Church Brigade. éclats tout autour de la divine rampe et jusqu’au plafond : happé
D’abord reconvertie en skatepark en 2007, elle vient de par le Très-Haut, le regard peut alors glisser en tous sens d’une
connaître une seconde renaissance sous les bombes d’Óscar vision vertigineuse à l’autre. Normal : ici, pèlerins et paroissiens
San Miguel, alias Okuda. Seigneur du street art, il a réalisé son sont simplement priés de décoller du sol… and spray !

Beaux Arts 7
Vu par
Marie Darrieussecq

Vue de la statue colossale de Mao en construction dans la campagne proche du village de Zhushigang, dans la province du Henan (Chine), janvier 2016.

Le Mao d’or
Vous trouvez qu’il est ressemblant, vous ? C’est Mao. Trente- civile (755-763) de l’époque Tang, qui réduisit la population
sept mètres de haut, doré, sur les champs mornes. Un des chinoise de moitié, le poète Wei Zhuang écrivait son chef-
plus grands assassins de masse que la Terre ait porté. En d’œuvre, la Ballade de la dame de Qin, excellemment traduit
2015, des entrepreneurs du Hunan lui ont bâti cette statue par André Markowicz : «Les champs abandonnés et les jardins
pour un coût de 400 000 € – et elle a aussi sec été à moitié sont envahis de ronces et de chiendent. Les arbres, les bam-
détruite, mystérieusement. Le Hunan, où Mao est né en 1893, bous sont abattus, ils pourrissent, ils gisent pêle-mêle. Sur le
est une des régions les plus pauvres de Chine. La famine des bord de la route, on voit un temple du Dieu doré – je me tourne
années 1950 y a été particulièrement cruelle. Après la guerre vers lui. Le Dieu doré n’a pas voulu me répondre.»

8 Beaux Arts
Ils font l’actu par Judicaël Lavrador

LAURENT
GRASSO
SE FAIT
UNE PLACE
AU SOLEIL
LAURENT GRASSO SolarWind, 2015

Avec SolarWind, installation qui traduit en temps réel l’activité électromagnétique du Soleil, Laurent Grasso signe, en bord
de périphérique, ce qui s’annonce comme la plus importante œuvre en commande publique à l’échelle du Grand Paris.
cette heure de pointe, le trafic est inin- spatiales, est ensuite transmise à SolarWind qui 1989 au Canada où tous les appareils électriques
À terrompu sur le périphérique parisien.
Mais ce soir de janvier, le ballet des automobiles
à son tour la traduit en rayonnements élec-
triques et chromatiques. L’œuvre est donc un
étaient tombés en panne. Elle joue sur nos
peurs contemporaines en créant une tension
est accompagné du flux et du reflux d’un éclai- soleil double qui brille en pleine nuit, s’ancrant autour de l’inconnu liée aux vents solaires et de
rage projeté au moyen de rampes de LED tapies ainsi dans les obsessions de Laurent Grasso pour leurs possibles effets sur la Terre». Peur sur la
au sol sur les parois ventrues d’un double silo à les phénomènes cosmiques et leurs mystères, ville ? Cette menace sourde n’est bien sûr qu’à
béton construit par VIB Architecture. Par pour leurs impacts réels ou supposés sur la vie peine saisissable dans la partition lumineuse
vaguelettes, l’édifice de 40 mètres de haut et 20 terrestre. En 2014, dans un film, l’artiste faisait qui se joue sur les deux silos. Le dispositif se
de diamètre se teinte de rouge, de jaune, de vert, se lever simultanément deux soleils dans le ciel fond dans l’éclairage urbain, même si ses ondu-
d’une palette chromatique infiniment nuancée. du quartier romain de l’EUR, haut lieu de l’archi- lations sont plus enveloppantes, plus soyeuses
L’œuvre, commandée à Laurent Grasso par la tecture mussolinienne, donnant ainsi forme à et recherchées, ce qui les rapproche «des phé-
mairie du XIIIe arrondissement, les Ciments certaines croyances et à Némésis, double hypo- nomènes d’aurores boréales», comme le
Calcia et la société d’économie mixte d’aména- thétique de l’astre solaire, tapi dans son orbite. constate l’historien de l’art Sébastien Pluot.
gement de Paris, en charge de l’aménagement Laurent Grasso se réjouit de ce que la portée
de la ZAC Paris Rive Gauche encore en plein UNE ŒUVRE PROCHE DES AURORES BORÉALES de cette œuvre dans l’espace public ne sera pas
chantier, est vouée à rester pérenne au moins dix En pleine ville cette fois, l’artiste entretient de immédiatement mesurée par ses spectateurs.
ans. Et à ne jamais arborer les mêmes teintes. même, sinon alimente, les mystères que la Qui pourrait bien y reconnaître les caprices du
Les pulsations lumineuses de cette installation science cherche à percer et les menaces qu’elle rayonnement solaire ? Mais cette réception dis-
intitulée SolarWind, irrégulières tant dans leur veut lever. Celles donc que fait peser un Soleil traite et partielle de SolarWind livre elle-même
intensité que dans leur rythme, lui sont en effet traversé par des tempêtes et des éruptions si un écho de notre manière incomplète, presque
dictées par celles du Soleil et de son activité violentes qu’on a déjà pu en mesurer les consé- aveugle, de percevoir l’Univers. Il faudra sans
électromagnétique. Celle-ci, enregistrée et ana- quences en certains endroits du globe. De son doute bien dix ans avant que le pitch de l’œuvre
lysée par l’Observatoire de l’espace, le labora- œuvre, il dit alors qu’elle «évoque les orages ne se répande comme une traînée de poussières
toire arts-sciences du Centre national d’études magnétiques qui ont provoqué le black-out en solaires et ne soit connu de tous.

12 Beaux Arts
L’essentiel France pages réalisées par Françoise-Aline Blain

Up
FRÉDÉRIC BONNAUD
Le journaliste de 48 ans, directeur
de la rédaction des Inrocks
depuis 2013, prend la direction
de la Cinémathèque française.
Il succède à Serge Toubiana. Il avait
commencé sa carrière comme
assistant de programmation cinéma
au Jeu de paume, à Paris.

FRANCIS BRIEST
Avec la création de l’Agence Artcurial
Culture, la maison de ventes
de la famille Dassault se diversifie
sous la houlette du président de son
conseil de surveillance. Sa mission :
organiser des expositions clé en main
dont la première, itinérante, portera
sur l’histoire de l’Orient-Express.

SYLVAIN AMIC
Huit musées, 150 employés,
er un million d’objets, un budget
Le château construit par François I a servi de décor à une publicité pour la bière 1664, propriété des Brasseries Kronenbourg.
annuel de 10 M€… Le directeur
des musées de Rouen prend
CHAMBORD TRINQUE la tête du pôle muséal
de Métropole Rouen Normandie

FACE À KRONENBOURG pour une mutualisation


des compétences et des moyens.

251 160 € : c’est ce que réclamait le domaine national de Chambord aux Brasseries
PIERRE-ALEXIS DUMAS
Kronenbourg, pour avoir utilisé l’image du château sans son autorisation, en 2010, dans le
Le directeur artistique d’Hermès
cadre d’une publicité. La cour administrative d’appel de Nantes a rejeté la requête, confir- International et président
mant un jugement rendu en 2012 par le tribunal administratif d’Orléans. La cour a considéré de la fondation d’entreprise
que le domaine ne pouvait réclamer cette redevance, la réalisation des prises de vue n’ayant Hermès succède à Bruno
à aucun moment privé le public de la contemplation du château. Cependant, elle a estimé Roger à la présidence des Arts
que l’immeuble appartenant au domaine public, une autorisation préalable, assortie de pos- décoratifs. Il avait rejoint
sibles conditions financières, était requise. Un recours devant le Conseil d’État a été lancé. le conseil d’administration
du musée parisien en 2006.

OLIVIER MICHELON
UN NOUVEAU MOIS DE LA PHOTO Directeur des Abattoirs de Toulouse
Nouveau nom, nouvelle date, nouvelle formule : le Mois de la photo se métamorphose. Le festival fondé et du Frac Midi-Pyrénées depuis
en 1980 par Henry Chapier et Jean-Luc Monterosso devient ainsi le «Mois de la photo du Grand Paris». 2012, après six années passées à
L’édition qui devait se dérouler en novembre est repoussée au printemps 2017. Exit également la tête du musée d’art contemporain
les thématiques. Quant aux expositions et autres événements, ils seront moins nombreux. À la tête de Rochechouart, il cède aux sirènes
de cette nouvelle mouture, François Hébel, l’ancien directeur artistique des Rencontres d’Arles. du privé et rejoindra en mars
la fondation Louis Vuitton en tant
que conservateur en chef.
LE 1 % ARTISTIQUE SE PRIVATISE
Bouygues, Eiffage, Vinci, Accor... Treize grands promoteurs et constructeurs immobiliers ont signé, RÉGINE HATCHONDO
le 16 décembre dernier, la charte «1 immeuble, 1 œuvre» avec le ministère de la Culture, dans laquelle La conseillère Culture et Médias
ils s’engagent à commander ou acquérir une œuvre d’art contemporain auprès d’un artiste pour tout du Premier ministre Manuel Valls,
programme d’immeuble à construire ou à rénover. Le projet s’inspire du 1 % artistique qui impose aux ancienne directrice des Affaires
maîtres d’ouvrage publics de consacrer 1 % du coût d’une construction à la commande ou à l’acquisition culturelles de la Ville de Paris, rejoint
d’une œuvre. Environ un millier d’œuvres pourraient être ainsi installées chaque année. Un comité le ministère de la Culture et de
stratégique – constitué notamment du président du Palais de Tokyo, Jean de Loisy, de l’artiste Fabrice Hyber la Communication comme directrice
et la galeriste Marion Papillon – sera chargé de délivrer un label. Les premiers projets retenus feront générale de la création artistique,
l’objet d’une exposition au Palais de Tokyo début 2017. À cette occasion, trois prix seront remis. nommée à la place de Michel Orier.

14 Beaux Arts
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Faire de la culture votre voyage

IMMATRICULATION N° : IM075110169
L’essentiel France
LE CHIFFRE
2,2 millions C’est le nombre
de visiteurs accueillis par Mons 2015, capitale
européenne de la culture. Une belle réussite
pour cette ville belge de 93 000 habitants mais
très loin cependant des 8 millions enregistrés
par Marseille-Provence 2013.

DISPARITIONS DE JEAN-LUC
VILMOUTH ET ALAIN JOUFFROY
Il aura été un «passeur», un «révélateur» pour toute
une génération d’artistes, de Dominique
Gonzalez-Foerster à Pierre Joseph en passant par
Philippe Parreno. Jean-Luc Vilmouth est mort
dans son sommeil le 18 décembre à Taipei.
Il avait 63 ans. Sculpteur, vidéaste, performeur mais
aussi professeur aux Beaux-Arts de Paris
depuis 1997 et directeur des études depuis 2014,
il était l’une des grandes figures de la scène
artistique des années 1980-1990.
Le 20 décembre, c’était au tour du poète surréaliste
Alain Jouffroy, ami d’Aragon, de nous quitter
à l’âge de 87 ans. Romancier, essayiste, critique
d’art, directeur de revue, Alain Jouffroy avait
été récompensé par le prix Goncourt de la poésie
en 2007 pour l’ensemble de son œuvre.

QUEL AVENIR
POUR L’ÎLE DE LA CITÉ ?
C’est le plus vieux quartier parisien. L’île de la Cité regroupe des sites touristiques incon-
Jean-Luc Vilmouth Alain Jouffroy
tournables tels que la cathédrale Notre-Dame ou la Sainte-Chapelle et des institutions
publiques comme la préfecture de police et le Palais de justice. Pour préparer au mieux
son avenir, et alors que le Palais de justice sera en grande partie transféré aux Batignolles,
l’État lance une mission d’orientation. Un travail confié à l’architecte Dominique Perrault, IL A DIT…
auteur de la Bibliothèque nationale de France, et au président du Centre des monuments «Le musée est une forme usée, non pas une
nationaux, Philippe Bélaval. Principal défi : «Concilier mise en valeur du patrimoine, inté- forme morte ou terminée, mais qui connaît
gration économique et accueil des touristes.» Suggestions attendues en septembre. une usure, fragilisée notamment par la
rupture anthropologique en cours et l’illusion
numérique à l’œuvre. Le musée, c’est
AFFAIRE DES FAUX MAX ERNST : WERNER SPIES INNOCENTÉ le conservatoire des choses mêmes, ce qui est
en train de s’évanouir de notre champ
Werner Spies, l’ancien directeur du musée national d’Art moderne à Paris et grand spécialiste de l’œuvre
de conscience. Peut-être un jour faudra-t-il
de Max Ernst, a été disculpé par la cour d’appel de Versailles. En 2013, le TGI de Nanterre avait
condamné l’historien de l’art – et le galeriste français Jacques de la Béraudière – à rembourser la somme
fermer les portes et conserver la poussière
de 652 833 € à Louis Reijtenbagh, propriétaire de la compagnie Monte Carlo Art. Ce dernier s’était porté
tellement il sera précieux de se souvenir».
acquéreur de Tremblement de terre, un faux Max Ernst exécuté par Wolfgang Beltracchi et que Spies avait Christian Bernard, fondateur du Mamco
inclus dans le catalogue raisonné de l’artiste. Cette décision de la cour d’appel préserve le travail de Genève, à l’heure de son départ à la retraite
(les Inrocks, 6 janvier 2016)
des experts et historiens agissant en dehors de la perspective d’une vente. Depuis 1966, Werner Spies
a répertorié environ 6 000 œuvres d’Ernst et ne s’est trompé que dans sept cas, selon le journal le Monde.

16 Beaux Arts
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Sur la planète par Françoise-Aline Blain

SUISSE
PAYS-BAS
À LAUSANNE,
LE RIJKSMUSEUM TROIS MUSÉES EN UN
RÉVISE SES TITRES
Les travaux vont enfin pouvoir commencer…
Dorénavant la Jeune Femme nègre Le 24 décembre, l’ultime recours déposé
de Simon Willem Maris s’appelle Jeune par des riverains pour stopper la mise en route
Femme à l’éventail. «Sauvage», «exotique», du chantier du pôle muséal dans le quartier
«maure», «mahométan», «nain»… 23 termes de la gare de Lausanne a été rejeté par la justice.
jugés offensants et discriminatoires ont été Le projet doit permettre de regrouper trois musées
retirés des cartels de certains tableaux par sur le site des anciennes halles aux locomotives.
le Rijksmuseum d’Amsterdam. Une première Les architectes portugais Manuel & Francisco
pour un musée européen. La mesure Aires Mateus ont conçu un bâtiment unique reliant
ne fait cependant pas l’unanimité chez le musée de la Photographie et le musée
les professionnels, les titres pouvant être de Design et d’Arts appliqués contemporains.
révélateurs d’une époque. «Nous ne Pour le musée cantonal des Beaux-Arts, c’est
cherchons pas à changer l’histoire», justifie le projet des architectes espagnols Barozzi
Martine Gosselink, responsable du projet. & Veiga qui a été retenu.
Sur le cartel, le titre original apparaîtra
ainsi sous le nouvel intitulé.
LE BERNIN L’Extase de sainte Thérèse,
1647-1652 [détail]

ITALIE
THÉRÈSE PLUS EXTATIQUE
QUE JAMAIS
Elle avait pourtant été restaurée il y a
vingt ans. Recouverte d’une fine couche
de résine et de fumée noire, l’Extase
de sainte Thérèse du Bernin faisait peine
à voir. La sculpture de marbre blanc, réalisée
en 1652 pour le cardinal Federico Cornaro,
a retrouvé tout son éclat dans l’église
Santa Maria della Vittoria, à Rome, après
six mois de restauration.

INDE
HEMA UPADHYAY VICTIME
MONTÉNÉGRO
D’UN CRIME SORDIDE
UN MUSÉE Elle avait exposé en France, au Centre Pompidou et au MAC
100 % FÉMININ de Lyon… L’artiste indienne Hema Upadhyay (43 ans), connue
pour son travail sur les bidonvilles, a été assassinée avec
«Pour les femmes, par
son avocat, Harsh Bhambani. Quatre hommes ont avoué être
SIMON WILLEM MARIS les femmes, à propos
Jeune Femme à l’éventail, 1895-1922 les auteurs de ce double meurtre. Les raisons d’un tel drame ?
des femmes.» L’artiste
Hema Upadhyay n’aurait pas payé un artisan qui avait fait
Maria Alyokhina, membre
un moulage en bronze de l’une de ses sculptures. Mais,
du collectif des Pussy Riot,
selon le frère de la plasticienne, c’est l’ancien mari de celle-ci,
JAMAÏQUE associée à Marat Guelman,
l’artiste Chintan Upadhyay, qui en serait le commanditaire.
marchand d’art et activiste
KINGSTON AURA SON russe, vient d’annoncer
PREMIER CENTRE D’ART l’ouverture prochaine
du New Balkan Women’s
Son ambition est d’être le premier espace dédié à Museum au Monténégro.
l’art caribéen contemporain et aux artistes nés dans Un musée 100 % féminin
les Caraïbes. Space a ouvert ses portes à Kingston donc, des artistes aux
dans l’ancienne maison du réalisateur jamaïcain commissaires d’exposition.
Perry Henzell, rénové par l’architecte star britannique Depuis 2007, la proportion
David Adjaye. Le lieu accueillera deux expositions d’expositions consacrées
par an, dont la première est une rétrospective à des artistes femmes
Jean-Michel Basquiat. À l’origine de cette initiative, est de 29 % au Whitney
Rachael Barrett, une «art advisor» de 33 ans, Museum (New York),
qui souhaite ouvrir cinq ou six centres similaires de 25 % à la Tate Modern
dans les Caraïbes. Prochaine étape : Trinidad. (Londres) et de 16 % Hema Upadhyay devant son installation Think Left, Think Right, Think Low,
Think Tight en 2011 à l’exposition «Paris-Delhi-Bombay...» au Centre Pompidou.
www.spacecaribbean.com au Centre Pompidou…

18 Beaux Arts
UN PROGRAMME 10.02 AU
100% BRÉSILIEN 25.09.2016
olympic.org/musee

Partenaire officiel du Musée Olympique :


b
Sur la planète par Françoise-Aline Blain

UNE GUERRE
SUR LE
TERRAIN DU
PATRIMOINE
En quelques années, le Proche-
Orient a perdu les fleurons de son
patrimoine, victime des guerres
et du vandalisme en Syrie, en Irak
ou au Yémen. La communauté
internationale peut-elle y faire
Le site de Palmyre (Syrie), datant des Ier et IIe siècle de notre ère et inscrit au patrimoine mondial
faire face ? Éléments de réponse. de l’Unesco, a été partiellement détruit par Daech en août dernier.

n croit rêver ! Palmyre en plein Trafalgar ger le patrimoine de l’humanité, d’après un rap- des musées (Icom) continue de publier ses
O Square à Londres ! En avril prochain, au
cœur de la capitale britannique (mais aussi à
port remis par le directeur du musée du Louvre,
Jean-Luc Martinez. Parmi les 50 propositions
«listes rouges d’urgence» des biens et objets
culturels en péril, diffusées notamment aux
New York sur Times Square), on pourra décou- françaises, on peut retenir la création de refuges douanes et à Interpol. La dernière en date,
vrir l’arche du temple de Bêl, détruit en août par pour les œuvres de pays en conflit (sorte de dévoilée le 15 décembre, concerne la Libye et
Daech, reproduite grandeur nature grâce à la droit d’asile pour le patrimoine) ; la mise en énumère cinq catégories d’objets, couvrant une
technologie de l’impression 3D. D’autres place d’un fonds de dotation afin de sauvegarder période allant du Ve millénaire avant J.-C. au
reconstitutions seront installées à travers le le patrimoine et/ou de le reconstruire plus tard ; XVIe siècle de notre ère. Dans le même temps,
monde dans des musées et autres lieux publics. l’accueil d’archéologues irakiens ou syriens au des opérations de numérisation des archives
Ce projet, à l’initiative de l’Institut britannique sein notamment de l’Institut national du patri- archéologiques sont menées à l’échelle interna-
d’archéologie numérique (IDA), est le fruit moine ; la création d’une plateforme collabora- tionale. De son côté, l’Assemblée générale des
d’une collaboration entre les universités tive européenne pour collecter les données Nations unies adoptait le 9 décembre une réso-
d’Oxford (Royaume-Uni), de Harvard (États- numérisées des sites menacés ou la constitution lution à l’initiative de la Grèce nommée «Retour
Unis) et du musée du Futur de Dubaï (Émirats d’une liste noire des «paradis du recel». ou restitution de biens culturels à leur pays d’ori-
arabes unis). Il fait partie d’un vaste programme gine», qui renforce les efforts visant à protéger
de préservation numérique du patrimoine bap- LE MARCHÉ ILLÉGAL, UNE ARME DE DAECH le patrimoine culturel. Elle condamne la des-
tisé Million Image Database Project. L’idée ? Le commerce des «antiquités du sang» serait en truction de monuments du patrimoine culturel
Prendre des clichés de monuments menacés de effet devenu une précieuse arme de guerre pour mondial dans les zones de conflit armé, y com-
destruction et les charger dans une base de don- le groupe État islamique. Il représenterait 15 % pris les territoires occupés, ainsi que le com-
nées où ils pourront ainsi être préservés virtuel- à 20 % de ses ressources (soit entre 6 et 8 mil- merce illicite de biens culturels par de groupes
lement. Pour ce faire, l’IDA, en partenariat avec liards de dollars, d’après la CIA). Selon certains terroristes armés tels que Daech. Il était temps.
l’Unesco, va distribuer des caméras 3D à des observateurs, les djihadistes disposeraient sur
volontaires. Ce travail de collecte est, d’après le place de leurs propres archéologues pour diriger > Plus d’infos sur redlist.icom.museum et dans le guide
de l’Icom Countering Illicit Traffic in Cultural Goods.
directeur de l’Institut, Roger Michel, cité par le les fouilles et seraient équipés d’outils d’extrac-
Times, «un acte politique, un appel à l’action tion sophistiqués. Face à l’afflux d’objets archéo-
pour attirer l’attention sur ce qui se passe en logiques volés sur le marché, il était temps de À LIRE
Syrie, en Irak et maintenant en Libye. Nous leur réagir. Afin d’assécher le marché illégal, l’État Un formidable récit sur ce qu’a
disons que s’ils détruisent quelque chose, nous français milite pour l’adoption d’une déontolo- été cette riche cité du désert,
aujourd’hui meurtrie, par l’un
le reconstruirons.» Face aux destructions, la gie plus contraignante et pourrait enfin, après
des plus grands spécialistes
riposte s’organise. Le 17 novembre dernier, quinze ans d’atermoiements, ratifier la conven- de l’Antiquité gréco-romaine.
François Hollande dévoilait ainsi, dans l’en- tion Unidroit (1995) de l’Unesco qui établit que
Palmyre – L’irremplaçable trésor
ceinte de l’Unesco, quelques jours seulement «le possesseur d’un bien culturel volé doit le res- par Paul Veyne
après les attentats de Paris, un plan pour proté- tituer». Pour l’heure, le Conseil international ÊE"MCJO.JDIFMrQr é

20 Beaux Arts
Hommage par Judicaël Lavrador

Ellsworth Kelly devant Sculpture for a Large Wall au MoMA, 1957. Spectrum, 1953

ELLSWORTH KELLY
L’ADIEU À UN MINIMALISTE LUMINEUX
L’immense peintre et sculpteur américain est mort fin décembre à 92 ans. Chantre de la couleur, il privilégia l’émotion
pure, loin des dogmes de l’abstraction. Portrait d’un artiste qui toujours chercha «la liberté dans la ligne».
’est grâce à une bourse d’ancien combattant Dans les années 1960, de retour aux États-Unis, bords, ses divagations qui l’emmènent bien
C que le grand Ellsworth Kelly a pu étudier,
dès 1946, à l’école des Beaux-Arts de Boston. À
il affûte son abstraction, qui sera bientôt quali-
fiée d’«already made», soit une abstraction déjà
plus loin, vers l’espace alentour, le mur blanc, la
salle d’exposition, l’architecture environnante.
18 ans, Kelly avait en effet été mobilisé et envoyé faite ou déjà là. En effet, les formes, qui s’étalent Ses polygones jaunes, rouges, orange, des car-
en Europe dans un bataillon de camouflage des sur ses toiles en pans monochromes, lui sont rés aux bords courbes, des triangles qui
engins militaires. En 1948, il s’installe à Paris et y dictées par celles qui existent dans le monde évoquent des voiles ou des ailes d’avion
rencontre la faune artistique cosmopolite de réel, et dont il saisit une bribe. Une telle semblent flotter dans l’espace vide, donnant
l’époque, de Picasso à Arp, de John Cage à Merce méthode vaut à sa peinture une place à part dans moins une leçon de géométrie minimale qu’une
Cunningham. Ses premières peintures naissent les catégories artistiques, à la croisée de la figu- initiation au vol en apesanteur. Dit autrement,
de l’observation du paysage, des façades d’im- ration et de l’abstraction. «Mes peintures ne sa peinture n’a guère été hantée par le démon
meubles, des fenêtres du musée d’Art moderne représentent pas des objets, expliqua l’artiste en de la théorie qui s’est emparé de quelques-uns
et de la Seine, mais le motif ou le paysage dépeints 1966. Elles sont elles-mêmes des objets et des de ses compatriotes dans les années 1960. Ell-
demeurent schématiques : ce sont les lignes et les perceptions fragmentées des choses.» sworth Kelly a d’ailleurs toujours plutôt entre-
couleurs que retient Ellsworth Kelly. Peu de tenu des affinités avec des artistes du passé,
choses en définitive, surtout pas de complication LE SPECTRE D’INGRES ET DE MATISSE Matisse notamment, mais aussi Ingres. Sous le
dans la composition, et encore moins d’expres- D’ailleurs, elles vont vite prendre un certain commissariat d’Éric de Chassey, il confrontait
sionnisme lyrique : il s’agit de privilégier l’impact volume, du relief et des courbes quand elles éti- ainsi ses toiles avec des dessins de l’artiste néo-
des couleurs et leur net ordonnancement. À reront leur format à celui, irrégulier, du shaped classique dans une exposition à la Villa Médi-
l’image de Spectrum [ill. ci-dessus], une toile de canvas, soit du châssis mis en forme. Avec plus cis, en 2010, montrant les portraits de ses
1953 aux bandes verticales serrées qui fait vibrer de retenue qu’un Frank Stella, autre pionnier proches réalisés depuis les années 1940, mais
une palette arc-en-ciel, première d’une série dont du genre, Kelly va en effet adapter la forme de jamais révélés au public. Pas même lors de sa
l’ultime œuvre a été installée de manière perma- la toile à celle du motif. Lequel ne se plie donc dernière exposition d’envergure en France, au
nente en 2014 à la fondation Louis Vuitton. plus à un cadre régulier, mais lui dicte sa loi, ses Jeu de paume. C’était en 1992.

22 Beaux Arts
Amos Zelikson
Architecture par Céline Saraiva

UN QUARTIER-FILET SUR PILOTIS


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"/"-5&3/"5*7&$0"45"-%&7&-01.&/5
1SJY"SDIJUFDUVSFFUQSPCMÊNBUJRVF
EFMBNPOUÊFEVOJWFBVEFTPDÊBOT
130+&5-"63­"5r(BCSJFM.VÒP[.PSFOP
&TQBHOF
La montée rapide du niveau des eaux, principale
conséquence du réchauffement climatique, rend les villes
côtières (ici Hangzhou, en Chine) vulnérables aux
inondations. Face à ce péril et à l’altération des écosystèmes
causée par l’étalement urbain, le projet «Re-Generator»
propose un modèle d’habitation alternatif. Pensé comme
une mégastructure surélevée en zone humide, celui-ci
se compose de «cellules» connectées les unes aux autres,
formant un filet mais aussi un filtre autosuffisant de
recyclage des déchets. Extensible, bien sûr, selon les besoins.

VISIONS D’ANTICIPATION
Chaque année, le concours international de la fondation Jacques Rougerie-Génération Espace Mer récompense de jeunes
architectes. Leurs projets ne sont pas seulement fous. Ils sont aussi à l’avant-garde de nos rêves et de l’écologie. On adore.

STATION-SERVICE BIO Construite sur une digue, cette plateforme portuaire en forme de vague géante utilise
les ressources de la mer de façon respectueuse. Station génératrice et distributrice d’un bio-fioul
3&4063$&r45"5*0/%&130%6$5*0/ produit à partir de micro-algues, «Re-Source» permet non seulement d’approvisionner
&5%&%*453*#65*0/%&#*0'*06- les bateaux mais elle offre encore plusieurs niveaux d’équipements conçus pour la recherche
1SJY*OOPWBUJPOFUBSDIJUFDUVSFQPVSMBNFS et le tourisme écologique. Outre un centre universitaire et des bassins d’expérimentation
130+&5-"63­"5r­RVJQF : voués à assainir l’eau alentour, la présence d’un centre de loisirs et d’un hôtel laisse envisager
3PCJO7BJSÊ :PSJDL*TOBSE 1BVM.PSJOJ 'SBODF une activité économique durable pour la station.

26 Beaux Arts
par Céline Saraiva

LOFTS EXTRATERRESTRES
%/"r#&:0/%5)&&"35)
Prix Innovation et architecture pour l’espace
130+&5$061%&$ 63rÉquipe :
4PQIJF7FFSFDRVF"MFYBOESF$PIFO"LOJOF 'SBODF
Si les films de science-fiction ont su entretenir le mythe
d’une vie dans l’espace, certaines recherches actuelles nous
conduisent à considérer cette hypothèse de façon plus réaliste.
Ce projet de station spatiale habitable s’appuie sur l’hypothèse
d’un dépeuplement de la Terre afin que celle-ci puisse
reconstruire son écosystème naturel. Il envisage la colonisation
de l’espace à travers la mise en place d’une structure
semblable à la molécule d’ADN humain qui reproduirait les
conditions optimales pour une vie durable dans l’espace.
Architecture par Philippe Trétiack

PINAULT CRÉE
DES NIDS
POUR ARTISTES
À deux pas du Louvre-Lens, le
milliardaire et mécène François Pinault
a fait bâtir une résidence d’artistes
sur les ruines d’un presbytère parti
en fumée. Minimaliste et lumineux,
l’endroit est une invitation à la création.

La façade de bois brûlé


du bâtiment conçu par l’agence
d’architecture NeM/Niney & Marca
contraste avec la douche de
lumière qui en baigne l’intérieur.

n n’y voit rien», disait Daniel Arrasse sont en sapin, les meubles en noyer, le tout bai- tangible, sert de contreventement. Autour, de
«O au sujet de la peinture, on pourrait en
dire autant de cette réalisation d’architecture.
gnant dans une tonalité beige clair presque
diaphane. Les architectes ont souligné les
grandes baies vitrées qui s’ouvrent en coulis-
sant. L’atelier mute alors en aquarium et s’offre
Depuis la rue, une maison pimpante figée dans meubles pour en faire des symboles : le lit comme une bulle de verre dissimulée derrière
son costume de briques, lensoise en diable, trône en majesté dans une pièce nue, l’évier de une paroi de cendres. On devine que les archi-
née des corons, de la mine et d’une époque la salle de bains est surdimensionné comme un tectes, Thibault Marca en particulier, ont étu-
enfuie. Ce qui fut un presbytère est désormais élément qu’on colle dans une maquette. Rien dié sur le terrain l’architecture japonaise. Car
une résidence d’artistes. François Pinault, d’autre. Les pièces ont des fonctions inter- l’ensemble se décline en pauses, en intervalles,
mécène, l’a voulu ainsi, ouvrant à quelques changeables, on en fait ce qu’on veut. La en blocs de temps. Cette résidence d’artistes
centaines de mètres du Louvre-Lens ce havre lumière entre de partout, et sous cette douche est une succession d’espaces : une cour sur la
de réflexion. Melissa Dubbin & Aaron S. d’éclairage, libre aux artistes de travailler plein rue (et même le chemin de fer qui gronde tout
Davidson, tout droit venus de Brooklyn, vont nord ou plein sud. à côté), puis le presbytère, une cour qui sera
en essuyer les plâtres. Et le sapin, car l’agence bientôt un jardin d’herbes folles, l’atelier et,
parisienne NeM/Niney & Marca y a œuvré LE PROJET PULSE D’UNE ÉNERGIE CRÉATRICE pour finir, une troisième cour donnant sur un
dans des matériaux bruts et bon marché, le Rouerie du projet, cette maison en cache une grand mur de briques en fond de parcelle. Une
bois, le béton, le verre. Hormis l’enveloppe, autre. Dans sa façade de bois brûlé, noire et mise en scène rythmée comme des battements
tout est neuf. Car, pour commencer, à peine résistante à toutes les moisissures, elle évoque de cœur. Le projet, minimal et parfaitement
acquis, le presbytère a brûlé. Ne restaient que tout à la fois l’enfer du Nord, les gueules noires réussi, pulse d’une énergie créatrice. On vou-
les murs. Les architectes ont fait le vide, et l’incendie du presbytère. C’est un cube dont drait s’y installer pour y voir filer les saisons et
conservé un seul mur de refend (mur porteur la structure métallique est dissimulée dans des juger de la lumière sur ce bois brûlé. On se sent
intérieur) traité en briques peintes comme murs à charpente de bois remplis d’isolant. À artiste sans trop savoir pourquoi. Et parce
dans un loft. L’escalier, les portes, le plancher l’intérieur, un autre mur de béton gris, seul pan qu’on n’y voit rien, on veut aller y voir.

28 Beaux Arts
Design
LES PERLES FONT FEU
DE TOUT BOIS
Un vent de fraîcheur soufflerait-il sur les nostal- «SHUFFLE».*")".#03(r53"%*5*0/r
giques des vieux jouets en bois? Visiblement ins-
Avec cette table d’appoint, repérée au Salon du meuble
pirés par les perles en bois de leur enfance, les
de Stockholm en 2009, la designer norvégienne Mia
designers s’amusent à les réinventer dans des
Hamborg s’empare de la tradition nordique du bois
objets que l’on aura forcément plaisir à manipuler.
tourné et s’inspire de vieux jouets en bois peints. Elle
En témoignent ici la table d’appoint de Mia Ham-
laisse à l’acquéreur le soin de décider de la forme, des
borg, le dessous-de-plat d’Adam & Harborth, le
couleurs et de la hauteur de cet objet malin et
miroir d’Elisabeth Hertzfeld, la multiprise de
sympathique. En hêtre massif, médium et marbre.
Bless, les suspensions de Marz Designs et la coupe
érIDNrDNrXXXBOEUSBEJUJPODPN
à fruits d’Athanasios Babalis. Quant à la marque
Rock & Pebble, elle réinterprète avec malice et
sobriété le jeu d’empilement classique. Dans une
version «toy-totémique» totalement inédite.

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."3;%&4*(/4r%&4*(/4.*5)130%6$54r
Basé à Sydney, Marz Designs est un jeune studio (fondé en 2010)
aimant multiplier les collaborations étroites entre artisanat et industrie.
La réussite de ces suspensions tient dans la variété des essences
de bois utilisées – frêne cendré, érable, chêne et noyer d’Amérique –
qui offrent de subtiles nuances de teintes.
%FéÆéMVOJUÊrI ÆDNrÆDN
XXXEFTJHOTNJUIQSPEVDUTDPN

j/ v CABLE JEWELLERY r#-&44r


Desiree Heiss & Ines Kaag, le duo à l’origine
de Bless, développent depuis près de vingt ans
un travail de «nature changeante et
transfrontières» entre art, mode et design. Elles
repensent ici les fils électriques qui envahissent
nos espaces de vie professionnels et personnels
pour les rendre séduisants. Également
disponibles en bois naturel et en coton.
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30 Beaux Arts
par Claire Fayolle

«STAPHYLOS» "5)"/"4*04#"#"-*4r4)*#6*r
L’observation des fruits – en particulier des grappes de raisin – et de leurs dimensions variables
a conduit au dessin de cet objet. Son auteur est également le cofondateur de Shibui, marque spécialisée
dans les arts de la table et les accessoires qui revendique une fabrication artisanale européenne.
En hêtre massif, cette coupe existe aussi en une version teintée noire.
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«TOTO»30$,1&##-&r
À l’aide de quatre tiges, une base et
six éléments ovoïdes, ce jeu permet de
créer de nombreux personnages
«EMMA»&-*4"#&5))&35;'&-%r:"1"4-&'&6"6-"$r de différentes tailles, formes et humeurs
Parmi les derniers-nés de Y’a pas le feu au lac, marque vosgienne d’objets en bois, à agencer selon l’inspiration du
figure ce drôle de miroir. Sa forme comme ses couleurs évoquent irrésistiblement un moment. «Toto» le totem est produit en
jouet. Il existe également une version en tilleul naturel, avec base bleu ciel ou saumon. érable par une marque américaine
de jouets en bois née il y a deux ans.
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Il ne serait pas étonnant que
les grands se laissent aussi séduire.
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Le duo berlinois Adam & Harborth s’est fait connaître il y a une quinzaine
d’années avec ses «Compléments d’objets», une série de petits accessoires
visant à améliorer les objets du quotidien. Il livre cette fois un dessous-de-plat
en forme de joyeux sautoir. Les perles de bois se manipulent à loisir pour
former un grand ovale, deux cercles concentriques ou juxtaposés.
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Beaux Arts 31
CinéArt par Jacques Morice

Reprises en salles
DIETRICH STAR DU DÉSERT
À la lisière du désert, une chanteuse de cabaret
(Marlene Dietrich) est partagée entre un beau légionnaire
sans grade (Gary Cooper) et un gentleman richissime.
Après l’avoir révélée dans l’Ange bleu, Josef von Sternberg
retrouve Marlene aux États-Unis, qui aime ici à contretemps,
conquiert comme un homme et se perd, se brûle, s’anéantit.
Un grand film de passion torride et laconique, où Gary
Cooper, fleur à l’oreille, est lui aussi sublimé.
Cœurs brûlés (Morocco) de Josef von Sternberg (1930)
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«Si Picasso était vivant, il l’embaucherait», a déclaré un expert lors du procès de Guy Ribes, condamné en 2010.

GUY RIBES, MAÎTRE FAUSSAIRE


Gros plan sur un peintre atypique : Guy Ribes, qui ne copie rien mais crée tout
«à la manière de» Picasso, Chagall, Matisse, Léger… Un documentaire confondant.
Gary et Marlene dans une romance brûlante.

faussaire. Guy Ribes ne s’abaisse pas à faire des


copies de tableaux existants. Sa spécialité, ce
sont les créations «à la manière de». Des inven-
Sorties DVD
tions dans le style de Picasso, Matisse, Chagall,
Braque, Léger, Vlaminck, qu’il vend en s’ap-
TOUT SUR O-EI, L’AUTRE HOKUSAI
C’est le portrait singulier d’une des quatre filles
puyant sur un réseau organisé.
du maître de l’estampe japonaise, Hokusai (1760-1849),
Un vrai faussaire, consacré à cet atypique artiste
avec lequel elle travailla étroitement, en femme libre
peintre arrêté en 2005 et condamné en 2010 à et artiste rebelle, parfois même concurrente.
trois ans de prison dont deux avec sursis, mérite Une merveille du cinéma d’animation signée par un auteur
Plus de 600 de ses «chefs-d’œuvre» circuleraient encore. assurément le détour. Parce qu’on y entend le rare, Keiichi Hara, qui redonne au monde flottant
marlou broder lui-même sur ses tours de passe- de l’estampe toute sa sensualité.
orsqu’il raconte sa vie pas piquée des hanne- passe, parce qu’on le voit aussi en action – au
L tons avec sa gouaille de fricoteur, il paraît
tout droit sorti d’une Série noire à la Auguste Le
pinceau ou à la plume, il exécute ici un petit
«Léger», là, un petit «Picasso»... Le documentaire
Miss Hokusai de Keiichi Hara disponible le 3 février
­E!"OJNFr%7% ér#MVSBZ é

Breton. Guy Ribes, feutre et pipe aux lèvres, est


un personnage. Il a grandi au lendemain de la
de Jean-Luc Leon se répète parfois, survole un
peu vite certains aspects, mais sur la puissance
PIERRE ÉTAIX, L’INTÉGRALE D’UN GAGMAN
Moins connu que Tati pour lequel il travailla, Pierre Étaix
guerre dans le bordel que tenait son père, lequel du vrai dans le faux il arrive à faire mouche.
reste l’un des rares en France à avoir fait honneur au
avait aussi une salle de cinéma. Sa mère, Authentifiés de bonne foi par des experts,
cinéma burlesque. Féru d’arts graphiques, musicien,
médium, était une gitane, surnommée publiés dans la Gazette Drouot, les tableaux de décorateur, mime, il est l’auteur de cinq films dont les gags
«Conchita» ou «Morue» les mauvais jours. Le Guy Ribes en ont berné plus d’un. Le faussaire subtils riment souvent avec poésie, rêve et mélancolie, dans
don du môme, c’est la peinture. À 16 ans, il entre (de génie ?) aurait réalisé plus d’un millier de faux. un univers proche du cirque et du music-hall. Parmi eux,
comme dessinateur sur soieries dans un presti- Sachant que seulement un peu moins de 400 ont le Soupirant (1963), recherche obstinée de l’âme sœur
gieux atelier de Lyon. Après un passage dans la été saisis, l’histoire, romanesque s’il en est, n’est par un jeune bourgeois et Yoyo (1965), voyage très insolite
Marine nationale, il vit un moment à Athènes donc pas totalement finie. à travers la France d’un milliardaire ruiné et d’une écuyère.
puis revient en France, où il devient faussaire à Un vrai faussaire documentaire de Jean-Luc Leon Coffret Pierre Étaix – L’intégrale cinéma
partir des années 1980. Mais pas n’importe quel &OTBMMFTMFNBST ­E"SUFr%7%ré

32 Beaux Arts
Livres
Professeur Nimbus
Il a consacré sa vie aux diverses formations nébuleuses flottant au-dessus du mont Fuji, la montagne sacrée des Japonais.
Tombé dans l’oubli, le météorologue, inventeur et photographe Masanao Abe (1891-1966) est l’auteur d’une multitude
de clichés de nuages d’une singulière beauté, auxquels le musée du quai Branly consacre un livre et une exposition inédits.

surushi, à queue d’hirondelle, en capuchon,


T en papillon, en bannière, en Père Noël…
Autant d’étranges noms qualifiant les nuages
observés et recensés avec minutie par un fou
savant et monomaniaque, le comte Abe, second
du nom, chef du domaine féodal de Fukuyama.
En 1927, ce descendant d’une grande famille
aristocratique japonaise put en effet se consa-
crer à sa passion : l’étude des courants atmos-
phériques et de la formation des nuages, rendue
possible depuis son observatoire, construit – à
ses frais – à Gotemba, sur le versant sud-est du
mont Fuji. De là, Abe observera jour après jour
l’évolution nébuleuse de son sujet de prédilec-
tion, Fujisan, le mont sacré du Japon.

«LE COMTE DES NUAGES»


Pour Abe, ancien étudiant brillant en sciences
physiques de l’Université de Tokyo, le mont Fuji
présentait en effet toutes les qualités pour être
étudié d’un point de vue météorologique : sa
position de point culminant de l’archipel
(3 776 m), dégagé d’autres montagnes dans son
environnement immédiat, mais aussi sa forme
conique propice à un phénomène observé des
années auparavant par Abe au-dessus de l’Etna,
la célèbre «comtesse des vents», ce nuage en
forme de lentille qui disparaît aussi vite qu’il
n’apparaît. Jour après jour, celui qui finira par
être appelé le «comte des nuages» réalise des cli-
chés, prend des notes, compile une immense
masse de savoirs en matière de nimbologie.
Depuis la fin du XIXe siècle, en Europe princi-
palement, la photographie naissante est en effet
devenu l’outil majeur du développement d’une
autre science encore balbutiante, la météo-
rologie. Les prises de vue photographiques per-
mettent de fixer les typologies de nuages, d’en
constituer des collections comparatives à
l’image de la méthode de classification appli-
quée aux fossiles ou aux minéraux. Publié en
1890 par le Suédois Hildebrandsson, l’Atlas Masanao Abe, ici en 1939, a voué sa vie à l’observation des nuages en utilisant toutes sortes d’appareil optiques,
international des nuages fait alors référence. parfois de son invention.

34 Beaux Arts
par Sophie Flouquet

Abe est également un expérimentateur. Fas-


ciné dès l’âge de 8 ans par le premier spectacle
de cinématographe présenté à Tokyo, il va
s’attacher à adapter ces techniques à son
domaine de recherche. Il produit ainsi quan-
tité de stéréoscopies, fixes ou animées, de
films, invente ou perfectionne des appareils,
allant jusqu’à réaliser des expériences en souf-
flerie pour étudier la constitution et le mouve-
ment des masses nuageuses. S’il est parfois
raillé pour ces travaux qui s’apparentent, pour
certains, à un «dilettantisme de seigneur», son
travail sera finalement reconnu par ses pairs.

UN CONTEMPORAIN DE STIEGLITZ
Pourtant, après sa mort, Abe tombera rapide-
ment dans l’oubli. Il aura fallu la sagacité du
professeur Yoshiaki Nishino, créateur de ce
lieu dédié à la poésie des sciences qu’est l’Inter-
médiathèque de l’Université de Tokyo (dans
lequel le musée du quai Branly dispose depuis
2013 d’un espace d’exposition), pour récupérer
auprès de ses héritiers son immense masse
d’archives. Soit plus de 3 500 plaques de verre,
281 tirages, 170 films, 1 748 feuilles d’observa-
tion avec des annotations météorologiques
très précises, mais aussi des outils, des instru-
ments scientifiques et autres affaires person-
nelles… Une partie de ces clichés est présentée
pour la première fois à Paris, révélant par-delà
Transformation des nuages en capuchon au sommet du mont Fuji, 6 octobre 1928, de 5 h 30 à 7 h environ
leur portée scientifique et technique une force
artistique et poétique admirable. Abe semblait
La forme conique du mont Fuji est propice à un phénomène également en avoir déjà conscience lorsqu’il installa, en
1937, un musée au sein de son observatoire.
observé par Abe au-dessus de l’Etna : la célèbre «comtesse des vents», Deux cents tirages de grand format, d’une qua-
ce nuage en forme de lentille qui disparaît aussi vite qu’il n’apparaît. lité irréprochable, y étaient exposés. Non sans
rappeler, par leur beauté plastique, la série de
clichés de nuages entreprise dès le milieu des
années 1920, aux États-Unis, par le grand
Alfred Stieglitz.

À LIRE
Le Comte des nuages
Masanao Abe
face au mont Fuji
sous la dir. de Yoshiaki
Nishino
éd. Intermédiathèque /
Musée de l’Université
EF5PLZPrQré

À VOIR
«Le Comte des nuages – Masanao Abe face au mont Fuji»
KVTRVBVKBOWJFSrNVTÊFEVRVBJ#SBOMZ
"UFMJFS.BSUJOF"VCMFUr RVBJ#SBOMZr1BSJT
Le Mont Fuji et un nuage en capuchon particulier de type lenticulaire, 1929 rXXXRVBJCSBOMZGS

Beaux Arts 35
Livres
CES PEINTRES
ROIS DU SUSPENSE
En 1874, Manet présente au Salon parisien le Chemin
de fer, image d’une jeune femme assise devant une
grille derrière laquelle se dégage une épaisse fumée
L’Effet Sherlock blanche, masse abstraite qui empêche la petite fille
Holmes – Variations représentée de dos à ses côtés de voir ce qui se passe
du regard de Manet à travers les barreaux. Son attitude traduit à la fois
à Hitchcock curiosité et frustration. Comme celles que ressent le
par Victor I. Stoichita
spectateur face à une œuvre dont le titre ne tient pas
éd. Hazan
Qré ses promesses. Pour l’historien et critique d’art Vic-
tor I. Stoichita cette représentation du «regard
entravé» incarne au mieux les enjeux de la «quête visuelle» dans laquelle
EDWARD HOPPER Fenêtres de nuit, 1928
se lancèrent les aventuriers de la nouvelle peinture, tournant le dos à la
narration pour privilégier l’impression, la sensation, voire la non-signifi- des scènes de voyeurisme dont Edward Hopper fut le maître. Comme
cation. Dans un essai captivant, Stoichita suit les cheminements du lui, il découpe l’image de sorte que le spectateur cherche, en vain, à en
regard moderne en explorant les liens ténus entre peinture, photographie trouver la clef. Pour construire son énigme, Hitchcock s’inspire aussi des
et cinéma. Et montre comment les trouvailles optiques des tableaux romans policiers illustrés, genre dans lequel excella Conan Doyle. Au
impressionnistes et de films cultes s’inscrivent dans une tradition artis- cinéma, le détective devient le héros d’une enquête purement visuelle,
tique remontant jusqu’à Alberti, ce théoricien de la Renaissance qui défi- puisque tout part de son regard, de la détection d’indices à l’élaboration
nissait la peinture comme «une fenêtre ouverte à partir de laquelle l’his- de preuves. C’est le cas de Fenêtre sur cour et de Blow-Up (1966) d’Anto-
toire représentée pourra être considérée». Hitchcock s’approprie ce nioni, dont le personnage principal, photographe, cherche à résoudre un
dispositif pour construire son film Fenêtre sur cour (1955), mise en abyme crime mystérieux à partir de ses nombreuses prises de vue. Mais à force
du regard, jouant avec les notions d’apparition et de disparition – les de trop agrandir les images, elles deviennent floues. Stoichita nous
fenêtres ne donnent à voir qu’une réalité partielle et c’est derrière les murs confronte aux leurres de la représentation pour revenir à cette question
de l’immeuble que se déroulent des éléments cachés mais pourtant essen- essentielle : comment interpréter ce qu’on voit ? Un thème récurrent de
tiels du récit. Le cinéaste s’inscrit dans la tradition picturale américaine l’histoire de l’art abordé ici avec érudition et sensibilité. %BQIOÊ#ÊUBSE

STEPHEN SHORE PORTRAITISTE LES BEAUTÉS GLACÉES DE KAY NIELSEN TOUTE LA PHOTO DE A À Z
DES DERNIERS JUIFS D’UKRAINE Des silhouettes graciles s’élançant dans Un ouvrage «quasi pervers» à l’heure
L’Ukraine vient de connaître une des ciels blafards… Les somptueux d’Internet et de la mise à disposition
nouvelle guerre, les slogans anti-UE imprimés dignes des miniatures persanes d’une multiplicité d’images
fleurissent aussi vite que les de Kay Nielsen sont reconnaissables en tous genres. Tel est pourtant le
boutiques de téléphonie mobile, entre tous. Au début du XXe siècle, parti pris de Nathalie Herschdorfer.
mais pour eux le temps s’est cet artiste danois produit des planches Conservatrice spécialisée et
arrêté. Eux : les derniers survivants destinées à accompagner de luxueuses directrice du musée des Beaux-Arts
de ce qui fut la troisième communauté juive d’Europe. Il y a Tzal, éditions de contes pour enfants, dont du Locle, en Suisse, elle est l’initiatrice de ce précieux
héros fatigué posant dans son jardin potager, ancien éden celle des Contes du Nord connaît le plus dictionnaire de la photographie, destiné à procurer «une vision
familial abandonné à la hâte en 1941. Les yeux au ciel, il arbore grand succès. Exhumés du folklore norvégien, ces récits sont globale» de ce médium né officiellement en 1839. Fruit
ses médailles innombrables. Toutes gagnées à Stalingrad. très appréciés pour leur atmosphère glacée et inquiétante que d’une longue analyse, d’une fine sélection et de la consultation
Il y a aussi Anna, «frêle comme un oiseau», qui dit avoir tout les compositions de Kay Nielsen épousent à merveille. de quelque 150 spécialistes, ce précieux ouvrage invite
appris de la vie entre 1941 et 1944, lors de sa fuite vers le Dès lors, texte et images seront indissociables. Ils sont réédités à une promenade passionnante parmi les 1 200 entrées,
Kazakhstan. Petit-fils d’un immigré juif ukrainien, Stephen Shore aujourd’hui par Taschen et la BnF. C’est chez le premier largement illustrées, balayant tous les sujets : histoire, acteurs,
a photographié leur quotidien. La misère qu’on ne cache plus, qu’il faut aller pour apprécier la somptuosité de l’œuvre de techniques, courants... Certes, en cherchant bien, on pourra
les médicaments, les bibles d’un autre siècle, les effigies Nielsen et chez la seconde pour une traduction plus y trouver quelques oublis et regretter la brièveté de certaines
de Lénine, les bibelots, les chèvres, un chien… et cet amour complète et intéressante. Florelle Guillaume notices. Et se dire que ce n’est peut-être que le point de départ
inconsidéré de la vie qui fait tout tenir debout. Natacha Nataf À l’est du Soleil et à l’ouest de la Lune d’une vaste entreprise encyclopédique. Sophie Flouquet
Stephen Shore – Survivants en Ukraine illustré par Kay Nielsen ÊE5BTDIFOr é Le Dictionnaire de la photographie sous la dir. de
avec un essai de Jane Kramer ÊE1IBJEPOrQr é Contes du Nord ill. par Kay Nielsen ÊE#O'rQré Nathalie Herschdorfer ÊEEF-B.BSUJOJÍSFrQré

36 Beaux Arts
Graphisme : Doc Levin — Étriers de François Ier ©RMN-Grand Palais (musée national de la Renaissance), Stéphane Maréchalle
Philo par François Cusset

QUI A CHAUD
AU Q.I. ?
Poète de la digression, Pascal Quignard
consacre un nouvel essai à cette
activité périlleuse qu’est la pensée.
Comme l’art, les rêves ou la philosophie,
elle apprendrait non seulement
à mourir mais aussi à vivre dans la joie
et la mélancolie. Explications.
l’âge du tweet pressé et des odes à l’action,
À ou au concret, un poncif courant voudrait
que la pensée soit loin de la vie : elle serait lente,
distante, froide, abstraite, inutile au pire, ou
juste un luxe d’oisifs. Et si, au contraire, elle était
plus active que l’action, plus risquée que le saut
sans parachute, plus effrayante que la mort, et
pourtant plus jouissive que l’orgasme ? Oubliez
les classes de philo, les conférences du week- &OQSPWPRVBOUMBSUPGàDJFM .BSDFM%VDIBNQMBGPSDÊÆQFOTFSFUTFSFQFOTFS&UMIPNNFRVJàUEFla JocondeVOSFBEZNBEF
end et les bavardages oiseux – et demandez à OFOàOJUQMVTEJOTQJSFSMFTBSUJTUFT DPNNFJDJ4VCPEI(VQUB SÊJOUFSQSÊUBOUFOCSPO[FLHOOQ (Et tu, Duchamp?,  .

Giordano Bruno, philosophe de la Renaissance


que l’Église envoya au bûcher, à Antonio tion et beaucoup de mélancolie. On le suit dans sophie exposés là comme un fatras cocasse ou
Gramsci, penseur marxiste qui passa onze ses digressions, ses métaphores d’aventurier ou un magasin de bricolage. Et aux rares philo-
années de sa vie en prison, ou à Khaled Assaad, de psychanalyste, aussi intempestif que le sophes qui se sont essayés à penser sur des
archéologue décapité l’an dernier par Daech sur seraient à l’heure de Facebook Montaigne et cimaises, à risquer leurs concepts sur les murs
le site de Palmyre qu’il dirigea longtemps, ce ses idées «à sauts et à gambades», ou Spinoza et d’une exposition, comme Jean-François
qu’ils en pensent. Ou alors juste à Socrate, qui sa «joie pensante». On pense à Roland Barthes Lyotard, en 1985, avec sa prodigieuse proposi-
n’a pas bu la ciguë par goût du suicide. Ou rêvant, en 1970, d’une théorie «de type apho- tion «Les immatériaux» au Centre Pompidou.
encore à Lucrèce qui, lisant les traités d’Épicure, ristique ou poétique» qui viendrait «dissoudre Et on se rappelle surtout que penser n’est pas
éprouve «une joie de nature sexuelle», puis à la monologie» et rendre compte enfin de la seulement «apprendre à mourir», comme le
Rousseau et Jean Genet qui, l’un et l’autre, ont «multiplicité» de la vie. Et on pense aux artistes, notait Montaigne, ou risquer sa vie, mais tou-
été un jour foudroyés par une seule pensée. dont certains, loin d’une vénération infantile jours mourir un peu : explorer les ténèbres,
des maîtres-penseurs, surent pratiquer la pen- sauter dans le vide, inventer l’impossible,
RISQUER SA VIE AVEC DUCHAMP ET SPINOZA sée sur ces mêmes versants, ceux du plaisir, de prendre acte au plus intime de tout ce qui
Penser, c’est rejoindre la minorité, s’approcher la peur, de la morbidité ou de la libido affirmée demeure incompréhensible. Pas pour mieux
de la mort, se brûler les ailes, et c’est aussi – impressions vives et contradictoires dont la vivre, comme nous le serinent les tenants de la
étrange qu’un rêve tenace, ou qu’une érection pensée serait, précisément, le carrefour. On philo-médicament, mais pour vivre, tout court.
nocturne, propose Pascal Quignard dans pense à Duchamp, provoquant l’art officiel
Mourir de penser (paru l’an dernier, et en poche moins en le moquant qu’en le forçant à penser.
en ce début d’année), le neuvième tome de À Magritte, dont le goût de l’absurde relève
Dernier Royaume, sa série de petits traités façon aussi de l’ontologie, l’ancestrale pensée de l’être.
Marc-Aurèle : mêlant érudition, poésie, sen- Aux artistes conceptuels des années 1960, qui À LIRE
sualité, obscurité parfois, originalité toujours, ne voyaient pas pourquoi les critiques seraient
Quignard l’inclassable aborde la chose en écri- la tête (ou l’âme) et les peintres les jambes (ou Mourir de penser
(Dernier Royaume, vol. IX)
vain, pas en philosophe professionnel, avec des le corps). À Thomas Hirschhorn, bien sûr, qui par Pascal Quignard
citations et de l’inquiétude, pas mal de jubila- squatte les musées avec des fragments de philo- ÊE'PMJP&TTBJTrQr é

38 Beaux Arts
Grand Palais
31 mars-3 avril 2016
La Corée à l’honneur
www.artparis.com

Art moderne + contemporain SECTEUR GÉNÉRAL : Galerie 8+4 (Suresnes) | 10 Chancery Lane Gallery (Hong
Kong) | A. Galerie (Paris) | A2Z Art Gallery (Paris) | ABC-Arte (Gênes) * | AD Galerie (Montpellier) | Galerie ALB - Anouk Le Bourdiec
(Paris) | Allegra Nomad Gallery (Bucarest) | Galeria Miquel Alzueta (Barcelona) * | Analix Forever (Genève) | Andrea Ingenito
Contemporary Art (Naples, Milan) * | Galerie Andres Thalmann (Zurich) | Archiraar Gallery (Bruxelles) | Galerie Arts d’Australie •
Stéphane Jacob (Paris) | Galerie Cédric Bacqueville (Lille) | Helene Bailly Gallery (Paris) | Bailly Gallery (Genève) * | Galerie
Géraldine Banier (Paris) | baudoin lebon (Paris) | Beautiful Asset Art Project (Beijing) | Galerie Françoise Besson (Lyon) | Galerie
Binôme (Paris) | Bogéna Galerie (Saint-Paul-de-Vence) | Boxart (Verona) * | Galerie Jean Brolly (Paris) | Galerie Pierre-Alain
Challier (Paris) | Galerie Charlot (Paris) | Galerie Cinéma Anne-Dominique Toussaint (Paris) * | Galerie D.X (Bordeaux) | Galerie
Da-End (Paris) | De Primi Fine Art (Lugano) | Eduardo Secci Contemporary (Florence, Pietrasanta) | Eric Linard Edition (La Garde-
Adhémar) * | Galerie Faider (Bruxelles) * | Flowers Gallery (Londres, New York) | Galerie Pascal Gabert (Paris) * | Galerie Claire
Gastaud (Clermont-Ferrand) | Gimpel & Müller (Paris, Londres) | Galerie Hoffmann (Friedberg) * | Galerie Thessa Herold (Paris) |
Galerie Ernst Hilger (Vienne) | Huberty & Breyne Gallery (Bruxelles, Paris) | Intersections (Singapour) | JanKossen Contemporary
(Bâle, New York) | Kálmán Makláry Fine Arts (Budapest) | Klein Sun Gallery (New York) * | Galerie Koralewski (Paris) | Galerie
Pascal Lansberg (Paris) * | L’Agence à Paris (Paris) | Galerie l’antichambre (Chambéry) * | La Balsa Arte (Bogota) * | Galerie La
Ligne (Zurich) | Galerie Lahumière (Paris) | Galerie Alexis Lartigue (Paris) | Galerie Claude Lemand (Paris) | Galerie Françoise
Livinec (Paris) | Galerie Maria Lund (Paris) | Galerie Marie Hélène de La Forest Divonne (Paris) | Mario Mauroner Contemporary
Art (Vienne, Salzbourg) | Mazel Galerie (Bruxelles) * | Galerie Lélia Mordoch (Paris, Miami) | Galerie Pascaline Mulliez (Paris) |
Galerie NeC nilsson et chiglien (Paris) | Galerie Nathalie Obadia (Paris, Bruxelles) | OTCA - Omer Tiroche Contemporary Art
(Londres) * | ON/gallery (Beijing, Hong Kong) | Galerie Oniris - Florent Paumelle (Rennes) | Galerie Paris-Beijing (Paris, Beijing) |
Galerie Hervé Perdriolle (Paris) * | Galerie des petits carreaux (Paris, Saint-Briac) | Galerie Polad-Hardouin (Paris) | Progettoarte
elm (Milan) | Galerie Rabouan Moussion (Paris) | Rebecca Hossack Art Gallery (Londres, New York) | J. P. Ritsch-Fisch Galerie
(Strasbourg) | Galerie RX ( Ivry-sur-Seine) * | School Gallery / Olivier Castaing (Paris) | Mimmo Scognamiglio Artecontemporanea
(Milan) | Sèvres - Cité de la céramique (Sèvres) * | Gallery Shchukin (Paris, New York) | Silk Road Gallery (Téhéran) * | ᣝᣞ Gallery
(Athènes, Paris) * | Galerie Véronique Smagghe (Paris) | Speerstra Gallery (Bursins) * | Sundaram Tagore Gallery (Singapour, New
York, Hong Kong) | Galerie Taménaga (Paris, Tokyo, Osaka) * | Galerie Daniel Templon (Paris, Bruxelles) | Galerie Patrice Trigano
(Paris) | Galerie Tristan (Issy-Les-Moulineaux) | Galerie Vallois (Paris) * | Galerie Francesco Vangelli de’ Cresci (Paris) * | Galerie
Pascal Vanhoecke (Cachan) | Sabine Vazieux (Paris) | Galerie Michel Vidal (Paris) | Bernard Vidal - Nathalie Bertoux - art contemporain
(Paris) * | Studio Giangaleazzo Visconti (Milan) * | Galerie Olivier Waltman (Paris, Miami) | White Space Gallery (Londres) * |
Wildproject Gallery (Luxembourg) * | Espace Meyer Zafra (Paris) - SOLO SHOW : Niloufar Banisadr - 55Bellechasse (Paris) | Ronan
Barrot - Galerie Claude Bernard (Paris) | Damien Cabanes - Galerie Eric Dupont (Paris) * | César Baldaccini - Galerie Najuma
(Marseille) | Hervé Di Rosa - Art to Be Gallery (Lille) * | Claudine Drai - Galerie 111 (Paris) * | Katinka Lampe - Galerie Les Filles du
Liste au 22/12/2015 | * nouveaux participants

Calvaire (Paris) | Stéphane Erouane Dumas - Galerie Fred Lanzenberg (Bruxelles) * | Evrard & Koch - Galerie Alexandre Lazarew
(Paris, Bruxelles) * | Jann Haworth - Galerie du Centre (Paris) * | Jean-François Lepage - Galerie Madé (Paris) * | Lee Nam Lee -
Galerie Photo12 (Paris, Los Angeles) * | Carmen Perrin - Galerie Bob Gysin (Zurich) * | Sylvain Polony - Galerie Xenon (Bordeaux) * |
Antoine Roegiers - Art Bärtschi & Cie (Genève) * | Ruby Rumié - NH Galeria (Cartagena de Indias) * | Song Hyun Sook - Ditesheim
& Maffei Fine Art SA (Neuchâtel) * | Ronald Ventura - Primae Noctis Art Gallery (Lugano) * | Fadi Yazigi - Galerie Tanit (Beyrouth,
Munich) - PROMESSES : 50 Golborne (Londres) * | Art’Loft - Lee Bauwens Gallery (Bruxelles) * | Bildhalle (Kilchberg/Zurich) * |
Galerie Béa-Ba (Marseille) * | Rutger Brandt Gallery (Amsterdam) * | Espace L (Genève) * | Galerie Virginie Louvet (Paris) * | Galerie
Gourvennec Ogor (Marseille) * | Maëlle Galerie (Paris) * | Christine Park Gallery (Londres) * | under construction gallery (Paris) * |
Yay Gallery (Bakou) * - CORÉE À L’HONNEUR : 313 Art Project (Séoul) | Gana Art (Séoul) * | Gallery Simon (Séoul) * | Gallery SoSo
(Paju-si) * | Gallery Shilla (Daegu) * | Park Ryu Sook Gallery (Séoul) * | UM Gallery (Séoul) *
Télévision, radio par Florelle Guillaume & Charlotte Ullmann

À regarder
ET AUSSI…
BETTINA RHEIMS GÉRARD FROMANGER
VU PAR SERGE JULY

FACE CAMÉRA Le 17 février s’ouvrira au Centre Pompidou,


à Paris, la grande rétrospective consacrée
à Gérard Fromanger. Son œuvre, qui a
vu le jour dans le tumulte des années
Un cocktail branché chez Christie’s. Bettina 1960, s’est épanouie avec l’aventure de
Rheims qui y expose sa dernière série photo en la Figuration narrative et l’atelier des
est la vedette. Embrassades, effusions, concerts Beaux-Arts en Mai 68. Le peintre est resté
de louanges et mondanités : c’est dans ce tour- fidèle à cet esprit joyeusement engagé.
billon de légèreté que s’ouvre le documentaire Sa production n’en demeure pas moins
consacré à la photographe. Cinquante minutes ancrée dans le monde actuel. Vivante
plus tard, on la voit visiblement émue, de retour et vibrante. Ce documentaire constitue
d’un centre de détention. Elle vient de rencon- une belle rencontre.
trer des femmes dont elle envisage de faire le ARTEj&OUSF1JDBTTPFU%VDIBNQ 
MBQJTUF'SPNBOHFSv
portrait. L’une d’elles lui a fait part sans ména- MFGÊWSJFSÆI NJO
gement de son refus d’être photographiée
comme un objet sexuel ; d’autres lui ont confié DADA’S NOT DEAD
qu’elles aimaient se maquiller pour «se sentir Dadaglobe. Ce nom étrange désigne
femme». L’univers glamour des «people» et la un projet de livre porté par Tristan Tzara
confrontation brutale à la question du féminin : deux antipodes qui situent bien BETTINA RHEIMS en 1921 et qui devait comporter une
toute l’ambiguïté du travail que Bettina Rheims a commencé dans les années 1980. Traci Lords Smoking
a Cigarette in the Valentino
centaine de contributions et de documents
Michèle Dominici a suivi la photographe pendant huit mois, sur ses shootings, Room of the Alexandra Hotel, artistiques. Une anthologie célébrant
pendant la préparation de sa monographie éditée par Taschen ou encore lors d’une BWSJM -PT"OHFMFT l’esprit Dada. Cet ouvrage, jamais paru, sera
visite de l’exposition «La toilette – Naissance de l’intime» au musée Marmottan reconstitué dans une exposition à Zurich,
Monet où était exposé un de ses tirages. À l’approche de la rétrospective que lui où le mouvement vit le jour il y a cent ans
consacre la Maison européenne de la photographie (du 27 janvier au 27 mars), ces («Dadaglobe Reconstructed» du 5 février
au 1er mai au Kunsthaus). L’occasion
instants de vie, de travail, d’échanges et de «face caméra» sont l’occasion de revenir
pour Arte de nous transporter avec le film
sur une carrière qui s’est construite davantage dans les médias que dans les musées. d’animation Viva Dada ! dans cet univers
Qu’il s’agisse de ses images iconiques de célébrités et de ses clichés d’inconnus, elle subversif et chaotique.
ARTE «Bettina Rheims
effectue une mise à nu des corps et des fantasmes sur un mode oscillant sans cesse ARTEj7JWB%BEB
%BOTMBGBCSJRVF
entre idéalisation et provocation, entre questionnement identitaire et esthétique EFTJDÔOFTvMFGÊWSJFS -FDSJEFSÊWPMUFEFTBSUJTUFTv
pop trash. Un regard unique qui parvient toujours à saisir l’esprit du temps. ÆI NJO MFGÊWSJFSÆI NJO

À écouter
DRAME VAMPIRIQUE EN 3 ACTES TONTONKHAMON LE MYSTÈRE MAGRITTE QUE SAIS-JE ?
Rebecka Streisand est psychanalyste Cette grande pyramide de verre qui fait Dans la peau d’un piéton qui arpenterait Deux minutes pour apprendre deux ou trois
et la femme d’une rock star qui vient de se maintenant partie intégrante du Louvre n’a pas les rues de Bruxelles. C’est de ce point de vue choses sur l’art, c’est le pari tenu par Louis
suicider. Elle enterre son mari lorsqu’elle toujours été l’amie des Parisiens. Pièce dynamique que se place ce programme Guillaume, entrepreneur du Net, qui développe
rencontre le vampire Ionas. Il y a cent ans de maîtresse du projet Grand Louvre soumis par consacré au surréaliste belge René Magritte ce concept rapide et efficace à travers 24 sujets
cela, il était soldat sur le front russe. Tourmenté Jack Lang et mené par Émile Biasini pour (1898-1967), dont l’œuvre foisonnante est (à ce jour) abordant pêle-mêle la basilique
par les fantômes de son passé, il demande optimiser les conditions d’accueil du public truffée d’humour et d’énigmes. Un voyage Saint-Pierre de Rome, le Cri de Munch, Sisley,
à Rebecka s’il peut s’allonger sur son divan. à la fin des années 1980, elle est le radiophonique entre rêve et réalité, animé par le Baiser de Brancusi et Banksy… L’émission,
Telle est l’histoire du roman l’Éternel chef-d’œuvre de l’architecte Ieoh Ming Pei de nombreux documents d’archives, et qui mêle déclinée également sur le thème de la culture
de Joann Sfar, dont l’adaptation en feuilleton et l’un des grands travaux des années les voix de personnes ayant connu ce peintre générale, de la santé et des technologies,
radiophonique est une franche réussite. Mitterrand. très discret, aussi passionnant que passionné. figure dans le classement iTunes des podcasts
FRANCE CULTURE Fictions / Samedi noir : FRANCE INTER "GGBJSFTTFOTJCMFT FRANCE CULTURE Une vie, une œuvre : les plus téléchargés.
«L’ÉternelEF+PBOO4GBSvrÊQJTPEFT j-F(SBOE-PVWSFFUMB1ZSBNJEFEV1SÊTJEFOUv j.BHSJUUFm-FNQJSFEFTJNBHFTv ITUNES Choses à savoir : «Art»
EJTQPOJCMFTFOQPEDBTU YNJO QPEDBTUEVEÊD NJO QPEDBTUEVKBOWJFS NJO EJTQPOJCMFFOQPEDBTU YNJO

40 Beaux Arts
GEERT GOIRIS
FIGHT OR FLIGHT

exposition collective avec


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.RQQ« 0XOOLH]
+LFKDP%HUUDGD
$OLb&KHUUL
Miranda Creswell
1DWKDOLH-RUH
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Geert Goiris, Ecologist Place, 2006.
Courtesy Galerie Art : Concept, Paris. -RKDQQ/H*XLOOHUP
-XOLH5DPDJH
5RQQ\b7URFNHU

DU 23 JANVIER AU 10 AVRIL 2016

FRAC HAUTE-NORMANDIE
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+*'$$GchhYj]``Y!`g!FciYb
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Mercredi - dimanche : 13h30 à 18h30


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Entrée libre et gratuite
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Akatre

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et de la communication / Drac Normandie.
Revue de web par Florelle Guillaume & Charlotte Ullmann

FA SI LA CLIQUER
Écouter des radios imaginaires du XXe siècle, admirer les Velázquez du Prado avec Iggy Pop, se laisser hypnotiser par
un conte cubiste puis monter sur les plus belles scènes de São Paulo ou New York… Un trip musical signé Beaux Arts.

LA MACHINE À VOYAGER DANS LE SON 9999


Simple mais fabuleuse. Voici une adresse que vous ne lâcherez
plus, un bon plan à se passer entre amis : Radiooooo.com.
Une web-radio qui vous permet d’embarquer pour un voyage
musical de qualité, dans le temps et autour du monde.
Sur la timeline (de 1900 à nos jours), choisissez la décennie
qui vous plaît, et sur le planisphère, le pays qui vous inspire.
Et hop, vous découvrez sur quoi se trémoussait votre grand-mère
à 20 ans, ce qui faisait swinguer les Japonais dans les Années
folles, quelle pop avait bien pu réussir à s’infiltrer au-delà du rideau
de fer. Ou même ce que l’on entendait en Antarctique dans
les années 1950. Glaçant… Les morceaux s’enchaînent comme
sur une radio classique. Vous pouvez simplement mettre
le curseur en mode lent, rapide ou «weird» (décalé). Vous pouvez
aussi programmer une balade spatiotemporelle jet-laguée
via l’option «taxi». Ou encore atterrir en plein Neverland, au milieu
de l’Atlantique, pour une playlist régressive. Dans une démarche
collaborative, la joyeuse bande de DJs (dont l’artiste
Benjamin Moreau, du duo Kolkoz) qui pilote le site depuis 2014
incite ses auditeurs à lui soumettre leurs trouvailles. Enfin,
Radiooooo.com affiche un style «fait main» tout en simplicité
et en délicatesse qui ajoute au côté «aventure entre copains».
Comme le galeriste Emmanuel Perrotin, soutien de la
première heure, on est sous le charme ! Bonne nouvelle :
une application pour tablettes et smartphones est désormais
disponible, pour un voyage acoustique parfait…
IUUQSBEJPPPPPDPNrBQQMJDBUJPOEJTQPOJCMFTVS"OESPJEFU*04
ÆQBSUJSEVerGÊWSJFSrHSBUVJU

MAGISTRALE RADIO PRADO 9999 TOUT EN HAUT DE L’AFFICHE AVEC BERNSTEIN ET DVORÁK 99
Proposer une «expérience» de ses collections en ligne, tel est l’objectif du nouveau site que Le site de l’Orchestre de Paris a imaginé une expérience originale. Tout commence par un choix :
le musée du Prado a mis en ligne en décembre. Si l’affichage somptueux d’images en plein écran la Symphonie n° 9 (dite du Nouveau Monde), de Dvorák, ou West Side Story de Bernstein.
et en très haute définition nous aguiche l’œil, le musée tente aussi de séduire nos oreilles Puis l’utilisateur est invité à créer des animations graphiques en bougeant sa souris comme s’il
avec un «Voyage à travers les sens» : un parcours d’œuvres associé à des playlists de la station s’agissait d’une baguette de chef d’orchestre. Une option permet même de faire des captures
publique espagnole Radio 3 à découvrir sur la plateforme musicale Spotify. «Le règne animal» d’écran qui peuvent être transformées en affiche. Amusant, mais somme toute anecdotique.
invite, par exemple, à contempler le Combat de chats de Goya et la Tête de cerf de Velázquez XXXPSDIFTUSFEFQBSJTDPNSFTPOBODFIPNF
sur une bande-son racée de Tom Waits (Fawn, Rain Dogs), Iggy Pop (King of the Dogs)
ou Fleet Foxes (Tiger Mountain Peasant Song). Une grande réussite.
XXXNVTFPEFMQSBEPFTFONJQSBEPSFDPSSJEPTSFDPNFOEBEPT COMMENT GERTRUDE STEIN VOIT LA VIE DE ROSE 999
Écrit en 1939 par Gertrude Stein, Le monde est rond nous emmène dans l’univers de Rose.
Cette petite fille, qui se pose tant de questions sur la vie, «aurait-elle été rose si son nom
AVEC GOOGLE SUR LES PLUS GRANDES SCÈNES DU MONDE 999 n’avait pas été Rose» ? Tantôt récité, tantôt chanté par Sabine Zovighian et Michael Liot,
L’Institut culturel de Google s’est associé à l’Opéra national de Paris, au Carnegie Hall, le conte cubiste berce par sa sonorité allitérative, si bien que l’on prend plaisir à se perdre
à la Philharmonie de Berlin et au Theatro Municipal de São Paulo pour réaliser lors de dans les méandres de l’histoire de Rose. Hypnotisant.
répétitions générales des captations vidéo à 360° et proposer ainsi aux internautes une Rose est une roserÊDPVUF UÊMÊDIBSHFNFOUFUQPEDBTUTVSBSUFSBEJPDPN
immersion époustouflante au cœur de l’orchestre, du ballet, des chanteurs, des comédiens…
La technologie Google n’a pas fini de nous bluffer.
https://performingarts.withgoogle.com/fr Beaux Arts est aussi sur Facebook
42 Beaux Arts et Twitter, rejoignez-nous !
La chronique
de Nicolas Bourriaud

CONTRE LES
IDÉOLOGIES ZOMBIES
Les réactionnaires de tout poil, de Marion
Maréchal-Le Pen aux Frères musulmans, s’acharnent
à pétrifier la création dans une définition du beau
qu’ils voudraient universelle. À cela, c’est un art vivant
et en prise avec le monde qu’il faut opposer.

près le temps des avant-gardes du


A XXe siècle, voici celui des arrière-gardes
du XXIe, dont nous sommes bien obligés de
poursuivre l’ébouriffante saga. Après des atten-
tats nourris par une idéologie moyenâgeuse, la
France aura donc vu des élections régionales
marquées par la progression d’un parti dont
l’idéologie avait armé quatre ans plus tôt une
autre Kalachnikov, celle d’Anders Breivik en
Norvège. On nous rabâchait les oreilles, depuis
deux décennies, avec la «mort des idéologies» ;
on avait tort. On nous répète également que la
pensée et l’art n’ont d’autre utilité sociale que DAVID DOUARD
The Reason
décorative : les loisirs. We No Longer S’speak
Les politiques publiques, gonflées par une rhé- Slipper of Snow, 2015
torique de la «démocratisation de l’art» dont on
peine à voir la finalité, tout comme les demande un effort, c’est bien ennuyeux… Votre gargarise, c’est celui qui n’arrive pas à habiter
démarches privées qui réduisent l’œuvre d’art à œuvre demande-t-elle une attention soutenue, son temps, celui pour qui «c’était mieux avant».
un objet de luxe, semblent occulter l’essentiel, un temps de réflexion critique, de vagues Les avant-gardes artistiques se projetaient dans
à savoir le rôle de l’art vivant dans une société. connaissances historiques ? Vous êtes foutu. le futur, mais l’internationale de l’arrière-garde,
Et d’autres, le vent en poupe, viennent occuper «Sublimez» donc le monde, mon ami, touchez des Frères musulmans à Éric Zemmour, ne sait
la place libre. Marion Maréchal-Le Pen sait bien, l’âme du public, et rentrez chez vous. Partout, que se rétroprojeter dans un passé idéalisé.
elle, la place qu’elle lui donne. «L’art, dit-elle, a le «peuple» a désormais raison contre les «élites». En cette période de stagnation, pas étonnant
vocation à toucher l’âme et à sublimer le monde. Mais quelles élites ? qu’un jeune artiste, David Douard, déclare faire
Pour cela, pas besoin d’explication fumeuse cen- «davantage confiance aux Anonymous qu’à
sée nous aider à comprendre cet art d’élite inac- LA GRANDE PEUR DU CONTEMPORAIN François Hollande pour lutter contre Daech»
cessible. L’œuvre d’art doit pouvoir plaire aux Les figures politiques et médiatiques que l’on («Into the Darknet», les Inrocks, 2 décembre
moins instruits d’entre nous car la beauté est désigne ainsi se comportant elles aussi comme 2015). Douard fait partie de cette génération qui
universelle.» Voilà qui est dit. Et dit pour la mil- les procureurs de tout ce qui irait contre le bon aura pour tâche de penser les réseaux. Sa récente
lième fois d’ailleurs, puisque ce discours éternel, goût du «peuple», on admettra que les formes exposition parisienne (chez Chantal Crousel)
celui des pouvoirs totalitaires, consiste à d’art les plus exigeantes aient du souci à se faire. avait pour sujet la poésie, mais pour médium le
conférer à l’inculture ses lettres de noblesse, à Et que ce fameux peuple, qui a bon dos, incarne darknet, «une machine échappant à tout
légitimer l’incuriosité et le statu quo social, en pour l’heure soit la complaisance et la paresse, contrôle, éliminant toute traçabilité dans les
pétrifiant à jamais la définition de l’art. soit une foule de «consommateurs culturels». La échanges : une matière qui n’a pas de forme». Un
Or le propre de l’art vivant, comme dirait crise que nous traversons a un autre nom : la art qui s’attache à rendre visible l’invisible. Plus
La Palisse, c’est de ne pas être congelé : tout cela peur du contemporain. Le peuple dont on se près de Cézanne que de nos arrière-gardes.

44 Beaux Arts
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SUPÉRIEURE
D’ARTS
PLASTIQUES
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EN COUVERTURE

APRÈS DES ANNÉES PASSÉES À S’INCLINER DEVANT LES TENANTS DE L’ABSTRACTION, NOMBREUX SONT
LES ARTISTES À S’ADONNER DÉSORMAIS À UNE PEINTURE ANCRÉE DANS LE RÉEL. PANORAMA DE CES
NOUVEAUX HÉRAUTS DE LA FIGURATION QUI DÉPOUSSIÈRENT LE GENRE ET S’AFFICHENT SANS ROUGIR.
PAR JUDICAËL LAVRADOR

L
e refrain n’est pas neuf, vous l’avez déjà peut-être avec le spectateur, elle a fini par être débordée par l’instal- IDA TURSIC &
entendu. La peinture revient dans les galeries et lation, supposée plus «immersive». À tel point que le plaisir WILFRIED MILLE
même dans certains centres d’art ; le casting se de regarder un tableau peut paraître aujourd’hui réservé à Nés en 1974 à Belgrade
rajeunit et se renouvelle, en même temps que les formes et quelques esthètes un peu snobs, ou bien à des collection- et Boulogne-sur-Mer.
les problématiques. Bref, telle l’hirondelle au printemps, neurs prompts à y voir un médium refuge, commode et Vivent à Dijon.
telle une ritournelle, elle revient dans nos cœurs et sous nos facile à accrocher (et à décrocher). Du coup, les descen- Noyée sous un nuage
yeux. Elle n’est d’ailleurs jamais partie bien loin, simple- dants ont dû exorciser ce passé trop glorieux. La peinture, de taches multicolores,
cette Dirty Girl, reproduite
ment peut-être ne la voyait-on plus – ou ne voulait-on plus hantée par les revenants, par le poids de l’histoire, la sienne
à partir d’une page de
trop la voir ? Peut-être y avait-il moins à voir… Plus qu’un et celle du monde, s’est alors vouée à représenter les fan- magazine, a l’œil pensif.
retour, c’est donc à un réchauffement des relations entre la tômes de la mythologie ou de l’Allemagne nazie (chez les Dénudée et lascive, la voilà
peinture et son public que l’on assiste. Une période de Allemands Anselm Kiefer ou Gerhard Richter) ou ceux rhabillée par un duo
dégel, en somme, qui vaut aussi pour des peintres enfin de la période coloniale (chez le Belge Luc Tuymans). Ces de peintres pour qui la
décomplexés, décidés à se lâcher. sujets – qui s’apparentent finalement à une peinture frontière entre figuration
Mais qu’est-ce qui les bridait autant ? La peinture traîne d’histoire académique – semblent moins prégnants dans et abstraction ne tient qu’à
un fil. Les moyens, après
avec elle certains handicaps : ancestrale, elle n’a pas sur- la peinture d’aujourd’hui, qui n’est plus guère un domaine
tout, sont identiques. Dès
vécu à la photographie ou au cinéma sans y laisser, au pas- réservé… aux seuls peintres. lors, quand ils étalent leur
sage, quelques poils. Son influence sur la représentation Pour autant, est-elle encore un outil de compréhension palette sur la toile, c’est la
du monde, sur la construction des imaginaires et la diffu- du monde et des êtres ? Qu’a-t-elle de plus, ou de moins, peinture elle-même et ses
sion des images en a été sensiblement affectée. En outre, aujourd’hui qu’hier ? A-t-elle été transformée par les outils artifices qui sont mis à nu.
fixée au mur, imposant une relation simplement frontale numériques, Internet et les réseaux sociaux ? Les genres ¾ Dirty Girl, 2015

46 Beaux Arts
LES SELFIES ET LES SEXTAPES L’ONT DÉFINITI-
VEMENT MODIFIÉ. EN 2016, LE PORTRAIT SE
FAIT PLUS TRASH ET PLUS DRÔLE QUE JAMAIS.

Luc Tuymans fait dans ses toiles et dans la

M
plupart de ses expositions un récit documenté
de l’histoire contemporaine. Il y a eu cette série ême si certains entretiennent encore la tradition
consacrée à la décolonisation compliquée et continuent à faire poser le modèle devant eux,
du Congo belge (et le portrait de Lumumba), la majorité des peintres travaillent aujourd’hui d’après des
celle consacrée à la guerre en Irak (et le portrait images puisées dans les livres, les magazines, Internet.
de Condoleezza Rice). Et avant cela, cette toile Pour la plupart, ils ne connaissent donc pas ceux qu’ils
étrange, propriété du Musée national d’Art
dépeignent, trait pour trait. Le fil de l’intimité reliant ce
LUC TUYMANS moderne, traitant de la domination (raciale
et sexiste) en accouplant deux poupées : l’une, vieux couple s’est distendu, laissant le peintre orphelin et
Né en 1958 à Mortsel la peinture en deuil. Absent de l’atelier, filtré par sa source
est celle d’un G.I. Joe noir, l’autre, à peine
(Belgique). Vit à Anvers. photographique ou numérique, le sujet dépeint ne le sera
visible, sinon par sa chevelure, une Barbie.
¿ G.I. Joe, 1996 qu’à moitié. Il ne sera qu’à moitié là, détournant la tête,
ou n’arborant en lieu en place du visage qu’un vide béant
(Gideon Rubin), au mieux son dos. Cette relation à l’autre,
du peintre à son modèle, est surtout bouleversée par les
traditionnels que sont le portrait ou la nature morte sont-
réseaux sociaux. L’accès à l’intimité (et à la nudité) de per-
ils des classifications encore appropriées, alors que les
sonnes qu’on connaît à peine, voire pas du tout, en est
peintres ne s’en réclament plus vraiment ? Y a-t-il seule-
ment un sens à établir un distinguo entre peinture figura-
tive et peinture abstraite, comme nous le faisons dans ces
pages (puisque l’abstraction n’y est pas du tout traitée) ?
La plupart des peintres vous diront qu’il s’agit là d’un faux
débat. D’une part, parce que c’est moins une image que
dépeignent les artistes plutôt que le travail de la peinture
elle-même, dans ses limites et ses excès. D’autre part,
parce que l’abstraction fait elle-même image et s’ancre bel
et bien dans le réel. À commencer par Ellsworth Kelly
(mort le 27 décembre dernier, lire p. 22) qui prélève dans
la découpe d’une fenêtre, dans la courbe d’une colline ou
GIDEON RUBIN
les ombres portées sur une façade les motifs de ses
tableaux… abstraits. Il n’empêche, longtemps la peinture Né en 1973 à Tel-Aviv.
figurative a été réputée moins réflexive, peu consciente Vit à Londres.
Estomper ou flouter
d’elle-même, tandis que sa sœur abstraite, elle, ne cessait
les visages est une manière
de remettre en cause ses moyens et ses finalités, son sup- de faire (ou de défaire)
port et sa surface. L’une était la cigale, insouciante et pro- récurrente dans la peinture
digue, l’autre était la fourmi, visionnaire et élitiste. L’une contemporaine. Chez
était la cancre de service, et l’autre l’intello première de la Gideon Rubin, qui extrait
classe. Les choses changent et les rôles sont désormais ses modèles sans
moins caricaturaux. C’est tout aussi vrai des genres clas- expression (mais pas sans
allure) de vieux magazines
siques de la peinture figurative, qui nous servent de fil
ou de photos trouvées
conducteur pour illustrer, a contrario, à quel point les en vrac sur les marchés,
artistes les font dévier – un peu ou beaucoup – de leur défi- ces portraits d’inconnus
nition originale. La peinture bouge donc encore, en assu- révèlent un passé enfoui
mant son retard à l’allumage. Pour le coup, dans la fable, dans l’oubli.
elle serait la tortue. ) ¾ Kimono, 2015

48 Beaux Arts
GIULIA ANDREANI
Née en 1985 à Venise. Vit à Paris.
Une femme forte de fête foraine soutenant d’un
solide coup de reins un pianiste qui se tient coi.
Giulia Andreani fait de la peinture un numéro
spectaculaire et le support de l’expression d’une
révolution dans le genre : les femmes, longtemps
assignées sur la toile à un rôle et des qualités
archétypiques, changent d’atours et supportent
toutes les charges à la fois.
½ Damnatio Memoriae II (KKG), 2015

MARION BATAILLARD
Née en 1983 à Nantes. Vit à Montluçon.
Découverts au Salon de Montrouge, les portraits de Marion Bataillard et ses scènes
de groupe virant parfois à l’orgie fellinienne arborent la silhouette frustre et statique
de pantins désarticulés qui semblent agir à la fois ensemble et séparément, comme s’ils
s’étaient croisés là par hasard mais avec de louches arrière-pensées.
¿ Bacchanales, 2013

Beaux Arts 49
EN COUVERTURE / LA PEINTURE FIGURATIVE CONTEMPORAINE

FRÉDÉRIC
LÉGLISE
Né en 1972 à Nantes.
Vit à Montreuil.
Lui photographie ses
modèles dans l’atelier.
Mais, sur la toile, qui prend
parfois le format classique
d’un tondo (châssis rond),
Frédéric Léglise accentue
les traits, les poses,
le dessin compliqué des
vêtements et de la coiffure.
Et sature aussi volontiers
la couleur du fond pour
faire du tableau une sorte
d’écrin transportant
l’image dans un boudoir
capitonné et feutré.
¿ Natalia, 2012

facilité. Les Narcisse 2.0 qui étalent leurs charmes et leurs jeune Giulia Andreani a mis en scène femmes fortes et
ébats, prenant des poses lascives et insolites, un bras hommes serviles avec la truculence spectaculaire d’un
tendu, l’autre sur la hanche, seuls – vous fixant en même numéro de fête foraine. Ce goût du burlesque, qui animait
CHANTAL JOFFE temps qu’ils se mirent dans leur smartphone – ou à plu- déjà la troupe enfarinée de Jean-Luc Blanc, déteint sur les
sieurs dans des étreintes filmées plein cadre, sont une visages fardés et sur les corps dégingandés des person-
Née en 1969 à St. Albans
aubaine pour la peinture érotique et pornographique qui nages à l’identité ambiguë de la Britannique Chantal Joffe.
(Royaume-Uni). Vit à Londres.
trouve là le quoi jouir d’un second souffle et de quoi, à Trouble dans le portrait encore chez l’Allemande Birgit
Des corps aux proportions
nouveau, faire sauter le verrou. Les images amateurs, sales Megerle, dont les sujets favoris sont les femmes de pou-
exagérées, aux têtes étirées
ou aux jambes interminables, et pas très nettes, cultivant une forme de crudité tant dans voir et les pionnières, de Christine Lagarde à Claire Bre-
qui laissent visibles traînées l’exhibitionnisme que dans la pose, en constituent sou- técher. Si la peinture contemporaine accompagne la
et repentirs : les personnages vent le premier choix : la peinture n’est pas propre sur elle, nécessité d’une plus grande visibilité de toutes celles qui
de Chantal Joffe ont en eux ni immaculée. Elle veut souvent faire tache sur la toile et en étaient privées, elle fait passer aussi au premier plan
une dose de monstruosité dans le paysage iconographique. Le portrait revit avec les des corps et des cultures sous et mal représentées. À
qui leur vient en partie de ceux sextapes et les selfies, fussent-ils passés au filtre l’image des portraits de modèles noirs de Lynette Yia-
photographiés par Diane Arbus,
Instamatic. dom-Boakye, ou ceux de Moke, plus anciens, mais qui
qu’elle avoue adorer. Mais
ces coups de brosse colorés Le genre se métamorphose enfin à l’ère de la parité et de sont ressortis récemment à la faveur de l’exposition
et moelleux rappellent aussi la discrimination positive. Car dans l’histoire, «les femmes «Beauté Congo» à la fondation Cartier. Comme si ayant
toute une tradition fauve et pop. étaient les modèles, et les hommes les peintres», souligne perdu un modèle qui posait pour lui en chair et en os, le
¿ Woman in a Blue Coat Marlene Dumas qui a fait du bannissement de cette aber- peintre s’était plus que consolé dans les bras de mille
on Green, 2014 ration l’un des enjeux de son œuvre. Plus récemment, la autres. Et nous avec.)

50 Beaux Arts
MARCIN MACIEJOWSKI
Né en 1974 à Babice (Pologne). Vit à Cracovie.
Les poses, l’éclairage à la blancheur flashante, le cadrage ciblant un personnage mais capturant plus ou moins exprès des importuns
même pas entiers, la scène (un rendez-vous dans un bar)… tout témoigne de la source photographique de cette peinture.
Et de ce que regarde la peinture : ces nouvelles images qu’on prend à brûle-pourpoint au moyen d’un smartphone.
¿ At the Cafe, 2009

Beaux Arts 51
EN COUVERTURE / LA PEINTURE FIGURATIVE CONTEMPORAINE

AUTREFOIS THÉÂTRE DE GRANDS RÉCITS, LA PEINTURE EMPRUNTE AUJOURD’HUI SES CODES AU


CINÉMA, VOIRE AUX SÉRIES TÉLÉ. EN NOYANT L’INTRIGUE SOUS DES COUCHES D’ÉTRANGETÉ.

D es personnages jouant entre eux des scènes à la dra-


maturgie aussi précise qu’obscure. Leurs poses
extravagantes peuvent s’apparenter à des exercices spor-
qu’ils cherchent en vain des raisons d’agir ou des raisons
d’être. Hantés par les héros de la peinture classique dont
les personnages, saints, divinités ou figures mythologiques PIERRE
tifs, à de secrètes chorégraphies, à d’étranges et ancestraux étaient représentés dans des rôles et des situations déjà SEINTURIER
rituels, dont le véritable sens demeure impénétrable. Les écrites, ces créatures contemporaines aspirent toujours à
Né en 1988 à Paris,
accessoires qu’ils brandissent, l’usage qu’ils en ont, trouver leur place dans une histoire, sinon dans l’Histoire.
où il vit aujourd’hui.
semblent tout aussi incongrus. L’espace autour d’eux Ils veulent y croire. Mais rien n’est plus écrit pour eux.
Des scènes tendues par
ménage des chausse-trappes et des zones d’ombre : la pein- La peinture (ni d’ailleurs la littérature) n’est plus l’endroit un arc narratif bien équipé
ture se fait ici chambre mentale. Elle devient l’espace où se représentent les grands mythes de notre temps, et (avec un décor planté
d’une fiction sans durée. Autrement dit, la peinture c’est sans doute cette perte qui affligeait les mannequins entièrement, une lumière
s’éclaire ici d’un flash de fiction où les êtres, saisis comme de Giorgio de Chirico, errant dans des décors théâtraux et ménageant des zones
au beau milieu de l’intrigue, sont montrés d’un point de ombrageux. Le cinéma, sans doute, les séries télé, voire les d’ombre, des personnages
vue qu’en littérature on dirait externe. Leurs motivations, jeux vidéo, nouvelles machines à fiction, réservoirs de occupés, voire préoccupés)
mais suspendu parce que
leurs sentiments, le but qu’ils poursuivent semblent personnages à qui s’identifier, ont pris la relève. Du coup,
le tableau ne déroule
échapper aussi bien à l’auteur qu’au spectateur, voire aux la peinture attrape au vol leur sens de la dramatisation, pas de fil chronologique.
personnages eux-mêmes, donnant parfois l’impression leurs éclairages et leur imagerie. Par bribes et à tâtons. ) ¾ Lock Down!, 2015

BENJAMIN
SENIOR
Né en 1982 en Grande-
Bretagne. Vit à Londres.
Les scènes et le pinceau
rappellent la veine réaliste
de la peinture soviétique des
années 1950, encourageant
la jeunesse à mener une vie
sportive et dévouée au parti.
Plus question de propagande
chez Benjamin Senior.
Les motifs très graphiques
du décor, la pose, les maillots
et les serviettes des
personnages fixent les lignes
de la composition d’un
tableau presque vivant.
½ Three Bathers, 2012

52 Beaux Arts
TIM EITEL
Né en 1971 à Leonberg (Allemagne). Vit à Berlin.
À quoi pense l’architecte de cette toile qui multiplie
les plans, les jeux de surfaces et les textures ?
À remettre de l’ordre dans son chantier qui semble
avoir été laissé en plan, à moins qu’il n’ait essuyé
quelque avanie. Tim Eitel maintient exprès sa toile
entre deux eaux. L’abstraction géométrique
des carrés de couleur, la bâche froissée qui évoque
un art informel, les reflets dans le bas du tableau
qui, eux, renverraient à l’hyperréalisme…
tous ces éléments se combinent pour planter
le scénario non pas d’une reconstruction, mais
d’une déconstruction de la peinture.
¾ Architect, 2012

54 Beaux Arts
EN COUVERTURE / LA PEINTURE FIGURATIVE CONTEMPORAINE

FASCINÉS PAR LA NATURE AUTANT QUE PAR LA SCIENCE-FICTION, LES ARTISTES PLONGENT
LEURS PAYSAGES DANS DES VAPEURS PSYCHÉDÉLIQUES AU PARFUM DE FIN DU MONDE…

L’ année 2015 aura au moins été fertile en interroga-


tions sur l’environnement et le climat, mais aussi en
découvertes astronomiques, avec la publication des pre-
miers clichés de Pluton, de sa lune Charon, ceux de la
comète Tchouri par la vaillante petite sonde Rosetta, ou
encore ceux de l’astéroïde Cérès dont la surface est maculée
d’intrigantes tâches blanches. Or, les peintres eux aussi
lèvent les yeux vers les espaces célestes, traçant à la surface
de leurs toiles les contours d’une peinture de paysage qui se
laisse aspirer par l’infini cosmique. Parfois encore, autre
ligne de force dans cette catégorie qui dépeint la nature, les
toiles fleurissent d’une jungle épaisse et édénique, d’une
faune pimpante, d’oiseaux au plumage chamarré, d’espèces
florales extraordinaires (Glenn Sorensen) ou bien encore
se chargent de nuages. Toutes choses qui ont l’air un peu
vieillottes, voire naïves. La faute à des palettes sucrées (chez
ÉDOUARD WOLTON Ann Craven) ou à une touche spontanée, qui cherche à faire
Né en 1986 à Paris, coïncider la consistance éthérée de l’atmosphère et celle,
où il vit aujourd’hui. humide, de la peinture (Benoît Maire). La peinture rendue
C’est une peinture à longue à la nature ou l’inverse. Une peinture fraîche qui coule de
portée qu’affiche Édouard source en retrouvant les territoires exotiques où ont pu s’en-
Wolton, projetée vers le bout gouffrer déjà Peter Doig, Laura Owens et, bien avant eux,
du monde et plus loin encore, le Douanier Rousseau. Quant aux toiles des autres peintres
aux confins de la galaxie.
paysagers, les peintres astronomes en quelque sorte, ils
Un tableau de paysage
réenchanté au contact des
mettent la main sur des terres où personne n’a jamais posé
visions de la science-fiction, le pied. La surface de leurs toiles semble balayée par des
de l’imagerie spatiale et des tempêtes solaires et par le souffle de la science-fiction à la
vapeurs du psychédélisme. manière d’un Verne Dawson, relançant surtout la peinture
À Cratère, 2015 comme un espace et un outil d’exploration. )

BENOÎT MAIRE
Né en 1978 à Pessac. Vit à Paris.
La peinture n’est pas tout à fait la
spécialité de Benoît Maire, artiste qui
n’en a d’ailleurs aucune. Mais ses
tableaux de nuages, noirs et menaçants,
bleus et pluvieux, pâles et innocents,
lui donnent pourtant un prétexte pour
éprouver les contraintes de cette pratique
(les dégoulinures, la toile trempée qui
doit bien sécher…). Tout en gardant
l’esprit rêveur et la tête dans les nuages.
¿ Peinture de nuages, 2015
GLENN SORENSEN
Né en 1968 à Sydney. Vit à Åhus (Suède).
Les tableaux de Glenn Sorensen ressemblent à des ikebanas mis à plat. Leur composition gracile et subtile, tenant à un fil,
à une tige, à un pétale ou un bourgeon élégamment incliné relève d’une attention pleine de doigté à la nature et à la recherche
d’une harmonie apaisante. Aux limites de l’abstraction.
¿ Sunset, 2014-2015

PETER DOIG
Né en 1959 à Édimbourg.
Vit et travaille entre Trinidad,
Londres et New York.
Nuit chaude et sauvage,
imbibée de la moiteur des
Caraïbes (l’artiste vit en partie
à Trinité-et-Tobago) pour
une scène de pêche fructueuse
à bord d’un canoë qui
demeure l’embarcation favorite
du peintre pour transporter
le spectateur du premier plan
à l’arrière-plan, d’une rive
à l’autre, du réel éclairé à
l’imaginaire ombrageux.
½ Spearfisher, 2015

Beaux Arts 57
EN COUVERTURE / LA PEINTURE FIGURATIVE CONTEMPORAINE

NATURE MORTE NÉO-POP ? HAIKU DE SUPERMARCHÉ ? ENTRE SATURATION RUTILANTE ET


OBJETS BIZARRES, LA PALETTE DES PEINTRES SE CHARGE D’UN FATRAS INSOLITE. INVENTAIRE.

L a peinture reste le lieu d’un formidable inventaire et


d’un arrangement d’objets inanimés de toutes sortes.
Si l’on retrouve dans cette armoire picturale l’esprit des
et l’étalage des choses à sa surface vire au trop-plein. Dès
lors, d’autres peignent des objets de peu, de rien du tout,
voire simplement des bribes de choses dans un focus hors
natures mortes des intérieurs bourgeois, qui rapportaient de la réalité, comme le Chinois Zhang Enli et ses bouts de
les images du foisonnement des choses de ce monde, on y tuyaux traversant mollement la toile, ou encore le jeune
trouve aussi tout un fatras inédit, qui n’aurait jamais trouvé Giorgio Silvestrini, mettant en scène avec douceur des
sa place dans les tableaux d’antan. Voilà donc, plus qu’une bouts de tissu ou des feuilles de papier qui, subtilement
catégorie fourre-tout, un genre dont le fourre-tout est pliés, prennent des allures anthropomorphes. Des maté-
devenu le sujet. À l’image de ces essaims jubilatoires et riaux inertes qui semblent à deux doigts de s’animer. Et qui
écœurants de burgers, tacos, cigarettes, pastèques, frites, entretiennent entre eux de muettes conversations. Les
ordinateurs ou rouleaux de papier-toilette dont l’Améri- assemblages de volumes et de formes imaginés par Maude
caine Katherine Bernhardt tartine la surface de ses toiles, Maris relèvent de cette approche fantasmatique des choses
comme on remplit un Caddie. Armand Jalut entrelace et de la peinture qui s’affiche là, dans des teintes claires,
quant à lui sur un même plan, très lisse, barquettes en alu- vertes, mauves et blanches, comme une forme de chambre
minium et perroquets, machines rutilantes et pample- froide où se cultiveraient de nouvelles espèces ni animales,
mousses juteux, tandis que Laurent Proux passe aux rou- ni botaniques, ni minérales, mais un peu des trois, s’arran-
leaux d’une thermoformeuse les jambes, les troncs et les geant pour se combiner dans un ordonnancement intuitif
bras d’un pantin Arlequin démembré. La peinture sature échappant à la raison. )

ARMAND JALUT
Né en 1976 à Toulouse.
Vit à Paris.
L’image bégayante
d’un perroquet triplé
au plumage chamarré
rivalisant de brillance avec
des barquettes rutilantes
sur un fond bleu clair
et lisse : la peinture
d’Armand Jalut joue sur
ses qualités chromatiques
et fait un réassort des
motifs de la nature morte.
¾ Mating Dance (5), 2015

58 Beaux Arts
KATHERINE BERNHARDT
Née en 1975 à St. Louis (Missouri). Vit à Brooklyn.
Sa dernière exposition à la galerie Canada de New York
LAURENT
promettait «des motifs stupides, débiles, ridicules
et rigolos». Un programme pictural en forme de liste
PROUX
de courses à faire le dimanche au marché, incluant Né en 1980 à Versailles.
pastèques, melons et bananes. Katherine Bernhardt Vit à Paris.
ramène la peinture à sa veine idiote, chérie par le C’est une peinture
Magritte de la période vache ou par Philip Guston. qui regarde une machine
¿ Jungle Snack, 2015 industrielle dérouler et
débiter la silhouette d’un
Arlequin, volant en éclats
et venant s’écraser en
miettes au premier plan.
Une peinture qui prend
parti face aux cadences
infernales du travail
à la chaîne et vient tout
aplatir : les perspectives,
les espoirs, les rires
et les corps.
½ Découpe, 2015

Beaux Arts 59
EN COUVERTURE / LA PEINTURE FIGURATIVE CONTEMPORAINE

ZHANG ENLI MAUDE MARIS


Né en 1965 dans la Née en 1980 à Caen. Vit à Paris.
province de Jilin (Chine). Un attelage de sculptures aux
Vit à Shanghai. matières diverses, spongieuses,
Un arbre qui végète plâtreuses ou carnées, occupe
(avec deux branches le tableau, mutique, de Maude
taillées ras) comme l’image Maris. La précision du trait
d’une peinture fatiguée, et de la mise en scène contraste
contrainte de se serrer avec le sens de ces objets
la ceinture : ce qui fascine bizarres, parfois exposés en dur
dans cette toile de l’un et en vis-à-vis de la peinture,
des meilleurs peintres dans un dialogue équivoque.
chinois contemporains, ¾ Les Acrobates, 2014
c’est qu’elle semble hantée
par ces branches coupées
comme, paraît-il, l’est
un amputé, privé d’un
membre.
¾ The Tree Stump (2),
2014

GIORGIO SILVESTRINI
Né en 1985 à Palerme. Vit à Paris.
Cet épouvantail flanqué d’une parodie de costume d’homme de loi
et d’une tête en forme de boule évoque certes de très près les personnages
de théâtre d’ombres de Chirico, voire ceux, végétalisés, d’Arcimboldo.
Mais chez cet artiste italien diplômé des Beaux-Arts de Paris, il s’agit moins
de chosifier les êtres vivants que d’humaniser les choses.
½ Général II, 2015

60 Beaux Arts
À VOIR, DE CLERMONT-FERRAND À MILAN…
«À quoi tient la beauté des étreintes» du 30 janvier «Maude Maris – À claire-voie» jusqu’au 12 mars «Pierre Seinturier – It’s a Way of Life !» jusqu’au 31 janvier
BVNBSTr'SBD"VWFSHOFr$MFSNPOU'FSSBOE HBMFSJFEFM­USBWFr5IPOPOMFT#BJOT HBMFSJF(FPSHFT1IJMJQQF/BUIBMJF7BMMPJTr1BSJT
XXXGSBDBVWFSHOFGS¾"WFD"EBN"EBDI %BNJFO$BEJP  XXXWJMMFUIPOPOGS XXXHBMFSJFWBMMPJTDPN
.BVEF.BSJT 4JMLF0UUP,OBQQw «Pierre Seinturier – I Want to Believe» jusqu’au 21 février «Benjamin Senior – Parade» jusqu’au 27 février
«Gideon Rubin – Questions of Forgiveness» jusqu’au 5 mars NVTÊFE"SUNPEFSOFFUDPOUFNQPSBJOEF4BJOU­UJFOOF (BMMFSJB.POJDBEF$BSEFOBTr.JMBO
HBMFSJF,BSTUFO(SFWFr1BSJTrXXXHBMFSJFLBSTUFOHSFWFDPN XXXNBNTUFUJFOOFGS XXXNPOJDBEFDBSEFOBTDPN

Beaux Arts 61
ÉDITION D’ART

À la découverte
d’un herbier
cosmique
N

APRÈS LES FÊTES, RIEN DE TEL QUE QUELQUES RECETTES AUX


PLANTES POUR ENTAMER UNE DETOX EN DOUCEUR. LE
CONSEIL DE BEAUX ARTS ? RINCEZ-VOUS L’ŒIL AVEC CE STU-
PÉFIANT TRAITÉ ENLUMINÉ DU XVe SIÈCLE, REPRODUIT EN FAC-
SIMILÉ PAR LES ÉDITIONS D’ART MOLEIRO. ENSORCELANT…

PAR SOPHIE FLOUQUET

62 Beaux Arts
Tractatus de Herbis, folios 82 verso et 83 recto
Rose, romarin, garance des teinturiers, ronce à mûres, rue des jardins…
telles sont quelques-unes des multiples espèces végétales destinées
à la préparation de drogues médicinales illustrant les feuillets de ce
précieux manuscrit du XVe siècle, conservé à la British Library de Londres.
Vers 1440, peinture sur parchemin, 360 x 255 cm. Beaux Arts 63
ÉDITION D’ART / TRACTATUS DE HERBIS

À GAUCHE Folio 6 recto


Le Tractatus de Herbis répertorie des végétaux
mais aussi divers animaux, utilisés dans
la pharmacopée médiévale ou simplement
reproduits pour animer les pages. Ici, un
oranger, un aigle et une araignée accompagnés
de leurs légendes latines manuscrites
en écriture gothique.
CI-CONTRE Folio 11 recto
Ce traité est aussi d’une grande qualité
esthétique. Les spécimens y sont parfois
figurés de manière stylisée, comme ici
cette superposition – à peine visible –
d’une acanthe et d’un cirse féroce
doté de grandes fleurs jaunes.

PAGE DE DROITE Folio 56 verso


La mandragore, plante anthropomorphe
aux innombrables vertus, y compris toxiques,
a fait l’objet d’un traitement très soigné.
Les proportions du corps et son modelé
presque christique dénotent une réelle
maîtrise picturale.

onnaissez-vous la mandragore ? Cette rhizomes, qui s’apparentent à deux longues sant volume d’étude rédigé par l’historien Alain

C plante vivace réputée depuis l’Anti-


quité, qui pousse principalement dans
le Bassin méditerranéen, a alimenté bien des
jambes brunes et à un sexe. D’où cette forme
stupéfiante qu’elle a pris dans de très nom-
breuses images anciennes : celle d’une plante
Touwaide, du Smithsonian Institute for the
Preservation of Medical Traditions, véritable
enquête historiopaléographique qui permet de
légendes. Ses propriétés hallucinogènes ont été anthropomorphe. La mandragore est figurée comprendre la genèse complexe de l’ouvrage.
à la base de multiples décoctions aux vertus sur de nombreux manuscrits anciens. L’une de Feuilleter les 109 folios de parchemin de cette
plus ou moins magiques. Gare toutefois au sur- ses représentations les plus fascinantes, un singulière compilation revient en effet à s’im-
dosage. À faible dose, elle est un bon anti- homme à tête de plante, orne le feuillet d’un merger dans les merveilles de la botanique
dépresseur mais aussi un antalgique ou un aph- très précieux manuscrit, connu sous le nom médiévale. Au fil de ses quelque 500 illustra-
rodisiaque. À moyenne dose, elle se mue en générique de Tractatus de Herbis. Cet incroyable tions, apparaissent tous types de plantes, occi-
sérum de vérité ou en narcotique. Mais ingérée herbier est un chef-d’œuvre de l’illustration dentales mais aussi exotico-orientales, simple-
en trop grande quantité, elle devient un poison botanique dont l’histoire demeure obscure. On ment assorties de leur nom. S’y glisse aussi, çà
tout simplement mortel. Au IIIe siècle avant sait, grâce à une étude de sa graphie, qu’il a été et là, un bestiaire étonnant, volailles, poissons
J.-C., pendant les guerres puniques, le Cartha- écrit et enluminé vers 1440 en Italie, dans un ou invertébrés étranges. Et même quelques
ginois Hannibal aurait quitté son camp en lais- atelier lombard. figures humaines dont ces personnages
sant derrière lui des amphores empoisonnées cueillant à même l’arbre des cerises, peintes
à la mandragore. Les sorcières du Moyen Âge MERVEILLES DE LA BOTANIQUE MÉDIÉVALE comme de grosses grappes, ainsi que des miné-
avaient la réputation de l’utiliser en encens ou, Conservé (sous la cote Sloane 4016) parmi les raux, parmi lesquels le cinabre, un minerai de
mieux encore, de s’en enduire les muqueuses et 25 000 manuscrits médiévaux de la British mercure lui aussi connu pour être un poison.
les aisselles afin d’entrer rapidement dans des Library de Londres – l’institution conserve bien Contrairement aux autres traités à l’icono-
transes mystiques. Pour cela, il fallait néan- d’autres trésors tels que le Codex Sinaiticus (l’un graphie proliférante, les plantes sont ici figurées
moins respecter quelques règles de cueillette : des deux plus anciens manuscrits de la Bible), hors de terre, sans élément décoratif supplé-
ramasser la plante de nuit après avoir tracé un les Évangiles de Lindisfarne (bijoux de l’enlumi- mentaire, regroupées comme dans un vaste
cercle autour d’elle, en ayant pris soin de se nure médiévale) ou encore le carnet de Vinci cabinet de curiosités. Le trait de l’enlumineur
boucher les oreilles à la cire, sous peine de ne – ce dernier n’est presque jamais présenté au se fait parfois presque abstrait : les végétaux,
pas pouvoir supporter les cris d’agonie stri- public, même si ses planches numérisées sont ainsi stylisés, confèrent alors une modernité
dents du végétal… visibles sur le site Internet de la bibliothèque. picturale à l’ensemble.
Outre ses propriétés, c’est aussi l’aspect même Mais comme d’autres ouvrages rares des collec- Autre singularité, le Tractatus de Herbis est un
de la mandragore qui a suscité les fantasmes les tions publiques européennes et américaines, traité… sans traité ! Les plantes, animaux ou
plus fous. Constituée d’une longue tige malo- il a fait l’objet d’une audacieuse réédition inté- minéraux y sont seulement accompagnés d’une
dorante, elle se poursuit en terre très profon- grale en fac-similé par la maison espagnole légende, rédigée à l’occasion dans différentes
dément, parfois jusqu’à un mètre, en deux Moleiro. Celle-ci est accompagnée d’un impo- langues afin d’en faciliter l’identification. D’où

64 Beaux Arts
ÉDITION D’ART / TRACTATUS DE HERBIS

ces questions : pourquoi avoir produit une castoréum, produit par le castor. Selon la
simple compilation d’images, sans même pro- légende, lorsque le castor, pris en chasse, sent la
poser de texte pour l’interpréter ? À quoi pou- capture proche, il s’émascule, empêchant ainsi
vait donc servir un tel ouvrage ? Des traces tout prélèvement de musc. Dans notre manus-
d’usage sur les pages indiquent en tout cas qu’il crit, c’est bel et bien un chevrotain qui fait de
n’était pas un manuscrit d’apparat. même… D’où un trouble sur l’intérêt d’un tel
manuel médicinal induisant en erreur sur la
HERBE HYPÉRICON ET POUX D’ÉLÉPHANT nature des matières médicales… La confusion
Comme l’analyse minutieusement Alain s’explique aisément : le savoir écrit s’est dilué
Touwaide, ce Tractatus appartient à un groupe d’un manuscrit à l’autre, au cours du Moyen
d’ouvrages similaires diffusant un discours uni- Âge, du fait de mauvaises retranscriptions.
versel sur les plantes par l’image, lointain dérivé Notre ouvrage serait lui-même la copie d’une
de traités de médecine plus anciens. Tout dans version du XIIIe siècle. Au point qu’à la fin du
cet album de botanique est ainsi sélectionné à XVe siècle, notamment en Italie, plusieurs
des fins thérapeutiques : il y a là un compendium médecins s’indignèrent des dangers d’une telle
des ingrédients destinés aux apothicaires et perte de connaissances. D’où une grande entre-
physiciens pour élaborer des remèdes, toute la prise de correction et l’appel d’un certain Leo-
matière première de la pharmacopée médié- niceno (1428-1524) qui préconisa l’abandon des
vale. Ces plantes aux noms étranges, herbe livres médicaux disponibles au profit d’un
hypéricon ou poux d’éléphant, ne sont autres retour aux traités antiques, à l’image du De mate-
que des drogues médicinales. Poussant l’ana- ria medica de Dioscoride et de l’Histoire naturelle
lyse, Alain Touwaide a toutefois décelé un cer- de Pline. Qu’importe ! La plongée dans notre
tain nombre d’erreurs et d’approximations. étonnant Tractatus de Herbis n’en est pas moins DES LIVRES DE FOLIE !
Comme le musc du chevrotain, sécrété par ses passionnante pour ce qu’elle nous enseigne de C’est là le métier de l’édition, loin, très loin,
glandes anales – on croyait alors qu’il était pro- l’histoire de la pharmacopée et pour son illus- du livre numérique mais en recourant malgré
duit par les testicules –, mais confondu avec le tration d’une extraordinaire fantaisie. Q tout à des techniques sophistiquées.
Depuis plus de vingt ans, la maison d’édition
Manuel Moleiro, installée à Barcelone,
s’est lancée dans une aventure un peu folle.
Celle de rééditer en fac-similé, avec reliure
en cuir estampé et reproduction à l’identique
de tous les feuillets, quelques-uns des plus
grands manuscrits enluminés de l’histoire
de l’art (occidentaux et orientaux) tels que
les Grandes Heures d’Anne de Bretagne,
le Livre de chasse de Gaston Phébus ou la Bible
de saint Louis, mais aussi des atlas et portulans
anciens. Soit des «quasi originaux» selon
les mots de l’éditeur. Imprimés chacun
à 987 exemplaires et certifiés devant notaire,
ils sont le fruit d’un long et patient travail,
qui débute par des négociations parfois ardues
avec les grandes bibliothèques publiques
détentrices de ces trésors – celles-ci doivent
accepter de laisser photographier en très haute
définition tous les feuillets. Pour chaque
manuscrit «cloné», il faut donc un minimum
de deux ans de travail, souvent beaucoup plus,
afin de parvenir à la qualité de reproduction
souhaitée. Chaque ouvrage est par ailleurs
accompagné d’un épais volume de
transcriptions, commentaires et explications
de texte, confié à d’éminents spécialistes,
qui relève à lui seul du beau livre.
Folio 28 recto Folio 50 recto Le prix pour s’offrir de telles raretés est
Sa légende le prétend castor alors qu’il a tout du cervidé. Un étrange bestiaire, aussi sauvage à l’avenant, entre 2 000 et 20 000 €…
Normal : il s’agit en fait d’un chevrotain porte-musc. qu’incongru, vient enrichir cet album d’images Tractatus de Herbis (Sloane MS. 4016) rÊE.PMFJSP
Mais c’est le castor, recherché lui aussi pour ses précieuses toutes plus étonnantes les unes que les édition première, unique, numérotée et limitée
ÆFYFNQMBJSFTDFSUJàÊTQBSOPUBJSFrWPMVNF
sécrétions, qui est réputé pour s’émasculer en cas de autres. Pour preuve, en bas de ce feuillet, un
EFDPNNFOUBJSFTSÊEJHÊQBS"MBJO5PVXBJEFrQ
danger. Signe apparent de quelques-unes des multiples bien étrange éléphant velu au corps de chien www.moleiro.com
confusions et erreurs reproduites dans ce manuscrit. et aux défenses placées dans la gueule.

66 Beaux Arts
Folio 40 recto
À droite, le détail d’une
chatoyante amarante
tricolore, plante
comestible et réputée
immortelle.
RÉTROSPECTIVE / PALAIS DE TOKYO / DU 19 FÉVRIER AU 16 MAI

68 Beaux Arts
JEAN-MICHEL ALBEROLA
«UN ARTISTE DOUÉ,
C’EST UN ARTISTE QUI FAIT DON»
PEINTRE, AVENTURIER, UTOPISTE, PASSIONNÉ DE PHILOSOPHIE, JEAN-MICHEL ALBEROLA
EST UN ARTISTE ATYPIQUE, SECRET ET VIVANT EN RETRAIT, UNE SORTE DE PATRICK
MODIANO DE L’ART. PEU CONNU DU PUBLIC, ADORÉ PAR DE NOMBREUX ARTISTES, SON
TRAVAIL FAIT L’OBJET D’UNE RÉTROSPECTIVE AU PALAIS DE TOKYO, À PARIS. L’OCCA-
SION DE REDÉCOUVRIR L’ŒUVRE FOISONNANTE DE CET INFLUENT TOUCHE-À-TOUT.

PAR EMMANUELLE LEQUEUX

lope au bec dans le bureau jauni d’un vénérable guère, et préfère livrer ses secrets à ses étudiants aux

C atelier de lithographie de Montparnasse où il a


ses modestes quartiers, entre mille affiches d’an-
tan, Jean-Michel Alberola est, contre toute apparence,
Beaux-Arts de Paris plutôt qu’aux journalistes ou à la
foule des vernissages. D’ailleurs, les siens, il n’y va pas.
«Rien», dit l’un de ses néons les plus fameux: les lettres
un aventurier. Comme on n’en fait plus. Le corps hési- dessinent de leurs boucles les volutes d’un crâne. Une
tant, le verbe lent mais fulgurant, des questions en guise tête bien faite et bien pleine, pour prendre conscience
de regard. Un peintre hors cadre, hors temps. Un de ces de la vanité de toute chose.
aventuriers précieux qui (ne) trouvent (pas) là où plus Pourquoi Alberola reste-t-il méconnu, bien qu’essen-
personne ne cherche; recueillant les choses de peu, les tiel au paysage de l’art français? La notoriété, c’est sûr,
pensées minoritaires, bref toute cette marge qui fait il ne l’a pas cherchée, et son art est trop cultivé pour
tenir le livre, pour paraphraser Godard qu’il aime tant. faire la couverture des magazines. Mais il a l’infini res-
Artiste très contemporain, à la culture d’un ancien pect de ses pairs, artiste d’artiste, comme on dit pour
temps, il n’a ni téléphone portable, ni téléphone tout justifier la négligence. Sa rétrospective à venir au Palais
court. Pour un peu, on aurait envoyé un télégramme afin de Tokyo promet donc de surprendre. Le révélant
de quémander une entrevue, à lui qui ne se rencontre peintre en majesté, descendant de Giotto, Velázquez
autant que de Malevitch, mais aussi philosophe anar-
chiste nourri de marxisme, et poète féru d’économie
ou d’astronomie. Né en Algérie en 1953, c’est un soli-
Crâne (néon)
taire contradictoire, préoccupé, comme peu, de la
Quatre lettres, pour dessiner la vanité d’un crâne…
Avec ce néon, Jean-Michel Alberola résume son parti pris :
chose commune: «Ce que j’essaie de formuler, c’est du
ne rien inventer, mais faire vibrionner les neurones réel; mais du réel en morceaux», lance-t-il, en acrobate
en connectant toutes sortes de domaines de la pensée. de ce verbe aussi souple qu’énigmatique qui jalonne fré-
1995, enseigne intérieure, néon, 20 x 25 cm. quemment ses peintures.

Beaux Arts 69
RÉTROSPECTIVE / JEAN-MICHEL ALBEROLA

«JE VIENS APRÈS TOUT LE MONDE. JE N’INVENTE RIEN, JE FAIS JUSTE UN PAS DE CÔTÉ, D’UN MILLIMÈTRE.
J’AI UNE SORTE DE MACHINE DANS LA TÊTE, QUI CAPTURE.»

«Une question obsède cet utopiste repenti, précise Jean de


Loisy, président du Palais de Tokyo : qu’est-ce qui fait qu’un
groupe fait communauté ? Qu’est-ce que le pouvoir ? Com-
ment devenir grain de sable ?» D’où ce conseil que l’artiste
donne souvent à ses élèves : «Passez une demi-heure sur une
place, n’importe, République ou Montparnasse, pour avoir
conscience de ce qui se passe dans les rues. C’est d’une très
grande beauté, absolument ; personne ne se touche, personne
ne se heurte, et tous parlent du vivre-ensemble, avec toutes
les contradictions de cette population si mélangée», confie-
t-il d’une voix enfumée. À ses yeux, tout est flux et échange,
c’est pourquoi il aime tant la lithographie, «cet art élégant et
démocratique qui fait circuler les choses. Un artiste doué,
poursuit-il, c’est un artiste qui fait don» ; un être qui accepte
de se déposséder de tout, à l’instar des figures qui hantent sa
fameuse série de toiles intitulée les Rois de rien, qui moque tout
pouvoir. Ou de ce sympathique animal qu’il s’est choisi
comme icône, un «pingouin non productif incontrôlable» : de
ces êtres nécessaires dont «les sociétés ont si peur».
Considérer le monde contemporain «comme une aventure
que nous devons construire tous ensemble», tel est pourtant
son motto. «Mais ce qui manque aujourd’hui, c’est cette
confiance en l’aventure. L’imaginaire, lui, est là», ajoute ce
passionné d’Albert Camus et Walter Benjamin. L’art, bien
sûr, a son rôle à jouer dans le processus. «Il nous signale les
contradictions du monde contemporain, car le poétique est
politique, il n’est qu’à lire Hölderlin ou Rimbaud pour l’en-
visager. Nous, les artistes, ne voyons pas plus que vous, mais
nous donnons forme, nous matérialisons ces visions. Pas de Le Roi de rien III
quoi frimer», conclut-il dans une moue amusée. Désireux de Se déposséder de tout, sauf du savoir… Pour Alberola, qui a réalisé toute une série de peintures
ne surtout pas faire d’explications de texte de ses toiles, portant ce titre, l’artiste est un roi de rien, un aristocrate de l’ascèse, assis sur un trône instable.
sculptures ou néons, il accepte tout juste de dévoiler de rares 2000-2002, huile sur toile, 162 x 150 cm.

JEAN-MICHEL ALBEROLA EN 10 DATES


1953 Naît à Saïda, Algérie.
1982 Première exposition personnelle à la galerie Daniel Templon.
1985 Exposition «La peinture, l’histoire et la géographie»,
Centre Pompidou, Paris.
1986 Breton dixit, Actéon fecit, sculpture pour le jardin des Tuileries.
Devenir groupe 1989 «Magiciens de la Terre», Centre Pompidou
& Grande Halle de la Villette, Paris.
Grand maître
de la lithographie, 1990 «Astronomie populaire», Carré d’Art, Nîmes.
qu’il apprécie pour 1991 Commence son enseignement à l’École nationale supérieure
ses capacités des beaux-arts de Paris.
de diffusion, l’artiste 2008 «La précision des terrains vagues (Extension)», rétrospective
s’inspire ici des au musée d’Art moderne de Saint-Étienne.
affiches de Mai 68, 2012 «Néon – Who’s Afraid of Red, Yellow and Blue ?»,
mais en fait un la Maison rouge, Paris.
dessin mural, à taille 2014 «De Giacometti à Tàpies, 50 ans de collection»,
d’homme. fondation Maeght, Saint-Paul-de-Vence.
2012, mur peint.

70 Beaux Arts
La Vision des habitants de Watts en 1965, I
Paupière supérieure, paupière inférieure. Soit une série de toiles mettant en abîme la question du regard. Toujours concerné par les questions sociétales, le peintre s’inspire ici des émeutes
raciales de Los Angeles, dans le quartier de Watts, en plein combat pour les droits civils. Mais il a aussi réalisé une toile à partir des récentes émeutes de Ferguson.
2015, huile sur toile, 130 x 97 cm.

Beaux Arts 71
RÉTROSPECTIVE / JEAN-MICHEL ALBEROLA

indices : «Je viens après tout le monde. Je n’invente rien, je Fétiche – Gardien
fais juste un pas de côté, d’un millimètre. J’ai une sorte de de l’enfance de tout
machine dans la tête, qui capture. Et j’établis des connexions, Inspiré d’un byeri
(statuette) de l’ethnie Fang
entre la littérature, les mathématiques, la peinture ; c’est un
du Gabon, ce reliquaire
montage permanent, méthode cubiste que m’a enseignée semble porter un secret.
l’Ulysse de Joyce...» Pour lui, le monde est ainsi, immense Celui de l’enfance de l’art ?
rhizome. À nous de faire nos propres connexions. «Moi je 2005-2008, peinture glycéro
fais la moitié du boulot, à vous de faire l’autre moitié.» sur statuette Ewé, 30 cm.

Autrement formulé : «Le tableau dit : “toi-même”, et celui


qui le voit dit : “moi aussi”.» À une seule condition : savoir
s’imprégner de la langue de l’artiste. «Chacun propose la
sienne ; il faut du temps pour apprendre le Miró, mais une
fois cette langue maîtrisée, on entre dans ce territoire et on
comprend tout, sans que Miró nous donne d’explication.»
Pour lui, pas de mystère : «Ce qu’écrit Rimbaud, c’est une
simple description de la réalité, rien n’est inventé. C’est une
conscience claire.» Claire, sa conscience à lui l’est tout
autant ; impossible de ne pas évoquer l’actualité récente, qui
a plongé la France dans le trouble et la tragédie. «J’ai toujours
eu une sorte de confiance dans l’esprit français, commence-
t-il. Mais je suis comme Pasolini, j’ai une vitalité désespérée,
ou un pessimisme actif. Je suis très effondré en ce moment,
mais je fais confiance à la jeunesse : elle, qui a été attaquée,
saura tout modifier. Garder de l’ancien et enlever du nou-
veau.» En écho aux événements récents, il projette de réali- peinture. S’ils ont un problème de rouge, peut-être doivent-
ser pour le Palais une œuvre autour de Zénobie, «reine de ils lire Simone Weil ? À moins que cela ne soit un problème
Palmyre. Et pas parce qu’elle avait la même coupe de che- de bleu ?» Seule certitude : cette philosophe est à ses yeux
Koyamaru
veux que la princesse Leia de Star Wars…» «Paupière infé- essentielle. «Car elle, elle cherche. Elle va en Espagne pen-
Alberola est parti de longs
rieure, paupière supérieure», est-il souvent écrit sur ses mois au cœur des dant la guerre civile, elle travaille en usine… Comme d’autres
toiles, comme on indiquerait «Haut, bas, fragile». Et entre montagnes de la région femmes philosophes que j’admire, elle échappe au détermi-
les deux, en guise de pupille, Alberola peint le monde : évo- de Niigata, au Japon. nisme de la pensée. Pas comme les mecs ! Tout d’un coup,
cation des émeutes raciales de Watts, dans le Los Angeles Dans cette région aussi elles sentent un truc.» La maxime pourrait s’appliquer à lui,
des années 1960, ou de Ferguson, tout récemment. rude que magnifique, qui s’amuse dans une de ses œuvres de cette phrase program-
Tel est le mouvement de son œuvre, nourrie d’actualité il s’est lancé un défi : matique : «Va chercher !» Comme on dit à un chien. En cela,
«filmer l’espace», et y a
comme de mille références à la littérature ou au cinéma, qu’il il est aventurier. «L’aventure, c’est simple : je n’ai pas de pro-
répondu en donnant à voir
partage avec l’amateur d’art autant qu’avec ses élèves. «Tout les villageois sans âge gramme, je ne sais pas où je vais. Finalement je suis comme
ce que je peux faire, raconte-t-il au sujet de ces derniers, c’est de ces hameaux enneigés. le Petit Poucet : je pose mes cailloux au fur et à mesure de la
leur conseiller des livres, ou des films, pour améliorer leur 2009, film. route. Et l’ogre ? Il est bien là !»

DE L’AQUARELLE AU CINÉMA
Parti arpenter les terres sordides d’Auschwitz, à la fin des
années 1980, Alberola en est revenu avec des aquarelles a
priori anodines, maisonnettes et champs de fleurs, qui
répondent à l’assertion du philosophe Theodor Adorno :
«Écrire un poème après Auschwitz est barbare.» Pour l’expo-
sition du Palais de Tokyo, il rêve de faire route vers Ibiza sur
les traces du philosophe et flâneur Walter Benjamin, et vers
Samoa, sur les pas de Stevenson, l’auteur de l’Île au trésor (un
autre de ses phares). Pour y chercher quoi ? «Je veux entrer
dans ce qu’ils ont vu, résume-t-il, lapidaire. Benjamin, parce
qu’il a écrit Expérience et pauvreté à Ibiza. Stevenson, parce qu’il
a défendu les indigènes contre l’occupant, malgré la maladie
et la fatigue. Et que j’adore sa manière d’amener différents
points de vue dans l’histoire, de privilégier les zones non dites.
Et puis, il faut bien que je me tire un peu, que je m’aère !»
Des escapades, il en fait aussi hors de la peinture. Notam-
ment vers le cinéma, son premier amour, auquel il revient
parfois, inspiré par ses maîtres : les très conceptuels Jean-

72 Beaux Arts
CI-DESSOUS
Non productif incontrôlable n° 6
Improductif et hors contrôle : telles sont
les immenses qualités que tout artiste
se doit d’avoir, semble nous dire cette toile
frappée de l’image d’un pingouin un peu
amoché, effigie chère à cet «anartiste».
 IVJMFTVSUPJMF YDN

CI-DESSUS
Marie Straub & Danièle Huillet («mais je suis aussi ravi de
voir Mad Max», prévient-il), Godard ou John Ford, parce que
Self
UNE RÉTROSPECTIVE EN FORME DE RÉBUS
Faut-il voir dans cette toile
«tous ses films sont guidés par l’idée de communauté, et que
un autoportrait de l’artiste Son visage, vous ne le verrez pas : Alberola est un discret, et son œuvre
les gens y parlent aux morts». Lui-même est l’auteur d’une en clown triste ? Il s’agirait relève pour beaucoup du mystère, aussi essentielle soit-elle en regard
vidéo envoûtante tournée dans un village au fin fond des alors d’une des rares de l’histoire récente de l’art français. Voilà plus de vingt ans que
montagnes du Japon («Je voulais filmer l’espace, dit-il, me apparitions publiques ce peintre passionné autant d’économie que d’astronomie
mettre de gros problèmes pour avancer…»), ou, tout récem- de cet homme ou de mathématiques n’a pas eu de rétrospective à Paris : l’oubli
ment, d’un film tourné à Assise, en Italie, sur les traces de éminemment discret. est réparé par le Palais de Tokyo, qui poursuit son cycle de grandes
l’ascétique saint François. Mais surtout, depuis plus de  IVJMFTVSUPJMF  redécouvertes, après Julio Le Parc et Takis. L’occasion d’éclairer cette
24 x 19 cm.
quinze ans, il rêve de réaliser un long-métrage autour du Dis- peinture si cultivée, mais aussi de l’entourer de tous les néons, objets
cours de la servitude volontaire de La Boétie, pas moins. «Ce et installations réalisés par cet influent professeur aux Beaux-Arts de
serait une fiction, mais qui ne serait faite que de documen- Paris, dans une exposition composée comme un rébus philosophique.
Les amateurs pourront aussi repartir avec une page du Capital
taire, jamais vous ne saurez où vous êtes, s’amuse-t-il. Je veux
de Karl Marx, qu’Alberola signera chaque jour, en bel anarchiste.
filmer le bruit de l’histoire. De la Pologne nazie et commu-
«Jean-Michel Alberola – L’aventure des détails» du 19 février au 16 mai
niste aux printemps arabes». De gros problèmes pour avan- 1BMBJTEF5PLZPr BWFOVFEV1SÊTJEFOU8JMTPOr1BSJTr
cer ? On ne saurait mieux dire. Mais pour les traiter, Alberola www.palaisdetokyo.com
a cet immense atout, que résume joliment Jean de Loisy : À LIRE Jean-Michel Alberola – Tableaux par Catherine Grenier
«Dans ses mains fragiles, il sait porter l’art comme quelque ÊE'MBNNBSJPOrQré ÆQBSBÏUSFMFGÊWSJFS
chose d’infiniment précieux». Q

Beaux Arts 73
ÉVÉNEMENT / NOORDBRABANTS MUSEUM / DU 13 FÉVRIER AU 8 MAI
Fantastique et dépravé,
LE MONDE SELON BOSCH
SOUS LES DÉLICES, LES DÉMONS. PAS ÉTONNANT QUE SES TABLEAUX GROUILLENT DE VISIONS HAL-
LUCINATOIRES : BOSCH VOYAIT LE MAL PARTOUT. À L’OCCASION DES 500 ANS DE SA MORT, UNE
EXPOSITION ÉVÉNEMENT RASSEMBLE LA QUASI-TOTALITÉ DE SON ŒUVRE. DE QUOI OBSERVER DE
PLUS PRÈS LES OBSESSIONS DÉLIRANTES DE CE PEINTRE DE GÉNIE, CHÉRI DES SURRÉALISTES.
PAR DAPHNÉ BÉTARD
Le Jardin des délices [détail] Vers 1500-1505, triptyque, huile sur bois, 220 x 389 cm.
ÉVÉNEMENT / JÉRÔME BOSCH

CI-DESSUS ET PAGE DE DROITE (DÉTAIL)


Le Jardin des délices
«Je ne puis m’empêcher de penser que le secret véritable de ses cauchemars et visions magnifiques reste à découvrir. Nous avons percé quelques ouvertures dans la porte de la pièce condamnée,
mais nous n’en avons pas encore découvert la clé», soulignait Erwin Panofsky en 1953. Malgré les nombreuses études menées depuis, l’œuvre de Bosch demeure une énigme fascinante.
Vers 1500-1505, triptyque, huile sur bois, 220 x 389 cm.

n homme-arbre dont l’abdomen abrite flamands, les théories les plus folles courent à le grotesque, se moquent des vices des fidèles

U une taverne d’où le vin coule à flots, un


homme-montagne qui offre sa croupe
aux voyageurs égarés, un porc habillé en nonne,
son sujet. On le dit hérétique, membre d’une
secte secrète prônant l’amour libre, tandis que
les surréalistes voient en lui le peintre du rêve et
afin de les inciter à mener une vie vertueuse.
Ce genre satirico-moral, qui permet aux
artistes de laisser libre cours à leur inspiration,
des êtres difformes à tête de rapace prenant de l’automatisme. Ses peintures sont analysées gagne même les églises, notamment la cathé-
des poses obscènes, des hommes mutilés en à l’aune de l’astronomie, de l’alchimie puis de la drale de Bois-le-Duc dont les étranges person-
proie à la folie, des oiseaux tricéphales, des rep- psychanalyse qui fait de lui un schizophrène ! Et nages sculptés en façade ou sur les chapiteaux
tiles improbables, des nudistes qui s’ébattent aux commentateurs de se prendre les pieds dans ont, à n’en pas douter, impressionné le jeune
dans une nature luxuriante, des scènes de tor- les innombrables détails de ses compositions Bosch. Lequel reprend à son compte ces trou-
ture dans des zones ravagées évoquant les labyrinthiques. Jusqu’à ce que des historiens de vailles pour les transposer dans la peinture sur
entrailles de la Terre… Les tableaux de Jérôme l’art pugnaces et scrupuleux ne rétablissent la bois, dans la veine réaliste d’un Hans Memling
Bosch (1450-1516) nous perdent dans un univers vérité, malgré des sources très lacunaires, sur la ou d’un Hugo van der Goes (eux-mêmes
fantastique oscillant entre cauchemar et hallu- carrière de cet artiste : loin d’être un excentrique influencés par les grands Van Eyck et Van der
cination. Impossible à embrasser d’un seul asocial, Bosch fut un homme de son temps, aisé, Weyden). «Tout est dans la manière, et Bosch
regard, son œuvre, par la profusion de détails érudit, qui s’est hissé au sommet des élites de sa a une façon de manipuler la culture visuelle des
délirants, fascine et hypnotise depuis cinq ville natale, Bois-le-Duc. Profitant de l’essor Pays-Bas qui le place totalement à part»,
siècles ses contemplateurs. À tel point qu’on en d’Anvers, sa voisine, cette cité du Brabant était résume l’historien de l’art Larry Silver.
a longtemps négligé la dimension spirituelle et alors un lieu de pouvoir et de commerce, abri- Le peintre de Bois-le-Duc connaît un succès
morale pour n’en retenir que la farce satirique. tant d’importants centres religieux. retentissant. Ayant épousé une fille de la petite
Désigné comme «faiseur de diables» au lende- Fils et petit-fils de peintre, Bosch a grandi dans noblesse et disposant d’importants revenus,
main de sa mort, Bosch (prononcer «bosse» en l’atelier familial et baigné dans la culture des Bosch devient membre de la puissante confré-
flamand) est peu à peu considéré comme une «drôleries», cette manie d’orner les marges des rie de Notre-Dame (qui réunit les élites de
bizarrerie, un génie visionnaire et marginal. Et manuscrits et les bestiaires de monstres, Bois-le-Duc) et bénéficie de son réseau pour se
lorsque le XXe siècle redécouvre les primitifs démons et êtres hybrides qui, par la parodie et faire connaître jusque dans les cours princières

76 Beaux Arts
ÉVÉNEMENT / JÉRÔME BOSCH

LES INSTRUMENTS À VENT INSUFFLENT LA TENTATION


Souffler avec force dans leur instrument, presque en louchant, leur donne un vilain air de famille. Et il faut se méfier, semble suggérer l’artiste, de ces joueurs de musique qui bourdonnent à l’oreille
une agréable mélodie, car ce n’est que du vent. Avec le sexe et l’argent, la musique profane était alors considérée comme l’un des principaux instruments de la tentation.

Le Jardin des délices [détail] Allégorie de la débauche et du plaisir [détail] Les Tentations de saint Antoine [détail]

LA SODOMIE, PÉCHÉ MORTEL !


Cela fait partie des détails scabreux qui ne cessent d’étonner, amuser ou fasciner les spectateurs de ses peintures. Bosch plante des fleurs, des flûtes et des flèches dans l’anus de ses personnages
pour faire allusion aux travers de ses contemporains tels que la sodomie (alors considérée comme un péché) ou à d’autres jouissances éphémères…

Le Jardin des délices [détail] Le Jardin des délices [détail] Le Jugement dernier [détail]

et maisons royales européennes. C’est à elles hallucinantes, les éléments sont sens dessus d’un gecko – le lézard, surtout actif la nuit,
que seront destinés ses grands triptyques. Le dessous et le monde se retrouve à l’envers. Le craint donc la lumière divine. C’est encore lui
plus célèbre d’entre eux, le Jardin des délices, a été message est clair : gare à celui qui perd le qui se cache dans le Jardin des délices derrière ce
peint en 1503 pour Henri III, comte de Nassau contrôle de la raison, car il finira en enfer ! monstre bleu à tête d’oiseau assis sur un trône
et seigneur de Bréda. Vision édénique de l’hu- (au sens propre comme au sens familier du
manité avant le Déluge et l’enfer, il n’a d’égal LE DIABLE EST DANS LES DÉTAILS terme) en train d’engloutir et de déféquer
dans ses proportions et ses ambitions que le À la fin du Moyen Âge, le diable fait encore par- simultanément des hommes coupables de
Jugement dernier, exécuté en 1506 pour Philippe tie du quotidien, et l’enfer est une menace per- péchés divers et variés. Lucifer n’est jamais
le Beau roi de Castille, et les Tentations de saint manente pour chaque individu. L’œuvre de seul ; il est escorté d’une horde de démons per-
Antoine, premier grand triptyque (vers 1502), où Bosch s’inscrit dans cette perspective escha- vers et calomniateurs qui sont là pour diviser
la figure de l’ermite disparaît dans une foule de tologique et l’expression «le diable est dans les et pervertir les hommes. À l’image du messager
personnages tous plus effrayants les uns que les détails» prend ici tout son sens. Le Malin appa- diabolique à patins – au XVe siècle une expres-
autres. Et il faut redoubler d’attention pour raît sournoisement dans le tableau Saint Jean sion voulait que le monde se déplace à patins,
apercevoir le Christ rédempteur, être minus- l’évangéliste à Patmos sous la forme d’une créa- c’est-à-dire qu’il s’écarte du droit chemin – qui
cule au fond d’une ruine. Dans ces compositions ture grotesque dotée des pattes et de la queue surgit dans les Tentations de saint Antoine : cet

78 Beaux Arts
L’ŒUF, COQUILLE DU MALIN
«Le mal est déjà dans l’œuf», disait-on à l’époque. Le peintre reprend à son compte cet élément traditionnellement associé à la naissance du monde ou à l’alchimie pour en faire le réceptacle
du démon, être difforme chaussé de bottes, ou de corbeaux, symboles de mort et de cataclysme. Et quand ce groupe d’hommes veut y pénétrer, c’est pour y chercher, en vain, la rédemption.

Le Jugement dernier [détail] Le Jardin des délices [détail] Les Tentations de saint Antoine [détail]

LA TORTURE, UN SPECTACLE BANAL


Pilori, mutilations, exécution par pendaison ou décapitation devant un public venu nombreux : les supplices font partie de la vie quotidienne des anciens Pays-Bas. Bosch y consacre un véritable
«reportage», décrivant avec précision la manière dont les criminels pouvaient être embrochés, dépecés, écorchés dans des scènes atrocement captivantes.

Le Jugement dernier [détail] Le Jugement dernier [détail] Le Chariot de foin [détail]

être bossu à tête d’oiseau, coiffé d’un enton- leurs désirs, des chevaliers tournant en rond poignard pour le joueur, une main tranchée
noir, porte un rameau dénudé soulignant le autour d’un bassin, en proie à la confusion. La pour l’assassin ou une paire d’oreilles poignar-
desséchement de son esprit. Comme les luxure est ici associée à la gourmandise car, dées pour ceux qui avaient eu le malheur
autres, il symbolise le mal et le péché qui vous pour Bosch comme pour ses contemporains, d’écouter de la musique profane. Tout l’œuvre
conduisent, au mieux, au purgatoire, au pire, un péché en entraîne un autre. Dans le Jugement de Bosch est empreint de cette conception du
directement chez Satan. dernier, tous les péchés capitaux se trouvent monde. Et la faune et la flore peintes par l’ar-
ainsi réunis : la paresse gît sur un tonneau, la tiste sont elles aussi truffées de références à la
UN SCARABÉE COPIÉ PAR DALÍ colère est symbolisée par une lame de couteau perdition de l’homme et aux tentations qui
C’est ce qui arrive aux hommes coupables de brandie, la luxure prend la forme d’une femme jalonnent le chemin de sa vie. Ses oiseaux sont
luxure dans le Jardin des délices, où l’artiste a à l’entrée d’une auberge, la gourmandise est pareils à des âmes plus ou moins égarées selon
décliné les multiples possibilités de l’amour déjà en train de frire à la poêle pour être dévo- leur attitude et leur position dans le ciel. Par-
charnel – le couple dans la bulle pour l’hétéro- rée… À cette époque où les châtiments corpo- fois, ils désignent des travers humains précis.
sexualité, les deux hommes agenouillés dont rels étaient couramment pratiqués, les sup- C’est le cas de la huppe du Jardin des délices,
l’un a des fleurs plantées dans l’anus pour plices étaient dirigés sur la partie du corps par oiseau splendide mais ayant la réputation d’être
l’homosexualité et, au centre, possédés par laquelle on avait péché : une main percée d’un malpropre (pour protéger son nid, la femelle

Beaux Arts 79
ÉVÉNEMENT / JÉRÔME BOSCH

émet une sécrétion puante) renvoyant ici aux


créatures impures qui se parent de richesses
pour séduire. Le chardon, nourriture de l’âne,
est, lui, signe de cupidité. Et ces grosses fraises
dont se délectent les hommes et femmes nus
du Jardin des délices illustrent les plaisirs illu-
soires de la vie. La consommation de fruits
était une métaphore classique de l’union
sexuelle et elle pourrait ici également faire allu-
sion à un passage du Roman de la Rose (texte
essentiel du Moyen Âge sur l’art d’aimer) : le
motif récurrent de la fraise évoquerait un per-
sonnage dont les paroles flatteuses ont l’odeur
et le goût sucré de la fraise mais dissimulent
l’aiguillon du mal. On l’aura compris, chez
Bosch, rien n’est fortuit, pas même la forme de
ce rocher (toujours dans le Jardin des délices) doté
d’une cavité dont la forme suggère un profil
humain. L’image double d’un scarabée en
forme d’œil fermé sera même repris par Dalí
dans le Grand Masturbateur (1929). Le peintre
surréaliste était fasciné par cette période où les
artistes comme Bosch scrutaient les formes des
montagnes et nuages pour y trouver des figures.

DES ŒUVRES POUR «PRÊTER À DÉBAT» ?


L’exercice est jouissif. Et l’on pourrait gloser à
l’infini sur chaque détail du monde selon
Bosch. Pourtant, c’est bien dans sa globalité
qu’il faut comprendre son art. Pour l’historien
de l’art Reindert Falkenburg, le Jardin des délices
a été conçu pour «prêter à débat». Bosch
s’adresse à un public averti et cultivé qui consi-
dérait une œuvre d’art comme le point de
départ à des discussions. Ses tableaux sont des
invitations à méditer sur la condition humaine
mais aussi à prendre position, à juger les com-
portements, les idées, à discerner le vrai du
faux. Les saints ne sont d’ailleurs plus convo-
qués pour leurs vertus protectrices mais Paysage de l’enfer
comme des exemples à suivre. Bosch est nourri Longtemps considéré comme une œuvre d’atelier, ce dessin vient d’être identifié par les experts du Bosch Research
de cette culture de la dévotion, très vivace à & Conservation Project (BRCP) comme un dessin authentique du maître flamand. Issu d’une collection privée, il sera exposé
Bois-le-Duc, qui n’hésite pas à poser un regard pour la première fois au public lors de la rétrospective organisée au Noordbrabants Museum.
critique sur les institutions ecclésiastiques Non daté, plume et encre brune sur papier, 25,9 x 19,7 cm.
tout en soulignant la responsabilité person-
nelle de chacun pour son salut, comme le
rappelle Jan Willem Noldus. Ce philosophe et
historien de l’art parle de l’œuvre de Bosch
PAGE DE DROITE
comme d’«une sagesse désabusée» : celui-ci ne Saint Jean Baptiste en méditation
se fait pas d’illusion sur la facilité de l’être L’air doux et mélancolique, drapé du rouge annonçant la Passion et allongé sur toute la largeur du tableau, saint Jean Baptiste
humain à se laisser pervertir et met en garde désigne du doigt l’Agneau, symbole du Christ. La plante étrange s’élevant au centre de la composition porte trois fruits dont
contre toutes les formes de dépravation, et ce les graines font penser à une grenade, emblème de la fertilité et de l’abondance, de l’amour miséricordieux et de l’immortalité.
de façon souvent grinçante. Comme Érasme, 1490-1495, huile sur bois, 48,5 x 40 cm.

80 Beaux Arts
ÉVÉNEMENT / JÉRÔME BOSCH

Bosch pense que le péché, c’est avant tout


l’ignorance, l’égarement, l’orgueil. À l’instar
des personnages représentés dans le Chariot de
foin qui ne perçoivent pas la figure de Dieu
dans le ciel, aveuglés par la recherche de leurs
propres plaisirs. Le Colporteur, peint sur les
volets de ce diptyque une fois fermé, incarne-
rait, de façon générale, l’humanité qui avance
et doit faire face à toutes sortes de tentations.
Rien n’est perdu d’avance, à condition d’être
vigilant et d’avoir conscience de ses actes. Tel
pourrait être le message de l’artiste. On est
bien loin des clichés du génie impulsif à l’esprit
torturé par des créatures démoniaques.
Quoique… À bien y regarder, difficile de ne pas
envisager que le peintre prît aussi un malin
plaisir à choquer ses spectateurs en donnant
corps à leurs pires cauchemars. Q

Le Chariot de foin
À la fin du Moyen Âge, le motif de l’herbe sèche fait allusion
à la vanité de l’homme et à la fugacité de l’existence.
Considéré comme une valeur absolue, le foin séduit toutes
les classes sociales : paysans, moines, nobles, bourgeois
et même l’empereur et le pape. Au risque de finir en enfer…
Vers 1555, triptyque, huile sur bois, 147 x 212 cm.

BOSCH CÉLÉBRÉ DES PAYS-BAS


À L’ESPAGNE
La grande exposition «Jérôme Bosch (1450-1516)»
organisée en 2001 à Rotterdam avait éclairé l’artiste
sous un nouveau jour en précisant ses influences
et en effectuant de nouveaux recoupements entre
les peintures qui lui étaient attribuées. La rétrospective
organisée cette année à l’occasion des 500 ans de sa
mort par le Noordbrabants Museum de Bois-le-Duc
(Pays-Bas) et le musée du Prado, à Madrid, permet
de poursuivre l’aventure et de percer un peu plus
les mystères entourant son œuvre. En apportant
notamment de nouvelles informations sur le travail de
son atelier où s’activaient moult élèves et assistants…
Les établissements ont réussi l’exploit de réunir une
vingtaine d’œuvres sur les vingt-cinq peintures et huit
dessins connus de l’artiste. Trop précieux pour voyager,
le célèbre Jardin des délices ne sera visible qu’au
musée du Prado, qui en est l’heureux propriétaire.
«Jérôme Bosch – Visions d’un génie»
> Du 13 février au 8 mai au Noordbrabants Museum
7FSXFSTTUSBBUr#PJTMF%VD T)FSUPHFOCPTDIFOOÊFSMBOEBJT
rXXXCPTDIOM
> %VNBJBVTFQUFNCSFBVNVTÊFEV1SBEPr.BESJE
www.museodelprado.es

À LIRE
Catalogue QBS.BUUIJKT*MTJOL+PT,PMEFXFJKrDPÊE
/PPSECSBCBOUT.VTFVN.FSDBUPSGPOETrQr é
Bosch – Le Jardin des délices par Reindert Falkenburg
ÊE)B[BOrQré

82 Beaux Arts
Beaux Arts 83
ÉVÉNEMENT / JÉRÔME BOSCH

ANALYSE D’ŒUVRE

La Nef des fous


Vers 1494, huile sur bois, 58 x 33 cm.

est la seule œuvre de Bosch que possède


C’ le musée du Louvre : la Nef des fous a repris
des couleurs au terme d’une habile restauration
permettant aujourd’hui d’en offrir une meilleure
interprétation. Les études menées au préalable
et la suppression de repeints ultérieurs à sa créa-
tion ont confirmé que ce petit tableau fait en réa-
lité partie d’un triptyque démembré il y a long-
temps (probablement pour être vendu en
plusieurs morceaux). Elle constituait la partie
haute du volet gauche, dont la partie basse, une
Allégorie de la débauche et du plaisir, est conservée
à New Haven (Yale University Art Gallery). Le
volet droit, la Mort de l’avare, se trouve quant à lui
à Washington (National Gallery ) et les revers des
volets représentant le Vagabond (ou le Colporteur)
à Rotterdam. Ils seront tous réunis à la grande
rétrospective de Bois-le-Duc et de Madrid qui
pourrait permettre – sait-on jamais ? – de retrou-
ver la trace du panneau central manquant.

À GAUCHE
La Mort
de l’avare
Vers 1485-1490,
huile sur bois,
93 x 31 cm.

84 Beaux Arts
UN CIEL SOUS UN NOUVEAU JOUR LE DÉTAIL LE PLUS CHOUETTE
Le nettoyage de l’œuvre a redonné sa luminosité au paysage qui se déploie à C’est un des signes distinctifs de l’artiste : la chouette (chevêche, pour être exact)
l’arrière-plan avec sa belle ligne d’horizon bleutée et quelques vestiges d’éléments apparaît régulièrement dans l’œuvre de Bosch, notamment dans le Jardin des
architecturaux à peine visibles car usés par le temps. Cette construction subtile délices. Oiseau de la sagesse dans l’Antiquité grecque, elle devient pour l’Occi-
du paysage est typique de la manière flamande et montre la virtuosité de cet dent médiéval un animal maléfique, symbole de fourberie, d’aveuglement et de
artiste capable de transcrire les effets de l’atmosphère avec une peinture très mensonge. Équivalent du serpent de l’arbre de la connaissance, elle incarne
diluée (et donc plus fragile). Satan et ses maléfices qui détournent le fidèle du droit chemin.

UNE NONNE ET UN MOINE DANS UN BATEAU IVRE DES PÉCHEURS À LA DÉRIVE


Un frère franciscain tonsuré et une nonne joueuse de luth (symbole de l’inspira- Tout nous ramène effectivement ici au péché de gourmandise : le moine et la nonne
tion mais aussi de la luxure), chantant de bon cœur avec de joyeux drilles éméchés sont attablés sur une planche de fortune garnie de fruits rouges et d’un gobelet
et un simple d’esprit perché sur une branche, tous réunis sur une barque à l’équi- tandis qu’une galette est suspendue à portée de leurs bouches – on pense ici à un
libre précaire : l’image ne manque par de mordant ! L’œuvre a longtemps été rap- jeu populaire du type mât de cocagne où il faut grimper en haut d’un poteau pour
prochée de la Nef des fous, récit allemand de Sébastien Brant dépeignant la récupérer un lot suspendu, ici un poulet prêt à être consommé. Derrière eux, un
condition humaine sur un mode satirico-moral en utilisant la métaphore, très individu ayant probablement abusé des bonnes choses vomit par-dessus bord tan-
répandue à l’époque, du bateau à la dérive. La confrontation avec les autres élé- dis qu’un autre chante à tue-tête en tenant à la main un aviron en forme de cuillère.
ments du triptyque dont il est issu et qui serait consacré aux sept péchés capitaux Sans oublier ce nageur vêtu du plus simple appareil qui s’approche, son auge à la
fait aujourd’hui pencher les historiens pour une allégorie de la gourmandise. main, réclamant à manger ou à boire.

Beaux Arts 85
REPORTAGE

DE PÉKIN À SHANGHAI, L’ART PLANANT ET TURBULENT DE LA

CHINE CONTEMPORAINE
EN ATTENDANT L’EXPOSITION QUI LEUR EST DÉDIÉE À LA FONDATION VUITTON, BEAUX ARTS EST PARTI À
LA RENCONTRE DES PEINTRES, SCULPTEURS ET VIDÉASTES LES PLUS EXALTANTS DE LA RÉPUBLIQUE
POPULAIRE. REPORTAGE À PÉKIN ET SHANGHAI, EN PLEIN TSUNAMI ENVIRONNEMENTAL ET CULTUREL…
PAR FABRICE BOUSTEAU
CAO FEI
RMB City – A Second Life Planning
2007, vidéo, 6 min.

a Chine compterait pas moins de ser un panorama exhaustif de la création «Bentu – Des artistes chinois dans la turbu-

L 5millions d’étudiants en arts plas-


tiques et plus de 500000 artistes!
Des chiffres ahurissants mais guère éton-
contemporaine chinoise. Ce n’est d’ailleurs
pas la prétention de la fondation Louis Vuit-
ton qui, douze ans après «Alors la Chine?»
lence des mutations», celle-ci a pour objec-
tif de montrer comment les plasticiens tra-
duisent le tsunami économique, social,
nants au regard de la population du pays, la présentée au Centre Pompidou, a conçu, en environnemental et culturel qui bouleverse
première au monde: 1,3 milliard d’habi- collaboration avec le Ullens Center for leur pays depuis vingt ans. Bentu signifie la
tants. À comparer toutefois avec les Contemporary Art de Pékin, une exposi- terre natale, et intègre simultanément les
50000 artistes qu’enregistre la France pour tion réunissant douze artistes de généra- notions du local et du global. Bentu, ou la
seulement 66 millions d’âmes. On mesure tions différentes, «douze individualités question de l’identité dans une République
cependant combien, face à un demi-million marquantes» incarnant le caractère protéi- populaire dont toutes les valeurs ont été
d’artistes, il serait illusoire de vouloir dres- forme de la création chinoise. Intitulée radicalement transformées.
REPORTAGE / LA NOUVELLE SCÈNE CHINOISE

1/ À PÉKIN, LES ARTISTES VIVENT DANS DES THÉÂTRES ET DES USINES.


À PÉKIN, AUJOURD’HUI, ON EXHIBE LES ARTISTES COMME DES FERS
DE LANCE DE LA NOUVELLE CULTURE CHINOISE…

CAO FEI RMB City – A Second Life Planning 2007, vidéo, 6 min.

Vendredi 11 décembre 2015, comme à celui d’il y a un ou plusieurs siècles, par sa vidéo intitulée i.Mirror, dans laquelle
surlendemain de la plus grande est devenu un truc très tendance. En tout cas elle suit son avatar dans le monde virtuel de
alerte à la pollution jamais très nouveau car depuis vingt ans, on ne fait Second Life, mais aussi par RMB City, film
connue à Pékin : le ciel est que détruire pour reconstruire ! Cette restau- d’animation sur une ville imaginaire ressem-
désormais incroyablement bleu et l’air se res- ration ne manque d’ailleurs pas d’intérêt car blant à un gigantesque parc d’attractions, sur
pire tranquillement… bien que la plupart des cet espace des années 1980 évoque ceux que fond de musique happy, mais qui n’échappe pas
passants portent encore un masque. Nous l’on trouvait en France dans les années 1960… aux maux de la Chine actuelle, de la pollution
sommes devant un bâtiment à deux étages, Fille d’un sculpteur officiel (qui a notamment à l’exploitation des travailleurs. Un Disney
banal, dans une rue tranquille de la mégapole. réalisé des effigies de Deng Xiaoping, numéro 1 World du futur, mâtiné d’un brin d’acidité
Depuis deux mois, l’artiste Cao Fei y a investi du régime de 1978 à 1992), Cao Fei appartient façon Alice au pays des merveilles et d’une pointe
un ancien «théâtre-cinéma» pour en faire son à la génération «néo-néo», celle de l’après- de Mad Max ! Maîtrisant parfaitement son
studio. Elle en commence la visite en montrant Tian’anmen. Une génération tout à la fois discours et témoignant d’une grande précision
fièrement le petit bureau et la cuisine qu’elle a hyperglobale et hyperchinoise. Comme sur dans ses explications, Cao Fei décrypte quasi
«restaurés à l’identique». En Chine, s’intéresser toute la planète, la révolution porte un nom : sociologiquement l’évolution des mœurs de
au patrimoine des dix dernières années, Internet. Cao Fei s’est ainsi fait remarquer son pays. Notamment la sexualité, comme en

88 Beaux Arts
CAO FEI
Née en 1978.
Cao Fei en 2015 dans son atelier, un ancien cinéma de Pékin.
Vit et travaille à Pékin.

HAO LIANG The Virtuose Being [détail] 2015, encre et peinture sur soie, 40 x 1312 cm (dimension du rouleau).

témoigne sa dernière vidéo, Strangers, qui sera


projetée à la fondation Louis Vuitton : elle y
piège des hommes cherchant à se masturber
en live face à des jeunes filles. Cao Fei appar-
tient à une catégorie d’artistes qui déve-
loppent un travail très politique sous une
apparence de légèreté, en «habillant» ses
œuvres de pop culture.
Tout comme Liu Chuang, que l’on pourrait
qualifier d’artiste activiste et qui présentera à
HAO
LIANG
Paris sa vidéo intitulée BBR1, un clip à l’allure
de publicité pour un remède miracle contre les
allergies dues au pollen. En réalité, une critique
cynique du gouvernement chinois qui, dans le Né en 1983.
cadre de mesures de lutte antipollution, a Vit et travaille à Pékin.

Beaux Arts 89
REPORTAGE / LA NOUVELLE SCÈNE CHINOISE

LIU WEI Liberation No.16 2014, huile sur toile, 400 x 720 cm.

planté un million d’arbres greffés d’un produit


OGM conçu pour… les dépolliniser. Ce qui a,
en définitive, provoqué une sévère pollution
chimique attaquant durement les poumons
des Pékinois !
Pourtant plus jeune, Hao Liang (né en 1983)
cherche à renouer avec la peinture tradition-
nelle chinoise, particulièrement avec le
shanshui, la représentation des paysages natu-
rels. Très professoral, Hao Liang nous accueille
dans un atelier assez banal en commençant par
un cours sur l’histoire du shanshui et la perte
pour la culture chinoise que représente, à ses
yeux, tout un pan de l’art contemporain. Tout
cela sans hésiter à se revendiquer comme
admirateur du calligraphe et homme politique
Kang Youwei (mort en 1927), fervent militant
d’une monarchie constitutionnelle… Soudain,
alors que Hao Liang fait l’éloge de la copie des
maîtres anciens, on a le sentiment de basculer LIU WEI atelier rempli de dizaines de tableaux en cours
et des centaines de pots de peinture. Ses
dans un autre âge. Pour la fondation Louis Né en 1972. œuvres font penser à des circuits imprimés.
Vuitton, il peint – sur un rouleau de soie de 12 Vit et travaille à Pékin. Une esthétique résolument numérique : ces
mètres de long – un jardin paysager de Pékin lignes de couleur connectées sont d’abord
avec sa grande roue de fête foraine. Dans une conçues par ordinateur, avant d’être peintes
facture très classique qui peine à nous par des assistants après un long travail de com-
convaincre. position. Dans une autre immense salle, des
En comparaison, à une demi-heure de là, dans sculptures constituées d’accumulations de
un quartier de baraques de bric et de broc à représentations d’immeubles chancelants :
proximité d’une gare de triage, le gigantesque artistes rencontrés, il ne parle pas anglais, ou si «Depuis ma naissance, dit cet artiste invité à la
atelier de Liu Wei, avec sa quarantaine d’as- peu. C’est avec un traducteur que je pourrai, dernière biennale de Lyon, j’ai vu quantité de
sistants, détonne. Longiligne et élégant, le après la visite, l’interviewer. La première salle maisons détruites et de valeurs abandonnées ;
maître des lieux de 43 ans déambule sans dire de cet ancien entrepôt de 1 000 m2 tient à la j’ai vu du chaos mais aussi l’émergence de nou-
un mot, confiant la visite à son assistant. Pro- fois du showroom et du bureau ; on y trouve veautés. Je ne sais quoi en penser. C’est un
bablement parce que, comme la majorité des des canapés en désordre et un billard, puis un mouvement, il n’y a pas de solution à chercher.

90 Beaux Arts
XU QU Currency Wars 2015, installation.

C’est pourquoi l’art, pour moi, est un jeu. Je


m’amuse à développer des idées qui reposent XU QU en lacérant sa peau pour lui donner l’apparence
de celle d’un zèbre… Ces images sont insoute-
uniquement sur ce que dégagent mes œuvres.» Né en 1978. nables. Une manière pour l’artiste de dénoncer
De l’installation qu’il est en train de terminer Vit et travaille à Pékin. l’importation de «peaux de zèbre» au bénéfice
pour la fondation Louis Vuitton, il ne voudra de riches consommatrices en quête de man-
donner aucune explication, bien qu’elle soit teaux originaux. Ancien élève de l’artiste suisse
assez différente de son travail habituel : un John Armleder, dont le travail est centré sur la
espace métallisé au sol, des panneaux aux question du décoratif, Xu Qu joue avec des
formes colorées et abstraites et des sculptures formes séduisantes pour mieux montrer l’im-
en Plexiglas. Une sorte de mix d’abstractions, montrable. Une esthétique philosophique
des années 1960 à aujourd’hui, tout aussi asia- somme toute assez rare dans l’art contempo-
tique qu’occidental. rain chinois.
À la tombée de la nuit, le dernier atelier visité
est celui de l’artiste Xu Qu (né en 1978) dont
les grands tableaux carrés fixés des deux côtés
d’un portique noir sur roulettes, exposés
récemment à Londres et à Paris par la galerie
Almine Rech, ont séduit nombre de collec-
tionneurs. Pop et très graphiques, ces pein-
tures à double face sont en réalité des agran-
dissements (à 60 fois) de détails de billets du
monde entier, du dollar du Zimbabwe (la
devise la plus dévaluée au monde) au yuan en
passant par le dollar américain. Pour l’artiste,
les motifs les plus étonnants sont réalisés à par-
tir des zones les plus usées de ces billets. Une
esthétique street art que Xu Qu revendique :
«L’art est dans la rue, dans le quotidien que l’on
ne remarque pas, comme sur ces billets.» Son
total look noir (tee-shirt, blouson, baskets), ses
gestes, son attitude, tout l’atteste. Pour une
vidéo intitulée Zebra, Xu Qu a même franchi la
porte d’un abattoir. On y voit un homme tuer
un cheval à coups de marteau, puis le dépecer

Beaux Arts 91
REPORTAGE / LA NOUVELLE SCÈNE CHINOISE

2/ UNE TRÈS TRÈS BRÈVE HISTOIRE DE L’ART CONTEMPORAIN


CHINOIS POUR ESSAYER DE COMPRENDRE CE QUI ARRIVE…

CI-DESSUS WANG GUANGYI Great Criticism – Coca-Cola


1993, huile sur toile, 200 x 200 cm.
CI-CONTRE CHEN ZHEN Back to Fullness, Face to Emptiness
1997-2009, aluminium, acier et néon, 400 x 450 cm.

En Chine comme en Inde, l’art YAN PEI-MING Mao rouge


2000, huile sur toile, 129,5 x 96,5 cm.
contemporain est né à la suite
d’un tournant libéral écono-
mique et social. En Inde, ce fut
au milieu des années 1990. En Chine, au début
des années 1980. L’art contemporain a éclos et
s’est développé parallèlement aux réformes et zhou, Macao… Les musées ont connu le même
à l’ouverture sur le monde occidental entre- phénomène exponentiel alors que de grandes
prises par Deng Xiaoping qui succéda à Mao galeries chinoises et internationales ont ouvert
deux ans après sa mort, en 1978. C’est la période à Pékin, comme la Galleria Continua et la
appelée Nouvelle Vague (1979-1989), qui se Pace Gallery installées dans l’espace 798, une
caractérise par une explosion créative et une ancienne usine d’armement des années 1950.
grande liberté d’expression, donnant naissance S’y trouve également le Ullens Center for
à des mouvements comme le political pop art. Contemporary Art, centre d’art créé par les
Fleurissent alors des peintures mettant en Ullens, un couple belge comptant parmi les plus
scène le choc des cultures, des codes et des grands collectionneurs d’art contemporain
images : la Chine et le Coca-Cola, la Chine et chinois. Aujourd’hui, cette fondation privée,
Chanel… Au mitan des années 1980, ce pays en coorganisatrice de l’exposition de la fondation
éveil devient avide de livres, de catalogues et Louis Vuitton, fonctionne essentiellement
d’expositions de cet art occidental considéré, ment censé unir le taoïsme à une forme de néo- grâce au mécénat privé chinois. Pour finir avec
jusqu’à Mao, comme décadent. Pour satisfaire dada ! C’est d’ailleurs Huang Yong Ping (qui vit cette trop brève histoire de l’art contemporain
leur soif de liberté, beaucoup d’artistes en France depuis 1989) qui occupera, en mai chinois, force est de constater que la scène
émigrent, vers la France notamment, comme prochain à Paris, la nef du Grand Palais dans le artistique actuelle révèle un extraordinaire
Yan Pei-Ming (arrivé en France à 20 ans en cadre de Monumenta. dynamisme. Toutes les formes d’expression y
1980) ou Chen Zhen, artiste majeur installé en La consécration de l’art contemporain chinois semblent possibles alors que la censure s’y fait
France en 1986 et aujourd’hui décédé. a lieu en 1999 à la biennale de Venise avec plus plus rare, peut-être parce que les artistes pra-
C’est Jean-Hubert Martin qui, en 1989, avec de 50 artistes exposés. Depuis, la Chine s’est tiquent une forme d’autocensure… À l’excep-
son exposition mythique «Magiciens de la de plus en plus ouverte à la création, multipliant tion évidemment du célèbre Ai Weiwei, incar-
terre», révéla à Paris trois de ces artistes de notamment les biennales sur son vaste terri- nation de l’artiste opposant politique, libéré
l’avant-garde chinoise, dont Huang Yong toire. On en dénombrait déjà sept en 2005, à récemment après plusieurs incarcérations et
Ping, créateur de Xiamen Dada, un mouve- Pékin, Shenzhen, Chengdu, Guiyang, Guang- une mobilisation internationale.

92 Beaux Arts
Vue de l’exposition «Gu Dexin – The Important
Thing Is not the Meat» en 2012 à l’UCCA (Ullens
Center for Contemporary Art), à Pékin.
REPORTAGE / LA NOUVELLE SCÈNE CHINOISE

3/ À SHANGHAI AVEC SES MOBYLETTES ÉLECTRIQUES,


À SHANGHAI CHEZ XU ZHEN, UN JEUNE ARTISTE QUI A CRÉÉ
UNE «ENTREPRISE D’ARTISTE», À SHANGHAI CHEZ YANG FUDONG
DONT LES FILMS DONNENT DES FRISSONS DE BEAUTÉ…
Le Yuz Museum, dont le rideau de verre a été dessiné par l’architecte Sou Fujimoto. Direction le Yuz Museum. Le collectionneur
sino-indonésien Budi Tek, qui a fait fortune dans
l’élevage de poulets, a créé dans d’anciens han-
gars un musée d’art contemporain de 9 000 m2
avec une annexe dessinée par Sou Fujimoto dont
le rideau de verre offre une vue magnifique sur
le fleuve Huangpu. La collection permanente
compte le meilleur de la création chinoise et
internationale, dont des œuvres monumentales
de Maurizio Cattelan ou Adel Abdessemed.
Les expositions temporaires éblouissent tout
autant, à l’image de la rétrospective Alberto
«On est encore à Shanghai ? !!!» Après une longue discussion [lire p. 96] au cours Giacometti qui s’ouvrira en mars prochain et qui
Une heure que la voiture file sur de laquelle il me dira que la Chine évolue si vite s’annonce comme la plus grande jamais consa-
une autoroute sans fin. Le que les artistes chinois sont aujourd’hui les plus crée à l’artiste. Longtemps à la traîne par rapport
chauffeur, comme l’immense dingues au monde, je repars enthousiaste pour à Pékin, Shanghai s’est fortement développée
majorité de la population, ne parle pas anglais. aller chez Yang Fudong. Artiste cinéaste culturellement ces dernières années, notam-
Il ne me répond pas. On arrive enfin. Oui, on est majeur de la scène chinoise né en 1971 et repré- ment grâce à des programmes gouvernemen-
encore à Shanghai, me dit Xu Zhen à mon senté en France par la galerie américaine Marian taux ambitieux et à l’engagement de collection-
arrivée dans son atelier gigantesque de plus de Goodman, il magnifie dans un noir et blanc neurs et mécènes. Le fleuve Huangpu représente
5 000 m2 dont je ne pourrai voir que le show- sublime le Shanghai des années 1930 et ses jeunes le nouvel axe culturel de la ville avec le Yuz
room (de 1 000 m2) où sont exposées les œuvres femmes diaphanes à la beauté troublante. Museum mais aussi le Long Museum, ouvert
achevées. Le reste de l’atelier ? Top secret : il y en 2014 par un couple de collectionneurs, Wang
expérimente des œuvres et des formes nouvelles LES ARTISTES LES PLUS DINGUES AU MONDE Wei et son mari Liu Yiqian. Un espace de
qu’il ne veut pas montrer car c’est son «labo- Il me reçoit chez lui, au cœur de la ville, dans un 33 000 m2 qui fait la part belle à la peinture
ratoire». Né en 1977, Xu Zhen est l’un des artistes appartement joyeusement bordélique. Reconnu contemporaine chinoise ainsi qu’à un ensemble
les plus inventifs, les plus étonnants de la Chine internationalement, présent dans les collections rare d’œuvres de propagande. C’est dans ce
contemporaine. Grand, habillé en streetwear, il des plus grands musées, Fudong réalise pourtant quartier que devrait s’ouvrir prochainement,
me fait penser par son mélange de légèreté et de des œuvres atypiques et difficiles pour le marché dans d’anciens entrepôts immenses, un Centre
gravité à Fabrice Hyber. D’autant que, comme de l’art. Célèbre pour son esthétique hors temps Pompidou temporaire. De Pékin à Shanghai, la
l’artiste français, il est représenté à Paris par la et hors sol, il m’apprend que son prochain film Chine est indéniablement dans un processus
galerie Nathalie Obadia et qu’il a créé lui aussi sera en couleurs et concernera les changements accéléré de mondialisation, tant pour faire la
une sorte d’entreprise artistique dénommée sociaux de sa ville natale, alors qu’il s’était aupa- promotion de sa culture que pour assimiler et
Made in Company. Dans son atelier, une œuvre ravant toujours tenu à l’écart de toute considé- diffuser la culture occidentale. Des nouveaux
me fascine littéralement : des reproductions de ration politique. Je lui demande pourquoi et il chemins chinois qui, de la fondation Vuitton au
sculptures du Parthénon sur la tête desquelles me répond qu’étant lui-même issu d’une famille Centre Pompidou, passent aussi par la France. Q
l’artiste a fixé à l’envers des copies de sculptures pauvre qui s’est sacrifiée pour l’envoyer dans une
bouddhiques chinoises de la même époque : un école d’art, il se sent dans l’obligation de témoi-
fabuleux télescopage des cultures occidentales gner de l’évolution de son pays. Une plongée
et asiatiques [ill. p. 97]. Autre collage totalement dans ses racines qui va le conduire aussi, me dit- À VOIR À PARIS
déroutant, une vidéo qui sera présentée à la il, à renouer avec sa jeunesse, et donc avec la «Bentu – Des artistes chinois dans la turbulence
fondation Louis Vuitton, intitulée Physical peinture. Un moment doux et intense. Je sors des mutations» EVKBOWJFSBVNBJr fondation Louis Vuitton
 BWFOVFEV.BIBUNB(BOEIJr1BSJTr
Consciousness. Soit une compilation de mouve- de chez Yang Fudong comme d’un rêve et évite www.fondationlouisvuitton.fr
ments du corps développés dans le yoga mais de peu l’une de ces mobylettes électriques rétro- «Ai Weiwei – Er Xi, Air de jeux»KVTRVBVGÊWSJFS
aussi dans des sectes coréennes, le bouddhisme, futuristes que l’on n’entend pas et qui déboulent -F#PO.BSDIÊ3JWF(BVDIFr SVFEF4ÍWSFTr1BSJT
le christianisme, l’hindouisme ou le chama- dans tous les sens comme dans un ballet de www.lebonmarche.com
nisme africain… libellules mécaniques.

94 Beaux Arts
YAN FUDONG The Coloured Sky – New Women II 2014, installation vidéo, 15’ 48’’.
REPORTAGE / LA NOUVELLE SCÈNE CHINOISE

ENTRETIEN AVEC XU ZHEN :


«LES CHINOIS SONT TOUS FOUS ET JE SUIS
L’UN DES PLUS FOUS D’ENTRE EUX»
Est-ce que cela participe d’une autre Est-ce pour cela que vous avez parodié
conception de l’art ? dans une de vos œuvres le style de Damien Hirst ?
Le fait d’avoir une marque fait partie du concept Était-ce une critique ?
artistique. Bien des gens me demandent si, un Beaucoup d’artistes restent dans ce système
jour, je serai coté en Bourse. Je suis en train de pour que leurs œuvres entrent dans les galeries
chercher un équilibre. Est-ce plutôt cette com- ou les musées. C’est un genre de business. Je
pagnie artistique que je dois mettre en avant ? comprends cette manière de fonctionner, mais
Ou bien les œuvres ? Voire les deux ? Bien des je veux dépasser cela. Ce que je veux, c’est créer
questions émergent de cette nouvelle façon de mon propre système dans lequel je trouve tout
travailler. Un artiste peut avoir une carrière où ce qui me convient. Je ne cherche pas à entrer
Né en 1977. tout se passe bien. Mais elle peut aussi s’essouf- en rapport avec d’autres artistes, même s’il m’ar-
Vit et travaille à Shanghai. rive de faire des rencontres intéressantes. Cer-
fler. Une entreprise ne peut pas s’autoriser cela.
Il existe un décalage entre la culture contempo- taines personnes gravitent uniquement dans le
raine et la culture de masse. Là aussi il faut monde de l’art, d’autres sont plus portées vers
C’est à Shanghai, sa ville natale, trouver un équilibre. Je ne veux pas être seule- une culture de mode. Je crois qu’il faut jouer sur
que Xu Zhen nous reçoit. Non ment un artiste à succès. les deux tableaux, que rien n’est stable ni fixe.
pas, comme la plupart des
artistes le feraient, dans un ate- Cette marque insuffle-t-elle un esprit Vous aimez jouer sur les contraires,
lier mais dans les bureaux de ce qu’il appelle son ou un style aux œuvres ? mélanger les cultures…
«entreprise». Fondée en 2009, Made in Com- Ces aspects-là ne sont pas importants pour moi. Il s’agit d’une question de perception. Beau-
pany est une structure collaborative de produc- Ceux qui ont un style sont obligés de se répéter coup vont diront que je suis très critique, mais
tion qui entend «explorer les possibilités infinies et finissent par en souffrir. En ce qui concerne je ne le suis pas, ce sont les autres qui le pensent.
de la culture contemporaine». Plus d’une qua- la marque, son succès se mesure à l’influence On croit souvent qu’une réflexion «Est-Ouest»
rantaine de personnes s’y affairent, principale- qu’elle exerce. Cela n’est pas forcément lié à un traverse mes œuvres. Un enfant ne réagirait pas
ment des artistes, très jeunes et tous salariés – style ou à un esprit. de cette façon. Il trouve cela beau, c’est tout.
même si certains, tel Lu Ping Yuan, repéré à la L’esprit des adultes est formaté.
foire parisienne Officielle, mènent par ailleurs
une carrière personnelle – mais aussi des histo- Comment fonctionnez-vous ? De manière formelle
riens de l’art et des ouvriers. Animateur de cette ou intellectuelle ? Partez-vous d’un concept
ruche singulière (qui abrite aussi une galerie), ou vous laissez-vous aller à vos intuitions ?
Xu Zhen a déposé son nom comme on dépose Il est bien difficile de dire si mon travail est
une marque : toutes ses productions sont rationnel ou intuitif. C’est souvent un mélange
signées «Xu Zhen (Produced by Made in Com- des deux. Beaucoup de choses sont mêlées à l’ex-
pany)». Rencontre. périence, à mes années de travail. Parfois les
œuvres arrivent d’un coup. D’autres vont néces-
Vous considérez-vous davantage siter des tonnes d’analyses et de recherches.
comme un artiste ou un chef d’entreprise ?
Je suis le directeur de Made in Company mais je Selon moi, l’artiste a gardé cette capacité
suis, formellement, un artiste. Pour moi, ces des enfants à pouvoir tout remettre en cause.
deux activités peuvent aller de pair. Ce n’est pas Est-ce la même chose pour vous ?
forcément lié à l’aspect commercial, mais un Enfant, vouliez-vous déjà devenir artiste ?
changement s’opère quand on devient patron Les artistes sont à la fois des enfants et des arna-
et un artiste peut aussi passer par ce genre d’évo- queurs et les deux vont ensemble. Si l’on n’est
lution. Le fait d’avoir choisi «Xu Zhen (Pro- qu’un arnaqueur, cela ne tient pas sur le long
duced by Made in Company)» comme nom de terme, mais si l’on n’est qu’un enfant, cela ne
marque offre aussi plus de possibilités : créer fonctionne pas non plus. Petit, j’aimais beau-
une galerie, une fondation, faire plusieurs coup dessiner et l’un de mes professeurs avait
choses à la fois. Cela relève pour moi d’un
mode d’existence. Aujourd’hui, avec Internet XU ZHEN (PRODUCED BY MADEIN COMPANY) New
en Chine, tout le monde devient un peu patron ! 2014, acier peint, installation, 130 x 110 x 402 cm.

96 Beaux Arts
conseillé à mes parents de m’orienter dans ce en Chine et ailleurs ; j’ai un grand accès à ce qui
domaine. J’imaginais devenir peintre, mais se passe à l’étranger. Je regarde tout. D’ailleurs,
sûrement pas ce que je suis aujourd’hui. J’ai seu- il ne s’agit pas d’aimer ou de ne pas aimer. C’est
lement un peu étudié le graphisme au lycée, sans comme pour une femme : quand on la connaît
aller à l’université. C’est la culture générale qui bien, on ne se pose plus la question de l’aimer
a ouvert mon esprit. ou non.

Vous n’avez donc pas fait d’école d’art ? Estimez-vous que votre culture chinoise
J’ai commencé à 20 ans à faire mes premières vous rend différent d’un artiste occidental
vidéos. Je me suis rendu compte très vite que les ou même indien ?
œuvres d’art n’étaient pas forcément belles, Oui, bien sûr, nous sommes tous très différents.
qu’elles pouvaient aussi être critiques. En Aujourd’hui, les Chinois sont un peu tous fous
chinois, le mot «beaux» précède toujours le mot et je suis l’un des plus fous d’entre eux. Et cela
«arts», mais j’ai trouvé que ce n’était pas toujours deviendra de plus en plus fort. Un jour, on vole
le cas et qu’il était donc inutile de fréquenter une serviette et personne ne dit rien, le lende-
l’école des Beaux-Arts ! main, on vole une table ou une maison et per-
sonne ne dit rien… Aujourd’hui, chacun est un
Que faisaient vos parents ? peu dans cet état d’esprit : tout est possible !
Ma mère était institutrice en maternelle, mon
père ouvrier. Le fait que ma mère soit dans l’en- Pour vous, à quoi sert un artiste ?
seignement a dû jouer un peu. Les artistes jouent plusieurs rôles. Cela dépend
de ce que chacun recherche. Ils ont un rôle
Quels sont les artistes vivants d’éveil mais ils doivent aussi contrer l’ordinaire,
que vous appréciez ? la routine. L’art m’amuse en tout cas ! Q
À part les artistes habituels que tous les Chinois
apprécient, Warhol, Beuys, etc., et les jeunes
artistes de la génération Internet, j’essaie de
me tenir au courant de tout. Je ne retiens pas les
noms étrangers mais je les connais à peu près
tous. Nous avons une sorte de forum Internet
appelé Art Baba sur lequel sur lequel sont postés
différents articles sur des expositions ayant lieu

XU ZHEN (PRODUCED BY MADEIN COMPANY)


Fronton est du Parthénon et bouddha assis de la dynastie Tang
de Tianlongshan, bouddha peint de la dynastie Qi du Nord, torse d’un bouddha
assis de la dynastie Tang de la grotte n°4 de Tianlongshan [détail]
2013-2014, installation, fibre de verre, marbre, grès, craie, acier, pigments minéraux,
1522,5 (L) x 93 (D) x 460 (H) cm (piédestal inclus).

«AUJOURD’HUI, AVEC INTERNET EN CHINE,


TOUT LE MONDE DEVIENT UN PEU PATRON !»
BANDE DESSINÉE / ANGOULÊME / DU 28 AU 31 JANVIER

BD DU RÉEL, POLITIQUE-FICTION, ROMANS GRAPHIQUES…


LE NOUVEL ÂGE D’OR
DE LA BANDE DESSINÉE
DE MORRIS ET HUGO PRATT JUSQU’À OTOMO ET LI CHI TAK, LE FESTIVAL D’ANGOULÊME N’A PAS SON PAREIL
POUR ÉCLAIRER LE PASSÉ DE LA BD ET ESQUISSER SON FUTUR VIA UNE SÉLECTION OFFICIELLE, CINQ PRIX
ET DES EXPOSITIONS EN PAGAILLE. ZOOM SUR LES TENDANCES ET MEILLEURS ALBUMS DE L’ANNÉE.

PAR VINCENT BERNIÈRE

LE MANGA, ENFIN RECONNU ET RESPECTÉ


En décernant l’an dernier son grand prix au dessinateur japonais Katsuhiro Otomo,
le festival d’Angoulême couronnait pour la première fois un auteur de manga. L’abou-
tissement d’un long processus inauguré avec la parution d’Akira, traduit depuis sa
version américaine colorisée, en retournant les planches pour convenir au sens de
lecture occidental. Une hérésie que plus personne n’oserait faire aujourd’hui que le
manga est reconnu comme une forme de bande dessinée respectable. On mesure
bien le choc produit par les premiers albums d’Akira publiés en France en 1990.
Cette histoire postatomique d’adolescents mutants consommateurs de drogues et
amateurs de cylindrées futuristes a marqué plusieurs générations de lecteurs. Otomo
sera présent à ce 43e festival international de la bande dessinée, pour une confé-
rence-spectacle qui promet d’être mémorable. Mais pas d’exposition monographique
cette fois. Il est vrai qu’Otomo ne produit presque plus de BD, accaparé qu’il est par
ses films d’animation, de Steamboy à Short Peace. Du coup, la galerie Glénat, à
Paris, éditeur historique d’Otomo, a demandé à une quarantaine d’auteurs de rendre
hommage au créateur d’Akira : ces dessins inédits, exposés à Angoulême, seront
proposés à la vente cet été sur les murs de la galerie. La célèbre moto rouge de
Kaneda y tient une place de choix.

À GAUCHE
DOMINIQUE BERTAIL Hommage à Katsuhiro Otomo (Akira), 2015
Le dessinateur français Dominique Bertail fait partie des nombreux auteurs qui ont rendu
hommage à Katsuhiro Otomo, le créateur d’Akira. Au second plan, la fameuse moto du héros
Kaneda, dont une réplique sera présentée à Angoulême (on la retrouve aussi page de droite).
À DROITE
KATSUHIRO OTOMO Visuel de l’affiche créée pour le festival d’Angoulême 2016 [détail]
Aujourd’hui concentré sur ses films d’animation, Otomo a repris ses crayons pour
composer cette illustration pour le festival. Une image qui évoque la peinture classique japonaise.
Et aussi Arzach, célèbre personnage de Moebius, qui flotte en haut du dessin.

98 Beaux Arts
BANDE DESSINÉE / FESTIVAL D’ANGOULÊME

VIVÈS, MONTAIGNE,
DURPAIRE & BOUDJELLAL…
LES TALENTS
À SUIVRE
Près de 6 000 bandes dessinées de toute
nature sont publiées chaque année. En
1975, c’était quelques centaines. C’est dire
que la BD connaît, depuis les années 1990
au moins, un véritable âge d’or en termes
de production. Est-ce aussi vrai du point de
vue de la qualité ? Pas toujours, bien sûr.
Reste que de nombreux auteurs, hommes
et femmes, se sont affirmés ces dernières
années avec des titres dignes d’intérêt, qui
n’ont rien à envier à la génération historique
de la bande dessinée indépendante des
années 1990 : Bastien Vivès ou Marion
Montaigne, par exemple. Cela dit, c’est tou-
jours aussi difficile pour un jeune auteur de
percer. Selon l’éditeur Guy Delcourt, «le
marché de la bande dessinée est en pro-
gression constante mais il est de moins en
moins lisible. Il y a deux tendances fortes :
les déclinaisons de séries avec le énième
spin off de XIII ou la reprise de Corto
Maltese, voire Blake et Mortimer, et puis
des succès plus atypiques comme les
romans graphiques de Riad Sattouf ou la
Présidente de Farid Boudjellal & François
Durpaire». La réussite de ce dernier titre, un
scénario de politique-fiction qui imagine
Marine Le Pen au pouvoir, a surpris tout le
monde. Comme l’Arabe du futur de Riad
Sattouf (éd. Allary), la Présidente est publiée
par un éditeur généraliste qui ne faisait pas
de BD auparavant. La preuve que le succès
du 9e art en librairie aiguise les appétits.

FRANÇOIS DURPAIRE & FARID BOUDJELLAL


La Présidente ÊE-FT"SÍOFTrQré
C’est le succès innatendu de l’année 2015.
Non pas le score du FN aux régionales, mais cette
BD de politique-fiction, qui développe l’hypothèse
de l’élection de Marine Le Pen à la présidence…

100 Beaux Arts


HERGÉ Double page de garde des albums des Aventures de Tintin (publiés de 1937 à 1958)
Adjugée 2 654 400 € chez Artcurial le 24 mai 2014
Record mondial pour une œuvre de bande dessinée aux enchères ! En 2014, le père de Tintin
affolait déjà le marché de l’art avec cette double page de garde. Quand on pense que, jadis,
certains documents et dessins sortaient des studios Hergé sous le manteau…
Encre de Chine, 35 x 53 cm.

UN MARCHÉ EN PLEIN BOOM


770 000 € pour une «petite image» d’Hergé extraite de Tintin au Congo vendue par Art-
curial, 34 000 € pour une double planche de la Rubrique-à-brac de Gotlib parue dans
Pilote, l’exposition de Joann Sfar sold out à la galerie Barbier & Mathon, avec une dou-
zaine de planches vendues autour de 10 000 €… Les dernières ventes d’originaux de
bande dessinée n’ont fait que confirmer la tendance : le marché est en pleine progres-
sion. À quand le plafond de verre ? se demandent les experts. «Les auteurs les plus
demandés restent toujours les mêmes, affirme l’expert Éric Leroy. Il s’agit d’Hergé, bien
sûr, mais aussi de Franquin, Bilal, Pratt, Tardi. De nombreuses pièces historiques res-
sortent. Certains auteurs ayant bien compris l’intérêt de procéder à des ventes ciblées
après s’être refusés pendant des années à vendre. D’autant plus que, pour certains
anciens, les ventes en librairie baissent. Ça leur fait un bon complément de revenus.»
Voire l’essentiel. Ainsi d’Enki Bilal, qui est désormais exposé à Tokyo et Hong Kong.
Ce qui est en train de changer, c’est que de nombreux auteurs sont en train de sortir du
milieu de la BD pour entrer dans la danse du marché de l’art contemporain. C’est le
cas, par exemple, de Nicolas de Crécy, qui gagne désormais beaucoup mieux sa vie en
vendant des dessins, certes chiadés, qu’en élaborant de longs et fastidieux albums.

ENKI BILAL La Femme Piège


Adjugée 361 755 € chez Artcurial le 5 octobre 2015, Hong Kong
C’est désormais une star du marché. Le seul artiste français vivant, selon le commissaire
François Tajan, à pouvoir rivaliser avec Pierre Soulages. Rien de moins !
1986, acrylique, encre de Chine et gouache sur papier, 43,4 x 33,1 cm.

Beaux Arts 101


BANDE DESSINÉE / FESTIVAL D’ANGOULÊME

LA BANDE DESSINÉE DU RÉEL MET LE CAP


SUR L’ORIENT
Née avec le développement de la bande dessinée indépendante dans les
années 1990, la bande dessinée de reportage, dont Cabu fut l’un des précur-
seurs, occupe désormais une place de choix dans le paysage créatif et édito-
rial français. Le succès de la Revue dessinée, qui en est à son 10e numéro, en
est la preuve. Dans le dernier opus, des sujets journalistiques comme le
réchauffement climatique ou les attentats de Charlie Hebdo sont traités en
BD. Détail amusant : la revue a abandonné la parution sur Internet, préférant
désormais la diffusion de mooks imprimés. Le monde arabe et ses turpitudes
sont particulièrement présents en librairie. Ainsi du Piano oriental de Zeina
Abirached (éd. Casterman), présent dans la sélection officielle du festival, qui
raconte l’invention de ce drôle d’instrument par le grand-père de l’auteur, dans
un style évoquant celui de Marjane Satrapi, la dessinatrice de Persepolis.
D’autres titres sont parus ou à paraître : le tome 2 de l’Arabe du futur de Riad
Sattouf, Yallah Bye de Kyungeun Park & Joseph Safieddine (éd. Le Lombard)
ou les rafraîchissants Coquelicots d’Irak, de Brigitte Findakly & Lewis Trondheim,
à retrouver chaque semaine dans l’application la Matinale du journal le Monde.

ZEINA ABIRACHED Le Piano oriental


éd. CastermanrQré
Par le biais de l’actualité et de l’immigration,
la bande dessinée contemporaine s’intéresse
de plus en plus à l’Orient. Une preuve de plus
que le médium est entré dans l’âge adulte.

AVEC OTOMO, MORRIS ET PRATT,


PASSEZ QUATRE JOURS À BULLER !
MORRIS Rantanplan [en haut] et Tumulte à Tumbleweed, 1953 [ci-dessus]
Outre la rétrospective Morris, qui constitue l’événement de ce 43e festival
Morris, enfin réhabilité ! Le musée de la Bande dessinée présente une exposition phénoménale
international de la bande dessinée d’Angoulême, l’autre temps fort sera
du père de Lucky Luke. Ses originaux ne sortent que très rarement du coffre de ses héritiers.
la performance d’Otomo organisée au théâtre d’Angoulême, le 30 janvier
à partir de 14 h. Parmi les expositions phares, il y a aussi celle consacrée
au virtuose Li Chi Tak, au moment où paraît The Beast en français.
LES PIONNIERS L’occasion de découvrir les magnifiques illustrations de ce disciple
REVIENNENT EN PREMIÈRE LIGNE d’Otomo et Moebius, considéré comme le parrain de la BD hongkongaise.
À voir également, une grande exposition consacrée aux références
C’est une tendance de fond de l’édition de bande dessinée actuelle : la réhabilita-
littéraires (Kipling, Stevenson, Yeats, London ou Rimbaud…) d’Hugo Pratt,
tion des classiques de la BD franco-belge. Cette année, une exposition exception-
produite par le musée Hergé de Louvain-la-Neuve. On ne manquera pas
nelle est consacrée à Morris, le dessinateur et créateur de Lucky Luke. On croit
non plus de s’immerger dans le travail de Jean-Christophe Menu, auteur
souvent que la série, avant l’arrivée de Goscinny, était mineure. Pourtant, sous l’ère
important issu de la BD indépendante française des années 1990,
Morris, Lucky Luke a révolutionné la BD européenne en parodiant les codes de la
mais aussi éditeur, critique, exégète… De nombreux événements sont
BD d’aventures américaine, ce que nos voisins d’outre-Atlantique n’avaient pas
organisés durant le festival, désormais structuré en «quartiers» («quartier
encore fait. Morris excellait dans l’art de la composition de la planche en conférant
Asie», «quartier jeune public», etc.), comme les concerts de dessins
un maximum de lisibilité au récit. Un catalogue d’une grande tenue accompagne
ou encore l’initiative «Je dessine», organisée à la suite des attentats de
l’exposition, avec des contributions de Stéphane Beaujean et Jean-Pierre Mercier
Charlie Hebdo, qui rassemblent des centaines de dessins envoyés
et celles, plus inattendues, de Blutch et Jean-Christophe Menu. C’est un événement,
à la rédaction depuis les tragiques événements.
car les originaux de Morris ont été jusqu’à présent très peu montrés. Après Hergé
43e Festival international de la bande dessinée d’Angoulême
ou Franquin, auxquels de nombreux ouvrages et expositions ont été consacrés, le EVBVKBOWJFSrXXXCEBOHPVMFNFDPN
père de Lucky Luke sort enfin de l’ombre. Profitons-en, la rétrospective est présen- 9 Hors-série Les Secrets des chefs-d’œuvre de la BD d’humour
tée au musée de la Bande dessinée jusqu’au 18 septembre. #FBVY"SUTÊEJUJPOTrQr é
«L’art de Morris» du 28 janvier au 18 septembre
NVTÊFEFMB#BOEFEFTTJOÊFrRVBJEFMB$IBSFOUFr"OHPVMËNF
rXXXDJUFCEPSH

102 Beaux Arts


BANDE DESSINÉE / FESTIVAL D’ANGOULÊME

LES LE TOP 7 DE BEAUX ARTS AVEC, À L’AFFICHE, UN COW-BOY


7 MEILLEURS AVANT-GARDISTE, UN AUTEUR PLUS ÉGOMANIAQUE QUE
ALBUMS JAMAIS, TROIS BRAQUEUSES DE MUSÉE ET DES REPORTERS
DE L’ANNÉE ENQUÊTANT SUR LES BARBOUZERIES DE LA Ve RÉPUBLIQUE…

1 LE PLUS HUMOUR VACHE 2 LE PLUS JOURNALISTIQUE


«Cowboy Henk, ce n’est pas toujours bien, mais quand c’est bien, c’est vraiment bien.» Représentant du journalisme en bande dessinée, Étienne Davodeau va finir par se
Ces mots sont d’Umberto Eco. On n’a pas fini de gloser sur Herr Seele, le plus dadaïste faire délivrer une carte de presse. En même temps, c’était déjà le cas avec les jour-
des auteurs de BD. Exposé jusqu’au 27 février au couvent Sainte-Cécile, à Grenoble, nalistes de Charlie Hebdo, les pionniers du genre. Sauf que Davodeau publie ses
en compagnie d’auteurs plasticiens terriblement novateurs et de peintres flamands enquêtes en album. On appelle ça la BD du réel. L’équivalent dessiné du documen-
et hollandais du XVIIe siècle, il se serait écrié : «À bas l’arrière-garde !» Cowboy Henk, taire télévisé. Ici, Davodeau explore en compagnie de Benoît Collombat, grand
son antihéros, c’est Tintin à l’envers. Amateur de reporter à France Inter, le côté obscur de la Ve Répu-
nonsense, héritier du surréalisme belge, Herr Seele blique, à l’époque des barbouzes du Service d’action
pratique l’humour vache comme Magritte la peinture civique. Le premier épisode de leur collaboration,
vache (avec la queue d’une vache). De 1981 à 2012, consacré à l’assassinat du juge Renaud en 1975,
son cow-boy, tour à tour peintre, journaliste ou coif- fut publié dans le numéro 5 de la Revue dessinée.
feur, fit les beaux jours de l’hebdomadaire flamand à Ce qui est pratique, avec la BD, c’est que les images
gros tirage Humo. Il fait désormais partie de l’écurie filmées ne sont pas toujours nécessaires. Du coup,
Frémok, un éditeur franco-belge d’avant-garde. le récit prend vie…

Cowboy Henk – L’art actuel par Herr Seele & Kamagurka Cher pays de notre enfance par Étienne Davodeau
ÊE'SÊNPLrQré & Benoît Collombat ÊE'VUVSPQPMJTrQré

104 Beaux Arts


3 LE PLUS NOMBRILISTE 4 LE PLUS SEXY
Patrice Killoffer, dit Killoffer, est un auteur rare et précieux. Illustrateur de presse On avait adoré la Grande Odalisque, voici désormais Olympia. Après Ingres, donc,
talentueux, ses bandes dessinées se comptent sur les doigts d’une main. Manet. Nos trois auteurs – Bastien Vivès, le petit génie de la BD contemporaine,
667 apparitions de Killoffer, son précédent titre, était aux trois quarts muet. Ici, Ruppert & Mulot, un duo d’artistes dessinateurs – poursuivent leur exploitation de
le babillage n’est pas vain. Ce qui est bien avec Killoffer, c’est qu’il n’a pas l’inten- l’histoire de l’art mixée avec des aventures rocambolesques. Le concept : parodier
tion d’arrêter de nous saouler avec ses petites affaires. les turpitudes de trois héroïnes monte-en-l’air inspirées du manga des années 1980
Quand le processus créatif voudrait qu’après avoir Signé Cat’s Eyes. Après avoir dérobé la Grande Oda-
tourné autour de son nombril, on s’intéresse aux autres, lisque au musée du Louvre, Alex, Sam et Carole, les
«Killo» continue à en faire des tonnes. Cet ouvrage ras- braqueuses les plus sexy du 9e art, doivent désor-
semble des histoires en une page, accompagnées mais dérober Olympia et deux autres toiles exposées
d’une illustration, qui forment un système réjouissant. au Petit Palais. La recette : une esthétique réaliste
Elles sont parues dans la défunte revue le Tigre. faussement nonchalante et un art du dialogue maî-
trisé. Sans oublier des préoccupations modernes
(style texto, drague facile).

Tel qu’en lui-même enfin par Patrice Killoffer Olympia par Bastien Vivès et Ruppert & Mulot
ÊE-"TTPDJBUJPOrQré ÊE%VQVJTrQr é

Beaux Arts 105


BANDE DESSINÉE / FESTIVAL D’ANGOULÊME

6 LE PLUS FANTASTIQUE
On connaissait le théoricien, auteur d’un remarquable ouvrage de vulgarisation de
LES la bande dessinée en BD, Understanding Comics (Comprendre la bande dessinée),
7 MEILLEURS dont le succès poussa l’auteur à décliner son sujet. C’est dire si Scott McCloud, en
abordant la fiction, était attendu au tournant. Selon lui, tout aspirant dessinateur
ALBUMS DE doit franchir six étapes avant de parvenir au sommet de son art : apparence, tech-
L’ANNÉE nique, structure, idiome («pourquoi est-ce que je fais
ça ?»), etc. Pari réussi avec cette somme narrant la
vie d’un sculpteur qui, ayant connu son heure de
gloire, est déclassé par une nouvelle génération.
Soudain investi de superpouvoirs, il devient une sorte
de Super-Banksy et transforme la ville tout entière en
œuvre d’art. Un scénario qui finira mal, évidemment,
et qui a déjà été acheté par Sony pour en faire un film.

Le Sculpteur par Scott McCloud


ÊE3VFEF4ÍWSFTrQré

5 LE PLUS TROPICAL 7 LE PLUS INFILTRÉ


C’est la très bonne surprise de l’année, publiée par un label spécialisé dans le Les éditions du Louvre et Futuropolis poursuivent, avec Florent Chavouet, la publi-
comics de superhéros qui n’hésite pas, donc, à éditer des romans graphiques. cation de leur collection qui donne carte blanche aux auteurs de bande dessinée
Gabriel Bá et Fábio Moon sont deux auteurs brésiliens exilés aux États-Unis. Deux pour s’approprier le plus célèbre musée français. Après Enki Bilal ou Jiro Taniguchi,
frères est une adaption en bande dessinée d’un récit de Milton Hatoum (édité chez le Louvre devient, sous les crayons de couleur de Florent Chavouet, une île en plein
Actes Sud). Il s’agit d’une saga familiale déchirante, vue à travers le prisme de la cœur de Paris. Muni d’un pass intégral et de son carnet de croquis, le dessinateur,
relation entre deux frères d’origine libanaise. L’action se déroule à Manaus, au cœur dont on avait apprécié les récits japonisants, est parti à la rencontre des habitants
de la jungle amazonienne, dans les années 1950. Le trait est juste, et le noir et (ceux qui travaillent dans l’institution), des visiteurs (venus du monde entier) et des
blanc profond. On pense à Hugo Pratt et à José paysages (l’ensemble des salles et des œuvres expo-
Muñoz, deux grands maîtres latins précurseurs du sées) du plus grand musée du monde. Un univers est
roman graphique en noir et blanc. Avec Deux frères, ainsi dévoilé, qu’on ne pourra jamais visiter mais que
Gabriel Bá et Fábio Moon prouvent qu’on peut déve- l’on peut parcourir en tournant les pages de cette
lopper une œuvre hautement personnelle au cœur bande dessinée habilement pensée, dont l’esthé-
de la bande dessinée mainstream. tique se situe quelque part entre l’image narrative et
le carnet de voyage.

Deux frères par Gabriel Bá & Fábio Moon L’Île Louvre par Florent Chavouet
ÊE6SCBO$PNJDTrQr é DPÊE'VUVSPQPMJT.VTÊFEV-PVWSFrQré

106 Beaux Arts


EXPOSITION / MUSÉE DU QUAI BRANLY / DU 26 JANVIER AU 13 NOVEMBRE

Ces objets tellement


humains
DE L’INDE À L’AMAZONIE, DES CHOSES SONT
CONSIDÉRÉES COMME DES PERSONNES.
FORT DE CE CONSTAT, LE MUSÉE DU QUAI
BRANLY A BÂTI UNE EXPOSITION FASCI-
NANTE QUI EXPLORE LA PART D’HUMANITÉ
DES FÉTICHES RITUELS ET ROBOTS CONTEM-
PORAINS. PLONGÉE DANS LA VIE ÉTRANGE
ET PÉNÉTRANTE DE CES INTRIGANTS OBJETS.
PAR DAPHNÉ BÉTARD

n 1970, le roboticien japonais Masahiro Mori fait sensa-

E tion en publiant dans la revue Energy un article au titre


poétique : «La Vallée de l’étrange». Sa «vallée» est une zone
imaginaire peuplée d’objets conçus par l’homme : robots huma-
noïdes (domaine dans lequel le scientifique fait figure de pion-
nier), marionnettes de théâtre bunraku, prothèses de la main,
momies, animaux empaillés, peluches et statues de Bouddha,
dont Mori va évaluer le potentiel d’attraction et de répulsion.
Courbes à l’appui, le chercheur démontre qu’au-delà d’un certain
degré de ressemblance avec le corps humain, la réception de ces
artefacts suscite chez nous non plus l’empathie mais le rejet, voire
la répulsion. Autrement dit, trop de réalisme met mal à l’aise ;

Marionnette Teme Nevimbür,


île de Malekula, Vanuatu
Fixée à un bâton, cette figurine
apparaissait lors d’un rituel mettant
en scène les esprits des ancêtres et
des entités mythiques. Un marionnettiste
la manipulait, lui prêtait sa voix
et soudain l’objet prenait vie.
Fougère arborescente, fibres végétales, crépi
végétal, pigments, 41 x 322 x 32 cm.
l’anthropomorphisme (cette faculté qu’a l’homme d’attribuer ses
caractéristiques morphologiques ou comportementales à d’autres
entités – animaux, dieux, choses) a ses limites. Sa théorie prévaut
aujourd’hui encore dans la robotique, puisque tous les prototypes
élaborés pas les entreprises de haute technologie nous res-
semblent dans les grandes lignes sans qu’il y ait le moindre doute
quant à leur statut de machines. Et l’expérience comparative de
Mori continue de soulever toute une série de questions. Quelles
sont les frontières entre l’homme et l’objet, entre l’humain et le
non-humain ? Un artefact peut-il être considéré comme une per-
sonne ? Comment accède-t-il à ce statut ? Les robots humanoïdes
seront-ils nos compagnons de demain ou nos pires ennemis ? Pour
tenter de répondre à ces questions, le Quai Branly propose à ses
visiteurs un voyage initiatique dans la Vallée de l’étrange en
confrontant ses collections d’arts premiers à des pièces de robo-
tique conçues par des scientifiques ou des artistes. Des œuvres,
des machines, avec lesquelles nous entretenons un rapport
ambigu en leur prêtant d’autres vertus que purement matérielles.
L’idée de cette exposition qui nous incite à regarder autrement
notre environnement est née d’un constat simple : les œuvres
conservées au Quai Branly sont, dans leur majorité, davantage
considérées comme des entités vivantes (avec qui on peut entrer
en relation donc) que comme de simples objets. «Si notre monde
occidental est pauvre en présence non humaine (la seule présence
de ce type acceptée étant Dieu), dans des pays comme l’Inde ou
des régions comme l’Amazonie, les non-humains sont là en per-
manence et les choses sont considérées comme des personnes»,
précise la chercheuse Anne-Christine Taylor-Descola, commis-
saire avec l’anthropologue Emmanuel Grimaud de l’exposition
«Persona – Étrangement humain». Celles-ci peuvent prendre une
multitude de formes : idoles lapidaires, support végétal ou miné-
ral, œuvres d’art, créations technologiques mais aussi voix,
visions… C’est à elles qu’il s’agit à présent de se confronter.

Bhaishyavani (robot de divination)


Il prédit l’avenir en plusieurs langues. Ce robot délirant
a connu un grand succès dans les années 1990
à Bombay où il a envahi les fêtes foraines, les plages et
autres lieux de passage, suscitant curiosité et étonnement.
Fin du XXe siècle, carcasses de jouets japonais.

Beaux Arts 109


EXPOSITION / FÉTICHES ET ROBOTS

1. DE L’HOMME AUX FANTÔMES


À GAUCHE
Un mouvement, un son, un souffle… Quelques
Lianes, Madagascar
éléments suffisent à faire naître le sentiment
Un objet énigmatique
d’une présence. Les Indiens Trumai du Brésil
aux formes quasiment
cohabitent ainsi avec les denetsak, esprits abstraites et à
protéiformes insaisissables, craints autant que l’évocation poétique :
respectés qui se manifestent par une série de ces lianes emmêlées
sensations et d’affects à peine perceptibles. harmonieusement
Les cavaliers mongols, eux, attribuaient à leur sont là pour protéger
monture la capacité de sentir les fantômes et celui qui les détient.
XIXe-début du XXe siècle, bois,
autres êtres invisibles plus ou moins dangereux 25 x 15 x 12 cm.
qui peuplaient la steppe inhabitée. Et en
Europe, au XIX e siècle, les phénomènes para-
normaux, la télépathie ou l’hypnose faisaient
l’objet d’études très sérieuses. Alfred Binet, CI-CONTRE

précurseur de la psychologie expérimentale, Figure à crochets,


travaillait en laboratoire sur les hallucinations mont Hunstein,
entités «non humaines», ces «présences poten- Bahinemo,
et images mentales tandis qu’à Londres la
Nouvelle-Guinée
société Ghost Hunters réunissait des chasseurs tielles» (esprits, dieux ou autres) qui, dans de
Ce type de sculpture
de fantômes convaincus. Le philosophe et psy- nombreuses sociétés d’Amérique du Sud, séduisante n’est
chologue allemand Gustav Flechner affirmait d’Afrique ou d’Asie, peuvent se matérialiser en pas une œuvre comme
pour sa part dès 1850 que la conscience est dif- s’incarnant dans des éléments naturels ou des une autre ; c’est
fuse partout dans l’univers et que l’âme ne objets. Bien souvent, pour entrer en relation un réceptacle où peuvent
meurt pas... Nombreux sont les artistes à avoir avec ces «non-humains», on les a dotés de carac- s’incarner les énergies
exploré cette zone trouble entre réalité et téristiques anthropomorphiques, aussi infimes et forces vitales des
ancêtres que les vivants
monde invisible. Ils se sont intéressés à ces soient-elles.
sollicitent.
XXe siècle, bois, pigments,
91 x 21,5 x 4 cm.

2. DES ŒUVRES
POUR INCARNER LES ESPRITS
Depuis la nuit des temps, l’homme crée des œuvres à son image. Statuettes,
monolithes, amulettes ou sculptures lui empruntent sa silhouette, sa morpho-
logie, un regard, une expression… Ces objets ont, dans de nombreuses socié-
tés, un statut de quasi-personnes et ils sont le plus souvent convoqués lors de
rituels où ils rendent «présent» l’être incarné. On les retrouve aux quatre coins
du monde. Notamment chez les peuples mongols où les ongon, petites effigies
d’esprits d’animaux, servent d’intercesseurs auprès de l’esprit de la forêt afin
qu’il les aide à la chasse. En Alaska, où les fameux masques yupik étaient utili-
sés lors de rituels d’hiver afin de célébrer les âmes des animaux pour qu’ils conti-
nuent à se laisser attraper sans difficulté. Ou encore au Mali, où les Bambaras
confectionnent des sculptures de bois qui perpétuent le lien avec les ancêtres.
Les exemples de ces objets «humanisés» sont nombreux. Les hommes les
rendent attractifs, émouvants, jusqu’au point au-delà duquel, comme le souli-
gnait Mori, ils deviennent effrayants.

Masque anthropozoomorphe wé, région de Man, Côte d’Ivoire


Les masques sculptés d’Afrique subsaharienne donnent à voir des idées et les entités du monde invisible.
Quelle que soit leur forme, il s’en dégage un sentiment de puissance surnaturelle.
Fin du XIXe siècle-première moitié du XXe siècle, bois, poils de singe, 37 x 17,5 x 18 cm.
3. L’HUMAIN MALMENÉ
Et nous voici perdus dans les abîmes de la Vallée Figurine anthropozoomorphe tupilek, Groenland
de l’étrange. Ici, les créatures se retournent Délicieusement effrayant, ce mauvais esprit est
contre leurs créateurs. En tout cas, elles les responsable des maladies, du mauvais temps ou d’une chasse
infructueuse. Seuls les chamans pouvaient le capturer.
effraient. Les momies du musée de l’Homme, les
Bois, ivoire, papier, 9 x 5,8 x 12,6 cm.
cires anatomiques et les prothèses si réalistes
mais glaciales du secteur médical ou les sirènes
des îles Fidji (montage taxidermique associant craintes que sont accueillis les robots huma-
singe et poisson) suscitent des sentiments ambi- noïdes. Pareils à des clones, on redoute qu’ils
valents allant de la curiosité au rejet le plus total cherchent un jour à nous remplacer. Derrière ces
ou à la fascination morbide. Les émotions qu’ils angoisses liées aux avancées de la création artifi-
Vénus anatomique se détachant en 40 parties, France
provoquent montrent bien qu’on ne les traite cielle, se pose la question des limites du transhu-
Avant l’invention de la silicone, les figures anatomiques
de l’enseignement de la physiologie étaient en cire. Une texture
plus vraiment comme de simples objets. Car les manisme, ce désir un peu fou de vouloir trans-
qui reproduisait déjà parfaitement la chair humaine et rendait «effets de personne» qu’ils produisent, pour cender la mort ou la maladie en s’appuyant sur
ces drôles de personnages aussi repoussants que fascinants. reprendre les mots des commissaires, sont bien les nouvelles technologies. Nos esprits pourront-
XIXe siècle, cire. réels. C’est avec la même défiance, les mêmes ils un jour être transférés dans des machines ? Au
transhumanisme, «basé sur le délire de l’omnipo-
tence humaine», Anne-Christine Taylor-Descola
et Emmanuel Grimaud opposent le «multiper-
sonnalisme». C’est-à-dire le droit à d’autres enti-
tés que l’être humain d’exister et la nécessité de
cohabiter avec toutes ces consciences qui nous
entourent. Le psychique est partout, nous disent-
ils, dans les objets, les minéraux, les molécules,
chez les animaux. L’ignorer, c’est aller droit dans
le mur.

Crâne séché mundurucu


À la fois envoûtant et effrayant, ce crâne a été confectionné par les Indiens mundurucu
du Brésil, qui coupaient les têtes de leurs ennemis pour en faire des trophées.
Non daté, os, peau, plumes, fibres végétales, graines, pigment.

Beaux Arts 111


EXPOSITION / FÉTICHES ET ROBOTS

4.%&430#05426*/0647&6-&/5%6#*&/
Faut-il que nos artefacts nous ressemblent ? Oui, conçu comme un dispositif immersif électro- le premier robot d’un dieu, Ganesh. S’appuyant
mais pas trop. Depuis quarante ans, les roboti- mécanique et multisensoriel. Côté musée, le sur un système audiovisuel sophistiqué, chacun
ciens ne dérogent pas à la règle et conçoivent Quai Branly avait créé en 2011 son propre robot, pouvait se retrouver dans la peau du dieu à tête
des machines qui assistent des personnes âgées Berenson, un humanoïde amateur d’art très d’éléphant et donner des conseils aux passants.
ou handicapées et des compagnons affectueux sympathique qui déambulait dans les espaces du Ou comment brouiller définitivement les fron-
au service de mille et une activités quotidiennes. musée et s’adressait aux visiteurs. La plupart tières entre l’individu, la machine et les dieux.
Il y en a pour tous les goûts, pour tous les âges. d’entre eux l’accueillaient avec bienveillance, La question soulevée par Grimaud est simple :
Dans la série des jouets pour adultes, le s’adressant à lui comme à une personne. À Bom- de quoi voulons-nous nous entourer dans l’ave-
Nooscaphe-X, impressionnante machine à bay, Emmanuel Grimaud et l’artiste Zaven Paré nir ? La réponse, complexe et multiple, nous
vocation sexuelle issue du cyberespace, a été ont poussé l’expérience plus loin avec Bappa 2.0, concerne tous.

«Le robot», strip-tease de fête foraine DENIS VIDAL & PHILIPPE GAUSSIER Berenson, robot «amateur d’art»
C’est un vieux fantasme de la science-fiction : le robot humanoïde, déjà présent dans Metropolis Vous l’avez peut-être déjà croisé au détour d’une des allées du Quai Branly. Berenson est
de Fritz Lang, laisse la porte ouverte aux rêves les plus inavouables. un robot conçu en 2011 pour entrer en connexion avec les visiteurs.
7FST QIPUPHSBQIJF  TFSWPNPUFVST NPUFVST PSEJOBUFVS DBQUFVST DBNÊSBT CPJT WËUFNFOUT YDN

LES ROBOTS, STARS DE TROIS EXPOS «Persona – Étrangement humain» du 26 janvier


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EBSUDPOUFNQPSBJOFUEPDVNFOUTTDJFOUJàRVFT*DJBVTTJ JMFTURVFTUJPOEFMBOUISPQPNPSQIJTNFEVSPCPU rXXXMBQBOBDFFPSH
FUEFMBGBÉPOEPOUMFDPSQTIVNBJOQFVUËUSFQSPMPOHÊQBSEFTBSUFGBDUTUFDIOPMPHJRVFT DPNNF «Mecatronic»KVTRVBVNBSTr$FOUSFEFTBSUTE&OHIJFOMFT#BJOT
MFTQSPUIÍTFT *MGBVUFOàOBMMFSÆ&OHIJFOMFT#BJOTRVJFYQPTFMFTDSÊBUVSFTNÊDBOJRVFTEF;BWFO1BSÊ   SVFEFMB-JCÊSBUJPOrrrXXXDEBGS
BSUJTUFDIFSDIFVS TQÊDJBMJTUFFOSPCPUJRVF5SPJTQSPQPTJUJPOTQBTTJPOOBOUFTQPVSTBQQSPQSJFSMFTRVFTUJPOT À LIRE Aux frontières de l’humain – Dieux, figures de cire,
EÊUIJRVFTPVMFWÊFTQBSMBUFDIOPMPHJFFUMFTHSBOETFOKFVYEFOPTTPDJÊUÊTFOEFWFOJS robots et autres artefacts QBS%FOJT7JEBMrÊE"MNBrQré

112 Beaux Arts


WANG ZI WON
Pensive Mechanical Bodhisattva L version 1, Corée
Le robot de demain aura-t-il l’apparence
et la bienveillance du Bodhisattva, figure de l’éveil
dans le bouddhisme ? C’est ce que suggère
cette créature rassurante, née de l’esprit d’un artiste
optimiste offrant ici une vision utopique du futur.
2010, uréthane, métal, machinerie
électronique, 30 x 40 x 74 cm.
RÉTROSPECTIVE / SOLOMON R. GUGGENHEIM MUSEUM / DU 5 FÉVRIER AU 20 AVRIL

FISCHLI & WEISS


ARTISTES
DES PETITS
RIENS
ET DU GRAND
TOUT

PENDANT PLUS DE TRENTE ANS, L’IRRÉSISTIBLE


DUO SUISSE CONSTITUÉ DE PETER FISCHLI &
DAVID WEISS A MIS EN SCÈNE LE DOUX CHAOS
DE L’EXISTENCE À TRAVERS DES PHOTOS, SCULP-
TURES, INSTALLATIONS ET VIDÉOS DÉTONNANTES.
LE GUGGENHEIM CÉLÈBRE L’UNIVERS IMPRO-
BABLE DE CES ARTISTES MAJEURS QUI ONT
TRANSFORMÉ L’ORDINAIRE EN EXCEPTIONNEL.
PAR EMMANUELLE LEQUEUX

Peter Fischli (à gauche) et David Weiss (disparu en 2012)


devant leur œuvre Questions.

114 Beaux Arts


The Time at Our Disposal
La série s’intitule Un après-midi
tranquille : le genre de journée
où les artistes s’évertuent à créer
avec trois bouts de ficelle dénichés
dans l’atelier des sculptures
qui promettent de ne pas durer
jusqu’à la soirée tant elles reposent
sur un équilibre précaire.
1986, photo couleur, 40 x 30 cm.

PAGE DE GAUCHE Büsi


Un matou qui lape du lait, pendant
plus de six minutes. Oui, c’est tout.
Mais projeté sur écran géant à Times
Square, il acquiert une inquiétante
étrangeté, qui résume le travail du duo.
2001, vidéo, 6’30’’, vue de l’installation
à Times Square, New York.
RÉTROSPECTIVE / FISCHLI & WEISS

n chaton sur les écrans de Times Square. ultraprécaire ? C’est que, de 1979 à 2012, ce duo
«AU DÉBUT, LE VISITEUR EST
U Oui, juste un petit chat tout mignon, qui
lape du lait dans un film on ne peut plus
bêta, et se retrouve en ce mois de février projeté
zurichois a donné naissance à un corpus très
sophistiqué de vidéos, sculptures, photogra-
phies. S’inspirant du ready-made comme de la
VICTIME DE LUI-MÊME ET DE
en lieu et place des habituelles annonces cryp-
tiques de Wall Street et des pubs fanfaronnes
production hollywoodienne, des pratiques
amateurs ou du regard des touristes, leur œuvre
SES RÉFLEXES. ET PEU À PEU,
vendant le dernier musical de Broadway. Le genre a eu un retentissement considérable sur nombre UNE QUESTION ÉMERGE :
d’exploit absurde dont se régalent Fischli &
Weiss, deux plasticiens suisses qui, pendant plus
de leurs homologues autant que sur les commis-
saires d’exposition les plus prescripteurs, de “PUIS-JE M’AUTORISER CELA ?
de trente ans, ont déjoué les codes du monde Caroline Bourgeois à Hans Ulrich Obrist, pour EST-CE QUE JE SOUFFRE DE
BON GOÛT ?”» PETER FISCHLI
moderne et démythifié ceux de l’art contempo- qui ils ont été de véritables révélations. La défi-
rain. Seul Peter Fischli se réjouira de la blague : nir tient de la gageure : elle relève à la fois de
son acolyte David Weiss est mort en 2012. Mais l’ironie facétieuse, de la farce philosophique,
il doit certainement sourire en coin, de là où il d’un perturbant illusionnisme. Fischli définit
est, à voir leur colossale rétrospective au Gug- ainsi leur quête : «Superposer le plaisant et le pour produire quelque chose qui ne l’est défini-
genheim de New York annoncée par une image déplaisant en une sorte de folie magnifique et tivement pas», souligne l’institution new-yor-
si stupide, à l’écho démultiplié par cette projec- fiévreuse, qui explose en de multiples possibili- kaise qui les accueille. Leur art, finalement, est
tion dans le haut lieu de l’American way of life. tés d’interprétation.» «une attaque surprise», comme ils le définis-
Comment donc, demanderez-vous, ces deux Déjouer les certitudes, du quidam ou de l’ama- saient. «Au début, le visiteur est victime de lui-
lascars ont-ils pu être si influents en produisant teur d’art : ils n’avaient pas d’autre moteur au fil même et de ses réflexes. Et peu à peu, une ques-
de telles œuvres ? En photographiant des fleurs de leur hétéroclite parcours, ponctué de points tion émerge : “Puis-je m’autoriser cela ? Est-ce
trop sophistiquées et des aéroports trop vides ? d’interrogation plutôt que d’assertions. Leur que je souffre de bon goût ?”», s’amuse Fischli.
En copiant en un spectaculaire mimétisme leur méthode ? «Une rêverie concentrée», nous Et Weiss de prolonger : «Le critique d’art Jean-
atelier laissé en friche, fac-similé où chacun des expliquaient-ils, alors que nous les avions ren- Christophe Ammann disait : “L’art commence
(750 !) objets se voit reproduit en polyuréthane, contrés pour leur exposition au musée d’Art là où finit le bon goût.”» Et Fischli de rétorquer :
à l’identique ? En superposant les choses les plus moderne de la Ville de Paris en 2007. «En alchi- «Tu es sûr ? Il ne voulait pas dire : “L’art s’arrête
quotidiennes en des assemblages à l’équilibre mistes, Fischli & Weiss transforment l’ordinaire là où le bon goût commence” ?»

116 Beaux Arts


CI-CONTRE
Flirtation, Love
Faut-il voir quelque chose
de sexuel dans cette ronde
d’escarpins incrustés
les uns dans les autres ?
Le titre y invite en tout cas.
1984, photo noir et blanc,
30 x 40 cm.

PAGE DE GAUCHE
Théorie + Praxis
Dans cette vaste encyclopédie
visuelle, Fischli & Weiss
donnent forme, dans l’argile
et avec beaucoup d’humour,
à tout leur savoir, le b. a.-ba
du marxisme.
1981, argile non cuite.

Rock on Top
of Another Rock’
Une question de stabilité.
Cette œuvre est l’une des
dernières réalisées par le duo
pour la Serpentine Gallery
de Londres, dans le parc
de Kensington.
2010-2013, vue de l’installation
dans Kensington Gardens.

Beaux Arts 117


RÉTROSPECTIVE / FISCHLI & WEISS

DÉTRICOTER TOUTES LES OPPOSITIONS


TRADITIONNELLES. TRAVAIL / LOISIR,
FICTION / RÉALITÉ, KITSCH / BEAUTÉ,
BANAL / SUBLIME. AUX DICHOTOMIES
TROP SIMPLES, ILS PRÉFÈRENT
LA CONFUSION ET LA PERPLEXITÉ.

CI-DESSUS
Projection 1 (Fall)
«Dans cette série, ils insistent
sur le plaisir, le sensuel délice
des fleurs comme motif, réalisant
leur travail le plus désarmant
et le plus convaincant», écrit le
critique d’art Robert Fleck.
1997, deux jeux de 162 diapositives,
deux carousels, dimensions variables.

CI-CONTRE
Hostesses
Amoureux des avions autant
que des voyages, les deux compères
ont à plusieurs reprises sculpté
des silhouettes d’hôtesses de l’air,
presque grandeur nature.
1987-2012, aluminium et peinture,
60 x 110 x 150 cm.

Animal
Un animal tout mignon, avec deux
trous pour les yeux, et un pour
l’anus. Le principe ? Coller l’œil
à ce dernier, pour observer
la bête souriant de l’intérieur !
1986 (issu des Grey Sculptures,
1984-1986 / 2006-2008),
polyuréthane, peinture et tissu,
45 x 50 x 85 cm.

118 Beaux Arts


On l’a compris, la dialectique était leur légèreté méthode de pensée, en duo et duel : ce qu’ils ado- scènes de sexe et inventions technologiques.
quotidienne et l’instabilité leur credo. Pour l’ap- raient, c’était détricoter toutes les oppositions «Nous sommes frappés par la simultanéité entre
préhender, il faut évoquer leur chef-d’œuvre, un traditionnelles. Travail / loisir, fiction / réalité, le signifiant et le non-signifiant, les événements
moyen-métrage intitulé Der Lauf der Dinge (le kitsch / beauté, banal / sublime. Aux dichotomies majeurs et mineurs», résumaient-ils : ainsi com-
Cours des choses), réalisé en 1986. C’est à la fois un trop simples, ils préféraient la confusion et la posent-ils ce musée plein d’humour (notam-
film d’aventures, un polar et une bluette, stupé- perplexité. Le rat considéré comme laid et mes- ment dans les titres) et d’inattendu, où se
fiant de bout en bout. On défie quiconque en quin, le panda tout doux ? Dans ces films, ils sont croisent «monsieur et madame Einstein juste
voit quelques secondes de détacher son regard frères de sang, égaux dans leurs errements, tels après la conception de leur génial fils Albert», le
avant «The End». Enchaînement infernal d’évé- des alter ego des artistes qui iront jusqu’à en faire dernier dinosaure, Jésus-Christ ou un disc-
nements mis en scène dans leur atelier, le film se les auteurs d’un de leurs livres, en 1981. jockey. Le tout dans une matière, la terre non
construit en une succession de minicatastrophes Ainsi, pas question de chercher un sens uni- cuite, qu’ils reconnaissent sans peine comme
dans lesquelles interviennent tous les éléments. voque à leur production foisonnante. Ils ins- «taboue» aux yeux des bons penseurs de l’art
L’eau, le feu, la chaux, l’acide, les pétards, les bau- tillaient le doute partout sur leur passage. Et ne contemporain. Mais du tabou, ils avaient fait
druches : chacun provoque sur la matière (un redoutaient aucune transgression : eux seuls leur totem… Q
seau, un bout de bois, une flaque d’essence…) pouvaient ainsi balancer dans un musée d’art
une action qui, par une réaction en chaîne, va en contemporain des milliers et des milliers de dia-
entraîner d’autres. Ronde insensée, tout ce qui positives vraiment trop jolies, représentant des
ne tenait qu’à un cheveu se dérègle, se renverse, lupins roses et de flamboyantes orchidées, mais
explose ou chute, pour provoquer le plus des- aussi les plus beaux lieux du monde, des pyra- FISCHLI & WEISS, DUO
tructeur des effets domino. Un pneu roule et mides d’Égypte au Grand Canyon. Somp-
COMIQUE ET EXPÉRIMENTAL
entraîne une bouteille, qui tombe sur une table, tueuses cartes postales qui font un pied de nez
vacillant en une explosion, qui à son tour pro- aux esthétiques ultrasèches de l’art conceptuel, Comment résumer trente-trois ans de création ?
voque… Chaque chose est libérée de sa fonction et assument leur kitsch splendide. De leurs La spirale du Guggenheim va plus que jamais faire
usuelle, «mal employée» ou détournée, en une incessants voyages, ces touristes frénétiques tourner la tête, en accueillant plus de 300 pièces
du fameux duo zurichois. Si seul Fischli est encore
sorcellerie sans fin où tout fume, brûle, coule. cherchaient à rapporter l’image passive, «celle
présent (Weiss est mort en 2012), leur œuvre
Soit le chaos dans toute sa perfection, son «effet qui existe déjà». Un tour du monde du cliché, qui
n’a rien perdu de son pouvoir de perturbation
libératoire». leur permit d’explorer les limites d’un genre. et de mystification. Alchimistes du quotidien, ils ont
L’ensemble de leur œuvre est à l’avenant, répon- Toute la beauté de la planète, vomie à travers produit certaines des pièces les plus célèbres
dant à une logique implacable autant qu’à un des centaines de diapositives, et disposée sous de l’art contemporain, comme The Visible World
désordre magnifique. Ainsi ces autres bijoux vitrine comme l’inventaire encyclopédique d’un ou le Cours des choses. Mais cette rétrospective
de films, The Least Resistance (1980-1981) et musée désuet, qui met le visiteur au pied du mur devrait autoriser à pénétrer plus profondément
The Right Way (1983). Les deux épopées d’un rat de ses certitudes. dans leur dialectique complexe. Elle signe en outre
et d’un panda, deux peluches à taille humaine Autre inventaire génial, qui a été l’un de leurs le départ de Nancy Spector, la fameuse curatrice
qui, ensemble, errent dans la forêt suisse, se premiers succès, en 1981, et sans doute leur pièce du musée, pour le Brooklyn Museum de New York.
baignent dans les étangs, s’attendrissent sur les la plus importante : Suddenly This Overview. Fin d’une époque ?
«Peter Fischli David Weiss – How to Work Better»
lueurs de l’aube, tout en philosophant. Un Cette série de minuscules sculptures d’argile
EVGÊWSJFSBVBWSJMr4PMPNPO3(VHHFOIFJN.VTFVN
roman initiatique décalé, sur fond d’electro grise dessine une histoire déviante de l’huma- 'JGUI"WFOVFr/FX:PSLr 
minimale, qui s’achève dans un cri désespéré au nité. «Une encyclopédie très subjective», qui www.guggenheim.org
soleil. Et offre un parfait résumé de leur mêle épisodes bibliques et situations triviales,

Untitled (Sydney, Qantas) et Airport (Berlin-Tegel)


Jamais ces insatiables nomades ne se sont lassés de photographier les aéroports d’où ils prenaient leur envol.
FU QIPUPTDPVMFVS YDN

Beaux Arts 119


Le guide
]Musées ]Galeries ]Week-end ]Marché de l’art
En France et à l’étranger, le meilleur du mois de février.

JESÚS-RAFAEL SOTO, Cube de Paris, 1990


> À voir jusqu’au 30 avril au musée Soulages, Rodez.

Beaux Arts 121


MUSÉES & CENTRES D’ART

LES 4 INFOS À RETENIR


par Françoise-Aline Blain

2 EN MARTINIQUE, LA FONDATION
CLÉMENT VOIT GRAND
Acier inoxydable perforé et gaufré, pierre de lave, charpente métallique,
moucharabiehs de béton… Installée au sein de l’Habitation Clément, maison
de rhum centenaire, classée monument historique depuis 1996, la fondation
Clément inaugure de nouveaux espaces sur l’ancien site d’embouteillage.
Un projet signé par le cabinet d’architectes Reichen & Robert. Depuis sa création,
la fondation d’entreprise a soutenu plus de 160 artistes caribéens. En ouverture,
le 24 janvier, une exposition «Hervé Télémaque», conçue par le Centre Pompidou,
la toute première monographie de l’artiste dans les Caraïbes.
www.fondation-clement.org

3 À CROIX, LA VILLA CAVROIS


RETROUVE SON MOBILIER
Le Centre des monuments nationaux (CMN) vient d’acquérir chez Sotheby’s
à New York plusieurs meubles conçus par l’architecte Robert Mallet-Stevens pour
la résidence de l’industriel Paul Cavrois à Croix (Nord). Soit huit fauteuils, deux
tables et une paire de chaises de bureau (adjugés 234 000 €) qui avaient été
vendus à la suite de la mort de madame Cavrois en 1987. Dans la foulée, le CMN
s’est également porté acquéreur, sur le marché parisien, d’un bureau et de deux

1 À LYON, MENACE SUR LES MUSÉES


chaises issus d’une
des salles d’étude des
enfants. Rachetée par
Le musée des Tissus et des Arts décoratifs de Lyon [ci-dessus], fondé en 1856,
est menacé de fermeture. Ses collections de textiles rivalisent pourtant avec celles l’État en 2001, la villa
du Metropolitan Museum de New York. La chambre de commerce et d’industrie Cavrois a rouvert ses
n’a plus les moyens d’assurer son fonctionnement en raison «d’une baisse de près portes en juin 2015
de 40 % de ses recettes fiscales mises en œuvre par l’État». Pour sauver le musée, et a déjà accueilli plus
une pétition lancée sur le site Change.org a déjà reçu près de 60 000 signatures. de 80 000 visiteurs.
De son côté, le Musée africain, institution privée lyonnaise qui ne bénéficie Un succès.
d’aucune subvention, a lancé un appel aux dons pour poursuivre son activité. www.villa-cavrois.fr
Une première opération de financement participatif lancée en fin d’année n’avait
ROBERT MALLET-STEVENS
recueilli que 4 000 € sur les 20 000 € escomptés. Paire de chaises de la
XXXNUNBEGSrXXXNVTFFBGSJDBJOMZPOPSH villa Cavrois, vers 1932

À PARIS, FEU VERT Paris aura son «musée des maths», projet cher au mathématicien Cédric Villani, médaillé Fields en 2010 et directeur

4 POUR UN MUSÉE
DES MATHÉMATIQUES
de l’Institut Henri Poincaré (IHP). La ville va en effet verser huit millions d’euros afin d’agrandir et moderniser l’IHP situé
sur la montagne Sainte-Geneviève, dans le Ve arrondissement. Les travaux doivent débuter en 2017, pour une livraison
en 2020. Dans un espace de 500 m2, le lieu, conçu autour du thème «Maths et société», vise à diffuser cette discipline
auprès du grand public. Coût de l’opération : 14 M€, financés par la ville, le CNRS, l’État et la région Île-de-France.
Sont attendus 50 000 visiteurs annuels.

122 Beaux Arts


Le musée du mois

Vue de l’exposition «Ailleurs, ici» avec, à gauche, Sans titre de Thierry Lefébure
 FU ÆESPJUF VOFNBRVFUUFEVCBUFBVle Superbe de la flotte royale française
du XVIIIeTJÍDMF SÊBMJTÊFEBOTMFTBUFMJFST1#BVXFOTÆMÏMF.BVSJDFFO

QUIMPER LE QUARTIER

Un centre d’art contre vents et marées


ont montré l’attachement des Quimpérois au un manoir pour les résidences d’artistes. Et un
lieu, il y a eu une grande émulation», se félicite partenariat est en train de se monter avec le
Keren Detton, directrice, qui s’est battue fonds Leclerc de Landerneau, notamment
contre vents et marées pour voir sa structure autour de la prochaine exposition, en mars,
survivre. Et de préciser que «120 artistes ont consacrée au bédéiste Nicolas de Crécy. Mais
offert des œuvres, 25 commerçants ont exposé s’il ne fallait qu’une preuve de la qualité de
des multiples dans leurs boutiques». Ludovic cette programmation artistique ? L’exposition
Jolivet, le maire Les Républicains de la ville, en cours, intitulée «Ailleurs, ici», suffirait.
arrivé au pouvoir en avril 2014, semble Conçue sur mesure par la brillante théori-
aujourd’hui davantage convaincu de l’utilité cienne Elvan Zabunyan, confrontant Corot à
d’un tel espace qu’au début de son mandat. Il de tout jeunes artistes comme Caecilia Tripp
Installé dans une ancienne caserne militaire s’est d’ailleurs rendu au vernissage, alors qu’il ou Trinh T. Minh-ha, elle évoque la question
de Quimper, le Quartier est de ces soldats fra- n’était pas annoncé. Mais de grandes inquié- du déplacement, physique ou poétique, et
giles mais vaillants qui se battent en région tudes demeurent : «La ville a annoncé retirer aborde «les thématiques de l’échange et de la
pour l’art contemporain. À la fin de l’année sur trois ans 15 % de ses subventions, soit fluidité des identités, sur ce territoire qui a vu
2014, il se voyait menacé de disparition, 135 000 euros chaque année. C’est énorme», tant de grands voyageurs naviguer sur les mers
comme d’autres centres d’art qui avaient alors regrette Keren Detton. L’impact est immé- pour en revenir riches d’images qui ont nourri
défrayé la chronique, des Églises de Chelles au diat : deux grandes expositions par an au lieu l’imaginaire des habitants». E. L.
CAC de Brétigny-sur-Orge. Qu’en est-il de trois, et réduction des effectifs. Afin de
aujourd’hui, alors qu’il a fêté en décembre der- limiter les dégâts, le Quartier tente de déve-
«Ailleurs, ici» jusqu’au 14 février
nier son 25e anniversaire ? La situation semble lopper les financements privés. Un mécène 10, esplanade François Mitterrand · 29000
un brin apaisée : «Les célébrations des 25 ans apporte son soutien en mettant à disposition rXXXMFRVBSUJFSOFU

Beaux Arts 123


MUSÉES / Expositions

'3*&%3*$)70/".&3-*/(Perdue dans ses rêves WFST $:13*&/("*--"3%Untitled (Tooth), -03&/;0."55055*Festa Breschi,

AIX-EN-PROVENCE PARIS FONDATION LANDERNEAU FONDS


CAUMONT CENTRE D’ART D’ENTREPRISE RICARD HÉLÈNE & ÉDOUARD LECLERC
Jusqu’au 20 mars Du 26 janvier au 5 mars Jusqu’au 6 mars

Magistrale collection Des contemporains Lorenzo Mattotti


des Liechtenstein à l’âge de pierre au sommet
Quand est organisée une exposition fondée sur L’art est terre fertile : c’est le constat sur lequel Lorenzo Mattotti fait enfin l’objet d’une expo-
une illustre collection privée, comme celle de s’ouvre cette exposition, inspirée des géants sition en France. Cet illustrateur et auteur de
la famille princière de Liechtenstein, se pose américains du land art, qui osèrent sortir du bande dessinée italien jouit d’une réputation
la question de la motivation d’une visite : vient- musée et se confronter aux forces telluriques, difficile : encensé par ses pairs, peu connu du
on pour découvrir une constitution d’en- de Robert Smithson à Walter De Maria. Mais, grand public, il est l’auteur d’une rupture essen-
sembles remarquables, apprécier une tranche en 2015, temps de cynisme et de virtualisation tielle dans l’histoire du 9e art avec Feux, album
d’histoire du goût ou, plus assurément, voir des de nos vies, comment renouveler ce lien aux où la couleur devient enjeu narratif. Même si
œuvres sans se soucier de leur propriétaire ? éléments ? Quels projets hors normes peuvent- la plupart de ses travaux ont fait l’objet de
Une chose est certaine : nul besoin de s’atta- ils encore s’inventer ? Pour y répondre, la com- nombreux livres et servi de couverture à des
cher au destin de cette lignée royale pour missaire Alexandra Fau a conçu cette exposi- magazines comme Télérama ou le New Yorker,
mesurer l’ahurissante richesse de sa collection. tion comme un «rêve de pierre». Elle y réunit on connaît moins ses illustrations, dessins sur
Sans qu’il y ait de véritable propos ou de parti quelques audacieux contemporains : Vincent papier népalais, carnets de croquis ou peintures
pris historiographique, les tableaux présentés Lamouroux qui transforme un hôtel de Sunset à l’acrylique. Occuper les 1 250 m2 du fonds
se suffisent à eux-mêmes, s’enchaînant sans Boulevard en un paysage neigeux, blanc imma- Leclerc était une gageure. On en viendrait
temps faibles et avec quelques temps extrême- culé jaillissant sur le ciel de Los Angeles, Lara presque à regretter que Mattotti ne s’adonne
ment forts : un très beau portrait de Raphaël, Almarcegui, qui s’affronte à des villes entières pas plus souvent à la peinture grand format :
une Vénus de Cranach de 1531, des toiles du afin d’en cartographier les terrains vagues, ou seules deux magnifiques pièces sont visibles à
XVIIe siècle de tout premier ordre (Van Dyck, encore Tacita Dean et Rosa Barba. Pour leur la fin du parcours. Heureusement, la plupart
Rubens) et quelques merveilles du répondre, feu Robert Smithson, représenté des bandes dessinées sont présentées sans
XVIIIe siècle français. De quoi réviser ses clas- dans un film des années 1960 en artiste fan- texte, le révélant au sommet de son art. Men-
siques en somme, en 50 pièces magnifiques, tasque qui s’affronte au scepticisme d’une gale- tion spéciale aux planches originales de Stig-
dans un hôtel particulier au charme délicieux. riste new-yorkaise. Un plaidoyer pour que mates, réalisées à l’encre de Chine, sans doute le
Thomas Schlesser naissent les Spiral Jetty d’aujourd’hui ? E. L. chef-d’œuvre de Mattotti. Vincent Bernière

j-FTDPMMFDUJPOTEVQSJODFEF-JFDIUFOTUFJOv
 SVF+PTFQI$BCBTTPMr j'FSUJMF-BOETvr SVF#PJTTZE"OHMBTr j.BUUPUUJm*OàOJvrSVFEFT$BQVDJOTr
rXXXDBVNPOUDFOUSFEBSUDPN rXXXGPOEBUJPOFOUSFQSJTFSJDBSEDPN rXXXGPOETDVMUVSFMMFDMFSDGS

124 Beaux Arts


MUSÉES / Expositions
PARIS INSTITUT CERVANTÈS, GALERIES BOA & PHOTO 12 Du 21 janvier au 25 mars

Dans les palais rêvés d’Antoni Taulé


Antoni Taulé est catalan, mais la France est Le silence qui règne dans ses palais vides voleur”.» Celle-ci n’a pas pour vocation d’éclai-
son port d’attache. Architecte avant de deve- prêche pour l’abolition du temps. Jean-Claude rer ses objets, ses personnages perdus dans son
nir peintre – et photographe –, il reste impré- Carrière a été ébloui par sa lumière, cette univers intérieur, elle se contente modeste-
gné de géométrie descriptive et conçoit ses intruse : «J’ai presque toujours l’impression ment de les révéler, de les suggérer. Pour la pre-
tableaux comme une écriture. Magicien du que la lumière vient rendre visite à Taulé par mière fois, Taulé expose aussi ses photos prises
vide, grand prêtre du silence, il laisse la lumière surprise. Il ne l’attendait pas, en tout cas pas il y a plus de quarante ans à l’aide de diaposi-
pénétrer l’obscurité de ces grandes demeures ce jour-là, pas à cet endroit-là, à ce moment-là. tives. Photos, tableaux ? Bien difficile de les
inhabitées ; mais, se défend-il, la vraie source Peut-être même ne pensait-il pas à elle. Ça lui distinguer clairement, tant ses compositions
de vie est dans le noir. Dans le cœur de la nuit. arrive. Elle lui vient en douce, “comme un sont de nature identique. Claude Pommereau

ANTONI TAULÉ
Table rouge, 2015

«Taulé Interior»
> Institut Cervantès
7, rue Quentin Bauchart
75008
01 40 70 92 92
http://paris.cervantes.es
> Galerie Boa
 SVFE"SUPJTr
01 45 63 77 41
www.galerieboa.com
> Photo 12 Galerie
14, rue des Jardins
4BJOU1BVMr
01 42 78 24 21
www.galerie-photo12.com
9 Hors-série Beaux Arts
ÊEJUJPOTrQré

Les succès et les échecs Chiffres au 7 janvier 2016 (source : musées)

Nombre Cumul
EXPOSITIONS Lieux d’entrées des
par jour entrées
ANALYSE
Osiris – Mystères engloutis d’Égypte Institut du monde arabe,
1 545 170 000
L’exposition qui met en lumière les dernières découvertes issues des fouilles sous-marines
Du 8 septembre au 31 janvier Paris dirigées dans la baie d’Aboukir rencontre un très beau succès.

Warhol Underground Centre Pompidou-


1 260 161 000
Carton plein pour «Warhol Underground». L’exposition sauve la saison du Centre Pompidou-Metz
Du 1er juillet au 23 novembre Metz qui a accueilli près de 350 000 visiteurs en 2015.

Picasso – Horizon mythologique Les Abattoirs, Toulouse 1 191 82 000


On s’achemine vers un record aux Abattoirs de Toulouse pour l’une des dernières expositions
Du 18 septembre au 31 janvier du directeur Olivier Michelon, en partance pour la fondation Louis Vuitton à Paris.

Tatoueurs, tatoués Musée du quai Branly,


1 531 702 138
L’exposition la plus fréquentée depuis l’ouverture du Quai Branly en raison de sa durée (dix-huit mois).
Du 6 mai 2014 au 18 octobre 2015 Paris Elle entame une tournée au Royal Ontario Museum de Toronto, du 26 mars au 14 septembre.

Beaux Arts 125


MUSÉES / Expositions
Et aussi… par Stéphanie Pioda

1"3*4rMusée de Montmartre
De 1912 à 1926, Suzanne Valadon s’installe dans
l’atelier du 12, rue Cortot avec son fils Maurice Utrillo
et son compagnon André Utter. Ceux que l’on appellera
rapidement le «trio infernal» vivront là une sorte
de huis clos artistique, dans cet atelier-théâtre au quotidien
ponctué de disputes et d’éclats. Il sera également
un lieu d’émulation où chacun des artistes se renouvellera
et où Suzanne Valadon aura le plus produit. Après
la séparation, Utter y restera alors que les deux autres
déménageront avenue Junot, non loin de là.
«Suzanne Valadon, Maurice Utrillo, André Utter :
12, rue Cortot» jusqu’au 13 mars
 SVF$PSUPUrr
www.museedemontmartre.fr

3&//&4rÉcomusée du Pays de Rennes


On ne peut envisager l’histoire de l’imprimerie sans parler
de la famille Oberthür, dont le succès a été assuré par
la création de l’almanach du facteur en 1855. Une véritable
saga familiale et industrielle ! Tout commence avec
Charles-François en 1842 et s’achève tristement par
un dépôt de bilan en 1981. Entre les deux dates, l’entreprise
reste dirigée par les membres de la même famille dont
l’ascension sociale marque durablement la ville de Rennes
autour de la rue de Paris, la façonnant avec ses usines
et ses hôtels particuliers.
«Oberthür – Imprimeurs à Rennes» jusqu’au 28 août
RODEZ MUSÉE SOULAGES Jusqu’au 30 avril GFSNFEFMB#JOUJOBJTrSPVUFEF$IÄUJMMPOTVS4FJDIF
r

Voir Soto, les yeux mobiles www.ecomusee-rennes-metropole.fr

SAINT-PIERRE-DE-VARENGEVILLE
C’est la rencontre de deux maîtres : l’un de la lumière noire, l’autre de la JESUS RAFAEL SOTO
Doble progresion
Centre d’art contemporain de la Matmut
couleur en mouvement. Dans le magnifique musée Soulages de Rodez, azul y negra  Deux photographes, deux univers que tout semble
Jesús Rafael Soto (1923-2005) a trouvé abri cet hiver. Et leur duo fonc- opposer. Camille Doligez multiplie les arrêts sur image
tionne à merveille, tout en contrastes. Quand le peintre de l’Outrenoir de sa ville en autant de cadrages serrés de devantures,
exige une lente contemplation, c’est un corps en mouvement que solli- de rares objets derrière des vitres ou de reflets
cite le fameux cinétique vénézuélien. Imaginés à la fin des années 1960, où les éléments se superposent. Jean Gaumy est attiré
ses Pénétrables invitent à une danse entre leurs mille lianes de plastique. par les grands espaces où la nature est puissante,
Mais les œuvres «intouchables» imposent elles aussi une chorégraphie : de la vallée normande aux terres glacées arctiques.
celle, plus sereine, du regard. Constituées de centaines de piques colo- Et pourtant, on retrouve le même silence, l’absence de
l’homme et une immobilité poétique.
rées, fichées au sol ou au plafond dans un rythme implacable, ses sculp-
«Camille Doligez & Jean Gaumy
tures se renouvellent au moindre clignement d’œil, déjouant notre capa- Derrière les apparences / Les formes du chaos»
cité à envisager ces formes vibratiles. Difficile de cesser cette ronde KVTRVBVBWSJMr SVFEV$IÄUFBV
autour d’elles. Y convient pourtant des toiles plus anciennes ; elles per- rrXXXNBUNVUQPVSMFTBSUTGS
mettent d’envisager combien cet exilé magnifique, qui a fait de la France
sa patrie dès les années 1950, s’inspirera toute sa vie de la touffeur de son 4°5&rMusée Paul Valéry
pays natal, qui fait vaciller les lignes : c’est elle, sans doute, qui confère à Des bois de cerf et de zébu émergent d’une accumulation
chaque œuvre ces irradiations en perpétuel recommencement, inspirées minérale où sont posées des étoiles de mer et se côtoient
de Moholy-Nagy et de Mondrian. Célébré l’an passé au Centre Pompidou des caïmans, un éléphant et des poissons exotiques.
grâce à la belle donation de la famille, Soto revit après les décennies de Mi-inquiétante, mi-fantastique, cette installation évoquant
«Jesús Rafael Soto le cabinet de curiosités de Rodolphe II de Habsbourg
purgatoire infligées à lui et ses pairs de l’art cinétique, pour l’immense Une rétrospective»
plaisir des visiteurs. «Il aimait dire que son art n’est pas art du mouve- jardin du Foirail
nous précipite au pays des merveilles de l’artiste et poète
avenue Victor Hugo Jean-Luc Parant. Où tout n’est qu’une question de regard
ment, mais de l’instabilité, souligne le commissaire de l’exposition
12000 et de mémoire...
Mathieu Poirier. La plupart de ses œuvres ne sont pas mobiles, c’est au
05 65 73 82 60 «Jean-Luc Parant – Mémoire du merveilleux»
spectateur de l’être. Il nous rappelle ainsi que nous ne sommes pas des musee-soulages. KVTRVBVGÊWSJFSSVF'SBOÉPJT%FTOPZFSr
yeux plantés sur un piquet, mais un corps mobile que l’œil sollicite.» E. L. rodezagglo.fr rXXXNVTFFQBVMWBMFSZTFUFGS

126 Beaux Arts


MUSÉES / Expositions à l’étranger
MILAN MUDEC Jusqu’au 21 février
Et aussi… par Stéphanie Pioda

Comment l’Amérique latine COLOGNY (GENÈVE)


inspira Anni & Josef Albers Fondation Martin Bodmer
En 1949, la rencontre entre Henri Michaux et Zao
Wou-Ki marque le début d’une amitié de trente-cinq
La pureté de leurs lignes, la redou- ans. Les deux artistes partagent un même amour pour
table efficacité de leurs couleurs le geste et tous deux ont le goût de l’expérimentation.
entrechoquées, Anni et Josef Albers Ils échangent beaucoup sur leur travail mais aussi
sur la Chine qui fascine Michaux depuis son périple
ne les doivent pas qu’au Bauhaus.
en 1932. Pour eux, l’art fait signe et le signe fait sens.
Certes, ils ont expérimenté dans
«Henri Michaux & Zao Wou-Ki
l’Allemagne des années 1920 une L’empire des signes» jusqu’au 10 avril
abstraction magnifique, lui en pein- SPVUF.BSUJO#PENFS r4VJTTF
ture, elle dans le textile. Mais après rXXXGPOEBUJPOCPENFSDI
leur exil aux États-Unis pour fuir le
nazisme, c’est dans le continent -"64"//&rMusée olympique
latino-américain qu’ils trouvèrent Les JO rimant avec Rio cette année, le Musée olympique
leurs ressources. Cuba, Pérou, Chili, de Lausanne règle sa montre à l’heure brésilienne dès
et surtout Mexique : au fil de leurs le mois de février, carnaval oblige. «Cap sur Rio 2016»
multiples séjours, ils se laissent stu- déroulera ensuite tout un déferlement d’événements,
péfier par la radicalité des pyra- dont le point d’orgue correspondra aux quinze jours des
compétitions, entre le 5 et le 21 août. Pour tout savoir
mides aztèques, l’inventivité des tis-
sur l’organisation, le site (sur le lac de Jacarepaguá),
sus précolombiens, la structure les sports au programme, les athlètes, le relais de la
sèche des maisons en adobe. Et flamme, les mascottes et les médailles… top départ !
comme le démontre cette petite j$BQTVS3JPvEVGÊWSJFSBVTFQUFNCSF
exposition, en entremêlant leurs dessins, toiles et tapis à des échantillons +04&'"-#&34 RVBJE0VDIZ r4VJTTF
de l’art d’avant Colomb, ainsi qu’à leurs photographies de voyage, leur Homage to the Square, rXXXPMZNQJDPSH

regard s’enrichit superbement au contact de la géométrie maya et inca ou
des palais de Oaxaca. &- .03-"/8&-;rMusée de Mariemont
j"OOJ+PTFG"MCFSTFUMFNPOEFMBUJOPBNÊSJDBJOvr7JB5PSUPOB r rXXXNVEFDJU Le peintre belge Gisbert Combaz n’est pas un
simple affichiste Art nouveau. Il a contribué à faire
rayonner les arts du Japon dans son pays – il s’est
particulièrement intéressé à la période d’Edo
MILAN FONDATION PRADA Jusqu’au 7 février (1603-1868) – et à influencer ainsi la production
artistique des céramistes d’après-guerre, notamment

De l’autre côté du tableau à travers la découverte des techniques de glaçure


à la cendre. L’exposition s’inscrit dans le cadre
de la célébration du 150e anniversaire des relations
Chaque tableau a sa face cachée, et ne la montre d’ordinaire pas. Mais la fondation Prada a eu
diplomatiques entre la Belgique et le Japon.
l’excellente idée d’aller explorer le verso de la peinture, de trompe-l’œil du XVIIe siècle hollan- j6OFTQSJUKBQPOBJT (JTCFSU$PNCB[
dais donnant l’illusion d’un châssis crevé aux jeux pop de Roy Lichtenstein. Dans son superbe -BDÊSBNJRVFE&EPFUMBDSÊBUJPOCFMHFv
bâtiment inauguré l’an passé, se révèlent dans une succession de cellules de béton des tas de EVKBOWJFSBVBWSJMrDIBVTTÊF
secrets : c’est Philippe Gronon qui s’évertue à photographier le revers de toiles de musée, mettant EF.BSJFNPOU r#FMHJRVF
rXXXNVTFFNBSJFNPOUCF
au jour leur histoire et les traces de leurs voyages. C’est Giulio Paolini qui déjoue la contrainte du
cadre. Ou encore Louis Cane.
Représentant de Supports / Sur-
06%&/#63(rFondation De 11 Lijnen
faces, mouvement qui s’est atta- Sheila Hicks tisse, emmaillote, file, noue, déploie…
Cette artiste américaine maîtrise l’art de la tapisserie
ché à étudier la peinture dans ce
et de la fibre de laine depuis plus de cinquante ans.
qu’elle a de plus structurel, il illu-
Reconnue par les plus grandes institutions d’art
mine l’ensemble avec une stupé- contemporain, elle n’a jamais cessé de combiner des
fiante toile ocre mordorée pen- matières végétales, animales et industrielles aux
due à même le mur. Bref, une couleurs éclatantes pour composer ses sculptures
exposition d’une rare rigueur, et monumentales, ses installations et ses performances.
d’une grande intelligence. &- Ici, en choisissant le lin, elle fait un clin d’œil
à la place historique de ce matériau en Flandre.
j3FDUPWFSTPvr-BSHP*TBSDP 
À ne pas manquer !

GPOEB[JPOFQSBEBPSH j4IFJMB)JDLTm*OEFFEvKVTRVBVGÊWSJFS
(SPFOFEJKLTUSBBU r#FMHJRVF
(*6-*01"0-*/*La Decima Musa, 1966 rXXXEFMJKOFODPN

Beaux Arts 127


GALERIES
LES 3 EXPOSITIONS DU MOIS

ERWIN WURM Triple Seat 

1 GALERIE
THADDAEUS ROPAC
Il nous a tout fait, à nous et à notre environnement quotidien. Il nous a mis des cornichons dans le nez, a fait exploser
d’obésité nos bolides automobiles, a rétréci nos maisons, fait fondre nos voiliers… Bref, l’Autrichien Erwin Wurm s’attaque
à tout ce qui compose notre cadre de vie de tous les jours, pour le faire vaciller vers cette «inquiétante étrangeté» qu’a
ERWIN WURM
théorisée son concitoyen le docteur Sigmund. Que va-t-il donc inventer pour cette nouvelle exposition à la galerie Thaddaeus
DÉFONCE LES FORMES Ropac, intitulée «Lost» ? Le facétieux plasticien continue de s’attaquer aux formes domestiques les plus simples :
«Erwin Wurm – Lost» jusqu’au 5 mars un distributeur à savon, une horloge, une chaise longue ou un fauteuil. Mais il se targue de remettre en question le principe
 SVF%FCFMMFZNFr1BSJT même de leur matérialité, en se revendiquant d’Aristote. À savoir ? Leur contenu vient par exemple s’exprimer à la surface,
rIUUQSPQBDOFU
révélant le secret de leur intériorité. Soit une formalisation plastique de la figure de style bien connue de la synecdoque,
où la partie vaut pour le tout, le contenu pour le contenant. C’est ainsi qu’un frigo prend la teinte jaunâtre du beurre
qu’il contient. Mais l’artiste célèbre pour ses One Minute Sculptures, où il transforme des quidams en sculptures éphémères,
attifées de toutes sortes d’objets farfelus, a cette fois pris aussi comme cobaye des objets porteurs d’une charge historique,
plutôt que de banals artefacts. Une nostalgie inattendue vient teinter ces productions, qu’il a d’abord moulées en argile,
avant de s’asseoir ou de marcher dessus, afin qu’elles prennent l’empreinte de son corps. Le résultat est ensuite fondu
dans le bronze ou le polyester. Fondu, c’est le cas de le dire… Emmanuelle Lequeux

128 Beaux Arts


Et aussi… par Stéphanie Pioda

1"3*4r(BMFSJF#FUUJOB
2 GALERIE
ART : CONCEPT
Bleu est le ciel que met en scène Marie Benattar
dans ses photographies, théâtre d’onirisme
DES ARTISTES et d’humour. La symbolique de cette couleur
ET DES SPECTRES a évolué au fil du temps : attribuée aux barbares
dans l’Antiquité, à la Vierge au Moyen Âge,
Il y a du fantôme dans tout cela. Ils hantent les dessins elle est aujourd’hui celle de la sérénité pour
d’Ulla von Brandenburg, dont on connaît les films Seon Kang Wolter. «B comme… bleu»
et théâtres ésotériques, mais dont les pastels, à travers est la première exposition d’une trilogie
leurs coulures, évoquent eux aussi le bord d’un autre que la galerie Bettina développe autour
monde, et les danses d’un ancien temps. Spectres de la couleur comme langage.
un brin grotesques chez Francis Upritchard, avec leurs «B comme… bleu» jusqu’au 12 mars
mines jaunes ou vertes et leurs vieux linceuls à carreaux  SVF#POBQBSUFr1BSJT
écossais. Et chez Haris Epaminonda, les voilà à l’état rXXXHBMFSJFCFUUJOBDPN
de palimpseste. La jeune artiste d’origine chypriote,
qui vient de réaliser l’une des plus belles expositions 1"3*4r(BMFSJF$BUIFSJOF)PVBSE
de l’année au Plateau à Paris, sait convoquer dans Quels seront les artistes de demain ? La galerie
ses objets tout en minimalisme une charge sourde : Catherine Houard tente de répondre à cette question
des statuettes de l’Indus dialoguent avec quelques avec ce nouveau rendez-vous annuel pour lequel
plaques de métal, et dans un simple luminaire un artiste reconnu pose son regard sur la jeune
surgit le visage casqué d’Agamemnon et son cortège création. Jean-Michel Alberola, le premier commissaire
tragique. Bref, une exposition habitée. &- invité, a retenu le travail de quatre artistes :
j6MMBWPO#SBOEFOCVSH )BSJT&QBNJOPOEB Alexandre Bour, Joël Degbo, Laure Rafélis de Broves
'SBODJT6QSJUDIBSEvKVTRVBVGÊWSJFS et Madeleine Roger-Lacan. Qu’en conclure ?
 QBTTBHF4BJOUF"WPZFr1BSJTr Le retour en force d’une peinture décomplexée.
XXXHBMFSJFBSUDPODFQUDPN j-FTSFOEF[WPVTEFGÊWSJFSvEVGÊWSJFS
BVBWSJMr SVF4BJOU#FOPÏUr1BSJT
'3"/$*4613*5$)"3%Tree  rXXXDBUIFSJOFIPVBSEDPN

1"3*4r(BMFSJF'FMMJ
À quoi rêvent les êtres de Marc Perez ? Ces hommes
aux jambes filiformes ont tous la tête levée vers le ciel,
comme contraints par un destin qu’ils subissent.
Ployant sous le poids de fardeaux démesurés, ils sont
des Sisyphe modernes dépassés par l’absurdité
de la condition humaine. À l’occasion de la parution
d’une monographie, cette exposition retrace le
parcours de l’artiste depuis ses premières peintures
dans les années 1980.
j.BSD1FSF[vEVBVGÊWSJFS
 SVF7JFJMMFEV5FNQMFr1BSJT
rXXXHBMFSJFGFMMJDPN

1"3*4r(BMFSJF.BUIJBT$PVMMBVE
3 GALERIE
MARIAN GOODMAN
Souviens-toi de moi, souviens-toi de moi… C’est comme un
murmure, repris jusqu’à l’obsession. Écrit à la lumière noire de néons
illuminant le mur plus que la salle, ce poème sec est composé
Le profil du sexisme a changé, devenu plus
insidieux. Les femmes ont remporté de nombreuses
STEVE McQUEEN, victoires pour leurs droits, leur liberté, leur ambition
de dizaines d’écritures. Celles d’anonymes à qui Steve McQueen a mais le travail à faire est encore conséquent.
LA MORT AUX CARAÏBES demandé cet autographe. Comme si on avait pu oublier le réalisateur Quatre artistes pointent les dysfonctionnements
j4UFWF.D2VFFOvKVTRVBVGÊWSJFS de Hunger et Twelve Years a Slave ! Il est vrai que, depuis ses succès et failles à travers le filtre de leur âge (Élodie Antoine,
 SVFEV5FNQMFr1BSJT au cinéma, le plasticien britannique s’était fait rare sur les terres née en 1978), du fantasme (Cindy Sherman),
rXXXNBSJBOHPPENBODPN de l’art. Outre ce mur de néons, il y revient avec un film projeté du rapport au corps (Kiki Smith) ou de l’origine
45&7&.c26&&/Ashes  en diptyque, hommage à un être dont la présence lumineuse l’avait (Zoulikha Bouabdellah). Cette dernière vient
frappé lors d’un tournage sur l’île de la Grenade, aux Antilles. Ce jeune de rejoindre la galerie qui lui prépare un solo show
homme radieux, mort deux mois après, s’appelait Ashes («cendres» en novembre prochain.
en anglais). À partir des rushs inexploités de 2001, McQueen j4FYJTNFvKVTRVBVGÊWSJFS
lui construit une tombe. «Ashes to ashes», ne peut-on s’empêcher de  SVFEF1JDBSEJFr1BSJT
murmurer en ce mois de janvier qui a vu David Bowie disparaître. &- rXXXNBUIJBTDPVMMBVEDPN

Beaux Arts 129


WEEK-END
arty

Une anse quasi parfaite… La Concha est l’archétype de la belle plage urbaine.

La Tabakalera incarne le nouveau dynamisme de celle que l’on surnomme «San Se’». Le centre culturel Avec ses 10 000 panneaux de verre translucide, on le voit de loin. Le Kursaal, dessiné
a ouvert ses portes en septembre dans une ancienne manufacture de tabac. par Rafael Moneo, prix Pritzker 1996, est le siège du Festival international du film.

Nouvelle vague à SAN SEBASTIÁN


La cité basque espagnole est la capitale européenne de la culture 2016, titre qu’elle partage avec la ville polonaise
de Wrocław. Réputée pour sa gastronomie, San Sebastián épate aussi par sa déferlante artistique.
e vent s’y perd, le regard aussi. Lorsqu’on romántico, sur la rive est du fleuve Urumea. Ce dépoli accroche le regard. Signé par l’architecte

L découvre San Sebastián – Donostia en


basque –, ses douces collines, sa superbe
baie de la Concha, ses boulevards bordés de
mini-Centre Pompidou a ouvert ses portes en
septembre dans une ancienne manufacture de
tabac, fondée en 1913. En façade, le bâtiment,
navarrais Rafael Moneo, le bâtiment, récom-
pensé par le Prix d’architecture contemporaine
Mies van der Rohe, est à la fois un auditorium,
palmiers, on est saisi par un sentiment de plé- érigé autour de quatre patios, a gardé son carac- une salle d’expositions et de spectacles (la star
nitude. Qui pourrait croire alors que cette sta- tère industriel. L’intérieur, remodelé par les de trip hop Tricky s’y produit le 12 mars).
tion balnéaire, à 50 km seulement de Biarritz, architectes Jon & Naiara Montero, prend la
qui fut jadis le lieu de rendez-vous de la jet-set forme d’un vaste forum recouvert d’un prisme SOUS UNE PLUIE D’ÉTOILES MICHELIN
(de Mata Hari à Hemingway en passant par de verre. De la terrasse du cinquième étage, la En contrebas, la plage de la Zurriola est le spot
Cristóbal Balenciaga et Ava Gardner), était vue est imprenable sur la Concha. Pensée préféré des surfeurs. À deux pas de là, la galerie
devenue une ville fantôme au plus fort des comme un espace de recherche, de production Arteko soutient depuis vingt ans les artistes de
attentats de l’organisation basque ETA ? En et d’exposition, la Tabakalera abrite des rési- la région (parmi lesquels Raúl Urrutikoetxea,
2011, après cinq décennies de lutte armée, ETA dences d’artistes, une cinémathèque, une Alfonso Berridi ou José Luis Zumeta). Juste à
déposait les armes. Depuis, Donostia s’est bibliothèque et même un laboratoire de côté, dans le quartier d’Egia, l’Espacio Reflex
forgé un nouvel avenir. Désignée capitale cultures digitales. Un concentré d’énergies est un «project room» très dynamique qui
européenne de la culture 2016, avec le slogan nouvelles et de folie créative. En sortant, on monte de nombreux projets transfrontaliers.
«Olas de energía» («vagues d’énergie»), la ville a suit le fleuve en direction du quartier de Gros. Loin d’être une ville-musée, «SanSe» sait aussi
fait de la culture une arme contre la violence et Passé le Paseo de Francia avec ses palais Belle recevoir. Réputée pour ses pintxos (tapas sur
un vrai moteur de changement. Époque à l’élégance désuète, on aperçoit le croûtons de pain), elle aime la bonne chère. La
Symbole de ce renouveau, le centre culturel Kursaal, siège du Festival international du film ville possède en effet le plus grand nombre
Tabakalera, situé à deux encablures du centro en septembre. Sa silhouette massive en verre d’étoiles Michelin au mètre carré (seize au

130 Beaux Arts


par Françoise-Aline Blain

Capitale européenne de la culture 2016


http://dss2016.eu/fr/
Cérémonie d’ouverture le 23 janvier

MUSÉES & CENTRES D’ART


Tabakalera Duque de Mandas, 52
rXXXUBCBLBMFSBFV
San Telmo Museoa 1MB[B;VMPBHB 
rXXXTBOUFMNPNVTFPBDPN
ATTENTION :MBDDÍTBVPeine del VientoEF$IJMMJEBFTU
GFSNÊKVTRVFOBWSJM QPVSDPOTPMJEBUJPOEFMBGBMBJTF

GALERIES
Espacio Reflex &HJB 
rXXXFTQBDJPSFáFYPSH
Galería Arteko *QBSSBHVJSSF 
rXXXBSUFLPHBMFSJBDPN
Ekain Arte Lanak*ÒJHP 
rXXXFLBJOBSUFMBOBLDPN

RESTAURANTS
1PVSMFTpintxos EJSFDUJPOMB1BSUF7JFKB RVBSUJFSEFMB
WJFJMMFWJMMF RVJPGGSFMBQMVTGPSUFDPODFOUSBUJPOEFCBST
-BSVFEF"HPTUPFOFTUMÊQJOFEPSTBMF
A Fuego NegroTFSUEFTpintxosOPVWFMMFDVJTJOF
PMJWFTGBSDJFTÆMBHFMÊFEFWFSNPVUI 
C’est l’un des symboles du Pays basque. Réalisé en 1976, Peine del Viento («Peigne du vent»), d’Eduardo Chillida, 1PVSMBIBVUFHBTUSPOPNJF USPJTSFTUBVSBOUTÊUPJMFT
est un ensemble de trois sculptures (de 10 tonnes chacune) accroché à même les rochers. Akelarre, ArzakFUMartín Berasategui
$PNQUFSEFÆéMFNFOV
XXXBS[BLJOGP
total, dont trois restaurants triplement étoi- tale», le musée accueille une grande exposition XXXNBSUJOCFSBTBUFHVJDPN
lés). Pour goûter aux joies de la cuisine basque, sur le thème de la paix mais aussi la jeune garde XXXBLFMBSSFOFU
on guette les happenings gastronomiques et d’artistes régionaux, Txomin Badiola en tête.
HÔTELS
autres banquets organisés dans le cadre de Parmi les autres figures de l’art contemporain Punta Montas "VCPVUEFMBQMBHFEFMB;VSSJPMB 
San Sebastián 2016. basque, Esther Ferrer. La grande dame de la EBOTMFRVBSUJFSEF(SPT VOÊUPJMFTBVYBMMVSFT
performance a reçu, dans le cadre des festivités EFDPOUFOFVSQPSUVBJSFGBDFBVNPOU6SHVMM
CHILLIDA FACE À LA MER CANTABRIQUE 2016, carte blanche pour proposer une série $IBNCSFEPVCMFÆQBSUJSEFé
En attendant, on peut toujours s’essayer à la tra- > +PTÊ.JHVFMEF#BSBOEJBSÃO 
d’actions dans l’espace public.
rXXXQVOUBNPOQBTIPUFMDPN
ditionnelle tournée des bars entre amis, le txi- Et puis, bien sûr, il y a le sculpteur Eduardo Hotel de Londres y de Inglaterra 7VFTQFDUBDVMBJSF
kiteo (qui tire son nom des petits verres de vin). Chillida (1924-2002). Au bout de la Concha, TVSMB$PODIB-FQBMBDFQSÊGÊSÊEF5PVMPVTF-BVUSFD
Pour cela, cap sur la vieille ville et son dédale de sous les rochers du mont lgueldo, on peut FU.BUB)BSJBDPOTFSWÊMÊMÊHBODFEFMB#FMMFÉQPRVF
ruelles étroites et animées, dominée par le admirer son Peine del Viento («Peigne du vent»). 1SJYÆMBWFOBOUDIBNCSFEPVCMFÆQBSUJSEFé
mont Urgull. La place de la Constitution et ses Un ensemble de trois sculptures conçu pour > ;VCJFUBr rXXXIMPOESFTDPN
Hotel Niza $FUIÔUFMQSÊTFOUFMVJBVTTJVOFTVQFSCF
façades colorées aux balcons numérotés nous résister aux assauts de la mer Cantabrique. WVFTVSMBNFS$IBSNFBTTVSÊ$IBNCSFEPVCMF
rappellent qu’elle fut jadis une arène. Non loin Étrange mélange de vigueur et de sobriété. ÆQBSUJSEFé
de là, la galerie Ekain Arte Lanak expose aux À l’image de la ville. > ;VCJFUBr rXXXIPUFMOJ[BDPN
côtés d’artistes locaux de grands noms comme
Antoni Tàpies ou Manolo Valdés. Autre insti-
tution du quartier, le musée San Telmo. L’an-
cien couvent dominicain du XVIe siècle a
rouvert ses portes en 2011, agrémenté d’une
façade en aluminium perforé (architectes
Nieto-Sobejano) qui laisse pousser lichens,
mousses et des plantes de la Costa Verde. Le
bâtiment recèle des Greco, Ribera, Miró et
une importante collection d’art basque.
Clou de la visite : onze toiles monumentales
réalisées dans l’église par le peintre catalan
José María Sert en 1932. En cette année «capi- La capitale du Guipúzcoa compte quelques bonnes galeries comme Ekain Arte Lanak, au cœur de la vieille ville.

Beaux Arts 131


MARCHÉ
LES 3 VENTES À NE PAS MANQUER

"6(645&30%*/Le Baiser
1885, épreuve en bronze réalisée en 1927, 85,2 x 52,4 x 54,5 cm.
&TUJNBUJPO Æ.é

3
PARIS r DROUOT
BINOCHE & GIQUELLO
BON BAISER DE RODIN
Provenant de la collection particulière du galeriste
parisien Jean de Ruaz, cinq bronzes de Rodin (1840-
1917) sont livrés au feu des enchères à Drouot.
Estimée 1,5 M€ minimum, le Baiser [ci-dessus],
dans sa taille originale de 85 cm, en est le lot phare.
03";*0(&/5*-&4$)*Danaé 1621, huile sur toile, 161 x 226 cm. &TUJNBUJPOÆ.é
Réalisée à l’origine pour la Porte de l’Enfer,

1 NEW YORK r SOTHEBY’S l’emblématique sculpture fut acquise par Jean de Ruaz
directement auprès du musée Rodin en 1942.
TOUT L’OR DE LA PEINTURE BAROQUE Cette pièce fut ensuite exposée dans sa galerie en 1946
En vedette de sa vente du soir de tableaux anciens à New York, Sotheby’s présente l’une des plus importantes et 1957 lors d’expositions monographiques consacrées
peintures du baroque italien à apparaître sur le marché depuis la Seconde Guerre mondiale. Chef-d’œuvre au sculpteur. Elle a été conservée dans la famille du
d’Orazio Gentileschi, Danaé fut commandé en 1621 par Giovanni Antonio Sauli pour son palais à Gênes. galeriste depuis, tout comme l’Éternel Printemps (1884),
Cette toile caravagesque illustre la scène mythologique dans laquelle Jupiter (Zeus), transformé en pluie d’or, dans sa taille originale de 64 cm (est. 300 000 €),
vient à la rencontre de la fille d’Acrisios, roi d’Argos, enfermée dans une tour d’airain par son père. Cupidon une épreuve de 29,5 cm de l’Éternelle Idole (1889),
ouvre les rideaux pour révéler toute la beauté de Danaé allongée sur des drapés de satin magnifiquement noire nuancée de vert (60 000 €), la Jeune Mère (1885),
peints. L’œuvre a été exposée au Metropolitan Museum of Art de New York ces deux dernières années. bronze de 39 cm (est. 80 000 €), et le Bon Génie
La maison de ventes en attend environ 30 M€, soit le prix d’un beau tableau impressionniste. (1899), petite composition intime de 22,7 cm (est.
j5BCMFBVYBODJFOTvrKFVEJKBOWJFSrrXXXTPUIFCZTDPN 30 000 €). Tous ont été fondus post mortem par
Alexis Rudier selon la technique souhaitée par Rodin.
La plus haute enchère pour le Baiser revient à un

2 PARIS r PIASA bronze de la même taille exécuté du vivant de Rodin,


UN DESIGN SCANDINAVE DÉPAYSANT vendu 4,3 M€ en 2009 à New York.
j&YDFQUJPOOFMFOTFNCMFEFCSPO[FTEF3PEJOv
Fort du succès des ventes de design scandinave qui réunit, deux fois par an, des pièces signées Hans Wegner, NBSEJGÊWSJFSr SVF%SPVPUr1BSJT
Poul Kjærholm, Arne Jacobsen ou encore Finn Juhl, la maison Piasa propose des focus sur des créateurs rXXXCJOPDIFFUHJRVFMMPDPN
dont la cote est en train de monter. C’est le cas de Josef Frank (1885-1967), architecte viennois qui s’est
tourné vers la création de meubles à son installation
en Suède. La soixantaine d’œuvres réunies
privilégie les bois chauds et constitue un ensemble
homogène sobre et luxueux. On notera quelques
meubles très décoratifs, comme cette commode
en acajou décorée des illustrations d’Images
de la flore du Nord du botaniste Carl Lindman.
j'PDVTPO+PTFG'SBOLvrNFSDSFEJGÊWSJFS
 SVFEV'BVCPVSH4BJOU)POPSÊr1BSJT
rXXXQJBTBGS

+04&''3"/,$PNNPEF Flora NPEÍMF


1948, acajou et laiton, éd. Svenskt Tenn, 76 x 133 x 44 cm.
&TUJNBUJPOÆé

132 Beaux Arts


MARCHÉ / Les salons du mois par Armelle Malvoisin

MADRID r ARCO
UN ANNIVERSAIRE
EN DUO
Pour ses 35 ans, la foire madrilène d’art
contemporain Arco a invité 35 galeries
internationales, qui lui sont historiquement liées,
à présenter dans une section spéciale un duo
d’artistes de leur choix. La galerie Krinzinger
fait dialoguer l’actionniste viennois Günter Brus
et les sculptures de l’Espagnole Angela
de la Cruz, dans un étroit rapport au corps.
Un face-à-face entre Franz Ackermann
et Manfred Pernice, deux artistes allemands
travaillant à Berlin et représentés de longue date
par la galerie Mai 36, s’est imposé à Victor
Gisler, directeur de l’enseigne zurichoise.
La galerie parisienne Lelong qui a «une histoire
d’amour avec l’Espagne», grâce à ses artistes
Miró, Chillida, Tàpies et Plensa, a choisi
de montrer le travail de deux femmes :
des peintures de l’Américano-Libanaise
Etel Adnan et des dessins de Nalini Malani,
artiste née à Karachi en 1946 qui vit et travaille
à Bombay. Les galeries Air de Paris et
Chantal Crousel sont les autres françaises
JACQUES SAMUEL BERNARD
participant à ce show spécial. Bouquet de fleurs dans un vase en lapis-lazuli sur un entablement
"SDP.BESJEEVBVGÊWSJFSr'FSJBEF.BESJE 1660, huile sur toile, 118 x 89 cm. GALERIE ÉRIC COATALEM, PARIS
IBMMTFUr.BESJErXXXBSDPNBESJEFT Prix : autour de 250 000 €

NALINI MALANI Sita II


2006, acrylique, encre et laque sur l’envers de papier Mylar, BRUXELLES r BRAFA
183 x 82 cm. GALERIE LELONG, PARIS-NEW YORK
UNE FOIRE BELGE TRÈS FRANÇAISE
Prix : 90 000 €
Prisée pour son éclectisme de grande qualité, la Brafa
(Brussels Antiques & Fine Arts Fair) regroupe 137 participants
PARIS r RÉTROMOBILE dans des spécialités recouvrant la quasi-totalité des périodes
CHEFS-D’ŒUVRE À MOTEUR de l’histoire de l’art. De nombreux marchands français
apprécient cette foire fréquentée par un public belge très
Le salon Rétromobile attire chaque année des collectionneurs d’automobiles du monde entier mais
collectionneur. Ils sont 48 cette année, comme Xavier
aussi une foule de visiteurs passionnés autour d’un programme riche en démonstrations. Pour cette
Eeckhout, spécialiste de la sculpture animalière, de retour pour
41e édition : hippomobiles du musée de Compiègne ; automobiles pionnières (et centenaires)
la septième fois avec des bronzes signés Pompon, Sandoz
qui roulent toujours ; cinq voitures futuristes dites «rhomboïdes» à roues positionnées en losange ;
ou Guyot, mais aussi des sculptures de l’École d’Anvers,
modèles mythiques de 1976 en hommage à la première édition de Rétromobile ; véhicules et objets
tels une Panthère dévorant de Thierry Van Ryswyck et
conçus par le designer Philippe Charbonneaux (dont la Renault 8 et la Renault 16) ou encore
un Marabout marchand d’Albéric Collin. Le mobilier français
la collection automobile d’une femme (prénommée Julia) dans un univers réputé masculin. Sans
XVIIIe est à l’honneur grâce à la galerie François Léage
oublier la vente aux enchères, le 5 février, sous la houlette d’Artcurial, avec une Ferrari 335 S Spider
qui, pour sa deuxième participation, expose notamment
Scaglietti de 1957 en vedette (est. autour de 30 M€).
une commode en marqueterie de Boulle de la fin de l’époque
4BMPO3ÊUSPNPCJMFEVBVGÊWSJFS
1BSDEFTFYQPTJUJPOTrIBMMr1PSUFEF7FSTBJMMFTr1BSJTrXXXSFUSPNPCJMFDPN
Louis XIV par François Lieutaud, similaire à une commode
conservée au château de Versailles. Pour marquer leur retour
à la foire bruxelloise, les antiquaires parisiens Philippe Perrin
(mobilier ancien) et Éric Coatalem (tableaux anciens)
se sont associés pour présenter un stand en deux parties.
Dans la première, le mobilier de salon Directoire de
la comtesse de Provence, estampillé Henri Jacob, côtoie
des peintures de François Boucher et de François-André
Vincent. La seconde reconstitue un cabinet d’amateur
du XVIIe siècle avec un mur entier de natures mortes
accompagnant un cabinet par Étienne Levasseur et un bureau
Mazarin en marqueterie Boulle. Les galeries parisiennes
Boulakia (tableaux impressionnistes et modernes) et
Jean-Christophe Charbonnier (armes, armures et objets d’art
Ferrari 335 S Spider Scaglietti du Japon) font partie des nouveaux venus à Brafa.
1957, collection de Pierre Bardinon.
Artcurial Motorcars, Paris (vente aux enchères le 5 février). Brafa (Brussels Antiques & Fine Arts Fair)
EVBVKBOWJFSr5PVS5BYJT
Estimation : 28 à 32 M€
BWFOVFEV1PSU$r#SVYFMMFTrXXXCSBGBCF

Beaux Arts 133


CALENDRIER DES EXPOSITIONS
DERNIERS JOURS ! VOUS AVEZ ENCORE LE TEMPS…
ÎLE-DE-FRANCE MUSÉE MARMOTTAN MONET rCJBSSJU[GS ÎLE-DE-FRANCE JEU DE PAUME
 SVF-PVJT#PJMMZr Costa Jusqu’au 24 janvier  QMBDFEFMB$PODPSEFr
MUSÉES rNBSNPUUBOGS MUSÉES rKFVEFQBVNFPSH
& CENTRES D’ART Villa Flora Jusqu’au 7 février CAEN & CENTRES D’ART François Kollar / Helena Almeida
FRAC BASSE-NORMANDIE Edgardo Aragón Du 9 février au 22 mai
LES ARTS DÉCORATIFS MUSÉE DU QUAI BRANLY  SVF7BVCFOBSEr LES ARTS DÉCORATIFS
 SVFEF3JWPMJr  RVBJ#SBOMZr rGSBDCOPSH  SVFEF3JWPMJr MAC VAL
rMFTBSUTEFDPSBUJGTGS rRVBJCSBOMZGS Michel Aubry Jusqu’au 7 février rMFTBSUTEFDPSBUJGTGS 1MBDFEFMB-JCÊSBUJPOr7JUSZ
Une histoire, encore ! Sepik – Arts de Papouasie-Nouvelle-Guinée Faire le mur – Quatre siècles de papiers TVS4FJOFrrNBDWBMGS
Jusqu’au 7 février Jusqu’au 31 janvier MUSÉE DES BEAUX-ARTS peints Jusqu’au 12 juin François Morellet / Yeondoo Jung
9)0344ÉRIE BEAUX ARTS $IÄUFBVrr De la caricature à l’affiche (1850-1918) Jusqu’au 6 mars
BIBLIOTHÈQUE NATIONALE IUUQNCBDBFOGS Du 18 février au 4 septembre L’effet Vertigo Jusqu’à fin 2016
DE FRANCE FRANÇOIS MITTERRAND PHILHARMONIE DE PARIS Per Kirkeby Jusqu’au 14 février
2VBJ'SBOÉPJT.BVSJBDr  BWFOVF+FBO+BVSÍTr LE BAL MAISON DES ARTS ET DE LA CULTURE
rCOGGS rQIJMIBSNPOJFEFQBSJTGS DELME  JNQBTTFEFMB%ÊGFOTFr  QMBDF4BMWBEPS"MMFOEFr$SÊUFJM
Anselm Kiefer – L’alchimie du livre Marc Chagall – Le triomphe LA SYNAGOGUE rMFCBMGS rNBDDSFUFJMDPN
Jusqu’au 7 février 9)0344ÉRIE BEAUX ARTS de la musique Jusqu’au 31 janvier  SVF1PJODBSÊrr Noémie Goudal Du 12 février au 8 mai Elena Chernyshova / Sébastien Tixier
9)0344ÉRIE BEAUX ARTS DBDTZOBHPHVFEFMNFPSH Tropiques du Grand Nord
CENTRE POMPIDOU Rometti Costales Jusqu’au 28 février LE CENTQUATRE Jusqu’au 12 mars
1MBDF(FPSHFT1PNQJEPVr GALERIES  SVFE"VCFSWJMMJFSTr
rDFOUSFQPNQJEPVGS ÉCOUEN rGS MAISON DE VICTOR HUGO
Dominique Gonzalez-Foerster GALERIE ART : CONCEPT MUSÉE DE LA RENAISSANCE Matérialité de l’invisible  QMBDFEFT7PTHFTr
er
Jusqu’au 1 février  QBTTBHF4BJOUF"WPZFr -F$IÄUFBVrSVF+FBO#VMMBOUr Du 13 février au 30 avril 
Varda / Cuba Jusqu’au 1er février rHBMFSJFBSUDPODFQUDPN rNVTFFSFOBJTTBODFGS NBJTPOTWJDUPSIVHPQBSJTGS
Julien Prévieux – Prix Duchamp 2014 Ulla von Brandenburg / Haris Une reine sans couronne ? CENTRE POMPIDOU Éros Hugo – Entre pudeur et excès
Jusqu’au 1er février Epaminonda / Francis Upritchard Louise de Savoie, mère de François 1er 1MBDF(FPSHFT1PNQJEPVr Jusqu’au 21 février
Claire Bretécher Jusqu’au 8 février Jusqu’au 6 février Jusqu’au 1er février rDFOUSFQPNQJEPVGS
Wifredo Lam Jusqu’au 15 février Anselm Kiefer Jusqu’au 18 avril MUSÉE D’ART ET D’HISTOIRE
GALERIE GEORGES-PHILIPPE GRENOBLE 9)0344ÉRIE BEAUX ARTS DU JUDAÏSME
LA FERME DU BUISSON & NATHALIE VALLOIS MUSÉE DE GRENOBLE Gérard Fromanger Du 17 février au 16 mai  SVFEV5FNQMFr
"MMÊFEFMB'FSNFr/PJTJFM  SVFEF4FJOFrrøøøø  QMBDFEF-BWBMFUUFr rNBIKPSH
rMBGFSNFEVCVJTTPODPN HBMFSJFWBMMPJTDPN rNVTFFEFHSFOPCMFGS LE CRÉDAC Moïse – Figures d’un prophète
Alfred Jarry Archipelago Jusqu’au 14 février Pierre Seinturier / Adam Janes Georgia O’Keeffe et ses amis .BOVGBDUVSFEFTJMMFUTr SVF Jusqu’au 21 février
Jusqu’au 30 janvier photographes Jusqu’au 7 février 3BTQBJMr*WSZTVS4FJOF
FONDATION PIERRE BERGÉ rDSFEBDGS MUSÉE DES ARTS ET MÉTIERS
YVES SAINT LAURENT GALERIE LELONG LYON Caecilia Tripp Jusqu’au 20 mars  SVF3ÊBVNVSr
 SVF-ÊPODF3FZOBVEr  SVFEF5ÊIÊSBOr MUSÉE DES BEAUX-ARTS rBSUTFUNFUJFSTOFU
rGPOEBUJPOQCZTMOFU rHBMFSJFMFMPOHDPN  QMBDFEFT5FSSFBVYr FONDATION CARTIER Invention / Design – Regards croisés
Jacques Doucet / Yves Saint Laurent Etel Adnan / Jan Voss rNCBMZPOGS  CPVMFWBSE3BTQBJMr Jusqu’au 6 mars
Vivre pour l’art Jusqu’au 14 février Jusqu’au 30 janvier Lyon Renaissance Jusqu’au 25 janvier rGPOEBUJPODBSUJFSDPN
Daido Moriyama / Fernell Franco MUSÉE BOURDELLE
MUSÉE D’ART MODERNE GALERIE LOEVENBRUCK MUSÉE DES CONFLUENCES Du 6 février au 5 juin  SVF"OUPJOF#PVSEFMMFr
DE LA VILLE DE PARIS  SVF+BDRVFT$BMMPUr  RVBJ1FSSBDIFr rCPVSEFMMFQBSJTGS
 BWFOVFEV1SÊTJEFOU8JMTPOr rMPFWFOCSVDLDPN  FONDATION D’ENTREPRISE RICARD Rhodia Bourdelle Jusqu’au 26 mars
rNBNQBSJTGS Stéphane Sautour Jusqu’au 30 janvier NVTFFEFTDPOáVFODFTGS  SVF#PJTTZE"OHMBTr
Co-Workers – Le réseau comme artiste L’art et la machine Jusqu’au 24 janvier  MUSÉE EUGÈNE DELACROIX
Jusqu’au 31 janvier GALERIE MARIAN GOODMAN XXXGPOEBUJPOFOUSFQSJTFSJDBSEDPN  SVFEF'VSTUFOCFSHr
Warhol – Unlimited Jusqu’au 7 février  SVFEV5FNQMFr METZ Fertile Lands Du 26 janvier au 5 mars rNVTFFEFMBDSPJYGS
9)0344ÉRIE BEAUX ARTS rNBSJBOHPPENBODPN CENTRE POMPIDOU-METZ Delacroix et l’Antique Jusqu’au 7 mars
Steve McQueen Jusqu’au 27 février  QBSWJTEFT%SPJUTEFM)PNNFr FONDATION HENRI CARTIER-BRESSON
MUSÉE CERNUSCHI rDFOUSFQPNQJEPVNFU[GS  JNQBTTF-FCPVJTr MUSÉE GUSTAVE MOREAU
 BWFOVF7ÊMBTRVF[r GALERIE MITTERRAND Phares Jusqu’au 15 février rIFOSJDBSUJFSCSFTTPOPSH  SVFEF-B3PDIFGPVDBVMEr
rDFSOVTDIJQBSJTGS  SVFEV5FNQMFr Ugo Mulas Jusqu’au 24 avril rNVTFFNPSFBVGS
Séoul-Paris-Séoul Jusqu’au 7 février rHBMFSJFNJUUFSSBOEDPN QUIMPER Gustave Moreau / Georges Rouault
Claude & François-Xavier Lalanne LE QUARTIER FONDATION LOUIS VUITTON Souvenirs d’atelier
MUSÉE DE LA CHASSE Jusqu’au 6 février  FTQMBOBEF'SBOÉPJT.JUUFSSBOEr  BWFOVFEV.BIBUNB(BOEIJr Du 27 janvier au 25 avril
ET DE LA NATURE rMFRVBSUJFSOFU rGPOEBUJPOMPVJTWVJUUPOGS
 SVFEFT"SDIJWFTr GALERIE OLIVIER WALTMAN Ailleurs ici Jusqu’au 14 février Bentu – Des artistes chinois MUSÉE DE L’HISTOIRE
rDIBTTFOBUVSFPSH  SVF.B[BSJOFr dans la turbulence des mutations DE L’IMMIGRATION
Walton Ford / George Shiras rHBMFSJFXBMUNBODPN ROUBAIX Du 27 janvier au 2 mai  BWFOVF%BVNFTOJMr
Jusqu’au 14 février Éric Liot Jusqu’au 24 janvier LA PISCINE rIJTUPJSFJNNJHSBUJPOGS
 SVFEFM&TQÊSBODFr GRAND PALAIS Frontières Jusqu’au 29 mai
MUSÉE JACQUEMART-ANDRÉ GALERIE UNTILTHEN rSPVCBJYMBQJTDJOFDPN  BWFOVFEV(ÊOÊSBM&JTFOIPXFSr
 CPVMFWBSE)BVTTNBOOr  SVFEFT3PTJFSTr4BJOU0VFO Marc Chagall – Les sources de la musique rHSBOEQBMBJTGS MUSÉE DE L’HOMME
 rVOUJMUIFOGS Jusqu’au 31 janvier Lucien Clergue Jusqu’au 15 février  QMBDFEV5SPDBEÊSPr
NVTFFKBDRVFNBSUBOESFDPN Tania Mouraud Jusqu’au 8 février 9)0344ÉRIE BEAUX ARTS Volez, voguez, voyagez – Louis Vuitton rNVTFFEFMIPNNFGS
Florence – Portraits à la cour Jusqu’au 21 février Chronique d’une renaissance
des Médicis Jusqu’au 25 janvier RÉGIONS STRASBOURG Picasso.mania Jusqu’au 29 février Jusqu’au 13 juin
91&5*5+063/"-%&9104*5*0/#&"69"354 MUSÉE DE L’ŒUVRE NOTRE-DAME 9)0344ÉRIE BEAUX ARTS 9)0344­3*&#&"69"354
ANGLET  QMBDFEV$IÄUFBVr
MUSÉE DU LOUVRE VILLA BEATRIX ENEA rNVTFFTTUSBTCPVSHFV HALLE SAINT PIERRE MUSÉE DU LOUVRE
2VBJEV-PVWSFr  SVF"MCFSUMF#BSJMMJFSr Strasbourg (1200-1230)  SVF3POTBSErr 2VBJEV-PVWSFrr
rMPVWSFGS rBOHMFUGS La révolution gothique Jusqu’au 14 février IBMMFTBJOUQJFSSFPSH MPVWSFGS
Claude Lévêque – Sous le plus grand GALERIE GEORGES POMPIDOU Hey ! Modern Art & Pop Culture Parmigianino – Dessins d’un génie
chapiteau du monde Jusqu’au 25 janvier  SVF"MCFSU-F#BSJMMJFSr VILLEFRANCHE-SUR-SAÔNE (Act III) Jusqu’au 13 mars du maniérisme Jusqu’au 15 février
rBOHMFUGS MUSÉE PAUL DINI
MUSÉE DU LUXEMBOURG Paul Rambié Jusqu’au 23 janvier  QMBDF'BVCFSUr  INSTITUT CERVANTÈS MUSÉE DE MONTMARTRE
 SVFEF7BVHJSBSEr rNVTFFQBVMEJOJDPN  SVF2VFOUJO#BVDIBSUr  SVF$PSUPUr
rNVTFFEVMVYFNCPVSHGS BIARRITZ Le post-impressionnisme rQBSJTDFSWBOUFTFT rNVTFFEFNPOUNBSUSFGS
Fragonard amoureux Jusqu’au 24 janvier CRYPTE SAINTE-EUGÉNIE et Rhône- Alpes (1886-1914) Taulé – Interior Jusqu’au 25 mars Suzanne Valadon, Maurice Utrillo, André
9)0344ÉRIE BEAUX ARTS 1MBDF4BJOUF&VHÊOJFr Jusqu’au 7 février 9)0344ÉRIE BEAUX ARTS Utter – 12, rue Cortot Jusqu’au 15 février

134 Beaux Arts


CALENDRIER DES EXPOSITIONS
VOUS AVEZ ENCORE LE TEMPS…
MUSÉE DU PARFUM PARIS GALERIE GEORGES-PHILIPPE MUSÉE GRANET LENS REIMS
3-5, square de l’Opéra Louis Jouvet & NATHALIE VALLOIS 1MBDF+FBO#PZFSrr MUSÉE DU LOUVRE-LENS VILLA DEMOISELLE
r  SVFEF4FJOFrrøøøø NVTFFHSBOFUBJYFOQSPWFODFGS  SVF1BVM#FSUr  CPVMFWBSE)FOSZ7BTOJFSr
nouveaumuseefragonard.com galerie-vallois.com 2006-2016 – 10 ans d’acquisitions rMPVWSFMFOTGS 
Une sélection des pièces exceptionnelles Heroes Du 19 février au 2 avril Du 30 janvier au 24 avril Dansez, embrassez qui vous voudrez Henry Vasnier – Les passions modernes
de la collection Fragonard Jusqu’au 29 février d’un collectionneur audacieux
Depuis le 12 septembre GALERIE KAMEL MENNOUR BEAUVAIS Métamorphoses Jusqu’au 21 mars Jusqu’au 22 mai
9HORS-SÉRIE BEAUX ARTS  SVFEV1POUEF-PEJFU SVF GALERIE NATIONALE 9HORS-SÉRIE BEAUX ARTS
4BJOU"OESÊEFTBSUTr DE LA TAPISSERIE LES SABLES-D’OLONNE
MUSÉE DU QUAI BRANLY rLBNFMNFOOPVSDPN  SVF4BJOU1JFSSFr MUSÉE DE L’ABBAYE SAINTE-CROIX RENNES
 RVBJ#SBOMZr Pier Paolo Calzolari rCFBVWBJTGS 3VFEF7FSEVOrr FRAC BRETAGNE
rRVBJCSBOMZGS Du 29 janvier au 5 mars Benjamin Graindorge / lemasc.fr  BWFOVF"OESÊ.VTTBUr
Persona – Étrangement humain Si tu me cherches je ne suis pas là Passages – Vers une abstraction habitée 
Du 26 janvier au 13 novembre GALERIE KARSTEN GREVE Du 30 janvier au 30 avril David B – Portraits de mon frère et du Peter Hutchinson / Philippe Durand
9HORS-SÉRIE BEAUX ARTS  SVF%FCFMMFZNFr Roi du monde Jusqu’au 28 février
rHBMFSJFLBSTUFOHSFWFDPN BIOT Du 7 février au 29 mai
MUSÉE DE LA VIE ROMANTIQUE Gideon Rubin Jusqu’au 5 mars MUSÉE NATIONAL FERNAND LÉGER RODEZ
 SVF$IBQUBMr Lynn Davis Jusqu’au 2 avril  DIFNJOEV7BMEF1ÔNFr LYON MUSÉE SOULAGES
rQBSJTNVTFFTQBSJTGS rNVTFFTOBUJPOBVY MUSÉE DES CONFLUENCES +BSEJOEV'PJSBJMrBWFOVF7JDUPS)VHP
Visages de l’effroi – Violence GALERIE LELONG alpesmaritimes.fr  RVBJ1FSSBDIFr r
et fantastique, de David à Delacroix  SVFEF5ÊIÊSBOr Autour du poème Liberté – Paul Éluard rNVTFFEFTDPOáVFODFTGS NVTFFTPVMBHFTSPEF[BHHMPGS
Jusqu’au 28 février rHBMFSJFMFMPOHDPN et Fernand Léger en dialogue Dans la chambre des merveilles Jesús-Rafael Soto – Une rétrospective
Jaume Plensa / Pierre Alechinsky Jusqu’au 7 mars Jusqu’au 10 avril Jusqu’au 30 avril
PALAIS DE TOKYO Du 4 février au 24 mars
 BWFOVFEV1SÊTJEFOU8JMTPOr BORDEAUX MARCIGNY ROUEN
rQBMBJTEFUPLZPDPN GALERIE MARIAN GOODMAN CAPC CENTRE FRANK POPPER MUSÉE DES BEAUX ARTS
Jean-Michel Alberola  SVFEV5FNQMFr  SVF'FSSÍSFr  QMBDFEV1SJFVSÊr &TQMBOBEF.BSDFM%VDIBNQr
Du 19 février au 16 mai rNBSJBOHPPENBODPN rDBQDCPSEFBVYGS rDBDGSBOLQPQQFSGS rNCBSPVFOGS
Florian & Michael Quistrebert Steve McQueen Jusqu’au 27 février Leonor Antunes Jusqu’au 17 avril Accrochage(s) II Jusqu’au 31 mai Le temps des collections – 4e édition
Du 19 février au 16 mai Jusqu’au 23 mai
Louidgi Beltrame / Simon Evans GALERIE MARIE HÉLÈNE CAEN MARSEILLE
Sara Favriau Du 19 février au 16 mai DE LA FOREST DIVONNE MUSÉE DES BEAUX-ARTS MUCEM SAINT-ÉTIENNE
Stéphane Calais  SVFEFT#FBVY"SUTr $IÄUFBVrr  QSPNFOBEF3PCFSU-BGGPOUr MUSÉE D’ART MODERNE
Du 19 février au 11 septembre rHBMFSJFNIMGE IUUQNCBDBFOGS rNVDFNPSH ET CONTEMPORAIN
Vivien Roubaud / Shana Moulton Jeff Kowatch – Circus Jusqu’au 20 février Sur ce monde en ruines Jusqu’au 31 août J’aime les panoramas Jusqu’au 29 février -B5FSSBTTFrr
Martin Soto Climent Fragments d’une Tunisie mam-st-etienne.fr
Du 19 février au 11 septembre GALERIE MATHGOTH LE CATEAU-CAMBRÉSIS contemporaine Jusqu’au 29 février Pierre Seinturier – I Want to Believe
 SVF)ÊMÍOF#SJPOr MUSÉE DÉPARTEMENTAL MATISSE Made in Algeria Jusqu’au 21 février
-&1-"5&"6r'3"$²-&%&'3"/$& rNBUIHPUIDPN 1BMBJT'ÊOÊMPOr1MBDFEV$PNNBOEBOU Généalogie d’un territoire Jusqu’au 2 mai
 SVFEFT"MPVFUUFTr Aurel Rubbish – Paper Pop 3JDIF[rr SAINT-LOUIS
rGSBDJMFEFGSBODFDPN Du 30 janvier au 27 février museematisse.lenord.fr METZ FONDATION FERNET BRANCA
De toi à la surface Jusqu’au 10 avril Matisse et la gravure Jusqu’au 6 mars CENTRE POMPIDOU-METZ  SVFEV#BMMPOrr
GALERIE NATHALIE OBADIA  QBSWJTEFT%SPJUTEFM)PNNFr GPOEBUJPOGFSOFUCSBODBPSH
GALERIES SVFEV$MPÏUSF4BJOU.FSSJr CLERMONT-FERRAND rDFOUSFQPNQJEPVNFU[GS Métamorphoses Jusqu’au 27 mars
rOBUIBMJFPCBEJBDPN FRAC AUVERGNE Cosa mentale – Les imaginaires
GALERIE ALMINE RECH Edgar Arceneaux  SVFEV5FSSBJMrr de la télépathie dans l’art du XXe siècle SAINT-PAUL-DE-VENCE
 SVFEF5VSFOOFr Du 23 janvier au 12 mars frac-auvergne.fr Jusqu’au 28 mars FONDATION MAEGHT
rBMNJOFSFDIDPN  SVFEV#PVSH5JCPVSHr À quoi tient la beauté des étreintes  DIFNJOEFT(BSEFUUFTr
Justin Adian Jusqu’au 27 février rOBUIBMJFPCBEJBDPN Du 30 janvier au 27 mars MOULINS rGPOEBUJPONBFHIUDPN
Luca Dellaverson Jusqu’au 6 mars CENTRE DU COSTUME DE SCÈNE Richard Deacon / Sui Jianguo
GALERIE BOA DUNKERQUE 2VBSUJFS7JMMBSTr3PVUFEF.POUJMMZr Henk VischJusqu’au 13 mars
 SVFE"SUPJTr GALERIE PERROTIN LAAC rDODTGS
rHBMFSJFCPBDPN  SVFEF5VSFOOFr +BSEJOEFTDVMQUVSFTr BWFOVF Angelin Preljocaj – Costumes de danse SÈTE
Taulé – Interior Du 21 janvier au 25 mars rQFSSPUJODPN EFT#PSEÊFTrr Jusqu’au 6 mars MUSÉE INTERNATIONAL
9HORS-SÉRIE BEAUX ARTS Choi Myoung-Young, Lee Seung-Jio NVTFFTEVOLFSRVFFV DES ARTS MODESTES
et Suh Seung-Won Jusqu’au 27 février J’ai dix ans Jusqu’au 3 avril MULHOUSE  RVBJ.BSÊDIBMEF-BUUSFEF5BTTJHOZr
GALERIE CHANTAL CROUSEL KUNSTHALLE rrNJBNPSH
 SVF$IBSMPUr75003 GALERIE PHOTO12 LANDERNEAU  SVFEFMB'POEFSJFr Providence – Fracas psychédélique en
rDSPVTFMDPN  SVFEFT+BSEJOT4BJOU1BVMr FONDS HÉLÈNE & ÉDOUARD LECLERC  Nouvelle - Angleterre Jusqu’au 22 mai
Thomas Hirschhorn Jusqu’au 26 février rHBMFSJFQIPUPDPN -FT$BQVDJOTrSVFEFT$BQVDJOTr LVOTUIBMMFNVMIPVTFDPN
Taulé – Interior Jusqu’au 25 mars rGPOETDVMUVSFMMFDMFSDGS Jérémie Gindre Du 11 février au 8 mars MUSÉE PAUL VALÉRY
GALERIE DANIEL TEMPLON 9HORS-SÉRIE BEAUX ARTS Lorenzo Mattotti Jusqu’au 6 mars 3VF'SBOÉPJT%FTOPZFSr
 SVF#FBVCPVSHr MUSÉE DE L’IMPRESSION SUR ÉTOFFES rNVTFFQBVMWBMFSZTFUFGS
rEBOJFMUFNQMPODPN GALERIE THADDAEUS ROPAC LECTOURE  SVF+FBO+BDRVFT)FOOFSr Jean-Luc Parant / Topolino
Oda Jaune / Daniel Dezeuze  SVF%FCFMMFZNFr CENTRE DE PHOTOGRAPHIE rNVTFFJNQSFTTJPODPN Jusqu’au 28 février
Jusqu’au 20 février rSPQBDOFU  DPVST(BNCFUUBr Histoires de femmes Jusqu’au 9 octobre
Erwin Wurm – Lost Jusqu’au 5 mars rDFOUSFQIPUPMFDUPVSFGS Impertinente by Chantal Thomass STRASBOURG
GALERIE ÉRIC DUPONT Vers le neutre Jusqu’au 27 mars Jusqu’au 9 octobre MUSÉE D’ART MODERNE
 SVFEV5FNQMFr GALERIE UNTILTHEN ET CONTEMPORAIN
rFSJDEVQPOUDPN  SVFEFT3PTJFSTr4BJOU0VFO LE FRANÇOIS (MARTINIQUE) NÎMES  QMBDF)BOT+FBO"SQr
Paul Pagk Jusqu’au 27 février rVOUJMUIFOGS FONDATION CLÉMENT CARRÉ D’ART rNVTFFTTUSBTCPVSHFV
Alin Bozbiciu Jusqu’au 6 mars %PNBJOFEFM"DBKPVr 1MBDFEFMB.BJTPO$BSSÊFr Valérie Favre – La première nuit
GALERIE EVA HOBER rGPOEBUJPODMFNFOUPSH rDBSSFBSUNVTFFDPN du monde Jusqu’au 27 mars
 SVF$IBQPOr RÉGIONS Hervé Télémaque Du 24 janvier au 17 avril LaToya Ruby Frazier / Yto Barrada
rFWBIPCFSDPN Jusqu’au 13 mars THONON-LES-BAINS
Lionel Sabatté Du 30 janvier au 1er mars AIX-EN-PROVENCE LE HAVRE GALERIE DE L’ÉTRAVE
CAUMONT CENTRE D’ART MUSÉE ANDRÉ MALRAUX QUIMPER 5IÊÄUSF.BVSJDF/PWBSJOB
GALERIE LES FILLES DU CALVAIRE  SVF+PTFQI$BCBTTPMr  CPVMFWBSE$MFNFODFBVr LE QUARTIER CJT BWFOVFE&WJBOr
 SVFEFT'JMMFTEV$BMWBJSFr rDBVNPOUDFOUSFEBSUDPN rNVNBMFIBWSFGS  FTQMBOBEF'SBOÉPJT.JUUFSSBOEr rWJMMFUIPOPOGS
ràMMFTEVDBMWBJSFDPN Les collections du prince Bernard Plossu – Le Havre rMFRVBSUJFSOFU Maude Maris – À claire-voie
Dorothée Smith Du 5 au 27 février de Liechtenstein Jusqu’au 20 mars en noir et blanc Jusqu’au 28 février Ailleurs ici Jusqu’au 14 février Jusqu’au 12 mars

Beaux Arts 135


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Beaux Arts magazine 1"3"²53"
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COLLECTIONS, COURTESY & COPYRIGHTS
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1¥/JDPMBT)PGGNBOO1© Photo Danny León. 1¥1IPUP"'14USJOHFSm*NB-
Pour joindre votre correspondant, composez le 01 41 08 38 suivi du numéro de poste indiqué entre parenthèses. Chaque collaborateur dont le nom ginechina. 1¥",(*NBHFT¥"SUIVS$PVMFU1¥.BUIJFV$ÊTBS¥4UVEJP
est suivi d’un astérisque a une adresse e-mail. Elle se compose de la manière suivante : prénom.nom@beauxartsmagazine.com -BVSFOU (SBTTP 1  $PVSUFTZ 'SFE  'BSJE (SPVQ¥ ,SPOFOCPVSH ¥ "'1
1IPUP,FO[P5SJCPVJMMBSE¥3("3&"¥#FOPJU%FDPVU3&"¥7BMÊSJF"SDIFOP
GÉNÉRIQUE ¥.JDIBFM)VBSEm4BZXIP¥4PQIJF3PCJDIPO1¥1IPUP4UÊQIBOF$PNQPJOU
0OMZGSBODF ¥ 1IPUP +PCBSE4*1" ¥ ¸[LÕL4*1" 1  Coll. Rijksmuseum,
Président : Thierry Taittinger [41] "NTUFSEBN¥1IPUP4DBMB 'MPSFODF'POEP&EJàDJEJ$VMUPm.JOEFMM*OUFSOP¥"'1
Directeur délégué de la publication : Thierry Lalande* [07] 1IPUP1JFSSF7FSEZ1¥1IPUP.BOPMP&TQBMJÙ"VSJNBHFT1¥1IPUP.VTFVN
Directeur général : Marie-Hélène Arbus* [01] PG.PEFSO"SU /FX:PSL4DBMB 'MPSFODF¥$PMM4'.P." 4BO'SBODJTDP1
Directeur : Fabrice Bousteau* [18] $PVSUFTZGPOEBUJPO3PVHFSJF1 © Photo Rémy Castan. 1 Courtesy Pretty Pictures.
1¥1IPUPNVTÊFEFMVOJWFSTJUÊEF5ÔLVÔ1$PMM¥.VTFVNPG.PEFSO
RÉDACTION "SU /FX:PSL1IPUP4DBMB 'MPSFODF1¥4VCPEI(VQUB¥1IPUP.JLF#SVDF
Rédacteur en chef : Fabrice Bousteau [18] 1ø  ¥ #FUUJOB 3IFJNT 1  $PVSUFTZ %BWJE %PVBSE  (BMFSJF $IBOUBM $SPVTFM 
> Pour contacter Fabrice Bousteau, merci d’adresser vos e-mails à Catherine Joyeux* [01], assistante de la rédaction. 1BSJT¥1IPUP'MPSJBO,MFJOFGFOO1¥1IPUP­SJD5SPODZ1¥*EB5VSTJD
Rédactrice en chef adjointe : Sophie Flouquet* 8JMGSJFE.JMMF$PVSUFTZ*EB5VSTJD8JMGSJFE.JMMFHBMFSJF"MNJOF3FDIDPMMQSJWÊF
Rédactrice : Daphné Bétard* [21] 1ø  $PMM ./".  1BSJT¥ 1IPUP $FOUSF 1PNQJEPV  ./".$$*  %JTU 3./(SBOE
Rubrique Actualités : Françoise-Aline BlainrRubrique Expositions : Emmanuelle Lequeux* 1BMBJT+BDRVFT 'BVKPVS¥ -VD 5VZNBOT %3 ¥ 1IPUP 3JDIBSE *WFZ ¥ (JEFPO
Rubrique Marché de l’art : Armelle Malvoisin 3VCJODPVSUFTZHBMFSJF,BSTUFO(SFWF $PMPHOF1BSJT4BJOU.PSJU[1$PVSUFTZ(JVMJB
Première SR [Editing] : Natacha Nataf* [24] "OESFBOJHBMFSJF.BÐB.VMMFS 1BSJT¥"SNBOE.PSJO$PVSUFTZHBMFSJF%VCPZT 1BSJT
Secrétaires de rédaction : Eléonore Quesnel & Vincent Richard 1$PVSUFTZ$IBOUBM+PGGF7JDUPSJB.JSP -POESFT¥$IBOUBM+PGGF¥/JDIPMBT
Chroniqueurs : Marie Darrieussecq [Vu]rPhilippe Trétiack & Céline Saraiva [Architecture] rClaire Fayolle 4JODMBJS ¥ 'SÊEÊSJD -ÊHMJTF$PVSUFTZ (BMFSJF   1BSJT1IPUP -JMJ 5BP
[Design]rJacques Morice [CinéArt]rFrançois Cusset [Philo]rFlorelle Guillaume & Charlotte Ullmann ¥ 1IPUP -JMJ5BP 1  ¥ 1IPUP .BSDJO .BDJFKPXTLJ$PVSUFTZ HBMFSJF5IBEEBFVT
[Revue de web] rNicolas Bourriaud rWillem [les Aventures de l’art] 3PQBD 1BSJT4BM[CVSH¥1IPUP.BSDJO(VMJT1$PVSUFTZHBMFSJF#PMUF-BOHF1
¥1IPUP"OESÊ.PSJO$PVSUFTZHBMFSJF(1/7BMMPJT 1BSJT$PVSUFTZHBMFSJF(1
ONT ÉGALEMENT PARTICIPÉ À CE NUMÉRO /7BMMPJT  1BSJT 1  $PVSUFTZ HBMFSJF &*(&/ "35  -FJQ[JH#FSMJO $PMM QSJWÊF
Vincent Bernière, Judicaël Lavrador, Stéphanie Pioda, Claude Pommereau, Thomas Schlesser $PVSUFTZHBMFSJF&*(&/ "35 -FJQ[JH#FSMJO 1BDF(BMMFSZHBMFSJF+PVTTF&OUSFQSJTF
¥1IPUP6XF8BMUFS #FSMJO1 Courtesy galerie Les Filles du calvaire, Paris. Courtesy
DÉPARTEMENT ARTISTIQUE HBMFSJF5IPNBT#FSOBSE$PSUFY"UIMFUJDP¥1IPUP3ZBO(BOEFS1¥1IPUP.JDIFM
$MBVT$PVSUFTZHBMFSJF"OOFU(FMJOL "NTUFSEBN¥1IPUP)VHP#SVOP4PSFOTFO
Direction artistique : Bernard Borel* [17]rCréation graphique : Ingrid Mabire* [29] $PVSUFTZ1FUFS%PJH.JDIBFM8FSOFS(BMMFSZ -POESFT/FX:PSL¥1IPUPNVTÊFEFT
#FBVY"SUT EF .POUSÊBM 1  ¥ 1IPUP 'MPSJBO ,MFJOFGFOO   ¥ 1IPUP .BSD
ICONOGRAPHIE
%PNBHF$PVSUFTZ"SNBOE+BMVUHBMFSJF.JDIFM3FJO 1BSJT#SVTTFMT1 Courtesy
Première rédactrice Photo : Julie Watier Le Borgne* [35] rRédactrice photo : Laurène Flinois* [36] HBMFSJF$BOBEB /FX:PSL,BUIFSJOF#FSOIBSEU¥1IPUP+BTPO.BOEFMMB¥1IPUP
"ø.PMF$PVSUFTZHBMFSJF4FNJPTF 1BSJT¥1IPUP5BNBNJ*JOVNB1 Courtesy gale-
ÉDITIONS & PARTENARIATS rie Eva Hober, Paris. Courtesy Zhang Enli & galerie Hauser & Wirth. 1 © Photo
Directrice des partenariats : Marion de Flers* [10], assistée de Mathilde Arnau /JDPMBT#SBTTFVS$PVSUFTZHBMFSJF*TBCFMMF(PVOPE 1BSJT¥1IPUP/JDPMBT#SBTTFVS
Chef de produit : Charlotte Ullmann* [14]rResponsable gestion & diffusion : Florence Hanappe* [06] 1Æ¥ÊEJUJPOT..PMFJSP1Æ$PVSUFTZHBMFSJF%BOJFM5FNQMPO 1BSJT
Chef de produit diffusion : Mathilde Alliot* [04] 1  $PMMFDUJPO GPOEBUJPO $BSUJFS QPVS MBSU DPOUFNQPSBJO  1BSJT¥ 1IPUP 'MPSJBO
,MFJOFGFOO1$PMMFDUJPOQBSUJDVMJÍSF 1IPUP#)VFU5VUUJ1$PQSPE.JSBHFJMMJ-
MARKETING & DIFFUSION NJUÊ"SUF'SBODF$PMMFDUJPOQBSUJDVMJÍSF¥1IPUP#FSUSBOE)VFU5VUUJ1Æ
Chef de produit diffusion : Mathilde Hibert* [13] $PMMNVTÊFEV1SBEP .BESJE1 Coll. privée. 1$PMMNVTÊF-Ã[BSP(BMEJBOP 
.BESJE 1  $PMM NVTÊF EV 1SBEP  .BESJE 1  $PMM /BUJPOBM (BMMFSZ PG"SU 
VENTES AU NUMÉRO Washington. 1 Coll. musée du Louvre, Paris. 1Æ¥$BP'FJ $PVSUFTZ
$BP'FJ7JUBNJO$SFBUJWF4QBDF $BOUPO1¥1IPUP(F/JOHGPOEBUJPO7VJUUPO
Destination Media [01 56 82 12 06]rDistribution : Presstalis © Hao Liang. 1$PVSUFTZ-JV8FJ4UVEJP¥1IPUP(F/JOHGPOEBUJPO7VJUUPO1
$PVSUFTZ HBMFSJF"MNJOF 3FDI ¥ 1IPUP (F /JOHGPOEBUJPO7VJUUPO 1  Courtesy
ABONNEMENTS & VPC
HBMFSJF5IBEEBFVT3PQBD 1BSJT¥1IPUP&MB#JBMLPXTLB$PVSUFTZ(BMMFSJB$POUJOVB 
1 an / 12 numéros : 65 €rService abonnements Beaux Arts magazinerBureau B 1312r60643 Chantilly Cedex 4BO (JNJHOBOP1ÊLJO-FT .PVMJOT-B )BWBOF $PMM QSJWÊF  ¥ 1IPUP #SJEHFNBO
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COMPTABILITÉ EXPERTISE (MÊOBU 1  ¥ ,BUTVIJSP 0UPNPF"SU  1  ­EJUJPOT -FT"SÍOFT #% 1 
Cabinet Lourdeaur55, rue de l’Universitér75007 Parisr01 53 63 04 88rfax 01 53 63 04 89rchlec2@wanadoo.fr ¥)FSHÊ.PVMJOTBSU$PVSUFTZ"SUDVSJBM¥&OLJ#JMBM1¥.PSSJT-VDLZ
RCS Paris B 435 355 896 Comics. 1¥­E$BTUFSNBO1¥­E'SÊNPL¥'VUVSPQPMJT1
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Malik Bennini – TTM Éditionsr3, carrefour de Weidenr92130 Issy-les-Moulineaux $PMMNVTÊFEVRVBJ#SBOMZ 1BSJT¥1IPUP$MBVEF(FSNBJO1 Coll. particulière.
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Chef de publicité : Pauline Duval [01 70 37 39 75]rExécution : Nicolas Niro 1¥-ZPO .5."%1IPUP1JFSSF7FSSJFS¥'POEBUJPO$MÊNFOU¥1IPUP4PUIFCZT
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Photogravure : Key Graphic, ParisrLitho Art New, Turin. %FMàOP4JTUP-FHOBOJ4UVEJP$PVSUFTZGPOEBUJPO1SBEB1$PVSUFTZ&SXJO8VSN
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produit par Sappi Europe SA. "SU$PODFQU  1BSJT 1  ¥ 1IPUP *EPJB 6O[VSSVO[BHB ¥ 4IVUUFSTUPDL 1 
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4PUIFCZT$PVSUFTZ#JOPDIF(JRVFMMP¥1JBTB1 Courtesy galerie Lelong, Paris.
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Les Aventures de l’art de WILLEM
Ouvrier métallurgiste et peintre autodidacte du «pays des mines», André Fougeron imprima clandestinement les Lettres françaises pendant
la guerre. Devenu artiste officiel du Parti communiste français, il fut même encensé puis honni par Aragon… avant de virer pop !

À lire: «André Fougeron (1913-1998) – Voilà qui fait problème vrai»DPÊE(PVSDVGG(SBEFOJHP1JTDJOFEF3PVCBJYrQré


E XPO
2016

SCÈNES DE LA VIE
IMPRESSIONNISTE
MONET, RENOIR, DEGAS, MANET, GAUGUIN,
CAILLEBOTTE, CÉZANNE, BONNARD, PISSARRO…

MUSÉE DES BEAUX-ARTS DE ROUEN


16 AVRIL – 26 SEPTEMBRE 2016
musees-rouen-normandie.fr
AVEC LE SOUTIEN EXCEPTIONNEL DU MUSÉE D’ORSAY

Edouard Manet, Berthe Morisot au bouquet de violettes, 1872 – Huile sur toile, H. 55 x L. 38 cm
© RMN-Grand Palais (musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski – réalisation : L’ATELIER de communication

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