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RÉTROSPECTIVE
Les secrets
PEINTURE
des mondes CONTEMPORAINE
fantastiques
de JÉRÔME BOSCH
LE GRAND
RETOUR
DE LA
FIGURATION
FRÉDÉRIC LÉGLISE
China girl with flowers,
2013
FESTIVAL D’ANGOULÊME
LES TENDANCES ET
MEILLEURS ALBUMS DE BD
REPORTAGE
DE PÉKIN À SHANGHAI,
All : 9.80 €, BEL / LUX / ESP : 8 €, CAN : 14.40 $CAN, DOM : 7.80 €, GR : 7.60 €, Port. Cont : 7.5 €, TOM : 1150 CFP, CH : 14 CHF.
LA NOUVELLE SCÈNE CHINOISE
- LE BON MARCHÉ – 24, RUE DE SÈVRES – PARIS 7 E .
Édito
par
Fabrice Bousteau
Beaux Arts 3
DAIDO TOKYO
6 février › 5 juin 2016
Beaux Arts 5
Vu par
Charlotte Ullmann
6 Beaux Arts
Vu par
Natacha Nataf
Beaux Arts 7
Vu par
Marie Darrieussecq
Vue de la statue colossale de Mao en construction dans la campagne proche du village de Zhushigang, dans la province du Henan (Chine), janvier 2016.
Le Mao d’or
Vous trouvez qu’il est ressemblant, vous ? C’est Mao. Trente- civile (755-763) de l’époque Tang, qui réduisit la population
sept mètres de haut, doré, sur les champs mornes. Un des chinoise de moitié, le poète Wei Zhuang écrivait son chef-
plus grands assassins de masse que la Terre ait porté. En d’œuvre, la Ballade de la dame de Qin, excellemment traduit
2015, des entrepreneurs du Hunan lui ont bâti cette statue par André Markowicz : «Les champs abandonnés et les jardins
pour un coût de 400 000 € – et elle a aussi sec été à moitié sont envahis de ronces et de chiendent. Les arbres, les bam-
détruite, mystérieusement. Le Hunan, où Mao est né en 1893, bous sont abattus, ils pourrissent, ils gisent pêle-mêle. Sur le
est une des régions les plus pauvres de Chine. La famine des bord de la route, on voit un temple du Dieu doré – je me tourne
années 1950 y a été particulièrement cruelle. Après la guerre vers lui. Le Dieu doré n’a pas voulu me répondre.»
8 Beaux Arts
Ils font l’actu par Judicaël Lavrador
LAURENT
GRASSO
SE FAIT
UNE PLACE
AU SOLEIL
LAURENT GRASSO SolarWind, 2015
Avec SolarWind, installation qui traduit en temps réel l’activité électromagnétique du Soleil, Laurent Grasso signe, en bord
de périphérique, ce qui s’annonce comme la plus importante œuvre en commande publique à l’échelle du Grand Paris.
cette heure de pointe, le trafic est inin- spatiales, est ensuite transmise à SolarWind qui 1989 au Canada où tous les appareils électriques
À terrompu sur le périphérique parisien.
Mais ce soir de janvier, le ballet des automobiles
à son tour la traduit en rayonnements élec-
triques et chromatiques. L’œuvre est donc un
étaient tombés en panne. Elle joue sur nos
peurs contemporaines en créant une tension
est accompagné du flux et du reflux d’un éclai- soleil double qui brille en pleine nuit, s’ancrant autour de l’inconnu liée aux vents solaires et de
rage projeté au moyen de rampes de LED tapies ainsi dans les obsessions de Laurent Grasso pour leurs possibles effets sur la Terre». Peur sur la
au sol sur les parois ventrues d’un double silo à les phénomènes cosmiques et leurs mystères, ville ? Cette menace sourde n’est bien sûr qu’à
béton construit par VIB Architecture. Par pour leurs impacts réels ou supposés sur la vie peine saisissable dans la partition lumineuse
vaguelettes, l’édifice de 40 mètres de haut et 20 terrestre. En 2014, dans un film, l’artiste faisait qui se joue sur les deux silos. Le dispositif se
de diamètre se teinte de rouge, de jaune, de vert, se lever simultanément deux soleils dans le ciel fond dans l’éclairage urbain, même si ses ondu-
d’une palette chromatique infiniment nuancée. du quartier romain de l’EUR, haut lieu de l’archi- lations sont plus enveloppantes, plus soyeuses
L’œuvre, commandée à Laurent Grasso par la tecture mussolinienne, donnant ainsi forme à et recherchées, ce qui les rapproche «des phé-
mairie du XIIIe arrondissement, les Ciments certaines croyances et à Némésis, double hypo- nomènes d’aurores boréales», comme le
Calcia et la société d’économie mixte d’aména- thétique de l’astre solaire, tapi dans son orbite. constate l’historien de l’art Sébastien Pluot.
gement de Paris, en charge de l’aménagement Laurent Grasso se réjouit de ce que la portée
de la ZAC Paris Rive Gauche encore en plein UNE ŒUVRE PROCHE DES AURORES BORÉALES de cette œuvre dans l’espace public ne sera pas
chantier, est vouée à rester pérenne au moins dix En pleine ville cette fois, l’artiste entretient de immédiatement mesurée par ses spectateurs.
ans. Et à ne jamais arborer les mêmes teintes. même, sinon alimente, les mystères que la Qui pourrait bien y reconnaître les caprices du
Les pulsations lumineuses de cette installation science cherche à percer et les menaces qu’elle rayonnement solaire ? Mais cette réception dis-
intitulée SolarWind, irrégulières tant dans leur veut lever. Celles donc que fait peser un Soleil traite et partielle de SolarWind livre elle-même
intensité que dans leur rythme, lui sont en effet traversé par des tempêtes et des éruptions si un écho de notre manière incomplète, presque
dictées par celles du Soleil et de son activité violentes qu’on a déjà pu en mesurer les consé- aveugle, de percevoir l’Univers. Il faudra sans
électromagnétique. Celle-ci, enregistrée et ana- quences en certains endroits du globe. De son doute bien dix ans avant que le pitch de l’œuvre
lysée par l’Observatoire de l’espace, le labora- œuvre, il dit alors qu’elle «évoque les orages ne se répande comme une traînée de poussières
toire arts-sciences du Centre national d’études magnétiques qui ont provoqué le black-out en solaires et ne soit connu de tous.
12 Beaux Arts
L’essentiel France pages réalisées par Françoise-Aline Blain
Up
FRÉDÉRIC BONNAUD
Le journaliste de 48 ans, directeur
de la rédaction des Inrocks
depuis 2013, prend la direction
de la Cinémathèque française.
Il succède à Serge Toubiana. Il avait
commencé sa carrière comme
assistant de programmation cinéma
au Jeu de paume, à Paris.
FRANCIS BRIEST
Avec la création de l’Agence Artcurial
Culture, la maison de ventes
de la famille Dassault se diversifie
sous la houlette du président de son
conseil de surveillance. Sa mission :
organiser des expositions clé en main
dont la première, itinérante, portera
sur l’histoire de l’Orient-Express.
SYLVAIN AMIC
Huit musées, 150 employés,
er un million d’objets, un budget
Le château construit par François I a servi de décor à une publicité pour la bière 1664, propriété des Brasseries Kronenbourg.
annuel de 10 M€… Le directeur
des musées de Rouen prend
CHAMBORD TRINQUE la tête du pôle muséal
de Métropole Rouen Normandie
251 160 € : c’est ce que réclamait le domaine national de Chambord aux Brasseries
PIERRE-ALEXIS DUMAS
Kronenbourg, pour avoir utilisé l’image du château sans son autorisation, en 2010, dans le
Le directeur artistique d’Hermès
cadre d’une publicité. La cour administrative d’appel de Nantes a rejeté la requête, confir- International et président
mant un jugement rendu en 2012 par le tribunal administratif d’Orléans. La cour a considéré de la fondation d’entreprise
que le domaine ne pouvait réclamer cette redevance, la réalisation des prises de vue n’ayant Hermès succède à Bruno
à aucun moment privé le public de la contemplation du château. Cependant, elle a estimé Roger à la présidence des Arts
que l’immeuble appartenant au domaine public, une autorisation préalable, assortie de pos- décoratifs. Il avait rejoint
sibles conditions financières, était requise. Un recours devant le Conseil d’État a été lancé. le conseil d’administration
du musée parisien en 2006.
OLIVIER MICHELON
UN NOUVEAU MOIS DE LA PHOTO Directeur des Abattoirs de Toulouse
Nouveau nom, nouvelle date, nouvelle formule : le Mois de la photo se métamorphose. Le festival fondé et du Frac Midi-Pyrénées depuis
en 1980 par Henry Chapier et Jean-Luc Monterosso devient ainsi le «Mois de la photo du Grand Paris». 2012, après six années passées à
L’édition qui devait se dérouler en novembre est repoussée au printemps 2017. Exit également la tête du musée d’art contemporain
les thématiques. Quant aux expositions et autres événements, ils seront moins nombreux. À la tête de Rochechouart, il cède aux sirènes
de cette nouvelle mouture, François Hébel, l’ancien directeur artistique des Rencontres d’Arles. du privé et rejoindra en mars
la fondation Louis Vuitton en tant
que conservateur en chef.
LE 1 % ARTISTIQUE SE PRIVATISE
Bouygues, Eiffage, Vinci, Accor... Treize grands promoteurs et constructeurs immobiliers ont signé, RÉGINE HATCHONDO
le 16 décembre dernier, la charte «1 immeuble, 1 œuvre» avec le ministère de la Culture, dans laquelle La conseillère Culture et Médias
ils s’engagent à commander ou acquérir une œuvre d’art contemporain auprès d’un artiste pour tout du Premier ministre Manuel Valls,
programme d’immeuble à construire ou à rénover. Le projet s’inspire du 1 % artistique qui impose aux ancienne directrice des Affaires
maîtres d’ouvrage publics de consacrer 1 % du coût d’une construction à la commande ou à l’acquisition culturelles de la Ville de Paris, rejoint
d’une œuvre. Environ un millier d’œuvres pourraient être ainsi installées chaque année. Un comité le ministère de la Culture et de
stratégique – constitué notamment du président du Palais de Tokyo, Jean de Loisy, de l’artiste Fabrice Hyber la Communication comme directrice
et la galeriste Marion Papillon – sera chargé de délivrer un label. Les premiers projets retenus feront générale de la création artistique,
l’objet d’une exposition au Palais de Tokyo début 2017. À cette occasion, trois prix seront remis. nommée à la place de Michel Orier.
14 Beaux Arts
www.artsetvie.com
Faire de la culture votre voyage
IMMATRICULATION N° : IM075110169
L’essentiel France
LE CHIFFRE
2,2 millions C’est le nombre
de visiteurs accueillis par Mons 2015, capitale
européenne de la culture. Une belle réussite
pour cette ville belge de 93 000 habitants mais
très loin cependant des 8 millions enregistrés
par Marseille-Provence 2013.
DISPARITIONS DE JEAN-LUC
VILMOUTH ET ALAIN JOUFFROY
Il aura été un «passeur», un «révélateur» pour toute
une génération d’artistes, de Dominique
Gonzalez-Foerster à Pierre Joseph en passant par
Philippe Parreno. Jean-Luc Vilmouth est mort
dans son sommeil le 18 décembre à Taipei.
Il avait 63 ans. Sculpteur, vidéaste, performeur mais
aussi professeur aux Beaux-Arts de Paris
depuis 1997 et directeur des études depuis 2014,
il était l’une des grandes figures de la scène
artistique des années 1980-1990.
Le 20 décembre, c’était au tour du poète surréaliste
Alain Jouffroy, ami d’Aragon, de nous quitter
à l’âge de 87 ans. Romancier, essayiste, critique
d’art, directeur de revue, Alain Jouffroy avait
été récompensé par le prix Goncourt de la poésie
en 2007 pour l’ensemble de son œuvre.
QUEL AVENIR
POUR L’ÎLE DE LA CITÉ ?
C’est le plus vieux quartier parisien. L’île de la Cité regroupe des sites touristiques incon-
Jean-Luc Vilmouth Alain Jouffroy
tournables tels que la cathédrale Notre-Dame ou la Sainte-Chapelle et des institutions
publiques comme la préfecture de police et le Palais de justice. Pour préparer au mieux
son avenir, et alors que le Palais de justice sera en grande partie transféré aux Batignolles,
l’État lance une mission d’orientation. Un travail confié à l’architecte Dominique Perrault, IL A DIT…
auteur de la Bibliothèque nationale de France, et au président du Centre des monuments «Le musée est une forme usée, non pas une
nationaux, Philippe Bélaval. Principal défi : «Concilier mise en valeur du patrimoine, inté- forme morte ou terminée, mais qui connaît
gration économique et accueil des touristes.» Suggestions attendues en septembre. une usure, fragilisée notamment par la
rupture anthropologique en cours et l’illusion
numérique à l’œuvre. Le musée, c’est
AFFAIRE DES FAUX MAX ERNST : WERNER SPIES INNOCENTÉ le conservatoire des choses mêmes, ce qui est
en train de s’évanouir de notre champ
Werner Spies, l’ancien directeur du musée national d’Art moderne à Paris et grand spécialiste de l’œuvre
de conscience. Peut-être un jour faudra-t-il
de Max Ernst, a été disculpé par la cour d’appel de Versailles. En 2013, le TGI de Nanterre avait
condamné l’historien de l’art – et le galeriste français Jacques de la Béraudière – à rembourser la somme
fermer les portes et conserver la poussière
de 652 833 € à Louis Reijtenbagh, propriétaire de la compagnie Monte Carlo Art. Ce dernier s’était porté
tellement il sera précieux de se souvenir».
acquéreur de Tremblement de terre, un faux Max Ernst exécuté par Wolfgang Beltracchi et que Spies avait Christian Bernard, fondateur du Mamco
inclus dans le catalogue raisonné de l’artiste. Cette décision de la cour d’appel préserve le travail de Genève, à l’heure de son départ à la retraite
(les Inrocks, 6 janvier 2016)
des experts et historiens agissant en dehors de la perspective d’une vente. Depuis 1966, Werner Spies
a répertorié environ 6 000 œuvres d’Ernst et ne s’est trompé que dans sept cas, selon le journal le Monde.
16 Beaux Arts
F O N D É E N 17 0 7
SUISSE
PAYS-BAS
À LAUSANNE,
LE RIJKSMUSEUM TROIS MUSÉES EN UN
RÉVISE SES TITRES
Les travaux vont enfin pouvoir commencer…
Dorénavant la Jeune Femme nègre Le 24 décembre, l’ultime recours déposé
de Simon Willem Maris s’appelle Jeune par des riverains pour stopper la mise en route
Femme à l’éventail. «Sauvage», «exotique», du chantier du pôle muséal dans le quartier
«maure», «mahométan», «nain»… 23 termes de la gare de Lausanne a été rejeté par la justice.
jugés offensants et discriminatoires ont été Le projet doit permettre de regrouper trois musées
retirés des cartels de certains tableaux par sur le site des anciennes halles aux locomotives.
le Rijksmuseum d’Amsterdam. Une première Les architectes portugais Manuel & Francisco
pour un musée européen. La mesure Aires Mateus ont conçu un bâtiment unique reliant
ne fait cependant pas l’unanimité chez le musée de la Photographie et le musée
les professionnels, les titres pouvant être de Design et d’Arts appliqués contemporains.
révélateurs d’une époque. «Nous ne Pour le musée cantonal des Beaux-Arts, c’est
cherchons pas à changer l’histoire», justifie le projet des architectes espagnols Barozzi
Martine Gosselink, responsable du projet. & Veiga qui a été retenu.
Sur le cartel, le titre original apparaîtra
ainsi sous le nouvel intitulé.
LE BERNIN L’Extase de sainte Thérèse,
1647-1652 [détail]
ITALIE
THÉRÈSE PLUS EXTATIQUE
QUE JAMAIS
Elle avait pourtant été restaurée il y a
vingt ans. Recouverte d’une fine couche
de résine et de fumée noire, l’Extase
de sainte Thérèse du Bernin faisait peine
à voir. La sculpture de marbre blanc, réalisée
en 1652 pour le cardinal Federico Cornaro,
a retrouvé tout son éclat dans l’église
Santa Maria della Vittoria, à Rome, après
six mois de restauration.
INDE
HEMA UPADHYAY VICTIME
MONTÉNÉGRO
D’UN CRIME SORDIDE
UN MUSÉE Elle avait exposé en France, au Centre Pompidou et au MAC
100 % FÉMININ de Lyon… L’artiste indienne Hema Upadhyay (43 ans), connue
pour son travail sur les bidonvilles, a été assassinée avec
«Pour les femmes, par
son avocat, Harsh Bhambani. Quatre hommes ont avoué être
SIMON WILLEM MARIS les femmes, à propos
Jeune Femme à l’éventail, 1895-1922 les auteurs de ce double meurtre. Les raisons d’un tel drame ?
des femmes.» L’artiste
Hema Upadhyay n’aurait pas payé un artisan qui avait fait
Maria Alyokhina, membre
un moulage en bronze de l’une de ses sculptures. Mais,
du collectif des Pussy Riot,
selon le frère de la plasticienne, c’est l’ancien mari de celle-ci,
JAMAÏQUE associée à Marat Guelman,
l’artiste Chintan Upadhyay, qui en serait le commanditaire.
marchand d’art et activiste
KINGSTON AURA SON russe, vient d’annoncer
PREMIER CENTRE D’ART l’ouverture prochaine
du New Balkan Women’s
Son ambition est d’être le premier espace dédié à Museum au Monténégro.
l’art caribéen contemporain et aux artistes nés dans Un musée 100 % féminin
les Caraïbes. Space a ouvert ses portes à Kingston donc, des artistes aux
dans l’ancienne maison du réalisateur jamaïcain commissaires d’exposition.
Perry Henzell, rénové par l’architecte star britannique Depuis 2007, la proportion
David Adjaye. Le lieu accueillera deux expositions d’expositions consacrées
par an, dont la première est une rétrospective à des artistes femmes
Jean-Michel Basquiat. À l’origine de cette initiative, est de 29 % au Whitney
Rachael Barrett, une «art advisor» de 33 ans, Museum (New York),
qui souhaite ouvrir cinq ou six centres similaires de 25 % à la Tate Modern
dans les Caraïbes. Prochaine étape : Trinidad. (Londres) et de 16 % Hema Upadhyay devant son installation Think Left, Think Right, Think Low,
Think Tight en 2011 à l’exposition «Paris-Delhi-Bombay...» au Centre Pompidou.
www.spacecaribbean.com au Centre Pompidou…
18 Beaux Arts
UN PROGRAMME 10.02 AU
100% BRÉSILIEN 25.09.2016
olympic.org/musee
UNE GUERRE
SUR LE
TERRAIN DU
PATRIMOINE
En quelques années, le Proche-
Orient a perdu les fleurons de son
patrimoine, victime des guerres
et du vandalisme en Syrie, en Irak
ou au Yémen. La communauté
internationale peut-elle y faire
Le site de Palmyre (Syrie), datant des Ier et IIe siècle de notre ère et inscrit au patrimoine mondial
faire face ? Éléments de réponse. de l’Unesco, a été partiellement détruit par Daech en août dernier.
n croit rêver ! Palmyre en plein Trafalgar ger le patrimoine de l’humanité, d’après un rap- des musées (Icom) continue de publier ses
O Square à Londres ! En avril prochain, au
cœur de la capitale britannique (mais aussi à
port remis par le directeur du musée du Louvre,
Jean-Luc Martinez. Parmi les 50 propositions
«listes rouges d’urgence» des biens et objets
culturels en péril, diffusées notamment aux
New York sur Times Square), on pourra décou- françaises, on peut retenir la création de refuges douanes et à Interpol. La dernière en date,
vrir l’arche du temple de Bêl, détruit en août par pour les œuvres de pays en conflit (sorte de dévoilée le 15 décembre, concerne la Libye et
Daech, reproduite grandeur nature grâce à la droit d’asile pour le patrimoine) ; la mise en énumère cinq catégories d’objets, couvrant une
technologie de l’impression 3D. D’autres place d’un fonds de dotation afin de sauvegarder période allant du Ve millénaire avant J.-C. au
reconstitutions seront installées à travers le le patrimoine et/ou de le reconstruire plus tard ; XVIe siècle de notre ère. Dans le même temps,
monde dans des musées et autres lieux publics. l’accueil d’archéologues irakiens ou syriens au des opérations de numérisation des archives
Ce projet, à l’initiative de l’Institut britannique sein notamment de l’Institut national du patri- archéologiques sont menées à l’échelle interna-
d’archéologie numérique (IDA), est le fruit moine ; la création d’une plateforme collabora- tionale. De son côté, l’Assemblée générale des
d’une collaboration entre les universités tive européenne pour collecter les données Nations unies adoptait le 9 décembre une réso-
d’Oxford (Royaume-Uni), de Harvard (États- numérisées des sites menacés ou la constitution lution à l’initiative de la Grèce nommée «Retour
Unis) et du musée du Futur de Dubaï (Émirats d’une liste noire des «paradis du recel». ou restitution de biens culturels à leur pays d’ori-
arabes unis). Il fait partie d’un vaste programme gine», qui renforce les efforts visant à protéger
de préservation numérique du patrimoine bap- LE MARCHÉ ILLÉGAL, UNE ARME DE DAECH le patrimoine culturel. Elle condamne la des-
tisé Million Image Database Project. L’idée ? Le commerce des «antiquités du sang» serait en truction de monuments du patrimoine culturel
Prendre des clichés de monuments menacés de effet devenu une précieuse arme de guerre pour mondial dans les zones de conflit armé, y com-
destruction et les charger dans une base de don- le groupe État islamique. Il représenterait 15 % pris les territoires occupés, ainsi que le com-
nées où ils pourront ainsi être préservés virtuel- à 20 % de ses ressources (soit entre 6 et 8 mil- merce illicite de biens culturels par de groupes
lement. Pour ce faire, l’IDA, en partenariat avec liards de dollars, d’après la CIA). Selon certains terroristes armés tels que Daech. Il était temps.
l’Unesco, va distribuer des caméras 3D à des observateurs, les djihadistes disposeraient sur
volontaires. Ce travail de collecte est, d’après le place de leurs propres archéologues pour diriger > Plus d’infos sur redlist.icom.museum et dans le guide
de l’Icom Countering Illicit Traffic in Cultural Goods.
directeur de l’Institut, Roger Michel, cité par le les fouilles et seraient équipés d’outils d’extrac-
Times, «un acte politique, un appel à l’action tion sophistiqués. Face à l’afflux d’objets archéo-
pour attirer l’attention sur ce qui se passe en logiques volés sur le marché, il était temps de À LIRE
Syrie, en Irak et maintenant en Libye. Nous leur réagir. Afin d’assécher le marché illégal, l’État Un formidable récit sur ce qu’a
disons que s’ils détruisent quelque chose, nous français milite pour l’adoption d’une déontolo- été cette riche cité du désert,
aujourd’hui meurtrie, par l’un
le reconstruirons.» Face aux destructions, la gie plus contraignante et pourrait enfin, après
des plus grands spécialistes
riposte s’organise. Le 17 novembre dernier, quinze ans d’atermoiements, ratifier la conven- de l’Antiquité gréco-romaine.
François Hollande dévoilait ainsi, dans l’en- tion Unidroit (1995) de l’Unesco qui établit que
Palmyre – L’irremplaçable trésor
ceinte de l’Unesco, quelques jours seulement «le possesseur d’un bien culturel volé doit le res- par Paul Veyne
après les attentats de Paris, un plan pour proté- tituer». Pour l’heure, le Conseil international ÊE"MCJO.JDIFMrQr é
20 Beaux Arts
Hommage par Judicaël Lavrador
Ellsworth Kelly devant Sculpture for a Large Wall au MoMA, 1957. Spectrum, 1953
ELLSWORTH KELLY
L’ADIEU À UN MINIMALISTE LUMINEUX
L’immense peintre et sculpteur américain est mort fin décembre à 92 ans. Chantre de la couleur, il privilégia l’émotion
pure, loin des dogmes de l’abstraction. Portrait d’un artiste qui toujours chercha «la liberté dans la ligne».
’est grâce à une bourse d’ancien combattant Dans les années 1960, de retour aux États-Unis, bords, ses divagations qui l’emmènent bien
C que le grand Ellsworth Kelly a pu étudier,
dès 1946, à l’école des Beaux-Arts de Boston. À
il affûte son abstraction, qui sera bientôt quali-
fiée d’«already made», soit une abstraction déjà
plus loin, vers l’espace alentour, le mur blanc, la
salle d’exposition, l’architecture environnante.
18 ans, Kelly avait en effet été mobilisé et envoyé faite ou déjà là. En effet, les formes, qui s’étalent Ses polygones jaunes, rouges, orange, des car-
en Europe dans un bataillon de camouflage des sur ses toiles en pans monochromes, lui sont rés aux bords courbes, des triangles qui
engins militaires. En 1948, il s’installe à Paris et y dictées par celles qui existent dans le monde évoquent des voiles ou des ailes d’avion
rencontre la faune artistique cosmopolite de réel, et dont il saisit une bribe. Une telle semblent flotter dans l’espace vide, donnant
l’époque, de Picasso à Arp, de John Cage à Merce méthode vaut à sa peinture une place à part dans moins une leçon de géométrie minimale qu’une
Cunningham. Ses premières peintures naissent les catégories artistiques, à la croisée de la figu- initiation au vol en apesanteur. Dit autrement,
de l’observation du paysage, des façades d’im- ration et de l’abstraction. «Mes peintures ne sa peinture n’a guère été hantée par le démon
meubles, des fenêtres du musée d’Art moderne représentent pas des objets, expliqua l’artiste en de la théorie qui s’est emparé de quelques-uns
et de la Seine, mais le motif ou le paysage dépeints 1966. Elles sont elles-mêmes des objets et des de ses compatriotes dans les années 1960. Ell-
demeurent schématiques : ce sont les lignes et les perceptions fragmentées des choses.» sworth Kelly a d’ailleurs toujours plutôt entre-
couleurs que retient Ellsworth Kelly. Peu de tenu des affinités avec des artistes du passé,
choses en définitive, surtout pas de complication LE SPECTRE D’INGRES ET DE MATISSE Matisse notamment, mais aussi Ingres. Sous le
dans la composition, et encore moins d’expres- D’ailleurs, elles vont vite prendre un certain commissariat d’Éric de Chassey, il confrontait
sionnisme lyrique : il s’agit de privilégier l’impact volume, du relief et des courbes quand elles éti- ainsi ses toiles avec des dessins de l’artiste néo-
des couleurs et leur net ordonnancement. À reront leur format à celui, irrégulier, du shaped classique dans une exposition à la Villa Médi-
l’image de Spectrum [ill. ci-dessus], une toile de canvas, soit du châssis mis en forme. Avec plus cis, en 2010, montrant les portraits de ses
1953 aux bandes verticales serrées qui fait vibrer de retenue qu’un Frank Stella, autre pionnier proches réalisés depuis les années 1940, mais
une palette arc-en-ciel, première d’une série dont du genre, Kelly va en effet adapter la forme de jamais révélés au public. Pas même lors de sa
l’ultime œuvre a été installée de manière perma- la toile à celle du motif. Lequel ne se plie donc dernière exposition d’envergure en France, au
nente en 2014 à la fondation Louis Vuitton. plus à un cadre régulier, mais lui dicte sa loi, ses Jeu de paume. C’était en 1992.
22 Beaux Arts
Amos Zelikson
Architecture par Céline Saraiva
VISIONS D’ANTICIPATION
Chaque année, le concours international de la fondation Jacques Rougerie-Génération Espace Mer récompense de jeunes
architectes. Leurs projets ne sont pas seulement fous. Ils sont aussi à l’avant-garde de nos rêves et de l’écologie. On adore.
STATION-SERVICE BIO Construite sur une digue, cette plateforme portuaire en forme de vague géante utilise
les ressources de la mer de façon respectueuse. Station génératrice et distributrice d’un bio-fioul
3&4063$&r45"5*0/%&130%6$5*0/ produit à partir de micro-algues, «Re-Source» permet non seulement d’approvisionner
&5%&%*453*#65*0/%&#*0'*06- les bateaux mais elle offre encore plusieurs niveaux d’équipements conçus pour la recherche
1SJY*OOPWBUJPOFUBSDIJUFDUVSFQPVSMBNFS et le tourisme écologique. Outre un centre universitaire et des bassins d’expérimentation
130+&5-"63"5rRVJQF : voués à assainir l’eau alentour, la présence d’un centre de loisirs et d’un hôtel laisse envisager
3PCJO7BJSÊ :PSJDL*TOBSE 1BVM.PSJOJ 'SBODF une activité économique durable pour la station.
26 Beaux Arts
par Céline Saraiva
LOFTS EXTRATERRESTRES
%/"r#&:0/%5)&&"35)
Prix Innovation et architecture pour l’espace
130+&5$061%&$ 63rÉquipe :
4PQIJF7FFSFDRVF"MFYBOESF$PIFO"LOJOF 'SBODF
Si les films de science-fiction ont su entretenir le mythe
d’une vie dans l’espace, certaines recherches actuelles nous
conduisent à considérer cette hypothèse de façon plus réaliste.
Ce projet de station spatiale habitable s’appuie sur l’hypothèse
d’un dépeuplement de la Terre afin que celle-ci puisse
reconstruire son écosystème naturel. Il envisage la colonisation
de l’espace à travers la mise en place d’une structure
semblable à la molécule d’ADN humain qui reproduirait les
conditions optimales pour une vie durable dans l’espace.
Architecture par Philippe Trétiack
PINAULT CRÉE
DES NIDS
POUR ARTISTES
À deux pas du Louvre-Lens, le
milliardaire et mécène François Pinault
a fait bâtir une résidence d’artistes
sur les ruines d’un presbytère parti
en fumée. Minimaliste et lumineux,
l’endroit est une invitation à la création.
n n’y voit rien», disait Daniel Arrasse sont en sapin, les meubles en noyer, le tout bai- tangible, sert de contreventement. Autour, de
«O au sujet de la peinture, on pourrait en
dire autant de cette réalisation d’architecture.
gnant dans une tonalité beige clair presque
diaphane. Les architectes ont souligné les
grandes baies vitrées qui s’ouvrent en coulis-
sant. L’atelier mute alors en aquarium et s’offre
Depuis la rue, une maison pimpante figée dans meubles pour en faire des symboles : le lit comme une bulle de verre dissimulée derrière
son costume de briques, lensoise en diable, trône en majesté dans une pièce nue, l’évier de une paroi de cendres. On devine que les archi-
née des corons, de la mine et d’une époque la salle de bains est surdimensionné comme un tectes, Thibault Marca en particulier, ont étu-
enfuie. Ce qui fut un presbytère est désormais élément qu’on colle dans une maquette. Rien dié sur le terrain l’architecture japonaise. Car
une résidence d’artistes. François Pinault, d’autre. Les pièces ont des fonctions inter- l’ensemble se décline en pauses, en intervalles,
mécène, l’a voulu ainsi, ouvrant à quelques changeables, on en fait ce qu’on veut. La en blocs de temps. Cette résidence d’artistes
centaines de mètres du Louvre-Lens ce havre lumière entre de partout, et sous cette douche est une succession d’espaces : une cour sur la
de réflexion. Melissa Dubbin & Aaron S. d’éclairage, libre aux artistes de travailler plein rue (et même le chemin de fer qui gronde tout
Davidson, tout droit venus de Brooklyn, vont nord ou plein sud. à côté), puis le presbytère, une cour qui sera
en essuyer les plâtres. Et le sapin, car l’agence bientôt un jardin d’herbes folles, l’atelier et,
parisienne NeM/Niney & Marca y a œuvré LE PROJET PULSE D’UNE ÉNERGIE CRÉATRICE pour finir, une troisième cour donnant sur un
dans des matériaux bruts et bon marché, le Rouerie du projet, cette maison en cache une grand mur de briques en fond de parcelle. Une
bois, le béton, le verre. Hormis l’enveloppe, autre. Dans sa façade de bois brûlé, noire et mise en scène rythmée comme des battements
tout est neuf. Car, pour commencer, à peine résistante à toutes les moisissures, elle évoque de cœur. Le projet, minimal et parfaitement
acquis, le presbytère a brûlé. Ne restaient que tout à la fois l’enfer du Nord, les gueules noires réussi, pulse d’une énergie créatrice. On vou-
les murs. Les architectes ont fait le vide, et l’incendie du presbytère. C’est un cube dont drait s’y installer pour y voir filer les saisons et
conservé un seul mur de refend (mur porteur la structure métallique est dissimulée dans des juger de la lumière sur ce bois brûlé. On se sent
intérieur) traité en briques peintes comme murs à charpente de bois remplis d’isolant. À artiste sans trop savoir pourquoi. Et parce
dans un loft. L’escalier, les portes, le plancher l’intérieur, un autre mur de béton gris, seul pan qu’on n’y voit rien, on veut aller y voir.
28 Beaux Arts
Design
LES PERLES FONT FEU
DE TOUT BOIS
Un vent de fraîcheur soufflerait-il sur les nostal- «SHUFFLE».*")".#03(r53"%*5*0/r
giques des vieux jouets en bois? Visiblement ins-
Avec cette table d’appoint, repérée au Salon du meuble
pirés par les perles en bois de leur enfance, les
de Stockholm en 2009, la designer norvégienne Mia
designers s’amusent à les réinventer dans des
Hamborg s’empare de la tradition nordique du bois
objets que l’on aura forcément plaisir à manipuler.
tourné et s’inspire de vieux jouets en bois peints. Elle
En témoignent ici la table d’appoint de Mia Ham-
laisse à l’acquéreur le soin de décider de la forme, des
borg, le dessous-de-plat d’Adam & Harborth, le
couleurs et de la hauteur de cet objet malin et
miroir d’Elisabeth Hertzfeld, la multiprise de
sympathique. En hêtre massif, médium et marbre.
Bless, les suspensions de Marz Designs et la coupe
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à fruits d’Athanasios Babalis. Quant à la marque
Rock & Pebble, elle réinterprète avec malice et
sobriété le jeu d’empilement classique. Dans une
version «toy-totémique» totalement inédite.
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."3;%&4*(/4r%&4*(/4.*5)130%6$54r
Basé à Sydney, Marz Designs est un jeune studio (fondé en 2010)
aimant multiplier les collaborations étroites entre artisanat et industrie.
La réussite de ces suspensions tient dans la variété des essences
de bois utilisées – frêne cendré, érable, chêne et noyer d’Amérique –
qui offrent de subtiles nuances de teintes.
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XXXEFTJHOTNJUIQSPEVDUTDPN
30 Beaux Arts
par Claire Fayolle
«STAPHYLOS» "5)"/"4*04#"#"-*4r4)*#6*r
L’observation des fruits – en particulier des grappes de raisin – et de leurs dimensions variables
a conduit au dessin de cet objet. Son auteur est également le cofondateur de Shibui, marque spécialisée
dans les arts de la table et les accessoires qui revendique une fabrication artisanale européenne.
En hêtre massif, cette coupe existe aussi en une version teintée noire.
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«TOTO»30$,1&##-&r
À l’aide de quatre tiges, une base et
six éléments ovoïdes, ce jeu permet de
créer de nombreux personnages
«EMMA»&-*4"#&5))&35;'&-%r:"1"4-&'&6"6-"$r de différentes tailles, formes et humeurs
Parmi les derniers-nés de Y’a pas le feu au lac, marque vosgienne d’objets en bois, à agencer selon l’inspiration du
figure ce drôle de miroir. Sa forme comme ses couleurs évoquent irrésistiblement un moment. «Toto» le totem est produit en
jouet. Il existe également une version en tilleul naturel, avec base bleu ciel ou saumon. érable par une marque américaine
de jouets en bois née il y a deux ans.
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Il ne serait pas étonnant que
les grands se laissent aussi séduire.
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IUUQFVSPDLBOEQFCCMFDPN
j1&3-&v+¸3("%".%0.*/*,)"3#035)r,0/45"/5*/4-"8*/4,*r
Le duo berlinois Adam & Harborth s’est fait connaître il y a une quinzaine
d’années avec ses «Compléments d’objets», une série de petits accessoires
visant à améliorer les objets du quotidien. Il livre cette fois un dessous-de-plat
en forme de joyeux sautoir. Les perles de bois se manipulent à loisir pour
former un grand ovale, deux cercles concentriques ou juxtaposés.
érDNrXXXLPOTUBOUJOTMBXJOTLJDPN
Beaux Arts 31
CinéArt par Jacques Morice
Reprises en salles
DIETRICH STAR DU DÉSERT
À la lisière du désert, une chanteuse de cabaret
(Marlene Dietrich) est partagée entre un beau légionnaire
sans grade (Gary Cooper) et un gentleman richissime.
Après l’avoir révélée dans l’Ange bleu, Josef von Sternberg
retrouve Marlene aux États-Unis, qui aime ici à contretemps,
conquiert comme un homme et se perd, se brûle, s’anéantit.
Un grand film de passion torride et laconique, où Gary
Cooper, fleur à l’oreille, est lui aussi sublimé.
Cœurs brûlés (Morocco) de Josef von Sternberg (1930)
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«Si Picasso était vivant, il l’embaucherait», a déclaré un expert lors du procès de Guy Ribes, condamné en 2010.
32 Beaux Arts
Livres
Professeur Nimbus
Il a consacré sa vie aux diverses formations nébuleuses flottant au-dessus du mont Fuji, la montagne sacrée des Japonais.
Tombé dans l’oubli, le météorologue, inventeur et photographe Masanao Abe (1891-1966) est l’auteur d’une multitude
de clichés de nuages d’une singulière beauté, auxquels le musée du quai Branly consacre un livre et une exposition inédits.
34 Beaux Arts
par Sophie Flouquet
UN CONTEMPORAIN DE STIEGLITZ
Pourtant, après sa mort, Abe tombera rapide-
ment dans l’oubli. Il aura fallu la sagacité du
professeur Yoshiaki Nishino, créateur de ce
lieu dédié à la poésie des sciences qu’est l’Inter-
médiathèque de l’Université de Tokyo (dans
lequel le musée du quai Branly dispose depuis
2013 d’un espace d’exposition), pour récupérer
auprès de ses héritiers son immense masse
d’archives. Soit plus de 3 500 plaques de verre,
281 tirages, 170 films, 1 748 feuilles d’observa-
tion avec des annotations météorologiques
très précises, mais aussi des outils, des instru-
ments scientifiques et autres affaires person-
nelles… Une partie de ces clichés est présentée
pour la première fois à Paris, révélant par-delà
Transformation des nuages en capuchon au sommet du mont Fuji, 6 octobre 1928, de 5 h 30 à 7 h environ
leur portée scientifique et technique une force
artistique et poétique admirable. Abe semblait
La forme conique du mont Fuji est propice à un phénomène également en avoir déjà conscience lorsqu’il installa, en
1937, un musée au sein de son observatoire.
observé par Abe au-dessus de l’Etna : la célèbre «comtesse des vents», Deux cents tirages de grand format, d’une qua-
ce nuage en forme de lentille qui disparaît aussi vite qu’il n’apparaît. lité irréprochable, y étaient exposés. Non sans
rappeler, par leur beauté plastique, la série de
clichés de nuages entreprise dès le milieu des
années 1920, aux États-Unis, par le grand
Alfred Stieglitz.
À LIRE
Le Comte des nuages
Masanao Abe
face au mont Fuji
sous la dir. de Yoshiaki
Nishino
éd. Intermédiathèque /
Musée de l’Université
EF5PLZPrQré
À VOIR
«Le Comte des nuages – Masanao Abe face au mont Fuji»
KVTRVBVKBOWJFSrNVTÊFEVRVBJ#SBOMZ
"UFMJFS.BSUJOF"VCMFUr RVBJ#SBOMZr1BSJT
Le Mont Fuji et un nuage en capuchon particulier de type lenticulaire, 1929 rXXXRVBJCSBOMZGS
Beaux Arts 35
Livres
CES PEINTRES
ROIS DU SUSPENSE
En 1874, Manet présente au Salon parisien le Chemin
de fer, image d’une jeune femme assise devant une
grille derrière laquelle se dégage une épaisse fumée
L’Effet Sherlock blanche, masse abstraite qui empêche la petite fille
Holmes – Variations représentée de dos à ses côtés de voir ce qui se passe
du regard de Manet à travers les barreaux. Son attitude traduit à la fois
à Hitchcock curiosité et frustration. Comme celles que ressent le
par Victor I. Stoichita
spectateur face à une œuvre dont le titre ne tient pas
éd. Hazan
Qré ses promesses. Pour l’historien et critique d’art Vic-
tor I. Stoichita cette représentation du «regard
entravé» incarne au mieux les enjeux de la «quête visuelle» dans laquelle
EDWARD HOPPER Fenêtres de nuit, 1928
se lancèrent les aventuriers de la nouvelle peinture, tournant le dos à la
narration pour privilégier l’impression, la sensation, voire la non-signifi- des scènes de voyeurisme dont Edward Hopper fut le maître. Comme
cation. Dans un essai captivant, Stoichita suit les cheminements du lui, il découpe l’image de sorte que le spectateur cherche, en vain, à en
regard moderne en explorant les liens ténus entre peinture, photographie trouver la clef. Pour construire son énigme, Hitchcock s’inspire aussi des
et cinéma. Et montre comment les trouvailles optiques des tableaux romans policiers illustrés, genre dans lequel excella Conan Doyle. Au
impressionnistes et de films cultes s’inscrivent dans une tradition artis- cinéma, le détective devient le héros d’une enquête purement visuelle,
tique remontant jusqu’à Alberti, ce théoricien de la Renaissance qui défi- puisque tout part de son regard, de la détection d’indices à l’élaboration
nissait la peinture comme «une fenêtre ouverte à partir de laquelle l’his- de preuves. C’est le cas de Fenêtre sur cour et de Blow-Up (1966) d’Anto-
toire représentée pourra être considérée». Hitchcock s’approprie ce nioni, dont le personnage principal, photographe, cherche à résoudre un
dispositif pour construire son film Fenêtre sur cour (1955), mise en abyme crime mystérieux à partir de ses nombreuses prises de vue. Mais à force
du regard, jouant avec les notions d’apparition et de disparition – les de trop agrandir les images, elles deviennent floues. Stoichita nous
fenêtres ne donnent à voir qu’une réalité partielle et c’est derrière les murs confronte aux leurres de la représentation pour revenir à cette question
de l’immeuble que se déroulent des éléments cachés mais pourtant essen- essentielle : comment interpréter ce qu’on voit ? Un thème récurrent de
tiels du récit. Le cinéaste s’inscrit dans la tradition picturale américaine l’histoire de l’art abordé ici avec érudition et sensibilité. %BQIOÊ#ÊUBSE
STEPHEN SHORE PORTRAITISTE LES BEAUTÉS GLACÉES DE KAY NIELSEN TOUTE LA PHOTO DE A À Z
DES DERNIERS JUIFS D’UKRAINE Des silhouettes graciles s’élançant dans Un ouvrage «quasi pervers» à l’heure
L’Ukraine vient de connaître une des ciels blafards… Les somptueux d’Internet et de la mise à disposition
nouvelle guerre, les slogans anti-UE imprimés dignes des miniatures persanes d’une multiplicité d’images
fleurissent aussi vite que les de Kay Nielsen sont reconnaissables en tous genres. Tel est pourtant le
boutiques de téléphonie mobile, entre tous. Au début du XXe siècle, parti pris de Nathalie Herschdorfer.
mais pour eux le temps s’est cet artiste danois produit des planches Conservatrice spécialisée et
arrêté. Eux : les derniers survivants destinées à accompagner de luxueuses directrice du musée des Beaux-Arts
de ce qui fut la troisième communauté juive d’Europe. Il y a Tzal, éditions de contes pour enfants, dont du Locle, en Suisse, elle est l’initiatrice de ce précieux
héros fatigué posant dans son jardin potager, ancien éden celle des Contes du Nord connaît le plus dictionnaire de la photographie, destiné à procurer «une vision
familial abandonné à la hâte en 1941. Les yeux au ciel, il arbore grand succès. Exhumés du folklore norvégien, ces récits sont globale» de ce médium né officiellement en 1839. Fruit
ses médailles innombrables. Toutes gagnées à Stalingrad. très appréciés pour leur atmosphère glacée et inquiétante que d’une longue analyse, d’une fine sélection et de la consultation
Il y a aussi Anna, «frêle comme un oiseau», qui dit avoir tout les compositions de Kay Nielsen épousent à merveille. de quelque 150 spécialistes, ce précieux ouvrage invite
appris de la vie entre 1941 et 1944, lors de sa fuite vers le Dès lors, texte et images seront indissociables. Ils sont réédités à une promenade passionnante parmi les 1 200 entrées,
Kazakhstan. Petit-fils d’un immigré juif ukrainien, Stephen Shore aujourd’hui par Taschen et la BnF. C’est chez le premier largement illustrées, balayant tous les sujets : histoire, acteurs,
a photographié leur quotidien. La misère qu’on ne cache plus, qu’il faut aller pour apprécier la somptuosité de l’œuvre de techniques, courants... Certes, en cherchant bien, on pourra
les médicaments, les bibles d’un autre siècle, les effigies Nielsen et chez la seconde pour une traduction plus y trouver quelques oublis et regretter la brièveté de certaines
de Lénine, les bibelots, les chèvres, un chien… et cet amour complète et intéressante. Florelle Guillaume notices. Et se dire que ce n’est peut-être que le point de départ
inconsidéré de la vie qui fait tout tenir debout. Natacha Nataf À l’est du Soleil et à l’ouest de la Lune d’une vaste entreprise encyclopédique. Sophie Flouquet
Stephen Shore – Survivants en Ukraine illustré par Kay Nielsen ÊE5BTDIFOr é Le Dictionnaire de la photographie sous la dir. de
avec un essai de Jane Kramer ÊE1IBJEPOrQr é Contes du Nord ill. par Kay Nielsen ÊE#O'rQré Nathalie Herschdorfer ÊEEF-B.BSUJOJÍSFrQré
36 Beaux Arts
Graphisme : Doc Levin — Étriers de François Ier ©RMN-Grand Palais (musée national de la Renaissance), Stéphane Maréchalle
Philo par François Cusset
QUI A CHAUD
AU Q.I. ?
Poète de la digression, Pascal Quignard
consacre un nouvel essai à cette
activité périlleuse qu’est la pensée.
Comme l’art, les rêves ou la philosophie,
elle apprendrait non seulement
à mourir mais aussi à vivre dans la joie
et la mélancolie. Explications.
l’âge du tweet pressé et des odes à l’action,
À ou au concret, un poncif courant voudrait
que la pensée soit loin de la vie : elle serait lente,
distante, froide, abstraite, inutile au pire, ou
juste un luxe d’oisifs. Et si, au contraire, elle était
plus active que l’action, plus risquée que le saut
sans parachute, plus effrayante que la mort, et
pourtant plus jouissive que l’orgasme ? Oubliez
les classes de philo, les conférences du week- &OQSPWPRVBOUMBSUPGàDJFM .BSDFM%VDIBNQMBGPSDÊÆQFOTFSFUTFSFQFOTFS&UMIPNNFRVJàUEFla JocondeVOSFBEZNBEF
end et les bavardages oiseux – et demandez à OFOàOJUQMVTEJOTQJSFSMFTBSUJTUFT DPNNFJDJ4VCPEI(VQUB SÊJOUFSQSÊUBOUFOCSPO[FLHOOQ (Et tu, Duchamp?, .
38 Beaux Arts
Grand Palais
31 mars-3 avril 2016
La Corée à l’honneur
www.artparis.com
Art moderne + contemporain SECTEUR GÉNÉRAL : Galerie 8+4 (Suresnes) | 10 Chancery Lane Gallery (Hong
Kong) | A. Galerie (Paris) | A2Z Art Gallery (Paris) | ABC-Arte (Gênes) * | AD Galerie (Montpellier) | Galerie ALB - Anouk Le Bourdiec
(Paris) | Allegra Nomad Gallery (Bucarest) | Galeria Miquel Alzueta (Barcelona) * | Analix Forever (Genève) | Andrea Ingenito
Contemporary Art (Naples, Milan) * | Galerie Andres Thalmann (Zurich) | Archiraar Gallery (Bruxelles) | Galerie Arts d’Australie •
Stéphane Jacob (Paris) | Galerie Cédric Bacqueville (Lille) | Helene Bailly Gallery (Paris) | Bailly Gallery (Genève) * | Galerie
Géraldine Banier (Paris) | baudoin lebon (Paris) | Beautiful Asset Art Project (Beijing) | Galerie Françoise Besson (Lyon) | Galerie
Binôme (Paris) | Bogéna Galerie (Saint-Paul-de-Vence) | Boxart (Verona) * | Galerie Jean Brolly (Paris) | Galerie Pierre-Alain
Challier (Paris) | Galerie Charlot (Paris) | Galerie Cinéma Anne-Dominique Toussaint (Paris) * | Galerie D.X (Bordeaux) | Galerie
Da-End (Paris) | De Primi Fine Art (Lugano) | Eduardo Secci Contemporary (Florence, Pietrasanta) | Eric Linard Edition (La Garde-
Adhémar) * | Galerie Faider (Bruxelles) * | Flowers Gallery (Londres, New York) | Galerie Pascal Gabert (Paris) * | Galerie Claire
Gastaud (Clermont-Ferrand) | Gimpel & Müller (Paris, Londres) | Galerie Hoffmann (Friedberg) * | Galerie Thessa Herold (Paris) |
Galerie Ernst Hilger (Vienne) | Huberty & Breyne Gallery (Bruxelles, Paris) | Intersections (Singapour) | JanKossen Contemporary
(Bâle, New York) | Kálmán Makláry Fine Arts (Budapest) | Klein Sun Gallery (New York) * | Galerie Koralewski (Paris) | Galerie
Pascal Lansberg (Paris) * | L’Agence à Paris (Paris) | Galerie l’antichambre (Chambéry) * | La Balsa Arte (Bogota) * | Galerie La
Ligne (Zurich) | Galerie Lahumière (Paris) | Galerie Alexis Lartigue (Paris) | Galerie Claude Lemand (Paris) | Galerie Françoise
Livinec (Paris) | Galerie Maria Lund (Paris) | Galerie Marie Hélène de La Forest Divonne (Paris) | Mario Mauroner Contemporary
Art (Vienne, Salzbourg) | Mazel Galerie (Bruxelles) * | Galerie Lélia Mordoch (Paris, Miami) | Galerie Pascaline Mulliez (Paris) |
Galerie NeC nilsson et chiglien (Paris) | Galerie Nathalie Obadia (Paris, Bruxelles) | OTCA - Omer Tiroche Contemporary Art
(Londres) * | ON/gallery (Beijing, Hong Kong) | Galerie Oniris - Florent Paumelle (Rennes) | Galerie Paris-Beijing (Paris, Beijing) |
Galerie Hervé Perdriolle (Paris) * | Galerie des petits carreaux (Paris, Saint-Briac) | Galerie Polad-Hardouin (Paris) | Progettoarte
elm (Milan) | Galerie Rabouan Moussion (Paris) | Rebecca Hossack Art Gallery (Londres, New York) | J. P. Ritsch-Fisch Galerie
(Strasbourg) | Galerie RX ( Ivry-sur-Seine) * | School Gallery / Olivier Castaing (Paris) | Mimmo Scognamiglio Artecontemporanea
(Milan) | Sèvres - Cité de la céramique (Sèvres) * | Gallery Shchukin (Paris, New York) | Silk Road Gallery (Téhéran) * | ᣝᣞ Gallery
(Athènes, Paris) * | Galerie Véronique Smagghe (Paris) | Speerstra Gallery (Bursins) * | Sundaram Tagore Gallery (Singapour, New
York, Hong Kong) | Galerie Taménaga (Paris, Tokyo, Osaka) * | Galerie Daniel Templon (Paris, Bruxelles) | Galerie Patrice Trigano
(Paris) | Galerie Tristan (Issy-Les-Moulineaux) | Galerie Vallois (Paris) * | Galerie Francesco Vangelli de’ Cresci (Paris) * | Galerie
Pascal Vanhoecke (Cachan) | Sabine Vazieux (Paris) | Galerie Michel Vidal (Paris) | Bernard Vidal - Nathalie Bertoux - art contemporain
(Paris) * | Studio Giangaleazzo Visconti (Milan) * | Galerie Olivier Waltman (Paris, Miami) | White Space Gallery (Londres) * |
Wildproject Gallery (Luxembourg) * | Espace Meyer Zafra (Paris) - SOLO SHOW : Niloufar Banisadr - 55Bellechasse (Paris) | Ronan
Barrot - Galerie Claude Bernard (Paris) | Damien Cabanes - Galerie Eric Dupont (Paris) * | César Baldaccini - Galerie Najuma
(Marseille) | Hervé Di Rosa - Art to Be Gallery (Lille) * | Claudine Drai - Galerie 111 (Paris) * | Katinka Lampe - Galerie Les Filles du
Liste au 22/12/2015 | * nouveaux participants
Calvaire (Paris) | Stéphane Erouane Dumas - Galerie Fred Lanzenberg (Bruxelles) * | Evrard & Koch - Galerie Alexandre Lazarew
(Paris, Bruxelles) * | Jann Haworth - Galerie du Centre (Paris) * | Jean-François Lepage - Galerie Madé (Paris) * | Lee Nam Lee -
Galerie Photo12 (Paris, Los Angeles) * | Carmen Perrin - Galerie Bob Gysin (Zurich) * | Sylvain Polony - Galerie Xenon (Bordeaux) * |
Antoine Roegiers - Art Bärtschi & Cie (Genève) * | Ruby Rumié - NH Galeria (Cartagena de Indias) * | Song Hyun Sook - Ditesheim
& Maffei Fine Art SA (Neuchâtel) * | Ronald Ventura - Primae Noctis Art Gallery (Lugano) * | Fadi Yazigi - Galerie Tanit (Beyrouth,
Munich) - PROMESSES : 50 Golborne (Londres) * | Art’Loft - Lee Bauwens Gallery (Bruxelles) * | Bildhalle (Kilchberg/Zurich) * |
Galerie Béa-Ba (Marseille) * | Rutger Brandt Gallery (Amsterdam) * | Espace L (Genève) * | Galerie Virginie Louvet (Paris) * | Galerie
Gourvennec Ogor (Marseille) * | Maëlle Galerie (Paris) * | Christine Park Gallery (Londres) * | under construction gallery (Paris) * |
Yay Gallery (Bakou) * - CORÉE À L’HONNEUR : 313 Art Project (Séoul) | Gana Art (Séoul) * | Gallery Simon (Séoul) * | Gallery SoSo
(Paju-si) * | Gallery Shilla (Daegu) * | Park Ryu Sook Gallery (Séoul) * | UM Gallery (Séoul) *
Télévision, radio par Florelle Guillaume & Charlotte Ullmann
À regarder
ET AUSSI…
BETTINA RHEIMS GÉRARD FROMANGER
VU PAR SERGE JULY
À écouter
DRAME VAMPIRIQUE EN 3 ACTES TONTONKHAMON LE MYSTÈRE MAGRITTE QUE SAIS-JE ?
Rebecka Streisand est psychanalyste Cette grande pyramide de verre qui fait Dans la peau d’un piéton qui arpenterait Deux minutes pour apprendre deux ou trois
et la femme d’une rock star qui vient de se maintenant partie intégrante du Louvre n’a pas les rues de Bruxelles. C’est de ce point de vue choses sur l’art, c’est le pari tenu par Louis
suicider. Elle enterre son mari lorsqu’elle toujours été l’amie des Parisiens. Pièce dynamique que se place ce programme Guillaume, entrepreneur du Net, qui développe
rencontre le vampire Ionas. Il y a cent ans de maîtresse du projet Grand Louvre soumis par consacré au surréaliste belge René Magritte ce concept rapide et efficace à travers 24 sujets
cela, il était soldat sur le front russe. Tourmenté Jack Lang et mené par Émile Biasini pour (1898-1967), dont l’œuvre foisonnante est (à ce jour) abordant pêle-mêle la basilique
par les fantômes de son passé, il demande optimiser les conditions d’accueil du public truffée d’humour et d’énigmes. Un voyage Saint-Pierre de Rome, le Cri de Munch, Sisley,
à Rebecka s’il peut s’allonger sur son divan. à la fin des années 1980, elle est le radiophonique entre rêve et réalité, animé par le Baiser de Brancusi et Banksy… L’émission,
Telle est l’histoire du roman l’Éternel chef-d’œuvre de l’architecte Ieoh Ming Pei de nombreux documents d’archives, et qui mêle déclinée également sur le thème de la culture
de Joann Sfar, dont l’adaptation en feuilleton et l’un des grands travaux des années les voix de personnes ayant connu ce peintre générale, de la santé et des technologies,
radiophonique est une franche réussite. Mitterrand. très discret, aussi passionnant que passionné. figure dans le classement iTunes des podcasts
FRANCE CULTURE Fictions / Samedi noir : FRANCE INTER "GGBJSFTTFOTJCMFT FRANCE CULTURE Une vie, une œuvre : les plus téléchargés.
«L’ÉternelEF+PBOO4GBSvrÊQJTPEFT j-F(SBOE-PVWSFFUMB1ZSBNJEFEV1SÊTJEFOUv j.BHSJUUFm-FNQJSFEFTJNBHFTv ITUNES Choses à savoir : «Art»
EJTQPOJCMFTFOQPEDBTU YNJO QPEDBTUEVEÊD NJO QPEDBTUEVKBOWJFS NJO EJTQPOJCMFFOQPEDBTU YNJO
40 Beaux Arts
GEERT GOIRIS
FIGHT OR FLIGHT
FRAC HAUTE-NORMANDIE
' d`UWYXYgAUfhmfg!XY!`U!Fg]ghUbWY
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et de la communication / Drac Normandie.
Revue de web par Florelle Guillaume & Charlotte Ullmann
FA SI LA CLIQUER
Écouter des radios imaginaires du XXe siècle, admirer les Velázquez du Prado avec Iggy Pop, se laisser hypnotiser par
un conte cubiste puis monter sur les plus belles scènes de São Paulo ou New York… Un trip musical signé Beaux Arts.
MAGISTRALE RADIO PRADO 9999 TOUT EN HAUT DE L’AFFICHE AVEC BERNSTEIN ET DVORÁK 99
Proposer une «expérience» de ses collections en ligne, tel est l’objectif du nouveau site que Le site de l’Orchestre de Paris a imaginé une expérience originale. Tout commence par un choix :
le musée du Prado a mis en ligne en décembre. Si l’affichage somptueux d’images en plein écran la Symphonie n° 9 (dite du Nouveau Monde), de Dvorák, ou West Side Story de Bernstein.
et en très haute définition nous aguiche l’œil, le musée tente aussi de séduire nos oreilles Puis l’utilisateur est invité à créer des animations graphiques en bougeant sa souris comme s’il
avec un «Voyage à travers les sens» : un parcours d’œuvres associé à des playlists de la station s’agissait d’une baguette de chef d’orchestre. Une option permet même de faire des captures
publique espagnole Radio 3 à découvrir sur la plateforme musicale Spotify. «Le règne animal» d’écran qui peuvent être transformées en affiche. Amusant, mais somme toute anecdotique.
invite, par exemple, à contempler le Combat de chats de Goya et la Tête de cerf de Velázquez XXXPSDIFTUSFEFQBSJTDPNSFTPOBODFIPNF
sur une bande-son racée de Tom Waits (Fawn, Rain Dogs), Iggy Pop (King of the Dogs)
ou Fleet Foxes (Tiger Mountain Peasant Song). Une grande réussite.
XXXNVTFPEFMQSBEPFTFONJQSBEPSFDPSSJEPTSFDPNFOEBEPT COMMENT GERTRUDE STEIN VOIT LA VIE DE ROSE 999
Écrit en 1939 par Gertrude Stein, Le monde est rond nous emmène dans l’univers de Rose.
Cette petite fille, qui se pose tant de questions sur la vie, «aurait-elle été rose si son nom
AVEC GOOGLE SUR LES PLUS GRANDES SCÈNES DU MONDE 999 n’avait pas été Rose» ? Tantôt récité, tantôt chanté par Sabine Zovighian et Michael Liot,
L’Institut culturel de Google s’est associé à l’Opéra national de Paris, au Carnegie Hall, le conte cubiste berce par sa sonorité allitérative, si bien que l’on prend plaisir à se perdre
à la Philharmonie de Berlin et au Theatro Municipal de São Paulo pour réaliser lors de dans les méandres de l’histoire de Rose. Hypnotisant.
répétitions générales des captations vidéo à 360° et proposer ainsi aux internautes une Rose est une roserÊDPVUF UÊMÊDIBSHFNFOUFUQPEDBTUTVSBSUFSBEJPDPN
immersion époustouflante au cœur de l’orchestre, du ballet, des chanteurs, des comédiens…
La technologie Google n’a pas fini de nous bluffer.
https://performingarts.withgoogle.com/fr Beaux Arts est aussi sur Facebook
42 Beaux Arts et Twitter, rejoignez-nous !
La chronique
de Nicolas Bourriaud
CONTRE LES
IDÉOLOGIES ZOMBIES
Les réactionnaires de tout poil, de Marion
Maréchal-Le Pen aux Frères musulmans, s’acharnent
à pétrifier la création dans une définition du beau
qu’ils voudraient universelle. À cela, c’est un art vivant
et en prise avec le monde qu’il faut opposer.
44 Beaux Arts
ÉCOLE
SUPÉRIEURE
D’ARTS
PLASTIQUES
DE LA VILLE
DE MONACO
DNA BAC +3
DNSEP BAC +5
MASTER
FRANCESC ROCA
Géométries suspendues
4 février – 5 mars 2016
image : Lucie Audau, 2015
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22 au 31 janvier 2016
Journées internationales
Win Wenders par Sebastião Salgado © Sebastião Salgado / Amazonas images et avecl’aimable autorisation de LE PACTE
APRÈS DES ANNÉES PASSÉES À S’INCLINER DEVANT LES TENANTS DE L’ABSTRACTION, NOMBREUX SONT
LES ARTISTES À S’ADONNER DÉSORMAIS À UNE PEINTURE ANCRÉE DANS LE RÉEL. PANORAMA DE CES
NOUVEAUX HÉRAUTS DE LA FIGURATION QUI DÉPOUSSIÈRENT LE GENRE ET S’AFFICHENT SANS ROUGIR.
PAR JUDICAËL LAVRADOR
L
e refrain n’est pas neuf, vous l’avez déjà peut-être avec le spectateur, elle a fini par être débordée par l’instal- IDA TURSIC &
entendu. La peinture revient dans les galeries et lation, supposée plus «immersive». À tel point que le plaisir WILFRIED MILLE
même dans certains centres d’art ; le casting se de regarder un tableau peut paraître aujourd’hui réservé à Nés en 1974 à Belgrade
rajeunit et se renouvelle, en même temps que les formes et quelques esthètes un peu snobs, ou bien à des collection- et Boulogne-sur-Mer.
les problématiques. Bref, telle l’hirondelle au printemps, neurs prompts à y voir un médium refuge, commode et Vivent à Dijon.
telle une ritournelle, elle revient dans nos cœurs et sous nos facile à accrocher (et à décrocher). Du coup, les descen- Noyée sous un nuage
yeux. Elle n’est d’ailleurs jamais partie bien loin, simple- dants ont dû exorciser ce passé trop glorieux. La peinture, de taches multicolores,
cette Dirty Girl, reproduite
ment peut-être ne la voyait-on plus – ou ne voulait-on plus hantée par les revenants, par le poids de l’histoire, la sienne
à partir d’une page de
trop la voir ? Peut-être y avait-il moins à voir… Plus qu’un et celle du monde, s’est alors vouée à représenter les fan- magazine, a l’œil pensif.
retour, c’est donc à un réchauffement des relations entre la tômes de la mythologie ou de l’Allemagne nazie (chez les Dénudée et lascive, la voilà
peinture et son public que l’on assiste. Une période de Allemands Anselm Kiefer ou Gerhard Richter) ou ceux rhabillée par un duo
dégel, en somme, qui vaut aussi pour des peintres enfin de la période coloniale (chez le Belge Luc Tuymans). Ces de peintres pour qui la
décomplexés, décidés à se lâcher. sujets – qui s’apparentent finalement à une peinture frontière entre figuration
Mais qu’est-ce qui les bridait autant ? La peinture traîne d’histoire académique – semblent moins prégnants dans et abstraction ne tient qu’à
un fil. Les moyens, après
avec elle certains handicaps : ancestrale, elle n’a pas sur- la peinture d’aujourd’hui, qui n’est plus guère un domaine
tout, sont identiques. Dès
vécu à la photographie ou au cinéma sans y laisser, au pas- réservé… aux seuls peintres. lors, quand ils étalent leur
sage, quelques poils. Son influence sur la représentation Pour autant, est-elle encore un outil de compréhension palette sur la toile, c’est la
du monde, sur la construction des imaginaires et la diffu- du monde et des êtres ? Qu’a-t-elle de plus, ou de moins, peinture elle-même et ses
sion des images en a été sensiblement affectée. En outre, aujourd’hui qu’hier ? A-t-elle été transformée par les outils artifices qui sont mis à nu.
fixée au mur, imposant une relation simplement frontale numériques, Internet et les réseaux sociaux ? Les genres ¾ Dirty Girl, 2015
46 Beaux Arts
LES SELFIES ET LES SEXTAPES L’ONT DÉFINITI-
VEMENT MODIFIÉ. EN 2016, LE PORTRAIT SE
FAIT PLUS TRASH ET PLUS DRÔLE QUE JAMAIS.
M
plupart de ses expositions un récit documenté
de l’histoire contemporaine. Il y a eu cette série ême si certains entretiennent encore la tradition
consacrée à la décolonisation compliquée et continuent à faire poser le modèle devant eux,
du Congo belge (et le portrait de Lumumba), la majorité des peintres travaillent aujourd’hui d’après des
celle consacrée à la guerre en Irak (et le portrait images puisées dans les livres, les magazines, Internet.
de Condoleezza Rice). Et avant cela, cette toile Pour la plupart, ils ne connaissent donc pas ceux qu’ils
étrange, propriété du Musée national d’Art
dépeignent, trait pour trait. Le fil de l’intimité reliant ce
LUC TUYMANS moderne, traitant de la domination (raciale
et sexiste) en accouplant deux poupées : l’une, vieux couple s’est distendu, laissant le peintre orphelin et
Né en 1958 à Mortsel la peinture en deuil. Absent de l’atelier, filtré par sa source
est celle d’un G.I. Joe noir, l’autre, à peine
(Belgique). Vit à Anvers. photographique ou numérique, le sujet dépeint ne le sera
visible, sinon par sa chevelure, une Barbie.
¿ G.I. Joe, 1996 qu’à moitié. Il ne sera qu’à moitié là, détournant la tête,
ou n’arborant en lieu en place du visage qu’un vide béant
(Gideon Rubin), au mieux son dos. Cette relation à l’autre,
du peintre à son modèle, est surtout bouleversée par les
traditionnels que sont le portrait ou la nature morte sont-
réseaux sociaux. L’accès à l’intimité (et à la nudité) de per-
ils des classifications encore appropriées, alors que les
sonnes qu’on connaît à peine, voire pas du tout, en est
peintres ne s’en réclament plus vraiment ? Y a-t-il seule-
ment un sens à établir un distinguo entre peinture figura-
tive et peinture abstraite, comme nous le faisons dans ces
pages (puisque l’abstraction n’y est pas du tout traitée) ?
La plupart des peintres vous diront qu’il s’agit là d’un faux
débat. D’une part, parce que c’est moins une image que
dépeignent les artistes plutôt que le travail de la peinture
elle-même, dans ses limites et ses excès. D’autre part,
parce que l’abstraction fait elle-même image et s’ancre bel
et bien dans le réel. À commencer par Ellsworth Kelly
(mort le 27 décembre dernier, lire p. 22) qui prélève dans
la découpe d’une fenêtre, dans la courbe d’une colline ou
GIDEON RUBIN
les ombres portées sur une façade les motifs de ses
tableaux… abstraits. Il n’empêche, longtemps la peinture Né en 1973 à Tel-Aviv.
figurative a été réputée moins réflexive, peu consciente Vit à Londres.
Estomper ou flouter
d’elle-même, tandis que sa sœur abstraite, elle, ne cessait
les visages est une manière
de remettre en cause ses moyens et ses finalités, son sup- de faire (ou de défaire)
port et sa surface. L’une était la cigale, insouciante et pro- récurrente dans la peinture
digue, l’autre était la fourmi, visionnaire et élitiste. L’une contemporaine. Chez
était la cancre de service, et l’autre l’intello première de la Gideon Rubin, qui extrait
classe. Les choses changent et les rôles sont désormais ses modèles sans
moins caricaturaux. C’est tout aussi vrai des genres clas- expression (mais pas sans
allure) de vieux magazines
siques de la peinture figurative, qui nous servent de fil
ou de photos trouvées
conducteur pour illustrer, a contrario, à quel point les en vrac sur les marchés,
artistes les font dévier – un peu ou beaucoup – de leur défi- ces portraits d’inconnus
nition originale. La peinture bouge donc encore, en assu- révèlent un passé enfoui
mant son retard à l’allumage. Pour le coup, dans la fable, dans l’oubli.
elle serait la tortue. ) ¾ Kimono, 2015
48 Beaux Arts
GIULIA ANDREANI
Née en 1985 à Venise. Vit à Paris.
Une femme forte de fête foraine soutenant d’un
solide coup de reins un pianiste qui se tient coi.
Giulia Andreani fait de la peinture un numéro
spectaculaire et le support de l’expression d’une
révolution dans le genre : les femmes, longtemps
assignées sur la toile à un rôle et des qualités
archétypiques, changent d’atours et supportent
toutes les charges à la fois.
½ Damnatio Memoriae II (KKG), 2015
MARION BATAILLARD
Née en 1983 à Nantes. Vit à Montluçon.
Découverts au Salon de Montrouge, les portraits de Marion Bataillard et ses scènes
de groupe virant parfois à l’orgie fellinienne arborent la silhouette frustre et statique
de pantins désarticulés qui semblent agir à la fois ensemble et séparément, comme s’ils
s’étaient croisés là par hasard mais avec de louches arrière-pensées.
¿ Bacchanales, 2013
Beaux Arts 49
EN COUVERTURE / LA PEINTURE FIGURATIVE CONTEMPORAINE
FRÉDÉRIC
LÉGLISE
Né en 1972 à Nantes.
Vit à Montreuil.
Lui photographie ses
modèles dans l’atelier.
Mais, sur la toile, qui prend
parfois le format classique
d’un tondo (châssis rond),
Frédéric Léglise accentue
les traits, les poses,
le dessin compliqué des
vêtements et de la coiffure.
Et sature aussi volontiers
la couleur du fond pour
faire du tableau une sorte
d’écrin transportant
l’image dans un boudoir
capitonné et feutré.
¿ Natalia, 2012
facilité. Les Narcisse 2.0 qui étalent leurs charmes et leurs jeune Giulia Andreani a mis en scène femmes fortes et
ébats, prenant des poses lascives et insolites, un bras hommes serviles avec la truculence spectaculaire d’un
tendu, l’autre sur la hanche, seuls – vous fixant en même numéro de fête foraine. Ce goût du burlesque, qui animait
CHANTAL JOFFE temps qu’ils se mirent dans leur smartphone – ou à plu- déjà la troupe enfarinée de Jean-Luc Blanc, déteint sur les
sieurs dans des étreintes filmées plein cadre, sont une visages fardés et sur les corps dégingandés des person-
Née en 1969 à St. Albans
aubaine pour la peinture érotique et pornographique qui nages à l’identité ambiguë de la Britannique Chantal Joffe.
(Royaume-Uni). Vit à Londres.
trouve là le quoi jouir d’un second souffle et de quoi, à Trouble dans le portrait encore chez l’Allemande Birgit
Des corps aux proportions
nouveau, faire sauter le verrou. Les images amateurs, sales Megerle, dont les sujets favoris sont les femmes de pou-
exagérées, aux têtes étirées
ou aux jambes interminables, et pas très nettes, cultivant une forme de crudité tant dans voir et les pionnières, de Christine Lagarde à Claire Bre-
qui laissent visibles traînées l’exhibitionnisme que dans la pose, en constituent sou- técher. Si la peinture contemporaine accompagne la
et repentirs : les personnages vent le premier choix : la peinture n’est pas propre sur elle, nécessité d’une plus grande visibilité de toutes celles qui
de Chantal Joffe ont en eux ni immaculée. Elle veut souvent faire tache sur la toile et en étaient privées, elle fait passer aussi au premier plan
une dose de monstruosité dans le paysage iconographique. Le portrait revit avec les des corps et des cultures sous et mal représentées. À
qui leur vient en partie de ceux sextapes et les selfies, fussent-ils passés au filtre l’image des portraits de modèles noirs de Lynette Yia-
photographiés par Diane Arbus,
Instamatic. dom-Boakye, ou ceux de Moke, plus anciens, mais qui
qu’elle avoue adorer. Mais
ces coups de brosse colorés Le genre se métamorphose enfin à l’ère de la parité et de sont ressortis récemment à la faveur de l’exposition
et moelleux rappellent aussi la discrimination positive. Car dans l’histoire, «les femmes «Beauté Congo» à la fondation Cartier. Comme si ayant
toute une tradition fauve et pop. étaient les modèles, et les hommes les peintres», souligne perdu un modèle qui posait pour lui en chair et en os, le
¿ Woman in a Blue Coat Marlene Dumas qui a fait du bannissement de cette aber- peintre s’était plus que consolé dans les bras de mille
on Green, 2014 ration l’un des enjeux de son œuvre. Plus récemment, la autres. Et nous avec.)
50 Beaux Arts
MARCIN MACIEJOWSKI
Né en 1974 à Babice (Pologne). Vit à Cracovie.
Les poses, l’éclairage à la blancheur flashante, le cadrage ciblant un personnage mais capturant plus ou moins exprès des importuns
même pas entiers, la scène (un rendez-vous dans un bar)… tout témoigne de la source photographique de cette peinture.
Et de ce que regarde la peinture : ces nouvelles images qu’on prend à brûle-pourpoint au moyen d’un smartphone.
¿ At the Cafe, 2009
Beaux Arts 51
EN COUVERTURE / LA PEINTURE FIGURATIVE CONTEMPORAINE
BENJAMIN
SENIOR
Né en 1982 en Grande-
Bretagne. Vit à Londres.
Les scènes et le pinceau
rappellent la veine réaliste
de la peinture soviétique des
années 1950, encourageant
la jeunesse à mener une vie
sportive et dévouée au parti.
Plus question de propagande
chez Benjamin Senior.
Les motifs très graphiques
du décor, la pose, les maillots
et les serviettes des
personnages fixent les lignes
de la composition d’un
tableau presque vivant.
½ Three Bathers, 2012
52 Beaux Arts
TIM EITEL
Né en 1971 à Leonberg (Allemagne). Vit à Berlin.
À quoi pense l’architecte de cette toile qui multiplie
les plans, les jeux de surfaces et les textures ?
À remettre de l’ordre dans son chantier qui semble
avoir été laissé en plan, à moins qu’il n’ait essuyé
quelque avanie. Tim Eitel maintient exprès sa toile
entre deux eaux. L’abstraction géométrique
des carrés de couleur, la bâche froissée qui évoque
un art informel, les reflets dans le bas du tableau
qui, eux, renverraient à l’hyperréalisme…
tous ces éléments se combinent pour planter
le scénario non pas d’une reconstruction, mais
d’une déconstruction de la peinture.
¾ Architect, 2012
54 Beaux Arts
EN COUVERTURE / LA PEINTURE FIGURATIVE CONTEMPORAINE
FASCINÉS PAR LA NATURE AUTANT QUE PAR LA SCIENCE-FICTION, LES ARTISTES PLONGENT
LEURS PAYSAGES DANS DES VAPEURS PSYCHÉDÉLIQUES AU PARFUM DE FIN DU MONDE…
BENOÎT MAIRE
Né en 1978 à Pessac. Vit à Paris.
La peinture n’est pas tout à fait la
spécialité de Benoît Maire, artiste qui
n’en a d’ailleurs aucune. Mais ses
tableaux de nuages, noirs et menaçants,
bleus et pluvieux, pâles et innocents,
lui donnent pourtant un prétexte pour
éprouver les contraintes de cette pratique
(les dégoulinures, la toile trempée qui
doit bien sécher…). Tout en gardant
l’esprit rêveur et la tête dans les nuages.
¿ Peinture de nuages, 2015
GLENN SORENSEN
Né en 1968 à Sydney. Vit à Åhus (Suède).
Les tableaux de Glenn Sorensen ressemblent à des ikebanas mis à plat. Leur composition gracile et subtile, tenant à un fil,
à une tige, à un pétale ou un bourgeon élégamment incliné relève d’une attention pleine de doigté à la nature et à la recherche
d’une harmonie apaisante. Aux limites de l’abstraction.
¿ Sunset, 2014-2015
PETER DOIG
Né en 1959 à Édimbourg.
Vit et travaille entre Trinidad,
Londres et New York.
Nuit chaude et sauvage,
imbibée de la moiteur des
Caraïbes (l’artiste vit en partie
à Trinité-et-Tobago) pour
une scène de pêche fructueuse
à bord d’un canoë qui
demeure l’embarcation favorite
du peintre pour transporter
le spectateur du premier plan
à l’arrière-plan, d’une rive
à l’autre, du réel éclairé à
l’imaginaire ombrageux.
½ Spearfisher, 2015
Beaux Arts 57
EN COUVERTURE / LA PEINTURE FIGURATIVE CONTEMPORAINE
ARMAND JALUT
Né en 1976 à Toulouse.
Vit à Paris.
L’image bégayante
d’un perroquet triplé
au plumage chamarré
rivalisant de brillance avec
des barquettes rutilantes
sur un fond bleu clair
et lisse : la peinture
d’Armand Jalut joue sur
ses qualités chromatiques
et fait un réassort des
motifs de la nature morte.
¾ Mating Dance (5), 2015
58 Beaux Arts
KATHERINE BERNHARDT
Née en 1975 à St. Louis (Missouri). Vit à Brooklyn.
Sa dernière exposition à la galerie Canada de New York
LAURENT
promettait «des motifs stupides, débiles, ridicules
et rigolos». Un programme pictural en forme de liste
PROUX
de courses à faire le dimanche au marché, incluant Né en 1980 à Versailles.
pastèques, melons et bananes. Katherine Bernhardt Vit à Paris.
ramène la peinture à sa veine idiote, chérie par le C’est une peinture
Magritte de la période vache ou par Philip Guston. qui regarde une machine
¿ Jungle Snack, 2015 industrielle dérouler et
débiter la silhouette d’un
Arlequin, volant en éclats
et venant s’écraser en
miettes au premier plan.
Une peinture qui prend
parti face aux cadences
infernales du travail
à la chaîne et vient tout
aplatir : les perspectives,
les espoirs, les rires
et les corps.
½ Découpe, 2015
Beaux Arts 59
EN COUVERTURE / LA PEINTURE FIGURATIVE CONTEMPORAINE
GIORGIO SILVESTRINI
Né en 1985 à Palerme. Vit à Paris.
Cet épouvantail flanqué d’une parodie de costume d’homme de loi
et d’une tête en forme de boule évoque certes de très près les personnages
de théâtre d’ombres de Chirico, voire ceux, végétalisés, d’Arcimboldo.
Mais chez cet artiste italien diplômé des Beaux-Arts de Paris, il s’agit moins
de chosifier les êtres vivants que d’humaniser les choses.
½ Général II, 2015
60 Beaux Arts
À VOIR, DE CLERMONT-FERRAND À MILAN…
«À quoi tient la beauté des étreintes» du 30 janvier «Maude Maris – À claire-voie» jusqu’au 12 mars «Pierre Seinturier – It’s a Way of Life !» jusqu’au 31 janvier
BVNBSTr'SBD"VWFSHOFr$MFSNPOU'FSSBOE HBMFSJFEFMUSBWFr5IPOPOMFT#BJOT HBMFSJF(FPSHFT1IJMJQQF/BUIBMJF7BMMPJTr1BSJT
XXXGSBDBVWFSHOFGS¾"WFD"EBN"EBDI %BNJFO$BEJP XXXWJMMFUIPOPOGS XXXHBMFSJFWBMMPJTDPN
.BVEF.BSJT 4JMLF0UUP,OBQQw «Pierre Seinturier – I Want to Believe» jusqu’au 21 février «Benjamin Senior – Parade» jusqu’au 27 février
«Gideon Rubin – Questions of Forgiveness» jusqu’au 5 mars NVTÊFE"SUNPEFSOFFUDPOUFNQPSBJOEF4BJOUUJFOOF (BMMFSJB.POJDBEF$BSEFOBTr.JMBO
HBMFSJF,BSTUFO(SFWFr1BSJTrXXXHBMFSJFLBSTUFOHSFWFDPN XXXNBNTUFUJFOOFGS XXXNPOJDBEFDBSEFOBTDPN
Beaux Arts 61
ÉDITION D’ART
À la découverte
d’un herbier
cosmique
N
62 Beaux Arts
Tractatus de Herbis, folios 82 verso et 83 recto
Rose, romarin, garance des teinturiers, ronce à mûres, rue des jardins…
telles sont quelques-unes des multiples espèces végétales destinées
à la préparation de drogues médicinales illustrant les feuillets de ce
précieux manuscrit du XVe siècle, conservé à la British Library de Londres.
Vers 1440, peinture sur parchemin, 360 x 255 cm. Beaux Arts 63
ÉDITION D’ART / TRACTATUS DE HERBIS
onnaissez-vous la mandragore ? Cette rhizomes, qui s’apparentent à deux longues sant volume d’étude rédigé par l’historien Alain
64 Beaux Arts
ÉDITION D’ART / TRACTATUS DE HERBIS
ces questions : pourquoi avoir produit une castoréum, produit par le castor. Selon la
simple compilation d’images, sans même pro- légende, lorsque le castor, pris en chasse, sent la
poser de texte pour l’interpréter ? À quoi pou- capture proche, il s’émascule, empêchant ainsi
vait donc servir un tel ouvrage ? Des traces tout prélèvement de musc. Dans notre manus-
d’usage sur les pages indiquent en tout cas qu’il crit, c’est bel et bien un chevrotain qui fait de
n’était pas un manuscrit d’apparat. même… D’où un trouble sur l’intérêt d’un tel
manuel médicinal induisant en erreur sur la
HERBE HYPÉRICON ET POUX D’ÉLÉPHANT nature des matières médicales… La confusion
Comme l’analyse minutieusement Alain s’explique aisément : le savoir écrit s’est dilué
Touwaide, ce Tractatus appartient à un groupe d’un manuscrit à l’autre, au cours du Moyen
d’ouvrages similaires diffusant un discours uni- Âge, du fait de mauvaises retranscriptions.
versel sur les plantes par l’image, lointain dérivé Notre ouvrage serait lui-même la copie d’une
de traités de médecine plus anciens. Tout dans version du XIIIe siècle. Au point qu’à la fin du
cet album de botanique est ainsi sélectionné à XVe siècle, notamment en Italie, plusieurs
des fins thérapeutiques : il y a là un compendium médecins s’indignèrent des dangers d’une telle
des ingrédients destinés aux apothicaires et perte de connaissances. D’où une grande entre-
physiciens pour élaborer des remèdes, toute la prise de correction et l’appel d’un certain Leo-
matière première de la pharmacopée médié- niceno (1428-1524) qui préconisa l’abandon des
vale. Ces plantes aux noms étranges, herbe livres médicaux disponibles au profit d’un
hypéricon ou poux d’éléphant, ne sont autres retour aux traités antiques, à l’image du De mate-
que des drogues médicinales. Poussant l’ana- ria medica de Dioscoride et de l’Histoire naturelle
lyse, Alain Touwaide a toutefois décelé un cer- de Pline. Qu’importe ! La plongée dans notre
tain nombre d’erreurs et d’approximations. étonnant Tractatus de Herbis n’en est pas moins DES LIVRES DE FOLIE !
Comme le musc du chevrotain, sécrété par ses passionnante pour ce qu’elle nous enseigne de C’est là le métier de l’édition, loin, très loin,
glandes anales – on croyait alors qu’il était pro- l’histoire de la pharmacopée et pour son illus- du livre numérique mais en recourant malgré
duit par les testicules –, mais confondu avec le tration d’une extraordinaire fantaisie. Q tout à des techniques sophistiquées.
Depuis plus de vingt ans, la maison d’édition
Manuel Moleiro, installée à Barcelone,
s’est lancée dans une aventure un peu folle.
Celle de rééditer en fac-similé, avec reliure
en cuir estampé et reproduction à l’identique
de tous les feuillets, quelques-uns des plus
grands manuscrits enluminés de l’histoire
de l’art (occidentaux et orientaux) tels que
les Grandes Heures d’Anne de Bretagne,
le Livre de chasse de Gaston Phébus ou la Bible
de saint Louis, mais aussi des atlas et portulans
anciens. Soit des «quasi originaux» selon
les mots de l’éditeur. Imprimés chacun
à 987 exemplaires et certifiés devant notaire,
ils sont le fruit d’un long et patient travail,
qui débute par des négociations parfois ardues
avec les grandes bibliothèques publiques
détentrices de ces trésors – celles-ci doivent
accepter de laisser photographier en très haute
définition tous les feuillets. Pour chaque
manuscrit «cloné», il faut donc un minimum
de deux ans de travail, souvent beaucoup plus,
afin de parvenir à la qualité de reproduction
souhaitée. Chaque ouvrage est par ailleurs
accompagné d’un épais volume de
transcriptions, commentaires et explications
de texte, confié à d’éminents spécialistes,
qui relève à lui seul du beau livre.
Folio 28 recto Folio 50 recto Le prix pour s’offrir de telles raretés est
Sa légende le prétend castor alors qu’il a tout du cervidé. Un étrange bestiaire, aussi sauvage à l’avenant, entre 2 000 et 20 000 €…
Normal : il s’agit en fait d’un chevrotain porte-musc. qu’incongru, vient enrichir cet album d’images Tractatus de Herbis (Sloane MS. 4016) rÊE.PMFJSP
Mais c’est le castor, recherché lui aussi pour ses précieuses toutes plus étonnantes les unes que les édition première, unique, numérotée et limitée
ÆFYFNQMBJSFTDFSUJàÊTQBSOPUBJSFrWPMVNF
sécrétions, qui est réputé pour s’émasculer en cas de autres. Pour preuve, en bas de ce feuillet, un
EFDPNNFOUBJSFTSÊEJHÊQBS"MBJO5PVXBJEFrQ
danger. Signe apparent de quelques-unes des multiples bien étrange éléphant velu au corps de chien www.moleiro.com
confusions et erreurs reproduites dans ce manuscrit. et aux défenses placées dans la gueule.
66 Beaux Arts
Folio 40 recto
À droite, le détail d’une
chatoyante amarante
tricolore, plante
comestible et réputée
immortelle.
RÉTROSPECTIVE / PALAIS DE TOKYO / DU 19 FÉVRIER AU 16 MAI
68 Beaux Arts
JEAN-MICHEL ALBEROLA
«UN ARTISTE DOUÉ,
C’EST UN ARTISTE QUI FAIT DON»
PEINTRE, AVENTURIER, UTOPISTE, PASSIONNÉ DE PHILOSOPHIE, JEAN-MICHEL ALBEROLA
EST UN ARTISTE ATYPIQUE, SECRET ET VIVANT EN RETRAIT, UNE SORTE DE PATRICK
MODIANO DE L’ART. PEU CONNU DU PUBLIC, ADORÉ PAR DE NOMBREUX ARTISTES, SON
TRAVAIL FAIT L’OBJET D’UNE RÉTROSPECTIVE AU PALAIS DE TOKYO, À PARIS. L’OCCA-
SION DE REDÉCOUVRIR L’ŒUVRE FOISONNANTE DE CET INFLUENT TOUCHE-À-TOUT.
lope au bec dans le bureau jauni d’un vénérable guère, et préfère livrer ses secrets à ses étudiants aux
Beaux Arts 69
RÉTROSPECTIVE / JEAN-MICHEL ALBEROLA
«JE VIENS APRÈS TOUT LE MONDE. JE N’INVENTE RIEN, JE FAIS JUSTE UN PAS DE CÔTÉ, D’UN MILLIMÈTRE.
J’AI UNE SORTE DE MACHINE DANS LA TÊTE, QUI CAPTURE.»
70 Beaux Arts
La Vision des habitants de Watts en 1965, I
Paupière supérieure, paupière inférieure. Soit une série de toiles mettant en abîme la question du regard. Toujours concerné par les questions sociétales, le peintre s’inspire ici des émeutes
raciales de Los Angeles, dans le quartier de Watts, en plein combat pour les droits civils. Mais il a aussi réalisé une toile à partir des récentes émeutes de Ferguson.
2015, huile sur toile, 130 x 97 cm.
Beaux Arts 71
RÉTROSPECTIVE / JEAN-MICHEL ALBEROLA
indices : «Je viens après tout le monde. Je n’invente rien, je Fétiche – Gardien
fais juste un pas de côté, d’un millimètre. J’ai une sorte de de l’enfance de tout
machine dans la tête, qui capture. Et j’établis des connexions, Inspiré d’un byeri
(statuette) de l’ethnie Fang
entre la littérature, les mathématiques, la peinture ; c’est un
du Gabon, ce reliquaire
montage permanent, méthode cubiste que m’a enseignée semble porter un secret.
l’Ulysse de Joyce...» Pour lui, le monde est ainsi, immense Celui de l’enfance de l’art ?
rhizome. À nous de faire nos propres connexions. «Moi je 2005-2008, peinture glycéro
fais la moitié du boulot, à vous de faire l’autre moitié.» sur statuette Ewé, 30 cm.
DE L’AQUARELLE AU CINÉMA
Parti arpenter les terres sordides d’Auschwitz, à la fin des
années 1980, Alberola en est revenu avec des aquarelles a
priori anodines, maisonnettes et champs de fleurs, qui
répondent à l’assertion du philosophe Theodor Adorno :
«Écrire un poème après Auschwitz est barbare.» Pour l’expo-
sition du Palais de Tokyo, il rêve de faire route vers Ibiza sur
les traces du philosophe et flâneur Walter Benjamin, et vers
Samoa, sur les pas de Stevenson, l’auteur de l’Île au trésor (un
autre de ses phares). Pour y chercher quoi ? «Je veux entrer
dans ce qu’ils ont vu, résume-t-il, lapidaire. Benjamin, parce
qu’il a écrit Expérience et pauvreté à Ibiza. Stevenson, parce qu’il
a défendu les indigènes contre l’occupant, malgré la maladie
et la fatigue. Et que j’adore sa manière d’amener différents
points de vue dans l’histoire, de privilégier les zones non dites.
Et puis, il faut bien que je me tire un peu, que je m’aère !»
Des escapades, il en fait aussi hors de la peinture. Notam-
ment vers le cinéma, son premier amour, auquel il revient
parfois, inspiré par ses maîtres : les très conceptuels Jean-
72 Beaux Arts
CI-DESSOUS
Non productif incontrôlable n° 6
Improductif et hors contrôle : telles sont
les immenses qualités que tout artiste
se doit d’avoir, semble nous dire cette toile
frappée de l’image d’un pingouin un peu
amoché, effigie chère à cet «anartiste».
IVJMFTVSUPJMF YDN
CI-DESSUS
Marie Straub & Danièle Huillet («mais je suis aussi ravi de
voir Mad Max», prévient-il), Godard ou John Ford, parce que
Self
UNE RÉTROSPECTIVE EN FORME DE RÉBUS
Faut-il voir dans cette toile
«tous ses films sont guidés par l’idée de communauté, et que
un autoportrait de l’artiste Son visage, vous ne le verrez pas : Alberola est un discret, et son œuvre
les gens y parlent aux morts». Lui-même est l’auteur d’une en clown triste ? Il s’agirait relève pour beaucoup du mystère, aussi essentielle soit-elle en regard
vidéo envoûtante tournée dans un village au fin fond des alors d’une des rares de l’histoire récente de l’art français. Voilà plus de vingt ans que
montagnes du Japon («Je voulais filmer l’espace, dit-il, me apparitions publiques ce peintre passionné autant d’économie que d’astronomie
mettre de gros problèmes pour avancer…»), ou, tout récem- de cet homme ou de mathématiques n’a pas eu de rétrospective à Paris : l’oubli
ment, d’un film tourné à Assise, en Italie, sur les traces de éminemment discret. est réparé par le Palais de Tokyo, qui poursuit son cycle de grandes
l’ascétique saint François. Mais surtout, depuis plus de IVJMFTVSUPJMF redécouvertes, après Julio Le Parc et Takis. L’occasion d’éclairer cette
24 x 19 cm.
quinze ans, il rêve de réaliser un long-métrage autour du Dis- peinture si cultivée, mais aussi de l’entourer de tous les néons, objets
cours de la servitude volontaire de La Boétie, pas moins. «Ce et installations réalisés par cet influent professeur aux Beaux-Arts de
serait une fiction, mais qui ne serait faite que de documen- Paris, dans une exposition composée comme un rébus philosophique.
Les amateurs pourront aussi repartir avec une page du Capital
taire, jamais vous ne saurez où vous êtes, s’amuse-t-il. Je veux
de Karl Marx, qu’Alberola signera chaque jour, en bel anarchiste.
filmer le bruit de l’histoire. De la Pologne nazie et commu-
«Jean-Michel Alberola – L’aventure des détails» du 19 février au 16 mai
niste aux printemps arabes». De gros problèmes pour avan- 1BMBJTEF5PLZPr BWFOVFEV1SÊTJEFOU8JMTPOr1BSJTr
cer ? On ne saurait mieux dire. Mais pour les traiter, Alberola www.palaisdetokyo.com
a cet immense atout, que résume joliment Jean de Loisy : À LIRE Jean-Michel Alberola – Tableaux par Catherine Grenier
«Dans ses mains fragiles, il sait porter l’art comme quelque ÊE'MBNNBSJPOrQré ÆQBSBÏUSFMFGÊWSJFS
chose d’infiniment précieux». Q
Beaux Arts 73
ÉVÉNEMENT / NOORDBRABANTS MUSEUM / DU 13 FÉVRIER AU 8 MAI
Fantastique et dépravé,
LE MONDE SELON BOSCH
SOUS LES DÉLICES, LES DÉMONS. PAS ÉTONNANT QUE SES TABLEAUX GROUILLENT DE VISIONS HAL-
LUCINATOIRES : BOSCH VOYAIT LE MAL PARTOUT. À L’OCCASION DES 500 ANS DE SA MORT, UNE
EXPOSITION ÉVÉNEMENT RASSEMBLE LA QUASI-TOTALITÉ DE SON ŒUVRE. DE QUOI OBSERVER DE
PLUS PRÈS LES OBSESSIONS DÉLIRANTES DE CE PEINTRE DE GÉNIE, CHÉRI DES SURRÉALISTES.
PAR DAPHNÉ BÉTARD
Le Jardin des délices [détail] Vers 1500-1505, triptyque, huile sur bois, 220 x 389 cm.
ÉVÉNEMENT / JÉRÔME BOSCH
n homme-arbre dont l’abdomen abrite flamands, les théories les plus folles courent à le grotesque, se moquent des vices des fidèles
76 Beaux Arts
ÉVÉNEMENT / JÉRÔME BOSCH
Le Jardin des délices [détail] Allégorie de la débauche et du plaisir [détail] Les Tentations de saint Antoine [détail]
Le Jardin des délices [détail] Le Jardin des délices [détail] Le Jugement dernier [détail]
et maisons royales européennes. C’est à elles hallucinantes, les éléments sont sens dessus d’un gecko – le lézard, surtout actif la nuit,
que seront destinés ses grands triptyques. Le dessous et le monde se retrouve à l’envers. Le craint donc la lumière divine. C’est encore lui
plus célèbre d’entre eux, le Jardin des délices, a été message est clair : gare à celui qui perd le qui se cache dans le Jardin des délices derrière ce
peint en 1503 pour Henri III, comte de Nassau contrôle de la raison, car il finira en enfer ! monstre bleu à tête d’oiseau assis sur un trône
et seigneur de Bréda. Vision édénique de l’hu- (au sens propre comme au sens familier du
manité avant le Déluge et l’enfer, il n’a d’égal LE DIABLE EST DANS LES DÉTAILS terme) en train d’engloutir et de déféquer
dans ses proportions et ses ambitions que le À la fin du Moyen Âge, le diable fait encore par- simultanément des hommes coupables de
Jugement dernier, exécuté en 1506 pour Philippe tie du quotidien, et l’enfer est une menace per- péchés divers et variés. Lucifer n’est jamais
le Beau roi de Castille, et les Tentations de saint manente pour chaque individu. L’œuvre de seul ; il est escorté d’une horde de démons per-
Antoine, premier grand triptyque (vers 1502), où Bosch s’inscrit dans cette perspective escha- vers et calomniateurs qui sont là pour diviser
la figure de l’ermite disparaît dans une foule de tologique et l’expression «le diable est dans les et pervertir les hommes. À l’image du messager
personnages tous plus effrayants les uns que les détails» prend ici tout son sens. Le Malin appa- diabolique à patins – au XVe siècle une expres-
autres. Et il faut redoubler d’attention pour raît sournoisement dans le tableau Saint Jean sion voulait que le monde se déplace à patins,
apercevoir le Christ rédempteur, être minus- l’évangéliste à Patmos sous la forme d’une créa- c’est-à-dire qu’il s’écarte du droit chemin – qui
cule au fond d’une ruine. Dans ces compositions ture grotesque dotée des pattes et de la queue surgit dans les Tentations de saint Antoine : cet
78 Beaux Arts
L’ŒUF, COQUILLE DU MALIN
«Le mal est déjà dans l’œuf», disait-on à l’époque. Le peintre reprend à son compte cet élément traditionnellement associé à la naissance du monde ou à l’alchimie pour en faire le réceptacle
du démon, être difforme chaussé de bottes, ou de corbeaux, symboles de mort et de cataclysme. Et quand ce groupe d’hommes veut y pénétrer, c’est pour y chercher, en vain, la rédemption.
Le Jugement dernier [détail] Le Jardin des délices [détail] Les Tentations de saint Antoine [détail]
être bossu à tête d’oiseau, coiffé d’un enton- leurs désirs, des chevaliers tournant en rond poignard pour le joueur, une main tranchée
noir, porte un rameau dénudé soulignant le autour d’un bassin, en proie à la confusion. La pour l’assassin ou une paire d’oreilles poignar-
desséchement de son esprit. Comme les luxure est ici associée à la gourmandise car, dées pour ceux qui avaient eu le malheur
autres, il symbolise le mal et le péché qui vous pour Bosch comme pour ses contemporains, d’écouter de la musique profane. Tout l’œuvre
conduisent, au mieux, au purgatoire, au pire, un péché en entraîne un autre. Dans le Jugement de Bosch est empreint de cette conception du
directement chez Satan. dernier, tous les péchés capitaux se trouvent monde. Et la faune et la flore peintes par l’ar-
ainsi réunis : la paresse gît sur un tonneau, la tiste sont elles aussi truffées de références à la
UN SCARABÉE COPIÉ PAR DALÍ colère est symbolisée par une lame de couteau perdition de l’homme et aux tentations qui
C’est ce qui arrive aux hommes coupables de brandie, la luxure prend la forme d’une femme jalonnent le chemin de sa vie. Ses oiseaux sont
luxure dans le Jardin des délices, où l’artiste a à l’entrée d’une auberge, la gourmandise est pareils à des âmes plus ou moins égarées selon
décliné les multiples possibilités de l’amour déjà en train de frire à la poêle pour être dévo- leur attitude et leur position dans le ciel. Par-
charnel – le couple dans la bulle pour l’hétéro- rée… À cette époque où les châtiments corpo- fois, ils désignent des travers humains précis.
sexualité, les deux hommes agenouillés dont rels étaient couramment pratiqués, les sup- C’est le cas de la huppe du Jardin des délices,
l’un a des fleurs plantées dans l’anus pour plices étaient dirigés sur la partie du corps par oiseau splendide mais ayant la réputation d’être
l’homosexualité et, au centre, possédés par laquelle on avait péché : une main percée d’un malpropre (pour protéger son nid, la femelle
Beaux Arts 79
ÉVÉNEMENT / JÉRÔME BOSCH
80 Beaux Arts
ÉVÉNEMENT / JÉRÔME BOSCH
Le Chariot de foin
À la fin du Moyen Âge, le motif de l’herbe sèche fait allusion
à la vanité de l’homme et à la fugacité de l’existence.
Considéré comme une valeur absolue, le foin séduit toutes
les classes sociales : paysans, moines, nobles, bourgeois
et même l’empereur et le pape. Au risque de finir en enfer…
Vers 1555, triptyque, huile sur bois, 147 x 212 cm.
À LIRE
Catalogue QBS.BUUIJKT*MTJOL+PT,PMEFXFJKrDPÊE
/PPSECSBCBOUT.VTFVN.FSDBUPSGPOETrQr é
Bosch – Le Jardin des délices par Reindert Falkenburg
ÊE)B[BOrQré
82 Beaux Arts
Beaux Arts 83
ÉVÉNEMENT / JÉRÔME BOSCH
ANALYSE D’ŒUVRE
À GAUCHE
La Mort
de l’avare
Vers 1485-1490,
huile sur bois,
93 x 31 cm.
84 Beaux Arts
UN CIEL SOUS UN NOUVEAU JOUR LE DÉTAIL LE PLUS CHOUETTE
Le nettoyage de l’œuvre a redonné sa luminosité au paysage qui se déploie à C’est un des signes distinctifs de l’artiste : la chouette (chevêche, pour être exact)
l’arrière-plan avec sa belle ligne d’horizon bleutée et quelques vestiges d’éléments apparaît régulièrement dans l’œuvre de Bosch, notamment dans le Jardin des
architecturaux à peine visibles car usés par le temps. Cette construction subtile délices. Oiseau de la sagesse dans l’Antiquité grecque, elle devient pour l’Occi-
du paysage est typique de la manière flamande et montre la virtuosité de cet dent médiéval un animal maléfique, symbole de fourberie, d’aveuglement et de
artiste capable de transcrire les effets de l’atmosphère avec une peinture très mensonge. Équivalent du serpent de l’arbre de la connaissance, elle incarne
diluée (et donc plus fragile). Satan et ses maléfices qui détournent le fidèle du droit chemin.
Beaux Arts 85
REPORTAGE
CHINE CONTEMPORAINE
EN ATTENDANT L’EXPOSITION QUI LEUR EST DÉDIÉE À LA FONDATION VUITTON, BEAUX ARTS EST PARTI À
LA RENCONTRE DES PEINTRES, SCULPTEURS ET VIDÉASTES LES PLUS EXALTANTS DE LA RÉPUBLIQUE
POPULAIRE. REPORTAGE À PÉKIN ET SHANGHAI, EN PLEIN TSUNAMI ENVIRONNEMENTAL ET CULTUREL…
PAR FABRICE BOUSTEAU
CAO FEI
RMB City – A Second Life Planning
2007, vidéo, 6 min.
a Chine compterait pas moins de ser un panorama exhaustif de la création «Bentu – Des artistes chinois dans la turbu-
CAO FEI RMB City – A Second Life Planning 2007, vidéo, 6 min.
Vendredi 11 décembre 2015, comme à celui d’il y a un ou plusieurs siècles, par sa vidéo intitulée i.Mirror, dans laquelle
surlendemain de la plus grande est devenu un truc très tendance. En tout cas elle suit son avatar dans le monde virtuel de
alerte à la pollution jamais très nouveau car depuis vingt ans, on ne fait Second Life, mais aussi par RMB City, film
connue à Pékin : le ciel est que détruire pour reconstruire ! Cette restau- d’animation sur une ville imaginaire ressem-
désormais incroyablement bleu et l’air se res- ration ne manque d’ailleurs pas d’intérêt car blant à un gigantesque parc d’attractions, sur
pire tranquillement… bien que la plupart des cet espace des années 1980 évoque ceux que fond de musique happy, mais qui n’échappe pas
passants portent encore un masque. Nous l’on trouvait en France dans les années 1960… aux maux de la Chine actuelle, de la pollution
sommes devant un bâtiment à deux étages, Fille d’un sculpteur officiel (qui a notamment à l’exploitation des travailleurs. Un Disney
banal, dans une rue tranquille de la mégapole. réalisé des effigies de Deng Xiaoping, numéro 1 World du futur, mâtiné d’un brin d’acidité
Depuis deux mois, l’artiste Cao Fei y a investi du régime de 1978 à 1992), Cao Fei appartient façon Alice au pays des merveilles et d’une pointe
un ancien «théâtre-cinéma» pour en faire son à la génération «néo-néo», celle de l’après- de Mad Max ! Maîtrisant parfaitement son
studio. Elle en commence la visite en montrant Tian’anmen. Une génération tout à la fois discours et témoignant d’une grande précision
fièrement le petit bureau et la cuisine qu’elle a hyperglobale et hyperchinoise. Comme sur dans ses explications, Cao Fei décrypte quasi
«restaurés à l’identique». En Chine, s’intéresser toute la planète, la révolution porte un nom : sociologiquement l’évolution des mœurs de
au patrimoine des dix dernières années, Internet. Cao Fei s’est ainsi fait remarquer son pays. Notamment la sexualité, comme en
88 Beaux Arts
CAO FEI
Née en 1978.
Cao Fei en 2015 dans son atelier, un ancien cinéma de Pékin.
Vit et travaille à Pékin.
HAO LIANG The Virtuose Being [détail] 2015, encre et peinture sur soie, 40 x 1312 cm (dimension du rouleau).
Beaux Arts 89
REPORTAGE / LA NOUVELLE SCÈNE CHINOISE
LIU WEI Liberation No.16 2014, huile sur toile, 400 x 720 cm.
90 Beaux Arts
XU QU Currency Wars 2015, installation.
Beaux Arts 91
REPORTAGE / LA NOUVELLE SCÈNE CHINOISE
92 Beaux Arts
Vue de l’exposition «Gu Dexin – The Important
Thing Is not the Meat» en 2012 à l’UCCA (Ullens
Center for Contemporary Art), à Pékin.
REPORTAGE / LA NOUVELLE SCÈNE CHINOISE
94 Beaux Arts
YAN FUDONG The Coloured Sky – New Women II 2014, installation vidéo, 15’ 48’’.
REPORTAGE / LA NOUVELLE SCÈNE CHINOISE
96 Beaux Arts
conseillé à mes parents de m’orienter dans ce en Chine et ailleurs ; j’ai un grand accès à ce qui
domaine. J’imaginais devenir peintre, mais se passe à l’étranger. Je regarde tout. D’ailleurs,
sûrement pas ce que je suis aujourd’hui. J’ai seu- il ne s’agit pas d’aimer ou de ne pas aimer. C’est
lement un peu étudié le graphisme au lycée, sans comme pour une femme : quand on la connaît
aller à l’université. C’est la culture générale qui bien, on ne se pose plus la question de l’aimer
a ouvert mon esprit. ou non.
Vous n’avez donc pas fait d’école d’art ? Estimez-vous que votre culture chinoise
J’ai commencé à 20 ans à faire mes premières vous rend différent d’un artiste occidental
vidéos. Je me suis rendu compte très vite que les ou même indien ?
œuvres d’art n’étaient pas forcément belles, Oui, bien sûr, nous sommes tous très différents.
qu’elles pouvaient aussi être critiques. En Aujourd’hui, les Chinois sont un peu tous fous
chinois, le mot «beaux» précède toujours le mot et je suis l’un des plus fous d’entre eux. Et cela
«arts», mais j’ai trouvé que ce n’était pas toujours deviendra de plus en plus fort. Un jour, on vole
le cas et qu’il était donc inutile de fréquenter une serviette et personne ne dit rien, le lende-
l’école des Beaux-Arts ! main, on vole une table ou une maison et per-
sonne ne dit rien… Aujourd’hui, chacun est un
Que faisaient vos parents ? peu dans cet état d’esprit : tout est possible !
Ma mère était institutrice en maternelle, mon
père ouvrier. Le fait que ma mère soit dans l’en- Pour vous, à quoi sert un artiste ?
seignement a dû jouer un peu. Les artistes jouent plusieurs rôles. Cela dépend
de ce que chacun recherche. Ils ont un rôle
Quels sont les artistes vivants d’éveil mais ils doivent aussi contrer l’ordinaire,
que vous appréciez ? la routine. L’art m’amuse en tout cas ! Q
À part les artistes habituels que tous les Chinois
apprécient, Warhol, Beuys, etc., et les jeunes
artistes de la génération Internet, j’essaie de
me tenir au courant de tout. Je ne retiens pas les
noms étrangers mais je les connais à peu près
tous. Nous avons une sorte de forum Internet
appelé Art Baba sur lequel sur lequel sont postés
différents articles sur des expositions ayant lieu
À GAUCHE
DOMINIQUE BERTAIL Hommage à Katsuhiro Otomo (Akira), 2015
Le dessinateur français Dominique Bertail fait partie des nombreux auteurs qui ont rendu
hommage à Katsuhiro Otomo, le créateur d’Akira. Au second plan, la fameuse moto du héros
Kaneda, dont une réplique sera présentée à Angoulême (on la retrouve aussi page de droite).
À DROITE
KATSUHIRO OTOMO Visuel de l’affiche créée pour le festival d’Angoulême 2016 [détail]
Aujourd’hui concentré sur ses films d’animation, Otomo a repris ses crayons pour
composer cette illustration pour le festival. Une image qui évoque la peinture classique japonaise.
Et aussi Arzach, célèbre personnage de Moebius, qui flotte en haut du dessin.
98 Beaux Arts
BANDE DESSINÉE / FESTIVAL D’ANGOULÊME
VIVÈS, MONTAIGNE,
DURPAIRE & BOUDJELLAL…
LES TALENTS
À SUIVRE
Près de 6 000 bandes dessinées de toute
nature sont publiées chaque année. En
1975, c’était quelques centaines. C’est dire
que la BD connaît, depuis les années 1990
au moins, un véritable âge d’or en termes
de production. Est-ce aussi vrai du point de
vue de la qualité ? Pas toujours, bien sûr.
Reste que de nombreux auteurs, hommes
et femmes, se sont affirmés ces dernières
années avec des titres dignes d’intérêt, qui
n’ont rien à envier à la génération historique
de la bande dessinée indépendante des
années 1990 : Bastien Vivès ou Marion
Montaigne, par exemple. Cela dit, c’est tou-
jours aussi difficile pour un jeune auteur de
percer. Selon l’éditeur Guy Delcourt, «le
marché de la bande dessinée est en pro-
gression constante mais il est de moins en
moins lisible. Il y a deux tendances fortes :
les déclinaisons de séries avec le énième
spin off de XIII ou la reprise de Corto
Maltese, voire Blake et Mortimer, et puis
des succès plus atypiques comme les
romans graphiques de Riad Sattouf ou la
Présidente de Farid Boudjellal & François
Durpaire». La réussite de ce dernier titre, un
scénario de politique-fiction qui imagine
Marine Le Pen au pouvoir, a surpris tout le
monde. Comme l’Arabe du futur de Riad
Sattouf (éd. Allary), la Présidente est publiée
par un éditeur généraliste qui ne faisait pas
de BD auparavant. La preuve que le succès
du 9e art en librairie aiguise les appétits.
Cowboy Henk – L’art actuel par Herr Seele & Kamagurka Cher pays de notre enfance par Étienne Davodeau
ÊE'SÊNPLrQré & Benoît Collombat ÊE'VUVSPQPMJTrQré
Tel qu’en lui-même enfin par Patrice Killoffer Olympia par Bastien Vivès et Ruppert & Mulot
ÊE-"TTPDJBUJPOrQré ÊE%VQVJTrQr é
6 LE PLUS FANTASTIQUE
On connaissait le théoricien, auteur d’un remarquable ouvrage de vulgarisation de
LES la bande dessinée en BD, Understanding Comics (Comprendre la bande dessinée),
7 MEILLEURS dont le succès poussa l’auteur à décliner son sujet. C’est dire si Scott McCloud, en
abordant la fiction, était attendu au tournant. Selon lui, tout aspirant dessinateur
ALBUMS DE doit franchir six étapes avant de parvenir au sommet de son art : apparence, tech-
L’ANNÉE nique, structure, idiome («pourquoi est-ce que je fais
ça ?»), etc. Pari réussi avec cette somme narrant la
vie d’un sculpteur qui, ayant connu son heure de
gloire, est déclassé par une nouvelle génération.
Soudain investi de superpouvoirs, il devient une sorte
de Super-Banksy et transforme la ville tout entière en
œuvre d’art. Un scénario qui finira mal, évidemment,
et qui a déjà été acheté par Sony pour en faire un film.
Deux frères par Gabriel Bá & Fábio Moon L’Île Louvre par Florent Chavouet
ÊE6SCBO$PNJDTrQr é DPÊE'VUVSPQPMJT.VTÊFEV-PVWSFrQré
2. DES ŒUVRES
POUR INCARNER LES ESPRITS
Depuis la nuit des temps, l’homme crée des œuvres à son image. Statuettes,
monolithes, amulettes ou sculptures lui empruntent sa silhouette, sa morpho-
logie, un regard, une expression… Ces objets ont, dans de nombreuses socié-
tés, un statut de quasi-personnes et ils sont le plus souvent convoqués lors de
rituels où ils rendent «présent» l’être incarné. On les retrouve aux quatre coins
du monde. Notamment chez les peuples mongols où les ongon, petites effigies
d’esprits d’animaux, servent d’intercesseurs auprès de l’esprit de la forêt afin
qu’il les aide à la chasse. En Alaska, où les fameux masques yupik étaient utili-
sés lors de rituels d’hiver afin de célébrer les âmes des animaux pour qu’ils conti-
nuent à se laisser attraper sans difficulté. Ou encore au Mali, où les Bambaras
confectionnent des sculptures de bois qui perpétuent le lien avec les ancêtres.
Les exemples de ces objets «humanisés» sont nombreux. Les hommes les
rendent attractifs, émouvants, jusqu’au point au-delà duquel, comme le souli-
gnait Mori, ils deviennent effrayants.
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Faut-il que nos artefacts nous ressemblent ? Oui, conçu comme un dispositif immersif électro- le premier robot d’un dieu, Ganesh. S’appuyant
mais pas trop. Depuis quarante ans, les roboti- mécanique et multisensoriel. Côté musée, le sur un système audiovisuel sophistiqué, chacun
ciens ne dérogent pas à la règle et conçoivent Quai Branly avait créé en 2011 son propre robot, pouvait se retrouver dans la peau du dieu à tête
des machines qui assistent des personnes âgées Berenson, un humanoïde amateur d’art très d’éléphant et donner des conseils aux passants.
ou handicapées et des compagnons affectueux sympathique qui déambulait dans les espaces du Ou comment brouiller définitivement les fron-
au service de mille et une activités quotidiennes. musée et s’adressait aux visiteurs. La plupart tières entre l’individu, la machine et les dieux.
Il y en a pour tous les goûts, pour tous les âges. d’entre eux l’accueillaient avec bienveillance, La question soulevée par Grimaud est simple :
Dans la série des jouets pour adultes, le s’adressant à lui comme à une personne. À Bom- de quoi voulons-nous nous entourer dans l’ave-
Nooscaphe-X, impressionnante machine à bay, Emmanuel Grimaud et l’artiste Zaven Paré nir ? La réponse, complexe et multiple, nous
vocation sexuelle issue du cyberespace, a été ont poussé l’expérience plus loin avec Bappa 2.0, concerne tous.
«Le robot», strip-tease de fête foraine DENIS VIDAL & PHILIPPE GAUSSIER Berenson, robot «amateur d’art»
C’est un vieux fantasme de la science-fiction : le robot humanoïde, déjà présent dans Metropolis Vous l’avez peut-être déjà croisé au détour d’une des allées du Quai Branly. Berenson est
de Fritz Lang, laisse la porte ouverte aux rêves les plus inavouables. un robot conçu en 2011 pour entrer en connexion avec les visiteurs.
7FST QIPUPHSBQIJF TFSWPNPUFVST NPUFVST PSEJOBUFVS DBQUFVST DBNÊSBT CPJT WËUFNFOUT YDN
n chaton sur les écrans de Times Square. ultraprécaire ? C’est que, de 1979 à 2012, ce duo
«AU DÉBUT, LE VISITEUR EST
U Oui, juste un petit chat tout mignon, qui
lape du lait dans un film on ne peut plus
bêta, et se retrouve en ce mois de février projeté
zurichois a donné naissance à un corpus très
sophistiqué de vidéos, sculptures, photogra-
phies. S’inspirant du ready-made comme de la
VICTIME DE LUI-MÊME ET DE
en lieu et place des habituelles annonces cryp-
tiques de Wall Street et des pubs fanfaronnes
production hollywoodienne, des pratiques
amateurs ou du regard des touristes, leur œuvre
SES RÉFLEXES. ET PEU À PEU,
vendant le dernier musical de Broadway. Le genre a eu un retentissement considérable sur nombre UNE QUESTION ÉMERGE :
d’exploit absurde dont se régalent Fischli &
Weiss, deux plasticiens suisses qui, pendant plus
de leurs homologues autant que sur les commis-
saires d’exposition les plus prescripteurs, de “PUIS-JE M’AUTORISER CELA ?
de trente ans, ont déjoué les codes du monde Caroline Bourgeois à Hans Ulrich Obrist, pour EST-CE QUE JE SOUFFRE DE
BON GOÛT ?”» PETER FISCHLI
moderne et démythifié ceux de l’art contempo- qui ils ont été de véritables révélations. La défi-
rain. Seul Peter Fischli se réjouira de la blague : nir tient de la gageure : elle relève à la fois de
son acolyte David Weiss est mort en 2012. Mais l’ironie facétieuse, de la farce philosophique,
il doit certainement sourire en coin, de là où il d’un perturbant illusionnisme. Fischli définit
est, à voir leur colossale rétrospective au Gug- ainsi leur quête : «Superposer le plaisant et le pour produire quelque chose qui ne l’est défini-
genheim de New York annoncée par une image déplaisant en une sorte de folie magnifique et tivement pas», souligne l’institution new-yor-
si stupide, à l’écho démultiplié par cette projec- fiévreuse, qui explose en de multiples possibili- kaise qui les accueille. Leur art, finalement, est
tion dans le haut lieu de l’American way of life. tés d’interprétation.» «une attaque surprise», comme ils le définis-
Comment donc, demanderez-vous, ces deux Déjouer les certitudes, du quidam ou de l’ama- saient. «Au début, le visiteur est victime de lui-
lascars ont-ils pu être si influents en produisant teur d’art : ils n’avaient pas d’autre moteur au fil même et de ses réflexes. Et peu à peu, une ques-
de telles œuvres ? En photographiant des fleurs de leur hétéroclite parcours, ponctué de points tion émerge : “Puis-je m’autoriser cela ? Est-ce
trop sophistiquées et des aéroports trop vides ? d’interrogation plutôt que d’assertions. Leur que je souffre de bon goût ?”», s’amuse Fischli.
En copiant en un spectaculaire mimétisme leur méthode ? «Une rêverie concentrée», nous Et Weiss de prolonger : «Le critique d’art Jean-
atelier laissé en friche, fac-similé où chacun des expliquaient-ils, alors que nous les avions ren- Christophe Ammann disait : “L’art commence
(750 !) objets se voit reproduit en polyuréthane, contrés pour leur exposition au musée d’Art là où finit le bon goût.”» Et Fischli de rétorquer :
à l’identique ? En superposant les choses les plus moderne de la Ville de Paris en 2007. «En alchi- «Tu es sûr ? Il ne voulait pas dire : “L’art s’arrête
quotidiennes en des assemblages à l’équilibre mistes, Fischli & Weiss transforment l’ordinaire là où le bon goût commence” ?»
PAGE DE GAUCHE
Théorie + Praxis
Dans cette vaste encyclopédie
visuelle, Fischli & Weiss
donnent forme, dans l’argile
et avec beaucoup d’humour,
à tout leur savoir, le b. a.-ba
du marxisme.
1981, argile non cuite.
Rock on Top
of Another Rock’
Une question de stabilité.
Cette œuvre est l’une des
dernières réalisées par le duo
pour la Serpentine Gallery
de Londres, dans le parc
de Kensington.
2010-2013, vue de l’installation
dans Kensington Gardens.
CI-DESSUS
Projection 1 (Fall)
«Dans cette série, ils insistent
sur le plaisir, le sensuel délice
des fleurs comme motif, réalisant
leur travail le plus désarmant
et le plus convaincant», écrit le
critique d’art Robert Fleck.
1997, deux jeux de 162 diapositives,
deux carousels, dimensions variables.
CI-CONTRE
Hostesses
Amoureux des avions autant
que des voyages, les deux compères
ont à plusieurs reprises sculpté
des silhouettes d’hôtesses de l’air,
presque grandeur nature.
1987-2012, aluminium et peinture,
60 x 110 x 150 cm.
Animal
Un animal tout mignon, avec deux
trous pour les yeux, et un pour
l’anus. Le principe ? Coller l’œil
à ce dernier, pour observer
la bête souriant de l’intérieur !
1986 (issu des Grey Sculptures,
1984-1986 / 2006-2008),
polyuréthane, peinture et tissu,
45 x 50 x 85 cm.
2 EN MARTINIQUE, LA FONDATION
CLÉMENT VOIT GRAND
Acier inoxydable perforé et gaufré, pierre de lave, charpente métallique,
moucharabiehs de béton… Installée au sein de l’Habitation Clément, maison
de rhum centenaire, classée monument historique depuis 1996, la fondation
Clément inaugure de nouveaux espaces sur l’ancien site d’embouteillage.
Un projet signé par le cabinet d’architectes Reichen & Robert. Depuis sa création,
la fondation d’entreprise a soutenu plus de 160 artistes caribéens. En ouverture,
le 24 janvier, une exposition «Hervé Télémaque», conçue par le Centre Pompidou,
la toute première monographie de l’artiste dans les Caraïbes.
www.fondation-clement.org
À PARIS, FEU VERT Paris aura son «musée des maths», projet cher au mathématicien Cédric Villani, médaillé Fields en 2010 et directeur
4 POUR UN MUSÉE
DES MATHÉMATIQUES
de l’Institut Henri Poincaré (IHP). La ville va en effet verser huit millions d’euros afin d’agrandir et moderniser l’IHP situé
sur la montagne Sainte-Geneviève, dans le Ve arrondissement. Les travaux doivent débuter en 2017, pour une livraison
en 2020. Dans un espace de 500 m2, le lieu, conçu autour du thème «Maths et société», vise à diffuser cette discipline
auprès du grand public. Coût de l’opération : 14 M€, financés par la ville, le CNRS, l’État et la région Île-de-France.
Sont attendus 50 000 visiteurs annuels.
Vue de l’exposition «Ailleurs, ici» avec, à gauche, Sans titre de Thierry Lefébure
FU ÆESPJUF VOFNBRVFUUFEVCBUFBVle Superbe de la flotte royale française
du XVIIIeTJÍDMF SÊBMJTÊFEBOTMFTBUFMJFST1#BVXFOTÆMÏMF.BVSJDFFO
QUIMPER LE QUARTIER
j-FTDPMMFDUJPOTEVQSJODFEF-JFDIUFOTUFJOv
SVF+PTFQI$BCBTTPMr j'FSUJMF-BOETvr SVF#PJTTZE"OHMBTr j.BUUPUUJm*OàOJvrSVFEFT$BQVDJOTr
rXXXDBVNPOUDFOUSFEBSUDPN rXXXGPOEBUJPOFOUSFQSJTFSJDBSEDPN rXXXGPOETDVMUVSFMMFDMFSDGS
ANTONI TAULÉ
Table rouge, 2015
«Taulé Interior»
> Institut Cervantès
7, rue Quentin Bauchart
75008
01 40 70 92 92
http://paris.cervantes.es
> Galerie Boa
SVFE"SUPJTr
01 45 63 77 41
www.galerieboa.com
> Photo 12 Galerie
14, rue des Jardins
4BJOU1BVMr
01 42 78 24 21
www.galerie-photo12.com
9 Hors-série Beaux Arts
ÊEJUJPOTrQré
Nombre Cumul
EXPOSITIONS Lieux d’entrées des
par jour entrées
ANALYSE
Osiris – Mystères engloutis d’Égypte Institut du monde arabe,
1 545 170 000
L’exposition qui met en lumière les dernières découvertes issues des fouilles sous-marines
Du 8 septembre au 31 janvier Paris dirigées dans la baie d’Aboukir rencontre un très beau succès.
1"3*4rMusée de Montmartre
De 1912 à 1926, Suzanne Valadon s’installe dans
l’atelier du 12, rue Cortot avec son fils Maurice Utrillo
et son compagnon André Utter. Ceux que l’on appellera
rapidement le «trio infernal» vivront là une sorte
de huis clos artistique, dans cet atelier-théâtre au quotidien
ponctué de disputes et d’éclats. Il sera également
un lieu d’émulation où chacun des artistes se renouvellera
et où Suzanne Valadon aura le plus produit. Après
la séparation, Utter y restera alors que les deux autres
déménageront avenue Junot, non loin de là.
«Suzanne Valadon, Maurice Utrillo, André Utter :
12, rue Cortot» jusqu’au 13 mars
SVF$PSUPUrr
www.museedemontmartre.fr
SAINT-PIERRE-DE-VARENGEVILLE
C’est la rencontre de deux maîtres : l’un de la lumière noire, l’autre de la JESUS RAFAEL SOTO
Doble progresion
Centre d’art contemporain de la Matmut
couleur en mouvement. Dans le magnifique musée Soulages de Rodez, azul y negra Deux photographes, deux univers que tout semble
Jesús Rafael Soto (1923-2005) a trouvé abri cet hiver. Et leur duo fonc- opposer. Camille Doligez multiplie les arrêts sur image
tionne à merveille, tout en contrastes. Quand le peintre de l’Outrenoir de sa ville en autant de cadrages serrés de devantures,
exige une lente contemplation, c’est un corps en mouvement que solli- de rares objets derrière des vitres ou de reflets
cite le fameux cinétique vénézuélien. Imaginés à la fin des années 1960, où les éléments se superposent. Jean Gaumy est attiré
ses Pénétrables invitent à une danse entre leurs mille lianes de plastique. par les grands espaces où la nature est puissante,
Mais les œuvres «intouchables» imposent elles aussi une chorégraphie : de la vallée normande aux terres glacées arctiques.
celle, plus sereine, du regard. Constituées de centaines de piques colo- Et pourtant, on retrouve le même silence, l’absence de
l’homme et une immobilité poétique.
rées, fichées au sol ou au plafond dans un rythme implacable, ses sculp-
«Camille Doligez & Jean Gaumy
tures se renouvellent au moindre clignement d’œil, déjouant notre capa- Derrière les apparences / Les formes du chaos»
cité à envisager ces formes vibratiles. Difficile de cesser cette ronde KVTRVBVBWSJMr SVFEV$IÄUFBV
autour d’elles. Y convient pourtant des toiles plus anciennes ; elles per- rrXXXNBUNVUQPVSMFTBSUTGS
mettent d’envisager combien cet exilé magnifique, qui a fait de la France
sa patrie dès les années 1950, s’inspirera toute sa vie de la touffeur de son 4°5&rMusée Paul Valéry
pays natal, qui fait vaciller les lignes : c’est elle, sans doute, qui confère à Des bois de cerf et de zébu émergent d’une accumulation
chaque œuvre ces irradiations en perpétuel recommencement, inspirées minérale où sont posées des étoiles de mer et se côtoient
de Moholy-Nagy et de Mondrian. Célébré l’an passé au Centre Pompidou des caïmans, un éléphant et des poissons exotiques.
grâce à la belle donation de la famille, Soto revit après les décennies de Mi-inquiétante, mi-fantastique, cette installation évoquant
«Jesús Rafael Soto le cabinet de curiosités de Rodolphe II de Habsbourg
purgatoire infligées à lui et ses pairs de l’art cinétique, pour l’immense Une rétrospective»
plaisir des visiteurs. «Il aimait dire que son art n’est pas art du mouve- jardin du Foirail
nous précipite au pays des merveilles de l’artiste et poète
avenue Victor Hugo Jean-Luc Parant. Où tout n’est qu’une question de regard
ment, mais de l’instabilité, souligne le commissaire de l’exposition
12000 et de mémoire...
Mathieu Poirier. La plupart de ses œuvres ne sont pas mobiles, c’est au
05 65 73 82 60 «Jean-Luc Parant – Mémoire du merveilleux»
spectateur de l’être. Il nous rappelle ainsi que nous ne sommes pas des musee-soulages. KVTRVBVGÊWSJFSSVF'SBOÉPJT%FTOPZFSr
yeux plantés sur un piquet, mais un corps mobile que l’œil sollicite.» E. L. rodezagglo.fr rXXXNVTFFQBVMWBMFSZTFUFGS
1 GALERIE
THADDAEUS ROPAC
Il nous a tout fait, à nous et à notre environnement quotidien. Il nous a mis des cornichons dans le nez, a fait exploser
d’obésité nos bolides automobiles, a rétréci nos maisons, fait fondre nos voiliers… Bref, l’Autrichien Erwin Wurm s’attaque
à tout ce qui compose notre cadre de vie de tous les jours, pour le faire vaciller vers cette «inquiétante étrangeté» qu’a
ERWIN WURM
théorisée son concitoyen le docteur Sigmund. Que va-t-il donc inventer pour cette nouvelle exposition à la galerie Thaddaeus
DÉFONCE LES FORMES Ropac, intitulée «Lost» ? Le facétieux plasticien continue de s’attaquer aux formes domestiques les plus simples :
«Erwin Wurm – Lost» jusqu’au 5 mars un distributeur à savon, une horloge, une chaise longue ou un fauteuil. Mais il se targue de remettre en question le principe
SVF%FCFMMFZNFr1BSJT même de leur matérialité, en se revendiquant d’Aristote. À savoir ? Leur contenu vient par exemple s’exprimer à la surface,
rIUUQSPQBDOFU
révélant le secret de leur intériorité. Soit une formalisation plastique de la figure de style bien connue de la synecdoque,
où la partie vaut pour le tout, le contenu pour le contenant. C’est ainsi qu’un frigo prend la teinte jaunâtre du beurre
qu’il contient. Mais l’artiste célèbre pour ses One Minute Sculptures, où il transforme des quidams en sculptures éphémères,
attifées de toutes sortes d’objets farfelus, a cette fois pris aussi comme cobaye des objets porteurs d’une charge historique,
plutôt que de banals artefacts. Une nostalgie inattendue vient teinter ces productions, qu’il a d’abord moulées en argile,
avant de s’asseoir ou de marcher dessus, afin qu’elles prennent l’empreinte de son corps. Le résultat est ensuite fondu
dans le bronze ou le polyester. Fondu, c’est le cas de le dire… Emmanuelle Lequeux
1"3*4r(BMFSJF#FUUJOB
2 GALERIE
ART : CONCEPT
Bleu est le ciel que met en scène Marie Benattar
dans ses photographies, théâtre d’onirisme
DES ARTISTES et d’humour. La symbolique de cette couleur
ET DES SPECTRES a évolué au fil du temps : attribuée aux barbares
dans l’Antiquité, à la Vierge au Moyen Âge,
Il y a du fantôme dans tout cela. Ils hantent les dessins elle est aujourd’hui celle de la sérénité pour
d’Ulla von Brandenburg, dont on connaît les films Seon Kang Wolter. «B comme… bleu»
et théâtres ésotériques, mais dont les pastels, à travers est la première exposition d’une trilogie
leurs coulures, évoquent eux aussi le bord d’un autre que la galerie Bettina développe autour
monde, et les danses d’un ancien temps. Spectres de la couleur comme langage.
un brin grotesques chez Francis Upritchard, avec leurs «B comme… bleu» jusqu’au 12 mars
mines jaunes ou vertes et leurs vieux linceuls à carreaux SVF#POBQBSUFr1BSJT
écossais. Et chez Haris Epaminonda, les voilà à l’état rXXXHBMFSJFCFUUJOBDPN
de palimpseste. La jeune artiste d’origine chypriote,
qui vient de réaliser l’une des plus belles expositions 1"3*4r(BMFSJF$BUIFSJOF)PVBSE
de l’année au Plateau à Paris, sait convoquer dans Quels seront les artistes de demain ? La galerie
ses objets tout en minimalisme une charge sourde : Catherine Houard tente de répondre à cette question
des statuettes de l’Indus dialoguent avec quelques avec ce nouveau rendez-vous annuel pour lequel
plaques de métal, et dans un simple luminaire un artiste reconnu pose son regard sur la jeune
surgit le visage casqué d’Agamemnon et son cortège création. Jean-Michel Alberola, le premier commissaire
tragique. Bref, une exposition habitée. &- invité, a retenu le travail de quatre artistes :
j6MMBWPO#SBOEFOCVSH )BSJT&QBNJOPOEB Alexandre Bour, Joël Degbo, Laure Rafélis de Broves
'SBODJT6QSJUDIBSEvKVTRVBVGÊWSJFS et Madeleine Roger-Lacan. Qu’en conclure ?
QBTTBHF4BJOUF"WPZFr1BSJTr Le retour en force d’une peinture décomplexée.
XXXHBMFSJFBSUDPODFQUDPN j-FTSFOEF[WPVTEFGÊWSJFSvEVGÊWSJFS
BVBWSJMr SVF4BJOU#FOPÏUr1BSJT
'3"/$*4613*5$)"3%Tree rXXXDBUIFSJOFIPVBSEDPN
1"3*4r(BMFSJF'FMMJ
À quoi rêvent les êtres de Marc Perez ? Ces hommes
aux jambes filiformes ont tous la tête levée vers le ciel,
comme contraints par un destin qu’ils subissent.
Ployant sous le poids de fardeaux démesurés, ils sont
des Sisyphe modernes dépassés par l’absurdité
de la condition humaine. À l’occasion de la parution
d’une monographie, cette exposition retrace le
parcours de l’artiste depuis ses premières peintures
dans les années 1980.
j.BSD1FSF[vEVBVGÊWSJFS
SVF7JFJMMFEV5FNQMFr1BSJT
rXXXHBMFSJFGFMMJDPN
1"3*4r(BMFSJF.BUIJBT$PVMMBVE
3 GALERIE
MARIAN GOODMAN
Souviens-toi de moi, souviens-toi de moi… C’est comme un
murmure, repris jusqu’à l’obsession. Écrit à la lumière noire de néons
illuminant le mur plus que la salle, ce poème sec est composé
Le profil du sexisme a changé, devenu plus
insidieux. Les femmes ont remporté de nombreuses
STEVE McQUEEN, victoires pour leurs droits, leur liberté, leur ambition
de dizaines d’écritures. Celles d’anonymes à qui Steve McQueen a mais le travail à faire est encore conséquent.
LA MORT AUX CARAÏBES demandé cet autographe. Comme si on avait pu oublier le réalisateur Quatre artistes pointent les dysfonctionnements
j4UFWF.D2VFFOvKVTRVBVGÊWSJFS de Hunger et Twelve Years a Slave ! Il est vrai que, depuis ses succès et failles à travers le filtre de leur âge (Élodie Antoine,
SVFEV5FNQMFr1BSJT au cinéma, le plasticien britannique s’était fait rare sur les terres née en 1978), du fantasme (Cindy Sherman),
rXXXNBSJBOHPPENBODPN de l’art. Outre ce mur de néons, il y revient avec un film projeté du rapport au corps (Kiki Smith) ou de l’origine
45&7&.c26&&/Ashes en diptyque, hommage à un être dont la présence lumineuse l’avait (Zoulikha Bouabdellah). Cette dernière vient
frappé lors d’un tournage sur l’île de la Grenade, aux Antilles. Ce jeune de rejoindre la galerie qui lui prépare un solo show
homme radieux, mort deux mois après, s’appelait Ashes («cendres» en novembre prochain.
en anglais). À partir des rushs inexploités de 2001, McQueen j4FYJTNFvKVTRVBVGÊWSJFS
lui construit une tombe. «Ashes to ashes», ne peut-on s’empêcher de SVFEF1JDBSEJFr1BSJT
murmurer en ce mois de janvier qui a vu David Bowie disparaître. &- rXXXNBUIJBTDPVMMBVEDPN
Une anse quasi parfaite… La Concha est l’archétype de la belle plage urbaine.
La Tabakalera incarne le nouveau dynamisme de celle que l’on surnomme «San Se’». Le centre culturel Avec ses 10 000 panneaux de verre translucide, on le voit de loin. Le Kursaal, dessiné
a ouvert ses portes en septembre dans une ancienne manufacture de tabac. par Rafael Moneo, prix Pritzker 1996, est le siège du Festival international du film.
GALERIES
Espacio Reflex &HJB
rXXXFTQBDJPSFáFYPSH
Galería Arteko *QBSSBHVJSSF
rXXXBSUFLPHBMFSJBDPN
Ekain Arte Lanak*ÒJHP
rXXXFLBJOBSUFMBOBLDPN
RESTAURANTS
1PVSMFTpintxos EJSFDUJPOMB1BSUF7JFKB RVBSUJFSEFMB
WJFJMMFWJMMF RVJPGGSFMBQMVTGPSUFDPODFOUSBUJPOEFCBST
-BSVFEF"HPTUPFOFTUMÊQJOFEPSTBMF
A Fuego NegroTFSUEFTpintxosOPVWFMMFDVJTJOF
PMJWFTGBSDJFTÆMBHFMÊFEFWFSNPVUI
C’est l’un des symboles du Pays basque. Réalisé en 1976, Peine del Viento («Peigne du vent»), d’Eduardo Chillida, 1PVSMBIBVUFHBTUSPOPNJF USPJTSFTUBVSBOUTÊUPJMFT
est un ensemble de trois sculptures (de 10 tonnes chacune) accroché à même les rochers. Akelarre, ArzakFUMartín Berasategui
$PNQUFSEFÆéMFNFOV
XXXBS[BLJOGP
total, dont trois restaurants triplement étoi- tale», le musée accueille une grande exposition XXXNBSUJOCFSBTBUFHVJDPN
lés). Pour goûter aux joies de la cuisine basque, sur le thème de la paix mais aussi la jeune garde XXXBLFMBSSFOFU
on guette les happenings gastronomiques et d’artistes régionaux, Txomin Badiola en tête.
HÔTELS
autres banquets organisés dans le cadre de Parmi les autres figures de l’art contemporain Punta Montas "VCPVUEFMBQMBHFEFMB;VSSJPMB
San Sebastián 2016. basque, Esther Ferrer. La grande dame de la EBOTMFRVBSUJFSEF(SPT VOÊUPJMFTBVYBMMVSFT
performance a reçu, dans le cadre des festivités EFDPOUFOFVSQPSUVBJSFGBDFBVNPOU6SHVMM
CHILLIDA FACE À LA MER CANTABRIQUE 2016, carte blanche pour proposer une série $IBNCSFEPVCMFÆQBSUJSEFé
En attendant, on peut toujours s’essayer à la tra- > +PTÊ.JHVFMEF#BSBOEJBSÃO
d’actions dans l’espace public.
rXXXQVOUBNPOQBTIPUFMDPN
ditionnelle tournée des bars entre amis, le txi- Et puis, bien sûr, il y a le sculpteur Eduardo Hotel de Londres y de Inglaterra 7VFTQFDUBDVMBJSF
kiteo (qui tire son nom des petits verres de vin). Chillida (1924-2002). Au bout de la Concha, TVSMB$PODIB-FQBMBDFQSÊGÊSÊEF5PVMPVTF-BVUSFD
Pour cela, cap sur la vieille ville et son dédale de sous les rochers du mont lgueldo, on peut FU.BUB)BSJBDPOTFSWÊMÊMÊHBODFEFMB#FMMFÉQPRVF
ruelles étroites et animées, dominée par le admirer son Peine del Viento («Peigne du vent»). 1SJYÆMBWFOBOUDIBNCSFEPVCMFÆQBSUJSEFé
mont Urgull. La place de la Constitution et ses Un ensemble de trois sculptures conçu pour > ;VCJFUBr rXXXIMPOESFTDPN
Hotel Niza $FUIÔUFMQSÊTFOUFMVJBVTTJVOFTVQFSCF
façades colorées aux balcons numérotés nous résister aux assauts de la mer Cantabrique. WVFTVSMBNFS$IBSNFBTTVSÊ$IBNCSFEPVCMF
rappellent qu’elle fut jadis une arène. Non loin Étrange mélange de vigueur et de sobriété. ÆQBSUJSEFé
de là, la galerie Ekain Arte Lanak expose aux À l’image de la ville. > ;VCJFUBr rXXXIPUFMOJ[BDPN
côtés d’artistes locaux de grands noms comme
Antoni Tàpies ou Manolo Valdés. Autre insti-
tution du quartier, le musée San Telmo. L’an-
cien couvent dominicain du XVIe siècle a
rouvert ses portes en 2011, agrémenté d’une
façade en aluminium perforé (architectes
Nieto-Sobejano) qui laisse pousser lichens,
mousses et des plantes de la Costa Verde. Le
bâtiment recèle des Greco, Ribera, Miró et
une importante collection d’art basque.
Clou de la visite : onze toiles monumentales
réalisées dans l’église par le peintre catalan
José María Sert en 1932. En cette année «capi- La capitale du Guipúzcoa compte quelques bonnes galeries comme Ekain Arte Lanak, au cœur de la vieille ville.
"6(645&30%*/Le Baiser
1885, épreuve en bronze réalisée en 1927, 85,2 x 52,4 x 54,5 cm.
&TUJNBUJPO Æ.é
3
PARIS r DROUOT
BINOCHE & GIQUELLO
BON BAISER DE RODIN
Provenant de la collection particulière du galeriste
parisien Jean de Ruaz, cinq bronzes de Rodin (1840-
1917) sont livrés au feu des enchères à Drouot.
Estimée 1,5 M€ minimum, le Baiser [ci-dessus],
dans sa taille originale de 85 cm, en est le lot phare.
03";*0(&/5*-&4$)*Danaé 1621, huile sur toile, 161 x 226 cm. &TUJNBUJPOÆ.é
Réalisée à l’origine pour la Porte de l’Enfer,
1 NEW YORK r SOTHEBY’S l’emblématique sculpture fut acquise par Jean de Ruaz
directement auprès du musée Rodin en 1942.
TOUT L’OR DE LA PEINTURE BAROQUE Cette pièce fut ensuite exposée dans sa galerie en 1946
En vedette de sa vente du soir de tableaux anciens à New York, Sotheby’s présente l’une des plus importantes et 1957 lors d’expositions monographiques consacrées
peintures du baroque italien à apparaître sur le marché depuis la Seconde Guerre mondiale. Chef-d’œuvre au sculpteur. Elle a été conservée dans la famille du
d’Orazio Gentileschi, Danaé fut commandé en 1621 par Giovanni Antonio Sauli pour son palais à Gênes. galeriste depuis, tout comme l’Éternel Printemps (1884),
Cette toile caravagesque illustre la scène mythologique dans laquelle Jupiter (Zeus), transformé en pluie d’or, dans sa taille originale de 64 cm (est. 300 000 €),
vient à la rencontre de la fille d’Acrisios, roi d’Argos, enfermée dans une tour d’airain par son père. Cupidon une épreuve de 29,5 cm de l’Éternelle Idole (1889),
ouvre les rideaux pour révéler toute la beauté de Danaé allongée sur des drapés de satin magnifiquement noire nuancée de vert (60 000 €), la Jeune Mère (1885),
peints. L’œuvre a été exposée au Metropolitan Museum of Art de New York ces deux dernières années. bronze de 39 cm (est. 80 000 €), et le Bon Génie
La maison de ventes en attend environ 30 M€, soit le prix d’un beau tableau impressionniste. (1899), petite composition intime de 22,7 cm (est.
j5BCMFBVYBODJFOTvrKFVEJKBOWJFSrrXXXTPUIFCZTDPN 30 000 €). Tous ont été fondus post mortem par
Alexis Rudier selon la technique souhaitée par Rodin.
La plus haute enchère pour le Baiser revient à un
MADRID r ARCO
UN ANNIVERSAIRE
EN DUO
Pour ses 35 ans, la foire madrilène d’art
contemporain Arco a invité 35 galeries
internationales, qui lui sont historiquement liées,
à présenter dans une section spéciale un duo
d’artistes de leur choix. La galerie Krinzinger
fait dialoguer l’actionniste viennois Günter Brus
et les sculptures de l’Espagnole Angela
de la Cruz, dans un étroit rapport au corps.
Un face-à-face entre Franz Ackermann
et Manfred Pernice, deux artistes allemands
travaillant à Berlin et représentés de longue date
par la galerie Mai 36, s’est imposé à Victor
Gisler, directeur de l’enseigne zurichoise.
La galerie parisienne Lelong qui a «une histoire
d’amour avec l’Espagne», grâce à ses artistes
Miró, Chillida, Tàpies et Plensa, a choisi
de montrer le travail de deux femmes :
des peintures de l’Américano-Libanaise
Etel Adnan et des dessins de Nalini Malani,
artiste née à Karachi en 1946 qui vit et travaille
à Bombay. Les galeries Air de Paris et
Chantal Crousel sont les autres françaises
JACQUES SAMUEL BERNARD
participant à ce show spécial. Bouquet de fleurs dans un vase en lapis-lazuli sur un entablement
"SDP.BESJEEVBVGÊWSJFSr'FSJBEF.BESJE 1660, huile sur toile, 118 x 89 cm. GALERIE ÉRIC COATALEM, PARIS
IBMMTFUr.BESJErXXXBSDPNBESJEFT Prix : autour de 250 000 €
SCÈNES DE LA VIE
IMPRESSIONNISTE
MONET, RENOIR, DEGAS, MANET, GAUGUIN,
CAILLEBOTTE, CÉZANNE, BONNARD, PISSARRO…
Edouard Manet, Berthe Morisot au bouquet de violettes, 1872 – Huile sur toile, H. 55 x L. 38 cm
© RMN-Grand Palais (musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski – réalisation : L’ATELIER de communication