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Le
commandé
cerveau
par la lumière
Les verres optiques
de demain
Inspirés des insectes
Les baleines
engouffreuses
60 tonnes d’eau
en une gorgée !
La naissance
des étoiles
Ce que la théorie
n’explique pas
M 02687 - 401 - F: 6,20 E
3:HIKMQI=\U[WU^:?a@e@k@l@a; France métro : 6,20 € - DOM : 7,30 € - BEL : 7,20 € - CH : 12 FS - CAN : 10,95 $ - Grèce : 7,60 € - LUX : 7,20 €
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ÉDITO
de Françoise Pétry directrice de la rédaction
POUR LA
www.pourlascience.fr
8 rue Férou, 75278 PARIS CEDEX 06
Standard : Tel. 01 55 42 84 00
Groupe POUR LA SCIENCE
Directrice de la rédaction : Françoise Pétry
Pour la Science
Rédacteur en chef : Maurice Mashaal
Rédacteurs : François Savatier, Marie-Neige Cordonnier,
Philippe Ribeau-Gésippe, Bénédicte Salthun-Lassalle,
Jean-Jacques Perrier
Dossiers Pour la Science
Jeux de lumière
Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin
Rédacteur : Guillaume Jacquemont
L
Cerveau & Psycho a lumière et l’eau sont synonymes de vie. Leur absence
L’Essentiel Cerveau & Psycho
Rédactrice en chef : Françoise Pétry rend l’environnement hostile, voire menace notre survie. L’une
Rédacteur : Sébastien Bohler et l’autre sont si étroitement liées à notre quotidien que
Directrice artistique : Céline Lapert
Secrétariat de rédaction/Maquette : Annie Tacquenet, nous oublions, sauf à les observer avec les yeux du chercheur,
Sylvie Sobelman, Pauline Bilbault, Raphaël Queruel, Ingrid Leroy leur complexité et leurs formes multiples. L’eau est liquide, solide ou
Site Internet: Philippe Ribeau-Gésippe assisté de Ifédayo Fadoju
gazeuse: nuages ou icebergs, océans ou pluie, neige ou eau de boisson.
Marketing: Élise Abib
Direction financière : Anne Gusdorf La lumière, onde et particule, nous éclaire et colore le monde. Par un jeu
Direction du personnel : Marc Laumet de réflexions multiples, elle donne leurs reflets métallisés aux ailes bleues
Fabrication : Jérôme Jalabert assisté de Marianne Sigogne
Presse et communication : Susan Mackie des papillons Morpho. Les physiciens ont constaté qu’en plus de leur
Directrice de la publication et Gérante: Sylvie Marcé
Conseillers scientifiques : Philippe Boulanger et Hervé This conférer leur couleur spécifique, la structure microscopique des ailes
Ont également participé à ce numéro : Jean-Christophe Aval, les rend rigides et hydrophobes. En reproduisant cette structure qui com-
Michael Blum, Jean-François Démonet, Jean Dénarié,
André Didierjean, Stefan Enoch, Évelyne Host-Platret, porte plusieurs niveaux d’organisation, et dont un certain désordre n’est
Morwena Latouche-Hartmann, Philippe Maurine, pas exclu, les ingénieurs obtiennent des matériaux nouveaux (voir Des
Christian de Muizon, François Parcy, Nicolas Peretto,
Christophe Pichon, Brigitte Sénut, Stein Silva, insectes à la photonique, page 32).
Valérie Simonneaux, Daniel Tacquenet, Ken Vernick.
PUBLICITÉ France
Par ailleurs, les physiciens réussissent aujourd’hui à produire un
Directeur de la Publicité : Jean-François Guillotin rayonnement laser à température ambiante à partir de polaritons, des
(jf.guillotin@pourlascience.fr), assisté de Nada Mellouk-Raja
Tél. : 01 55 42 84 28 ou 01 55 42 84 97 • Fax : 01 43 25 18 29 états quantiques impliquant électrons et photons (voir Les lasers à
SERVICE ABONNEMENTS polaritons, page 70). Ces lasers, fondés sur un principe différent de
Ginette Bouffaré. Tél. : 01 55 42 84 04
Espace abonnements :
celui des lasers classiques, sont prometteurs, notamment parce qu’ils
http://tinyurl.com/abonnements-pourlascience sont peu gourmands en énergie. Ils pourraient bientôt passer du labora-
Adresse e-mail : abonnements@pourlascience.fr toire à des applications grand public – lecteur de DVD, par exemple.
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Des microalgues à visée médicale
DIFFUSION DE POUR LA SCIENCE Enfin, une méthode nouvelle – l’optogénétique –, fondée sur la lumière,
Canada : Edipresse : 945, avenue Beaumont, Montréal,
Québec, H3N 1W3 Canada. permet de mieux comprendre le rôle des neurones : des flashs, admi-
Suisse: Servidis: Chemin des châlets, 1979 Chavannes - 2 - Bogis nistrés au moyen de fibres optiques, illuminent le cerveau de l’animal,
Belgique: La Caravelle: 303, rue du Pré-aux-oies - 1130 Bruxelles.
Autres pays: Éditions Belin: 8, rue Férou - 75278 Paris Cedex 06. ce qui active les neurones que le neurobiologiste a sélectionnés.
SCIENTIFIC AMERICAN Editor in chief : Mariette DiChristina. Editors: Ricky Contrairement à la plupart des autres méthodes d’imagerie cérébrale dis-
Rusting, Philip Yam, Gary Stix, Davide Castelvecchi, Graham Collins, Mark ponibles, l’optogénétique permet d’activer un tout petit nombre de neu-
Fischetti, Steve Mirsky, Michael Moyer, George Musser, Christine Soares, Kate
Wong. President : Steven Inchcoombe. Vice President : Frances Newburg. rones (voir Les neurones sous l’emprise de la lumière, page 24). Ainsi,
Toutes demandes d’autorisation de reproduire, pour le public français ou grâce aux modèles animaux des maladies mentales dont on dispose, on
francophone, les textes, les photos, les dessins ou les documents conte-
nus dans la revue «Pour la Science», dans la revue «Scientific American», étudie de façon beaucoup plus précise les anomalies de fonctionne-
dans les livres édités par « Pour la Science » doivent être adressées par ment des neurones, ce qui devrait permettre d’améliorer les traite-
écrit à « Pour la Science S.A.R.L. », 8, rue Férou, 75278 Paris Cedex 06.
© Pour la Science S.A.R.L. Tous droits de reproduction, de traduction, d’adap- ments de ces pathologies.
tation et de représentation réservés pour tous les pays. La marque et le Or cette méthode repose sur la découverte d’une protéine sensible
nom commercial «Scientific American» sont la propriété de Scientific Ame-
rican, Inc. Licence accordée à « Pour la Science S.A.R.L. ». à la lumière, extraite... d’une algue microscopique. On en conclut, d’une
En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de part, qu’une recherche fondamentale peut avoir des applications inté-
reproduire intégralement ou partiellement la présente revue
sans autorisation de l’éditeur ou du Centre français de ressantes dans des domaines très éloignés – ici l’étude du cerveau– et,
l’exploitation du droit de copie (20, rue des Grands-Augus- d’autre part,... que l’eau doit ajouter un autre qualificatif à son actif: source
tins - 75006 Paris).
de microalgues à visée médicale! ■
SOMMAIRE
1 ÉDITO À LA UNE
4 BLOC-NOTES
Didier Nordon
24
Actualités
6 Expansion de l’homme
moderne : la voie arabe
7 Une cape d’invisibilité... Karl Deisseroth
aux ultrasons
En associant l’optique et la génétique,
10 Haïti : une faille les neuroscientifiques contrôlent l’activité
sous la faille électrique de neurones dans le cerveau
d’animaux vivants ; ils espèrent pouvoir
extrapoler leurs résultats à l’homme
pour en apprendre davantage
sur les maladies mentales.
Serge Berthier
Les ailes des insectes présentent des structures
qui contrôlent la propagation de la lumière.
12 Un théorème Les physiciens s’en inspirent pour élaborer
pour jeux de cubes de nouveaux matériaux.
... et bien d’autres sujets.
14 ON EN REPARLE
Opinions
16 POINT DE VUE
Il faut sauver la métallurgie !
Yves Bréchet
17 ÉCONOMIE
L’immolation
40 Les baleines engouffreuses
BIOLOGIE ANIMALE
56 Les attaques
ÉLECTRONIQUE 82 LOGIQUE & CALCUL
Mesurer les chercheurs
Jean-Paul Delahaye
de circuits intégrés La folie évaluatrice dans le monde
John Villasenor de la recherche scientifique a provoqué
une multiplication des méthodes.
Des microcomposants peuvent être introduits L’indicateur de Hirsch est devenu
à des fins malveillantes dans des circuits intégrés le moyen le plus expéditif
avant leur sortie d’usine. Tout dispositif de noter un chercheur.
électronique est une cible potentielle.
88 ART & SCIENCE
L’homme descend
du crocodile...
Philippe Charlier
90 IDÉES DE PHYSIQUE
Le cerveau ausculté
avec des supraconducteurs
Jean-Michel Courty
62 Pourquoi l’homme n’a-t-il
ÉVOLUTION
93
et Édouard Kierlik
SCIENCE & GASTRONOMIE
plus de fourrure ? Dernières nouvelles
Nina Jablonski des soufflés
De récentes découvertes dévoilent pourquoi et quand Hervé This
les hominidés, contrairement aux autres primates,
ont perdu leur fourrure. Et l’apparition d’une peau 94 À LIRE
quasi nue aurait favorisé l’émergence Sur la totalité des numéros:
d’autres caractéristiques humaines. deux encarts d’abonnement pages 24 et 25.
Encarts commande de livres et abonnement pages 72 et 73.
En couverture: © Eamon O Donoghue/Illustration Works/Corbis
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BLOC-NOTES
de Didier Nordon
§ AVIS DE RECHERCHE laissées en friche depuis que nous notons Reste que celui qui voit « relativiste »
tout, sont délabrées. Moyen de comman- comme un terme péjoratif se révèle per-
§ ART FUTURO-PASSÉISTE
ACTUALITÉS
Paléontologie humaine
d
Université de Tübingen
A c t u a l i t é s
Neurosciences
terme des images visuospatiales. En outre, lorsque les professionnels senter de nouveaux marqueurs
Le shogi, ou échecs japonais, sont pressés de jouer le coup suivant, leur noyau caudé, impliqué dans de cancers, molécules indispen-
est un jeu de plateau qui se joue le comportement orienté vers un but, est activé. On ignore pourquoi ces sables pour détecter et traiter de
à deux. Les professionnels ont aires ne s’activent pas chez les amateurs en condition de jeu, mais l’en- façon ciblée les tumeurs.
développé des capacités cognitives traînement intensif des experts y est sans doute pour quelque chose…
spécifiques aux différentes .➜ Bénédicte Salthun-Lassalle .
configurations du jeu. X. Wan et al., Science, vol. 331, pp. 341-346, 2011
ACIDES AMINÉS SUR TITAN?
A c t u a l i t é s
MÉTISSAGES OU NON?
NASA/Tym Pyle
cendre d’une population qui
aurait été longtemps séparée nète et sa taille, mais pas la masse. Les transits mul- Système solaire
des autres et qui aurait sur- tiples, lorsque plusieurs planètes passent devant
vécu à l’avant-dernière glacia- l’étoile, apportent bien plus d’informations : les Le système Kepler-11, comparé au Système solaire
tion, il y a 150 000 ans. C’est masses des planètes et les caractéristiques des orbites. interne.
ce qu’affirment deux bio-infor- L’équipe dirigée par Jack Lissauer, du Centre de
maticiens du CNRS et de l’Uni- recherche Ames de la NASA, en Californie, vient de nomes ont déduit les masses et les excentricités
versité d’Uppsala (Suède), qui découvrir un tel système à transit multiple – le second probables des planètes.
ont comparé des simulations et confirmé – avec pas moins de six planètes ! De quoi Les cinq planètes « internes » seraient ainsi de
des données sur l’ADN. en dresser un portrait complet. 2,3 à 13,5 fois plus massives que la Terre. Pour la
Les transits de six exoplanètes de périodicités dif- sixième, trop distante des autres, seule une limite
SUPERGÉANTE ACCOMPAGNÉE férentes ont été détectés dans le signal de l’étoile de supérieure de 300 masses terrestres a pu être fixée.
type solaire Kepler-11, distante de 2000 années-lumière. Avec des densités comprises entre 0,5 et 3,1
D’où vient le disque qui accom- Des variations de la luminosité de cet astre, observé (contre 5,5 pour la Terre), les planètes internes auraient
pagne l’étoile supergéante en par le satellite Kepler, correspondent à cinq planètes un cœur rocheux avec une large enveloppe d’élé-
fin de vie HD 62623 ? Florentin dont les périodes vont de 10 à 47 jours et à une sixième ments plus légers – de la glace pour deux d’entre
Millour, de l’Observatoire de la planète plus lointaine, dont la période est de 118 jours. elles, de l’hydrogène gazeux pour les autres. Enfin,
Côte d’Azur, et ses collègues Dans un système multiple, les interactions gra- en simulant l’évolution du système sur 250 mil-
ont réalisé des observations vitationnelles perturbent les orbites, si bien que les lions d’années, les chercheurs ont constaté qu’il
spectroscopiques infrarouges transits ne sont pas parfaitement périodiques. En semble stable à long terme.
avec le télescope VLT en mode ajustant les paramètres d’un modèle du système de .➜ Philippe Ribeau-Gésippe.
interférométrique. L’image, qui façon à reproduire les décalages observés, les astro- J. Lissauer et al., Nature, 3 février 2011
atteint une résolution d’environ
une milliseconde d’arc, inédite
en infrarouge, révèle la forme
du disque, mais aussi la vitesse
du gaz. Celui-ci gravite autour Climatologie
de HD 62623 ; il n’a donc pas
été éjecté par l’étoile. Un com-
pagnon de la taille du Soleil
Himalaya: les glaciers ne reculent pas tous
pourrait en être la source.
L es glaciers de montagnes
reculent-ils tous sous l’ef-
fet du réchauffement clima-
tique ? Il semble que non, d’après
l’équipe de Dirk Scherler, de l’Uni-
En revanche, dans la partie cen-
trale septentrionale de la chaîne,
83 pour cent des glaciers sont
en retrait, parfois de 60 mètres
par an. Globalement, 65 pour cent
son de la topographie des mon-
tagnes environnantes.
Cette étude confirme que les
débris rocheux freinent la fonte
des glaciers, indique Étienne Ber-
versité de Postdam. Dans l’Hima- des glaciers sous l’influence de thier, glaciologue CNRS au Labo-
laya, certains glaciers en partie la mousson reculent. ratoire d’études en géophy-
couverts de débris rocheux sont Cependant, au Sud et à sique et océanographie spatiales
relativement stables. l’Ouest de la chaîne, le retrait est (LEGOS), à Toulouse. Il n’y a pas
Les chercheurs ont analysé moins fréquent, et surtout moins de relation simple entre le recul ou
les images satellitaires de 286 gla- rapide, de quelques mètres par l’avancée du front des glaciers cou-
ciers himalayens. Dans la région an. Environ 70 pour cent des gla- verts et les fluctuations du cli-
du Karakoram, au Nord-Ouest, ciers y sont couverts de débris mat. Reste posée la question
58 pour cent des glaciers étu- rocheux sur au moins 20 pour essentielle, celle de la diminution
diés ont révélé un front stable ou cent de leur surface. Ceux qui en épaisseur et en volume des gla-
avançant faiblement. Cela tien- se déplacent le moins sont ceux ciers, qui conditionne le régime
USGS
drait à la stabilité des tempéra- dont la couverture de débris, des cours d’eau en aval.
Un glacier du Bhoutan, tures et à l’augmentation des jouant le rôle de couverture iso- .➜ Jean-Jacques Perrier.
à l’Est de l’Himalaya. précipitations dans cette région. lante, est la plus grande, en rai- Nature Geoscience, en ligne, 23 janvier 2011
A c t u a l i t é s
Archéologie Biophysique
A c t u a l i t é s
Neurobiologie Géophysique
N
Plan de la rupture Léogâne
Île des Port-au-Prince
Gonaïves
Microbiologie Faille d’Enriquillo
Bifidus antitoxique Plantain Garden
Port-au-Prince
En gris : zone
touchée par le
D ’après des études chez la souris, certaines bactéries probio- Léogâne séisme
NASA
dans le sang d’une toxine sécrétée par les bactéries pathogènes. Rupture
C’est l’une des premières études à décrypter un mécanisme d’ac- du 12 janvier
tion d’une bactérie probiotique, commente Philippe Langella, cher- Plaque en mouvement vers l’Est Plaque en mouvement vers l’Ouest
cheur à l’INRA de Jouy-en-Josas. Elle suggère que des probiotiques En modélisant le séisme (ci-dessus, le modèle d’É. Calais de l’Université de
bien choisis pourraient prévenir les accidents dus à des toxi-infec- Purdue), les sismologues se sont rendu compte que la rupture ne s’est pas
tions alimentaires. faite sur la grande faille sud-haïtienne (dite d’Enriquillo Plantain Garden),
.➜ J.-J. P.. comme attendu, mais le long d’une faille inclinée partant en dessous de la
S. Fukuda et al., Nature, vol. 469, pp. 543-547, 2011 baie de Port-au-Prince et allant vers la ville côtière de Léogâne.
A c t u a l i t é s
Biologie animale
© U. Esperto.
nismes de ce «photovoltaïsme» animal. xanthoptérine, qui convertirait une par-
Ils se sont intéressés à la structure tie de la lumière solaire en énergie élec-
de la cuticule (l’exosquelette) de l’insecte, trique par un processus photochimique. Le frelon oriental (Vespa orientalis).
dont l’abdomen marron est traversé par Pour s’en assurer, une cellule photovol-
une large bande jaune. La surface mar- taïque à pigment photosensible a été éla- réactions métaboliques proches du lieu
ron est parcourue de crêtes parallèles qui borée avec la xanthoptérine: elle convertit de production électrique. Ainsi, le frelon
empêchent les rayons d’être réfléchis: ils bien la lumière en énergie électrique. oriental, doté de panneaux solaires, est
sont divisés en de multiples rayons par- Ces résultats, ainsi que d’autres bien capable de « photosynthèse » – un
tant dans toutes les directions. En pro- indices, suggèrent que le frelon conver- vrai frelon vert!
fondeur, l’examen a révélé une structure tit bien l’énergie solaire en électricité. Le .➜ L. M..
en feuillets dont l’épaisseur décroît de flux d’électrons résultant alimenterait des Naturwissenschaften, vol. 97(12), pp. 1067-1076, 2010
k j
i
A c t u a l i t é s
© Manuel Kauers
Mathématiques
A c t u a l i t é s
ON EN REPARLE
Retour sur des sujets déjà traités dans nos colonnes
LE NOYAU DE LA LUNE téine FT, qui migre des feuilles vers la pointe
de la tige où la fleur apparaîtra (voir Mais
© Shutterstock/Kristian Sekulic
une grande part de la Lune était en fusion distinct chez la betterave à sucre (Science,
et les roches qui la composent ont toutes décembre 2010), une plante bisannuelle qui
cristallisé à partir d’un océan de magma. produit un tubercule la première année et
En réanalysant les données sismiques ne fleurit qu’après le passage de l’hiver.
des missions Apollo des années 1960 et 1970 Cette plante possède deux gènes proches
et des données plus récentes d’autres de FT : BvFT1, qui stimule la floraison comme
La face visible de la Lune présente de vastes
missions lunaires, les spécialistes ont mon- « mers » sombres. chez l’arabette, et un autre, BvFT2, qui au
tré que la croûte lunaire est plus épaisse contraire la bloque. Dans ce cas, le froid de
sur la face cachée que sur la face visible. la composition lunaire devraient permettre l’hiver abaisse la quantité de protéine BvFT2,
Ces deux phénomènes expliqueraient en de mieux comprendre sa formation et ses permettant ainsi à la plante de fleurir.
partie leur dissemblance (voir Les deux visages.
visages de la Lune, Pour la Science, août 2008,
http://bit.ly/plsoer370). Mais qu’en est-
il des couches plus profondes de la Lune ? BÉBÉ D’HIVER OU D’ÉTÉ
Les scientifiques ont analysé à nouveau les ARRÊTER LA FLORAISON
données d’Apollo avec une méthode trai-
tant les enregistrements sismiques terrestres
et ils ont obtenu des résultats concernant
le noyau lunaire (Science, janvier 2011). À
l’instar du noyau de la Terre, celui de la
B eaucoup de plantes ne fleurissent
qu’après avoir été soumises à une
période de froid – une phase nom-
mée vernalisation – et si le jour a une durée
L ’horloge centrale ou circadienne,
contrôlée par la lumière du jour,
interagit avec d’autres horloges dans
l’organisme et garantit des cycles d’éveil
et de sommeil calés sur 24 heures. Elle se
Lune aurait une graine solide interne et adaptée. Chez l’arabette des dames, la plante situe dans le cerveau, notamment dans les
une couronne externe en fusion ; mais le modèle des biologistes, les mécanismes de noyaux suprachiasmatiques (voir Au
noyau externe serait recouvert d’une la floraison sont désormais connus: le froid rythme du jour et des saisons, Pour la Science,
épaisse couche partiellement fondue. Au diminue la quantité d’un inhibiteur de la novembre 2010, http://bit.ly/plsoer397).
total, le noyau de la Lune serait à 60 pour floraison, nommé FLC, et la durée du jour Mais la durée d’exposition à la lumière
cent liquide. Ces nouveaux éléments sur engendre la production du florigène, la pro- après la naissance modifie-t-elle l’activité
de cette horloge ? En d’autres termes, les
hommes nés en hiver ont-ils une horloge
ALZHEIMER : UNE MAUVAISE ÉLIMINATION DE PROTÉINES différente de ceux nés en été ? Des neuro-
La maladie d’Alzheimer se caractérise par la présence de plaques dites amyloïdes biologistes américains ont montré que des
dans les neurones, et d’amas dits neurofibrillaires dans les ramifications des neurones. souris soumises à une luminosité hiver-
La maladie pourrait survenir quand la protéine bêta-amyloïde est produite en trop nale après leur naissance présentent à l’âge
grande quantité ou sous forme d’une molécule prompte à s’agréger: les plaques se adulte des dysfonctionnements de leur hor-
formeraient, altérant le fonctionnement des neurones, voire leur survie (voir Pour loge circadienne, comparées à celles sou-
oublier la maladie d’Alzheimer, Pour la Science, août 2006, http://bit.ly/plsoer346). Des mises à une luminosité estivale néonatale
neurobiologistes de l’École de médecine à Saint-Louis, aux États-Unis, suggèrent (Nature Neuroscience, décembre 2010).
que l’accumulation des plaques serait plutôt due à une diminution de l’élimination Notamment, l’activité des neurones des
de la protéine (Sciencexpress, décembre 2010). Ils ont comparé la production céré- noyaux suprachiasmatiques des souris nées
brale et la clairance – l’élimination – des protéines A bêta 40 et A bêta 42 (constitu- en hiver ne s’adapte pas aux changements
tives des plaques amyloïdes) chez 24 personnes de plus de 60 ans, dont 12 souffraient de luminosité des saisons… ce qui dérègle
de la maladie. Pour ce faire, ils ont injecté un métabolite radioactif aux participants le rythme de leur sommeil. Reste à savoir
et leur ont prélevé du liquide céphalo-rachidien pendant deux jours pour doser les si ces perturbations de l’horloge modifient
protéines. Que les participants soient malades ou non, la quantité de protéines bêta- aussi l’humeur ou le risque de développer
amyloïde produite est la même; en revanche, la clairance des malades est 30 pour des troubles anxieux, parfois liés au
cent plus faible que celle des personnes saines. manque de lumière ou à l’hiver.
. Bénédicte Salthun-Lassalle.
OPINIONS
POINT DE VUE
P
ourquoi se préoccuper de la trielle, d’exportations, d’emplois. Or il souffre et élaboration de modèles théoriques à la
métallurgie, parfois perçue d’asthénie : les étudiants le boudent, les fois pertinents et suffisamment simples
comme une science du passé, professeurs s’en éloignent et nombre de pour être éclairants. Quelle est la finalité
une industrie d’un temps révolu, laboratoires concernés maigrissent (une de ces études ? Entre autres, comprendre
un héritage encombrant des maîtres de division par trois en 15 ans au CEA ou à les liens entre la microstructure des maté-
forges ? Pourquoi s’inquiéter de la désaf- l’ ONERA ) ou disparaissent. Les grandes riaux métalliques, les traitements qu’on leur
fection des étudiants, des ingénieurs et écoles les plus prestigieuses, de même que fait subir et leurs propriétés à l’échelle macro-
des chercheurs pour ce domaine ? Cer- les universités, ont abandonné leurs ensei- scopique. Cette compréhension, encore loin
tainement pas par nostalgie : comme gnements en métallurgie. d’être satisfaisante, est essentielle pour évo-
l’illustre le récent rapport de l’Académie La désaffection des étudiants pour cette luer vers la conception « sur mesure » de
des sciences et de l’Académie des tech- voie est exacerbée par une image historique nouveaux métaux.
nologies, l’avenir industriel de la France en faussée, par l’éloignement vis-à-vis des La métallurgie est étroitement liée à
dépend en grande partie, et cette disci- sciences et des technologies, par la désin- l’étude de la matière condensée. Elle est une
pline est tout sauf archaïque. dustrialisation de notre pays et par l’absence science du changement d’échelle. Pour com-
Le rôle central de la métallurgie dans de grands projets industriels mobilisateurs. prendre comment l’histoire thermoméca-
de nombreux secteurs industriels est nique d’un alliage conditionne sa
évident. En France, ce domaine est IL EST URGENT DE RÉINSTALLER, microstructure et ses propriétés, il faut
associé à 1,8 million d’emplois, dont parcourir dans le temps plus de 15ordres
500 000 directs. Les progrès du secteur dans les universités de grandeur (de la vibration des atomes
automobile, de l’industrie nucléaire, de et les grandes écoles, aux durées de traitement thermique),
l’aéronautique, de la pétrochimie sont des formations de métallurgie. et dans l’espace aller du nanomètre au
tributaires d’une meilleure maîtrise des mètre. Ces changements d’échelle dans
matériaux métalliques. La diminution des La métallurgie est pourtant un champ l’organisation des atomes ou dans la dyna-
émissions de gaz à effet de serre passe par scientifique et technique en plein renouvel- mique des défauts posent des questions
l’allègement des véhicules, par l’augmen- lement. Elle est au confluent de diverses dis- fondamentales de thermodynamique, de
tation de la température de fonctionnement ciplines (mécanique, physique et chimie), physique statistique, de mécanique.
des moteurs, par le développement d’un à la frontière entre recherche fondamentale Soulignons aussi que la métallurgie porte
nucléaire durable. et recherche appliquée. C’est un domaine où sur des systèmes maintenus loin de l’équi-
Le recyclage des métaux, la sécurité les besoins industriels suscitent des études libre thermodynamique, là où toute la richesse
dans les transports, le développement de fondamentales qui, à leur tour, ouvrent la voie de la physique non linéaire se manifeste. Et
prothèses orthopédiques et autres dispo- à de nouvelles applications. régulièrement, la physique fondamentale
sitifs médicaux implantés font tous aussi L’étude expérimentale bénéficie désor- rencontre la métallurgie, qu’il s’agisse des
appel au métallurgiste. Même la miniaturi- mais de grands instruments (rayonnement phénomènes de solidification et plus géné-
sation des circuits intégrés, bien avant de synchrotron, réacteurs à neutrons...) et de ralement des changements de phase, de la
rencontrer le « mur quantique », se heur- nouvelles techniques (microscopie à champ chimie des surfaces, de la plasticité et de la
tera à des problèmes métallurgiques, notam- proche, sonde tomographique à résolution rupture, du rôle joué par les défauts, des pro-
ment l’endommagement des connexions. atomique, techniques de corrélation priétés électroniques ou magnétiques, etc.
Ce vaste secteur est ainsi stratégique d’images...). Quant à la modélisation, elle En science des matériaux, dont elle est
pour notre pays, en termes d’activité indus- associe simulations numériques intensives par ailleurs le socle historique, la métallur-
Opinions
gie joue ainsi un rôle clef : terrain d’expéri- nalement, à partir desquelles peut se recons- cifiques dans les organismes financeurs
mentation pour les nouvelles méthodes et truire un tissu performant de chercheurs. de la recherche.
les nouveaux concepts, corpus expérimental Il est urgent de réinstaller, dans les univer- Le temps presse. Si la métallurgie de
bien maîtrisé pour tester la validité des sités et les grandes écoles, des formations notre pays disparaît, la physique de la
modèles. Négliger cette compétence aurait de métallurgie en tant que discipline consti- matière condensée y serait grandement
pour conséquence non seulement le déclin tutive du cursus d’un ingénieur. appauvrie. Et, du point de vue des applica-
d’une part majeure de notre industrie, mais Une fois ce besoin affiché, il faut se don- tions, ce que la métallurgie rend possible
aussi de nous priver des outils nécessaires ner les moyens d’y répondre : recrutement deviendra impossible à ceux qui l’auront
pour inventer celle de demain. Cela alors d’enseignants-chercheurs, mise en place abandonnée. I
que des pays tels que la Chine, l’Inde – ou d’un système de « formation des forma-
le Japon, qui développe des aciers et alliages teurs ». L’enseignement devra aussi s’ap- Yves BRÉCHET, membre de l’Académie
pour la génération IV des réacteurs élec- puyer sur des contacts étroits avec le monde des sciences et de l’Institut universitaire
tronucléaires –, montent en puissance. industriel : création de chaires industrielles, de France, est professeur à l’Institut national
polytechnique de Grenoble.
Comment enrayer le déclin français ? accueil à temps partiel de chercheurs de
Sous la direction de A. Pineau et Y. Quéré,
L’enseignement et la recherche ont un rôle l’industrie, ouverture vers les petites et La métallurgie, science et ingénierie,
essentiel à jouer. Un atout majeur de la métal- moyennes entreprises ou industries... Et Rapport sur la science et la technologie n° 31
lurgie dans notre pays est la liaison étroite des « pôles d’excellence » associant le de l’Académie des sciences et de l’Académie
des technologies, EDP Sciences, 2011.
des chercheurs du domaine avec le monde monde académique, les grands instituts et
industriel. Il reste encore quelques équipes le monde industriel sont à identifier, les Réagissez en direct
de très bon niveau, reconnues internatio- actions faisant l’objet d’appels d’offres spé- fr à cet article sur
www.pourlascience.fr
ÉCONOMIE
V
ous rappelez-vous de la théo- ment d’ailes, les courants d’air peuvent être beaucoup moins clair. Après tout, s’il n’y
rie du chaos? L’histoire du pa- chaotiques, c’est-à-dire croître exponen- avait pas de papillons, il y aurait quand même
pillon qui, par un battement tiellement, mais ce qui se passe quand ils des cyclones dans les Antilles. Ce que dit
d’ailes, déclenche un cyclone grandissent en intensité et interfèrent est la fable, c’est que si l’on considère un cyclone
dans les Antilles quelques mois plus tard? On donné, Katrina par exemple, qui a dévasté
peut dorénavant la remplacer par l’histoire la Nouvelle-Orléans, il est impossible de
du petit vendeur à la sauvette de Sidi-Bouzid lui assigner une cause digne de l’ampleur
dont le suicide provoque la chute de Ben Ali en de la catastrophe : à chaque instant nais-
Tunisie, peut-être celle de Moubarak en Égypte, sent dans le golfe du Mexique de petites per-
sans que l’on sache où s’arrêtera la cascade turbations qui ont vocation à devenir des
des dominos. Ce qui n’aurait dû être qu’un cyclones dévastateurs, mais à l’échelle de
incident de police banal et vite oublié dans nos observations, il est impossible de pré-
une ville de province risque d’entraîner la libé- voir lesquelles y arriveront. En revanche, si
ration des peuples arabes et de bouleverser l’on considère le phénomène cyclonique
l’équilibre géopolitique de la planète. dans son ensemble, il est assez bien com-
J.-M. Thiriet
En fait, l’histoire du papillon est plutôt pris et bénéficie d’une certaine régularité.
une fable. Il est vrai qu’à l’échelle du batte- Les causes et les saisons varient suivant
Opinions
les régions ; dans le golfe du Mexique, par notamment, ou dans l’économie informelle. 120 pour cent d’augmentation, suivi par le
exemple, la saison s’étend de juin à sep- On imagine aisément les frustrations de jeunes caoutchouc, avec80pour cent. La question,
tembre. En janvier, tous les papillons du gens éduqués, informés de ce qui se passe comme toujours, est de trouver le respon-
monde peuvent se donner la main, personne ailleurs grâce à Internet, et qui n’obtiennent sable de ces hausses : s’agit-il d’un désé-
ne s’en apercevra. En revanche, l’histoire du dans leur pays ni pouvoir ni avenir. quilibre entre l’offre et la demande, ou d’un
petit vendeur de Sidi-Bouzid, elle, est vraie. À ce facteur, à l’œuvre depuis longtemps, effet de la spéculation financière ? La con-
S’il ne s’était pas donné la mort, Ben Ali serait s’est ajoutée cette année la flambée des prix fiance n’étant pas revenue sur les marchés
toujours au pouvoir et je ne serais pas sus- des matières premières. En un an, entre d’actions ou d’obligations, l’argent qui cherche
pendu à Internet pour savoir ce qui se passe décembre 2009 et décembre 2010, les prix à se placer se serait reporté sur les marchés
en Égypte. Toutefois, comme en météoro- du maïs, du café et du blé ont augmenté de matières premières.
logie, il y a des causes profondes, qui ne de50pour cent. Les prix retrouvent leur niveau Les discussions font rage entre les spé-
déterminent pas certains événements, mais de 2008, l’année où les émeutes de la faim cialistes. Personnellement, je pencherai plu-
qui les rendent possibles ou probables. avaient éclaté au Maroc et en Égypte, ainsi tôt pour la première solution. En raison des
La première de ces causes est le chô- qu’en Indonésie, aux Philippines, à Haïti, et conditions climatiques, la récolte a été moins
mage des jeunes. Dans tout le Maghreb, pour dans beaucoup de pays d’Afrique. On ima- abondante que prévu partout dans le monde,
la tranche d’âge de 15 à 29 ans, ce taux est gine l’effet de ces augmentations sur des dans un contexte de croissance de la deman-
de l’ordre de 30 pour cent. Il est plus élevé populations dont le revenu se situe au mini- de, la Chine et l’Inde changeant leurs habitu-
chez les instruits: contrairement à ce qui se mum de subsistance. Rappelons que l’Égypte, des alimentaires, et de la population. Cette
passe dans les pays développés, vous avez avec 80millions d’habitants, doit importer la année, la planète franchira le cap des septmil-
plus de chance de trouver un travail si vous moitié de sa consommation de blé, et subven- liards d’habitants. On en était à six milliards
n’avez pas de diplôme que si vous en avez un. tionne largement les prix intérieurs. en 1999, voilà 12 ans. Cela s’appelle une
Cela reflète la mauvaise qualité des emplois La hausse des produits agricoles n’est croissance exponentielle. I
disponibles, la plupart se situant dans des pas limitée aux seuls produits d’alimenta-
services mal rémunérés, dans le tourisme tion : le coton est en tête de liste, avec Ivar EKELAND est professeur d’économie.
DÉVELOPPEMENT DURABLE
N
ous passons près de 90pour matériaux d’ameublement ou de construction seuils de toxicité. Les autorités sanitaires,
cent de notre temps dans qui relarguent plus ou moins longtemps des puis le grand public en ont pris conscien-
des locaux fermés. Or l’air de composés volatils utilisés lors de leur ce : par exemple, l’air intérieur fait l’objet de
ces environnements contient fabrication, tel le formaldéhyde, auxquels plusieurs mesures phares du deuxième Pro-
divers polluants en concentration d’autant s’ajoutent des molécules contenues dans la gramme national santé environnement. Les
plus élevée que ces locaux sont calfeutrés. fumée de cigarette (goudrons, aldéhydes, solutions consistent d’abord à maîtriser
Comment lutter contre cette pollution inté- phénols, etc.), des produits d’entretien et de les sources de polluants et à aérer réguliè-
rieure ? Certains ont proposé d’utiliser des bricolage (le benzène par exemple), etc. rement les lieux pour renouveler l’air. Que
épurateurs végétaux. Voyons en quoi consiste Ces polluants ont des effets à court et peuvent apporter de plus les végétaux ?
cette méthode de purification de l’air et à long terme sur la santé, tels qu’irritations Dans les années 1980, les agences spa-
dans quelle mesure elle peut être efficace. des muqueuses, troubles respiratoires, voire tiales américaine et soviétique ont cher-
Les polluants présents dans les habi- cancers, même si l’on ignore souvent quelles ché à utiliser des plantes pour épurer l’air
tations sont issus des combustions, des sont les doses toxiques et s’il existe des de véhicules spatiaux et de stations orbi-
Opinions
Opinions
VRAI OU FAUX
A
urons-nous un garçon ou masculines a toujours été supérieur, et montre Cette analyse tord le cou à l’ancien argument
une fille ? La probabilité par le calcul que ce phénomène ne peut être selon lequel les chances d’avoir un garçon
d’engendrer un enfant de dû au hasard. Cette preuve arithmético-théo- augmentent dans les pays chauds. Les démo-
l’un ou l’autre sexe est-elle logique est reprise tout au long du XVIIIe siècle graphes actuels posent en principe que la
la même ? Ces questions, que beaucoup et s’enrichit de nombreuses données démo- valeur du rapport de masculinité à la nais-
de couples se posent, sont depuis long- graphiques venant confirmer le phénomène. sance dépend du rapport de masculinité à
temps objet de curiosité et de recherche. Plusieurs causes sont invoquées à l’époque: la conception et de la mortalité différentielle
Le rapport du nombre de naissances le différentiel de risque entre les sexes, la intra-utérine. Or ces facteurs sont difficiles à
masculines à celui des naissances féminines situation géographique et climatologique (la mesurer. Les garçons semblent plus fré-
– ou rapport de masculinité à la naissance – chaleur augmenterait les chances d’avoir quemment conçus au début et à la fin du cycle
est une donnée universelle : il naît environ un garçon), la confession religieuse... menstruel, et les variations hormonales pour-
105 garçons pour 100 filles. Il est donc vrai raient influer sur le sexe de l’embryon conçu.
que, hors toute intervention d’une quelconque Un fait avéré, Aujourd’hui, on ignore encore pourquoi le
politique concertée, il naît un peu plus de gar- rapport de masculinité à la naissance est
çons que de filles. Pour quelles raisons ? sans cause identifiée supérieur à un. Toutefois, les chercheurs exa-
En 1662, le démographe anglais John Au milieu du XXe siècle, le sociologue français minent si le sexe de l’enfant est lié à l’âge
Graunt observe que, de 1628 à 1662, on a Maurice Halbwachs en ajoute quelques-unes, des parents et au rang de naissance, la pro-
baptisé à Londres 139 782 garçons et dont aucune n’a été validée: des facteurs bio- portion de naissances masculines diminuant
130866 filles (soit 107 naissances de gar- logiques (le sexe serait déterminé dans les à mesure que ce rang augmente. Les rôles
çons pour 100 de filles), mais il se refuse à chromosomes, et non par une combinaison des saisons et de l’intervalle entre les nais-
émettre des hypothèses explicatives. Il recom- différente de chromosomes sexuels, ce qui sances sont également étudiés. On se
mande d’interroger les voyageurs pour savoir est faux), l’état physique et l’alimentation demande aussi si chaque naissance est un
si le phénomène est observé ailleurs. des parents (la quantité de nourriture dont événement biologique indépendant: une nais-
En1710, le médecin anglais John Arbuth- dispose l’embryon viala mère), leur âge – celui sance n’influence-t-elle pas la suivante?
not aborde la question d’un point de vue pro- du père seul, de la mère seule ou de l’un et En outre, les registres patronymiques
babiliste et... théologique. Il suppose qu’une de l’autre au moment de la conception, la révèlent que, dans certaines familles, les gar-
parité des sexes doit exister lorsque les indi- différence d’âge pouvant être un facteur çons sont plus nombreux ; dans d’autres,
vidus atteignent l’âge de se marier. Or à la déterminant –, la légitimité ou l’illégitimité ce sont les filles. Y aurait-il donc une com-
puberté, les garçons mettent plus leur vie de la naissance – la proportion des nais- posante héréditaire dans le différentiel des
en danger que les filles et ils décèdent en plus sances masculines illégitimes serait un peu sexes ? Enfin, on devrait explorer une piste
grand nombre. Selon l’argument théologique, plus faible –, et les variations selon le mode suggérée dès le XVIIIe siècle : retrouve-t-on
la nature, gouvernée par la providence divine, de vie, rural ou urbain (il y aurait plus de chez certains animaux cette légère prédo-
répare cette perte en faisant naître un peu filles en ville). minance des naissances masculines ? ■
plus de garçons que de filles, et ce, dans une Fait intéressant : une étude de la fin du
proportion presque constante. Arbuthnot XXe siècle montre qu’en Europe, il vaut mieux Jean-Marc ROHRBASSER est chargé
de recherche et directeur des collections
utilise 82 années de naissances à Londres, vivre dans un pays du Sud pour avoir un gar- de l’Institut national d’études
pendant lesquelles le nombre de naissances çon, l’inverse étant vrai en Amérique du Nord. démographiques (INED), à Paris.
..✔ QUELLE ACTION POUR LES AXIONS ?.. dans la masse. Cette formation provient proba-
Dans l’article Matière noire : un univers blement du rétrodrainage, en plusieurs phases,
caché (Pour la Science n° 399, janvier 2011, d’une poche de lave vers le tube principal. Des
http://bit.ly/pls399-matiere-noire), mini-coulées successives de lave à des états dif-
les auteurs ne parlent pas des axions, férents de maturation et d’oxydation, et des
© Shutterstock/Trevor kelly
pourtant populaires chez les théoriciens. vitesses de refroidissement différentes sont sans
Que sont ces particules et existe-t-il doute à l’origine de cet étagement surprenant.
des expériences qui tentent de les mettre Ces tunnels de lave faisant partie du patrimoine
en évidence ? national islandais, je n’ai évidemment pas pu pré-
Martin Schwartz lever d’échantillons qui auraient permis de réaliser La communication acoustique permet aux
des analyses minéralogiques de ces coulées. Cepen- jeunes crocodiles de synchroniser l’éclosion.
➜ RÉPONSE D’ÉRIC ARMENGAUD dant, en accord avec Jean-Marie Bardintzeff, je décrite lors de l’accouplement. Mais on ne sait
Les axions sont des particules hypothétiques qui pense que leurs couleurs proviennent principale- pas vraiment si ces vocalisations ont valeur de
ont été introduites pour résoudre un problème de ment de l’état d’oxydation du fer, oscillant du rouge- signal, c’est-à-dire si elles portent de l’informa-
la théorie des interactions fortes (la chromody- orangé-jaune à l’état de fer ferrique (oxydé), jusqu’au tion. Les tortues n’utilisent donc pas beaucoup
namique quantique). L’existence des axions per- vert pour le fer ferreux (réduit). l’acoustique pour communiquer.
met d’éviter une trop grande violation de la symétrie Par ailleurs, la minéralogie des tunnels de lave
dite CP. Ces particules auraient une nature assez n’a rien à voir avec celle des grottes «classiques». ..✔ HABITER LE PERSONNAGE..
particulière (« pseudoscalaire »). Les tunnels de lave sont formés dans la roche Merci pour l’article Les signaux non verbaux
Si leur masse était comprise entre le micro- volcanique, alors que les grottes habituelles sont de la communication (Pour la Science n° 399,
électronvolt et le milliélectronvolt, elles consti- formées dans des roches calcaires (sédimen- janvier 2011, http://bit.ly/pls399_
tueraient un bon candidat pour expliquer la matière taires). Ces deux environnements géologiques communication). Certains hommes
noire, avec des propriétés différentes des WIMP. n’ont en commun que la présence de spéléothèmes politiques essayent de corriger
L’interaction d’un axion avec le champ magné- (de lave ou de calcaire respectivement). leur gestuelle pour renvoyer une meilleure
tique est supposée créer un signal électrique image. Peut-on réellement modifier
mesurable. On utilise cette propriété pour tenter ..✔ LE CRI DES TORTUES.. par l’entraînement les signaux non verbaux
de les détecter avec de puissants aimants. L’ex- D’après l’article La communication que l’on transmet ? Ces changements
périence CAST, au CERN, essaye par exemple de acoustique des crocodiles (Pour la Science sont-ils pérennes à long terme ?
détecter des axions qui seraient créés au sein n° 399, janvier 2011, http://bit.ly/pls399- Thomas Bauder
du Soleil. L’expérience ADM X recherche, elle, des crocodiles), les cris émis avant l’éclosion
axions qui constitueraient la matière noire de la par les jeunes crocodiles informent la mère ➜ RÉPONSE DE Y.- A. DE MONTJOYE
Voie lactée. Elle a déjà permis de poser des sur l’état de développement des embryons. ET A. PENTLAND
contraintes sur la masse des axions pour les Chez les tortues, qui sont aussi des reptiles Les signaux honnêtes étant profondément ancrés
modèles de type matière noire. et enfouissent aussi leurs œufs, les jeunes dans notre système nerveux, il est très difficile
émettent-ils également des signaux de tromper son interlocuteur en les déguisant.
..✔ COULÉES DE LAVE MULTICOLORES.. acoustiques avant l’éclosion ? Il est cependant possible de les influencer, notam-
La coulée multicolore présentée dans l’article Nicolas Cennac ment par un principe d’interprétation théâtrale
Les tunnels de lave (Pour la Science n° 399, connu sous le nom de « La Méthode ». Ce prin-
janvier 2011, http://bit.ly/pls399-lave) est ➜ RÉPONSE DE NICOLAS MATHEVON cipe, développé dans les années 1940 à New
vraiment surprenante. Qu’est-ce qui explique, À ma connaissance, les jeunes tortues n’émet- York par l’Actor Studio, consiste à faire corps avec
ces tons orange, verts et jaunes bien tent pas de signaux acoustiques avant l’éclosion, un personnage et à expérimenter sa personna-
marqués ? Par ailleurs, la minéralogie ni après, d’ailleurs. Chez ces animaux, les soins lité. En effet, « devenir » un patron pointilleux
des tunnels de lave diffère-t-elle de celle parentaux semblent absents et aucune com- ou un ami compatissant modifie notre commu-
d’autres grottes plus classiques ? munication parent-jeune n’a encore été décrite. nication non verbale et in fine la façon dont un
Anaïs Joseph De plus, les tortues et crocodiles sont assez éloi- interlocuteur nous perçoit.
gnés phylogénétiquement. Comme expliqué Cependant, aller au-delà du jeu d’acteur et
➜ RÉPONSE DE MICHEL DETAY dans l’article, les crocodiles sont beaucoup plus vivre son personnage influence notre façon de
Les mini-coulées rencontrées dans le tunnel de proches des oiseaux, avec lesquels ils consti- penser, d’agir et de prendre des décisions. Façon-
lave de Ferlir, dans le Sud-Ouest de l’Islande, tuent le groupe des Archosaures. ner sa communication non verbale n’est donc
présentent des couleurs uniques. Il ne s’agit Chez certaines espèces de tortues, cepen- pas pratiquer la langue de bois, mais reflète un vrai
pas d’un vernis superficiel, mais bien de couleurs dant, l’émission de signaux acoustiques a été travail de réinvention de soi.
✁
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Neurosciences
Karl Deisseroth
En associant l’optique
L e psychiatre – que je suis – est tous
les jours confronté aux limites de
son domaine d’activité. En effet,
malgré les efforts louables des cliniciens
et des chercheurs, on ignore encore cer-
nes communiquent via de brefs signaux
électriques, de l’ordre de la milliseconde, et
une grande variété de messagers biochimi-
ques. À cause de cette complexité, les neu-
roscientifiques ignorent ce que fait
et la génétique, tains fondements neurobiologiques des réellement le cerveau, c’est-à-dire comment
les neuroscientifiques maladies psychiatriques. Cela ralentit le des décharges électriques spécifiques dans
développement de médicaments, alors des cellules cérébrales particulières don-
contrôlent l’activité que ces maladies représentent un pro- nent naissance à la pensée, aux souvenirs,
électrique de neurones blème majeur de santé publique. On a à la perception et aux sentiments.
vraiment besoin de nouvelles réponses De fait, on ignore aussi comment les
dans le cerveau d’animaux en psychiatrie. Mais pour les trouver, il défaillances du cerveau produisent des
vivants ; ils espèrent faut mettre au point des techniques inno- troubles mentaux distincts, telles la
vantes d’exploration du cerveau ; je vais dépression et la schizophrénie. Les hypo-
pouvoir extrapoler leurs vous présenter celle que j’ai dévelop- thèses actuelles concernant ces maladies
pée, l’optogénétique. – à savoir des déséquilibres chimiques et
résultats à l’homme pour En neurosciences, il est difficile de met- des modifications des quantités de neu-
en apprendre davantage tre au point des techniques appropriées, car rotransmetteurs – ne rendent pas compte
le cerveau des mammifères est complexe. du circuit neuronal électrique. Les trai-
sur les maladies mentales. Il contient des dizaines de milliards de neu- tements sont alors peu spécifiques, bien
rones interconnectés, ayant de nombreuses qu’ils soient souvent utiles.
caractéristiques distinctes et des modes de Ainsi, en 1979, le lauréat du prix Nobel
décharge électrique différents. Les neuro- de médecine Francis Crick a suggéré que
L’ E S S E N T I E L
Certains
micro-organismes utilisent
des canaux ioniques activés
par la lumière : les opsines.
Cette technique
n’en est qu’à ses débuts,
mais elle améliore déjà
nos connaissances sur
le fonctionnement
du cerveau.
Les scientifiques
espèrent comprendre
les dysfonctionnements
© Shutterstock/iDesign, Pour la Science électriques et biochimiques
associés aux maladies
mentales, telles
la schizophrénie
et la dépression.
le défi majeur des neurosciences serait de des mammifères, des chercheurs travail- Avec le recul, il s’avère que la solution
contrôler un certain type de cellules céré- laient sur des micro-organismes particu- de Crick – contrôler les neurones avec la
brales, tout en ne touchant pas aux cellu- liers qui utilisent la lumière pour survivre. lumière – existait déjà avant même qu’il
les adjacentes. Les stimulations électriques Depuis 40 ans, les biologistes savent que la formule. Pourtant, il fallut attendre plus
avec des électrodes, même intracérébrales, ces micro-organismes produisent des pro- de 30 ans pour que ces concepts soient réu-
ne permettent pas de relever ce défi : les téines qui modifient le flux des charges élec- nis et donnent naissance à une nouvelle
électrodes sont un outil grossier qui sti- triques à travers la membrane cellulaire technique : l’optogénétique.
mule toutes les cellules situées sur le site sous l’effet de la lumière.
d’insertion, sans distinguer les différents
types cellulaires. En outre, leurs signaux
Ces protéines, produites par un
ensemble de gènes nommés opsines, per-
Une technique
ne peuvent pas inhiber l’activité électrique mettent aux micro-organismes d’extraire nouvelle en psychiatrie
des neurones – les empêcher d’émettre de l’énergie dans la lumière de leur envi- L’optogénétique associe les outils de la
un signal électrique (on dit qu’ils déchar- ronnement. En 1971, Walther Stoecke- génétique et de l’optique pour contrôler
gent) – avec précision. nius et Dieter Oesterhelt, de l’Université des événements dans toutes les cellules
Plus tard, Crick émit l’hypothèse selon de Californie à San Francisco, ont mon- des tissus vivants (et pas seulement cel-
laquelle la lumière pourrait servir d’outil tré que l’une de ces protéines, la bacté- les du système nerveux). Elle comprend
de contrôle, car on sait la délivrer sous riorhodopsine, agit comme une pompe la découverte de gènes qui font réagir les
forme d’impulsions précises, dans toute à ions, qui peut être brièvement activée cellules à la lumière et leur insertion dans
une gamme de couleurs. Mais à cette par des photons de lumière verte. Puis ces cellules ; elle inclut aussi des techni-
époque, personne ne savait comment faire on découvrit d’autres membres de cette ques permettant de délivrer de la lumière
réagir des cellules à la lumière. famille de protéines : les halorhodopsi- dans le cerveau, de cibler les effets de cette
Au même moment, dans un domaine nes en 1977 et les canaux rhodopsines lumière sur les gènes et les cellules vou-
de la biologie éloigné de l’étude du cerveau en 2002 (voir l’encadré page 27). lues, et d’évaluer les conséquences de
fornie, à Berkeley, ont utilisé des systèmes nes n’a pas fait immédiatement progres-
à plusieurs composants pour moduler ser les neurosciences, pas plus que ne
des cellules ciblées avec de la lumière. l’avaient fait les découvertes des bacté-
Par exemple, ils ont introduit dans des riorhodopsines et des halorhodopsines
neurones une protéine qui régule lors des décennies précédentes.
l’activité électrique et une subs-
tance qui fait réagir cette protéine
à un rayonnement ultraviolet.
Un canal opsine
Cependant, ces métho- dans les neurones
UNE FIBRE OPTIQUE illuminant un neurone. des reposant sur plusieurs Beaucoup de scientifiques avaient pour-
composants – que l’on tant envisagé d’insérer des gènes d’opsi-
cette manipulation optique. L’optogé- introduit dans les cellu- nes bactériens ou provenant d’algues dans
nétique permet aux neuroscientifiques de les cibles – présentent des neurones pour contrôler ces derniers
contrôler des événements donnés dans des difficultés prati- avec de la lumière. Mais ils avaient vite
des types cellulaires spécifiques et à des ques et n’ont pas eu abandonné l’idée : il y avait peu de chan-
instants bien précis. beaucoup d’applications chez les mam- ces que les cellules animales fabriquent
Dans une cellule, un événement n’a mifères. Il était nécessaire de trouver une ces protéines microbiennes avec efficacité
de sens que dans son contexte, au milieu stratégie n’utilisant qu’un seul composant. et sûreté, et il était presque certain que
d’autres événements, dans le tissu, l’or- C’est là qu’interviennent les protéines de les protéines, même si elles étaient synthé-
ganisme ou même l’environnement. Par micro-organismes activées par la lumière: tisées, seraient inefficaces. En outre, pour
exemple, un décalage même faible, de les bactériorhodopsines, les halorhodop- absorber les photons, ces protéines néces-
quelques millisecondes, du moment où sines et les canaux rhodopsines. sitent un cofacteur, un composé apparenté
un neurone commence à décharger pour- En 2000, des chercheurs de l’Institut à la vitamine A et nommé tout-trans rétinal.
rait inverser l’effet de son signal sur le Kasuka de recherche sur l’ADN, au Japon, Le risque de perdre du temps et de l’ar-
reste du système nerveux. Aujourd’hui, publièrent en ligne des milliers de nouvel- gent était important…
des milliers de scientifiques utilisent l’op- les séquences génétiques provenant de l’al- Néanmoins, pour mon équipe de bio-
togénétique pour savoir comment la gue verte Chlamydomonas reinhardtii. En ingénierie à l’Université Stanford, amélio-
décharge de neurones spécifiques déclen- examinant ces séquences, Peter Hegemann, rer notre compréhension de la psychiatrie
che une réaction physiologique et un com- de l’Université Regensburg à Berlin, qui clinique justifiait un tel risque. Lors de mon
portement complexes chez des vers, des avait prédit que Chlamydomonas devait avoir internat en psychiatrie, j’avais été le témoin
mouches, des poissons, des oiseaux, des un canal ionique activé par la lumière, trouva des faiblesses et des effets secondaires
souris, des rats et des singes. Et ces tra-
vaux apportent déjà quelques informa-
tions intéressantes sur la dépression, les L’OPTOGÉNÉTIQUE PERMET AUX NEUROSCIENTIFIQUES
troubles du sommeil, la maladie de Par- de contrôler des événements donnés dans des types
kinson et la schizophrénie.
cellulaires spécifiques et à des instants bien précis.
La lumière et la vie deux longues séquences semblables à cel- néfastes des traitements des maladies men-
En biologie, l’emploi de la lumière pour les qui codent la bactériorhodopsine. Il en tales, telle la thérapie par électrochocs.
l’étude des systèmes vivants est ancien. obtint des copies auprès de l’Institut Kasuka Ainsi, en 2004, nous avons introduit
Les chercheurs utilisent depuis longtemps et, en 2002, avec Georg Nagel, de l’Univer- le canal rhodopsine 2 dans des neurones
une méthode fondée sur la lumière, nom- sité de Francfort, ils décrivirent leur décou- de mammifères en culture grâce aux tech-
mée CALI, pour détruire ou inhiber des verte : l’une de ces séquences code un niques classiques de transfection; en d’au-
protéines. On a aussi exploité des lasers canal membranaire, formé d’une seule pro- tres termes, nous avons épissé, c’est-à-dire
pour détruire des cellules spécifiques chez téine et sensible à la lumière bleue. Quand associé, le gène codant le canal rhodop-
le ver Caenorhabditis elegans. Inverse- ce canal est éclairé par de la lumière bleue, sine 2 avec un type spécifique « d’inter-
ment, Richard Fork, des Laboratoires il régule le flux des cations (des ions char- rupteur » neuronal, ou promoteur, et nous
Bell dans les années 1970, et Rafael Yuste, gés positivement). La protéine codée fut avons introduit ce matériel dans l’ADN
de l’Université de Columbia, ont décrit nommée canal rhodopsine 1 (ou ChR1). d’un vecteur, tel un virus inactivé, qui
en 2002 comment stimuler des neurones En 2003, P. Hegemann et G. Nagel étu- l’a transporté dans les neurones. Le pro-
avec des lasers. Mais ces techniques avaient dièrent l’autre séquence et nommèrent moteur fait en sorte que seuls les neuro-
un inconvénient : elles détruisaient les la protéine codée canal rhodopsine 2 (ou nes sélectionnés (par exemple ceux qui
membranes cellulaires. ChR2). Au même moment, John Spudich, sécrètent le neurotransmetteur glutamate)
Depuis une dizaine d’années, les équi- de l’École de médecine de l’Université du expriment, ou fabriquent, l’opsine corres-
pes de Gero Miesenböck, du Centre de Texas à Houston, montra que ces gènes pondant au gène introduit.
T. Anzenberger, Redux Pictures, E. Striffler, New York Times/Redux Pictures, Ulrich Doering Alamy ; Optogenetic interrogation of neural circuits : technology for probing mammalian brain structures, F. Zhang et al., Nature Protocols, février 2010 (canaux et spectres d’absorption), illustrations Bryan Christie
Micro-organisme
Chlamydomonas reinhardtii est une algue Volvox carteri est une algue proche Natronomonas pharaonis est
unicellulaire mobile, dotée d’une paire de Chlamydomonas, mais elle est une archébactérie qui ne peut vivre
de flagelles qui lui permettent constituée de centaines de cellules vivant que dans des eaux saturées en sel.
de se déplacer dans l’eau douce. ensemble et formant une colonie.
Habitat
Les sols et les étendues d’eau douce Les étangs, les lacs et les étendues d’eaux Les lacs salés en Égypte et au Kenya.
partout dans le monde. stagnantes.
535 nm 589 nm
Canal opsine Longueur d’onde :
470 nanomètres (nm)
589 nm
Spectre d’absorption
ChR2 VChR1
1,0
NpHR
0,8
0,6
0,4
0,2
0
470 535 589
400 450 500 550 600 650
Longueur d’onde (en nm)
Cette expérience a été un succès. En de nombreux laboratoires dans le monde autres opsines modifiées sont des
utilisant des impulsions de lumière visi- l’emploient, en utilisant les différentes mutants ultrarapides et ultralents du
ble, nous avons contrôlé précisément, à la versions de ces gènes que nous avons syn- canal rhodopsine ChR2 : ils contrôlent de
milliseconde près, la décharge de poten- thétisées pour travailler de façon opti- façon très sensible l’émission et la durée
tiels d’action – les impulsions électriques male sur les cellules de mammifères. À des potentiels d’action. Les premiers
qui permettent à un neurone de trans- ce jour, environ 700 laboratoires utili- déclenchent des potentiels d’action plus
mettre de l’information à un autre – de sent ces gènes. de 200 fois par seconde, tandis que les
groupes de neurones. Les potentiels d’ac- seconds placent les cellules dans des états
tion sont créés par des échanges d’ions
de part et d’autre de la membrane des neu-
L’ingénierie d’excitation stables (ayant une fréquence
de décharge plus faible). Les opsines
rones, via différents canaux et pompes. Les des opsines les plus récentes réagissent maintenant
opsines (des canaux ioniques), ainsi pro- Le nombre d’outils en optogénétique, à la lumière rouge, proche de l’infra-
duites par les neurones, interviennent dans ainsi que leurs applications, se sont vite rouge ; cette lumière est mieux focali-
la production des potentiels d’action. En multipliés. Les scientifiques recherchent sée, rentre plus facilement dans les tissus
août 2005, mon équipe publia un premier de nouvelles opsines dans la nature; grâce et est bien tolérée.
rapport montrant qu’en introduisant un à l’ingénierie moléculaire, ils modifient L’ingénierie moléculaire a aussi per-
seul gène d’opsine microbien dans des neu- aussi les opsines connues pour qu’elles mis d’étendre le contrôle optogénétique
rones de mammifères, nous pouvions ren- soient utilisables de différentes façons au-delà de l’activité électrique des cellu-
dre ces cellules sensibles à la lumière. avec davantage d’organismes (voir l’en- les, jusqu’aux réactions biochimiques. Une
Les canaux rhodopsines, mais aussi cadré page 30). grande partie des médicaments que l’on
la bactériorhodopsine et les halorhodop- Par exemple, en 2008, nous avons connaît agit sur une famille de protéines
sines, sont tous capables d’exciter ou trouvé dans le génome d’une autre espèce membranaires nommées récepteurs cou-
d’inhiber des neurones (en modulant leur d’algue, Volvox carteri, un troisième canal plés à la protéine G. Ces protéines détec-
activité électrique), avec efficacité et sûreté, rhodopsine ( VC h R 1 ), qui réagit à la tent les signaux chimiques extracellulaires,
en réaction à la lumière. Et ce, car tous lumière jaune et non à la bleue. En utili- telle l’adrénaline, et réagissent en modi-
les tissus de mammifères contiennent sant ce canal avec les autres canaux fiant les signaux chimiques intracellulai-
naturellement de grandes quantités de rhodopsines, nous pouvons contrôler res, tels les ions calcium qui participent à
tout-trans rétinal, le cofacteur chimique simultanément différentes populations l’activité électrique des cellules.
nécessaire pour que les photons activent de cellules, la lumière jaune modifiant En ajoutant le domaine sensible à la
les opsines microbiennes. L’ajout d’un seul certaines d’entre elles et la lumière bleue lumière d’une molécule de rhodopsine à
gène d’opsine aux neurones ciblés suffit. d’autres. Et nous avons découvert que le des récepteurs couplés à la protéine G,
En 2006, nous avons nommé cette canal rhodopsine le plus efficace est en Raag Airan et d’autres chercheurs de mon
approche l’optogénétique. Depuis lors, fait un hybride de VChR1 et de ChR1. Nos laboratoire ont développé un ensemble
Virus
Gène d’opsine
Promoteur
Un gène d’opsine est associé à un élément Le gène modifié est inséré dans un virus, qui est ensuite
nommé promoteur, qui rend le gène actif injecté dans le cerveau d’une souris.
dans un type spécifique de cellules.
de récepteurs, nommés optoXR, qui réa- pour voir en même temps les signaux élec-
gissent rapidement à la lumière verte. triques dynamiques obtenus par contrôle
Quand des virus insèrent le matériel géné- optogénétique, nous avons développé
tique de ces récepteurs dans le cerveau de des instruments qui associent des fibres
rats de laboratoire, les optoXR nous per- optiques et des électrodes.
mettent de contrôler des événements bio- Bientôt, nous espérons stimuler opti-
chimiques chez ces rongeurs tandis qu’ils quement des neurones tout en enregistrant
se déplacent dans une cage (pour ce faire, leur activité électrique, car nous pou-
on implante une fibre optique dans leur vons organiser ces deux techniques sans L’ A U T E U R
cerveau, voir l’encadré ci-dessous). Désor- qu’elles interfèrent. Par exemple, nous
mais, un contrôle optique rapide et spé- savons observer l’activité électrique des
cifique des voies biochimiques est donc circuits neuronaux impliqués dans le
possible, à la fois in vitro et in vivo. contrôle moteur et modifiés avec des opsi-
Beaucoup de gènes d’opsines naturel- nes microbiennes.
les découverts dans différents génomes de
micro-organismes ne sont pas correcte-
ment exprimés par les cellules de mam-
Contrôler l’esprit
mifères. Mais nous avons développé pour mieux le soigner
différentes stratégies pour améliorer leur Plus les contrôles optogénétiques et les Karl DEISSEROTH,
professeur de psychiatrie
production et leur expression. Par exem- activités électriques des circuits neuro- et de bio-ingénierie, dirige
ple, nous avons associé les gènes d’opsine naux deviendront complexes, plus nous le Laboratoire de bio-ingénierie
à des fragments d’ADN qui servent de irons vers une forme d’ingénierie de l’Université Stanford,
« code postal » : ils font en sorte que les « inverse » de la machinerie neuronale : aux États-Unis.
gènes d’opsines soient transportés là où nous serons capables de déduire les fonc-
ils sont utiles dans les cellules de mammi- tions des circuits neuronaux à partir de
fères afin qu’ils soient bien traduits en pro- la façon dont ils réagissent aux signaux
téines fonctionnelles. optogénétiques. Cette ingénierie inverse
Qui plus est, nous avons créé en 2006 de circuits neuronaux sains nous permet-
et en 2007 des outils fondés sur les fibres tra peut-être de déterminer quelles pro-
optiques, qui envoient de la lumière dans priétés et quelles activités diffèrent dans
n’importe quelle région du cerveau les cas de maladies psychiatriques et neu-
– superficielle ou profonde – chez des rologiques. Cela nous aidera à trouver
mammifères se déplaçant librement. Et comment rétablir ces circuits.
Fibre
optique
Neurone
Neurone
sensible
Le virus infecte de nombreuses cellules nerveuses, Des fibres optiques insérées dans le cerveau de l’animal y envoient
Bryan Christie
mais à cause du promoteur, seul un type de la lumière et y contrôlent l’activité électrique des neurones
de neurones fabrique l’opsine. sensibles, ceux qui expriment l’opsine.
L’importance de l’optogénétique en ronaux. L’optogénétique permet ainsi de la dopamine donnent naissance au plai-
tant qu’outil de recherche, notamment valider et de préciser de nombreuses don- sir. Nous avons déclenché par optogéné-
quand elle est associée à d’autres techni- nées scientifiques en neurosciences et tique différentes décharges électriques
ques, ne cesse de croître. Ces dernières en psychiatrie. dans des groupes bien définis de neuro-
années, les neurosciences ont fait de nom- nes dopaminergiques chez des souris se
breux progrès grâce à une technique d’ob- déplaçant librement. Et nous avons iden-
servation du cerveau nommée l’imagerie
«Éveiller» le neurone tifié les motifs de stimulus qui provoquent
par résonance magnétique fonction- De fait, l’emploi de l’optogénétique a déjà la sensation de récompense : en l’ab-
nelle (IRMf). des applications chez l’homme. Chez sence de tout autre signal ou de nourri-
Cette méthode fournit des cartes l’animal, nous l’avons utilisée sur un type ture (une forme de récompense), les souris
détaillées de l’activité neuronale en de neurones (ceux sécrétant le neurotrans- séjournaient davantage dans les endroits
réponse à divers stimulus. Pourtant, l’IRMf metteur hypocrétine) dans une région du où leurs neurones dopaminergiques
montre seulement les modifications des cerveau impliquée dans un trouble du avaient été activés par la lumière. Ainsi,
concentrations en oxygène sanguin dans sommeil, la narcolepsie (les malades sont nous pouvons mettre en évidence l’acti-
différentes régions cérébrales (plus un saisis d’un besoin irrépressible de dor- vité électrique cellulaire impliquée dans
groupe de neurones est activé, plus il mir et « tombent » de sommeil au sens le processus de récompense normal, mais
consomme d’oxygène). Ces variations ne propre). Nous avons montré que des aussi celle liée aux pathologies du sys-
sont qu’une approximation de l’activité modes de décharge électrique spécifiques tème de la récompense, telles la dépres-
neuronale. Alors les signaux de l’IRMf de ces neurones déclenchent le réveil. Si sion et la toxicomanie.
reflètent-ils vraiment des augmentations nous pouvions cliniquement engendrer En outre, nous avons amélioré notre
locales de l’activité neuronale ? cette activité électrique particulière, nous compréhension de la maladie de Parkin-
La réponse est oui. En mai 2010, nous disposerions d’un traitement de la nar- son, qui correspond à une perturbation
avons utilisé l’optogénétique et l’IRMf colepsie. Et nous savons désormais que du traitement de l’information dans cer-
pour vérifier que l’activation de neuro- des types d’activité spécifiques dans un tains circuits cérébraux du système
nes moteurs engendre bien les signaux petit groupe de cellules sont capables moteur. Depuis les années 1990, certains
détectés par IRMf. De plus, l’association de produire un comportement complexe. patients souffrant de la maladie de Par-
de ces deux techniques permet de carto- Nous avons également déterminé kinson ont été traités par une technique
graphier avec précision des circuits neu- comment les neurones qui fabriquent de nommée stimulation cérébrale profonde :
N AT U R E E T FONCTION DE S OP SIN E S
Les scientifiques augmentent les possibilités de l’optogénéti- lisées seules ou en association, permettent aux chercheurs de
que en modifiant les gènes des opsines connues et en comprendre certains mystères biologiques grâce à des expé-
recherchant ceux d’autres protéines sensibles à la lumière. De riences autrefois impossibles à réaliser. Voici une liste de cer-
nouvelles opsines, dotées des caractéristiques désirées, uti- taines opsines, ainsi que leurs applications.
Mutants Algue Chlamydomonas 470 nanomètres Utilisées pour obtenir une activation et une inhibition
ultrarapides du canal reinhardtii (activation rapides des neurones avec une précision de l’ordre
rhodopsine ChR2 maximale) de la milliseconde, jusqu’à 200 fois par seconde.
Mutants Algue Chlamydomonas 470 nm pour Permettent d’activer les cellules avec seulement
ultralents du canal reinhardtii l’ouverture du canal quelques flashs de lumière. En raison de leur sensibilité
rhodopsine ChR2 à la lumière, elles sont utiles aux expériences
546 nm pour où la lumière doit pénétrer à travers d’importants volumes
la fermeture de tissus (comme dans le cerveau des mammifères).
de certains mutants
Canal rhodopsine Algue Volvox carteri 535 et 589 nm Permet d’activer les neurones. Comme VChR1 réagit
VChR1 à la lumière jaune et ChR2 à la lumière bleue, ces deux
opsines peuvent être utilisées ensemble pour contrôler
simultanément et indépendamment l’activité électrique
de différentes populations de neurones.
photonique, papillon, Morpho, coléoptère, aile, élytre, lépidoptère, cristal photonique, réflexion, réfraction, couleur, absorption, propagation, onde électromagnétique, hydrophobie, antireflets, multi-échelle,
Nanosciences
Serge Berthier
C ontrôler la propagation de la
lumière à l’échelle nanométrique :
tel est l’objectif de la photonique,
une branche récente (le terme n’a que
20 ans) et prometteuse de l’optique qui a
L’ E S S E N T I E L
✔ Ailes de papillons,
élytres de coléoptères,
duire telle quelle une structure existante,
ou même l’utiliser directement. Nous
verrons que certains verres hydrophobes
sont ainsi directement inspirés des proprié-
tés des ailes d’un papillon, et que les ailes
par exemple conduit aux diodes électro- plumes d’oiseaux, écailles d’un autre papillon servent de détecteur
luminescentes (LED) et aux fibres optiques de poissons : nombre de vapeur (voir la figure 1). Le physicien
structurées. L’élément de base de la pho- de matériaux naturels peut aussi, après modélisation, modifier
tonique est le cristal photonique, une archi- dévient ou polarisent la structure initiale pour amplifier un phé-
tecture périodique semblable à celle des la lumière. nomène. Enfin, de l’étude des matériaux
cristaux minéraux, mais de période beau- ✔ Cette faculté est naturels, il peut déduire des règles quasi
coup plus grande, de l’ordre de quel- souvent accompagnée universelles qui régissent le développe-
ques dizaines de nanomètres. De telles d’autres propriétés telles ment des structures naturelles.
structures permettent de manipuler les l’hydrophobie, l’absorption La règle première est la multifonction-
photons, comme un circuit électrique le lumineuse ou la rigidité. nalité. Économe en moyens – elle utilise
ferait avec des électrons. Leur réalisa- peu d’éléments chimiques –, la nature ne
tion à grande échelle reste cependant pro- ✔ Ces matériaux ont développe pas de dispositif strictement
blématique, aussi notre équipe s’est-elle deux caractéristiques monofonctionnel : elle fait beaucoup avec
communes : ils sont peu. Comment? En construisant des maté-
lancée, depuis plusieurs années, dans
structurés à plusieurs riaux multi-échelle, c’est-à-dire présentant
l’étude des cristaux photoniques naturels,
échelles et présentent
très communs dans le monde animal et différentes structures selon l’échelle consi-
un certain désordre.
à l’origine des plus belles couleurs du dérée. De cette organisation multi-échelle
vivant : ailes et élytres des insectes, écail- ✔ Les chercheurs résulte un désordre structural qui non seu-
les des poissons et reptiles, plumes des s’en inspirent pour créer lement assure le lien entre les différentes
© Shutterstock/Oleg_Z
elle,
sont les leçons de la nature que nous allons rebrousser chemin. Tout cela n’est possi-
tenter d’appréhender et d’appliquer. Avant ble que lorsque les deux périodes sont sen-
de les examiner de plus près, un petit tour siblement du même ordre de grandeur, et
d’horizon de la photonique s’impose. c’est tout l’enjeu de la photonique: faire de
Lorsqu’une onde lumineuse rencon- la photonique, c’est structurer la matière
tre un matériau homogène, elle est soit à l’échelle de la longueur d’onde, c’est-à-
transmise, soit réfléchie, dans une direc- dire de la distance parcourue par l’onde
tion et une proportion parfaitement décri- lumineuse durant une période – typi-
tes par les lois de la réflexion et de la quement une centaine de nanomètres. Dis-
réfraction, les « lois de Snell-Descartes ». poser régulièrement des objets à cette
Passée cette frontière, l’onde poursuit sa 1. LE PAPILLON MORPHO GODARTI est bleu à échelle est problématique dès qu’il s’agit
route en droite ligne jusqu’à l’interface sui- l’air pur (indice de réfraction n= 1), vert dans une de passer au stade industriel. Or le monde
vapeur d’acétone (n= 1,36) et marron clair
vante. Manipuler la lumière dans ces vivant met à notre disposition un nombre
dans une vapeur de trichloroéthylène (n= 1,48).
conditions ne peut se faire qu’à une échelle La structure interne de l’aile intercale couches considérable d’exemples et de modèles
macroscopique, par des jeux de miroirs, d’air et couches solides ; les vapeurs changent de cette taille. À défaut de savoir les fabri-
de prismes, de réseaux… l’indice optique des couches d’air, qui modifie le quer, nous pouvons tout du moins les
spectre réfléchi par l’aile. étudier, les modéliser et envisager d’éven-
Autre échelle, tuels « transferts technologiques ».
À chaque animal sa structure. Néan-
nouvelle optique moins, il est possible de faire émerger quel-
Tout devient différent lorsque la matière ques grandes catégories structurelles en
n’est plus homogène, mais présente à l’onde déterminant dans combien de directions
une structure périodique. Cette cohabita- de l’espace les périodes de ces structures
tion de deux périodes – celle de l’onde et se développent. On distingue ainsi les struc-
celle de la matière – conduit, sous certai- tures unidimensionnelles, périodiques dans
nes conditions, à bouleverser la propaga- une seule direction de l’espace: ce sont par
tion de l’onde. On peut freiner la lumière, exemple les empilements périodiques de
la faire tourner à 90 degrés ou lui faire couches (voir la figure 2a) ou les réseaux
Propriétés thermiques a b
es insectes ne produisant pas de chaleur, ils doivent capter
L
Mouillage et adhésion c
e nombreux insectes vivent dans des environnements extrê-
D mes, saturés d’humidité (forêts équatoriales) ou au contraire
secs et venteux (déserts), qui pourraient vite détériorer les pro-
priétés de leur cuticule, quelles qu’elles soient. D’autant que
souvent, les insectes sont incapables d’en assurer eux-mêmes l’en-
tretien. La sélection naturelle a ainsi favorisé les cuticules pré-
sentant une couche hydrophobe, autonettoyante ou antiadhésive.
S. Berthier, Springer-France, 2010
Structures antireflets
e nombreux insectes ont développé en diverses parties de
Papillon
de nuit D leur organisme (œil, ailes…) des structures à la fois transpa-
rentes et non réfléchissantes (et généralement aussi hydrophobes
et, par conséquent, autonettoyantes). Ces structures leur sont uti-
les pour absorber l’énergie solaire, optimiser la vision en milieu
peu lumineux ou augmenter la transparence pour le camouflage.
d
S. Berthier
à facettes de la plupart des papillons de nuit 1 μm
et de certains papillons diurnes tel Parnassius
apollo (d). La cornée de chaque facette est ✔ Camouflage. La structure en picots f
constituée d’un assemblage quasi périodique pseudoconiques des ailes des libellules (f)
de microrugosités coniques d’une centaine les rend très transparentes. Des ailes
de nanomètres qui crée, à l’échelle de l’onde transparentes sur un corps longiligne,
lumineuse, un gradient d’indice avec l’extérieur: tel est le secret de leur camouflage
passant progressivement de l’indice de l’air à dans le paysage.
l’indice de la facette, l’onde est très peu réfléchie.
Une telle structure est aussi hydrophobe.
S. Berthier
10 μm
Propriétés mécaniques
hez de nombreux coléoptères, les ailes antérieures ne partici-
C pent pas, ou peu et assez indirectement, au vol. Elles ont acquis
un rôle de protection du corps par optimisation de la rigidité.
Couleurs changeantes
g e nombreux animaux modifient leur couleur selon des pro-
h Chrysina aurigans
D cessus variés faisant intervenir soit des pigments (caméléon,
sole), soit des structures (coléoptères). Nombre d’insectes chan-
gent ainsi de couleur de façon active ou passive. Cette propriété
est nommée X-chromie, X représentant la contrainte provoquant
le changement de couleur. Les plus répandues sont l’hygrométrie
(hygrochromie) et la température (thermochromie).
© Shutterstock/Jens Stolt (Morpho rhetenor), A. Buckin (papillon de nuit), J. Thrower (Dynaste hercules)
Dynaste
hercules
a b ω c d ω
Ondes
réfléchies
z
… k n n n
kz
k
n Pas a –3aπ –2aπ – πa 0 π
a
2π 3π
a a
L’ A U T E U R linéaires simples. Viennent ensuite les struc- du corps ou l’hydrophobie (voir l’encadré
tures bidimensionnelles, plutôt rares dans pages 34 et 35).
la nature, périodiques dans deux directions Si l’on procède à un rapide bilan des
de l’espace, comme les réseaux croisés (voir moyens mis en œuvre par la nature pour
la figure 2b). Et enfin les structures tridi- réaliser l’ensemble de ces fonctions, on
mensionnelles, semblables – à l’échelle est frappé par l’extraordinaire économie
près – à la structure cristalline minérale de matériaux utilisés: une phase solide, de
(voir la figure 2c). Toutes ces structures sont la chitine chez les insectes ou de la kéra-
des cristaux photoniques et constituent la tine chez les oiseaux, les poissons et rep-
brique élémentaire de la photonique. tiles, deux polymères très proches, et une
Serge BERTHIER, professeur phase fluide, liquide (eau ou fluide biolo-
à l’Université Paris Diderot,
effectue ses recherches
à l’Institut des nanosciences
Plusieurs niveaux gique) ou gazeuse (air). D’un point de
vue optique, ces matériaux se compor-
de Paris, au sein de l’équipe d’organisation tent dans le visible comme des composants
« Milieux désordonnés Avant d’envisager une transposition de diélectriques présentant un faible contraste
multi-échelle : biophotonique,
couleur ». ces structures au monde industriel, il d’indice de réfraction par rapport à l’air
importe de s’interroger sur leur intérêt et (de 1 pour l’air à 1,6 environ pour la chi-
leur rôle dans la vie de l’animal. Le plus tine). En d’autres termes, ce sont des maté-
évident et le plus directement « photoni- riaux transparents qui modifient d’autant
que » est la production de couleurs. plus le trajet des rayons lumineux qui les
Contrairement aux couleurs dues à des traversent que leur indice est élevé. Pour-
pigments, celles engendrées par les struc- tant, chez l’animal, les couches de chitine
tures sont relativement saturées, brillan- ou de kératine suffisent à assurer de
tes et souvent très directionnelles (voir manière optimale – la survie de l’organisme
l’encadré ci-dessus). Elles participent notam- en apporte la preuve – l’ensemble des fonc-
ment à la communication intraspécifique tions. Comment un tel exploit est-il pos-
(entre mâle et femelle) ou interspécifique sible? Grâce à la structure bien particulière
(couleurs avertissantes). du matériau sur plusieurs échelles. C’est
Outre la production de couleurs, les ce que nous allons explorer maintenant.
structures photoniques des animaux assu- À chaque phénomène physique, il
rent de nombreuses autres fonctions vita- est possible de déterminer une taille carac-
les pour leur organisme, telles l’adaptation téristique, que l’on peut voir comme
à la température extérieure, la protection l’échelle minimale à laquelle il se pro-
0,5 cm
leçon – des structures photoniques natu- AILE détection de vapeurs, car l’air s’insinue
relles: elles sont mal ordonnées, ce qui opti- facilement dans toute la structure. Le spec-
3. LES CINQ NIVEAUX D’ORGANISATION de l’aile
mise les diverses fonctions associées aux de Morpho menelausinfluent tous sur sa couleur tre réfléchi par l’aile, ou tout simplement
différentes échelles de structure. Optimi- (de haut en bas) : les pigments absorbent la sa couleur, dépend à la fois de la struc-
ser un système monofonctionnel est sim- lumière à certaines longueurs d’onde et, de par ture géométrique – l’épaisseur des cou-
ple dans le principe, car toute amélioration leur géométrie et leur dimension, les lamelles ches, que l’on peut considérer comme
du dispositif va dans le bon sens. Il n’en créent des interférences, les stries diffractent la constante –, et de l’indice de réfraction
est plus de même lorsqu’il s’agit d’amélio- lumière, et les écailles et l’aile dispersent les de ses composants, notamment de l’air
rayons lumineux. De par leur échelle, certaines
rer de front plusieurs fonctions, parfois intercalé entre les couches d’écailles et
structures confèrent aussi d’autres propriétés
antagonistes. Quel est le bon équilibre ? à l’insecte: les stries l’isolent thermiquement, les entre les stries. En présence de vapeur d’un
Et comment y parvenir ? Le concept n’est écailles le rendent hydrophobe et aérodynami- produit quelconque, l’indice de ces cou-
pas simple et nous nous appuierons sur un que, et les mutiples couches qui constituent l’aile ches d’air est modifié, et la couleur varie.
postulat: la redoutable efficacité de la sélec- augmentent sa résistance. Une analyse des spectres de réflexion
✔ BIBLIOGRAPHIE permet, après étalonnage, de distinguer l’air (n = 1) à celui du verre (n = 1,5), ce qui
la nature du produit, mais également sa minimise les réflexions à chaque interface.
S. Berthier, Photonique des concentration dans l’air (voir la figure 1). Efficace, cette technique présente cepen-
Morphos, Springer-France, 2010.
Des prototypes artificiels imitant la struc- dant de nombreux inconvénients. Ces cou-
M. Elias et J. Lafait (sous la dir.), ture de l’aile fonctionnent, réalisés notam- ches de matériaux différents, et donc de
La couleur. Lumière, vision ment par l’Institut de recherche pour le coefficients de dilatation thermique diffé-
et matériaux, Belin, 2006.
génie physique et la science des matériaux, rents, ont tendance à se décoller en cas
S. Berthier, Iridescence, à Budapest, en Hongrie. Il s’agit à pré- de forte variation de température. Il est
les couleurs physiques sent de concevoir des dispositifs réalisa- également difficile d’appliquer un traite-
des insectes, bles à l’échelle industrielle. ment de surface (antirayure, hydropho-
Springer-France, 2003.
Une autre propriété convoitée est l’hy- bie…) du fait de l’incompatibilité des
drophobie extrême des ailes de la plu- indices. Elle impose par ailleurs l’utilisa-
part des papillons, souvent plus forte tion de nombreux matériaux.
que celle de la feuille de lotus qui a donné
son nom à cet effet (voir l’encadré pages 34
et 35). Dans les deux cas, elle est directe-
Un champ de bosses
ment liée à la nature multi-échelle de la antireflets
structure. Avec le laboratoire de Saint- Les insectes ont contourné ces difficultés
Gobain Recherche, nous avons mis au point avec une grande économie en développant
une technique pour imprimer cette struc- à la surface de chaque facette (ommati-
ture sur verre : on applique l’aile sur le die) de l’œil une structure quasi périodi-
verre avant sa solidification, ce qui trans- que de microrugosités sensiblement
fère à ce dernier la superhydrophobie de coniques de 200 nanomètres environ de
l’aile. La structure de l’aile du papillon hauteur et de pas. Cette structure crée un
Papilio ulysses imprimée sur un verre à car- gradient continu d’indice entre l’air et la
reau ordinaire confère à ce dernier une cornée de la facette (la cornéule) qui annule
hydrophobie supérieure à celle obtenue presque tous les reflets. Assemblés, les
par traitement chimique (voir la figure 5). picots coniques créent un champ de peti-
Dans un tout autre domaine, la struc- tes bosses : à l’échelle de l’onde lumi-
ture bidimensionnelle très particulière qui neuse qui arrive sur l’œil, tout se passe
recouvre les yeux à facettes de nombreux comme si le matériau constituant la facette
papillons de nuit est à l’origine d’un trai- se diluait progressivement dans l’air. Arri-
tement antireflet très efficace auquel elle vant sur un matériau d’indice très proche
a donné son nom : la moth eye structure (la de l’air, l’onde est principalement réfrac-
structure de l’œil du papillon de nuit). tée et très peu réfléchie. Une telle structure
Le traitement antireflet classique de nos est aussi hydrophobe, donc autonettoyante.
optiques (lunettes, objectifs…) se fait par Des structures similaires ont été repro-
dépôts successifs, sur la surface à traiter, duites à la surface d’optiques soumises à
de couches d’indice évoluant de celui de de fortes variations de température, en par-
ticulier dans le domaine spatial : contrai-
rement aux systèmes antireflets classiques,
a b c constitués de plusieurs couches qui se dila-
tent différemment, ces structures sont fai-
tes d’un seul matériau, qui est de surcroît
celui du support. On sait aussi transposer
de telles structures sur des surfaces ser-
vant de support à des capteurs lumineux,
afin de limiter les réflexions. La techni-
que utilisée est le procédé sol-gel : on fait
un moulage de la structure à l’aide d’un
gel qui est ensuite porté à l’état solide.
Contrairement aux mammifères, et en
particulier aux primates, les insectes sont
sensibles à la polarisation linéaire de la
S. Berthier
S. Berthier
S. Berthier
cette surface ou, au contraire, dans le plan 100 μm
d’incidence de l’onde (qui est perpendi-
culaire à la surface). En particulier, il existe
un angle d’incidence – l’angle de Brews-
c d e
ter, dont la valeur dépend uniquement de
l’indice du matériau – pour lequel une
onde polarisée selon cette seconde direc-
tion n’est pas du tout réfléchie (dans le cas
S. Berthier
des matériaux biologiques, l’angle est de
l’ordre d’une cinquantaine de degrés). Une
onde lumineuse quelconque réfléchie sous 5. IL EST AUJOURD’HUI POSSIBLE DE TRANSPOSER la structure des écailles du papillon
Papilio ulysses (a, observées en microscopie optique) sur du verre par impression (b, microsco-
cette incidence est donc totalement pola-
pie électronique). Une goutte de liquide posée sur ce verre (c) est bien plus sphérique que sur un
risée dans la direction parallèle à la sur- verre traité par voie chimique (d) ou non traité (e), ce qui traduit une plus forte hydrophobie.
face et on peut l’éteindre complètement
avec un simple polariseur.
en dessous d’une quarantaine de degrés ment. Déplacé vers de plus hautes tem-
Des papillons Celsius. Cela est assuré par convection
(transport de matière) et conduction vers
pératures, un tel dispositif permettrait de
stabiliser de façon passive la température
aux billets de banque le milieu extérieur, mais aussi par rayon- des capteurs industriels et de prolonger
Le phénomène est bien connu des photo- nement. Par des mesures dans le moyen ainsi leur durée de vie.
graphes, qui utilisent ce principe pour éli- infrarouge, nous avons montré que la chi- La photonique des organismes vivants
miner les reflets à la surface de l’eau ou tine, constituant majoritaire des ailes, pré- n’intéresse pas seulement le biologiste. Elle
du verre. Si la surface n’est plus un sim- sente un fort pic d’absorption des ondes fournit un chapitre de science en amont de
ple dioptre, mais une structure multicou- de longueur d’onde comprise entre cinq l’ingénierie et c’est en partie cette science
che engendrant une couleur par et dix micromètres, c’est-à-dire en bordure qui inspirera les ingénieurs. Emprunter
interférences, c’est cette couleur qui sera du domaine d’émission thermique opti- des idées et des recettes à la nature n’est
fortement polarisée et qu’il sera possible mal de l’insecte. Ce pic agit comme un pas une nouveauté: en fait, il est rare qu’une
de faire apparaître ou disparaître à l’aide frein, une buttée pour les variations ther- invention ne soit pas la transposition d’une
d’un polariseur. Sur les écailles du papil- miques. Lorsque la température de l’in- observation. L’industrie pourrait être inté-
lon Papilio ulysses (voir la figure 5a), par secte est optimale (vers 40 °C), le pic ressée de savoir qu’il n’est pas nécessaire
exemple, les côtés des alvéoles qui struc- d’absorption de la chitine ne se superpose de disposer de colorants pour colorer, et
turent leur surface réfléchissent une pas au spectre d’émission de l’aile; en d’au- que la clé de cette performance est libre-
lumière bleue fortement polarisée, que l’on tres termes, la chitine contribue très peu ment accessible sur les ailes de papillons,
fait disparaître à l’aide d’un polariseur. La à l’émission thermique de papillon. En les élytres de coléoptères ou les plumes
teinte vire alors au vert. Des structures revanche, si l’insecte chauffe trop, le d’oiseaux. Les organismes vivants n’ont
de ce type, très délicates à reproduire et domaine d’émission thermique se décale pas besoin d’une grande variété de maté-
optimisées pour renforcer cet effet, sont (tout comme une barre de fer chauffée émet riaux pour nous fournir une grande variété
utilisées pour faire apparaître des motifs des ondes de plus en plus énergétiques, d’effets visuels, du plus spectaculaire au
cachés sur les billets de banque. passant du domaine micro-onde à une plus discret. Les secrets de conception rési-
Dans le domaine thermique, enfin, les lumière rouge) et se superpose au pic d’ab- dent dans l’hétérogénéité et la complexité
papillons ont développé un système d’au- sorption de la chitine : la chitine participe géométrique des matériaux.
tostabilisation de la température particu- alors à l’émission thermique du papillon, Les processus qui sous-tendent l’évo-
lièrement ingénieux que l’on essaye de qui augmente, faisant baisser sa tempéra- lution et la sélection naturelle sont des méca-
transposer sur des capteurs photothermi- ture. Lorsque le papillon est suffisamment nismes puissants, qui favorisent la
ques, voire photovoltaïques. Les insec- refroidi, le spectre d’émission est à nou- production d’organes d’une complexité et
tes, comme les capteurs, ne peuvent veau décalé par rapport au pic d’ab- d’une efficacité étonnantes. De ce fait, les
supporter une surchauffe prolongée et doi- sorption de la chitine, et l’émission organismes vivants sont une source inépui-
vent maintenir leur température interne diminue, ce qui entraîne un réchauffe- sable d’inspiration pour l’ingénieur. ■
Biologie animale
Jeremy Goldbogen
Comment certaines baleines à fanons
parviennent-elles à consommer
plus d’une tonne de krill par jour ?
De nouveaux moyens d’observation
ont révélé une biomécanique
alimentaire originale.
© Denis Scott/Corbis
Langue a b c
écailles de la carapace des tortues – qui pen- res: l’engloutissement et la locomotion. D’un rigide. En revanche, celui des baleines
dent de leur mâchoire supérieure. Les balei- côté, on a une large bouche dilatable apte engouffreuses a une composition fibro-
nes à fanons consomment de grandes à engouffrer un énorme volume d’eau, de cartilagineuse qui le rend souple. Grâce
quantités de proies, et certaines peuvent l’autre un corps capable de conserver une à cette troisième articulation flexible, les
atteindre des tailles énormes – elles sont forme aérodynamique et de soutenir une deux mandibules incurvées peuvent pivo-
parmi les plus grands animaux qui ont nage efficace, en particulier au cours de lon- ter ensemble vers l’extérieur et augmen-
jamais vécu, pouvant atteindre 30 mètres gues plongées et migrations. ter l’ouverture de la cavité buccale. La
de longueur. Le mode d’alimentation par Chez les baleines les plus grandes, le rotation mandibulaire est régulièrement
engouffrement est particulièrement inha- crâne et les deux mâchoires inférieures observée chez la baleine à bosse et les ror-
bituel non seulement par la masse d’eau (ou mandibules) sont massifs : ils consti- quals lorsqu’ils s’alimentent en surface,
engloutie, mais aussi en raison de la bio- tuent presque 25 pour cent de la totalité et aussi chez des individus morts quand
mécanique qui le rend possible. du corps. Les mandibules sont reliées à la les muscles qui maintiennent la mandi-
base du crâne par de très grands coussi- bule en place se relâchent.
De la souplesse nets articulaires constitués d’une matrice
dense et élastique de fibres et de cartilage
Ainsi, l’articulation particulière de la
mâchoire inférieure des baleines engouf-
dans les mâchoires imprégnés d’huile. Ce type d’articulation freuses leur permet d'augmenter le flux
Nos premiers aperçus sur ce mode d’ali- est propre au mégaptère et aux rorquals, d'eau entrant dans la cavité buccale. Un
mentation particulier sont venus des tra- et peut-être aussi à la baleine grise mécanisme des plus inhabituels facilite
vaux des cétologues nord-américains (Eschrichtius robustus), qui se nourrit de ce flux : la langue, flasque et déformable,
August Pivorunas, Richard Lambertsen coquillages et crustacés vivant dans la car composée en grande partie de tissu
et Paul Brodie. Leurs recherches se sont vase. Ces articulations, attaches flexibles graisseux élastique, peut s’invaginer dans
focalisées sur les structures anatomiques entre le crâne et les mandibules, permet- un espace intramusculaire, le cavum ven-
en action, dont une série complexe d’adap- tent aux mâchoires de s’ouvrir presque à trale, situé entre la face inférieure de la lan-
tations morphologiques de la tête, de la 90 degrés afin d'engouffrer la plus grande gue et les parois de la cavité buccale. De
bouche et de la gorge. quantité d'eau possible. la sorte, elle recule vers le nombril pour
La tête des baleines engouffreuses appa- Chez certains mammifères, le point former un grand sac qui se gonfle d’eau de
raît plus reptilienne que mammalienne; sa de jonction des mandibules à l'avant, la mer engloutie (voir la figure 3).
forme satisfait des contraintes contradictoi- symphyse mandibulaire, est osseux et
Une graisse
a b Tissu très extensible
conjonctif
Graisse et muscle Cette distension extrême de la cavité buc-
Élastine
cale exerce une pression sur les parois du
corps qui, chez les cétacés, sont compo-
sées de graisse ferme et de tissu conjonctif.
Nick Pyenson
d e
© Am.Sci.
Après des analyses plus poussées,
nous avons remarqué que nous pouvions
utiliser l’intensité du bruit d’écoulement
enregistré par l’hydrophone pour calcu-
4.0 10 80
(en mètres par seconde)
Surface d’ouverture
(en mètres carrés)
2.5 de vitesse à bruit d’écoulement » a révélé
Vitesse
de la bouche
2.0 40 à quel point les changements de vitesse
1.5 4 sont rapides lorsque la baleine s’appro-
1.0 20 che de ses proies. La vitesse maximale
2
0.5
0 0 enregistrée pour les rorquals communs
0
0 2 4 6 8 10 12 14 16 18 20 était de trois mètres par seconde, préci-
Temps (en secondes) sément celle qu’avaient calculée L. Orton
4. LES DONNÉES FOURNIES par des balises électroniques fixées sur des baleines émergeant et P. Brodie.
pour respirer ont permis de détailler les étapes de l’alimentation par engouffrement. Après avoir Les enregistrements ont également
plongé à une profondeur de plusieurs centaines de mètres, le cétacé accélère dans un banc de révélé qu'une décélération rapide du corps
krill (ligne violette), ouvre sa bouche (ligne verte), provoquant une grande force de traînée et se produit, alors même que la baleine conti-
une décélération. La cavité buccale se remplit d’eau (ligne orange), puis la baleine referme sa bou- nue à nager activement; cela indique que
che, commence à filtrer l’eau et à se préparer pour la capture suivante.
la baleine subit une puissante traînée
lorsqu’elle ouvre largement la bouche – la
Ces opérations ont été dirigées par John traînée étant la résultante des forces
Calambokidis et Greg Schorr, du Cascadia s’exerçant dans la direction opposée à la
Research Collective, une organisation à but progression de l’animal. De l’importance
Sherwin Cotler, Cascadia Research
non lucratif d’Olympia, dans l’État de du freinage, on peut déduire non seulement
Washington, et Erin Oleson, de l’Institu- la traînée subie, mais aussi la quantité d’eau
tion d’océanographie Scripps, en Califor- engloutie par la baleine (voir la figure 4).
nie. Menées chaque été depuis 2002 au large La taille et la forme des mandibules
des côtes californiennes et du Mexique, influent sur la taille et le gonflement de la
elles ont montré que les baleines plon- cavité buccale, donc sur la quantité d’eau
gent chaque jour à plusieurs reprises, dans 5. FIXER UNE BALISE ÉLECTRONIQUE sur une engloutie et, par conséquent, déterminent
certains cas jusqu’à 300 mètres de pro- baleine en surface n’est pas facile. Ici, une équipe l’importance de la traînée. Afin de com-
fondeur. Au plus profond de chaque plon- de l’organisation non gouvernementale Casca- biner les mesures morphologiques avec
gée, se produit une série d’ondulations, dia Research place une balise sur un rorqual les données de mouvements obtenues
bleu grâce à une longue perche en fibre de verre.
accompagnées de mouvements de nage grâce aux balises, Nick Pyenson, de l’Ins-
Le dispositif de flottaison rouge facilitera sa
actifs et d’une diminution concomitante récupération quand les ventouses de la balise titution Smithsonian, Robert Shadwick,
du bruit d’écoulement de l’eau, ce qui indi- se détacheront du rorqual. de l’Université de Colombie Britannique,
que une réduction rapide de la vitesse. et moi-même avons entrepris de mesu-
rer le plus grand nombre possible de
Une nage spécimens conservés dans des muséums
(voir la figure 7).
brusquement freinée Nous avons ainsi pu estimer la quan-
Ces données sont des indices d’engouffre- tité d’eau engloutie par un rorqual commun
ments se produisant en profondeur. Elles à chaque capture de proies. Quand la gueule
ont été validées par un autre type de balise est ouverte au maximum, la cavité buccale
à ventouses : la Crittercam du National Geo- se remplit à une vitesse d’environ 20 mètres
graphic, conçue et développée par Greg cubes par seconde. À la fin d’une capture
Marshall. La caméra vidéo de cette balise de six secondes, la masse d’eau accumulée
est équipée d’un dispositif à infrarouge, est d’environ 60 tonnes, nouvelle confirma-
tion de la prévision de P. Brodie. Le volume
© J. Goldbogen
de l’eau engloutie
que l’engouffrement passif n’est physi- 0 0
quement possible que pour des angles 10 11 12 13 14 15 16
d’ouverture de la cavité buccale plus fai-
Une baleine engouffreuse est-elle semblable à un parachute qui se gonfle passivement d’air ?
bles et des volumes engloutis plus petits Élargit-elle sa cavité buccale sous la seule pression de l’eau entrante (a), ou contrôle-t-elle acti-
que ceux observés. Deux caractéristi- vement ce processus, en utilisant ses muscles pour repousser l’eau vers l’avant (b, en rose) ? Les
ques anatomiques clés ont suggéré un simulations de trajectoire de la baleine, qui prévoient sa vitesse lors d’un engouffrement passif (c,
mécanisme d’engouffrement très diffé- ligne bleue), ne concordent pas avec les données enregistrées par les balises électroniques (cer-
rent. Plusieurs couches musculaires bien cles blancs avec les barres d’erreur). En revanche, les simulations de trajectoire lors d’un engouf-
développées sont fermement attachées à frement actif (d, ligne orange) correspondent à ces données. La mécanique de l’engouffrement
la graisse ventrale à sillons des baleines. d’une baleine est donc bien différente du déploiement d’un parachute.
De plus, une étude réalisée par Merijn
que l’eau accélère en pénétrant la cavité qui tend à encrasser rapidement le filtre de Ils ont fixé de simples enregistreurs de
buccale, et finalement la vitesse de la particules de grande taille, la filtration tan- temps et de profondeur sur le dos de balei-
baleine et la vitesse de l’eau s’équilibrent. gentielle éviterait que le krill ne se coince nes bleues et de rorquals communs faisant
Les simulations de cet engouffrement entre les fanons. Si cela advenait, on voit surface. Les plongées qui impliquaient
actif concordent avec le profil de vitesse mal comment la baleine le détacherait de plus de phases de capture étaient suivies
provenant des balises numériques (voir sa langue molle et peu musculeuse. Un d’un temps plus long de récupération en
l’encadré page 45). Le mécanisme de nutri- jour, la technologie nous permettra peut- surface. Ces chercheurs ont donc supposé
tion par engouffrement diffère donc du être de visualiser le mode de filtration d’un que chaque phase de capture a un coût
gonflement passif des parachutes. rorqual ou d’une baleine à bosse, ce qui énergétique élevé. Cette hypothèse a été
Bien que cela semble aller contre l’in- mettrait fin à ces supputations. étayée depuis lors, non seulement pour
tuition, le fait de repousser l’eau vers La traînée élevée de l’engouffrement les rorquals communs et les rorquals bleus,
l’avant au cours d’une capture présente actif retentit sur la recherche de nourri- mais aussi pour les baleines à bosse.
certains avantages. D’abord, la force de ture et la morphologie du cétacé. Non seu- Comme le temps de plongée est limité
traînée subie par la baleine est répartie lement la baleine doit dépenser beaucoup par son coût énergétique, ces baleines
dans le temps, ce qui la rend plus faible d’énergie pour accélérer la masse d’eau dépendent de la présence de concentrations
à chaque instant. L’engouffrement actif qu’elle engloutit, mais la traînée élevée denses de proies. De plus, on pense que
pourrait aussi accroître le rendement lui fait perdre son énergie cinétique, stop- leur morphologie est telle qu’elles peuvent
énergétique et mécanique de la filtration pant presque sa progression. En consé- engloutir autant d’eau que possible par
par les fanons. quence, l’animal doit réaccélérer afin plongée ; c’est sans doute pourquoi leur
d’assurer la phase de capture suivante cavité buccale s’étend sur la moitié du corps,
Un filtre tout en continuant son apnée. Les engouf-
freuses épuisent ainsi rapidement leurs
jusqu’au nombril, les mâchoires représen-
tant presque le quart de la longueur du
autonettoyant ? réserves d’oxygène et doivent revenir à corps. Mais alors, l’appareil d’engouffre-
En effet, la masse engloutie, à l’intérieur la surface pour récupérer au bout d’une ment ne pourrait-il être encore plus grand?
de la cavité buccale, longe la surface fil- quinzaine de minutes. Ce laps de temps Quelles sont les limites à sa capacité? Celle-
trante des fanons, et l’on peut penser que assez court est inattendu, car ces balei- ci change-t-elle avec la taille du corps?
la baleine utilise un type de filtration dit nes sont très grandes, et chez presque tous Ces questions m’ont conduit à consul-
tangentiel des particules contenues dans les autres vertébrés respirant à l’air, le ter un ensemble de données morphomé-
l’eau. Ce type de filtration est par exem- temps de plongée augmente habituelle- triques oubliées, provenant de la littérature
ple mis en œuvre par des procédés de puri- ment avec la taille, en raison d’un méta- consacrée à la chasse à la baleine. J’ai ainsi
fication de l’eau, de fabrication de la bière bolisme plus efficace. étudié les effets de la taille et de la mor-
et du vin, de clarification de jus de fruits Donald Croll et ses collègues, de l’Uni- phologie sur les performances de la nutri-
et de biotechnologies. Il a aussi été observé versité de Californie à Santa Cruz, ont tion par engouffrement.
chez les poissons filtreurs. Par opposition mesuré pour la première fois le temps de
à la filtration frontale, où le flux d’eau est
perpendiculaire à la surface filtrante, ce
plongée d’engouffreuses, en l’occurrence
de rorquals, au début des années 2000.
Que peut engouffrer
une baleine ?
Dans les années 1920, le gouvernement bri-
tannique, cherchant à gérer l’industrie de
la chasse à la baleine, a lancé une série d’ex-
péditions, les Discovery Investigations, afin
d’en apprendre plus sur l’histoire naturelle
et la biologie des grandes baleines de l’océan
Austral. Une étude particulière était consa-
crée aux proportions des deux plus gran-
des espèces de baleines, le rorqual commun
et le rorqual bleu.
Ces espèces, parmi les plus grands
animaux de tous les temps, présentent
cependant une large gamme de tailles.
Par exemple, la longueur au sevrage
des rorquals communs et des baleines
bleues est d’environ 12 et 16 mètres, res-
pectivement, tandis que leur taille maxi-
Nick Pyenson
Capacité
d’engouffrement Capacité
75% d’engouffrement
104% Capacité d’engouffrement
Surface 50% Surface Surface 133%
de la cavité Longueur de la cavité 55% de la cavité
buccale de la cavité buccale Longueur buccale 60%
50% buccale 58% de la cavité buccale 67% Longueur de la cavité buccale
© AmSci
8. QUAND UN RORQUAL COMMUN GRANDIT, sa cavité buccale ne s’ac- dis que la part de la queue diminue de 28 à 22 pour cent. La surface de
croît pas de façon linéaire, mais son rapport à la taille du corps aug- la cavité buccale augmente de 50 à 67 pour cent de la surface totale
mente. La longueur de la cavité buccale par rapport à celle du corps projetée du corps, et la capacité d’engouffrement augmente de 75 à
passe de 50 à 60 pour cent, celle du crâne de 22 à 28 pour cent, tan- 133 pour cent de la masse du corps.
rorquals communs et de rorquals bleus buccale. Étant donné que d’autres grandes
représentant ces gammes de taille. baleines engouffreuses présentent aussi ce
Résultat : les baleines les plus grandes type de croissance relative, ces configura-
ont des mâchoires et des cavités buccales tions morphologiques représentent vrai-
surdimensionnées par rapport à leur taille, semblablement une adaptation liée à
tandis que la région située entre l’aileron l’alimentation par engouffrement.
dorsal et la nageoire caudale devient La taille de leur queue n’affecte pas la
relativement plus petite. Les auteurs de nage des grandes baleines, car la surface
l’étude n’expliquaient pas cette morpho- de propulsion qui engendre la poussée est
✔ BIBLIOGRAPHIE
logie, probablement parce que leurs don- généralement proportionnelle à la taille du J.A. Goldbogen et al., Mechanics,
nées ont été recueillies avant que nous corps. Cependant, l’accroissement de la capa- hydrodynamics and energetics
connaissions son importance sur les per- cité buccale a un coût. L’engouffrement étant of blue whale lunge feeding :
efficiency dependence on krill
formances alimentaires. actif, des masses d’eau plus importantes doi- density, J. Exp. Biol., vol. 214,
Avec l’aide de mes collègues, j’ai repris vent être accélérées. Ainsi, les grandes balei- pp. 131-146, 2011.
les données britanniques concernant le ror- nes doivent dépenser plus d’énergie en
J.A. Goldbogen et al., Skull and
qual commun, afin d’estimer sa capacité proportion pour chaque phase de capture. buccal cavity allometry increase
d’engouffrement en fonction de la taille. Si l’on considère que ces coûts éner- mass-specific engulfment
Comme nous l’avions prévu, la masse rela- gétiques restreignent le temps de plongée, capacity in fin whales, Proc. Roy.
tive d’eau engloutie augmente avec la taille en comparaison d’autres animaux plon- Soc. B, vol. 277, pp. 861-868, 2010.
du rorqual, puisque l’appareil d’engouf- geurs, le temps de plongée des plus gran- J. Potvin et al., Passive versus
frement devient plus grand. des baleines serait davantage limité que active engulfment : verdict from
celui de leurs congénères plus petits. Une trajectory simulations of lunge-
feeding fin whales Balaenoptera
telle conséquence pourrait être préjudicia-
Une question d’échelle ble, car les bancs de proies suffisamment
physalus, J. Roy. Soc. Interface,
vol. 6, pp. 1005-1025, 2009.
Question connexe : pourquoi la queue denses tendent à se trouver en profondeur.
J.A. Goldbogen et al., Foraging
des baleines de grande taille est-elle rela- En théorie, la dépense d’énergie pour se behavior of humpback whales :
tivement plus petite ? Peut-être parce que nourrir s’accroît plus rapidement avec la Kinematic and respiratory
toutes les ressources liées à la croissance taille du corps que le gain d’énergie apporté patterns suggest a high cost
sont consacrées à la partie antérieure du par ce mode d’alimentation. for a lunge, J. Exp. Biol., vol. 211,
pp. 3712-3719, 2008.
corps, avons-nous suggéré. Lorsque les Extrapolons ce scénario à une « méga-
rorquals communs grandissent, leur capa- baleine » hypothétique, une baleine beau- J. Calambokidis et al., Insights
cité d’engouffrement augmente. Effective- coup plus grande qu’un rorqual bleu. Un into the underwater diving,
feeding and calling behavior
ment, le crâne devient relativement plus tel cétacé ne serait pas capable de soute- of blue whales from a suction-cup
long et plus large par rapport au corps, et nir son métabolisme en se nourrissant uni- attached video-imaging tag
la surface d’ouverture de la cavité buc- quement par engouffrement. Autrement (CRITTERCAM), Marine Technol.
cale est aussi plus grande en proportion dit, si l’évolution a sélectionné la taille de Soc. J., vol. 41, pp.19-29, 2007.
chez les rorquals de grande taille (voir la ces mammifères jusqu’à ses valeurs actuel- L.S. Orton et P. F. Brodie,
figure 8). De plus, la longueur de la graisse les, il existe indiscutablement une limite Engulfing mechanics of fin
ventrale à sillons augmente proportionnel- supérieure que les baleines engouffreu- whales, Can. J. Zool., vol. 65,
pp. 2898-2907, 1987.
lement, ce qui accroît la capacité de la cavité ses ne peuvent dépasser. ■
Astronomie
des étoiles massives denses sont les «œufs» des étoiles, où sont passe par la prise en compte de l’envi-
peuvent déclencher les « poules » cosmiques ? Les nuages ronnement de l’étoile en devenir. L’état
l’effondrement de nuages, doivent eux-mêmes venir de quelque part, final de la nouvelle étoile dépend non seu-
et comment les nouvelles et leur formation est mal comprise. Deuxiè- lement des conditions initiales dans le
étoiles interagissent. mement, pourquoi le cœur dense com- nuage, mais aussi de l’influence ultérieure
mence-t-il à s’effondrer ? Le mécanisme de son environnement et de ses voisines
Astronomie [49
pls_401_p000000_young.xp_prg0302-2 4/02/11 19:19 Page 50
Protoétoile
Nuage
Cœur
stellaires. C’est l’éternel débat de l’inné trois quart d’hydrogène et d’un quart
et de l’acquis, à l’échelle cosmique… d’hélium ; tous les autres éléments repré-
Si vous regardez le ciel par une nuit sentent à peine quelques pour cent. Une
bien noire, vous pourrez voir la traînée de partie de ce matériau est de la matière pri-
lumière diffuse de la Voie lactée sur la mordiale à peine altérée depuis le Big
voûte céleste. Elle est interrompue par des Bang, une part est rejetée par les étoiles
zones sombres: des nuages interstellaires, au cours de leur vie, et une autre est for-
L’ A U T E U R dont les particules de poussière inter- mée de débris d’explosions stellaires.
ceptent la lumière des étoiles et les ren- Au départ, le gaz se trouve sous forme
dent opaques à la lumière visible. d’atomes, car le rayonnement énergétique
C’est dans ces nuages de poussière et des étoiles casse les molécules. Il est dif-
de gaz que naissent les étoiles. Par consé- fus, avec environ un atome d’hydrogène
quence, ce phénomène est caché et donc par centimètre cube. En se refroidissant,
très difficile à observer. On peut voir où le gaz se condense néanmoins en nuages,
le processus démarre – dans les nuages comme la vapeur d’eau dans l’atmosphère.
opaques – et comment il prend fin – par Ce faisant, il libère de l’énergie. Le milieu
l’apparition d’une étoile –, mais ce qui se étant très peu dense, cette énergie ne peut
Erick YOUNG, astronome
à l’Université d’Arizona passe entre les deux reste obscur. Le peu être évacuée par collisions. Le moyen le
jusqu’en 2009, dirige la mission de rayonnement qui filtre se situe dans plus efficace est l’excitation et la réémis-
SOFIA (Stratospheric Observatory le domaine de l’infrarouge lointain et sion dans l’infrarouge lointain de certains
for Infrared Astronomy).
des ondes submillimétriques, où les capa- éléments, tel le carbone ionisé qui émet à
cités d’observation sont assez rudimen- la longueur d’onde de 158 micromètres. La
taires par rapport à d’autres plages du basse atmosphère terrestre est opaque à ces
spectre électromagnétique. longueurs d’onde, si bien qu’elles doivent
La formation des nuages de poussière être étudiées depuis l’espace (par exemple
et de gaz est une étape du cycle du milieu par l’observatoire spatial Herschel, lancé
interstellaire : les nuages engendrent des en 2009 par l’Agence spatiale européenne)
étoiles, qui recyclent les éléments en leur ou la haute atmosphère, par des télescopes
sein, avant de les relâcher dans le milieu embarqués sur des avions (mission SOFIA).
interstellaire à leur mort, et ainsi de suite. À mesure que les nuages se refroidis-
Le milieu interstellaire est constitué aux sent, ils deviennent plus denses. Quand ils
Protoétoile
Étoile de
type solaire
Planète
Rayonnement intense
Protoétoile massive
Étoile massive
Don Dixon
atteignent environ 1000 atomes par centi- ler l’étape précédente, le passage des nuages cruciale de formation des étoiles : la masse
mètre cube, ils sont assez épais pour blo- moléculaires à ces protoétoiles. de l’étoile serait déjà déterminée à ce stade
quer le rayonnement ultraviolet énergétique Au milieu des années 1990, le satel- par celle du nuage. Il existe des nuages
des étoiles environnantes. Les atomes d’hy- lite MSX et l’observatoire spatial infrarouge de toutes masses ; les petits étant plus cou-
drogène peuvent alors se recombiner et for- ISO ont découvert des nuages si denses rants que les grands. Cette distribution de
mer des molécules, par un processus (plus de 10 000 atomes par centimètre cube) masse ressemble beaucoup à celle des
complexe faisant intervenir la catalyse qu’ils sont opaques même à l’infrarouge étoiles, si ce n’est que les nuages sont trois
des grains de poussière présents dans le thermique qui pénètre d’habitude la pous- fois plus massifs, ce qui suggère que seul
nuage. Les observations en ondes radio ont sière. Ces « nuages sombres dans l’infra- un tiers de la masse d’un nuage se retrouve
montré que ces nuages dits moléculaires rouge» sont beaucoup plus massifs (100 à dans la nouvelle étoile. Le reste se perd
contiennent des composés allant de l’hy- 100000 fois la masse du Soleil) que les nua- dans l’espace d’une façon ou d’une autre.
drogène moléculaire aux molécules orga- ges moléculaires standards. Ces dernières Les mesures de la masse des nuages
niques complexes, qui auraient pu jouer un années, ces nuages ont été recensés dans moléculaires ne sont cependant pas encore
rôle dans l’apparition de la vie sur Terre. deux relevés en infrarouge du plan de la assez fiables pour que l’on puisse dire si
Galaxie réalisés avec le télescope spatial ce parallèle entre la distribution de masse
Spitzer (relevés GLIMPSE et MIPSGAL, voir des étoiles et celle des nuages moléculaires
Le chaînon manquant l’encadré page 52, en haut). Ils pourraient est une vraie relation de cause à effet, ou
Mais au-delà de ces étapes, la piste s’efface. être le chaînon manquant entre les nuages une simple coïncidence. Mais, quel que soit
Les observations infrarouges ont débusqué moléculaires et les protoétoiles. le mécanisme qui fixe la masse d’une étoile,
des étoiles naissantes profondément enchâs- En fait, les nuages sombres et les cœurs il détermine toute son histoire: étoile massi-
sées dans la poussière, mais n’ont pu révé- denses représentent peut-être l’étape ve qui mourra jeune et explosera dans un
Spontané
ou provoqué ?
Charles Lada, du Centre Harvard-Smith-
sonian d’astrophysique, et ses collègues
privilégient la lente dissipation de la pres-
sion thermique. En cartographiant les
UN EFFONDREMENT PROVOQUÉ
nuages moléculaires aux longueurs
Les manuels d’astronomie restent vagues sur les mécanismes de déstabilisa- d’onde millimétriques et submillimé-
tion et d’effondrement des nuages moléculaires. Des images infrarouges de triques, à cheval sur les bandes radio et
Spitzer révèlent que des étoiles massives proches en sont souvent responsables.
infrarouge, ils sont parvenus à identifier
un grand nombre de cœurs isolés relati-
vement calmes dans des nuages proches.
Certains présentent des signes de mou-
NASA, JPL/Caltech et Harvard Smithsonian Center for Astrophysics
Le responsable est sans doute aussi Une explication plus vraisemblable est
un groupe d’étoiles massives voisines. qu’une onde de choc provoquée par une
supernova aurait balayé la région et entraîné
l’effondrement des cœurs. Mais les preuves L’autre classe de modèles, dits du cœur À voir dans l’infrarouge
sont ambiguës, parce que les étoiles mas- turbulent, développés notamment par
sives perturbent leur environnement natal, Christopher McKee, de l’Université de Les nuages moléculaires sont
si bien qu’il est difficile de reconstruire les Californie à Berkeley, est directement déri- des taches noires en lumière visible,
conditions dans lesquelles elles se sont vée du modèle classique, mais avec un rôle mais ils s’éclairent dans l’infrarouge.
formées. Une autre limite est la difficulté de accru de la turbulence. Plusieurs coeurs Ces longueurs d’onde traversent
confirmer que les étoiles de plus faible masse s’effondrent dans le nuage, mais, à cause en effet mieux la poussière.
de la région, qui sont moins brillantes, se de la turbulence, ils sont de tailles diffé- Les protoétoiles et les nuages
sont formées en même temps. rentes dès le départ. La distribution de rayonnent la majeure partie
Le télescope Spitzer a permis de pro- masse des étoiles résultantes reflète le de leur énergie dans ce domaine.
gresser sur cette question. Lori Allen, de spectre de la turbulence initiale, et non une
l’Observatoire national pour l’astronomie compétition ultérieure pour le matériau. Le rayonnement infrarouge
optique (NOAO), et ses collègues ont décou- Les observations semblent pencher en correspond à des longueurs d’onde
vert un exemple frappant de cause externe faveur du modèle du cœur turbulent, mais de 1 à 1 000 micromètres. La matière
d’effondrement dans une région nom- le modèle concurrentiel pourrait être dont la température est comprise
mée W5 (voir l’encadré page 52 en bas). Les valable dans des régions de densité stel- entre 3 et 3 000 kelvins rayonne
images montrent de jeunes protoétoiles laire très élevée. Un cas intéressant est celui en infrarouge.
enchâssées dans des poches de gaz denses
qui ont été comprimées par le rayonne-
de l’amas du Sapin de Noël (NGC 2264)
dans la constellation de la Licorne (voir
Le proche infrarouge, entre
un et cinq micromètres, correspond
ment d’une génération précédente ci-dessous). En lumière visible, cette région
à de la lumière stellaire un peu
d’étoiles. La compression étant environ présente un grand nombre d’étoiles
atténuée par la poussière. La plupart
dix fois plus rapide que l’effondrement brillantes et une abondance de poussière
des observations infrarouges
spontané, ces objets disséminés doivent et de gaz, caractéristiques de la forma-
sont concentrées dans ce domaine.
s’être formés presque simultanément. Pour tion stellaire. Les observations de Spitzer
résumer, le déclenchement de la forma- y ont révélé la présence d’un amas dense L’infrarouge moyen et lointain,
tion stellaire n’est pas une situation binaire, avec des étoiles à divers stades de déve- jusqu’à 200 micromètres, est surtout
comme on le pensait auparavant. Il existe loppement. Cet amas permet de visuali- émis par la poussière. Ces longueurs
tout un spectre de processus. ser avec précision les étapes où la d’onde sont bloquées
turbulence ou l’accrétion concurrentielle par l’atmosphère terrestre.
laisseraient leur marque.
Naissances en groupe Les étoiles les plus jeunes, et donc les Le rayonnement submillimétrique,
En dehors du cas des effondrements pro- plus froides, qui rayonnent plus aux gran- de 350 à 1 000 micromètres,
voqués, le modèle classique explique assez des longueurs d’onde, sont rassemblées en caractérise le matériau droid.
bien les observations de cœurs isolés for-
mant des étoiles. Mais beaucoup d’étoiles, DES CRÈCHES D’ÉTOILES SUR CHARGÉES
peut-être la plupart, se forment dans des
amas, et le modèle ne rend pas compte de Bien que le modèle classique de formation stellaire n’en tienne pas compte, les
la façon dont cet environnement encom- étoiles naissantes peuvent interférer avec la formation de leurs voisines. Le
télescope Spitzer a trouvé dans l’amas du Sapin de Noël (NGC 2264) un amas
bré perturbe leur naissance. Ces der- dense d’étoiles d’âges variés. Certaines des « étoiles » les plus jeunes s’avè-
nières années, les chercheurs ont développé rent être des groupements serrés de protoétoiles, parfois jusqu’à une dizaine
deux théories concurrentes, qui ont pu être dans un rayon de 0,1 année-lumière, et donc assez proches pour interagir.
précisées grâce aux progrès considérables
réalisés en termes de puissance de calcul.
Les observations en infrarouge aident les
astronomes à trancher.
La première théorie, dite concurentielle,
NASA, JPL/Caltech et P. Teixeira, Harvard Smithsonian Center for Astrophysics
un groupe serré. Paula Texeira, de l’Obser- galaxies. Elles injectent de l’énergie dans
À quelle vitesse se vatoire européen austral, et ses collègues le milieu interstellaire à la fois par leur
forment les étoiles ? ont montré qu’elles sont espacées d’envi- rayonnement et par le flot de matière
ron 0,3 année-lumière. Ce motif régulier qu’elles éjectent, et, à la fin de leur vie, elles
C’est une question qui donne est ce que l’on attendrait si les cœurs explosent en supernovae, restituant de la
du fil à retordre aux astronomes. denses s’effondrent sur place, à partir des matière enrichie en éléments lourds. La
Le point crucial est l’étape finale conditions initiales dans le nuage molé- Voie lactée est criblée de bulles et de ves-
de l’effondrement, après la formation culaire global, comme ce que décrit le tiges de supernovae créés par ces étoiles.
du noyau de la protoétoile, mais avant modèle turbulent. Dans le modèle concur-
qu’elle ait grossi en accrétant
de la masse. L’équipe de Neal Evans,
rentiel, a contrario, la répartition des étoiles
devrait être aléatoire. Pourtant, les images
Prendre du poids :
de l’Université du Texas à Austin, plus détaillées montrent que certaines pas si simple
a observé des complexes protoétoiles apparentes ne sont pas des Cependant, la théorie classique peine à
de formation stellaire proches objets uniques, mais des groupes com- expliquer leur formation. À partir du
avec le télescope spatial Spitzer pacts d’objets. L’un d’entre eux regroupe moment où une protoétoile atteint le
et trouvé que l’accrétion se fait dix sources dans un rayon de 0,1 année- seuil d’environ 20 masses solaires, la pres-
à un rythme très irrégulier. L’étoile lumière. C’est une densité telle que l’accré- sion exercée par son rayonnement devrait
grossit très rapidement jusqu’à tion concurrentielle doit entrer en jeu, l’emporter sur la gravité et l’empêcher de
la moitié de sa masse finale, au moins à petite échelle. poursuivre sa croissance. En plus de la
mais sa croissance ralentit Par conséquent, comme pour l’effon- pression du rayonnement, le vent stellaire
ensuite ; il lui faut dix fois plus drement, l’effet de l’environnement sur la d’une étoile massive disperse son nuage
de temps pour accumuler le reste taille des étoiles n’est pas exclusif. La natal, limitant davantage sa croissance,
de sa masse. L’ensemble du processus turbulence et l’accrétion concurrentielle tout en interférant avec la formation
est donc plus long que ce que peuvent toutes deux opérer. d’étoiles dans les environs.
l’on estimait auparavant : Les étoiles massives sont rares et ne Des travaux théoriques récents de Mark
deux millions d’années en moyenne vivent pas longtemps, mais elles jouent un Krumholz et ses collègues offrent une piste
pour une étoile de type solaire. rôle très important dans l’évolution des pour sortir de cette impasse. Leurs simu-
lations en trois dimensions montrent la tographier la répartition des vitesses dans BIBLIOGRAPHIE
croissance stellaire dans toute sa complexité. les nuages interstellaires. Aux plus gran-
L’afflux de matériau n’y est pas uniforme ; des longueurs d’onde, l’interféromètre M. Krumholz et al., The formation
of massive star systems by
les régions denses alternent avec des bulles ALMA, en construction dans les Andes chi- accretion, Science, vol. 323,
où la lumière stellaire peut s’échapper. Ainsi, liennes, permettra de cartographier les pp. 754-757, 2009.
la pression radiative pourrait finalement protoétoiles avec un luxe de détails. arxiv.org/abs/0901.3157
ne pas faire obstacle à la croissance. Des Avec ces nouvelles observations, les
S. P. Zwart,Les frères perdus
étoiles compagnons se forment aussi faci- astronomes espèrent déterminer le cycle du Soleil, Pour la Science n° 387,
lement à partir du matériau dense en accré- de vie complet du milieu interstellaire, des janvier 2009.
tion, expliquant pourquoi les étoiles nuages atomiques aux nuages molécu- http://bit.ly/pls387-soleil
massives sont rarement solitaires. Les astro- laires, jusqu’aux cœurs préstellaires et aux M. Heydari-Malayeri,
nomes cherchent maintenant la confirma- étoiles, et enfin le retour au gaz diffus. Ils L'énigmatique formation des étoiles
tion de ces simulations en observant avec espèrent également observer les disques massives, Pour la Science
le télescope Spitzer des régions de forma- protostellaires avec une résolution angu- n° 359, septembre 2007.
http://bit.ly/pls359-etoiles-
tion d’étoiles massives. La vérification sera laire suffisante pour suivre la chute de massives
cependant délicate: la rareté et la brièveté matériau issu du nuage, ainsi que com-
de ces étoiles rendent leur formation diffi- parer les effets de différents environne- S. Mohanty et R. Jayawardhana,
La naissance tragique des naines
cile à observer. ments sur la naissance des étoiles. brunes, Pour la Science n° 340,
Heureusement, de nouveaux équi- Les réponses auront des répercussions février 2006. http://bit.ly/pls340-
pements vont permettre de progresser sur dans d’autres domaines de l’astrophy- naines-brunes
les questions liées à la formation des sique. La théorie actuelle de la forma- E. Young et al., Spitzer and Magellan
étoiles. Herschel et SOFIA observent depuis tion stellaire n’est pas mauvaise, mais ses observations of NGC 2264 : a
peu les longueurs d’onde submillimé- lacunes nous empêchent d’expliquer cer- remarkable star-forming core
triques et de l’infrarouge lointain, tains des aspects les plus importants de near IRS-2, Astrophysical Journal,
vol. 642, n° 2, pp. 972-978, 2006.
domaines où la formation stellaire est la l’Univers. La formation stellaire est un Arxiv.org/abs/astro-ph/0601300
plus facile à voir. Ils ont la résolution processus plus riche que ce que nous
spatiale et spectrale nécessaire pour car- avions anticipé.
Électronique, circuit intégré, puce électronique, attaque matérielle, cheval de Troie matériel, hacker, pirate, bloc, processeur,
Électronique
John Villasenor
Des microcomposants peuvent être introduits du silicium. Le produit final est si com-
plexe que les tests fonctionnels qu’il subit
à des fins malveillantes dans les circuits intégrés ne peuvent tout vérifier. Aussi, une pièce
avant leur sortie d’usine. Tout dispositif électronique qui serait insérée dans la puce avec une
intention malveillante restera indétectée…
est une cible potentielle. jusqu’au moment où elle sera activée par
un événement déclencheur. Tel un cheval
de Troie, elle ne passera à l’attaque qu’après
Un problème
de confiance concepteurs ont pu établir des protoco-
C’est ici que se trouve le talon d’Achille : les « ouverts », c’est-à-dire accessibles et
puisqu’un éventuel intrus s’active sous modifiables par d’autres concepteurs
l’effet d’un événement déclencheur, les autorisés. Cette histoire est à rappro-
fabricants de puces devraient en théorie cher des choix faits aux débuts du réseau
tester leurs modèles de blocs contre tou- Internet, quand une petite communauté
tes les activations imaginables. C’est d’universitaires décida de construire une
mission impossible, tant le nombre de plateforme ouverte qui supposait que tout
déclencheurs potentiels est grand. Outre le monde se comporterait honnêtement.
son activation interne par une date et Cette hypothèse n’a pas résisté à la crois-
une heure, un matériel dissimulé peut être sance d’Internet.
déclenché par exemple par la réception Aujourd’hui, la conception d’un seul
d’un message ou d’un courriel contenant circuit intégré peut mettre à contribution
une séquence spécifique de caractères. Les des milliers de personnes travaillant sur
entreprises auront beau tester leurs puces, des sites répartis sur plusieurs continents.
cela n’éliminera qu’une petite fraction des Un fabricant des États-Unis peut combi-
déclencheurs possibles. ner des blocs issus de plusieurs de ses filia-
À l’époque des débuts des circuits les avec d’autres provenant de fournisseurs
intégrés, personne ne se souciait des pira- américains, européens ou indiens, puis
AMD
tes. Les premières puces étaient entière- faire fabriquer la puce dans une usine chi-
ment conçues sur le même site par de LE PROCESSEUR OPTERON 6100 D’AMD, noise. Ces réseaux mondiaux se sont impo-
ici sur une vue légèrement agrandie, réunit
petites équipes travaillant ensemble. Cette sés ces dernières années et ont permis de
deux circuits intégrés qui contiennent
organisation garantissant la sécurité, on au total plus de 1,8 milliard de transistors. réduire les coûts et d’améliorer la produc-
savait que chaque composant de la puce Les couleurs correspondent aux différents tivité. En revanche, assurer la sécurité dans
ferait ce que l’on en attendait, et les blocs fonctionnels. ces conditions est bien plus compliqué qu’à
Fuite
de données
l’époque où tout était fait sur un seul jets Agency), a mise en avant avec son
site. Il n’est pas improbable qu’un tiers programme Trust in Integrated Circuits
non autorisé accède à la conception en (Confiance dans les circuits intégrés).
cours et la corrompe sans que cela soit Cependant, dans la réalité, les mesures John VILLASENOR est chercheur
détecté. Il y a aussi un risque faible, mais prises pour sécuriser la conception des cir- au Département de génie
électrique de l’Université
non négligeable, que l’élaboration de la cuits ne sont jamais parfaites. de Californie à Los Angeles.
puce soit dénaturée par une personne légi- En plus des mesures de protection
timement inscrite dans le processus. en amont, les concepteurs de matériel doi-
vent construire des circuits qui identifient
les attaques et y répondent au moment où
Sécuriser les circuits elles ont lieu. On peut voir cela comme
Idéalement, les pirates ne devraient jamais une sorte de force de police urbaine : si
avoir l’occasion d’accéder au circuit inté- une ville se doit de prendre toutes les
gré durant sa conception et sa fabrication. mesures raisonnables visant à prévenir
Si toutes les étapes de la chaîne étaient les délits, ces efforts ne seront jamais
effectuées par des entreprises et des per- efficaces à 100 pour cent ; elle doit aussi
sonnes dignes de confiance, dans un envi- disposer d’une police capable de réagir
ronnement sécurisé, et si les puces étaient vite et de façon pertinente quand des délits
testées de façon exhaustive, alors – du sont effectivement commis.
moins en théorie – le risque qu’un agent Une puce capable de détecter des atta-
malveillant s’en prenne à un élément du ques et d’y répondre est nommée cir-
circuit serait quasi nul. C’est cette straté- cuit sécurisé. Elle peut intégrer une
gie que l’Agence du Pentagone pour les circuiterie supplémentaire conçue spé-
projets de recherche avancée de défense, cialement pour surveiller son fonction-
la DARPA (Defense Advanced Research Pro- nement et rechercher des comportements
COM M E N T CON TR E R LE S AT TAQU E S M AT É RIE LLE S qui pourraient révéler une attaque maté-
rielle. Si une attaque est soupçonnée, le
Un circuit intégré sécurisé contient quelques éléments de circuit supplémen- circuit sécurisé identifiera le type d’atta-
taires qui maintiennent l’ordre à l’intérieur de la puce. Quand un comportement que et prendra les mesures nécessaires
hostile est détecté, un ensemble de mesures de sécurité peut être appliqué en
quelques microsecondes pour identifier la source de l’attaque et la surmonter. pour minimiser les dommages qui en
Voici quelques stratégies en cours de développement. résulteraient.
Dans le cas d’un téléphone mobile para-
lysé, la panne peut être liée au dysfonc-
tionnement d’un seul bloc d’un circuit
intégré. Ce bloc interagit avec tous les autres
blocs via le bus système. Lequel est lui-
même contrôlé par un arbitre de bus, un
« agent de la circulation » qui détermine
quelles informations peuvent y transiter
et à quel moment. Cependant, cette ana-
logie n’est pas parfaite. Alors qu’un agent
de la circulation peut ordonner au trafic de
démarrer et de s’arrêter, un arbitre de bus
n’a pas cette autorité. Il peut donner la per-
mission à un bloc de démarrer, mais le bloc
garde ce droit aussi longtemps qu’il veut
Mesure de sécurité Ce qu’elle empêche Comment elle marche – héritage de la vieille idée qu’un bloc se
comporte toujours correctement. C’est là
Portier de la mémoire Toute tentative de la part Un portier assure qu’un bloc que réside le problème.
d’un bloc malveillant n’accède qu’aux parties Dans un système habituel, un bloc
de dépasser les limites autorisées de la mémoire,
de sa mémoire propre, et signale toute tentative garde l’accès au bus aussi longtemps qu’il
ce qui entrave l’espionnage d’accès non autorisé. en a besoin, avant de rendre ce droit pour
ou la corruption de données. que les autres blocs en profitent. L’arbi-
tre de bus « voit » que le bus système est
Bus système sécurisé Une prise de contrôle Le bus analyse des motifs disponible, et l’assigne à un autre bloc.
malveillante du bus statistiques d’accès au bus Mais si un bloc garde le contrôle du bus
système qui pourrait par les différents blocs indéfiniment, de nouvelles données ne
avoir pour conséquence fonctionnels et signale
un arrêt total du circuit les comportements étranges. pourront plus se déplacer dans le circuit
ou un ralentissement majeur intégré, lequel se bloquera.
du fonctionnement.
transmettre une copie de tous les mes- actions à plusieurs niveaux. Les straté- Les puces en chiffres
sages entrants et sortants à une tierce par- gies qui visent à ce qu’aucun matériel
tie. Un observateur sans méfiance ne compromis ne voie jamais le jour, comme 1 550
remarquerait rien, et l’attaque pourrait l’initiative de la DARPA, représentent un Le nombre estimé d’entreprises
continuer indéfiniment. bon début. Cependant, il est plus impor- dans le monde impliquées
Dans ce cas particulier, une puce sécu- tant encore de commencer à mettre en dans la conception de circuits
risée surveillerait en permanence la quan- œuvre des mesures de conception sécu- intégrés : 700 en Amérique du Nord,
tité et le type de données entrant et quittant risée, seules à même d’assurer une défense 600 en Asie et 250 en Europe,
le circuit intégré et comparerait statisti- contre des attaques en cours. Ces mesu- au Moyen-Orient et en Afrique.
quement le flux d’informations avec celui res demanderont du temps, de l’argent
attendu. Toute anomalie serait signalée et des efforts. Différents compromis 2 500
comme une fuite potentielle de données, possibles entre efficacité, sécurité et Le nombre approximatif
et la puce pourrait alerter l’utilisateur ou coût permettront d’obtenir un bon niveau de nouvelles puces conçues
commencer à la juguler. de protection pour des coûts acceptables. chaque année.
Outre qu’il peut lutter contre les effets
des intrus sur son propre fonctionnement,
Mon équipe, à l’Université de Califor-
nie à Los Angeles, a montré qu’il suffit d’aug-
180
La recette globale des ventes
un circuit intégré sécurisé peut signaler menter la taille de la puce de quelques
de semi-conducteurs en 2009,
aux équipements voisins le type d’attaque centièmes pour y ajouter une circuiterie
en milliards d’euros.
et leur permettre ainsi de prendre des de défense. La vitesse de fonctionnement
mesures préventives pour l’éviter (ou du baisse un peu, étant donné que les mesu-
moins minimiser ses effets). Un tel sys- res prises pour vérifier le comportement des
tème de notification n’est pas aussi irréa- blocs fonctionnels consomment des ressour-
liste qu’on pourrait le croire, presque tous ces du système qui seraient normalement
les systèmes étant plus ou moins connec- utilisées pour effectuer la tâche en cours.
tés. Par exemple, si un circuit sous attaque
est en mesure d’identifier le message
activateur responsable de la défaillance, LA SÉCURISATION DES CIRCUITS INTÉGRÉS
il peut alerter les autres circuits pour qu’ils devra sans cesse innover pour garder
filtrent ce déclencheur. une longueur d’avance sur les dernières
Les mesures décrites ici ne seront effec-
tives que si les parties du circuit respon- attaques matérielles.
sables de la gestion de la sécurité sont
elles-mêmes sécurisées et dignes de Toutefois, les ralentissements sont relati-
confiance. C’est comme si, pour sécuri- vement faibles, voire inexistants, si les mesu-
ser un circuit, il fallait sécuriser sa sécu- res de sécurité sont effectuées en utilisant
rité. Mais les éléments d’un circuit dédiés une part des circuits et des unités fonc-
à la sécurité ne représentent qu’une petite tionnelles inactives.
fraction de la conception globale. Ces Inévitablement, la lutte contre les atta-
éléments peuvent être conçus sur place ques matérielles va devenir une course aux BIBLIOGRAPHIE
pour que seuls des intervenants vrai- armements comparable à celle que l’on a
L. Kim, J. Villasenor et C. Koc,
ment dignes de confiance y aient accès. connue dans l’univers du logiciel. La sécu- A trojan-resistant system-on-chip
risation des circuits devra innover conti- bus architecture, Proceedings
of the 2009 IEEE Military
Un compromis entre nuellement pour garder une longueur
d’avance sur les dernières attaques. Pour Communications Conference,
efficacité et sécurité contrer les failles de sécurité détectées dans
Boston, octobre 2009.
Grâce aux efforts des gouvernements, des les logiciels, il suffit d’aller chercher le W. K. Clark et P. L. Levin,
chercheurs et des entreprises, d’impor- remède sur Internet. Il est impossible de Securing the information
highway, Foreign Affairs,
tants progrès ont été réalisés dans la télécharger de la même manière du maté- novembre-décembre 2009.
sécurité d’Internet. On ne peut pas en dire riel de dépannage. Toutefois, les circuits
autant de l’infaillibilité des circuits inté- intégrés modernes peuvent être reconfi- D. Agrawal et al., Trojan detection
using IC fingerprinting,
grés, qui en est à peu près au même stade gurés en partie. Si l’on ajoute des mesu- Proceedings of the 2007
que la sécurité d’Internet il y a 15 ans : la res judicieuses au processus de conception, IEEE Symposium on Security
prise de conscience du problème va crois- il est envisageable de remplacer automa- and Privacy, Berkeley, mai 2007.
sant, mais les stratégies défensives n’ont tiquement des parties d’un circuit qui
pas encore été complètement élaborées, et auraient été mises hors d’usage. La flexi-
encore moins mises en pratique. bilité de la conception est notre meilleure
Une approche de lutte complète défense. Même si les attaques matérielles
contre les attaques matérielles par les che- sont inévitables, nous ne sommes pas
vaux de Troie matériels nécessite des condamnés à les voir réussir.
hominidés, homme, peau, peau nue, fourrure, évolution, transpiration, glandes sudoripares, changement climatique,
Évolution
f
L’ E S S E N T I E L
La fourrure réchauffe
le corps et protège
de l’humidité, des rayons
ourrure
Pourquoi l’homme
n’a plus de
Nina Jablonski
De récentes découvertes dévoilent pourquoi et quand
les hominidés, contrairement aux autres primates, ont perdu
leur fourrure. Et l’apparition d’une peau quasi nue aurait
favorisé l’émergence d’autres caractéristiques humaines.
du soleil et des microbes.
Dorit thies
Pourtant, l’homme
en est dépourvu, mais il
est équipé d’un dispositif
maintenant sa température
corporelle constante,
même quand son organisme
s’échauffe longtemps.
L ’homme est un primate, mais il est
le seul à avoir une peau presque
glabre. Tous les autres primates pré-
sentent une fourrure dense, par exemple
le pelage noir du singe hurleur ou le man-
Toutefois, depuis quelques années,
des chercheurs ont remarqué que les fos-
siles contiennent des preuves indirectes
de la transformation de la peau humaine.
Grâce à ces indices et aux éléments obte-
En effet, teau couleur cuivrée de l’orang-outan. nus depuis dix ans en génétique et en
sa transpiration est unique C’est aussi le cas de la plupart des autres physiologie, nous sommes parvenus à
et efficace ; elle évacue mammifères. L’homme a des poils sur la expliquer pourquoi les êtres humains ont
bien l’excès de chaleur, tête et en quelques autres endroits, mais, perdu leur fourrure, et quand cela s’est
notamment parce que comparé à ses proches parents, même le produit. En outre, notre scénario suggère
sa peau est quasi nue. plus poilu des hommes ne l’est guère. que l’apparition d’une peau quasi glabre
Pourquoi l’homme n’a-t-il pas de four- a participé à l’évolution d’autres traits
Les scientifiques rure? Cela fait des siècles que les scienti- caractéristiques de l’homme, notamment
en ont déduit que les longs fiques réfléchissent à cette question, en vain. son cerveau très développé.
trajets entrepris par les Dans l’évolution humaine, la plupart des Pour comprendre pourquoi les ancêtres
premiers hommes auraient transitions importantes, telle l’émergence de l’homme ont perdu leur fourrure,
favorisé la sélection de la bipédie, sont inscrites dans les fossiles voyons d’abord pourquoi d’autres espèces
d’une peau sans fourrure. des ancêtres. Mais aucun des restes connus en ont une. Les poils sont un revêtement
n’a conservé de traces de peau humaine. corporel spécifique des mammifères. En
Évacuer la chaleur
grâce à une
transpiration efficace
La peau quasi nue de l’homme n’est
pas une adaptation à la vie souterraine
ou aquatique, bien que certains pensent
à tort que les ancêtres de l’homme soient
passés par une phase aquatique au cours
de leur évolution (voir l’encadré page 65).
Dorit thies
quand il fait plus frais, et beaucoup d’an- Mais la sueur diffère selon les espèces. Il y a près de 20 ans, Edgar Folk, de
tilopes peuvent transférer la chaleur du La peau des mammifères contient trois l’Université de l’Iowa aux États-Unis, et
sang artériel vers le sang veineux, rafraî- types de glandes sudoripares (qui pro- ses collègues ont montré que l’efficacité
chi lors de son passage dans les naseaux. duisent la sueur) : les glandes sébacées, du rafraîchissement diminue à mesure
Mais chez les primates, y compris apocrines et eccrines. Les glandes séba- que la fourrure de l’animal se mouille et
l’homme, la principale stratégie est la trans- cées et apocrines dominent chez la plu- s’emmêle sous l’effet de cette sueur épaisse
piration. Elle rafraîchit l’organisme en pro- part des espèces. Situées près des et huileuse. En effet, dans ce cas, l’éva-
duisant à la surface de la peau un liquide, follicules pileux – là où naît le poil –, elles poration a lieu à la surface de la fourrure
la sueur, qui s’évapore et, ce faisant, éva- produisent un mélange huileux qui et non à la surface de la peau, ce qui réduit
cue de l’énergie thermique. Ce mécanisme enrobe le poil. Cette sueur rafraîchit un le transfert de chaleur. Pour compenser
de rafraîchissement est très efficace et évite peu l’animal à fourrure, mais sa capa- cette perte d’efficacité thermique et se
une surchauffe des organes et des tissus. cité à dissiper la chaleur est faible. rafraîchir, l’animal doit boire beaucoup
d’eau et réduire ses déplacements.
TRANSPIRER SANS FOURRURE Outre l’absence de fourrure, l’homme
possède de nombreuses glandes eccrines,
a peau humaine, dépourvue de fourrure, évacue mieux l’excès de chaleur de l’organisme
L qu’une peau couverte de fourrure. Les mammifères possèdent trois types de glandes sudo-
ripares : les glandes apocrines, sébacées et eccrines. Chez la plupart des mammifères, la couche
entre deux et cinq millions. Ces glandes
peuvent produire jusqu’à 12 litres de
la plus externe de la peau, nommée épiderme, contient un grand nombre de glandes apocrines, sueur aqueuse par jour. Elles ne se trou-
regroupées autour des follicules pileux. Ces glandes, avec les glandes sébacées, enrobent les vent pas près des follicules pileux, mais
poils de la fourrure d’une sueur huileuse. L’évaporation de cette sueur, qui rafraîchit l’animal en près de la surface de la peau où elles libè-
évacuant la chaleur de la peau, se produit à la surface de la fourrure. Cependant, plus l’animal rent la sueur à travers de minuscules pores
transpire, moins l’élimination de la chaleur est efficace, parce que la fourrure s’emmêle et gêne (voir l’encadré ci-contre). La combinaison
l’évaporation. En revanche, dans l’épiderme humain, ce sont les glandes eccrines qui prédomi- d’une peau presque nue et d’une sueur
nent. Ces glandes, situées près de la surface de la peau, libèrent une sueur fluide et aqueuse fluide qui se répand à sa surface, au lieu
par de minuscules pores. Outre son évaporation directe sur la peau, cette sueur s’évapore plus de s’accumuler dans une fourrure, per-
facilement que la sueur apocrine, améliorant ainsi le rafraîchissement. met à l’homme d’éliminer efficacement
la chaleur en excès.
Animal à fourrure En fait, en 2007, Daniel Lieberman, de
l’Université Harvard, et Dennis Bramble,
Sueur huileuse de l’Université de l’Utah, ont montré que
le système de refroidissement de l’homme
est si efficace que lors d’un marathon, un
Glande sébacée jour de forte chaleur, l’homme gagnerait
contre un cheval.
Une alimentation
et un climat différents
L’homme est le seul primate sans fourrure
doté de nombreuses glandes eccrines.
Glande eccrine Follicule pileux Qu’est-ce qui a favorisé l’émergence d’une
peau presque nue et transpirante au
Glande apocrine
moment où la lignée des ancêtres de
Homme l’homme moderne a divergé de celle qui
a conduit à son plus proche parent, le chim-
Sueur aqueuse panzé ? La transformation aurait com-
mencé lors d’un changement climatique.
Grâce à des fossiles d’animaux et de
plantes, les scientifiques ont reconstitué
les anciennes conditions écologiques. Il y
a environ trois millions d’années, la Terre
est entrée dans une phase de refroidisse-
ment, qui a asséché l’Afrique orientale et
centrale où vivaient les ancêtres de
Glande l’homme. Avec cette diminution des pré-
Glande eccrine cipitations, les environnements boisés des
sébacée
Jen Christiansen
australopithèques, à savoir les fruits, les Toutefois, cette augmentation impor- d’années, un premier membre du genre
feuilles, les tubercules et les graines, sont tante de l’activité des hominidés avait humain, nommé Homo ergaster, avait
devenus rares et disponibles en certaines un prix : une élévation de la température acquis des proportions corporelles
saisons seulement, comme ce fut le cas corporelle et un risque de surchauffe. Au modernes favorisant des marches et des
pour les sources d’eau douce. En réac- début des années 1980, Peter Wheeler, courses prolongées (voir l’encadré page 66).
tion à cette diminution des ressources, de l’Université John Moore de Liverpool, En outre, des détails des surfaces
les ancêtres de l’homme ont dû aban- en Angleterre, a simulé la chaleur à articulaires de la cheville, du genou et de
donner leurs habitudes sédentaires pour laquelle les ancêtres de l’homme ont dû la hanche montrent que ces hominidés
un mode de vie plus actif. Ils ont recher- résister dans la savane. En 1994, en uti- pratiquaient effectivement de telles acti-
ché de la nourriture et de l’eau en par- lisant ses résultats, nous avons montré vités. En conséquence, selon les preuves
courant des trajets de plus en plus longs. que l’intensification de la marche et de fossiles, la transition vers la peau nue et
C’est aussi à ce moment-là que les la course, au cours desquelles l’activité un système de transpiration eccrine devait
hominidés ont commencé à introduire la musculaire produit beaucoup de chaleur, déjà être amorcée il y a 1,6 million d’an-
viande dans leur alimentation, comme nées pour compenser les excès de chaleur
en attestent des outils en pierre et en os corporelle qui accompagnaient le nouveau
d’animaux datant d’il y a environ 2,6 mil-
L’intensification mode de vie plus actif des hominidés.
lions d’années. Les aliments carnés sont de la marche et de la course Les recherches en génétique sur la cou-
plus riches en calories que les aliments leur de la peau fournissent un autre indice
d’origine végétale, mais ils sont plus
aurait nécessité pour dater l’émergence de la peau presque
rares. Les animaux carnivores doivent que les hominidés perdent glabre. En 2004, Alan Rogers, de l’Univer-
donc parcourir un plus vaste territoire sité de l’Utah aux États-Unis, et ses col-
que les herbivores pour se procurer assez leur fourrure. lègues ont examiné des séquences du gène
de nourriture. humain MC1R, qui participe à la pigmen-
aurait nécessité que les hominidés per- tation de la peau. L’équipe a montré qu’un
dent leur fourrure et améliorent leur variant particulier du gène, toujours pré-
Une activité intense capacité de transpiration eccrine pour sent chez les Africains à pigmentation fon-
En outre, les proies animales bougent, ce éviter la surchauffe. cée, est apparu il y a 1,2 million d’années.
qui signifie que les prédateurs doivent Quand cette métamorphose s’est- On pense que les premiers ancêtres
dépenser plus d’énergie pour obtenir elle produite ? Grâce aux fossiles, on a une humains avaient une peau rosée couverte
leur repas. Ainsi, le corps des hominidés idée approximative de l’époque à laquelle d’une fourrure noire, un peu comme les
chasseurs ou charognards, qui passaient les ancêtres de l’homme ont commencé à chimpanzés aujourd’hui ; après la perte
encore du temps dans les arbres, était adopter des modes de locomotion de la fourrure, l’acquisition d’une peau
proche de celui des grands singes, mais modernes. Des études indépendantes de foncée, faisant écran au soleil, aurait été
il a évolué en un corps muni de longues D. Lieberman et de Christopher Ruff, de une évolution indispensable.
jambes, adapté à la marche et à la course l’Université Johns Hopkins aux États-Unis, Mais comment les hominidés ont-ils
soutenues. ont montré qu’il y a environ 1,6 million évolué après avoir perdu leur fourrure ?
La th é o r i e d u p r i ma te a q ua ti q u e n’est p a s va la bl e
armi les différentes théories sept millions d’années, le boule- nue, un faible nombre de glandes aucune chance de survivre face à de
P qui tentent d’expliquer l’évo-
lution de la peau chez l’homme,
versement tectonique de la vallée
du rift, en Afrique de l’Est, a coupé
sudoripares apocrines et une couche
de graisse sous la peau.
telles créatures.Troisièmement, cette
théorie est trop complexe. Elle sou-
la théorie du primate aquatique a les premiers ancêtres de l’homme Mais la théorie du primate tient que les hommes sont passés
le plus attiré l’attention et a reçu de leurs environnements favoris, les aquatique est indéfendable pour d’un mode de vie terrestre à un mode
le plus grand soutien. Selon cette forêts tropicales. trois raisons principales. Première- semi-aquatique, puis seraient re-
théorie, les hommes sont passés Ces hommes ont donc dû ment, les mammifères aquatiques venus vivre sur la terre ferme. John
par une phase aquatique au cours s’adapter à une vie semi-aqua- diffèrent déjà beaucoup entre eux Langdon, de l’Université d’India-
de leur évolution. tique dans les marais, le long des quant à la présence de ces caracté- napolis aux États-Unis, défend une
Énoncée pour la première fois côtes et dans les plaines inondables, ristiques aquatiques mentionnées interprétation plus simple des don-
par le zoologiste anglais sir Alister où ils ont vécu pendant près d’un par E. Morgan. En conséquence, il nées fossiles : les hommes ont tou-
Hardy en 1960, la théorie du pri- million d’années. E. Morgan voit des n’existe pas de relation simple entre jours vécu sur la terre ferme et le
mate aquatique a ensuite été sou- preuves de cette phase aquatique la quantité de poils que présente un changement climatique, qui a fa-
tenue par l’écrivain Elaine Morgan, dans plusieurs caractéristiques ana- animal et l’environnement dans le- vorisé l’extension des prairies de la
qui continue à la promouvoir dans tomiques que les hommes ont en quel il vit. Deuxièmement, les don- savane aux dépens des forêts, au-
ses cours et ses écrits. Pourtant, commun avec des mammifères nées fossiles montrent que les ha- rait permis à l’homme d’évoluer vers
cette théorie est fausse. aquatiques et semi-aquatiques, mais bitats aquatiques étaient envahis de une peau quasi nue. D’un point de
La théorie du primate aquatique pas avec ceux de la savane. Ces traits crocodiles et d’hippopotames. Les vue scientifique, l’explication la plus
prétend qu’il y a environ cinq à communs sont notamment la peau ancêtres de l’homme n’auraient eu simple est souvent la meilleure.
Les preuves génétiques de l’évolution née humaine sont particuliers : leur appa-
de la nudité sont rares, car de nombreux rition était probablement importante pour
gènes participent à l’apparence et aux la survie. Ces gènes codent une combinai-
fonctions de la peau. Néanmoins, quelques son unique de protéines qui ne sont pré-
indices ont émergé quand les scientifiques sentes que dans l’épiderme, par exemple
ont comparé les séquences ADN des
Lutter contre la chaleur de nouveaux types de kératine. Plusieurs
génomes de différents organismes. Par Une peau sans fourrure
équipes tentent aujourd’hui de com-
prendre les mécanismes de la fabrica-
exemple, l’une des différences les plus n’est pas la seule adaptation
importantes entre l’ADN du chimpanzé et que les hommes ont acquise tion de ces protéines.
celui de l’homme réside dans les gènes pour réguler la température D’autres scientifiques étudient l’évo-
codant des protéines qui contrôlent les de leur organisme lution des kératines des poils corporels,
propriétés de la peau. Les variants dans l’environnement chaud où pour déterminer pourquoi les poils de la
humains de certains de ces gènes codent ils vivaient. Ils ont aussi développé peau humaine sont épars et fins. En 2008,
des protéines qui rendent la peau étanche des membres plus longs, augmentant Roland Moll et ses collègues, de l’Univer-
à l’eau et résistante aux éraflures, des pro- leur rapport surface/volume, ce qui sité Philipps à Marburg en Allemagne, ont
priétés importantes en l’absence de four- facilite l’évacuation de la chaleur. montré que les kératines des poils cor-
rure. L’apparition de ces variants aurait Cette tendance semble se poursuivre porels humains sont fragiles : ces derniers
contribué à l’origine de la nudité en atté- aujourd’hui. En effet, les populations cassent facilement comparés à ceux
nuant ses conséquences. d’Afrique de l’Est, tels les Dinka d’autres animaux. Cela suggère que les
La peau humaine est une barrière du Sud du Soudan, vivent dans kératines des poils humains n’étaient pas
importante, grâce à la structure et à la com- l’un des endroits les plus chauds aussi importantes pour la survie que les
position de sa couche la plus externe, la de la Terre et ils ont des jambes kératines des poils d’autres primates.
couche cornée de l’épiderme. Cette couche extrêmement longues. Pourquoi Les généticiens tentent aussi de savoir
contient plusieurs épaisseurs de cellules les êtres humains modernes ont-ils comment la peau humaine a développé
mortes aplaties qui renferment de la kéra- des membres aux proportions une telle abondance de glandes eccrines.
tine – une protéine fibreuse – et d’autres si variées ? Quand les premiers Cette accumulation résulterait de modi-
substances. En outre, des couches ultra- hominidés ont migré d’Afrique fications dans les gènes qui détermi-
minces de lipides entourent chacune de tropicale vers des régions du monde nent le devenir des cellules souches – des
ces cellules. moins chaudes, les pressions cellules non différenciées – chez l’em-
La plupart des gènes contrôlant le sélectives ont changé, permettant bryon. Au début du développement, des
développement de la couche cornée sont l’évolution de toute une variété groupes de cellules souches de l’épiderme
anciens et leurs séquences sont très conser- de corpulences. dans des sites spécifiques interagissent
vées chez les vertébrés (elles n’ont pas avec des cellules du derme sous-jacent,
changé avec le temps). Mais les gènes et des signaux chimiques particuliers
déterminant la structure de la couche cor- commandent la différenciation des cel-
Victor Deak
lules souches en follicules pileux, glandes plus fraîche, permettant à la sueur du cuir entre les hommes ? Dans de nombreuses
eccrines, glandes apocrines, glandes séba- chevelu de s’évaporer dans la couche d’air. populations, les individus ont très peu
cées ou autres cellules de l’épiderme. Plu- Des cheveux bouclés sont les plus effi- de poils corporels et quelques popula-
sieurs équipes étudient comment ces caces, car ils augmentent l’épaisseur de tions présentent des personnes hirsutes.
niches de cellules souches épidermiques l’espace entre la surface des cheveux et le En général, les populations ayant le moins
s’établissent et se maintiennent. Ces cuir chevelu, permettant à l’air d’y circu- de poils corporels vivent sous les tro-
travaux devraient clarifier ce qui déter- ler. L’évolution de la chevelure humaine piques, alors que les plus poilues vivent
mine le destin des cellules épidermiques reste à élucider, mais il est probable que plutôt dans des régions moins chaudes.
embryonnaires et comment davantage les premiers hommes ont eu des cheveux Pourtant, les poils ne tiennent pas vrai-
de ces cellules deviennent des glandes très bouclés, et que d’autres types de ment chaud...
sudoripares eccrines chez l’homme. cheveux aient été sélectionnés quand Ces différences de pilosité sont en par-
l’homme a atteint de nouveaux territoires, tie dues à la testostérone, une hormone
Des zones préservées, loin de l’Afrique tropicale.
Qu’en est-il des poils sur le corps ?
sexuelle masculine, car, quelle que soit la
population, les hommes ont davantage de
une pilosité variée Pourquoi existe-t-il une telle variabilité poils corporels que les femmes. Plusieurs
Toutefois, l’évolution a conservé quelques
parties du corps humain couvertes. La rai-
son pour laquelle les hommes ont perdu D es p o u x s u r l es v ê te m e nts
leur fourrure doit aussi expliquer pour-
es dernières années, on a étudié les poux pour rechercher des indices qui expliqueraient
quoi ils en ont conservé à certains endroits.
Les poils sous les aisselles et pubiens C pourquoi les hommes ont perdu leur fourrure. En 2003, Mark Pagel, de l’Université Rea-
ding en Angleterre, et Walter Bodmer, de l’Hôpital John Radcliffe à Oxford, ont proposé que
faciliteraient la propagation des phéro-
les hommes ont perdu leur fourrure pour débarrasser leur corps des poux, qui transmettent
mones – des composés chimiques qui
des maladies, et d’autres parasites installés dans la fourrure ; cela permettrait en outre d’ex-
déclenchent une réaction comportemen-
poser la bonne santé de la peau.
tale chez de potentiels partenaires sexuels –
Mais d’autres chercheurs, qui ont étudié les poux de la tête et du corps, ont découvert com-
et permettraient de lubrifier des régions bien de temps s’est écoulé entre l’apparition d’une peau presque nue chez les premiers
nécessaires à la locomotion. Quant aux hommes et le moment où ils ont commencé à porter des vêtements. Bien qu’ils se nourrissent
cheveux, ils auraient été conservés pour de sang, les poux de corps vivent sur les vêtements (alors que les poux de tête vivent dans les
éviter une chaleur excessive au sommet cheveux). L’origine des poux de corps fournit donc une estimation de la date d’apparition des
de la tête. Cela semble paradoxal, mais vêtements chez les hominidés. En comparant les séquences de gènes de divers organismes, les
une épaisse chevelure crée une couche chercheurs peuvent estimer quand une espèce est apparue. Ces études, réalisées chez les poux,
d’air entre le cuir chevelu transpirant et la indiquent que les poux de tête vivaient avec les premiers hommes sans fourrure, tandis que les
surface chaude des cheveux. Ainsi, les jours poux de corps sont apparus plus tard. La chronologie de leur apparition indique que les
de fort soleil, les cheveux absorbent la cha- hommes étaient nus pendant plus d’un million d’années avant de se vêtir.
leur, tandis que la barrière d’air reste
BIBLIOGRAPHIE Vers un cerveau plus En fait, on peut spéculer que des traits
humains universels, par exemple le maquil-
D. Lieberman et D. Bramble,
gros, sans surchauffe lage et les expressions faciales complexes,
The evolution of marathon L’absence de fourrure a eu des consé- ont évolué après que l’homme a perdu la
running : capabilities in humans, quences importantes sur les phases ulté- capacité de communiquer au moyen de
Sports Medicine, vol. 37,
pp. 288-290, 2007. rieures de l’évolution humaine. La perte sa fourrure (voir la figure ci-dessus). De même,
de la plupart des poils et la capacité de la peinture corporelle, les cosmétiques,
N. Jablonski, Skin : a natural dissiper la chaleur corporelle par la trans- les tatouages et d’autres types de décora-
history, University of California piration eccrine ont facilité l’accroisse- tion de la peau existent dans toutes les
Press, 2006.
ment en volume de l’organe le plus cultures humaines, parce qu’ils véhicu-
Chimpanzee sequencing sensible à la température, le cerveau. lent l’appartenance à un groupe, le statut
and analysis consortium, Initial Alors que les australopithèques et d’autres informations sociales impor-
sequence of the chimpanzee
genome and comparison avaient un cerveau d’une taille moyenne tantes, autrefois encodés dans la fourrure.
with the human genome, Nature, de 400 centimètres cubes (environ la taille L’homme utilise aussi des attitudes
vol. 437, pp. 69-87, 2005. du cerveau d’un chimpanzé), H. ergaster corporelles et des gestes pour communi-
A. Rogers et al., Genetic variation avait un cerveau deux fois plus gros. Et quer ses émotions et ses intentions. Et il
at the MC1R locus and the time en un million d’années, le cerveau humain a un langage pour exprimer en détail ses
since loss of human body hair, a gagné encore 400 centimètres cubes pour pensées. Vue de cette façon, la peau nue
Current Anthropology, vol. 45, atteindre sa taille actuelle. Bien sûr, n’a pas seulement rafraîchi l’homme, elle
pp. 105-108, 2004.
d’autres facteurs ont influé sur le déve- l’a aussi rendu humain. I
Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef
Physique
Rayon laser
Disque
Tête de lecture
Laser coulissante
à polaritons
eois
Bourg
Bruno
Photon Nombre
d’onde (k)
ce
e valen Trou
de d
Ban
L’arrivée d’un photon d’énergie appropriée fait passer l’un des électrons
de la bande de valence à la bande de conduction (les deux dernières
bandes d’énergies permises dans un semi-conducteur), où l’électron
laisse un «trou». L’«électron» et le «trou» ainsi créés se comportent
comme des quasi-particules. Un exciton naît quand l’attraction
électrostatique lie ces deux quasi-particules. Si leur nombre d’onde k (ou
la vitesse) est peu élevé, toutes ces quasi-particules se retrouvent
Bruno Bourgeois
quement neutres caractérisées par un rayon a dans le matériau, c’est-à-dire par la rela-
et une masse particuliers. tion entre leur énergie et leur vitesse.
Nous pouvons maintenant concevoir Comment créer des excitons dans le
qu’en piégeant un photon et un exciton puits quantique ? En y pompant de l’éner-
Énergie (E)
dans une même région, on crée entre eux gie lumineuse, c’est-à-dire en l’inondant
une interaction permanente représentée de lumière. Une partie de cette lumière y
par une quasi-particule, le polariton (voir est absorbée et crée des excitons. Une telle
l’encadré page ci-contre). Pour l’obtenir, il paire électron-trou peut se recombiner
faut trouver le moyen de placer un ou plu- (l’électron et le trou disparaissent simul-
sieurs « puits quantiques », jouant le rôle Nombre d’onde (k) tanément) et restituer sous la forme d’un
de pièges à excitons, au sein d’une « cavité photon l’énergie ayant servi à le créer. À
optique» faisant office de piège à photons. b peine émis, le photon se retrouve dans le
Cette cavité optique consiste en deux piège optique, dans la même région de
miroirs de Bragg se faisant face. Un miroir l’espace que le piège à excitons.
de Bragg est une succession de couches pla- L’interaction d’un exciton et d’un
nes et transparentes d’indices de réfraction photon piégés ensemble peut se produire
différents. Une telle structure réfléchit pres- de deux façons, l’une qualifiée de faible
que toute la lumière incidente, pour une et l’autre de forte. Dans la première, un
longueur d’onde appropriée. Les déphasa- photon émis par la recombinaison d’un
ges entre les ondes réfléchies à chaque inter- exciton quitte la cavité avant d’inter-
face dépendent en effet de la longueur agir à nouveau avec un exciton ; on parle
d’onde lumineuse et de la distance entre de régime de couplage faible, puisque
plans, et ces déphasages doivent donner le photon ne reste pas assez longtemps
lieu à une interférence constructive. Un dans la cavité pour que de nouvelles
miroir de Bragg est donc construit pour interactions aient lieu.
fonctionner pour une longueur d’onde pré- c
cise: l’épaisseur de ses couches successives
doit être égale à un quart de la longueur
Piégeage dans un plan
Énergie (E)
LES AUTEURS du nitrure de gallium (autre semi-conduc- énergie, dit état fondamental. La conden-
teur). Cette différence entre les énergies sation de Bose-Einstein n’est possible à
des deux états de polariton est un para- une température donnée que si la den-
mètre important, car elle détermine la sité de particules dépasse une valeur cri-
vitesse d’échange de l’énergie entre le tique, au-delà de laquelle les bosons
mode photonique et le mode excitoni- s’accumulent dans l’état fondamental. La
Guillaume MALPUECH est que. Par exemple, un écart de 10 millié- possibilité d’une telle condensation fut
chercheur du CNRS au LASMEA lectronvolts signifie qu’un exciton émet décrite dès 1924 par Albert Einstein sur la
(Laboratoire des sciences
et matériaux pour l’électronique un photon, puis le réabsorbe en 0,2 pico- base de la notion de boson introduite
et d’automatique, unité mixte seconde (une picoseconde est égale à par le physicien indien Satyendranath
CNRS/Université Blaise Pascal), 10–12 seconde). Même s’ils sont assez sta- Bose (1894-1974). Mais elle n’a été obser-
à Clermont-Ferrand.
Dmitry SOLNYSHKOV est maître bles pour être exploités, les polaritons vée pour la première fois qu’en 1995, dans
de conférences à l’Université finissent par disparaître : leur durée de un gaz ultrafroid d’atomes bosoniques
Blaise Pascal et travaille vie, de l’ordre de la picoseconde, est (atomes de spin entier).
au LASMEA. Il a été le lauréat liée pour l’essentiel à celle, brève, de la Plusieurs phénomènes où des bosons
du Grand prix Jeune chercheur
de la ville de Clermont-Ferrand composante photonique. se retrouvent tous dans le même état sont
en 2008. À ce stade, il importe d’insister sur apparentés à la condensation de Bose-
ce qui étonne les physiciens avec les pola- Einstein. Citons l’émission d’un rayon-
ritons. Pour commencer, les polaritons nement laser, les photons (des bosons)
sont des systèmes physiques peu ordinai- émis ayant tous à peu près la même éner-
res, puisqu’il s’agit de quasi-particules gie et la même direction ; il en est de
composées d’une quasi-particule maté- même de la supraconductivité, qui trouve
rielle (l’exciton) et d’une particule de son origine dans la formation de paires
lumière (le photon). Mais, surtout, ils bosoniques d’électrons, et de la super-
ont une masse effective environ 100 000 fluidité des gaz suffisamment froids
fois inférieure à celle d’un électron dans d’atomes bosoniques. Sauf dans le cas
le vide, donc environ 100 millions de des photons (dont la masse est nulle),
fois plus petite que celles des atomes tous ces effets, ainsi que la condensa-
constituant le réseau cristallin… Une tion de Bose-Einstein, ne s’observent
masse effective aussi faible est inédite et qu’au-dessous d’une certaine tempéra-
✔ BIBLIOGRAPHIE ne peut que conférer aux polaritons des ture, d’autant plus basse que les bosons
comportements singuliers. concernés ont une masse élevée (la tem-
J. Levrat et al., Condensation
phase diagram of cavity pérature de condensation est inverse-
polaritons in GaN-based
microcavities : Experiment
Condensation ment proportionnelle à la masse).
Dans le cas des polaritons, la tempé-
and theory, Phys. Rev. B, vol. 81,
125305, 2010.
de Bose-Einstein rature critique de condensation de Bose-
L’émission laser obtenue avec des pola- Einstein est très élevée, puisque ces
A. Kavokin et al., Microcavities, ritons illustre justement cela de façon fas- quasi-particules sont des bosons de très
Oxford University Press, 2007. cinante. Cette émission ne résulte en effet faible masse. La condensation des pola-
G. Malpuech et al., Bose glass pas du principe classique d’émission laser ritons n’est limitée que par l’instabilité
and superfluid phases of cavity (l’inversion de populations d’atomes exci- des polaritons – plus la température est
polaritons, Phys. Rev. Lett., tés et non excités), mais de la formation élevée, plus les polaritons sont instables –
vol. 98, 206402, 2007. d’un «condensat de Bose-Einstein». Expli- et par la nécessité d’avoir une densité suf-
J. Kasprzak et al., Bose-Einstein quons ce que cela veut dire. fisante de polaritons.
condensation of exciton Il existe deux types distincts, par leurs Franchir ces obstacles est difficile tant
polaritons, Nature, vol. 443, propriétés quantiques, de particules : les l’obtention du régime de couplage fort
pp. 409-414, 2006.
bosons et les fermions. Les fermions, de est contraignante. Il faut travailler dans
M. Richard et al., Experimental spin demi-entier, ne peuvent pas se trou- une gamme de températures où les exci-
evidence for nonequilibrium Bose ver dans le même état quantique qu’un tons sont stables, ce qui, dans le cas des
condensation of exciton semi-conducteurs en arséniure de gal-
Polaritons, Phys. Rev. B, vol. 72, autre fermion identique. Les bosons, dont
pp. 201-301, 2005. le spin est entier, ne sont pas soumis à cette lium couramment utilisés, signifie au-
interdiction : des bosons identiques peu- dessous de 50 à 80 kelvins (–223 à –193 °C).
A. Kavokin et G. Malpuech, Cavity vent se retrouver tous dans l’état de plus Dans les semi-conducteurs tels que le
polaritons, Elsevier, 2003.
basse énergie possible du système consi- nitrure de gallium ou l’oxyde de zinc,
C. Weisbuch et al., Observation déré (par exemple un puits de poten- où les excitons sont bien plus stables, on
of a coupled exciton-photon mode tiel). On nomme « condensation de peut a priori observer à température
splitting in a semiconductor
quantum microcavity, Phys. Rev. Bose-Einstein » le processus où les bosons ambiante la condensation de Bose des
Lett., vol. 69, p. 3314, 1992. perdent assez de leur énergie pour se polaritons, voire construire un compo-
retrouver tous dans l’état de plus basse sant qui exploite ce phénomène.
DE S CON DE NS AT S AV EC OU S A NS S U PE R FLUIDIT É ?
n est loin d’avoir tout compris principe superfluide, mais la super-
O des lasers à polaritons. Nor-
malement, la formation dans un
fluidité du condensat de polaritons
n’a pas été clairement observée, ce
fluide quantique d’un condensat qui intrigue les physiciens.
de Bose-Einstein s’accompagne de On montre que pour faire dis-
E (en milliélectronvolts)
2
la superfluidité, c’est-à-dire de la paraître les frottements dans un
capacité à s’écouler sans frotte- condensat, il faut que la relation
ments. Or ce ne semble pas être de dispersion cesse d’être parabo-
le cas avec les condensats de pola- lique pour devenir linéaire.Suggéré
0
ritons. Pourquoi ? par Lev Landau en 1941 pour ex-
Une contrepartie importante de pliquer les propriétés de l’hélium su-
–2
la faible masse effective des pola- perfluide, ce changement de la re-
20
ritons est que leur durée de vie est lation de dispersion traduit la mi-
15 20
faible dans leur état fondamental : nimisation de l’énergie d’interaction
y(
de l’ordre de la picoseconde des particules du condensat entre en
(10–12 seconde).Ce temps de vie bref elles au point de rendre possible leur
m icro 10 10 mètres
)
mè icro
tre 5
a longtemps suggéré aux chercheurs propagation sans frottement. s) x (m
que la condensation de Bose des po- Cette dispersion linéaire n’a ce- 0 0
laritons ne pourrait pas être obser- pendant pas été observée expéri-
vée, car il s’agit en principe d’une mentalement (voir la figure b où une
transition de phase thermodyna- dispersion plate est visible).Pour ex- l’espace physique a b c
mique, décrite pour des particules pliquer cette déviation par rapport
Émission dans
ayant un temps de vie infini. Toute- au cas idéal, deux hypothèses sont
fois, avec les lasers à polaritons, on avancées. Selon l’équipe de Cam-
se trouve dans le cas particulier de bridge dirigée par P. Littlewood et
systèmes où des particules sont celle de Trento dirigée par I. Carus-
continuellement injectées dans le sotto, l’absence de superfluidité est
d e f
piège par un pompage extérieur,tan- liée à la durée de vie finie des po-
Émission dans
l’espace (E, k)
dis que d’autres le quittent à cause laritons, aspect qui est en effet une
LASMEA/Malpuech
de leur durée de vie finie. Il s’agit entorse à la théorie habituelle de
donc d’un système en quasi-équili- la superfluidité. Mais nous ne som-
bre, et non pas à l’équilibre. Or mes pas convaincus par cette expli-
d’un point de vue théorique, seule cation, tant les modèles de la LE POTENTIEL ALÉATOIRE qui caractérise une microcavité de tellu-
la condensation de Bose dans un condensation de Bose dans les rure de cadmium (Cd Te) est représenté en haut. Ci-dessus, les émis-
système à l’équilibre a été étudiée systèmes ouverts utilisés aujourd’hui sions lumineuses d’une telle cavité à mesure qu’augmente la densité
en détail et… assez bien comprise. paraissent arbitraires. de polaritons, au début faible (a et d), quand on a un verre d’Anderson
Une théorie efficace de la conden- Nous proposons plutôt d’ex- (b et e) et quand les condensats se rejoignent et forment une phase
sation de Bose dans un système ou- pliquer l’absence de superfluidité superfluide à forte émission lumineuse (c et f, simulation).
vert manque encore. par l’inévitable désordre régnant
Du point de vue expérimental, au sein de la structure. La simple tion débute, les polaritons remplis- phases différentes : la phase nor-
depuis 1997, de nombreux résultats observation de l’émission laser au- sent les minima du potentiel dés- male, le verre d’Anderson et la
ont été obtenus. Une étape impor- dessous et au-dessus du seuil de ordonné et forment des lacs sé- phase superfluide. D’après nos si-
tante a été franchie en 2005-2006 condensation (voir la figure 2) ré- parés les uns des autres. La rela- mulations, la phase superfluide
grâce aux travaux de l’équipe de vèle que le condensat n’est pas ho- tion de dispersion devient plate se situe dans une gamme de tem-
Le Si Dang, à Grenoble, en collabo- mogène dans l’espace, mais frag- autour de k = 0 (ci-dessus, b et e). pératures et de densités accessi-
ration avec l’École polytechnique fé- menté. Pour exploiter cette idée, Une telle phase, cohérente, loca- ble expérimentalement.
dérale de Lausanne et notre labo- nous avons modélisé l’évolution lisée et non superfluide est nom- Nos conclusions ont été par
ratoire (le LASMEA). En particulier, dans le temps et l’espace du mée verre d’Anderson. Nous pen- la suite soutenues par l’observa-
le changement radical de l’émission condensat dans un potentiel dés- sons que c’est elle qui a été ob- tion en 2008, par une équipe de
lumineuse obtenue, une fois fran- ordonné (ci-dessus en haut) imi- servée expérimentalement. Ensuite, l’Université Stanford, de la disper-
chi le seuil de condensation, a été tant par son désordre les proprié- lorsqu’on monte en densité, le ni- sion linéaire caractéristique d’un
observé (voir la figure 2). tés de la microcavité. Ces travaux veau des lacs de condensat aug- superfluide dans une cavité réa-
La condensation de Bose des montrent qu’à faible densité, mente à cause des interactions ré- lisée à partir du semi-conducteur
polaritons a ensuite été observée l’émission est homogène dans l’es- pulsives entre les particules. À un AsGa, de bien meilleure qualité
par plusieurs autres équipes dans pace et la dispersion parabolique certain stade, les lacs se rejoignent que TeCd. D’autres travaux publiés
des microcavités à base de divers (ci-dessus, a et d). C’est la phase pour former une mer, et le conden- en 2009 et 2010 rapportent des
semi-conducteurs. Pour autant, un « normale ». Pour les densités in- sat devient superfluide (ci-dessus, observations compatibles avec la
condensat de Bose-Einstein est en termédiaires, lorsque la condensa- c et f). On peut ainsi distinguer trois formation d’un superfluide.
CNRS
Les physiciens ont en outre
montré que l’expansion du conden-
CES FILS PHOTONIQUES (à gau- sat est gouvernée par le potentiel
che) dans lesquels sont créés des
condensats de polaritons sont répulsif qui s’exerce entre le
observés en microscopie électro- condensat et les particules non
nique à balayage. Les émissions condensées dans la zone d’excita-
lumineuses des condensats dans tion. L’utilisation de ce potentiel
l’espace (ci-dessus) ont été super- fournit d’ailleurs un moyen nou-
posées sur la tranche des fils pour veau de contrôler l’étendue du
montrer d’où elles proviennent. condensat.
En effet, les polaritons de cavité sont Ces avancées suggèrent qu’il est que le premier rayonnement d’un laser à
en partie constitués de photons qui peu- temps de tenter d’exploiter les lasers à polaritons fonctionnant à température
vent être émis vers l’extérieur de la cavité polaritons sous la forme d’une nouvelle ambiante a été obtenu en 2007. L’observa-
à travers les miroirs de Bragg, qui ont génération de composants optoélectro- tion de la condensation de Bose-Einstein à
une certaine capacité à transmettre de la niques très peu gourmands en énergie. cette température est revendiquée par des
lumière. Comme les polaritons condensés L’ensemble des effets physiques évo- chercheurs de l’École polytechnique fédé-
sont très nombreux à être dans le même qués et leurs applications potentielles pour- rale de Lausanne, des Universités de Sou-
état quantique, c’est aussi le cas pour les raient être obtenus à température ambiante thampton et de Cambridge, ainsi que par
photons émis hors de la cavité à travers si des microcavités étaient réalisées à par- ceux de notre laboratoire.
les miroirs de Bragg. En d’autres termes, tir de semi-conducteurs dits « à grande Une étape reste à franchir avant
la condensation de Bose-Einstein des pola- bande interdite» en nitrure de gallium (NGa) d’obtenir des composants viables com-
ritons s’accompagne d’un rayonnement ou en oxyde de zinc (ZnO). Toutefois, cela mercialement : la mise en circuit de ces
monochromatique, cohérent et intense, représente encore un défi technique. structures. Notre laboratoire a déposé un
bref d’un rayonnement laser. Pour les phy- brevet proposant un schéma d’injection
siciens, il est remarquable que ce rayon-
nement laser ne doive rien au principe
Des condensats à efficace et développé en collaboration
avec l’Université de Rome un simulateur
de l’inversion de population qu’exploitent température ambiante du laser à polaritons pompé électrique-
les autres lasers… La réalisation de microcavités en nitrure ment, simulateur qui inclut le transport
Le principe des lasers à polaritons a de gallium fonctionnant en régime de cou- des porteurs de charge électrique à par-
été proposé en 1996 par Atac Imamoglu plage fort a déjà fait l’objet de trois projets tir des contacts, la formation des excitons
de l’École polytechnique fédérale de Zurich européens en huit ans. C’est ainsi que et des polaritons, et la condensation de
( ETH ). Leur intérêt, potentiellement l’observation du régime de couplage fort à ces quasi-particules. Nos résultats sug-
immense, tient au fait que l’énergie mini- 300kelvins (la température ambiante) dans gèrent que des lasers à polaritons, fonc-
male à leur apporter pour les faire fonc- une structure en nitrure de gallium a été rap- tionnant avec beaucoup moins d’énergie
tionner est extrêmement faible, par portée dès 2003. La qualité des structures a que les photodiodes actuelles, arriveront
comparaison avec tous les autres lasers. été par la suite fortement améliorée, de sorte sur le marché dans un futur proche. ■
Histoire de l astronomie
REGARDS
HISTOIRE DES SCIENCES
J
anvier 1911. Essoufflé, l’homme jette marche apparente du Soleil réel. Cette
un coup d’œil à l’horloge de la gare de décision a d’abord été prise par la ville de
Lyon, à Paris, avant de s’engouffrer Paris en 1826 (et non 1816 comme on le lit
dans le bâtiment. Ouf, il n’est que 8h05 souvent), puis s’est étendue en province,
« heure de Paris ». Le train Paris-Lyon doit mais le changement résultait uniquement
partir à 8h04 «heure du chemin de fer», et d’initiatives locales.
il lui reste donc encore quatre minutes pour
rejoindre le quai et monter à bord. Tel était le Une heure de référence
quotidien du voyageur français à l’aube du
XXe siècle. Depuis le milieu du siècle précé- internationale
dent, les horaires des trains avaient cinq Cependant, le fonctionnement du chemin
minutes de retard sur l’heure de Paris. On de fer ne pouvait s’accommoder des heures
voulait à la fois aider le voyageur à prendre locales. Une même heure devait régler la
son train, et prévenir d’éventuelles récla- marche des trains sur une même ligne et,
mations en cas de train manqué. Cette spé- bientôt, une heure unique, celle de Paris, a
cificité française était accompagnée d’une régné sur l’ensemble du réseau. C’est ainsi
autre particularité : l’heure de Paris, qui était que le chemin de fer a diffusé en province
l’heure légale française depuis 1891, avan- l’heure de Paris, laquelle réglait, aux côtés
çait de 9 minutes et 21 secondes par rapport de l’heure locale (et de l’heure du chemin de
à l’heure de Greenwich et, de ce fait, ne s’in- fer, décalée, nous l’avons vu, de cinq minutes
tégrait pas au système des fuseaux horaires par rapport à celle de Paris), la vie des villes
largement adopté dans le monde depuis 1892. desservies. À partir de la fin des années 1870,
La France a finalement adhéré au sys- plusieurs villes ont pris l’initiative d’adopter
tème horaire mondial par la loi du 9 mars 1911, l’heure de Paris, si bien qu’au début des
en même temps qu’elle se débarrassait de années 1880, le paysage horaire français est
l’heure du chemin de fer. Pourquoi avoir si un curieux mélange de l’heure de Paris, de
longtemps différé cette mesure? Et quel évé- l’heure du chemin de fer et des heures locales,
nement a débloqué la situation ? mélange où il est difficile de se retrouver.
Pour comprendre la position française, La France n’est pas le seul pays à avoir
remontons quelque temps plus tôt. Pendant des problèmes d’horaires. Avec l’étendue du
longtemps, l’heure solaire vraie, celle des territoire des États-Unis en longitude et la
cadrans solaires, a été la seule envisageable, multiplicité des compagnies ferroviaires, le
et son emploi allait de soi, sans qu’il fût néces- 1. LE TEXTE DE LA LOI du 9 mars 1911 sur paysage horaire des chemins de fer améri-
saire de le spécifier. Avec les progrès de l’hor- l’heure légale française tel qu’il fut publié dans cains est particulièrement chaotique. En
le Journal Officiel. Il indique que la nouvelle heure
logerie au XVIIIe siècle, on a peu à peu substitué avril 1883 est présenté un projet de nor-
légale en France et en Algérie est l’heure de Paris
à l’heure solaire vraie l’heure locale de temps retardée de 9 minutes et 21 secondes, sans malisation des heures ferroviaires aux États-
moyen, heure fondée sur la course d’un soleil pour autant spécifier que cette opération revient Unis et au Canada, inspiré des idées de
moyen fictif corrigée des irrégularités de la à adopter l’heure de Greenwich. Sandford Fleming (1827-1915), ingénieur
Regards
Regards
sur le fait que le méridien de Paris n’a pas été temps moyen de Paris, retardée de 9 minutes premier méridien qui devra passer dans la
défendu à Washington, préférant laisser croire 21 secondes. ». Comme ces 9 minutes région de Behring», le tout à mettre en place
qu’il y a été vaincu par celui de Greenwich. 21 secondes correspondent à un angle de pour le 1er janvier suivant !
Lorsque la conférence passe à l’examen 2° 20’ 15’’, à peu près égal à l’écart en lon- Cette incartade parlementaire n’a pas
de la question horaire, Fleming ne manque gitude entre Paris et Greenwich, ce texte de suite, et le climat politique change radi-
pas de présenter son système, mais on lui dit la même chose que le précédent, mais calement avec les accords franco-britan-
objecte que la question des heures locales il semble épargner le méridien de Paris et niques de l’Entente cordiale, signés le
sort du champ de compétence de la confé- évite adroitement de mentionner Greenwich, 8 avril 1904. Mais le temps passe et le Sénat
rence. Le système des fuseaux horaires ne ce qui change tout. Au point que le projet ne se prononce toujours pas sur le projet
sera donc pas voté à Washington, mais pro- Boudenoot est voté sans discussion par les Boudenoot. Et pour cause : les ministères
gressivement mis en place par la suite, de de l’Instruction publique et de la Marine y
façon assez naturelle, surtout à partir de 1892. sont opposés et, dans ces conditions, la com-
Au terme de la conférence de Washington, le mission sénatoriale chargée de la question
jour civil de Greenwich est érigé en jour uni- refuse de remettre son rapport. C’est là que...
versel, compté de 0 à 24 heures, et à usage la tour Eiffel intervient.
purement scientifique ou administratif.
Les décisions de la conférence doivent La tour Eiffel
encore être approuvées par les gouverne-
ments des différentes nations. Aussi, de retour joue un rôle décisif
de Washington, Janssen soutient que le méri- Érigée pour l’Exposition universelle de 1889,
dien de Greenwich n’a pas encore gagné la la tour Eiffel avait provoqué les protesta-
partie. La France s’enferme alors dans un iso- tions indignées de nombreuses personna-
lement horaire en Europe, et la loi du lités du monde littéraire et artistique, et
14 mars 1891, qui abolit les heures locales devait être détruite après 1909. Aussi l’in-
en la dotant d’une heure nationale – l’heure génieur Gustave Eiffel avait-il vu, dans les
de Paris –, lui permet d’affirmer encore davan- expériences prometteuses de télégraphie
tage son indépendance. C’est aussi la pre- sans fil qui se multipliaient à cette époque,
mière fois qu’un texte officiel dit ce qu’est une occasion providentielle de préserver
l’heure légale en France. 3. LE COMPTE RENDU de la Conférence inter- son œuvre. La tour constituait en effet un
nationale du méridien qui se tint en octobre 1884 formidable pylône qu’il s’imposait d’exploi-
Une astuce due à Washington. Le méridien de Greenwich y fut ter. Déjà, le 5 novembre 1898, l’industriel
adopté comme méridien de référence mondial Eugène Ducretet avait réalisé avec suc-
à Louis Boudenoot à l’unanimité moins une voix et deux absten- cès une transmission sur quatre kilomètres
Au fil des années, l’isolement de la France tions – dont celle de la France. entre la tour Eiffel et le Panthéon, une pre-
devient de plus en plus absurde. Le 27 octo- mière en milieu urbain. En décembre 1903,
bre 1896, le député Gabriel Deville dépose députés, le 24 février 1898. L’Académie des Eiffel mettait sa tour à la disposition du Génie
un projet de loi visant à mettre fin à cette sciences refuse d’entrer dans le débat. Reste militaire en prenant les frais d’installation
situation. Son texte va droit au but : « Article à obtenir l’approbation du Sénat. à sa charge. Dès le mois suivant, sous la
premier. – Le méridien initial officiellement Certains pensent que la France franchira direction du capitaine Gustave Ferrié, les
en usage en France est le méridien de Green- le pas à l’occasion de l’Exposition universelle expériences commençaient avec une
wich. Art. 2. – L’heure légale en France est de 1900, mais la crise de Fachoda, un inci- antenne à un fil, puis à quatre fils, chacun
l’heure du temps moyen de Greenwich. [...]». dent diplomatique qui oppose la France et de 380 mètres. Les émissions atteignirent
Mais alors que l’opposition au méridien le Royaume-Uni en 1898 au Soudan, puis l’im- bientôt les côtes de l’Algérie, et leur por-
anglais est toujours vive, un texte qui ména- populaire guerre des Boers en Afrique du Sud, tée dépassa 3 000 kilomètres la nuit.
ge si peu les susceptibilités nationales n’a entre les Britanniques et les descendants Le 1er janvier 1910, la concession de l’ex-
aucune chance d’aboutir et il est écarté des premiers colons, soulèvent des vagues ploitation de la tour est renouvelée à Gus-
par la commission parlementaire chargée d’anglophobie, et leurs espoirs sont déçus. tave Eiffel pour 70 ans, et l’«odieuse colonne
de l’étudier. Les partisans de la réforme ne De plus, le 6 février 1899, les députés contre- de tôle boulonnée » est sauvée. Elle servira
désarment pas et un nouveau projet de loi disent leur action précédente en émettant à la transmission non seulement des
est déposé le 8 mars 1897 par le député un vote positif sur un projet de loi irréaliste dépêches militaires, mais aussi de l’heure,
Louis Boudenoot : « Article unique. – L’heure qui prévoit la décimalisation des heures et dont l’intérêt est capital pour la détermina-
légale en France et en Algérie est l’heure, un système de fuseaux horaires calé sur «un tion des longitudes. À l’époque, les marins
Regards
évaluent la longitude de leur position en com- de Paris étant maintenue partout ailleurs.
parant leur heure locale à celle d’un méri- Lallemand n’a aucun mal à faire repousser
dien de référence (Greenwich, ou Paris pour ce texte qui réintroduit une dualité d’heures
les Français), qu’un garde-temps embarqué et double le décalage horaire dans les gares.
– une montre – est censé indiquer : à raison Le projet Boudenoot est adopté par le Sénat
de 15 degrés pour une heure, leur différence dans sa rédaction initiale, tandis que la loi est
correspond à l’angle entre le méridien de leur définitivement votée à la Chambre le 9 mars
position et celui de référence. Reçus à bord suivant et publiée le lendemain au Journal
quasi instantanément, les signaux horaires officiel. Son application est immédiate : dans
permettront de corriger les indications du la nuit du 10 au 11 mars 1911, le temps est
garde-temps au cours de la navigation, ce suspendu à minuit pendant 9 minutes et
qui était impossible auparavant. Le 21 secondes, tandis qu’enfin disparaît l’heure
22 juin 1910, une nouvelle installation, avec du chemin de fer. 4. L’INSTALLATION RADIO de la tour Eiffel
en 1909. La transmission d’informations – notam-
des locaux souterrains et une antenne à
ment l’heure – pouvait atteindre 3000 kilomètres,
six fils de 450 mètres chacun, est inaugu- 65 millièmes et plus de 4 500 kilomètres en 1910.
rée par le Bureau des longitudes et son
président Henri Poincaré. La première émis- de seconde d’écart
sion officielle de signaux horaires a eu lieu Le libellé de la loi ne trompe personne, mais L’ A U T E U R
le 23 mai précédent. il a dû faire sourire outre-Manche. Déclarer
Dès ce moment, Paris peut prétendre à explicitement que l’heure légale française est
un rôle international de premier plan dans le celle de Paris, tout en annonçant implicite-
domaine de l’heure. Encore faut-il que la France ment qu’il s’agit de celle de Greenwich, relève
consente, sans plus tarder, à entrer dans le de l’exploit ! Certains ironisent à ce sujet,
système horaire mondial. Même si cet argu- d’autres parlent d’abdication, mais l’opéra-
ment, de l’ordre du pari, ne peut être produit tion est un succès total: une Conférence inter-
à l’appui de la réforme, il est clair que les per- nationale de l’heure, réunie à l’Observatoire
formances de la station radiotélégraphique de Paris en octobre 1912, prévoit la création
Jacques GAPAILLARD
de la tour Eiffel sont l’élément déclencheur d’une Commission internationale de l’heure est professeur émérite
d’une décision qui, de toute façon, ne peut dont l’organe exécutif, le Bureau internatio- à l'Université de Nantes
être encore longtemps différée. nal de l’heure, siégera à Paris; il y sera offi- où il a enseigné
les mathématiques
Le 20 juillet 1910, le ministre Gaston Dou- ciellement établi en 1919. Paris est aussi et l'histoire de l'astronomie
mergue adresse au président de la com- désignée comme futur Centre horaire inter- (Centre François Viète).
mission sénatoriale concernée une lettre qui national, et la station centrale de signaux
met fin à un blocage de 12 ans : « Tous les horaires sera celle de la tour Eiffel.
départements ministériels se sont montrés Le 9 mars 1911, la France a donc rejoint BIBLIOGRAPHIE
favorables à la mesure projetée, et le gou- le concert des nations... à ceci près que les J. Gapaillard, Une histoire
vernement, qui vient d’en délibérer, areconnu, 9 minutes 21 secondes ne correspondent de l’heure en France, Vuibert,
sans aucune réserve, l’intérêt qu’il y avait, pas exactement à l’écart en longitude entre à paraître.
au point de vue des relations internatio- les observatoires de Paris et de Greenwich. P. Galison, L’empire du temps.
nales, à adopter un système aujourd’hui En réalité, il s’en faut de 65 millièmes de Les horloges d’Einstein
admis par tous les pays de l’Europe en seconde que la France soit strictement rat- et les cartes de Poincaré,
dehors de la France, du Portugal et de la tachée au système horaire mondial. Cette Gallimard, 2007.
Grèce. » Le ministre demande à la commis- anomalie ne sera corrigée que par le décret
sion de déposer son rapport « dans le plus du 9 août 1978 qui abroge la loi de 1911 et
bref délai possible ». légalise en France un nouveau temps inter-
Le géodésien Charles Lallemand, nom- national, le temps universel coordonné, fondé
mé commissaire du gouvernement, défend sur le temps atomique et connecté à la rota- À ÉCOUTER
le projet Boudenoot au Sénat le 26 janvier, tion de la Terre. Ironie du sort, ce temps est Jacques Gapaillard sera l’invité
puis le 10 février 1911. Entre-temps, une élaboré au Bureau international des poids et de l’émission La marche des
nouvelle rédaction a été proposée, qui vise mesures, près de Paris... et le méridien his- sciences du jeudi 3 mars 2011,
sur France Culture de 14h à 15h.
à limiter l’emploi de l’heure de Greenwich aux torique de Greenwich n’intervient plus http://www.franceculture.com
chemins de fer, postes et télégraphes, celle dans cette affaire.
REGARDS
I
l est légitime et utile d’évaluer la sent gravement les résultats (voir plus loin leur parution. Ce calcul fixe la valeur de la
qualité d’un chercheur. Mais com- l’exemple de Grigori Perelman). Par ailleurs, revue et donc le coefficient associé aux
ment le faire quand si peu de gens certains journaux sont bien plus exigeants articles qu’elle publie.
ont la compétence nécessaire ? que d’autres, et il serait injuste de comptabi- Cette méthode est absurde : en mathé-
Si l’on s’adresse à des spécialistes, liser de la même façon un article dans une matiques par exemple, plus de 90 pour cent
on n’échappera pas à la subjectivité, aux que- revue qui publie tout texte soumis et un autre des citations portent sur des articles publiés
relles d’école, voire à la jalousie. L’évaluation dans une revue qui n’en retient qu’un sur 100. plus de deux ans auparavant. Une autre absur-
humaine par les pairs restera essentielle, mais Une solution consiste à classer les dité du facteur d’impact est qu’il est calculé
selon l’opinion qu’«un chiffre, même médiocre, revues et publications en catégories et à en ne prenant en compte que certaines revues,
vaut mieux que pas de chiffres du tout», on pondérer les listes des écrits d’un chercheur déterminées subjectivement et en favorisant
a voulu compléter et contrôler le jugement en fonction de ce classement. Cette solu- bien sûr les revues de langue anglaise: le fac-
humain avec du concret et du mesurable. tion largement utilisée est mauvaise, car, teur d’impact contient donc la composante
Il est naturel de s’appuyer sur les écrits si le classement des revues est fait par des subjective qu’il prétendait éviter.
d’un chercheur pour le noter. Il existe aujour- comités réunis pour cela, on risque de consta-
d’hui une multitude de bases bibliographiques ter la surévaluation des revues auxquelles Le contestable
qui recensent les articles, les congrès et les participent les membres du comité et la péna-
livres et permettent, en tenant compte d’une lisation des revues associées aux écoles et « facteur d’impact »
grande quantité de publications, de calculer sensibilités concurrentes mal représentées. Autre problème dont les spécialistes de
le nombre N de travaux d’un chercheur. La solution du calcul de « facteurs bibliométrie ont démontré la gravité : un
Mais les homonymies, les erreurs de d’impact » des revues ne semble guère article dans une « bonne revue » peut
frappe, les obstacles typographiques créés meilleure, les méthodes proposées pour les être moins bon, par exemple par le décompte
par les lettres accentuées, les traits d’union définir étant médiocres, voire absurdes. Le des citations qu’on en fait, qu’un article paru
et les abréviations des prénoms, la non- facteur d’impact détermine la valeur d’une dans une revue jugée moyenne ou médiocre.
exhaustivité des bases bibliographiques, tout revue d’après le nombre de ses articles Il n’est donc pas satisfaisant de se fonder
cela engendre des erreurs qui parfois faus- qui sont cités dans les deux années suivant sur le classement des comités ou les fac-
1 2 3 4 5 6
Regards
teurs d’impact des revues pour juger la qua- de ces listes on déduit, grâce à des pro- Considérons quelques exemples cal-
lité des publications d’un chercheur. En2007, grammes informatiques, le nombre de culés en utilisant la base Google Scholar
la European Association of Science Editors citations renvoyant à une publication don- et la page Internet qui en synthétise les
(EASE) a d’ailleurs émis l’avis suivant : « Le née. Les trois principales bases de données résultats (http://quadsearch.csd.auth.gr/
facteur d’impact n’est pas toujours un ins- sont la propriété d’acteurs privés : Thomp- index.php?lan=1&s=2).
trument fiable. En conséquence, on ne doit son Reuters dispose de la base SCI (Science Nous trouvons que les travaux de Paul
l’utiliser – avec précaution – que pour com- Citation Index), via le Web of Science ; Else- Erdős ont été cités 15040 fois, chiffre consi-
parer l’influence des revues, mais pas pour viera lancé en 2004 la base Scopus ; Google dérable, mais peu étonnant puisqu’il est
évaluer un article et encore moins un cher- propose Google Scholardont l’accès, contrai- sans doute le plus prolifique de tous les
cheur ou un programme de recherche. » rement aux deux autres, est gratuit. mathématiciens du XXe siècle avec plus
Une idée plus simple et sans doute bien de 1 500 articles à son actif (dont 975
plus saine est de prendre en compte le nombre sont identifiés par le système). Jean Dieu-
total de citations (NTC) faites aux travaux du
Compter les citations donné, un des piliers du groupe Bourbaki,
chercheur à évaluer. Si un chercheur est cité, Les deux premières incluent surtout des jour- a lui été cité 12 580 fois. L’influent Nicolas
c’est que ses travaux sont reconnus et appré- naux de recherche rigoureusement sélec- Bourbaki obtient 16 127. Alexandre Gro-
ciés. Plus un chercheur est cité, plus son tionnés et mesurent donc l’activité de thendieck, mathématicien français vénéré,
NTC augmente, plus il devient clair qu’il est recherche dans un sens étroit. La base Google a un NTC de 9 110 et Cédric Villani, l’un des
efficace, a de l’influence et produit des idées Scholar, plus large, donnera une idée de médaillés Fields 2010, un NTC de 3 426.
et résultats pertinents. Au moins en première l’activité du chercheur en prenant mieux en Notons que seuls les mathématiciens de
approximation, il semble raisonnable de compte les actes de conférences et congrès bonne renommée atteignent un NTC de 1000.
jauger un chercheur à partir de son NTC. (très importants en informatique), ainsi qu’une Quelques tests et l’examen de ces
Calculer le NTC d’un chercheur exige de part du travail de publication didactique. Selon nombres montrent que le nombre total des
disposer de bases de données contenant les domaines et selon ce qu’on souhaite mesu- citations NTC est une note imparfaite attri-
les listes d’articles publiés mais aussi, rer, on choisira l’une ou l’autre, mais toutes buée à un chercheur. D’abord, les problèmes
pour chaque publication, la liste des publi- les trois sont assez bonnes et donnent des typographiques sont difficiles à éliminer. Une
cations qu’elle mentionne. De l’ensemble évaluations rarement contradictoires. requête pour « N Bourbaki » donne 25 642,
1. Le c la ss e m e nt d e q u e l q u es ma th é ma ti c i e n s
our chacun de ces 11 mathématiciens renommés, on a noté le nombre N
P des publications repérées, le nombre total de citations (NTC) qu’elles
ont reçu, l’indice h, l’indice g et le taux moyen de citations (TMC).
N
1. Nicolas Bourbaki 355
NTC
16127
Indice h Indice g TMC
47 125 45,4
2. Alain Connes 329 19892 61 138 59,4
Ces données brutes ont été calculées le 29 décembre 2010 à l’aide du site 3. Jean Dieudonné 310 12580 39 111 40,6
Uad Search (http://quadsearch.csd.auth.gr/index.php?lan=1&s=2) qui uti- ˝
4. Paul Erdos 975 15040 60 110 15,4
lise la base bibliographique Google Scholar. Paul Erdős est le chercheur de 5. Kurt Gödel 215 7471 28 85 34,6
notre liste qui a le plus publié, mais c’est lui qui a le taux moyen de cita- 6. A. Grothendieck 136 9110 32 95 66,9
tions par article le plus faible. Les deux plus célèbres mathématiciens de 7. Grisha Perelman 20 1643 11 20 82,1
notre sélection sont sans doute Andrew Wiles et Grigori Perelman à cause 8. Terence Tao 445 13387 49 107 30,1
de leur démonstration, pour l’un du grand théorème de Fermat, pour 9. Alan Turing 100 14359 22 100 143,6
l’autre de la conjecture de Poincaré. Or ce sont les moins cités, ceux qui ont 10. Cédric Villani 102 3426 28 58 33,6
le moins de publications identifiées et les plus petits indices h et g! 11. Andrew Wiles 88 3277 16 57 37,2
6 7 8 9 10 11
Regards
ce qui est presque le double de ce qu’on obtient pédia dont l’impact est devenu considé- dizaines de signataires ne sont pas rares.
avec la requête «Nicolas Bourbaki». L’écart, rable... et impossible à prendre en compte. Ce problème des articles signés à plusieurs
qui n’est pas aussi grand pour les autres cher- Cédric Villani, le plus jeune des chercheurs se retrouvera plus loin pour l’indice h.
cheurs, est sans doute dû au fait que les mentionnés ici, est défavorisé puisque sa En examinant, publication par publica-
ouvrages de Bourbaki ne font pas apparaître carrière est loin d’être terminée. tion, le nombre des citations faites à cha-
complètement le prénom Nicolas. Par ailleurs, d’une discipline à l’autre, les cune, on remarque que, même chez les plus
Autre difficulté : une partie des citations usages en matière de publication et de cita- renommés des scientifiques, nombreux sont
comptabilisées pour Bourbaki devrait tion sont très différents. Il est donc absurde les articles à ne jamais être cités. Certes, il
être reportée sur Jean Dieudonné, puisqu’il de comparer des chercheurs de disciplines est faux de croire que les articles jamais
est l’un des auteurs anonymes des différentes en considérant leur NTC (voir la cités sont inutiles, mais je doute que beau-
ouvrages de Bourbaki. Bien sûr, personne figure 3). En mathématiques, par exemple, coup de chercheurs sachent qu’une part
ne sait comment opérer ce report! Le même on publie moins et les articles sont plus sou- importante de leurs travaux n’est jamais
problème se pose, cette fois à une bien plus vent publiés avec un seul nom d’auteur, alors mentionnée, et cela même s’ils ont été
grande échelle, pour l’encyclopédie Wiki- qu’en physique des articles ayant plusieurs publiés dans des revues prestigieuses.
28 28 Profil A 28 Profil B
26 26 26
24 24 24
22 22 22
20 20 20
18 18 18
16 16 16
14 14 14
12 12 12
10 10 10
8 8 8
6 6 6
4 4 4
2 2 2
26 26 26
24 24 24
22 22 22
20 20 20
18 18 18
16 16 16
14 14 14
12 12 12
10 10 10
8 8 8
6 6 6
4 4 4
2 2 2
2 4 6 8 10 12 14 16 18 20 22 24 26 28 30 2 4 6 8 10 12 14 16 18 20 22 24 26 28 30 2 4 6 8 10 12 14 16 18 20 22 24 26 28 30
Publication i Publication i Publication i
Regards
Le nombre total de citations NTC d’un cher- créatif. Les auteurs de livres seront en géné- de Hirsch a donné lieu à tant d’études et de
cheur est informatif, mais son domaine de ral défavorisés car, d’une part, les livres sont travaux de bibliométrie qu’aujourd’hui la publi-
variation est assez large et il a plusieurs moins bien pris en compte que les articles cation de J. Hirsch de 2005 est citée 1252fois
défauts qui le rendent inapte à opérer des dans les bases de données et, d’autre part, alors que sa publication la plus citée en
comparaisons fines. Un chercheur ayant le travail pour écrire un livre est en général physique ne l’est que 410 fois... ce qui est
publié un seul travail dans un domaine cen- bien plus grand que pour un article. pourtant très bien !
tral ou à la mode et qui, du coup, est très L’indice h(ou h-indexen anglais) de Hirsch
visible et largement cité sera considéré prend en considération uniquement les
comme l’égal d’un autre qui aura publié une
L’indice h de J. Hirsch meilleures publications d’un chercheur. L’in-
série de travaux difficiles et plus spécialisés, C’est sans doute pour cela qu’en 2005, Jorge dice hd’un chercheur est le plus grand entierk
donc moins cités, alors que la contribution Hirsch, physicien de l’Université de Califor- tel que leskarticles les plus cités de ce cher-
scientifique réelle du second peut être très nie à San Diego, a introduit une nouvelle idée cheur ont chacun été cités au moins k fois.
supérieure. Un chercheur publiant des articles qui, depuis, est devenue le critère préféré Pour avoir un indice hde 1, il faut avoir 1 publi-
de synthèse sera favorisé, même s’il est peu pour évaluer les chercheurs. L’idée de l’indice cation citée 1 fois. Pour avoir un indice hde2,
publications trop citées (par exemple et 200 après. On imagine sans mal des de notre chercheur imaginaire est 1 mode et l’oubli ont pour conséquence
en les fractionnant). cas pires encore. (il a un article cité une fois). Il lui qu’après avoir atteint un maximum,
• Profil D. À nouveau un «chercheur Examinons maintenant l’évolu- faut attendre la fin de sa troisième un article verra en général l’intérêt
linéaire», mais ses publications après tion de l’indice h de chercheurs régu- année pour avoir un indice h de 2 et qu’il suscite diminuer. Si l’on suppose
l’intersection sont les plus inutiles et liers. Imaginons un chercheur la fin de l’année 2k – 1 pour avoir qu’au bout de cinq ans, on cesse de
gâchent les citations (90 pertes après (modèle A) qui publie un article un indice h égal à k. L’indice h d’un mentionner les articles de notre cher-
le point d’intersection, et 20 avant). chaque année et supposons que tel chercheur croît linéairement. cheur imaginaire (modèle B), cela
Conseil: il doit se faire citer plus. dès l’année où l’article a été publié, L’hypothèse de citations régu- aura un grave impact sur son indice h
• Profil E. Ce chercheur est le plus il est cité une fois par an exacte- lières et indéfiniment prolongées pour qui, après avoir atteint 5, cessera de
«maladroit» de notre lot: 200 cita- ment (y compris l’année de sa publi- chaque article publié est assez opti- croître, car aucun de ses articles ne
tions sont inutiles avant l’intersection, cation). Au bout d’un an, l’indice h miste. En effet, les phénomènes de sera jamais cité plus de cinq fois.
15 Modèle A Modèle B 15
14 14
13 13
12 12
11 11
Nombre de citations de la publication i
10 10
An
né
9 9
e1
An
5
né
In
8 8
dic
e
An
13
eh
né
In
7 7
9
e
dic
11
An
eh
In
6 6
né
7
dic
e
An
eh
In
5 5
né
6
dic
e
7
eh
An
An
An
An
An
In
4 4
né
An
5
dic
né
né
né
né
e
né
An
An
e
e5
e7
eh
e
5
11
né
13
né
In
3 3
9
In
In
4
dic
e3
e3
In
In
In
dic
dic
dic
dic
dic
eh
In
In
eh
eh
2 2
eh
dic
eh
eh
dic
4
eh
eh
6
5
7
2
2
2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15
Publication i Publication i
Regards
3 . D ’ u n e d i s c i p l i n e à l ’ a u tr e
’une discipline scientifique à un article varie aussi sensiblement
N
104
Physique
Chimie
D l’autre, les usages en matière
de publications et de citations sont
d’une discipline à l’autre. L’indice h
des prix Nobel de biologie vaut
Biologie-médecine
103 Mathématiques très différents. Ainsi, les mathé- ainsi presque le double de celui
maticiens publient moins d’articles constaté en physique. Le graphique
102 que les physiciens ou les biologistes ci-contre du nombre N de chercheurs
et publient souvent seuls, ce qui brésiliens ayant un indice h donné
101
n’est pas le cas en physique et est tiré d’un article de Pablo Batista
Indice h encore moins en chimie. Le nombre et al. publié dans la revue Sciento-
100
0 5 10 15 20 25 30 35 40 de citations que reçoit en moyenne metrics en 2006.
il faut avoir au moins 2 publications citées au – Il ne faut pas oublier qu’il dépend de la base coup sans jamais être cité n’est probable-
moins 2 fois chacune, etc. bibliographique permettant son calcul. ment pas un bon chercheur).
L’indice h est donc majoré par le nombre – Il peut y avoir des erreurs dues en parti- L’indice h est un meilleur indicateur que
de publications du chercheur: si vous n’avez culier aux homonymies et aux difficultés le nombre d’articles cités au moins K fois,
publié que 5 articles, votre indice h ne typographiques. Il faut contrôler au moins qui décompterait aussi les bons articles d’un
pourra pas dépasser 5. Par ailleurs, si vous les kpremières publications pour un indice h chercheur, mais dépendrait d’un facteur
publiez beaucoup, mais que vous n’êtes jamais valant k; cet examen est plus facile que pour arbitraire K. Ce n’est pas le cas de l’indice h.
cité, votre indice hsera nul. Autre conséquence le NTC,car l’indice h ne dépend que d’un petit L’indice hd’un chercheur ne peut qu’aug-
(voulue par J.Hirsch) de la définition: si vous nombre de publications. menter. Avec des hypothèses simples sur la
avez un très bon NTC, mais que cela n’est dû – Il est absurde de comparer des chercheurs productivité d’un chercheur et l’écho de son
qu’à un seul article, votre indice h vaudra 1. de disciplines différentes, car les usages travail, on aboutit à un modèle théorique
Plus on avance, plus il est difficile de faire concernant les publications et les cita- de chercheur ayant un indice h qui croît
croître son indice h. Le nombre minimal de tions varient d’un domaine à l’autre. Les fac- linéairement tout au long de sa carrière, ou
citations qu’il faut pour atteindre un indice h teurs correctifs qu’on a tenté de calculer alors qui croît jusqu’à un maximum que le
de kest k2. En général, on constate que le NTC restent peu sûrs. chercheur ne dépasse plus(voir la figure 2).
d’un chercheur est 3 à 5 fois le carré de son – De nombreux biais favorisent ou défavo-
indice h. Ce facteur est bien supérieur à 5 risent un chercheur. En particulier, on doit Du pour et du contre
dans le cas où les meilleurs travaux sont beau- prendre en compte l’âge d’un chercheur et
coup cités, ce qui est souvent le cas chez les le fait qu’il publie seul ou pas. D’après J. Hirsch, l’indice h est peu sensible
chercheurs exceptionnels. Pour doubler son – Un seul nombre ne peut pas et ne pourra (du moins quand il n’est pas trop petit) au
indice h, il faut être cité 4 fois plus, et pour le jamais évaluer à la fois la créativité, la per- phénomène de l’autocitation et aux petites
multiplier par 10, il faut que la notoriété des sévérance, le rayonnement, l’influence, l’ap- erreurs que contient nécessairement une
travaux soit multipliée par100. Cet indicateur titude à la synthèse d’un individu. En base de données bibliographique.
composite prend en compte l’intensité du tra- conséquence, tout ramener à une seule note En examinant par exemple une série de
vail d’un chercheur et sa qualité. ne donnera jamais d’évaluation fine de la lauréats du prix Nobel de physique, J. Hirsch
Voici un petit tableau pour les cinq mathé- personnalité et des accomplissements pré- a constaté qu’ils possèdent tous un indice h
maticiens mentionnés plus haut : cis d’un chercheur. C’est essentiel à rete- supérieur à 20. D’autres tests ont confirmé
N NTC Indice h nir pour un comité qui doit recruter, attribuer dans d’autres disciplines que les personna-
P. Erdős 975 15 040 60 une promotion ou décider d’un financement. lités les plus en vue ont tous de bons indices h
N. Bourbaki 355 16 127 47 Dans son article de 2005, J. Hirsch a (pour leur discipline).
J. Dieudonné 310 12 580 39 proposé une série d’arguments en faveur J. Hirsch a aussi mené une étude statis-
A. Grothendieck 136 9 110 32 de son invention. Selon lui, parce qu’il limite tique pour évaluer la capacité prédictive de
C. Villani 102 3 426 28 l’importance des hits (publications citées l’indice h. Prenant en compte l’indice h au
En dépit d’opposants déterminés, l’in- de très nombreuses fois), l’indice h donne bout de 12 années de recherche d’une série
dice h constitue, selon les spécialistes de un classement plus juste des chercheurs de scientifiques, il a calculé la capacité de son
bibliométrie, une mesure efficace et assez que le NTC qui par ailleurs possède un indicateur à prévoir la qualité du travail dans
robuste, qui donne une idée grossière et pouvoir discriminant illusoire. De même, les 12 années suivantes. Son étude semble
instantanée de la productivité et de la qualité il n’a pas le défaut du nombre N de publi- concluante. Assez étrangement même, la cor-
du travail d’un chercheur. Cependant: cations (car un chercheur qui publie beau- rélation entre les indices h au bout des
Regards
12 années et le NTC au bout de 24 ans est en compte les hitsd’un chercheur. Notons un L’ A U T E U R
meilleure que la corrélation entre le NTC au petit paradoxe autoréférent : J.Hirsch aurait
bout de 12 ans et le NTC au bout de 24 ans: mieux fait de définir cet indice g qui le favo-
pour savoir si un chercheur sera bon (au sens rise bien plus que l’indice h, puisque son
du NTC) dans la suite de sa carrière, il vaut article sur l’indice h est un hit dans sa liste
mieux se fier à son indice h actuel qu’à son de publications...
NTC actuel! Parmi les défauts de l’indice h, il
y a son imprécision : c’est un entier, qui
interdit de faire des comparaisons fines. Mais
Oubliés et tricheurs
il est probable que les nombreuses méthodes Pour insister sur la méfiance qu’on doit
Jean-Paul DELAHAYE
qui tentent de donner des notes plus fines éprouver à l’égard de l’indice h, mention- est professeur à l’Université
(non entières) créent une précision illusoire. nons deux cas extrêmes. de Lille et chercheur
On lui reproche aussi d’être victime de Grigori Perelman qui a démontré la au Laboratoire d’informatique
l’effet Matthieu, ainsi nommé à cause de la conjecture de Poincaré est l’un des dix plus fondamentale de Lille (LIFL).
phrase de l’Évangile selon saint Matthieu : grands mathématiciens vivants ; pourtant
« À celui qui a, il sera beaucoup donné et il son indice h, calculé avec la base Google
vivra dans l’abondance, mais à celui qui Scholar, vaut 0. La raison est que celui qu’on
✔ BIBLIOGRAPHIE
n’a rien, il sera tout pris, même ce qu’il nomme Grigori Perelman en Occident, et c’est Rapport de l’Académie
possédait. » Autrement dit, on citera une sous ce seul nom qu’il est mentionné dans des sciences, Du bon usage
de la bibliométrie pour l’évaluation
publication d’autant plus facilement qu’elle Wikipédia, est enregistré avec le prénom Gri- individuelle des chercheurs,
l’a déjà été beaucoup. sha ! Notons que même avec le prénom cor- 17 janvier 2011 (disponible sur
Le plus grave défaut de l’indice h est rigé, l’indice h de Perelman reste faible. http://www.academie-sciences.fr)
qu’il incite à découper en plusieurs petits L’exemple de Ike Antkare est inverse. L’in- N. De Bellis, Bibliometrics and
articles ce qui aurait dû être un seul article dice h de Ike Antkare vaut 95, ce qui en fait Citation Analysis: From the Science
et à renoncer à écrire des livres qui rappor- l’un des meilleurs chercheurs de tous les Citation Index to Cybermetrics,
tent trop peu. Son utilisation encourage les temps. Mais cet exploit n’est pas de nature The Scarecrow Press, 2009.
pratiques de copinage : on citera largement scientifique : Ike Antkare n’existe pas ! Son C. Labbé, Ike Antkare, one
ses amis et on les fera cosigner, pour peu qu’ils indice h résulte d’une manipulation délibé- of the great stars in the scientific
fassent de même. Enfin, son utilisation conduit rée menée par Cyril Labbé, de l’Université firmament, ISSI Newsletter,
vol. 6(2), 2009 :
à choisir des sujets faciles et à la mode qui de Grenoble. C.Labbé a créé 101 faux articles http://membres-lig.imag.fr/labbe/
assurent qu’on sera cité, voire suggère la publi- ayant Ike Antkare comme auteur. Cent de ces Publi/IkeAntkareSub.pdf
cation d’articles provocants défendant des articles citaient tous les autres, et le 101e citait
G. Woeginger, An axiomatic
thèses auxquelles on ne croit pas soi-même, des articles réels déjà référencés par Google characterization of the Hirsch
mais dont on est certain qu’elles feront réagir Scholar pour faire croire que Ike Antkare h-index, Mathematical Social
et donc qu’elles seront citées. était bien connecté au monde réel universi- Sciences, vol. 56, pp. 224-232, 2008.
On peut ajouter un autre conseil encore : taire. C.Labbé a ensuite mis en ligne des pages J. Hirsch, Does the h-index have
publiez un article avec une erreur et faites Internet où ont été déposés ces 101 articles. predictive power? PNAS,
un correctif, vous aurez ainsi deux publi- Google Scholar, piégé, a pris en compte ces vol. 104/49, pp 19193-19198, 2007.
(arxiv.org/ abs/0708.0646).
cations d’un coup : si l’article intervient dans pages et ces articles... du moins presque tous.
votre indice h, il comptera double puisque Ainsi, pour Google Scholar, Ike Antkare a publié A.-M. Kermarrec et al.,
ceux qui le citeront mentionneront aussi le 95 articles, chacun ayant été cité la même Que mesurent les indicateurs
correctif. N’oubliez pas non plus que lorsque année au moins 95 fois, et il faut donc lui attri- bibliométriques ?, Rapport INRIA,
2007 : www.inria.fr/content/
vous vous citez, il faut choisir ceux de vos buer un indice h égal à 95. download/ 6425/58287/
articles proches du seuil de votre indice h : Cet exploit illustre qu’il est facile de tri- version/1/.../ce_indicateurs.pdf
ceux trop cités n’ont pas besoin de l’être cher et démontre à ceux qui utilisent l’indice h
L. Egghe, Theory and practice
plus, et ceux trop peu cités risquent fort pour évaluer les chercheurs qu’ils doivent se of the g-index, Scientometrics,
de ne l’être jamais assez. méfier. Faire de la bonne recherche n’a jamais vol. 69(1), pp. 131-152, 2006.
L’indice g est un peu compliqué, mais signifié publier une multitude de petits articles
J. Hirsch, An index to quantify
intéressant. C’est le plus grand entier g tel en y éparpillant ses idées pour accumuler an individual’s scientific research
que les g articles les plus cités sont cités au des points, comme un automobiliste accu- output, PNAS, vol. 102/46,
moins g2 fois au total. Cet indicateur, toujours mule les points d’une station-service pour pp. 16 569-16 572, 2005.
(arxiv.org/abs/physics/0508025).
supérieur ou égal à l’indice h, prend mieux gagner des verres à whisky. ■
REGARDS
À
la fin des années 1990, le pour des raisons hormonales ou géné- Dans ce dernier pays, le courant créa-
marchand d’art David Godreuil tiques, cette queue embryonnaire peut tionniste a récupéré ces malformations pour
parcourt la vallée du fleuve perdurer (on parle de queue vestigiale) étayer diverses théories fantaisistes. Le point
Sépik et sa région, au Nord sous des formes et des aspects notable- de départ fut un article paru dans le New
de la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Dans le ment différents d’un sujet à l’autre. Ce peut England Journal of Medicineen 1982, où Fred
village de Yenchan, il collecte une grande sta- être une queue dure constituée de ver- Ledley, alors à l’Institut médical Howard
tue ancienne, encore couverte de quelques tèbres accompagnées de tissus muscu- Hughes, aux États-Unis, postulait, à partir du
restes de peintures végétales et minérales laires autorisant une mobilité, ou bien une cas d’un de ses anciens patients, que l’obser-
(voir page ci-contre). L’individu figuré, d’une queue molle uniquement composée de tis- vation de queues vestigiales chez des nou-
soixantaine de centimètres de hauteur, est sus vasculo-nerveux, avec parfois une veau-nés mettait en évidence « la relation
un être mythique, un ancêtre du clan, dont matrice cartilagineuse. Dans certains cas, entre humains modernes et leurs ancêtres
la filiation avec le crocodile est visible sous une forte pilosité recouvre ces queues ves- primitifs ». Les créationnistes ont réagi en
la forme d’un long prolongement caudal en affirmant que de telles malformations ne
queue de saurien garni de renflements sug- peuvent être que le fruit du hasard (la preuve
gestifs. De fait, le crocodile est au cœur de Une pilosité importante étant leur diversité) et non le résultat de l’ex-
nombreuses croyances de ces populations, pression accidentelle d’un gène archaïque.
une légende affirmant même que le para-
confère parfois Rappelons que le créationnisme est une
dis et les enfers correspondent chacun à aux queues vestigiales doctrine religieuse (surtout chrétienne, mais
une partie de la mâchoire entrouverte d’un aussi partagée par quelques courants musul-
de ces reptiles.
de certains individus mans et juifs) s’opposant à l’évolutionnisme
Cependant, s’agit-il réellement d’un su- un aspect animal. darwinien. Selon les créationnistes, la vie et
jet hybride, destiné à rappeler à l’homme son la Terre ont été créées par Dieu comme le
ascendance animale lacustre, ou plutôt de racontent les livres saints. Toutes les traces
la figuration d’une anomalie anatomique ? Il tigiales, leur conférant un aspect encore plaidant pour une évolution des espèces (les
est en effet possible de voir dans cette sta- plus animal. Les garçons sont deux fois fossiles, par exemple) ne seraient que des
tue la représentation d’une véritable queue plus souvent porteurs d’une telle malfor- leurres disposés par Dieu pour fausser le
chez un être humain. mation que les filles. jugement des hommes et les éloigner de la
Au cours de leur développement, les Une prise en charge chirurgicale est la Vérité. Pourtant, l’homme a bien un ancêtre
embryons humains sont un temps dotés, de règle, l’opération étant le plus souvent effec- commun avec le crocodile !
façon physiologique et donc normale, d’une tuée peu de temps après la naissance.
queue pouvant mesurer jusqu’à un sixième Cependant, la situation est plus complexe
de leur taille totale. Toutefois, cet appendice lorsque d’autres malformations sont asso- Philippe CHARLIER travaille au Service
s’atrophie au fil de la croissance, jusqu’à dis- ciées : une fistule anale (une communica- de médecine légale et d'anatomie/cytologie
pathologiques, à l'Hôpital universitaire
paraître totalement au stade fœtal. Seul tion anormale entre deux zones d’ordinaire Raymond Poincaré (AP-HP, UVSQ), à Garches.
persiste chez l’adulte un bourgeon minus- bien séparées), une anomalie du système Ph. Charlier, Les monstres humains.
cule constitué de une à trois vertèbres coc- génito-urinaire, une lésion vertébrale... De Les malformations humaines dans l’Antiquité.
cygiennes (le coccyx), l’ensemble mesurant telles observations sont nombreuses dans Paris, Fayard, 2008.
moins de trois centimètres de longueur. la littérature médicale, avec des cas décrits F. D. Ledley, Evolution and the human tail :
a case report, New England Journal
Mais cette disparition souffre quelques en ex-Indochine, en Inde, au Japon, en of Medicine, vol. 306(20),
exceptions. En effet, chez certains individus, France, aux États-Unis, etc. pp. 1212-1215, 1982.
Regards
REGARDS
IDÉES DE PHYSIQUE
Q
uelles sont les zones du cerveau terrestre! Mesurer de tels champs est néan- aisément détectés (par électroencéphalo-
qui sont sollicitées lors de telle moins possible grâce à la supraconductivité, graphie). C’est beaucoup plus difficile pour
ou telle tâche cognitive ou qui dont on fête cette année le centenaire de les champs magnétiques cérébraux, qui sont
présentent des anomalies ? la découverte. de l’ordre de 10–13 tesla – le champ magné-
Pour répondre à ces questions, les méthodes Le cerveau est le siège d’une activité tique terrestre vaut environ 5 ⫻ 10–5 tesla–,
d’exploration se sont multipliées : IRM, élec- physico-chimique et électrique. La propa- c’est-à-dire 100 fois moins que le champ
troencéphalographie et plus récemment gation de signaux par les neurones est asso- magnétique créé au niveau de la tête par
magnétoencéphalographie (ou MEG)... Cette ciée à des mouvements d’ions, donc à des l’activité électrique du cœur. Or la supra-
dernière technique (voir la figure 1) est un courants électriques. Cela se traduit par la conductivité, phénomène extrêmement sen-
tour de force, car les champs magnétiques génération de champs électriques et magné- sible au champ magnétique, permet de
créés par le cerveau sont un milliard de tiques. Les potentiels électriques, de l’ordre détecter des champs aussi faibles.
fois plus faibles que le champ magnétique de quelques dizaines de microvolts, sont
La supraconductivité
à la rescousse
Découverte en 1911 par le Néerlandais
Kamerlingh Onnes, la supraconductivité
apparaît brusquement dans certains maté-
riaux au-dessous d’une très basse tempéra-
ture (4 kelvins pour le mercure, soit –269 °C!)
ou dans certains composés à des tempéra-
tures un peu moins basses. Elle se manifeste
par deux propriétés remarquables, l’une élec-
trique et l’autre magnétique : un matériau
supraconducteur conduit le courant électrique
sans aucune résistance et expulse de son sein
tout champ magnétique (effet Meissner).
L’origine de ces propriétés réside dans le
comportement collectif des électrons libres:
après s’être liés deux à deux en « paires de
Dessins de Bruno Vacaro
Regards
Regards
LES AUTEURS pour Superconducting Quantum Interfe- sites dont la source se trouve loin du détec-
rence Device (dispositif supraconducteur à teur (cas du champ magnétique associé
interférence quantique). au cœur), le même champ traverse les deux
L’utilisation directe d’un SQUID est tou- boucles et comme ces dernières ont des
tefois délicate : sa surface est petite (une sens de circulation opposés, le flux magné-
Jean-Michel COURTY dizaine de micromètres carrés) et il est sen- tique total est nul.
et Édouard KIERLIK sible à toutes les perturbations magnéti- En revanche, pour une source proche,
sont professeurs de physique ques. Pour y remédier, on utilise un capteur par exemple un ensemble de neurones, le
à l’Université Pierre constitué d’un circuit supraconducteur com- champ n’est pas homogène ; il est bien plus
et Marie Curie, à Paris.
Leur blog: http://blog.idphys.fr portant deux boucles de un centimètre de intense dans la boucle la plus proche de la
diamètre, distantes de cinq et enroulées en source. Par conséquent, la somme des
BIBLIOGRAPHIE sens opposés, et un petit enroulement cou- flux à travers les deux boucles n’est pas
plé au SQUID (voir la figure 3). nulle : un courant est induit dans le circuit
J. C. Gallop, SQUIDs, the Josephson À cause de l’effet Meissner, les lignes afin que le flux magnétique dans le petit
Effects and Superconducting
Electronics, Institute of Physics de champ ne peuvent pas traverser le fil enroulement compense le flux des grandes
Publishing, 1991. supraconducteur pour entrer ou sortir des boucles et maintienne un flux total nul. Le
anneaux : il s’ensuit que le flux magnétique champ magnétique engendré par l’enrou-
total dans le circuit reste constant. Pour un lement, proportionnel au champ magné-
Retrouvez les articles de champ magnétique uniforme ou presque, tique cérébral, est ainsi plus facilement
fr J.-M. Courty et É. Kierlik sur
www.pourlascience.fr tels le champ terrestre ou des champs para- mesurable par le SQUID. I
REGARDS
Jean-Michel Thiriet
que la préparation contienne beaucoup d’eau et d’air
avant de l’enfourner.
Hervé This
L
e soufflé est le prototype du la base dense comportait 75 grammes de Le soufflé fut alors remis au four, parce
produit culinaire qui gonfle à la farine, 75grammes de beurre, 750 grammes que nous avions voulu le comparer à un
cuisson. Il n’est pas seul: les gou- de lait, quatre jaunes d’œuf, 200 grammes soufflé dont les blancs d’œuf n’auraient pas
gères, les petits choux, les can- de fromage râpé; après cuisson, deux jaunes été battus en neige : après tout, puisque
nelés gonflent... Une partie du monde culinaire d’œuf supplémentaires étaient ajoutés, ainsi la théorie stipulait que la dilatation des
attribuait le gonflement à la dilatation des que dix blancs d’œuf battus en neige ferme. bulles d’air était presque sans effet sur le
bulles d’air, qui proviennent des blancs d’œuf Les ramequins étaient des objets pro- gonflement, pourquoi s’embarrasser de
battus, comme dans les soufflés ; mais la rai- fessionnels en céramique blanche, et les ce battage préalable ?
son n’y trouvait pas son compte : la loi de la conditions de production des « appareils » Le verdict expérimental a été sans appel,
dilatation des gaz, appliquée aux soufflés, à soufflés (les cuisiniers nomment « appa- à la surprise des professionnels : le soufflé
ne prévoyait qu’un gonflement de moins de reil » la préparation destinée à cuire), tout aux blancs non battus en neige est monté
30 pour cent, bien inférieur à celui obtenu comme celles de cuisson, étaient aussi presque autant que le soufflé identique, mais
quotidiennement par les cuisiniers. bien contrôlées que possible. Cette rigueur avec des blancs battus. Presque autant...
Nous avons montré que le mécanisme a révélé des surprises. Tout d’abord, les rame- mais pas tout à fait, parce que l’air intro-
principal du gonflement des soufflés et quins n’étaient identiques qu’en apparence : duit contribue au volume de la masse.
des autres plats analogues était l’évapora- alors que leur taille était constante, leur masse Cette observation, qui a stupéfié le
tion de l’eau de la préparation. D’une part, un variait considérablement, ce qui indique que monde professionnel, donne de nouvelles
soufflé de 300 grammes perd environ dix leurs épaisseurs étaient différentes ; pas clefs pour réussir les soufflés : nous savons
grammes à la cuisson, ce qui (si cette masse étonnant, donc, que l’on obtienne parfois maintenant que l’objectif est de vaporiser le
est de l’eau évaporée, mais que pourrait-elle en cuisine des résultats très différents. plus d’eau possible et nous savons que
être d’autre ?) correspond à dix litres de En ce qui concerne la tenue des souf- tout l’air initialement introduit dans les souf-
vapeur ! D’autre part, la cuisson des souf- flés à l’ouverture de la porte, nous avons flés sous la forme de blancs d’œuf en neige
flés dans des moules transparents et équi- constaté une tenue bien supérieure à tout contribue au volume final. Puisque l’on sait
pés de capteurs de température montre ce qui est prétendu. Le soufflé ayant été produire des litres et des litres de blanc en
qu’au fond des ramequins, on atteint bien cuit à 180 °C dans un four à convection, un neige à partir d’un seul blanc d’œuf, en lui
les 100 °C indispensables à l’évaporation de gonflement notable a été observé après dix ajoutant de l’eau quand on le bat, on sait par-
l’eau, tandis que l’on voit, à travers les parois minutes de cuisson. tir d’un fort volume initial... qui augmentera
des ramequins, des bulles monter dans la C’est le moment qui a été choisi pour l’ou- encore à la cuisson. ■
préparation et venir crever en surface. verture du four : durant une minute, nous
Tout est-il dit ? Apparemment pas. Lors avons laissé le soufflé dans le four, en espé- Hervé THIS dirige le groupe INRA
de récentes réunions du Groupe d’étude rant le voir redescendre... mais non, il est resté de gastronomie moléculaire
des précisions culinaires, à Paris, nous stable. Nous l’avons même sorti du four, et au Laboratoire de chimie
d’AgroParisTech. Il est aussi
avons testé diverses précisions relatives après 3 minutes et 40 secondes, il était très directeur scientifique
aux soufflés, notamment la retombée des peu redescendu. Bref, à ce stade, la croûte de la Fondation Science & Culture
soufflés cuits dans des fours dont on ouvre superficielle, et sans doute la cuisson de la Alimentaire (Acad. des sciences).
la porte, l’influence du farinage des moules, partie supérieure, suffit à tenir le soufflé gon-
etc. Nous avons testé des soufflés au fro- flé, la vapeur ne s’échappant pas par la par- Retrouvez les articles
mage de composition « professionnelle » : tie supérieure ni ne se recondensant. fr www.pourlascience.fr
de Hervé This sur
À LIRE
À l i r e
À l i r e
.§ Stéphane Mauné.
de la naissance, sa part maudite
comme sa part bénie ». L’histo-
sionnant encadré de la psycha-
nalyste Liliane Fainsilber sur «Les
rienne de l’Antiquité italienne Eva rêves de grossesse masculine »,
qu’on va expliquer la molécule par ses CNRS, Montpellier
Cantarella nous décrit ensuite une puis à « Naissance de demain et
effets. Quelle définition donner à la fonc-
tion pour s’affranchir d’une telle inter- «Mythologies de la naissance dans éthique » par le professeur de mé-
prétation finaliste? Dans cet ouvrage uni- l’Antiquité gréco-latine ». Le re- decine et spécialiste de l’éthique
gretté spécialiste de l’Antiquité tar- médicale Didier Sicard.
versitaire, philosophes, historiens et § MÉDECINE
biologistes examinent et poursuivent les dive Michel Meslin contribue pour L’ambition de mettre en rela-
débats qui entourent cette question de- La naissance sa part à un article sur « L’origine tion une diversité de points de vue
puis 30 ans. Sous la direction de l’humain dans certaines socié- est ainsi poussée loin, et bien ser-
de R. Frydman et M. Szejer tés traditionnelles ». vie par une belle illustration, une
Albin Michel, 2010 Pour vraiment rendre comp- signalétique efficace. Mais l’ab-
(1401 pages, 65 euros). te de la diversité des aspects et des sence déconcertante d’un inde
LA DROITE AMOUREUSE
pensées sur la naissance, les di- complique la fréquentation de cet-
DU CERCLE
Didier Nordon
Hermann, 2011 (1997, 2e éd.)
(112 pages, 24 euros).
u la vie des objets mathématiques
D ifficile de rendre compte
d’une encyclopédie ! Cet-
te somme est le premier
travail consacré à la naissance
d’une telle ampleur et en langue
recteurs de l’ouvrage n’ont craint
ni les contributions se chevauchant
ni les positions contradictoires.
Par exemple, l’article du pédo-
psychiatre Jacques Dayan sur le
te belle et importante encyclopé-
die de la naissance.
.§ Cédric Crémière.
Historien des sciences,
O (entre autres) quand les mathéma-
ticiens sont couchés. Entre Oulipo et
française. L’obstétricien René
Frydman a dirigé ce projet avec
« Déni de grossesse » et celui de sa
Muséum du Havre
Imprimé en France – Maury Imprimeur S.A. Malesherbes – Dépôt légal 5636 – MARS 2011 – N° d’édition 077401-01 – Commission paritaire n° 0912K82079 –
Distribution : NMPP – ISSN 0 153-4092 – N° d’imprimeur I01/162 334 – Directrice de la publication et Gérante : Sylvie Marcé.