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développement et différentielle
Raphaële MILJKOVITCH
Françoise MORANGE-MAJOUX
Nous allons, dans un premier temps, retracer les principales étapes qui ont abouti à ce champ
disciplinaire. Nous décrirons ensuite les principales théories qui constituent les fondements de
la psychologie du développement et qui alimentent les réflexions dans cette discipline. Enfin,
une discipline n’existant pas sans méthodes, nous verrons que la psychologie du
développement ne déroge pas à cette règle : l’apparition de nouvelles techniques est
intimement liée aux réflexions investies par la psychologie du développement.
L’objectif de cette partie est de montrer comment les évènements sociaux et scientifiques
d’une époque ont construit la psychologie du développement1. L’objectif est aussi de montrer
1On peut distinguer les différentes disciplines en fonction de leurs méthodes comme la psychologie
expérimentale, développementale, la psychométrie, la psychopathologie, la psychologie cognitive… ou
encore en fonction de leur terrain ou de leur contexte d’intervention : psychologue scolaire, du travail,
du sport… ou en fonction de la finalité de leurs interventions : psychothérapie, éducationnelle…ou bien
en fonction du positionnement théorique : psychanalyse.
comment d’un intérêt purement pratique (préoccupations éducatives), les recherches ont
évolué vers un intérêt plus théorique (préoccupation scientifique psychologique).
Dans la Grèce antique, les enfants sont considérés comme des adultes en miniature. Ainsi
existe-t-il une sélection artificielle, les faibles et les mal formés étant
supprimés selon une éthique qui met en avant la force et
l’intégrité du corps au service de la gloire et de la défense de
la cité. Dans l’antiquité romaine, on retrouve la même
désinvolture à l’égard du nouveau-né, et le même souci
d’éducation civique : l’enfant est élevé dans le but de défendre sa
cité. Dans les deux sociétés antiques on retrouve le rôle prédominant du père, qui a droit de
vie ou de mort sur ses enfants. Ce droit qui existe jusqu’en 400 après JC, sera retiré par arrêté
légal, sous l’influence de la diffusion de l’Evangile. Pendant cette
époque prédominent donc les aspects éducatifs : l’essentiel étant de
former l’enfant aux valeurs et aspirations du groupe. Soulignons
toutefois que l’enfant suscite dans l’Antiquité un intérêt tout à fait
nouveau dans le domaine médical, avec le grand Hippocrate (450-
346 av. J.C.) et ses questions de pédiatrie.
Pendant la période moyenâgeuse, les enfants sont intégrés à la vie adulte dès le sevrage et il
n’y a pas de réelle distinction d’âges dans l’enfance, juste la dichotomie enfant/adulte. Cette
quasi-disparition de l’enfance (et donc de l’éducation) s’explique par les conditions d’existence
et par la brièveté de la vie. En effet, les enfants assurent précocement les charges et les
devoirs de l’adulte et il y a une grande mortalité infantile. Les enfants qui survivent sont intégrés
très tôt dans la société. L’enfance n’est donc pas étiquetée comme une période mais comme
la miniature de l’âge adulte.
Il faut attendre le XVIe et XVIIe siècle pour que l’enfant trouve enfin sa place en tant que telle
et que l’éducation revient au premier plan des représentations de
l’enfance sous l’influence des philosophes, avec le rétablissement
de la scolarité (les curés, mécènes et couvents contribuent
beaucoup à ces débuts de l’enseignement). Ainsi, l’humaniste
hollandais Erasme (1469-1536) par ses écrits, ses conseils
d’instruction, d’éducation civique et d’hygiène de vie a beaucoup
apporté à l’éducation des enfants. C’est à lui qu’on doit la célèbre
phrase « on ne naît pas homme, on le devient », qui
met l’accent sur le fait que le développement n’est pas le seul fruit de la
maturation physiologique et psychique mais est aussi et surtout le fruit de
la pédagogie. Un peu plus tard, Montaigne (1533-1592) axe son éducation
sur une pédagogie dite libérale qui refuse les châtiments corporels, et
donne toute son importance à l’affection et l’amour portés aux enfants.
http://www.polemia.com/pdf/Montaigne.pdf
Si la scolarité est essentielle, c’est aussi et surtout parce que l’enfance est vu comme le
symbole à la fois de la force du mal et du poids du péché originel (à cette époque la religion
est centrale et guide toutes décisions). Dans ce contexte l’enfance est comparée à un état
animal, et donc considérée comme un état inférieur. C’est l’éducation qui permettra à l’enfant
de dépasser cela et de devenir un homme (De Berulle et Bossuet).
Au XVIIIe siècle, un nouveau regard sur l’enfance est posé avec J.J. Rousseau (1712-1778)
et son Emile ou de l’éducation. Les préoccupations
éducatives reposent cette fois-ci sur le souci de
respecter les tendances naturelles de l’enfant
qui sont bonnes et de préserver l’enfant des
influences néfastes de la société adulte.
Ainsi, éduquer ce n’est pas socialiser mais
c’est laisser l’enfant s’exprimer selon sa nature
et dans la nature. « L’homme naît bon, c’est la
société qui le corrompt ».
La mise en nourrice est également très en vogue à cette époque, et ceci dans toutes les
couches de la société (raisons multiples : refus d’allaiter, travail des femmes,...). Toutefois, les
conditions déplorables de l’hygiène en nourrice entraînant la mort de 25 à 30% des enfants
pousseront Louis XV à créer un bureau général des nourrices, ce qui témoigne de l’attention
institutionnelle portée à la petite enfance.
Enfin, le XXe siècle voit émerger la psychologie scientifique : c’est le siècle de l’enfant, avec
en 1959 la Déclaration des Droits de l’Enfant (rédigée par l’ONU).
A.2.1. APPARITION DES THEORIES DE L’EVOLUTION DES ETRE VIVANTS (DARWIN 1809-1882)
u.tv/video/universite_de_nice_sophia_antipolis/la_pensee_de_darwin_aujourd_hui_permane
nce_et_metamorphoses_d_un_heritage_jean_claude_ameisen.5839
Il montre que l’homme est lui-même le produit d’une longue évolution collective : celle des
espèces en développement (populations d’individus). Il fait l’hypothèse qu’il y a une souche
commune à toutes les espèces, la diversification ultérieure étant le produit d’une succession
de petites modifications accidentelles
soumises à un mécanisme de sélection
naturelle qui ne retient que les formes les
mieux adaptées. Il met en avant l’instabilité
qui caractérise les relations entre l’individu et
son environnement Ce mécanisme
d’évolution des espèces est défini sous le
vocable « phylogénèse ».
A la même époque, plusieurs chercheurs, dont Haeckel (1866) en tête, s’inspire du concept
de phylogénèse pour proposer la théorie de la récapitulation (« l’ontogenèse récapitule la
phylogénèse ») où l’individu reproduirait en raccourcis temporels la succession des formes
d’évolution des espèces. Ainsi par exemple, le passage du liquide amniotique du fœtus au
monde aérien du nouveau-né serait vu comme le passage des animaux marins (poissons) aux
animaux terrestres (batraciens). Darwin considère au contraire que l’évolution naturelle des
facultés humaines (ontogenèse) est progressive, nécessite des adaptations et oriente in fine
la phylogenèse. Pour justifier sa conception, Darwin analyse lui-même le développement
humain en observant son fils Doddy de sa naissance jusqu’à l’âge de 3 ans (voir
http://www.darwinproject.ac.uk/observations-on-children ). Il porte une conception de
l’enfance dans laquelle l’analyse des processus d’adaptation fonctionnelle sera prédominante,
contrastant avec la vision purement descriptive du développement. Les observations de son
fils marquent le point de départ d’une étude de l’enfant en tant que spécificité du
développement.
Darwin s’oppose à l’hypothèse proposée par Lamarck sur l’hérédité des caractères acquis, qui
postule que l’environnement peut modifier durablement (c’est-à-dire sur plusieurs générations)
un comportement acquis2.
2 L’exemple du cou de la girafe est un bon exemple pour illustrer les deux théories : partant d’un fait
avéré (les paléontologues ont montré que le cou de la girafe au cours des millénaires avait augmenté
en taille), Lamarck postule que le cou de la girafe s’est « agrandi » sous l’impulsion de l’environnement :
C’est parce que les arbres (acacias) de la savane étaient de plus en plus haut que la girafe a eu
progressivement un cou de plus en plus long à force de tirer. Pour Darwin, les individus d'une espèce
sont tous un peu différents. Les sujets ayant un cou plus long arriveront à manger les feuilles plus hautes
et survivront. C’est le principe de la sélection naturelle qui sélectionne les individus les mieux adaptés.
Pour Lamarck, il y a transmission de caractères acquis, pour Darwin, il y a transmission de caractères
génétiques, sélectionnés naturellement. Si on a longtemps pensé que la proposition de Lamarck n’était
pas la bonne, des données récentes relancent ce débat. A ce titre écoutez ces deux émissions de
France inter passionnantes « sur les épaules de Darwin » : http://www.franceinter.fr/emission-sur-les-
epaules-de-darwin-une-heredite-des-caracteres-acquis et http://www.franceinter.fr/emission-sur-les-
epaules-de-darwin-une-heredite-des-caracteres-acquis-2
Gesell, après une thèse en philosophie, des études en médecine,
s’intéresse à la psychologie et fonde à l’Université de Yale une
clinique du développement de l’enfant. Il est le premier à utiliser
l’observation filmée. Gesell va, pendant de longues années, observer
les enfants et construire un inventaire du développement, applicable
aux jeunes enfants de 4 semaines à 5 ans. Dans sa conception, le
développement psychologique est possible grâce au développement biologique : le concept
de développement s’identifie à un concept de maturation.
3 La voie pyramidale est la voie nerveuse qui commande l’activité motrice des membres.
se myélinise que l’enfant est capable d’habilités avec ses pieds (taper dans
un ballon). Les principaux chercheurs de ce courant sont Gesell et Wallon.
Ainsi, pour Gesell, le développement psychologique est à l’image du
développement de l’organisme. Tout est programmé dès la conception et le
déroulement suit un ordre immuable. Mais la prédétermination peut aussi
être entendue comme le fait que les connaissances existent avant toute
expérience et toute action et qu’elles guideront les acquisitions futures. Dans cette
perspective, la notion de l’innéité des compétences est au centre de ces théories. Typiquement
c’est parce que le bébé a un attrait naturel et spontané vers les visages humains (ce qui a été
montré) qu’il peut entrer tout de suite en communication. Les principaux chercheurs de ce
courant dit « nativiste » sont Melher, Dupoux, et Chomsky. D’après ces auteurs, les conduites
sont suffisamment précoces pour que l’environnement ne puisse avoir un impact sur le
développement.http://scholar.google.com/citations?view_op=view_citation&hl=fr&user=94c1
abIAAAAJ&citation_for_view=94c1abIAAAAJ:ufrVoPGSRksC
Quel que soit l’orientation théorique, toutes les grandes théories fondatrices du développement
s’accordent pour dire que le développement humain se fait dans un environnement,
notamment social, qui contribue, facilite ou entrave les activités psychologiques. Pour certains,
le facteur social n’est pas central, tandis que pour les interactionnistes, l’expérience va avoir
un poids déterminant. Pour eux, les connaissances sont issues des informations perçues dans
l’environnement et des liens qui s’établissent entre elles. A la naissance, l’esprit serait comme
une table vierge sur laquelle vient s'‘inscrire les connaissances tirées de l’expérience C’est
typiquement l’image de la tabula rasa développée par Locke).
les théories behavioristes (ou comportementalistes) bien sûr qui postulent que le
développement se fait par renforcement de liens entre stimulations et réponses, et ce
renforcement dépend des conséquences bonnes ou mauvaises qui suivent les
réponses.
Les théories de l’interaction (ou association) comme celle de Vygotsky (1896-1934)
puis plus tard de Bruner. Pour Vygotsky, le développement se fait grâce à des outils
que l’enfant trouve dans son environnement parmi lesquels le
langage. Selon sa vision, le développement ne peut être décrit
en termes de stades fixes et séquentiels, car les influences
sociales et environnementales ont un rôle majeur sur le
développement cognitif et ces influences sont variées selon
les environnements. Vygotsky propose également un
nouveau concept qui est celui de la Zone Proximale de
Développement (ZDP) qui traduit la distance qui existe à tout
moment entre les connaissances effectives de l’enfant, et
celle qu’il peut acquérir sous la supervision d’un adulte ou en
côtoyant d’autres enfants. Ainsi l’enfant chez Vygotsky peut être vu
comme un petit apprenti qui reçoit de ses professeurs l’aide et le soutien nécessaire
dans les situations d’apprentissage et apprend sous cette influence sociale et
environnementale : l’expérience est le moteur du développement. Ces théories sont
plus particulièrement développées dans le cours Interaction, milieu et développement
cognitif (TTC). https://www.youtube.com/watch?v=UEAm4cf_9b8
https://www.youtube.com/watch?v=0XwjIruMI94
Lectures conseillées
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