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3:HIKMQI=\U[WU^:?a@e@k@h@k; Allemagne : 9.36 €, Belgique : 7,60 €, Canada : 11,50 $, Can, Grèce : 8 €, DOM : 7,70 €, Italie : 7.60 €, Luxembourg : 7,60 €, Maroc : 63 MAD,
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ÉDITO
POUR LA de Françoise Pétry directrice de la rédaction
www.pourlascience.fr
8 rue Férou, 75278 PARIS CEDEX 06
Standard : Tel. 01 55 42 84 00
Groupe POUR LA SCIENCE
Directrice de la rédaction : Françoise Pétry
Pour la Science
Rédacteur en chef : Maurice Mashaal
Rédacteurs : François Savatier, Marie-Neige Cordonnier,
Philippe Ribeau-Gésippe, Bénédicte Salthun-Lassalle,
Hasard et efficacité
Cécile Fourrage
S
i les prix Nobel récompensent chaque année des personnes
Dossiers Pour la Science
Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin « ayant apporté le plus grand bénéfice à l’humanité », par
Rédacteur : Guillaume Jacquemont leurs inventions ou découvertes, les prix Ig Nobel (cela se
Cerveau & Psycho prononce comme ignoble en anglais) sont décernés pour
L’Essentiel Cerveau & Psycho
Rédactrice en chef : Françoise Pétry des travaux qui, contrairement aux travaux scientifiques, « ne peuvent
Rédacteur : Sébastien Bohler
ou ne doivent être reproduits ». Les prix Ig Nobel rendent hommage à
Directrice artistique : Céline Lapert
Secrétariat de rédaction/Maquette : Annie Tacquenet, l’originalité et à l’imagination, ils font sourire et donnent à penser. C’est
Sylvie Sobelman, Pauline Bilbault, Raphaël Queruel, Ingrid Leroy le prix de médecine vétérinaire de 2009 décerné à l’équipe ayant mon-
Site Internet: Philippe Ribeau-Gésippe assisté de Ifédayo Fadoju
Marketing: Élise Abib
tré que les vaches à qui l’on donne un prénom produisent plus de lait que
Direction financière : Anne Gusdorf les autres; ou encore celui de linguistique de 2007 pour avoir mis en évi-
Direction du personnel : Marc Laumet
Fabrication : Jérôme Jalabert assisté de Marianne Sigogne dence que les rats sont le plus souvent incapables de distinguer la langue
Presse et communication : Susan Mackie japonaise de la langue néerlandaise dans un discours diffusé à l’envers...
Directrice de la publication et Gérante: Sylvie Marcé
Conseillers scientifiques : Philippe Boulanger et Hervé This Citons encore celui de management décerné à une équipe italienne
Ont également participé à ce numéro : pour avoir démontré que, dans certaines organisations hiérarchiques,
Patrice Berthet, Martin Blackledge, Eric Buffetaut,
Jean-François Dartigues, Damien Fabre, Martin Fussenegger, l’efficacité augmenterait si les promotions des individus étaient faites...
Laurence Gesquière, Pierre Henry, Nadine Le Bris, au hasard. Leurs travaux explorent le principe de Peter selon lequel tout
Jean-Michel Lecerf, Sonia Longhi, Jean-Yves Marion, Christophe
Pichon, Cyril Poupon, Daniel Tacquenet, Michael Zasloff. employé s’élève dans une hiérarchie jusqu’à atteindre son niveau
PUBLICITÉ France d’incompétence : s’il est compétent, il est promu, mais finit par se
Directeur de la Publicité : Jean-François Guillotin
(jf.guillotin@pourlascience.fr), assisté de Nada Mellouk-Raja trouver confronté à une tâche pour laquelle il est... incompétent (voir
Tél. : 01 55 42 84 28 ou 01 55 42 84 97 • Fax : 01 43 25 18 29
SERVICE ABONNEMENTS
Le principe de Peter, page 82). Selon ce principe, le hasard est utile dans
Ginette Bouffaré. Tél. : 01 55 42 84 04 certains domaines, par exemple dans la vie politique ou la justice.
Espace abonnements :
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Adresse e-mail : abonnements@pourlascience.fr Des régions où le hasard règne en maître...
Adresse postale :
Service des abonnements - 8 rue Férou - 75278 Paris cedex 06 Dans la Grèce antique, hasard et justice coexistaient déjà. Le kle-
Commande de livres ou de magazines :
0805 655 255 (numéro vert) roterion était un dispositif permettant de tirer au sort les jurés appe-
DIFFUSION DE POUR LA SCIENCE
lés à rendre la justice. Cette stèle était entaillée de fentes où l’on glissait
Canada : Edipresse : 945, avenue Beaumont, Montréal, le nom des jurés potentiels, lesquels étaient sélectionnés au moyen de
Québec, H3N 1W3 Canada.
Suisse: Servidis: Chemin des châlets, 1979 Chavannes - 2 - Bogis billes blanches (le nom était accepté) et noires (le nom était refusé)
Belgique: La Caravelle: 303, rue du Pré-aux-oies - 1130 Bruxelles. tirées au hasard. La stèle utilisée représentait une sorte de pavage,
Autres pays: Éditions Belin: 8, rue Férou - 75278 Paris Cedex 06.
mais si la méthode reposait sur le hasard, le pavage ne l’était pas. Au
SCIENTIFIC AMERICAN Editor in chief : Mariette DiChristina. Editors: Ricky
Rusting, Philip Yam, Gary Stix, Davide Castelvecchi, Graham Collins, Mark contraire, les mathématiciens étudient les pavages aléatoires notam-
Fischetti, Steve Mirsky, Michael Moyer, George Musser, Christine Soares, Kate ment dans les modèles dits de percolation, qui ont des applications inté-
Wong. President : Steven Inchcoombe. Vice President : Frances Newburg.
Toutes demandes d’autorisation de reproduire, pour le public français ou
ressantes en physique ou encore en biologie (voir La percolation, un
francophone, les textes, les photos, les dessins ou les documents conte- jeu de pavages aléatoires, page 48).
nus dans la revue «Pour la Science», dans la revue «Scientific American»,
dans les livres édités par « Pour la Science » doivent être adressées par Le hasard est omniprésent en biologie, mais les biologistes en trou-
écrit à « Pour la Science S.A.R.L. », 8, rue Férou, 75278 Paris Cedex 06. vent de nouveaux exemples. Ils ont longtemps cru que, pour remplir cor-
© Pour la Science S.A.R.L. Tous droits de reproduction, de traduction, d’adap-
tation et de représentation réservés pour tous les pays. La marque et le
rectement leurs fonctions, les protéines devaient avoir une forme rigide.
nom commercial « Scientific American » sont la propriété Or ils découvrent aujourd’hui que certaines protéines contiennent des
de Scientific American, Inc. Licence accordée à « Pour la
Science S.A.R.L. ». régions ordonnées et d’autres où le hasard règne en maître. Et ils
En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de comprennent que ce désordre rendrait plus efficaces les protéines
reproduire intégralement ou partiellement la présente revue
sans autorisation de l’éditeur ou du Centre français de qui en sont dotées (voir Le désordre intrinsèque des protéines, page56).
l’exploitation du droit de copie (20, rue des Grands-Augus- Et si ce résultat est un jour récompensé, cela ne sera certainement
tins - 75006 Paris).
pas par un prix Ig Nobel !
SOMMAIRE
1 ÉDITO À LA UNE
4 BLOC-NOTES
Didier Nordon
22 PHYSIQUE
Actualités Vivre
6 Un nouveau satellite
pour la Terre
dans un monde
8 La cicatrisation efficace quantique
des dauphins Vlatko Vedral
10 Une hypophyse organisée La théorie quantique ne concerne pas
seulement les électrons et les atomes.
13 Des diamants vieux Elle s’applique aussi à plus grande
comme la tectonique échelle : aux oiseaux, aux plantes,
voire aux humains.
Lera Boroditsky
Les langues que nous parlons modifient
notre façon de percevoir le monde
et nos capacités cognitives.
14 ON EN REPARLE
36 Des insectes pour guérir
MÉDECINE
Roland Lupoli
en Europe
17 DÉVELOPPEMENT DURABLE Michael Bolus et Nicholas Conard
Des carburants alternatifs Les grottes du Jura souabe, en Allemagne,
pour les avions ont livré des œuvres vieilles de 40 000 ans
Xavier Montagne qui attestent d’une culture élaborée
chez les premiers Européens
19 COURRIER DES LECTEURS anatomiquement modernes.
20 VRAI OU FAUX
Le petit déjeuner
doit-il être copieux ?
Bénédicte Salthun-Lassalle
48 La percolation,
MATHÉMATIQUES Regards
78 HISTOIRE DES SCIENCES
un jeu de pavages aléatoires L’affaire de la gale :
Hugo Duminil-Copin histoire d’un concept
Dans les modèles de percolation, un réseau aléatoire scientifique
est traversé d’un bout à l’autre. Ces modèles sont en lien Danièle Ghesquier-Pourcin
étroit avec l’étude de la symétrie conforme, un champ Au XIXe siècle, les médecins accusent
très actif des mathématiques et de la physique théorique. un jeune docteur en médecine d’avoir
falsifié ses travaux pour prouver l’existence
du parasite de la gale. Leur argumentation
révèle tous les obstacles qui
les empêchaient d’envisager cette idée.
un empire méconnu
Craig McClain
Loin d’être une étendue désertique,
les grands fonds marins constituent
un écosystème complexe : la faune très variée Rendez-vous sur fr
qui les peuple est directement tributaire
du phytoplancton vivant en surface. >> Plus d’informations
f tii
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72 Plongés dans le noir
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la prochaine cible.
BLOC-NOTES
de Didier Nordon
§ L’HOMME A-T-IL UN PROPRE ? comme en tant d’autres, il révèle son ina- L’amoureux de littérature connaît le
nité. Il peut démontrer que la France doit même genre de déboire. S’il tente d’inté-
§ PARCIMONIE CONSENTIE
«
I l faut économiser l’énergie.» Ce mot
d’ordre paraît aller de soi. Atten-
tion, pourtant ! Il risque de bouscu-
ler les libertés individuelles.
Prendre un bain tous les jours, consom-
mer des monceaux de papier imprimé, par-
tir en avion faire du tourisme, éclairer
plus qu’il n’est indispensable, jeter un appa-
reil en état de servir encore, manger des
fruits exotiques, etc. : personne ne peut se
flatter d’éviter tous ces travers. De quel
droit m’interdire telle ou telle forme de gas-
pillage, alors que, peut-être, elle relève d’un
besoin nécessaire à mon équilibre psycho-
logique ? Qui va décider que, par exemple,
se passer de voiture compense, ou non,
la manie de changer de linge avant qu’il
soit vraiment sale ? Une norme de compor-
tement exigée de tous pourra être une grave
frustration pour certains, mais ne rien coû-
ter aux autres. Décréter que le gâchis engen-
dré par les prospectus publicitaires est
intolérable ? Soit. Seulement, il y a des gens
qu’il fait vivre. Alors, s’il doit y avoir des
mesures coercitives, sur quels critères les
faire reposer ?
Je ne conteste pas qu’il faut gaspiller
moins. Je dis que la parcimonie ne sera un
bien que si elle est consentie à peu près
librement. Ce sera une affaire de longue
haleine. I
ACTUALITÉS
Astronomie
Soleil Terre
Science Team
NASA_WMAP
C ombien de satellites natu-
rels possède la Terre ? Un
seul, évidemment: la Lune.
Mais la réponse est-elle vraiment
aussi simple ? Plusieurs petits
points de Lagrange: L1 et L2, situés
respectivement en avant et arrière
de la planète sur l’axe qui la relie
au Soleil, et L3, à l’antipode de l’or-
bite par rapport au Soleil. Un corps
apparente très proche du Soleil et
sont noyés dans sa luminosité.
En fouillant les données du
télescope spatial Wise, instrument
dédié à la recherche des petits corps,
corps décrivent en effet des placé en l’un de ces points accom- M. Connors et ses collègues ont
orbites autour du Soleil au même pagne la planète au même rythme pourtant trouvé un astéroïde lié au
rythme que la Terre et à des dis- qu’elle dans sa course autour du point de Lagrange L 4. L’objet,
tances équivalentes ; ils sont ainsi, Soleil. Les points L4 et L5 ont la par- nommé provisoirement 2010 TK7,
en un certain sens, liés à notre pla- ticularité d’être stables : les satel- mesure environ 300 mètres de dia-
nète. L’équipe de Martin Connors, lites situés en ces points suivent mètre. Il a pu être détecté parce
de l’Université d’Athabasca au ou précèdent constamment leur qu’il décrit une orbite relativement
Canada, vient d’identifier le pre- planète, sans jamais la croiser. complexe autour de L 4, s’écar-
mier satellite de la Terre de ce Depuis la découverte du pre- tant loin au-dessus et au-dessous
type, dit « troyen ». mier satellite troyen de Jupiter, du plan de l’orbite terrestre, et
Les satellites troyens d’une pla- en 1906, on en a découvert pas donc de l’éclat apparent du Soleil.
nète parcourent en moyenne la moins de 4000 autour de Jupiter, Il se trouve actuellement à 80 mil-
même orbite que celle-ci autour du deux pour chacune des lunes de lions de kilomètres de notre pla-
Soleil, mais sont en retard ou en Saturne Téthys et Dionée, sept nète, et les astronomes ont calculé
avance de 60 degrés. Plus préci- autour de Neptune et cinq autour que, au moins pour les 10 000 pro-
sément, ils se situent près des de Mars. Les astronomes n’avaient chaines années, il ne s’approchera
«points de Lagrange» L4 et L5, des pas encore déniché de satellites pas de la Terre à moins de 24 mil-
points d’équilibre gravitationnel troyens de la Terre. Ils sont très dif- lions de kilomètres.
dans le système formé par la pla- ficiles à détecter, car ils se trouvent . Philippe Ribeau-Gésippe.
nète et le Soleil. Il existe trois autres constamment dans une direction Nature, vol. 475, pp. 481-483, 2011
A c t u a l i t é s
Biologie animale
plent parfois). Le niveau de stress des mâles alpha est semblable à celui peuvent bloquer différents sous-
des mâles de plus bas rang, probablement parce ce que dominer la types du virus de l’hépatite C.
communauté et se reproduire est aussi coûteux en énergie que de cher-
La position hiérarchique cher en permanence des ressources, comme le font les mâles de bas rang. ÉMISSIONS DE BARRAGES
de ce mâle babouin dominant . Bénédicte Salthun-Lassalle.
est stressante – plus qu’il n’y paraît. L. R. Gesquiere et al., Science, vol. 333, pp. 357-360, 2011 Les réservoirs hydroélectriques
émettraient six fois moins de
gaz à effet de serre qu’on ne le
pensait: 48 millions de tonnes de
Archéologie dioxyde de carbone par an. Des
A c t u a l i t é s
Trevor Hassard
sa rencontre avec la Lune à peine des blessures infligées par les requins. Ces blessures,
refroidie: une collision assez lente pourtant exposées à de nombreux pathogènes dans Jour 40
aurait permis à la matière du l’eau, ne s’infectent pas. En observant le rétablisse- Guérison d’un dauphin gravement blessé
second satellite de s’accréter sur ment de spécimens de l’espèce Tursiops truncatus, par un requin. En 40 jours, la blessure
l’hémisphère caché de la Lune. M.Zasloff a avancé quelques hypothèses pour expli- a cicatrisé sans infection.
quer les mécanismes de cicatrisation chez ces animaux.
GÉNOME DE CORAIL La peau des mammifères marins est composée pour leurs propriétés antimicrobiennes et antibio-
d’un mince épiderme, reposant sur le derme et tiques. Elle est aussi enrichie en acide isovalérique.
Le génome du corail bâtisseur
séparé des muscles par une épaisse couche de Or une étude précédente sur le micro-organisme
de récif Acropora digitifera vient
cellules graisseuses. Cette dernière remplit plu- marin Pseudoalteromonas haloplanktis avait montré
d’être séquencé par les équipes
sieurs fonctions, telles que l’isolation thermique et que cet acide gras est actif contre diverses bacté-
australienne et japonaise de
la transmission acoustique. ries, notamment celles infectant les mammifères
David Miller et Nori Satoh. Les
M. Zasloff s’est intéressé à cette couche adipeuse, marins. Stocké dans les cellules adipeuses des dau-
biologistes ont identifié parmi
la seule composante de la peau des dauphins qui dif- phins, l’acide isovalérique serait libéré lors d’une
ses quelque 24 000 gènes des
fère de celle des mammifères terrestres. Elle contient blessure et contrôlerait la multiplication des bacté-
marqueurs du mode de vie sym-
des organohalogènes (des composés organiques ries dans les tissus lésés.
biotique de cet animal. Le corail
contenant un atome de fluor, chlore, brome ou . Cécile Fourrage.
vit en effet en symbiose avec une
iode) dont certains, d’origine naturelle, sont connus M. Zasloff, Journal of Investigative Dermatology, en ligne, 21 juillet 2011
algue photosynthétique, nom-
mée zooxanthelle. Par cette
association, le corail stimule la Neurosciences
photosynthèse de l’algue et celle-
ci lui fournit des nutriments, tout
en favorisant la formation de son
Alzheimer: sept facteurs de risque
squelette calcaire.
que certains facteurs génétiques des cas), l’inactivité physique risque peuvent être impliqués,
existent, Deborah Barnes et Kris- (13 pour cent des cas), la dépres- et l’on n’a pas encore prouvé de
tine Yaffe, de l’Université de Cali- sion (11 pour cent), l’hypertension lien de cause à effet entre ces fac-
fornie à San Francisco, ont montré (5 pour cent), et enfin l’obésité teurs et l’apparition de la mala-
que sept facteurs, la plupart liés et le diabète (2 pour cent chacun). die. Certains facteurs, telles la
Le faible niveau d’instruction, au style de vie, sont associés au Ensemble, ces sept facteurs de dépression et l’inactivité phy-
le tabagisme, l’inactivité physique, risque de développer la maladie. risque participeraient à environ sique, peuvent être des consé-
la dépression, l’hypertension, En analysant la littérature la moitié des cas dans le monde. quences précoces de la maladie et
l’obésité et le diabète semblent scientifique portant sur de nom- En outre, grâce à un modèle non des causes.
augmenter le risque de développer breux patients atteints, les deux mathématique, D. Barnes et . B. S.-L..
la maladie d’Alzheimer. chercheuses ont estimé le nombre K. Yaffe ont calculé le nombre de The Lancet Neurology, en ligne, 19 juillet 2011
A c t u a l i t é s
Écologie Géophysique
purchasi, sauf que chez cet insecte, le superflu, ce sont les mâles! la matière et traversent donc la pla-
Cette espèce est haplodiploïde (fécondé, un ovule se développe en nète de part en part sans pertes ou
femelle; sinon, en mâle). Or certaines femelles peuvent féconder leurs presque. La difficulté est de les
ovules avec les spermatozoïdes contenus dans un tissu particulier qui détecter, condition sine qua non
a été précédemment laissé par un mâle. Or ce tissu se transmet d’une pour les dénombrer et ainsi éva-
génération à l’autre, de mère en fille – une sorte d’hermaphrodisme luer l’énergie totale dégagée par
acquis. Ce tissu héritable procure un avantage au père, car il féconde la radioactivité terrestre.
La Terre évacue 44 térawatts,
à la fois la mère et ses descendantes, ce qui augmente la transmission La collaboration KamLAND a ou 44 000 gigawatts, de chaleur.
de ses gènes. Qu’en est-il de la mère? Andy Gardner, de l’Université utilisé les données du détecteur L’estimation du nombre de neutrinos
d’Oxford, montre que l’hermaphrodisme est aussi avantageux pour Kamioka recueillies entre 2002 et émis par le globe a permis d’établir
la femelle (à l’inverse de ce que l’on pensait auparavant), car elle 2009 (au total environ 110 « géo- que près de la moitié de cette
conserve l’ensemble de ses gènes familiaux au sein de sa lignée. neutrinos » détectés), ainsi que chaleur est due à la radioactivité
C’est une mauvaise nouvelle pour les mâles, déjà rares, qui sont les mesures effectuées par Borexino, naturelle, principalement
vraisemblablement condamnés à disparaître... un autre détecteur de neutrinos, de l’uranium 238, du thorium 232
. L. M.. en Italie. Elle en a déduit que les et du potassium 40 contenus dans
A. Gardner et L. Ross, American Naturalist, vol. 178, pp. 191-201, 2011 désintégrations de l’uranium et du le manteau et la croûte terrestres.
A c t u a l i t é s
Évolution Neurobiologie
L’origine des tortues Une hypophyse organisée
L es tortues sont-elles plus proches des crocodiles ou des lézards?
La question restait en suspens. Une analyse génétique effectuée
par Tyler Lyson, de l’Université Yale à New Haven, et ses col-
lègues indique qu’elles sont de lointaines cousines des lézards.
Les paléobiologistes ont étudié dans le génome des tortues et
N ichée dans une cavité
osseuse, à la base du cer-
veau, pend une glande :
l’hypophyse, reliée à l’hypotha-
lamus par la tige pituitaire. Cette
les cibles sont les glandes sexuelles),
notamment la LH et la FSH. La mise
en place de ces cellules suit un
scénario bien précis.
Les cellules corticotropes appa-
des lézards les microARN, des molécules qui modulent l’expression glande produit de nombreuses raissent sur la surface ventrale de
des gènes. Les microARN se développent assez vite chez une espèce hormones qui contrôlent, en sti- l’hypophyse, puis s’agencent en
au cours du temps, mais, une fois présents, ils demeurent presque mulant d’autres glandes, diverses digitations qui s’étendent vers l’in-
inchangés. Ils fournissent ainsi une carte moléculaire qui permet de fonctions telles que la croissance, térieur, l’ensemble ressemblant un
retracer l’évolution d’une espèce. Les chercheurs ont trouvé 77 nou- la lactation, l’ovulation... peu à un peigne. Au final, les cel-
veaux microARN chez les lézards, dont quatre existent chez les tor- On pensait que l’hypophyse lules s’installent loin des micro-
tues, mais chez aucune autre espèce ; preuve que les tortues sont était une mosaïque aléatoire de cel- vaisseaux sanguins de la glande (par
proches des lézards sur l’arbre de l’évolution. lules productrices d’hormones. Les où seront libérées les hormones) :
. B. S.-L.. travaux conjoints de l’équipe de elles établissent des contacts avec
T. Lyson et al., Biology Letters, en ligne, 20 juillet 2011 Jacques Drouin, de l’Institut de ces capillaires grâce à des prolon-
recherches cliniques de Montréal, gements de leur cytoplasme.
et de celle de Patrice Mollard, du Les cellules gonadotropes se
Département d’endocrinologie de différencient plus tard et remplis-
l’Institut de génomique fonction- sent les espaces entre les cellules
nelle (CNRS UMR 5203, INSERM U661, corticotropes et les vaisseaux san-
Universités de Montpellier 1 et 2), guins. Des expériences ont révélé
ont montré qu’en fait, cet organe est que le développement des cellules
très organisé. gonadotropes n’a lieu qu’après la
Les chercheurs se sont inté- mise en place des cellules cortico-
ressés à la partie antérieure de l’hy- tropes et en contact intime avec ces
pophyse, l’antéhypophyse, qui dernières. Lorsque l’hypophyse est
© Shutterstock/Matthew W Keefe
cule et 22 heures.
Les lions attrapent plus facilement leurs proies bipèdes les nuits
qui suivent la pleine lune. Pour quelles raisons ? Lors de la lune
ascendante, notre satellite éclaire le ciel avant que le Soleil ne soit
couché. Ainsi, l’obscurité n’est jamais totale. En revanche, après la Dans l’hypophyse en formation (ci-dessus)
pleine lune, l’astre se lève après la tombée de la nuit. Les félins chez un embryon de souris, les cellules
profitent alors de quelques heures sans lumière pour chasser les vil- corticotropes (en vert) s’installent
lageois. Ils les attaquent d’autant plus qu’ils attrapent moins de les premières : elles tapissent d’abord
proies quadrupèdes lors des nuits claires. Les lions sont donc par- la face ventrale de l’organe, puis élaborent
ticulièrement en appétit après la pleine lune ! des protubérances en forme de doigts (on parle de digitations).
. L. M.. Viennent ensuite les cellules gonadotropes (en violet) qui, chez l’adulte
C. Packer et al., PloS ONE, vol. 6(7), e22285, 2011 (à droite), s’organisent au contact des cellules corticotropes.
Paléontologie humaine
A c t u a l i t é s
ON EN REPARLE
Retour sur des sujets déjà traités dans nos colonnes
rage scientifique sur ces rares méga- de déplacement maximal. Cette zone proche
séismes (Science, juin 2011). Chacun utilise de la fosse est à l’origine du tsunami, mais
des méthodes différentes, mais les résultats reste relativement silencieuse, ce qui peut
Une lumière bleue éclaire des souris : les cel-
lules greffées produisent alors des molécules sont cohérents. D’une part, une zone de très poser problème pour une alerte précoce.
de régulation de la glycémie. fort mouvement sur le plan de faille est iden- . Bénédicte Salthun-Lassalle.
1 an au prix de 48 e
soit 4 e seulement par numéro au lieu de 5,20 e
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OPINIONS
POINT DE VUE
O
n considère souvent qu’une à la fois virulentes et résistantes que la mobiles et transférables d’une bactérie à
bactérie ne peut être à la fois communauté médicale s’inquiète. Chez l’autre. C’est la somme des coûts biologiques
virulente et résistante aux l’animal, la situation est semblable : plus dus à l’acquisition de ces gènes qui en déter-
antibiotiques, car chacune de 80 pour cent des souches d’E. coli impli- mine la stabilité dans la bactérie.
de ces propriétés représente un coût quées dans les diarrhées du veau sont résis- Ainsi, la bactérie O104:H4 a sans doute
énergétique notable. On pense ainsi qu’une tantes à plusieurs antibiotiques. acquis au cours du temps, à partir d’une
bactérie très virulente est rarement résis- Dès lors, pourquoi les bactéries E. coli bactérie E. coli entéroagrégative (ce type
tante aux antibiotiques, et vice versa. Même entérohémorragiques seraient-elles à l’abri de souches peut s'agréger dans les intes-
si l’équilibre des coûts est une constante d’une colonisation par des gènes de résis- tins, ce qui favorise sa virulence), le gène
biologique, la réalité est moins manichéenne. tance ? Peut-être parce que l’usage des anti- codant la toxine Shiga de type 2 et celui
La bactérie Escherichia coli conforte biotiques est déconseillé pour traiter ces codant la résistance étendue aux bêta-lac-
cette idée. Commensale de l’homme, cette infections ; en effet, plusieurs études mon- tamines (une large classe d’antibiotiques).
espèce vit la plupart du temps dans Le premier est porté par un bacté-
les intestins sans provoquer de dom- riophage, un virus n’infectant que les
mages. En revanche, certaines LES ANTIBIOTIQUES PEUVENT bactéries et y insérant des gènes ;
souches peuvent acquérir un arse- provoquer une libération de toxines le second provient d’un plasmide,
nal de gènes qui leur confèrent de bactériennes dans l’organisme, une molécule d’ADN circulaire qui peut
nouvelles propriétés, par exemple de être transmise entre cellules. Plus
virulence. Les souches d’E. colienté- ce qui aggrave l’état du malade. rarement, certains plasmides trans-
rohémorragiques en sont un exemple: fèrent même à la fois des gènes de
elles sont responsables de pathologies trent que ces molécules peuvent provoquer résistance et des gènes de virulence.
graves, voire mortelles, chez l’homme. Cepen- une libération de toxines bactériennes dans Ainsi, les conditions et les vecteurs
dant, ces souches ne sont en général pas l’organisme, ce qui aggrave l’état du malade. nécessaires pour qu’une bactérie soit viru-
résistantes aux antibiotiques. En consé- Et comme une utilisation trop importante lente et résistante aux antibiotiques exis-
quence, les souches entérohémorragiques des antibiotiques favorise l’« antibiorésis- tent bien. Les liens entre ces fonctions
multirésistantes O104:H4, récemment en tance », on a sans doute jusqu’à présent peuvent être illustrés chez la plupart des
cause dans les épidémies allemande et fran- limité l’émergence de souches entérohé- espèces commensales ou pathogènes. Dans
çaise, semblent faire exception. morragiques multirésistantes en évitant de les années 1990, pour ne donner qu’un
Pourtant, les exemples de bactéries traiter ces infections par les antibiotiques... exemple, une vaste épidémie de salmonel-
virulentes et résistantes ne manquent pas. Mais il semblerait que ce ne soit plus le cas. lose chez l’homme et les bovins a été attri-
Chez l’homme, bon nombre de souches En effet, d’une part, une bactérie est buée à la dissémination massive d’une
engendrant des septicémies – des infec- tout à fait capable d’équilibrer sa dépense souche particulière (Salmonella typhimu-
tions graves de l’ensemble de l’organisme – énergétique en étant à la fois virulente et rium), portant une région génétique (Sal-
sont résistantes aux antibiotiques, parfois résistante. Et, d’autre part, la plupart des monella Genomic Island 1) responsable de
même aux dernières générations de médi- gènes de virulence et de résistance sont sa multirésistance, mais aussi suspectée
caments. Et c’est bien parce qu’elles sont portés par des structures moléculaires de participer à sa virulence accrue.
Opinions
En conséquence, le succès épidémio- tirésistante et dotée de facteurs entéro- cette carte d’identité rapidement établie qui
logique d’une bactérie résulte d’une com- agrégatifs. Mais elle pose surtout des ques- a confirmé qu’une « superbactérie »peut
binaison de situations favorables à son tions sur la séquence des événements ayant combiner virulence et résistance.
implantation dans le milieu à conquérir (et conduit à cette association, ainsi que sur les Toutefois, si ces outils nous permettent
ce à un coût acceptable). Ainsi, certaines rôles possibles de l’homme, de l’animal et d’identifier rapidement les coupables, nous
bactéries importantes en pathologie de l’environnement. aident-ils pour autant à les maîtriser ? La
humaine montrent non seulement de réelles On sait aujourd’hui que les multiples acti- récente crise révèle à nouveau l’expansion
aptitudes à la virulence, mais peuvent aussi, vités humaines (mondialisation et accélé- des bactéries multirésistantes et la néces-
comme la bactérie Pseudomonas aerugi- ration des échanges) créent probablement sité de limiter l’usage des antibiotiques qui
nosa, adhérer aux parois pulmonaires, pro- des pressions de sélection complexes et mal en favorise précisément la sélection. Si la sur-
fiter de l’immunodéficience ou d’infections maîtrisées, qui favorisent les événements consommation des antibiotiques (par l’homme
déjà présentes chez l’hôte, et devenir vite participant à l’apparition des « superbac- et l’animal) perdure, l’émergence d’autres
résistantes aux antibiotiques. téries ». Parce que les outils de caractéri- « superbactéries » est à prévoir. I
Dès lors, si le succès écologique d’un clone sation génomique sont devenus rapides,
bactérien repose sur un cocktail de fonctions puissants et acceptables en termes de coût, Jean-Yves MADEC est directeur de recherche
complémentaires, peut-on considérer que ils améliorent aussi notre compréhension et responsable de l’Équipe Antibiorésistance
la bactérie virulente et résistante O104:H4 est des épidémies. Il aurait été impensable, il y et virulence bactériennes, à l’Agence nationale
de sécurité sanitaire (Anses - site de Lyon).
annonciatrice de « superbactéries » plus fré- a encore peu, de disposer en quelques
quentes ? Certes, elle présente l’originalité semaines de la séquence génomique com- Réagissez en direct
d’une souche E. colientérohémorragique mul- plète d’une bactérie pathogène. Et c’est bien fr àwww.pourlascience.fr
cet article sur
DÉVELOPPEMENT DURABLE
P
our les acteurs du transport, la les mécanismes européens de permis natifs est une réalité ; certains le sont déjà
diversification des ressources d’émission de dioxyde de carbone. en mélange, et de nouvelles certifications
énergétiques, le contrôle et la Les carburants aéronautiques pro- sont en cours d’élaboration.
réduction des émissions de gaz viennent aujourd’hui presque exclusivement Tous secteurs confondus, il existe plu-
à effet de serre, la réduction des émissions du pétrole. Or ce dernier risque de coûter sieurs alternatives aux carburants conven-
polluantes sont des priorités. Et cela tant pour de plus en plus cher et les émissions de tionnels. Citons d’abord les hydrocarbures
des raisons économiques qu’opérationnelles, dioxyde de carbone doivent être réduites. de synthèse de type GtL (Gaz to Liquid,
environnementales ou réglementaires. Aussi, le domaine du transport aérien a déjà hydrocarbures obtenus par synthèse à
L’impact actuel de l’aviation mondiale en commencé son adaptation aux défis des car- partir du gaz naturel) ou CtL (Coal to Liquid,
matière de rejets de dioxyde de carbone est burants alternatifs. Mais l’utilisation de ces hydrocarbures obtenus à partir du char-
modéré : sa consommation de pétrole ne derniers y est encore faible et souvent expé- bon). Viennent ensuite les biocarburants
représente qu’environ 8 pour cent de la rimentale. Elle doit en effet répondre à de de première génération – éthanol, biodie-
consommation totale, et 2,5 pour cent des nombreux critères très stricts, portant par sel –, dont les procédés sont aujourd’hui
émissions anthropiques de dioxyde de exemple sur la sécurité et sur la compatibi- matures, ainsi que les biocarburants issus
carbone. Cependant, cet impact pourrait dou- lité chimique avec le carburant conven- d’un hydrotraitement (traitement à l’hy-
bler à l’horizon 2020 avec l’accroissement tionnel (les substituts ne doivent pas affecter drogène) poussé d’huiles végétales, dits
prévisible du trafic aérien, estimé à envi- les caractéristiques et les performances du HVO (Hydrotreated Vegetable Oils). Ces der-
ron cinq pour cent par an. De plus, le trans- carburant final, approche dite Drop in fuel). niers sont majoritairement constitués d’hy-
port aérien fera dès 2012 son entrée dans Toutefois, la certification de produits alter- drocarbures aux propriétés voisines de
Opinions
celles des hydrocarbures de synthèse. Des contenu énergétique plus faible et de son
procédés industriels sont disponibles ou en explosivité, le biodiesel en raison de son
passe de l’être. De plus, une large réflexion comportement au froid, du risque d’insta-
est en cours sur les ressources envisa- bilité et d’un contenu énergétique légère-
geables pour alimenter cette filière (si la ment inférieur) et les carburants gazeux
ressource est constituée de microalgues (gaz naturel, hydrogène).
lipidiques, on parle alors de biocarburants Ainsi, à court et moyen termes restent en
de troisième génération). course les hydrocarbures de synthèse de
Les biocarburants de deuxième géné- type GtL ou CtL (mais qui n’améliorent pas les
ration, eux, sont obtenus à partir de bois bilans d’émissions de gaz à effet de serre,
ou de déchets végétaux selon deux procé- comparés au carburant aéronautique clas-
dés. L’un, biochimique, conduit à de l’étha- sique), les biocarburants BtL, dont les pro-
nol ; l’autre, thermochimique, donne des cédés de fabrication sont en développement
hydrocarbures dits BtL (Biomass to Liquid), et ne devraient pas atteindre l’échelle indus-
comparables aux GtL et CtL. Des travaux sont trielle avant 2020, les biocarburants HVO et
également menés sur la pyrolyse directe les produits issus de la transformation des
de la biomasse, qui permet d’obtenir des sucres, en cours de développement et dont
carburants liquides sans passer par une les travaux de certification ont débuté.
phase de gazéification. Ces filières conduisent à des hydro-
carbures paraffiniques exempts de com-
Un cahier des charges posés aromatiques et de soufre qui, après
une opération d’hydro-isomérisation et une
très exigeant optimisation des formulations, peuvent être
Par ailleurs, de nouveaux développements utilisés en mélange dans des carburants
faisant appel à des procédés biologiques conventionnels, avec de bons bilans de rejets
pour produire des hydrocarbures sont en de dioxyde de carbone.
cours. On peut notamment citer la trans- Les substituts GtL, CtL, BtL et HVO sont
formation des sucres en hydrocarbures, déjà certifiés pour être mélangés à hau-
comme celle proposée par la Société Amy- teur de 50 pour cent au carburant usuel
ris,aux États-Unis et au Brésil. Tous ces hydro- et de nombreuses expérimentations ont
carbures recevront ensuite un traitement été mises en œuvre par la plupart des
complémentaire pour obtenir des molécules acteurs (Boeing, Airbus, EADS, Air-France,
paraffiniques adaptées à un carburant aéro- Lufthansa, etc.). Le récent Salon aéro-
nautique. Enfin, le gaz naturel ou l’hydro- nautique du Bourget, où un espace spéci-
gène constituent une autre filière alternative. fique était dédié à ces carburants, a
Mais les contraintes du transport aérien confirmé l’intérêt qu’on leur porte.
restreignent beaucoup les choix. En effet, À plus long terme, des carburants tels
les carburants pour l’aéronautique sont for- que le gaz naturel ou l’hydrogène sont évo-
mulés dans un cadre réglementaire très strict qués. Mais cela exigera de repenser entiè-
et certaines spécifications (le contenu éner- rement tant la conception des avions que
gétique, qui détermine le rayon d’action des les circuits d’approvisionnement et de dis-
avions, la tenue au froid ou à la chaleur, la tribution, la logistique et la sécurité. Par
stabilité au stockage, les propriétés lubri- exemple, le projet Cryoplane d’un appareil
fiantes, l’explosivité, etc.) constituent des ver- utilisant de l’hydrogène liquide, coordonné
rous. Par ailleurs, les produits doivent assurer par Airbus Industrie et financé par la Com-
une combustion propre, être disponibles par- mission européenne, exigera sans doute
tout dans le monde, disposer d’un bilan glo- plus de 20 ans de recherche et développe-
bal d’émission de gaz à effet de serre favorable ment pour aboutir. I
et satisfaire au concept de Drop in fuel.
Certaines filières se trouvent ainsi écar-
Xavier MONTAGNE est directeur adjoint
tées, tels les biocarburants de première de la Direction scientifique de IFP Énergies
génération (l’éthanol en raison de son nouvelles, à Rueil-Malmaison.
LES FARINES ANIMALES FONT PEUR. la filière avicole, elle doit importer et devra impor- En revanche, traiter le volume limité des cou-
Le point de vue de Jeanne Brugère-Picoux ter de plus en plus dans le futur. loirs séparant deux rangées de serveurs est rela-
Farines animales : faut-il les réintroduire ? tivement simple et efficace. Cela permet en outre
(Pour la Science n° 406 - août 2011, PARC INFORMATIQUE : ÇA CHAUFFE !. de mettre en place des redondances sur les
http://bit.ly/pls406-farines) a suscité Dans son article La gestion énergétique unités de climatisation, assurant ainsi une bonne
de nombeuses réactions. La plupart des salles informatiques (Pour la Science sécurité au système. Ayant supprimé les points
manifestent une incompréhension n° 406 - aout 2011, http://bit.ly/pls406- chauds, il est alors aisé et peu coûteux de cli-
quant au fait de nourrir les ruminants, informatique), Dominique Boutigny matiser le restant de la salle. Avec le système
des herbivores, avec des produits d’origine mentionne la technique in row où l’air chaud in row, il est possible de régler les températures
animale, qu’ils soient « sains» ou non. est rejeté dans des couloirs confinés au plus juste afin d’optimiser le rapport entre la
D’autres réactions posent la question qui séparent des rangées d’armoires puissance électrique totale de la salle et la puis-
de savoir s’il est judicieux de recourir informatiques. Pourquoi est-il plus économe sance utile pour l’informatique.
aux farines alors que l’on produit et consomme de refroidir un petit espace très chaud
déjà trop de viande, mobilisant notamment (les couloirs) et un grand espace peu chaud COMPLEXES OCTONIONS.
une large part des surfaces agricoles (le reste de la salle) que de refroidir un espace Il y a une petite inexactitude dans l’article
mondiales pour l’alimentation animale, global (salle et couloirs) tiède? Des octonions pour la théorie des cordes
au détriment de l’alimentation humaine. Arthur Legrand (Pour la Science n° 406 - août 2011,
http://bit.ly/pls406-octonions).
RÉPONSE DE J. BRUGÈRE-PICOUX Contrairement à ce qui est indiqué,
L’article incriminé pose la question de la réin- ce n’est pas à Jérôme Cardan en 1454
troduction des farines animales. Cette réintro- que l’on doit la première introduction
duction ne concernerait pas les ruminants, mais des nombres complexes, mais à Nicolas
d’autres espèces animales qui n’ont jamais été Chuquet, dans son ouvrage Triparty en
touchées par des maladies à prions, à savoir les la science des nombres, rédigé en 1484.
porcs et les volailles. Nourrir les ruminants avec L’ouvrage La Construction des Nombres
des produits animaux n’est donc pas mon pro- (Éditions Ellipses, 2000) complétera
Centre de calcul IN2P3/CNRS
pos. Mais puisque les lecteurs évoquent ce point, utilement l’historique et la compréhension
il faut souligner que l’apport de produits animaux des nombres évoqués dans l’article.
à des ruminants a débuté dès la fin du XIXe siècle. P. Bruter
L’explication, très répandue pendant la crise de
la vache folle, selon laquelle la maladie résulte Dans la technique in row, l’air chaud est LE TRAITEMENT DU MÉLANOME.
de ce que « l’on a rendu les vaches carnivores » rejeté entre les rangées d’ordinateurs. Dans l’encadré sur les cancers de la peau
est donc inexacte et a induit en erreur l’opinion de l’article Comment l’ADN réagit au soleil
publique, en éludant la vraie raison de la crise, RÉPONSE DE DOMINIQUE BOUTIGNY (Pour la Science n° 406 - août 2011,
qui était la contamination des farines anglaises Il est très difficile, voire impossible, de climati- http://bit.ly/pls406-adn), il est dit qu’il
du fait d’un recyclage intra-espèce. Les farines ser efficacement une grande salle de machines « n’existe aujourd’hui aucun traitement
animales étant en grande partie obtenues à par- dans laquelle les multiples serveurs sont autant efficace contre les mélanomes ». L’auteur
tir des ruminants, ce « cannibalisme » doit de sources de chaleur. La distribution des a dû oublier de préciser qu’il parlait
être évité. températures est difficilement prévisible et, des mélanomes ayant déjà métastasé.
La question de la surproduction de viande surtout, se modifie lorsqu’on ajoute ou déplace En effet, la chirurgie constitue actuellement
appelle des éléments de réponse variés, en par- des machines. La seule façon pour lutter contre un traitement efficace, car elle permet
ticulier économiques. Un point déterminant ces points chauds est de forcer le fonctionne- de guérir une grande proportion
est l’équilibre entre l’offre et la demande. Or cette ment des climatisations, ce qui n’est pas éco- de ces tumeurs, qui ne deviennent
demande est en constante augmentation. Contrai- nomique et conduit à une modification des redoutables que si leur exérèse n’a pas
rement à ce que laisse sous-entendre un lecteur, équilibres thermiques. Au bout du compte, le pu être assez précoce. D’où la nécessité
la France n’est pas en situation d’excès de pro- comportement thermique de la salle devient d’un dépistage régulier.
duction et pour certaines filières, par exemple instable, et source de problèmes. Jacques Legroux , dermatologue
Opinions
VRAI OU FAUX
L
e petit déjeuner rompt le jeûne varié (présentant toutes les classes d’ali-
nocturne et apporte à l’organis- ments), riche en fibres et en vitamines. Ces
me de l’énergie. Est-il néces- personnes, surtout les femmes, auraient
saire ? Doit-il être copieux ? aussi moins de risques de surpoids et
En France, le petit déjeuner est copieux d’obésité : un petit déjeuner copieux dimi-
© Shutterstock/Santje09
et «équilibré» depuis le début du XXe siècle. nuerait le grignotage et la consommation
Et il est toujours d’actualité : quel que soit excessive d’aliments riches aux deux autres
l’âge, la plupart des Français consomment repas. Et il favoriserait la satiété et une bonne
un petit déjeuner. Ce repas est parfois pris régulation de l’appétit.
seul, avant neuf heures du matin, mais
80 pour cent des enfants le partagent en Un meilleur équilibre petit déjeuner (qui doit comporter des pro-
famille. Son importance dans l’apport éner- duits laitiers et du pain ou des céréales) sur
gétique journalier (compris entre 2 000 et alimentaire les capacités intellectuelles et de raison-
2 500 kilocalories selon l’âge, le sexe et l’ac- En outre, les enfants prenant un petit déjeu- nement, Jean-Michel Lecerf, du Service de
tivité physique) diminue avec l’âge, pas- ner consomment plus de fruits et de légumes, nutrition à l’Institut Pasteur de Lille, pré-
sant de 22 pour cent avant 12 ans à 17 pour et pratiquent plus d’activités physiques. En cise « qu’on ne peut pas émettre de recom-
cent à l’âge adulte. Or différentes études moyenne, ils ont un indice de masse corpo- mandations sur la taille et la composition du
scientifiques suggèrent que le petit déjeu- relle plus faible que celui des autres enfants. petit déjeuner idéal, si tant est qu’un idéal
ner doit être copieux et bien composé, car Toutefois, un petit déjeuner copieux s’ac- commun à tous soit envisageable ».
il favorise alors un équilibre alimentaire cor- compagne d’apports énergétiques quotidiens En résumé, un petit déjeuner à base
rect, une meilleure gestion du poids et de plus importants (il ne permet donc pas de de produits céréaliers et laitiers est préfé-
bonnes performances intellectuelles. maigrir). Cet effet serait compensé par une rable à l’absence de ce repas, que ce soit
Un petit déjeuner équilibré comporte meilleure hygiène de vie, des repas plus équi- pour l’équilibre alimentaire de la journée ou
une boisson – du lait et des jus de fruit pour librés et davantage d’activités physiques. les performances intellectuelles. Les nutri-
les plus jeunes, une boisson chaude pour Par ailleurs, plusieurs études réalisées tionnistes recommandent un repas repré-
les adultes –, du pain (avec du beurre et de chez l’enfant et chez l’adulte montrent que sentant plus de 20 pour cent des apports
la confiture) ou des céréales, en particulier la consommation d’un petit déjeuner amé- de la journée, mais des études supplé-
pour les enfants. En moyenne, le petit déjeu- liore les aptitudes cognitives et l’état psy- mentaires seront nécessaires pour le confir-
ner représente entre 15 et 20 pour cent des chologique. Pour quelle raison ? Notamment mer. D’autant qu’il est illusoire de faire
apports quotidiens d’énergie. Or les experts parce que le petit déjeuner augmente la quan- manger 400 ou 500 kilocalories à un enfant
en nutrition recommandent une contribu- tité de sucre circulant dans l’organisme, la chaque matin ! En tout cas, si des enfants
tion du petit déjeuner à hauteur de 25 pour première source d’énergie des cellules... et et des adolescents boudent le petit déjeu-
cent de l’apport énergétique total. En des neurones. Ainsi, les enfants qui pren- ner, sachez qu’ils le prendront plus volon-
effet, différentes études, dont une réalisée nent un petit déjeuner seraient plus atten- tiers si leurs parents font de même.
dans le Val-de-Marne en 1996 et une autre tifs en classe, moins stressés, moins anxieux
publiée en 2001, montrent que les adultes et de meilleure humeur que les autres. Bénédicte SALTHUN-LASSALLE est journaliste
à Pour la Science.
consommant un petit déjeuner copieux ont En revanche, bien qu’une étude réalisée
J.-M. Lecerf et al., Petit déjeuner, est-ce utile ?,
un équilibre nutritionnel sur la journée plus en 2003 avec des enfants scolarisés à Madrid Cahiers de nutrition et de diététique, 2010,
proche des recommandations, c’est-à-dire ait souligné l’importance de la qualité du doi : 10.1016/j.cnd.2010.10.001.
quantique, physique quantique, intrication, chat de Schrödinger, effets quantiques, physique classique, spin, perception du champ magnétique
Physique
Vlatko Vedral
O b s e r v e r l ’o b s e r va te u r
’idée que la théorie quantique ou vivant, parce que cela implique- garde la preuve que Bernard a bien roir subit un recul, mais si le photon
L s’applique à tout dans l’Uni-
vers, y compris à nous, conduit à
rait de forcer le résultat, en d’au-
tres termes de défaire l’état intri-
observé l’état du chat.
Cela conduit à une conclusion
est transmis, le miroir reste immo-
bile. Dans un état intriqué trans-
d’étranges conclusions. Prenons par qué du chat. Alice se contente de étonnante : Alice a réussi à inverser mis-réfléchi, le photon joue le rôle
exemple une variante de l’expérience vérifier que son ami voit un chat l’observation parce qu’elle a évité de l’atome radioactif;le miroir,consti-
de pensée du chat de Schrödinger, soit vivant, soit mort, sans chercher l’effondrement de l’état intriqué. tué de milliards d’atomes, joue celui
proposée par Eugene Wigner en 1961 à savoir duquel des deux états il Pour elle, Bernard est dans un état du chat et de Bernard. Son recul ou
et que David Deutsch, de l’Univer- s’agit précisément. tout aussi intriqué que le chat, tan- pas est analogue à la vie ou à la mort
sité d’Oxford, a précisée en 1986. Alice n’ayant pas défait l’état dis que pour Bernard, l’état intriqué du chat et à son observation par Ber-
Alice, physicienne, demande à intriqué du chat, la communication du chat s’est défait, de sorte qu’il nard. Et tout le processus peut être
son ami Bernard d’entrer dans la avec Bernard est, en théorie quan- voit un chat soit mort, soit vivant, inversé en faisant revenir le même
pièce où se trouvent le chat de Schrö- tique, une action réversible. En l’an- ce dont le papier atteste… Ainsi, photon sur le miroir.
dinger et un dispositif qui traduit la nulant, Alice annule aussi chacune l’expérience met en contradiction En tentant de réaliser ce genre
désintégration d’un atome radioac- des étapes franchies, de sorte que deux observations d’un même fait : d’expérience de pensée, Wigner et
tif en poison pour le chat. Alice sait s’il était mort, le chat redevient vi- pour Alice, le chat reste mort-vivant, D. Deutsch, puis A. Zeilinger sui-
que l’atome a été préparé dans une vant, le poison retrouve sa place et alors que pour Bernard, il est soit vent les pas de Schrödinger, d’Ein-
superposition des états « désinté- s’il était désintégré, l’atome cesse mort, soit vivant. stein et de tous les physiciens qui se
gré » et « non désintégré », de sorte de l’être, tandis que Bernard ne se Créer la même situation avec un sont confrontés à l’étrangeté de la
que le chat est a priori à la fois souvient plus d’avoir observé un chat observateur humain n’est guère réa- théorie quantique. Tant que ces ex-
mort et vivant.Comme convenu,Alice soit mort, soit vivant. liste,mais les physiciens peuvent ten- périences sont restées irréalisa-
glisse un papier sous la porte,où Ber- Pour autant, Alice ne peut an- ter quelque chose d’équivalent avec bles, y réfléchir semblait vain, car
nard doit lui indiquer si le chat est nuler l’existence du morceau de pa- un système plus simple. Anton Zei- la théorie fonctionnait en pratique.
dans un état bien défini (mort ou pier. Alice peut annuler l’observa- linger et ses collègues, de l’Univer- Cela change aujourd’hui, de sorte
vivant). Bernard répond que « oui ». tion, mais seulement d’une façon sité de Vienne, l’ont fait en faisant qu’il devient urgent d’essayer de
Insistons sur le fait qu’Alice ne qui n’annule pas l’inscription se trou- rebondir un photon sur un grand mi- comprendre enfin vraiment la phy-
demande pas si le chat est mort vant sur le papier. Ainsi, le papier roir. Si le photon est réfléchi, le mi- sique quantique.
Réponse au champ
que pour tous ceux qui cherchent à exploi- E X P É RIE NC E S D’ IN TRI C ATION : Ç A C H AU F FE
ter l’intrication, par exemple pour construire
des ordinateurs quantiques, le principal défi Les effets quantiques ne se limitent pas aux particules subatomiques. Ils apparaissent
également dans des expériences sur des systèmes plus grands et plus chauds.
est la difficulté de préserver l’intrication. Ci-dessous, quelques exemples sont proposés.
En 2003, une expérience a prouvé que
des systèmes de plus grande taille peu-
vent rester intriqués quand on peut limi- Observation d’une figure d’interférences entre fullerènes, montrant pour la première fois
ter ou contrecarrer la fuite d’information. que les molécules, comme les particules subatomiques, se comportent comme des ondes.
Gabriel Aeppli, de l’University College
de Londres, et ses collègues ont placé Observation d’une susceptibilité magnétique très élevée au sein de carboxylates métalliques
à une température de 290 kelvins, qui ne peut s’expliquer que par l’intrication de milliards
un morceau de fluorure de lithium dans d’atomes de ces sels.
un champ magnétique. Dans ce champ,
les spins des atomes de ce sel se com- Observation d’effets quantiques qui augmentent l’efficacité de la photosynthèse
portent comme de petites aiguilles aiman- dans deux espèces d’algues marines.
tées susceptibles de pivoter pour s’aligner
le long des lignes de champ, une réaction Observation d’effets quantiques au sein de molécules géantes, dont une en forme
nommée susceptibilité magnétique. En de pieuvre contenant 430 atomes.
outre, les interactions des atomes produi-
sent une sorte de pression collective qui Intrication de trois bits quantiques au sein d’un circuit supraconducteur.
pousse chacun des spins à s’aligner plus La procédure utilisée pourrait servir à obtenir des systèmes quantiques de toute taille.
rapidement. En faisant varier l’intensité Mise en vibration d’une microplanche de 40 micromètres de long (presque visible à l’œil nu)
du champ magnétique, les expérimen- à deux fréquences en même temps.
tateurs ont mesuré à quelle vitesse les ato-
mes s’alignent. Ils ont constaté que les Intrication de chaînes de huit ions de calcium maintenus dans un piège à ions.
spins s’alignent bien plus vite que ne le Aujourd’hui, les chercheurs sont capables de le faire sur des chaînes de 14 ions de calcium.
laissait prévoir l’intensité de leurs inter-
Intrication des mouvements vibratoires (plutôt que du spin ou d’autres propriétés internes)
actions mutuelles. Selon les auteurs de la d’ions de béryllium et de magnésium.
recherche, la seule explication possible
est qu’un état intriqué macroscopique
s’est formé à partir des états individuels
de spins des quelque 1020 atomes formant à des températures de plus en plus éle- l’atome. Par exemple, on peut faire en sorte
le morceau de sel… vées; cela va d’ions piégés par des champs que si l’électron est proche du noyau,
Afin d’éviter les effets décohérants électromagnétiques jusqu’à des atomes l’atome se déplace à gauche, et que si l’élec-
de l’agitation thermique, l’équipe de ultrafroids disposés en réseau, en passant tron est plus loin du noyau, l’atome se
G. Aeppli a réalisé ses expériences à très par des bits quantiques supraconducteurs déplace à droite. Ainsi, l’état électroni-
basse température – quelques millikelvins (voir l’encadré ci-dessus). que se trouve intriqué avec l’état de mou-
vement de l’atome, de la même façon
IL MIGRE CHAQUE ANNÉE JUSQU’EN AFRIQUE ÉQUATORIALE, que la désintégration radioactive est intri-
quée avec l’état du chat. On peut ainsi avoir
puis revient au printemps, un périple de 13000 kilomètres un état intriqué avec des superpositions,
qu’il effectue sans se perdre. Le rouge-gorge aurait où le félin à la fois vivant et mort est rem-
une sorte de boussole interne et... quantique. placé par un atome se déplaçant à la fois
vers la gauche et vers la droite.
seulement. Depuis, Alexandre Martins de Ces systèmes sont analogues au chat D’autres expériences transposent à plus
Souza, du Centre brésilien de recherche de Schrödinger. Considérons un atome ou grande échelle cette idée de base, de façon
en physique de Rio de Janeiro, et ses col- un ion : ses électrons peuvent se trouver qu’un immense nombre d’atomes se retrou-
lègues ont mis en évidence au sein de maté- près du noyau ou ailleurs, ou les deux à vent dans un état intriqué, impossible en
riaux tels que le carboxylate de cuivre la la fois. Un tel électron se comporte donc physique classique. Or, si l’on peut confé-
possibilité d’obtenir une intrication comme l’atome radioactif contenu dans la rer un état intriqué à des solides même
macroscopique à température ambiante, cage du chat de Schrödinger, qui est à la lorsqu’ils sont grands et chauds, il n’y a
voire supérieure. Dans les systèmes qu’ils fois dans l’état désintégré et dans l’état qu’un pas à faire pour se demander si
étudient, l’interaction entre spins est assez non désintégré. Indépendamment de ce l’intrication pourrait aussi être présente
forte pour contrecarrer l’agitation thermi- que fait l’électron, l’atome peut par ail- dans les êtres vivants.
que. Dans d’autres cas, il est possible leurs bouger, par exemple vers la gauche Un tel « organisme quantique » pour-
d’obtenir une intrication macroscopique ou vers la droite. Ce mouvement joue le rait être Erithacus rubecula, un étonnant
au moyen d’une force extérieure qui annule rôle du chat mort ou vivant. En manipu- petit oiseau, qui migre chaque année entre
les effets de l’agitation thermique. Les phy- lant l’atome à l’aide de lasers, les physi- la Scandinavie et l’Afrique équatoriale. Ce
siciens ont ainsi créé de l’intrication au ciens parviennent à coupler les états de périple de 13000 kilomètres, le rouge-gorge
sein de systèmes toujours plus grands et position de l’électron et de mouvement de familier (son nom français) semble l’effec-
© Shutterstock/Marco_Sc
Nature/A. O’Connell et al.
Linguistique
L’ E S S E N T I E L
Les hommes parlent
une multitude de langues
qui ne transmettent pas
les informations
de la même façon.
Les langues participeraient
à différents aspects
de la cognition humaine.
Les représentations
spatiales et temporelles
par exemple, mais aussi
le souvenir d’événements
ou l’apprentissage
dépendent de la langue
que l’on parle.
Tom Whalen
pls_406_p030_034_langue_pensée.xp_bsl0108 4/08/11 18:24 Page 31
La langue façonne la
pensée
Lera Boroditsky
Les langues que nous parlons modifient notre façon
de percevoir le monde et nos capacités cognitives.
tes. Dans les années 1930, les linguistes ces types d’oncles (il s’avère que c’est un Sud-Est des couverts à viande.» Mais dans
américains Edward Sapir et Benjamin frère de la mère, comme la traduction chi- la langue kuuk thaayorre, il n’y a que les
rant des constructions transitives, telles bien de la personne qui a agi. En revanche, L’ A U T E U R
que «John a cassé le vase», même pour des pour les événements accidentels, des dif-
accidents. En revanche, des individus par- férences apparaissent. Les locuteurs espa-
lant le japonais ou l’espagnol ont tendance gnols et japonais ont tendance à ne pas
à ne pas mentionner l’agent responsable décrire les accidents de façon causale, à
quand ils décrivent un événement acciden- l’inverse des locuteurs anglophones. En
tel. En espagnol, on dirait « Se rompió el conséquence, les Espagnols et les Japonais
florero », c’est-à-dire « le vase s’est cassé », se souviennent moins bien du responsa-
voire « le vase a cassé ». ble de l’acte que les anglophones. Mais ce
Avec mon étudiante Caitlin Fausey, n’est pas parce qu’ils ont une mauvaise
nous avons découvert que ces différen- mémoire, car ils se rappellent aussi bien Lera BORODITSKY
ces linguistiques influent sur la façon dont que les anglophones les responsables des est professeur
de psychologie cognitive
les individus interprètent ce qui s’est événements causés par un agent. à l’Université Stanford,
passé et ont des conséquences sur les sou- en Californie.
venirs. En 2010, nous avons demandé à
des personnes parlant anglais, espagnol
Un apprentissage
et japonais de regarder des vidéos qui différent
montraient deux individus crevant des Non seulement les langues influent sur les
ballons, cassant des œufs et renversant souvenirs, mais les structures linguisti- BIBLIOGRAPHIE
des boissons, soit volontairement, soit ques pourraient aussi faciliter ou entraver
L. Boroditsky et A. Gaby,
accidentellement. Puis nous leur avons l’apprentissage de faits ou de concepts Remembrances of times east :
fait passer un test de mémoire à l’im- nouveaux. Par exemple, dans certaines absolute spatial representations
proviste. Pour chaque événement, les par- langues, tel le mandarin, les mots dési- of time in an Australian aboriginal
ticipants devaient dire quel individu avait gnant les nombres révèlent la structure en community, Psychological
Science, vol. 21, pp. 1635-1639,
agi. Un autre groupe de locuteurs anglais, base dix de façon plus explicite que les novembre 2010.
espagnols et japonais devaient décrire les mots utilisés en anglais – eleven (11) ou thir-
mêmes événements au moment où ils les teen (13) par exemple. Les enfants appre- C. M. Fausey et al., Constructing
agency : the role of language,
voyaient (voir la figure 2). nant le mandarin comprennent donc Frontiers in Cultural Psychology,
En examinant les résultats, nous avons plus tôt le système en base dix que les vol. 1, pp. 1-11, octobre 2010.
trouvé des différences de mémoire visuelle anglophones. Et selon le nombre de syl-
que les diverses structures linguistiques labes que comportent les mots désignant S. Danziger et R. Ward, Language
changes implicit associations
prédisaient. Les locuteurs des trois langues des nombres, il est plus ou moins facile de between ethnic groups
décrivent les événements volontaires en mémoriser un numéro de téléphone ou de and evaluation in bilinguals,
mentionnant l’agent responsable : « Il a faire du calcul mental. Preuve que la lan- Psychological Science, vol. 21,
pp. 799-800, juin 2010.
crevé le ballon. » Et ils se souviennent gue influe sur les capacités de calcul.
D es c o n na i ssa n c es p r é l i ng u i sti q u es u n i v e rs e l l es
L ’extrême diversité des langues
dans le monde serait liée à des
différences de cognition, et chaque
enfant sans utiliser la langue. Mais
les différences cognitives observées
dépendent-elles de la langue ou des
gua, dans les années 1980-1990, que
des jeunes sourds sont capables de
créer une langue des signes pour com-
dépendent souvent d’un individu ou
d’un groupe social. Par exemple, si l’on
enseigne une seconde langue à son
langue serait associée à une « façon connaissances noyaux ? Comment muniquer. Certains linguistes pen- enfant, il ne faut pas imaginer que,
de penser ». Cette idée doit cepen- expliquer que ces variations concer- sent que cette prédisposition est spé- selon la langue choisie, il aura moins
dant être nuancée. Les variations cog- nent toujours les mêmes domaines, cifique à l’espèce humaine et au lan- de préjugés ou que son jugement
nitives observées selon la langue du nombre, du temps ou de l’espa- gage, et contiendrait tous les aspects dépendra de la langue qu’il parle, la
semblent toujours concerner les ce, si elles ne sont pas innées (et donc de la grammaire, communs à toutes maternelle ou la seconde. S’il est au-
mêmes domaines, à savoir le nombre, propres à l’espèce humaine) ? les langues du monde. C’est la «gram- jourd’hui important de s’interroger sur
l’espace et le temps d’une part, la La plupart des linguistes admet- maire universelle » étudiée par le lin- la nature et la portée de ces différen-
mémoire et les relations avec autrui tent aujourd’hui que certaines capa- guiste et philosophe américain Noam ces cognitives, je pense qu’elles ne
d’autre part. Il est remarquable que cités langagières sont innées chez Chomsky depuis les années 1950. sont pas des variations linguistiques
ces domaines correspondent à ce que l’homme, et la nature de cette prédis- Des linguistes suggèrent donc à proprement parler : elles sont plutôt
plusieurs scientifiques nomment les position est l’enjeu de nombreux tra- que les variations observées au niveau des variations sociales ou individuel-
connaissances noyaux. Il s’agit de vaux.Tous les hommes ont une langue de la pensée ne sont de fait pas des les que le système de la langue rend
connaissances prélinguistiques, c’est- quels que soient leur culture et leur différences linguistiques au sens strict, visible. Et ce simple fait doit nous ame-
à-dire qu’elles se développent tôt chez pays d’origine. Des enfants naissant mais qu’elles sont liées à des varia- ner à réfléchir.
l’enfant, avant même l’apparition dans un environnement linguistique tions propres aux connaissances pré- Pierre Pica,
du langage. De fait, on peut les met- appauvri reconstruisent spontanément linguistiques. Elles pourraient être des CNRS, Laboratoire Structures
tre en évidence avec des tâches spé- la complexité naturelle des langues. différences d’« usage », de pratique, formelles du langage, Université
cifiques que l’on teste chez le jeune On a par exemple montré au Nicara- d’environnement ou d’éducation; elles Vincennes-Saint-Denis, Paris 8
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Médecine
Des insectes
pour guérir
Roland Lupoli
Depuis 5 000 ans, les insectes sont utilisés
en médecine traditionnelle. En étudiant
leurs principes actifs, des biochimistes mettent au point
de nouvelles molécules thérapeutiques.
produits aussi variés que des colorants tex- versité du vivant (voir l’encadré page 40),
L’ E S S E N T I E L tiles et alimentaires, de la cire et de la laque. l’idée d’étendre la recherche de nouvelles
Les mêmes Certains insectes représentent une source molécules actives aux insectes vient donc
insectes sont utilisés locale importante de protéines, vitamines assez naturellement, d’autant que l’histoire
en médecine traditionnelle et minéraux: 1417 espèces d’insectes appar- de leur utilisation curative est ancienne.
par différentes cultures. tenant à 112 familles sont consommées par Des textes en écriture cunéiforme sur
3 000 ethnies dans 36 pays d’Afrique, tablettes d’argile mésopotamiennes attes-
Ces insectes 29 d’Asie et 23 d’Amérique. tent d’une utilisation en médecine il y a
constituent des pistes Nombre de peuples, enfin, les utilisent 5000 ans. Les pharaons égyptiens vénéraient
prometteuses pour comme médicaments depuis plusieurs mil- les insectes médicinaux et on a découvert,
de nouveaux médicaments. liers d’années. Aujourd’hui, l’industrie phar- sur des papyrus de 3 550 ans, des textes
maceutique commence à s’intéresser au concernant l’utilisation en médecine d’in-
En s’inspirant potentiel thérapeutique des insectes: leur sectes, de scorpions, d’araignées ou de leurs
des substances actives utilisation en médecine traditionnelle est- dérivés. En Chine, le plus ancien traité de
produites par ces insectes, elle seulement placebo ou s’accompagne-t- médecine connu date de 4 700 ans. Au fil
© Shutterstock/Will Hughes, Norman Chan, Potapov Alexander
des biochimistes élaborent elle d’effets thérapeutiques réels? Peut-on des siècles, la médecine traditionnelle chi-
de nouvelles molécules mettre en évidence et produire de nouvel- noise a perpétué l’utilisation d’insectes
à visée thérapeutique. les molécules actives à partir de ces prati- par l’intermédiaire de divers ouvrages de
ques ancestrales ? Cette stratégie est-elle référence, en particulier le Bencao gangmu,
La recherche envisageable à grande échelle? Telles sont une encyclopédie de l’histoire de la phar-
systématique, chez
les questions que nous examinerons ici. macopée naturelle rédigée par le médecin
les insectes, des molécules
chinois Li Shizhen au XVIe siècle. Elle est
actives augmenterait
aujourd’hui pratiquée dans toute l’Asie.
les chances de trouver
de nouveaux médicaments.
Des millénaires En Afrique et en Amérique du Sud,
d’insectes les insectes font partie de la pharmacopée,
médicinaux mais les médecines traditionnelles dispa-
raissent en raison de l’absence de traces
Aujourd’hui, 80 pour cent de la population écrites. En l’espace de quelques décennies,
mondiale se soigne avec des substances les ethnologues ont constaté la disparition
naturelles, et plus de 60 pour cent des médi- de remèdes prescrits depuis des siècles.
caments occidentaux sont des dérivés, modi- En Occident, les Romains utilisaient
fiés ou inspirés, de molécules de plantes et aussi des traitements à base d’insectes. Le
de micro-organismes. Pourtant, ces molé- médecin grec Dioscoride (Ier siècle) en men-
cules représentent moins de un pour cent tionne dans le second livre de son ouvrage
des 30 millions de molécules connues. Et De la matière médicale, et Galien (IIe siècle)
compte tenu du faible nombre d’espèces le suit. La médecine arabe répertorie aussi
vivantes étudiées, il reste sans doute dix fois de tels remèdes entre les VIIIe et XIIIe siècles,
plus de molécules naturelles à découvrir. notamment sous la plume des médecins
Le potentiel thérapeutique de la nature est Rhazès et Avicenne. À partir du XIe siè-
donc toujours énorme. Les insectes consti- cle, les universités de médecine se sont
tuant à eux seuls 59 pour cent de la biodi- développées dans l’Occident chrétien.
En France, l’engouement pour les insec- cle. Ainsi, les blattes sont utilisées en Chine, trisation, et le venin d’abeille soulage
tes médicinaux atteignit son apogée au en Thaïlande, en Grèce et au Burkina l’arthrite et les rhumatismes, tant en Corée
début du XVIIe siècle. Ils furent ensuite Faso comme antibiotique contre les oti- qu’en Europe, au Soudan ou au Brésil.
abandonnés au XIXe siècle, avec l’appari- tes, ou en Russie et dans le monde arabe Les substances actives sont situées dans
tion de la médecine moderne en Europe. comme diurétique; les nids de guêpes sont des glandes de défense, des glandes sali-
(ou étaient) réputés pour leurs effets anti- vaires ou à venin, ou encore sont stockées
Des insectes prescrits cancéreux (Chine et Europe), antibioti-
que (Chine, Cameroun, Mali, Zambie),
dans le corps. La médecine traditionnelle
utilise généralement les corps entiers des
dans diverses cultures analgésique (Chine, France, Libéria, insectes. Ils sont ébouillantés, puis séchés
Malgré cette longue histoire de la médecine Mozambique) et anti-inflammatoire (Chine, avant d’être administrés en décoction
traditionnelle par les insectes, l’industrie Brésil); des fourmis ont été prescrites pour dans l’eau ou sous forme de poudre dans
pharmaceutique occidentale ne se lance que leur effet analgésique, en particulier contre l’alimentation. En Chine, la punaise Pen-
timidement dans son exploration. Et pour l’arthrite et les rhumatismes (France, Rus- tatomoidea Aspongopus chinensis est prépa-
cause: elle se veut rationnelle et reproduc- sie, Afrique du Sud, Mexique, Brésil, Aus- rée de cette façon pour traiter les douleurs
tible. Avant d’être commercialisées, les molé- tralie), ou leur effet neurotonique (Chine, hépatiques, gastriques ou articulaires. Au
cules actives sont isolées, identifiées et testées France, Maroc), voire pour suturer les plaies Mexique, certaines punaises Pentatomoi-
de longues années sur l’animal, puis chez avec leurs mandibules (Inde, Turquie, dea des genres Edessa et Euschistus sont écra-
l’homme, pour vérifier leur activité et leur Mexique) ; les miels sont connus depuis sées vivantes ou séchées, puis cuisinées dans
innocuité. Or les médecines traditionnel- longtemps sur tous les continents pour leur du riz ou des tortillas. Elles sont utilisées
les utilisent des extraits bruts, mélanges effet antibiotique et pour faciliter la cica- pour soulager les douleurs musculaires,
de centaines de molécules non identifiées
et présentes en concentration variable. Les
remèdes ont parfois une connotation magi- QUELQUES ARTHROPODES MÉDICINAUX
que. Par diverses incantations, le praticien
traditionnel ou le chaman renforcent leur CORDYCEPS
éventuelle action par effet placebo. Le cordyceps est une chenille de papillon Hepialidae du genre Thitarodes infectée par le
Dans ces conditions, comment savoir champignon Cordyceps sinensis. L’ensemble chenille-champignon est appelé cordyceps. Il est
si derrière une pratique médicale tradi- récolté entier dans le sol, sur les hauts plateaux de l’Himalaya. Le cordyceps est utilisé depuis
1400 ans en Chine comme remède anti-âge à large spectre. Il est réduit en poudre
tionnelle se cache une molécule active ? juste avant emploi, et 3 à 15 grammes sont pris par jour en décoction ou avec l’ali-
Certains remèdes sont moins efficaces que mentation, à raison de 1 à 3 grammes par prise. Il tonifie les poumons, les reins, le sys-
ceux de la médecine moderne, mais les tème immunitaire, en particulier chez les personnes âgées ou affaiblies. De nombreuses
ignorer tous est aussi irrationnel que de publications scientifiques ont démontré des activités antioxydantes, détoxifiantes, vaso-
ne s’en remettre qu’à eux. À l’époque de dilatatrices, hypoglycémiantes et un effet immunosuppresseur, in vitro et in vivo. Son effi-
leur contact avec les Européens, les Amé- cacité est devenue célèbre, car deux athlètes chinoises ayant battu trois records du monde
avaient utilisé du cordyceps pour leur préparation. Actuellement, de nombreuses socié-
rindiens avaient des centaines d’années
tés le commercialisent en le cultivant sur divers supports et un véritable trafic se
d’avance sur la pratique des accouche- développe autour du cordyceps natu-
ments : ils employaient des antidouleurs rel, avec des prix qui approchent
et des techniques de délivrance du placenta 25000 euros le kilogramme.
bien avant leur utilisation en Europe. De
nombreux médecins ont ainsi cru avoir
CANTHARIDE
inventé des traitements qui étaient déjà en
Les cantharides sont des coléoptères Meloidae. Elles produisent de la cantharidine, une molé-
usage depuis des siècles. cule toxique concentrée (un à deux pour cent de l’animal). En Chine, le méloïdé Mylabris (ci-
La prescription sur une longue période contre Mylabris variabilis), utilisé depuis 2 000 ans, a une action anticancéreuse et une
d’un remède en médecine traditionnelle action antibiotique sur la peau. En Europe, Lytta vesicatoria était employé pour ses proprié-
est un indice d’efficacité, mais pas une tés vésicatoires sur la peau et aphrodisiaques. La poudre d’insecte maintenue dans un emplâ-
preuve suffisante. En revanche, l’utilisa- tre permettait de chauffer localement la peau et de dilater les vaisseaux proches
tion d’un même groupe d’insectes pour des zones à soigner. Ce traitement a été utilisé plusieurs siècles jusqu’à la fin
une même indication et de façon indé- du XIXe siècle. Les hospices civils de Paris consommaient encore 450 kilogram-
mes de cantharides en 1880.
pendante par différentes cultures La cantharidine irrite les voies urinaires et génitales. Il s’ensuit une exci-
sur plusieurs continents – c’est-à-dire tation réflexe variable selon les individus pouvant aller jusqu’à un priapisme
la convergence d’indications – sug- (érection pathologique) douloureux. L’action aphrodisiaque de la cantharide
gère la présence de molécules acti- est bien documentée depuis l’époque romaine, et sa réputation sulfureuse a
ves et une efficacité du traitement. atteint son apogée au XVIIIe siècle sous la plume du Marquis de Sade. L’activité
Des convergences d’indications ont anticancéreuse de la cantharidine, ainsi que celle de son isomère moins toxi-
ainsi été mises en évidence dans plu- que, la norcantharidine, et de ses analogues a été montrée expérimentalement
in vitroet in vivodepuis un vingtaine d’années. En 2005, Thomas Efferth, du Cen-
sieurs pays et nous en donnons quel- tre de recherche allemand sur le cancer, à Heidelberg, et ses collègues ont mon-
ques exemples, en rappelant que les tré que la cantharidine endommage l’ADN de cellules tumorales et provoque leur
usages mentionnés en France et en Europe apoptose (mort cellulaire programmée).
ont cessé au plus tard à la fin du XIXe siè-
pulmonaires, hépatiques, gastriques, lom- lules de cancer du sein en culture. Chez le dizaines d’espèces d’insectes: il s’agissait
baires, ainsi que les maux de dents. Aussi scorpion Mesobuthus martensii, prescrit en de surexprimer les défenses naturelles
bien en Chine qu’au Mexique, ces remè- Chine contre les convulsions, des biologis- des larves contre ces bactéries afin d’iso-
des font partie de la pharmacopée tradition- tes chinois ont isolé en 2001 une neurotoxine, ler les molécules actives correspondantes.
nelle depuis plus de 1000 ans. le peptide BmK AEP, qui présente une acti- Les peptides actifs purifiés, constitués de
Certaines indications ont été confirmées vité antiépileptique in vivo chez le rat. 40 à 50 acides aminés, étaient ensuite syn-
expérimentalement in vitro ou in vivo dans Mais entre ces premiers indices et la thétisés par des levures que l’on avait trans-
un nombre limité de cas, mais la plupart commercialisation de médicaments, la route formées en ajoutant à leur génome les gènes
nécessiteront des études ciblées approfon- est longue et peu d’entreprises l’ont sui- codant ces peptides. Ceux-ci étaient alors
dies pour identifier les molécules impliquées vie jusqu’au bout. L’exemple de la Société testés in vivo sur des souris infectées.
et comprendre comment ces molécules agis- Entomed est représentatif des méthodes
sent sur l’homme. Chez la petite cigale rouge
et noire Huechys sanguinea, par exemple, pres-
mises en œuvre et des difficultés rencon-
trées. De 1999 à 2005, Entomed a cherché à
Des recherches
crite en médecine traditionnelle chinoise développer des médicaments dérivés d’in- pharmaceutiques
contre différents cancers, la Société Entomed, sectes. Jusqu’en 2002, elle a produit des pep- Ces travaux ont permis d’identifier la struc-
une jeune pousse créée en 1999 sous l’im- tides antimicrobiens par immunisation, en ture de centaines de peptides actifs natu-
pulsion de l’Institut de biologie moléculaire injectant un cocktail de micro-organismes rels et de produire des peptides modifiés
et cellulaire du CNRS de Strasbourg, a mis – les bactéries Micrococcus luteus, Staphylo- plus actifs. Parmi ceux-ci, le peptide hybride
en évidence des molécules cytotoxiques, les coccus aureus, Pseudomonas aeruginosa, patho- antibactérien ETD-1263, de la famille des
phyllantusols, actives in vitro contre des cel- gènes pour l’homme – à des larves de défensines, petites protéines du système
immunitaire de divers vertébrés et inver-
tébrés, inhibe les staphylocoques multiré-
sistants, impliqués dans les maladies
nosocomiales. Il a été construit en mélan-
TOILES D’ARAIGNÉES geant des séquences isolées de plusieurs
Les toiles d’araignées sont prescrites depuis plusieurs espèces d’insectes. Malgré l’intérêt théra-
millénaires et sur plusieurs continents pour stopper les sai- peutique de ces molécules, ce programme
gnements et cicatriser les plaies. Elles étaient aussi employées pour trai-
a été arrêté en raison du coût élevé de pro-
ter les fièvres et les convulsions. Dans les années 1930, des dispensaires aux
États-Unis les utilisaient officieusement, bien que leurs médecins pensaient que duction de ces grands peptides.
l’imagination des patients était le principal remède. Aucune recherche n’a été menée Entomed a alors élargi son champ d’ac-
sur ce qui s’apparente à un remède de sorcière. Toutefois, les araignées déposent tion thérapeutique aux petites molécules
sur leurs fils des gouttelettes de 50 micromètres riches en molécules hydrosolubles organiques présentant des propriétés anti-
pour conserver une certaine humidité. Ces molécules, tels le gabamide, la choline ou la cancéreuses. Le choix des insectes s’est
taurine, sont proches de neurotransmetteurs. Elles représentent 40 à 70 pour cent de la orienté vers des groupes pour lesquels la
masse sèche des toiles d’araignées et pourraient expliquer leur utilisation dans le traite-
ment des convulsions. En 2008, Jay Meythaler et ses collègues, du Rehabilitation Institute défense chimique est primordiale, telles les
de Detroit, aux États-Unis, ont déposé un brevet sur l’utilisation du gabamide dans le traite- espèces toxiques dites aposématiques : la
ment des spasmes, des convulsions et de l’épilepsie. coloration vive de ces insectes est un signal
d’alarme qui avertit les prédateurs de
leur toxicité. Les coccinelles, par exemple,
A STI COT S CI C ATRIS A N T S
ont souvent des couleurs aposématiques
L’activité cicatrisante de certains asticots de mouches est connue depuis longtemps. Les Mayas et excrètent un liquide jaune ou orange riche
et des aborigènes australiens appliquaient des asticots sur les plaies pour favoriser leur cica-
trisation. En 1557, Ambroise Paré a redécouvert cette technique, qui fut employée ensuite pen- en alcaloïdes toxiques dès qu’un préda-
dant les guerres napoléoniennes. Durant la Première Guerre mondiale, le médecin américain teur… ou des doigts les attrapent.
William Baer refit cette découverte et l’appliqua à l’hôpital de façon contrôlée à son retour aux Les molécules de défense sécrétées par
États-Unis. Dès les années 1930, cette technique, nommée Maggot therapy, a été utilisée en les insectes aposématiques ont souvent
© Shutterstock/Norman Chan, Marek R. Swadzba, Sinisa Botas, Kletr, Ambient Ideas
routine dans 300 hôpitaux américains, avant d’être balayée par l’arrivée des antibiotiques un effet cytotoxique. Certaines bloquent
après la Seconde Guerre mondiale. la division cellulaire, ce qui en fait des molé-
L’apparition de souches bactériennes résistantes aux antibiotiques dans les années 1980 cules intéressantes pour les traitements anti-
fit renaître l’asticothérapie. Aujourd’hui, plusieurs sociétés commercialisent des larves sté-
riles de la mouche Lucilia sericata (ci-contre) cancéreux : les cellules cancéreuses se
pour cicatriser les plaies. Leur efficacité est multipliant plus vite que les cellules saines,
médicalement reconnue, sans que l’on en com- elles sont les premières à subir les effets
prenne complètement le mécanisme, résultat de telles molécules cytotoxiques.
d’un ensemble d’effets physiques et chimiques Un réseau de collaborations a permis
que l’on n’a pas réussi à reproduire sans asti- de réunir la plus grande banque d’insectes
cots. Plus de 30000 traitements sont effectués
au monde : 1 400 lots, chacun en quantité
dans le monde chaque année. Bien que 500 hôpi-
Roland Lupoli
Préhistoire
Les débuts de la
culture en Europe
Michael Bolus
et Nicholas Conard
Les grottes du Jura souabe,
en Allemagne, ont livré
des œuvres vieilles
de 40 000 ans qui attestent
d’une culture élaborée chez
les premiers Européens
anatomiquement modernes.
42] Préhistoire
pls_407_p000000_souabe.xp_fsv_29_07 5/08/11 15:14 Page 43
soulignées, les représentations de ses organes traits réguliers sur un morceau d’ocre
génitaux suggèrent qu’elle symbolisait la sexua- vieux de 75 000 ans. Pour autant, ni le lieu Tous ces objets
lité et la fertilité. Équipée en haut d’un anneau, reflètent une culture
elle constituait sans doute une sorte d’amulette ni la période de naissance de la moder-
nité culturelle ne sont bien définis. que l’on peut qualifier
qui se portait en pendentif. Datée entre 40 000
Dans le Jura souabe, les premières de moderne.
et 35 000 ans, elle est la plus ancienne œuvre
anthropomorphe de l’humanité. découvertes de figurines remontent
hybride mi-animal, mi-homme. Il a été tinguent bien; les jambes, courtes, se ter-
trouvé en même temps que des représen- minent en pointe. Le ventre et le dos por-
tations d’ours, de mammouth et de bison. tent des entailles profondes et horizontales
La série des figurines aurignaciennes qui évoquent peut-être un habit. La vulve
du Jura souabe compte pour l’heure est fortement marquée, ce qui suggère
une cinquantaine d’objets. Les œuvres que la Vénus du Hohle Fels symbolisait la
représentent en général des animaux, que sexualité et la fertilité.
l’on reconnaît à des traits caractéristi- Jusqu’à présent, on ne connaissait de
ques, souvent très détaillés, et que l’on Vénus comparables que dans le Gravettien,
peut en général ranger dans une catégo- la culture matérielle qui succède à l’Auri-
rie animale. Cela n’est toutefois pas tou- gnacien et le remplace. La plus connue est
jours possible, d’une part parce que l’on celle de Willendorf, en Autriche, qui date
ne découvre souvent que des fragments, d’environ 25 000 ans avant notre ère. La
percolation, carrelage, pavage, aléatoire, Schramm, Smirnov, courbes aléatoires, SLE, physique statistique, symétrie conforme, invariance conforme, transition de phase, phénomène critique, fractale
Mathématiques
La percolation,
un jeu de pavages aléatoires
Hugo Duminil-Copin
Dans les modèles de percolation, un réseau aléatoire
est traversé d’un bout à l’autre. Ces modèles sont en lien
étroit avec l’étude de la symétrie conforme, un champ
très actif des mathématiques et de la physique théorique.
48] Mathématiques
pls_407_p000000_percolation2.xp_mm_0408 5/08/11 10:26 Page 49
en Angleterre. Ils ont introduit en 1957 d’hexagones, certains étant occupés par un L’ A U T E U R
un tel modèle afin de comprendre com- arbre, d’autres non, l’étude de la propaga-
ment les poussières pouvaient obstruer les tion de l’incendie revient à étudier les amas
masques à gaz. Depuis, la percolation d’arbres adjacents. Bien entendu, les feux
n’a cessé de susciter l’intérêt des scienti- de cimes ne sont pas les plus fréquents.
fiques, notamment parce qu’on la rencon- En général, le feu se propage surtout par
tre sous une forme ou une autre dans de les racines et non par le feuillage. Un modèle
nombreux phénomènes: écoulement d’un de percolation n’est donc qu’une caricature
fluide dans un matériau poreux, gélifica- de phénomènes complexes.
tion d’un liquide, propagation d’un incen-
Hugo DUMINIL-COPIN est
die ou d’une épidémie, passage du courant
électrique dans un mélange de maté-
Un modèle simple, doctorant en mathématiques
riaux conducteurs et isolants, etc. mais riche à l’Université de Genève,
sous la direction
Prenons l’exemple des feux de cimes. Cependant, la simplification permet de de Stanislas Smirnov.
Ces incendies de forêts sont caractérisés dégager certaines propriétés intrinsèques,
par le fait que le feu se propage d’un arbre indépendantes des détails spécifiques du
à l’autre si leurs feuillages se touchent. Si phénomène considéré. Ainsi, il y a quel-
l’on modélise une forêt par un ensemble ques années, Bernard Sapoval, à l’École
L’ E S S E N T I E L
La percolation désigne,
à l’origine, le passage
d’un fluide à travers
un solide perméable.
En mathématiques
et en physique théorique,
les modèles de percolation
contribuent aux recherches
sur la symétrie conforme.
pls_407_p000000_percolation2.xp_mm_0408 5/08/11 10:26 Page 50
2. QUATRE PAVAGES POSSIBLES d’une pièce où la couleur des carreaux min d'hexagones jaunes (ou bleus) reliant les côtés haut et bas. Le cal-
est tirée au hasard équitablement, à pile ou face. On voit que l'existence cul de la probabilité d’avoir un chemin percolant dans un réseau de taille
d'un chemin d'hexagones bleus (ou jaunes) reliant le côté gauche et le infinie est l’une des questions auxquelles cherchent à répondre les
côté droit – un chemin de percolation –empêche l'existence d'un che- théoriciens de la percolation.
il n’a pas l’information nécessaire. leurs ont la même probabilité, ce qui cor-
Il est impossible de savoir a priori si respond à la percolation dite critique, la
la pièce sera traversable ou non, mais on situation la plus intéressante et pour
peut estimer la probabilité que cela arrive. laquelle il existe des méthodes d’analyse
3. UNE APPLICATION CONFORME est une Un joueur de loto ignore s’il va gagner ou théorique puissantes (voir l’encadré page 51).
transformation du plan qui laisse inchangés en non, mais il peut calculer la probabilité Nous venons de considérer le cas
chaque point les angles. Les exemples les plus
de toucher le gros lot : en tenant compte d’une pièce carrée. Qu’advient-il lors-
simples sont les translations, les rotations et
les homothéties. Mais il existe une infinité de du fait que tous les numéros ont la même que la pièce n’est plus carrée, mais rec-
transformations conformes dans le plan (toute chance d’être le numéro gagnant, la pro- tangulaire ? Cette question a été posée
fonction injective et analytique d’une variable babilité que le joueur gagne vaut 1/N, pour la première fois en 1894, sous une
complexe permet de définir une application où N est le nombre de numéros possibles forme un peu différente, par le mécani-
conforme). L’une d’elles est illustrée ici, elle (pour le loto français, N est égal à 19 mil- cien et mathématicien américain De Vol-
transforme un disque en un carré. Les lignes lions environ). Dans notre cas, nous pou- son Wood dans le mensuel The American
noires permettent de remarquer que les croise-
vons nous demander également quelle Mathematical Monthly. L’éditeur avait alors
ments à angle droit se conservent d’une figure
à l’autre. En dimension supérieure à 2, l’ensem- chance a Maxime de pouvoir traverser commenté : « C’est un très bon problème,
ble des transformations conformes est beau- sa pièce. Le calcul sera bien plus complexe et si quelqu’un nous en fournit une solu-
coup moins riche. que pour le loto. tion complète, nous la publierons dans
Du carré au rectangle
Dans le cas de la percolation et de ses pro-
babilités de traverser d’un côté à l’autre,
la prédiction BPZ implique que la proba-
5. UN EXEMPLE DE PROCESSUS D’EXPLORATION, où l’on borde les hexagones jaunes par la bilité limite est identique dans deux piè-
gauche (en rouge). Dans la limite où la taille des hexagones tend vers zéro, ce chemin devient ces différentes à condition que l’on puisse
une courbe aléatoire du type SLE (Schramm-Loewner Evolution). transformer l’une de ces pièces en l’autre
par une transformation conforme. C’est
ce qui permit au physicien britannique John
A u tr es g ra p h es e t a u tr es d i m e n s i o n s Cardy de prédire, au début des années 1990,
a percolation a été décrite modèle soit un peu différent du Par ailleurs, la percola- la valeur de la probabilité limite.
L dans l’article sur un réseau
d’hexagones, mais le terme
modèle hexagonal décrit dans
le corps du texte, il partage avec
tion ne se restreint pas à la di-
mension 2. On peut par exem-
La formule qui donne, pour un rectan-
gle, la probabilité limite d’être traversa-
de percolation se réfère à une lui de nombreuses particulari- ple étudier la percolation sur ble est une expression compliquée, où
famille beaucoup plus large de tés. Par exemple, il présente un réseau cubique (voir la fi- interviennent des fonctions dites hyper-
modèles. également une transition de gure). Elle est beaucoup plus géométriques. Toutefois, le mathématicien
Imaginons un graphe, phase ayant les mêmes proprié- mystérieuse que la percolation suédois Lennart Carleson (prix Abel en 2006
c’est-à-dire un ensemble de tés que celle de la percolation sur le réseau plan hexagonal. pour l’ensemble de son œuvre) remarqua
points, appelés sommets, et sur les hexagones. Le fait d’être en dimension trois qu’elle revêt une forme particulièrement
de lignes, appelées arêtes, complique beaucoup la tâche élégante lorsque la pièce a une forme de
reliant certains de ces som- et certaines questions très élé- triangle équilatéral (voir la figure 4).
mets. Un pavage d’hexagones mentaires figurent parmi les Plus précisément, notons A, B et C les
forme un graphe : les sommets conjectures les plus importan- coins de cette pièce. Comme nous avons
sont les points d’intersection tes en théorie des probabilités. jusqu’ici considéré des pièces à quatre murs,
de trois hexagones et les arê- Remarquons que la dimen- ne nous arrêtons pas en si bon chemin et
tes sont simplement les bor- sion trois est celle de l’espace plaçons le quatrième coin D de la pièce sur
dures entre les hexagones. où nous vivons, et il est donc le segment CA (de longueur un), à dis-
ENSMP
8. SELON LA VALEUR DE LA PROBABILITÉ de choisir un carreau bleu, milieu) et 0,65 (à droite). Pour p < 1/2 (et pour un réseau de taille infi-
l’allure du réseau et ses propriétés seront différentes. Le réseau est illus- nie), la probabilité d’avoir un chemin percolant bleu, qui traverse tout le
tré ici pour trois valeurs de cette probabilité p : 0,35 (à gauche), 0,5 (au réseau, est nulle. Elle est strictement positive dès que p > 1/2.
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b oo
Biologie cellulaire
Le désordre intrinsèque
des protéines
A. Keith Dunker et Richard Kriwacki
Selon les fonctions qu’elles accomplissent dans les cellules,
les protéines présentent une conformation rigide
ou, au contraire, très flexible. Les biologistes commencent
à étudier le rôle des protéines « intrinsèquement
désordonnées » dans diverses maladies.
L’ E S S E N T I E L
Selon le modèle
classique, les protéines
doivent adopter une forme
rigide afin d’accomplir
certaines tâches,
par exemple fixer
des molécules cibles
spécifiques.
Pourtant, d’après
des travaux récents,
au moins un tiers
des protéines existant
chez l’homme
sont partiellement
ou complètement
non structurées.
une enzyme et son rures. Dès le début des années les protéases. Au début des années 1970,
substrat sont ajustés 1900, les biologistes savaient que de on a découvert qu’une protéine du sang
comme une clé et une serrure. nombreux anticorps se lient à de multiples nommée fibrinogène contient une région
À l’époque où Fischer a formulé son molécules cibles, nommées antigènes – une de grande taille dont la structure n’est pas
modèle, on ignorait la nature des protéines. première observation qui ébranla le modèle figée. Cette région, comme d’autres plus
Durant les décennies qui ont suivi, les bio- «clé-serrure». Dans les années 1940, le chi- petites découvertes plus tard, joue un rôle
logistes ont découvert que les protéines sont miste Linus Pauling découvrit que cer- clé dans la coagulation du sang.
des chaînes d’acides aminés et ont sup- tains anticorps se replient de différentes Puis, dans les années 1970, on a mis
posé qu’elles devaient se replier en une façons, le repliement de chaque configura- en évidence un autre exemple: la capside
conformation précise pour assurer correc- tion étant guidé par l’antigène, afin que les du virus de la mosaïque du tabac, c’est-à-
tement leur fonction. En 1931, le biochimiste deux formes soient ajustées au mieux. dire la protéine qui forme l’enveloppe pro-
chinois Hsien Wu confirma cette hypothèse, Depuis les années 1940, d’autres obser- tégeant le matériel génétique du virus; il
en montrant que la dénaturation des pro- vations ont remis en cause le dogme d’une s’agit d’un virus à ARN infectant les plan-
téines, c’est-à-dire la perte de leur struc- structure tridimensionnelle rigide. Mais on tes, dont le tabac. Lorsque la capside est
ture tridimensionnelle naturelle, conduit à considérait encore les protéines qui ne vide, la protéine présente de grandes
une perte complète de la fonction. respectaient pas la règle comme des excep- régions non structurées flottant librement
En 1958, John Kendrew et ses collègues tions, rares et bizarres. L’un d’entre nous à l’intérieur de la cavité. Ce manque de com-
ont pour la première fois décrit la structure (K. Dunker) fut parmi les premiers à col- pacité permet à de l’ARN, synthétisé pen-
tridimensionnelle d’une protéine, la myo- lecter de tels exemples et à faire remar- dant la réplication virale dans une cellule
globine du cachalot, en utilisant la techni- quer que, peut-être, les conformations infectée, d’entrer dans la capside. À mesure
que de la cristallographie aux rayons X. rigides étaient beaucoup plus rares que que l’ARN s’accumule, la protéine s’y lie
Depuis, les biochimistes ont déterminé l’ar- prévu. En 1953, par exemple, les scientifi- et sa conformation devient plus rigide.
chitecture de plus de 50000 types de pro- ques ont remarqué que la caséine, la prin- Les expérimentateurs qui n’arrivaient
téines, généralement en les cristallisant puis cipale protéine du lait, est essentiellement pas à obtenir des protéines repliées dans
en analysant les cristaux aux rayons X. non structurée. Cette flexibilité facilite pro- leurs expériences ont alors supposé se trom-
Toutefois, le monde des protéines n’est bablement sa digestion par les enfants en per quelque part. In vivo, les chaînes d’aci-
pas aussi figé que celui des clés et des ser- la rendant plus facilement dégradable par des aminés devaient sûrement trouver une
Ribosome
ARN
conformation repliée « correcte » dans le ture des protéines rigides. Mais si les aci- nes sont intrinsèquement désordonnées
cytoplasme des cellules. Par exemple, des aminés bougent – comme ce serait le (voir l’encadré page 59). Ces molécules se
quand des chercheurs plaçaient des solu- cas dans une protéine non repliée –, les transforment constamment sous l’action
tions contenant des protéines isolées dans décalages en fréquences deviennent diffi- du mouvement brownien et de leur pro-
des éprouvettes et les examinaient avec un ciles à interpréter. pre agitation thermique, et pourtant elles
spectromètre à résonance magnétique En1996, l’un de nous (R. Kriwacki, alors restent parfaitement fonctionnelles.
nucléaire (RMN) – l’outil par excellence à l’Institut de recherche Scripps) réalisait Cette nouvelle conception des protéi-
pour l’étude des protéines –, ils obtenaient une spectroscopie par RMN sur une pro- nes est bien illustrée par la protéine p27, qui
parfois des résultats difficilement interpré- téine nommée p21, impliquée dans le est présente chez la plupart des vertébrés.
tables. Ils en ont déduit que ces protéines contrôle de la division cellulaire, lorsqu’il Comme p21, p27 est l’une des principales
n’étaient pas parvenues à se replier. remarqua quelque chose de surprenant. protéines qui régulent la division cellulaire.
Selon ses données de RMN, p21 était pres- La RMN montre que p27 est très flexible,
que entièrement déstructurée. Les acides avec des parties qui se plient et se déplient
Protéines spaghettis aminés tournaient librement autour des rapidement pour former des structures, soit
Mais ces données avaient une histoire bien liaisons chimiques qui les maintenaient en tire-bouchon (hélice alpha), soit en feuil-
plus riche à raconter. La spectroscopie ensemble, ne restant jamais dans une lets (feuillets bêta). La plupart des cellules
par RMN utilise de puissantes impulsions conformation donnée plus d’une fraction cancéreuses chez l’homme ont des quanti-
radiofréquences pour déclencher la rota- de seconde. Et pourtant – et c’est cela qui tés réduites de p27, et plus ce déficit est
tion synchrone des spins (moments magné- était surprenant –, p21 continuait à accom- important, moins le pronostic est bon.
tiques) des noyaux atomiques d’éléments plir sa fonction de régulation. Cela consti- La protéine p27 agit comme un frein sur
particuliers, tel l’hydrogène. La réaction tua la première démonstration que l’ab- la division cellulaire en se liant à au moins
des noyaux présente de légers décalages sence de structure ne faisait pas perdre sa six types différents de kinases (des enzy-
de fréquences que l’on peut relier à la posi- fonction à une protéine. mes) et en inhibant leur activité. Les kina-
tion des atomes dans les acides aminés et La spectroscopie par RMN reste la prin- ses sont les principaux régulateurs de la
à la position de ces acides aminés les uns cipale technique pour déterminer si une réplication de l’ADN et de la division cellu-
par rapport aux autres. Ainsi, à partir de protéine est repliée ou désordonnée et, laire. Elles transportent le phosphate (PO4)
ces décalages en fréquences, les biochimis- avec d’autres techniques, elle a permis et le fixent sur les autres protéines (on dit
tes parviennent à reconstituer la struc- de confirmer que de nombreuses protéi- qu’elles les «phosphorylent»), ce qui déclen-
Mo d é l i sa ti o n d es p ro t é i n es i ntr i n s è q u e m e nt d é s o r d o n n é es
es protéines intrinsèquement dés- tronique a permis de déterminer la
L ordonnées sont maintenant consi-
dérées comme des actrices crucia-
forme globale de la partie structu-
rée de la capside : un enroulement
les dans le fonctionnement des or- hélicoïdal supramoléculaire formé
ganismes. De par leur importante d’un ensemble de protéines enro-
flexibilité,leur comportement ne peut bant un brin d’ARN viral.Mais comme
être expliqué par le modèle clé-ser- cette technique ne permet pas de
rure,qui suppose que deux partenai- « voir » les parties non structurées
res biologiques ne peuvent inter- du système, la diffusion des rayons X
agir que s’ils présentent une complé- aux petits angles a été utilisée
mentarité de forme.De surcroît,il est pour localiser ces parties flexibles
extrêmement difficile de caractériser à l’extérieur de la capside. Enfin, la
en détail ces protéines intrinsèque- RMN a permis d’étudier en détail le
ment désordonnées, car leur confor- comportement moléculaire de cette
mation change sans cesse, aucune partie désordonnée avec une réso-
ne durant plus d’une fraction de se- lution atomique.
conde.La résonance magnétique nu- Ces différents résultats suggè-
Martin Blacklegde
L E S T R AVA I L L E U R S P O LY VA L E N T S D E L A C E L L U L E
De par leurs différents rôles – enzymes, composants a représenté ici trois exemples de protéines dont la struc-
structuraux, machines moléculaires, etc. –, les protéines ture n’est pas rigide, ce qui est nécessaire pour qu’elles rem-
participent à quasiment toutes les fonctions cellulaires. On plissent correctement leur fonction.
Région
non structurée
Microtubule
ATP
AXS Biomedical Animation Studio, source : The tumor suppressor p53: from structures to drug discovery, A. Joerger et A. Fersht, Cold Spring Harbor Perspectives in Biology, vol. 3, n° 2, février 2011
Gardien anticancer
Quand l’ADN d’une cellule est endommagé
par un rayonnement ou une autre cause,
Pore
un assemblage de quatre copies de p53 nucléaire
s’accroche à l’ADN en des sites spécifiques
pour déclencher la production d’enzymes
de réparation de l’ADN. Les parties non
structurées de p53 permettent
au complexe protéique de s’enrouler
autour de la double hélice. En plus de l’ADN, Protéines dépliées
cette protéine peut interagir avec l’ARN
et plus de 100 autres types de protéines.
Gardien du noyau
ADN
Enchâssé dans la membrane nucléaire,
Région non le pore nucléaire est un complexe constitué
structurée de p53 d’environ 30 protéines différentes assemblées
selon une symétrie octogonale parfaite ; il régule
p53 l’entrée et la sortie de certaines molécules.
L’ouverture est remplie d’un « gel » de protéines
complètement dépliées. Les petites molécules,
telles que les molécules d’eau, traversent ce gel
sans entrave, tandis que les grosses molécules
nécessitent un système de transport actif.
Les exemples évoqués jusqu’à présent L’approche bio-informatique est fon- longues régions non structurées. Ainsi, envi-
sont des protéines qui se replient – soit sur dée sur des études théoriques antérieures ron un tiers des protéines humaines pré-
elles-mêmes, soit autour d’autres protéi- de protéines, qui suggéraient qu’une senteraient de grandes régions pour
nes – lorsqu’elles accomplissent leur fonc- chaîne d’acides aminés tout juste formée lesquelles le concept clé-serrure est inadapté.
tion (voir l’encadré page 60). Mais le désordre se repliait différemment selon sa compo- On ignore la raison d’un tel résultat,
est souvent une partie intégrante du fonc- sition. En particulier, les acides aminés qui mais il est possible que les protéines ayant
tionnement d’une protéine. Parfois, une sont volumineux et hydrophobes – sans des caractéristiques structurales de type
région non structurée agit comme un minu- affinité pour les molécules d’eau qui entou- clé-serrure auraient surtout des fonc-
teur contrôlant le moment auquel deux sites rent naturellement les protéines – ont ten- tions enzymatiques et de régulation. Les
de liaison se rencontrent: si la région non dance à se positionner au cœur de la organismes procaryotes (les bactéries)
structurée est longue, les deux sites de liai- protéine. Au contraire, ceux qui se posi- contiennent tous leurs constituants dans
son passent plus de temps à se chercher que tionnent à la surface d’une protéine repliée un seul compartiment. Au contraire, les
lorsque la région non structurée est courte, sont généralement petits et hydrophiles organismes eucaryotes sont dotés de mul-
car la probabilité de «rencontre» des deux – et ont tendance à s’attacher aux molé- tiples compartiments intracellulaires, tels
sites est inférieure. Dans certains cas, le fait cules d’eau environnantes. le noyau, l’appareil de Golgi, les mitochon-
d’être déstructurée permet à une protéine
particulière de se faufiler à travers la mem-
brane cellulaire. De telles protéines non struc- LES BIOLOGISTES ONT DÉCOUVERT
turées apparaissent dans les axones des que jusqu’à 35 pour cent des protéines humaines
neurones, où elles forment des structures
protégeant l’axone en occupant le volume auraient de longues régions non structurées.
aux alentours et en empêchant les enzy-
mes de destruction d’approcher. K. Dunker a voulu comparer les dries, etc. Or, il faut que ces différents orga-
On a même constaté que certaines séquences d’acides aminés de protéines nites communiquent et ils nécessitent une
protéines restent non structurées après leur intrinsèquement désordonnées avec cel- régulation importante. Les organismes
liaison. C’est le cas de la protéine Sic1 de la les de protéines rigides. En utilisant divers pluricellulaires doivent également dispo-
levure (un organisme unicellulaire à noyau, algorithmes, son équipe a découvert ser de signaux pour coordonner les actions
ou eucaryote unicellulaire) ; elle est atta- en 1997 que les protéines intrinsèquement des différentes cellules et des tissus. La
chée à son partenaire grâce à plusieurs petits désordonnées tendent à être plus riches protéine p27 peut, grâce à sa flexibilité,
segments qui se fixent et se détachent en en acides aminés hydrophiles que les pro- transporter des messages chimiques le
continu sur un site de liaison unique, tan- téines rigides. Ainsi, la proportion d’aci- long des voies de signalisation d’une cel-
dis que le reste de Sic1 reste désordonné. des aminés hydrophiles et hydrophobes lule : ces messages sont codés dans sa
permettrait de prévoir si une protéine se conformation, dans ses modifications chi-
Un désordre replie partiellement ou pas du tout.
Pour étudier les conséquences de ces
miques telle la phosphorylation, et dans
les molécules partenaires auxquelles elle
généralisé découvertes, l’équipe de K.Dunker a com- se lie (qu’elle inhibe ou régule).
Le désordre existe aussi parmi les protéi- paré, en 2000, divers génomes du monde
nes des organismes plus simples et même
des virus. Certains virus nommés phages
vivant. Les bio-informaticiens ont examiné
les génomes de plusieurs organismes en
Le secret le mieux
(ou bactériophages), qui infectent les bac- recherchant des séquences d’ADN codant gardé de l’évolution
téries, se fixent sur la membrane d’une bac- de longues chaînes d’acides aminés hydro- La faible concentration de protéines intrin-
térie via des protéines reliées à la capside philes. Les protéines correspondantes sèquement désordonnées chez les bacté-
du phage par l’intermédiaire de liens flexi- seraient les meilleures candidates pour ries signifie peut-être que ces protéines
bles. La protéine d’attachement peut se être au moins partiellement non structu- sont apparues tardivement au cours de
mouvoir plus facilement dans l’espace que rées. Dans les organismes les plus simples, l’évolution. Toutefois, cela ne semble pas
le phage entier et le réorienter lors du les bactéries et les archées (ou archéobac- être le cas. D’une part, de nombreux sys-
processus d’arrimage, facilitant ainsi sa téries), on pense qu’il y a peu de protéi- tèmes de signalisation bactériens utilisent
pénétration dans la bactérie. nes intrinsèquement désordonnées. Mais plutôt des protéines déstructurées que des
Jusqu’à présent, les chercheurs du chez les eucaryotes (les organismes plus protéines structurées. D’autre part, dans
monde entier ont identifié la fonction d’en- complexes, qui ont des cellules pourvues les machines moléculaires anciennes (du
viron 600 protéines partiellement ou tota- d’un noyau), les protéines déstructurées point de vue évolutif), qui sont constituées
lement non structurées. Mais nous pensons semblent être beaucoup plus répandues. d’assemblages d’ARN et de protéines, pres-
qu’il en existe beaucoup plus. Après tout, Ces résultats ont été généralisés en 2004 que toutes ces protéines sont partiellement
les scientifiques n’ont déterminé la struc- par l’équipe de David Jones, de l’Univer- ou entièrement déstructurées quand elles
ture que d’une petite fraction des millions sity College de Londres, qui a effectué des ne sont pas liées à leurs ARN « partenai-
de protéines qui existent dans l’organisme comparaisons similaires en incluant des res ». Ces anciens complexes hybrides
humain. De nouvelles études bio-infor- données humaines. Les biologistes ont (complexes ribonucléoprotéiques) com-
matiques menées par K. Dunker et ses col- découvert que jusqu’à 35 pour cent de prennent le splicéosome et le ribosome.
lègues tendent à le confirmer. toutes les protéines humaines portent de Les recherches sur l’origine de la vie
LES AUTEURS plaident aussi en faveur de l’ancienneté nouvelle conception du désordre intrin-
des protéines déstructurées. Selon l’une sèque des protéines modifiera certaine-
des principales hypothèses, les premiers ment la façon dont nous comprenons et
organismes vivants étaient fondés sur traitons les maladies. Tout d’abord, dans
l’ARN et non sur l’ADN. Cet ARN agissait certains cas, le manque de structure d’une
à la fois comme molécule catalytique et protéine peut être nuisible : quand une
Keith DUNKER est biophysicien comme réservoir de l’information géné- cellule produit en excès des protéines non
à l’École de médecine tique – les rôles qui, dans les cellules actuel- structurées, ces dernières forment des
de l’Université de l’Indiana,
aux États-Unis, où il dirige les, sont respectivement joués par les agrégats. Dans le cerveau, ces plaques
le Centre de biologie protéines et l’ADN. sont incriminées dans des maladies neu-
computationnelle Dans cette théorie d’un « monde à rodégénératives telles la maladie d’Alz-
et de bio-informatique. ARN », une difficulté majeure tient au fait heimer, la maladie de Parkinson et la
Richard KRIWACKI est
biologiste à l’Hôpital pour que l’ARN se replie difficilement dans sa chorée de Huntington.
enfants de St Jude à Memphis. forme active et reste souvent figé dans des Plus généralement, il semble que la pro-
conformations inactives. Dans les cellules duction des protéines non structurées doive
actuelles, des protéines dites chaperonnes être rigoureusement contrôlée pour assu-
assurent un repliement correct de l’ARN rer le fonctionnement normal de l’orga-
et d’autres le stabilisent dans sa confor- nisme. Une étude à grande échelle sur la
mation active. Ces deux types de protéi- levure, la souris et l’homme, dirigée par
nes n’ont pas de structure stable avant Madan Babu, du Laboratoire de biologie
de se lier à l’ARN. Leur apparition aurait moléculaire du Centre de recherche médi-
ainsi permis de résoudre l’épineux pro- cale de Cambridge, en Grande-Bretagne,
blème du repliement de l’ARN. a montré, en 2008, que les cellules régu-
lent les protéines désordonnées plus étroi-
Une épée tement que les protéines rigides.
Sachant que les protéines intrinsèque-
à double tranchant ment désordonnées peuvent être impli-
BIBLIOGRAPHIE L’analyse de l’origine du code génétique quées dans certaines maladies, on imagine
conforte encore l’hypothèse de l’appari- de nouvelles pistes thérapeutiques. Les
Jensen et al., Intrinsic disorder tion précoce des protéines non structu- protéines qui interagissent avec des pro-
in measles virus nucleocapsids,
Proc. Natl. Acad. Sci., vol. 108, rées. Le code génétique est l’ensemble des téines non structurées offrent souvent à
pp. 9839-9844, 2011. règles utilisées par les cellules pour trans- leurs partenaires des points d’ancrage
crire l’information codée dans les acides où les chercheurs pourraient fixer des
Peter Tompa et al., Structural nucléiques (ARN et ADN) en une séquence molécules qui, par exemple, bloqueraient
disorder throws new light
on moonlighting. Trends d’acides aminés. Certains acides aminés des interactions délétères ou, au contraire,
in Biochemical Sciences, auraient été codés très tôt au cours de avantageuses. Ainsi, en empêchant un
vol. 30, n° 9, pp. 484-489, 2005. l’évolution, alors que d’autres seraient gène suppresseur de tumeur d’interagir
H. Jane Dyson et Peter E. Wright, apparus plus tard. avec l’un de ses régulateurs, des biolo-
Intrinsically unstructured Les acides aminés hydrophobes, volu- gistes ont obtenu certains succès dans la
proteins and their functions, mineux, qui poussent une protéine à se lutte contre le cancer chez des animaux de
Nature Reviews Molecular Cell replier, seraient apparus tardivement, et laboratoire. Des essais cliniques vont com-
Biology, vol. 6, pp. 197-208, 2005.
donc les protéines constituées des premiers mencer chez l’homme pour tester ces molé-
A. Keith Dunker et al., acides aminés devaient très probable- cules. R. Kriwacki et ses collègues mettent
Identification and functions ment rester dépliées quand elles étaient au point une stratégie similaire pour trai-
of usefully disordered proteins,
Advances in Protein Chemistry, seules. Si ces hypothèses sur l’évolution du ter le rétinoblastome, un cancer de l’œil
vol. 62, pp. 25-49, 2002. code génétique sont correctes, alors les pre- qui touche en particulier les enfants. Les
mières protéines apparues sur Terre se premiers tests chez l’animal ont donné des
Richard W. Kriwacki et al., résultats encourageants.
Structural studies of repliaient mal ou pas du tout. Les acides
p21Waf1/Cip1/Sdi1 in the free aminés apparus ultérieurement ont mani- Le modèle clé-serrure qui a si long-
and Cdk2-Bound state : festement permis aux protéines de se struc- temps expliqué la fonction des protéines
conformational disorder turer. Elles ont alors acquis des sites a perdu sa toute-puissance. Aujourd’hui,
mediates binding diversity,
Proceedings of the National enzymatiques actifs de type clé-serrure et, on sait que certaines fonctions biologiques
Academy of Sciences USA, vol. 93, dès lors, ont assuré les fonctions remplies sont remplies par des protéines rigides,
n° 21, pp. 11504-11509, 1996. par les ARN dans les cellules pendant des et d’autres par des protéines dont la struc-
Base de données de protéines millions d’années. ture fluctue. Mais plus de 100 ans après
non structurées connues : Étant donné le rôle central que jouent l’énonciation du dogme voulant que les
www.disprot.org les protéines en biologie, il n’est pas protéines aient une structure rigide, l’his-
Base de données de protéines surprenant que beaucoup d’entre elles toire des liens entre la structure des pro-
structurées : www.rcsb.org/pdb
soient impliquées dans les maladies. Cette téines et leurs fonctions reste à écrire.
abysses, océan, écosystème, neige marine, profondeurs, fonds marins, relations trophiques, isopode, baudroie, azoïque, gastéropodes, sélection, évolution, carbone organique, biodiversité, microhabitat
Océanographie
un empire méconnu
Craig McClain
Loin d’être une étendue désertique, les grands fonds tonnes de carbone organique produites par
le phytoplancton via la photosynthèse cou-
marins constituent un écosystème complexe : la faune lent vers les fonds océaniques. Or seuls
trois pour cent de ce carbone atteignent les
très variée qui les peuple est directement tributaire fonds. Comment si peu de nourriture
du phytoplancton vivant en surface. suffit-elle à alimenter toutes les formes
de vie de cet habitat ? Comment une telle
diversité a-t-elle pu persister? Quelles stra-
tégies adaptatives ont été développées par
tat
ranée, une zone qui, on le sait aujourd’hui, la méiofaune, incluant les foraminifères,
5 mm produit très peu de carbone organique les copépodes et les nématodes, qui sont
en surface. retenus uniquement par des mailles de
2. QUELQUES-UNES des nombreuses espè- Le second point est que les bateaux très petite taille ; et, enfin, les bactéries, les
ces d’organismes macrofauniques extraites
dragueurs utilisés pour échantillonner les plus petits de tous ces organismes.
d’une carotte de seulement sept centimètres
de diamètre et dix centimètres d’épaisseur pré- fonds marins étaient alors inefficaces pour
levée dans les grands fonds. Une surface d’un
demi-mètre carré environ peut contenir plus de
capturer de petits organismes et laissaient
échapper une part importante de la faune
Des être miniaturisés...
300 espèces. très diverse des mers profondes. Quel- ou géants
ques décennies seulement après l’affir- H. Thiel a observé que la mégafaune et la
mation de Forbes, ces petits organismes macrofaune diminuent plus rapidement
étaient observés. Selon le naturaliste bri- avec la profondeur que la méiofaune ou
tannique Henry Nottidge Mosely, certains les bactéries. De fait, avec l’augmentation
animaux semblaient même avoir rapetissé de la profondeur, la méiofaune et les bac-
dans les conditions des grandes profon- téries dominent de plus en plus. Ainsi, à
deurs. Et, en 1975, Hjalmar Thiel, de l’Uni- des profondeurs supérieures à quatre kilo-
versité de Hambourg, a montré qu’avec mètres, dans les vastes plaines abyssales
l’augmentation de la profondeur, les petits où la nourriture est très limitée, il y a un
organismes deviennent prédominants. net basculement vers des tailles minuscu-
Les grands fonds, dont la neige marine les. En voici un exemple frappant : mon
constitue la seule source de nourriture, directeur de thèse Michael Rex, de l’Uni-
privilégieraient-ils les petits organismes ? versité du Massachusetts à Boston, et moi-
La situation, nous allons le voir, n’est pas même avons calculé que notre collection
aussi simple. Les formes de vie dans les entière de plus de 20 000 gastéropodes de
mer profonde pêchés dans l’Ouest de l’At-
lantique Nord pourrait entrer à l’inté-
rieur d’un unique Busycon carica, une
conque de la taille du poing.
Cela ne signifie pas pour autant que
tous les animaux des profondeurs sont
« miniaturisés ». S’il y a bien une diminu-
tion globale de la taille des invertébrés
vivant à grande profondeur, certains grou-
pes d’animaux (taxons) présentent au
General Bathymetric Chart of the Ocean
logiques ont engendré ces tendances oppo- moins de prédateurs, moins de compéti- Les îles et les océans profonds ont peu
sées dans l’évolution de la taille ? tion avec d’autres espèces, un habitat de choses en commun. Le fait que l’on
Pour répondre à cette question, je suis réduit et des sources de nourriture poten- observe une évolution des tailles simi-
passé du plus vaste habitat de la Terre (les tiellement marginales. laire dans ces deux habitats si différents
océans) à l’un des plus petits – les îles. suggère que sa cause réside dans une
L’existence de tailles extrêmes est bien
documentée dans différentes îles. Le petit
Pénurie de nourriture, caractéristique unique qu’ils partagent : la
pénurie de nourriture. Dans les îles, la
kiwi et l’énorme moa (un oiseau disparu facteur de sélection quantité de nourriture disponible est fai-
mesurant plus de deux mètres) en Nou- En 2006, nous avons découvert un schéma ble, car les végétaux, à la base de la chaîne
velle-Zélande, le colossal dragon de similaire dans les océans. Quand des gas- alimentaire, ont peu de place pour pros-
Komodo sur l’île de Komodo en Indoné- téropodes d’eaux peu profondes ont évo- pérer. Ainsi, dans les deux habitats, la
sie, les éléphants pygmées (aujourd’hui lué pour devenir des habitants d’eaux quantité de carbone organique produit
disparus) sur les îles de la Méditerranée, profondes, les petites espèces sont deve- serait probablement insuffisante pour
la grenouille de la taille d’une fourmi nues plus grandes et les grandes espè- entretenir une population constituée uni-
des Seychelles, le cafard siffleur géant ces sont devenues plus petites. Nous avons quement d’animaux géants. D’un autre
de Madagascar et la tortue géante des îles aussi remarqué que leur taille n’avait côté, les organismes plus petits sont aussi
Galápagos ne sont que quelques-unes des pas évolué de façon symétrique: les taxons désavantagés : ils sont incapables de se
multiples anomalies de taille rencontrées plus grands se sont bien plus miniaturi- déplacer sur de longues distances pour
dans les îles. En 1964, le biologiste cana- sés que les petits n’ont grandi. Les deux rechercher leur nourriture ou de stocker
dien John Bristol Foster a montré que, sur types d’espèces ont donc convergé vers d’importantes réserves de graisse pour
les îles, les grands mammifères rapetis- une taille légèrement inférieure à celle jeûner pendant les périodes de pénurie
sent avec le temps. À l’inverse, les petits correspondant à une évolution symétri- alimentaire. Si ces pressions de sélection
mammifères tendent vers le gigantisme. que. Depuis, j’ai observé ce schéma dans étaient égales, la taille évoluerait vers une
Les causes possibles de ces trajectoires des taxons très différents, tels les bival- valeur intermédiaire. La taille moyenne
évolutives originales sont multiples : ves et les requins. légèrement inférieure observée s’explique
Du CO2 atmosphérique
est absorbé par En tout, le phytoplancton
l’océan produit 16 gigatonnes de carbone
par an à la surface de l’océan
500
CO2 PHYTOPLANCTON ZOOPLANCTON
Carbone organique
1 000 + oxygène
Photosynthèse
Pâturage Alimentation
(alimentation
du zooplancton) Alimentation
1 500 Organismes en Excréments
décomposition Organismes en
Organismes en Excréments décomposition Excréments
Profondeur (en mètres)
décomposition
2 000
2 500
Les micro-organismes
se nourrissent des excréments
et des organismes morts
3 000 constituant la neige marine.
3 500
alors par une sélection plus forte au détri- liers d’œufs. Le premier jeune à éclore elle. Les mâles recherchent les femelles
ment des tailles supérieures. rampe autour du casier d’œufs et dévore grâce à un système olfactif très développé.
Face à la faible quantité de nourriture ses frères et sœurs non nés ! Lors du contact, des enzymes fusionnent
disponible, nombre d’organismes des abys- Les femelles de la famille des Ceratiidae leur bouche au corps de la femelle, puis
ses présentent des nouveautés évolutives. (les baudroies, ou lottes de mer) assurent tous leurs organes s’atrophient, excepté
Un des grands habitants des profondeurs leur survie dans cet environnement pau- leurs gonades. Ces mâles parasites devien-
est l’isopode géant Bathynomus giganteus, vre en nourriture grâce à un long pédon- nent alors une source durable de sperme
un parent marin (de 36 centimètres de long, cule (dérivé par évolution des épines de pour les femelles parasitées.
voir la figure 5a) du cloporte commun. Cet la nageoire dorsale) qui part de l’avant de
animal, le plus grand de l’ordre des Isopoda
et l’un des plus grands crustacés connus,
la tête et agit comme un leurre. À l’extré-
mité de ce leurre, des bactéries symbioti-
Une diversité variant
se déplace avec rapidité et efficacité : des ques émettent une lumière bleue qui attire avec la profondeur
pièges à appâts disposés sur le fond de la les proies vers la gueule grand ouverte de La grande variété d’adaptations à ces
mer attirent en moins d’une heure des dizai- la femelle (voir la figure 1). Les siphonopho- conditions extrêmes de rareté de la nour-
nes de ces nécrophages affamés. Chez les res du genre Erenna, organismes proches riture à de grandes profondeurs s’ac-
mammifères et les poissons, les animaux des méduses, utilisent aussi la lumière pour compagne d’une riche biodiversité qui
plus grands se déplacent plus vite et cou- attirer les proies. De la lumière rouge, une aurait choqué Edward Forbes. En 1968,
vrent plus efficacement une surface don- rareté parmi les organismes luminescents, l’étude comparative des fonds marins réa-
née. La taille de l’isopode géant pourrait est émise lorsque le siphonophore agite ses lisée par Howard Sanders, de l’Institut
être une adaptation lui permettant d’acca- tentacules, les faisant ressembler à des copé- océanographique de Woods Hole, aux
parer la nourriture dans les grands fonds podes, une source de nourriture pour de États-Unis, a montré que la biodiversité
marins, tout en lui procurant une zone plus nombreux petits poissons. des grands fonds marins dépasse la bio-
vaste de recherche de nourriture. La bioluminescence compenserait aussi diversité côtière dans la zone tempérée
Autre caractéristique, l’isopode géant la faible disponibilité en nourriture dans et s’approche de la biodiversité des eaux
peut survivre huit semaines entre deux un autre domaine vital – la sexualité. Trou- tropicales peu profondes. Des travaux
prises de nourriture. De même, en aqua- ver un partenaire dans une population peu plus récents suggèrent que la diversité
rium, le gastéropode Neptunea amianta, un nombreuse (du fait de la pénurie alimen- de la macrofaune dans les profondeurs
escargot de la taille d’une balle de tennis, taire) constitue un défi. Ainsi, de nombreux pourrait même rivaliser avec celle des
survit jusqu’à trois mois entre deux repas. poissons utilisent un organe biolumines- forêts tropicales humides. Dans des zones
Ce potentiel de jeûne traduit la capacité cent parmi leurs signaux sexuels. Chez relativement petites, le nombre d’espè-
des grands organismes à constituer d’im- les baudroies, la difficulté de trouver un ces coexistant sur les fonds marins sur-
portantes réserves de lipides. Neptunea partenaire sexuel se traduit par une autre pend : une zone de la taille d’une table
amianta a développé une autre stratégie nouveauté évolutive. Les baudroies mâles, basse contiendrait plus de 300 espèces !
adaptative : les femelles déposent des minuscules comparés aux femelles, vivent Cependant, cette biodiversité est para-
« casiers » robustes contenant des mil- pour trouver une partenaire et s’accoler à doxale. Dans des habitats comme les récifs
a b
2 cm
5. POUR SURVIVRE EN EAUX PROFONDES, certains animaux ont déve- nourriture éphémères et stocke des graisses pour les périodes de pénurie
loppé des caractéristiques nouvelles. Grâce à sa taille, l’isopode géant Bathy- alimentaire (a). Le siphonophore du genre Erenna peut produire une lumi-
nomus giganteus, nécrophage, se déplace rapidement vers des sources de nescence rouge aux extrémités de ses tentacules qui les fait ressembler à
coralliens et les forêts tropicales humides, souvent balayés par des courants rapides teau continental, à petite profondeur, la
la biodiversité importante observée tra- et constants que les eaux peu profondes, diversité des gastéropodes est faible. Lors-
duit la grande variété des environnements ces microhabitats y persistent plus long- que la profondeur augmente (entre 200 et
et des ressources disponibles en ces lieux. temps et se développent. 2 000 mètres) et que l’apport en carbone
Cette variété soutient de multiples niches Sur cette structure inégale, la neige diminue, leur diversité s’accroît sur les
écologiques, sources d’une population marine ne se dépose pas uniformément: la fonds marins. Puis, à des profondeurs d’en-
riche et complexe. Par contraste, le fond microtopographie du fond marin la retient viron deux à trois kilomètres, la diversité
de la mer, plat et boueux, sans récifs ou vraisemblablement dans les dépressions, décline rapidement.
forêts pour apporter de la complexité, tout comme la surface irrégulière d’une L’explication la plus vraisemblable de
apparaît plus homogène. Comment cet pelouse est recouverte d’un manteau nei- la décroissance conjointe de la productivité
habitat et son unique source de nourriture geux inégal. La neige marine peut aussi de carbone organique et de la diversité dans
conduisent-ils à une telle biodiversité ? s’agréger avant son arrivée sur le fond de les abysses est l’effet Allee (du nom de son
Une réponse a été proposée en 1973 la mer. Les Larvacés, un type de plancton, auteur, l’écologue américain Warder Allee):
par H. Sanders et son collègue Fred Grassle: sécrètent autour d’eux une enveloppe de moins la nourriture est disponible et moins
les deux biologistes ont suggéré que le fond mucus qui filtre l’eau, retenant les particu- d’individus de toutes les espèces sont entre-
marin était composé d’un patchwork de les. Ces enveloppes s’obstruent facilement tenus. Quand le nombre d’individus d’une
microhabitats de quelques centimètres et les Larvacés s’en dépouillent toutes les population décroît fortement, l’espèce
carrés. Dans leur hypothèse, chaque élé- quatre heures. Les enveloppes obstruées concernée est plus susceptible de s’éteindre
ment de cette mosaïque fournit un ensem-
ble spécifique de caractéristiques envi- LA BIODIVERSITÉ DES GRANDS FONDS MARINS
ronnementales – les microhabitats – qui
permet la vie d’un ensemble particulier dépasse la biodiversité côtière dans la zone tempérée
d’espèces macrofauniques. Depuis, les et s’approche de la biodiversité des eaux tropicales
caractéristiques de ces microhabitats sont peu profondes.
devenues plus claires, tout comme les
raisons pour lesquelles ils sont plus cou- constituent alors une source de nourriture localement en raison de perturbations envi-
rants dans les profondeurs. Certains orga- riche en carbone, qui arrive sur le fond marin ronnementales aléatoires, ce qui réduit la
nismes assez grands, tels les oursins, les groupée en masses compactes. diversité totale d’une région.
étoiles et concombres de mer, les vers et les Ce schéma de la disponibilité en nour- Cependant, il reste une énigme : pour-
crabes, construisent des terriers, tunnels riture gouverne la biodiversité non seule- quoi, au tout début des grandes profon-
et monticules dans les grands fonds marins ment à petite échelle, mais aussi à des deurs – sur les fonds marins situés aux
et se déplacent à travers les sédiments. échelles plus grandes. En 1973, M. Rex a alentours de 200 mètres de profondeur –,
Ils créent ainsi une topographie à petite publié la première étude montrant la com- une grande disponibilité en nourriture
échelle qui structure le sol en microhabi- plexité de la répartition de la biodiversité soutiendrait-elle moins d’espèces qu’à
tats. Les grands fonds étant bien moins en fonction de la profondeur. Sur le pla- 1 000 ou 2 000 mètres ? On a avancé une
c d
2 cm 2 cm
des copépodes, petits crustacés dont se nourrissent nombre de petits premiers petits éclos (c). Chondrocladia lampadiglobus, ou éponge lampa-
poissons (b). La femelle du gastéropode Neptunia amianta dépose des mil- daire, est carnivore (d). Alors qu’en général, les éponges filtrent l’eau pour
liers d’œufs dans des «casiers». Ils serviront de source de nourriture aux se nourrir, celle-ci piège ses proies grâce à de minuscules crochets externes.
vingtaine d’hypothèses pour expliquer ponibilité en carbone est élevée, la méga- c’est-à-dire de carbone) qui ont pu permet-
cette tendance, fondées sur divers éléments faune, plus abondante, pourrait réduire la tre ce développement.
empiriques. En 2010, avec Jim Barry, de diversité de la macrofaune. Il y a environ 200 à 100 millions d’an-
l’Institut de recherche de l’Aquarium de De façon générale, explique Nadine Le nées, la révolution marine du Mésozoïque
Monterey Bay, j’ai publié une étude qui Bris, directrice du Laboratoire d'écogéo- a constitué l’une des plus spectaculaires
pourrait résoudre l’énigme. Dans les chimie des environnements benthiques réorganisations de la vie sur notre planète.
canyons sous-marins – des vallées étroi- (CNRS-UPMC) de l’Observatoire océano- À cause d’une forte augmentation de la pré-
tes qui entaillent le plateau continental de logique de Banyuls-sur-Mer, on constate dation dans les océans, certaines espèces
quelques centaines de mètres à plus de que le nombre d’espèces est plus limité ont décliné, tandis que d’autres, mieux adap-
2 000 mètres –, la nourriture peut s’accu- dans les écosystèmes abyssaux liés à des tées (par exemple des gastéropodes possé-
muler à la base des parois abruptes. Nous sources locales d’énergie – sources hydro- dant une coquille particulièrement solide),
avons découvert qu’une mégafaune très thermales, sources de méthane, canyons, se sont diversifiées. En 1995, Richard Bam-
mobile – par exemple les oursins, concom- bois et os coulés. Mais à l’instar des crus- bach, de l’Institut polytechnique et de l’Uni-
bres de mer, crabes et étoiles de mer – tacés abyssaux géants, la taille souvent versité d’État de Virginie, aux États-Unis,
converge vite dans ces zones et monopo- exceptionnelle de ces organismes reflète a suggéré que les besoins alimentaires des
lise la nourriture. Comme ces animaux une adaptation particulièrement efficace animaux marins s’étaient accrus durant cette
sont nombreux, leur activité remue inten- aux formes d’énergie disponibles. période: plusieurs études montraient une
sément les sédiments. Cette perturbation augmentation de la prédation, de la mobi-
et le manque de nourriture créent des lité, du fouissage, des morphologies anti-
conditions très rudes pour la macrofaune
Regards vers le passé prédateurs, de l’incrustation d’organismes
de ce milieu. Les espèces de la macrofaune La façon dont l’océan réagit aujourd’hui dans des roches immergées, de l’érosion
sont donc moins nombreuses à survivre au gradient de nourriture sur les fonds due à des organismes sous-marins et de la
dans ces conditions. Les vers qui construi- marins nous renseigne aussi sur le déve- taille de la faune. Selon R. Bambach, cette
sent des terriers dans les sédiments, notam- loppement de la faune marine tout au long augmentation de l’activité dans les océans
ment, ont peu de chance de survivre, car de l’histoire de la vie sur Terre, plus pré- n’a pu avoir lieu que grâce à un apport
leurs terriers seraient vite détruits. Ainsi, cisément sur les conditions environnemen- suffisant en énergie. Donc, conclut-il, l’océan
à ces profondeurs intermédiaires où la dis- tales (quantité de nourriture disponible, a forcément augmenté sa productivité en
rentes théories mettent en avant la Or un autre élément varie bien des dans l’océan tropical profond a
variabilité du climat, la rudesse des avec la latitude : la quantité et la pro- chuté durant les périodes glaciaires,
conditions climatiques, la tempéra- duction de plancton à la surface de avec un abaissement concomitant 0,01 0,03 0,1 0,3 1 3 10
ture, les rythmes de spéciation et l’océan. De fait, deux séries de tra- de la production de plancton en sur- Concentration en chlorophylle A
(en milligrammes par mètre cube)
d’extinction, le parasitisme, la pré- vaux ont montré que la dynamique face.En conséquence,au cours de ces
dation, la compétition entre espèces de la disponibilité en nourriture peut périodes, le gradient de diversité des La température de l’océan varie peu
et la disponibilité en nourriture. entraîner des changements de la bio- ostracodes en fonction de la latitude avec la latitude, contrairement à la
En 1993, Michael Rex, de l’Uni- diversité des profondeurs sur des a disparu. À l’inverse, durant les pé- production de phytoplancton, éva-
versité du Massachussets à Boston, échelles de temps tant géologiques riodes interglaciaires, la diversité luée par la concentration de chloro-
a étudié, pour la première fois, le gra- qu’annuelles. des ostracodes est devenue particu-
phylle mesurée en surface, et donc
de carbone organique. Cette varia-
dient de diversité des espèces en fonc- Dans la première série d’étu- lièrement riche.
bilité de production de nourriture à
tion de la latitude en mer profonde. des, Moriaki Yasuhara, de l’Institut La seconde série d’études la surface des océans pourrait être
M. Rex et ses collègues ont décou- Smithsonian,et ses collègues ont étu- concerne des échelles de temps beau- l’un des facteurs de la biodiversité
vert un accroissement de la diver- dié l’histoire de crustacés minuscu- coup plus courtes – de l’ordre de la accrue observée sous les tropiques,
sité des mollusques et des crustacés les,les ostracodes,sur les 500000 der- décennie. Les cycles de El Niño et de tant en surface qu’en profondeur.
carbone organique durant cette période, des vivant avant et après la révolution L’ A U T E U R
sinon il n’aurait pu fournir l’énergie néces- marine du Mésozoïque, nous avons décou-
saire à toutes ces innovations. vert que le besoin en énergie par individu
Dans un article récent, Seth Finne- s’était élevé d’environ 150 pour cent – un
gan, de l’Université Stanford et de l’Insti- changement attribué en grande partie à
tut de technologie de Californie, et ses l’augmentation de la taille des individus.
collègues, dont je suis, avons tenté d’expli- Et si l’on ajoute à cette demande énergéti-
quer cette révolution marine du Méso- que ne serait-ce que celle des carnivores
zoïque sous un autre angle. Nous avons marins, plus coûteux en énergie et dont la
étudié, au cours du temps, les besoins éner- présence s’est accrue au Mésozoïque, on
gétiques ou les demandes en nourriture constate que le besoin en énergie après la Craig McCLAIN est
probables d’un groupe prédominant dans révolution marine du Mésozoïque a dû être directeur scientifique adjoint
du Centre national de synthèse
les témoignages fossiles: les gastéropodes. bien plus élevé. sur l’évolution de Durham,
Pour ce faire, nous avons combiné les infor- Nous avons montré en outre que cette en Caroline du Nord
mations issues des traces fossiles marines, augmentation de la demande énergétique aux États-Unis, et rédacteur
des océans actuels – peu profonds comme s’est produite des profondeurs océaniques en chef du blog scientifique
Deep-Sea News,
profonds –, des données physiologiques jusqu’aux eaux côtières. Par conséquent, deepseanews.com.
provenant des espèces vivantes et, enfin, pour permettre cette augmentation, la
des équations mathématiques estimant la productivité de l’océan a forcément dû s’ac- Article publié avec
l’aimable autorisation
consommation d’énergie nécessaire à la vie croître considérablement il y a 200 à 100 mil- de American Scientist.
d’un animal, c’est-à-dire l’énergie dont il lions d’années.
a besoin pour son métabolisme.
Pour chiffrer les besoins de populations
de gastéropodes dans un passé lointain,
Un avenir incertain
nous avons fait des extrapolations à partir Aujourd’hui, la Terre entre dans une nou-
de nos connaissances sur les gastéropo- velle période de turbulences. Alors que
des actuels. En comparant les gastéropo- les émissions de gaz à effet de serre modi-
fient le climat de notre planète, de plus en
plus de preuves indiquent que nous avons
déjà modifié la production et les flux du
carbone dans les océans. Des travaux récents
La Niña, qui changent les températures de sur- montrent des réductions de 50 pour cent
face de l’océan Pacifique tropical,peuvent aussi de la production de phytoplancton dans
modifier la répartition de la production planc- certaines régions océaniques et des aug-
tonique en surface.Auraient-ils par là-même une mentations de 50 pour cent dans d’autres. BIBLIOGRAPHIE
influence sur la diversité de la faune? Pour le Daniel Boyce, de l’Université Dalhousie,
savoir, un site appelé station M – situé à aux États-Unis, et ses collègues ont récem- S. Finnegan et al., Escargot
4000 mètres de profondeur, au large de Santa through time : an energetic
ment rapporté que la production de phy- comparison of marine gastropod
Barbara, en Californie – a été surveillé pen- toplancton a globalement décliné au cours assemblages before and after
dant presque deux décennies. Des travaux ef- du siècle dernier. Cette redistribution et la the Mesozoic Marine Revolution,
fectués à la station M par Henry Ruhl et Ken diminution de la quantité de carbone à la Paleobiology, vol. 37,
Smith, de l’Institution Scripps d’océanographie pp. 252-269, 2011.
surface de l’océan pourraient modifier la
et de l’Institut de recherche de l’Aquarium de
nature des fonds marins de façon impor- C. McClain et J. Barry, Habitat
Monterey Bay,aux États-Unis,montrent que lors- heterogeneity, biogenic
tante ces prochaines décennies, aux côtés
que des oscillations, dues à El Niño et à La disturbance, and resource
de la surpêche, de la pollution, de l’ex- availability work in concert
Niña,apparaissent dans les températures de sur-
ploitation minière, du réchauffement et to regulate biodiversity in deep
face du Pacifique, la quantité de plancton varie
de façon concordante. Et la diversité et l’abon-
de l’acidification. submarine canyons, Ecology,
Les organismes des profondeurs vivent vol. 91, pp. 964-976, 2010.
dance de la mégafaune et de la macrofaune des
profondeurs changent également. dans des conditions environnementales C. McClain et al., The island rule
Ces deux séries d’études exceptionnelles extrêmes de température, de pression et, and the evolution of body size
bien sûr, d’alimentation. À l’échelle des in the deep sea, Journal
confortent l’idée que les gradients de diversité
of Biogeography, vol. 33,
des espèces en fonction de la latitude sont en individus comme à celle des écosystèmes, pp. 1578-1584, 2006.
partie dues à la variabilité de production du des transformations écologiques et évolu-
plancton en surface. Elles ont aussi mis au tives extraordinaires ont permis une adap- H. A. Ruhl et K. L. Smith, Shifts
jour une répartition de la biodiversité dans les tation à ces conditions extrêmes. Alors in deep-sea community structure
linked to climate and food supply,
profondeurs en fonction du temps qui établit que l’activité humaine modifie toujours Science, vol. 305, pp. 513-515, 2004.
un lien encore plus fort entre la production en plus les fonds marins, les espèces qui les
surface et la vie en eaux profondes. peuplent vont-elles s’adapter ou disparaî- P. Geistdoerfer, La vie
dans les abysses, Belin, 1995.
tre? La question est ouverte.
Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef, Mot-clef
Informatique
Et malheureusement, les réseaux élec- pied une attaque coordonnée. Stuxnet était mission et à la distribution d'électricité),
triques sont bien plus faciles à infiltrer le virus informatique le plus avancé jamais mettant hors d’usage les dispositifs qui
qu’une installation d’enrichissement vu, sans doute le fruit de services secrets. assurent une tension constante. À la fin
d’uranium. Le réseau électrique améri- Mais le code de Stuxnet est maintenant de l’exercice, une demi-douzaine de pos-
cain, ou de tout autre pays développé, est en libre accès sur Internet, ce qui augmente tes avaient été détruits, privant d’élec-
constitué de milliers d’unités interconnec- le risque qu’un groupe terroriste l’adapte tricité pour plusieurs semaines tout un
tées qui fonctionnent en coordination pour attaquer une nouvelle cible ! Un État de l’Ouest.
étroite. En un sens, c’est la plus grosse groupe technologiquement peu avancé, Des ordinateurs contrôlent le réseau à
machine jamais construite: un circuit élec- comme Al Qaida, n’a probablement pas tous les niveaux, depuis les générateurs
trique géant qui transporte l’énergie l’expertise nécessaire pour infliger des à combustible fossile ou les centrales
depuis les centrales jusqu’aux ampou- dommages significatifs au réseau électri- nucléaires jusqu’aux lignes de transport
les, aux réfrigérateurs et autres machi- que. Mais ce n’est pas le cas des hackers qui urbain. La plupart de ces ordinateurs
nes à des milliers de kilomètres à la ronde. louent leurs services en Chine ou dans utilisent des systèmes d’exploitation grand
C’est une machine ajustée avec une grande les pays de l’ex-Union soviétique. public comme Windows, ce qui les rend
précision. Le courant qui circule dans le presque aussi vulnérables que votre micro-
réseau pour satisfaire aux besoins d’un ordinateur aux virus informatiques.
pays augmente et diminue en suivant
Même des réseaux Un virus comme Stuxnet est efficace
exactement la demande. Les générateurs non reliés à Internet principalement pour trois raisons : les sys-
fournissent un courant alternatif en phase sont vulnérables tèmes d’exploitation considèrent a priori
avec l’ensemble du réseau. Et si la panne que les logiciels qui s’exécutent sont légi-
d’un seul composant a des répercus- Il y a un an, j’ai participé à un exercice times ; ils présentent souvent des failles
sions limitées sur ce vaste circuit, une simulant une cyberattaque fictive sur le qui autorisent l’intrusion d’un virus; et les
cyberattaque coordonnée en de multiples réseau électrique. Parmi les participants installations industrielles permettent rare-
points critiques du réseau électrique pour- se trouvaient des représentants des entre- ment d’utiliser des protections disponi-
rait endommager les équipements au prises de distribution de l’électricité, bles pour le grand public.
point de paralyser un pays pour des semai- des agences gouvernementales et de l’ar- Même en sachant tout cela, un ingé-
nes, voire des mois. mée. Dans ce test, des logiciels malveil- nieur système aurait jusque récemment
Étant donné la taille et la complexité lants s’introduisaient dans un certain écarté d’un revers de la main la possibi-
du réseau électrique, il faudrait beaucoup nombre de postes électriques (des ins- lité qu’un logiciel malveillant lancé à dis-
de temps et d’efforts pour mettre sur tallations qui servent à la fois à la trans- tance puisse parvenir aux contrôles critiques
du réseau électrique, puisque ce système l’homme du milieu » qui fait transiter permanence des informations en temps
n’est pas directement connecté à Inter- par son ordinateur toutes les communica- réel de sa branche d’exploitation afin de
net. Mais depuis, Stuxnet a démontré tions entre deux ordinateurs légitimes, ou faire des transactions intéressantes; inver-
que les réseaux sans connexion perma- faire accepter son ordinateur comme sement, la branche exploitation doit savoir
nente vers l’extérieur sont eux aussi vul- légitime. Il serait alors en mesure d’en- combien d’électricité elle doit produire
nérables. Les virus peuvent par exemple voyer des messages de contrôle fraudu- pour répondre aux commandes de la bran-
se propager physiquement via des clefs leux qui perturberaient le fonctionnement che commerciale. C’est là que se trouve
USB utilisées par des employés. Même la des disjoncteurs. le talon d’Achille. Un pirate pourrait péné-
plus petite porte dérobée peut servir d’en- Une fois qu’un virus s’est introduit trer dans le réseau commercial, y dénicher
trée pour un cambrioleur entreprenant. dans un réseau, sa première consigne est des noms d’utilisateurs et des mots de
Prenons le cas d’un poste électrique. en général de se répandre le plus possible. passe, et utiliser ces identifiants pour accé-
De tels postes reçoivent des courants à Là encore, Stuxnet illustre des stratégies der au réseau d’exploitation.
haute tension venant d’une ou plusieurs bien connues. Il a tiré profit d’un méca- D’autres attaques pourraient se répan-
centrales, les synchronisent, abaissent la nisme du système d’exploitation Windows, dre en exploitant des scripts cachés dans
tension et les répartissent entre de multi- qui lit et exécute un fichier nommé auto- des fichiers. On trouve des scripts partout
ples lignes pour la distribution locale. En exec.bat à chaque fois qu’un utilisateur (les fichiers PDF, par exemple, contiennent
cas de panne sur une de ces lignes, un s’identifie pour localiser des pilotes de souvent des scripts qui gèrent l’affichage),
disjoncteur coupe le courant. Toute l’élec- périphériques, lancer un antivirus, ou d’au- mais ils représentent aussi un danger
tricité envoyée dans cette ligne est alors tres fonctions de base. Mais le système sup- potentiel. Une entreprise de sécurité infor-
répartie entre les autres lignes. Si les lignes pose que tout fichier ayant le bon nom matique estimait récemment que plus de
de distribution sont proches de leur limite est un code fiable. Il suffit ainsi de modi- 60 pour cent des attaques ciblées utili-
de capacité, une attaque qui coupe la fier le fichier autoexec.bat pour qu’il exé- sent des scripts enfouis dans des fichiers
moitié des lignes et maintient les autres cute le code malveillant. PDF. Le simple fait de lire un fichier cor-
ouvertes a toutes les chances de surchar- Les attaquants peuvent aussi exploi- rompu peut laisser entrer un attaquant
ger ces dernières. ter la structure du marché de l’électricité. dans votre ordinateur.
Dans le cadre de la dérégulation, l’élec- Imaginons qu’un attaquant pénètre
Des portes d’entrée tricité est produite, transportée et distri-
buée par des compagnies concurrentes,
dans un premier temps sur le site Web d’un
fournisseur de logiciels et remplace un
multiples dans le cadre de contrats qui portent sur manuel en ligne par un faux manuel cor-
Ces disjoncteurs sont encore aujourd’hui diverses échéances, obtenus dans des rompu semblable au premier. Le cyber-
équipés de modems auxquels les techni- enchères en ligne. La branche commer- attaquant envoie alors à un ingénieur de
ciens peuvent se connecter. Or il n’est ciale d’une compagnie doit recevoir en la centrale électrique un message, qui va
pas difficile de trouver ces numéros. Les
pirates ont inventé depuis longtemps
des programmes pour composer tous les
numéros de téléphone d’un central télé- AT TAQU E S IN FOR M ATIQU E S, D É G Â T S PH YSIQU E S
phonique et repérer ceux auxquels un
modem répond. Quand cela est combiné À mesure que l’on relie les machines industrielles au réseau Avril 2000
Internet, le potentiel de nuisance des pirates augmente. Les Un ancien employé
à une faible protection, comme des mots attaques recensées ces dix dernières années montrent que mécontent
de passe bien connus ou pas de mot de le réseau électrique n’est pas le seul point faible : tout ce qui d’une entreprise
passe du tout, un attaquant peut utiliser comporte un circuit intégré peut être pris pour cible. de traitement de l’eau
ces modems pour s’introduire dans le vole des composants
réseau d’un poste électrique. De là, il pour- radio et les utilise pour
rait configurer les disjoncteurs de façon à envoyer de fausses
instructions
ce qu’ils passent outre une situation dan-
aux équipements des
gereuse, au lieu d’ouvrir le circuit. égouts du Queensland,
Les nouveaux systèmes ne sont pas en Australie. Plus
plus sûrs. De plus en plus, les dispositifs de 750 000 litres
déployés dans les postes électriques com- d’eaux usées sont
muniquent entre eux par ondes radio à fai- déversées dans
ble puissance. Celles-ci ne s’arrêtent les parcs et les rivières
du secteur.
cependant pas aux murs du poste électri-
que. Un pirate peut s’introduire dans le
réseau en se cachant dans les parages avec
son ordinateur. Les réseaux Wi-Fi cryptés
sont plus sûrs, mais un attaquant compé-
tent peut quand même casser le cryptage
La centrale nucléaire de Davis-Besse (Ohio, États-Unis).
avec des logiciels faciles à se procurer. 2000 2001
De là, il pourrait lancer une « attaque de
inciter l’ingénieur à télécharger le manuel heurtée. Quelques secondes plus tard, la Une station est souvent responsable du
piégé. Ce faisant, l’ingénieur ouvre invo- pièce était envahie de fumée. suivi de centaines de postes.
lontairement les portes de sa centrale au Les systèmes industriels peuvent aussi La communication entre les stations
cheval de Troie. Une fois que le fichier cor- tomber en panne quand ils sont poussés de contrôle et les postes électriques utilise
rompu se trouve à l’intérieur, l’attaque pro- au-delà de leurs limites. Des centrifugeu- des protocoles spécialisés qui peuvent eux-
prement dite peut commencer. ses qui tournent trop vite se désintègrent. mêmes être vulnérables. Si un intrus par-
Un attaquant pourrait faire en sorte qu’un vient à lancer une attaque de l’homme
Désynchroniser, générateur électrique produise une tension
supérieure à ce que les lignes de transport
du milieu, il peut insérer un message dans
un échange ou corrompre un message exis-
surcharger, ralentir peuvent supporter. La puissance excé- tant, voire simplement injecter un mes-
Un programme malveillant qui a réussi dentaire serait alors évacuée sous forme de sage correctement formaté, mais hors
à s’introduire dans un réseau de contrôle chaleur, entraînant l’affaissement de la ligne, contexte, pour induire une défaillance d’un
peut émettre des instructions aux consé- voire sa fusion. Si des lignes affaissées ordinateur à l’une ou l’autre extrémité.
quences dévastatrices. En 2007, le Dépar- entrent en contact avec quoi que ce soit, cela Une autre stratégie est de retarder les
tement de la Sécurité intérieure des peut créer un énorme court-circuit. Des messages transitant entre les stations de
États-Unis a simulé une cyberattaque au relais de protection sont prévus pour empê- contrôle et les postes électriques. D’ordi-
Laboratoire national de l’Idaho. Au cours cher de tels courts-circuits, mais une cyber- naire, le délai entre la mesure du courant
de cet exercice, nommé Aurora, un ingé- attaque pourrait également modifier le dans un poste et la réaction par la station
nieur jouant le rôle de pirate s’est frayé fonctionnement de ces relais, de façon à de contrôle est court (sinon, cela revient
un chemin jusque dans un réseau connecté infliger des dégâts. En outre, l’attaque pour- à conduire une voiture en regardant là
à un générateur de taille moyenne. rait aussi modifier l’information envoyée où vous étiez il y a dix secondes!). Le man-
Comme tous les générateurs, il produit à la station de contrôle, empêchant les opé- que de données sur la situation en temps
du courant alternatif. L’attaquant a émis rateurs de remarquer qu’il y a un problème, réel du réseau était en partie responsable
une rapide séquence d’instructions mar- comme dans ces films où les cambrioleurs de l’immense panne de courant qui a
che/arrêt aux disjoncteurs d’un généra- envoient au gardien des images de vidéo- frappé l’Amérique du Nord en 2003.
teur test du Laboratoire, qui ont eu pour surveillance truquées. Pour la plupart de ces attaques, nul
effet de le désynchroniser par rapport Les stations de contrôle elles aussi sont besoin de logiciel sophistiqué comme Stux-
au courant alternatif du réseau. À «contre- vulnérables aux attaques. Les personnels net : la boîte à outils du pirate de base
courant » du réseau, le générateur n’a pas en salle d’opérations suivent sur écran suffit. Par exemple, des pirates prennent
résisté longtemps : une vidéo aujourd’hui les données transmises par les postes élec- fréquemment le contrôle de milliers d’or-
déclassifiée montre l’énorme machine triques, puis émettent des instructions pour dinateurs de bureau auxquels ils font faire
d’acier tremblant comme si un train l’avait en modifier les paramètres de contrôle. ce qu’ils veulent, formant un réseau de
2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011
« machines zombies », ou botnet. Le type d’ordinateurs. Un tel botnet pourrait inté- de ses logiciels, elle fournit un correctif.
le plus simple d’attaque par botnet consiste grer des ordinateurs des postes électri- Les utilisateurs du monde entier téléchar-
à inonder un site Internet de messages ques, et son contrôleur pourrait alors gent ce correctif, mettent à jour leur logi-
quelconques pour ralentir ou bloquer la leur faire exécuter simultanément telle ou ciel et se protègent ainsi de la menace.
circulation de l’information. Ces atta- telle instruction. D’après le Département Malheureusement, les choses ne sont pas
ques par «déni de service» pourraient être de l’Énergie des États-Unis, la mise hors aussi simples sur le réseau électrique.
utilisées pour ralentir le trafic entre les pos- service de 200 postes de transmission Même si le réseau électrique utilise du
tes électriques et les stations de contrôle. soigneusement choisis, soit deux pour cent matériel et des logiciels grand public, les
Des botnets pourraient également s’im- du total, mettrait à genoux 60 pour cent responsables informatiques des centra-
planter au sein même des ordinateurs du du réseau électrique. les électriques ne peuvent pas simplement
réseau de postes électriques. En 2009, le Quand une entreprise comme Micro- corriger les logiciels défectueux quand des
botnet Conficker avait investi dix millions soft a connaissance d’une faille de sécurité failles se révèlent. Les systèmes de contrôle
Voie de communication
(connexion Internet ou
lignes téléphoniques)
Botnet Ville
Lignes électriques
Poste de distribution
Dernière étape avant que
Station de contrôle l’électricité ne parvienne
Poste de transmission Centres névralgiques du réseau électrique, les aux particuliers et aux entreprises,
Le courant livré par les centrales stations de contrôle surveillent l’ensemble des ces postes peuvent combiner
électriques est à très haute tension, afin conditions de fonctionnement. C’est également le courant provenant de plusieurs
de limiter les pertes d’énergie durant là qu’est gérée l’adéquation entre l’offre et la centrales différentes et l’envoyer
le transport, dues à la résistance demande. Quand la demande augmente, une sur des centaines de lignes plus
électrique. Les postes de transmission entreprise mobilise plus de capacité de petites. Les stations les plus
sont la première étape pour abaisser production pour répondre aux besoins. Bien que récentes sont parfois équipées
cette tension. De nombreux postes parmi la salle d’opérations d’une station de contrôle ne de dispositifs de communication
les plus anciens sont équipés de modems soit pas censée être raccordée à Internet, la radio ou Wi-Fi. Un intrus qui
auxquels les techniciens se connectent branche commerciale de la compagnie l’est. Un se cache à proximité du poste
pourrait intercepter les échanges
George Retseck
pour effectuer la maintenance. Des pirates pirate peut s’infiltrer dans le réseau commercial
peuvent les utiliser pour accéder et passer dans le réseau d’exploitation pour et leur substituer des instructions
aux réglages sensibles et les modifier. attaquer des systèmes de contrôle critiques. illégitimes.
du réseau ne peuvent pas être arrêtés pour feu d’une entreprise. Il a d’ores et déjà L’ A U T E U R
maintenance ne serait-ce que quelques permis d’identifier un certain nombre de
heures par semaine : ils doivent fonction- chemins d’accès inconnus ou tombés
ner en permanence. Les opérateurs sont dans l’oubli, que des attaquants auraient
aussi assez conservateurs. Les réseaux pu exploiter.
de contrôle sont en place depuis long- Le Département américain de l’Éner-
temps, et les opérateurs ont leurs routines gie a établi une feuille de route pour ren-
qui ont fait leurs preuves. Ils se méfient de forcer la sécurité du réseau d’ici à 2020.
tout ce qui risquerait de menacer la dis- L’un des buts est de mettre au point un
ponibilité ou d’interférer avec l’exploita- système qui reconnaît une tentative d’in-
tion normale. trusion et qui y réagit automatiquement. David NICOL est professeur
Cela bloquerait un virus de type Stuxnet au Département de génie
électrique et informatique
Sécuriser le réseau dès sa sortie de la clef USB. Mais com-
ment un système d’exploitation peut-il
de l’Université de l’Illinois
à Urbana-Champaign,
d’ici 2020 savoir à quels programmes faire confiance? aux États-Unis. Il est aussi
directeur de l’Information Trust
Le NERC (North American Electric Reliabi- Une solution serait d’utiliser une tech- Institute de cette université.
lity Corporation), un organisme de tutelle nique cryptographique appelée fonc-
des opérateurs du réseau américain, a édicté tion de hachage à sens unique. Une
un ensemble de normes destinées à proté-
ger l’infrastructure face à un danger clair
et immédiat. Les entreprises de service LA MISE HORS SERVICE DE 200 POSTES DE TRANSMISSION
public doivent maintenant identifier leurs bien choisis, soit deux pour cent du total, mettrait
dispositifs critiques et faire la preuve auprès
d’auditeurs nommés par le NERC qu’ils sont
à genoux 60 pour cent du réseau électrique américain.
capables de les protéger des intrusions.
Mais les audits de sécurité, comme les fonction de hachage prend un nombre
audits financiers, ne sont jamais exhaus- immensément grand, par exemple le nom-
BIBLIOGRAPHIE
tifs. Les détails techniques audités ne sont bre de 0 et de 1 d’un fichier informatique, J.-Y. Marion et M. Kaczmarek,
qu’une sélection de points, et la confor- et le convertit en un nombre beaucoup Boulevard du cybercrime,
Dossier Pour la Science n °66,
mité se limite à ce que l’auditeur voit. plus petit, qui joue le rôle de signature. janvier-mars 2010,
La stratégie de protection la plus cou- Il est très improbable que deux program- www.pourlascience.fr/
rante consiste à dresser une sorte de ligne mes différents et assez longs aient la u.php?s=cybercrime
Maginot électronique. La première ligne même signature. Imaginez que chaque
J. Eisenhauer et al., Roadmap
de défense est un « pare-feu », un disposi- programme qui veut s’exécuter sur un to secure control systems
tif à travers lequel passent tous les messa- système doive d’abord passer par la fonc- in the energy sector, Energetics
ges électroniques. Chaque message possède tion de hachage. Sa signature est alors Incorporated, janvier 2006.
un en-tête indiquant d’où il vient, où il vérifiée par comparaison avec une liste www.oe.energy.gov/
csroadmap.htm
va, et le protocole utilisé pour l’interpré- de référence. Si elle ne correspond pas,
ter. Sur la base de ces informations, le pare- l’attaque s’arrête là. D. Geer, Security of critical control
feu laisse passer certains messages et en Le Département de l’Énergie recom- systems sparks concern, IEEE
Computer, vol. 39, n°1, pp. 20-23,
bloque d’autres. Les agences de certifica- mande également d’autres mesures de janvier 2006.
tion doivent s’assurer que les centaines sécurité, comme des vérifications de sécu-
ou les milliers de pare-feu d’un site sensi- rité physiques aux postes de travail des Trustworthy Cyber Infrastructure
for the Power Grid, projet
ble sont correctement configurés. Pour ce opérateurs (des puces radio dans les bad- interuniversitaire financé
faire, ils identifient quelques éléments ges d’identification, par exemple). Il sou- par le Département américain
critiques, se procurent les fichiers de confi- ligne également le besoin d’exercer un de l’Énergie : www.tcipg.org
guration du pare-feu et essayent de déter- contrôle plus strict sur les communica-
What Is the Electric Grid, and
miner manuellement comment un pirate tions entre les dispositifs à l’intérieur What Are Some Challenges It
traverserait le pare-feu. du réseau électrique. La démonstration Faces?, Département américain
Mais les pare-feu sont tellement com- Aurora impliquait un programme mal- de l’Énergie, www.eia.doe.gov/
energy_in_brief/power_grid.cfm
plexes qu’il est difficile d’examiner la veillant qui faisait croire au dispositif
multitude de possibilités. Des outils auto- de contrôle du générateur qu’il envoyait
matisés seraient utiles. Notre équipe de des instructions fiables... SUR LE WEB
l’Université de l’Illinois à Urbana-Cham- Ces mesures nécessiteront du temps,
paign a développé le Network Access Policy de l’argent et des efforts, mais elles en Le portail gouvernemental français
sur la sécurité informatique :
Tool, aujourd’hui utilisé par des entrepri- valent la peine. Si nous voulons sécuriser http://www.ssi.gouv.fr/
ses de service public et des équipes d’éva- le réseau électrique d’ici 2020, il va falloir
luation. Ce logiciel libre n’a besoin que accélérer le rythme. En espérant que d’ici La vidéo de l'exercice Aurora :
http://bit.ly/pls407-video-aurora
des fichiers de configuration des pare- là, il n’arrive rien de fâcheux. I
Histoire de la médecine
REGARDS
HISTOIRE DES SCIENCES
L’affaire de la gale :
histoire d’un concept scientifique
Au XIXe siècle, les médecins accusent un jeune docteur en médecine d’avoir falsifié
ses travaux pour prouver l’existence du parasite de la gale. Leur argumentation révèle
tous les obstacles qui les empêchaient d’envisager cette idée.
Danièle GHESQUIER-POURCIN
C
omment les concepts scien- est en présence dans un ordre déterminé. aussi la seule façon de définir la maladie au
tifiques se construisent-ils ? C’est ce que nous enseigne l’étude archéo- moyen d’une propriété qui lui était spécifique.
Selon l’idée la plus répandue, logique des nombreuses strates qui consti- L’histoire de la gale humaine analysée
leur marche est linéaire et sa tuent le concept, comme nous allons le ici inclut une affaire de fraude scientifique
vitesse est fonction du nombre d’indivi- voir ici sur un exemple représentatif de cette supposée qui n’a jamais été élucidée. Au tra-
dus qui se penchent sur le problème et du marche de la science : l’histoire de la mala- vers de cette «affaire de la gale», que nous
temps qu’ils lui consacrent. On croit aussi die, plus précisément d’une « maladie spé- tenterons de clarifier, se dessinera l’itinéraire
généralement qu’une découverte est le fait cifique », la gale humaine. des idées qui constituent le concept de gale
d’un seul individu : Flemming a découvert et celui de maladie spécifique en général.
la pénicilline, Einstein la relativité, Darwin Le sarcopte de Galès : L’affaire de la gale est d’habitude présentée
le phénomène d’évolution et Pasteur le vac- comme une fraude scientifique qui aurait été
cin contre la rage. Ces croyances sont une imposture ? commise, en 1812, par un étudiant nommé
fausses. Il suffit d’examiner l’histoire d’une Parmi les différents types de maladies Jean-Chrysanthe Galès (1783-1854) pour
découverte prise au hasard pour s’en per- connus aujourd’hui – maladies spécifiques, sa thèse de médecine, sous la direction du
suader. La marche des idées n’est pas linéaire. de carence, génétiques, etc. –, la maladie médecin-chef de l’hôpital Saint-Louis de Paris,
Les concepts se construisent au gré de nom- spécifique, pathologie due à un agent externe Jean-Louis Alibert, spécialiste des maladies
breux retours en arrière et d’apports par des « vivant » tel qu’un parasite, une bactérie de peau. Elle a été racontée de nombreuses
voies indirectes, insoupçonnées aupara- ou un virus, fut la première à être éluci- fois, sans qu’aucune voix se soit jamais éle-
vant, car la diversité est le seul artisan de dée. Ce type de maladie offrait plusieurs vée pour défendre Galès, dont la culpabilité
la progression du savoir. énigmes à résoudre : l’essence de la mala- n’a pourtant jamais été démontrée.
De plus, l’ordre des composants de la die, le rôle de l’animal, les conditions de sa La gale est caractérisée par de violentes
chaîne des idées qui forment le concept pénétration dans l’organisme-hôte, son démangeaisons, des boutons et des croûtes
est important : par exemple, on ne pouvait mode d’action dans le déclenchement de la sur la peau. Aujourd’hui, on sait que la déman-
expliquer le phénomène d’évolution sans maladie, son mode de vie à l’intérieur du geaison est due à un arthropode de l’ordre
reconnaître auparavant l’influence du milieu. corps malade, les mécanismes de la conta- des acariens, le sarcopte. Ce parasite creuse
Enfin, si l’on associe une découverte à une gion et ceux mis en jeu physiologique- des sillons dans le derme afin d’y déposer ses
seule personne, c’est parce que l’on porte ment pour se débarrasser de l’intrus, les œufs, sectionnant à la fois le derme et les
une attention particulière à celui qui sait ras- thérapeutiques susceptibles d’aider le petits vaisseaux qu’il trouve sur son chemin
sembler les idées pour reconstituer le malade à recouvrer la santé. (voir la figure 1). Le tissu réagit en formant
concept. D’où viennent ces idées ? Sou- Une de ces interrogations était primor- de petites vésicules remplies d’un liquide
vent de loin, apportées par d’autres indivi- diale : quelle était la cause de la maladie ? séreux transparent, fait de fragments cellu-
dus qui ont une part dans la construction du La réponse à cette question conditionnait laires et d’un peu de sang. Si la gale n’est pas
concept, bien que celle-ci reste ignorée. En celles à toutes les autres questions, en par- soignée, ces vésicules grossissent et se rem-
d’autres termes, le savoir est une construc- ticulier celles relatives à la thérapeutique qui, plissent de pus, devenant des pustules. Au
tion collective qui ne se concrétise que dans la maladie spécifique, se confond début du XIXe siècle, les patients traités pour
lorsque le nombre d’éléments nécessaires avec la destruction de la cause. La cause était la gale dans les hôpitaux parisiens se trou-
Regards
© Visuals Unlimited/Corbis
(voir la figure 2). Galès aurait donc falsifié
ses expériences en montrant à son jury la
mite de la farine, qu’il est facile de se procu-
rer, au lieu du sarcopte de la gale.
Il fallut attendre 1834, soit 22 ans, pour
que Simon-François Renucci, un autre étu- Ce qui vient à l’esprit en lisant cette accu- 1. LE SARCOPTE DE LA GALE HUMAINE, ici
diant en médecine et élève d’Alibert, retrouve sation, c’est que la gale était une maladie observé en microscopie électronique à balayage,
le sarcopte dans les sillons creusés par le mal connue à l’époque de la thèse de Galès est un arachnide de l’ordre des acariens. Si ce
parasite dans la peau des galeux. Cette redé- et que celui-ci n’a pas fraudé volontaire- parasite a été observé et décrit plusieurs fois
entre les XIIe et XIXe siècles, il ne fut accepté
couverte était très tardive pour une raison ment, mais a confondu les deux mites sous comme cause de la maladie qu’en 1834.
simple : personne avant Renucci n’avait eu le microscope. Que savait-on de la gale et du
l’idée d’explorer les sillons, car on recherchait sarcopte en 1812? La lecture de la littérature
en vain le sarcopte dans les vésicules ou médicale et populaire sur la gale détrompe
les pustules galeuses. immédiatement le lecteur conciliant.
On connaissait la gale et les habitudes du L’ A U T E U R
sarcopte depuis longtemps : un médecin
D’autres l’avaient vu anglais, Thomas Moffett, avait écrit en 1634
La localisation de l’acarien dans les sillons que l’animal vivait dans les sillons et non dans
accentua les soupçons portés sur Galès, car les pustules. On connaissait le mécanisme
on pensait que celui-ci avait trouvé le sarcopte de contagion : il avait été expliqué en 1687,
dans les pustules de gale où, d’évidence, il ne soit plus de 100 ans avant la thèse de Galès,
se trouvait pas. En fait, Galès n’avait exploré par un médecin italien, Giovanni Bonomo, qui
que les vésicules «naissantes» qui, contrai- avait trouvé le sarcopte dans les vésicules de
rement aux pustules (tardives), contiennent gale. Et il était notoire dans le milieu médical
parfois le sarcopte; mais ses contemporains que le naturaliste suédois Carl von Linné avait Danièle GHESQUIER-POURCIN
est chargée de recherche
n’ont pas prêté attention à ce détail. confondu le «ciron» (le sarcopte) de la gale à l’INSERM et travaille
Ainsi, à partir de 1834, deux indices font et la mite de la farine en les classant comme au sein de l’Unité REHSEIS
de Galès un coupable: les dessins de sa thèse, deux variétés d’une même espèce. du CNRS/Université Paris VII.
qui représentent la mite de la farine, et la loca- Ces faits suscitent plusieurs interroga-
lisation du sarcopte, qu’on ne retrouve pas tions: si l’on savait tout de la gale au début du
dans les pustules. XIXe siècle, pourquoi Galès a-t-il dû refaire la
Regards
démonstration pour sa thèse? La cause de parasites étaient des animaux qui naissaient rement associée à une maladie spécifique
la gale avait-elle été oubliée et, dans ce cas, spontanément dans d’autres animaux, créés n’existait pas encore. Jusqu’au milieu du
pourquoi? Les conditions d’expérimentation par les humeurs viciées de la maladie. Cet XIXe siècle, les médecins expliquaient une
concernant l’identification du sarcopte avaient- obstacle épistémologique provient de ce maladie spécifique par un ensemble de
elles changé à ce point, pour que l’on ait repro- que Bachelard nomme la difficulté à remettre causes suffisantes. C’est le troisième obs-
ché à Galès une faute pardonnée à Linné ? en question les théories admises sans se tacle pour l’acare de la gale : l’animal n’était
Si Bonomo, premier découvreur du rôle du sar- sentir irrespectueux et prétentieux. Car la qu’une des causes de la maladie, une des
copte, avait trouvé celui-ci dans les vésicules définition d’Aristote avait créé des habitudes causes de la contagion.
de gale, comment a-t-on pu reprocher à Galès de pensée qui rendaient toute autre expli- En outre – quatrième obstacle –, il n’y
d’en avoir fait autant? Enfin, pourquoi les cher- cation impossible: l’existence de l’acare était avait aucune spécificité entre une cause et
cheurs de sarcoptes continuaient-ils obsti- ainsi liée à la théorie de la génération spon- son effet. Parce que l’on croyait que les causes
nément, après la thèse de Galès, à rechercher tanée, c’est-à-dire l’apparition d’organismes de maladies étaient nombreuses, la même
l’animal dans les vésicules ou les pustules de vivants dépourvus de parents, qui fut accep- cause de maladie pouvait conduire à plusieurs
gale, au lieu de le faire dans les sillons? tée jusqu’aux travaux de Pasteur. Ainsi, effets, spéciaux ou typiques suivant les lieux,
Nous avons tenté de répondre à ces ques- les événements ou les tendances organiques
tions en montrant que c’est l’évolution des rencontrées. Ainsi, jusqu’à ce que le concept
idées scientifiques – non seulement entre de cause nécessaire soit établi, l’acare de la
1812 et 1834, mais aussi durant les sept gale n’avait aucune chance de jouer un rôle
siècles séparant les premières observations important dans la genèse de la maladie.
du sarcopte (nommé aussi ciron ou acare) de Le cinquième obstacle prit son impor-
son association définitive avec la gale – qui tance seulement vers 1820, lorsque, sous
a fait apparaître et disparaître l’animal selon l’influence des hygiénistes, on expliqua la
J.-C. Galès, Essai sur le diagnostic de la gale, 1812
que le milieu médical croyait ou non à son transmission de la maladie par les miasmes
existence et à son rôle dans la maladie. de l’environnement. On réserva alors le nom
de maladie contagieuse à un petit nombre
La maladie de maladies telles que la variole, dont les
épidémies étaient fréquentes jusqu’à la fin
a-t-elle une cause du XVIIIe siècle. Les critères de la maladie
ou plusieurs? contagieuse devinrent très stricts : conta-
gion par les croûtes et les pustules, exan-
Dès que l’acare apparut dans la gale, au 2. LE DESSIN DU SARCOPTE de la gale publié thème, prurit, infection par le contact et
XIIe siècle, la signification de son rôle fut par Jean-Chrysanthe Galès dans sa thèse en1812, protection par inoculation. La gale remplis-
confrontée à une série d’« obstacles épis- «fait d’après nature par M.Meunier, peintre d’his- sait tous ces critères. Cette ressemblance
témologiques», selon le terme du philosophe toire naturelle». L’animal, long de 0,5millimètre, entre la variole et la gale constitua le cin-
Gaston Bachelard. Il s’agit des barrages intel- est représenté adulte (1, 2, 3), jeune (4) et quième obstacle pour l’acare de la gale.
lectuels, présents chez un individu, qui s’op- mort (5) aux côtés de ses œufs présumés (6) C’est à partir de ce moment que les pus-
et d’une pustule de gale « mise à découvert par
posent à l’évolution de sa pensée, soit parce l’enlèvement de l’épiderme » (7). tules de gale prirent de l’importance, qu’Ali-
qu’ils appartiennent à des théories anciennes bert nomma la gale psoris pustulosa et que
en contradiction avec les faits présents, soit en 1834, appelé comme expert en micro- les chercheurs de sarcoptes, y compris Ras-
parce qu’ils s’opposent au style de pensée scopie, le chimiste François-Vincent Raspail pail, traquèrent l’animal dans les pustules
de l’individu concerné. pense que le sarcopte peut être le para- de gale. C’est le modèle de la variole qui
Le premier obstacle rencontré par l’acare site de la gale au lieu d’être « son arti- apporta la confusion entre vésicules et pus-
fut la théorie humorale. Selon cette théorie san ». Cette accessoirité de l’acare dans la tules et qui fit disparaître l’acare après la
d’origine grecque et admise par la médecine gale explique pourquoi il fut absent de la thèse de Galès. Cet obstacle épistémolo-
arabe, la maladie n’était pas due à l’acare, pensée médicale jusqu’au XVIIe siècle. gique correspond au besoin d’uniformiser
mais aux humeurs corrompues qui créaient Au XVIIe siècle, l’intérêt pour les ani- les principes, les méthodes et les phéno-
un déséquilibre. Pour guérir la maladie, il maux microscopiques a fait apparaître l’acare mènes en science dans une recherche de
était nécessaire de rétablir l’équilibre des dans le champ scientifique. Le concept de simplification. Mais la science ne répond
humeurs. L’acare était, en quelque sorte, parasite était attaqué pour la première fois. pas à cette uniformité.
un effet secondaire. Toutefois, on n’envisageait pas pour autant Après la thèse de Galès, quand la gale fut
Le deuxième obstacle est lié au premier: l’animal comme étant la cause de la gale. Le considérée spécifique seulement si elle res-
selon la définition donnée par Aristote, les concept d’une cause spécifique nécessai- semblait précisément au modèle de la variole,
Regards
REGARDS
Le principe de Peter
La différence entre un texte humoristique et des travaux universitaires
sérieux est parfois mince. Le principe de Peter est l’exemple même
d’une loi dont le statut reste incertain.
Jean-Paul DELAHAYE
V
ous prenez dix dés, vous les Peter est l’explication correcte ? Comment la productivité baisse inexorablement au
lancez. Vous relancez ceux qui aussi organiser la gestion du personnel et cours du temps alors qu’augmente l’incom-
n’ont pas donné 1 jusqu’à ce les promotions d’une structure hiérarchique pétence moyenne dans les hiérarchies pra-
que tous les dés donnent 1. pour contrer et annuler ses éventuels effets? tiquant la promotion interne au mérite. Bien
Un moment viendra où chaque dé mon- Plusieurs catégories de travaux sérieux sûr, les mises en équations simplifient la réa-
trera 1. Cette évidence appliquée au pro- sur le principe de Peter ont été menées dans lité des organisations hiérarchiques et il est
blème de la promotion dans les entreprises de nombreuses disciplines: économie, socio- souvent possible de compliquer les modèles
conduit au principe de Peter. Si, à chaque logie, psychologie, management, théorie en ajoutant quelques paramètres supplé-
fois qu’un employé remplit correctement sa des jeux, sciences politiques et, plus éton- mentaires qui amènent alors à des conclu-
fonction, on le promeut à un poste où il aura nant, en physique, informatique et biologie. sions... opposées à celles du modèle initial.
à faire une tâche différente, alors arrivera La baisse de productivité constatée chez
un moment où l’employé occupera une fonc- Intrépide recherche les sujets qui viennent de bénéficier d’une
tion où il fera mal son travail ; il n’aura promotion ne résulte-t-elle pas de la régres-
alors plus de promotion et restera dans universitaire sion vers la moyenne? Le phénomène a été
cet emploi mal adapté. Il y a d’abord les études concrètes : dans observé par le Britannique Francis Galton,
Exprimé avec le langage de l’Améri- une entreprise sélectionnée, on mesure à au XIXe siècle, à propos de la comparaison
cain Laurence Peter (1919-1990) : dans une coup de pourcentages et de courbes syn- entre les tailles des parents et des enfants
hiérarchie, toute personne finit par atteindre thétiques tirées des statistiques disponibles (les enfants des géants sont plus petits que
son niveau d’incompétence. De ce prin- si les effets du principe de Peter sur la pro- leurs parents, les enfants des nains sont plus
cipe de Peter découlent deux corollaires : ductivité sont patents. C’est ainsi qu’on a grands). L’efficacité d’un employé occupant
– plus le temps passe, plus grande est pu établir que la productivité scientifique une fonction où il vient d’être promu est sta-
la proportion de postes occupés par des des universitaires américains baisse à la tistiquement moins bonne que sa précédente
incompétents. suite de leur recrutement ferme (la célèbre efficacité, puisque, justement, il a obtenu une
– la charge de travail des personnes tenure)... mais que ce n’est pas général, promotion du fait qu’il était efficace. En s’ap-
compétentes ne cesse de croître. comme le montre une étude de Mareva Saba- prochant maintenant de la moyenne, ce qui
Si le livre de Peter coécrit avec Raymond tier publiée en 2009 à propos des promo- est statistiquement inévitable, l’efficacité
Hull (paru en 1969) fut un succès mon- tions dans les universités françaises. baisse. Pour certains chercheurs, c’est la rai-
dial, c’est sans doute dû à ce double aspect Le deuxième type de travaux est celui son unique du principe de Peter.
de sa thèse centrale : elle apparaît parfai- des études à bases mathématiques. Il se Les expériences en laboratoire consti-
tement logique, mais, bien sûr, elle ne fonde sur des modèles à équations conti- tuent une troisième méthode d’étude. On
peut pas être vraie... ce serait absurde. nues où les variables sont des nombres réels, prend des sujets humains et on reproduit
Peter expliquait dans son livre que si et où, comme on le fait en économie et en artificiellement une situation de promotion
« tout va toujours mal » (sous-titre de physique, sont introduits des paramètres en demandant aux personnes participant
l’ouvrage de 1969), c’est parce que rien ne globaux (productivité de l’entreprise, apti- à l’expérience de se comporter comme elles
peut s’opposer à son implacable logique. tude des agents, difficulté des tâches, etc.) le feraient dans la réalité. Pour que les déci-
Comment y voir clair ? Comment éva- et leurs relations. Devenus équations et réso- sions prises par les sujets le soient sérieu-
luer l’impact réel des cas où le principe de lus, ces modèles montrent ce qu’on craignait: sement et que leurs efforts pour réussir
Regards
1. Le p r i n c i p e d e Pe te r s e ma n i f este
e principe de Laurence Peter est une maxime humoristique : « Dans Le management est une science étrange où, heureusement, l’humour
L une hiérarchie, tout employé tend à s’élever jusqu’à atteindre son
niveau d’incompétence. » Il semble résulter d’une logique imparable et,
permet de ne pas prendre trop au sérieux les modes aux conséquences
parfois désastreuses, créées et promues par des gourous pas toujours
parmi ses corollaires, il y a : « Avec le temps, tout poste est occupé par conscients des subtiles réalités humaines et des spécificités nationales
une personne incapable d’en remplir les fonctions. » non négligeables.
Jean-Michel Thiriet
La question est posée : comment repérer les incompétents ? Une jour- Le principe de Peter est un exemple d’affirmation dont la vérité semble
naliste, Anne Steiger, a proposé les critères suivants. incontestable alors qu’en même temps, il ridiculise le monde social qu’il
(1) Sa force : déléguer. Il aime se présenter comme le chef d’or- décrit. Vivons-nous dans un monde absurde ?
chestre de son équipe. D’autres lois du même type ont été proposées pour nous faire rire...
(2) Il brasse de l’air, fait beaucoup de bruit, affirme à qui veut bien et réfléchir.
le croire qu’il est très occupé. « Quand un dispositif fonctionne bien, on l’utilise au-delà de ce
(3) Dans les couloirs, il marche vite et a toujours l’air préoccupé. pour quoi il était prévu, et cela jusqu’à ce qu’il ne fonctionne plus » (dû
(4) Si, pour lui, l’erreur est humaine, l’attribuer à quelqu’un d’autre à William Corcoran, un spécialiste américain de sûreté nucléaire).
que lui est encore plus humain. « Un logiciel informatique qui donne satisfaction tend à se dévelop-
(5) Quoi qu’il arrive, l’incompétent s’efforce de faire comme si tout per et à se perfectionner jusqu’au point où plus personne n’en maîtrise
avait été prévu. la complexité... et le fonctionnement. »
(6) Aimable avec ses supérieurs hiérarchiques, il se plaît à humilier « Les employés incompétents sont directement promus aux fonctions
ses subordonnés, particulièrement ceux dont il a le plus besoin. de management, sans nécessairement avoir été compétents à aucun
(7) Friand des relations de pouvoir, il rappelle quotidiennement à poste » (loi de Dilbert du dessinateur de BD américain Scott Adams).
ses subordonnés qu’ils lui sont... subordonnés. « Le travail s’étale de façon à occuper tout le temps disponible pour
(8) Il détruit toute preuve de son échec quand il ne réussit pas. son achèvement » (loi de Parkinson, de l’historien et essayiste britannique
(9) Pour communiquer ses ordres, il use et abuse des Post-it, des cour- Cyril Parkinson).
riels et des notes de service pour mettre de la distance et éviter les face- «Les personnes aux capacités limitées formulent des conclusions fausses
à-face. et prennent de mauvaises décisions, mais leur incompétence limite aussi
(10) En réunion, il s’efforce d’avoir toujours le dernier mot, quitte à leur aptitude d’analyse critique et elles ne peuvent donc ni voir, ni com-
s’attribuer ce qui vient d’être dit. prendre, ni corriger leurs erreurs» (effet de biais cognitif Dunning-Kruger).
Regards
soient réels, ils sont rémunérés à la fin de fera coïncider l’intérêt de l’entreprise et celui
2. Le phytoplancton l’expérience en fonction de leur succès. Là de ses salariés : les promus ne deviennent
ême dans la nature, le principe de aussi, le protocole (c’est-à-dire la descrip- pas incompétents.
M Peter semble jouer un rôle. La com-
pétition entre les espèces de phytoplanc-
tion du jeu auquel on invite les sujets à jouer) – Une pratique, mise en œuvre depuis
est souvent très simplifié par rapport à la longtemps dans l’armée, limite le temps
ton, dont le grand nombre est depuis réalité, et les résultats obtenus n’ont qu’une qu’un militaire reste à un niveau donné de
longtemps apparu paradoxal, est difficile portée limitée. la hiérarchie et, s’il n’est pas promu à temps,
à comprendre. En 2009, William Durham Enfin, plus récemment, on a eu recours l’armée s’en débarrasse pour qu’il ne stagne
et ses collègues, aux États-Unis, ont iden- à des études informatiques fondées sur pas à son niveau d’incompétence.
tifié un étrange mécanisme expliquant en ce que l’on dénomme des simulations multi- L’outil de la simulation multi-agents mis
partie cette grande variété d’espèces, et
agents. Nous y reviendrons, car elles condui- en œuvre récemment pour étudier le prin-
qui semble un cas remarquable de principe
sent à des conclusions nouvelles et éton- cipe de Peter vient de produire des résul-
de Peter dans le monde biologique.
nantes. Résumons d’abord les conclusions tats contre-intuitifs, et nous allons présenter
classiques auxquelles le travail universi- le modèle utilisé.
taire avait déjà conduit. Les travaux ont été réalisés par une
Certains travaux contestent le principe équipe de trois physiciens de l’Université
de Peter : non, il n’est pas toujours exact que de Catane, en Sicile : Alessandro Pluchino,
les promotions internes au mérite produi- Andrea Rapisarda et Cesare Garofalo. Leur
sent l’effet désastreux dénoncé, car les res- article, publié dans la revue Physica A, leur
ponsables lucides et attentifs le prennent a valu un prix Ig Nobel (à ne pas confondre
en compte pour décider des promotions. avec le prix Nobel attribué en Suède chaque
D’autres études concluent que le principe année). Selon les organisateurs du prix Ig
de Peter est vrai et ses effets mesurables, Nobel qui, en anglais, se prononce à peu
Sur la côte Ouest de l’Amérique du Nord, en particulier quand on pratique la méthode près comme ignoble : « Les prix Ig Nobel
un grand nombre d’espèces différentes de des modèles mathématiques. EdwardLazear, couronnent des prouesses qui font rire les
phytoplancton sont visibles dans les par-
de l’Université Stanford, affirme que l’effet gens au premier abord, et les font ensuite
ties les plus hautes de l’océan. Ces espèces
se réduit à celui de la régression vers la réfléchir. Ces prix ont pour but de rendre
sont disposées en couches parallèles hori-
moyenne, inévitable, et qu’il n’empêche pas hommage à l’originalité et à l’imagination,
zontales et peu épaisses, comme si l’es-
pèce de chaque couche était spécialement
que les promotions se fassent au mieux de ainsi que d’attiser l’intérêt des gens pour la
adaptée à une profondeur donnée. l’intérêt des entreprises. science, la médecine et la technologie. »
La plupart des espèces de ce phyto- Aussi farfelus que semblent parfois
les travaux récompensés par les Ig Nobel,
plancton sont mobiles. La capacité à se Limiter les dégâts il ne s’agit pas uniquement de canulars ou
mouvoir de couche en couche serait pour elles
un avantage, car cela faciliterait leur accès à Bien sûr, ceux qui concluent à l’existence de blagues de potache : André Geim, prix
la nourriture et à la lumière. Cependant, un réelle des effets du principe de Peter pro- Ig Nobel en 2000 pour la lévitation d’une
étrange phénomène se produit : cherchant à diguent des conseils (souvent de bon sens) grenouille, s’est vu ensuite décerner le
accéder à la surface, chaque micro-organisme pour limiter ses dégâts. prix Nobel (le vrai !) de physique en 2010
mobile monte jusqu’au niveau où les varia- – Former les gens et les tester pour s’as- pour ses recherches sur le graphène.
tions de courant créées par l’approche de la surer de leurs capacités avant de les pro- Dans notre cas, le côté inattendu des
surface déstabilisent son mécanisme d’orien- mouvoir dans de nouvelles fonctions. conclusions a valu le prix à l’étude italienne
tation et perturbe son mouvement. Ce der- – Limiter les promotions internes et sur le principe de Peter qui prouve que des
nier devient alors désordonné, l’empêchant
mettre les employés en concurrence avec promotions décidées au hasard ne seraient
de poursuivre vers la surface et le condam-
de nouvelles recrues provenant de l’exté- pas absurdes dans certaines organisations
nant alors à rester à une profondeur donnée
rieur ; il ne faut toutefois pas abuser de hiérarchiques. Notons que cette conclusion
qui n’est en rien avantageuse pour lui.
Tout se passe donc comme si chaque
ces recrutements exogènes qui démotive- suggérant d’utiliser l’arbitraire des tirages
organisme unicellulaire de ces espèces de raient des employés de l’entreprise toujours au sort n’est pas totalement opposée à l’une
phytoplancton progressait vers la surface écartés au profit de nouveaux venus. des conclusions formulées par Peter lui-
jusqu’à atteindre son « niveau d’incompé- – Augmenter les salaires, car c’est utile même : il a suggéré, pour éviter les effets
tence », où, bien que cela ne lui soit pas par- pour tirer le mieux de chacun, mais sans de son principe, d’exploiter arbitrairement
ticulièrement favorable, il reste bloqué, inapte nécessairement changer les fonctions de la structure de la société en classes, en pla-
à poursuivre son ascension. ceux que l’on augmente. Laisser les gens çant d’office en haut de la hiérarchie non
compétents exercer leurs talents à leur niveau pas les plus méritants, mais les membres
Regards
des classes les plus élevées de par leur nais- comportent 81 éléments pour le niveau 6 (le L’ A U T E U R
sance. Ce qui était un trait d’humour chez plus bas), 41 pour le niveau 5, 21 pour le
Peter est-il devenu une vérité prouvée par niveau 4, 11 pour le niveau 3, cinq pour le
la simulation numérique ? niveau 2 et un seul pour le niveau 1. Chaque
membre de la hiérarchie est caractérisé par
deux nombres: son niveau de compétence C
Le modèle de Catane dans l’emploi qu’il occupe dans la hiérarchie
Une structure hiérarchique de 160 personnes et son âge A. Le nombre C varie entre 1 et
est créée dans l’ordinateur en utilisant le lan- 10, le nombre A entre 18 et 60. Au début de
gage de programmation Netlogo et la la simulation, on choisit les âges et les
méthode multi-agents. Celle-ci consiste à niveaux de compétence de chaque agent en Jean-Paul DELAHAYE
est professeur à l’Université
définir des entités informatiques indépen- opérant un tirage au sort selon une loi nor- de Lille et chercheur
dantes qui interagissent comme le font dans male (la fameuse courbe en cloche) qui imite au Laboratoire d’informatique
la réalité les objets, les êtres vivants ou les raisonnablement une répartition réelle. fondamentale de Lille (LIFL).
humains, cela en limitant autant que pos- À chaque étape d’évolution de l’entre-
sible les décisions centralisées. L’autono- prise simulée, l’âge des employés est aug-
mie des agents de ces modèles en facilite menté d’une unité. Ceux qui ont atteint
la programmation, et en s’approchant du 60 ans sont éliminés. Sont aussi retirés les
monde réel qui est composé d’agents indé- employés dont le niveau de compétence
pendants, on accroît la taille des systèmes est inférieur à 4 (ils sont licenciés). Chaque
que l’on simule (avec parfois plusieurs mil- place ainsi libérée est alors occupée par
lions d’agents) tout en augmentant la fiabi- un employé du niveau en dessous ou par
lité et la pertinence des résultats obtenus. un nouveau venu quand il s’agit du niveau
Dans l’organisation pyramidale simulée le plus bas. Le niveau de compétence C
à Catane, il y a six niveaux hiérarchiques, qui et l’âge A des nouveaux recrutés sont
Regards
minés comme lors de la constitution de la Bien sûr, à chaque étape d’évolution lution du niveau général d’efficacité de l’en-
structure initiale. de la hiérarchie (étape qui simule une durée treprise qui, dans un premier temps, est soit
Pour déterminer la compétence d’un d’une année), les places libérées par une globalement croissant, soit globalement
employé qui monte d’un niveau, deux promotion provoquent une autre promotion, décroissant, puis qui reste approximative-
modèles ont été envisagés. Dans le premier ou un recrutement s’il s’agit du niveau le ment constant, subissant seulement de
modèle, on suit ce que les auteurs dénom- plus bas, et cela en cascade, jusqu’à ce faibles fluctuations, inévitables puisque
ment l’hypothèse de Peter : la compétence que tous les postes soient pourvus. les modèles font tous appel à de nombreux
dans la nouvelle fonction est indépen- Pour mesurer et comparer les effets des éléments aléatoires. Il n’y a pas de surprises
dante de la compétence dans l’ancienne et deux hypothèses et des trois méthodes de notables pour les trois courbes noires cor-
est déterminée par un tirage aléatoire comme promotion, on calcule pour chaque étape l’ef- respondant à l’hypothèse qu’une personne
pour les nouveaux recrutés ou comme ficacité globale de la hiérarchie à l’aide d’une promue garde approximativement son niveau
pour la fixation des compétences dans la formule. Celle-ci prend en compte l’efficacité de compétence en changeant d’échelon.
hiérarchie au point de départ. Dans le second de chaque employé de la hiérarchie, tout
modèle, on adopte l’hypothèse de bon sens : en donnant de plus en plus de poids aux
en gravissant un échelon, un employé garde employés à mesure qu’ils s’élèvent dans la
Promouvoir
le niveau de compétence qu’il avait aupa- pyramide: l’importance d’un salarié pour l’ef- les incompétents ?
ravant, avec seulement une variation aléa- ficacité globale de l’entreprise est d’autant La promotion du meilleur est la bonne
toire d’au plus dixpour cent de la compétence plus grande qu’il occupe un poste élevé. Cette méthode ; sa compétence se trouve valori-
maximale. Trois types différents de promo- mesure d’efficacité globale est normalisée sée en montant dans la hiérarchie, où elle
tions ont été simulés et comparés. pour varier entre 0 et 100pour cent, le 0cor- contribue de plus en plus à l’efficacité globale.
– La promotion du meilleur : pour remplir respondant à une organisation totalement Le tout conduit l’organisation à un haut niveau
une case vide de la hiérarchie, on choisit, inefficace, le 100 correspondant au maxi- d’efficacité générale, mesurée à 79pour cent
dans le niveau inférieur, l’employé le plus mum théorique quand tous les employés par la simulation. Toujours sous l’hypothèse
compétent. ont un niveau de compétence maximal. de bon sens de la persistance de la compé-
– La promotion du pire: pour remplir une case Le calcul pour les six combinaisons pos- tence quand un employé passe d’un niveau
vide de la hiérarchie, on choisit, dans le niveau sibles d’hypothèses et de méthodes de pro- au suivant, la méthode de promotion du pire
inférieur, l’employé le moins compétent. motion a été mené pendant 1 000 étapes se révèle très mauvaise: elle conduit à une
– La promotion au hasard : le promu est (ce qui correspond à une évolution sur efficacité de 65pour cent et donne, sans sur-
choisi en tirant au sort parmi les employés 1 000 ans !) On obtient donc (ci-dessous) prise, un résultat moins bon que la promotion
du niveau inférieur. six courbes. Chaque courbe montre une évo- au hasard (efficacité de 72 pour cent).
La surprise vient des courbes rouges
Promotion du plus mauvais et hypothèse de Peter explorant l’hypothèse de Peter que la com-
pétence de l’employé promu dans ses
nouvelles fonctions n’est pas directement
80 Promotion du meilleur et hypothèse de bon sens liée à ses compétences à l’échelon précé-
dent. Cette fois, la meilleure méthode de
promotion (efficacité globale de 82 pour
cent) consiste à choisir le plus incompétent
(promotion du pire), meilleure même que
Promotion au hasard et hypothèse de bon sens la promotion du meilleur sous l’hypothèse
Efficacité globale
Regards
Ig Nobel, car, bien sûr, aucune entreprise ne ficacité moyenne d’une personne promue
va promouvoir les plus mauvais employés en interne et au mérite qui s’explique par
ou procéder au hasard ! la régression vers la moyenne, d’autre part,
N’y aurait-il pas une erreur ? A. Pluchino l’accumulation des incompétents dans la
et ses collègues ont vérifié leurs calculs structure hiérarchique au cours du temps,
et exploré avec succès toutes sortes de jeux due au mécanisme de cliquet.
de paramètres de façon à s’assurer de la Les organisations qui déterminent les
robustesse de leur modèle. Une étude com- promotions uniquement au mérite, cas des
plémentaire, parue en 2011 et faisant encore très grandes administrations, sont victimes
varier les paramètres et les structures de de la régression vers la moyenne qui tend
la pyramide hiérarchique des organisations à produire de l’incompétence. Les organi-
simulées, a confirmé les résultats. sations mieux dirigées, tout en n’oubliant
À y réfléchir, ces résultats étaient pré- pas l’intérêt stimulant de la promotion au
visibles, car ils suivent la régression vers la mérite, contrôlent qu’on ne demande pas
moyenne (qu’assez curieusement les cher- au promu de faire ce qu’il ne sait pas faire.
cheurs italiens ne mentionnent pas). Si, La seconde leçon est qu’il faut contrer
BIBLIOGRAPHIE
selon ce qu’ils nomment l’hypothèse de le mécanisme de cliquet, ce qui est facile,
Peter, la compétence après promotion est par exemple en changeant rapidement les Ph. Boulanger, Il n’y a pas moyen
indépendante de la compétence avant pro- fonctions des incompétents ou en s’en de moyenner, Dossier Pour la
Science, n° 59, 2008.
motion, il est évidemment bénéfique de pro- débarrassant...
mouvoir les plus mauvais, qui deviendront A. Pluchino et al., Efficient
meilleurs puisqu’après promotion, ils se rap- promotion strategies in
procheront de la moyenne.
Le hasard social hierarchical organizations, 2011 :
http://arxiv.org/pdf/1102.2837
Le choix des plus mauvais donne à ceux- L’affirmation que le hasard peut être utile
ci une seconde chance. C’est bon pour eux pour prendre des décisions collectives s’ap- A. Pluchino et al., The Peter
Principle revisited:
et c’est bon aussi pour l’efficacité générale. plique aussi à la vie politique et à la justice A computational study, Physica A,
De même, sous l’hypothèse de Peter, pro- et a été pratiquée depuis l’Antiquité. Le Kle- vol. 389, pp. 467-472, 2010.
mouvoir au hasard est meilleur que pro- roterion, dispositif utilisé dans la période
P. Sobkowicz, Dilbert-Peter model
mouvoir les meilleurs qui, quand ils sont de démocratie de la Grèce antique pour choi- of organization effectiveness:
promus, régressent dans leur ensemble vers sir des juges et fixer certaines responsabi- computer simulations, J. of Artificial
la moyenne, faisant reculer l’efficacité glo- lités politiques, procédait avec des lancers Societies and Social Simulation,
bale. Promouvoir les meilleurs dans le cas de billes. vol. 13(4), 4, 2010.
de l’hypothèse de Peter est la pire chose à Aujourd’hui, dans de nombreux pays, M. Sabatier, Promotion and
faire, il n’y a aucun paradoxe à cela et le prin- les jurés des grands procès sont choisis productivity in French academia:
cipe de Peter est bien vrai. au hasard, et il n’est pas absurde de sou- A test of the Peter Principle,
Université de Savoie, Institut de
tenir qu’il faut faire jouer au hasard un rôle recherche et gestion en économie,
plus grand dans le choix des responsables 2009 (www.irege.univ-savoie.fr/
Le cliquet de l’exécutif politique. Cela éviterait que admin/files/publi_contenu/
131122907_peter-principle.pdf).
Avec les dés que l’on relance jusqu’à ce le pouvoir ne soit accaparé par une classe
que tous donnent 1, il n’y a pas de régres- politicienne inamovible de gens repré- D. Dickinson et M. Villeval, The Peter
sion vers la moyenne, mais uniquement sentant assez mal l’intérêt collectif et d’ac- principle: an experiment, Groupe
d’analyse et de théorie écono-
un effet de cliquet. Comme dans une hor- cord entre eux pour éviter les réformes mique, UMR CNRS 5824, 2007
loge où le dispositif mécanique du cli- opposées à leurs intérêts. Après la Grèce (http://hal.inria.fr/docs/
quet force les roues à tourner dans un sens antique et la République de Venise, où une 00/20/12/25/PDF/0728.pdf).
et pas dans le sens inverse, dans l’exemple sorte de loto déterminait les membres du E. Lazear, The Peter principle:
des dés, ne pas relancer les dés tombés Sénat, un exemple contemporain de l’in- A theory of decline, Journal
sur 1 augmente jusqu’à 1 la proportion des troduction délibérée de hasard dans les of Political Economy, vol. 112(1),
dés donnant 1. mécanismes de choix politique s’est pro- pp. 141-163, 2001.
Dans le principe de Peter énoncé sous duit en Ontario, au Canada, où, en 2007, L. Peter et R. Hull,
la forme « tout employé finit pas arriver à l’Assemblée des citoyens a été constituée The Peter Principle : Why Things
son niveau d’incompétence », deux méca- par tirage au sort et chargée de réfléchir Always Go Wrong, William Morrow
& Company, 1969.
nismes jouent : d’une part, la baisse d’ef- à une réforme électorale...
REGARDS
L
es artistes sont parfois confron- dans un pot de peinture et, après l’en avoir paramètre dépend de plusieurs facteurs,
tés aux phénomènes naturels, retiré rapidement, il laisse la peinture cou- notamment de la densité ρ, de la viscosité μ
régis par les lois de la physique. ler sur la toile en même temps qu’il déplace et de la vitesseu0 avec laquelle le bâton est
On distingue alors plusieurs le bâton. Les toiles étaient donc recouvertes tiré du pot. On calcule que h vaut approxi-
types de relations. Prenons l’exemple des d’un entrelacs de coulures de peinture, des mativement u/ 0g
, étant la viscosité
écoulements. Léonard de Vinci, à travers lignes continues, sinueuses et ondulées, dite cinématique de la peinture (/) et g,
diverses études, a essayé de comprendre Convergence en étant une illustration l’accélération de la pesanteur. Dans le cas
les mouvements des fluides et notamment (voir la figure a). le plus simple, quand le bâton est retiré ver-
les turbulences. Beaucoup de peintres ont Le peintre bouleversa ainsi les canons ticalement, le volume V de peinture extrait
représenté des vagues, le ruissellement d’un esthétiques de l’art d’une façon particuliè- est de l’ordre de r0Lh, L étant la longueur du
torrent... mais rares sont ceux qui ont réussi rement intrigante pour les physiciens, puis- bâton enduite.
à les rendre de façon réaliste. Ces événe- Une fois le bâton hors du pot, un jet se
ments relevant de la dynamique des fluides forme sous l’effet de la gravité dont le débit Q
sont particulièrement rétifs au pinceau. Pollock bouleversa s’exprime ainsi : r0u03/2/g. On en déduit
Les liens entre cette discipline de la phy- que plus on extirpe vite le bâton, plus le film
sique et l’art ne se cantonnent pas à cette
les règles de l’art, de peinture est épais et plus le débit Q est
difficulté de représentation et prennent par- mais il ne pouvait rapide. En outre, la dépendance de Q vis-
fois des chemins inattendus. Ainsi, les outils à-vis de la viscosité cinématique indique
de l’analyse des mouvements des fluides s’affranchir des lois qu’une augmentation de la viscosité amé-
se révèlent pertinents pour explorer les de la physique. liore le débit, car la quantité de liquide est
œuvres de certains artistes. C’est à cet exer- alors supérieure. Pollock, en tâtonnant, a
cice que se sont livrés Andrzej Herczyński sans doute perçu ce lien. De fait, on sait
et Claude Cernushi, du Boston College, aux qu’il partageait la responsabilité de l’œuvre qu’il ajustait la viscosité grâce à de l’eau
États-Unis, avec L. Mahadevan, de l’Uni- avec les phénomènes naturels de la dyna- et à des solvants et qu’il testait ses
versité Harvard, à Cambridge. Ils se sont mique des fluides, coauteurs involontaires... mélanges. Une fois le jet entamé, il pouvait
penchés sur les peintures de l’Américain A. Herczyński et ses collègues ont voulu le contrôler en agitant le bâton latérale-
Jackson Pollock (1912-1956). savoir quelle part revenait au peintre en ana- ment, ou de haut en bas, de quelques cen-
Dans les années 1940, l’artiste inves- lysant la technique de Pollock sur des timètres à un mètre au-dessus de la toile.
tit une vieille, mais immense grange, à Long œuvres effectuées entre 1940 et 1950. Plusieurs photos et films le montrent ajus-
Island, où il sera à même de se lancer dans Commençons par le procédé de collecte tant le flux de peinture.
les très grands formats. Pour ce faire, les et de dispersion de la peinture. Quelle quan- On observe dans plusieurs œuvres de Pol-
toiles, de plusieurs mètres carrés de sur- tité de peinture retire-t-on avec le bâton ? lock des motifs oscillants (voir l’agrandisse-
face, sont posées sur le sol. Pollock aban- Pour un bâton cylindrique de rayon r0, elle ment, figure c). Ces traces résultent d’une
donne également les pinceaux et développe est proportionnelle à l’épaisseur h de instabilité du jet qui se traduit par un enrou-
une nouvelle technique : il plonge un bâton peinture qui y adhère (voir la figure b). Ce lement du filet de peinture (similaire à l’in-
Regards
stabilité du tuyau d’arrosage), ce mouvement alors une courbe ponctuée de pointes. Cette l’art, mais il ne pouvait s’affranchir des lois
étant superposé à un déplacement du bâton. courbe devient ensuite une sinusoïde, voire de la physique. Néanmoins, l’analyse de sa
Dans ces conditions, la forme de la trace une droite quand la vitesse de déplacement technique montre qu’il maîtrisait, de façon
dépend d’un paramètre (sans dimension) dit du bâton est élevée. Ces divers types de intuitive, celles qui gouvernent la chute des
nombre de Strouhal (noté St), lié à la vitesse motifs (boucles, pointes et sinusoïdes) sont liquides sous l’effet de la gravité. I
angulaire de l’enroulement. visibles. En les observant, on peut en
Quand St est égal à 0, la trace est cir- déduire les variations de vitesse du bras de
A. Herczyński, Cl. Cernuschi et L. Mahadevan,
culaire, il n’y a pas de mouvement latéral. Pollock. Notamment, il freinait quand il tour- Painting with drops, jets, and sheets,
Quand St augmente, la trace ressemble à nait, pour repartir dans l’autre sens. Physics Today, pp. 31-36, 2011.
une série de boucles qui se chevauchent En rompant avec les techniques clas- R. Taylor, Attraction fractale, Pour la Science,
jusqu’à ce que St soit égal à 1, la trace étant siques, Pollock bouleversa les règles de n° 305, pp. 104-105, mars 2003.
b c
u0
2r0
2r0 + 2h
L
2r
REGARDS
IDÉES DE PHYSIQUE
M
aintenir en vol un avion ter en sustentation malgré les variations du Comment le cerf-volant trouve-t-il son
à moteur ou un planeur vent. Comment expliquer ce comportement? équilibre ? Supposons pour simplifier qu’il
nécessite un long appren- Commençons par faire le bilan des forces soit face au vent, sans inclinaison latérale
tissage, afin de maîtriser (voir la figure 1) : outre le poids, vertical, qui (son axe transversal est horizontal). Il faut
les commandes et d’assurer la stabilité de s’exerce au centre de masse, s’ajoutent la d’abord s’assurer que le cerf-volant «prenne
l’engin. En revanche, une fois en l’air, un cerf- tension de la ligne et la force aérodynamique le vent » : laissé à lui-même sans être
volant peut y rester sans aucun contrôle ou due au vent apparent. On peut décomposer tenu, son angle d’attaque doit spontanément
presque. Cette simplicité du pilotage fait l’in- la force aérodynamique en deux: la portance, augmenter. Sinon, il piquera du nez et s’écra-
térêt du cerf-volant qui, loin de se limiter perpendiculaire à la direction du vent, et la sera au sol. Cela implique que le centre de
aux jeux de plage, va jusqu’à des projets traînée, de même sens que le vent. poussée du vent soit toujours à l’avant du
de récupération de l’énergie éolienne. La difficulté de l’analyse tient à deux centre de masse du cerf-volant sur l’axe AB ;
faits. D’une part, la force aérodynamique et ainsi, lorsque la portance dépasse le poids,
son point d’application, le centre de pous- condition nécessaire au décollage, l’objet
Il ne tient qu’à un fil… sée, dépendent crucialement de l’angle d’at- s’incline bien vers le haut. C’est pour cette
Soulever un homme à des fins d’observa- taque – l’inclinaison du cerf-volant par raison que, en sus du réglage de la position
tion, notamment militaire, comme les Chi- rapport au vent. D’autre part, le cerf-volant de l’attache C de la bride sur la ligne, on ajoute
nois l’ont fait pendant la période impériale, est fixé à la ligne en un point d’attacheC par parfois une queue qui déplace le centre de
maintenir en l’air une antenne radio, rem- une bride courant de son extrémité avantA masse du cerf-volant vers l’arrière.
placer les voiles d’une planche à voile et à l’extrémité arrièreB. Par conséquent, il est Si le cerf-volant prend bien le vent, la
faire du kitesurf, etc. : le cerf-volant a servi susceptible de pivoter autour du point C, bride est toujours tendue. Pour analyser
à des applications variées. La clef de son donc de modifier son angle d’attaque si la l’angle d’attaque, plaçons-nous au point C :
succès ? Même le modèle le plus simple, bride est tendue. par rapport à ce point, les seuls couples qui
tenu par une seule cordelette, la ligne, s’exercent sont ceux du poids et de la force
semble adapter sa position pour res- Portance aérodynamique. Si le cerf-volant est à l’équi-
libre, ces couples sont égaux et, dans un
Force fonctionnement normal, il y a stabilité : gros-
aérodynamique sièrement (en toute rigueur, il faudrait aussi
Vent A
tenir compte des modifications des bras
P Traînée
de levier et du déplacement du centre de
C G
poussée), lorsque l’angle d’attaque diminue,
la portance diminue plus que la traînée et
le couple résultant ramène le cerf-volant vers
Dessins de Bruno Vacaro
Regards
2. QUAND L’ALTITUDE AUGMENTE, le vent se renforce, ce qui devrait 3. EN CONTRÔLANT UNE VOILE DE KITESURF de façon qu’elle suive
accroître la portance du cerf-volant. Mais à mesure que le cerf-volant une trajectoire en forme de 8 horizontal, le câble qui la retient est sou-
monte, son angle d’attaque (en rouge) diminue, ce qui contrecarre l’effet mis à des tensions variables. Le déroulement du câble lorsque la tension
du renforcement du vent. L’équilibre est ainsi atteint à une certaine alti- est forte et son enroulement lorsqu’elle est faible permettent, en le cou-
tude. Au-delà, des instabilités font faire au cerf-volant des allers et retours. plant à un alternateur et à un moteur, de produire de l’électricité.
Regards
REGARDS
Jean-Michel Thiriet
dans les cuisines professionnelles.
Hervé THIS
E
n montagne, l’eau bout à moins Ainsi, à Vevey, en Suisse, le chef Denis tiels pour l’odeur de fraise, mais leurs propor-
de100 °C: une montagne est ainsi Martin traite de la terre rouge (des grès conte- tions changent selon les fruits, les variétés,
une « anticocotte-minute » où, la nant des oxydes de fer) avec des champi- les conditions de culture, les sols, les climats...
pression atmosphérique étant gnons de Paris afin d’obtenir une fraction Or l’odeur résulte non pas de la liste des com-
réduite, la température d’ébullition de l’eau odorante qu’il nomme « Humus ». Il donne à posés, mais de leurs proportions.
est abaissée. Les chimistes ont appris à créer sentir cette fraction pendant que les convives Pour les mûres, 49 composés au moins
des montagnes plus hautes que l’Everest (où mangent un plat croquant (friture d’an- sont importants pour les odeurs..., contre
l’eau bout à 68 °C) dans leurs laboratoires : chois, sauce poivrade, tempura de sauge, 235 pour les framboises ! D’ailleurs, com-
leurs systèmes d’évaporation sous pression réduction de citronnelle, pommes vertes), ment justifier l’exploration scientifique de
réduite permettent de faire bouillir des l’idée étant d’évoquer l’odeur d’un sous-bois l’odeur des petits fruits, alors que les sys-
solutions à la température ambiante. Avec et le bruit que l’on fait en marchant dans les tèmes scientifiques réclament des pro-
de tels systèmes, les chimistes séparent par bois (feuilles mortes et branches cassées)... grammes bien cadrés ? Faut-il vraiment
distillation des produits qui se décompose- Toutefois, malgré des systèmes de sépa- que des agents de l’État aillent explorer une
raient à la température de 100 °C. ration plus efficaces que l’évaporation sous à une les diverses variétés, aux divers stades
Or la cuisine a notamment pour objectif pression réduite, telles la chromatographie de maturité, dans les diverses conditions de
de récupérer les odeurs délectables (dues en phase gazeuse et la spectrométrie de culture, de récolte, etc. ? On comprend que
souvent à des molécules fragiles), et les cui- masse, les composés odorants de la plupart l’industrie des composés odorants soit l’es-
siniers les plus modernes s’équipent de tels des fruits restent soit méconnus, soit un sentielle détentrice des connaissances dans
systèmes d’évaporation sous pression réduite. secret industriel. le domaine... et que reste « inconnue » la
Le plus souvent, ces systèmes sont com- Les seuls fruits un peu connus sont la composition en composés odorants de la
posés d’un bain-marie, d’un ballon où l’on fraise et quelques autres fruits d’importance myrtille, du cassis, de la groseille...
place la matière à évaporer (on le fait tour- commerciale (notamment parce qu’ils sont Du coup, comment les cuisiniers pour-
ner pour régulariser l’ébullition éventuelle), employés pour les yaourts), et encore : la ront-ils connaître la nature des composés
d’un réfrigérant qui condense les vapeurs, technique d’analyse qui consiste à placer qu’ils séparent par évaporation à pression
d’un ballon pour leur réception (parfois, il dans l’air qui surmonte un fruit (broyé ou non) réduite ? La réponse est simple : ils s’en
est refroidi, afin de bien les récupérer) et une fibre sur laquelle les composés odorants moquent et se contentent de goûter les pro-
enfin d’une pompe pour abaisser la pression s’adsorbent n’est pas sans écueil: la présence duits qu’ils préparent. Il y a des cas où le nœud
dans l’ensemble du système. de lipides gêne l’adsorption des molécules gordien doit être tranché ! I
Certains cuisiniers utilisent cette nou- odorantes d’intérêt et, surtout, les vitesses
velle technique pour séparer les produits odo- d’adsorption différant selon les produits, les Hervé This est chimiste
rants du café, des framboises, de la viande, déterminations des proportions des divers dans le Groupe INRA
de gastronomie moléculaire,
du bouillon... Ils font usage à la fois de la par- composés sont faussées. professeur à AgroParisTech
tie évaporée, récupérée dans le ballon refroidi Pour couronner le tout, l’odeur de « la » et directeur scientifique
(« piège froid ») où les vapeurs sont conden- fraise n’existe pas, puisque chaque fraise a de la Fondation
sées, et de la partie de «résidu», terme péjo- son odeur propre. Bien sûr, des composés sont, Science & Culture Alimentaire
(Académie des sciences).
ratif, mais qui désigne des produits concentrés pour des raisons génétiques et physiologiques,
parfois intéressants (l’eau qui fait l’essentiel présents dans toutes les fraises, et l’on a ainsi Retrouvez les articles
des aliments ayant été éliminée). identifié une quinzaine de composés essen- fr www.pourlascience.fr
de Hervé This sur
À LIRE
trale, dans le but d’y récupérer trouver son origine dans le déclin
§ ARCHÉOLOGIE § ASTROPHYSIQUE
des objets en métal précieux. En récent de l’archéologie bénévole.
Halte au pillage ! Europe, le phénomène connaît L’arme par excellence des pilleurs Astrophysique
Sous la direction un essor notable au cours des européens est le détecteur de mé- Michel Cassé
de G. Compagnon, XVIIIe et XIXe siècles ; il aboutit au taux, véritable fléau du patrimoi- Jean-Paul Bayol, 2011
Errance, 2011 milieu du XXe siècle à la sépara- ne archéologique depuis les an- (112 pages, 12 euros).
(446 pages, 32 euros). tion entre les archéologues scien- nées1960.
C
tifiques, d’une part, et les col-
et ouvrage collectif, dirigé lectionneurs amateurs d’art aux
par Grégory Compagnon, pratiques de plus en plus illé-
président de l’Association gales, d’autre part.
Halte au pillage du patrimoine ar-
La situation internationale est
plus préoccupante encore. Dans
certaines parties des Amériques,
comme au Pérou, plus de 90 pour
cent du patrimoine ont disparu
C omprendre l’origine de
l’Univers et son évolution
change notre vision de la
nature et de la société. Fort de cet-
te certitude, l’astrophysicien Mi-
chéologique et historique (HAPPAH), du fait des pilleurs. La mise en chel Cassé, du CEA, fait le point
fait le point sur le pillage des res- place d’outils pertinents, com- sur les connaissances actuelles et
sources archéologiques. Parce qu’il me les systèmes d’information les problématiques qu’elles en-
est doté de moyens considérables, géographiques, permet aujour- gendrent avec un lyrisme et une
ce phénomène mondial est à l’ori- d’hui d’informer les décideurs sur sensibilité qui lui sont propres.
gine de fortunes tout aussi consi- cette activité illégale et les réseaux Préfacé par Hubert Reeves,
dérables. Il a pris depuis le milieu qui la dirigent. Dans d’autres ré- l’ouvrage s’ouvre sur la physique
du XXe siècle une ampleur sans gions du globe, en Afrique, en Po- des particules, aspect essentiel
précédent. Fouilles clandestines, lynésie, le pillage est pour ainsi pour comprendre l’astrophysique
usage illégal des détecteurs de mé- dire institutionnalisé depuis l’ère des hautes énergies à l’œuvre
taux, trafic mondialisé des anti- coloniale, l’essor du tourisme, dans les étoiles, dans les quasars
quités, etc., ont entraîné la dispa- au XXe siècle, n’ayant fait qu’ag- ou les noyaux actifs des galaxies…
rition de pans entiers du patri- graver les choses. Puis c’est l’Univers et sa genèse
moine de l’humanité. Quelques solutions s’esquis- qui sont examinés. Est-il fini ou
En France, au Cameroun, dans sent, dans ce contexte pessimis- infini ? Est-il statique, courbe ou
le Sahara, en Polynésie ou en Alas- te, grâce d’abord à l’action du plat ? A-t-il eu un commence-
ka, l’archéologue, une fois dispa- Aux côtés d’archéologues législateur. L’appareil législatif ment ? Avec pédagogie, l’auteur
rus les «beaux» objets, se retrou- amateurs autodéclarés, il existe à constitue en effet la première, nous fait toucher du doigt la né-
ve ainsi comme devant un livre travers le monde d’authentiques sinon la seule, réponse adaptée cessité de concilier la relativité gé-
d’histoire de l’art dont toutes les professionnels du pillage : tomba- des sociétés au fléau du pillage. nérale et la théorie quantique
illustrations auraient été décou- roli italiens, huaqueros péruviens, Il est aujourd’hui le produit d’une sur lesquelles reposent les mo-
pées et dispersées. Les communi- esteleros guatémaltèques, clandes- évolution remarquable, depuis la dèles d’univers. Puis il aborde les
cations réunies dans ce livre utile tini siciliens… Les sommes en Convention de La Haye (1954) grandes théories unificatrices,
et dense montrent qu’il existe une jeu sont considérables, d’autant jusqu’à celles de 1992 et 2001. Tou- telles la théorie des cordes et la
géographie du pillage, parée d’une plus quand les populations envi- tefois, les situations comme les
inégalité flagrante puisque ce phé- ronnantes sont démunies; elles ne modalités d’application de la loi
nomène atteint surtout les pays les recevront de toute façon guère restent fort inégales d’un conti-
plus pauvres. plus de deux pour cent de la va- nent et d’un pays à l’autre. Pour
L’archéologie est en effet bien leur réalisée. autant, la recherche d’un consen-
différente aujourd’hui du pillage: En Europe, des nuances se des- sus entre archéologues scienti-
elle étudie l’objet en tant que sour- sinent entre l’Ouest et l’Est, en fonc- fiques et pilleurs-collectionneurs
ce informative dans son contex- tion des niveaux de vie et de l’or- achoppe inévitablement sur la va-
te, révélant ainsi les héritages du ganisation souterraine du marché leur exceptionnelle reconnue à
passé, sans se contenter d’accu- parallèle des objets archéologiques. certains objets, au détriment de
muler les objets pour eux-mêmes, Les grottes et leurs fossiles, les leur contexte tout entier. Le pilla-
en de stériles collections. ruines antiques, les champs de ge du passé de l’humanité se
Le pillage s’inscrit dans un bataille et jusqu’aux restes des sol- poursuit donc, sur un rythme
processus historique. Ses pre- dats tombés au combat, tous pro- inquiétant.
mières manifestations remontent tégés par la loi, y sont la cible de
.§Vincent Carpentier.
peut-être à l’âge du bronze, avec plus en plus fréquente de pilleurs
INRAP, Basse-Normandie
le viol de tombes, en Asie cen- dont la recrudescence pourrait
À l i r e
.§Marie-Christine de La Souchère.
Agrégée de physique
la France et de l’Angleterre, que
s’observe l’élaboration d’un pro-
gramme scientifique et d’une sé-
paration de la préhistoire d’avec
la géologie. Basée sur la stratigra-
D ans la continuité de ses
deux précédents livres :
L’Engrenage Technique
(2005) et L’Enfermement Plané-
taire (2008), André Lebeau pour-
SYMÉTRIE ET PROPRIÉTÉS
PHYSIQUES DES CRISTAUX
C. Malgrange et al.
EDP Sciences/CNRS
phie et construite comme un pro- suit sa réflexion sur les condi-
Éditions, 2011
jet d’archéo-géologie, la préhis- tions de survie de l’humanité.
§ HISTOIRE DES SCIENCES (494 pages, 52 euros).
toire en France restera cependant L’analyse est d’abord éthique
Dans l’épaisseur es symétries des cristaux sont un
du temps
avant tout anthropologique.
Les 15 auteurs s’efforcent de
et permet de souligner la contra-
diction majeure de nos sociétés : L important chapitre de la physique
souvent présenté de façon simpliste dans
Coordonné par Arnaud Hurel montrer comment, chez les fon- la finitude de la planète s’oppo-
les manuels. Avec celui-ci, l’étudiant et
et Noël Coye dateurs de cette discipline, se mo-
le chercheur rigoureux pourront assou-
Publications scientifiques difie le rapport au temps et à la
vir leur soif de bien comprendre les
du Muséum, 2011 durée. Les préhistoriens se sai- fondements de la cristallographie.
(442 pages, 35 euros). sissent du temps, ils le laïcisent,
mais surtout ils parviennent à
À l i r e
Imprimé en France – Maury Imprimeur S.A. Malesherbes – Dépôt légal 5636 – SEPTEMBRE 2011 – N° d’édition 077407-01 – Commission paritaire n° 0912K82079 –
Distribution : NMPP – ISSN 0 153-4092 – N° d’imprimeur I01/166 763 – Directrice de la publication et Gérante : Sylvie Marcé.