Vous êtes sur la page 1sur 2

Nous faisons de vos spécialitěs

Nous faisons de vos spécialitěs


notrespécialité
notre spécialité É ditorial

La Lettre du Sénologue

Éditorial
Directeur de la publication : Claudie Damour-Terrasson
Rédacteur en chef : Dr A. Lesur (Nancy)
Rédacteur en chef adjoint :
Dr Brigitte de Lafontan (Toulouse)
Le sein qui pleure
Comité de rédaction Crying breast
C. Barlier - P. Boulet - G. Boutet - N. Bricout - B. Cutuli -
I. Dagousset - J.M. Dilhuydy - N. Dohollou - M. Escoute -
V. Feillel - J.R. Garbay - S. Giard - R. Gilles - D. Indjidjian -
D. Gros*
P. Leblanc-Talent (†) - B. Marion-Deremble - M.C. Mathieu
E. Netter - C. Noguès - I. Piollet-Calmette - A. Travade
Conseillers scientifiques
Y.J. Bignon (Clermont-Ferrand) - G. Body (Tours)
Ph. Bouchard (Paris) - A. Brémond (Lyon)
J.Ph. Brettes (Strasbourg) - G. Chaplain (Dijon)
P. de Crémoux (Paris) - J. Dauplat (Clermont-Ferrand)
M.H. Dilhuydy (Bordeaux) - E. Drapier-Faure (Lyon)
B. Gairard (Strasbourg) - G. Ganem (Le Mans) -
“E n dehors de la grossesse, tout écoulement du sein est anormal”. Voilà
une formule connue ! Elle est écrite dans les livres de médecine et ancrée
dans l’esprit populaire. Nul ne songerait à douter de son bien-fondé. La
force du je-l’ai-lu ! La puissance du tout-le-monde-le-dit ! Mais, est-ce donc si vrai qu’un
sein de femme ne puisse pas couler naturellement en dehors d’une grossesse ou de l’al-
laitement ? Le sein est une glande, il sécrète. Il vit sa vie de glande tous les jours. Qu’est-ce
Y. Grumbach (Amiens) P. Haehnel (Strasbourg) - M. Hery
(Monaco) - C. Jamin (Paris) Y. Kessler (Nancy) - F. Laffargue qui nous conduit à oublier, nier ou occulter, cette réalité de la nature ? Est-ce la culture
(Montpellier) P.M. Martin (Marseille) - J.M. Nabholtz (Neuilly) ambiante du biberon ? Serait-ce notre médecine quand elle transforme le sein en organe
M. Namer (Nice) - P. Neven (Louvain) - G. Plu-Bureau (Paris)
H. Pujol (Montpellier) - H. Roché (Toulouse) - J. Rouëssé précancéreux ? Sont-ce les mœurs actuelles quand elles font de lui un lieu d’érotisme, un
(Saint-Cloud) - D. Serin (Avignon) - M. Spielmann (Paris) instrument de publicité ou un objet de peur ?
J. Stinès (Nancy) - H. Tristant (Paris) - R. Villet (Paris)
Comité de lecture
Les seins des femmes sont actifs, changeants, vivants. Leur fonction est de produire du lait
G. Auclerc (Paris) - L. Aimard (Marseille) - J.L. Bobin (Lyon) et ils ne s’en privent pas. En permanence, ils ne cessent de sécréter. Bien sûr, comparée
M. Boisserie-Lacroix (Bordeaux) - C. Bouteille (Saint-Étienne) aux flux et à l’abondance du temps de l’allaitement, cette sécrétion est discrète, larvée.
J.F. Calafat (Luxembourg) - E. Chirat (Paris) - K.B. Clough
(Paris) - T. Delozier (Caen) - M. Dray (Reims) - F. Eisinger Elle n’a pas non plus la richesse chimique et biologique du lait maternel. Pourtant, fluide
(Marseille) - M. Espié (Paris) - A. Fourquet (Paris) ou épaisse, claire ou trouble, colorée ou non, cette substance liquide existe.
F. Gaucher (Nancy) - D. Gros (Strasbourg) - C. Hill (Paris)
J. Jacquemier (Marseille) - P. Kerbrat (Rennes) Si l’on veut se convaincre scientifiquement de cette réalité, un moyen simple : observer
G. Le Bouëdec (Clermont-Ferrand) l’intérieur des galactophores au microscope. Avec le développement des prélèvements
V. Le Doussal (Paris) - H. Lauche (Montpellier)
J.P. Lefranc (Paris) - E. Lifrange (Liège) - Ph. Mahot mammaires – micro- ou macrobiopsies – cette observation est devenue facile. Un
(Nantes) - T. Maudelonde (Montpellier) - L. Mauriac (Bor- collègue pathologiste se fera un plaisir de nous montrer des galactophores sur des
deaux) - J.M. Reme (Toulouse) - P. Romestaing (Lyon)
G. Romieu (Montpellier) - J. Salvat (Thonon) fragments prélevés. Acini ou canaux, leur lumière baigne de sécrétions. Abondante en
V. Servent (Lille) - E. Teissier (Cannes) deuxième partie de cycle, cette sérosité lactée s’observe jusqu’à la ménopause et même
M. Tubiana-Hulin (Paris) - B. Zafrani (Paris)
S. Zervoudis (Athènes) au-delà. Produite en amont des galactophores, elle est habituellement résorbée en aval.
Société éditrice : EDIMARK SAS Quoi d’étonnant si quelquefois ce liquide s’évacue par le bout du sein comme par un
Président-directeur général : trop-plein ? Spontanément ou suite à une compression, une goutte perle sur le mamelon,
Claudie Damour-Terrasson
Tél. : 01 46 67 62 00 – Fax : 01 46 67 63 10
une tache apparaît dans le soutien-gorge... Même en dehors de toute grossesse ou
allaitement, qu’est-ce qui fait couler un sein le plus souvent ? C’est son fonctionnement
Rédaction
Directeur délégué de la rédaction :
normal.
Béatrice Hacquard-Siourd Mon propos n’est pas de nier l’existence de papillomes, kystes, hyperplasies atypiques,
Secrétaire générale de la rédaction : Magali Pelleau cancers in situ ou infiltrants, révélés par un écoulement. Simplement, n’allons pas trop
Secrétaire de rédaction : Brigitte Hulin
Rédactrices-réviseuses : Cécile Clerc, Sylvie Duverger, vite en besogne. En sénologie, il y a toujours urgence à ne pas gesticuler. Avant de penser
Muriel Lejeune, Catherine Mathis, Odile Prébin cancer ou adénome hypophysaire, de se précipiter sur les examens complémentaires
Premier rédacteur graphiste : Didier Arnoult
Rédactrices graphistes : Mathilde Beaugendre, ou sur le bistouri, de prescrire mammographie, analyse cytologique, ductoscopie… ou
Christine Brianchon, Cécile Chassériau, Catherine Rousset dosage de la prolactine, il n’est pas interdit d’écouter, d’examiner, de réfléchir.
Dessinateurs d’éxécution : Stéphanie Dairain,
Antoine Palacio Que faire quand une femme consulte et nous dit : “Docteur, j’ai un sein qui coule” ?
Responsable technique : Virginie Malicot D’abord, rassurer. Même s’il est rarement lié à un cancer, un écoulement est toujours
Commercial source d’inquiétude. Ensuite, s’enquérir des circonstances de découverte. Avant de songer
Directeur du développement commercial : au pourquoi, il importe de connaître le quand et le comment. Cela peut se révéler utile
Sophia Huleux-Netchevitch
Directeur des ventes : Chantal Géribi pour le diagnostic étiologique et l’explication.
Directeur d’unité : Sophia Huleux-Netchevitch Plus souvent que l’on ne croit, c’est le conjoint qui est à l’origine du symptôme et de sa
Régie publicitaire et annonces professionnelles :
Vincent Le Divenach découverte. Dans l’austérité de la consultation, nous oublions facilement que le sein est
Tél. : 01 46 67 62 92 – Fax : 01 46 67 63 10 un organe sexuel. “C’est mon mari… il a eu la main mouillée”. Voilà typiquement un
Abonnements : Lorraine Figuière (01 46 67 62 74) écoulement aux rapports : la femme jouit, son sein coule. Ambroise Paré parlait joliment
de la sympathie merveilleuse entre le haut et le bas. Quant à Léonard de Vinci, il indiqua
2, rue Sainte-Marie - 92418 Courbevoie Cedex
Tél. : 01 46 67 62 00 – Fax : 01 46 67 63 10 ce même lien dans son célèbre dessin anatomique, intitulé “Copulation ou Coït” (1493) :
E-mail : contacts@vivactis-media.com on y voit un canal reliant le fond du vagin au mamelon.
Site Internet : http://www.edimark.fr
Toujours dans ce domaine de la sexualité, un autre rappel : toute succion du sein stimule
sa fonction. La tétée érotique fait partie des jeux amoureux. Les hommes aiment à jouer

* Unité de sénologie, département d’imagerie, hôpitaux universitaires, Strasbourg.

La Lettre du Sénologue - n° 34 - octobre-novembre-décembre 2006 3

Se no de c06.indd 3 19/12/06 12:30:25


É ditorial
Éditorial

les nourrissons et les femmes ne détestent pas les laisser faire. Cette eau de roche, rouge... noir. La coloration ne signifie rien, ne
stimulation peut favoriser un écoulement différé, qui apparaît le renseigne point sur l’étiologie. La couleur traduit la composition
lendemain ou quelques jours après. Il faut donc savoir, si besoin, oser du liquide. Les sécrétions mammaires sont faites d’eau mélangée
quelquefois cette question : “Est-ce que votre mari tète ?” Chacun à des lipides, des débris cellulaires sanguins ou épithéliaux, des
choisira la formulation qui convient. La femme rira ou rougira peut- concrétions calcaires. Il y a aussi du glycogène, c’est marron;
être mais répondra sans s’offusquer si l’entretien se déroule dans un des substances ferriques, c’est vert ou d’aspect rouillé. Quand
climat de confiance, de sérénité, de naturel. c’est blanc, la blancheur du lait, on dit alors galactorrhée. Plus
Autre fait courant, lié lui aussi aux effets de la stimulation : rarement, c’est rouge vif et c’est vraiment du sang. Ce sang peut
l’écoulement provoqué et entretenu par la patiente elle-même. Un provenir des vaisseaux qui jouxtent les canaux excréteurs car leurs
jour, par hasard, en appuyant sur son sein, une femme découvre parois sont perméables aux globules rouges.
qu’il coule. Quoi de plus naturel que de vérifier le lendemain si cet Devant un écoulement, les interrogations ne concernent pas
écoulement est toujours là ! Et aussi les jours qui suivent. Cela devient que le sein. Comment est cette femme ? Équilibrée, heureuse,
même une habitude. Cette vérification régulière équivaut à une épanouie ? Surmenée, stressée ? Dépressive, insomniaque ? Prend-
bouche qui tète. Il existe une thérapeutique très simple et efficace : elle des anxiolytiques, des somnifères, des antidépresseurs ? Atarax®
conseiller à la patiente de ne plus rechercher l’écoulement. (hydroxyzine), Lexomil® (bromazépam), Stilnox® (zolpidem)… la
Face à une femme qui consulte, quel est le premier geste clinique à liste est longue. Leur usage est si répandu, si banalisé, qu’à la question
faire ? Examiner l’écoulement. C’est là que la difficulté commence. “Prenez-vous des médicaments ?”, les patientes répondent facilement
Dans notre cursus à nous médecins, qui nous apprend à toucher ce “non” puisqu’un tranquillisant, ce n’est pas un médicament. Tous ces
petit bout du sein des femmes ? Lequel petit bout a le sentiment fort produits stimulent pourtant les seins et accentuent leur sécrétion.
délicat, comme aimait à le dire – encore lui – Ambroise Paré. Qui Au fait, j’oubliais : “Le sein qui pleure”. Quid du psychologique ?
nous enseigne à faire sourdre une ou plusieurs gouttes, doucement, Pour bien des femmes, le sein est un baromètre de santé psychique.
sans faire mal ? Nul, jamais, ne nous montre comment pratiquer ce Moins qu’aucune autre partie du corps, il n’échappe aux effets des
perturbations de la psyché. Chacun sait qu’une émotion un peu
geste ambigu, sans offenser la pudeur féminine ni occasionner une vive peut provoquer un arrêt brutal de la lactation chez une mère
gêne chez le médecin. qui allaite. Alors pourquoi une femme malheureuse, stressée ou
Apprendre à rechercher et provoquer un écoulement est un geste dépressive, n’aurait-elle pas les seins qui pleurent ? Quand un sein
fondamental. Sinon comment savoir s’il est bilatéral ou unilatéral, coule, ne serait-ce point des larmes ? Il y a bien le sein qui jouit,
unipore ou multipore ? La mauvaise technique – celle utilisée pourquoi n’y aurait-il pas le sein qui pleure ? La formule est jolie. Et
habituellement – consiste à prendre le mamelon entre deux doigts et puis, utile. Quand on ne trouve rien d’organique, la cause psychologique
presser : rien n’apparaîtra, rien ne coulera. Pourquoi ? En procédant est tellement pratique qu’il aurait fallu l’inventer si elle n’avait pas
ainsi, on comprime les canaux excréteurs qui traversent le bout du existé. D’autant plus pratique que le psychologique est invisible,
sein. Si l’on insiste, le geste n’aura pas plus de succès et risque de impalpable, non mesurable et à la mode. En l’invoquant, personne
provoquer une grimace de douleur. Et l’on conclut que l’écoulement ne viendra nous contredire. Sauf peut-être les patientes, qui n’aiment
“n’est pas retrouvé à l’examen”… En réalité, ce n’est aucunement pas toujours les médecins qui répondent devant un symptôme bien
le mamelon qu’il convient de saisir entre le pouce et l’index mais réel : “c’est psychologique”. Autre point quelquefois oublié : une femme
l’aréole ! Ensuite, on étire cette zone vers soi en finissant par le malheureuse pleure et prend facilement des tranquillisants qui, eux,
mamelon. “Comme une traite”, me direz-vous ? Oui, exactement, font couler les seins… Donc, cause psychologique ? Attention ! fragile,
c’est le même geste. Quand on maîtrise cette technique, l’écoulement à manier avec précaution…
annoncé par la femme comme unilatéral et unipore devient très Et la pathologie dans tout cela ? Et le cancer ? Justement, à ce sujet,
souvent bilatéral et multipore. Facile pour quiconque sait le faire, une question : combien de cancers sont-ils révélés uniquement
ce geste se révèle difficile pour qui ne le connaît pas et ne s’est pas par un écoulement, sans autre signe clinique, sans anomalie à
exercé. Si besoin, le plus simple est de demander à la patiente de l’imagerie ni à l’analyse cytologique ? Sur l’ensemble des seins
provoquer elle-même l’écoulement. opérés pour écoulement, combien de cancers ? Je ne dis pas
La couleur est-elle porteuse de sens ? Pour les patientes, oui, c’est un combien de lésions – papillomes, dystrophie, ectasies, hyperplasie
élément important. Surtout si c’est rouge. “Docteur, c’est du sang épithéliale… et autres images sans aucun rapport avec le cancer –
qui a coulé”. À l’observation, ce rouge peut être brun ou noirâtre, je dis combien de cancers ? Ils sont bien rares. D’autre part, dans le
facilement confondu avec du sang. Souvent, l’écoulement est jaune quotidien sénologique, l’écoulement n’est pas une raison fréquente
et la patiente déclare : “Regardez, docteur, c’est sale, on dirait du de consultation. Il vient très loin après les douleurs, la grosseur, la
pus”. Il n’y a rien de sale dans le sein et le jaune n’est pas synonyme mammographie de routine.
d’infection. Inutile de recourir d’emblée aux antibiotiques. Une Quoi qu’il en soit, les femmes qui se découvrent un sein qui coule
infection du sein, faut-il le rappeler, a d’autres signes : douleur vive, s’alarment facilement. Elles attendent de nous de l’intérêt pour
rougeur cutanée, induration et fièvre éventuelle. Quelquefois, c’est leur symptôme, elles espèrent des réponses claires, fiables, utiles...
franchement noir. Ce noir surprend toujours les femmes tant il est et si possible rassurantes, loin de la perplexité et des surveillances
contraire au blanc, celui du lait. indéfinies ou des gestes chirurgicaux proposés d’emblée, presque
Pourquoi tant de couleurs différentes ? Jaune, brun, vert, turquoise, en urgence. N

4 La Lettre du Sénologue - n° 34 - octobre-novembre-décembre 2006

Se no de c06.indd 4 19/12/06 12:30:26

Vous aimerez peut-être aussi