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● DAVID OISTRAKH ● CONCERTO ● WAGNER ● HI-FI

LE FEU SOUS POUR PIANO DÉCOUVERTE 14 ENCEINTES


LA GRÂCE 10 ALBUMS CULTES CAPITALE AU BANC D’ESSAI

BRUCKNER
Deux siècles de génie Riccardo

Le dernier
des géants

N° 729 S JANVIER 2024


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sommaire n° 729 JANVIER 2024

ACTUALITÉ
4
7
L’éditorial d’Emmanuel Dupuy
Coulisses
ILS FONT
18 Découverte
TRIPLE PORTRAIT DE WAGNER
L’ACTUALITÉ
20 Anniversaire
L’ORCHESTRE NATIONAL
D’ÎLE-DE-FRANCE En interview
RICCARDO MUTI est un des derniers
MAGAZINE chefs dont la voix porte hors

© TODD ROSENBERG
des salles de concert.
22 Rencontre PAGE 22 Privilège de l’âge,
RICCARDO MUTI mais surtout d’un art sans
compromis, qu’il fera rayonner
28 Histoire ce mois-ci encore, à l’occasion
ANTON BRUCKNER d’une tournée européenne avec
36 son cher Orchestre de Chicago.
Bonnes feuilles
BERNARD HERRMANN
42 L’œuvre du mois
AINSI LA NUIT DE DUTILLEUX
46 Mythologies En disque
DAVID OISTRAKH La soprano MARINA REBEKA

© DARIO ACOSTA
48 L’air du catalogue propose un bouquet d’airs célèbres,
LE CONCERTO POUR PIANO puisés dans les opéras de la fin
ROMANTIQUE du XIXe siècle et du début du XXe. PAGE 97
50 Partout fascine une voix vibrante,
La chronique d’Ivan A. Alexandre
dont la musicienne sait adoucir
SPECTACLES et colorer le timbre cristallin.

51 A voir et à entendre
56 Vu et entendu

62 LE DISQUE En disques
LE SON Retenez leur nom : les musiciens
du DOVER QUARTET livrent
© COUVERTURE : GETTY IMAGES (DEA / A. DAGLI ORTI) / TODD ROSENBERG

107 Echos une intégrale Beethoven

© ROY COX
PAGES d’un bout à l’autre captivante,
108 Ecoute critique 72 ET 76 au sein de laquelle
CASQUE & ACCESSOIRE
les Quatuors « Razoumovsky »
110 Banc d’essai installent cette jeune formation
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LE GUIDE
127 Radio
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I3
L’éditorial
D’EMMANUEL DUPUY

Basses fréquences
es polémiques, de nos jours, fleurissent souvent mieux vaut parler comme un charretier et faire trois fautes
où on ne les attend pas. Dernier exemple en de syntaxe par phrase.
date : fin novembre, sur le média en ligne AOC, Ne reculant devant aucun poncif, M. Amselle prétend aussi
l’anthropologue Jean-Loup Amselle publiait que « la forme “concert” de musique classique […] est le
un brûlot accusant Radio Classique de véhiculer « une mode de consommation bourgeois par excellence », avant
idéologie profondément conservatrice ». Quelques jours de conclure « que les idées d’extrême droite ne sont pas
plus tard, une chronique diffusée par France Culture seulement propagées par les parties d’extrême droite mais
reprenait ces propos tout en les amplifiant. qu’elles pénètrent aussi sous couvert de la diffusion
Que reproche-t-on à la chaîne dont Bernard Arnault est d’œuvres musicales en apparence neutres ». Carrément.
propriétaire ? Justement : que Bernard Arnault en soit Et tout cela, sans avancer la moindre statistique sociolo-
propriétaire. Un magnat du luxe, une des plus grosses gique sur l’audience de Radio Classique, sans jamais
fortunes du monde, bref, un capitaliste : forcément, c’est donner la parole aux artisans de la chaîne, avec pour seul
mal. D’autant que le patron de LVMH n’est guère connu argument la force des préjugés. Comme approche scienti-
pour ses sympathies mélenchonistes, pas plus que les fique, on a vu mieux.
journalistes et chroniqueurs embauchés par la station Le plus cocasse – et le plus triste –, c’est que M. Amselle,
qui interviennent dans les tranches d’information. Celles- en croyant s’attaquer aux puissants, s’en prend en vérité
ci restent certes très minoritaires, l’essentiel du temps à un pan de notre civilisation qui est aujourd’hui ultra-
d’antenne étant consacré à la retransmission d’œuvres minoritaire, laminé par le rouleau compresseur des mu-
musicales. Mais là encore, selon M. Amselle, le bât blesse : siques dites « actuelles ». Selon les derniers chiffres de
« le socle de la programmation de Médiamétrie, portant sur les mois
Radio Classique est […] constitué
par un bloc musical “blanc” et
_ « Un bloc musical de septembre et octobre 2023,
Radio Classique réalisait un score
conservateur », ne craint-il pas
d’affirmer.
“blanc” et d’1,8 % en parts d’audience. Loin
derrière NRJ (7,9 %) ou Skyrock
Nous y voilà. Hélas ! Bach, Mozart,
Beethoven sont des mâles blancs
conservateur ». _ (6,2 %), deux autres chaînes musi-
cales que l’anthropologue et ceux
(quoique dans le cas de Beethoven, question couleur, les qui adhèrent à ses thèses n’accuseraient certainement
doutes soient permis) ayant vécu il y a plusieurs siècles. pas de déviance idéologique. Peu importe qu’elles ne dif-
Et pour M. Amselle c’est une tare, d’autant plus inexcu- fusent que des œuvres ressortissant de l’entertainement,
sable que Radio Classique fait bien peu de place aux qu’elles soient le haut-parleur d’un show-business soumis
musiques extra-européennes ou contemporaines. Suivant aux diktats de la mode, les officines d’une économie
la même logique, on admettra donc que le Musée d’Orsay brassant des milliards.
« véhicule une idéologie profondément conservatrice », Oui, peu importe. Car la bataille qui est menée relève
puisqu’il n’intègre pas à ses collections celles du Quai bien davantage de la démagogie que de la conscience
Branly ou du Centre Pompidou ; que l’Opéra de Paris politique dont se réclament ses zélateurs. Ce qui est visé,
« véhicule une idéologie profondément conservatrice », ce n’est pas un art soi-disant bourgeois et « de droite »
puisqu’il ne donne guère de spectacle de kabuki ou de – si M. Amselle faisait son boulot, il serait sans doute sur-
breakdance ; et cætera. pris d’apprendre que beaucoup d’interprètes classiques
Mais M. Amselle ne s’en tient pas qu’à la nature des œuvres et de mélomanes votent à gauche. Ce qui est visé, c’est un
programmées. Selon lui, « le ton idéologique de la station » langage et un répertoire musicaux recelant une incontes-
s’entend également dans « la diction des intervenants qui table complexité et qui, de ce fait, sont jugés discrimi-
dénote, sinon leur appartenance à un groupe social donné, nants par une écrasante majorité de nos contemporains.
du moins leur position de classe. » Après le délit de sale Plutôt que chercher, par la pédagogie, à partager cet ines-
gueule, on a inventé le délit de sale voix. Vice impardon- timable patrimoine au plus grand nombre, on préfère s’en
nable : « Radio Classique est le domaine par excellence débarrasser en le taxant de tous les maux, pour mieux
du français châtié et bien prononcé. » Il est vrai qu’à notre se vautrer dans les facilités d’une culture mainstream
époque, pour faire carrière dans les médias audiovisuels, et commerciale. Si ça c’est pas du populisme…

4I
Appel à candidatures
jusqu’au 2 avril 2024

Prix décerné en partenariat avec l’Académie des beaux-arts © Hubert Caldaguès

Édition consacrée aux chœurs professionnels


ACTUALITÉS coulisses
PAR BENOÎT FAUCHET

Leur parole est d’or


Les nouveaux disques du guitariste Thibaut Garcia et de l’Utopia Ensemble
ont été couronnés d’un Diapason d’or le mois dernier. Vous voulez savoir comment
furent conçus ces joyaux ? Les heureux élus lèvent un coin du voile.

Thibaut Garcia Utopia Ensemble


GUITARE QUINTETTE VOCAL
« El Bohemio » : œuvres d’Agustin Barrios. « Salve Susato » : œuvres de Susato, Lassus, Lecocq,
Thibaut Garcia (guitare). Erato. Manchicourt, Josquin…
Utopia Ensemble. Ramée.

« Etre happé par un univers et se retrouver en immersion totale, « Nous avons choisi d’aborder le monde musical de Tielman
c’est ce qui m’est arrivé avec Agustin Barrios, “El Bohemio”. Cet Susato, déjà bien connu parmi les spécialistes comme imprimeur
album m’est apparu comme une évidence après avoir passé toute de musique, après avoir interprété Les miens aussi, chanson en
une journée à lire sa musique de façon spontanée, à la redécouvrir forme de réponse au fameux Mille regrets attribué à Josquin
sans pouvoir m’arrêter, avec une grande appétence. Barrios Desprez. Découvrant un grand raffinement dans sa polyphonie,
incarne un paradoxe intéressant : incontournable pour nous avons décidé de tirer le fil de la pelote de ses compositions,
les guitaristes, il reste encore mystérieux pour la plupart disséminées un peu partout dans ses éditions, au milieu de grands
des musiciens et mélomanes. Je savais, ô combien !, sa musique noms du XVIe siècle comme Gombert, Clemens non Papa et Lassus.
© WARNER CLASSICS-ERATO - PH. MARCO BORGGREVE

sensible, mais derrière cela j’ai découvert le personnage, Aucun doute : il mérite amplement cette place qu’il s’est lui-même
ses inspirations, ses histoires et ses multiples talents, dont celui donnée. Après le Diapason découverte reçu pour notre Pevernage,
de poète. Compositeur fascinant, il est à la croisée de la musique ce Diapason d’or est un encouragement à poursuivre le travail
populaire sud-américaine et des romantiques européens. dédié aux compositeurs franco-flamands. Nous allons continuer
Une fois embarqué dans cette aventure, on découvre un musicien à nous plonger dans ce répertoire riche d’œuvres inédites et si
itinérant, distillant dans ses pièces l’âme des pays qu’il visite, belles. Nos remerciements à Rainer Arndt, directeur artistique
le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay… Tout ceci de façon poétique, du label Ramée, pour toujours réussir à capter l’essence de notre
et même onirique. Barrios est un ésotérique. Il invoque les dieux ensemble, cinq voix très définies mais dans une harmonie quasi
guaranis – Tupa le dieu suprême, Yaci la lune –, parle à la nature. parfaite. Le luth de Jan van Outryve nous assure une tendresse
© TIM DE BACKER

Avec ce disque, je peins le tableau de l’une de mes idoles, et la légèreté nécessaires pour aérer la polyphonie. L’église Saint-
“le Chopin de la guitare” comme j’aime l’appeler, plus volontiers Paul, à Anvers, a été un lieu inspirant pour servir ces magnifiques
surnommé à son époque “le sorcier de la guitare” ou encore pages. A en croire Susato, Anvers est la ville où vivre et prospérer :
“le Paganini des Jungles du Paraguay”. » espérons que ces vibrations continuent à nous porter ! »

I7
● coulisses

CRESCENDO

ALAIN PERROUX
retourne aux sources :
le directeur général de l’Opéra national
du Rhin depuis 2020 prendra la tête
du Grand Théâtre de Genève, la ville qui
l’a vu naître il y a une petite cinquantaine
d’années, lors de la saison 2026-2027.
Son prédécesseur, Aviel Cahn, s’installera
pour sa part au Deutsche Oper de Berlin.
A l’annonce de sa désignation, le futur JEUNE TALENT
intendant genevois a exprimé sa « joie »
de retrouver une maison qui lui a fait Nom : Bettencourt
connaître l’art lyrique dès l’âge de onze Prénom : Alma

© CELINE NIESZAWER
ans. Et avec laquelle il a gagné ses galons
Née en : 2004
© CAROLEPARODI

de dramaturge musical dans les années


2000, avant de partir pour le Festival Profession : organiste
d’Aix-en-Provence, puis Strasbourg,
Mulhouse et Colmar.
et pianiste

A
lors qu’elle n’a pas vingt ans, Alma dynamique, riche en projets », comme ce
Bettencourt aura joué, au soir du concert-hommage à César Franck donné en
13 janvier, sur les trois orgues de octobre 2022 sur le Cavaillé-Coll de Saint-
grandes salles de concert du pays Sulpice – YouTube porte témoignage du
– Radio France il y a quelques années, Final enlevé de la soliste – ou dernièrement,
la Philharmonie de Paris fin novembre, et à la Philharmonie, le marathon Bach en une
DECRESCENDO maintenant l’Auditorium de Lyon. Comme journée sur le Rieger de la grande salle
souvent, c’est par le piano qu’a commencé Pierre Boulez. Autre aventure collective
l’enfant, née dans une famille musicienne dans laquelle la jeune musicienne a été
– père pianiste, mère chanteuse et comé- enrôlée : l’intégrale de l’œuvre pour orgue
dienne. A onze ans, à l’été 2015, la plus jeune de Messiaen gravée à la cathédrale de Toul
Il avait juré ses grands dieux qu’il ne élève de l’Académie internationale de mu- (Forlane).
cumulerait pas la responsabilité des deux siques en Cornouaille (Finistère), venue pour
plus prestigieuses maisons d’opéra le piano, s’essaye à l’orgue. « J’ai tout de suite Concert plus que tribune
de Russie, mais les événements l’ont fait trouvé très amusant cet instrument. » Une dizaine de concerts balisent sa saison,
mentir. A soixante-dix ans, le maestro Amusant, notamment dans la possibilité avec des engagements jusqu’à Lausanne
ossète VALERY GERGIEV, soutien offerte d’en « jouer avec ses pieds », et surtout (Suisse) et Piacenza (Italie). Alma Bettencourt
immuable de Vladimir Poutine dans « puissant ». Conquise, Alma Bettencourt ne court pas après une tribune d’église et
sa guerre contre l’Ukraine, vient d’être prend ses premiers cours avec Michel Boédec, ambitionne une carrière de concertiste, pas
nommé pour cinq ans directeur général rencontré en Bretagne, qui va dédier à sa mécontente que l’image de l’orgue change,
du Bolchoï de Moscou, alors qu’il veille jeune disciple une création enregistrée en moins assigné que jamais à un rôle d’accom-
déjà depuis un quart de siècle 2018 sur l’orgue historique Dallam (1653) pagnateur de la liturgie.
surles destinées du Mariinski de Lanvellec et gravée sur un disque couvert Mais elle ne sacrifiera pas « l’instrument-
de Saint-Pétersbourg. Plus qu’un signe de lauriers – elle avait quatorze ans. roi » au « roi des instruments » : au CNSMDP,
© MARCO-BORGGREVE-SC

de puissance, cette concentration des Entre-temps, l’adolescente a été admise parallèlement à son master d’orgue, elle pour-
pouvoirs témoigne de la chape de plomb dans la classe d’Eric Lebrun au conserva- suit une licence en piano, chez Emmanuel
qui s’est abattue sur la vie culturelle russe. toire régional de Saint-Maur-des-Fossés en Strosser et Cécile Hugonnard-Roche. « Ce
Et du rétrécissement de la carrière 2016, puis celle d’Olivier Latry et Thomas n’est pas facile à équilibrer, mais je me suis
du « tsar » Gergiev, privé de la plupart Ospital au CNSM de Paris en 2020. Elle ne fait cette promesse : ne jamais abandonner
de ses engagements internationaux. tarit pas d’éloges sur cette « classe le piano ! » B.F.

8I
● coulisses

ENTRÉE DES ARTISTES

© OPÉRA DU CHÂTEAU DE VERSAILLES


Ancien collaborateur artistique
de Yannick Nézet-Séguin
à l’Orchestre métropolitain
de Montréal, premier chef
invité des Violons du Roy,
le Canadien Nicolas Ellis
a été nommé directeur
musical de l’Orchestre
national de Bretagne

Bataille royale
pour quatre ans à compter
© MAXIME GIRARD-TREMBLAY

de la saison prochaine.

Nouvelle victoire ukrainienne au


Concours de violon Long-Thibaud Mis en cause par un rapport de la Cour des comptes et un long article
à Paris, cinq ans après le premier publié par un média en ligne, le directeur de l’Opéra du château
Grand Prix de Diana Tischenko :
Bohdan Luts, dix-huit ans, de Versailles, Laurent Brunner, a riposté avec vigueur.
a remporté la plus haute
distinction et trois autres
récompenses décernées par Comment va Château de Versailles Spectacles écrit-il dans une lettre aux membres de l’Asso-
la critique, le public et l’Orchestre (CVS), filiale (privée) à 100% de l’établissement ciation des amis de l’Opéra royal.
de la Garde républicaine. public versaillais ? Le joyau qu’elle programme, Le média militant Blast a choisi le jour de la
l’Opéra royal, « est devenu un fleuron de l’art publication du rapport pour mettre en ligne un
Trois ans après le violoncelliste lyrique en France », estime non sans arguments long article évoquant également le manage-
© DR

Maxime Quennesson, son directeur depuis 2007, Laurent Brunner, ment de Laurent Brunner, qui « se révélerait,
un Français, le violoniste qui met en avant « une fréquentation excel- selon plusieurs témoignages, brutal et pas tou-
Emmanuel Coppey, lente » pour la défense d’œuvres des XVIIe et XVIIIe jours respectueux des préceptes du code du tra-
a remporté aux siècles « parfois inconnues ». Ces mots figurent vail ». Des « allusions ahurissantes » pour le
Etats-Unis la JS Bach dans la réponse écrite à un rapport publié le directeur, qui note qu’elles vont même « jusqu’à
Competition, qui honore 7 novembre par la Cour des comptes, plutôt insister lourdement sur (un) prétendu favori-
l’interprétation d’œuvres sévère envers CVS. La haute juridiction finan- tisme pour les “jeunes chanteuses lyriques
du Cantor par des
cière joue l’air du catalogue : la gouvernance blondes et minces” ». Il y voit « une démarche
instrumentistes à cordes.
assurée par le conseil d’administration est purement hostile » et « sans vergogne de la CGT
« trop faible » ; l’affectation à la filiale des res- Spectacle » contre ce qu’il représente, « incar-
Ancien patron du département sources tirées des très rentables « Grandes nation honnie du “patron” ».
classique de la maison de disque eaux » est « déconnectée de la mission de ser-
Universal Music France, vice public de la maison mère » ; un label dis- Aucune procédure
Yann Ollivier succède à la pianiste cographique a été créé en 2018 dont « on peut « Je suis quelquefois amené à hausser la voix
Claire-Marie Le Guay à la se demander s’il était pertinent de le porter en pour rétablir les équilibres nécessaires dans
direction artistique du Festival interne » ; « l’usage intensif » de la carte ban- une entreprise qui accueille 2,5 millions de vi-
international de musique de caire par le directeur « ne s’inscrit dans aucun siteurs, en croissance constante depuis que j’en
Dinard, qui aura lieu désormais cadre formalisé » ; CVS a reçu durant la crise suis à la tête », reconnaît Laurent Brunner.
à la Toussaint et non plus l’été.
sanitaire « des soutiens sans équivalent dans Mais il l’assure à Diapason : « Il n’y a à ce jour
ce secteur d’activité et pour une structure de aucune procédure interne ni signalement »
Louis Langrée a un nouveau cette taille » (plus de 16 millions d’euros au to- pour des problèmes de mal-être au travail « et
© DR

bras droit salle Favart : tal)… Et cætera. il n’y en a pas eu par le passé », de même qu’au-
Irène Basilis a été Un rapport « clairement à charge », fulmine cune procédure aux prud’hommes n’est en
nommée administratrice Laurent Brunner. « Quoi que fassent Château cours à CVS. « Le climat social y est beaucoup
et directrice adjointe de Versailles Spectacles et l’Opéra royal dans plus serein que dans un certain nombre d’éta-
de l’Opéra-Comique, le domaine artistique, la Cour le méprise en le blissements comparables », souligne le direc-
qu’elle rejoint jugeant “accessoire” et facteur de pertes finan- teur. Lequel estime que « des activistes »
officiellement
cières, alors même que CVS est un exemple veulent sa tête ainsi que celle de la présidente
au 1er janvier.
unique de fédération réussie de recettes de bil- du château, Catherine Pégard, « au bout d’une
letterie et de développement du mécénat », pique si possible ». B.F.

10 I
DU 2 AU 22
FÉVRIER
2024
© Photo © Monika Rittershaus / Festival d’Aix-en-Provence 2023 – Concept et design Base Design - Réalisation : .com un poisson dans l’eau - Licences n° L-R-21-4095 / L-R-21-4060 / L-R-21-4059

DIRECTION MUSICALE CHRISTOPHE ROUSSET | MISE EN SCÈNE DMITRI TCHERNIAKOV


AVEC AGNETA EICHENHOLZ, CLAUDIA MAHNKE, RAINER TROST, RUSSELL BRAUN, GEORG NIGL, PATRICIA PETIBON
LES TALENS LYRIQUES | CHŒUR STELLA MARIS
PRODUCTION DU FESTIVAL D’AIX-EN-PROVENCE, EN COPRODUCTION AVEC LE THÉÂTRE DU CHÂTELET,
LES THÉÂTRES DE LA VILLE DE LUXEMBOURG ET LE FESTSPIELHAUS BADEN-BADEN
● coulisses

ENTRÉE DES ARTISTES Querelle pour


L’Espagnol Roberto Fores-Veses,
dont le travail à la tête
de l’Orchestre national
d’Auvergne avait été
une chapelle
remarqué de 2012
A Lyon, la gestion de la Trinité, joyau de l’architecture baroque,
à 2021, a été désigné fait l’objet d’un nouvel appel d’offres. Maîtres des lieux depuis un quart
premier chef invité
de l’English Chamber
de siècle, les Grands Concerts s’inquiètent.
Orchestra, où son mandat
© JEAN-BAPTISTE MILLOT

commencera en 2024-2025
pour une durée initiale
de trois saisons.
«
L’
aventure des Grands Concerts à la de cinq cents places à l’acoustique idéale pour
chapelle de la Trinité est menacée les ensembles sur instruments anciens et les
Après le Staatsoper de Hanovre, d’un arrêt brutal » : c’est en ces chœurs. La nouvelle mise en concurrence
le Deutsche Oper de Berlin termes que l’association organisa- « remet en question la présence et l’action de
et l’Orchestre de la Radio trice d’une saison musicale baroque bien notre association [...] dans ce monument
de Munich, le chef croate connue des mélomanes lyonnais, au cœur de historique qu’elle a équipé, sécurisé et ancré
Ivan Repusic a été nommé la presqu’île, s’est adressée à ses amis et sou- dans la vie musicale lyonnaise », estiment ses
directeur musical de l’Opéra tiens à la mi-novembre. Une réaction directe à responsables. Et de lister les acquis et atouts
de Leipzig, avec effet lors « l’appel à manifestation d’intérêt pour la mise de l’actuel projet : des centaines d’ensembles
de la saison 2025-2026. à disposition » de la chapelle à compter du 1er français et internationaux invités, « une atten-
juillet 2024, lancé un mois plus tôt par la mé- tion particulière aux nouvelles générations »,
Le pianiste français d’origine tropole et la ville de Lyon. un partenariat avec les conservatoires et le ly-
britannique Orlando Bass Fondés en 1983 par Eric Desnoues, les Grands cée voisin… Le tout assuré avec des « finances
a remporté à vingt-neuf ans Concerts assurent depuis 1999 et sa réouver- saines », qui reposent aux trois quarts sur la
le Concours Olivier Messiaen 2023, ture après restauration la gestion de la « perle billetterie (76 %), le reste étant abondé par le
consacré au piano, en s’arrogeant baroque » de la capitale des Gaules, un écrin mécénat (10 %), la Ville (8 %) et la Région (6 %).
le Grand Prix et deux prix « Nous ne comprenons pas la remise en cause
ex æquo pour l’interprétation sans motif de droit ou de fond de la présence
des pièces du compositeur des Grands Concerts à la chapelle de la Trinité »,
et d’œuvres nouvelles. écrivent les soutiens de l’équipe dans une péti-
tion qui filait début décembre vers les trois
Maître d’un vaste répertoire mille signatures.
lyrique et notamment français,
le Québécois Yves Abel Hybridation
a prolongé jusqu’en juillet 2027 Dirigés par des élus écologistes, la métropole
son contrat de chef principal et la ville entendent-elles orienter différem-
à l’Opéra de San Diego, ment la programmation du lieu ? Si l’appel
où il est arrivé en 2020. à projets prévoit toujours « une saison de mu-
© MATTHIAS BAUS

sique à dominante baroque », il souligne que


L’intendante générale du Théâtre celle-ci devra être « ouverte à des formats inno-
d’Aix-la-Chapelle, Elena Tzavara, vants ainsi qu’à l’hybridation des disciplines
a annoncé le retrait du buste et des esthétiques ». En prévoyant une mise
en bronze d’Herbert von à disposition pour une durée de cinq ans
Karajan qui trônait dans renouvelable une fois, les deux collectivités
le foyer de l’édifice, souhaitent peut-être éviter les logiques de
invoquant les liens rente, qui peuvent être préjudiciables à la créa-
© WIKIMEDIA COMMONS

du chef avec le parti tivité. Quoi qu’il en soit, forte de son expérience
nazi, alors qu’il était et bien décidée à poursuivre l’aventure,
devenu in loco le plus l’Association des Grands Concerts de Lyon a
jeune Generalmusikdirektor
candidaté à ce nouvel appel. Verdict après les
d’Allemagne en 1935.
auditions des projets présélectionnés, qui au-
ront lieu en ce mois de janvier. B.F.

12 I
15 janvier 20h
Philharmonie de Paris
Grandeur et Élégance
Orchestre national

Bordeaux amer d’Île-de-France


direction Ainārs Rubiķis
piano Geister Duo
Pour le théâtre lyrique girondin, les problèmes
financiers se sont transformés en crise
des ressources humaines.
POULENC
Concerto pour deux pianos

L’
Opéra national de Bordeaux (ONB) serait-il devenu un vaisseau
ingouvernable ? On se souvient des relations difficiles que Marc
Minkowski, directeur général de 2016 à 2021, entretenait avec
l’orchestre maison. Son successeur Emmanuel Hondré, en
BRUCKNER
Symphonie no 4
poste depuis janvier 2022, n’aura guère connu d’état de grâce. La
hausse des coûts pèse sur ses ambitions artistiques, notamment la
production de grandes formes lyriques ; la saison actuelle est ainsi
amputée d’une trentaine de levers de rideau. La situation financière
dégradée a pu susciter, par ricochet, des situations de mal-être :
« L’ONB subit de plein fouet les restrictions budgétaires liées au gel
du point d’indice [base de calcul de la rémunération des personnels,
ndlr], à l’inflation, à la crise énergétique… Cela impacte les recrute-
ments et les remplacements en cas de départ, ce qui engendre des
conditions devenues plus difficiles », a reconnu auprès du Figaro
Véronique Garcia, conseillère municipale déléguée, membre de la
majorité dirigée par les écologistes, et représentante de la Ville au
conseil d’administration de l’Opéra de Bordeaux. Pour répondre aux
« tensions » relayées par des employés et prévenir les risques
psycho-sociaux, un dispositif d’écoute externe a été mis en place.

Un peu d’humain
Autre représentant de la Ville au conseil d’administration, mais au
titre de l’opposition, l’élu centriste Fabien Robert est allé jusqu’à adres-
ser un signalement au procureur de la République pour protester
contre la réorganisation de la gouvernance de l’ONB, commentant sur
les réseaux sociaux : « Notre Opéra national dégringole… Bordeaux
mérite mieux ! » Entre autres griefs, la suppression du poste d’admi-
nistrateur général, qu’occupait Olivier Lombardie, pour créer une
© WIKIMEDIA COMMONS / CHRISTOPHE.FINOT

fonction de directeur général adjoint laissant le « DG » régner seul sur


l’artistique. Une clarification nécessaire pour Emmanuel Hondré, qui
s’en est expliqué dans les colonnes de Sud Ouest : « Avec les chocs infla-
tionnistes, nos tutelles ont besoin de plus d’indicateurs de pilotage
pour évoquer notre avenir. Il y a toujours des désaccords lorsqu’on
remanie. Mais l’immobilisme crée aussi sa forme de mal-être. » Tout
en jugeant « nécessaire de ramener un peu d’humain dans les prises
de décision », Pierre Guillou, représentant du syndicat Force ouvrière,
relativise la situation, renvoyant la responsabilité aux tutelles : « Cer-
tains vous diront que c’est panique à bord, mais la vraie problématique
c’est celle du financement, qui met tout le monde à cran. » B.F.
● coulisses

LE CHIFFRE Maison bien dotée

Q
u’il paraît loin le temps où, début 2017, la pia-
niste Martha Argerich et le chef Charles Dutoit
se faisaient éconduire de la maison-musée
Ravel à Montfort-l’Amaury (Yvelines), lors
d’une visite impromptue ! Une élue et des policiers mu-
nicipaux avaient traité les musiciens comme des intrus
dans l’exigu « Belvédère » où le compositeur passa seize
années encore créatives (Boléro, L’Enfant et les sortilèges,
Tzigane, Concerto pour la main gauche…) au soir de sa
vie. Les « Amis de Maurice Ravel » s’étaient indignés
de l’offense faite à de si illustres ravéliens. Le froid entre
l’association et la ville semble s’être dissipé. Le 15 no-
vembre dernier, lors d’une cérémonie, les « Amis de
Ravel» faisaient donation au musée d’une série
d’œuvres d’art et d’archives.
Propriété depuis 1971 de la Réunion des musées natio-

© ENRICO NAWRATH / MICHEL PIPART, VILLE DE MONTFORT-L’AMAURY


naux (RMN) qui en a confié la gestion à la ville, classée
monument historique en 2022, la demeure s’enrichit
d’un buste du compositeur sculpté en 1927-1928, d’un
dessin préparatoire et d’une gravure de la même
époque, d’un portrait peint de son père Pierre-Joseph
par son oncle suisse Edouard… mais aussi de livres et
imprimés sur Ravel, ainsi que de clichés et divers docu-
ments, notamment cédés par Claude Moreau, guide en
ces lieux pendant plus de trente ans, qui avait été
« remerciée » dans la foulée de « l’affaire Argerich-
Dutoit ». Le Belvédère, où frémit une programmation
musicale sous l’impulsion de sa conservatrice Anne
Million-Fontaine, et les « Amis » seront parmi les prê-
teurs de la grande exposition Ravel présentée l’automne
C’est la diminution annoncée prochain à la Philharmonie de Paris, pour les 150 ans

40 % de l’effectif du Chœur du Festival de la naissance du compositeur. Tout est pardonné !


de Bayreuth, qui devrait passer
de cent trente-quatre à quatre-
vingts chanteurs dès la session 2024.
La manifestation wagnérienne
cherche à faire des économies, notamment après que la Société
des Amis de Bayreuth, l’un de ses principaux actionnaires
à égalité avec l’Etat fédéral et le Land de Bavière, a baissé
sa subvention annuelle d’un million d’euros – soit d’un tiers.
Pour l’un des meilleurs chœurs lyriques au monde, la potion
est amère. En particulier pour les musiciens indépendants
qui le composent – environ 50% de l’effectif, complété par
des artistes permanents de chœurs de radios et théâtres,
mais aussi par des étudiants en chant –, pour lesquels
les semaines estivales de répétitions et représentations sur
la Colline sacrée constituent une source de revenus substantielle.
« Des raisons artistiques s’opposent aux suppressions d’emplois.
Le son de chœur particulier, unique au monde et qui participe
de l’identité du Festival de Bayreuth, ne peut pas être produit dans
la même mesure si l’effectif est réduit à quatre-vingts membres »,
a alerté dans un communiqué l’Association professionnelle
des ensembles d’opéra et de danse (VdO), qui a appelé
à des « discussions constructives » pour éviter un tel scénario.

14 I
D’APRÈS SCHUBERT
DIRECTION MUSICALE
RAPHAËL PICHON
MISE EN SCÈNE
SILVIA COSTA

ORCHESTRE & CHŒUR


PYGMALION
CHŒUR D’ENFANTS
MAÎTRISE POPULAIRE
DE L’OPÉRA-COMIQUE
LICENCE E.S. L-R-21-8858 - ALLIANCE PARTENAIRES GRAPHIQUES - CRÉATION ARTISTIQUE : BRONX

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Edition limitée !

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Votre coffret Schubert comprend :
CD I Symphonie n°1 Royal Philharmonic Orchestra, Thomas Beecham.
1953. Symphonie n°2 Wiener Philharmoniker, Karl Münchinger. 1959.
Symphonie n°3 Royal Philharmonic Orchestra, Thomas Beecham. 1958-
1959. CD II Symphonie n°4 “Tragique” London Mozart Players, Harry
Blech. 1953. Symphonie n°5 Chicago Symphony Orchestra, Fritz Reiner.
1960. Symphonie n°6 Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam, Eduard
Van Beinum. 1957. CD III Symphonie n°9 “La Grande” London Symphony
Orchestra, Josef Krips. 1958. CD IV Rosamunde Berliner Mottetenchor,
Berliner Philharmoniker, Fritz Lehmann. 1952-1953. Le Pâtre sur le rocher
Rita Streich, Heinrich Geuser, Erik Werba. 1959. CD V-VI Messe n°6 Chœur
de la cathédrale St. Hedwig, Berliner Philharmoniker, Erich Leinsdorf. 1960.
Messe allemande Chœur de la cathédrale St. Hedwig, Berliner Symphoniker,
Karl Foster. 1959. Chant des esprits sur les eaux Chœur de l’Opéra d’Etat
de Vienne, Clemens Krauss. 1950. Œuvres chorales Günther Arndt, Marcel
Couraud, Robert Shaw. 1952-1961. CD VII-X Die schöne Müllerin.
Winterreise. Schwanengesang Dietrich Fischer-Dieskau, Gerald Moore.
1951-1961. 46 lieder Marian Anderson, Peter Anders, Lisa Della Casa,
Dietrich Fischer-Dieskau, Kathleen Ferrier, Kirsten Flagstad,Elisabeth
Grümmer, Hans Hotter, Gerhard Hüsch, Lotte Lehmann, Christa Ludwig,
Hermann Prey, Heinrich Schlusnus, Elisabeth Schumann, Irmgard Seefried,
Rita Streich, Elisabeth Schwarzkopf. 1932-1962.

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DÉCOUVERTE

Sur la piste d’un


triple portrait de Wagner
Dans un nouvel ouvrage collectif dédié au peintre neuchâtelois Edmond de Pury,
notre collaborateur Denis Morrier retrace l’histoire rocambolesque de la commande singulière
passée par un des plus fervents wagnériens du XIXe siècle.

D
escendant d’une illustre dynastie neu-
châteloise de manufacturiers d’in-
diennes, Alfred Bovet (1841-1900), est
devenu, après son mariage avec
Berthe Peugeot, l’un des acteurs principaux
du développement industriel de la Franche-
Comté. Associé-gérant des « Etablissements
Peugeot-Frères » puis des « Fils de Peugeot-
Frères », au pays de Montbéliard, il est, dès
1869, un collectionneur insatiable d’auto-
graphes rares, d’ouvrages précieux, de des-
sins et de peintures. Musicien passionné, il
réunit dans sa riche demeure de Valentigney
(Doubs), plusieurs milliers de manuscrits des
plus grands compositeurs et interprètes des
quatre siècles écoulés. Admirateur de la pre-
mière heure de Richard Wagner, il devient
un intime de sa famille et un mécène influent
du wagnérisme, à Bayreuth comme en
France.

Grâce exceptionnelle
En 1880, il commande à son cousin germain,
Edmond de Pury (1845-1911), un portrait
d’après nature de son idole. Formé à l’atelier
parisien de Charles Gleyre, Pury est un
peintre suisse encore peu connu. Du 4 janvier
© PHOTOGRAPHIE D’ÉMILE BARBIER (COLLECTION PARTICULIÈRE)

au 7 août 1880, Richard Wagner est en villé-


giature à la Villa Angri, dans la baie de
Naples. A cette époque, le peintre réside sur
l’île voisine de Capri. Par l’intercession de
Cosima Wagner, Bovet obtient la grâce excep-
tionnelle de brèves séances de pose, qui
(comme le rapporte Glasenapp, premier
biographe de Wagner) « le fatiguaient, voire
l’irritaient plus inutilement encore ». Les cor-
respondances inédites de Bovet avec Cosima,
le banquier genevois Agénor Boissier et le mu-
sicographe Houston Stewart Chamberlain
(futur gendre de Cosima), offrent de longs Alfred Bovet à côté de son « petit tableau ».
témoignages, riches en anecdotes piquantes, Valentigney, ca 1890.
sur la création d’un portrait que le peintre va

18 I
© COLLECTION PARTICULIÈRE
© INV. NR. 04705, STIFTUNG FÜR KUNST, KULTUR UND GESCHICHTE, WINTERTHUR. PHOTO: SKKG, 2022
Villa Angri, Napoli, Luglio 1880,
Edmond de Pury fecit.
Huile sur bois (18 x 10,5 cm).

Le 10 novembre 1900, Alfred Bovet décède


subitement des suites d’une attaque d’apo-
plexie. Son épouse et ses cinq enfants se par-
tagent son héritage. Sa somptueuse collection
de manuscrits musicaux est progressivement
disséminée, en particulier lors de retentis-
santes ventes aux enchères berlinoises. Les
portraits wagnériens de Pury tombent dans
l’oubli. En 1970, le musicologue allemand
Martin Geck, dans son ouvrage de référence
dédié aux portraits de Richard Wagner, men-
tionne que la peinture princeps est restée la
propriété d’un descendant d’Alfred Bovet, tan-
Edmond de Pury (1845-1911) : Richard Wagner, dis que toute trace a été perdue de sa version
1880, huile sur bois (60,4 x 39,5 cm). agrandie. Celle-ci réapparaît en 1983, lors de
l’exposition parisienne « Wagner et la France »
décliner, d’abord en deux, puis en trois permettra à l’ouvrage de Pury de ne jamais (BNF/Opéra de Paris), sans que le nom de son
tableaux distincts. tomber totalement dans l’oubli, tandis que le véritable propriétaire soit dévoilé. Il nous est
« Il faut que je vous fasse la genèse de mes – grand tableau ne sera connu que par quelques aujourd’hui offert de vous révéler en couleur,
car j’en ai deux – portraits de Wagner », dit familiers, grâce aux anciens clichés des inté- grâce à l’extrême obligeance de leurs actuels
Bovet à Chamberlain en 1894. « J’avais de- rieurs de la maison Bovet, conservés par sa propriétaires, le petit et le grand tableau qui
mandé à mon cousin, un portrait, où la tête famille jusqu’à nos jours. ornaient autrefois la demeure d’Alfred Bovet.
serait grandeur nature. Mais le maître ne lui Le premier est resté la propriété de la famille,
ayant accordé que deux séances – ce qui était Invraisemblable chance tandis que le second, après diverses péripéties,
du reste déjà extrêmement aimable de sa part L’huile sur bois faite à Capri va encore en- est désormais conservé par la Fondation pour
–, mon cousin vit que jamais il ne pourrait gendrer un troisième tableau ! En 1880, Pury l’Art, la Culture et l’Histoire de Winterthur
terminer en si peu de temps un portrait avec n’avait pas la fibre wagnérienne, marqué par (Suisse). A ce jour, le troisième « fac-similé »,
tête grandeur nature. Il fit donc sur un pan- les « mauvaises plaisanteries », de son entou- réalisé par Pury pour son usage personnel, n’a
neau en bois, une petite tête de quart gran- rage parisien, raillant l’auteur honni d’Une pu être localisé. Denis Morrier
deur nature, environ. Puis rentré à Capri, il capitulation et du Tannhäuser sifflé en 1861.
copia immédiatement cette petite tête, en for- Vingt ans plus tard, tout a changé : l’œuvre À lire :
mat grandeur nature […] C’est presque un de Wagner a définitivement conquis l’Opéra Edmond de Pury,
original, en somme, puisqu’il a été fait immé- de Paris et même le monde entier. Alors, Un regard d’Italie :
diatement après que mon cousin avait por- comme le rappelle son ami William Ritter de Capri à Venise…
traituré le premier. » en 1913, « après la grande palinodie, Ed- par Patrice
Le « petit portrait » revêtira toujours, aux yeux mond de Pury, s’étant enfin rendu compte Allanfranchini,
de son commanditaire, une plus grande de l’invraisemblable chance qui lui était Christophe Flubacher,
valeur que le grand, puisqu’il a été réalisé en échue, n’eut de cesse que de s’être fait à lui- Xavier Galmiche,
face même de son modèle. C’est d’ailleurs le même un fac-similé de sa petite planchette, Laurent Langer
seul dont il autorise une unique reproduction, que sa femme et lui désormais trimbalèrent et Denis Morrier.
en 1895, dans la somptueuse monographie dans tous ses déplacements, comme s’ils Editions du Griffon, 306 p. avec plus
illustrée de son ami Chamberlain consacrée eussent été les plus fanatiques wagnériens de 600 illustrations en couleur.
à Wagner. Cette gravure en noir et blanc du monde. » www.editionsdugriffon.com

I 19
ANNIVERSAIRE

Un jubilé pour l’Ondif


L’Orchestre national d’Ile-de-France fête ses cinquante ans à la Philharmonie… et dans sept
autres salles de la région. Preuve qu’il s’est imposé comme une formation parisienne
pas comme les autres, flexible, mobile, très consciente aussi de son rôle social.
PAR BENOÎT FAUCHET

« antastique ! » Le un Orchestre de Paris sur les fonda- français, le second chef gravant chez
titre du concert tions vénérables de la Société des RCA (Sony) des raretés remarquées.
de l’Orchestre na- concerts du Conservatoire ; en 1974, Une page se tourne avec l’arrivée en
tional d’Ile-de- il va confier au chef Jean Fournet un 2005 de Yoel Levi, vainqueur du
France (Ondif) en cette soirée d’au- « Orchestre de l’Ile-de-France » chargé Concours de Besançon six ans après
tomne claque sur le programme de de rayonner dans toute la région. son prédécesseur. Le maestro israélo-
salle distribué au Théâtre de Saint- Intra-muros, si on s’en tient aux forma- américain, avec une réputation de bâ-
Quentin-en-Yvelines, à Montigny-le- tions permanentes, jouent actuelle- tisseur d’orchestre forgée à Atlanta,
Bretonneux. Nous sommes à une ving- ment l’Orchestre de Paris et l’Ondif, élargit le répertoire. Peu importe que
taine de kilomètres au sud-ouest de donc, mais aussi les deux phalanges la singularité programmatique hexa-
Paris, à distance des grands vaisseaux de la Radio (National et Philharmo- gonale de l’Ondif s’estompe : de l’avis
de l’art symphonique. Dans ce monu- nique), les forces de l’Opéra, l’Or- général, l’exigence de qualité grandit
ment de béton un peu froid côtoyant chestre de chambre de Paris, l’Inter- parmi ses quatre-vingt-quinze musi-
un habitat populaire s’est rassemblé contemporain… ciens, la cohésion de leurs rangs aussi.
un public de cheveux gris, d’actifs de La réputation de l’orchestre ne fait pas
la classe moyenne et d’adolescents su- Partout et pour tous son que franchir le périphérique ; elle
burbains – deux jeunes filles voilées Ce qui fait dire à Case Scaglione, actualité passe les frontières, au point que le
presseront le pas pour attraper un bus directeur musical et chef principal EN SCÈNE magazine britannique Gramophone
à l’issue de la prestation. Il y a fort à de l’Ondif depuis 2019, que « Paris n’a « Nouveaux l’inclut en 2009 dans sa liste des « dix
parier que nombre de ces spectateurs pas besoin d’un autre orchestre ! Nous mondes ». Camille orchestres les plus inspirants » dans le
n’avaient jamais entendu en intégralité sommes un orchestre parisien, et cet Pépin : Ouverture monde pour leur rôle socio-éducatif.
(création).
le clou du concert, la Symphonie fan- orchestre offre quelque chose de très Brahms : Concerto
C’est un Ondif ayant le vent en poupe
tastique de Berlioz. Encore moins le important dans la constellation de la pour violon. qui peut faire venir à son pupitre en
Concerto pour violon de Sibelius, sans vie musicale parisienne. Mais notre Dvorak : 2012 Enrique Mazzola, Italien féru de
parler des rarissimes Offrandes ou- mission est d’apporter la musique Symphonie no 9 bel canto puis, sept ans plus tard,
bliées de Messiaen. Si la production dans une Ile-de-France qui, sans cela, « Du nouveau l’Américain Case Scaglione.
monde ».
a été étrennée à la Philharmonie de ne serait pas beaucoup touchée par
Ann-Estelle
Paris, elle aura été donnée trois fois ce grand art. J’y vois là notre objectif Médouze (violon), Forte activité
ailleurs, poursuivant sa route au principal. » Orchestre national Le Texan se souvient de sa première
Perreux-sur-Marne et jusqu’à La musique symphonique « partout et d’Ile-de-France, invitation en 2016, pour un pro-
Mennecy, dans l’Essonne. pour tous » : la devise de l’orchestre Case Scaglione. gramme associant Concerto pour cla-
Paris, Philharmonie,
s’est affirmée à mesure que sa palette le 23 janvier.
rinette de Copland, Siegfried-Idyll de
Rayonner se diversifiait. Durant l’« octennat » Sept autres dates Wagner et Ma mère l’Oye de Ravel.
Ce faisant, l’Ondif continue d’honorer (1974-1982) de Jean Fournet puis en Ile-de-France « J’appréhendais un peu de faire de la
les intuitions de son fondateur, le com- surtout la double décennie (1982-2002) du 19 au 28 janvier. musique française en France… Mais
positeur Marcel Landowski, directeur de Jacques Mercier, qui transforme les musiciens se sont montrés d’une
de la musique au ministère de la l’Odif en Ondif en l’élevant au rang gentillesse surprenante. J’ai décelé
Culture dont le fameux plan (1966- « national » et fait oublier les quolibets un potentiel énorme parce que – et
1974) visait à doter chaque région d’un des premières années (« un orphéon c’est le cas encore aujourd’hui – ils ne
orchestre. Pour la capitale, Landowski de banlieue », rapporte la légende), la sont jamais fatigués de travailler !
ne va pas se contenter de créer en 1967 formation s’illustre dans le répertoire Ils sont toujours ouverts à de nouvelles

20 I
© DORIAN PROST

idées. Aujourd’hui nous communi- acoustiques sont médiocres, cela une « maison de l’orchestre » avec tout
quons beaucoup plus vite, leur vitesse peut être frustrant, mais ce n’est pas le confort moderne construite pour lui
d’assimilation du répertoire est fulgu- grave : des centaines de personnes à Alfortville, à une station de RER de
rante par rapport à il y a quatre ans. » sont venues nous écouter, alors on la gare de Lyon, par la Région Ile-de-
Premier violon supersoliste de l’Ondif joue pour elles comme à la Philharmo- France, principale tutelle (près de 8,5
depuis vingt ans, Ann-Estelle nie ! », assure Ann-Estelle Médouze, millions d’euros de subvention par an,
Médouze loue de son côté la « très belle pour qui l’Ondif « a développé une contre un peu moins de 2,3 millions
énergie » du jeune chef, « un bosseur espèce d’adaptabilité ». versés par l’Etat).
qui va au fond des choses, avec qui Le lieu s’est enrichi en 2018 d’un stu-
le contact est facile ». Démocratisation culturelle dio d’enregistrement high tech pour
Comme lui et elle, le musicien-type est L’orchestre bénéficie heureusement les professionnels de la musique et du
aujourd’hui un quadragénaire, au sein d’une dizaine de rendez-vous par sai- cinéma. L’Ondif y enregistre sous le
de cet orchestre qui a renouvelé plus son à la Philharmonie – résidence pré- label NoMadMusic, au sein duquel
d’un quart de son effectif en dix ans. cieuse pour entretenir une identité a aussi été créé une « collection solo »
Il ou elle (plus de 40% de femmes) est sonore. Malgré la concurrence relevée, abondée par les musiciens de l’or-
soumis à une forte activité : la forma- l’Ondif y a ses fidèles, auxquels il pro- chestre – « une façon de montrer que,
tion donne quelque cent dix concerts pose des prix doux (de 10 à 35 euros, 6 derrière le collectif, il y a des person-
par an (symphoniques ou en effectifs euros pour les jeunes). « Nos concerts nalités », souligne Pierre Brouchoud.
scindés, chambristes, scolaires, en fa- y sont pleins à 100 %, et nous avons le Lequel compte bien poursuivre le tra-
mille…), sans compter une centaine public le plus divers parmi les or- vail engagé en faveur de la transmis-
d’actions culturelles. Elle côtoie plus chestres parisiens, avec beaucoup de sion (recrutement de chefs assistants,
de cent vingt mille spectateurs chaque jeunes utilisant le Pass Culture », se invitation de lauréates du concours
saison et se produit dans une soixan- réjouit Pierre Brouchoud qui, venu La Maestra) et du soutien à la créa-
taine (!) de salles, au gré d’une tournée d’un autre « orchestre de territoire », tion (prix Elan pour jeunes composi-
quasi permanente à travers les huit en Picardie, a pris en septembre der- teurs). Le nouveau directeur veut un
départements franciliens. Toutes ne nier la direction générale de celui d’Ile- Ondif « en pointe sur la démocratisa-
sont certes pas aussi bien équipées de-France. En outre, alors que plu- tion culturelle » et qui continuerait
que le Théâtre de Saint-Quentin-en- sieurs formations parisiennes ont de cultiver l’« excellence artistique ».
Yvelines et l’Opéra de Massy… « La longtemps dû errer d’une salle de répé- En marchant sur ces deux pieds, le
plupart n’ont pas été construites pour tition à une autre, l’Ondif a son chez- plus mobile des orchestres parisiens
la musique classique. Certaines soi depuis plus d’un quart de siècle : devrait parvenir à aller loin. ◼

I 21
RENCONTRE

L’infini entre les notes


A la fois humaniste, conscience, mémoire vivante : Riccardo Muti
est un des derniers chefs dont la voix porte hors des salles de concert. Privilège
de l’âge, mais surtout d’un art sans compromis, qu’il fera rayonner ce mois-ci encore,
à l’occasion d’une tournée européenne avec son cher Orchestre de Chicago.
PAR LUCA DUPONT-SPIRIO

l est le dernier. Avec le retrait de ensemble (ce que les Grecs nommaient repose sur le chiffre huit : huit tours,
Daniel Barenboim, lui seul in- « symphonie ») forme le meilleur socle huit faces, entre autres symboles.
carne désormais cette généra- pour penser notre société telle qu’elle Chiffre magique pour tant de civilisa-
tion de chefs venus après la devrait être. Une société harmonieuse tions orientales et occidentales, qui
guerre, avant les crises de notre siècle. où coexistent heureusement des idées
son représente l’infini. Quand je lui ai
actualité
Quand l’orchestre et l’opéra, sûrs de différentes, mais qui s’unissent pour demandé de composer pour notre or-
leurs traditions, portés par la crois- le bien de tous. Saint Augustin disait : EN SCÈNE chestre, Glass s’est inspiré de ce monu-
sance, signifiaient la culture au singu- « cantare amantis est », le chant appar- Glass : ment mystérieux, légendaire. L’œuvre
lier. On peint donc souvent Riccardo tient à ceux qui aiment, qui croient The Triumph déroule un murmure continu qui finit
of the Octagon.
Muti en chef marmoréen, classique à l’Amour avec un grand A, celui dont en suspens, sans conclusion, comme
Mendelssohn :
entre tous, pour le confronter aux mou- Dante dit qu’il met tout l’univers en Symphonie no 4. pour donner au ciel le dernier mot.
vements de société actuels. Lors de son mouvement. Prokofiev :
dernier entretien à Diapason, au sortir Symphonie no 5 Votre légende reste liée au
de la pandémie, il confiait à l’ami Vous gardez foi en notre époque, (Bruxelles répertoire lyrique et romantique.
et Luxembourg).
Vincent Agrech sa vision des temps qui et l’on oublie vos nombreuses R. Strauss :
Comment abordez-vous
changent, depuis les Etats-Unis où se collaborations avec Aus Italien (Paris la musique d’aujourd’hui ?
poursuit un heureux compagnonnage les compositeurs de notre temps. et Luxembourg). R.M. : Qu’il s’agisse de Handel, Cage
avec le Chicago Symphony Orchestra. Votre tournée européenne Price : ou Varèse, je plonge les yeux dans la
Alors qu’il retrouve l’Europe avec sa présente d’ailleurs une nouvelle Symphonie no 3 partition et je regarde ce qui est écrit.
(Luxembourg).
phalange américaine, toujours prompt œuvre de Philip Glass, Avec le Chicago
Quand j’ai découvert cette Symphonie
à citer Dante ou les pères latins, on vou- The Triumph of the Octagon. Symphony no 11 de Glass, j’en suis tombé amou-
drait lui demander aujourd’hui ce qui R.M. : Son histoire est très particu- Orchestra. reux. Notre interprétation ne l’a pas
de son art, de sa pensée, demeure à tra- lière. Glass se trouvait à Chicago où Bruxelles, Palais seulement satisfait, mais enchanté ! Il
vers les décennies. nous donnions sa Symphonie no 11. des Beaux Arts, y a bien sûr le langage, ici minimaliste
le 11 janvier.
Après le concert, je l’ai emmené dans Paris, Philharmonie,
et répétitif, mais j’observe avant tout
Riccardo Muti : Le changement est mon bureau, où une photographie a le 13. Luxembourg, l’architecture. Beethoven, Cherubini
là, pour le meilleur et pour le pire. Il retenu notre attention. Celle de Castel Philharmonie, en sont les plus grands maîtres. Il faut
appartient à l’histoire du monde et de del Monte, le dernier château construit les 15 et 16. saisir la structure puis entrer à l’inté-
© TODD ROSENBERG

l’humanité. Mais le message de la mu- par Frédéric II Hohenstaufen, empe- rieur, si tant est qu’elle renferme une
sique reste fondamental, surtout à reur germanique mais aussi roi de âme et non un artifice. Même dans
l’heure où la spiritualité, la culture Naples qui vécut surtout dans l’Italie les créations les plus modernes, on voit
et le dialogue nous font cruellement méridionale. Cet édifice, qui surmonte immédiatement si l’œuvre vient d’un
défaut. L’idée même de jouer, chanter une colline haute de cinq cents mètres, ordinateur ou d’une idée musicale.

22 I
en dates
1941 Naissance à Naples 1967 Après ses études à Milan de Vienne à Salzbourg, 1986 Directeur musical
le 28 juillet, mais c’est à sous la direction d’Antonino une histoire d’amour du Teatro alla Scala de Milan
Molfetta, dans les Pouilles, qu’il Votto, il remporte le Prix Guido qui dure depuis cinquante ans. (jusqu’en 2005).
grandit, et au conservatoire Cantelli et commence à diriger 1973 Directeur musical
de Bari, dirigé par Nino Rota, dans nombre de villes italiennes.
2004 Fonde l’Orchestre
du Philharmonia Orchestra des jeunes Luigi Cherubini.
que débute sérieusement de Londres
son éducation musicale. 1969 Directeur musical 2010 Directeur musical
de l’Orchestre du Mai Musical (jusqu’en 1982).
1957 Retrouve Naples du Chicago Symphony
Florentin (jusqu’en 1981). Orchestra (CSO).
où il étudie le piano avec 1980 Directeur musical
Vincenzo Vitale et la direction 1971 Première invitation de l’Orchestre de Philadelphie 2023 Directeur musical
d’orchestre avec Ugo Ajello. à diriger le Philharmonique (jusqu’en 1992). émérite à vie du CSO.

I 23
● Riccardo Muti

Hommage à l’Italie, votre Allemand, il a dû perdre pied face à la plusieurs générations de musiciens.
programme parisien met vivacité – pour ne pas dire autre chose – A mes débuts viennois en 1971, cer-
Fidélité : parmi
à l’honneur Mendelssohn, mais du peuple napolitain. A Naples tou- les musiciens tains avaient connu les années de
aussi le plus rare Aus Italien jours, il a pris pour un air traditionnel du Chicago guerre. Un demi-siècle plus tard, leurs
de Strauss. le fameux Funiculì, funiculà, qu’il cite Symphony successeurs voient en moi un gardien
R.M. : Ma rencontre avec cette parti- dans le dernier mouvement. On ima- Orchestra, qui de leurs traditions. J’ai appris d’eux
tion remonte à mes débuts florentins gine sa surprise quand l’auteur de la l’ont choisi pour l’amour d’un son, d’un phrasé, d’un jeu
en 1968. Je dirigeais l’orchestre du chanson, parue quelques années plus directeur musical que j’ai voulu transmettre aux autres
dès 2010.
Maggio Musicale avec Sviatoslav tôt, l’a traîné au tribunal pour plagiat ! orchestres, sans changer la personna-
Richter en soliste, qui jouait un lité culturelle de chacun.
concerto de Mozart et celui de Britten. Votre carrière vous a mené face
Pour me mettre à l’épreuve, il me les à de nombreux orchestres. Vous Comment ces relations
avait d’abord fait jouer au piano, moi en dirigez désormais très peu… influencent-elles votre travail ?
à gauche, lui à droite. Alors que nous R.M. : La vie de jet-set conductor ne R.M. : Quand le rapport est si intense,
discutions, il m’a recommandé Aus m’attire guère. Je donne priorité aux je peux faire de la musique dès que
Italien, qu’il aimait fort et que je ne relations anciennes, portées par une je monte sur l’estrade ; plus besoin de
connaissais pas du tout. J’ai inscrit estime réciproque. C’est le cas bien sûr se connaître, de s’accorder les uns aux
l’œuvre à mes programmes ; elle m’a à Chicago ou avec l’Orchestre national autres. Bien sûr, il faut maintenir la
ensuite accompagné de Florence à de France, auquel m’unit un lien artis- cohésion de l’orchestre, mais on juge
Londres, puis au studio des années tique et affectif très fort. J’ai fondé un chef au contact avec les musiciens.
plus tard avec les Berliner Philharmo- par ailleurs en 2004 l’Orchestra J’ai appris que le vrai travail est dans
niker. Un jour, à Naples, un musicien Cherubini, phalange de jeunes qui a la concertation. Il faut accepter avec
s’étonna en découvrant le troisième formé à ce jour près de neuf cents mu- humilité ce que nous apprennent les
© TODD ROSENBERG

mouvement, Sur la plage de Sorrente : siciens. Sans oublier le Philharmo- autres. Les suggestions de l’orchestre
« Mais il n’y a pas de plage à nique de Vienne, l’orchestre de ma ont changé mon écoute, parfois pour
Sorrente ! » C’est vrai. Qui sait ce vie : cinquante-trois ans de collabora- la vie. A Chicago ou à Vienne, je peux
qu’avait vu Strauss ! En bon tion ininterrompue. J’y ai côtoyé intervenir à tout moment, à tout

24 I
_ Le vrai travail est dans la concertation. Strehler disait que dans un monde
idéal, le chef assurerait la mise en
scène tandis que le metteur en scène
Il faut accepter avec humilité dirigerait l’orchestre. Ce monde-là est

ce que nous apprennent les autres._ fini. Même les critiques distinguent
dans leurs articles la musique et le
spectacle ; autrefois, ils rendaient
propos : quand le son ou le phrasé ne vie, où la culture est essentielle, sup- chacun responsable de l’ensemble.
me semblent pas justes, je corrige pose de lire, d’étudier, de comprendre On prévoit toujours moins de répéti-
immédiatement. Nous travaillons non seulement la musique, mais l’être tions musicales, et les chanteurs se
dans un grand respect, de musicien humain. Mozart disait que la musique plaignent que le chef ne leur donne
à musicien, mais aussi avec sérieux la plus profonde est celle qui reste plus certaines informations drama-
et dignité. Avec la conscience égale- derrière les notes ; j’y avais consacré tiques. Car la musique suggère elle-
ment qu’on ne peut jamais prévoir le un petit livre, L’infini entre les notes. même une mise en scène : songez aux
résultat, malgré la meilleure prépara- C’est une recherche continue sur moi- opéras de Mozart et Da Ponte…
tion. Cela aussi fait la beauté, le mys- même. Mais en effet, tout naît de l’ar-
tère de la musique. Mon âme méditer- tisanat. Il faut savoir où mettre les Le pouvoir du chef ne décline
ranéenne, napolitaine, croit au destin : mains. J’ai étudié le violon, le piano, pas seulement à l’opéra :
nous avons fait notre travail, et nous puis la composition pendant dix ans : vous incarnez une époque
nous en remettons au ciel. quatre ans d’harmonie, trois de
contrepoint, trois d’orchestration.
On ne bâtit pas un parcours Après cela, on peut commencer à bou-
comme le vôtre sur le hasard ! ger les bras. Toscanini avait cinq
Comment définiriez-vous diplômes en violoncelle, piano,
votre méthode ? orgue, composition et chant choral.
R.M. : J’essaie de faire comprendre Furtwängler, De Sabata composaient.
le discours musical, par le phrasé Je me fâche souvent en Amérique
notamment. Toute phrase s’élance et quand je demande à un jeune chef ce
retombe selon une nécessité interne, qu’il étudie. « I study conducting. »
une loi quasi physique. Lorsqu’on dit Qu’est-ce que cela veut dire ? « Tu ap-
« je l’entends ainsi », on bafoue sou- prends à bouger les bras ? » Et beau-
vent cette loi ; c’est du dilettantisme. coup dirigent déjà des orchestres.
Il y a bien sûr d’autres enjeux, surtout Comme disait Toscanini : tout âne
dans des langages modernes et peut bouger les bras, mais faire de la
contemporains où le rythme, la tex- musique n’est donné qu’à certains. Ou
ture prennent plus d’importance. Cela comme l’exprimait Gerhart Hetzel,
ne doit pas faire délaisser le répertoire ancien konzertmeister au Philharmo-
classique et romantique. Mozart et nique de Vienne : « la musique est un
Haydn deviennent des auteurs pour instrument très difficile. »
ensembles spécialisés. Les orchestres
ne savent plus quoi jouer à force de Vous continuez pourtant
philologically correct – ou incorrect ! de former les jeunes
On programme sans cesse Mahler et chefs d’orchestre !
Chostakovitch, deux compositeurs R.M. : J’ai créé pour eux une acadé-
essentiels bien sûr. Mais en oubliant mie où j’enseigne l’opéra italien,
Mozart, Schubert ou le premier Mozart compris. Pourquoi ? Parce
Beethoven, les orchestres perdent qu’ils n’ont plus aucun pouvoir sur
certaines qualités d’intonation, de la production. Les metteurs en scène
phrasé, de couleur, de timbre… sont devenus les rois, les patrons, les
dominateurs de l’opéra. Les jeunes
La transcendance dont chefs manquent d’expérience, de
vous vous réclamez repose connaissances pour travailler avec
© TODD ROSENBERG

donc bien sur un artisanat ? eux comme jadis. Il me reste des pho-
R.M. : Quand je parle de transcen- tographies prises sur les répétitions
dance, je parle d’un monde sans des Noces de Figaro que je donnais
limites où l’horizon est toujours plus avec Giorgio Strehler. On nous voit
large, plus vaste. Cette expérience de assis côte à côte face aux chanteurs.

I 25
● Riccardo Muti

où sa notoriété, sa parole
pouvaient atteindre l’ensemble
de la société, et dont vous
êtes sans doute le dernier
représentant. En avez-vous
conscience ? Comment vivez-
vous cette responsabilité ?
R.M. : Je reste au fond de moi, même
à mon âge, un simple ragazzo du sud
de l’Italie. Je porte en mon âme l’héri-
tage du monde gréco-romain, d’une
certaine dignité qui peut sembler
altière, distante ou arrogante, mais
qui vient de mon éducation classique,
reçue à l’école. Cette éducation doit
s’adresser à tous. Elle m’a donné une

© TODD ROSENBERG
liberté que je conserve depuis, raison
pour laquelle je n’ai jamais sympa-
thisé avec la gauche, le centre ou la
droite. J’ai toujours été un homme
libre, ce qui m’a permis de me montrer
parfois très critique envers les politi- patrimoine européen essentiel. Avant de Macbeth avec des musiciens, des
ciens. Ce ne sont pas les producteurs, les disques, la radio, la télévision, ce Pour le temps chanteurs et un piano. J’ai donc pré-
les agents, les puissants qui ont fait ma sont elles qui diffusaient la musique présent : avec senté, en miroir de Verdi, l’original
carrière – quel terme horrible –, mais et faisaient la joie des populations. Philip Glass, dont de Shakespeare. Deux prisonnières
les orchestres. Ce sont eux qui m’ont Elles conservent des instruments qui Riccardo Muti ont accepté de le lire. Je suis resté fas-
dirigera
choisi à Florence, Londres, Milan, n’existent plus dans les orchestres, une œuvre
ciné par ces jeunes filles des quartiers
Philadelphie ; jamais je ne leur ai été témoignages d’une culture que nous nouvelle lors pauvres, que la drogue avait menées
imposé. Je crois absolument à la li- ne pouvons abandonner. J’essaie d’en de sa tournée là et qui se transformaient à ce pre-
berté comme à une chose fondamen- convaincre les politiciens, sourds à de européenne. mier contact avec le texte. Leur visage
tale. Je ne parle pas de courage, car ce rares exceptions près – leur seul point s’éclairait. Ces expériences me font
n’est pas le sujet. Si l’on croit en un commun avec Beethoven. C’est le cas croire davantage encore à la force
idéal, on le poursuit jusqu’au bout. dans le monde entier. Si on ne sauve de la culture.
Cela ne signifie pas que j’aie toujours pas la musique, le monde deviendra
raison, mais je ne me prive pas de don- encore plus invivable. Vous revenez toujours à des
ner mon avis au monde politique, en exemples en action. On vous
Italie particulièrement. On connaît votre amour imaginerait plus contemplatif…
de la lecture. Vous aide-t-elle R.M. : Ces choses-là ne doivent pas
Quel regard portez-vous sur la à cultiver cette liberté, à prendre demeurer théoriques, il faut les mettre
situation italienne aujourd’hui ? du recul sur les événements ? en pratique. L’expérience est essen-
R.M. : J’ai toujours critiqué l’état R.M. : La lecture est fondamentale. tielle. J’aime par ailleurs ma cam-
du monde musical dans mon pays, Mon père me disait toujours, ainsi pagne avec mes animaux, mes poules,
et continuerai de mener la bataille. qu’à mes quatre frères : « lisez, lisez, mes ânes qui se promènent jusque
Les conservatoires, les ensembles lisez ». Je connais encore par cœur de dans les chambres. Je fais mienne
souffrent ; de nombreuses régions nombreux passages issus de la Divine cette maxime des moines bénédic-
manquent d’orchestres et de théâtres. comédie ou de Leopardi. Je continue tins : O beata solitudo, o sola beatitudo.
Il y a quelques jours, j’étais invité dans d’amener la musique dans les prisons, Heureuse la solitude, qui est le seul
les Pouilles où se tenait le congrès et me trouvais il y a quelques années bonheur.
des bande, ces fanfares pour lesquelles dans un centre de détention juvénile
je me suis battu et qui forment un à Chicago. Nous donnions des extraits Retrouvez-vous sur scène
ces moments de grâce ?
_ J’essaie de convaincre les politiciens de R.M. : Il faut tout ajuster, tout mettre
en place, comme pour un voyage en
mer. Alors, comme dit Dante, « si al-
soutenir la culture, mais la plupart sont sourds zano le vele », les voiles se lèvent, et le

– leur seul point commun avec Beethoven. _ navire va. Puisse le vent nous être
favorable. ◼

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HISTOIRE

Anton Bruckner
Pour la plus grande gloire de Dieu
On célèbre en 2024 le deux centième anniversaire de la naissance du maître
de Saint-Florian, dont l’œuvre bénéficie désormais d’une très riche discographie.
Entre les étapes d’une vie pétrie de dévotion, les partitions plus ou moins célèbres
et les enregistrements mythiques, suivons la trajectoire d’un parcours créatif
qui, comme les cathédrales, lança ses flèches tout là-haut, jusqu’aux cieux.
PAR JEAN-CLAUDE HULOT

nton Bruckner naît le 4 septembre 1824 époque datent de nombreux chœurs d’hommes et
dans un petit village de Haute-Autriche, quelques rares pièces d’orgue. Car Bruckner, bien qu’una-
Ansfelden, situé à quelques kilomètres nimement reconnu très tôt comme un organiste che-
de Linz. Son père, Anton senior, y est ins- vronné, écrit peu pour son instrument. Il préfère inter-
tituteur, mais aussi, comme la législation de l’Empire aus- préter Bach et Mendelssohn et surtout improviser, utilisant
tro-hongrois le prévoyait, chantre, sacristain et organiste son orgue comme le laboratoire des développements qui
à l’église. Pour arrondir ses fins de mois, il joue également se retrouveront dans ses symphonies.
du violon dans les auberges. La mère de Bruckner tient le
ménage, lourde tâche puisque le couple aura onze rejetons Bruckner avant Bruckner
dont six mourront en bas âge. C’est dans cette enfance cam- De cette première période créatrice, on retient deux parti-
pagnarde et apparemment heureuse, que Bruckner puisera tions sinon majeures du moins intéressantes, puisqu’elles
cet alliage propre à son œuvre entre musique sacrée et annoncent, si l’on veut bien tendre l’oreille, le futur génie,
échos de ländler. Vite repéré pour ses dons, le petit Anton tout en payant leur tribut aux maîtres qu’il connaissait
accompagne son père au violon dans les bals populaires. alors, Haydn et Mozart. Il s’agit du Requiem écrit en 1849
La mort de celui-ci à quarante-six ans, en 1837, va décider pour la mort de son ami Sailer, et de la Missa Solemnis
du destin de son fils. Peinant à subvenir aux besoins de sa composée en 1854 pour l’intronisation d’un nouveau prieur
famille nombreuse, sa mère confie l’adolescent aux moines à Saint-Florian. Les deux opus ont bénéficié d’une réhabi-
de l’abbaye de Saint-Florian, centre de rayonnement cultu- litation discographique due à Lucasz Borowicz avec
rel et religieux alors essentiel en Autriche. Admis comme l’Akademie für Alte Musik Berlin et le RIAS Kammerchor
choriste, il y découvre la musique sacrée savante et surtout (Accentus). Pour aller plus loin, Gramola a publié trois
l’orgue, grâce à l’instrument monumental de la basilique, disques de chœurs d’hommes enregistrés à Linz. Rarement
l’un des plus beaux du pays. Malgré les suggestions du supé- ambitieuses, le plus souvent simples pochades, ces pages
rieur de Saint-Florian, Bruckner, qui toute sa vie demeu- montrent le compositeur faisant ses gammes, tout comme
© GETTY IMAGES / DEA / A. DAGLI ORTI

rera d’une dévotion zélée (et restera chaste), ne veut pas ses piécettes pour piano destinées à ses élèves. Fin 1855,
entrer dans les ordres. Il préfère effectuer de solides études Bruckner est nommé organiste de la cathédrale de Linz :
générales, afin de suivre la voie de ce père qu’il aimait et une nouvelle ère commence.
admirait tant. Il commence modestement comme institu-
teur assistant dans le petit village de Windhaag, où il écrit Linz : remise en question
ses premières œuvres, dont une messe brève. Suspect, aux A Linz, Bruckner ne découvre pas seulement une ville,
yeux de son supérieur, de privilégier la musique à l’ensei- certes de moyenne importance, mais surtout une vie musi-
gnement, il est muté à Kronstorf (toujours dans la région cale nettement plus riche que celle des villages où il a vécu
de Linz) puis, consécration, à Saint-Florian même. De cette jusqu’ici. Depuis juillet 1855, il se rend régulièrement

28 I
● Anton Bruckner

y imposent leur vision. C’est donc vers Philippe Herreweghe


(HM) qu’on se tournera pour entendre la pureté palestri-
nienne du langage de Bruckner.
Enfin la Messe en fa mineur, achevée en 1868, alors que le
compositeur part définitivement pour Vienne, fait figure
de (vraie) missa solemnis dans sa production. On y salue
une fois encore Jochum (DG), mais aussi et surtout Sergiu
Celibidache (Warner), dont la vision comme à son habitude
très étale impose la filiation avec le modèle beethovénien
tout en s’appuyant sur une Margaret Price en état de grâce.

Naissance du symphoniste
Soucieux d’être reconnu comme un compositeur haute-
ment diplômé, Bruckner suit des études exceptionnellement
longues, au cours desquelles il approche le genre dans le-
quel il va s’épanouir, celui de la musique symphonique.
Avant même les trois grandes messes, l’Ouverture en sol
mineur (1862) montre déjà quelques traits caractéristiques
de son langage musical, comme les grands intervalles du
thème principal. Peu enregistrée, l’œuvre a néanmoins
trouvé un défenseur de choix en Riccardo Chailly (Decca).
L’année suivante, Bruckner se lance enfin, à presque qua-
© GETTY IMAGES / BRANDSTAETTER IMAGES
rante ans, dans la grande affaire de sa vie, avec sa Sympho-
nie en fa mineur. Longtemps considérée comme un simple
morceau d’étude, c’est pourtant une page très riche, encore
imprégnée du premier romantisme, celui de Schumann
ou de Weber, comme le dénotent les accents de la clarinette
ou du cor dans l’Andante, outre de surprenantes ressem-
blances avec les compositions du jeune Dvorak. L’œuvre
vient de connaître au disque une résurrection spectaculaire
sous la baguette inspirée de Christian Thielemann qui lui
a rendu, à Vienne, un éclat et une générosité qu’on n’avait
jusqu’à présent guère entrevus (Sony).
Mais le couronnement de cette période linzoise réside
à Vienne auprès du très renommé professeur de contre- Le piano évidemment dans la Symphonie no 1, créée en 1866. Cette
point Simon Sechter (1788-1867), qui avait donné quelques du maître, partition gorgée d’audace se démarque des suivantes par
leçons à Schubert quelques semaines seulement avant dans la chambre son rythme de marche initial et par le fourmillement de son
la mort de celui-ci. Bruckner reprend sa formation à la base, qu’il occupait redoutable finale qui laissa les premiers interprètes épuisés.
à l’abbaye
rare exemple d’humilité et de remise en question aussi tar- de Saint-Florian.
Elle jette aussi un pont vers l’avenir, dans son Adagio em-
dive. Notre homme a en effet dépassé la trentaine, sans Sur le pupitre, preint d’une incertitude tonale visionnaire, ou son Scherzo
avoir produit aucune page réellement marquante. A Linz, la partition de sa dont la violence démoniaque préfigure ceux des symphonies
il fait aussi la connaissance d’Otto Kitzler, le chef du théâtre Messe no 3. ultérieures. Avec ce coup d’éclat, s’ouvre la discographie
de la ville qui lui fait découvrir Berlioz et les opéras de considérable des « grandes » symphonies brucknériennes.
Wagner – une révélation pour Bruckner des possibilités On retiendra la version bouillonnante de Jochum à Berlin
de l’orchestre moderne, mais aussi une source de tour- (DG) ou celle de Claudio Abbado à Vienne (DG).
ments pour le reste de sa vie. Bien des années plus tard, en 1891, Bruckner sera fait
De cette époque datent les trois grandes messes : celle en docteur honoris causa de l’université de Vienne. Pour la
ré mineur (1864), à la discographie assez maigre malgré cérémonie de remise du diplôme, il révisera sa Sympho-
son originalité foncière, est à découvrir dans la version nie no 1 ; cette version dite « de Vienne » où s’intro-
désormais ancienne d’Eugen Jochum (DG), inégalée tant duisent des éléments du langage des dernières œuvres,
le maître sait trouver dans l’étonnante écriture orchestrale
les vraies prémices du style symphonique à venir.
Deux ans après, Bruckner écrit sa Messe en mi mineur,
_ Adoubé par Wagner, Bruckner
œuvre absolument unique dans sa production : pas de so-
listes, chœur à huit voix et un orchestre réduit à quinze se voit enrôlé sous la bannière
vents. Plus que les grands chefs symphonistes (Barenboim,
Jochum ou Mehta), ceux issus du renouveau baroque de la « musique de l’avenir ». _
30 I
a été magistralement défendue par Abbado à nouveau, baptisa plus judicieusement « symphonie de la Haute
mais à Lucerne (DG), et Thielemann, toujours avec les Autriche ». Pour en apprécier la lente et paisible progression
Philharmoniker (Sony). pastorale, écoutons la gravure de Rémy Ballot à Saint-
Florian (Gramola).
Vienne : valses-hésitations Bruckner élaborera en 1877 une variante plus resserrée
Nommé professeur au conservatoire de Vienne et organiste de cette 2e, qui perdra au passage certains traits marquants,
de la Cour à partir du 1er octobre 1868, Bruckner, qui sort comme la sublime phrase du cor qui conclut l’Adagio,
d’une violente quasi-dépression, a enfin obtenu la recon- nettement moins émouvante à la clarinette. Mais à Vienne,
naissance dont il rêvait comme théoricien et instrumen- Carlo Maria Giulini avec les Symphoniker (Testament) ou
tiste. L’organiste connaît même un véritable triomphe Thielemann avec les Philharmoniker (Sony) ont su rendre
en venant jouer en France en 1869, d’abord à Nancy puis à cette version son propre équilibre.
à Notre-Dame où il impressionne Franck et Saint-Saëns,
qu’il rencontre ensuite. En 1871, l’interprète renouvelle Symphonie no 3 :
ce triomphe à Londres… mais pas le compositeur. comme un malentendu
Alors commence une période de création obstinée dans En septembre 1873, Bruckner force la porte de Wagner
le secret de son cabinet, comme s’il était indifférent à l’exé- pour lui présenter les manuscrits des Symphonies nos 2
cution de ses œuvres, conscient que son heure viendrait. et 3 en lui proposant de lui dédier celle de son choix.
En 1869, il achève sa Symphonie en ré mineur qu’il reniera La place Le maître de Bayreuth retient la 3e, devenue célèbre sous
par la suite en lui attribuant l’infamant numéro « zéro », principale de Linz ce nom de « Wagner-Symphonie ». Plus que quelques
au XIXe siècle.
source de bien des incompréhensions. Pourtant, nombreux Dans cette cité
discrètes citations de ses opéras, c’est l’envol héroïque
sont les chefs qui ont inclus cette page dans leur cycle bruc- prospère, du thème initial, confié à la trompette, qui séduit Wagner.
knérien. Sous les baguettes de Barenboim (DG), Chailly Bruckner Las, en lui accordant cette reconnaissance, il enrôle offi-
(Decca) ou à nouveau Thielemann (Sony), elle apparaît découvre une vie ciellement l’organiste de Saint-Florian sous la bannière
comme le trait d’union entre la singulière 1ère et les vastes musicale de la « musique de l’avenir », ce qui lui vaudra la haine inex-
compositions qui vont suivre. nettement plus piable de Brahms et surtout du redoutable critique viennois
En 1872, paraît la version initiale de la Symphonie no 2, riche que celle Hanslick, qui le poursuivra toute sa vie.
des villages
surnommée non sans ironie « symphonie des pauses » par où il passa son
La 3e subira de nombreuses révisions qui raccourcissent
les instrumentistes qui la jouèrent, car Bruckner avait tenu enfance et son l’immense rédaction initiale et ses crescendos intermi-
compte de leurs remarques à propos de la précédente. adolescence. nables, retirent les citations de Wagner, pour donner nais-
Premier biographe du compositeur, August Göllerich la sance à une version plus équilibrée en 1877, puis une
© WIKIMÉDIA COMMONS
● Anton Bruckner

dernière au finale trop abrégé en 1889. La version de 1873 de son art de l’improvisation ?) écrit verticalement, quasi-
resplendit dans sa démesure avec Ballot (Gramola) ou ment page après page, orchestration incluse, et… reprend
Georg Tintner (Naxos), voire Yannick Nézet-Séguin tout une fois arrivé au bout. Pour la « Romantique », il va
(Hänssler), moins expansif mais avec l’apport de la Staats- ainsi remplacer en 1880 le Scherzo existant par celui, désor-
kapelle de Dresde. La deuxième version a trouvé ses mais fameux, de la « chasse », et enrichir substantiellement
meilleurs défenseurs à Vienne avec Haitink (Philips) et le finale devenu le véritable centre de gravité de l’œuvre,
Thielemann (Sony). La dernière a connu son heure de gloire et l’une de ses pages les plus impressionnantes. Plus tard,
sous les baguettes de Karl Böhm à Vienne encore et tou- une révision dans laquelle ses élèves joueront un rôle am-
jours (Decca), Herbert von Karajan à Berlin (DG), ou Kurt bigu, raccourcira et wagnérisera la partition en 1888.
Sanderling à Leipzig (nos Indispensables). Souvenir Pour entrer dans ce laboratoire et confronter ces diffé-
de la rencontre rentes versions, il faut écouter la passionnante anthologie
Symphonie « Romantique » : avec Wagner,
en 1873.
réalisée par Jakob Hrusa à Bamberg (Accentus). Mais pour
premier sommet A l’auteur
découvrir la pure splendeur de l’œuvre, on reviendra tou-
C’est en 1874 que voit le jour la symphonie appelée à devenir du Ring, Bruckner jours au disque miraculeux de Böhm à Vienne (Decca),
la plus populaire de Bruckner. La fameuse « Romantique » dédie sa sans oublier la lecture très personnelle mais au finale trans-
ne doit pas tant son immense succès à son qualificatif qu’à Symphonie no 3, cendant signée Celibidache (Sony).
l’inspiration géniale qui l’entame : un trémolo de cordes émaillée
sur lequel surgit un appel de cor, simple quinte au rythme de discrètes Symphonie no 5 :
inoubliable (une ronde, une blanche triple pointée, une citations
de ses opéras
« ce que j’ai fait de mieux
double croche, une ronde). De ce simple intervalle va naître
dans la première
en matière de contrepoint »
une symphonie plus grandiose que jamais. A la différence rédaction. Bruckner n’entendra jamais son immense 5e – trop fatigué
de la plupart des autres compositeurs, Bruckner (influence pour assister à la création en 1894, il lui sera au moins épar-
gné de subir les coupures et réécritures dues au chef Franz
Schalk, qui demeureront de mise jusqu’à la résurrection
de la rédaction authentique en 1935 par Siegmund von Hau-
segger. Le compositeur dépasse là, en sens architectural et
en complexité contrapuntique, tout ce qu’il a écrit aupara-
vant. L’imbrication des thèmes entre les mouvements, la
structure du finale en forme de gigantesque prélude, choral
et fugue, la majesté de la coda : tout fait que cette sympho-
nie reflète sans doute le plus profondément l’univers inté-
rieur du musicien. Signe d’une assurance nouvelle, l’œuvre
ne connaîtra aucune révision, comme si d’emblée elle avait
trouvé sa forme parfaite. Rétive aux chefs qui n’y voient
qu’une démonstration de force, elle s’ouvre aux bruckné-
riens authentiques comme Jochum (en 1964 à Ottobeuren
avec le Concertgebouw, Philips), Blomstedt magistral à
Leipzig (Accent) mais aussi Harnoncourt (RCA) et Thiele-
mann (Sony) à la tête l’un et l’autre des Philharmoniker.
Dans la foulée, Bruckner s’offre sa seule incursion majeure
dans le domaine de la musique de chambre avec son
Quintette à deux altos. Devenu célèbre par l’intensité du
chant de son admirable Adagio, l’œuvre n’est en rien une
symphonie pour cordes comme certains l’ont écrit. Page
plus intérieure que les symphonies qui l’encadrent, son
moindre éclat apparent recèle pourtant un lyrisme hérité
de Schubert particulièrement émouvant. La référence clas-
sique des Amadeus (DG) n’a pas pris une ride, mais on écou-
tera aussi la proposition originale de l’Archibudelli d’Anner
Bylsma (Sony) d’autant qu’elle s’accompagne de la meil-
leure version du seul autre essai en musique de chambre
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de Bruckner, son Quatuor, qui remonte aux années d’étude


auprès d’Otto Kitzler.
Bruckner n’entendra jamais non plus la 6e, qui marque
comme un temps d’arrêt avant la formidable apothéose
créatrice des trois dernières. Comparée aux deux précé-
dentes, l’œuvre est à la fois plus courte, moins tendue vers

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son finale, plus introspective dans son sublime Adagio, l’un sa forme définitive (à l’exception de l’unique coup de cym-
des plus beaux mais aussi des plus pudiques du composi- La maison bales au sommet de l’Adagio, objet de discussions sans
teur, tout en s’inscrivant dans la lignée des 4e et 5e, qu’elle où vécut fin). Les longues phrases des cordes du premier mouve-
cite. La violence rythmique du premier mouvement n’a le compositeur, ment, l’inconsolable douleur du grand Adagio qui dépasse
guère d’équivalent chez Bruckner depuis la véhémence de à Vienne. tous ceux que Bruckner avait écrits auparavant, puis la
La capitale
la 1ère. Peu d’approches sont réellement convaincantes, la autrichienne
robuste énergie du Scherzo et l’apothéose du finale, plus
plupart des chefs butant sur le difficile finale. Mais Jansons lui accordera bref que celui des 4e et 5e : tout ceci confère à la 7e un équi-
à Amsterdam (RCO), Wand (RCA) ou Sawallisch (Orfeo) la reconnaissance libre rayonnant. Dans une discographie considérable,
jadis ont su trouver le sens de l’œuvre, comme aujourd’hui tant du public quelques rares chefs ont su frôler la perfection, à l’image
Thielemann (Sony). En marge de cette discographie, com- que de ses pairs. de Böhm en 1943 (nos Indispensables), puis Jochum à
ment ne pas fondre devant l’Adagio porté au-delà de toute Berlin (DG), Celibidache à Munich (Warner) et, dans un
expression par Celibidache (Warner ou Sony) ? style plus aérien, Simon Rattle (LSO Live) et Paavo Järvi
(Alpha), dont les récentes gravures témoignent d’une belle
Symphonie no 7 : relève générationnelle.
la reconnaissance, enfin Etroitement lié à la 7e, le Te Deum marque le retour de
L’indifférence du public viennois ne dissuade pas Bruc- Bruckner à la musique sacrée avec orchestre – pour chœur
kner de continuer à édifier avec patience ses cathédrales seul ou avec orgue, il aura continué jusqu’à ses dernières
symphoniques que les orchestres ne mettent même pas à années à écrire de brefs graduels dont certains sont restés
leur programme. En février 1883, après avoir appris la souvent joués ; on en trouvera un florilège d’une intensité
mort de Wagner survenue à Venise, il transforme la fin de orante chez Jochum (DG). Ce Te Deum partage certains
l’Adagio de la 7e, alors en gestation, en une saisissante thèmes de la 7e, mais offre par sa concision (une vingtaine
musique funèbre pour celui qu’il admirait tant. La créa- de minutes seulement) et son énergie implacable, de la pre-
tion, dès 1884, est un triomphe, grâce en particulier au mière à la dernière note, un complément indispensable
chef Arthur Nikisch qui toute sa vie défendra l’œuvre de au cycle symphonique. Même si de grands brucknériens
son maître. Aussitôt, cette symphonie devient l’une des l’ont ignoré, à l’instar de Günter Wand ou Herbert Blomstedt,
plus populaires du compositeur, à égalité avec la « Roman- il a bénéficié d’une discographie de grande qualité,
tique ». Comme les deux précédentes, elle trouve d’emblée dominée par des chefs aussi éminents que Bruno Walter
(Sony), Karajan (DG), Jochum (DG), Haitink (Philips) ou
_ La Symphonie no 5 reflète Barenboim (DG). Mahler, qui s’en souviendra en compo-
sant le Veni Creator de sa Symphonie no 8 dite « des Mille »,
avait remplacé sur sa partition du Te Deum la mention
sans doute le plus profondément « pour chœur, solistes et orchestre, orgue ad libitum » par :

l’univers intérieur de Bruckner. _


« pour voix d’anges, bienheureux, cœurs tourmentés,
et âmes purifiées par le feu ».

I 33
mondiale (DG), Haitink à Dresde après de terribles inon-
dations (Profil), Wand dans la cathédrale de Lübeck (RCA).
Mais, plus que tout autre, Celibidache à Munich a osé une
démesure fascinante (Warner), l’inépuisable richesse de
l’œuvre ouvrant toutes les perspectives aux interprètes pour
peu qu’ils soient habités.

Symphonie no 9 : quoi ? l’éternité


Les premières esquisses de la 9e remontent à 1887, juste
après l’achèvement de la version initiale de la 8e. Mais
Bruckner s’interrompt pour réécrire cette dernière ainsi
que la 3e puis la 1ère pour l’exécution viennoise de 1891
(cf. supra). Il s’attelle de nouveau à son ultime symphonie
en 1892, l’âge et la maladie ralentissant désormais son
travail. Fidèle à son mode de composition, il écrit vertica-
lement, mouvement après mouvement, presque page après
page, sans laisser d’esquisse d’ensemble à la différence
de Mahler avec sa 10e. Il ouvre la 9e, qu’il dédie en toute
simplicité à Dieu, par un premier temps gigantesque, dont
la structure par grandes vagues évoque les finales des 4e
et 8e. Suit le scherzo le plus terrifiant de sa production, puis
l’intimidant Adagio culminant sur une dissonance sans
© GETTY IMAGES / HERITAGE IMAGES
précédent dans l’histoire de la musique. Bruckner passera
les deux dernières années de sa vie à lutter pour concevoir
le finale en se heurtant à trois obstacles : son épuisement
physique, sa peur de la mort et du jugement divin comme
l’attestent ses nombreuses prières quotidiennes dont il note
avec un soin maniaque le nombre et la nature dans ses car-
nets, son ambition musicale enfin. Il a en effet placé la barre
si haut avec le premier mouvement, qu’il lui faut l’égaler
voire le surpasser pour couronner la symphonie. En juillet
1896, un journal local annonce qu’il a achevé cette conclu-
Symphonie no 8 : apogée du siècle Portrait réalisé
sion. Il semble en tout cas qu’il l’ait jouée au piano à son
A peine la 7e achevée, et revigoré par son succès immédiat, en 1885,
médecin qui, non musicien, ne saura retranscrire ce qu’il
Bruckner se lance dans l’écriture de la 8e. Gigantesque, à l’époque a entendu. Le 11 octobre 1896, Bruckner rend l’âme. En se
la première version est achevée en 1887 et aussitôt envoyée où le musicien recueillant devant sa dépouille, des élèves ou prétendus tels
à Hermann Levi, grand chef d’orchestre (il vient de créer entame emporteront les feuillets du mouvement en gestation, nous
Parsifal à Bayreuth), lui aussi admirateur et défenseur la composition privant des dernières notes du maître (une rumeur tenace
de la 7e. Hélas ! il ne comprend pas l’immense construction de sa Symphonie veut que ces précieuses ébauches reposent dans le coffre
et renvoie la partition aux élèves de Bruckner, à charge pour no 8. Le triomphe d’un collectionneur).
qu’elle remporta
eux d’adoucir le coup. Le compositeur prend terriblement dès sa création
L’idée qu’il avait émise de jouer le Te Deum à la place du
mal cette rebuffade, au point, dit-on, de penser au suicide, ne s’est jamais finale n’a guère prospéré et la plupart des chefs s’arrêtent
lui le catholique fervent. De la véritable dépression qui démenti depuis. à l’Adagio. C’est sous cette forme que les plus grandes
s’ensuit, il sortira en révisant ses œuvres antérieures, un versions nous bouleversent : Furtwängler fiévreusement
processus créatif typique de cet être à la fois sûr de son consumé (DG), Jochum et Giulini mystiques (DG l’un et
génie et sensible aux avis extérieurs. Il reprend d’abord l’autre), Celibidache (Warner) d’une noirceur terrible. Pour
la 3e, puis s’attaque à la 8e, offrant avec cette deuxième entendre ce qu’aurait pu être le finale, on se tournera vers
version sans doute la plus belle symphonie de son siècle la passionnante conférence donnée par Harnoncourt
depuis la 9e de Schubert. Pour la première fois, il élargit sa à Salzbourg (RCA) ou la tentative d’achèvement restituée
palette orchestrale à des instruments nouveaux pour lui avec brio par Rattle à Berlin (Warner). Et si l’on veut
(harpe, piccolo, contrebasson), ose des innovations for- connaître les dernières pages avec orchestre achevées par
melles (la fin pianissimo du premier mouvement, trouvaille Bruckner, on écoutera le volcanique Psaume 150 (Jochum
lumineuse). La création, en 1892, est un triomphe. ou Barenboim, DG) et le monumental chœur profane
Au disque, les grandes versions sont légion, mais les plus Helgoland (Barenboim, DG) dont la coda purement orches-
accomplies sont étrangement celles qui naissent d’exécu- trale laisse imaginer ce qu’aurait été celle de la dernière
tions dans des circonstances particulières : Jochum à symphonie, l’apothéose que voulait Bruckner : « omnia
Hambourg peu de temps après la Seconde Guerre ad majorem Dei gloriam ». ■

34 I
Premiers pas
En quelques albums, de quoi aborder
Bruckner par ses plus grands interprètes.

Messe no 3 en fa mineur. F ¢*¨ $* Â*“™J^^*™


Chœur, solistes, Orchestre
philharmonique de Munich,
Sergiu Celibidache. Emi/Warner.

Symphonie no 1.
Orchestre philharmonique de Vienne,
Claudio Abbado. DG.

Symphonie no 2.
Orchestre philharmonique de Vienne,
Christian Thielemann. Sony.

Symphonie no 3 « Wagner ».
Gewandhaus de Leipzig,
Kurt Sanderling
(notre Discothèque idéale).
PLAGE 7 DE NOTRE CD

Symphonie no 4 « Romantique ».
Orchestre philharmonique de Vienne,
Karl Böhm. Decca.

Symphonie no 5. ^Ƃĺĺƣ Ȳ fŋĺģđŮă


Orchestre du Concertgebouw
d’Amsterdam, Eugen Jochum. Philips. ^* p¨“@*pJ™
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Symphonie no 6.
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Orchestre du Concertgebouw
d’Amsterdam, Maris Jansons. RCO. fĢƤ ƤŵŠŇƤƲĢƤ ěĢ Šߦ,ūƤĢũēŠĢ f÷ ¤ģǖģƜĢūĔĢ
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Symphonie no 7.
London Symphony Orchestra, ǒ ɇ Ǐǒ ZgÂJ*“Ȧ p+“ “pÉ^
Simon Rattle. LSO.

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Symphonie no 8. żğĄäżŮăȦ ÷ÛĺĺăżŴ ăż øŋłøăŮżŴȦ ŴƂŮ łŋżŮă Ŵģżă ģłżăŮłăż ȧ
Orchestre symphonique de la NDR, ƝƝƝȥøğÛżăÛƂƜăŮŴÛģĺĺăŴȾŴūăøżÛøĺăŴȥĘŮ
Günter Wand. RCA. ǎǏ Ǒǎ ǖǑ Ǖǖ ǖǗ
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Symphonie no 9. $8™ fJg¢*gg¢ Ȫ
Orchestre philharmonique de Vienne,
Carlo Maria Giulini. DG. @chateauversailles.spectacles @OperaRoyal @CVSpectacles

@versaillesspectacles

Te Deum. Solistes, chœur


et Orchestre philharmonique *g¢“*“J™*

de Vienne, Herbert von Karajan. f+8g*


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Emi/Warner.
BONNES FEUILLES

Bernard Herrmann
Au-delà de l’écran
Le compositeur Karol Beffa consacre un nouveau livre à Bernard Herrmann,
à qui l’on doit quelques-unes des plus fameuses musiques de film de tous les temps,
mais aussi de multiples œuvres pour le concert et le théâtre. Morceaux choisis.

e livre de Karol Beffa a pour ambition d’explo- mortifère, le destin romantique du capitaine Achab – figure
rer l’univers du compositeur américain de l’individualisme forcené – concourent à faire de cette
Bernard Herrmann (1911-1975), à qui l’on doit œuvre une source d’inspiration magistrale pour la musique
aussi bien les bandes-son de Citizen Kane de Herrmann. Peut-être le souvenir du chasseur de baleines
(1941) d’Orson Welles et de Taxi Driver (1976) de Martin qu’avait été son père Abraham a-t-il aussi joué dans son
Scorcese que celles des plus célèbres films d’Alfred choix de mettre en musique ce roman dont il avait d’abord
Hitchcock (Sueurs froides, La Mort aux trousses, Psychose…) imaginé faire un opéra. De même que Melville avait dédié
Herrmann a aussi collaboré avec François Truffaut ou, son roman à Nathaniel Hawthorne, son mentor, c’est à
à Hollywood, avec les réalisateurs William Dieterle, Joseph Charles Ives que Herrmann dédie sa cantate.
Mankiewicz, Robert Wise, Nicholas Ray, Henry King, Ecrite pour deux ténors, deux basses, chœur d’hommes
Henry Hathaway, Fred Zinnemann et Raoul Walsh. À LIRE et orchestre, l’œuvre comprend à la fois blocs choraux,
Aujourd’hui référence incontournable des compositeurs Bernard récitatifs et passages purement instrumentaux. L’absence
de musiques de film, Herrmann a également mené une car- Herrmann de voix féminine tire le registre vers le grave. A des plages
rière de chef d’orchestre et écrit des partitions pour le par Karol Beffa. très contemplatives avec clarinettes consolatrices en tierces
concert : la cantate Moby Dick, le quatuor Echoes, le quin- Actes Sud, font pendant des textures orchestrales mouvantes expri-
tette avec clarinette Souvenirs de voyages, une symphonie 176 p., 20 €. mant le flux et le reflux de l’océan. Elles contrastent avec
et l’opéra Wuthering Heights (Les Hauts de Hurlevent), tiré des épisodes plus sombres, dramatiques, que rehausse
du roman d’Emily Brontë… Innombrables sont ses contri- la brillance des cuivres. Irisées de dissonances, les voix ont
butions musicales à des fictions radiophoniques – pour ne l’éclat du diamant. Par moments, Herrmann a fait appel
citer que La Guerre des Mondes, avec pour narrateur Orson aux ressources du plain-chant, qui teinte d’une couleur
Welles, dont la diffusion déclencha une panique aux Etats- modale la sensation d’intemporel et de mystique. C’est par-
Unis. Cet essai biographique dresse le portrait d’un homme, ticulièrement vrai du « Call me Ishmael », dont la dimension
certes redouté pour son côté provocateur et ses accès de hiératique fait songer au rituel stravinskien de la Symphonie
colère, mais qui suscitait l’admiration par son immense de Psaumes.
culture littéraire et musicale, le haut niveau d’inspiration
de ses musiques et la perfection de son artisanat. Symphony. The Fantasticks
Quitter Moby Dick pour la Symphonie de 1941, c’est passer
Moby Dick d’une musique portée par un livret à une musique qui
La cantate Moby Dick est née de conversations entre n’a pas de programme. Les deux opus privilégient les graves,
Bernard Herrmann et sa future épouse, Lucille Fletcher, d’où, sans doute, le sentiment d’oppression ressenti à leur
© GETTY IMAGES / CBS PHOTO ARCHIVE

alors assistante de Clark Harrington, le responsable du écoute. Symphony est en quatre mouvements, successive-
département des droits d’auteur à CBS. Le livret, écrit ment Maestoso : allegro pesante ; Scherzo ; Andante sostenuto ;
en collaboration avec ce même Clark Harrington dont Rondo. Parlant de cette œuvre, Herrmann dira plus tard
Herrmann connaissait le talent d’adaptateur, se veut une qu’enfin il ne se sentit plus obligé de coller à une histoire :
transposition du roman d’Herman Melville – ce grand il n’avait ni à évoquer des vagues, ni à faire le portrait de
classique de la littérature américaine qui avait tant impres- l’angoisse d’une âme égarée, ni à se mettre à la recherche
sionné le jeune Benny dans son enfance. Le choix n’a rien d’un thème qui décrive l’amour. Ce fut pour lui un grand
d’anodin : la dimension métaphysique et tragique de Moby soulagement, presque une libération. Si sur le premier
Dick, l’omniprésence de la mer tantôt libératrice et tantôt mouvement plane l’ombre de Samuel Barber, si des

36 I
● Bernard Herrmann

© GETTY IMAGES / CBS PHOTO ARCHIVE


réminiscences de William Walton parsèment le deuxième, doux. Et dans le mouvement final « It’s now May » résonne
dans toute l’œuvre transparaît Sibelius, son architecture, Orson Welles un tambour militaire, mais sans rien de martial, rappelant
ses sonorités quasi minérales. A l’opposé du troisième en pleine pause plutôt la vivacité et la fraîcheur d’une cour de récréation.
mouvement – une élégie pour cordes que viennent parfois déjeuner (au fond The Fantasticks marque une étape dans le style du compo-
troubler les interventions du trombone solo –, le quatrième à gauche), alors siteur qui va délaisser quelque peu l’idiome musical
que Bernard
résonne des échos d’une vie urbaine trépidante, avec ses américain pour se tourner vers l’Angleterre, sa littérature
Herrmann dirige
cordes pulsées et ses hoquets percussifs. Dans un langage une de ses et son patrimoine. Et de fait, durant les dix années suivantes,
qui reste plutôt traditionnel, alternant plages lentes et épi- compositions il n’aura de cesse d’explorer les paysages du romantisme
sodes à la nervosité rythmique soutenue, Herrmann se pour une fiction anglais pour nourrir sa musique, que ce soit dans Jane Eyre
montre déjà l’expert en lyrisme à fleur de peau qui fera radiophonique. (1943), Hangover Square (1944), L’Aventure de Madame Muir
sa renommée. (1947) ou dans son opéra Wuthering Heights (1943-1951).
Quant à The Fantasticks (1942), la pièce emprunte son titre Dès cette époque, le métier de Herrmann apparaît impec-
à la dernière des œuvres publiées par Nicolas Breton, poète cable. Cette perfection, ce n’est pas aux enseignements
parmi les plus prolifiques et les plus populaires de de ses maîtres qu’il la doit, mais à un apprentissage musical
l’Angleterre élisabéthaine. Celle-ci se présentait comme une qu’on pourrait qualifier d’autodidacte, résultat de la fré-
série de poèmes et d’images en prose décrivant les jours quentation assidue des salles de concerts et des lectures
et les heures et déclinant les fêtes chrétiennes. Herrmann, incessantes de partitions qui ont occupé sa jeunesse. Quant
dans son cycle pour quatre voix solistes, chœur et orchestre, à ce qu’il a appris durant toutes ses années passées à la radio
ne retient que cinq mois, qui vont de la désolation de l’hiver – composer dans l’urgence, savoir tirer parti des contraintes
(janvier) à la gaieté du printemps (mai). Souvent hanté par qu’on lui impose en termes de durée à respecter, d’atmos-
la couleur mineure, l’orchestre s’y fait chambriste, et l’on phère à traduire, de formation instrumentale ou encore
sent l’influence des maîtres anglais : Vaughan Williams, de variété de styles, allant des plus populaires aux plus
et peut-être aussi Britten dont Herrmann connaissait déjà sophistiqués –, toutes ces compétences lui seront fort utiles
certaines compositions. Herrmann varie les climats. Dans quand il se mettra à écrire pour l’image […]
« It’s now January », la voix de baryton plane au-dessus Bientôt, Welles est contacté par l’un des studios de
des tenues granitiques des cordes ; et quand celles-ci Hollywood, la RKO, pour écrire et réaliser un film. Pour
enchaînent leurs accords parfaits de façon peu convention- lui, il n’y a pas d’hésitation, c’est Herrmann qui en fera
nelle, l’impression est celle d’un bloc glacial, figé, cristallisé. la musique. Du coup, Benny et Lucille, récemment mariés,
Au début de « February », dépouillé, presque désert, partent s’installer à Los Angeles. Le compositeur n’a jamais
empreint d’une vague inquiétude avant que de lents arpèges
de harpe viennent apporter un peu de mouvement, _ Ses atouts : savoir composer
succèdent « March » et son optimisme, auréolés de l’éclat
du glockenspiel, qui explosent en un scherzo fougueux. dans l’urgence, dans des styles
variés, tirer parti des contraintes. _
Les trilles des cordes de « April », parfois contrepointés par
un violon solo, entretiennent un sentiment de mystère très

38 I
travaillé pour le cinéma. Ses sentiments sont partagés. entre les scènes, et ce sous prétexte que la vision des images
D’un côté, il est excité à l’idée de faire bientôt partie de la suffirait à les assurer. L’usage est tout autre dans les fictions
prestigieuse famille des compositeurs de musique de film radiophoniques : là, c’est grâce à l’ouïe seule que l’on peut,
qui compte des musiciens qu’il admire, tels Serge Prokofiev, en faisant entendre quelques sons, passer d’un épisode à un
William Walton, Alan Rawsthorne ou encore Karol autre. Aussi, peut-être influencé par sa longue habitude
Rathaus. D’un autre, il craint l’ambiance des studios de la radio, Herrmann n’hésitera pas dans ses compositions
hollywoodiens et des contraintes qui leur sont associées, pour l’image à avoir recours, à côté de longs développements
avec le harcèlement de producteurs à la recherche de tou- symphoniques, à de brèves ponctuations sonores qu’il
jours plus d’efficacité et en un temps de plus en réduit pour confie parfois à un très petit nombre d’instruments.
des impératifs économiques. Mais Welles est rassurant : Racontée selon une structure complexe de flashbacks et de
Herrmann aura les coudées franches et disposera même flash-forwards pour lesquels Herrmann imagine des che-
de trois mois pour composer. villes instrumentales diverses, l’histoire de Citizen Kane est
Welles a quartier libre pour son premier film. Il pense servie par une musique qui s’inscrit globalement dans
d’abord tirer l’intrigue d’un roman et songe à Heart of le postromantisme mais puise à des sources variées. Ainsi,
Darkness de Conrad – projet abandonné car jugé trop pour suggérer la détérioration progressive des rapports
onéreux par la production. Puis il envisage l’adaptation entre Kane et sa première épouse, Herrmann compose
d’un polar, The Smiler with a Knife, de Nicholas Blake, une série de variations sur un même thème, de plus en plus
pseudonyme du grand poète britannique Cecil Day-Lewis. désenchantées. Le mystérieux motif récurrent de « Rose-
Finalement, c’est un véritable défi qu’il se lance, de concert bud » est lui aussi décliné sous plusieurs formes, entendu
avec Houseman, le producteur qui les avait fait travailler pour la première fois comme un prélude lent et sombre
ensemble, Herrmann et lui, à CBS. Ils décident d’écrire Il a fallu attendre privilégiant les vents dans un registre grave, et la dernière
un scénario original inspiré de la vie du magnat de la presse 2019 pour que en une grande apothéose orchestrale lorsque, enfin,
William Randolph Hearst. Ce sera Citizen Kane, qui raconte l’unique ouvrage apparaît le nom de la luge que les flammes consument.
lyrique

© C2IMAGES / ANNEMIE AUGUSTIJNS


l’enfance et l’ascension de Charles Foster Kane, qu’interpré- En somme, le compositeur a réussi à créer une mosaïque
tera Welles lui-même. d’Herrmann de styles s’organisant en un ensemble parfaitement soudé,
Herrmann commence à composer sa partition avant même (Les Hauts depuis ragtimes et chansons de music-hall jusqu’à un pas-
de Hurlevent)
la fin du tournage. Pour Citizen Kane, il a déjà une idée pré- soit présenté en
tiche orientalisant très fin-de-siècle, alla Saint-Saëns ou
cise de ce que peut apporter la musique à un film. Et cette version scénique Massenet, lors de la scène où la seconde épouse de Kane est
conception, il la maintiendra tout au long de sa carrière dans notre pays. censée chanter l’opéra Salammbô […]
cinématographique. Il déplore en effet qu’au cinéma on se C’était à Nancy, Au printemps 1943, Herrmann retourne à New York pour
prive trop souvent des potentialités qu’offrent des virgules à l’Opéra national s’atteler à un ambitieux projet : écrire un opéra. Le résultat
musicales de quelques secondes pour assurer les transitions de Lorraine. se révélera malheureusement des plus décevants. Dans

I 39
● Bernard Herrmann

les dernières années de sa vie, le compositeur disait que Quant à la dramaturgie, Hermann s’est permis dans le
cette folle entreprise avait relevé de la pure inconscience. traitement des héros du roman quelques écarts par
Pourtant, lorsque, plein d’enthousiasme, il commence à tra- rapport à l’original. L’interprétation qu’il donne du per-
vailler à Wuthering Heights, il n’en voit que des aspects sonnage de Heathcliff, très personnelle, a de quoi
positifs. Plongé dans l’univers des sœurs Brontë récemment surprendre. L’homme ombrageux – démon ou monstre
abordé avec Jane Eyre, il développe une fascination pour sous la plume d’Emily Brontë – devient chez Herrmann
leurs existences tragiques sur fond d’atmosphère anglaise, la figure tragique de l’incompris. S’identifiant à l’anti-
campagnarde et romantique, au point de parler bientôt héros, il va se laisser littéralement posséder par ce
de « Charlotte » ou d’« Emily » comme si elles faisaient dernier et, alors qu’il traverse une période faste dans sa
partie de sa famille. vie professionnelle et dans sa vie privée, on le voit, sans
Si la curiosité de Herrmann pour les différents courants doute inconsciemment, rechercher et accumuler les dif-
musicaux de son temps reste intacte, la force d’évocation ficultés, voire les catastrophes. Son ami le violoniste
du roman dans lequel il s’absorbe tout entier et sa propre Louis Kaufman l’explique ainsi : « Benny était trop heu-
attirance jamais démentie pour l’Angleterre des temps reux. La vie était trop simple pour lui. Il avait une femme
passés l’incitent à une écriture qui verse dans un roman- merveilleuse, tout allait pour le mieux ; mais il se deman-
tisme traditionnel, à contre-courant des tendances mu- dait comment il pourrait écrire un opéra digne de ce
sicales avant-gardistes désormais en vogue. Et son style nom en nageant dans une telle euphorie. C’est pourquoi
apparaît d’autant plus conservateur et anachronique aux il a voulu devenir Heathcliff. »
yeux de tous qu’on a encore en mémoire l’audace de ses Et en effet, Herrmann a sacrifié bien plus que son temps
provocations juvéniles. à cette œuvre maudite : ses relations, ses amitiés, et
L’opéra va exiger de Herrmann un travail titanesque. jusqu’à son couple. Mais, alors que pour lui cet opéra
Il demande à sa femme Lucille de l’aider à écrire le livret devait représenter le point culminant de sa vie créatrice,
car il se sent perdu dans les multiples péripéties de l’in- la postérité ne lui a pas donné raison. Au contraire, il
trigue compliquée du roman d’Emily. Pour définir avec semblerait que Wuthering Heights ait été le triste signe
justesse ce qui sera le cadre de l’opéra, le couple se livre avant-coureur de ce que la carrière du compositeur ne se
à des recherches documentaires rendues interminables jouerait pas dans une salle de concert ou une maison
par le souci obsessionnel du détail du compositeur. Tout d’opéra, mais bien sur les écrans. Karol Beffa
y passe : les paysages de landes du Yorkshire, ses châteaux
et ses métairies, les coutumes et les usages de ses habi-
tants, leurs traits langagiers… Benny fera même le voyage
en Angleterre pour confronter la réalité à l’image fantas- Pour aller plus loin
mée qu’il a tirée de ses lectures. Il n’est donc pas étonnant « The Film Scores ».
qu’il ait fallu attendre huit ans avant que la tâche soit Los Angeles Philharmonic, Esa-Pekka Salonen. Sony, 1996.
Lors de son mandat à Los Angeles, Salonen a enregistré
achevée – même si, prenant le contre-pied du foisonne-
cette parfaite anthologie des principales BO d’Herrmann.
ment littéraire du roman, le compositeur avait décidé que
Outre les célébrissimes Psychose, La Mort aux trousses
son opéra serait relativement facile d’accès, sans chœur ou Taxi Driver, on retrouve la musique composée pour
et avec une distribution réduite à huit rôles principaux. Le Rideau déchiré, qui fut finalement rejetée par Hitchcock.
Il faut dire qu’il ne pouvait consacrer à son opéra tout son Le tout servi par un des plus grands orchestres américains. What else ?
temps, étant pris par ses activités à la radio, au cinéma
et au concert, tant à Hollywood qu’à New York. Moby Dick. Sinfonietta pour cordes.
Sur le plan de la composition proprement dite, Herrmann Solistes, Chœur et orchestre symphonique national
n’a guère rencontré de difficultés et a travaillé avec la même du Danemark, Michael Schønwandt. Chandos, 2011.
rigueur que sur ses musiques de film. On retrouve les choix Plus facilement trouvable que la gravure dirigée par
musicaux qui commencent à devenir sa marque de fabrique, le compositeur (Unicorn), cette version de Moby Dick rend
tels ces ostinatos augmentant la tension dramatique. Splen- pleinement justice aux tempêtes qui soufflent sur l’œuvre.
En complément, la puissante Sinfonietta pour cordes
dides, luxuriantes, certaines pages atteignent une perfection
se situe quelque part entre Schönberg et les coups de couteau de Psychose.
qui n’est pas sans rappeler le « Lever du jour » de Daphnis
et Chloé de Ravel. Certains des thèmes de Wuthering Heights, Les Hauts de Hurlevent.
Herrmann les a repris en les remaniant de bandes-son an- Laura Aikin, Boaz Daniel, Marianne Crebassa… Orchestre
térieures : on repère, ici et là, des emprunts à Citizen Kane, national de Montpellier, Alain Altinoglu. Accord, 2011.
à La Splendeur des Amberson, à Jane Eyre, et surtout à Captée live à Montpellier, cette intégrale a pour atout
L’Aventure de Madame Muir, dont la composition coïncide un chef au métier lyrique aguerri et des solistes hantés
en grande partie avec celle de l’opéra. Réciproquement, par le poème d’angoisse qu’est l’unique opéra d’Herrmann,
Herrmann réutilisera des passages de Wuthering Heights avec sa musique saturée de noirs. Si celui-ci ne vit jamais son
dans plusieurs musiques de films à venir : Tempête sous œuvre maudite représentée, il en a dirigé le premier enregistrement, qu’on
la mer, Sueurs froides, Voyage au centre de la Terre, La Mort ne trouve plus aujourd’hui que sur le marché de l’occasion (Unicorn). E.D.
aux trousses, Pas de printemps pour Marnie…

40 I
OFFRE d'EMPLOI / poste en CDI
à Buc près de Versailles (78)

Conseiller(ère) commercial(e)
Pour son établissement principal de Buc près de Versailles, Pianos HANLET S.A.S
complète son équipe pour accompagner le développement d'activité.

Descriptif du poste :
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- gestion des demandes par e-mails et prises de rendez-vous,
- participation à l'animation et gestion quotidienne du point de vente,
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- participation à des Salons/expositions et actions de marketing direct
- participation à la gestion du site web et de la communication digitale

Profil et qualité requises :


- aptitude à jouer du piano,
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- compétences bureautiques, expression orale et écrite, et maîtrise du calcul mental,
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● l’œuvre du mois PAR PATRICK SZERSNOVICZ
HISTOIRE, INTERPRÉTATION
DISCOGRAPHIE COMPARÉE

Ainsi la nuit
édié à la mémoire puis réunies sous le titre de Nuits. To- et se poursuit jusqu’aux Quatuors
d’Ernest Sussman, ama- talisant une durée d’environ dix-sept nos 4 (1928) et 5 (1934) de Bartok et
teur d’art et ami person- minutes, la version définitive s’articule aux « Métamorphoses nocturnes »
nel d’Henri Dutilleux, 1977 en sept mouvements assez courts, en- (1953-1954) de Ligeti. Mais l’œuvre
Ainsi la nuit pour quatuor à cordes chaînés : Nocturne, Miroir d’espace, s’en démarque aussi par une concep-
est composé entre 1971 et 1977 pour Litanies, Litanies 2, Constellations, tion toute personnelle de la nuit. Une
honorer une commande de la Fonda- Arvo Pärt Nocturne 2, Temps suspendu. Après nuit qui semble dénuée de connota-
tion Koussevitzki. Il a pour destina- achève Fratres, une introduction (Libre et souple), les tion affective ou psychologique.
taires les Juilliard, qui en assurent la Xenakis cinq premiers sont reliés par des tran- Récusant toute idée de programme,
première audition américaine à Wash- Jonchaies. sitions appelées Parenthèses, souvent les titres donnés a posteriori par Dutil-
ington le 13 avril 1978. Mais il est créé ● très brèves et faisant allusion à ce qui leux aux sept mouvements renvoient
par les Parrenin le 6 janvier 1977 au suit ou précède. Le matériau sonore, à ses propres obsessions : fascination
Luciano Berio
Théâtre de l’Est parisien, dans le crée Coro aux couleurs violemment contras- pour l’espace nocturne (Nocturne,
cadre de la saison de concerts de à Graz. tées et aux subtiles variétés de timbre, Miroir d’espace, Constellations, Noc-
l’Ensemble 2e2m. suscite des passages très sombres, de turne 2), pour une dimension beau-
Soirée inoubliable : l’ambiance est at- ● brusques élans et éclats lumineux, des coup plus abstraite et spirituelle (Lita-
tentive, puis électrique, avant un im- Valéry Giscard accalmies sereines ou d’étranges et su- nies, Litanies 2), valeur privilégiée
mense succès, auprès du public d’Estaing bites phases de paroxysme. conférée à la perception du temps mu-
comme du Tout-Paris musical réuni inaugure sical (Temps suspendu).
pour la circonstance. L’œuvre, fait ra- à Paris Une idée de la nuit Dans un langage très abouti qui os-
rissime, est bissée. Si elle provoque le Centre Si l’œuvre se situe tout près de l’avant- cille entre l’atonalité libre et la moda-
Pompidou.
chez quelques-uns stupéfaction et ré- garde la plus prospective de son lité, Dutilleux édifie une trajectoire
ticences (rapidement dissipées), cette ● temps, elle relève aussi d’une filiation subtile par sa forme. Ni totalement
plongée dans un monde onirique et Star Wars de debussyste, avec cette « joie du son » linéaire (c’est-à-dire tendant vers une
visionnaire s’impose avec force, sus- George Lucas que le compositeur revendique et s’as- fin), ni réellement cyclique, car les
citant l’enthousiasme des composi- sort sur signe comme objectif prioritaire. Or- rappels, souvent sur de longues te-
teurs les plus « avancés » de l’époque les écrans fèvre de l’orchestre, Dutilleux se fait nues d’accords, subissent de telles
(dont le très jeune Philippe Manoury). de cinéma. ici l’artisan souverain d’une écriture transformations qu’ils ne sont plus
chambriste à la polyphonie serrée, au que réminiscences flottant dans
Vertige des limites redoutable écheveau de timbres, de l’imaginaire.
« Ce ne sera pas un quatuor dans la rythmes et de dynamiques nuancés, Telle sa Symphonie no 1 (1951), le com-
tradition beethovénienne ou dans celle et dont l’un des enjeux principaux est positeur a conçu Ainsi la nuit « comme
de Bartok… Je le souhaite concis. Il de combiner une poétique de la pe- la naissance et le déroulement d’un
y aura plusieurs mouvements, mais tite forme et une architecture à plus rêve ». Dans l’une et l’autre œuvre, il
fondus en une seule partie. J’utiliserai grande échelle. confère un rôle primordial au temps
toutes les possibilités de timbre », avait Ainsi la nuit s’inscrit dans une tra- et à la mémoire. Et ce jeu parfois ver-
prévenu Dutilleux durant la genèse dition de musiques nocturnes pour tigineux entre prémonitions et souve-
de son œuvre. Ce qui sera son unique quatuor à cordes qui commence avec nirs demeure, dans son propre uni-
quatuor à cordes fut d’abord conçu l’Adagio du Quatuor no 8 en mi mineur vers poétique, toujours étroitement
comme une série d’études isolées, « Razoumovsky » (1806) de Beethoven associé aux musiques de la nuit.

42 I
© WIKIPEDIA COMMONS

Enjeux de l’interprétation L’enchaînement et – sur le plan du l’élégance fine et glacée. A l’inverse,


Au constant travail sur le filigrane, à matériau – l’enchevêtrement des l’aération maximale de la trame,
la raréfaction des rapports de masse, douze courtes séquences (une intro- en une sorte d’« analyse spectrale »
à la fonction stratégique des pôles duction, quatre parenthèses, sept (Arcanto, Hanson), provoque une eni-
d’attraction harmoniques, s’ajoutent mouvements) ne doivent jamais vrante sensation d’espace et de mys-
des nuages de pizzicatos, normaux ou rompre la linéarité mélodique de la tère, creusant la dimension interro-
percutés alla Bartok, et une ava- partition, alors même que les anti- gative de l’œuvre.
lanche « d’effets spéciaux » : sons har- Comme l’atteste thèses s’y accumulent jusqu’au para- Une approche virtuose et extraver-
moniques, jeux d’archet sur le cheva- cette Nuit étoilée doxe. Un peu comme si l’œuvre et son tie (Ebène) enflammera le discours
sur le Rhône
let (sul ponticello), sur la touche ou interprétation n’existaient que par la jusqu’au quasi-expressionnisme, tan-
(1888), « j’ai un
avec le bois de l’archet (col legno), jeu besoin terrible compensation de leurs extrêmes. dis qu’un timbre cultivé à l’extrême et
au talon, martellato, etc. de religion, alors Un surcroît de précision dans les at- une magnificence des plus sensuelles
Cet extraordinaire raffinement de je sors la nuit taques, l’observance la plus stricte des pourront être porteurs d’abstraction
l’écriture exige un équilibre parti- pour peindre les nuances dynamiques et rythmiques et de spiritualité (Takacs).
culier entre rigueur analytique et étoiles », écrivit (New World String Quartet) peuvent
élan visionnaire. Même si elles de- Van Gogh – un ainsi générer une forte intensité dra-
meurent chez Dutilleux toujours in-
artiste qui inspira
particulièrement
matique mais aussi un sentiment de li- Discographie
tégrées et au service de l’expression,
ces galaxies de sons insolites, jouées
Henri Dutilleux. berté. A l’opposé, un jeu plus dur voire
agressif (Juilliard, Arditti) n’offrira
comparée
de façon trop ornementale ou déco- contre toute attente qu’une moindre Cette partition assez dense et com-
rative, peuvent compromettre la flui- puissance d’impact. plexe, écrite à l’orée du dernier quart
dité et la continuité du discours, qui Un lyrisme trop uniment « impres- du XXe siècle, compte une discogra-
s’appuie sur de multiples connexions sionniste » ou à fleur de peau, si raf- phie nullement pléthorique mais déjà
thématiques et se trouve doté d’une finé (Sine Nomine) et introspectif substantielle. Sur la vingtaine d’enre-
forte ligne intérieure. Si ce défaut (Belcea) soit-il, risque d’écrêter les gistrements que nous avons dénom-
n’apparaît dans aucune des versions tensions les plus vives, sinon d’édul- brés, nous en avons retenu douze qui
ici confrontées, le danger existe bel corer le propos ou même de le trans- soient accessibles et presque tous de
et bien. former en une série d’estampes à premier ordre.

I 43
● l’œuvre du mois

L’ŒUVRE PAS A PAS


Minutages de référence : Quatuor Ebène. IV. Parenthèse 3 (0’ 48’’). Litanies 2 (3’ 22’’)
Rigoureusement et subtilement anticipé dans Parenthèse 3,
I. Introduction (0’ 32’’). Nocturne (2’ 56’’). Litanies 2 travaille sur une variation développante
En sept mesures d’introduction est énoncée une structure du début de Parenthèse 2. Le quatuor se divise d’abord
d’accords qui sera citée dans Parenthèse 1, trouvera en deux groupes autonomes (violons I + II, alto + violoncelle),
son aboutissement dans Litanies, avant d’être rappelée avant qu’un chant modal (essentiellement la, sol dièse, si bémol,
dans Parenthèse 4 puis au début de Temps suspendu. sol dièse et parfois sol bécarre et fa dièse) ne s’exacerbe
Longue plage statique (avec prémonition du motif progressivement.
de Miroir d’espace), Nocturne (« assez lent ») est basé
sur la complémentarité de deux gammes par tons. V. Parenthèse 4 (0’ 24’’). Constellations (1’ 33’’).
Réintroduction de la structure d’accords initiale, avant que
II. Parenthèse 1 (0’ 22’’). Miroir d’espace (2’ 04’’). les événements sonores ne s’animent, s’accumulent
Après le « glissement » de la structure d’accords et se nouent dans une écriture virtuose, aux frémissements
initiale, le mouvement (« violent ») déploie une écriture serrés alla Bartok et aux nombreuses échappes solistes.
canonique en renversement entre premier violon
et violoncelle sur un motif de quatre sons (mi, sol, ré dièse, VI. Nocturne 2 (0’ 56’’).
do dièse), toute la première partie étant elle-même Malgré son tempo rapide, ce bref sixième mouvement
rétrogradée depuis son milieu, dans une harmonie diffère totalement, par son climat, du précédent. Son unité,
plus dissonante et une palette de timbres diversifiée. préfigurée dans une cadence du premier violon, est assurée
par de longues arabesques circulant à tous les registres.
III. Parenthèse 2 (0’ 30’’). Litanies 1 (2’ 17’’)
« Préparé » à son début par les harmoniques d’alto VII. Temps suspendu (2’ 39’’).
et de violoncelle de Parenthèse 2, ce troisième mouvement, Après une réapparition fugitive de quelques arabesques,
animé et tourmenté, se présente comme une grande ce mouvement, dont la structure harmonique est similaire à celle
variation de la première section de l’introduction, du premier Nocturne, dénoue peu à peu les imbrications
puis comme une sorte de réexposition dramatique d’un tissage subtil, avant de s’évanouir en plages de silences,
et insistante, traitée en forme de rondo. laissant libre cours à l’imagination de l’auditeur.

Rigueur et lyrisme sonorité un rien trop anguleuse et


Longtemps considéré comme une agressive des violons et celle plus gra-
référence, fort appréciée du compo- tifiante de l’alto et du violoncelle.
siteur lui-même, la version du New La lecture davantage introspective et
World String Quartet (1990, Masters) mesurée du Quatuor Sine Nomine
fut longtemps une référence. Elle (1991, Erato) défend un lyrisme cha-
demeure exemplaire par sa clarté leureux qui souligne presque à l’excès
d’architecture, son respect du texte, une filiation debussyste et ravélienne.
sa rectitude stylistique et sa remar- A l’inverse, l’approche tout aussi ly-
quable maîtrise instrumentale. La rique mais plus sobre et puissante du
précision dynamique et l’équilibre Quatuor Petersen (1989, Capriccio)
de texture le disputent ici à une cer- éclaire la modernité de l’œuvre et sug-
taine gravité du climat. gère d’intéressants rapprochements
Moins parfaits sur le plan de l’inten- avec la seconde école de Vienne, Jana-
sité dramatique, mais partageant la cek et bien sûr Bartok.
même rigueur, les Juilliard (1992, Au début de sa carrière, le Quatuor
Sony/Newton) impressionnent par Belcea (2000, Warner) se singularise
la volonté d’ascèse. Pourtant desti- par le raffinement des couleurs et
nataires de l’œuvre, ils déconcertent des arrière-plans. Il crée ainsi un cli-
aussi par une distanciation un peu mat d’extrême intimisme sans trop
sèche, voire un engagement moindre compromettre la fermeté des lignes.
dans certaines phases de tension
(Miroir d’espace, Litanies 2, Constel- Espace et temps
lations). Réunion de quatre magnifiques
© MARCO BORGGREVE

Fougueux, incisif, le Quatuor Ar- solistes (Antje Weithaas et Daniel


ditti (1993, Montaigne) rivalise de Sepec aux violons, Tabea Zimmer-
précision, de justesse des tempos mann à l’alto, Jean-Guihen Queyras Le Quatuor Arcanto nous fait entrer
avec les New World et les Juilliard, au violoncelle), le Quatuor Arcanto dans un autre monde.
mais souffre de la disparité entre la (2009, Harmonia Mundi) ouvre de

44 I
D’une extraordinaire transparence et
d’un raffinement arachnéen, le jeune
Quatuor Hanson (2021, Aparté) pri-
vilégie une tension intériorisée tout
Benjamins
et outsiders en restituant à l’œuvre sa dimension
de notre écoute interrogative, mystérieuse et même
comparée, fantastique.
les Hanson Respirant large, aérant au maximum
(ci-contre) signent la trame, le Quatuor Takacs (2022,
une lecture Hyperion) a également pour lui une
complémentaire
incandescente palette de couleurs et
à celle des Ebène
(ci-dessous). une splendide souplesse des phrasés.
Il conjugue ainsi une lumière crue et
sensuelle à l’ascèse d’un puissant rêve
intérieur.
En préambule à notre conclusion,

© BERNARD MARTINEZ
saluons la hauteur de vue du New
World String Quartet, qui demeure
un modèle même si certains le juge-
ront un peu daté. Et donnons la prio-
rité, au moment de choisir, à l’am-
pleur visionnaire des Arcanto, au
nouveaux horizons. Sa tension fré- et une acuité sonore qui puissent dynamisme moteur et passionné des
missante et angoissée, ses timbres rendre justice à la plus grande pas- Ebène, à l’aérienne et sibylline lim-
purs, son jeu décanté aux nuances sion, et revivifier le rôle organique pidité des Hanson, enfin à la volup-
infinitésimales nous invitent dans des transitions et des points d’an- tueuse et puissante abstraction des
un autre monde : à la sensation d’un crage harmoniques. Takacs.
grand espace s’ajoute une perception
aiguisée du temps musical mais aussi
des phénomènes de mémoire et de
prémonitions.
Moins creusée et austère, la version
des Psophos (2016, Klarthe) bénéfi-
cie de réels atouts (noblesse d’expres-
© BALÁZS BÖRÖCZ - PILVAX & OBERYN

sion, équilibre, homogénéité et relief


de la sonorité d’ensemble), mais elle
manque un rien de feu et se révèle
parfois trop cursive dans les pics
d’intensité et trop statique dans les
phases de transition.

Nuits étoilées
Etonnant de fraîcheur, d’élan, de
spontanéité mais aussi de matu-
rité pour un quatuor qui n’a alors
que dix ans d’existence, les Hermès
LE QUARTÉ GAGNANT
(2016, La Dolce Volta) séduisent par
leur aisance et leur sûreté d’archet.
Néanmoins, l’effervescence du dis-
cours, la mobilité et la fréquence de
ses contrastes ne favorisent pas tou-
jours une intériorisation du jeu et de
l’expression.
Au contraire, la brillante virtuosité Espace Mouvement Mystère Timbres
et le style acéré du Quatuor Ebène Quatuor Arcanto Quatuor Ebène Quatuor Hanson Quatuor Takacs
(2020, Erato) n’empêchent en rien (2009, HM) (2020, Erato) (2021, Aparté) (2022, Hyperion)
un approfondissement rythmique

I 45
● mythologies HOMMAGE AUX INTERPRÈTES
LÉGENDAIRES
PAR SYLVAIN FORT

David Oïstrakh
Le feu sous la grâce
Un des rares artistes fêtés des deux côtés du Rideau de fer. Partout il imposa l’évidence
d’un jeu rayonnant, dont la plénitude s’accompagne pourtant d’une violente incandescence.

e 24 octobre 1974, après


1908 une longue journée de répé-
tition au Concertgebouw,
David Oïstrakh succomba
1974 dans sa chambre d’hôtel à un infarc-
tus massif. Il avait soixante-six ans. La
première alerte était survenue en 1964,
suivie d’autres. Tel fut le prix d’une vie
qui, très tôt, ne fut pas celle d’un ar-
tiste de haut vol, mais une existence
d’oblation entière à la musique.
Le paradoxe, chez Oïstrakh, c’est que
cette combustion intime eut tous
les traits du triomphe aisé, souriant
même. En des temps si féconds en
violonistes de génie, sa supériorité fut
rapidement reconnue. Dans son pays
d’abord, dans le monde entier en-
suite. Oui, il y eut, à lire les articles de
presse et à observer sa trajectoire, une
« évidence Oïstrakh ». Une évidence
d’autant plus éclatante qu’elle ne se
fondait sur aucune des mythologies
de la musique. Enfant précoce, il ne fut
pas surdoué, remportant à vingt-neuf
ans déjà bien tassés le Premier prix
du Concours Eugène Ysaÿe.

Sur la corde raide


Sa renommée mondiale dut attendre
que la guerre s’achève et que Staline
fût mort pour se propager comme
un incendie. Le temps de cette montée
en puissance, Oïstrakh l’avait employé
à s’établir. Il avait pris le risque de
quitter sa chère Odessa, où il était né
avant d’être élève aimé du génial Piotr
© ALAMY IMAGES

Stoliarski, pour s’installer à Moscou.


Il y avait fait sa place, fondant une fa-
mille (son fils Igor naît en 1931), se
faisant professeur au conservatoire,
se produisant partout en URSS. Tout qu’on dit plein, rayonnant, généreux, et ces Brahms d’outre-monde), ou nous
cela, il l’accueillit avec cette mine bon- est le masque mal ajusté d’une violente plongent carrément dans une autre
homme et cette humanité sincère dont incandescence. dimension – le Concerto de Prokofiev
jamais il ne se départit. Homo sovieti- Si rayonnement il y a, il est compa- veut cela, bien sûr, mais ce Poème de
cus, prix Staline en 1942 (et Lénine en rable à une flamme dévorante plus Chausson, hanté comme personne ?
1960), il se prêtait de bonne grâce aux qu’à une éclaircie printanière. Rien
exigences du régime, et prit assez vite certes jamais qui défaille, ni déraille, Jusqu’à exténuation
sa place dans tous les dispositifs offi- mais dans le moindre de ses traits « Evidence » ? Il écoutait tout, enregis-
ciels. Lorsque la carrière mondiale s’entend une fièvre, un jeu sur la corde trait, annotait, apprenait de ses élèves
s’ouvrit, il ne dédaigna pas être utilisé raide. Comme Serkin. Comme Callas. comme il avait appris de ses maîtres,
par le Parti pour attester la grandeur C’est dans la musique de chambre et tout cela, il le rendait non comme on
de la culture soviétique. Il ne céda qu’on le perçoit le mieux. Le Trio digère une matière, mais comme audi-
jamais aux appels de l’Ouest, quand Oïstrakh formé en 1941 avec Lev blement augmenté de son immense et
tant de ses confrères issus du même Oborine et Sviatoslav Knouchevitski délirante exigence pour faire avouer à
nid que lui le faisaient. Il ne dérogea (et dissous en 1962 à la mort de celui- la musique ce qu’elle cache si aisément.
pas non plus à la règle des 89 jours ci) fait entendre ce que Menuhin qua- « Je ne veux pas faire entendre une in-
édictée par le Gosconcert – stricte lifiait chez Oïstrakh de « demonic ». terprétation de Brahms, mais Brahms
durée annuelle maximale passée hors Flanqué de ses deux partenaires, il lui-même », disait-il. Telle fut sa quête
d’URSS. Outil docile entre les mains laisse libre cours à des influx, des ré- inlassable, jusqu’à exténuation.
du régime, il offrit au monde le visage ponses, des éclats, des insinuations qui S’il fut si loyal à la Russie, ce n’est sans
d’une excellence sérieuse, d’une supé- sont d’un titan ivre (le lyrisme exas- doute pas par amour du Parti commu-
riorité tranquille, d’une aura immé- péré – Schubert –, la folie à peine niste, mais parce que là seulement il
diate et profonde. L’Occident célébra contenue – Smetana – , la débandade trouva des musiciens – de Chostako-
partout sa sonorité pleine et ronde, émotionnelle – Tchaïkovski –, l’hypno- vitch à Kondrachine, de Kabalevski à
son immense facilité, la bénignité tique errance – Chostakovitch…) Mravinski, de Prokofiev à Svetlanov –
apollinienne de son jeu. Quelque Après eux, il eut comme partenaire que l’aridité de la vie et une certaine
chose d’impérial en lui plut au public, (à partir de 1968) cet autre énergu- idée de la musique rendaient aussi ar-
à juste titre. mène : Sviatoslav Richter. dents que lui, frères dans la certitude
Cinquante ans après sa mort, il nous Lorsque la vague orchestrale appelle que la musique n’offre ses secrets que
reste pour mesurer l’amplitude de ce quelque chose d’exhaussé voire rhéto- dans la déraison d’une consomption
génie des centaines d’enregistrements rique, les infimes nuances obtenues absolue. Il y a un son Oïstrakh, une
sonores et visuels. Et depuis le temps par Oïstrakh défont les coutures, et perfection Oïstrakh, mais il y a plus,
que nous en fréquentons le maquis, laissent entrer une lumière aveuglante une leçon Oïstrakh : la musique n’est
une autre évidence s’impose : ce violon (Concerto de Beethoven avec Cluytens, pas baume mais ordalie. ■

TROIS JOYAUX
BRAHMS : Scherzo pour MOZART : TCHAÏKOVSKI :
violon. Sonates pour violon Concertos pour Concerto pour violon.
et piano nos 1 à 3. Frida violon nos 4 et 5. Philharmonique de Moscou,
Bauer, Sviatoslav Richter Rondo KV 373. Kirill Kondrachine.
(piano). Praga, 1966-1972. Adagio KV 261. Urania, 1957.
Il faut préparer ses oreilles Philharmonique Oïstrakh chez lui,
(et ses nerfs) à ce disque. Le Scherzo (live de Berlin. Emi, 1970. à Moscou, en public, avec son cher
à Moscou, 1968) est, dès la première note, Oïstrakh joue et dirige. Dirige ? Kondrachine, joue son cheval de bataille.
proche du point de rupture. C’est nous qui Aimante les Berliner, qui semblent Si l’interprétation suppose un parti pris,
sommes, immédiatement, comme brisés tout au bonheur de le suivre partout ceci n’est pas une interprétation. De ce
par cette intensité qui ne consent pas où il va ; et lui, si heureux de les concerto, Oïstrakh ne livre pas une lecture
à faiblir, et infuse dans le passage lyrique mener. Il ne joue pas pour nous, possible, mais à la fois toutes les lectures,
une immense plainte. Les deux sonates il joue pour eux. Les cadences ouvrant mille portes sans les refermer,
avec Richter (1972) sont de la même laissent presque entendre le silence faisant miroiter toutes les facettes.
espèce, lourdes d’orages, y compris dans complice de ses musiciens, Le chef offre au violoniste un orchestre
la paix. On ne fait pas moins bourgeois, qui prennent une amoureuse leçon réagissant à la moindre nuance. Il est
on ne fait pas plus désespéré, et pourtant de Mozart. Même pour qui n’aime des versions suprêmes de ce concerto.
lumineux. Et comme ils s’écoutent, comme guère Mozart, c’est merveilleux ; Celle-ci est assez nettement au-dessus.
ils se trouvent, nous trouvent ! pour qui l’aime, c’est bouleversant. PLAGE 9 DE NOTRE CD

I 47
● l’air du catalogue EN 10 DISQUES, UNE INVITATION
AU VOYAGE AVEC LE...
PAR LAURENT MURARO

Concerto pour piano romantique


artant des origines du concerto pour clavier, un ci-contre). Fidèle à la forme sonate, le premier mouvement
précédent épisode nous menait jusqu’au geste ose désormais, à l’image de « L’Empereur », faire entrer le
triomphant de « L’Empereur » (cf. no 726), ul- soliste dès le début, dans des gestes très théâtraux – ainsi
time et décisive contribution de Beethoven à font Schumann, Tchaïkovski, Grieg.
un genre qui avait tout pour enflammer l’imaginaire ro-
mantique au XIXe siècle. Au moment où l’évolution de la Piano superstar
facture instrumentale rend les pianofortes de plus en plus La grande cadence ne laisse plus grand-chose au hasard
puissants, le compositeur y rejoue face à l’orchestre le com- ni à la liberté de l’interprète : ces passages sont doréna-
bat symbolique de l’artiste génial, solitaire et incompris, vant complètement écrits. Souvent de rythme ternaire,
contre la société. le mouvement lent invite occasionnellement d’autres ins-
D’un dialogue aimable n’ayant, selon le théoricien Johann truments de l’orchestre à chanter avec le piano superstar,
Georg Sulzer (ca 1770), « d’autre vocation que de procurer créant de véritables doubles ou triples concertos au sein
à l’oreille un vague plaisir » nous passons, dans le sillage de même de l’œuvre (Concerto no 2 de Brahms ou de Tchaïkov-
Beethoven, à une lutte dramatique, d’autant plus spectacu- ski). Rondo multipliant les épisodes contrastés, le finale,
laire que les meilleurs virtuoses y rivalisent d’imagination quant à lui, n’hésite pas à aller chercher son inspiration
dans des prouesses digitales insensées. On ne s’étonnera dans des mélodies ou des rythmes de danses populaires
ainsi guère que Chopin l’introverti, après s’y être adonné (Chopin, Dvorak, Grieg…).
au début de sa carrière, renonce bien vite au genre alors Durant tout le XIXe siècle, le concerto est donc le genre-roi
florissant. La monumentale édition dédiée par Hyperion pour le roi des instruments. Du Konzertstück de Weber aux
au « Concerto pour piano romantique » a atteint le quatre- Variations symphoniques de Franck, il faut aussi compter
vingt-sixième volume (en mordant certes parfois dans le Camille avec quelques pièces concertantes très réussies ne s’y rat-
XXe siècle) sans avoir encore fait le tour de la question ! Saint-Saëns tachant pas explicitement, sans même parler des sympho-
Le concerto pour piano s’impose donc comme un incon- répétant salle nies avec piano obligé, telle la magnifique Symphonie « Cé-
tournable pour (presque) tous les enfants du siècle, a for- Gaveau, sous la venole » de Vincent d’Indy. Si l’exercice est parfois dénoncé
tiori parce qu’ils ont pour la plupart reçu une solide forma- baguette de pour sa virtuosité, son pouvoir d’attraction reste le plus fort
tion de pianiste. La structure globale, néanmoins, n’évolue Pierre Monteux, et son esthétique relativement stable. De Ravel à Ligeti en
en 1913.
guère, autour de la coupe en trois mouvements vif-lent-vif, passant par Bartok, le genre empruntera des chemins bien
à de rares mais remarquables exceptions près (on le verra différents au siècle suivant. Mais patience…

© BNF.
BRAHMS comme un réveil de la nature, jusqu’au finale
1881 ▶ CONCERTO NO 2. si léger et viennois en passant par les ombres
Nelson Freire (piano), fantastiques dans le scherzo ou les cadences
Orchestre du Gewandhaus de Leipzig, ne privilégiant pas la virtuosité sur le sens
Riccardo Chailly. Decca. musical, tout est ici parfait, avec en prime
une communion idéale entre soliste et orchestre
Que la fausse modestie de Brahms ne nous qui culmine dans l’Andante où le premier
égare pas : son « petit concerto avec un joli violoncelle s’invite à la fête. Générosité, hauteur
petit scherzo » dégage tout au long de ses de vue et sonorité de velours à se damner,
cinquante minutes une grandeur souveraine Nelson Freire nous en offre une lecture
qui en fait le digne pendant de « L’Empereur » exemplaire, dans un dialogue d’égal à égal
au XIXe siècle. De son appel de cor initial, avec Riccardo Chailly et le Gewandhaus.

CHOPIN LISZT SAINT-SAËNS


1830 ▶ Concerto no 2. 1848 ▶ Concerto no 1. 1868 ▶ Concerto no 2.
Benjamin Grosvenor (piano), Sviatoslav Richter (piano), Alexandre Kantorow (piano),
Royal Scottish National London Symphony Tapiola Sinfonietta,
Orchestra, Elim Chan. Orchestra, Kiril Kondrachine. Jean-Jacques Kantorow.
Decca. Nos Indispensables. Bis.
Œuvres de jeunesse, les deux concertos de Le plus grand virtuose de son époque ne Dans ses cinq concertos pour piano, Saint-
Chopin ont parfois mauvaise presse, notam- pouvait passer à côté. Et pourtant, Liszt se Saëns innove autant par la forme (no 4) que
ment pour leur orchestration prétendument révèle pour le moins déconcertant ! En un par les sonorités (« L’Egyptien »). Le no 2
malhabile ou leur pianisme qui regarde seul long mouvement rhapsodique dont les propose ainsi un voyage allant de Bach à
un peu en arrière vers Field ou Kalkbren- sections s’enchaînent vingt minutes durant, Offenbach, selon le bon mot de George
ner. Mais comment résister au Larghetto la partition en impose au moins autant Bernard Shaw, entre toccata sévère, timbales
du Concerto no 2 ? Le temps y suspend son pour sa légitime pyrotechnie que pour l’in- frémissantes dans le scherzo et tarentelle
vol, dans une douce méditation nocturne telligence du travail motivique face aux endiablée dans le finale.
presque improvisée. multiples métamorphoses des thèmes prin-
cipaux. TCHAÏKOVSKI
MENDELSSOHN 1874 ▶ Concerto no 1.
1831 ▶ Concerto no 1. RUBINSTEIN Vladimir Horowitz (piano),
Rudolf Serkin (piano), 1864 ▶ Concerto no 4. New York Philharmonic,
Philadelphia Orchestra, Marc-André Hamelin George Szell.
Eugene Ormandy. (piano), BBC Scottish Nos Indispensables.
Sony. Symphony Orchestra, Morceau de concours et passage obligé
Mendelssohn, l’homme pressé, nous livre ici Michael Stern. Hyperion. pour des générations de pianistes, l’œuvre
un concerto étincelant et aérien, représen- Avant Tchaïkovski et Rachmaninov, c’est garde intact son pouvoir d’attraction. Et
tant bien l’air de son temps, où le piano devait une vraie réussite que ce grand concerto ro- quel début ! Appels de cors, accords puis-
être aussi brillant qu’élégant – les médisants mantique taillé à sa mesure par un éminent sants qui balaient le clavier de long en
taxent le genre de superficialité. Il faut l’auto- pianiste de son temps, ainsi qu’une plon- large, mélodie inoubliable des violons…
rité beethovénienne d’un Serkin pour révéler gée dans l’âme russe, entre moments de Les poils se dressent immanquablement
toutes les facettes de l’œuvre en lui donnant bravoure et plages plus élégiaques. Passée pour ce quasi-hymne russe et véritable
une dimension sanguine et hargneuse. de mode, l’œuvre a pourtant connu les fa- manifeste du romantisme.
PLAGE 8 DE NOTRE CD veurs de Josef Hofmann, Oscar Levant ou
Shura Cherkassky, avant de séduire nos RACHMANINOV
SCHUMANN aventuriers du clavier. 1901 ▶ Concerto no 2.
1845 ▶ Concerto op. 54. Earl Wild (piano), Royal
Nelson Freire (piano), GRIEG Philharmonic Orchestra,
Münchner Philharmoniker, 1868 ▶ Concerto op. 16. Jascha Horenstein.
Rudolf Kempe. Leif Ove Andsnes (piano), Chandos.
Sony. Berliner Philharmoniker, Disparu en 1943, Rachmaninov avait-il sa
Un concerto à part, plus proche de l’étreinte Mariss Jansons. Warner. place dans ce panorama du concerto au XIXe
amoureuse que du combat. L’orchestre et le Roulement de timbales… siècle ? Assurément ! Par-delà sa date de
piano s’y mêlent harmonieusement, sans bra- suivi d’une griffure qui lacère tout le clavier ! création (1901), c’est toute l’inspiration fu-
voure ni virtuosité gratuite (« un concerto Véritable signature, le mémorable incipit de rieusement romantique du 2e qui plaide pour
sans soliste », dira Liszt). Quatre ans de gesta- ce concerto venu du nord montre comment lui : début saisissant avec un son de cloche
tion auront été nécessaires à Schumann pour Grieg a su à la fois assimiler et s’éloigner des dans le grave du clavier, lyrisme puissant des
cette œuvre évidemment destinée à Clara, qui canons germaniques dans une œuvre qui fait thèmes, virtuosité échevelée pour une œuvre
signe de son côté un beau concerto gravé par un grand usage des danses et rythmes popu- qui marquait le retour à la vie créatrice de
Beatrice Rana (Warner, cf. no 720). laires norvégiens. Rachmaninov après une longue crise.

I 49
La chronique
D’IVAN A. ALEXANDRE

Musical
tephen Sondheim aura eu le temps d’approu- sur la Seine avant une longue tournée. Joséphine Baker
ver West Side Story dans sa version corrected s’achève à Bobino et Notre-Dame de Paris au Palais des
par Tony Kushner et Steven Spielberg, mais Congrès, Mamma Mia poursuit Abba au Casino de Paris ;
pas celui de revoir la première comédie 100 % après le Forum , le Lido ranimera The Rocky Horror Picture
lui-même – lyrics et music. Disparu fin 2021, l’éblouissant Show ; aux prochaines fêtes, le Châtelet hébergera Les
« inventeur et déchiffreur d’énigmes » (dixit son ami Misérables. Qui sait si l’importation jusqu’alors inenvisa-
Bernstein) ne verra pas A Funny Thing Happened on the geable de phénomènes aussi retentissants que Billy Elliot
Way to the Forum, farce néronienne à l’affiche du nouveau (2000), Mary Poppins (2004) ou The Book of Mormon (2011)
Lido sur les Champs-Elysées jusque début février. De toute ne ferait pas recette aujourd’hui.
façon, il en serait mort. De rire. A quand remonte, chez Qui sait surtout si nos temples lyriques, riches de voix
nous, un show si tordant ? Poésie, thriller, romance, revue, nouvelles mais pauvres d’idées neuves, ne trouveraient
concept art, étude de mœurs… le bonhomme savait tout pas ici matière à réflexion. N’est-ce pas le destin de
faire. Sa Funny Thing n’est assurément rien de cela mais l’Opéra national ? En 1875, la République inaugurait
funny sans relâche. Triomphe à Broadway en 1962 (six le palais Garnier sans actualité, sans commande.
Tony Awards, mille représentations), adoptée par Premier inédit au palais l’année suivante : Jeanne d’Arc
Londres (le délire en toge prépare Monty Python plutôt de l’avantageux Auguste Mermet, four notoire. Pendant
que Mel Brooks), filmée trop grave par Richard Lester ce temps, le modeste Opéra-Comique essayait Carmen
(pour les adieux de Buster Keaton), la pièce avait quitté du modeste Georges Bizet. Un siècle et demi plus tard,
les planches depuis vingt ans. de quels opéras français se nourrissent Garnier, Bastille
La revoici fraîche comme un granité sous le soleil et les institutions institutionnelles de la planète ? Carmen.
romain. Et pour cause. Le patron du groupe Accor, Et Les Contes d’Hoffmann, et Roméo et Juliette, et Pelléas
nouveau propriétaire du Lido, a mis fin au dîner-girls- et Mélisande, tous volés au petit Comique.
plumes qui transportait chaque année moins de tou-
ristes, et remis les clefs au programmateur qu’il admire _ Succès publics,
le plus au monde, Jean-Luc Choplin. Or, au temps qu’il
gouvernait le Châtelet, le bon docteur Choplin avait
changé le théâtre municipal en Sondheimland où, de
critiques, économiques,
2010 à 2016, A Little Night Music, Sweeney Todd, Sunday
in the Park with George, Into the Woods et Passion auront
transatlantiques. _
joui de conditions dont le poète compositeur répétait Pourquoi ne pas étendre le larcin nécessaire à la comédie
qu’il n’en connut jamais de meilleures. musicale ? Le Forum de Sondheim n’y aurait aucun sens
Pas que Sondheim au demeurant. Loewe (My Fair Lady), mais son Sweeney Todd, mais ses Follies ? L’opéra sérieux
Kern (Show Boat), Rodgers (The Sound of Music, Carousel, de Bernstein A Quiet Place n’a embrasé les foules ni au New
The King and I) jusqu’à Gershwin (An American in Paris) York City Opera (2010) ni sous le lustre de Garnier (2022),
et Brown (Singin’ in the Rain), succès publics, critiques, spectacles grandioses pourtant. Alors qu’un Candide bien
économiques, transatlantiques… en moins d’une décen- cru ou, supposons, West Side Story par Crystal Pite…
nie le Châtelet reconquit son ancienne couronne. Roi Il ne s’agirait pas de prostituer nos théâtres sur le trottoir
de la comédie musicale il avait été, roi il redevenait dans du show bizness. Il ne s’agirait pas de fuite ou de renon-
un autre registre, à une autre échelle. Les bluettes de cement. Il s’agirait d’ouverture et de reconnaissance.
Francis Lopez tombées en désuétude ; Jésus-Christ Ces vingt dernières années, l’Opéra de Toulon s’honorait
Superstar, Hair et le printemps hippie oubliés ; quelques de compter parmi ses hôtes Chantons sous la pluie,
tentatives sans lendemain de mettre Broadway sur les Un violon sur le toit, Street Scene, Follies, South Pacific,
Grands Boulevards : les travaux de Jean-Luc Choplin Into the Woods, Sweeney Todd ou la première française
présageaient un retour inespéré. de Wonderful Town (Bernstein 1953).
Avec succès. Mollement accueilli jusqu’au début du Reste tant à refaire. Tant à faire. Tant à découvrir, à com-
© YANNICK COUPANNEC

siècle, le musical familial étend peu à peu son empire mander. Justement pour ne pas abandonner aux niaiseries
– après y avoir régné trois saisons durant (2007-2010), Disney, à Mozart l’opéra rock, à Molière l’opéra urbain, au
Le Roi Lion remplit chaque soir le Théâtre Mogador tiroir-caisse anonyme, un genre populaire, abondant,
depuis 2020, longévité anglo-saxonne insolite sous nos euphorisant, libre comme l’air. Ce ne sont pas les artistes
climats. A cent mètres, Les Producteurs ont fait un ta- qui manqueront. Avec un peu de chance et d’esprit,
bac. Comme Starmania version Thomas Jolly applaudie le public non plus.

50 I
SPECTACLES à voir et à entendre
Du 4 janvier au 8 février 2024

15 rendez-vous
à ne pas manquer
2 Anniversaire de Péter Eötvös
Le 10 janvier, Paris, Cité de la musique.
Le 18 janvier, Paris, Maison de la Radio.
Paris, où Péter Eötvös a dirigé le concert inaugural de l’Ircam et mené durant
douze ans les destinées de l’Ensemble Intercontemporain, ne pouvait ignorer
le quatre-vingtième anniversaire de l’une des plus importantes figures
de la création musicale au tournant des XXe et XXIe siècles. Contraint
de renoncer à sa venue en France, le chef-compositeur hongrois est remplacé
à la Cité de la musique par son successeur à la tête de l’EIC, David Robertson,
qui offre trois de ses pièces en première française. Et une nouvelle salve
de créations fête l’inventivité du maître la semaine suivante à Radio France,
autour du Philhar’, de la Maîtrise et de Lambert Wilson en récitant.

1 The Fairy Queen 3 The Carmen Case


de Purcell de Soh
Les 4 et 6 janvier, Paris, Les 11 et 12 janvier,
Philharmonie. Les 27 et 28 Luxembourg, Grand Théâtre.
janvier, Massy, Opéra. Le 27 Le 25 janvier, Bordeaux,
juin, Versailles, Opéra royal. Auditorium.

© SZILVIA-CSIBI
Ce fut un de premiers La fin de l’histoire de Carmen
triomphes scéniques telle que Mérimée, Meilhac
des Arts florissants, à la fin et Halévy ne l’ont pas racontée :
PÉTER EÖTVÖS
des années 1980. Trois José avoue son féminicide
grosses décennies plus tard, et doit en répondre devant à Luxembourg, puis Ars Nova du projet 50 for the future
l’ensemble revient à la Fairy une cour d’assises. A partir à Bordeaux, et une jeune lancé par les Kronos (cinquante
Queen de Purcell. Ce songe du livret et d’authentiques équipe de neuf chanteurs. commandes destinées à des
éveillé au royaume d’Oberon dossiers criminels, Alexandra quatuors de tous les niveaux),
et Titania va étendre Lacroix a conçu un spectacle 4 Biennale on retrouvera ainsi quelques
ses sortilèges en tournée, à huis clos où accusé, témoins de quatuors à cordes créations de Francesca
dans un spectacle réglé et experts sont interrogés Du 12 au 21 janvier, Paris, Verunelli, Marc Monnet
par le chorégraphe Mourad comme dans un procès. Cité de la musique. et Thomas Larcher, défendues
Merzouki, avec le concours Singapourienne établie par les Béla ou les Diotima.
de danseurs de la Compagnie à Paris, la compositrice Célébrant ses cinquante ans A noter enfin, les concerts
Käfig pour sceller les noces Diana Soh (née en 1984) a mis d’existence, l’infatigable habituels des plus grands
de l’Angleterre de Guillaume III sur ces mots une nouvelle Quatuor Kronos est l’invité spécialistes du genre,
et du hip-hop ! Nulle star musique conçue d’après d’honneur de cette nouvelle comme les Hagen,
parmi la distribution, mais huit la partition de Bizet. édition d’une Biennale les Jerusalem, les Belcea
jeunes pousses élevées dans Décidément féminine, qui mettra comme de coutume ou les Borodine, avant une
Le Jardin des Voix de William la production repose aussi à l’honneur les formations grande soirée de clôture
Christie, qui partage le pupitre sur la cheffe Lucie Leguay, suscitant des pages nouvelles. orchestrée par le Quatuor
avec Paul Agnew. qui dirige l’ensemble Lucilin Outre un marathon autour Modigliani et ses amis.

I 51
● à voir et à entendre

et surtout, la Brünnhilde 9
effrontée, rayonnante,
Justice de Parra
Du 22 au 28 janvier, Genève,
fabuleuse, d’Ingela Brimberg.
Grand Théâtre.

8 Le compositeur catalan installé


Emanuel Ax à Paris Hèctor Parra a construit
et Myung Whun Chung un corpus lyrique remarqué,
Le 22 janvier, Paris,
n’hésitant pas à adapter
Philharmonie.
à l’opéra le roman monstre
Avant le dévot Bruckner, de Jonathan Littell,
le divin Wolfgang. Les troupes Les Bienveillantes, créé à Anvers
du Concertgebouw en 2019. Cette fois,il a mis ses
d’Amsterdam accompagnent notes sur un livret de l’écrivain
6 Yuja Wang Emanuel Ax dans le Concerto Fiston Mwanza Mujila d’après
Le 20 janvier, Paris, Philharmonie. no 17 que Mozart composa en un scénario du metteur en
1784 pour « Fräulein Babette », scène Milo Rau, qui raconte
On ne présente plus Yuja Wang pianiste qui fera nièce de Gottfried Ignaz le destin d’un village congolais
évidemment des étincelles dans la Rhapsody in blue von Ployer, représentant meurtri par l’accident d’un
version jazz band, après avoir interrogé le Concerto du prince-archevêque camion-citerne transportant de
pour piano et instruments à vents de Stravinski puis de Salzbourg auprès la cour l’acide pour une multinationale
le Capriccio de Janacek. Mais on vous présente impériale. Myung-whun Chung suisse. Champion du bel
peut-être Yuja Wang cheffe d’orchestre, qui réglera prend ensuite une heure pour aujourd’hui, le chef zurichois
la soirée de sa place, avec les musiciens du Mahler explorer la Symphonie no 7 Titus Engel descend dans
Chamber Orchestra. Animée par l’envie de diriger du maître de Saint-Florian, la fosse genevoise, pimentée
de plus grands ensembles ? L’avenir nous le dira. sorte de requiem pour de quelques accents de rumba.
Wagner. Soit « l’œuvre la plus Distribution soignée avec le
importante depuis la mort ténor américain Peter Tantsits,
5 – toujours signé sir George –
Cycle George couvert de lauriers depuis
de Beethoven », vous aurait la jeune soprano Axelle Fanyo
Benjamin sa création à Aix-en-Provence
alors dit le chef Hermann Levi. et la légende Willard White.
Le 18 janvier, Lille, Nouveau en 2012.
Siècle ; le 19, Valenciennes,
Le Phénix. Le 25 janvier Lille, 10 Concert d’ouverture du Midem
Nouveau Siècle ; le 26, 7 La Walkyrie Le 24 janvier, Cannes, Théâtre Claude Debussy.
Calais, Grand Théâtre. de Wagner
Du 21 janvier au 8 février, Le Midem renaît de ses cendres et se veut plus que jamais
Alexandre Bloch a noué le rendez-vous international de toutes les musiques. Y compris
Bruxelles, La Monnaie.
une relation privilégiée avec les plus exigeantes, comme l’atteste un concert d’ouverture
la musique de George Benjamin, L’Or du Rhin et son formidable faisant la part belle au second XXe siècle, voire au XXIe.
qui lui avait confié la création livre d’images, en novembre, Le programme s’ouvre en effet par une création, signée
française de ses Lessons in Love ont fait forte impression. Hugues Dufourt (né en 1943) : L’Enclume du rêve, inspirée par
and Violence à Lyon en 2019. La Monnaie poursuit son Ring, une œuvre du sculpteur Eduardo Chillida, écrite pour guitare
Voilà que le directeur musical toujours avec Romeo électrique (celle de Yaron Deutsch) accompagnée par
de l’Orchestre national de Lille Castellucci à la régie et Alain un ensemble de cordes et de vents – « pièce sans événement,
invite le maître britannique Altinoglu au pupitre. Lors se déroulant constamment à la lisière du son et du souffle,
à conduire la formation de cette première journée, dans un enchaînement de transformations continues », selon
nordiste dans un programme on retrouve Marie-Nicole les mots du compositeur. Suit le plus classique Concerto pour
superbement liquide, associant Lemieux, qui n’a jamais semblé flûte et orchestre à cordes de Jolivet (avec Florent Bontron
son Concerto pour orchestre, aussi à l’aise qu’en Fricka, ainsi en soliste) et Due letture del tempo d’Ivan Fedele (né en 1953),
Les Offrandes oubliées que Gabor Bretz, qui va devoir pièce créée en 2022 à la Scala de Milan et dont la concision est
de Messiaen, Lontano de Ligeti montrer ses muscles pour inversement proportionnelle à la puissance expressive.
et La Mer de Debussy. se lancer dans les colères
© MANUELA JANS

Au pupitre de l’Orchestre de Cannes (qui est désormais


Le jeune chef français retrouve et les adieux de Wotan. « national »), il fallait un maître du bel aujourd’hui : Pierre-André
la baguette la semaine suivante Nouveaux venus dans Valade, un des fondateurs de l’Ensemble Court-Circuit.
pour l’opéra Written on Skin, l’aventure : les jumeaux de
chef-d’œuvre de raffinement Peter Wedd et Nadja Stefanoff,

52 I
Ju ra | S ui s se

11 12 Sommets musicaux
Fauré intime
Du 25 au 28 janvier, de Gstaad
Paris, Philharmonie. Du 26 janvier au 3 février,
Gstaad et environs.
Pour inaugurer le (long) week-
end que la Philharmonie Après le violoncelle l’année
consacre à Fauré, mort dernière, c’est le piano qui est
il y a cent ans, Cyrille Dubois mis à l’honneur tout au long 21e édition
et Tristan Raës piocheront jeudi de la 24e édition du festival
dans les mélodies françaises suisse. Concerts symphoniques,
de son temps. Autour d’Après rendez-vous chambristes Cloître de la collégiale
un rêve, la soprano Marion et récitals y réunissent plusieurs
grands noms, de Martha
2 -13 août 2024
Tassou et l’ensemble L’Instant
Donné élargiront vendredi Argerich à Renaud Capuçon
le dialogue à trois créateurs (également directeur Kit Armstrong
d’aujourd’hui – Gérard Pesson, artistique), en passant par Christiane Baume-Sanglard
Johannes Schöllhorn et Mario Bruce Liu, Bertrand Chamayou, Kevin Chen | Fabrizio Chiovetta
Pagliarini. En prélude Daniel Lozakovich, Nelson
Goerner, Emmanuel Pahud
Franck Ciup | Jean-Yves Clément
au programme chambriste
du Quatuor Strada emmené ou encore le quatuor Hagen. Pietro De Maria | François Dumont
par Sarah Nemtanu, l’écrivain Mentor de cette édition, Léonard Frey-Maibach
Pascal Quignard se joindra Stephen Hough a invité sept Felix Froschhammer | Olivia Gay
samedi à la pianiste Aline jeunes pianistes, qui joueront Rémi Geniet | Claire Huangci
Piboule pour explorer notamment la pièce
Andrei Korobeinikov | Sergio Marchegiani
la relation entre le compositeur commandée à Karol Beffa.
et Marguerite Hasselmans. Une riche programmation, Marco Schiavo | Sergio Tiempo
Vous avez manqué le spectacle magnifiée par les paysages Vassilis Varvaresos | Alexei Volodin
Pelléas du chorégraphe Thierry immaculés de la station Lambert Wilson
Thieû Niang avec l’Orchestre de l’Oberland bernois. Aglaya Zinchenko
de chambre de Paris ?
Rattrapage dimanche, 13 Les Soldats L’Orchestre International de Genève
en clôture du (mini) festival. de Zimmermann casalQuartett
Le 28 janvier, Paris,
Philharmonie.
On les attendait en février 2022,
mais le contexte sanitaire
n’avait pas permis le voyage
à Paris des Soldats de Bernd
Alois Zimmermann venus
d’outre-Rhin : les voici ! C’est Programmes | Réservations
à Cologne, où l’opéra tiré www.crescendo-jura.ch
de la pièce de Jakob Lenz a été Renseignements
créé en 1965, que le chef +41 (0)79 486 77 49
François-Xavier Roth
© WIKIMEDIA COMMONS / ASTRID KARGER

et le turbulent metteur en scène


Calixto Bieito ont préparé
une nouvelle version mise en
espace, taillée pour la salle
de concert. Un orchestre
Gürzenich pléthorique se charge
de cette œuvre kaléidoscopique
Design www.nusbaumer.ch

– dodécaphonique,
électronique, concrète, brassant
HUGUES DUFOURT les styles du grégorien au jazz ▸ ▸ ▸
● à voir et à entendre
EMMANUELLE BERTRAND

ET AUSSI…
Elsa Dreisig Atys de Lully
et Bertrand Chamayou Le 22 janvier, Versailles,
Le 7 janvier, Paris, Opéra royal.
Cité de la musique. Reinoud Van Mechelen,
Beach, Bonis, N. et L. Boulanger, Judith Van Wanroij, Céline
Canal, Netzel, Strohl, Viardot. Scheen, Apolline Raï-Westphal.
Les Talens lyriques,
Iphigénie en Tauride dir. Christophe Rousset.
de Desmarest et Campra
Le 9 janvier, Paris, Théâtre Mozart à Monaco
des Champs-Elysées. Du 23 janvier au 4 février,
Véronique Gens, Reinoud Van Monaco, Auditorium
Mechelen, Tassis Christoyannis. Rainier III.
Le Concert spirituel, Thomas Hengelbrock, Daniel
dir. Hervé Niquet. Lozakovitch, David Fray, Ton
14 La Folle Journée Koopman, Martin Helmchen…
Du 31 janvier au 4 février, Nantes, Cité des congrès. Transfiguré - 12 vies
de Schönberg Barbe-Bleue d’Offenbach
Trentième édition du plus populaire des festivals de musique Les 9, 10 et 11 janvier, Paris, Du 24 janvier au 4 février,
classique, fondé sur le principe de concerts courts à prix doux : Philharmonie. Lyon, Opéra.
cela se fête ! Pour l’occasion, l’infatigable artisan de La Folle Solistes, Chœur et orchestre Florian Laconi, Jérémy Duffau,
Journée de Nantes, René Martin, a concocté une programmation de Paris. Ariane Matiakh dir. Jennifer Courcier, Héloïse Mas.
multi-compositeurs, célébrant la question des « origines » en musicale, Bertrand Bonello mise James Hendry dir. musicale,
musique. « Origins », c’est d’ailleurs le titre du récital de l’octuor en scène. Laurent Pelly mise en scène.
vocal anglais Voces8, avec des pièces de Palestrina à Pärt
Les Sept Péchés capitaux Daniil Trifonov
nourries de mélodies anciennes. En compagnie de l’ensemble
de Weill et Klaus Mäkelä
Double sens, le violoniste Nemanja Radulovic convoque
Le 10 janvier, Paris, Théâtre Les 24 et 25 janvier, Paris,
les traditions mélodiques d’une vingtaine de pays dans
des Champs-Elysées. Philharmonie.
son programme « Roots ». Quant à la violoncelliste Emmanuelle
© JEAN-BAPTISTE-MILLOT

Marina Viotti, Orchestre Thorvaldsdottir, Chopin, Strauss.


Bertrand et au pianiste Pascal Amoyel, ils se souviennent
des commencements de toute vie lors d’un « concert pour de chambre de Genève, Rusalka de Dvorak
les bébés » sur le thème de la nuit… Avec trois cents rendez-vous dir. Marc Leroy-Calatayud. Du 25 janvier au 4 février,
animés par deux mille artistes, il y en aura pour toutes les oreilles, Liège, Opéra.
Kirill Gerstein
petites comme grandes ! Corinne Winters,
et Nikolaj Szeps-Znaider
Anton Rositskiy, Jana Kurucova,
Les 11 et 13 janvier, Lyon,
▸ ▸ ▸ en passant par des chorals par John Nelson (Erato, Olesya Petrova, Jiri Rajnis.
Auditorium.
de Bach. Tomas Tomasson, Diapason d’or). Au Luxembourg Giampaolo Bisanti dir. musicale,
Wagner, Liszt, Strauss.
Emily Hindrichs, Nikolay comme à Paris, elle sera aimée Rodula Gaitanou mise en scène.
Borchev, Laura Aikin et huit puis délaissée par l’Enée Adriana Lecouvreur de Cilea
Evgeny Kissin
autres chanteurs campent d’Andrew Staples, soutenue Du 16 janvier au 4 février,
Le 28 janvier, Paris, Théâtre
les protagonistes d’une société par la Belinda de Fatma Saïd, Paris, Opéra-Bastille.
des Champs-Elysées.
oppressante et violente. ainsi que par Il Pomo d’Oro Anna Netrebko / Anna Pirozzi,
Beethoven, Rachmaninov,
et Maxym Emelyanychev, Yusif Eyvazov / Giorgio Berrugi,
Prokofiev.
ensemble et chef qui gravaient, Ekaterina Semenchuk /
15 il y a quelques mois, Clémentine Margaine, Ambrogio Agrippina de Handel
Didon et Enée
une fascinante Theodora de Maestri. Jader Bignamini Le 30 janvier,
de Purcell
Handel… avec Joyce DiDonato dir. musicale, David McVicar Boulogne-Billancourt,
Le 31 janvier, Luxembourg,
dans le rôle d’Irene (Erato, mise en scène. La Seine musicale.
Philharmonie.
Diapason d’or). Le chef-d’œuvre Sophie Rennert, Federico Fiorio,
Le 8 février, Paris, Théâtre Giulio Cesare de Handel
de Purcell, qui fera lui aussi Emmanuelle De Negri, Luigi De
des Champs-Elysées. Du 20 janvier au 4 février,
l’objet d’un enregistrement, est Donato. Accademia Bizantina,
Une évidence : Joyce DiDonato complété lors des concerts par Paris, Palais Garnier. dir. Ottavio Dantone.
chante la Didon de Purcell, le Jephte de Carissimi, brève Gaëlle Arquez, Lisette Oropesa,
Emily d’Angelo, Jean-Yves Thibaudet
après avoir si brillamment histoire sacrée qui des terres
Wiebke Lehmkuhl, et Esa-Pekka Salonen
incarné celle de Berlioz dans d’Albion nous mène à celles
Iestyn Davies, Luca Pisaroni. Les 31 janvier et 1er février,
l’intégrale des Troyens dirigée de la Péninsule.
Harry Bicket dir. musicale, Paris, Philharmonie.
Pages réalisées par Bertrand Boissard, Nicolas Derny, Benoît Fauchet, Laurent Pelly mise en scène. Debussy, Stravinsky.
Emmanuel Dupuy, Laurent Muraro, Pierre-Etienne Nageotte

I 54
Les Grandes Voix / Les Grands Solistes
présentent

08.01.2024-ThéâtredesChamps-Élysées
Golda Schultz et les freres pati
Les Frivolités Parisiennes
Quentin Hindley, direction
Carmen, Rigoletto, La Traviata, Tosca,
Sondheim, Trenet...

16.01.2024 - Philharmonie de Paris


nemanja radulovic
Double Sens
Ludwig van Beethoven

29.01.2024 - Salle Gaveau


Yusif eyvazov
Murad Adigezalzade, piano
Leoncavallo, Mascagni, Respighi,
Rachmaninoff, Tchaïkovski

Informations et réservation :
lesgrandesvoix.fr
SPECTACLES vu et entendu

Un tsar est né

56 I
UN PEU BEAUCOUP PASSIONNEMENT PAS DU TOUT
nous
avons
aimé...

A Toulouse, Alexander Roslavets triomphe dans le rôle-titre


de Boris Godounov, sous la direction musicale d’Andris Poga
et dans un spectacle d’Olivier Py, bientôt repris au Théâtre
des Champs-Elysées.
Boris Godounov de Moussorgski. Toulouse, des mouvements de foule impeccablement réglés,
Théâtre du Capitole, le 24 novembre. le théâtre de Py n’affirme jamais mieux sa grandeur
Reprise à Paris (Théâtre des Champs- que dans le dépouillement. Par exemple lorsque
Elysées) du 28 février au 7 mars. Boris est en proie aux hallucinations, seul à l’avant-
scène, face au fantôme du tsarévitch, avant qu’il
Matthias Goerne devait chanter soit englouti par les flammes. A la fin, quand le
Boris à Toulouse, mais il a déclaré successeur de Boris se coiffe de la couronne, un
forfait. Alexander Roslavets qui, geste de Chouiski nous fait comprendre que
lui non plus, n’avait jamais abordé l’histoire recommence…
le rôle, a repris le flambeau. A-t-on
perdu au change ? Pas sûr, car dès son premier Fastes spectaculaires
monologue, le remplaçant impressionne par le Si la mise en scène équilibre à merveille fastes spec-
prestige d’une authentique basse noble, taillée dans taculaires et recueillement intimiste, on peut en
le plus somptueux airain, avec une palpitation dire autant de la direction musicale d’Andris Poga.
constante dans les mots et le chant, mais aussi, A en faire trembler les murs, cette lecture décuple
lorsque la solitude du pouvoir l’accable, des raffi- pendant le sacre la puissance des chœurs et de l’Or-
nements méditatifs bercés par un legato de miel. chestre national du Capitole – tous fabuleux –, pour
Ce monarque bascule dans la folie en faisant briller mieux tisser ensuite les mille détails du subtil tapis
l’éclat de son registre supérieur, et rend l’âme avec instrumental déroulé sous les voix. Et sans jamais
une étreignante délicatesse, ému aux larmes mais relâcher le fil de la narration, en un discours par-
toujours maître d’une ligne impeccablement tenue : faitement architecturé, avec une ferveur qui ne
ce soir, un tsar est né. s’essouffle guère.
Outre Roslavets, le plateau réserve des bonheurs
Des boyards à Poutine constants. Chez les ténors, victoire sans partage :
Sans doute Roslavets a-t-il été aidé, pour hisser son pour le Faux Dimitri malléable et plein de sève
incarnation à un tel degré de vérité, par un Olivier d’Airam Hernandez ; pour le Chouiski à la cou-
Py qui n’a pas son pareil pour pousser les chan- leur plus nasillarde mais aux accents venimeux
teurs à se dépasser. Son spectacle s’inscrit dans la de Marius Brenciu ; pour l’Innocent touché par
grande histoire politique russe, des boyards à nos la grâce de Kristofer Lundin. Malgré quelques
jours – Boris est lui-même, mais aussi un peu Sta- écarts d’intonation, le Pimène de Roberto Scan-
line ou Poutine. Le magicien Pierre-André Weitz diuzzi en impose avec son grave et ses phrasés de
a une fois encore conçu un ingénieux décor qui contrebasse, tout comme le Varlaam de Yuri Kis-
permet d’innombrables changements à vue, faci- sin, exemplaire dans l’ébriété de sa chanson sur
litant avec beaucoup de fluidité l’enchaînement des le siège de Kazan.
scènes – on donne sans pause la version originale Chez les dames, Lila Dufy chante la peine de Xenia
de 1869, dépourvue en particulier de l’acte polo- avec un pleur sur une voix qui distille de doux
nais et donc plus concise que celle 1872. Nous voilà charmes vibratiles ; entre flamme et velours,
ainsi transportés d’une forêt de bouleaux à un pa- Victoire Bunel accomplit avec beaucoup de sincé-
lais ruisselant d’or, d’immeubles éventrés par la rité le travesti de Fiodor ; Sarah Laulan campe une
guerre à une salle du conseil figée dans une blan- Aubergiste au tempérament aussi corsé que son
cheur glaçante, de grises façades soviétiques à une mezzo, pas fâchée de jouer les bombasses peroxy-
© BORIS -GODOUNOV

sombre cellule monacale. dées. Et en quelques répliques, la Nourrice de


Si la lisibilité de l’intrigue est à chaque instant Svetlana Lifar tire son épingle du jeu, comme le
préservée, Py n’évite pas un excès de didactisme, Chtchelkalov du radieux Mikhail Timoshenko, ou
avec une tendance récurrente à montrer ce qui n’est encore l’implacable Nikititch de Sulkhan Jaiani.
que suggéré par le livret. Dommage, car outre Emmanuel Dupuy

I 57
● vu et entendu

Le triomphe
de Jonathas
David et Jonathas de Charpentier.
Caen, Théâtre, le 9 novembre.
Reprise à Nancy (Opéra) les 14,
16 et 18 janvier, à Paris (Théâtre
des Champs-Elysées) les 18 et 19 mars.

A la création en 1688, la parti-


tion de Charpentier alternait
avec les actes d’une tragédie
en latin, Saül, perdue. On nous
promettait un nouveau texte,
Sous un volcan commandé à l’écrivain Wilfried N’Sondé.
Il se limite en fait à quelques interventions
Simon Boccanegra de Verdi. Tokyo, (Simon) a la tierce supérieure insolente et le qui n’éclairent pas le drame, mais plutôt la
le 16 novembre. Reprise à Helsinki cantabile qui font les grands barytons Verdi. lecture qu’en livre le metteur en scène
en mars 2024 et à Madrid en 2026. Manque-t-il d’une once de volume, de noir- Jean Bellorini, centrant le propos sur les inno-
ceur dans l’expression de sa puissance ? Sans cents tués par les guerres, message tristement
Au Japon, le New National doute, mais certainement pas de demi-teintes d’actualité.
Theatre Tokyo (NNTT) pré- ni d’un subtil dosage du pathos lors d’une ago- Au lever du rideau, un couloir d’hôpital. Saül,
sente une dizaine d’opéras nie baignée de larmes. Si Irina Lungu (Amelia) devenu fou, y est interné, l’action se présentant
chaque saison depuis 1997, pâtit au début d’un vibrato prononcé, la ligne comme un flash back ou un cauchemar du roi
dans sa salle ultramoderne reste tenue et raffinée, ornée de superbes déchu. Le livret ne se prête pas de bonne grâce
de 1800 places, à l’acoustique aussi boisée que messa di voce, avec une fêlure dans la voix par à cette torsion. Entre autres parce que peu
son décor. Certains ouvrages sont co-produits où passent toutes les variations du sentiment. avant la fin de la pièce, Saül meurt : il ne fera
avec de grandes institutions européennes. ici que semblant de se suicider – l’infirmière
C’est le cas de ce Simon Boccanegra qui sera Jumeau de Iago qui vient lui demander juste après si « ça va ? »
bientôt repris à Helsinki puis Madrid. Actuel La couleur latine et la projection insolente déclenche l’hilarité de la salle. Le reste de l’in-

© PHILIPPE DELVAL / THÉÂTRE DE CAEN.


patron du Festival d’Aix-en-Provence, Pierre de Luciano Ganci (Gabriele) font leur effet, trigue se déroule en contrebas de ce couloir,
Audi assure la mise en scène. mais ce fier ténor devra affermir son art de la dans un décor presque entièrement vide.
Le spectacle suit la voie d’une stylisation nuance et ses intonations. Riccardo Zanellato Si le début fonctionne, les choses se gâtent
bienvenue, grâce aux décors conçus par le plonge avec aisance dans les tréfonds de la à partir du moment où il faut que Saül
plasticien Anish Kapoor. Pour le prologue, tessiture de Fiesco, alternant tendresse descende de sa chambre et interagisse avec
de grands panneaux triangulaires qui paternelle et éclats vengeurs. Enfin, Simone le plateau. Par la suite, certains personnages
évoquent les voiles hissées sur les navires Alberghini (Paolo) met du fiel dans ses mots « du bas » montent dans le couloir d’hôpital…
de la maritime Gênes, où se déroule l’action. et dans son chant, avec un bel aplomb mais De tout cela résulte une certaine confusion
Puis, pour les trois actes qui suivent, un vol- un muscle un peu faible pour ourdir les mani- qui obscurcit l’action.
can renversé, suspendu aux cintres, dont le gances de ce jumeau de Iago.
cratère fumant s’ouvre au-dessus du plateau, Le NNTT possède son propre chœur – splen-
inquiétante déité pesant sur le destin des pro- dide –, mais pas d’orchestre attitré. C’est le
tagonistes, prête à cracher sur eux ses Philharmonique de Tokyo qui officie ce soir
flammes dévastatrices. Dans ce dispositif, dans la fosse, avec ses cordes superbes, ses
le rouge et le noir dominent, en une nuit de feu vents parfaitement dosés par un Kazuchi Ono
qui se termine par une éclipse totale après maître des équilibres – et accessoirement di-
la mort de Simon. N’ajoutant à la narration recteur artistique du NNTT. Surtout, cette
aucun élément superflu, la direction d’acteur, battue imprime au drame un mouvement per-
par son absolue loyauté, réussit le tour de pétuel, en phase avec les effluves marins que
force de rendre limpide une intrigue passa- Verdi a mis dans sa partition, sans s’interdire
© RIKIMARU HOTTA

blement tarabiscotée. d’impressionnantes fulgurances lors des


Les principaux chanteurs (hormis la soprano, scènes de rébellion. Et tout du long une ner-
russe) sont italiens – un bonheur pour les dé- vure, une électricité, des couleurs changeantes
lices de la déclamation. Roberto Frontali qui font régner l’esprit du théâtre. E.D.

58 I
L’obscurité est le maître-mot de l’affaire, car
même la jubilation du début de l’acte I et la fête
des bergers du II sont bien sombres, tout
semblant tendre vers l’inéluctable tragédie :
la mort de Jonathas, la déchéance de Saül.
De là un manque de variété que ne fait qu’ac-
croître une direction d’acteur sommaire,
une gestion des chœurs en berne et des danses
jouées à rideau fermé, sans chorégraphie ni
scénographie. Si les éclairages et des tableaux
vivants ménagent quelques jolies images,
l’ensemble est souvent statique. Les enjeux
Anges lyriques
religieux sont gommés, de même que la ré- Les Ailes du désir de Louati. Dunkerque, Le jeune compositeur originaire de Tourcoing
flexion sur l’exercice du pouvoir. Le Bateau Feu, le 9 novembre. n’est pas en cause. Il caractérise finement ses
Suite de la tournée à Dijon (Opéra) tableaux, développe un joli sens de l’écriture
A fleur de peau les 10 et 11 janvier, Besançon (Théâtre madrigalesque pour un petit chœur, dessine
Dans la fosse, un ensemble Correspondances Ledoux) les 17 et 18 janvier, Compiègne des nuages de cordes et enroule quelques
en grande forme déverse les flots d’une ma- (Théâtre impérial) le 25 janvier, Nantes boucles répétitives, convoque une électro-
tière sonore raffinée, aux lignes tenues qui (Théâtre Graslin) les 6 et 7 mai, Rennes nique jamais tapageuse qui trouve son écho
magnifient les moments recueillis ou tristes (Opéra) du 14 au 18 mai, Tourcoing le plus entêtant dans un club berlinois.
de la partition : pur bijou que le prélude de (Atelier lyrique) le 24 mai. L’ensemble nordiste Miroirs Etendus est
l’acte IV ! Sébastien Daucé et ses troupes sont amoureusement servi par son « compositeur
moins à leur aise dans la jubilation, mais Les films marquants primés à associé », notamment côté percussion (l’ins-
la déploration sur la mort de Jonathas touche Cannes inspirent l’opéra d’au- trument d’Othman Louati), fournies. La pré-
véritablement au sublime, tant côté chœur jourd’hui. Après Breaking the cision de la cheffe Fiona Monbet ne se voit pas
qu’à l’orchestre. Waves (Grand prix 1996) de dans la fosse profonde de la scène nationale
Jean-Christophe Lanièce joue avec brio la fo- Lars von Trier mis en musique dunkerquoise, mais elle s’entend.
lie et la faiblesse de Saül et domine sa partie par l’Américaine Missy Mazzoli (Philadelphie
vocale. Si Petr Nekoranec se tire honnêtement 1996, découvert à Favart en mai dernier), Les Eclat solaire
de la tessiture assassine de David, gênent Ailes du désir (Prix de la mise en scène 1987) L’orchestre voyage léger (treize instrumen-
un vibrato serré et envahissant comme une de Wim Wenders fait l’objet d’une ambitieuse tistes), le plateau vocal aussi : sept chanteurs
articulation du texte défaillante. Honneurs aventure scénique : voici la première création dont la partition flatte les possibilités. Liberté
à l’Achis d’Alex Rosen, qui possède l’assise contemporaine de la co[opéra]tive, présentée (parmi d’autres et sans dommages) prise avec
et la projection attendue et dessine une espèce dans la demi-douzaine de théâtres membres le film, Damiel est en fait Damielle, ange fémi-
de Commandeur bien en situation. Lucile Ri- de cette alliance. nin auquel le grand soprano lyrique de Marie-
chardot dote sa Pythonisse d’une présence qui La commande passée à Othman Louati (né Laure Garnier confère un éclat solaire. C’est
fait son effet. Domine cependant le Jonathas en 1988) consiste en un opéra sur un livret en pour l’amour de Marion, qui a le timbre d’alto
à fleur de peau de Gwendoline Blondeel, so- français de Gwendoline Soublin et une idée corsé et magnétisant de Camille Merckx, que
prano éclatant, bourré de charme et de legato, originale de Johanny Bert, qui peuple de ses l’ange fait le choix de devenir mortel ; Cassiel
dont chaque apparition est un enchantement marionnettes le Berlin de l’immédiat avant- ne connaît pas ce sort mais le baryton libre
et dont les derniers mots sont absolument dé- chute du Mur observé par Wenders et ses et bien phrasé de Romain Dayez éloigne le rôle
chirants. Loïc Chahine anges. Ce choix scénographique souligne de la banalité. Le baryton Ronan Nédélec en
la part de conte, de fable inhérente au propos son touchant Vieux rescapé, le mezzo ferme
wendersien. Mais le regard du cinéaste, et maternel de Mathilde Ortscheidt, le so-
baignant dans le merveilleux, et surtout la prano presque piquant de Shigeko Hatat, © CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE

photographie planante en noir et blanc de son Benoît Rameau exhibant dans l’aigu de son
chef opérateur Henri Alekan, ajoutaient un ténor les fêlures d’un Aimant jamais aimé
onirisme qui fait défaut à la mise en scène très complètent la galerie de personnages.
sobre, presque effacée de Grégory Voillemet. Le film pose sur cette humanité fragile un
La tension narrative n’était pas le fort du film ; regard attendri et mélancolique. Ce que pro-
elle n’est pas non plus le principal atout de ce pose aussi ce voyage opératique à la fois mo-
spectacle qui gagnerait à être un peu resserré deste dans ses moyens et courageux dans son
au fil de la tournée. projet. Benoît Fauchet

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I 59
● La Discothèque idéale de Diapason

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Beethoven, mais aussi celle de ses quatuors avec
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Ballet/Opéras riche anthologie de lieder pour
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des références consacrées, des
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Sommaire
64 LES DIAPASON D’OR
66 L’île déserte

68 Rééditions

72 L’événement

74 LES 120 CRITIQUES


102 Le coin du

© DOVERQUARTET.COM
collectionneur
PAGE 72

PAGE 68

© DON HUNSTEIN / SONY MUSIC ENTERTAINMENT

PAGE 66
© DECCA

PAGE 102

62 I
janvier 2024
Votre Indispensable
Des enregistrements rares ou légendaires sélectionnés par les critiques de Diapason.

I
l existe une autre Aida diri- Price fut l’Aida assoluta du XXe Gorr, Amneris mortelle, folle les Wiener Philharmoniker
gée par Solti, captée live au siècle : admettons que sa cou- d’amour, bête blessée au mezzo (Decca), Solti n’a pourtant pas
Metropolitan de New York, leur de peau l’y prédestinât, c’est torrentiel mais à la ligne toujours sous la main le plus somptueux
avec également Leontyne plus encore la plénitude de son tenue, garde sa dignité même au orchestre du monde. Mais il agit
Price et Rita Gorr, flanquées authentique spinto qui la hisse comble de sa douleur dans une en metteur en scène, prenant
d’un autre ténor, Carlo Ber- sur les cimes. Avec de la chair scène du jugement vertigineuse. son temps pour élaborer un récit
gonzi, qui fait briller sur l’opéra dans le timbre, un érotisme par- Avec l’impérieux Amonasro savamment construit, sur lequel
son grand soleil d’Italie (cette ticulier dans les phrasés et, chez de l’Américain Robert Merrill, planent les lourds nuages d’un
intégrale-là figure dans un cof- elle comme chez Vickers, une cantabile intarissable et verbe en théâtre d’ombres et de colères, y
fret de notre Discothèque idéale radicalité pour l’expression des uppercut, cela nous fait un pla- compris pendant un Triomphe
consacré à Verdi). En studio, affects qui cependant ne trouble teau bien peu italien – quoique dont la pompe a rarement été
Vickers, lui, est rien moins que jamais la pureté du dessin mélo- le Roi de Clabassi, le Ramfis de parée d’une telle gravité. Ce n’est
latin, mais il a d’autres atouts : dique. On l’entend ici à son Tozzi et la Prêtresse de Sighele y pas à une fresque en Technico-
un art de l’incarnation chauffé à zénith, montrant une égalité des pourvoient. lor que l’on assiste, plutôt à un
blanc, brisant l’armure de Rada- registres qu’elle peinera à préser- drame intime, avec parfois des
mès pour mettre à nu sa psyché ver par la suite, un médium aux Ombres et colères raffinements instrumentaux qui
et ses tourments, colosse aux raucités subtilement dosées, du Qu’importe quand le chant nimbent d’une insondable poé-
pieds d’argile dont la puissance cristal dans l’aigu, un art de la atteint un tel degré d’accomplis- sie les effluves exotiques dont
se mue en confidence mélanco- nuance phénoménal – écou- sement, et la direction musicale Verdi a nourri sa partition. Chef
lique, dès un « Celeste Aida » sur tez les pianissimos filés qui une telle fièvre. Contrairement ou thaumaturge ? Aida, sou-
le souffle, murmuré comme un concluent son « Ritorna vinci- au rival Karajan qui, trois ans dain, acquiert la puissance et la
songe. Ténor roi soleil lui aussi, tor ! », ses intonations immaté- plus tôt, gravait lui aussi une noblesse d’une tragédie antique.
certes – mais soleil noir. rielles dans « O patria mia » ! Aida des plus estimables avec Emmanuel Dupuy

n o
VERDI : Aida.
Leontyne Price (Aida), Jon Vickers (Radamès),
Rita Gorr (Amneris), Robert Merrill (Amonasro),
Plinio Clabassi (le Roi), Giorgio Tozzi (Ramfis),
Mietta Sighele (Grande Prêtresse), Chœur
et Orchestre de l’Opéra de Rome, Georg Solti.
« Les Indispensables de Diapason »
no 164 (2 CD). Ø 1961. TT : 2 h 32’.

I 63
● Le choix de la rédaction

DIAPASON D’OR
NOUVEAUTÉS
● CRITIQUE P. 72 ● PLAGE 1 ● CRITIQUE P. 97 ● PLAGE 2 ● CRITIQUE P. 82 ● PLAGE 3

BEETHOVEN MARINA REBEKA DVORAK


Quatuors à cordes nos 7 à 11. « Essence ». Airs de Puccini, Tchaïkovski, Les quatre trios avec piano.
Quatuor Dover. Dvorak, Catalani, Leoncavallo… Veronika Jaruskova, Peter Jarusek,
Cedille. Marco Boemi. Prima Classic. Boris Giltburg. Supraphon.
Sommets d’une intégrale des quatuors Un médium moelleux, un contrôle absolu Deux archets du Quatuor Pavel Haas et
de Beethoven, les « Razoumovsky » du souffle, une ligne soutenue apportent un piano complice rendent tout leur relief
du Dover Quartet installent cette jeune aux héroïnes incarnées par la soprano aux trios de Dvorak, à leur inimitable
formation américaine au premier rang. une élégance aristocratique. mélange de panache et de nostalgie.

● CRITIQUE P. 79 ● PLAGE 4 ● CRITIQUE P. 87 ● CRITIQUE P. 91

CAVALIERI LUTOSLAWSKI RACHMANINOV


Lamentations. Concerto pour orchestre. Partita pour violon Sonate pour piano no 1. Préludes op. 23.
Profeti della Quinta. et orchestre. Novelette. Lukas Geniusas.
Pan Classics. Christian Tetzlaff, Nicholas Collon. Ondine. Alpha.
Cinq chanteurs inspirés et un continuo Nicholas Collon donne une âpreté Sur le Steinway même de Rachmaninov,
généreux livrent la version de référence grandiose au Concerto pour orchestre Geniusas dévoile la version princeps de la
pour ce chef-d’œuvre intense et visionnaire et aiguise la Partita en parfaite entente Sonate no 1, retrouvant son foisonnement
composé à la fin du XVIe siècle. avec le violon virtuose de Tetzlaff. originel. Et avec quelle rigueur intellectuelle !
Le choix de
64 I
CHAQUE MOIS, LE MEILLEUR DU DISQUE
CLASSIQUE, D’UN SEUL COUP D’ŒIL !
RÉÉDITIONS INDISPENSABLE
● CRITIQUE P. 68 ● PLAGE 5 ● CRITIQUE P. 69 ● PLAGE 6 ● RENDEZ-VOUS P. 62

JESSYE NORMAN PHILADELPHIA WOODWIND VERDI


« The Complete Studio Recitals ». Decca. QUINTET Aida.
« The Complete Columbia Album Collection ». Leontyne Price, Rita Gorr, Jon Vickers…
En 42 CD, Universal réunit tout ce que
Sony. Georg Solti.
Jessye Norman a gravé dans le domaine
du lied, de la mélodie et de l’oratorio, outre Entre 1953 et 1967, les glorieux souffleurs Une affiche vocale de rêve et une direction
de glorieuses échappées vers le crossover. d’Eugene Ormandy gravaient Mozart, électrisante, théâtre d’ombres et de colères,
Schönberg, Poulenc, Janacek, Ibert, confèrent à Aida la puissance et la noblesse
Le choix de
Beethoven, Nielsen, Barber, Coleman… d’une tragédie antique.

COLLECTIONNEUR
● CRITIQUE P. 102

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« The Complete Columbia Album Collection ». ou sur
Sony.
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Les gravures dirigées par Carlos Chavez
pour Columbia et CBS entre 1938
et 1973 brossent, en 7 CD, le portrait
d’une figure de la musique mexicaine
au XXe siècle.

I 65
● L’île déserte de PIOTR KAMINSKI

LES DISQUES QUE TOUT MÉLOMANE DOIT CONNAÎTRE


o
n 134
Chopin
Les deux concertos pour piano.
Krystian Zimerman (piano
et direction), Polish Festival Orchestra.
DG, 1999.

es concerts à Los Angeles de 1978, avec captation allaient se passer. » Après avoir entendu Krystian Zimer-
live des deux concertos de Chopin sous la baguette man et le Polish Festival Orchestra au Kennedy Center, le
de Carlo Maria Giulini, ne s’étaient pas bien pas- chef Stanislaw Skrowaczewski leur déclare qu’ils ont « fait
sés. C’est pourtant Zimerman lui-même qui avait l’histoire ».
demandé à DG un « chef lyrique », convaincu – Critique du Boston Globe, Richard Dyer écrit le 9 novembre :
si tôt ! – que telle était la nature de ces œuvres, « Par la profondeur de leur vision, ces interprétations sont
composées par un « adolescent » ivre d’amour et d’opéra. pour moi sans égale. Uniques. Les seules comparaisons qui
Le pianiste y revient donc vingt ans plus tard, fort d’une me viennent à l’esprit sont les concerts de Sergiu Celibi-
longue expérience avec plusieurs grandes baguettes (il dache. Zimerman a construit les accompagnements note
évoque surtout Kondrachine et Bernstein), à la tête de son par note, phrase par phrase, et le résultat était ravissant,
propre orchestre, formé des meilleurs musiciens polonais, quasi schubertien. On a pu réaliser dans quelle mesure Cho-
sélectionnés sur plus de quatre cents dossiers. pin laisse souvent le premier et le dernier mot à l’orchestre.
La répétition inaugurale du nouvel ensemble dure plus de Peu d’interprètes ont plongé aussi loin dans cette musique,
vingt heures et se termine au petit matin. « D’emblée, il a et en ont rapporté autant. »
déclaré vouloir interpréter les concertos à la façon opéra- L’expérience enseigne que rien ne vieillit plus vite que « la
tique, vocale », témoignera un instrumentiste. « Au début, nouveauté ». Certaines audaces, si rafraîchissantes, se fanent
le rubato était encore plus exagéré, afin de fortement ancrer à l’usage ou deviennent insupportables. Vingt-cinq ans plus
cette idée dans nos esprits. Bientôt, nous n’arrivions plus à tard, je considère toujours ce disque comme un des plus
imaginer qu’on puisse jouer autrement. Depuis, nous avons grands jamais consacrés à Chopin.
du mal à écouter d’autres interprétations. » J’avoue partager
cet embarras : cette version m’a tout de suite « gâché » les
autres. Cette manière de faire où, comme dans le Tchaïkov-
ski par Huberman, on nous pose le doigt sur l’artère vive de
la musique, semble surgie tout droit d’un rêve. Je conçois que
pour d’autres cela frôle l’indécence – d’où les controverses
que le disque provoque.
Après les avoir joués au Festival de Salzbourg, Zimerman et
« son » orchestre enregistrent les concertos à Turin. L’aven-
ture va se poursuivre avec une tournée de part et d’autre de
l’Atlantique, un triomphe à la salle Pleyel le 17 octobre 1999
(jour anniversaire de la mort de Chopin, survenue cent cin- ● Chopin : ● Chopin : ●Chopin :
quante ans plus tôt à Paris), pour se refermer le 24 novembre Les deux concertos Mazurkas. Mazurkas.
à Varsovie. Avec quel bilan ! « Cela m’a bouleversé de voir, pour piano. Ignaz Friedman. William Kapell.
dès le premier concert, des auditeurs en larmes », confie un Josef Hofmann. 1928-1930, Naxos. 1952, RCA.
musicien. « J’ai vite compris que c’était ainsi que les choses 1936-1938, VAI.

66 I
Les Sagas
musicales
par Saskia de Ville
Une collection de podcasts pour découvrir la vie et
l’œuvre des grands compositeurs et grandes compositrices

Offenbach
Le roi de l’ivresse
5 épisodes de 30 minutes
À écouter et podcaster sur le site de
France Musique et sur l’appli Radio France
● Rééditions

L’Invitation au voyage
Universal réunit tout ce que Jessye Norman a gravé dans le domaine du lied, de la mélodie
et de l’oratorio, outre quelques glorieuses échappées vers le crossover.
Dommage que son accompa- ses Nuits d’été, toujours avec
gnateur, un bien prosaïque Davis, sont nimbées d’un mys-
Irwin Cage, n’évolue pas sur les tère poétique ensorcelant qui
mêmes cimes. Un écueil auquel irrigue aussi la Schéhérazade de
échappe un florilège schubertien Ravel. Et dans le drame minia-
(de Ganymed au Roi des aulnes ture qu’est La Mort de Cléopâtre
en passant par La Jeune Fille et de Berlioz, avec Barenboim, Nor-
la Mort, tous les tubes y sont) man pousse jusqu’à la transe son
avec un Phillip Moll autrement art de l’incarnation. Si ses mélo-
concerné. Autres sommets : trois dies de Duparc au port de caria-
pleins CD de lieder de Brahms tide sont à tomber, comme ses
(un avec Geoffrey Parsons, deux Chansons hébraïques de Ravel
avec Barenboim), où brille par- au pittoresque décomplexé, la
tout cette précision du mot coulé verve canaille lui échappe dans
dans la phrase musicale, cette les Satie et les Poulenc.
justesse de l’expression tour à Il faudrait des pages entières
tour joyeuse, méditative, épique pour citer tous les trésors que
dans des Zigeunerlieder d’une contient ce coffret. Au hasard :
absolue liberté. un des plus beaux « Ch’io mi
sorti di te » de Mozart (avec Mar-
Marbre somptueux riner et, excusez du peu, le piano
© DECCA

Chez Strauss, le piano de Parsons de Brendel). Et plusieurs albums


offre à la soprano la stimulation de Spirituals où elle est insur-

L
a discographie de semble toujours se chercher. qu’elle mérite, pour ciseler une passable, deux autres bourrés
Jessye Norman est à Chez Mahler, on s’attardera plus anthologie perfectionniste, où de standards de l’American Song-
l’image d’une carrière volontiers sur ses Kindertoten- elle se montre particulièrement book où la guide un certain John
qui accorda toujours lieder, qu’Ozawa drape dans les à l’aise dans le registre de l’exal- Williams, un pas de côté consa-
plus de place au concert charmes d’un écrin instrumental tation. Avec orchestre, on peut cré à et avec Michel Legrand, des
qu’à l’opéra. Ce riche coffret en aux irisations sensibles. rêver, pour les Quatre derniers noëls glamourous en diable, des
témoigne, regroupant tous les Parmi les oratorios auxquels lieder, soprano plus lumineux, live en pagaille (en CD et en DVD)
récitals de la diva gravés pour elle prit part, mention particu- mais le tombeau qu’édifient Nor- attestant la ferveur que Norman
Decca, Philips et DG, ainsi que lière pour A Child of our Time de man et Masur, avec un Gewand- soulevait en scène. Tout cela
sa participation à des œuvres Tippett défendu par Davis, ainsi haus de Leipzig aux ombres cré- dessine le portrait d’une artiste
qui ne sont pas destinées au que pour les Gurre-Lieder dirigés pusculaires, est sculpté dans le décidément hors norme, dont la
théâtre. C’est sur ce versant que par Ozawa. Norman a d’ailleurs marbre le plus somptueux – et mort, en 2019, a laissé un vide qui
l’éditeur aurait pu faire l’écono- souvent abordé les compositeurs quelles merveilles dans les Wie- semble chaque année plus verti-
mie de quelques galettes : deux de la seconde école de Vienne, genlied, Ruhe, meine Seele ou gineux. Emmanuel Dupuy
9e de Beethoven (avec Böhm et ce qui nous vaut, toujours chez Zueignung qui complètent le pro-
« Jessye Norman, The Complete
Solti), aussi accomplies soient- Schönberg, un Erwartung et gramme ! Avec Davis, des Wesen- Studio Recitals ». Decca,
elles, n’apportent rien à la gloire des Brettl-Lieder dépourvus de donck Lieder de Wagner torrides, 42 CD + 3 DVD. Diapason d’or
de la soprano qui y a bien peu à la moindre aridité, en symbiose couplés à la Liebestod (égale-
chanter. De même, les deux 3e de avec un Levine au lyrisme incan- ment présente dans le concert PLAGE 5 DE NOTRE CD
Mahler (avec Abbado et Ozawa) descent. mythique dirigé par Karajan à
ne sont pas ce que Norman a Rien de ce qu’elle a gravé dans le Salzbourg en 1987), nous feront
légué de plus incontestable : si domaine du lied ne laisse indif- toujours regretter que Jessye ne
la voix possédait une élonga- férent. Surtout pas un Frauen- fût jamais Isolde.
tion exceptionnelle, elle ne fut liebe und -leben de Schumann, Du côté du répertoire français,
jamais contralto, comme le couplé au Liederkreis op. 39, par- on ne compte guère moins de
confirment deux Chant de la terre couru d’un bout à l’autre par une joyaux. Malgré une prononcia-
(avec Davis et Levine), où l’artiste vibration charnelle irrésistible. tion un rien précautionneuse,

68 I
Les souffleurs d’Ormandy détonne par son originalité et sa grande virtuosité – quelles
clarinettes ! C’est aussi le cas de Mladi de Janacek,

A
près un superbe coffret consacré par Decca au Netherlands où le bassoniste Sol Schoenbach excelle, et du Concertino
Wind Ensemble (Diapason d’or, cf. no 715), c’est un autre pour piano et ensemble de chambre, cheval de bataille
ensemble à vent que met en lumière Sony, exhumant du pianiste Rudolf Firkusny. Egalement écrites dans les années
les enregistrements du Philadelphia Woodwind Quintet réalisés 1920, les œuvres de Nielsen, Schönberg et Hindemith,
par Columbia entre 1953 et 1967. Le legs est d’autant plus ici servies de manière impeccable malgré une esthétique
précieux que les douze microsillons des Américains ont rapidement sonore parfois datée, font entrer le quintette à vent dans
disparu des bacs, tombant dans un long et regrettable oubli. l’ère de la modernité.
Seuls avaient refait surface les quintettes pour vents et piano La musique française n’est pas en reste, notamment dans l’album
de Mozart et Beethoven en compagnie de Rudolf Serkin, « Pastorales » qui met des pièces d’Ibert, Milhaud et Jolivet
gravés en 1953. C’est d’ailleurs leur Opus 16 que Laurent Muraro en regard de celles de Stravinsky ou Grainger. On se réjouit
retenait pour notre Discothèque idéale, louant « le majestueux de retrouver Poulenc au piano dans son propre Sextuor,
hautbois de John de Lancie » et l’Andante cantabile trois ans avant sa disparition. Citons enfin, parmi les raretés
que les musiciens déroulent prodigieusement. Des deux versions écloses aux Etats-Unis, les Five Pieces for Wind Instruments
du KV 452, priorité à celle de Robert Casadesus, and Percussion d’Ernst Toch et l’étonnant
plus vive, captée en stéréo une décennie Forms and Sounds d’Ornette Coleman, ponctué
plus tard. Quant à la Symphonie concertante, par l’auteur à la trompette – capté en concert
elle est une porte d’entrée vers l’immense le 17 mars 1967, ce tribut au free jazz est
répertoire concertant et symphonique que les solistes l’ultime témoignage des Philadelphiens
ont enregistré au pupitre du Philadelphia Orchestra dans la musique de leur temps. Bertrand Hainaut
sous la baguette d’Ormandy.
Les musiciens n’ont fait que d’anecdotiques « Philadelphia Woodwind Quintet,
incursions au XVIIIe siècle, souvent par le biais The Complete Columbia Album Collection ».
de la transcription. En marge des traditionnels Sony, 12 CD. Diapason d’or
quintettes de Reicha ou Cambini, le Quatuor pour
vents avec accompagnement de piano de Ponchielli PLAGE 6 DE NOTRE CD

de Dowland (neuf volumes puisés dans de 1951 – quelque part entre L’Histoire
AMERICAN COUNTERTENOR le catalogue Expériences Anonymes) ; du soldat, Pierrot lunaire et Broadway,
l’Ode funèbre de Blow (VAI), l’album Handel avec la comédienne Hermione Gingold.

«T énor très élevé », comme il se


décrit lui-même, héritier de l’ancien
irish tenor, ou altino paré pour
du bicentenaire (DG) firent trois petits
tours et s’en allèrent. C’est assez dire que
le coffret nouveau comble une lacune.
Cerise on the gâteau : quatre songs
de musicals signés Richard Rodgers, Jerome
Kerns et Sammy Fain, inédits absolus
Le Coq d’or, incarnation en somme du (New York le 2 septembre 1959, on ne
véritable countertenor à émission naturelle Inédits à foison connaît même pas le nom du pianiste).
éloignée du falsetto en usage depuis Revoici le Jeu de Daniel par Noah Minutages (brefs) et « visuels » originaux.
Alfred Deller, Russell Oberlin (1928-2016) Greenberg et le New York Pro Musica, Excellents reports. Biographie express par
avait cette faculté d’étendre son registre la référence médiévale de tous les foyers le critique Pierre Ruhe. Douze photos, aucun
à deux octaves, de lier, vibrer, jouer dans les années 1960, toujours présent livret. Du beau travail un rien avare, précieux
librement, ce qui lui ouvrit la porte et spontané. Revoici l’album Handel, toutefois. Comme la voix du regretté
de l’opéra. C’est lui que Britten préféra ce « How beautiful » du Messie pour Oberlin : haut placé. Ivan A. Alexandre
au créateur Deller lorsque Le Songe d’une les siècles futurs. Et voici une myriade
nuit d’été entra à Covent Garden puis aux d’albums numérisés pour la première fois : « Russell Oberlin, The Complete Recordings
Etats-Unis. C’est aussi avec lui que Bernstein le « Noël à la cour et à la campagne » on American Decca ». DG, 9 CD. Y Y Y Y Y
enregistra Handel et Bach, que Glenn Gould de Léonin à Attaingnant ; les Lamentations
filma la cantate BWV 54… de Tallis ; les ayres et madrigaux
Parce que, vedette depuis l’enfance, élisabéthains ; la messe Pange lingua
il s’était lassé des studios ; parce qu’il ne de Josquin ; les « cantates baroques »
voulait pas vivre sous les projecteurs ; parce de Buxtehude, Telemann et Handel,
que le diaphragme commençait à faiblir métronomiques, dans un allemand et un
et l’intonation à baisser ; le chanteur se retira italien farfelus, pas baroques pour un écu
en 1966 pour se consacrer à l’enseignement. mais d’une verve contagieuse (au violon :
Son art donna naissance à l’american Alexander Schneider) ; le récital de mai 1960
countertenor (Jeffrey Gall, Derek Ragin, (un millénaire en trois quarts d’heure,
Brian Asawa, David Daniels, Lawrence commencé dans les antiques St. Godric
Zazzo…), école du théâtre plutôt que Songs, achevé dans deux Mörike Lieder
de l’église, des êtres plutôt que des anges. de Wolf) ; enfin l’inénarrable entertainement
Mais son legs disparut. Lyrichord reprit sur vingt-deux poèmes d’Edith Sitwell
les Cantigas de Santa Maria, quelques musiqué par William Walton au début
chansons médiévales et lute songs des années 1920, Façade, version sextuor

I 69
● Rééditions

HANS L’OUTSIDER remarquablement démultipliée,


elle délivre des accents ravageurs,

E
n deux coffrets, Eloquence rend mais aussi quelques rallentandos
hommage à Hans Schmidt-Isserstedt et accelerandos gentiment surannés.
(1900-1973), chef berlinois au style Le constat vaut aussi pour une 7e
sans fioritures resté dans l’ombre des géants de Dvorak (1953) échevelée, qui fera
de sa génération. Les maisons de disque oublier des soucis d’intonation.
de l’après-guerre le considéraient comme Si le KV 466 de Mozart avec Vladimir
un « second couteau » de luxe. Nous sont Ashkenazy (1966) est d’une vigueur old school, tandis que le Concerto en sol
ici rendus les deux tiers de sa discographie appuyée, les cinq concertos pour piano de Ravel avec Monique Haas tient
studio, le tiers restant étant pour l’essentiel de Beethoven (1958-1959) valent, eux, du miracle, tant dans les crépitements
d’origine Telefunken. davantage pour l’orgueilleuse minéralité des mouvements extrêmes que dans
La moitié des « Decca Recordings » réunit de Wilhelm Backhaus (le 4e !) que pour une la prière lancinante de l’Adagio assai.
la première intégrale des symphonies direction parfois abrupte (« L’Empereur »). Schmidt-Isserstedt impose, pour le reste,
de Beethoven des Wiener Philharmoniker Le second volume regroupe les gravures un style le plus souvent lapidaire :
(1965-1969), marquée par un prosaïsme Philips, Mercury, Accord et DG (réalisées sa 6e de Schubert peine à se dérider,
de haut vol : l’« Héroïque » est plus râblée à Hambourg, Londres, Berlin, Stockholm sa Schéhérazade de Rimski-Korsakov est
que subversive, la « Pastorale » assez terre et Amsterdam). Outre l’hypnotique Création avare de sensualité, ses Danses hongroises
à terre, la 4e et la 7e courtes de souffle, de Fortner (avec un Dietrich Fischer-Dieskau de Brahms affichent un relief plutôt
la 5e et la 9e quelque peu séquentielles. en feu), les concertos nous montrent fruste, quand ses Mozart (39e, « Prague »,
Au manque de répétitions dont ces gravures le chef sous son meilleur jour, nullement « Jupiter ») montrent davantage de vigueur
portent les stigmates, s’ajoute le fait que en retrait par rapport aux solistes. L’Opus 61 que de subtilité. Hugues Mousseau
Schmidt-Isserstedt n’eut pas une seule fois de Beethoven avec Henryk Szeryng
l’occasion de diriger les Viennois en concert. respire ainsi à pleins poumons, le 1er « Hans Schmidt-Isserstedt Edition ».
Les truculences qu’y entend l’auteur de Brahms avec Alfred Brendel (1973, pour « The Decca Recordings »
de la notice, nous les relevons plutôt dans nous sa version phare) reste un modèle Eloquence, 14 CD. Y Y Y Y
la 5e de Tchaïkovski, enregistrée en 1952 de concentration et d’intériorité, les 4e et 5e « The Recordings on Philips, Mercury,
avec l’Orchestre de la NDR de Hambourg. de Mozart avec Wolfgang Schneiderhan Accord & Deutsche Grammophon »
Râpeuse quoique d’une articulation arborent fièrement leur esthétique Eloquence, 15 CD. Y Y Y Y Y

Moyen Age vintage Bruckner sans éclat

F R
ondé dans les années 1970 par les instrumentistes Peter et Timothy Davies, etour en coffret des symphonies
le Medieval Ensemble of London fut l’un des pionniers du courant « coloriste de Bruckner dirigées par Andris Nelsons
instrumental » qui a suivi dans ce répertoire le parti pris « total vocal » et très moyennement accueillies à leurs
(préconisé une dizaine d’années auparavant). La somme de ses enregistrements parutions. La « 0 » et les Ouvertures de Rienzi
réalisés entre 1978 et 1984 pour L’Oiseau-Lyre couvre une large période, du bas et du Vaisseau fantôme sont inédites, sans qu’elles
Moyen Age (Machaut, Perugia) à la Renaissance (Dufay, Josquin, Isaac). Fidèle au goût modifient notre appréciation. Si le Gewandhaus
de l’époque, la phalange privilégie (au prix de quelques tensions) les voix masculines sonne avec lustre, si Bruckner est dans son ADN
auxquelles s’ajoutent un alto féminin pour l’ars subtilior et les polyphonies depuis Nikisch et Furtwängler, le chef ne semble
d’Ockeghem, puis une soprano pour le XVe siècle anglo-allemand et la musique pas avoir une conception très définie
profane de Josquin. Variée, l’interprétation invite, en préludes, postludes, des partitions. Il ne les marque
accompagnements, voire versions instrumentales de polyphonies jamais de son empreinte,
initialement vocales, les instruments « bas » qui soutenaient d’autant que son choix
traditionnellement le chant profane (vièles, luth, harpe, des versions s’avère très
guiterne, rebec même, bien que celui-ci ait plus probablement conventionnel. Ces lectures
surtout rehaussé la danse) mais aussi les instruments « hauts », honorables mais peu
en bois (flûtes de toutes tailles, chalemies, douçaines) et cuivres personnelles ne bouleversent
(sacqueboute, trompette à coulisse). S’y joignent encore donc pas la discographie.
un dulcimer, des orgues (dont une régale) et un clavicorde. Et ce ne sont pas les extraits
Ce foisonnement aboutit paradoxalement à une certaine orchestraux de Wagner, souvent
uniformisation. Hormis deux messes de Josquin (Missa Di dadi assez pompeux sous la baguette de Nelsons,
et « Faisant regretz ») chantées a cappella, les colorations instrumentales finissent qui apportent grand-chose à cet ensemble.
par lasser. La palette de nuances est souvent restreinte au mezzo forte tandis Pour retrouver le Gewandhaus au mieux
que les tempos optent pour une modération tranquille, rompue çà et là par quelques de sa forme, retour à la réédition des neuf
motifs virtuoses volontiers précipités. Genres et compositeurs ne sont guère symphonies par Herbert Blomstedt, l’un des plus
plus individualisés et, à l’aveugle, seul le spécialiste de ces musiques ému par l’aspect beaux cycles récents (Accent, cf. no 724).
historique de ce témoignage différenciera un lai de Machaut d’une chanson de Dufay. Jean-Claude Hulot.
Anne Ibos-Augé
BRUCKNER : Les dix symphonies. WAGNER :
« The Medieval Ensemble of London. Complete Oiseau-Lyre Recordings » Ouvertures et Préludes. Orchestre du Gewandhaus
Decca, 14 CD. Y Y Y de Leipzig, Andris Nelsons. DG, 10 CD. Y Y Y Y

70 I
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LES
L’événement
Ferveur lumineuse
Sommets d’une intégrale des quatuors de Beethoven, les « Razoumovsky»
du Dover Quartet installent cette jeune formation américaine au premier rang.

U
ne nouvelle intégrale distincts ont été publiés par Fondé en 2008 sur les bancs partout une sûreté d’intona-
des quatuors à cordes Cedille aux Etats-Unis entre du Curtis Institute de Philadel- tion, une cohésion et une écoute
de Beethoven se justi- 2019 et 2022 (cf. page 76). Si elle phie où il est désormais en rési- mutuelle exemplaires.
fie aujourd’hui dans a mis un peu de temps à traver- dence, lauréat du prestigieux Son interprétation des trois
la mesure où elle ser l’Atlantique, elle s’impose Concours de Banff en 2013, ce Quatuors « Razoumovsky »
nous révèle quelque chose de comme l’une des meilleures quatuor américain est ici épous- impressionne particulièrement
nouveau. Ce qui est certaine- de ces dix ou quinze dernières touflant de conviction et de pro- par la variété des attaques, la
ment le cas avec celle du Dover années, avec pour sommet les fondeur. Equilibrant idéalement beauté du son, le raffinement du
Quartet, dont les trois volumes quatuors médians. la passion et la clarté, il affiche phrasé, la fermeté des lignes. Le
jeu lumineux et la qualité de
vibrato du premier violon Joel
Link, sa force de projection y
jouent un grand rôle.

Intensité
et raffinements
D’un héroïsme moins ostenta-
toire et démonstratif que sous
d’autres archets, le Quatuor no 7
en fa majeur voit l’énergie du
discours, sans cesse projetée
vers l’avant, se nuancer d’inté-
ressantes inflexions, pleines de
fraîcheur et de spontanéité.
Ombré par les interrogations
puis la douloureuse introspec-
tion des deux mouvements cen-
traux, son formidable élan se
prolonge dans un finale rendu
aussi substantiel que tout ce qui
le précède – ce qui n’est guère
fréquent.
Dans le Quatuor no 8 en mi
mineur, l’égal poids expressif
donné aux quatre mouvements
© DR

s’accompagne d’une extrême

72 I
● Le dictionnaire des disques

CRITIQUES DU MOIS
caractérisation de chacun. Sans
que la mémoire de l’auditeur ait
majeur, de dédramatiser à l’ex-
cès le propos. Les Dover, tels
en studio
rien perdu de l’effervescence, récemment les Chiaroscuro • A Munich, Véronique Gens a enregistré un riche
bouquet de mélodies françaises avec orchestre signées
de la tension implacable et des (Bis, cf. no 728), évitent cet
Hahn, Saint-Saëns, Fauré, Chausson, Gounod, Dubois,
incessantes ruptures de l’Allegro écueil. Quand ces dernières pri-
La Tombelle. Hervé Niquet est à la baguette (Alpha).
initial, l’intensité contemplative vilégiaient pour ce faire les
du Molto adagio en mi majeur nuances infinitésimales, les • Bruno Cocset, toujours avec
paraît illuminer la partition dynamiques douces, les nou- la complicité d’Emmanuel Jacques,
entière. veaux venus s’appuient avant Richard Myron, Maude Gratton
L’ampleur hymnique avec tout sur l’étonnante beauté et Bertrand Cuiller, ajoute un deuxième
CD (Vitali, Ortiz, Bononcini, Scarlatti…)
laquelle est joué ce mouvement mélodique des thèmes et le
et un nouveau texte pour la reprise
n’a d’ailleurs rien à envier à celle constant chatoiement sonore
chez Alpha de « La Naissance
qui portera, dans le Quatuor qu’offre la partition, hantée par
du violoncelle ».
no 15, le Chant de reconnais- l’esprit de variation.
sance. L’approche du Quatuor L’exaltation d’une certaine qua- • Bertrand Cuiller est également
no 9, en ut majeur, éblouissant lité de timbre apparaît beau- avec les Muffatti, pour un album
de puissance comme de virtuo- coup moins essentielle dans le Bach partagé avec Sophie Gent au violon
sité, permet tout autant d’admi- sévère et énigmatique Quatuor et Frank Theuns au traverso : Triple Concerto,
Cinquième Brandebourgeois et Suite en si mineur
rer le jeu dense, sobre et d’une « Serioso » en fa mineur. Pour-
sont au programme (Ramée).
rare éloquence du violoncelliste tant, ce sont le fruité, la diversité
Camden Shaw. des couleurs et la transparence • Magdalena Kozena, Anna Bonitatibus,
Il est tentant, dans l’œuvre de de la trame qui nous frappent ici Erin Morley, Valerio Contaldo
détente qu’est le Quatuor no 10 et nous séduisent. et quelques autres sont à l’affiche
« Les Harpes » en mi bémol Patrick Szersnovicz d’une nouvelle Alcina de Handel
sous la direction de Marc Minkowski,
captée en concert à Bordeaux : c’est
pour très bientôt chez Pentatone.
LUDWIG VAN BEETHOVEN • Cyrille Dubois sort de l’oubli
1770-1827 les mélodies de Louis Beydts, avec
« The Middle Quartets ».
le piano fidèle de Tristan Raës (Aparté).
Quatuors à cordes nos 7 à 9 « Razoumovsky »,
no 10 « Les Harpes » et no 11 « Serioso ». Tandis que Les Frivolités Parisiennes
Quatuor Dover. ressuscitent Yes, l’opérette de Maurice
© SIMON FOWLER. / BENJAMIN CHELLY / JEAN-BAPTISTE MILLOT

Cedille (3 CD). Ø 2019 et 2020. TT : 2 h 35’. Yvain et Albert Willemetz (Alpha).


TECHNIQUE : 4/5 • Nikolaï Lugansky a ficelé un Wagner au piano pour
Enregistré par Bruce Egre en décembre 2019, lequel il joint ses propres transcriptions
juillet et août 2020 au Sauder Concert Hall, à celles de Liszt et quelques autres.
du Goshen College (Indiana, Etats-Unis).
Belle couleur et non moins belle définition
A guetter chez Harmonia Mundi.
des cordes, captées en relative proximité Beatrice Rana, de son côté, revient
et qui s’épanouissent au sein d’une image à Chopin pour Warner. Sa Sonate no 2
homogène et aérée. La cohésion du quatuor répond dans le programme à la
se trouve parfaitement mise en valeur. « Hammerklavier » de Beethoven.
PLAGE 1 DE NOTRE CD • Le Quatuor Ebène se frottant
au jazz ? C’est l’intrigante promesse
de leur album à venir chez Erato,
revisitant des standards de Miles Davis,
Thelonious Monk, Erroll Garner, Toots Thielemans…

I 73
Bach

tensions passagères dans l’aigu de stupéfiant, irradiant de tendresse


NOS COTATIONS la tessiture chez l’une (« Liebster dans « Mache dich, mein Herze,
EXCEPTIONNEL A acquérir les yeux fermés. Jesu » de la BWV 32), signes d’usure rein ». L’album ne bouleverse pas
chez l’autre (« Ich geh und suche » une discographie immense, couron-
de la BWV 49). née par Dietrich Fischer-Dieskau,
YYYY Y SUPERBE Osez-le ! S’il n’est pas virtuose (le violon solo Thomas E. Bauer, sans oublier Peter
manque de souplesse dans l’aria Kooij, mais il distille le charme des
YYY Y RECOMMANDABLE Ne déparera pas votre discothèque « Hier, in meines Vaters Stätte »), le retrouvailles entre amis de longue
YY Y MOYEN Pour fanas avant tout. petit ensemble autrichien livre un date. Jean-Christophe Pucek
accompagnement solide, et fait sou-
Y Y DÉCONSEILLÉ A quoi bon ce disque ?
rire le concerto de Graupner offert YYYY Concertos pour violon
Y EXÉCRABLE Évitez le piège ! en complément où s’illustre un haut- BWV 1041, 1042, 1052R
bois d’amour bien chantant. La fin et 1056R.
de la BWV 32 (duetto et choral), Lina Tur Bonet (violon),
NOTRE COUP DE FOUDRE Révélation d’une œuvre très réussie, met à merveille en lu- Musica Alchemica.
inédite ou d’un talent à suivre. mière à merveille l’enthousiasme
découverte Glossa. Ø 2022. TT : 1 h.
serein que les interprètes mettent TECHNIQUE : 2,5/5
au service de la musique. Un disque La frontière entre
JOHANN SEBASTIAN BACH dont le caractère mélodique est ici modeste mais fervent. engagement et
1685-1750 magnifié. Cette hauteur de vue té- Jean-Christophe Pucek ostentation est
Y Y Y Y Y L’Art de la fugue. moigne certes d’une réelle maîtrise parfois ténue.
Christophe Rousset (clavecin), du sujet, la musique n’échappant YYYY Cantates BWV 56 et 82. Lina Tur Bonet la
Korneel Bernolet (second clavecin). pas un instant à son contrôle. Là Cantate BWV 42 (Sinfonia). franchit çà et là
Aparté. Ø 2020. TT : 1 h 23’. où Kenneth Weiss (Paraty, Diapa- Passion selon saint Matthieu dans ces concertos pour violon de
TECHNIQUE : 4/5 son d’or) choisissait de donner un (extraits). Bach – deux originaux (BWV 1041
Eclairer pour l’au- tour plus abordable, presque fami- Christoph Prégardien (baryton), et 1042), deux reconstructions
diteur un recueil lier, à ce recueil intimidant, Rousset Le Concert Lorrain, d’après les versions pour clavecin
à la genèse aussi le rétablit sur son socle de tour de Stephan Schultz. (BWV 1052R et 1056R). Comme pour
complexe que force polyphonique, sans toutefois Etcetera. Ø 2021. TT : 56’. mieux traduire l’impact qu’a pu avoir,
L’Art de la fugue le rendre ennuyeux voire rébarbatif. TECHNIQUE : 3,5/5 sur le compositeur, la découverte
impose des Une proposition mûrie, intériorisée, Allant et coloré, de Vivaldi, patronage revendiqué
choix. Comme Gustav Leonhardt qui invite à la réflexion. mené par le vio- par la violoniste. Une captation sans
avant lui, Christophe Rousset ne Jean-Christophe Pucek lon de Leila finesse, qui épaissit le trait, fait vrom-
retient pas la Fuga a tre soggetti Schayegh, Le bir les basses, le souligne à loisir.
inachevée dont la musicologie re- YYYY Cantates BWV 32 et 49. Concert Lorrain, Dans l’Allegro du BWV 1041, l’éner-
met aujourd’hui en cause, non sans GRAUPNER : Concerto pour propose la Sin- gie de l’archet escamote quelques
arguments, l’appartenance au pro- hautbois d’amour GWV 302. fonia de la BWV 42 en prélude à notes au passage. L’Adagio ne dé-
jet initial de Bach. Sur un clavecin Miriam Feuersinger (soprano), deux célèbres cantates pour basse, daigne pas une certaine ardeur et
anonyme allemand (ca 1750) aux Klaus Mertens (basse), le tout capté sur le vif en 2021. quelques fins de phrase plates al-
registres fluides (aigus souples, Elisabeth Grümmer (hautbois), Quelques raidissements ponctuels tèrent l’Allegro assai, plus pétillant
graves sans lourdeur), l’interprète Ensemble des Bachkantaten dans les vocalises de Christoph Pré- chez Isabelle Faust (HM, 2019).
nous entraîne avec assurance à tra- in Vorarlberg. gardien (désormais baryton) viennent Contrairement à cette dernière,
vers ces massifs aux polyphonies Christophorus. Ø 2023. TT : 1 h 01’. rappeler le passage du temps, mais Tur Bonet s’abandonne à des ma-
denses (Contrapunctus XI conduit TECHNIQUE : 4/5 la science du mot demeure intacte. niérismes dans le premier mouve-
avec une clarté rigoureuse). Miriam Feuer- Quelle autorité lorsqu’il s’agit d’évo- ment du BWV 1041, mais elle fait
Il ne presse jamais le pas, prend le singer propose quer la libération par la foi (« Endlich, aussi davantage chanter l’Andante,
temps d’habiter chaque étape dans deux des quatre endlich » dans la BWV 56), quelle fût-ce au prix d’un alentissement
sa plénitude : la gravité du Contra- cantates en dia- humanité dans le « Ich habe ge- du tempo.
punctus I, la noblesse un peu hau- logue compo- nung » de la BWV 82 ! Le chemine- L’emportement du BWV 1052R est
taine du VI sont traduites avec une sées à Leipzig en ment spirituel vers la joie de la déli- rendu avec une intensité qui induit
justesse, une énergie impression- 1726. La soprano y incarne l’Ame vrance (« Ich freue mich auf meinen de menues rugosités et, çà et là,
nantes. On louera aussi le traite- aux côtés du Jésus campé par Klaus Tod ») est rendu avec justesse, même quelques décalages avec un petit
ment des canons, gigue sérieuse Mertens, grand familier de l’œuvre si un supplément d’abandon n’aurait ensemble très actif et affûté dans
pour l’Hypodiapason, sévérité du du Cantor. L’ample Sinfonia de la pas nui à « Schlummert ein », à l’ins- les moments les plus acrobatiques
Alla duodecima, funambulisme chro- BWV 49 donne le ton : une sobriété tar de ce qu’apportait Philippe du finale. Une réalisation parfois
matique de l’Hypodiatessaron mais habitée privilégiant l’équilibre plu- Huttenlocher (chez Harnoncourt, grisante, mais qui ne fera pas
surtout un splendide Alla decima tôt que l’effervescence (la pulsation Teldec, 1977). Passons sur quelques d’ombre à l’approche plus équili-
abordé dans l’esprit d’une fantaisie dansante est soulignée sans excès). inégalités vocales et quelques hési- brée de Faust ou du Freiburger
– un sommet de cette réalisation. Ce Les deux solistes s’accordent bien tations du hautbois. Barockorchester (HM, 2013).
« discours de la méthode » gagne- en dépit d’une différence notable Un récitatif et deux arias de la Pas- Jean-Christophe Pucek
rait à assouplir la structure au profit de puissance (la basse est en net sion selon saint Matthieu, partition
du mouvement (Contrapunctus IV), retrait dans le Duetto « Dich hab si souvent fréquentée par Prégar- YYYYY Les trois sonates
à s’éprendre davantage du chant, ich je ») et servent le texte avec pré- dien, forment un épilogue bienvenu. pour viole de gambe et clavecin
comme dans le Contrapunctus X, cision, malgré quelques fragilités : Le baryton s’y coule avec un naturel BWV 1027-1029. Partita

74 I
BWV 828 (Sarabande). YYY Suites françaises BWV 812- Atherton entamait chez Alpha en faire preuve d’originalité (Bourrée II
An Wasserflüssen Babylon 817. Suites BWV 818, 819, 822. 2018 par les nos 1 et 2. Comme dans de la no 4, toute en pizzicatos).
BWV 653. Variations Goldberg Mahan Esfahani (clavecin, la précédente, le violoncelle paraît Coloré et riche en contrastes, l’ins-
(Aria). Le Clavier bien tempéré, clavicorde). planer dans la réverbération des trument grogne, le phrasé est par-
Livre II (Prélude BWV 885). Hyperion (2 CD). Ø 2022. voûtes de l’abbaye de Noirlac. fois même heurté (Gavottes et Gi-
Sonate pour flûte et clavecin TT : 2 h 29’. Certes, on peut trouver une cohé- gues des nos 5 et 6) mais la danse
BWV 1032 (Largo e dolce). TECHNIQUE : 4/5 rence à ce qu’un halo sonore enve- (Gigue de la n° 3, Bourrée I de la
Andrea De Carlo (viole de gambe), Comme il s’en loppe une interprétation peu por- no 4), le chant (Sarabande de la no 5),
Luca Guglielmi (orgue, clavecin, explique dans la tée sur la matière et la puissance, l’éloquence (Préludes des nos 2 et
pianoforte). notice, Mahan plus volontiers hypnotique que spé- 5), la joie (Prélude de la no 6) et la
Fineline. Ø 2015. TT : 1 h 07’. Esfahani a distri- culative, notamment dans des pré- tendresse (Sarabande de la no 6)
TECHNIQUE : 4/5 bué les œuvres ludes et sarabandes à la lenteur très ont également toute leur place.
Qualités de pré- entre deux ins- étudiée. Il y a heureusement davan- Simon Corley
cision, chaleur truments : au clavecin reviennent tage de vigueur et de variété dans
communicative les trois dernières Suites françaises les autres mouvements, mais un Y Y Y Les six Suites
(évidentes dès (BWV 815-817) ; au clavicorde les phrasé trop apprêté, avec une ten- pour violoncelle seul.
un An Wasser- trois premières (BWV 812-814) et dance à souligner de menues in- Michiaki Ueno (violoncelle).
flüssen Babylon deux Suites « orphelines » BWV 818 flexions et à prendre la pose, vient La Dolce Volta (2 CD).
en apesanteur) : la complicité ra- et 819. La réussite est inégale. On trop souvent mettre à mal la conti- Ø 2021-2022. TT : 2 h 14’.
dieuse des échanges entre Andrea reste perplexe devant un clavecin nuité du propos. Simon Corley TECHNIQUE : 3,5/5
De Carlo et Luca Guglielmi se trafiqué (ajout d’éléments anachro- Bardé de prix in-
double d’une démarche singulière, niques en fibre de carbone) dont YYYYY Les six Suites ternationaux, Mi-
notamment dans les trois sonates la sonorité excessivement nasale pour violoncelle seul. chiaki Ueno (né
pour viole de gambe et clavecin. tourne la Gavotte II de la BWV 815 Valérie Aimard (violoncelle). en 1995) s’at-
D’abord par la variété des claviers en caricature et gâche l’entière En Phases (2 CD). Ø 2022. taque très tôt
convoqués : le clavecin prescrit par BWV 816. De beaux moments TT : 2 h 36’. dans sa carrière
le compositeur alterne ici avec deux émergent malgré tout, comme la TECHNIQUE : 4/5 aux Suites de Bach. De fait, il y a de
instruments de Gottfried Silber- rêverie délicate de la Sarabande La vénération que l’envie et de l’élan dans cette inter-
mann, un grand orgue (celui ins- dans la BWV 815 ou une Allemande partagent les prétation fine et cursive, desservie
tallé en 1753 dans l’église de Fran- noble et une Courante agile dans violoncellistes par une prise de son un peu loin-
kenstein) et la copie d’un pianoforte la BWV 817. pour ces Suites taine. Mais au-delà de cet entrain
de 1749. Esfahani exploite de manière plus explique peut- de bon aloi qui convient bien à la
Dans la BWV 1028, qui conserve convaincante les ressources expres- être que beau- Suite no 3 et plus encore à la Suite
son clavecin, l’émotion (Andante), sives du clavicorde (Allemande coup les abordent avec un excès no 6, particulièrement athlétique,
le jaillissement (irrésistible Allegro grave mais fluide de la BWV 812), de réserve, de distance ou de hau- l’interprétation manque de poids
final) tiennent tête aux références sans négliger ses capacités dyna- teur. Rien de tel avec Valérie Ai- et de caractère, varie peu la sono-
de la discographie. Introduite par miques (Air, Menuets et Gigue de mard : son Bach est davantage celui rité et l’expression, et paraît ainsi
une Aria des Goldberg rêveuse, la BWV 813). La projection sonore du Café Zimmermann que de la trop uniforme, les principales aspé-
la partie où s’invite le pianoforte intimiste de l’instrument semble Thomaskirche, terrien, truculent rités consistant en des « arrêts sur
est aussi réussie. Dès l’Adagio de libérer l’imagination du musicien même (Gigue de la Suite no 3), sans image » dont l’opportunité est ques-
la BWV 1027, le timbre chaleureux à la recherche de l’émotion (Sara- être pataud ou balourd. Forte en tionnable. Mais comme l’écrit lui-
de la viole et la clarté mate du bande de la BWV 814) ou de l’au- caractère, résolument expressive, même le jeune violoncelliste avec
clavier fusionnent à merveille : por- dace (Allemande sinueuse de la très vivante et investie, pleine d’élan, une sagesse prometteuse, « j’ai
tés par un élan commun, les deux BWV 819). La suprématie, pour les cette intégrale est portée, comme conscience que cette interprétation
partenaires s’écoutent, se ré- Suites françaises, des lectures ré- s’il s’agissait d’une version de n’est révélatrice que de ma concep-
pondent, comme en témoigne centes signées Pierre Gallon (L’En- concert, par une spontanéité, une tion actuelle de l’œuvre. Je suppose
l’allure parfaite de l’Allegro ma non celade, 2022, Diapason d’or) et animation et un plaisir communi- que j’en serai peut-être insatisfait
tanto. La profondeur qu’atteint le Benjamin Alard (HM, 2023) n’est catif qu’un micro fort bien placé dans quelques années… Je me ras-
sentiment dans l’Andante laisse jamais remise en question par cette met parfaitement en valeur et que sure en me disant qu’on ne peut
pantois. La Sonate BWV 1029, où nouvelle proposition. quelques embardées ne parviennent affirmer que l’on en a terminé avec
l’orgue intervient, convainc moins : Jean-Christophe Pucek pas à gâcher. Bach. » Simon Corley
en dépit d’un Adagio à la noble Voilà une approche assurément vir-
gravité, le Vivace peine quelque- Y Y Y Suites pour violoncelle tuose (Gigue de la Suite no 4, Cou- YYYY Variations Goldberg
fois à canaliser son souffle. L’au- seul nos 3 et 4. rante de la no 6), mais surtout phy- BWV 988.
dace et la qualité de la proposition Sonia Wieder-Atherton sique, volontiers vigoureuse Vikingur Olafsson (piano).
méritent l’attention des amateurs (violoncelle). (Courante de la no 4), où l’interprète, DGG. Ø 2023. TT : 1 h 14’.
du Cantor. Pour eux, le détour Alpha. Ø 2021. TT : 57’. comme dans une lutte, prend la TECHNIQUE : 3,5/5
s’impose. Les autres retourneront, TECHNIQUE : 2,5/5 matière à bras-le-corps, jusqu’à une Ces nouvelles
pour les sonates, entre autres, à Deuxième étape grandeur quasi symphonique (Pré- Goldberg nous
Jordi Savall et Ton Koopman (Emi de l’enregistre- lude de la no 3). Le geste est impé- arrivent tout au-
puis Alia Vox) ou Lucile Boulanger ment des Suites rieux, assuré, exempt de toute ar- réolées d’une ré-
et Arnaud De Pasquale (Alpha, pour violoncelle rogance : Valérie Aimard affirme putation flat-
Diapason Découverte). de Bach, que sa personnalité, sans égocentrisme teuse. Une
Jean-Christophe Pucek Sonia Wieder- ni mégalomanie, et n’hésite pas à presse pâmée célèbre Vikingur

I 75
Bach / Beethoven / Bencini / Berlioz / Boccherini

Olafsson, à l’instar de Damian violone, flûte, deux hautbois, bas- d’entre eux – no 1 en fa majeur, de leur intégrale, une science du
Thompson dans The Spectator, pour son, quatuor à cordes et clavecin. no 5 en la majeur, no 6 en si bémol phrasé, une richesse d’arrière-plans
« l’espièglerie de son Bach » et la Les musiciens du Becon Baroque majeur – y gagnent une respiration et une palette de nuances éton-
façon dont « il dégage la logique n’y déméritent pas, conduits par large, des couleurs fruitées, fauves nantes. Sitkovetsky partage avec
structurelle des variations virtuoses une Rachel Podger à l’intonation ou mordorées, tandis que le plus ses partenaires un naturel, une pré-
en jetant de petits rais de lumière immaculée et à la diction limpide, conventionnel no 4 en ut mineur (le cision, une cohésion, une entente
sur les changements d’harmonie à quand bien même elle a le souffle seul de ses quatuors que Beethoven sur le plan de l’expression qui n’ont
une vitesse qui défie la gravité. » court dès une Aria sevrée de chant. ait jamais désavoué) semble sauvé rien à envier aux ensembles les plus
Il y a deux manières d’aborder l’in- Il y a certes des moments où cette de son pathétisme à fleur de peau. chevronnés.
terprétation du pianiste islandais. réécriture fonctionne bien : la Varia- Après une telle entrée en matière Le Trio op. 1 no 2 en sol majeur (1793-
Dans le détail, cette presse-là n’a tion X offre un dialogue enchanteur et l’éclatante réussite des opus mé- 1794) est la partition de Beethoven
pas tort. Un toucher hyper-gouldien entre violon, hautbois et basson dians (Diapason d’or, cf. p. 72), les qui, avec son Quatuor op. 18 no 2,
(accompagnement de borborygmes (tous deux partout excellents), la Dover ne remplissent pas toutes suggère le plus l’influence de Haydn.
inclus) réussit la prouesse d’un non- XIII s’embue de poésie, les couleurs nos attentes dans le périlleux Eve- Les Sitkovetsky y soulignent plutôt,
legato perlé à un tempo superso- françaises de l’Ouverture (Variation rest que sont les derniers quatuors à raison, la variété des idées secon-
nique (Variations V, XXIII). Des nano- XVI) sont idoines. Mais la IV se traîne, – pas davantage que les meilleures daires et une ampleur du discours
changements de couleur, des la V ne devient digeste que lorsque intégrales récentes (Belcea, Casals, qui appartiennent déjà en propre
accents qui soudain déstabilisent l’effectif s’allège, la XV a l’émotion Ebène). On ne goûte pas moins ici au jeune compositeur. Le Largo,
le rythme (XVII) ou attirent l’atten- chiche, les XVIII et XIX pâtissent l’équilibre entre instinct dramatique hautement dramatique par endroits,
tion sur quelques notes de contre- d’une scansion trop appuyée. De et intellect, les attaques précises, offre une rupture et une profondeur
chant (III, VIII, XIX) pour animer une manière plus générale, cet élargis- une pensée claire, des inflexions pour le moins inattendues dans une
polyphonie toujours lisible, des rup- sement coloré sacrifie trop souvent aussi raffinées qu’énergiques. Tour œuvre réputée joyeuse, élancée,
tures inattendues de la dynamique la concentration du discours au pro- à tour soyeux et incisifs, les Qua- sans nuages.
relancent le discours en lui donnant fit de l’anecdote. Pour trouver son tuors nos 12 et 15 regorgent de splen- Ultime contribution de Beethoven
un air improvisé (XXVI) tandis qu’en chemin dans le labyrinthe des Gold- dides détails mais manquent un rien au genre, le Trio op. 97 « L’Archi-
fin de variation des ralentis outrés berg, il n’est pas défendu de trou- d’engagement et d’introspection duc » en si bémol majeur (1810-
se veulent joueurs, peut-être iro- ver plus clair la voie tracée, au cla- dans les mouvements lents. 1811) fut créé par le maître lors de
niques. La virtuosité est à couper vecin, par Pierre Hantaï (Opus 111 Inattaquable quant à la beauté plas- sa dernière apparition en tant que
le souffle (XX, XXVIII). puis Mirare), Céline Frisch (Alpha) tique, à l’approfondissement ryth- pianiste. Dans les essentiels pre-
A l’échelle de l’ensemble, ces raffi- ou Luca Guglielmi (Stradivarius)… mique et à la souplesse des phra- mier et troisième mouvements (les
nements qui touchent au manié- Liste non exhaustive. sés, l’interprétation du n o 14 plus narratifs et introspectifs), les
risme (Variation XXI) sont distillés Jean-Christophe Pucek n’intériorise pas la tension au même Sitkovetsky prêtent une parfaite
sur un fond uniforme non d’espiè- degré d’étrangeté et d’intensité que attention aux nuances et aux équi-
glerie mais de véhémence brutale LUDWIG VAN BEETHOVEN celle du Quatuor Danois (ECM, Dia- libres, laissent s’épanouir la beauté
et précipitée (écoutez un peu la 1770-1827 pason d’or), meilleure version ré- des mélodies. L’exemplaire lisibilité
XXIX). Ça va vite, ça cogne fort, les Y Y Y Y Y Quatuors à cordes cente. Malgré leur élan et la splen- et la précision rythmique du sche-
ornements sont inexpressifs (XXII). nos 1 à 6 (a). deur de leurs nuances, les Dover rzo et du finale n’en ressortent que
Avec ce sempre staccato, il nous Y Y Y Y Quatuors à cordes nos 12 ne parviennent pas à rendre aussi davantage. Patrick Szersnovicz
semble trop souvent assister à une à 16. Grande Fugue op. 133 (b). limpide que dans les deux gravures
séquence inédite du film de Régis Quatuor Dover. des Hagen (DG, Myrios) un Quatuor PIETRO PAOLO BENCINI
Poinsard Populaire, « l’histoire pétil- Cedille (2 CD [a] et 3 CD [b]). no 16 aussi fuyant qu’évasif. Bien 1675-1755
lante d’une dactylo qui tape plus Ø 2018-2021. TT : 2 h 35’, 3 h 13’. qu’erratiques à souhait et fourmil- Y Y Y Y « Vêpres romaines ».
vite que son ombre » (Le Point). Bril- TECHNIQUE : 4/5 lant d’idées, les lectures du no 13 Deus in adjutorium. Ave maris
lantissime sans doute, mais quelque et de la Grande Fugue souffrent stella. Laeva ejus. Dixit Dominus.
peu lassant. Paul de Louit par endroits de tempos inutilement Dum esset Rex. Beatus vir. Nigra
précipités et d’une expression sum. A. SCARLATTI : Laudate
YYY Variations Goldberg presque trop survolée et distanciée. Pueri. Magnificat.
BWV 988 (orch. Chad Kelly). Patrick Szersnovicz Ensemble Jacques Moderne,
Rachel Podger (violon), Joël Suhubiette.
Brecon Baroque. Les Six quatuors op. 18 ne seraient- Y Y Y Y Y Trios avec piano op. 1 Mirare. Ø 2021. TT : 1 h 05’.
Channel (SACD). Ø 2022. ils qu’une brillante synthèse des no 2 et op. 97 « L’Archiduc ». TECHNIQUE : 4/5
TT : 1 h 21’. grands quatuors de Mozart et de Trio Sitkovetsky. Contrairement à
TECHNIQUE : 4/5 Haydn, comme l’aurait affirmé – rien Bis (SACD). Ø 2022. TT : 1 h 20’. A Sei Voci (As-
Parce que ce n’est n’est moins sûr – ce dernier ? Le TECHNIQUE : 4/5 trée/Naïve, Dia-
pour lui ni « une Quatuor Dover, alliant fluidité et Il y a quatre ans, pason d’or), qui
œuvre sacro- souplesse au tranchant et à la ré- un Diapason puisait chez le
sainte de mu- flexion, répond plutôt par la néga- d’or saluait les seul Bencini la
sique pure et tive. Artistes inspirés scrutant les Trios op. 1 no 3 reconstitution liturgique de « Ves-
d’art abstrait » ni partitions, ses membres n’hésitent et op. 70 no 2 perae Beatae Virginis in Sancto Petro
une « pièce de musée », le claveci- pas à insuffler des accents délibé- gravés par le Romae », c’est une anthologie moins
niste Chad Kelly propose, ainsi qu’il rément préromantiques à des qua- violoniste Alexander Sitkovetsky, rigoureuse que propose l’Ensemble
s’en explique dans la notice, des tuors qui échappent déjà en partie le violoncelliste Isang Enders et la Jacques Moderne. L’hymne Ave ma-
Variations Goldberg « Reimagined ». au strict classicisme viennois. pianiste Wu Qian (Bis, cf. no 693). ris stella, qui devrait précéder le Ma-
Entendez une instrumentation pour Les plus décisifs et substantiels On retrouve, dans le second volet gnificat, y succède au versiculus

76 I
d’entrée ; il est suivi de trois psaumes décennies après la version dirigée
polyphoniques (au lieu des cinq at- par Colin Davis ? Herminie et Cléo-
tendus) pourvus de trois antiennes pâtre appellent une voix beaucoup
pour voix et basse continue. Le ma- plus corsée, un grand Falcon qu’elle
gistral et bien connu Magnificat n’a jamais été. On cherche en vain
d’Alessandro Scarlatti, prédécesseur l’héroïsme tragique de la reine
de Bencini dans la fameuse Congré- d’Egypte, dont les élans drama-
gation de l’oratoire Saint-Philippe tiques, comme ceux d’Herminie,
de Néri, referme le programme. l’épuisent – « Non ! non, de vos
gp¨Â*¨¢+™
La confrontation des deux compo- demeures funèbres » est un nau-
siteurs révèle une indéniable proxi- frage. Qu’à soixante-huit ans, elle
mité stylistique, inhérente aux fas- puisse encore oser un tel pro-
tueuses institutions romaines qu’ils gramme en concert inspire un cer-
fréquentèrent à l’aube du XVIIIe siècle tain respect, mais à quoi bon un
– bâtisseur de somptueuses archi- disque ? D’autant que les gravures
tectures sonores tout en opposi- mémorables ne manquent pas…
tions dynamiques et clairs-obscurs, Et cela vaut également pour la di-
Bencini acheva sa carrière comme rection du diligent Jan Söderblom,
Maestro della Capella Giulia en la un peu timide à restituer les au-
basilique Saint-Pierre. daces des deux cantates pour le
L’interprétation de Joël Suhubiette Prix de Rome. Il est vrai qu’il doit
souligne la monumentalité de ces d’abord veiller à ménager la so-
pièces foisonnantes, emplies d’im- prano défaite. Retournons vite à
pressionnants épisodes choraux au la première Barbara Hendricks.
contrepoint touffu. La polyphonie Didier Van Moere
est perpétuellement lisible et déli-
catement nuancée. Les solos, riche- LUIGI BOCCHERINI
ment fleuris, sont confiés à des so- 1743-1805
listes aux charmes contrastés, dont Y Y Y Y Y Quintettes à cordes
le soprano de Juliette Perret à qui op. 42 nos 1, 3 et 4, op. 46 no 3.
revient le poétique Ave maris stella, Quatuor Karski, Raphaël Feye
qu’illuminait jadis la délicieuse Ruth (violoncelle).
Holton. D’assez belle facture, la réa- Evil Penguin. Ø 2023 TT : 1 h 04’.
lisation ne fera pas oublier les su- TECHNIQUE : 4/5
perbes « Vêpres » fondatrices d’A Boccherini se mé-
Sei Voci. Denis Morrier fiait des inter-
prètes ; les indi-
HECTOR BERLIOZ cations précises
1803-1867 de nuances dy-
Y Y Les Nuits d’été. Herminie. namiques, de ca-
Cléopâtre. ractère ou de tempo dont regorgent
Barbara Hendricks (soprano), ses partitions suffiraient à le prou-
Pori Sinfonietta, Jan Söderblom. ver. Leur relatif lissage sous les ar-
Arte Verum. Ø 2016. TT : 1 h 12’. chets de La Magnifica Comunità ou
TECHNIQUE : 3/5 des Virtuosi della Rotonda explique
Un disque Pou- peut-être les sentiments mitigés
lenc en 2008, que laissait leur intégrale des quin-
des lieder de tettes à cordes (Brilliant).
Brahms en 2013 Rien de tel avec les Karski et Raphaël
attestaient le dé- Feye au second violoncelle. Comme
clin. Cette an- Carmirelli en 1980 au Festival de
thologie Berlioz attriste plus encore, Malboro, les nouveaux venus ont
surtout quand on a aimé Barbara perçu le lien entre l’Opus 42 no 1 et
Hendricks. Registres dessoudés, le Stabat mater, plusieurs fois cité
grave artificiellement fabriqué, mé- dans cette œuvre elle aussi en fa
dium effiloché, aigu approximatif, mineur. L’Allegro moderato assai,
vibrato envahissant : que reste-t-il ? lent et doloriste, déploie un pathos
Les passages lents (Sur les lagunes) exacerbé. L’effet stracinando (qui
font peine à écouter tant la voix tré- consiste à faire traîner l’archet) est
mule. Tout, d’ailleurs, aurait dû dé- parfaitement exploité dans le Trio
tourner la soprano d’une entreprise du Minuetto, et le Rondeau avec rŵƲƜĢ ēŵƺƲŇƛƺĢ Ģū ŠŇĻūĢ޴
vouée à l’échec. ses ruptures de tempo, rubato, ac- ƝƝƝȥøğÛżăÛƂƜăŮŴÛģĺĺăŴȾŴūăøżÛøĺăŴȥĘŮȲ÷ŋƂżģŭƂă
Pourquoi publier ces Nuits d’été celerando est traité avec le souci
enregistrées en 2016, deux du détail. En revanche, le ¤ĢƲƜŵƺǖĢǧ ŠĢƤ $ ĢƲ ǖŇěģŵƤ ěĢƤ ƤƙĢĔƲ÷ĔŠĢƤ
Ģū ƤƲƜĢ÷ũŇūĻ ĢƲ ƲģŠģĔł÷ƜĻĢũĢūƲ ƤƺƜ
ĺģƜăȾŋūăŮÛƜăŮŴÛģĺĺăŴȥĘŮ ĢƲ ƤƺƜ ƝƝƝȥŭŋ÷ƂƬȥøŋŁ
Bosmans / Bruckner / Byrd / Cavalieri / Chopin / Chostakovitch

mélancolique Andantino affettuoso radicalement que son aînée les no- qu’il le sera dans les versions sui- d’un ténor (auquel sont dévolus les
de l’Opus 42 no 3 en si mineur était tions d’architecture. Piano et vio- vantes), pris assez fiévreusement, principaux solos de l’œuvre, en par-
d’une douceur plus élégante chez loncelle se retrouvent souvent à ou le scherzo, qui demande plus de ticulier le Te ergo quaesumus et le
les Vanbrugh (Hyperion). découvert. Enfin, en l’absence de férocité. Salvum fac populum tuum) à la jus-
Trouver le juste équilibre est plus réel mouvement lent, les phases de Dans une optique très voisine, tesse défaillante et aux aigus pé-
difficile encore dans l’Opus 42 no 4 repos s’intercalent dans le Scherzo Blomstedt reste préférable. Si l’on nibles. Cette version très inégale
en sol mineur. Le Larghetto amo- en manière de tarentelle fluide et accepte d’entrer dans le jeu de la ne peut rivaliser avec les références
roso doit-il exprimer un amour aus- l’Allegretto alla Prokofiev qui le suit. démesure de l’œuvre, on se tour- posées par Karajan, Jochum (chez
tère, comme chez les sombres Es- Ce nouvel enregistrement des nera également vers Tintner ou Rémy qui l’on entend Wunderlich, Haefli-
terhazy (Teldec, 1979), ou être œuvres de Bosmans éclipse sans Ballot, qui n’hésitent pas à dépas- ger ou Schreier), et Haitink lui-même
touché par la grâce, comme avec peine la précédent (Toccata Clas- ser la demi-heure pour le mouve- à Amsterdam ou Vienne. Dommage,
les Vanbrugh ? Nos interprètes y sics). Si l’ensemble Brundibar mé- ment initial et ses immenses cres- car la direction garde toute sa gran-
entendent un amour sincère, sans nage habilement les plans sonores, il cendos. Nézet-Séguin à Dresde deur et son élan. Suivant la formule
joie béate ni maniérisme. Un cœur demeure toutefois un peu sage. On (Profil) offre un bon compromis en consacrée, la note est une moyenne.
simple. aimerait notamment moins de rete- alliant grandeur, splendeur orches- Jean-Claude Hulot
De quatre ans plus tardif (1793), nue chez Chapiro, dont les rythmes trale et élan dynamique.
l’Opus 46 no 3 en ut majeur est ici marqués, les fins abruptes suppor- Jean-Claude Hulot WILLIAM BYRD
enregistré pour la première fois. teraient davantage de fièvre. On CA 1540-1623
Dans l’Andantino, finement tissé, regrette, aussi, s’agissant de com- YYYYY Symphonie no 8 Y Y Y Y Y 7 Fantaisies pour violes.
comme dans les belles envolées du positrices encore trop peu jouées, (édition Haas). Te Deum. 12 Consort Songs.
finale, les Karski, convainquent par l’indigence d’une notice réduite à Krassimira Stoyanova (soprano), Helen Charlston (mezzo-soprano),
un raffinement jamais artificiel. sa plus simple expression. Yvonne Naef (mezzo-soprano), Chelys Consort of Viols.
Roger-Claude Travers Anne Ibos-Augé Christoph Strehl (ténor), Bis (SACD). Ø 2022. TT : 1 h 15’.
Günter Groissböck (basse), TECHNIQUE : 3,5/5
HENRIËTTE BOSMANS ANTON BRUCKNER Chœur et Orchestre symphonique Ce portrait intime
1895-1952 1824-1896 de la Radio bavaroise, de Byrd se feuil-
Y Y Y Y Sonate pour violon et Y Y Y Y Symphonie no 3 Bernard Haitink. lette comme un
piano. Trio avec piano. CHAPIRO : (version de 1873). BR Klassik (2 CD). Ø 1993 et 2010. album où se des-
Sonate pour violoncelle et piano. Orchestre du Gürzenich TT : 1 h 52’. sinent les jalons
Alexandra Raikhlina (violon), de Cologne, François-Xavier Roth. TECHNIQUE : 4/5 de son exis-
Liubov Ulybysheva (violoncelle), Myrios. Ø 2022. TT : 1 h 02’. De la Symphonie tence : la cour et ses intrigues
Daniel Grimwood (piano). TECHNIQUE : 4/5 no 8, qu’il abor- (Wretched Albinus, sur la disgrâce
Fineline. Ø 2022. TT : 1 h 07’. Comme avant lui dait dans l’édi- du comte d’Essex), sa souveraine
TECHNIQUE : 4,5/5 Eliahu Inbal et tion Haas, Ber- et protectrice (O Lord, make thy
Portrait croisé de Simone Young, nard Haitink servant, Elizabeth) ; la figure de Tal-
deux pianistes et François-Xavier laisse au moins lis, professeur et ami auquel Ye sa-
compositrices Roth construit trois versions avec le Concert- cred Muses rend un hommage
juives néerlan- son cycle bruc- gebouw, une avec le Philharmonique émouvant ; la foi, omniprésente
daises. Œuvres knérien en s’appuyant sur les ver- de Vienne, une (bouleversante) avec chez ce fervent catholique hostile
de jeunesse, la sions princeps de chaque sympho- la Staatskapelle de Dresde (en 2002), à la réforme anglicane (Why do I
Sonate pour violon et piano (1918) nie. Après la « Romantique » dans auxquelles s’ajoute désormais cette use my paper? célèbre un jésuite
et le Trio avec piano (1921) de Bos- la mouture 1874, voici la 3e dans sa captation de 1993 avec les forces assassiné pour ses convictions reli-
mans portent encore les marques rédaction de 1873 – celle sur laquelle de la Radio bavaroise. Orchestre gieuses, Blessed is he that fears
d’un certain classicisme, sur le plan se basa Wagner pour en accepter forgé à Bruckner par le grand Eugen the Lord prend les accents d’une
de la structure comme sur celui du la dédicace. Plus longue que les ré- Jochum, la phalange munichoise confession personnelle).
langage : forme sonate à deux visions ultérieures, elle comporte offre à Haitink sa sonorité généreuse Qu’elles soient d’inspiration popu-
thèmes contrastés, scherzo léger, également davantage de passages et ses couleurs orchestrales chaudes, laire (Sellenger’s Round) ou sérieuses
fugato, pensée cyclique (surtout jugés si « wagnériens » par le maître mordorées. Ensemble, ils ont signé (In nomine I), les pièces pour consort
dans la sonate). L’élargissement voire de Bayreuth (il s’agit moins de cita- des 4e, 5e et 6e déjà publiées par de violes déploient un art consommé
l’évitement de la tonalité, le goût tions que d’échos) que son auteur BR Klassik. Leur 8e de 1993 est pro- de la polyphonie. Lignes claires, ar-
pour les lignes aventureuses (An- fut prié d’expurger le texte initial. prement magnifique : c’est l’une des chets souples, sonorité pleine sans
dante moderato du trio), le recours Les vastes proportions de l’œuvre plus étendues (près de quatre-vingt- être lisse : les musiciens de Chelys
à l’écriture modale contribuent ce- (le Misterioso est le plus développé, dix minutes) et équilibrées du chef conjuguent, dans une approche
pendant à renouveler un paysage en nombre de mesures, de tous les hollandais. Le discours s’y épanouit aussi épanouie qu’équilibrée, la ri-
sonore postromantique. premiers mouvements brucknériens) avec une rare splendeur, particu- gueur de Fretwork (Virgin, 1989-
Au centre du programme, la Sonate y sont-elles pour quelque chose ? lièrement dans un Adagio profon- 1990) et le dynamisme de Phantasm
pour violoncelle et piano de Fania Comme d’autres avant lui, Roth y dément recueilli et surtout un finale (Linn, 2009).
Chapiro (1926-1994) connaît ici sa adopte partout des tempos vifs, se ample et formidable de relief Le timbre charnu, les mots aigui-
première gravure. Comme chez sa rapprochant de ceux de Blomstedt dynamique. sés et francs de Helen Charlston
compatriote, la tonalité, plus diffuse, à Leipzig. Le résultat ne manque Le complément n’est pas exacte- apportent au texte de la densité,
s’inspire des échelles modales (Trio pas de panache dans les volets ex- ment du même niveau. Si ce Te de l’animation, une expression tour
du Scherzo) et emprunte même au trêmes, mais convainc moins dans Deum capté en 2010 bénéficie de à tour ironique, recueillie ou plus
jazz (Presto agitato final). En 1956, l’Adagio (qui n’est pas marqué « an- la puissance et de la rondeur du légère. Le programme et son inter-
la compositrice outrepasse plus dante » ou « quasi andante », ainsi Chœur de la Radio bavaroise, il pâtit prétation soignée offrent ainsi une

78 I
introduction d’excellente tenue à
l’univers de Byrd.
Jean-Christophe Pucek
Nouveauté
FREDERIC CHOPIN EMILIO DE’ CAVALIERI polyphonies déclamatoires en falsobordone. Ces
1810-1849 CA 1550-1602 « monodies accompagnées », riches en chroma-
Y Y Y Y Les deux concertos Lamentationes Hieremiae
tismes, glissandos, dissonances harmoniques
pour piano. Prophetae.
Profeti della Quinta. et intervalles torturés, constituent une des pre-
Margarita Höhenrieder (piano),
Pan Classics. Ø 2023. TT : 1 h 12’. mières expériences connues du stile rappresen-
Orchestra La Scintilla,
Riccardo Minasi (no 1), TECHNIQUE : 3,5/5 tativo, traçant les chemins de l’opéra.
Orchester Wiener Akademie, Enregistré en l’église réformée de Versam (Suisse) Ce chef-d’œuvre intense et visionnaire fut révélé
en mars 2023 par Karel Valter. Le manque en 1989 par Livio Picotti et ses madrigalistes
Martin Haselböck (no 2).
de relief favorise une certaine concentration.
Solo Musica. Ø 2021-2022. padouans (Tactus). Si ces derniers alternaient
Si l’orgue domine parfois la scène, les timbres
TT : 1 h 11’. sont plaisants. chœurs généreux et solos dans une esthétique
TECHNIQUE : 3/5 concertante à la spiritualité compassée, les Pro-

E
Un piano sorti en n février 1600, Cavalieri faisait impri- feti offrent une lecture à la théâtralité sans com-
1855 de la mai- mer, le premier, un ouvrage théâtral promis, héritage de dix années de recherches et
son Pleyel (dont entièrement chanté : La rappresen- d’expérimentations en concert. Point de chœur,
Chopin affec- tazione di Anima e di Corpo. Diplo- mais un ensemble de solistes inspirés : Elam
tionnait les mo-
mate, chorégraphe, organiste et com- Rotem s’y distingue à la fois comme chanteur et
dèles) dialogue
tour à tour avec deux formations
positeur, il laisse également une collection de organiste (il est également éditeur de ces Lamen-
sur instruments d’époque dont les pièces énigmatiques, destinées aux offices des tations), tandis que Perrine Devillers assume
timbres séduisent également. Mar- Ténèbres des jeudi, vendredi et samedi saints. l’éblouissante partie conçue pour Vittoria
garita Höhenrieder fait chanter le Un manuscrit copié à une date incertaine (vers Archilei, l’une des premières divas de l’Histoire.
clavier avec assurance, mobilisant 1576-1584 ? vers 1597-1599 ?) nous a transmis Ciselant finement chaque voix, ils osent une
toute sa palette expressive : trans- trois ensembles de Lamentations de Jérémie ornementation profuse et stylée, déduite des
parence de la texture sonore, bril- pour les premiers et troisièmes préfaces explicatives de Cava-
lant des aigus, chatoiement des nocturnes de chaque jour, avec lieri, Peri et Caccini. De même,
courbes. Mais on se tromperait en leurs répons, ainsi que deux s’appuyant sur la nomenclature
imaginant qu’il en résulte un Cho- leçons incomplètes et plusieurs de la Rappresentatione, un lirone
pin tendre et alangui : la grâce na- versets alternatifs. et un théorbe prennent place à
turelle du Pleyel contraste avec la
Les Profeti della Quinta, non côté d’un orgue aux rutilantes
fermeté et la vigueur de l’interpré-
tation, par exemple lors de l’entrée
contents de se pencher sur colorations italiennes et au tem-
du piano dans le premier mouve- l’intégralité des trois cycles, pérament enharmonique savou-
ment de l’Opus 11. La Scintilla qui dévoilent une Première Lamen- reux. Un modèle d’interprétation
accompagne ce concerto est en tation inédite. Ecrites pour cinq historiquement informée et une
pleine cohérence avec cette option voix et basse continue, ces pièces réalisation à la puissance expres-
vigoureuse : on a là une version vo- mêlent hardiment duos, solos et PLAGE 4 DE NOTRE CD sive sidérante. Denis Morrier
lontiers dramatique, qui fuit toute
sentimentalité et privilégie des tem-
pos plutôt soutenus. YYY Mazurkas op. 6, 7, 17, 24, seize ans. Dans ces pièces à trois d’entre elles s’en trouvent lissés,
L’ambiance est peu différente avec 30, 33 et 41. temps qui recèlent des trésors d’in- en particulier dans leurs denses et
la Wiener Akademie dans l’Opus Y Y Y Mazurkas op. 50, 56, 59, ventivité et de finesse harmonique, polyphoniques codas (notamment
21 : les tutti sont fiévreux et la ten- 63, 67, 68. Et 8 Mazurkas surtout les « grandes » pages de la celles des Opus 30 no 4, Opus 41
sion du discours quasi permanente. posthumes. maturité, on attendait du pianiste no 4, Opus 50 no 3, Opus 56 no 3,
Mais cette ébullition reste toujours Peter Jablonski (piano). polonais des lectures plus fouillées, Opus 59 no 1). Là Chopin s’élève à
très claire, et laisse ainsi apprécier Ondine (2 CD séparés). une liberté rythmique qui lui évite- des hauteurs poétiques qu’ont su
toute l’inventivité du chef Martin Ø 2022-2023. TT : 1 h 14’, 1 h 13’. rait d’uniformiser le discours. atteindre Arthur Rubinstein (RCA)
Haselböck. Des détails d’orches- TECHNIQUE : 3/5 Les Opus 6 et 7 manquent ici de la ou Jean-Marc Luisada ( DG), voire
tration qui passent souvent inaper- fraîcheur et des rebondissements même, sur un Pleyel de 1837, Yves
çus retiennent ici l’attention, tout qui caractérisent pourtant l’esprit Henry (Soupir, cf. no 689).
comme quelques audaces inter- versatile de ces danses. Leur par- Jean-Yves Clément
prétatives (la déclamation très ap- fum rustique, aussi sublimé soit-il
puyée de l’appel de cor, dans le au fur et à mesure des cahiers, fait DIMITRI CHOSTAKOVITCH
finale, par exemple). S’il existe lec- presque toujours défaut. Cela vaut 1906-1975
tures plus émouvantes du sublime Desservi par une prise de son loin- aussi pour l’entrain et la vitalité Y Y Y Y Symphonies nos 2
Larghetto, la vitalité et l’originalité taine et un peu ferraillante, Peter (Opus 24 no 2, Opus 33 no 2), le mys- « Octobre », 3 « 1er Mai »,
de cette version lui permettent de Jablonski propose une intégrale des tère ou la nostalgie douloureuse 12 « 1917 » et 13 « Babi Yar ».
se faire une place dans une abon- mazurkas incluant les opus pos- (Opus 17 no 4, Opus 24 no 4). Matthias Goerne (baryton-basse),
dante discographie. thumes, dont deux partitions joli- Le lyrisme de ces mélodies inouïes, Chœurs du Festival de Tanglewood
Jérôme Bastianelli ment pimpantes écrites à l’âge de la dimension tragique de nombre et du Conservatoire de Nouvelle

I 79
Couperin / Daser / Debussy / Delius / Dostal

Angleterre, Boston Symphony « Babi Yar » (1962). Il sait aussi en Un violon plus charnu, comme celui La plus que lente. Berceuse
Orchestra, Andris Nelsons. préserver l’unité cyclique et théma- de Stéphanie-Marie Degand chez héroïque.
DG (3 CD). Ø 2019-2023. tique par une articulation implacable. Christophe Rousset (Aparté, 2019), Steven Osborne (piano).
TT : 2 h 47’. Grandiose, l’œuvre s’appuie sur cinq un caractère davantage affirmé (la Hyperion. Ø 2021-2022. TT : 1 h 07’.
TECHNIQUE : 4, 5/5 poèmes d’Evtouchenko stigmatisant Forlane du Quatrième Concert est TECHNIQUE : 3/5
Andris Nelsons l’antisémitisme, les peurs, le carrié- aussi prosaïque que la Muzette du La captation exem-
et ses Bosto- risme, et exaltant les femmes russes Troisième) auraient permis à cette plaire dont bé-
niens referment et l’humour. Matthias Goerne a la gravure d’émerger de l’honnête tout- néficiait le même
leur intégrale voix un peu usée mais y demeure venant. Jean-Christophe Pucek Steven Osborne
des symphonies formidable d’émotion et d’intelli- dans son précé-
de Chostako- gence. Bien aidé par les chœurs, la LUDWIG DASER dent album De-
vitch où d’indéniables réussites (Sym- rutilance et l’ample dynamique de 1526-1589 bussy (Diapason d’or, cf. no 717)
phonies nos 5, 8 et 9, Diapason d’or) l’orchestre, Nelsons semble moins Y Y Y Y Y Missa Pater noster. fait place à une certaine confusion.
côtoient des lectures brillantes mais soucieux d’élan visionnaire (Kon- 9 motets et chorals. Si le lieu d’enregistrement n’a pas
parfois plus routinières. Trois sym- drachine, Haitink) qu’animé par la Cinquecento. changé, la nouvelle équipe tech-
phonies « invendables » (2e, 3e, 12e) volonté de tout faire entendre. Hyperion. Ø 2022. TT : 1 h 10’. nique en maîtrise moins bien la
et un chef-d’œuvre écrit en style al Patrick Szersnovicz TECHNIQUE : 4/5 réverbération : certains fortissimos
fresco (13e) constituent cette étape Voici, quelques agressent, les rythmes tendent à
ultime et rappellent qu’un temps FRANÇOIS COUPERIN mois après celle s’émousser, les harmonies à se di-
partisan sincère du régime, le com- 1668-1733 du Huelgas En- luer. Un vrai regret, tant notre vir-
positeur soviétique devint amère- Y Y Y Y Concerts royaux. semble (DHM, tuose domine le clavier de manière
ment dé sillu sionné, voire Patrick Cohën-Akenine (violon et cf. no 723), une impressionnante dans les Etudes
dissident. direction), Les Folies Françoises. seconde mono- – l’épisode agité de Pour les
Sa Symphonie no 2 en si majeur, CVS. Ø 2021. TT : 1 h. graphie consacrée à Ludwig Daser. quartes, le pinacle exalté de Pour
dont le sous-titre « Octobre » sa- TECHNIQUE : 4/5 Si la première se concentrait exclu- les octaves ou encore ces gifles
lue le dixième anniversaire de la Rappelant les sivement sur ses messes bavaroises, sonores dans Pour les arpèges
révolution de 1917, adopte une es- « petits concerts la nouvelle venue offre un aperçu composés, aussi brèves que mar-
thétique constructiviste et moder- de chambre » plus large de sa production. Elle quantes, nous en convainquent
niste. D’un seul tenant, elle évolue, que le « feu roi » associe la cour catholique de Mu- largement.
dans une vaste séquence initiale, convoquait nich (ou Daser sera éclipsé par Lud- Abstraction faite de ces conditions
de l’atonalité vers la polytonalité « presque tous wig Senfl et Roland de Lassus) et techniques, l’interprétation de Ste-
en multipliant des effets particu- les dimanches de l’année », les quatre celle, luthérienne, plus tardive, de ven Osborne agit souvent comme
lièrement crus et intenses, avant Concerts royaux pouvaient appa- Stuttgart en proposant, comme un révélateur : rarement le parallèle
que la section finale avec chœur raître nostalgiques à leur publica- complément de la Missa Pater nos- entre Pour les huit doigts et Feux
ne retrouve une harmonie moins tion en 1722, année du sacre de Louis ter, une sélection de motets latins d’artifice nous aura frappé avec
dissonante. XV. Mais avec Couperin, rien n’est et de chorals allemands. une telle évidence, tout comme
D’une texture allégée et d’une au- jamais si tranché. S’il les construit Pour l’occasion, Cinquecento ren- celui entre Pour les sonorités op-
dace moins corrosive, la Symphonie sur le modèle de la Suite de danses force ses rangs, certaines pièces posées (avec ces dernières me-
no 3 en mi bémol majeur « 1er Mai » à la française, c’est pour mieux y étant écrites jusqu’à huit voix dans sures laiteuses) et La Terrasse des
(1929) ambitionne d’évoquer musi- faire souffler un air à la mode ita- le style polychoral vénitien. L’en- audiences du clair de lune. Malgré
calement, elle aussi avec chœur, ma- lienne dont il fut un promoteur de semble se frotte aussi à la densité l’énorme palette dynamique mise
nifestations de masses et discours ce côté des Alpes : le Quatrième intrigante de la Missa Pater noster en œuvre, Pour les accords reste un
d’orateurs. Mais l’inspiration n’était offre d’ailleurs une Courante dans à cinq et six voix, véritable tour de peu deçà de l’éruption espérée. La
guère au rendez-vous, et la partition les deux styles. force contrapuntique à la géomé- lecture du triptyque Pour le piano
a plus mal vieilli que la précédente. Le compositeur a prévu que ces trie parfaite mais laisse peu de place est particulièrement extravertie :
Sans atteindre la densité angois- pages puissent être données au cla- à des couleurs plus personnelles. quelle fureur dans les accords du
sée de Haitink (Decca) dans la 2e, vecin ou en ensemble. Les Folies C’est finalement dans les motets à Prélude ! Les envoûtements de la
ni l’éclairage vigoureux conféré à la Françoises les abordent avec basson quatre et six parties que le composi- Berceuse héroïque renouent avec
3e par Vasily Petrenko (Naxos, Dia- et hautbois, comme chez Jordi Savall teur convainc pleinement et que Cin- la réussite du volume précédent.
pason d’or), l’approche plus analy- (Alia Vox, 2004), mais contrairement à quecento se montre à son meilleur Bertrand Boissard
tique qu’engagée d’Andris Nelsons lui ou à Martin Gester (Accord, 2000) (Ad te levavi oculos meos et Salvum
ne manque pas d’atouts. sans théorbe. Autour d’un somp- me fac sont de petits bijoux), grâce FREDERICK DELIUS
Pas davantage que Storgards tueux clavecin (Donzelague, 1711) à une vocalité somptueuse et une 1862-1934
(Chandos, cf. no 722), il n’arrive en joué par Béatrice Martin avec sa sen- science de l’architecture sonore tou- Y Y Y Y A Mass of Life.
revanche à donner de l’intérêt à la sibilité coutumière, Patrick Cohën- jours aussi épatante. On tient sans Gemma Summerfield (soprano),
tonitruante et boursouflée Sympho- Akenine et ses amis conjuguent élé- doute ici le disque le plus abouti sur Claudia Huckle (contralto),
nie no 12 (1960-1961), même s’il par- gance, finesse, ainsi qu’une volonté Daser, entre perfection intellectuelle Bror Magnus Todenes (ténor),
vient à ménager quelques beaux de sobriété qui donne au discours et expression de l’intime. Roderick Williams (baryton),
moments d’attente et de suspense un ton assez direct, sans préciosité Frédéric Degroote Chœur Edvard Grieg, Chœur
(mouvements médians). superflue. Il leur manque parfois un Collegium Musicum, Chœur
Comme il l’avait fait pour les 7e, 8e rien de souplesse (Air contrefugué du CLAUDE DEBUSSY et Orchestre philharmonique
et 10e, le chef letton assume sans Deuxième Concert), de dynamisme, 1862-1918 de Bergen, Mark Elder.
complexe la dimension épique et mais aussi d’ombres (Sarabande du Y Y Y Y Y Les douze Etudes. Lawo (2 CD). Ø 2022. TT : 1 h 30’.
narrative de la Symphonie no 13 Troisième) pour convaincre tout à fait. Etude retrouvée. Pour le piano. TECHNIQUE : 3/5

80 I
Achevée en 1905, NICO DOSTAL
la Messe célèbre 1895-1981
la vie sur les pa- Y Y Y Y Y Clivia.
roles du Zara- Sieglinde Feldhofer (Clivia),
thou s tra de Matthias Koziorowski (Juan
Nietzsche, dans Damigo), Anna Brull (Jola),
l’allemand original. Monumentale, Ivan Orescanin (Lelio Down),
anticipant à bien des égards la Sym- Chœurs de l’Opéra et Orchestre
phonie no 8 de Mahler comme elle philharmonique de Graz,
articulée en deux vastes parties, elle Marius Burkert.
exalte une vision à la fois mystique CPO (2 CD). Ø 2022 TT : 1 h 28’.
et résolument athée de l’éternel re- TECHNIQUE : 4/5
nouveau. L’homme n’est perçu que Compositeur au-
comme grain de poussière dans trichien, Nico
cette cosmologie illuminée par le Dostal connut la
thème, cher à Delius, de la commu- gloire avec cette
nion avec la Nature, immuable, Clivia, opérette
impersonnelle. créée en 1933 à
La partition est d’une ensorcelante Berlin. Son livret raconte les mésa-
splendeur – écoutez seulement l’in- ventures d’une troupe de comédiens
troduction de la seconde partie, aux américains emmenés par un affai-
cors si évocateurs. La nacre légère riste nommé Patterton au Boliguay,
que dessine l’alliage des harpes, une république latino-américaine
du glockenspiel et du triangle, les en proie à un putsch. Emprisonnés,
rythmes évanescents, les harmonies les théâtreux ne seront libérés que
mouvantes composent une tapisserie si l’un d’eux épouse un citoyen boli-
de couleurs et d’ombres mystérieu- guien. La jeune Clivia accepte qu’on
sement fuyantes. Le chœur tantôt lui présente un gaucho. Ils tombent
baigne dans une contemplative sé- bien sûr amoureux et, ô surprise !,
rénité, tantôt se dresse en effusions il s’avère que le gaucho n’est autre
éperdues, et referme la partition que le nouveau président du Boli-
sur un souffle infime, comme aspiré guay. L’horrible affairiste renvoyé
vers l’éther. Alle Lust will Ewigkeit : aux Etats-Unis, nos tourtereaux filent
« toute la joie veut l’éternité », c’est le parfait amour.
le message nietzschéen dont Mahler Sur cette trame loufoque, Dostal
venait de faire (1902) le quatrième greffe une musique pleine de charme
mouvement de sa Symphonie no 3. et d’entrain qui mêle lyrisme vien-
Beecham, qui créa l’œuvre en 1909, nois alla Lehar voire Korngold et
la grava au début des années 1950, rythmes sud-américains. Il va même
mais dans la traduction anglaise qu’il jusqu’à parer de couleurs chinoises
avait commanditée. La discogra- le début de l’acte III (« O Conficius »).
phie n’est pas colossale : Norman Très séduisants, l’élan joyeux et l’ima-
Del Mar en concert (1971, Intaglio) gination inépuisable de cette Clivia
et Charles Groves en studio (1971, expliquent son immense succès. Il
Emi) le disputent à Richard Hickox est fort dommage que l’enregistre-
(1996, Chandos) et David Hill (2011, ment réalisé à l’Opéra de Graz, dans
Naxos), notre préféré. Fidèle à ses la foulée de représentations scé-
approches méticuleuses et froides niques, se limite aux seuls numéros
de Delius, Mark Elder excelle dans musicaux, sans texte de liaison. Car
la seconde partie, finement nervu- se donnant à fond avec une fantai-
rée, concourant à l’impression d’in- sie et une énergie contagieuses, la
fini en poète structuré que secrète distribution ne manque pas d’atouts.
cette musique. Il est cependant des- A commencer par le soprano frais
servi par des chœurs hétérogènes et juvénile de Sieglinde Feldhofer,
et un son écrasé qui lui fait rater les brillante Clivia malgré quelques ai-
grandes éruptions. Son Zarathous- gus pas très justes, et le ténor Mat-
tra, Roderick Williams, distille plus thias Koziorowski (le président Oli-
qu’il ne profère les paroles du pro- vero). La mezzo Anna Brul tend plus
phète, loin de l’âpre véhémence de vers le cabaret que l’opérette et les
ses meilleurs rivaux (Alan Opie chez seconds rôles sont sans reproche.
Hill ou Peter Coleman-Wright chez Pour découvrir le meilleur de Clivia,
Hickox). Les autres solistes n’affichent courez à l’acte II : le duo « Wunder-
guère de personnalité, mais restent bar » et surtout le grand air de l’hé-
émouvants. Pascal Brissaud roïne, « Ich bin verliebt » (un véritable
Dvorak / Fux / Godowsky / Granados / Handel / Haydn / Henze

tube en son temps) sont un ravisse- aux vents parfois tonitruants, cette (Piano Classics), et se fait encore troublant quand (à 3’ 45’’) des « clo-
ment. Cherchez aussi l’enregistre- production à l’économie méritait- plus aisée que celle de Carlo Grante chettes » un peu inquiétantes ré-
ment ancien (1951) où triomphait elle d’être immortalisée par le (Music & Arts). Si la performance sonnent sur le chant quasi cello.
Anneliese Rothenberger, illustre titu- disque ? Denis Morrier d’un brio et d’une fluidité décon- Cette version somptueuse est peut-
laire du rôle (Membran). Un bémol : certants de Marc-André Hamelin être trop uniment tournée vers l’hé-
l’éditeur faisant l’économie du livret LEOPOLD GODOWSKY (Hyperion) continue de trôner au donisme sonore.
(même non traduit), le non-germano- 1870-1938 sommet de la discographie, Scher- Emili Brugala avale le cycle entier
phone sera bien en peine de suivre Y Y Y Y Y Cinquante-trois Etudes bakov clôt en beauté l’intégrale ti- d’un geste beaucoup plus vif. Cette
le détail des péripéties. d’après les Etudes de Chopin tanesque de l’œuvre pour piano du franchise s’accorde bien à la pre-
Jean-Claude Hulot (28 Etudes). Etude de concert « pianiste des pianistes ». Le virtuose mière pièce. D’une manière géné-
op. 11 no 3. HENSELT/ russe aura mis vingt-six ans à l’édi- rale, on gagne en vitalité ce que
JOHAN JOSEPH FUX GODOWSKY : Etude fier : un tour de force. l’on perd en raffinement (tel le pas-
CA 1660-1741 caractéristique op. 2 no 6. Bertrand Boissard sage « guitaresque » de Coloquio
Y Y Y La corona d’Arianna. Konstantin Scherbakov (piano). en la reja, plus au premier degré
Monica Piccinini (Venere), Carlotta Marco Polo. Ø 2022. TT : 1 h 28’. ENRIQUE GRANADOS ici). Abordé de façon un peu brute,
Colombo (Arianna), Marianne TECHNIQUE : 3,5/5 1867-1916 le Fandango ne se love pas dans le
Beate Kieland (Teti), Rafal Avec ces Etudes, Y Y Y Y Y Goyescas. El Pelele. faste de Perianes et quand le ros-
Tomkiewicz (Bacco), Meili Li Godowsky s’est Javier Perianes (piano). signol apparaît, ce n’est certes pas
(Peleo), Zefiro, Chœur Arnold fixé pour but de HM. Ø 2023. TT : 1 h 04’. avec la plus grande délicatesse. La
Schœnberg, Alfredo Bernardini. « faire progres- TECHNIQUE : 4/5 sonorité manque de rayonnement,
Arcana. Ø 2022. TT : 1 h 08’. ser l’art pianis- YYYY Goyescas. El Pelele. par exemple au moment de certains
TECHNIQUE : 4/5 tique » en l’enri- Intermezzo. accords de la Ballade, dont on ad-
La plus dévelop- chissant « de nouveaux moyens Emili Brugala (piano). mirait la profondeur chez son rival.
pée des compo- mécaniques, techniques et esthé- Ars. Ø 2020. TT : 57’. Plutôt qu’une conclusion de l’Epi-
sitions scéniques tiques ». Les « enrichissements » TECHNIQUE : 3,5/5 logue sur la pointe des pieds (« le
de Fux, maître harmoniques, les textures d’une spectre disparaît pinçant les cordes
de chapelle vien- densité extravagante, la mélodie de sa guitare »), Brugala opte pour
nois et théoricien très libre, les modifications du un ultime accord un peu appuyé…
du contrepoint acclamé dans toute rythme originel, apparentent la plu- à l’image de ce qui précède.
l’Europe, subit au Festival de Graz part de ces pages, écrites entre 1894 Bertrand Boissard
une sérieuse cure de minceur : deux et 1914, à des paraphrases ou plutôt
personnages et plusieurs récits sont des « métamorphoses ». Cette musique tragique et sensuelle GEORGE FRIDERIC HANDEL
supprimés, et ses chœurs, airs, da Les Etudes pour la main gauche trouve sa source dans les toiles du 1685-1759
capo largement abrégés. comptent parmi les plus réussies peintre Francisco de Goya, dont Y Y Y Y Le Messie.
Destinés à réduire la durée de re- (notamment les nos 30 et 31 d’après elle restitue la noirceur, les tour- Marie Lys (soprano), Margherita
présentation, ces aménagements les Opus 25 no 3 et no 4) – la clarté ments voire la folie. Dans l’inter- Maria Sala (mezzo-soprano),
donneraient à La corona d’Arianna de leur dessin tranche avec les prétation de Javier Perianes, la ri- Pablo Bensch (ténor), Alex Rosen
« plus de fluidité et de brillant », trames serrées et souvent super- chesse de la palette sonore tend (basse), Chœur de Chambre
selon Alfredo Bernardini. Nous pei- posées que tissent celles pour les parfois à prendre le pas sur le ca- du Palais de la Musique Catalane,
nons à le suivre, tant cette « festa deux mains. D’autres, plus rares, ractère. Ainsi en va-t-il de Los Re- Orchestre de l’Opéra Royal,
musicale », créée en 1726 à la cour se focalisent sur la droite ou pro- quiebros qui ouvre le cycle avec Franco Fagioli.
impériale, manque de théâtre. Il- posent une « inversion » (autrement indolence, un certain statisme aussi, CVS (2 CD). Ø 2022. TT : 2 h 12’.
lustrant les tiraillements de deux dit un renversement du rôle dévolu et que Larrocha (nos Indispensables) TECHNIQUE : 3,5/5
couples mythologiques jusqu’à leur à chaque main dans l’original). Pas- comme Prats (Decca) empoignaient YYYY Le Messie.
inévitable union, la partition sée par le prisme de ces différentes davantage. Lucy Crowe (soprano), Alex Potter
conserve néanmoins ses réjouis- configurations, l’Etude op. 10 no 5 Mais dès Coloquio en la reja, la (contre-ténor), Michael Spyres
santes pages descriptives (chœur totalise sept versions ! Comme si beauté des timbres captive, magni- (ténor), Matthew Brook (basse)
des Tritons et Néréides faisant re- les chausse-trappes ne suffisaient fiée par la prise de son – quelles Chœur et Orchestre du English
tentir leurs conques) et ses solos pas, Godowsky ajoute de la com- basses ! Quand la guitare s’invite, Concert, John Nelson
les plus singuliers (intervalles dis- plexité à la complexité, par exemple le pianiste évite toute caricature : Erato (2 CD + DVD). Ø 2022.
tordus de l’ultime aria de Venus, en « brodant » sur une Etude de la réalisation, les phrasés particu- TT : 2 h 47’.
« Né lo sdegno »). Chopin dans le style d’une autre lièrement, est la subtilité même. TECHNIQUE : 3,5/5
La distribution est dominée par deux (la no 18 d’après l’Opus 10 no 9 imite Après un Fandango irrésistible, une
sopranos aux timbres contrastés (la le caractère de l’Opus 25 no 2), ou sorte de mélancolie luxuriante voit
radieuse Monica Piccinini et la suave en enchevêtre deux en une (nos 47 le jour dans Quejas, o la maja y el
Carlotta Colombo) et par Marianne et 48) ! ruiseñor. Ces courbes, ces couleurs
Beate Kielland, contralto androgyne Ce qui impressionne chez Konstan- dessinent un paysage onirique dans
au charme troublant (admirable tin Scherbakov, c’est sa manière de lequel les trilles du rossignol n’ont
« Son qual cerva »). En revanche, démêler sans effort apparent l’éche- plus qu’à se fondre. Avec art (le dé- Dès l’Ouverture, tout est clair au
leurs partenaires masculins ne veau de ces pièces touffues et de but lent et profond !), l’interprète jeu de la comparaison : chez Franco
convainquent guère, entre la voca- nous les rendre intelligibles : tout met en place les éléments du drame Fagioli, le Largo est attaqué façon
lisation laborieuse de Meili Li et les semble couler de source, sans la qui se joue dans El amor y la muerte. Ouverture à la française, animé et
débordements de Rafal Tomkiewicz. moindre crispation. Son interpré- Serenata del espectro se signale par solennel. Chez John Nelson, le même
Portée par un orchestre honorable tation supplante celle de Delucchi un moment singulièrement Largo, pris à la lettre, joue la lenteur

82 I
et le mystère, jusqu’à un Allegro ju-
bilatoire, comme pour affirmer une
symbolique : « avant » et « après ».
Nouveauté
A Fagioli, donc, enthousiasme et
spontanéité. L’amour qu’il porte à ANTONIN DVORAK aux thèmes lyriques qui introduisent les mou-
l’œuvre est sensible et contagieux, 1841-1904 vements lents, notamment ceux de l’Opus 27 et
même si cette apparente naïveté a Les quatre trios avec piano.
l’Opus 65. Son dialogue avec le violon émerveille
son revers : certains mouvements Veronika Jaruskova (violon),
Peter Jarusek (violoncelle),
par la fusion des timbres, par la fluidité exem-
lui échappent (« He was despised »)
Boris Giltburg (piano). plaire de leurs échanges, reflet de leur travail
et quelques emportements se ré-
Supraphon (2 CD). approfondi au sein du quatuor.
vèlent gratuits. Trop peu de gestes
rhétoriques éloquents, comme ceux Ø 2022-2023. TT : 2 h 24’. Le jeu de Giltburg se montre à la hauteur de
TECHNIQUE : 4/5 cette complicité : la qualité du toucher, le sens
dont il marque « Thus said the Lord ».
Enregistré par Oscar Torres au Concert Hall des phrasés (l’Allegretto grazioso de l’Opus 65
Mais des ensembles richement co-
de Wyastone Leys Monmouth (Angleterre) en
lorés – seul le pupitre d’altos du tient ici toutes ses promesses), la variété des cli-
décembre 2022 et mai 2023. Trois plans distincts
chœur, curieusement variable, serait et un équilibre soigné : deux archets bien définis sur mats et leur relief expressif relèvent tout autant
à renforcer. A Nelson, rigueur, trans- le devant de la scène, soutenus par un piano un peu du miracle. Ecoutez la formidable bouffée de
parence, virtuosité, et aussi une re- plus marqué par la réverbération du lieu. passion qu’ils libèrent, juste avant le sursaut
cherche un rien trop appuyée qui conclusif, dans l’Allegro con brio de l’Opus 65 !

M
frôle le maniérisme – pour reculer ari et femme à la ville, Peter Jaru- Leur entente nous vaut un « Dumky » proche de
aussitôt, mais pas toujours (« All we sek et Veronika Jaruskova sont l’idéal où, en quelques mesures, nous passons
like sheep » aux accords initiaux aussi violoncelliste et primaria de l’émotion à la danse, des larmes au rire, avec
martelés à l’excès). Il a également du Quatuor Pavel Haas. Leurs ce mélange de panache et de nostalgie qui rend
pour lui de formidables ensembles, retrouvailles avec
fins et limpides. la musique de Dvorak inimitable.
Boris Giltburg, partenaire S’il existe, pour les Opus 65 et
Côté solistes, le chef-chanteur a un
entre autres de leur Opus 34 90, de grandes versions récentes
léger avantage. La perfection ar-
gentée de Lucy Crowe se retrouve de Brahms (Diapason d’or, (les Wanderer ou Faust-Mel-
idéalement dans cet univers de spi- cf. no 714), laissaient espérer nikov-Queyras, l’une et l’autre
ritualité sublimée, mieux sans doute le meilleur. C’est peu dire que chez HM), cette nouvelle inté-
que dans Rodelinda – où il est aisé, nous sommes comblés : leurs grale rejoint au panthéon celle,
en revanche, d’imaginer Marie Lys, trios avec piano de Dvorak nous historique, des Suk au lyrisme
non moins brillante, mais plus pré- transportent de la première à généreux et vibrant (Supraphon)
sente et sensuelle. Pablo Bensch la dernière note. La sonorité et devance celles des Beaux Arts
« ténorise » : la voix résonne, brille chaude et sensible du violon- (Philips) et des Guarneri (Praga).
et vocalise bien, mais n’ose guère celliste rend pleinement justice PLAGE 3 DE NOTRE CD Un bijou. Jean-Claude Hulot
descendre en dessous d’un forte
très fier de son allure. Il doit se me-
surer à un Michael Spyres qui, ici supplément quelques variantes rares. rare Prélude de l’opéra pour ma- instruments modernes tirent profit
encore, flirte avec les sommets ; Ainsi donc : deux nouveaux, pré- rionnettes Philémon et Baucis (1773), de la leçon des interprétations « his-
voilà une des plus belles prestations cieux volumes sur un rayon, certes, publié sous le titre de Conseil des toriquement informées ».
d’un ténor dans la discographie de très long déjà. Piotr Kaminski dieux. Pour le cadet Michael, c’est Simon Corley
l’œuvre. Il ne s’éteint que dans le la brève et rutilante Symphonie
duo, face à un Alex Potter armé tout JOSEPH HAYDN no 39 (1788) et l’Introduction très HANS WERNER HENZE
juste d’un médium, riche et solide, 1732-1809 Sturm und Drang du Pécheur re- 1926-2012
il est vrai, mais monochrome et usé Y Y Y Y Le Conseil des dieux. penti (1771), partie centrale d’un Y Y Y « Réinventions ».
avec précaution. Si Margherita Ma- Symphonie no 96 « Miracle ». « oratorio de Carême » composé Arrangements d’œuvres de Vitali,
ria Sala n’est pas un « contralto han- M. HAYDN : Symphonie no 39. à six mains avec les obscurs Adl- C.P.E. Bach et Mozart.
délien », la noblesse du timbre et Le Pécheur repenti (Introduction). gasser et Krinner, pour le prince- Mario Caroli (flûte), Anna Tifu
de la manière finissent par séduire. Haydn Philharmonie, archevêque de Salzbourg. (violon), Emanuela Battigelli
Depuis sa remarquable performance Enrico Onofri. Fondée en 1987 par Adam Fischer (harpe), Orchestra di Padova
avec Dunedin (Linn 2006), la voix MDG (SACD). Ø 2023. TT : 51’. qui a enregistré à sa tête une inté- e del Veneto, Marco Angius.
de Matthew Brook s’est desséchée TECHNIQUE : 4/5 grale des symphonies de Haydn, Brilliant Classics. Ø 2022. TT : 57’.
et encombrée d’un inquiétant vi- Voici les deux l’austro-hongroise Haydn Philhar- TECHNIQUE : 3/5
brato ; reste l’autorité – dont ne frères Haydn ré- monie fait une excellente impres- Transcrire, c’est
manque cependant guère le formi- unis pour une sion, à l’image de ce hautbois fort trahir un peu. La
dable Alex Rosen, d’un airain sombre confrontation où pimpant qui ornemente savoureu- vogue des ver-
et étincelant, et d’une assurance chacun est re- sement dans le Trio du Menuet. sions Urtext fait
technique sans faille. Pourquoi ne présenté par D’une vigueur rayonnante, Enrico le régal des pu-
lui offrir que la version courte de une symphonie et l’introduction Onofri, son « premier chef invité » ristes et la for-
« Why do the nations » ? instrumentale d’une œuvre vocale. devenu « partenaire artistique », tune des éditeurs. On n’en continue
Précisons que Fagioli s’en tient (à Pour l’aîné Joseph, c’est la Sym- n’est avare ni de punch ni de peps. pas moins à transcrire mais, para-
quelques détails près) au texte « de phonie « Miracle » (1791), l’une des Il n’en sait pas moins maintenir un doxalement, dans l’optique de la
base », alors que Nelson ajoute en six premières Londoniennes, et le équilibre exemplaire où les paraphrase ou du double baroque.

I 83
Hindemith / Kantcheli / Leclair / Lehar / Leiviskä

COMPOSITRICES Le Ricercare de Webern d’après de Prague, Orchestre de la Radio


par Anne Ibos-Augé
Bach ou le Quatuor avec piano op. 25 de Munich, Stefan Soltesz.
de Brahms symphonisé par Schön- BR Klassik (2 CD). Ø 2013.
▸ La violoniste Dawn Wohn et la pianiste Emely Phelps défendent
berg ont ouvert la voie, et les trois TT : 1 h 30’.
quatre compositrices américaines. Au postromantisme ouvragé,
partitions de Henze ici réunies sont TECHNIQUE : 4/5
sans pathos, de la sonate (1896) d’Amy Beach répond
autant de cas de figure. Créé en 1926 à
le néoclassicisme de celle (1947) d’Irene Britton Smith
Créé par Gidon Kremer au Festival Dresde par Fritz
(1907-1999). On peut leur préférer la pensée poétique
de Salzbourg 1978, Il Vitalino rad- Busch, Cardillac
plus austère et concise des Trois pièces (1967)
doppiato est une vaste chaconne est l’un des
de Dorothy Rudd Moore (1940-2022), passée
pour violon et orchestre d’une vir- chefs-d’œuvre
à Paris par l’enseignement de Nadia Boulanger
tuosité folle, qui « redouble » une lyriques de la dé-
(« Unbounded », Delos, Y Y Y Y Y ).
composition attribuée à Tommaso cennie à côté du Wozzeck de Berg.
▸ JoAnn Faletta et son Women’s Philharmonic dévoilaient Vitali et arrangée au XIXe siècle par Le livret (inspiré d’une nouvelle
chez Koch en 1992 une Ouverture (1830) de Fanny Ferdinand David. Fort de cette semi- d’Hoffmann, Mademoiselle de Scu-
Mendelssohn, couplée au Concertino pour harpe authenticité, Henze a paraphrasé déry) oppose la liberté de l’individu
de Germaine Tailleferre, au Concerto pour piano le discours, rebaroquisé l’écriture à la morale de la société. Orfèvre
de Clara Schumann et à deux pièces de Lili Boulanger. et introduit, dans les contre-chants, possédé et génial, Cardillac devient
Mais quelles lectures uniformes, où le piano de savoureuses dissonances de pas- meurtrier pour récupérer les pièces
d’Angela Cheng est sous-dimensionné et la harpe sage qui n’avaient pas cours au XVIIIe qu’il a créées, ne supportant pas
de Gillian Benet manque de mordant ! La discographie s’étant siècle. En 2013, le Longbow En- de devoir s’en séparer. Agissant la
étoffée, leur réédition apparaît d’autant plus inutile (MC, Y Y ). semble, dirigé de l’archet par Peter nuit, il finit par être démasqué. Le
▸ Poursuivant son intégrale de la musique pour piano Sheppard Skaerved (cf. no 635), chœur réagit et commente, très im-
de Louise Farrenc, Maria Stratigou offre un premier manquait de cette fluidité et de pressionnant dans la scène du lyn-
bouquet de « thèmes et variations ». Elle n’y brille pas cette transparence qui séduisent chage de Cardillac à l’acte III.
davantage que dans les Etudes du volume précédent : l’oreille sans la lasser trente-deux Dans la lignée de ses Kammermu-
l’interprétation est scolaire et sèche, avec des forte minutes durant. Le violon d’Anna siken, la musique de Hindemith dé-
brutaux, sans conduite ni élan (Grand Piano, Y Y ). Tifu, clair et leste, excelle à se fondre cline nombre de formes et struc-
▸ Le troisième volume d’une série consacrée par la pianiste dans l’orchestre comme à s’en tures classiques. Certaines sont
Sarah Cahill au « futur féminin » ratisse large, de Montgeroult distinguer. audacieuses : le meurtre du Cavalier
à Shirazi. Cette diversité n’est qu’apparente, I sentimenti di Carl Philipp Emanuel (acte I) se résume à une Pantomime
nivelée par une lecture où l’uniformité des nuances Bach (1982) met en valeur la moder- pour deux flûtes. L’aria de la Fille
le dispute à la monotonie des dynamiques. Sortent nité préromantique de la Fantasia (acte II) est sertie par violon, haut-
du lot la vision atonale du jeu d’échecs par Kendall, pour clavier avec accompagnement bois et cor – l’émotion affleure briè-
les techniques « augmentées » mises en œuvre de violon H 536. Des coquetteries vement dans le duo qui suit immé-
par Shirazi et le piano gentiment préparé d’Ali-Zadeh de la prise de son au profit de la diatement entre elle et son père.
(« The Future is Female, Vol. III », FHR, Y Y ). harpe et surtout de la flûte (il est Ce n’est pas la révision de l’œuvre
vrai que Henze assigne à cette der- (1954), gravée par Gerd Albrecht
▸ L’orchestre d’Emilie Mayer (1812-1883) fait la part belle nière un rôle de soliste) tirent l’oreille (Wergo), mais la version initiale que
aux solistes, combine motifs brefs et amples mélodies. de-ci de-là cahin-caha. l’on entend ici, comme chez Joseph
Dans les quatre Ouvertures, les changements parfois « Adorablement mozartiennes » Keilberth (DG 1968).
abrupts de dynamiques, de tonalités, de nuances, dira-t-on, en revanche, des Drei Captée en concert et non en scène,
créent une vivante dramaturgie. La Kölner Akademie Mozart’sche Orgelsonaten (1991). la nouvelle gravure bénéficie d’une
de Michael Alexander Willens excelle à ce jeu de rôles. Littéralement transcrites quant prise de son aérée qui détaille idéa-
Le vieux Blüthner (1859) de Tobias Koch sert aussi aux notes, ces sonates d’église (à lement un orchestre très autonome.
remarquablement le concerto (CPO, Y Y Y Y Y ). l’origine pour orgue et cordes) Homogène, la distribution est do-
▸ Malgré le choix d’un instrument (Haselmann) des années 1800, rayonnent des couleurs ombrées minée par le Cardillac puissant et
l’intégrale des sonates pour piano d’Hélène de Montgeroult de la flûte en sol, du hautbois et tourmenté de Markus Eiche. Chez
que propose Simone Pierini n’est pas plus satisfaisante de la viole d’amour, irisées du doux Keilberth, Fischer-Dieskau, magis-
que celle de Nicolas Horvath (Grand Piano). mordant de la harpe et de la gui- tral, semblait déjà penser à Mathis
Ce clavier oscillant entre sécheresse brutale tare sur fond de basson, flûte et le peintre. La présence de Juliane
et maniérisme caricatural ne suit guère les préceptes clarinette basses. De l’orfèvrerie Banse impressionne, mais la voix
de la compositrice affirmant que « l’art de faire exprimer sonore. Gérard Condé sonne presque trop mature pour le
par les doigts les émotions que l’âme éprouve » rôle de la Fille. L’Officier de Torsten
nécessite des « réflexions multipliées » (Brilliant, 3 CD, Y ). PAUL HINDEMITH Kerl est mordant et bien chantant
▸ Une ligne gâchée par des ports de voix vulgaires, des phrasés 1895-1963 – son duo avec Cardillac est un mo-
conduits en dépit du bon sens (et de la partition), Y Y Y Y Y Cardillac. ment fort (acte II). Le Cavalier de
un texte mâchouillé que l’on achève de perdre dans les Markus Eiche (Cardillac), Juliane Oliver Ringelhahn, lui, a moins de
aigus, une justesse imprécise, des nuances et un discours Banse (la Fille de Cardillac), caractère et de tenue vocale.
limités… Les mélodies de Cécile Chaminade méritaient Michaela Selinger (la Dame), Disparu à l’été 2023 alors qu’il diri-
mieux que le mezzo de Katharina Kammerloher. Torsten Kerl (l’Officier), geait La Femme silencieuse de
L’ajout, à trois reprises, d’un violon anecdotique Oliver Ringelhahn (le Cavalier), Strauss au Bayerische Staatsoper,
n’arrange rien (MDG, SACD, Y ). Kay Stieffermann (le Prévôt), Stefan Soltesz révèle ici un style
Jan-Hendrik Rootering (le exemplaire. Sa direction vive et im-
Marchand), Chœur philharmonique pliquée imprime un mouvement

84 I
constant à l’action. La netteté du Le Largo et allegro (1963), qui clôt le Van Wanroij est une très fine Scylla. pour piano solo : c’est en entendant
rythme et des attaques, la clarté disque en nous ramenant aux pre- Cyrille Dubois a beau être fougueu- cet air que Claire, au seuil de ses
constante des lignes rendent pleine mières années à Tbilissi, montre que sement virtuose en Glaucus, son af- noces avec Rosner, comprend que
justice à ce Hindemith provocant. le style de Kantcheli était déjà en fectation nuit au caractère divers du son ancien promis (et pianiste) Brandl
Rémy Louis germes sous Khrouchtchev (Largo). personnage et finit par lasser. Circé n’a pas disparu – procédé repris bien
Réservé aux germanophones et an- trouve en Véronique Gens une ma- plus tard dans Giuditta.
GUIYA KANTCHELI glophones, le texte de présentation gicienne plus vraie que nature, très Le succès de l’œuvre reposa d’abord
1935-2019 rend à Kantcheli sa place parmi les différente de Rachel Yakar ou Florie sur ce tiers rôle que créa Alexandre
Y Y Y Y Y Une petite Danielade. « compositeurs soviétiques » de la Valiquette mais tout aussi juste, entre Girardi, légende des scènes vien-
Valse Boston. 9 Miniatures pour dernière génération (Goubaïdoulina, douceur désespérée (« Reviens, in- noises. La notice n’explique en rien
violon et piano. Largo et allegro Schnittke, Pärt, Silvestrov, Mansou- grat ») et âpreté vengeresse (« Ah ! pourquoi figuraient parmi les ex-
pour piano, cordes et timbales. rian). Son univers, très attachant, Que la vengeance »). traits gravés en 2005 par Helmut
Hartmut Schill (violon), trouve ici une très recommandable Les rôles secondaires, multiples, Froschauer (CPO) plusieurs numé-
Elisaveta Blumina (piano porte d’entrée. Michel Stockhem sont particulièrement bien servis. ros absents ici (ainsi la chanson de
et direction), Robert-Schumann- Jehanne Amzal et Hasnaa Bennani Bohême « Wo die Moldau »). Autre
Philharmonie Chemnitz. JEAN-MARIE LECLAIR se coulent parfaitement dans leurs absent de taille pour le non-ger-
Capriccio. Ø 2022. TT : 1 h 07’. 1697-1764 divers personnages, entre bergère manophone : le livret. L’éditeur ne
TECHNIQUE : 4,5/5 Y Y Y Y Y Scylla et Glaucus. ingénue, confidente résolue ou ta- fournit qu’un court résumé. Si l’ac-
Guiya Kantcheli Judith Van Wanroij (Scylla), quine, et déesse vexée. David Wit- tion est complète, avec les dialo-
était un être pu- Cyrille Dubois (Glaucus), czak (formidable chef des Peuples), gues (très bien servis), le finale du
dique, doté d’un Véronique Gens (Circé), Josef Gal et Marton Komaromi (sai- III est ramené à moins d’une minute.
redoutable hu- Jehanne Amzal (l’Amour, Témire, sissantes Propétides) parachèvent le Assez homogène, rompue à l’ex-
mour à froid. Ré- une Bergère, une Sicilienne), tableau. Saluons, enfin, une direc- périence de la scène au festival
sidant à Anvers, Hasnaa Bennani (Vénus, Dorine, tion précise, çà et là un peu courte de Bad Ischl, la distribution trahit
le compositeur géorgien – « un Vé- une Dryade), David Witczak d’imagination toutefois. Le tout offre des faiblesses. Josef Forstner (vé-
suve contraint », disait son ami Ro- (le Chef des Peuples, un Sylvain, un convaincant moyen terme entre téran du Volskoper de Vienne) est
dion Chédrine – participa un jour à Hécate), Purcell Choir, Orfeo la version un peu solennelle de Gar- certes impeccable en Nechledil et
une table ronde à Bruxelles consa- Orchestra, György Vashegyi. diner (Erato) et celle, souvent ou- Gerd Vogel compense par le carac-
crée à son œuvre. Le voyant se lever Glossa (2 CD). Ø 2022. TT : 2 h 29’. trancière, de Plewniak (CVS). tère ce que son chant a d’inégal.
et quitter la salle du Conservatoire TECHNIQUE : 4,5/5 Anne Ibos-Augé Peu assorti, le couple amoureux
alors qu’un orateur s’apprêtait à il- Créé en 1746 par n’égale pas la soprano et le ténor
lustrer son propos par un extrait un compositeur FRANZ LEHAR séduisants de Froschauer. Vivant,
sonore, je l’entendis distinctement peu familier de 1870-1948 Thomas Blondelle sonne trop fra-
marmonner « Excusez-moi, mais je la scène, Scylla et Y Y Y Wiener Frauen. gile (en timbre, en ligne) et son aigu
ne supporte pas d’écouter ma mu- Glaucus tente de Sieglinde Feldhofer (Claire), sort mal, poussé, sans substance.
sique » : sa façon d’aller griller une concurrencer Ra- Thomas Blondelle (Rosner), Chez Sieglinde Feldhofer, une voix
cigarette. meau. Pari difficile qui se solde par Gerd Vogel (Brandl), Josef assez corsée, le relief face à Brandl
Du clavier, dont son jeu raffiné maî- un échec : après dix-huit représen- Forstner (Nechledil), Magdalena ne suffisent pas : à défaut de grâce,
trise remarquablement les clairs-obs- tations, l’œuvre disparaît de la scène Hallste (Jeanette), Susanna de manière (le prosaïsme guette), il
curs, Elisaveta Blumina dirige ici les et Leclair renonce au genre. Em- Hirschler (Frau Schwott), faudrait plus de suavité ou de soutien
cordes de la Philharmonie de Chem- prunté à Ovide, l’argument est pour- Matthias Schluppi (Winterstein), pour convaincre (la Romance espa-
nitz et accompagne le violon de Hart- tant riche (malgré un « unhappy end » Marie-Luise Schottleiner (Fini), gnole !). Dommage, car l’orchestre
mut Hill. Captée dans une prise de inhabituel à l’époque) et traité avec Elisabeth Zeiler (Lini), Klara conduit par Marius Burkert offre as-
son superlative, la sélection d’œuvres une formidable science des timbres. Vincze (Tini), Chœur du Festival surément tact, finesses, chic et nos-
pour piano, violon et cordes pro- Les bariolages et les fusées à l’ita- Lehar de Bad Ischl, Orchestre talgie. Une demi-réussite.
posée est un pur régal – à condi- lienne côtoient les sections contra- Franz Lehar, Marius Burkert. Jean-Philippe Grosperrin
tion d’avoir l’esprit large. Car neuf puntiques, les lignes volontiers bri- CPO (2 CD). Ø 2022. TT : 1 h 34’.
des Miniatures pour violon et piano sées s’enrichissent d’harmonies TECHNIQUE : 3/5 HELVI LEIVISKÄ
(recyclant des partitions écrites no- abruptes : tout, dans la partition, La Veuve joyeuse 1902-1982
tamment pour le cinéma) affichent rehausse cette tragédie d’amour et n’est pas sortie Y Y Y Y Concerto pour piano.
un minimalisme à la fois ascético- de jalousie où la voix conserve la de rien. En té- Symphonie no 1.
contemplatif et dégoulinant de ro- primeur. Quant aux danses (ici sans moigne la pre- Oliver Triendl (piano),
mantisme qui pourrait constituer un clavecin, selon la pratique la plus mière opérette Staatskapelle de Weimar,
hommage aux boîtes à musique. historiquement informée), elles sont de L e h a r, Ari Rasilainen.
Notre homme y évite les rugosités fidèles au goût français. Femmes de Vienne, elle aussi adap- Hänssler Classic (2 CD).
de son ami Schnittke et lorgne çà et A la version originale de l’œuvre, la tée d’un vaudeville français, créée Ø 2023. TT : 1 h 24’.
là vers Piazzolla. La distance ironique plus enregistrée, György Vashegyi en 1902, remaniée ensuite. Cette TECHNIQUE : 4/5
qu’il y cultive – celle de la réjouis- a préféré la seconde. Allégée de comédie du mariage retardé et des Née en 1902 à
sante Petite Danielade (2000), où les quelques airs et, surtout, de nom- faux-semblants présente d’ailleurs Helsinki, Helvi
musiciens donnent discrètement de breux récitatifs, elle gagne en équi- plus d’une parenté avec l’illustre Leiviskä se forma
la voix, ou de la bizarre Valse Boston libre et bénéficie ici d’une belle distri- cadette. Le génie mélodique, la sen- à la composition
(1996) dédiée à « ma femme avec bution. Même si elle manque parfois sualité, la danse fleurissent. Une auprès de Melar-
qui je n’ai jamais dansé » – est très de l’inquiétude requise par le texte longue Ouverture fait surgir, parmi tin et Madetoja
bien restituée par les interprètes. (« Ta gloire dans ces lieux »), Judith les thèmes à venir, une séquence avant de passer la plus grande

I 85
Loewe / Lutoslawski / Mendelssohn / Mozart

partie de sa vie, de 1933 à 1968, demi-siècle. Pour évoquer le destin nicht, o Mädchen (Herder), qui re- également le caractère un peu aus-
comme bibliothécaire de l’acadé- tragique du réformateur tchèque garde du côté de Schubert, Der Sän- tère que peut avoir la « Réforma-
mie Sibelius. Cette célibataire dis- du XVe siècle, Loewe fait coexister ger (Novalis), dont le début évoque tion » (si l’on excepte son scherzo).
crète à laquelle le Grove ne consacre dans la forme typique de l’oratorio un air de Brahms, ou encore Über Ils nous éloignent ainsi des couleurs
que cinq lignes laisse notamment (où se succèdent récitatifs, airs, en- allen Gipfeln ist Ruh (Goethe), tendre délicates et enjôleuses qu’y déployait
derrière elle trois symphonies et un sembles, chorals et chœurs) la so- et émouvante confession. récemment Alexis Kossenko avec Les
vaste concerto pour piano. lennité et la spiritualité qu’appelle La succession des tessitures, entre Ambassadeurs (Aparté, cf. no 722).
Ce dernier, à la coupe classique en le sujet, mais aussi, dans l’esprit de le ténor et les deux mezzos, pré- Emelyanychev ne s’alanguit pas :
trois mouvements mais à la structure Weber, des figures plus opératiques serve de toute monotonie ce flori- on sent ici une urgence impression-
complexe, est bâti sur de nombreux et pittoresques, parfois mâtinées lège privilégiant les airs calmes ou nante et une ambiance parfois très
rappels thématiques, en particulier de tournures populaires. introspectifs. Dans la maison même électrique. On apprécie le contrôle
le finale. L’échec de sa création, en Sans pouvoir rivaliser, par la puis- où Felix vécut, à Leipzig, ses der- des nuances et le contraste des
1935, hanta Leiviskä toute sa vie. sance d’inspiration et l’écriture or- nières années, accompagnés par un dynamiques, mais le ton général
Perdue puis reconstruite à partir chestrale, avec Paulus et Elias de piano dont la sonorité un peu mate séduira d’abord ceux qui souhaitent
d’une réduction, la partition renaît Mendelssohn (dont les partitions sied admirablement à ces ambiances un Mendelssohn plus piquant que
sous les doigts infatigables d’Oliver sont exactement contemporaines), consolantes, les interprètes abordent tendre. Jérôme Bastianelli
Triendl, très investi et superbement ce Jan Hus (1841) ne manque ni de les partitions avec une pudeur mê-
accompagné par Ari Rasilainen. couleurs ni de sens dramatique. Des lée d’un certain sens du tragique. WOLFGANG AMADEUS
La Symphonie no 1 (1947) fut jouée chœurs d’écoliers, de Tziganes ou Si le ténor a pour lui une belle ron- MOZART
en Finlande jusqu’en 1951 et ne réap- d’esprits du feu y contrastent avec deur de timbre (on appréciera entre 1756-1791
parut qu’en 2022. L’œuvre partage le Kyrie d’une Missa canonica ou autres sa vocalise introductive dans Y Y Y Y Y Concertos pour piano
avec le concerto un climat postro- avec une fugue conclusive à quatre Sehnsucht HU 192), les deux mezzos nos 6 et 25.
mantique et une architecture sin- voix dans la lignée des oratorios de adoptent une approche un peu plus Kristian Bezuidenhout
gulière. Le premier mouvement Haydn : une splendeur. dramatique, tirant parfois ces lieder (pianoforte), Freiburger
atteste l’inspiration très disparate Les interprètes contribuent grande- vers l’opéra. Comme le rappelle la Barockorchester.
de Leiviskä. Après une valse gra- ment au retour en grâce de cette notice (très sommaire et réservée aux HM. Ø 2021-2022. TT : 50’.
cile, le discours se densifie jusqu’à œuvre. A la tête d’un orchestre vif anglophones), plus de cent mélodies TECHNIQUE : 5/5
une coda massive dominée par les à la palette fruitée (les instruments de Fanny Mendelssohn demeurent Chez Kristian Be-
cuivres qui rappelle la Symphonie anciens de L’arpa festante de Mu- inédites, ce qui nous laisse espérer zuidenhout, le
no 5 de Sibelius. Cette influence se nich y sont pour quelque chose), la d’autres jolies découvertes. Concerto no 25
retrouve dans le finale, mais l’élan direction de Thomas Gropper s’at- Jérôme Bastianelli (1786) rayonne
grandiose du maître (évoquant le vol tache sans relâche à insuffler vie à avec une solen-
des oies) fait place chez la cadette cette musique. Le chant, tant des FELIX MENDELSSOHN nité martiale. Les
à une lourdeur pesante. Arcis-Vocalisten de Munich que des 1809-1847 micros placent les timbales en sur-
Rasilainen, malgré tous ses efforts quatre solistes, s’avère d’une très Y Y Y Symphonies nos 3 et 5. plomb quand l’enregistrement d’Oli-
et son enthousiasme, ne peut mas- grande qualité, à commencer par Scottish Chamber Orchestra, vier Cavé (avec Rinaldo Alessandrini
quer les carences de l’écriture et celui du ténor Georg Poplutz dans Maxim Emelyanychev. chez Alpha, cf. no 650) privilégiait
donner tort aux sévères critiques (du le rôle-titre. Simon Corley Linn. Ø 2022. TT : 1 h 05’. des cuivres conquérants : ceux du
concerto) par Palmgren ou Klami. TECHNIQUE : 3/5 Freiburger Barockorchester appa-
Regrettons au passage un minutage FANNY MENDELSSOHN En parallèle à son raissent plus en retrait (plus fragiles
parcimonieux : ce double CD aurait 1805-1847 travail avec Il aussi). L’Allegro maestoso vaut sur-
pu facilement accueillir une autre Y Y Y Y 34 lieder. Pomo d’Oro, tout pour l’indéniable entrain que
symphonie. Jean-Claude Hulot Jennifer Parker, Stéphanie Maxim Emelya- lui insuffle le Konzertmeister Gott-
Wake-Edwards (mezzo-sopranos), nychev poursuit fried von der Goltz.
CARL LOEWE Tim Parker-Langston (ténor), sa collaboration On préfère l’Andante, d’une sérénité
1796-1869 Genevieve Ellis, Jams Coleman, avec le Scottish Chamber Orches- préservée de toute brusquerie. A
Y Y Y Y Y Jan Hus. Ewan Gilford (pianos). tra. Après une énergique Sympho- l’inverse de Ronald Brautigam (Bis),
Monika Mauch (soprano), FHR. Ø 2023. TT : 1 h 22’. nie no 9 de Schubert (cf. no 685), ils étonnamment pressé, le nouveau
Ulrike Malotta (mezzo), Georg TECHNIQUE : 3/5 proposent un Mendelssohn plein venu ne rechigne pas à se lover dans
Poplutz (ténor), Dominik Wörner Sur les trente- de vigueur. La texture sonore est l’écrin sensuellement coloré par les
(baryton), Arcis-Vocalisten, L’arpa quatre mélodies allégée – le vibrato des cordes très bois. Dans cette même page, Paul
festante, Thomas Gropper. de Fanny Men- économe, par exemple –, la tension Badura-Skoda (TransArt) campait
Oehms (2 CD). Ø 2022. TT : 1 h 33’. delssohn ici réu- toujours présente, les timbres bril- une ambiance nocturne digne de
TECHNIQUE : 4/5 nies, la moitié lants, avec çà et là une légère aci- l’acte IV des Noces : ici, le jour com-
On connaît bien n’avait jamais eu dité qui pourra surprendre ceux qui mence tout juste à décliner sur le
sûr Loewe grâce les honneurs du disque. Suivant le recherchent une sonorité plus cha- jardin des Almaviva. Refermant ce
à ses ballades et fil de la chronologie et donc l’évo- leureuse, plus moelleuse. dramma giocoso, le finale prend
lieder, beaucoup lution du style, le programme ren- L’« Ecossaise » retient l’attention pour l’allure d’un dialogue où soliste et
moins pour ses ferme de petits joyaux empreints sa fièvre permanente et ses options orchestre se répondent avec un ré-
deux sympho- d’une infinie douceur : Die sanften bien tranchées : point de solennité jouissant mélange de sophistication
nies, et pas du tout comme auteur Tage (poème de Uhland), mélodie dans la coda finale, le thème de et de charme.
de dix-sept oratorios qui témoignent mélancolique énoncée sur un mou- choral fait une entrée presque dis- Le modeste Concerto no 6 (1776),
de ses fonctions comme Cantor à vement perpétuel d’arpèges mon- crète, sans emphase. Les choix in- pas moins réussi, profite de la cha-
Stet tin pendant près d’un tants et descendants, Die Schönheit terprétatifs du jeune chef renforcent leur et du velouté de l’instrument de

86 I
Bezuidenhout, copie d’un Walter de
1805. L’accompagnement compense
la minceur de sa sonorité par une
Nouveauté
sveltesse qui fait caracoler l’Allegro
aperto et déroule sans heurts la mé- WITOLD LUTOSLAWSKI pugnace, délibérément moderniste, s’appuie sur
lodie de l’Andante. En 2016, un Dia- 1913-1994
pason d’or de l’année distinguait le Concerto pour orchestre. une diversification exceptionnelle des nuances
deuxième volet de cette intégrale en Partita pour violon et orchestre. dynamiques, un climat d’effervescence, d’ivresse
cours, saluant une éloquence châtiée Novelette. et d’inquiétude qui transfigure le propos en lui
et un esprit ludique au service d’une Christian Tetzlaff (violon), conférant une âpreté grandiose.
approche minutieuse du texte : ces Orchestre symphonique
Cette intensité dramatique ne faiblit pas un ins-
de la Radio finlandaise, Nicholas Collon.
qualités illuminent le Rondo conclusif. tant, même dans les rares passages plus détendus
Ondine. Ø 2022. TT : 1 h.
Marc Lesage du Capriccio notturno et du vaste triptyque final.
TECHNIQUE : 4,5/5
Enregistré au Centre de musique d’Helsinki La « joie du son » debussyste devient davantage
YYYY Concertos pour piano par Anna-Kaisa Kemppi, Antti Pohjola et Enno évocatrice d’une lointaine filiation avec Stra-
nos 20 et 27. Mäemets en avril, septembre et décembre 2022. vinsky ou Varèse. D’aucuns jugeront trop impla-
Anne Queffélec (piano), Des images orchestrales amples, profondes
Orchestre de chambre de Paris, cable, voire trop rhétorique une approche ainsi
et bien définies, avec des cuivres rutilants
Lio Kuokman. et des percussions toniques. magistralement articulée et architecturée, mais
Mirare. Ø 2023. TT : 1 h 02’. nul ne pourra nier que la véhémence du discours

A
TECHNIQUE : 3,5/5 la tête de l’Orchestre symphonique et son profil souvent accidenté relèvent ici d’un
Quinze ans après de la Radio finlandaise, Nicholas dessein d’ordre avant tout expressif.
le Concerto no 6, Collon pulvérise les stéréotypes, Destinée en 1984 à Pinchas Zukerman dans sa
Mozart revient à réévalue et ravive totalement le version avec piano, et à Anne-Sophie Mutter dans
la tonalité de si Concerto pour orchestre (1950-1954) sa mouture avec orchestre (1988), la belle et puis-
bémol et livre sa de Lutoslawski. Le chef le débarrasse de ses sante Partita est une sorte de concerto déguisé.
dernière œuvre relents plus ou moins néoclassiques, montre que Elle est jouée par Christian Tetzlaff d’une façon
majeure pour le clavier. Un abîme
ce n’est en rien un succédané folklorisant de énergique et abrupte qui lui donne plus d’audace
sépare l’aimable divertissement salz-
l’œuvre de Bartok qui porte le même titre. Il le et de saillant, mais sans doute moins de mystère
bourgeois de ce testament intros-
pectif tout en clairs-obscurs. « Mys- restitue ainsi dans toute sa pureté, sa lumière qu’avec Mutter (DG). Virtuoses dans les mouve-
tère en pleine lumière », résume crue, son originalité profonde de chef-d’œuvre à ments vifs, Tetzlaff et Collon sont également très
dans la notice Anne Queffélec, qui la fois figuratif et abstrait. tendus dans le Largo central. La
explore cet entre-deux autant qu’elle Dès un premier mouvement trame richement texturée mais
se laisse guider par lui. aux crescendos, contrastes émaillée de violents éclats des
Ainsi, dans l’Allegro, les phrasés et ruptures étourdissants de cinq brèves sections de Novelette
s’infléchissent au gré des incerti- souffle comme de conduite, (1979) revêt en revanche une
tudes tonales qui assombrissent le Collon se différencie de tous clarté solaire frisant l’incandes-
développement. Traversée d’inter- les autres, même des versions cence. Un disque captivant tant
rogations, la cadence (du compo- les plus convaincantes et raffi- pour le programme que par les
siteur) hésite, au bord du silence.
nées – Dohnanyi (Decca), Salo- interprétations.
Si la ligne directrice de ce premier
mouvement semble se chercher, nen (DG). Sa vision acérée et Patrick Szersnovicz
rien ne vient troubler la sérénité
presque détachée du Larghetto.
Dans le finale, certains ont choisi la soliste y est adéquatement sou- Karine Deshayes (soprano), plus légères, et qu’un mezzo colo-
leur monde : le ciel pour Haskil tenu par l’orchestre, assez pataud Les Paladins, Jérôme Correas. rature comme le sien peut en éclai-
(DG), la terre pour Richter (Decca). par ailleurs. Gageons qu’avec des Aparte. Ø 2022. TT : 55’. rer bien des aspects – la tessiture
On ne saurait reprocher à Quef- partenaires plus inspirés que Lio TECHNIQUE : 4,5/5 longue, le médium et le grave char-
félec de ne pas trancher. Kuokman et ses musiciens parisiens, L’automne 2022 nus, l’agilité jusque dans l’aigu.
Il en va de même pour le Concerto Anne Queffélec aurait emmené ses de Karine Des- Le large ambitus et la vocalisation
no 20 (1785). Chez Andsnes (Sony, intentions plus loin, plus haut. hayes aura été facile sont aussi requis pour triom-
Diapason d’or), l’Allegro vibrait d’un Marc Lesage mozartien. Avant pher d’une autre pièce de jeunesse,
désespoir sans recours : il prend d’enregistrer des un air tiré de l’oratorio Betulia libe-
ici un caractère de memento mori, Y Y Y Y Exsultate, jubilate. airs de Sesto et rata, ou encore du « Lungi le cure
moins immédiatement dramatique Betulia liberata (« Quel Vitellia pour l’album « Mozart 1791 » ingrate » de Davide penitente (cal-
malgré les fulgurantes cadences nocchier che in gran procella »). du clarinettiste Pierre Génisson qué sur le Laudamus Te de la Messe
de Beethoven. Dans la Romance, Davide penitente (« Lungi (Erato, cf. no 728), la chanteuse dia- en ut mineur). Si les pages plus pai-
le retour de l’espoir (en si bémol) le cure ingrate »). Messe loguait avec Les Paladins pour un sibles séduisent moins, ce n’est pas
s’accompagne d’un regain de légè- du couronnement (Agnus enregistrement construit autour de que Deshayes n’en trouve pas le ton.
reté : le piano s’y déleste ostensi- Dei). Vêpres solennelles d’un l’Exsultate, jubilate. Elle montre ainsi Elle se glisse sans difficultés dans
blement de ses tourments passés. confesseur (Laudate Dominum). qu’on aurait tort de réserver le mo- l’Agnus Dei de la Messe du cou-
L’Allegro assai s’achève, lui, dans une Symphonie no 17. Sonates d’église tet créé en 1773 à Milan par le cas- ronnement, mais il est amputé des
effervescence théâtrale : l’envol de KV 67, 69, 144, 274 et 317. trat Venanzio Rauzzini aux voix les autres parties solistes et chorales.

I 87
Mozart / Noskowski / Offenbach / Paderewski / Paganini / Penderecki

Pas de chœur non plus pour le Lau- Dans les Sonates KV 311 et 332, son l’extraversion abrasive.Passé une Moniuszko, formé ensuite par Lud-
date Dominum des Vêpres solen- jeu délié, d’une vivacité lumineuse, introduction plantant le décor avec wig Kiel à Berlin (comme plus tard
nelles d’un confesseur, qui en perd au cantabile délicat, ne succombe autorité, l’Allegro spirituoso de la Paderewski), il fut directeur de la
son centre de gravité, alors que les jamais à une recherche stérile. La « Linz » est pris tambour battant musique à Constance avant d’être
appuis très sonores sur les temps à sonorité reste parfaitement équili- au détriment du cantabile. Accal- nommé en 1880 à la tête de la So-
l’orchestre font l’effet d’une étrange brée, sans lourdeur ni sécheresse, mies et transitions y trahissent, no- ciété de musique de Varsovie. Pé-
scansion. Jérôme Correas a pour- sans tentation romantisante carica- tamment par une piètre longueur dagogue estimé (il forma Szyma-
tant soigné la chanteuse, écrivant à turale. On admire la sensibilité ten- d’archet, un refus assumé de res- nowski et ses camarades du groupe
son intention d’élégantes cadences. due mise à l’Adagio en si mineur, pirer. Le chef garrotte le thème en Jeune Pologne), il mena également
Le programme montre à travers joué avec esprit. Sa vision angé- forme de sicilienne de l’Andante une carrière de chef et d’organisa-
quatre sonates d’église et une lique de l’Ave verum dans la ver- et met en valeur sa seule part teur de concerts. Le compositeur
symphonie (la no 17) comment le sion de Liszt témoigne à elle seule d’ombre. Du Menuetto, il surex- ne s’illustra pas moins, en particu-
Mozart des années 1770 fit de sa de la très belle tenue de cette réa- pose les accents militaires avec une lier dans le domaine de l’orchestre,
période salzbourgeoise le labora- lisation mozartienne. véhémence qui en évacue l’ambi- puisant souvent son inspiration aux
toire de ses audaces instrumentales C’est une tout autre affaire que le se- valence et l’onirisme. Le finale de- sources nationales.
et concertantes futures. Sur instru- cond volume de sonates pour piano vient un orage d’acier dont les ra- Ici rassemblée et éditée par les inter-
ments anciens, Les Paladins creusent par Angela Hewitt. L’articulation est fales ne laissent pas l’ombre d’une prètes, l’œuvre pour piano à quatre
les contrastes de pièces moins se- pointue, peu amène, le jeu un peu chance à cette ironie que Carlos mains renferme surtout des danses.
condaires qu’elles n’en ont l’air. pincé, s’écrasant parfois dans une Kleiber faisait affleurer avec une Si Noskowski s’y exprime en un lan-
Benoît Fauchet certaine pesanteur. Hewitt n’est pas nonchalance aussi feinte gage traditionnel, les Krakowiaks
non plus à son avantage dans les qu’électrisante. op. 7, qu’il joua avec Liszt, leur dé-
Y Y Y Y Y Sonates pour piano plus saisissantes sections en mineur Si cette tension à l’emporte-pièce fait dicataire, valent le détour ; les nos-
nos 9 et 12. Gigue KV 574. – telle celle de l’Andante cantabile de son (petit) effet dans l’accorte Sym- talgiques Mazurkas op. 42 sont atta-
4 Contredanses KV 269b. la KV 330, où l’interprète, dans son phonie no 36, qu’en attendre dans la chantes, les Danses exotiques op. 49
Allegro KV 312. Adagio KV 540. texte de présentation (comme dans meurtrière « Prague », si prompte à ne manquent pas de sel. On relève
Variations sur Unser dummer son exécution), ne voit qu’un épisode se retourner contre ses interprètes ? parfois des harmonies intéressantes,
Pöbel meint KV 455. MOZART/ « très expressif », alors qu’Elisabeth On croit naïvement que Minasi va notamment dans la Fantaisie monta-
LISZT : Ave verum KV 618. Leonskaja (Warner) avait compris sa s’en tenir au même rentre-dedans. gnarde sur des mélodies des Tatras.
Su Yeon Kim (piano). nature tragique. Que nenni ! Il va plus loin, saupou- Si le poème symphonique Morskie
Steinway. Ø 2022. TT : 1 h 08’. D’un goût contestable, la Fantaisie drant le premier mouvement d’acce- Oko (nom d’un lac des Tatras) doit
TECHNIQUE : 4/5 KV 397 se perd dans des change- lerandos, de rallentandos et autres être entendu à l’orchestre, la réduc-
Y Y Y Sonates pour piano nos 8 ments de nuances prévisibles et un effets de zoom. L’architecture de la tion passe bien et atteste une solide
à 13. Fantaisies KV 396 et 397. phrasé maniéré. L’Allegro assai de partition et sa noblesse en font les maîtrise de la forme.
Angela Hewitt (piano). la KV 332, assez poussif, est privé frais, sans que le discours en tire une Tout, dans cette intégrale, s’écoute
Hyperion (2 CD). Ø 2022. du brio minimum requis. Le premier quelconque plus-value rhétorique. avec plaisir, même si un piano plus
TT : 2 h 35’. mouvement de la KV 333 se traîne. L’intonation, l’équilibre pour le moins inventif et plus coloré aurait évité
TECHNIQUE : 4/5 A côté de cela, l’Andante cantabile hasardeux des vents en deviennent une certaine monotonie. L’équilibre
de la même sonate coule pour une presque anecdotiques. au sein du tandem n’est pas non plus
fois sans façons et, dans le finale Alla L’Andante souffre d’une articula- parfait, la seconda parte étant un
turca de la KV 331, Hewitt déploie tion tout aussi heurtée, alambiquée, peu nébuleuse.
à certains moments des timbres tandis que le finale est suranimé de Didier Van Moere
pouvant évoquer ceux des cym- manière factice – entre bois caque-
bales (son Fazioli est pourtant dé- tant « pour faire théâtre » et irrup- JACQUES OFFENBACH
Quel plaisir de découvrir chez Su pourvu de l’exotique pédale « ja- tion aussi brusque qu’arbitraire du 1819-1880
Yeon Kim un discours si naturelle- nissaire » que possédaient certains legato. Au terme de cette lecture Y Y Y Y Le Violoneux. Le 66.
ment chantant. Née en 1994, elle pianoforte). Pas de quoi faire passer « m’as-tu-vu », on ne peut s’empê- Sandrine Buendia (Reinette/
remportait en 2021 le premier prix sur une conception trop souvent cher de penser que Minasi a voulu Grittly), Pierre-Antoine Chaumien
du Concours de Montréal, un an artificielle. Bertrand Boissard renchérir sur les excentricités d’un (Pierre/Frantz), Armando Noguera
après avoir décroché une deuxième René Jacobs (2007, HM). (le Père Mathieu/Berthold),
place à l’International Mozart Com- Y Y Y Symphonies nos 36 Hugues Mousseau Kölner Akademie, Michael
petition de Salzbourg – ville où elle « Linz » et 38 « Prague ». Alexander Willens.
a étudié dès l’âge de dix-neuf ans Ensemble Resonanz, ZYGMUNT NOSKOWSKI CPO (2 CD). Ø 2022. TT : 1 h 25’.
auprès de Paul Gulda et Pavel Gili- Riccardo Minasi. 1846-1909 TECHNIQUE : 3,5/5
lov. Plutôt qu’une enfilade risquée HM. Ø 2021. TT : 1 h 12’ Y Y Y Y L’œuvre pour piano Deux ouvrages
de sonates, son programme mêle à TECHNIQUE : 4/5 à quatre mains. en un acte créés
deux d’entre elles quelques pièces Après leur album Agnieszka Kozlo, Katarzyna Ewa respectivement
rares, telle cette étonnante petite consacré aux Sokolowska (piano). en 1855 et 1856
gigue (une pièce quasi « dodécapho- trois dernières UMFC (3 CD). Ø 2020. TT : 3 h 09’. dans le théâtre
nique », dixit Andras Schiff), quatre symphonies de TECHNIQUE : 3/5 d’été qu’Offen-
des douze Contredanses KV 269, Mozart dont le Noskowski fut bach, alors à l’orée de sa carrière,
ou encore ces enjouées Variations regretté Jean- une grande fi- dirigeait sur les Champs-Elysées.
KV 455 sur un thème issu de l’opéra- Luc Macia avait pointé les limites gure de la vie Le Violoneux, « légende bretonne »,
comique de Gluck Les Pèlerins de (cf. no 689), Riccardo Minasi et l’En- musicale polo- conte en trente-cinq minutes la mé-
la Mecque. semble Resonanz persévèrent dans naise. Elève de saventure du conscrit Pierre à qui

88 I
sa fiancée Reinette veut acheter un Anna Mikolajczyk-Niewiedzial Tadeusz Lukaszewski est un par- Si la prise de son est un rien trop
remplaçant. Cette dernière menace (soprano), Marcin Tadusz tenaire très présent, plein de vie, distante, l’équilibre entre la guitare
son parrain, le Père Mathieu, de Lukaszewski (piano). quitte à adopter parfois une pos- et les autres instruments, plus puis-
suivre Pierre à la guerre (duo rythmé Université Chopin de Varsovie. ture concertante. Mais la musique sants, reste harmonieux. L’interpré-
de « rataplans », « Le clairon sonne ») Ø 2020. TT : 1 h 31’. ne l’y autorise-t-elle pas, en parti- tation offre un regard nouveau sur
s’il ne lui fournit pas l’argent. Mais TECHNIQUE : 3/5 culier celle de l’Opus 22 où un cri- l’œuvre et se révèle plus intéres-
le vieil homme refuse de vendre son En 1878, Pa- tique parisien voyait « des mélodies sante que celle, très énergique et
instrument et laisse Reinette déses- derewski ter- sans mélodie, concentrant tout spectaculaire mais moins lyrique,
pérée (duetto haletant entre les mine ses études l’intérêt dans l’accompagnement » ? du Paganini Ensemble Vienna.
amoureux, « Que vois-je ici »). Fu- à l’Institut de Didier Van Moere Julien Gobin
rieux, Pierre brise le violon, alors musique de Var-
que Mathieu rentre avec la somme sovie. Lors du NICCOLÒ PAGANINI KRZYSZTOF PENDERECKI
voulue (« Je t’apporte la délivrance », concert des étudiants, il accom- 1782-1840 1933-2020
soutenu par un violoncelle super- pagne une mélodie de son cru – sa Y Y Y Y Quatuors avec guitare Y Y Y Y Y Symphonie no 6
bement mélancolique)… première œuvre achevée, aujourd’hui nos 4, 5, 6, 8, 9, 11, 12 et 15. « Chinesische Lieder ».
Le 66 est un « opéra-comique » disparue. Le genre le suit ensuite Daniel Rowland (violon), Concertino pour trompette.
un peu plus étoffé (cinquante mi- jusqu’à la fin de sa carrière de com- Vladimir Mendelssohn, Concerto doppio pour violon,
nutes). Grittly et son cousin Frantz positeur. Dès 1885, Quatre mélo- Rasvan Popovici, Joël Waterman violoncelle et orchestre.
sont amoureux. Puisque le billet de dies op. 7 d’après Adam Asnyk, écri- (altos), Claude Frochaux, Jaroslaw Brek (baryton-basse),
loterie qu’avait acheté Frantz porte vain alors à la mode, le placent parmi Maja Bogdanovic (violoncelles), David Guerrier (trompette),
le numéro gagnant, le 66, c’en est les successeurs de Moniuszko pour Alberto Mersica (guitare). Aleksandra Kuls (violon), Hayoung
fini de la tyrolienne qu’ils chantaient chanter l’amour perdu, la guerre et Brilliant Classics (3 CD). Choi (violoncelle), Hsin-Hsiao-ling
ensemble (une Romance aux escar- la nature. L’ombre du compositeur Ø 2018-2020. TT : 3 h 05’. (ehru), Orchestre symphonique
pements singeant le yodel). Frantz de Halka plane encore sur les Six TECHNIQUE : 3,5/5 de Norrköping, Antoni Wit.
casse leur guitare et Grittly pleure mélodies op. 18 (1893) d’après Mic- Avant tout connu Naxos. Ø 2022. TT : 1 h 01’.
cette « compagne fidèle » (com- kiewicz, le chantre du romantisme pour les pages TECHNIQUE : 4/5
plainte délicatement ourlée par polonais, qui évoquent de nouveau virtuoses qu’il Très différentes,
les vents) puis s’emporte contre la l’amour, heureux ou désenchanté. destina à son les trois œuvres
folie dépensière du jeune homme. Tout change avec Dans la forêt propre violon, illustrent les der-
Le colporteur Berthold leur remet (1896) : Paderewski choisit un poète Paganini laisse nières années de
soudain les idées en place : le bil- français, Théophile Gautier. C’est également de la musique de création du com-
let de Frantz n’est pas le 66 mais vers un autre Français, Catulle Men- chambre. Entre 1806 et 1820, il écri- positeur polo-
le 99. Adieu fortune (trio « O Ciel, dès, qu’il se tourne enfin (1903) pour vit pas moins de quinze quatuors nais, et son écriture alors plus intime
ô Ciel »), mais l’accablement cède Douze mélodies op. 22. Singulier, pour trio d’archets et guitare. Com- et intérieurement lucide. Magnifi-
vite au bonheur car Berthold n’est le cycle ne ressemble à rien d’autre posés dans des tonalités très variées, quement interprété par David Guer-
autre que le beau-frère de Grittly au sein de sa production. Il montre six des huit ici retenus adoptent une rier, le Concertino pour trompette
passé pour mort et désormais riche. une assimilation originale du style structure en quatre mouvements (2015), en quatre brefs mouvements,
Dans les deux partitions, Offenbach français, avec une partie de piano dont l’avant-dernier (marqué tantôt ne dure que onze minutes. Brillant,
sait colorer et rythmer l’intrigue : beaucoup plus élaborée que dans adagio, cantabile ou larghetto) met aux contours souvent anguleux, il
accents tantôt militaires tantôt rus- les opus précédents, marqués par l’accent sur le rôle central du bel pourrait être l’héritier d’un style qui
tiques pour Le Violoneux, manière l’inspiration populaire. canto. C’est cette esthétique que oscille entre Honegger, Stravinsky
de tyrolienne dans Le 66. Il révèle Anna Mikolajczyk-Niewiedzial met privilégient les musiciens réunis au- et le jeune Chostakovitch. Sauf que
aussi, déjà, une habileté à traduire son timbre chaud au service des tour du guitariste Alberto Mersica la sobriété de son langage présente
en musique les coups de théâtre et recueils polonais et restitue leur et de l’altiste Vladimir Mendelssohn, des tournures appartenant en propre
le fantasque de ses livrets. Toutes simplicité de ton. Elle a la légèreté à l’origine de cette intégrale pour à Penderecki. Ce qui semble au dé-
choses que restitue avec verve et que requièrent Cheval gris op. 7 Brilliant. Si l’Allegro vivace du Qua- part un virtuose exercice de style,
finesse la Kölner Akademie, atten- no 2 ou Ma mignonne op. 18 no 3, tuor no 9 est ainsi moins aérien, fa- aboutit à un travail de filigrane d’une
tive à respirer avec son trio soliste. les accents plus dramatiques qu’ap- cétieux et virevoltant que dans la qualité rare.
Héritant de rôles taillés pour Hor- pellent Sur l’eau grande et pure très belle version du Paganini En- Plus ambitieux (une vingtaine de
tense Schneider, Sandrine Buendia op. 18 no 4. Mais l’articulation s’em- semble Vienna (Dynamic), il gagne minutes) et d’un vocabulaire moins
s’en tire très bien, joli soprano à la pâte dans l’Opus 22 et rebutera ici en densité et en profondeur. accessible, le Concerto doppio (2012)
diction parfaite, aux lignes souples aussitôt le mélomane francophone, Cela se ressent particulièrement oppose à un orchestre progressi-
et menues. Ses qualités de comé- achoppant sur la volubilité de Elle dans le Quatuor no 15 en cinq mou- vement varié et foisonnant les lon-
dienne sont assorties à celles de marche d’un pas distrait ou le dra- vements, pépite faisant de l’alto une gues lignes d’un violon et d’un vio-
Pierre-Antoine Chaumien, ténor matisme de L’Amour fatal. Dom- véritable prima donna – c’est la par- loncelle – ici un rien trop acides – qui
plutôt agile et charmant, et d’Ar- mage : la soprano possède la tes- tie que se réservait le compositeur. se succèdent et se chevauchent plus
mando Noguera, baryton dont la siture adéquate, avec un médium Le regretté Vladimir Mendelssohn souvent qu’elles ne dialoguent.
malice fera passer sur un français à et un grave charnus. Il serait temps bouleverse dans le Recitativo, où son D’une seule coulée, l’œuvre peine
peine moins naturel. qu’une voix française s’empare de lyrisme raffiné est soutenu par le tré- à convaincre, excepté dans une
François Laurent ces mélodies dont les textes assu- molo de ses partenaires. Le tempo courte section lente en son milieu
ment l’héritage des hantises bau- ample, le jeu introspectif et poignant et dans l’ample séquence finale, à
IGNACY JAN PADEREWSKI delairiennes – Christoph Prégar- rendent parfaitement justice à la sen- la substance plus inventive.
1860-1941 dien n’y satisfaisait pas non plus. sibilité à fleur de peau et au talent Les huit lieder pour voix de basse
Y Y Y Les mélodies. Plus qu’un accompagnateur, Marcin de compositeur de Paganini. et orchestre qui donnent son

I 89
Poulenc / Rachmaninov / Rebay / Reinecke / Saint-Georges / Schubert / Schumann

sous-titre (« Mélodies chinoises ») Souvenirs (page détachée d’une Les brèves séries de variations sur l’Allegro initial, les ondes qui naissent
et forment l’étrange Symphonie no 6 musique de scène écrite en 1944 des lieder et chansons populaires sous les doigts du pianiste se trans-
(2008-2017) s’appuient sur des pour Le Voyageur sans bagage sont défendues avec chaleur. On mettent au clarinettiste avec une
poèmes chinois traduits en allemand d’Anouilh) sont magnifiquement en retiendra surtout du premier CD admirable facilité. Meyer ose des
par Hans Bethge. Ils protestent entre restitués. Mais à quoi bon une se- les Neue kleine Vortragsstücke pianissimos magiques (Allegretto
autres contre la désacralisation de conde version, sur le même disque, (1949), pour leur joli mélange de grazioso) avant d’éblouir par sa vir-
la nature. Remarquablement chan- des Chemins de l’amour où l’archet sobriété et de sensibilité, ou encore tuosité (Molto vivace). Les deux com-
tée par Jaroslaw Brek (disparu cette – violon comme violoncelle – ne fait le Bolero (1943) et ses rasgueos sou- plices referment l’Opus 167 bis par
année), ponctuée à la fin des pre- que doubler la ligne de chant déjà tenant un violon chantant et impé- un geste d’adieu à la fois intime et
mière, troisième, sixième et sep- jouée par le piano ? Saluons dans tueux. L’intérêt musical des sept tendre.
tième mélodies de solos à décou- ces différentes partitions le piano transcriptions, réunies sur le dernier Les autres œuvres pour clarinette
vert du ehru (violon traditionnel toujours attentif et plutôt souple CD et piochant aussi bien chez Lully, que Reinecke nous a laissées (dont
chinois), la partition offre une ins- de David Lively. Handel, Bach ou Schubert, est moins les trios parus en 2009 sous le même
trumentation à la fois économe et Les trois minutes de pipeau de Villa- frappant. Réduite au strict minimum label) auraient fait un meilleur com-
étincelante d’une étonnante beauté. nelle (1934), feuillet d’un album col- de l’accompagnement harmonique plément que la réédition des So-
Patrick Szersnovicz lectif pour flûte à bec, sont moins dans les Douze danses allemandes nates op. 120 de Brahms, captées
frustrantes que le brévissime Dis- de Beethoven, la guitare se voit ail- vingt et un ans plus tôt pour RCA.
FRANCIS POULENC cours du général (1921), arraché à leurs confier un dialogue plus équi- Ne boudons pas notre plaisir de
1899-1963 un ballet des Six. Assez plate, l’inter- libré avec le violon, comme dans le retrouver une version chaleureuse
Y Y Y Sonate pour violon et piano prétation détache abusivement les Tema con variazoni de la Sonate et honorable de ces pages rabâ-
(a). Les Chemins de l’amour (b). deux cornets à piston d’un orchestre op. 12 no 1 du même. chées, en dépit d’une conception
Sonate pour violoncelle et piano. ravalé au rang de faire-valoir. Julien Gobin plus inégale du son et de la narra-
Souvenir (c). Villanelle (d). François Laurent tion. Bertrand Hainaut
Les Mariés de la Tour Eiffel CARL REINECKE
(Le Discours du général) (e). FERDINAND REBAY 1824-1910 JOSEPH BOLOGNE
Jean-Louis Beaumadier (pipeau) 1880-1953 Y Y Y Y Sonate pour flûte DE SAINT-GEORGES
(d), Eric Aubier, Stéphane Courvat Y Y Y Les œuvres pour violon et piano « Undine » (transcr.). 1745-1799
(cornets à piston) (e), Tatiana et guitare. BRAHMS : Les deux sonates Y Concertos pour violon
Samouil (violon) (a, b), Justus Piercarlo Sacco (violon), pour clarinette et piano. op. 2 et 7.
Grimm (violoncelle) (b, c), David Andrea Dieci (guitare). Paul Meyer (clarinette), Fumika Mohri (violon),
Lively (a-c), Jacques Raynaut (e) Brillant (3 CD). Ø 2023. TT : 2 h 32’. Eric Le Sage (piano). Philharmonie de chambre
(piano), Orchestre de la Garde TECHNIQUE : 4/5 Sony. Ø 2001 et 2022. TT : 1 h. de Pardubice, Michael Halasz.
républicaine, Sébastien Billard (e). Elève, au Conser- TECHNIQUE : 3,5/5 Naxos. Ø 2022. TT : 1 h 17’.
Indesens. Ø 2013 et 2023. TT : 53’. vatoire de Après avoir été TECHNIQUE : 3,5/5
TECHNIQUE : 2/5 Vienne, de Josef distingués dans Saint-Georges a
Drôle de pro- Hofmann pour le nos colonnes écrit pour son
gramme, aux piano et de Ro- pour « l’assu- instrument une
prises de son à bert Fuchs pour rance avec la- grosse dizaine
la fois sèches et la composition, Ferdinand Rebay y quelle ils tracent de concertos,
déséquilibrées. enseignera à son tour le piano et le la voie narrative » du Trio op. 3 de autour du milieu
Dans la Sonate chant à partir de 1920. Son amitié Zemlinsky (Alpha, cf. no 692), Paul des années 1770. En voici quatre.
pour violon et piano (1943) destinée avec le professeur de guitare Jaco- Meyer et Eric Le Sage écrivent une Ils sont donc contemporains de
à Ginette Neveu, Tatiana Samouil, bus Ortner et une nièce guitariste nouvelle page du récit romantique ceux de Mozart, mais leur qualité
aux timbres pincés et aux pizzica- virtuose expliquent sans doute le germanique avec la Sonate « Un- d’inspiration est plus proche des
tos parfois inaudibles, ne rend pas volumineux corpus qu’il dédia à dine » que Carl Reinecke adapte deux premiers du maître salzbour-
complètement l’esprit de révolte l’instrument. pour la clarinette en 1885. La par- geois que des trois suivants : la
de l’Allegro con fuoco initial, et les Après les œuvres avec alto (cf. tition s’inspire du conte Ondine de musique s’écoute certes sans effort
épisodes plus lyriques manquent no 703), Brilliant se penche sur celles La Motte-Fouqué, comme La Petite ni désagrément mais elle demeure
de souffle et de ligne – ce qui af- avec violon. En ressortent surtout Sirène d’Andersen auparavant et d’une grande pauvreté thématique,
fecte aussi des Chemins de l’amour les deux sonates de 1942. Leur veine Rusalka de Dvorak par la suite. Tout rythmique et harmonique. Sans la
(1940), bien larmoyants. La pointe néoclassique (que prolonge la en fluidité, le premier de ses quatre moindre surprise ni la moindre vel-
de raucité mise à la mélancolie de Kleine Suite de 1944) et leur lyrisme, mouvements contrastés plante le léité d’originalité, ces partitions se
l’Intermezzo est mieux venue, tantôt intense jusqu’à l’exubérance, décor ; le deuxième se coule dans bornent à dérouler imperturbable-
comme la coda lugubre et un rien tantôt profondément mélancolique, un intermezzo gracieux ; un accès ment les poncifs du style classique.
vacillante du Presto tragico. sont enracinés dans le passé. Le fiévreux trouble le paisible troisième, Et ce ne sont pas les interprètes
L’interprétation de la Sonate pour violon introspectif et frêle de Pier- auquel succède un finale « agité et qui viennent à leur secours : han-
violoncelle et piano (1949) par Jus- carlo Sacco restitue moins les passionné » qui se clôt par le retour dicapée par une sonorité chétive
tus Grimm convainc davantage, tant contrastes de la Sonate en mi mi- d’un motif (più lento) du deuxième et terne, Fumika Mohri ne semble
dans la gouaille du Ballabile et les neur que José Manuel Alvarez Lo- mouvement. guère intéressée par ces pages
pieds de nez du finale, que dans le sada (avec Pedro Mateo Gonzalez, A la différence de Collins et McHale pourtant destinées à mettre en
lyrisme de la Cavatine – même si Eudora). L’un et l’autre s’inclinent (Chandos, cf. no 636), les nouveaux valeur le violon. Et l’on attend en
on peut préférer celle plus raffinée devant la lecture plus précise de venus développent une vision poé- vain la moindre étincelle d’un ac-
d’un Jean-Guihen Queyras (HM). La Laurence Kayaleh (avec Michael tique et soignent les oppositions compagnement désespérément
solitude et le désarroi qu’exprime Kolk, Naxos). de nuance et de tempo. Dans épais et plan-plan. Simon Corley

90 I
FRANZ SCHUBERT
1797-1828
Y Y Y La Belle Meunière.
Nouveauté
Daniel Johannsen (ténor),
Christoph Hammer (pianoforte), SERGE RACHMANINOV modifiait considérablement le développement
Quatuor Alinde 1873-1943
Hänssler (2 CD). Sonate pour piano no 1 et la réexposition initiaux du premier mouve-
Ø 2022-2023. TT : 1 h 59’. (première version). ment, et imposait plusieurs moindres coupures
TECHNIQUE : 3,5/5 Préludes op. 32 nos 2, 7, 8, 13. au finale. Les passages retrouvés accentuent le
Voilà un enre- Lukas Geniusas (piano). foisonnement de la pièce, dont les beautés et la
gistrement bien Alpha. Ø 2023. TT : 56’.
TECHNIQUE : 4/5
difficulté pianistique sont indéniables.
surprenant : Da- L’interprète dépassionne le discours pour
Enregistré en 2023 à la Villa Senar (Suisse)
niel Johannsen rendre lisible la polyphonie touffue ; les traits de
par Maximilien Ciup. Une image de piano cohérente,
propose deux aux registres équilibrés, même si le son se trouve bravoure en prennent une épaisseur signifiante
versions paral- un peu amorti par l’acoustique mate de la pièce. et contribuent à révéler la trame structurelle.
lèles de La Belle Meunière. L’une
avec Christoph Hammer, l’autre avec
Ce Rachmaninov quasi brahmsien ne met pas

L
le Quatuor Alinde. Mais ce qui a villa Senar sur le lac des Quatre-Can- sous le boisseau la virtuosité crépitante des pas-
étonne le plus, c’est la différence tons, que Rachmaninov fit construire en sages scherzando, où les notes répétées si carac-
considérable entre les deux 1929 dans un style géométrique inspiré téristiques de l’auteur annoncent les Etudes-
interprétations. des architectes viennois Loos et Gropius, Tableaux : la maîtrise technique de Geniusas
Ainsi, avec le pianiste, le ténor ap- a été rachetée en 2021 et restaurée par le est à la hauteur de sa rigueur intellectuelle.
paraît quelque peu lisse. Son meu- canton de Lucerne, qui l’a rouverte en avril der- Les moutures primitives des quatre préludes
nier est éthéré voire, parfois, d’une nier. C’est là, sur le Steinway modèle D offert au de l’Opus 32 étonnent, même si les différences
dérangeante suavité. Certes, Jo- compositeur pour son soixan- sont de détail : mesures introduc-
hannsen possède une voix mixte, tième anniversaire, que Lukas tives au no 13 et surtout absence
presque un falsetto, naturel et très Geniusas a enregistré une bro- des notes répétées du no 7, dont
charmant, mais sa lecture tout juste
chette de versions princeps iné- le caractère est transformé.
estimable ne captive guère.
dites au disque et fraîchement Même sûreté digitale, même
Est-ce la polyphonie du quatuor qui
soudain inspire le chanteur ? Sur un restituées par l’édition critique densité d’interprétation de la
tempo sensiblement plus lent, il dé- de Valentin Antipov. part du pianiste russo-lituanien,
livre une vision toute d’accents, d’in- La Sonate no 1 fut publiée qui n’a décidément pas volé ses
sinuations, de grincements – et fi- d’emblée par Gutheil, en 1908, médailles aux concours Chopin
nalement trouve une sorte sous une forme resserrée qui et Tchaïkovski. Paul de Louit
d’échappée vers le tragique que
rien dans son interprétation avec
piano ne laissait présager. A partir produit plus guère. Il reste avant y rugit, grince et vocifère tout du mémoires comme un éminent
de Der liebe Farbe, quelque chose tout dans les mémoires comme un long. Hormis ce parasitage sonore, brahmsien. Deux albums pour RCA
mue et devient comme pesant, chambriste remarquable, partenaire l’interprétation est plutôt excellente, au début des années 1990 et une
jusqu’à l’anéantissement. d’élection de Gidon Kremer, mais le finale en particulier, rondement intégrale de l’œuvre pour piano et
Comment un chanteur peut-il pré- aussi de Brigitte Engerer pour un mené, et tendu côté soliste. La direc- orchestre chez Tudor (2012) révé-
senter ces deux lectures quasi album Rachmaninov à deux pianos tion d’Adam Fischer ne cherche pas laient aussi un schumannien aguerri.
contradictoires ? Est-ce volontaire ? et quatre mains (HM). midi à quatorze heures – l’Adagio En 2019, une technique solide et
Qu’est-ce qui, dans le piano, laisse Cette captation publique de 1990 gagnerait à une introduction plus de confortables moyens lui per-
sommeiller ce que la très belle adap- au son malingre permet de le retrou- délicate. Bertrand Boissard mettent d’éviter les nombreuses
tation due à Tom Randle fait surgir ? ver chez Schubert. Œuvre au cœur chausse-trappes de cette musique
Ce profond mystère invite à la ré- de son répertoire (il l’avait précé- ROBERT SCHUMANN si changeante et sinueuse. Ce Schu-
flexion sur ce qu’interpréter veut demment enregistrée pour Orfeo 1810-1856 mann plein de santé sonne cepen-
dire. Sylvain Fort au début des années 1980), la Wan- Y Y Y Davidsbündlertänze. dant trop enrobé : la robustesse y
derer-Fantaisie vaut le détour : le Humoreske op. 20. Grande prend le pas sur une véritable viva-
Y Y Y Y Wanderer-Fantaisie. trait a partout l’épaisseur idéale, les Sonate op. 14. Arabesque op. 18. cité. Trop constamment sonore
GRIEG : Concerto pour piano*. épisodes fantomatiques se mêlent à Blumenstück op. 19. Carnaval (Davidsbundlertänze), le pianiste
Oleg Maisenberg (piano), SWR une vigueur dénuée de lourdeur, les de Vienne op. 26. allemand peine aussi à aérer une
Sinfonieorchester Baden-Baden contrastes dynamiques et de carac- Gerhard Oppitz (piano). partition parfois un peu étouffante
und Freiburg, Adam Fischer*. tères sont judicieux. Douceur, flui- Hänssler Classic (2 CD). sous ses doigts.
SWR. Ø 1990 et 2004. TT : 52’. dité et nervosité alternent pour créer Ø 2019. TT : 2 h 22’. L’Humoreske néglige les contrastes
TECHNIQUE : 3/5 un large éventail de sensations et TECHNIQUE : 3,5/5 dynamiques, l’alternance d’ombre
Né en 1945 à de sentiments, jusqu’à un dernier Désormais plus et de lumière qui font le sel du com-
Odessa et ins- mouvement porté par des assauts discret dans les positeur et de cette œuvre en par-
tallé à Vienne véritablement épiques. studios d’enre- ticulier. L’héroïsme si expressif de
depuis 1981, Ne soyez pas surpris à l’écoute du gistrement, Ge- la section notée Mit einigem Pomp
Oleg Maisen- concerto de Grieg enregistré dans le rhard Oppitz – la plus vive passion se nichant
berg ne se confort du studio en 2004 : le pianiste reste dans les derrière une grandiloquence de

I 91
Schumann / Simaku / Streicher / Strohl / Tcherepnine / Tuma / Vidal

façade – se meut ici en massivité Y Y Y Symphonie no 4 Comte (clarinette), Clément pour pianoforte. Six variations
un peu éteinte. Ailleurs, la mono- (versions 1841 et 1851). Saunier (trompette), Dimitri pour clavecin à quatre mains (b).
tonie guette, que ce soit dans la Orchestre symphonique Vassilakis (piano), Aurélien A.M. STREICHER : Plainte
Sonate no 3, flux perpétuel trop de Bucarest, John Axelrod. Gignoux (percussion). sur la mort prématurée d’Ursula
peu nuancé, dans une Arabesque Orchid Classics. Ø 2023. TT : 55’. NMC. Ø 2020 et 2022. TT : 1 h 15’. Sabina Stage (a). Deux marches.
qu’on aurait aimée plus limpide ou TECHNIQUE : 3,5/5 TECHNIQUE : 4/5 SCHUBART : A mon piano (a).
dans un Carnaval de Vienne pru- Proposer avec un Les pièces pour Sarah Wegener (soprano) (a),
dent, sans réelle vigueur. Un retour même orchestre piano sont ici Tobias Koch, Stefania Neonato (b)
au disque assez décevant. les deux versions celles où appa- (pianoforte).
Bertrand Boissard de la Symphonie raît le plus clai- CPO. Ø 2021. TT : 1 h 19’.
en ré mineur de rement l’in - TECHNIQUE : 4/5
YYY Symphonies nos 1 « Le Schumann est fluence de Ligeti, Pianiste autodi-
Printemps» et 3 « Rhénane ». une idée que John Eliot Gardiner particulièrement dans les entrelacs dacte venu de
Orchestre Symphonique d’Anvers, avait défendue avec brio dans son polyphoniques en relais poursuivant Stuttgart, ami du
Philippe Herreweghe. intégrale philologique de 1997 chez une progression inexorable. Mais jeune Schiller
PHI. Ø 2019 et 2022. TT : 1 h 01’. Archiv. Là où la mouture de 1841, Thomas Simaku s’attarde bien da- dont il accompa-
TECHNIQUE : 3,5/5 incarnant l’exaltation du Vormärz vantage sur les résonances et plonge gna la fuite à
Cet album fait (cette période d’avant la révolution volontiers les mains de l’interprète Mannheim, Andreas Streicher a
suite à celui, allemande de mars 1848), offre ses dans les cordes. Ces gerbes de notes épousé en 1794 Anna Maria (1769-
paru en 2019, inflexions fuyantes, ses élans fur- coulant de source, ces harmoniques 1833), dite Nannette, fille du facteur
dans lequel Phi- tifs et sa légèreté de touche, celle qu’exhale une attaque sur une corde de pianos d’Augsbourg Johann An-
lippe Herre- de 1851, qui prend acte de l’ordre bloquée, ces balayages suggérant dreas Stein. Le couple s’établit à
weghe livrait des restauré après l’écrasement du une harpe dans le lointain n’ont pas Vienne, où il s’impose parmi les plus
lectures mi-figue mi-raisin des Sym- « printemps des peuples », affiche de secret pour Dimitri Vassilakis, qui importants fabricants de claviers,
phonies nos 2 et 4 (cf. n° 685). On y une sûreté, un apparat rehaussant s’en donne à cœur joie sans sacrifier notamment appréciés de Beetho-
retrouve le même souci de déthéâ- paradoxalement son souffle vision- la précision de son toucher. Quoique ven. Cette activité a sans doute éloi-
traliser l’écriture schumannienne, naire. « On comprend mieux chaque non descriptive, Catena III – Corona gné le mari et la femme de la com-
au risque d’en brider le souffle et version lorsqu’on connaît l’autre » (2022) transpose avec un certain position, car seule une douzaine
l’hétérodoxie. soulignait avec raison Nikolaus humour l’idée d’infection par un d’œuvres, dont un lied en français,
Dès son introduction, le mouvement Harnoncourt. motif rythmique et ses variants. A nous est parvenue d’Andreas. Pour
initial de la 1re manque de fluidité Si John Axelrod expose dans la no- en juger par les chaînes d’accords les ressusciter, Tobias Koch a bien
comme de sveltesse, et il faut at- tice les enjeux de cette mise en mi- chatoyants auxquels le pianiste im- sûr choisi un Streicher de 1814 et
tendre la section Animato précé- roir, sa lecture du premier jet accu- prime une puissance sereine, l’orga- un Stein de 1784.
dant la coda (à 9’ 24’’) pour entrevoir mule maladresses et exagérations. nisme contaminé se porte bien. La valeur de ces partitions, ty-
vaguement ce qu’il doit à Mendels- Contrairement à Gardiner, il com- La clarinette de Soliloquy VII (2019), piques de la toute fin du XVIIIe, aussi
sohn. Si le Larghetto, qui évite l’écueil met l’erreur d’accroître artificielle- dont Jérôme Comte diversifie joli- charmantes qu’insignifiantes,
du séraphisme, laisse aux vents ment le fossé qui sépare l’original ment les teintes, s’approche par promptes à d’excessives minau-
(cuivres compris) l’espace qui leur de sa révision, biais aggravé par une moments des Trois pièces de Stra- deries, s’efface devant l’intérêt du
revient, le Scherzo et le finale font articulation hachée, le débraillé d’ef- vinsky mais ajoute à leur virtuosité projet : faire revivre une attachante
les frais de cordes exagérément fets frisant la déconstruction. Le quelques multiphoniques et glisse- famille de musiciens. Andreas a
enrobées et, plus généralement, chef traite avec moins de didactisme ments de l’intonation. Dans Solilo- visiblement une prédilection pour
d’une pulsation peu soucieuse de et, surtout, plus de rigueur la réé- quy IX (2022), la maîtrise de la sour- la variation : deux cycles, dont l’un
courbe dramatique. criture de 1851. Il rend ainsi justice dine par le trompettiste Clément à quatre mains (ici gravé, en rai-
Alors que le Lebhaft qui ouvre la à sa position de carrefour esthé- Saunier met en valeur, dans de son de la crise sanitaire, sur deux
« Rhénane » affiche une projection tique sans jamais accréditer la lé- sobres mélodies alla Miles Davis, instruments !) et le très long finale
en berne – mais tel est le cas de la gende colportée par Felix Wein- non seulement des contrastes de (un quart d’heure) de la Grande
majorité des versions enregistrées gartner d’une instrumentation densités, mais aussi des effets de Sonate en mi bémol. N’y cherchons
–, Herreweghe opte dans le Scherzo « épaisse », « gris sur gris ». Rappe- distance. pas un reflet de l’art haydnien,
pour un tempo assez vif, plus pro- lant par sa mesure et son « noir et Augmenté par des résonances de mozartien ou beethovénien de la
bant dans les variantes staccato que blanc » celle de Kurt Masur à la tête cloches tubulaires, gong et vibra- variation ; elle est chez Streicher
legato du thème. C’est dans le Nicht du Gewandhaus de Leipzig (1973, phone, le « marimba + » de Solilo- pur prétexte à dérouler des guir-
schnell, avec son allure et sa fonc- RCA), cette interprétation pâtit quy VIII (2020-2021) offre sous les landes de notes.
tion d’intermezzo, que la juste me- quelque peu des limites d’un or- baguettes d’Aurélien Gignoux une De Nannette, il ne reste qu’une
sure du chef trouve son meilleur chestre souvent fruste de sonorité. liquidité boisée. Là comme dans touchante page vocale en hom-
emploi. L’allant du Feierlich néces- Hugues Mousseau l’ensemble de la musique du com- mage à une amie disparue et deux
siterait pour réellement convaincre RÉFÉRENCES : Discographie positeur albanais, le discours est Marches miniatures (73 mesures
hiérarchisation plus subtile des dif- comparée dans le no 688. sophistiqué mais limpide, sans faux- en tout et pour tout). Même si ce
férents plans, respiration moins pré- semblant. Pierre Rigaudière ne sont pas encore les années Bie-
cautionneuse surtout. Et comme le THOMAS SIMAKU dermeier, tout cela en a déjà for-
laissait hélas présager la dynamique NÉ EN 1958 ANDREAS STREICHER tement le parfum, de même que
étriquée du premier mouvement, Y Y Y Y Y « Solo ». Soliloquy 1761-1833 la musique et le texte du lied conclu-
le Lebhaft conclusif piétine sans une VII à IX. Catena II et III. Y Y Rondeau ou Caprice. sif d’un autre natif de Souabe, Chris-
once de grandeur. Solistes de l’Ensemble Grande Sonate. La pensée de tian Schubart (1739-1791).
Hugues Mousseau Intercontemporain : Jérôme l’objet chéri (a). Sept variations Simon Corley

92 I
RITA STROHL comme le glas, « avec furie » Le fils de Nicolas, Alexandre, se fit à plus de sobriété, la souveraine sou-
1865-1941 (Spleen), tantôt déverse les « tu- un nom dans le Paris de l’entre-deux- haite préserver cette splendeur ba-
Y Y Y Y Y Musique vocale : Bilitis multes » de l’océan (Obsession). guerres, qu’il quittera en 1948 pour roque, mais avec des ressources
(a). Quand la flûte de Pan (b). Le chant vaporeux d’Adèle Char- les Etats-Unis. Inspiré par sainte Thé- moins fastueuses.
Six poésies de Baudelaire mises vet, exhalant les « parfums » de la rèse de Lisieux, son premier quatuor Tuma y déploie un art du contre-
en musique (c). Dix poésies mises Barcarolle (Segard), semble appuyer (1922) surprend par sa concision et point propre au baroque tardif, dont
en musique. Carmen (d). le « monotone » de la Chanson son dépouillement : un seul mouve- l’économie de moyens annonce pour
Elsa Dreisig (soprano) (a), d’automne (Verlaine) et envelop- ment de neuf minutes aux allures de certains le classicisme. De notre
Adèle Charvet (mezzo-soprano) per d’un voile fantomatique Les prière instrumentale. Le chef et pia- point de vue, cette économie était
(d), Stéphane Degout (baryton) (c), Revenants (Baudelaire) ou les Vieilles niste Giuseppe Mentuccia, assistant déjà la marque de fabrique de Fux,
Romain Louveau (a, c), cloches « brisées » (Rodenbach). de Barenboim père au Staastsoper et Tuma n’apporte pas grand-chose.
Célia Oneto Bensaid (b), Le tournis du Moulin à vent (Delthil), de Berlin, se joint aux Michelangelo Il faudrait toutefois pouvoir le juger
Forian Caroubi (d) (piano), le refrain de L’Epinette (Segard) et, pour le plus néoclassique quintette sur un corpus plus large que celui
Olivia Dalric (récitante) (b). surtout, le piquant de Carmen (Gau- (1927). Comme dans le second qua- de ce bref programme. On en re-
La Boîte à pépites (2 CD). tier) s’accommoderaient de tuor (1926), son swing très années tient surtout le très languissant « O
Ø 2022-2023. TT : 1 h 43’. consonnes plus fermement dessi- folles fait place à un lyrisme sincère ter beatum cor » du Motettum de
TECHNIQUE : 4/5 nées. Le même éditeur annonce dans les mouvements lents. tempore (qui aurait gagné à plus
Plusieurs paru- un second volume à paraître au Ivan Tcherepnine (1943-1998), fils de concision), une agréable Sinfo-
tions, dont un printemps, avec la musique de d’Alexandre, fut quant à lui proche nia offrant une respiration bienve-
superbe quin- chambre : on se frotte déjà les de l’avant-garde. Il étudia auprès nue après deux motets trop res-
tette avec piano mains. François Laurent de Stockhausen et Boulez, et se dis- pectueux, la belle ritournelle et les
(Bru Zane, cf. tingua notamment dans la musique élans retenus du « Quam magnifi-
no 722), avaient ALEXANDRE TCHEREPNINE électronique. There was no wind cata » (dans le Motetto per ogni
attiré l’attention sur le talent singu- 1899-1977 (1996), pièce pour soprano et qua- tempo), et les trompettes du Dixit
lier de Rita Strohl. Trois cycles de Y Y Y Y Y Quatuors à cordes nos 1 tuor à cordes, revisite une mélodie Dominus, dont les parties perdues
mélodies et une musique accom- et 2. Quintette avec piano (a). notée par Balakirev, comme pour ont été réécrites.
pagnant la récitation d’un poème N. TCHEREPNINE : Quatuor rendre hommage au romantisme L’interprétation est aussi immacu-
de Sophie de Courpon (Quand la à cordes. I. TCHEREPNINE : de son grand-père. La soprano aus- lée que la nappe cérémoniale du
flûte de Pan) confirment une vraie There was no wind pour soprano tralienne Siobhan Stagg, elle aussi maître-autel, sans réussir à faire de
nature d’artiste. Cette compositrice et quatuor à cordes (b). passée par le Staatsoper de Berlin ces œuvres autre chose qu’une élé-
bretonne doit l’essentiel de son so- Siobhan Stagg (soprano) (b), apporte une fraîcheur bienvenue gante musique de circonstance pour
lide bagage aux leçons d’Adrien Giuseppe Mentuccia (piano) (a), dans cette partition déroutante qui noble veuve. La voix d’Andreas
Barthe, professeur d’harmonie au Quatuor Michelangelo. referme ce parcours créateur un Scholl semble immuable malgré les
Conservatoire de Paris, et de son Capriccio (2 CD). Ø 2021. siècle de compositions. années, toujours séraphique à dé-
épouse la cantatrice Anna Bande- TT : 1 h 31’. Jean-Claude Hulot faut d’expressive, sage, agile, souf-
rali. Si cette farouche indépendante TECHNIQUE : 4/5 frant seulement d’une prononcia-
aime se cloîtrer dans une « tour Fondé en 2002 FRANTISEK TUMA tion de plus en plus ouatée. Les
d’ivoire », elle reste à l’écoute de par les violo- 1704-1774 musiciens sont attentifs à colorer
son époque, comme le montre le nistes Mihaela Y Y Y Motetto de S. Joanne sans hausser le ton, le chœur et ses
choix de ses poètes (Baudelaire, Martin et Conrad Baptista. Motettum de tempore. solistes sans reproche.
Louÿs, Verlaine, Rodenbach). La pro- Muck, le violon- Sinfonia a quattro. Motetto Guillaume Saintagne
sodie est plutôt habile, la ligne mé- celliste Frans per ogni tempo. Dixit Dominus.
lodique souvent séduisante, soute- Helmerson et l’altiste Nobuko Imai Romana Kruzikova (soprano), MONSIEUR VIDAL
nue par un piano riche et fluide, (à laquelle succédait il y a trois ans Andreas Scholl (contre-ténor), ?-1803
partout évocateur – celui de Quand Michael Barenboim), le Quatuor Ondrej Holub (ténor), Jiri Miroslav Y Y Y Y « Paris 1790 ».
la flûte de Pan (1901) colore la nos- Michelangelo réunit trois généra- Prochazka (basse), Ensemble Concerto pour guitare. Sonate
talgie amoureuse avec un sens très tions de Tcherepnine au sein d’un baroque tchèque, Roman Valek. pour guitare et violon. Trois
sûr des atmosphères. même programme. Aparté. Ø 2023. TT : 48’. Contredanses. 2 duos pour
Elsa Dreisig met à sa Bilitis (1898) L’Opus 11 de Nicolas Tcherepnine TECHNIQUE : 4/5 guitare et violon. Sonate pour
une souplesse lumineuse qui enve- (1873-1945), formé par Rimski-Korsa- Compositeur ou- guitare et basse.
loppe au final la caresse exaltée kov à Saint-Pétersbourg et installé en blié, Frantisek Pascal Valois (guitare baroque),
(La Chevelure), l’étreinte enflam- France après la révolution de 1917, se Tuma naquit Jacques-André Houle (violon),
mée (La Nuit), l’inquiétude (La Flûte révèle moins personnel que ses bal- en Bohème Olivier B. Brault (violon),
de Pan), la panique (Le Sommeil lets à venir pour Diaghilev (Le Pavil- quelques années Amanda Keesmaat (violoncelle),
interrompu). Tout cela convainc lon d’Armide puis Narcisse et Echo, avant Zelenka, Jessy Dubé (alto), Jean-Guy Côté
davantage que le ton plus à fleur à écouter dans la version de Lukasz fut l’élève du célèbre Fux à Vienne (guitare baroque).
de peau et véhément de Marianne Borowicz, CPO, cf. no 692). Certes et s’illustra surtout dans la musique Analekta. Ø 2023. TT : 54’.
Croux (Hortus, cf. no 716). Ce sont bien écrit, il ne tranche guère sur la sacrée. Ce programme puise dans TECHNIQUE : 3/5
des ténèbres gémissantes qu’ex- production post-tchaïkovskienne de celle qu’il composa à Hetzendorf Qui est l’auteur
plorent les Six poésies de Baude- la fin du XIXe siècle, mais se trouve au service de l’impératrice Elisabeth- du premier
laire (1894), où Stéphane Degout flatté par l’élégante perfection des Christine, comme maître de la cha- concerto pour
conjugue art des nuances, tensions Michelangelo (au passage, Michael pelle de son château-refuge. Alors guitare ? Un cer-
et éclats désespérés. Le clavier de Barenboim convainc davantage que la guerre et l’idéal des Lumières tain Monsieur
Romain Louveau sonne tantôt comme altiste que comme violoniste). poussent les productions de la cour Vidal, originaire

I 93
Vivaldi / Wranitzky / Ysaÿe / Récitals

PIANO RUSSE d’Espagne et actif à Paris avant de Konstantin Hiller (Atlantis) le dé-
par Bertrand Boissard
(notamment au Concert Spirituel montre. Demeurent, dans l’Allegro
des Tuileries, en 1776) et pendant initial du Printemps, un archet tendu
▸ Figure centrale de la musique russe au XIXe siècle,
la Révolution (il espérait que son et un goût (discutable) pour la su-
Anton Rubinstein (1829-1894) fut l’un des plus grands pianistes
concerto, paru en 1793, lui vaudrait rornementation. Son entrée furieuse
de son temps, dont les tournées en Europe et en Amérique
un poste à l’Institut national de dans le Presto de L’Eté mise à part,
lui valurent une renommée presque égale à celle de Liszt.
musique). Le guitariste Pascal Va- la sonorité s’est affirmée, et les cu-
A mi-chemin entre ce dernier et Chopin, ses six
lois a donc fouillé les collections rieuses fantaisies de vibrato (avant
Préludes op. 24 (1854) alternent quiétude et rythmes
de la Bibliothèque nationale de le dernier tutti du finale) ont
obsessionnels, lyrisme épique et geste dramatique
France et celle du Conservatoire disparu.
dont le caractère grandiose vire parfois à l’emphase.
royal de Liège à la recherche de Le Largo de L’Hiver est habité, bien
Encore plus prolixes (jusqu’à dix minutes pour la no 5),
ses partitions. Bien lui en a pris, senti, moelleux et souple à la fois.
les six Etudes op. 81 (1870) s’apparentent çà et là
car elles dévoilent un chaînon man- Son ivrogne dans L’Automne, ja-
à de sombres rêveries schumaniennes (no 2), longs poèmes
quant entre la génération de Cam- dis un peu agressif, est désormais
à la fantaisie un peu forcée ou aux dénouements pompeux.
pion et celle de Giuliani. plus lyrique et son sommeil béné-
Martin Cousin excelle de bout en bout dans ces pages
Alternant pages solistes et cham- ficie d’une plus ample respiration.
exigeantes (Naxos, Y Y Y Y Y ).
bristes, le programme évoque ce L’Allegro final de L’Hiver exprime
▸ Une prise de son sèche à la dynamique écrasée ne flatte qu’aurait pu être un récital donné mieux la chute dans la neige. L’Or-
guère les transcriptions réalisées par Rachmaninov par le « maître de guitare » Vidal. chestre de l’Opéra royal a lui aussi
et réunies en intégrale par Pietro Beltrani. C’est bien A la guitare à six cordes qui com- des atouts à faire valoir : saluons
dommage, car le pianiste défend avec panache mençait à avoir le vent en poupe, les archets pointus et vifs qui il-
le Menuet de L’Arlésienne de Bizet, la Liebesleid Valois préfère un instrument à cinq lustrent la volière colorée du Prin-
de Kreisler, le Scherzo du Songe d’une nuit d’été chœurs, selon lui « mieux adapté ». temps et une danse paysanne de
de Mendelssohn ou encore la Romance op. 16 no 1 Un tel choix confère une colora- L’Automne bien scandée. Plewniak
de Tchaïkovski. Le curieux jettera une oreille tion baroque, un peu rustique, à s’est aussi débarrassé d’un tic hérité
à La Bannière étoilée, reconstituée d’après une exécution ce répertoire postclassique galant. d’Harnoncourt : l’accentuation arbi-
gravée par Rachmaninov sur rouleau (Da Vinci, Y Y Y Y ). Pour livrer le premier enregistre- traire d’une croche sur deux dans
▸ Troisième et dernier volume de l’enregistrement par ment du Concerto pour la guitarre l’entrée de L’Hiver, qui pénalisait
Lidya Jardon des huit sonates pour piano de Miaskovski. avec accompagnement de deux sa gravure de 2014. Des mouches
Sviatoslav Richter s’employa jadis occasionnellement à défendre violons, alto et basse (1793), notre guère piquantes dans l’Adagio de
ces œuvres qui semblent coincées entre celles musicien québécois s’est entouré L’Eté et surtout le choix de l’orgue
de Rachmaninov et de Medtner, sans avoir leur forte d’un petit ensemble hétérogène. La pour l’Adagio de L’Automne ne sont
personnalité. La confession troublante de l’Elégie légère aigreur de ses cordes frot- que broutilles.
dans la Sonate no 7 (1948), la tendre simplicité tées, la captation qui les relègue à La déception vient surtout du RV 450
de la Barcarolle-Sonatine de la no 8 (1949), le souffle l’arrière-plan, le timbre très mat de qui complète étrangement le pro-
expressif de Chant et Rhapsodie op. 58 (1942) la guitare altèrent un peu le plaisir gramme. Le hautbois de Michaela
constituent quelques jolis moments. Cette musique de la découverte. Hrabankova est loin d’avoir la fa-
tout en retenue n’en reste pas moins un peu lénifiante, malgré L’interprétation des autres pièces est conde de Simone Toni avec Silete
l’évidente affection que lui porte l’interprète (Ar-Ré-Sé, Y Y Y ). mieux venue. On goûtera la Sonate Venti (DHM, 2012). Son émission
▸ Ce n’est certainement pas avec le jeu parfois tonitruant avec accompagnement de violon et propre mais un peu pauvre n’émerge
et l’instrument aux timbres rébarbatifs de Dina Parakhina son Allegro joyeusement hispanisant, guère. Réécoutez l’Allegro molto que
que Medtner va conquérir un plus vaste auditoire. mais la palme revient à d’impres- l’aîné gorgeait d’effets théâtraux :
Mettons à part les Contes de fées op. 51, composés sionnantes Variations sur les Folies pris à un tempo un peu plus rapide,
en 1928 à Villers-sur-Mer, dont le no 3 nous d’Espagne (ca 1769) qui attestent plus fluide, plus solide de sonorité,
enchanterait même s’il était joué sur un orgue que Vidal n’a pas volé sa réputation il nous raconte une histoire.
à bouche. Malgré le bagage technique de l’interprète, de « maître ». Wissâm Feuillet Roger-Claude Travers
qui enseigne au Royal College of London, sa version
de la Sonate op. 25 no 1 n’apporte strictement rien. ANTONIO VIVALDI PAUL WRANITZKY
1678-1741 1756-1808
Son enregistrement, privé de lumière, de l’indéchiffrable
Sonate « Vent de la nuit » ne nous la rendra plus claire Y Y Y Y Les Quatre Saisons. Y Y Les Espagnols au Pérou.
Concerto pour hautbois RV 450. Iolanthe, reine de Jérusalem.
(Piano Classics, Y Y Y ).
Michaela Hrabankova Achmet et Zénide.
▸ Dans un album dévolu au même Medtner, Vittorio Forte (hautbois), Stefan Plewniak Philharmonie de chambre
choisit des œuvres aux entrelacs moins inextricables. (violon et direction), de Pardubice, Marek Stilec.
Une prise de son terriblement sourde rend les timbres Orchestre de l’Opéra royal. Naxos. Ø 2022. TT : 1 h 09’.
du Bechstein, naturellement sombres, carrément CVS. Ø 2023. TT : 47’. TECHNIQUE : 4/5
sépulcraux. Les Mélodies oubliées I (comprenant TECHNIQUE : 3/5 Ce sixième vo-
la célèbre Sonate Reminiscenza) et les Quatre fragments Le violon vivaldien lume consacré
lyriques op. 23 se perdent ainsi dans les catacombes. de Stefan Plew- aux œuvres pour
Les Contes de fées op. 51, plus allants et poétiques niak mûrit bien. orchestre de
sous ces doigts que ceux de sa consœur, s’en sortent un peu La comparaison Wranitzky ex-
mieux. Un fin musicien trahi par la technique d’enregistrement de ces Saisons hume trois mu-
(Odradek, « The Muse », Y Y Y ). avec celles qu’il siques de scène écrites entre 1795
gravait en 2014 avec l’Orchester 1756 et 1797. Destinées à des tragédies

94 I
romantiques dont les auteurs (Kot- Si elle domine toutes les difficultés Berberian, Sarah Aristidou a déjà le Marie-Paule Siruguet, Hortense Car-
zebue, Ziegler, Iffland) ont marqué techniques du vaste hommage à cran d’une Barbara Hannigan dans tier-Bresson et Emmanuel Strosser,
leur temps, devaient-elles tomber Bach, la nouvelle venue ne carac- la défense des vertiges coloratures elle joint à son activité de soliste
dans le même oubli qu’elles ? Un térise pas les épisodes de la Fugue des XXe et XXIe siècles. celle de cheffe de chant. Prenant
peu terne, la Philharmonie de comme tout récemment Hilary Hahn Benoît Fauchet pour thème la figure du Vagabond,
chambre tchèque de Pardubice n’y (DG, Diapason d’or), qui différencie le programme débute par le lied
démérite pas, mais le compositeur davantage les voix dans le contre- JULIETTE JOURNAUX Der Wanderer dans sa transcription
ne s’y montre pas aussi inspiré que point du troisième mouvement. Pas PIANO par Liszt : le souffle expressif s’y
dans les symphonies récemment de quoi s’imposer dans une disco- Y Y Y Y « Wanderer Without mêle à l’attention aux timbres. Le
publiées chez CPO (Diapason Dé- graphie déjà très riche. Words ». SCHUBERT/LISZT : Klavierstück D 946/1 du même Schu-
couverte, cf. no 723). Thomas Herreng Der Wanderer. SCHUBERT : bert est joué toutes voiles dehors
Pour une pittoresque Marche des Es- Klavierstücke D 946. avec une étonnante urgence. La
pagnols au Pérou et un petit parfum SCHUBERT/JOURNAUX : deuxième section du D 946/2 est
d’Enlèvement au sérail dans Achmet
et Zénide, il faut endurer pas mal de
R ÉCI TA L S Le Chant du cygne (In der Ferne).
Wandrers Nachtlied D 768.
plus tempétueuse que menaçante,
son trio troquant sa nature éplorée
passages certes charmants mais as- WAGNER/JOURNAUX : Siegfried pour une effervescence inquiète,
sez convenus voire pompeux. Malgré SARAH ARISTIDOU (Mein Schlaf ist traümen). presque nerveuse. Le D 946/3 est
ses tambours, la bataille entre tem- SOPRANO MAHLER/JOURNAUX : Ich bin porté par une extraversion un peu
pliers et musulmans qui sert d’intro- Y Y Y Y Y « Enigma ». der Welt abhanden gekommen. rude parfois. Un peu plus d’intério-
duction à l’acte II d’Iolanthe, reine Œuvres de Messiaen, Tsiartas, MAHLER/WÖSS/JOURNAUX : rité et une plus grande part de rêve
de Jérusalem ne fait vraiment pas Schubert, Rachmaninov, Ravel, Das Lied von der Erde enrichiraient cette exécution qui ne
le poids. Simon Corley Widmann, Wolf. (Der Abschied). manque certes pas de caractère et
Jörg Widmann (clarinette), Alpha. Ø 2022. TT : 57’. d’énergie.
EUGÈNE YSAŸE Daniel Arkadij Gerzenberg (piano). TECHNIQUE : 3,5/5 Dans ses propres transcriptions, on
1858-1931 Alpha. Ø 2020. TT : 1 h 13’. Née en 1996, Ju- applaudit autant l’habileté de l’écri-
Y Y Y Six sonates pour violon TECHNIQUE : 4,5/5 liette Journaux, ture (celle de Siegfried, entre autres,
seul op. 27. Après l’itinéraire livre ici son pre- sonne de manière très pianistique)
Solveig Steinthorsdottir (violon). écolo-spirituel mier album solo. que l’interprétation alternant geste
Challenge. Ø 2022. TT : 1 h 06’. d’« Æther » (cf. Après avoir été subtil et éclairs passionnés. Trouvant
TECHNIQUE : 4/5 no 706), Sarah l ’é l è v e de l’audacieuse recréation de Liszt « un
C’est sur le vif, Aristidou se met
devant un public « en quête du
particulièrement son originel ». Le Lamento turco
silencieux, que d’Andreas Tsiartas (né en 1986)
Solveig Stein- brode sur la voyelle « a » une tex-
thorsdottir a ture qui s’anime et se densifie. Le
choisi de se mesurer aux Six sonates « a » de la Vocalise de Rachmani-
pour violon seul d’Ysaÿe. L’excita- nov comme le « a-ou ! » de sa Ro-
tion du concert la pousse à prendre mance op. 38 no 6 glissent dans sa
des risques, notamment dans les gorge comme un philtre : l’aigu à
passages brillants comme les der- la fois facile et mobile, le timbre
niers mouvements de la no 4 au acidulé et accrocheur feront pas-
tempo ébouriffant, ou la Danse ser sur un vibrato qui pourra pa-
rustique de la no 5. Sa sonorité tou- raître peu trop lâche.
jours pleine et bien posée lui per- Jörg Widmann prête sa clarinette
met de donner une puissance rare liquide au Pâtre sur le rocher, grand
aux pizzicatos (début de la Danse lied schubertien descendu de l’al-
des ombres). Le lyrisme passionné page autrichien, où l’élasticité du
de la Sonate no 3 ou le grand cres- yodel n’effraie pas notre chanteuse.
cendo qui conclut l’Aurore (no 5) Le clarinettiste se double du com-
trouvent l’interprète à son aise. Le positeur dans Sphinxensprüche und
défi technique est donc honora- Rätselkanons (Dictions du Sphinx
blement relevé. et canons d’énigmes), labyrinthique
Mais, impitoyable, la comparaison jeu de pistes et d’imitations entre
souligne ce que le jeu de la violoniste voix et instruments.
islandaise a d’uniforme – par rapport Deux Harawi de Messiaen crâne-
aux interprétations, plus expressives ment assumés, un Mörike-Lied
ou plus ciselées, des Kremer, Zim- de Wolf et la Nachtstück D 672
mermann, Korcia, Papavrami, Zehet- de Schubert étoffent encore un
mair, Leong, Hahn… La Sonate no 2, programme audacieux pour une
avec sa référence constante au Dies artiste qui n’avait pas trente ans
irae, appelle ainsi des atmosphères quand elle l’a enregistré sous les
autrement inquiétantes, en particu- micros de Martin Sauer, au studio
lier dans les passages pianissimo. Teldex de Berlin. Fascinée par Cathy

I 95
Récitals

tantinet brillante », elle propose sa HWV 434 de Handel, ici privé de Non sans manière hélas ! Ces Cy- aux silences fait défaut à une réali-
version d’In der Ferne, moins imagi- sa légèreté évocatrice, est peut- clopes volent comme des elfes, cette sation un peu sèche. Déçoit surtout
native et plus austère. A un Ich bin être le moins convaincant. Certes Gavotte comme un nuage, mais la Barcarolle de Juin, traînante et
der Welt abhanden gekommen de majestueuse et solennelle, la Cha- faut-il pour organiser un discours affectée.
Mahler semblant naviguer entre mer conne BWV 1004 de Bach avait plus le couper en tranches, ralentir à la Le pastiche chopinien que consti-
et ciel répond l’Abschied de Das Lied de tension et de tragique dans la fin de chaque phrase, diluer la me- tue le Nocturne de Glinka, le trivial
von der Erde. Ses visions de paradis version de Julian Bream (Warner), sure dans le rubato ? Plus galantes Nocturne de Balakirev, la plaisante
offrent une digne conclusion à ce dont l’interprétation contrastée et que mélancoliques, Les Tendres Sérénade de Cui et la transcription
disque ambitieux. Un beau tempé- combative offrait une palette de Plaintes y perdent ce que gagne par Glinka de la mélodie L’Alouette
rament d’artiste. jeu plus ample. une Poule imagée, spirituelle comme de Balakirev, sont bien rendues sans
Bertrand Boissard Les pièces avec Arcangelo sont jamais. tout à fait convaincre. Comme dans
quant à elles plus nerveuses et vi- Contre toute attente, Bruce Liu ga- Les Saisons, le jeu de Dmitry Mas-
MILOS KARADAGLIC revoltantes. La guitare s’insère très gnera donc les cimes entre Ravel leev manque par endroits de cou-
GUITARE bien parmi les instruments, notam- et Rameau… chez Alkan. Ici la ma- leurs et de liberté. En témoigne
Y Y Y Y « Baroque ». Œuvres ment dans les concertos pour vio- nière se change en nature. Les vingt- cette frustrante transcription d’Une
et transcriptions d’œuvres lon de Vivaldi et dans le Fandango cinq variations sur un thème em- nuit sur le Mont Chauve qui ne dé-
de Boccherini, Couperin, Handel, de Boccherini, avec ses rasgueados prunté librement au menuet de la colle jamais. Faute de rivaliser avec
Marcello, Rameau, Scarlatti, entraînants. Julien Gobin Symphonie no 40 de Mozart se dé- l’orchestre, la palette sonore res-
Vivaldi, Weiss. ploient comme les yeux sur la roue treinte du pianiste le fait regretter.
Ensemble Arcangelo, BRUCE LIU du paon, espiègles, voraces, clas- Retournons, pour Les Saisons, à la
Jonathan Cohen. PIANO sicisme en folie d’une fidélité abso- poésie pure de Mikhaïl Pletnev
Sony. Ø 2023. TT : 1 h 03’. Y Y Y Y « Waves ». RAMEAU : lue à l’esprit comme à la chair (Melodiya, 1986).
TECHNIQUE : 4/5 Gavotte et doubles. Les Cyclopes. d’Esope. Romance d’opéra (n’ap- Jean-Yves Clément
Né en 1983 au Les Sauvages. Les Cyclopes. partient-elle pas à un Recueil de
Montenegro, Les Tendres Plaintes. La Poule. chants ?) et improvisation d’orgue, QUATUOR AROD
formé à la Royal Menuets en sol. RAVEL : Miroirs. la Barcarolle en sol mineur couronne YYYYY DEBUSSY : Quatuor
Academy of Mu- ALKAN : Barcarolle op. 65 no 6. l’artiste. Voilà de la Wave idéale. Du à cordes en sol mineur.
sic de Londres Le Festin d’Esope. spectacle sans en avoir l’air. De la ATTAHIR : Al Asr. RAVEL :
auprès de Mi- DG. Ø 2022. TT : 1 h 01’. forme pour le plaisir. Liu a raison : Quatuor à cordes en fa majeur.
chael Lewin, Milos Karadaglic a su TECHNIQUE : 4/5 Alkan est la somme. Erato (CD + DVD). Ø 2023.
se faire en quelques années une Bruce Liu n’avance Ivan A. Alexandre TT : 1 h 18’.
place enviable. Après avoir été chou- pas masqué. TECHNIQUE : 4,5/5
chouté par Universal (qui lui a no- « J’ai cherché un DMITRY MASLEEV Après les roman-
tamment fait enregistrer le concerto son pour Ra- PIANO tiques (Mendels-
de Rodrigo avec Yannick Nézet- meau, plus sec, YYYY TCHAÏKOVSKI : sohn, Schubert)
Séguin, cf. no 622), le « Hottest Gui- plus direct, en un Les Saisons. MOUSSORGSKI/ et l’école de
tarist in the World », ainsi que l’a sens plus bondissant ; Ravel beau- CHERNOV : Une nuit sur le Mont Vienne (« The
désigné le Sunday Times, a rejoint coup plus lunatique et brumeux, Chauve. GLINKA : Nocturne. Mathilde Al-
l’écurie Sony. Cette nouvelle colla- tandis qu’Alkan est la somme des CUI : Sérénade. BALAKIREV : bum »), les Arod abordent la mu-
boration débute par une traversée deux ». Le titre choisi étant Nocturne. GLINKA/BALAKIREV : sique française. Un changement
du répertoire baroque. Des pages « Waves », « Vagues », on suppose L’Alouette. d’univers doublé d’un retour aux
en solo, où séduit un jeu intime, in- d’abord que le pianiste donnera son Mirare. Ø 2022-2023. TT : 1 h 12’. sources : le quatuor de Ravel, qui
trospectif, parfois contemplatif, y cœur à Ravel. Liquides en effet les TECHNIQUE : 4/5 referme le programme, avait ac-
alternent avec des pièces plus vives Noctuelles qui ouvrent les Miroirs, Voici un beau pa- compagné leur victoire au Concours
et joyeuses, pour lesquelles le gui- et tout aussi redevables à Debussy norama de la Nielsen 2015.
tariste s’entoure de l’ensemble ces Oiseaux tristes élastiques, nym- musique russe. Huit ans (et deux remplacements)
Arcangelo. phéas irisés plutôt qu’« oiseaux per- Servies par une plus tard, l’Allegro moderato
La Sonate K 32 de Scarlatti est très dus dans une sombre forêt » (vision prise de son très contrôle encore plus étroitement
réussie. Le tempo est plus lent que du compositeur). Que de Jardins claire, Les Sai- le discours, privilégiant la progres-
sous les doigts de Roberto Aussel sous la pluie dans cette Barque au sons se déroulent comme autant sion d’ensemble à l’individualisa-
(Aeon), associé à un rubato parti- crescendo millimétré ! Quelle bal- de vignettes simples et naïves qui tion des voix et à la circulation des
culièrement sensible. Le toucher lerine, cette Alborada sans heurt ! trouvent souvent le ton juste sans idées. Le scherzo convainc davan-
profond et délicat s’accompagne Les cinq Miroirs passent ainsi, chant en rajouter. Au coin du feu de Jan- tage en prenant l’exact contrepied.
de quelques ornements évanes- des esprits sur les eaux. vier a la candeur requise, le Carna- Les Ebène s’y perdaient un peu dans
cents qui confèrent à la pièce une Dès avant sa victoire au Concours val de Février déploie un vif entrain ; les détails (Erato) : leurs anciens
dimension poétique. Et cela vaut Chopin de Varsovie, le jeune esthète le Chant de l’alouette de Mars est élèves échappent au danger grâce
pour une K 466 ronde et sensuelle. canadien affirmait son goût des An- d’une tendre intimité et le Perce- à une lecture tout en rebond et aux
La Passacaille en ré majeur de ciens, spécialement de Rameau – neige d’Avril joliment gracieux. Les arêtes vives. L’intermède central,
Weiss est certes plus romantique, encore au programme de la tournée charmeuses Nuits blanches de Mai rêveur sans être évanescent, pré-
chantante et subtile celle de John actuelle. Rameau placé en ouver- semblent détachées de l’Album à figure le mouvement lent, rendu
Williams (Sony), mais elle perd ce ture (Gavotte) et en clôture (La Poule) la jeunesse de Schumann. Cette avec une belle variété de textures.
rythme marqué propre à la danse de sa Wave party. Rameau clair, quasi lecture limpide gagnerait cepen- Dommage que le tempo nerveux
que ce dernier savait lui donner. Le sans pédale, fermement étagé dans dant à davantage de finesse et du finale gagne aussi les moments
menuet de la Suite pour clavecin sa polyphonie, virtuose sans effort. d’émotion. Une certaine attention d’accalmie.

96 I
Le quatuor de Debussy appelle les
mêmes réserves quant aux mouve-
ments extérieurs, dont l’élan ne fa-
Nouveauté
vorise pas l’enchaînement organique souffle et de la ligne donnent à ses interpréta-
des épisodes. Au scherzo, aérien, MARINA REBEKA tions une élégance tout aristocratique et natu-
succède un Andantino remarquable SOPRANO
« Essence ». Airs d’opéras rellement émouvante.
d’expressivité. Bruno Monsaingeon
ne s’y est pas trompé, qui a choisi de Puccini (Madama Butterfly, Ses treize portraits témoignent d’une habile
cette page pour clore le documen- Tosca, La Rondine, caractérisation, à commencer par une Butter-
taire joint à l’album : entre concen- La Bohème, Gianni Schicchi), fly (« Un bel dì ») et une Tosca (« Vissi d’arte »)
tration et détente, les Arod y dé- Cilea (Adriana Lecouvreur), aussi intenses que subtiles, une Maddalena de
Tchaïkovski (La Dame de pique), Boito Coigny (« Mamma morta ») poignante. Si cette
montrent leur sens de la respiration
(Mefistofele), Giordano (Andrea Chénier),
à quatre. dernière reste une femme forte, bientôt brisée,
Dvorak (Rusalka), Leoncavallo (Paillasse),
A l’instar des deux monuments qui sa Wally tout en délicatesse est à la fois résolue
Catalani (La Wally).
l’entourent, Al Asr de Benjamin At- Orchestre de l’Opéra de Wroclaw, et résignée.
tahir (né en 1989) adopte un fonc- Marco Boemi. La très expressive Marguerite de Boito (« L’altra
tionnement cyclique : le geste hym- Prima Classic. Ø 2021. TT : 1 h. notte ») est sombre, abattue, mais elle n’a pas
nique inaugural laisse entrevoir le TECHNIQUE : 4/5 encore perdu la raison, tout comme Lisa dans
motif qui structurera la pièce, en Enregistré en août 2021 par Edgardo Vertanessian
cinq parties enchaînées mais obéis-
La Dame de Pique (« D’où viennent ces
à l’Opéra de Wroclaw. Bien projetée, propulsée
sant à un schéma vif-lent-vif. Comme sur le devant de la scène, la voix crève l’écran
larmes ? »), fiévreuse et agitée. Et cette Rusalka,
dans Adh-Dhohr (cf. no 686), le com- sonore. A la fois enveloppant et légèrement pleine de mystère, qui élève à la lune une sup-
positeur développe un matériau en recul, l’orchestre qui la soutient et dialogue plique fervente et un peu angoissée !
d’inspiration orientale dans une écri- avec elle est correctement défini. Sensualité et légèreté sont aussi au rendez-
ture aux rythmes marqués, jusque vous. Généreuse, son Adriana Lecouvreur

A
dans la fugue finale. Les dédicataires près plusieurs albums consacrés conjugue classe et sensibilité avec de délicieux
en livrent une lecture investie, mor- au répertoire français ou au bel pianissimos qui vous feront également fondre,
dante et d’une parfaite lisibilité so- canto romantique, tous enregis- chez Puccini, dans la chanson de Magda (« Chi
nore : à quand Bartok par cette trés pour son propre label Prima il bel sogno di Doretta ») ou le chatoyant air de
équipe de cracks ? Marc Lesage Classic (fondé en 2018), Marina Lauretta (« O mio babbino caro »). Sa Nedda
Rebeka propose un bouquet d’airs puisés de Pagliacci (« Qual fiamma ») se révèle par-
EKATERINA SIURINA
SOPRANO
dans des opéras célèbres de la ticulièrement ardente, dévorée
Y Y Y « Where is my beloved? ». seconde partie du XIXe siècle ou par l’envie de vivre. Musetta s’af-
Airs d’opéras de Dvorak, Puccini, du début du XXe. Si la plupart firme aussi en femme de carac-
Cilea, Boito, Verdi, Tchaïkovski. sont donc des « tubes », il nous tère, assurée et un peu provo-
Kaunas City Symphony Orchestra, semble à chaque instant les cante, quand Mimi se montre
Constantine Orbelian. redécouvrir, tant fascine cette plus douce et lumineuse. A la
Delos. Ø 2022. TT : 52’. voix vibrante, large et jamais tête de l’Orchestre de l’Opéra de
TECHNIQUE : 3/5 forcée, dont la musicienne sait Wroclaw, Marco Boemi, offre à
Après son disque adoucir et colorer à volonté le la soprano un soutien en totale
déjà paru chez timbre cristallin. Un médium harmonie, tantôt tendre ou élé-
Delos en 2020 moelleux, des graves bien sou- giaque, tantôt ferme et plein de
« Amour éter-
tenus, un contrôle absolu du PLAGE 2 DE NOTRE CD feu. Julia Le Brun
nel », Ekaterina
Siurina retrouve
Constantine Orbelian et son or- aigus les plus larges et forte se font ciselé, tandis que la dernière partie avec piano. MENDELSSOHN :
chestre de Kaunas pour un nouveau en outre trop souvent stridents, pé- du « Senza mamma » s’orne de déli- Trio avec piano no 1.
récital d’airs d’opéra construit au- nalisant l’air de Manon Lescaut, le cieux filets de voix. Reste qu’un peu Artalinna. Ø 2021. TT : 1 h 08’.
tour de la thématique des « amours « Tu? tu? piccolo iddio » de Butter- plus de moelleux n’aurait pas nui TECHNIQUE : 4/5
absents ». D’évidentes qualités sé- fly, insuffisamment pathétique, ou aux pages plus mystérieuses et élé- Pour son premier
duisent d’emblée : chant pur et lu- même la scène de la lettre d’une giaques telles celles de Rusalka, Io- disque, le Trio
mineux, émission précise, phrasé Tatiana que l’on aurait souhaitée lanta, ou même de l’Amelia de Si- Laetitia associe
élégant. Le timbre d’argent restera plus poétique et intériorisée. mone Boccanegra. à l’Opus 49 de
affaire de goût. Ses héroïnes ne sont toutefois pas Quitte à la pousser un peu trop, Mendelssohn
Fort de jolis graves et d’un médium sans délicatesse, car la chanteuse l’orchestre lituanien offre à la chan- deux partitions
stable, ce clair soprano lyrique trouve de très belles couleurs dans teuse un soutien enthousiaste à dé- rares : le Trio de chambre de son
aborde ici un répertoire de spinto les pianissimos. Elle insiste plutôt faut d’être toujours très raffiné. contemporain et ami britannique
sans démériter. L’instrument accuse sur la fragilité de la geisha dans « Un Julia Le Brun William Sterndale Bennett (1816-
cependant quelques limites, man- bel dì vedremo », et nous laisse sa- 1875) et, rapprochement plus sur-
quant parfois du corps et de la pro- vourer trilles et vocalises illustrant TRIO LAETITIA prenant, la Phantasie en ut mineur
fondeur qui permettraient de don- la folie de la Marguerite de Boito. YYYY BRIDGE : Phantasie de Frank Bridge. Cette partition
ner aux interprétations toute Le « Io son l’umile ancella » d’Adriana pour trio avec piano. STERNDALE qui valut à son auteur le premier
l’intensité dramatique requise. Les Lecouvreur est très agréablement BENNETT : Trio de chambre prix de la Cobbett Musical

I 97
Récitals

Competition en 1907 se distingue transcriptions pour violoncelle sont risques ! Dirigeant avec sa franchise pour piano seul par Kocsis et Liszt,
par l’originalité de sa forme et la légion, celle-ci se distingue par sa coutumière, Paavo Järvi n’est pas respectivement. L’ajout d’une troi-
variété de ses climats. En compa- cohérence, sa poésie et l’authen- en reste mais l’orchestre, opaque, sième voix permet d’élargir le spectre
raison, le pâle trio (1839) de Stern- tique sérénité qui s’en dégage – on manque de répondant. harmonique et d’explorer les lignes
dale Bennett est d’une écriture plus en veut pour seule preuve, entre Chant profondément ressenti du intermédiaires de l’orchestre. La va-
convenue, à l’image de sa Sérénade autres passages aussi calmes que violoncelle, atmosphère autom- riété de jeu d’Eichhorn est parfaite-
centrale où des pizzicatos de cordes poignants, une admirable lecture de nale : la pièce de Dvorak referme ment en situation dans le Liebestod,
imitent la guitare. l’Abendlied op. 85 no 12 de Schu- sur une note émue l’hommage des moment le plus réussi de cet éton-
Si les membres du Trio Laetitia maî- mann. Jérôme Bastianelli Tetzlaff à leur frère en musique. nant exercice de style.
trisent avec aisance la structure et les Marc Lesage Marc Lesage
méandres de la Phantasie de Bridge, IN MEMORIAM LARS VOGT
ils ne parviennent pas à donner du YYYY BRAHMS : Double LIEBESTOD MER(S)
relief à l’œuvre de Sterndale Bennett Concerto (a). VIOTTI : Concerto YYYY SCHUMANN : Sonate YYYY DEBUSSY : La Mer.
– mais peut-on honnêtement les en pour violon no 22 (b). DVORAK : pour violon et piano no 1. Trois DUKAS : L’Apprenti sorcier.
blâmer ? Leur vision impeccable mais Waldesruhe (c). romances. BRAHMS-DIETRICH- CRAS : Journal de bord.
peu personnelle du chef-d’œuvre Christian Tetzlaff (violon) (a, b), SCHUMANN : Sonate « F.A.E. » Appassionato, Mathieu Herzog.
de Mendelssohn manque du feu et Tanja Tetzlaff (violoncelle) (a, pour violon et piano. WAGNER : Appassionato. Ø 2023. TT : 58’.
du génie qui font les grandes ver- c), Deutsche Sinfonie-Orchester Tristan et Isolde (Prélude TECHNIQUE : 3/5
sions. Il suffit de retourner à Oïs- Berlin, Paavo Järvi. et Mort d’Isolde, arr. Say). Pour son précé-
trakh-Knouchevitski-Oborine (nos Ondine. Ø 2022. TT : 1 h. Friedemann Eichhorn (violon), dent album
Indispensables) pour en prendre la TECHNIQUE : 3,5/5 Fazil Say (piano). (« Métamor-
mesure. Jean-Claude Hulot Pour célébrer leur Naxos. Ø 2022. TT : 1 h 03’. phoses noc-
longue amitié TECHNIQUE : 3,5/5 turnes », Naïve,
AU BORD DU REVE avec Lars Vogt, La Sonate pour cf. no 708), Ap-
YYYYY Œuvres de Falla, disparu en sep- violon en la mi- passionato réunissait, sous la hou-
Aubert, Debussy, Durosoir, tembre 2022, neur (1851) se lette de Mathieu Herzog, une qua-
Fabricius, Fauré, Gretchaninov, Christian et Tanja nourrit de rantaine de musiciens chambristes.
Grieg, Järnefelt, La Tombelle, Tetzlaff ont choisi Brahms, qui les l’amertume qui La formation double ici son effectif
Liszt, Neruda, Popineau, Schmitt, avait tous trois réunis au disque (On- tenaillait alors pour défendre, avec toujours une
Schubert, Schumann, Strauss, dine, cf. no 639), et son Double Schumann. Ces tourments, Friede- intensité dans le phrasé et une per-
Stravinsky, Tchaïkovski, Wagner. Concerto op. 102 (1887). Leurs voix mann Eichhorn les restitue par une fection dans la mise en place assez
Aurélienne Brauner (violoncelle), se mêlent dans un Allegro à la conflic- déclamation douloureuse, quitte à spectaculaires, trois « orchestrations
Lorène de Ratuld (piano) tualité apaisée : elle, habitant ses forcer le trait. Dans l’Allegretto mé- grandioses ». Chez Debussy, les
Paraty. Ø 2021. TT : 1 h 11’. amples cadences avec une gravité dian, la sophistication prend le pas pointillistes Jeux de vagues, les sif-
TECHNIQUE : 4/5 dénuée d’emphase ; lui, tempérant sur la simplicité. Pesamment scandé flements d’archets et les gronde-
Le florilège conçu l’écriture plus extravertie de sa par- par Fazil Say, le finale (Lebhaft) est ments du Dialogue du vent et de
par Aurélienne tie. L’Andante médian ne vise certes parcouru avec un empressement la mer témoignent d’un impression-
Brauner et Lo- pas la hauteur de vue atteinte par qui en atténue la noirceur : la sou- nant travail sur les timbres.
rène de Ratuld Oïstrakh et Fournier (Warner) ou daine réminiscence du premier mou- Dans la notice en forme d’interview,
est pour le moins l’intensité vibrante de Repin avec vement perd ici son ton de menace. le chef dit aussi l’enthousiasme de
varié : on y Mørk (DG). Les nouveaux venus lui Pour apprécier l’Opus 105 dans toute ses musiciens à prendre fait et cause
trouve, le plus souvent arrangés, des donnent plutôt la fluidité d’un inter- sa palette d’affects, retour à Gidon pour le rare Journal de bord (1927)
tubes (Rêve d’amour de Liszt), des mezzo menant à un Vivace non Kremer et Martha Argerich (DG). de Jean Cras. En le comparant au
raretés – par exemple de Fernand troppo aux textures dégraissées, De 1849, les Romances n’ont que Philharmonique du Luxembourg
de la Tombelle (1854-1928) ou de d’une verdeur digne des Danses l’apparence de la sérénité : le duo (Timpani), d’aucuns trouveront
Jacob Fabricius (1840-1919) – et hongroises. formé par Isabelle Faust et Alexan- qu’Appassionato peine à rendre
même une récente Berceuse pour Scellant la fin de sa brouille avec der Melnikov en avait révélé la part au triptyque tout le souffle, toute
Salvador de François Popineau (né Joseph Joachim, Brahms cite dans d’ombres et d’étrangeté (HM). Les l’assise dans le grave que la partition
en 1969). L’homogénéité du pro- son Opus 102 le Concerto pour vio- nouveaux venus offrent les contrastes requiert çà et là (par exemple au dé-
gramme est assurée par son atmos- lon en la mineur de Giovanni Bat- qui donnent tout son caractère à la but du premier volet). Mais le ciselé
phère tendre ou rêveuse. tista Viotti (1755-1824), prisé tant du dernière pièce (Nicht schnell), mais intimiste des nouveaux venus, leurs
Les deux interprètes abordent toutes compositeur que du virtuose. D’un le volet central (Einfach, innig) ap- délicatesses d’aquarellistes offrent
ces pages avec une grande sensi- classicisme traversé d’ombres préro- pellerait une respiration plus natu- une vraie alternative.
bilité : le piano de Lorène de Ra- mantiques, l’œuvre, flatteuse pour relle. Composée à six mains en l’hon- Ce qui interroge davantage, c’est
tuld, parfois solitaire (magnifique le soliste, eut jadis les faveurs de neur du virtuose Joseph Joachim, la la prise de son, assez dérangeante
Pièce lyrique op. 54 no 6 de Grieg, Grumiaux (Decca) et de Stern (Sony). Sonate « F.A.E. » (1853) n’échappe pour une écoute au casque. A vou-
jouée avec une pointe de mystère A l’instar de ses aînés, Tetzlaff ap- pas non plus à certaines raideurs loir souligner tel ou tel détail, elle
onirique), crée sans les épaissir les porte un raffinement tout mozartien (l’Allegro) et à des effets soulignés artificialise à outrance les équilibres
ambiances en demi-teintes sur à l’Adagio central, sur un ton moins (l’Intermezzo). On goûtera surtout et les niveaux : la dimension « so-
lesquelles se déploie le chant du policé que ses précédentes incur- le Scherzo, cravaché avec hargne laire » que devrait prendre la conclu-
violoncelle d’Aurélienne Brauner, sions dans le répertoire classique. et conviction. sion de De l’aube à midi sur la mer
qui s’exprime avec une simplicité Marqué Agitato assai, le finale est La curiosité viendra de l’arrangement est privée de son éclat, avec des
n’empêchant pas l’éloquence. Si les trépidant : attaques tranchantes, par Fazil Say du Prélude et de la Mort cuivres curieusement éteints, noyés
compilations de bis ou de courtes lignes acérées, et quelle prise de d’Isolde de Wagner, déjà adaptés dans une écume de cymbales. Ce

98 I
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Récitals

NOËLS défaut de relief et de profondeur un vibrato envahissant fait trouver


par Benoît Fauchet
rend aussi presque illisibles certaines le temps long.
lignes secondaires de L’Apprenti Plus inventive, Rita Ueda (né en 1963)
▸ Un album de Noël par une star lyrique : rien de très neuf
sorcier où la vélocité virtuose des installe dans Birds Calling… from
sous le sapin. Le « Christmas From Norway » de Lise Davidsen
bois se devine plus qu’elle ne s’en- the Canada in You des climats so-
brasse large, dans toute la Scandinavie et au-delà.
tend véritablement. Une manière nores qui valorisent davantage la
La soprano norvégienne se glisse dans des
de refléter l’horrible gâchis des res- finesse de jeu de l’Orchestre Mé-
arrangements offerts jadis à d’autres gloires
sources aquatiques dont il est ques- tropolitain et ose le rapprochement
du chant – la Silent Night de Kiri Te Kanawa,
tion dans la partition ? Un clin d’œil fécond des deux orgues à bouche
l’Ave Maria de Bach/Gounod pour Leontyne Price,
au partenariat de la formation avec japonais et chinois, sho et sheng.
le Weinachten de Humperdinck retaillé par Mackerras
l’association The SeaCleaners, qui Dans l’ambiance ornithologique de
pour Elisabeth Schwarzkopf. Le Minuit, chrétiens
lutte contre la pollution des océans ? cette pièce, le hautbois suona trouve
d’Adam ouvre le disque en suédois et le referme en anglais.
En tout cas une petite déception. facilement sa place, même si, en
C’est dans le Schlafendes Jesuskind de Wolf que Davidsen
François Laurent dépit du talent des trois solistes,
offre le meilleur d’elle-même, drapée dans son enveloppante
l’abondance des chants d’oiseaux
lumière (Decca, Y Y Y Y ).
NOUVELLE MUSIQUE JUIVE finit par sembler anecdotique.
▸ The Gesualdo Six fêtent l’Epiphanie du grégorien à nos jours. YYY HABIBI : Shahin-nameh (a). Pierre Rigaudière
La Morning Star mélancolique d’Arvo Pärt, qui donne HARLAP : Out of the depths
son titre à l’album, les harmonies fines d’In Mary’s Love have I cried unto Thee, O Lord (b). RIPOSTA
de Judith Bingham, les frottements répétés UEDA : Birds Calling… from the YYYY Œuvres de Monteverdi,
d’In Winter’s House de Joanna Marsh dessinent Canada in You (c). Gabrieli, Grandi, Donati, Picchi,
un corpus contemporain attrayant. Les nombreuses Sepideh Raissadat (voix et setar) Bovicelli, Castaldi, Rognoni,
pages Renaissance, pas toujours très habitées par (a), Sharon Azrieli (soprano) (b), Merula et Cima.
le sextuor masculin, séduisent moins (Hyperion, Y Y Y ). Naomi Sato (sho) (c), Zhongxi Wu Violaine Le Chenadec (soprano),
▸ Le florilège « Music on Christmas Morning » s’ouvre par (suona et sheng) (c), Orchestre Adrien Mabire (cornet et direction),
l’ambitieux In Terra Pax de Gerald Finzi, « scène Métropolitain, Nicolas Ellis. La Guilde des mercenaires.
de Noël » à laquelle Roderick Williams prête son Analekta. Ø 2023. TT : 1 h 14’. L’Encelade. Ø 2022. TT : 1 h 17’.
baryton élégant et les Vasari Singers leur expression TECHNIQUE : 3/5 TECHNIQUE : 3/5
franche et simple. Le reste du programme a moins Sur ce disque fi- Venise autour du
d’intérêt, mêlant quelques mélodies traditionnelles gurent les lau- Seicento et le
bien connues, des pièces de John Rutter réats 2022 de la duo avec basse
et un pot-pourri jazzy (Naxos, Y Y Y ). « Commande continue (so-
▸ Ancien membre des King’s Singers, Bob Chilcott (né en 1955)
Azrieli », ouverte prano et cornet
a composé un Christmas Oratorio lové durant une heure dans à tous les com- à bouquin en
une atmosphère de béatitude que colorent la harpe positeurs inspirés par la question deuxième voix) : telles sont les deux
et la flûte. L’enregistrement bénéficie d’une équipe « Qu’est-ce que la musique juive ? » lignes directrices de ce florilège
luxueuse avec Nick Pritchard en Evangéliste, Iranien émigré au Canada, Iman audacieux. Les choix du programme
Neal Davies, Sarah Connolly et le Chœur du Merton Habibi (né en 1985) répond par un réservent d’agréables surprises, sur-
College d’Oxford, ce qui éclaire un peu l’enjeu. cycle de mélodies sur des textes tout les pages trop rarement jouées
On aime autant sinon plus les trois pièces séparées, de Shahin Shirazi, poète juif persan d’Ignazio Donati – une première
très bien caractérisées par le chœur mixte d’Oxford, que dirige du XIVe siècle. Le chant traditionnel depuis la monographie confiden-
Benjamin Nicholas (Delphian, Y Y Y ). persan, avec sa subtile ornemen- tielle de Cantar Lontano (E lucevan
tation impliquant une intonation le stelle, 2004). Les deux motets du
▸ Chilcott, à travers son tendre The Sleeping Child, est non tempérée, doit s’y accommo- Livre II de 1636 montrent à nouveau
aussi au programme d’ « A Choral Christmas ». L’octuor vocal der d’un orchestre issu du post- combien il est difficile de faire son-
Voces8, soutenu par d’épaisses forces chorales romantisme et façonné par la mu- ner cette musique passionnante.
et orchestrales emmenées par Barnaby Smith, sique de film américaine. La voix Jérémie Papasergio s’acquitte par-
grave des arrangements de noëls clinquants de Sepideh Raissadat est magné- faitement de la tâche avec son bas-
(avec cuivres et cloches de traîneau) et un Magnificat tique, sa brève intervention au setar son tandis que le chant de Violaine
de l’Américain Taylor Scott Davis. C’est encore magistrale, mais le hiatus persiste Le Chenadec se joue des ornements
l’In dulci jubilo a cappella et néo-renaissant pendant toute la pièce, particuliè- incessants dans le Salve regina. La
de Pearsall que le petit groupe, cette fois seul, assume rement lors des passages empha- même agilité anime l’Angelus ad
le mieux (Decca, Y Y ). tiques ou guimauve. pastores de Bovicelli, contrafactum
▸ Réputé pour les nombreux chanteurs et musiciens de qualité Dans Out of the depths have I cried d’Anchor che col partire de Cipriano
qu’il a formés, le Westminster Choir College de la Rider to Thee, O Lord de Aharon Harlap de Rore, mais les pièces de Mon-
University (New Jersey) a institué « An Evening (né en 1941), les psaumes, ici chan- teverdi laissent une impression de
of Reading and Carols », sur le modèle du célèbre tés en hébreu, sont des compa- redondance.
« festival » proposé au King’s College de Cambridge, gnons historiques de la musique Le plus réussi de l’album est sans
chaque veille de Noël. Le conservatoire américain occidentale. S’y installe pourtant doute le Quanti mercenarii, contra-
ne lésine pas sur les cuivres, les percussions, l’orgue la gêne d’une musique charriant factum de Rognoni sur le Io son ferito
ronflant, les formes musicales et les langues variées son lot de formules banalisées par de Palestrina où le cornet virtuose
dans son florilège éclectique. Mais ça chante, et avec ferveur l’écran. Sharon Azrieli n’ayant pas les et aérien d’Adrien Mabire résume
(GIA ChoralWorks, Y Y Y ). mêmes qualités vocales que Raissa- la science de la diminution de ces
dat, son timbre étroit et tendu par Mercenaires. Frédéric Degroote

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● Le coin du collectionneur

Le chantre du Mexique
La somme des enregistrements dirigés par Carlos Chavez pour Columbia et CBS entre 1938
et 1973 brosse, en 7 CD, le portrait d’une figure centrale de la musique mexicaine au XXe siècle.

C
arlos Chavez fut le (1945-1950, ici dans sa version
grand homme de la révisée et abrégée de 1965), sous
musique mexicaine l’archet envoûtant d’Henryk
du XXe siècle, aux Szeryng, est un classique dont on
côtés de Silvestre salue le retour – rappelons que le
Revueltas et Juan Pablo Moncayo. violoniste avait pris la nationalité
Son influence a été multiple mexicaine en 1946.
(compositeur, pédagogue, auteur,
conférencier, organisateur, chef Modernité
d’orchestre enfin) et de première Les trois brillants Soli I (1933,
force. Parcourir son legs pour pour hautbois, clarinette, bas-
Columbia/CBS en suivant l’ordre son et trompette), II (1961, pour
chronologique montre combien flûte, hautbois, clarinette, bas-
ce militant demeura toujours en son et cor) et IV (1967, pour cor,
mouvement. trompette et trombone) relient
En 1940 puis en 1961, il enre- les Symphonies d’instruments à
gistre des arrangements de vent de Stravinsky aux Bagatelles
musique mexicaine tradition- de Ligeti.
nelle en regard de ses propres Deux ballets concluent cette
œuvres, permettant de mesurer anthologie magistrale. Piramide
moins leur ascendant que la pro- (dont on entend ici les actes III et
fondeur de ses racines (« Essayer IV) paye son écot à la modernité
d’être “national” semble une éclatée des années 1960 sans que
bonne voie pour essayer d’être cela paraisse artificiel ; la Danse
personnel »). générale, avec la discussion pas-
Ses premières gravures, en 1938, sionnée qui agite le chœur, est
avec l’Orquesta Sinfonica de spectaculaire. Los cuatro soles
Mexico, ont une sève irrésistible. (Les quatre soleils, 1925) s’abreuve
On préfère leur sombre inten- aux sources mexicaines dans une
sité, leurs sonorités sanguines, écriture très différenciée. Sur des
aux remakes de 1966 (Sinfonia syncopes entêtantes des cordes,
de Antigona, la célèbre Sinfonia les percussions et l’harmonie
india). Son orchestration de la occupent une place prépondé-
Chaconne en mi mineur de Bux- rante, entre énergie inépuisable CARLOS CHAVEZ
tehude sera en revanche moins et éloquence persuasive. 1899-1978
appuyée, plus allante, dans le Ces rééditions exemplaires for- « The Complete Columbia Album
deuxième enregistrement. ment une introduction idéale à Collection ». Musiques populaires
Les six symphonies occupent l’art de Chavez. Précisons que mexicaines, pièces orchestrales
© DON HUNSTEIN / SONY MUSIC ENTERTAINMENT

une place centrale ; entre fière si le double album « The Early diverses, Symphonies nos 1 à 6.
affirmation (no 2) et perméabi- Recordings » (Lys, 1997) offrait Concerto pour violon (a). Soli I, IV et II.
lité aux influences de Stravinsky, en outre La Hija de Colquide (La Piramide (b). Los cuatro Soles (c).
Hindemith voire Prokofiev Fille de Colchide) et un Pierre et BUXTEHUDE/CHAVEZ : Chaconne
ou Copland (nos 4 à 6), Cha- BuxWV 160.
le Loup narré en espagnol, c’est
Henryk Szeryng (violon) (a),
vez avance sans renoncer à ses parce qu’il ne s’agissait pas de
Chœur de la Ligue Musicale Nationale,
convictions ni perdre sa liberté. cires Columbia. Le curieux cher- Ambrosian Singers (b), Orquesta Sinfonica
Le caractère, la vitalité, l’imagi- chera aussi les gravures intermé- Nacional de Mexico, London Symphony Orchestra
nation rythmique et coloriste se diaires des Symphonies nos 1 à 3 (b, c), Carlos Chavez.
métamorphosent sans cesse. avec le New York Stadium Sym- Sony (7 CD). Ø 1938-1973. TT : 5 h 30’.
La gravure du très inventif, sinon phony (CD Everest ou Philips). TECHNIQUE : A
éruptif, Concerto pour violon Rémy Louis

102 I
FELIX MENDELSSOHN sonne désormais décoloré, inéga- Sans lien avec Joachim. Natif de Strasbourg, Carl
1809-1847 lement soutenu, borné dans la dy- notre Marguerite Wendling (1875-1962) fut Konzert-
Y Y Y Y Y Elias. namique, optant pour des raffine- nationale, Kath- meister de divers orchestres alle-
Dietrich Fischer-Dieskau (Elie), ments qui ne vont pas sans leen Long s’illus- mands et même américain (il fut celui
Margaret Price, Marianne Seibel contorsions, dans la prière ou dans tra comme sa du Boston Symphony sous la ba-
(sopranos), Brigitte Fassbaender, la menace. Les meilleurs moments consœur dans la guette de Karl Muck) avant de fon-
Cornelia Wulkopf (altos), Peter font plus penser au Wolfram de Wa- pédagogie et le répertoire français, der avec des collègues de l’orchestre
Schreier, Heiner Hopfner (ténors), gner qu’à la figure biblique dont croisant même la route de Ravel (« un de Stuttgart (dont Wendling était
Kurt Moll (basse), Solistes Theo Adam ou même Michael Volle petit homme sec, intellectuel et in- alors le premier violon et que son
du Chœur de garçons de Tölz, étaient, avec Sawallisch, les inter- téressant, mais guère sympathique », ami Fritz Busch n’allait pas tarder à
Chœur du Singverein municipal prètes autrement pertinents. Mais selon elle), se produisant aux côtés prendre en main) son propre qua-
de Düsseldorf, Orchestre d’Etat quel concert ! Tout sauf tiède. du Trio Pasquier, des Loewenguth tuor à cordes en 1909.
de Bavière, Wolfgang Sawallisch. Jean-Philippe Grosperrin ou de Casals. Cette formation, à laquelle Reger
Bayerische Staatsoper Recordings C’est ce que rappelle ce double dédia son ultime Quintette avec
(2 CD). Ø 1984. TT : 2 h 06’. ALFRED DUBOIS album regroupant les enregistre- clarinette op. 146, sut se faire ap-
TECHNIQUE : A VIOLON, 1898-1949 ments réalisés par la pianiste durant précier par sa proximité avec les
Ce concert inédit Y Y Y Œuvres de Vieuxtemps, la Seconde Guerre mondiale pour compositeurs allemands de son
du Festival de Franck, Ysaÿe, Jongen, Voss, Decca, avec notamment un vire- temps mais aussi par son approche
Munich 1984 Goeyens, De Taye, Rogister. voltant Livre II des Préludes de De- du répertoire classique et roman-
s’ajoute aux Divers partenaires. bussy. Dès Brouillard, les doigts tique. Trois séries de cires pour
deux témoi- Musique en Wallonie (2 CD). paraissent filer au-dessus du cla- Electrola et DG en portent témoi-
gnages de Ø 1928-1947. TT : 1 h 34’. vier, mais ce jeu franc et direct gnage. Celles de 1920 sont limitées
Sawallisch dans Elias : l’illustre ver- TECHNIQUE : C manque parfois d’ambiguïtés pour par la technique à des mouvements
sion Philips gravée à Leipzig en 1968 Alfred Dubois singulariser chacune des pièces. brefs de Haydn, Dittersdorf, Hoffs-
et un concert avec les forces de la reste surtout Les trois Fauré souffrent du même tetter, Beethoven, Mozart et Schu-
Radio bavaroise en 2001 (Profil). connu pour avoir écueil, par exemple le Nocturne bert, essentiellement des menuets
Le geste du chef, vif, incisif, haute- été, au Con- no 6, dont les climax semblent apla- dépassant rarement les trois
ment dramatique, allie lyrisme et servatoire de tis, ou un Thème et variations bien minutes.
rigueur rythmique, majesté et ten- Bruxelles, le construit mais un peu raide. En 1929, ils enregistrent deux œuvres
dresse. Le chœur de Düsseldorf lui maître d’Arthur Grumiaux. Si ses Le meilleur est plutôt à chercher complètes : le Quatuor KV 387 et
répond corps et âme, avec une fer- qualités techniques étaient recon- dans un bouquet de Pièces lyriques surtout le Quintette avec clarinette
veur qui compense une qualité de nues, lui faisait défaut, comme l’écri- de Grieg aux couleurs beaucoup KV 581 de Mozart. Ce dernier per-
couleurs et de traits inférieure au vait un critique en 1928, « un peu plus vives et d’une poésie fragile. met d’entendre Philipp Dreisbach
chœur de la Radio de Leipzig – celui de panache ». A côté d’un Concerto Si la D 537 de Schubert court un qui créa celui de Reger. Son vibrato
de la Radio bavaroise offre un autre no 5 de Vieuxtemps gravé en 1930 peu la poste, la D 568 respire avec prononcé pourra d’autant plus sur-
fini du son, sans être plus convain- qui vaut pour son lyrisme et la direc- plus de sérénité, laissant admirer prendre que les Wendling, eux,
cant. Si ce live de 1984 impressionne, tion très investie de Désiré Defauw, l’élégance d’un jeu aérien et de n’abusent pas du leur. Enfin en 1934,
c’est aussi en raison des grandes son interprétation de la sonate de brusques changements d’atmos- le quatuor livre au disque un admi-
voix réunies : quels timbres dans le Franck manque de contrastes et de phères parfaitement amenés. Long rable Adagio du Quintette à deux
double quatuor ! Le trio des anges, ferveur, peu aidée par le piano bien s’illustra également dans Scarlatti, violoncelles de Schubert, qui nous
confié à des garçons, gagne en plat de Marcel Maas. On retiendra avec huit sonates pleines d’esprit et frustre de ne disposer des autres
étrangeté grâce au talent d’Allan surtout la Sonate pour violon seul gourmandes dans leurs cavalcades. mouvements par les mêmes.
Bergius et de Christian Immler avant no 3 d’Ysaÿe que Dubois joua aux L’ensemble reste néanmoins frus- Le complément s’adresse aux col-
sa mue en baryton. obsèques du maître et dont il signait, trant. Laurent Muraro lectionneurs les plus endurcis : ils
Margaret Price et Brigitte Fass- en 1947 la première gravure. découvriront quatre faces de
baender étaient inconnues dans Les neuf pièces belges réunies sur QUATUOR WENDLING 78-tours gravées en 1913, dans un
Elias. Le soprano riche et profond le second CD ne servent pas vrai- Y Y Y Y « The Deutsche son précaire, par un autre quatuor,
de la première, son phrasé hors ment la mémoire du violoniste. Grammophon and Electrola fondé lui par Alfred Wittenberg
pair donnent une envergure rare à Même la pâle Serenata de Jongen Recordings ». Œuvres et extraits (1880-1952). Enfant prodige, il joua
la veuve de Sarepta comme à l’in- ne se distingue pas des partitions d’œuvres de Haydn, Dittersdorf, successivement à huit ans le concerto
vocation « Höre, Israel » : sublime de Voss, De Taeye, Rogister ou Fer- Hoffstetter, Mozart, Beethoven, pour violon de Mendelssohn et le
mais toujours éloquente, comme la nand Goeyens (l’accompagnateur Schubert, Reger. Extraits premier pour piano de Chopin. Il
mezzo, qui invente une voix d’ange de Dubois). Un hommage sympa- d’œuvres de Mozart, Beethoven mena de front son activité de pri-
plus énigmatique que consolante, thique mais dispensable. et Mendelssohn*. marius et une carrière de concer-
inouïe dans la malédiction tranquille Jean-Claude Hulot Quatuor Wittenberg*. tiste, jouant sous la direction de Ni-
de l’arioso no 18. Biddulph (2 CD). kisch à Berlin. L’Histoire allait ensuite
Les messieurs laissent mitigé. Le KATHLEEN LONG Ø 1913-1934. TT : 2 h 22’. fixer le sort de nos deux violonistes :
verbe de Peter Schreier est intact, PIANO, 1896-1968 TECHNIQUE : C Wittenberg, juif, émigra à Shangaï
mais son ténor, plus sec, moins har- Y Y Y Y « The Decca Ce généreux où il allait mourir l’archet à la main,
monieux qu’à Leipzig. Le rival de Solo Recordings ». Œuvres double album tandis que Wendling prit sa carte
Dietrich Fischer-Dieskau pourrait de Scarlatti, Schubert, Debussy, rend hommage au parti nazi. Son quatuor ayant cessé
être aussi lui-même plus jeune, mais Bach, Grieg, Fauré. à deux quatuors de se produire après la guerre,
Elie lui convient-il ? Moins prophète APR (2 CD). Ø 1941-1945. TT : 2 h 24’. formés par des Wendling profita d’une paisible re-
que docteur de l’Eglise bougon, il TECHNIQUE : B élèves de traite. Jean-Claude Hulot

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LE SON échos
PAR VINCENT COUSIN

Magico M7
1 C’est à Paris, chez
Présence Audio
Conseil, qu’Alon
Wolf est venu
présenter sa
nouvelle M7.
nid d’abeille et carbone renforcé
au graphène. Leur moteur avec bobine de
127 mm et aimant néodyme leur permet de
délivrer 120 dB à 1 m à 25 Hz. Les deux bas-
médium de 22 cm sont conçus sur le même
principe. Au centre, un médium de 13 cm
Le filtre Elliptical Symmetry Crossover
(ESXO) inclut des composants Mundorf
et Duelund Coherent Audio. La M7 repose
sur une base MPOD afin de lui conférer un
appui parfaitement stable. La réponse va de
18 Hz à 50 kHz avec un rendement de 92 dB
Cette enceinte associe le même type de cône à un dôme en et une impédance de 4 Ω. Ecoutées sur des
superlative est une cuivre pur afin de minimiser les courants électroniques Pilium, DAC MSB et lecteur
colonne quatre voies de Foucault et optimiser le rendement. Le réseau Antipodes, liaisons Crystal Cable,
six haut-parleurs aux moteur de ce médium est suspendu comme traitement secteur IsoTek, les M7 ont
proportions imposantes : ceux des autres haut-parleurs présents sur montré d’emblée qu’elles font partie
49x164x73 cm et 239 kg. Le dessin la M7. Le tweeter de 28 mm au dôme en de l’élite mondiale, le plus impressionnant,
organique de la caisse en carbone et béryllium est un héritage direct du vaisseau outre l’étendue spectrale, étant
aluminium vise à éliminer par sa structure amiral M9. Ce dôme est recouvert d’une la transparence inouïe et l’absence
toute forme de résonance parasite. Les couche de diamant pour gagner en linéarité de distorsion perceptible. Pour happy few.
deux woofers de 30 cm reçoivent un cône et bande passante. Sa réponse est contrôlée PPI : NC (disponibilité 1er trimestre 2024).
Gen 8 Nano-Tec en sandwich d’aluminium par une chambre arrière de décompression. soundandcolors.com

Totaldac Tessiture n°1


Amp-1-sublime
3
Vues et entendues au Paris Audio Vidéo Show : ces étonnantes enceintes

2
Le bloc stéréo Amp-1 du breton avec un monopavillon en béton (voir photo) décrit par son créateur
Totaldac devient Amp-1-sublime. Kirwan Lelièvre, architecte passionné de son, comme « une technologie
Au passage, il troque son étage de gain passive de mise en cohérence acoustique ». Le pavillon englobe les trois
à triodes contre un circuit à transistors transducteurs, un boomer de 17 cm à membrane en pulpe de cellulose
sans contre-réaction. L’alimentation d’origine ScanSpeak, un médium de 17 cm à membrane Kevlar avec ogive
très haute tension (240 Vdc) lui permet centrale, et un tweeter à cône Kevlar de 48 mm, tous deux d’origine Davis
d’atteindre une dynamique maximale. Acoustics. La caisse en bois d’aspect massif a des montants épais laqués
Le critique étage de gain en tension noirs, contrastant avec des parements en frêne à l’arrière de l’enceinte.
utilise des résistances 0,01% VAR Bulk Les caractéristiques annoncées sont une bande passante de 30 Hz à 23 kHz
Metal Foil de Vishay. Il est suivi d’un (±3 dB), une sensibilité de 93,5 dB/W/m, une impédance de 4 Ω, et une
puissant buffer à transistors puissance admissible de 340 W. Poids : 60,1 kg ; dimensions : 40x120x45 cm
se caractérisant par un faible bruit, avec les pieds. Et un son qui apporte quelque chose d’inédit et intéressant.
un grand gain (33 dB), une large bande PPI : 16 990 €. tessiture-manufacture.com
passante (400 kHz) et un gros courant
(pouvant driver 1 Ω) grâce à son
transfo live-power de 2500 VA et 26 kg EN BREF TÉLEX
(54 kg au total). La puissance est de Rotel RAS-5000 Même s’il reçoit ● Le 20 janvier rendez-vous
2x150 W sous 8 Ω, 2x500 W sous 2 Ω une unique entrée AUX, ce tout nouvel à Caen dans les nouveaux
ou 600 W sous 8 Ω en symétrique et en ampli intégré/streamer de 2x140 W (8 Ω) locaux d’Art-Sonique pour
mono. En complément, le d1-driver- en classe AB est conçu pour la lecture en réseau avant tout. un salon consacré aux
sublime est un étage préampli sans Doté d’un écran couleur pour l’affichage des visuels et des enceintes Neat, aux câbles
réglage de volume à positionner entre métadonnées, il se connecte en wifi, Ethernet, Bluetooth Atlas et Tci. Entrée libre.
DAC et ampli. Il améliore nettement aptX HD/AAC, AirPlay 2, Spotify et Tidal Connect. Roon 02 31 37 39 64.
la dynamique, la tenue du grave, ready et MQA. Entrées USB-B et USB-A, S/PDIF et HDMI- ● Baisse de tarif pour les
la scène sonore, eARC. PPI : 2999 €. finesounds.fr enceintes Lindemann Move
l’articulation. et leurs haut-parleurs sans
PPI : Amp-1- HumminGuru Ultrasonic Vinyl Cleaner spider (cf. no 725). Le tarif
sublime : Abordable et compacte, cette machine est de 3290 € au lieu de
26 000 €. à nettoyer les vinyles recourt aux ultrasons. 4590 € et 295 € les pieds.
d1-driver- Vidange du bac de lavage et séchage Cela hausse la note de cinq
sublime : 7200 €. automatisés. PPI : 699 €. delta-audio.fr à six étoiles. jffdiffusion.fr
totaldac.com

I 107
● écoute critique
PAR VINCENT COUSIN

Casque & accessoire


FiiO FT3 32 Ω ET 350 Ω DEGRITTER MarkII
L
a majorité des machines à laver les vi-

U
n casque ouvert équipé de transduc- L’écoute
teurs dynamiques de 60 mm, même en Outre le confort bien réel de ce casque, les nyles fonctionnent en répandant à l’aide
cherchant bien, on ne voit pas. Le re- trois mètres du câble s’apprécient allongé sur d’une brosse un liquide nettoyant
cord établi par Sony avec les MDR-Z7 et son canapé ou assis à son bureau – il ne s’agit mélangé à un solvant, aspiré derrière avec
MDR-Z1R et leurs gigantesques transduc- pas d’un casque nomade. Les deux versions, les impuretés. Inconvénient : si la poussière
teurs dynamiques de 70 mm reste encore haute et basse impédance, ont été écoutées en adhère au fond du sillon, il est difficile de
imbattu. Dans le cas du FiiO FT3, le record symétrique à partir d’un DAC/ampli Sony l’en extraire, en dépit d’une très forte aspi-
est d’abord économique : le casque est livré TA-ZH1ES ; pour obtenir le même niveau sub- ration. Les ultrasons sont utilisés depuis
avec deux jeux de coussinets, en similicuir jectif en passant de la version 32 Ω à la version longtemps pour nettoyer des objets de toutes
perforé ou en daim, un long câble de 3 m 350 Ω, il faut relever le volume de 20 dB. sortes, des bijoux aux pièces de moteurs en
HPC-23T en fil de cuivre monocristallin Autant dire que la version 350 Ω nécessite un passant par le matériel médical. La Degritter
fabriqué par Furukawa, un jeu de prises et ampli vigoureux pour en tirer la quintessence. désormais MarkII n’est pas la seule à recou-
adaptateurs permettant le branchement en Quid du son maintenant en comparaison rir aux ultrasons mais combine cette tech-
symétrique (jack 2,5, jack 4,4 Pentaconn, A/B, après ajustement des 20 dB requis ? La nique avec une véritable immersion des deux
XLR 4 broches) et asymétrique (jack 6,35), comparaison tourne vite à l’avantage de la faces du disque (label non compris) dans un
le tout logeant dans une housse rigide en version 350 Ω, captivante, souple et fluide, en bain composé d’eau distillée augmenté d’un
cuir qui tient dans un sac souple en velours même temps bien respirante et articulée, en- agent nettoyant et antistatique (voir schéma).
noir. What else ? Ce casque de type ouvert, gendrant une sensation d’espace non artificiel
par ailleurs très confortable et bien dessiné et non comprimé. S’en détache un grave ex- L’écoute
avec ses coques en forme d’hélices grillagées pressif, ne masquant pas un registre médium L’intérêt ? Une automatisation complète com-
et son grand arceau en alliage d’aluminium aigu à la fois aérien et fouillé, typique d’un prenant bain de nettoyage, application d’ultra-
doublé d’un bandeau souple en similicuir, casque ouvert, sans coloration excessive pré- sons durant plusieurs minutes en alternance
paraît presque léger avec ses 391 g. Le port sentant même une tendance à gommer toute à une fréquence oscillant de 120 à 125 kHz
du FT3 s’avère confortable même lors de trace de dureté dans le haut du spectre, avec (procédé dit de cavitation), vidange de la cuve
longues séances d’écoute. Les transducteurs en place les coussinets en daim. Revenir à la et séchage du disque. L’eau de nettoyage est
adoptent une membrane en DLC (Diamond- version 32 Ω aboutit à non pas un désenchan- filtrée ; le filtre a une durée de vie d’environ
Like Carbon) présentant certaines des pro- tement – le mot serait trop fort –, mais à re- cinquante vinyles. La machine contrôle la
priétés typiques du diamant, la vitesse de joindre une forme de normalité avec un son température de l’eau et filtre l’air du séchage
propagation du son notamment. Le centre moins fouillé, moins équilibré, moins soigné paramétrable en vitesse et durée. Un second
forme un dôme, le pourtour la suspension dans sa structure et dans son étendue spec- réservoir permet un rinçage supplémentaire.
au profil de diaphragme, avec une bordure trale. La magie que l’on ressent à l’écoute Le cycle intégral sans rinçage dure une quin-
plaquée béryllium pour réduire la masse en du Boléro de Ravel dans la version récente zaine de minutes pour le programme le plus
mouvement et la distorsion. Cette mem- de François-Xavier Roth (Les Siècles, long et le résultat est impeccable, le disque
brane est entraînée par une bobine de grand Harmonia Mundi) est un test révélateur. étant libéré des impuretés qui génèrent
diamètre plongeant dans un aimant néo- Quasi envoûtant en version 350 Ω, flatteuse 80% du bruit de surface. Efficace oui ;
dyme pour une efficacité maximale et une et comparativement moins structurée et ap- abordable, c’est moins sûr.
bande passante couvrant un très large profondie en 32 Ω. En regard et dans l’ab-
spectre entre 7 Hz et 40 kHz. Dernier point, solu, le 350 Ω est une expérience magné- Apport musical : ★ ★ ★ ★ ★
ce FT3 est disponible en deux impédances, tique, unique à ce tarif, qui donne envie Intérêt : ★ ★ ★ ★ ★
basse (32 Ω) ou haute (350 Ω), à choi- d’écouter jusqu’au bout de la nuit.
sir en fonction de la source (am- PPI : 2890 €. degritter.com
pli, baladeur…) et du résultat Version 32 ohms
sonore qui diffère sensiblement.
Apport musical : ★ ★ ★ ★ ★
Intérêt : ★ ★ ★ ★ ★

Version 350 ohms


Apport musical :
★★★★★★
Intérêt : ★ ★ ★ ★ ★ ★
PPI : 349 €. son-video.com

108 I
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retrouver une écoute naturelle, la plus respectueuse

possible de l’enregistrement original.

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LE SON banc d’essai

de 799 € à 16 000 €
Choisir ses enceintes. Selon quels critères ? Audibles, esthétiques, tarifaires ? Un peut tout
cela ? A chacun de nos dossiers sur les enceintes nous insistons pour prendre en compte
le critère « environnemental », à savoir penser son système en termes d’usage. On posera
les compactes sur des pieds, en les éloignant des murs adjacents pour recréer une scène
sonore en trois dimensions. Même chose pour les colonnes : on ne les écarte pas trop
et on place un tapis devant pour absorber les premières réflexions. Et tous les contre-
exemples qui vont avec cette belle théorie : enceintes encastrées dans une bibliothèque, rares
enceintes d’encoignure ou en tableau. Mais pitié, pas d’enceintes posées à même le sol, sauf
les colonnes bien sûr ! L’acoustique est aussi un jeu, recréer une représentation du réel vaut
bien que l’on s’amuse à tester différentes hypothèses. L’important est de trouver sa vérité.

Q ACOUSTICS 5020

L
es Q Acoustics misent sur leur rapport qualité/prix et sur à l’arrière. La réponse s’étend de 53 Hz à 30 kHz à -6 dB et le ren-
une conception optimisée, transducteurs comme ébénisteries. dement est de 87,9 dB.
Un positionnement axé ingénierie et design revendiqué, non
sans un brin de provocation : « Q Acoustics a été créée en 2006 ; pas L’écoute
par un riche mélomane, un concepteur amateur ou un musicien Plus volumineuse et disposant d’un woofer de 16,5 cm, la 3030i
de rock à la retraite. » Sous-entendu, ici c’est du sérieux. Et la recette se permettait de descendre encore plus bas que la 5020 (46 Hz à -6 dB).
porte ses fruits. Diapason a décerné par le passé sa récompense aux Sans égaler la performance de la 3030i dans ce registre, la 5020 com-
modèles Concept 300 (no 680, mai 2019) et 3030i (no 692, août 2020), pense par une énergie dans la zone bas-médium et médium se carac-
deux compactes situées aux extrémités de la gamme, toujours d’ac- térisant par une dose notable d’expressivité, qui lui procure beaucoup
tualité. La 5020, autre deux voies compacte, se situe à mi-chemin de vie et d’allant. Posées sur des pieds, l’impression de relief est bien
des précédentes ; la moins volumineuse des trois, son équipement présente et même convaincante : en témoigne l’ambiance de la bou-
consiste en un grave/médium de 12,5 cm à membrane concave C3 tique de l’horloger de Tolède où les horloges bruissent et tintent joyeu-
(Continuous Curved Cone) associée à une bobine sement (extrait A). A l’opposé, une œuvre telle que les Litanies à la
mobile de grand diamètre et à un aimant Vierge noire par l’ensemble vocal Aedes accompagné à l’orgue
large comme la membrane pour une dans un très bel enregistrement signé Aparté trouve les limites
bonne dynamique. Un tweeter à dôme de cette enceinte et de son petit haut-parleur de 12,5 cm,
de 25 mm découplé du support prend en difficulté pour reproduire les notes les plus basses
le relais à 2500 Hz. Pour réduire les vi- de l’orgue et la complexité spectrale des voix qui com-
brations, les transducteurs sont montés posent le chœur (extrait D). Résolution ou ampleur,
sur une façade en MDF laminée avec un entre-deux que la 5020 ne tranche pas vraiment.
une couche de caoutchouc butyle et une
garniture en acrylique noir. Les parois Les + : Une bonne résolution et de l’allant.
verticales sont mises en tension par un Les - : A défaut de l’ampleur et du souffle.
renfort interne et l’accord est effectué
en bass-reflex par un évent débouchant son-video.com

110 I
REGA AYA

F
ruit d’un développement de plus de dix ans mené sous la hou- totalement unique. » Et pas seulement visuellement. N’y allons pas
lette de son fondateur Roy Gandy, la nouvelle colonne 2,5 voies par quatre chemins : de par leur expressivité, l’urgence et la respiration
Rega Aya revendique à juste titre sa différence. Une différence qu’elles insufflent à la musique, les Aya repoussent les standards
visible et palpable. La caisse couleur béton est froide au toucher ; de la catégorie et s’imposent comme une nouvelle référence dans cette
en forme de ballon de rugby étiré, elle est obtenue par moulage gamme de prix. Ce qui nous permet d’être aussi catégorique ? Ce sen-
de GRC (ciment renforcé de fibre de verre). Il en découle une forme timent immédiat et palpable d’une musique libérée, vivante du plus
complexe faite d’un matériau inerte, propice à l’élimination des grave au plus aigu, cohérente en temps de propagation et en disper-
ondes stationnaires, légère (14,1 kg) vu le gabarit. Une impression sion, comme affranchie de toute contrainte mécanique et de
de légèreté accentuée par la présence d’un trépied colorations de boîtes. Leur restitution des Litanies à
métallique qui découple la colonne du sol, et limite la Vierge noire est éloquente : tout le spectre est repré-
réflexions et vibrations. L’emploi du GRC procure un senté, des notes les plus basses et les plus toniques
amortissement idéal, un design travaillé et économise de l’orgue jusqu’aux voix du chœur, lisibles dans leurs
le coût d’une ébénisterie en bois. La charge bass-reflex différentes tessitures, le tout plus grand que les enceintes
intègre un filtre acoustique passe-bande sous forme et dans un espace tridimensionnel non comprimé
d’une grille placée horizontalement au premier tiers (extrait D). Même constat avec le lied « Gute Nacht »
de l’enceinte. Le woofer est le modèle RR7.8 de 18 cm tiré de Winterreise : tant le piano que la voix de Dietrich
qui équipe aussi le modèle RX Five ; il travaille en Fischer-Dieskau sont d’une épaisseur, d’une liberté
parallèle dans le grave avec le 13 cm MX-125, les deux et d’une tonicité sans rapport avec la moyenne des en-
transducteurs entourant, à la d’Appolito, un tweeter ceintes de ce prix (extrait C). Notre conseil : associer ces
à dôme souple ZRR (Zero Rear Reflection). Tout ceci colonnes à une électronique pouvant coûter de deux
aboutit à une colonne d’une sensibilité de 89,5 dB, à trois fois leur prix, en soignant tout autant la source.
d’une impédance de 6 Ω. Les caches sont en option. Un choix éclairé pour une musique libérée.

L’écoute Les + : La recherche appliquée produit un grand son.


Rega en parle ainsi : « Les fonds que la plupart des fabri- Les - : Quels moins (+) ?
cants d’enceintes consacreraient au marketing ont été
investis dans la R&D pour parvenir à une enceinte soundandcolors.com

KEF R3 META

P
our sa série R commercialisée en début d’année, l’anglais Kef L’écoute
est parti d’un nouveau coaxial Uni-Q de 12e génération doté Avec encore à nos oreilles éblouies le test des Reference 1 Meta dont
du MAT (Metamaterial Absorption Technology), une structure l’observation dévoile des similitudes (Diapason d’or, cf. no 723), peut-
labyrinthique complexe qui absorbe l’onde arrière du tweeter. Tel on avancer pour autant que la R3 Meta en soit une réduction ? Oui
un trou noir acoustique, il élimine 99 % des résonances indésirables et non. Oui quant à l’allure générale – même diamètre de transducteurs
et donc la distorsion. Plutôt que de coaxial composé d’une mem- et présence d’un double bornier pour le bi-câblage – ; oui encore sur
brane destinée au médium avec tweeter central, tous deux dotés le plan de la cohérence, marque principale de l’Uni-Q, et sa capacité
d’ailettes visant à linéariser la phase et maîtriser la réponse dans de résolution évidente sur un passage tel que l’introduction de L’Heure
l’axe et hors de l’axe, le fabricant de Maidstone préfère parler de espagnole de Ravel où l’on perçoit le tic tac des horloges et le tintement
haut-parleur coincident ou de source ponctuelle unique, histoire de des sonnettes avec une excellente acuité (extrait A). Non, si l’on prend
bien insister sur cette idée de source cohérente. Reste qu’un haut- en compte l’équilibre global et la répartition de l’énergie sur l’ensemble
parleur de 12,5 cm, fût-il surdoué, ne peut prétendre reproduire les du spectre, ainsi que la consistance du message. Disons qu’en compa-
fréquences graves avec efficacité. Sur la compacte R3 Meta, il est raison, la R3 Meta paraîtra plus fluette, moins-disante dans le grave
donc associé à un woofer de 16,5 cm à membrane concave en alu- et portée sur une légère mise en avant du registre médium. Mais com-
minium sur cône papier, pour des basses rapides, profondes et ment l’en blâmer ? Avec un tel écart de prix, la R3 Meta gagne fortement
contrôlées. Cette compacte massive (12,7 kg) est accordée en bass- à être considérée pour ses évidentes qualités de transparence, d’ouver-
reflex à l’aide d’un évent de forme conique en mousse semi-rigide ture et de spatialisation. Ce qu’une écoute attentive aura tôt
afin de minimiser le bruit dit « de tuyère » et fait de révéler, pour peu qu’on les associe à un
d’assurer un bon couplage dans le grave. ampli neutre avec du coffre. Ajoutons qu’elles n’ont
Le filtre effectue le recouvrement des transduc- pas peur de jouer à niveau élevé. Proche dans la
teurs à 420 Hz dans le grave et 2,3 kHz pour concision et la précision d’une écoute de type mo-
l’Uni-Q ; tout ce soin promet une bande pas- nitoring. Il y a pire.
sante allant de 38 Hz à 50 kHz à -6 dB avec
un rendement de 87 dB. Les R3 existent en Les + : La spatialisation et la concision.
différents coloris, tout comme les pieds bien Les - : Le grave un poil court.
lourds (6,7 kg) à visser sous l’enceinte, que l’on
trouve sous la référence S3. fr.kef.com

I 111
● banc d’essai

REVIVAL AUDIO ATALANTE 3

R
evival Audio ou la mystérieuse équation d’une société française L’écoute
ayant à peine trois ans d’existence et revendiquant une longue Si la présentation est d’un classicisme parfait, on se situerait plutôt
expérience. Basée à Mulhouse, cette nouvelle entreprise est à l’avant-garde côté performance sonore, tant leur sonorité se rap-
animée par Daniel Emonts, trente ans au service de marques comme proche de ce que devrait toujours être la reproduction musicale :
Altec Lansing, Focal et Dynaudio, et Jacky Lee, un Taïwanais ayant à la fois neutre, ouverte et raffinée, avec une dose parfaitement maî-
œuvré chez Dynaudio. De belles références qui aboutissent à une trisée d’expressivité ou, pour le dire autrement, d’élégante extraversion.
vision consistant à tout développer en interne, haut-parleurs com- Posées sur des pieds à l’écart des parois adjacentes avec les tweeters
pris. Le design classique chic est signé par le studio parisien A+A en bord externe, les Atalante 3 nous ont charmé par leur très belle
Cooren. On remarque tout de suite des choix stylistiques iné- spatialisation et leur absence de directivité, leur équilibre tonal
dits sur une enceinte de ce prix : tout d’abord, une confi- soigneusement travaillé avec un grave ample et consistant,
guration mirror image permettant de placer les enceintes et un équilibre tonal subtilement descendant donnant
avec les tweeters à l’intérieur ou à l’extérieur du triangle le sentiment d’avoir des enceintes nettement plus volu-
d’écoute en fonction de la dimension spatiale recherchée. mineuses devant soi. Cette manière propre de donner
Le placage de noyer est souligné par un insert de bois une matérialité à la musique s’accompagne d’un grand
rouge formant logo gravé au laser. Chaque enceinte reçoit respect du régime de propagation, sur les trois axes : tona-
deux caches, autre singularité. Le woofer de 18 cm à mem- lité (respect des timbres), énergie (dynamique instantanée)
brane BSC (Basalt Sandwich Construction) est une pre- et temps (phase et spatialisation). Tous les extraits joués
mière. Celle-ci se compose d’une étoffe en feutre appliquée vont dans ce sens, avec une réussite notable des Litanies
à l’aide d’une colle amortissante au dos d’un tissu en fibres à la Vierge noire de Poulenc où ni l’orgue ni le chœur ne
de basalte. Le tweeter de 28 mm ARID (Anti Reflection souffrent de compression (extrait D). L’Atalante 3, un futur
Inner Dome) prend le relais à 2800 Hz. A l’arrière du dôme, classique assurément.
une pièce anti tourbillonnaire mène vers une chambre de
décompression. Le filtre vise la simplicité, le câblage in- Les + : Une élégante extraversion dans une robe chic.
terne est en Skyline Hybrid de Van Den Hul. L’enceinte
Les - : Un classique parfaitement réinventé (+).
chargée en bass-reflex couvre le spectre de 44 Hz à
22 kHz (±3 dB) avec un rendement de 87 dB. fusion-acoustic.com

BANDE PASSANTE RENDEMENT /


PPI (LA HAUT-
PUISSANCE VOIES
PAIRE) ± 3 dB PARLEURS
MODÈLES ACTIFS

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1990 € NC 89,5 dB 2,5 3

2199 € 58 - 28 000 Hz 87 dB 3 1 + 1 Uni-Q

2390 € 44 - 22 000 Hz 87 dB 2 2

3690 € 30 - 20 000 Hz -6 dB 93 dB 1,5 2

3750 € 70 - 20 000 Hz 83 dB 15 Ω 2 2

3990 € 40 – 23 000 Hz -6 dB 87 dB 2 2

4198 € 25 - 22 000 Hz -6 dB 86 dB 2 2

4350-
40 - 30 000 Hz 88 dB 2 3
4600 €

4 voies DSP
8199 € 17 - 25 000 Hz ±1,5 dB 560 W en 4 canaux
upgradable
6

12 000 € 29 - 27 000 Hz -6 dB 93 dB 2 1 coaxial

12 500 € 30 – 22 000 Hz 2x125W 2,5 3

14 800 € 30 - 25 000 Hz 91 dB 2,5 3

16 000 € 40 - 22 000 Hz 89 dB 1,5 2

C : Colonne. B : Bibliothèque. N : Néoclassique. A : Active. W : Wireless.


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L
a promesse de cette Filante 21 Tubular ? Procurer l’énergie L’écoute
d’une colonne, l’ouverture d’une bibliothèque. Devant le succès Dans nos extraits test du moment, une très belle pièce pour chœur et
de la Filante 17 Tubular, une compacte posée sur un pied muni orgue signée Poulenc, les Litanies à la Vierge noire enregistrées au
d’un tube résonateur (Diapason d’or, cf. no 718), l’idée de revenir réfectoire de l’Abbaye de Royaumont qui abrite un grand Cavaillé-Coll
avec un modèle encore plus ambitieux a fait son chemin. La colonne de 1864 (extrait D). Sur les Filante 21 Tubular, l’orgue respire comme
Filante 21 prête son tweeter, un modèle à dôme en tissu enduit un orgue, le grave est à la fois léger, profond, diffus et omniprésent,
de 25 mm animé par un moteur dépourvu de ferrofluide. Ce point les voix sont décorrélées, distribuées harmonieusement dans l’espace
a son importance : si le ferrofluide, ce liquide magné- de la salle en pierre formant nef. A bas comme à fort
tique placé dans l’entrefer du moteur protège le twee- niveau, ce même sentiment d’immersion spatiale et de
ter en refroidissant la bobine, il la freine aussi – la respiration du son se produit. C’est très différent de
dynamique avec. Pour Olivier Ostré, son concep- l’écoute d’une colonne qui va donner quelque chose de
teur, pas de ferrofluide ; si le tweeter est bien filtré, très tonique, mais aussi plus en dedans comparative-
le résultat est sans comparaison, libéré. Nouveau, ment. La pièce contemporaine Mar’Eh pour violon et
en revanche, le 21 cm bi-cône de cette version dont orchestre trouve ici à s’exprimer dans ses nuances les
la courbe de réponse à l’air libre est linéaire entre plus fines. La capacité des Filante 21 Tubular à transcrire
60 Hz et 15 kHz (±2,5 dB). Un évent est percé dans micro et macro dynamiques, mais aussi les informations
le plancher de la caisse, connecté au pied tubulaire d’espace et de temps, donne à comprendre tout le travail
accordé comme un tuyau d’orgue. En résulte un d’écriture et de mise en place de Matthias Pintscher (ex-
double accord dans le grave pour le 21 cm, à 48 Hz trait B). Voudrait-on s’approcher de la musique vivante,
à -3 dB sous la caisse et 30 Hz à -6 dB au pied du on en a ici la faculté. Voudrait-on davantage, il faudrait
tube. Un record pour un 21 cm à membrane papier alors dépenser tellement plus.
et suspension petits plis. Dans le haut, un filtre
conduit l’énergie du 21 cm pour le faire monter le Les + : L’expérience d’un espace décuplé.
plus haut possible, épaulé par le tweeter à partir de Les - : En dépassant les idées reçues (+).
4,5 kHz dans une configuration dite une voie ½.
Faussement simple, sophistiqué en réalité. pieraudio.com

FRÉQUENCES DE TYPE C / B / A DIMENSIONS POIDS


BI-CÂBLAGE CHARGE

Nos extraits test


COUPURE /P/W LxHxP cm en kg

2500 Hz NON Bass-reflex B 18x28,4x29,3 7,0

NC NON Bass-reflex C 25,8x87,1x21,5 14,1


Cinq extraits musicaux sont cités dans ces pages,
choisis pour recouper des critères tels que vérité
420 Hz / 2300 Hz OUI Bass-reflex B 20x42,2x33,6 12,4 des timbres, étendue du spectre, dynamique,
scène sonore…
2800 Hz NON Bass-reflex B 24x39x27 11,0

A. Maurice Ravel : L’Heure espagnole


4500 Hz NON Bass-reflex & laminaire C 26,8x131x36,8 NC (Introduction et scène 1). Les Siècles,
François-Xavier Roth. Harmonia Mundi.
3000 Hz NON Close B 19x30,4x16,5 5,5 Disponible en CD et sur Qobuz en 24 Bits/96 kHz.

2700 Hz NON Bass-reflex B 25x49,1x38,5 16,0


B. Matthias Pintscher : Mar’Eh pour violon
NC NON Bass-reflex C 20x90x18 13,0
et orchestre. Ensemble Intercontemporain,
Matthias Pintscher. Alpha.
Disponible en CD et sur Qobuz en 24 Bits/48 kHz.
3400 Hz NON Bass-reflex C 23x97x31 19,0

CAW WISA C . Franz Schubert : Winterreise (« Gute Nacht »).


Entrée 20x118x33,5
NC
directe XLR
Bass-reflex Hub wifi
Pieds 31
27,2 Dietrich Fischer-Dieskau (baryton), Gerald Moore
Streamer (piano). Deutsche Grammophon. Disponible
en vinyle, CD et sur Qobuz en 16 Bits/44.1 kHz
1100 Hz OUI + Masse Bass-reflex N 39,7x85,5x36,8 33,2

CAW Streamer
D. Francis Poulenc : Litanies à la Vierge noire.
Entrées ligne UPnP/DLNA, Ensemble vocal Aedes. Louis-Noël Bestion
RCA/XLR, wifi LAN, de Camboulas (orgue), Mathieu Romano. Aparté.
NC S/PDIF, Bass-reflex AirPlay 2, 21,6x97,2x34,3 21,0
Toslink, Spotify, Tidal
Disponible en CD et sur Qobuz en 24 Bits/96 kHz.
HDMI-eARC Cnct,
Roon ready
E. Gabriel Fauré : Requiem (In paradisum).
Ensemble vocal de Lausanne, Sinfonia Varsovia,
200 Hz / 2200 Hz OUI + Masse Ligne d’onde C 24x118x33 45,0
Michel Corboz. Mirare. Disponible en CD
et sur Qobuz en 16 Bits/44.1 kHz.
10 000 Hz NON Bass-reflex B 27,6x48x40,6 16,0

I 113
● banc d’essai

AUDIOMASTER 21 LS3/5A 40E ANNIVERSAIRE

A
u firmament des icônes de la haute-fidélité, la LS3/5A occupe médiums B110/1003 sont reconstruits à l’identique des anciens Kef.
une place couronnée par une page de référence dans Wikipedia Le crossover est une copie conforme aux spécifications originales
et un forum dédié (ls3-5a-forum.com). Il faut dire que cette BBC RD1976/29 à base de composants New Old Stock Philips
mini deux voies close, développée par la BBC au milieu des années et ERO. L’assemblage main est entièrement réalisé en Italie.
1970, a connu une descendance multiple, fabriquée en licence par 40 paires par continent sont produites, soit 200 paires au total.
l’anglais Rogers puis des marques telles que Spendor, Chartwell,
Audiomaster, Harbeth, Goodmans, Richard Allan, Stirling et Kef. L’écoute
Kef par ailleurs fournisseur des deux transducteurs : le B110, 83 dB de rendement seulement, pas de première octave (la LS3/5A
un grave-médium de 13,3 cm à cône en Bextrène et un tweeter descend à 70 Hz à -3 dB), mais quel son ! Que l’on pénètre avec Ravel
T27 à dôme Mylar de 19 mm relié à 3 kHz par un filtre relativement dans la boutique de l’horloger de Tolède (extrait A) ou que l’on se glisse
complexe comprenant trois inductances dont une à enroulements avec Poulenc au cœur de l’Abbaye de Royaumont pour les Litanies
multiples (auto transformer). Il existe deux versions de LS3/5A et de à la Vierge noire (extrait D) l’émotion envahit chaque instant. On
B110 en 15 Ω, puis en 11 Ω à partir de 1987, la première la plus pri- n’ira pas jusqu’à prétendre qu’on y ferait tenir un symphonique inter-
sée. Dans les années 1950-1960, Audiomaster était une marque prétant du Stravinsky, mais l’illusion est telle, la formule si belle que
généraliste en audio ; elle fait partie des premières, après Rogers, l’on « voit » devant soi se mettre en place une miniature
à avoir fabriqué des LS3/5A sous la conduite de Robin Marshall, faite de timbres raffinés, de profondeur et de plans so-
ingénieur du son à la BBC. Mais la LS3/5a, désormais nores dessinés avec un soin extrême. Et ça marche,
Audio Master 21 LS3/5A 40th Anniversary, c’est tant les timbres sont magnifiés, le texte parfaitement
l’histoire d’une marque qui renaît quarante ans lisible et articulé, le son raffiné, classieux, non fati-
plus tard, en 2018, en Italie grâce à trois passion- gant, non intrusif, et toujours joliment respirant. On
nés. Massif, dense, son coffret aux parois d’épais- ne devient pas une icône par hasard, preuve en est :
seur 8 mm en multiplis plaqué palissandre se quarante ans après, la magie est bien là.
double d’une couche de 8 mm de bitume pour
être inerte. Les parois avant et arrière sont fixées Les + : Cette manière unique de poser le son.
à l’aide de vis en laiton doré ; le cache dôme du Les - : Une enceinte éternelle (+).
tweeter est doré, et un carré de feutre évite les
réflexions parasites. Les tweeters T 27/1032 et les nextaudio.fr

EPOS ES14N

L
es marques naissent et parfois disparaissent, certaines 2700 Hz et résonne à 30 kHz, hors de la zone audible. Le coffret est
connaissent un destin compliqué. Epos fait partie de cette der- réalisé en MDF double couche, assemblé avec une colle amortis-
nière catégorie : fondée en 1983 en Angleterre par Robin sante. Idem pour la façade rapportée et chanfreinée pour diminuer
Marshall, vendue cinq ans plus tard à Mordaunt-Short, elle-même les vibrations. Très peu de matériau amortissant et un évent arrière
rachetée avec Creek Audio par TGI PLC qui revend l’activité à son accordé sur 38 Hz. Fidèle en mieux à l’ancienne ES-14.
fondateur Mike Creek en 1994, puis Epos en 1999 ; enfin, Mike
Creek cède à nouveau Epos à Karl-Heinz Fink en 2020, un Allemand L’écoute
à la tête de la société qui conçoit les enceintes FinkTeam. Un vrai Des qualités ? Affirmatif. En nombre. De l’autorité, un bon équilibre
feuilleton à la Game of Thrones ! End of the story ? Arrive un modèle tonal si l’on ne taquine pas l’extrême grave, une capacité avérée pour
deux voies compact, l’ES14N, unique représentant à ce stade de la ouvrir l’espace sonore, de la transparence et surtout une combinaison
nouvelle entité, réinterprétation de l’ancienne ES-14, à ce titre obser- rare de résolution et de respiration. Cette enceinte n’édulcore pas
vée avec intérêt et curiosité. Difficiles à classer dans la catégorie et, à ce titre, se rapproche d’une forme sinon de vérité, du moins
compactes tant les proportions sortent de l’ordi- d’honnêteté dans la restitution. Ainsi la voix du baryton
naire, les ES14N s’apparentent plutôt à des en- Dietrich Fischer-Dieskau accompagné par Gerald Moore
ceintes classiques posées sur des pieds dont on ne au piano dans Winterreise de Schubert au début des années
pourra faire l’économie si l’on veut en tirer tout 1970 nous est-elle apparue plus juste, moins embellie, moins
le parti. Hautes de 49,1 cm, larges de 25 cm et lissée qu’à l’habitude avec ses chuintantes et ses sibilances
profondes de 38,5 cm, elles se distinguent par une (extrait C). Un peu comme si la distorsion et le bruit recu-
face avant inclinée, à la fois pour effectuer une laient. Cet équilibre, cette véracité et cet espace, on les re-
bonne mise en phase des deux transducteurs et trouve à l’écoute des Litanies à la Vierge noire de Poulenc
les orienter au mieux vers un auditeur assis, en (extrait D), avec un chœur qui se déploie et un orgue mieux
tenant compte d’une hauteur de pied de 51,5 cm. qu’ébauché, physique et vibrant. Une belle résurrection.
Le grave-médium de 18 cm possède une membrane
polypropylène injectée de mica. Le moteur combine Les + : Un nouvel épisode fameux de la saga Epos.
ferrite et néodyme avec une large bobine pour aug- Les - : Une position pas évidente : compacte or not ?
menter l’efficacité. Le tweeter à dôme de 28 mm en
aluminium et céramique prend le relais à partir de delta-audio.fr

114 I
● banc d’essai

NEAT ACOUSTICS ELITE CLASSIC

L
e dernier passage d’une enceinte Neat dans Diapason, c’était L’écoute
en août 2019 avec le modèle Iota Alpha récompensé par un 86 dB n’étant pas un rendement élevé, il sera nécessaire de leur asso-
Diapason d’or (cf. no 682), atypique autant par sa forme que par cier un ampli avec du courant. Cette condition remplie, les Elite Classic
sa conception. Un petit tour sur le site du fabricant basé à Teesdale, feront preuve d’une belle respiration et d’une profondeur de scène
dans le nord de l’Angleterre, montre une gamme étendue, de la sonore enviable, révélatrice d’un très bon travail sur le filtrage et sur
bibliothèque à l’imposante colonne en charge isobarique. L’Elite la phase. Une telle propension profite à une œuvre comme L’Heure
Classic est une remise au goût du jour d’une enceinte colonne deux espagnole, opéra en un acte de Ravel qui nous transporte dans la
voies interrompue en 2016, relancée avec un nouveau tweeter à boutique d’un horloger de Tolède pour assister au dialogue entre le
aérostriction ou Air Motion Transformer (AMT), une invention signée Señor Torquemada et son client Ramiro. L’ambiance de la boutique,
du docteur Heil pour la marque américaine ESS en 1974. Le prin- le tic-tac des horloges, le tintement de leurs sonneries, tout ceci est
cipe : un diaphragme plissé avec un ruban conducteur est immergé assez crédible, tout comme les voix (ténor et baryton) des deux per-
dans un champ magnétique constant, de sorte que les sonnages. La scène sonore est respirante, l’équilibre tonal vire
plis se resserrent et se dilatent avec le signal audio, pin- vers le chaud, avec une légère bosse de présence dans le
çant l’air à plus de cinq fois la vitesse d’un ruban plan. bas-médium compensant un grave qui ne descend pas
Le boomer-médium associé a dès lors fort à faire pour outre-tombe. Ce que confirment les notes basses de l’orgue
rivaliser de vitesse. Dans l’Elite Classic, il s’agit d’un soutenant le chœur des Litanies à la Vierge noire (ex-
17 cm à ogive anti-tourbillonnaire pour une bonne trait D) : un 17 cm même bien chargé ne peut pas recréer
clarté du médium, membrane en papier traité et sus- les notes basses de cet instrument avec l’énergie requise.
pension petits plis pour rester rapide en charge bass- Le chœur, en revanche, bénéficie d’un espace bien préservé
reflex, avec un double accord débouchant sous l’en- et d’une certaine justesse de timbre. On aura donc plaisir
ceinte ; la réponse est généreusement indiquée comme à écouter ces enceintes associées à un ampli qui les porte
couvrant la bande 25 à 22 000 Hz à -6 dB. Le fabricant en avant, elles en valent le soin et l’investissement.
précise que la mise au point s’effectue par comparaison
in situ entre musique live et musique enregistrée. La Les + : Musicalité et espace à bonne proportion.
colonne, disponible en différentes finitions repose sur Les - : Demandent du courant (rendement).
une base posée sur des pointes, avec des entretoises
pour diffuser le grave à sa base. renaissens.com

APERTURA STELA

A
pertura, quarante ans en 2023, appartient à cette famille de L’écoute
marques qui constituent le patrimoine électroacoustique fran- Premier mot qui vient à l’esprit à l’écoute de ces élégantes colonnes ?
çais et participent à son rayonnement dans le monde entier. Authenticité. Tant spectrale que spatiale. L’impédance de 8 Ω, avec
Discrète et peu portée sur la grandiloquence, la marque installée à un minimum à 6 Ω, et le rendement de 88 dB rendent les Stela faciles
Puceul (Loire-Atlantique) fabrique toute une gamme d’enceintes à driver. Leur format mesuré – moins d’un mètre de haut et 23 cm en
allant de la bibliothèque Prélude Mini au navire amiral Enigma mkII façade – simplifie leur placement en faisant attention au fait que l’évent
– une colonne à la forme travaillée avec des flancs courbes et des débouche à l’arrière. Sans être abyssal, le grave est tenu, dense et ne
faces avant/arrière non parallèles, un principe de charge mixte entre traîne pas. A l’authenticité se combinent une belle neutralité de timbres,
bass-reflex et ligne acoustique, un montage deux voies de deux boo- un subtil accord entre équilibre, douceur et résolution, de quoi profi-
mers de 22 cm associés à un imposant tweeter à ruban, le tout tra- ter de la restitution sans se poser de questions. De quoi aussi porter
vaillé en profondeur avec des cavités internes, différents matériaux son attention davantage sur la qualité de la production des œuvres
amortissants et un filtre DRIM à triples pentes d’atténuation. Bien jouées (enregistrement et mastering) que sur celle du matériel. Car
que nettement plus modeste, la Stela reprend une partie des concepts les Stela ont la faculté de se faire oublier tout en étant bien présentes,
appliqués à sa grande sœur. Tout d’abord une topologie grâce à leur justesse et cette part d’authenticité qui les
deux voies trois haut-parleurs, avec deux grave-médium caractérise. Enregistré en août 1971, le duo piano-voix
de 16 cm d’origine Seas à cône Isotactic Matrix composé Gerald Moore et Dietrich Fischer-Dieskau est une réfé-
de lames de polypropylène tissées et enduites. Un tweeter rence en matière d’interprétation du Winterreise de
de 25 mm de type Ring Radiator, doté d’une double fer- Schubert (extrait C). Lu sur Qobuz et reproduit par les
rite et d’une cavité arrière de décompression, prend le Stela, il nous transporte dans un univers à la fois intime
relais de 3400 Hz à 30 kHz. L’ébénisterie en MDF de et feutré, tout en étant d’une présence, d’une lisibilité
18 mm est munie de renforts décrivant des cavités ta- parfaites. Cette minutie, cette authenticité, cette fraî-
pissées de quatre différents types de matériaux amor- cheur : c’est sans doute ça, l’élégance à la française.
tissants, et le volume interne est accordé en bass-reflex.
Le filtre DRIM aux composants de qualité audiophile Les + : Authentique et jamais dans l’excès.
présente trois pentes d’atténuation successives (6, 12, et Les - : Rien qui ne soit signifiant.
24 dB par octave) pour un bon respect de la phase et un
minimum d’intermodulation. apertura-audio.com

116 I
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● banc d’essai

SYSTEM AUDIO LEGEND


60.2 SILVERBACK WIRELESS + STEREO HUB

F
in 2019 : premier contact avec une en- iPhone). Plus étonnant en-
ceinte active conçue par le danois Ole core, la mise à disposition
Witthøft. Révélation, à l’époque, de la sur le site constructeur de
Legend 40 Silverback, une colonne active se profils RAM tweaks per-
caractérisant par son ampleur et son expres- mettant de reconfigurer les
sivité, autonome grâce au procédé WiSA de enceintes selon différents types de réponse et de comportement
transmission sans fil. Fin 2023 : place à la dynamique. Des profils à charger directement sur les enceintes via
grande sœur Legend 60.2 Silverback. Aussi le port USB du Silverback.
sobre que sa cadette, l’aînée se présente
comme une colonne haute et fine (118 cm L’écoute
et 20 cm) équipée de six haut-parleurs, avec Ces possibilités posent l’éternelle question de la quête d’un certain
de bas en haut quatre boomers et un médium réalisme, de la façon de définir cette notion. Une chose est sûre : ici
de 15 cm, et au sommet un tweeter à dôme l’outil, en l’occurrence les enceintes et l’électronique, ne sont pas les
avec amorce de pavillon. Cette apparente sim- maillons faibles. Avec 560 W par enceinte et une bande passante
plicité cache une conception soignée, depuis qui s’étend de 17 à 25 000 Hz (±1,5 dB) pour la version Silverback,
les parois courbes et la façade découplée System Audio propose une machine à reproduire le son dans toute
jusqu’au piètement en acier vissé posé sur son étendue dynamique et spectrale. La phase, gage d’une bonne spa-
des silent-blocks. En version passive à trois tialisation, est également maîtrisée, ce qui n’a rien d’une évidence en
voies au grave accordé en bass-reflex, la partant de traitements numériques aussi nombreux.
Legend 60.2 offre déjà de belles prestations : Nos essais ont été menés en direct XLR, puis à travers le Hub, avec
bande passante 30 à 25 000 Hz (±1,5 dB) avec différents profils de RAM tweaks, du RT100 en standard au
un rendement de 90 dB et puissance admis- RT200Max, le plus ouvert et le plus dynamique, avec un petit tour
sible de 560 W. Grâce à une suspension au vers le RT75 à tendance ronde et chaude. Si l’enceinte ne change pas
profil particulier et à un ensemble bobine/ fondamentalement d’équilibre, le passage d’une RAM à l’autre joue
moteur à grand débattement, System Audio sur la transparence et la dynamique instantanée. Le profil RT200Max
affirme que ses woofers déplacent 40 % d’air nous a semblé le plus convaincant pour approcher la sensation de la
de plus que ceux de la concurrence, et justifie musique vivante. Il permet d’écouter au niveau du concert en retrou-
son choix en précisant que plusieurs haut- vant ce qui en fait la spécificité : des sons rapides, non compressés,
parleurs de petit diamètre sont plus rapides bien distribués dans l’espace et surtout non freinés.
qu’un seul haut-parleur de grand diamètre. Le grave mérite une mention particulière, car il est rare qu’il soit aussi
A cette base, le modèle actif ajoute un bloc compact d’électronique profond, tendu et maîtrisé, n’intermodulant pas avec le registre mé-
Silverback, rendant celui-ci utilisable au choix en connexion filaire dium-aigu. Celui-ci reste très clair, en même temps articulé et non
(entrée XLR), ou en mode sans fil WiSA. Le Wireless Speaker and projeté, comme le montre le chœur d’enfants dans le In paradisum
Audio Association est un standard de transmission en 24 Bits/ du Requiem de Fauré avec l’orchestre lui aussi parfaitement en place
96 kHz adopté par de grandes marques d’électroniques et d’en- (extrait E). La pièce contemporaine pour violon et orchestre Mar’Eh
ceintes, capable de transmettre jusqu’à huit canaux simultanés, de Matthias Pintscher donne à entendre comme rarement les vir-
de la stéréo au Home cinéma en 7.1. System Audio propose en tuoses de l’Ensemble Intercontemporain dans tout leur génie musical
option Hub stéréo ou Hub surround. Le Hub stéréo joue plusieurs (extrait B) ; il y a ampleur, matière, variabilité spatiale, profondeur et
rôles : assurer la liaison sans fil vers les enceintes selon le proto- même une forme de magie procurée par des enceintes qui ne freinent
cole WiSA avec un temps de latence de 2,6 ms et un temps de pas les sons et donnent à l’ensemble une dimension physique. C’est
synchronisation de ±2 μs, se connecter en wifi pour attaquer le encore plus vrai si l’on attaque les enceintes en XLR avec un bon pré-
Hub en Chromecast, AirPlay 2, Spotify Connect, mais aussi en ampli, mais même à travers le Hub à partir de Qobuz casté via
UPnP/DLNA, Roon et Bluetooth. Il est en outre doté d’entrées MConnect, c’est déjà renversant. En synthèse, on dira que ces enceintes
analogiques RCA et mini jack, et de plusieurs entrées numé- sont rigoureusement efficaces et appliquées, à l’endroit le plus juste.
riques en 24 Bits/192 kHz dont une HDMI-ARC et une Quand la poudre parle, elle parle avec discerne-
USB-B. On le pilote avec une télécommande ment. Inutile, en outre, d’écouter fort, même si
Bluetooth, ou via l’application SA cockpit. leur talent est de jouer au niveau du concert. Elles
Le Silverback est un module qui prend place à seront plus à leur aise dans une belle salle, loin des
l’arrière de la colonne. Il assure la réception murs adjacents ; pour un local plus petit – moins
WiSA, le filtrage électronique, la correction nu- de 20 m² –, il y a toujours les petites sœurs. Les
mérique et l’amplification à quatre canaux – Legend 60.2 Silverback confirment que System
deux fois deux boomers, médium, tweeter – le Audio maîtrise son sujet de bout en bout, en restant
tout totalisant 560 W en classe D. La présence dans des budgets réalistes. Nouveau plébiscite.
d’un filtrage numérique confié à un DSP (Digital
Signal Processor) ouvre des possibilités quasi Les + : Le talent de révéler la musique en grand.
infinies d’intervention sur l’équilibre tonal via Les - : Le Hub toujours un peu « léger ».
SA cockpit, ou encore la correction acoustique dans
la bande 20-300 Hz (SA Room Service uniquement sur futureland.fr

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Le côté obscur de la Lune
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● banc d’essai

TANNOY STIRLING III LZ SPECIAL EDITION

Q
ue celui qui n’a pas un jour rêvé d’une paire de Westminster L’écoute
nous jette la première pierre. Ce modèle emblématique de la Soignée, cette version III LZ SE l’est vraiment, que ce soit l’ébéniste-
firme fondée par Guy R. Fountain en 1926, à l’ébénisterie rie renforcée, le filtre séparé pour les deux transducteurs autorisant le
incroyablement compliquée avec son pavillon arrière replié, fait bi-câblage avec prise de masse pour se mettre au potentiel de l’ampli.
encore rêver à une époque où le rétro est tendance et même chic. Ou encore les réglages prévus en façade pour modifier le niveau de la
Le premier haut-parleur Dual Concentric arrive plus tard, en 1947 ; chambre de compression de ±3 dB entre 1 kHz et 27 kHz (Treble
il est l’œuvre de l’ingénieur en chef Ronnie H. Rackham, et son Energy) comme la pente de +2 à -6 dB/octave entre 5 kHz et 27 kHz
succès ne sera jamais démenti. La première Stirling au Dual (Treble Roll off). Nous avons testé deux amplis différents. En premier,
Concentric de 10 pouces (25 cm) a vu le jour en 1983. Cette version un push-pull de transistors avec grosse alimentation : le résultat était
III LZ SE en reprend l’allure générale, celle d’une enceinte à poser bon, mais le grave manquait de structure et d’allant, nous invitant à
au sol avec une ébénisterie néoclassique qui comporte deux évents baisser le niveau de la chambre de compression. Ceci ne nous parais-
laminaires verticaux de chaque côté du haut-parleur concentrique, sant pas refléter le potentiel de cette enceinte, nous lui avons associé
de sorte que l’enceinte peut s’utiliser plaquée au un push-pull de tubes 300B : rétablissement total de l’équilibre, gain
mur. Son appellation fait référence au Dual en tonicité et en expressivité, décontraction du son qui ne
Concentric 10 inch Monitor Red LSU/HF/III-LZ semble plus poussé vers nous mais mis en place avec un
à basse impédance de 1961. Pour coller à la lé- surcroît de respiration et d’ouverture. A ce stade, l’écoute
gende, le modèle actuel reçoit de coûteux aimants des Litanies à la Vierge noire de Poulenc (extrait D) a
AlNiCo réputés pour leur son plus expressif. Au vraiment reflété ce que laisseraient entendre le chœur et
centre, une amorce de pavillon Pepperpot Wave l’orgue à l’Abbaye de Royaumont. On aurait juste apprécié
Guide en laiton, percée de petits trous, charge une d’être assis un peu plus bas, l’embouchure de la compres-
chambre de compression de 2 pouces à dôme en sion étant elle-même plus basse que, par exemple, sur le
alliage d’aluminium/magnésium. Le cône papier modèle Kensington GR. Une subtile question de hauteur...
du boomer de 25 cm à suspension double prolonge
cette amorce afin d’obtenir une dispersion homo- Les + : Corps, matière, et quelle vie.
gène dans toute la gamme de fréquences repro- Les - : Prévoir un canapé bas.
duite, de 29 à 27 000 Hz à -6 dB, avec une transition
à 1100 Hz et un rendement de 93 dB. europe-audio-diffusion.com

VIENNA ACOUSTICS MOZART INFINITY

A
u High End de Munich où elles étaient présentées en mai 2023, L’écoute
les Mozart Infinity diffusaient sans effort une musique ample Le DAC fait appel à une puce ESS ES9038Q2M 32 Bits qui lui per-
et légère, dans un vaste salon d’angle aux larges baies vitrées. met de lire des contenus jusqu’en 24 Bits/384 kHz, tandis que le
Une première pour l’entreprise fondée à Vienne en 1989 par Peter streamer accède aux plateformes Spotify Connect, Tidal Connect
Gansterer que ces colonnes actives connectées discrètes en appa- et Airable radio, tout en étant compatible UPnP/DLNA, AirPlay 2 et
rence, dérivées pour la partie acoustique des modèles passifs Mozart Roon ready, en attendant Qobuz. On pilote les Mozart Infinity à
Grand Symphony Edition. Principal changement avec ces der- l’aide de l’application Vienna App, en Roon (avec un Roon core) ou
nières : de nouveaux haut-parleurs grave-médium de 15 cm qui avec une application compatible type MConnect. L’App Vienna ouvre
troquent la membrane transparente Spider-Cone X3P pour une un large éventail de corrections parfois redondantes. Autres réglages
membrane de même diamètre pas moins originale, puisque consti- que l’on prendra soin de maintenir sous le niveau maximal de crainte
tuée d’un cône composite en TPX sur lequel est rapporté un anneau de provoquer une saturation, les réglages Input trim prévus pour
de quelques millimètres d’épaisseur. Un tweeter à dôme en soie harmoniser le niveau de toutes les sources entre elles. La mise en
enduite de 28 mm complète l’équipement en transducteurs de cette réseau wifi est simple, l’application répond sans délai. Qobuz lu par
colonne chargée en bass-reflex. Le filtre reste passif ; MConnect va de bon à très bon combinant un niveau satisfaisant
structuré en 2,5 voies, il utilise des composants tels d’aération et d’incarnation. S’agissant du rapport encombrement/
que condensateurs MKP, bobines à air, et résistances musicalité, le bilan est flatteur : les Mozart Infinity se montrent
à film métallique à tolérance 1 %. L’amplification équilibrées, aériennes et détaillées. Sans être des monstres de puis-
totalise 2x125 W en classe D. Toute l’électronique, y sance sonore, il n’y a pas lieu de les pousser sous peine d’enlever
compris la partie DAC/streamer, est incluse dans l’en- ce qui fait leur grâce : un son qui n’est ni petit ni tassé, étonnant
ceinte principale ; seuls les filtres passifs demeurent de profondeur, avec un côté élégant et raffiné. Pour esthètes en
localisés dans les deux enceintes. La liaison de l’en- mal d’encombrement, un premier essai qui fera date dans l’his-
ceinte maître vers l’enceinte esclave nécessite juste toire de la marque.
un câble haut-parleur fourni, et un câble secteur pour
l’enceinte maître en wifi, sachant que la liaison Les + : Autonomes, musicalement séduisantes.
Ethernet est possible. L’enceinte comporte en outre Les - : Tarif élevé comparé à la concurrence.
des entrées analogiques RCA et XLR et des entrées Manque Qobuz dans cette version.
numériques 24 Bits/192 kHz coaxiale, optique et
HDMI-eARC pour un téléviseur. audiomarketingservices.fr

120 I
Vendredi 12 et Samedi 13 Janvier 2024
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● banc d’essai

JEAN-MARIE REYNAUD ORFÉOGRANDE

L
a hi-fi, c’est comme la mode : tout en bas, la fast-fashion avec L’écoute
des modèles qui se suivent puis s’oublient ; au sommet, la haute Ce soin procure au grave une ampleur et une légèreté peu communes,
couture où il est vulgaire de parler argent ; au milieu, le prêt- alors même qu’il peut descendre à 30 Hz à -3 dB. L’enceinte monte
à-porter de luxe où les maisons rivalisent dans l’art de la belle confec- à 25 kHz avec la même belle expressivité, une excellente vitesse d’éta-
tion. Avec son modèle OrféoGrande, sixième itération d’une ligne blissement des sons et une absence audible de distorsion, tout en
lancée en 2006, le fabricant de Barbezieux-Saint-Hilaire incarne brillant par une exécution précise de la complexité spectrale des sons,
à la perfection l’esprit d’une maison animée par deux générations et dans l’établissement d’un espace sonore plus grand que les enceintes.
successives de Reynaud, le père et le fils. Lancées fin 2021, les Dans sa sixième incarnation, encore plus poussée question neutralité,
OrféoGrande succèdent au modèle Orféo Jubilé en conservant la linéarité, dynamique et ouverture, l’OrféoGrande nous a procuré
même allure générale, celle d’une colonne mettant en œuvre trois un intense plaisir sensoriel, se comportant d’une manière absolument
haut-parleurs dont un tweeter AST (aérostriction), qui prend implacable vis-à-vis d’enregistrements manquant de transparence
le relais à 2,2 kHz. Ce tweeter est monté en tête de colonne et de rigueur dans l’exécution. En revanche, quelle satisfac-
dans une ogive débafflée avec une enveloppe en alumi- tion lorsque les conditions sont réunies ! Les OrféoGrande
nium. Deux boomers-médium de 18 cm occupent la co- ne trichent pas, n’édulcorent pas : ce sont des haut-
lonne ; leur cône est fait de sept couches de carbone parleurs intraitables, réalisant une fusion des différents
et de peek (Polyétheréthercétone) avec traitement au registres aussi parfaite que la distribution dans l’espace.
plasma et ogive anti-tourbillonnaire en aluminium pour Avec la pièce Mar’Eh pour violon et orchestre, l’Ensemble
celui en charge du médium. Le second boomer double Intercontemporain dirigé par Matthias Pintscher traduit
les premières octaves jusqu’à 200 Hz, en configuration bien ces traits (extrait B) : c’est un festival des sens com-
2,5 voies. La charge consiste en une ligne triangulaire binant délicatesse et énergie, complexité et vigueur, assor-
accordée (quart d’onde) débouchant sur un évent lami- ties d’une sensation troublante de matérialisation dans
naire frontal, dépourvue de matériau absorbant pour la salle d’écoute. La haute confection à la française.
une plus grande vitesse d’écoulement du son. Pour
rendre la colonne inerte, la caisse en bois s’habille d’une Les + : Une sixième génération toujours plus affinée.
épaisse feuille d’aluminium pliée avec une couche Les - : Invitant à sortir des sentiers battus (+).
de matériau viscoélastique, la même chose pour le
socle, d’où une bonne isolation par rapport au sol. jm-reynaud.com

ILUMNIA VOCALIS MKII NE

L'
an dernier à la même époque, nous testions une colonne tail- (±2 dB), un réglage Mid Adjust centré sur 2200 Hz (-3 dB) et un réglage
lée dans du contreplaqué marine, portant à son sommet un High Adjust baissant l’aigu de 1,5 ou 3 dB entre 2,2 et 20 kHz. Le ré-
haut-parleur inédit, sans suspension périphérique ni spider. glage du grave s’obtient par la position de l’évent : affleurant, il coupe
Le LEMS, pour Linear Excursion Motor System, est un large bande à 49 Hz ; poussé vers l’intérieur de 4 cm, ce sera vers 46 Hz ; sorti
de 20 cm muni de deux bobines concentriques, la première pour (retiré), il coupe à 51 Hz mais provoque une surtension d’un bon dB
mouvoir le cône, la seconde jouant le rôle de « suspension électro- entre 50 et 100 Hz. Dans notre local de 35 m², le meilleur équilibre a
magnétique ». Ce surdoué couvre une bande linéaire entre 35 Hz été atteint en retirant le tube de l’évent, la clé sur Warm, le réglage Mid
et 9,5 kHz, fréquence où intervient un tweeter en soie à dôme souple à -1 dB et le réglage High sur Flat. L’ajustement paraît minime mais
placé dans une ogive à l’endroit précis où il fusionne avec le LEMS s’entend vraiment, preuve que ce LEMS est fin et transparent. Nanti
jusqu’à 22kHz. Ce LEMS est le fruit de huit années de développe- de tout ceci, nous retrouvons nombre des qualités exceptionnelles de
ment des frères Tom et Jef Nuyts à la poursuite d’un rêve : créer un ce transducteur, parmi lesquelles ce côté subtil, aérien, ultra sensible
haut-parleur large bande libéré des contraintes mécaniques, libre et résolutif, capable avec L’Heure espagnole de repousser les murs à
comme l’air en somme. Totalement abouti sur la colonne la manière d’un panneau et recréer comme jamais l’ambiance de la
Magister MkII (Diapason d’or, cf. no 718), ce LEMS in- boutique de l’horloger de Tolède « comme si on y était » (extrait
tègre une enceinte plus compacte, à poser sur pied, la A). Par rapport à la Magister MkII, la compacte marque un
Vocalis MkII NE. Minces sont les différences, dans la peu le pas dans le grave (40 Hz contre 30 Hz à -3 dB), ce qui
découpe des tronçons de bois et dans la disposition des n’a rien d’étonnant, mais ajoute 2 dB en rendement (89 dB
deux transducteurs à l’inclinaison calculée pour une contre 87 dB). Le côté magique de la Magister MkII tient à
couverture spatiale idéale et une directivité minimale. cela mais aussi au contrôle modifiable de la suspension
Le contrôleur de suspension électromagnétique intègre qui permet de s’approcher encore plus de l’effet concert. La
le corps de l’enceinte, il faut donc brancher l’une et l’autre Vocalis MkII NE le fait en moins grand, en à peine moins
sur le secteur en plus du câble HP qui les relie à l’ampli. raffiné. Vous savez tout.

L’écoute Les + : Un haut-parleur libre comme l’air. Unique.


On trouve à l’arrière de la Vocalis MkII NE des réglages per- Les - : A écouter sans œillères (+).
mettant d’adapter la courbe de réponse au local : une clé
à trois positions Thin-Neutral-Warm centrée sur 160 Hz musikii.com

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LE GUIDE radio

Les concerts sur France Musique


Du 1er au 27 janvier 2024
LUNDI 1er SAMEDI 6 JEUDI 11 MERCREDI 17 MARDI 23
11 h 15 En direct 20 h Vienne, Staatsoper, 20 h Paris, Théâtre des 20 h Paris, Cité de la musique, 20 h En direct de la
du Musikverein de Vienne. 12/10/23. Puccini : Turandot. Champs-Elysées, 24/10/23. 12/1/24. Crumb, Reich, Philharmonie de Paris.
« Concert du Nouvel An ». Grigorian, Kaufmann, Rachmaninov, Prokofiev. Vrebalov, Jlin, Smith, Brahms, Dvorak. Médouze
Orch. philh. de Vienne, Mkhitaryan. Chœur et Orch. Kissin piano, Orch. national Spruance… Kronos Quartet. violon, Orch. national
dir. Thielemann. de l’Opéra d’Etat de Vienne, de France, dir. Macelaru. d’Ile-de-France,
20 h. Francfort, Alte Oper, dir. Armiliato. JEUDI 18 dir. Scaglione.
28/4/23. Mozart, Strauss. VENDREDI 12 20 h En direct de la Maison
LUNDI 8 de la Radio. Eötvös. Wilson
MERCREDI 24
Mühlemann soprano, 20 h En direct de la Maison
Orch. symph. de la Radio 20 h Lisbonne, Fondation récitant, De Maistre harpe, 20 h Paris, Cité de la musique,
de la Radio. Mozart,
de Francfort, dir. Peltokoski. Galouste Gulbenkian, Kammerloher mezzo-soprano, 13/1/24. Marathon « 50 for
Prokofiev. Tamestit alto,
15/11/22. Vustin, Stoklossa ténor, Maîtrise, the Future ». Quatuor
MARDI 2 Orch. philh. de Radio France,
Janacek, Silvestrov, Chœur et Orch. philh. Métamorphoses, Quatuor
violon et dir. Kavakos.
20 h Paris, salle Cortot, Beethoven, Dvorak. de Radio France, dir. Madaras. Mona, Quatuor Ragazze,
22/11/23. Purcell, Caldara, Andsnes piano. SAMEDI Quatuor Zaïde.
Monteverdi… A. Chance VENDREDI 19
contre-ténor, Les Ombres, MARDI 9 20 h Paris, Théâtre des JEUDI 25
Champs-Elysées, 14/11/23. 20 h En direct de la
dir. Blanchard et Sartre. 20 h Stockholm, Philharmonie de Paris. Bruch, 20 h En direct du Théâtre
Mozart : La Flûte enchantée. des Champs-Elysées.
MERCREDI 3 Berwaldhallen, 16/9/23. Dubois, Mühlemann, Berlioz. Benedetti violon,
Guerrero, Victoria, Schütz, Orch. national de France, Roussel, Orff. Mühlemann
20 h Paris, Cité de la musique, Teitgen, Karrer, Mauillon… soprano, Rexroth contre-ténor,
Haydn, Philips, Palestrina, Les Siècles, dir. Roth. dir. Macelaru.
25/11/23. Nono, Sciarrino, Monteverdi… Chœur Tézier baryton, Chœur
Bach, Kurtag, Webern, de la Radio Suédoise, LUNDI 15 SAMEDI 20 et Maîtrise de Radio France,
Crumb… Kopatchinskaja dir. Bradford. Orch. national de France,
20 h Berlin, Philharmonie, 20 h Paris, Opéra-Bastille,
violon, Ensemble dir. Yamada.
12/2/23. Debussy, Poulenc, 18/12/23. Offenbach :
Intercontemporain, dir. Bleuse. MERCREDI 10 Les Contes d’Hoffmann.
Couperin, Saint-Saëns. VENDREDI 26
JEUDI 4 20 h Genève, Victoria Hall, Rondeau clavecin, Bernheim, Van Horn, Yende,
1/10/23. « Joyeux Willis Sørensen, Dennefeld, 20 h En direct de la
20 h En direct de la Maison Ospital orgue, Philharmonie de Paris.
de la Radio. Beethoven : anniversaire, Michael Deutsches Symphonie- Mortagne, Brower…
Jarrell ! » Françoise piano, Chœur et Orch. de l’Opéra Rachmaninov,
Symph no 9. Reiss soprano, Orchester Berlin, Goubaïdoulina. Capuçon
Romberger mezzo-soprano, Wurtz trompette, Haft violon, dir. Jacquot. national de Paris,
Suh soprano, Ensemble dir. Sun Kim. violon, Orch. philh. de Radio
König ténor, Rose basse, France, dir. Saraste.
Chœur et Orch. philh. Contrechamps, dir. Pomàrico. MARDI 16
de Radio France, dir. Franck. 21 h Paris, Maison de la Radio, 20 h Paris, salle Cortot, LUNDI 22 SAMEDI 27
26/11/23. Ligeti, Bartok. 19/12/23. « Buenos Aires 20 h Helsinki, Musiikkitalo, 20 h Paris, Cité de la musique,
VENDREDI 5 Richardot mezzo-soprano, Madrigal ». 12/1/24. Bach, Salonen, 6/1/24. Purcell : The Fairy
20 h Paris, Maison de la Radio, Zaoui, Fouchenneret pianos, Mancini mezzo-soprano, Strauss. Latry orgue, Orch. Queen. Solistes du Jardin
12/11/23. Bach : L’Art de Musiciens de l’Orch. national Zanasi ténor, La Chimera, symph. de la Radio des voix, Les Arts florissants,
la fugue. Daudet piano. de France. dir. Eguëz. finlandaise, dir. Salonen. dir. Agnew.

Chef de rubrique (hi-fi) : Vincent COUSIN Directeur de la publicité (disques, concerts, PRÉ PRESSE / PHOTOGRAVURE
Rédacteur : Jean-Christophe PUCEK festivals, instruments) : Etienne GANUCHAUD Chef de service : Sylvain BOULARAND
Rédacteur – Secrétaire de rédaction : Directrice de clientèle hi-fi, Club hi-fi :
Loïc CHAHINE
FINANCE MANAGER
Olivia MORENO Géraldine PELLERIN
Une publication du groupe Reworld Media Secrétariat : Laetitia BONIS-DATCHY Assistante de publicité : Christine AUBRY
VENTE AU NUMÉRO 10-31-1282
Ont collaboré à ce numéro : Vincent Agrech, MARKETING Responsable marché : Siham DAASSA Certifié PEFC
Jérôme Bastianelli, Karol Beffa, Bertrand Boissard, Chef de produit : Giliane DOULS Ce produit est issu
N° ISSN : 1292-0703 de forêts gérées
Pascal Brissaud, Jean-Yves Clément, durablement et de
Commission paritaire : 0220 K 87093 sources contrôlées.
Gérard Condé, Isabelle Davy, Frédéric Degroote, ABONNEMENT : Dépôt légal :
pefc-france.org

ÉDITEUR Paul de Louit, Nicolas Derny, Luca Dupont-Spirio, Tél. : 01 46 48 47 60 décembre 2023
REWORLD MEDIA MAGAZINES (SAS) Benoît Fauchet, Wissâm Feuillet, Sylvain Fort, Du lundi au samedi de 8h à 20h Prix de vente : 9,90 €
40 avenue Aristide Briand - 92220 BAGNEUX Julien Gobin, Jean-Philippe Grosperrin, E-mail : formulaire sur www.serviceabomag.fr Date de parution :
Directeur de la publication : Gautier NORMAND Bertrand Hainaut, Thomas Herreng, Courrier : Service Abonnement Diapason 21 décembre 2023
Actionnaire : Président Reworld Media France Jean-Claude Hulot, Anne Ibos-Augé, 59 898 Lille Cedex 9
(RCS Nanterre 477 494 371) Piotr Kaminski, Marc Lesage, Julia Le Brun, Prix de l’abonnement France 1 an (11 numéros) :
Tél. : 01 41 33 50 00 Rémy Louis, Denis Morrier, Hugues Mousseau, 64,90 €. Dom-Tom et étranger : nous consulter
www.diapasonmag.fr Laurent Muraro, Pierre Rigaudière, A compter du 1er mai 2021, le prix des
Guillaume Saintagne, Michel Stockhem, abonnements mensuels à l’offre Diapason d’or CD Affichage Environnemental
RÉDACTION Patrick Szersnovicz, Roger-Claude Travers, + CD Indispensables passera au maximum Origine du papier Allemagne
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Didier Van Moere.
Rédacteur en chef : Emmanuel DUPUY trimestriels passera au maximum à 21,90 € TTC Certification PEFC
Calendrier des concerts, guides : DIRECTION ÉDITION Impact sur l’eau Ptot 0,016kg/tonne
Pierre-Etienne NAGEOTTE : Editeur : Germain PÉRINET FABRICATION
calendrier.diapason@reworldmedia.com Editeur adjoint : Charlotte MIGNEREY Directeur des opérations industrielles :
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Ivan A. ALEXANDRE Directeur exécutif régie : Imprimeur : Maury Imprimeur, ZI Route d’Etampes,
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I 127
● livres

Tout un monde lointain


Le Monde de Bach par Gilles Cantagrel. Fugue, 591 p., 28 €. manque à l’appel. L’amateur plus
L’ouvrage aurait pu s’intituler « dictionnaire amoureux », tant le regard confirmé s’arrêtera sur des articles
porté par Gilles Cantagrel sur son auguste sujet est affectueux. Il est abordant des sujets moins souvent trai-
savant tout autant, fruit d’une existence dédiée à l’exploration de tés : citons, par exemple, « Ecriture et
l’œuvre du Cantor, à la tentative de cerner l’homme sur lequel les graphologie », long développement ins-
sources sont si avares d’informations. Suivre Bach, c’est s’en remettre piré d’un article de Jean Rivère (1950)
à des petits cailloux blancs pour trouver son chemin. Exactement ce tentant d’appréhender la personnalité
que propose ce livre au fil de ses entrées, alphabétiques ou thématiques. du Cantor au travers de ce que révéle-
Certaines nous renvoient à l’époque du musicien, au travers des lieux raient les documents autographes ; ou, hélas plus bref, « Images,
qu’il a fréquentés, des personnages qu’il a côtoyés ; d’autres nous ra- tableaux et icônes » qui interroge l’univers visuel d’un compositeur
mènent à la nôtre en évoquant, par exemple, les enjeux de l’interpré- dont on aimerait savoir avec quelles œuvres picturales, hormis celles
tation (articles « Authenticité », « Effectifs », « Instruments et instru- de Lucas Cranach l’Ancien, il a pu être en contact, soit en direct, soit
mentarium ») ou les spéculations sur le contenu plus ou moins caché par la gravure, médium de diffusion encore très usité au XVIIIe siècle,
de son œuvre (articles « Numérologie » et tous ceux qui s’attachent et quel impact elles ont pu avoir sur sa sensibilité.
à la symbolique des instruments, voix et figures). L’ouverture à des sujets thématiques partant de l’œuvre (« Gute Nacht »)
Une des réussites de ce projet est d’être à la fois assez abordable et suf- ou de témoignages (« Jouer la note juste ») rend vivante la lecture de ce
fisamment pointu pour s’adresser à une large audience. Le débutant Monde de Bach, loin du caractère parfois aride que peut parfois revêtir
y déambulera sous la ramure imposante d’un arbre généalogique un dictionnaire. Au final, voici un guide précieux que l’on peut picorer
touffu, d’aïeux en cousins, d’épouses en fils, y glanera les données à sa guise ou lire d’une traite sans éprouver la moindre lassitude.
essentielles sur chacune des œuvres les plus célèbres – aucune ne Jean-Christophe Pucek

Schubert par le (tout) Pianos d’un autre temps


petit bout de l’histoire Une histoire du piano de Stein à Steinway par Joël Rigal.
Franz Schubert par Isabelle Werck. Bleu nuit, 175 p., 25 €. Editions de la Flandonnière. 48 p., 24 €.
Hésitant entre chronologie et thématisme, Disciple et partenaire de scène de Paul Badura-Skoda, Joël Rigal
cette brève biographie se résume surtout dresse une synthèse précise de l’histoire du piano, de son invention
à un recueil d’anecdotes émaillées de clichés vers 1710 par Bartolomeo Cristofori aux Steinway qui continuent
(« l’humour de Haydn », la « pédagogie de hanter les salles de concert. Si son évocation ne s’étend guère
archi-italienne » de Salieri) et saupoudrées au-delà de la célèbre marque, c’est qu’il considère qu’entre 1880
d’un vernis historique des plus succincts. et 1920 « l’instrument acquiert sa forme définitive, celle du piano
Faute d’analyse – l’instiller dans un ouvrage moderne », la suite n’étant qu’une question de « procédés
de vulgarisation est un véritable art, que de fabrication ». Le pianiste distingue une petite dizaine de modèles
l’autrice ne paraît pas réellement maîtriser –, emblématiques, à commencer par celui de Johann Stein, qui met au
les œuvres sont décrites à coups d’adjectifs point la mécanique viennoise, synonyme d’« un jeu volubile et aisé ».
lyrico-poétisants ou de jugements Anton Walter, sur les instruments duquel Mozart compose et joue
à l’emporte-pièce : « un peu fou », le plan tonal ses grands concertos, Erard, inventeur du double échappement
de la Symphonie no 3 ? « Exagéré, presque inadéquat », – qui permet des notes répétées d’exécution facile –, Pleyel, marque
le titre de « Tragique » donné par le compositeur à sa 4e favorite de Chopin, Bechstein, dont la sonorité sensuelle fit le bonheur
(on oublie de nous préciser que ce titre est venu de Debussy, et Heinrich Steinweg (dont le nom s’américanisera
ultérieurement) ? « Sympathique », la 5e ? « Bien écrites en Henry Steinway) : autant de jalons de la facture passés en revue
mais un peu passe-partout » les quatre premières messes ? par Joël Rigal. Agrémenté d’une iconographie
Allons bon. Puis pourquoi cette manie de n’appréhender soignée, ce petit livre qui dit beaucoup de choses
le compositeur qu’en regard de la première « trilogie en peu de pages comprend aussi un CD,
viennoise » voire, pire, de Mendelssohn ou Schumann, dans lequel l’auteur joue sur plusieurs
Brahms ou Dvorak ? De le comparer à Brassens, instruments des marques évoquées des pièces
en réduisant ces deux artistes au qualificatif de « faiseurs de Mozart à Lucien Guérinel, en passant par
de chanson » ? On l’aura compris, le ton tend au familier, Brahms et Ravel : une manière pour le lecteur
voire au vulgaire, et l’on ne sait ce qui heurte le plus, de comparer les timbres aussi riches que divers
de la « chérie » et des « copains » du compositeur, de ces « témoins directs de la réalité sonore
de son « paternel » ou des pensées « basiques » quotidienne des compositeurs et des interprètes
de Goethe sur ce que doit être une version musicale d’antan ». Bertrand Boissard
de ses mots. Anne Ibos-Augé

128 I
« A mon grand-père »
Emmanuel Chabrier par Francis Poulenc Les Mille et un opéras
et Jean-Philippe Biojout. Bleu nuit, 176 p., 25 €.
Francis Poulenc publie en 1961
un Emmanuel Chabrier, avec le dessein
ont vingt ans
« de faire aimer autant qu’admirer » celui Mille et un opéras par Piotr Kaminski.
qu’il considère comme son « grand-père Fayard, 1800 pages, 36 €.
musicien ». Aux anecdotes et témoignages Il est rare qu’un livre soit désigné du
glanés auprès d’artistes qui l’avaient nom de son auteur, comme un compa-
directement connu, comme André gnon familier. C’est le cas des Mille
Messager ou Ricardo Viñes, s’ajoutent et un opéras parus chez Fayard il y a
la consultation des manuscrits tout juste vingt ans : très vite, on s’est
du compositeur, certains alors entre mis à l’appeler « le Kaminski », comme
les mains de la famille (œuvres inachevées on dit le Littré ou le Gaffiot.
ou inédites) ou de collectionneurs privés Cette somme colossale de quelque
(Roland Manuel pour une orchestration 1800 pages, condensé d’érudition
de la Bourrée fantasque). Poulenc nourrit rendue accessible par une langue tou-
également son récit, très vivant, d’extraits jours vive et spirituelle, a aussitôt
de correspondances. A la manière éclipsé tous les usuels sur l’art lyrique
d’un conférencier, préexistants. Grâce à sa quasi-exhaus-
il digresse parfois tivité, d’abord : on y trouve absolu-
(par exemple sur Franck ment tous les grands titres du réper-
vu par Saint-Saëns), toire, ainsi que d’innombrables
commet quelques erreurs raretés, des origines à l’orée du XXIe
– comme l’attribution siècle. Grâce aussi à un plan d’une re-
à Berg de propos tenus doutable efficacité : pour chaque ou-
par Schönberg (page 57) vrage est présenté un résumé du livret
ou une confusion domaine de l’édition musicale, c’est
qui expose toutes les ramifications
de date sur l’orchestration exceptionnel), tout en faisant des pe-
d’intrigues souvent complexes ; suit
par Ravel du Menuet tits. Ils ont en effet été déclinés en plu-
un historique retraçant sa genèse et sa
pompeux, en 1918 et non sieurs volumes thématiques, dans la
fortune, rappelant les grandes produc-
1937, année de sa publication (page 61). collection Le Livre de poche : Haendel,
tions et les interprètes qui s’y sont illus-
Nicolas Southon les avait toutes signalées Purcell et le baroque à Londres ; Lully,
trés ; enfin, un commentaire analyse
et corrigées lorsqu’il réédita les écrits Rameau et l’opéra baroque français ; Le
le sens de l’œuvre, ses qualités musi-
de Poulenc (J’écris ce qui me chante, Bel canto, Rossini, Bellini, Donizetti… ;
cales et sa valeur théâtrale.
Fayard). Jean-Philippe Biojout n’en tient Richard Strauss et le post-romantisme
pas compte, et introduit un développement Perspectives allemand. Enfin, pour les lecteurs
hagiographique sur Catulle Mendès, C’est dans ce dernier chapitre (ponc- pressés, Les 101 grands opéras (collec-
quand Poulenc pointe avec raison la toxicité tué par une discographie signalant les tion Pluriel) se présentent comme
du personnage et la nullité de ses livrets – enregistrements de référence) que se l’abrégé et la substantifique moelle de
précisons au passage qu’Augusta Holmès situe la part la plus originale et sou- la somme princeps, suivant une struc-
n’était pas une « célèbre actrice » (page 44) vent la plus éclairante du livre, en ou- ture inchangée. Les Mille et un opéras
mais une compositrice. Les autres ajouts vrant de multiples perspectives sur la ont aussi passé les frontières, puisque
sont, eux, loin d’être superflus. Indiqués dramaturgie, la psychologie des per- le livre a été traduit en polonais,
en grisé, ils apportent d’heureux éclairages sonnages, le traitement vocal et musi- langue maternelle de l’auteur.
sur les œuvres et leur création, cal du sujet. Là, le néophyte comme le Et maintenant ? Une nouvelle édition,
avec synopsis et commentaire détaillé. connaisseur trouvent des clés de com- mise à jour avec les opéras qui ont été
Le chapitre sur Chabrier préhension parfois insoupçonnées créés ou redécouverts depuis 2003 ?
et l’impressionnisme (ses liens avec mais qui, grâce à une argumentation On en rêve ! Tout en continuant à nous
les peintres, et l’influence qu’ils ont pu avoir toujours étayée, prennent immanqua- référer jour après jour à ce parfait
sur sa musique) est également intéressant. blement la force de l’évidence. companion book, à la fois essai, ency-
De quoi rendre ce volume 100 de la série Depuis leur parution en 2003, les Mille clopédie, Bible pour tout amateur d’art
« Horizons », par ailleurs richement illustré, et un opéras ont déjà été écoulés à plus lyrique – ou pour quiconque souhaite
aussi précieux qu’utile. François Laurent de vingt mille exemplaires (dans le le devenir. Emmanuel Dupuy

I 129
la playlist de ma vie
PAR VINCENT AGRECH

Laurence Equilbey
chef d’orchestre

Le disque que vous écoutez


quand tout va mal
Les lieder de Schubert par Ian Bostridge, en
particulier Nacht und Träume. Au milieu du dé-
sespoir, une lueur s’éveille, mais un arc impla-
cable nous ramène aux ténèbres. La condition
d’artiste procède sans doute d’une acuité sensitive et sensible
Le premier disque surdéveloppée aux convulsions du monde, à tout ce qui nous
dont vous vous souvenez dépasse, malgré nos existences si privilégiées. J’essaie aujourd’hui
Le Concerto no 5 « L’Empereur » de Beethoven de vivre plus tranquillement en apprivoisant cette mélancolie.
par Karajan et Weissenberg, que mes parents
passaient régulièrement quand nous vivions en Le disque pour faire découvrir
Allemagne, dans la Forêt Noire. Je l’ai réécouté la musique à un enfant
avant de l’enregistrer avec Nicholas Angelich. On peut trouver La Nativité se prolongeant jusqu’à l’arrivée des
datée une certaine emphase de Karajan, mais je reste fascinée Mages, restons de saison : les premiers numéros
par sa manière d’assumer les choix de tempo, et l’Adagio demeure du Messie de Handel. Quoi de plus naïvement
un sommet d’émotion. merveilleux que le chœur « For to us a child is
born » ? Il est extraordinairement réussi dans la version d’Emma-
Le disque qui a décidé de votre nuelle Haïm. Et puis il y a Ma Mère l’Oye de Ravel, par Seiji Ozawa
vocation de chef de chœur en particulier.
Etudiante à Vienne, j’ai eu la chance de chanter
les psaumes de l’Opus 50 de Schönberg, et les ai Le disque qu’on ne s’attend
étudiés avec passion (notamment via l’enregis- pas à trouver chez vous
trement de Pierre Boulez). Ces œuvres sérielles Peut-être le dernier album d’Aaron ? J’aime
qu’il écrivit à la toute fin de sa vie, les dédiant à l’Etat d’Israël, beaucoup l’électro, car dans le travail avec
peuvent sembler âpres, mais la rigueur de leur construction, l’ordinateur, c’est toujours le son qui est au cœur
la force universelle des textes, la densité de leur polyphonie, en du sujet. J’y retrouve une puissance tellurique
particulier dans le De profundis,ont eu sur moi un immense impact. que les auditeurs du répertoire dit classique attendaient sans
doute au XIXe siècle, ne serait-ce que du fait de la taille des salons
Le disque qui a décidé de votre et de nombreux théâtres, et que nous avons perdue avec les
vocation de chef d’orchestre grandes salles. Et puis tout simplement : ça pulse !
Je pourrais citer l’intégrale des symphonies
de Beethoven par Harnoncourt avec l’Orchestre Le disque à passer
de chambre d’Europe, mais si je suis parfaite- pour votre enterrement
ment honnête, le choc initial fut de voir Abbado C’est comme quand on vous demande qui est
diriger la « Pastorale » au Musikverein – je me rappelle chaque votre meilleur ami ; je peux en dire deux ? Als
seconde de l’Orage par l’œilleton de la coulisse auquel nous, les die alte Mutter dans les Chansons bohémiennes
étudiants, nous bousculions. L’influence des deux chefs est d’ail- de Dvorak par Anne Sofie von Otter, qui dit en
leurs très complémentaire, et fut pour moi la plus importante, substance : « Quand j’étais petite, ma mère me prenait sur ses
avec celle d’Eric Ericson. J’ai eu la chance de côtoyer un peu genoux et ses larmes coulaient en m’apprenant des chansons,
© JEAN-BAPTISTE MILLOT

Abbado en ces années, d’échanger régulièrement quelques mots et maintenant que je les apprends à ma fille, c’est moi qui
avec lui au sujet des œuvres, des interprétations – autant que pleure… » Et puis In Paradisum dans le Requiem de Fauré, car
je m’y sentais autorisée par mon jeune âge ! Sa gestuelle reste il est pour moi l’inventeur de l’apesanteur, comme un médica-
pour moi la plus belle qui soit, et j’ai suivi tous les concerts que ment qui soudainement dissipe la douleur… Saluons, avec sa
je pouvais, jusqu’à sa 9e de Mahler à Pleyel, au soir de sa vie. version, ce merveilleux maître qu’était Giulini !

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