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● STEVE REICH ● CHOPIN ● ANDRÉ CLUYTENS ● LA CHINE… ● HI-FI

LE SORCIER LES 24 PRÉLUDES UNE BAGUETTE …VUE PAR LES 13 AMPLIS


DES SONS PASSÉS AU CRIBLE FLAMBOYANTE COMPOSITEURS AU BANC D’ESSAI

RÉVOLUTION BAROQUE
Comment on a redécouvert Monteverdi, Bach,
Handel, Rameau, Lully, Vivaldi...

N° 730 FÉVRIER 2024


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sommaire n° 730 FÉVRIER 2024

ACTUALITÉ
4 L’éditorial d’Emmanuel Dupuy ILS FONT
9 Coulisses
L’ACTUALITÉ
MAGAZINE
16 Histoire
BAROQUE RENAISSANCE En scène
A quatre-vingt sept printemps,

© CHRISTOPHE ABRAMOWITZ
32 Portrait STEVE REICH continue à explorer
STEVE REICH des sons et des rythmes
PAGE 32 nouveaux, comme on pourra
38 L’œuvre du mois le vérifier lors du Festival
LES PRÉLUDES OP. 28 Présences de Radio France,
DE CHOPIN
dont il est l’invité d’honneur.
42 Mythologies
ANDRÉ CLUYTENS
44 L’air du catalogue
LA CHINE
En disque
46 La chronique d’Ivan A. Alexandre Le Philharmonique de Berlin consacre
à UNSUK CHIN une anthologie
captivante, parfaite introduction
SPECTACLES

© CHRISTOPHE ABRAMOWITZ
à l’art d’une des compositrices PAGE 75
les plus inventives de notre
49 A voir et à entendre temps. Avec, excusez du peu,
Barbara Hannigan et Christian Tetzlaff,
54 Vu et entendu Simon Rattle et Daniel Harding…

58 LE DISQUE

LE SON
En disque
105 Echos Hervé Niquet, Le Concert Spirituel
© JEAN BAPTISTE MILLOT

et VÉRONIQUE GENS nous


108 Banc d’essai offrent bien davantage
13 AMPLIS DE 990 € À 15 990 € PAGE 68 que la Médée de Charpentier
la plus historiquement
informée possible aujourd’hui :
LE GUIDE une vision renouvelée
d’un chef-d’œuvre.
119 Radio
120 Livres
122 La playlist de ma vie RECEVEZ DIAPASON CHEZ VOUS !
SIMON-PIERRE BESTION
Votre bulletin d’abonnement se trouve page 53.
En couverture : Atys de Lully à l’Opéra-Comique. Pour commander d’anciens numéros, rendez-vous sur
© Pierre Grosbois www.kiosquemag.com
Ce numéro comporte sur tout ou partie de sa diffusion : Vous pouvez aussi vous abonner par téléphone au 01 46 48 47 60
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de Diapason jetés sur la couverture.

I3
L’éditorial
D’EMMANUEL DUPUY

Taxinomie
e chef de l’Etat l’avait promis en célébrant la Ambiance. Et certains menaçaient d’augmenter le prix
dernière Fête de la musique : une taxe sur les des abonnements, ce qui risque d’être un frein à la
revenus des plateformes de streaming serait consommation tout en faisant peser sur les usagers le vé-
votée par le parlement avant que s’achève 2023, ritable poids de la taxe.
si les acteurs de la « filière » ne parvenaient pas à s’accor- Bref, si l’ambulance n’avait guère besoin qu’on lui tire des-
der sur son montant et ses modalités. Promesse tenue. sus, mieux aurait sans doute valu qu’on s’attaque d’abord
Dès cette année, Deezer, Spotify et autres Amazon Music à ses dysfonctionnements. Car le streaming, comme je
verront leur chiffre d’affaires réalisé sur le territoire fran- l’ai déjà exposé sur cette page, pâtit d’un mode de rétri-
çais amputé à hauteur de 1,2 % – la mesure épargne les bution des ayants droit – artistes et labels – inique, privi-
« petites » plateformes puisqu’un seuil de 20 millions légiant les blockbusters commerciaux au détriment des
de chiffre d’affaires annuel a été fixé. répertoires les plus pointus, qui n’ont que les miettes à se
Cette idée de taxe n’est pas sortie par magie du chapeau partager. Et cette injustice va encore s’aggraver, après la
présidentiel. D’abord émise par quelques députés de la décision prise par Spotify il y a quelques semaines de ne
Nupes, elle figurait dans un rapport rédigé par le sénateur plus rémunérer les titres réalisant moins de mille écoutes
Julien Bargeton (groupe Renaissance) qui préconisait par an – seuil en apparence raisonnable, mais qui, dans
un montant d’1,75 %. A quelle fin ? Trouver une nouvelle le classique, se révélera dévastateur. Au lieu de corriger
source de financement pour le Centre national de la mu- ces défauts, on a préféré la solution du pansement sur
sique (CNM), dont les missions, depuis sa naissance début une jambe de bois : la taxe. Et à quoi servira son produit ?
2020, n’ont cessé de s’élargir – en particulier à la faveur Notamment à financer des projets discographiques qui
de la pandémie, durant laquelle cet établissement public parfois ne peuvent prétendre à la moindre rentabilité,
autonome s’est révélé particulièrement habile à gérer dont l’existence même ne dépend que des subventions
la crise et ses conséquences. dont ils bénéficient. Tant mieux
Mais la perspective d’une taxe, _ L’ambulance n’avait pour eux. Mais plutôt que d’entre-
symptôme d’une maladie fis- tenir ce système qui marche sur
cale bien française, a fait grincer
quelques dents. Si les organisa-
guère besoin qu’on la tête, ne serait-il pas beaucoup
plus sain – et efficace – que nos
tions représentatives du spectacle
vivant applaudissaient sans ré-
lui tire dessus. _ solistes, nos ensembles, nos édi-
teurs perçoivent un juste revenu
serve, comme plusieurs labels indépendants, tous atta- de leurs enregistrements, comme c’était le cas naguère,
chés aux subsides du CNM, le puissant Syndicat national en plein boom du CD ?
de l’édition phonographique (SNEP) dénonçait « le choix Que le CNM ait besoin de mannes supplémentaires pour
d’une politique injuste et dangereuse ». Et, bien entendu, aider la musique, vivante comme enregistrée, à affronter
les plateformes étaient dès le départ vent debout. les défis posés par notre jeune siècle, c’est une donnée
On peut les comprendre : quel secteur économique accep- incontestable. Encore accentuée par le désengagement
terait sans broncher de se voir infliger un nouvel impôt ? du ministère de la Culture qui, ces dernières années, a
Et ce, alors que la musique enregistrée est déjà surtaxée, volontiers transféré ses prérogatives à l’institution que pré-
avec une TVA au taux de 20 % contre 5,5 % pour d’autres side Jean-Philippe Thiellay, sans que les moyens suivent
produits culturels comme le livre. Surtout, le streaming en proportion. On comprend bien que l’Etat doive faire
payant reste dans notre pays une activité fragile, qui peine des économies. Pourtant, lorsqu’il s’est agi de pérenniser
à grappiller les parts de marché qu’il a conquises ailleurs, le financement de l’audiovisuel public, nos gouvernants
la plupart des plateformes n’ayant pas encore atteint la ont su trouver les ressources afin de compenser la suppres-
rentabilité. A la taxe, celles-ci auraient préféré le principe sion de la redevance, sans créer un nouvel impôt – et on
d’une contribution volontaire, balayée par le législateur. parle là, au bas mot, de 4 milliards d’euros, beaucoup plus
Réponse du berger à la bergère : quelques jours après le que les quelque 15 millions qu’est censée rapporter la taxe
vote à l’Assemblée nationale, Spotify retirait ses aides aux streaming. La musique, sans doute, ne méritait pas autant
Francofolies de La Rochelle et au Printemps de Bourges. d’égards que nos amuseurs cathodiques.

4I
OPÉRA
IPHIGÉNIE EN AULIDE —
IPHIGÉNIE EN TAURIDE
GLUCK

SAMSON
CRÉATION
RAMEAU

MADAMA BUTTERFLY
PUCCINI

PELLÉAS ET MÉLISANDE
DEBUSSY

IL RITORNO
D’ULISSE IN PATRIA
MONTEVERDI

OVENCE OPÉRA EN CONCERT


LA CLEMENZA DI TITO FESTIVAL D’AIX—E
MOZART

LES VÊPRES
SICILIENNES

2 024 3 —23 J UIL L E T


VERDI

THÉÂTRE MUSICAL
SONGS AND FRAGMENTS
PETER MAXWELL
DAVIES —
GYÖRGY KURTÁG

THE GREAT YES,


THE GREAT NO
WILLIAM KENTRIDGE

OPÉRA
CONCERTS
INCISES
MÉDITERRANÉE
AIX EN JUIN
ACADÉMIE
ORCHESTRE DES JEUNES
DE LA MÉDITERRANÉE

GRAND © IRMA BOOM

PARTENAIRE
NOUVEAU
LA DISCOTHÈQUE IDÉALE DE DIAPASON VOLUME XXIX

Symphonies / œuvres chorales / lieder


Des enregistrements rares et légendaires sélectionnés par Diapason.
Les huit symphonies, les plus belles pages chorales et une riche anthologie de lieder
pour compléter les trois grands cycles. Avec, comme toujours, des références consacrées,
des raretés triées sur le volet et même quelques inédits en CD.

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Votre coffret Schubert comprend :
CD I Symphonie n°1 Royal Philharmonic Orchestra, Thomas Beecham.
1953. Symphonie n°2 Wiener Philharmoniker, Karl Münchinger. 1959.
Symphonie n°3 Royal Philharmonic Orchestra, Thomas Beecham. 1958-
1959. CD II Symphonie n°4 “Tragique” London Mozart Players, Harry
Blech. 1953. Symphonie n°5 Chicago Symphony Orchestra, Fritz Reiner.
1960. Symphonie n°6 Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam, Eduard
Van Beinum. 1957. CD III Symphonie n°9 “La Grande” London Symphony
Orchestra, Josef Krips. 1958. CD IV Rosamunde Berliner Mottetenchor,
Berliner Philharmoniker, Fritz Lehmann. 1952-1953. Le Pâtre sur le rocher
Rita Streich, Heinrich Geuser, Erik Werba. 1959. CD V-VI Messe n°6 Chœur
de la cathédrale St. Hedwig, Berliner Philharmoniker, Erich Leinsdorf. 1960.
Messe allemande Chœur de la cathédrale St. Hedwig, Berliner Symphoniker,
Karl Foster. 1959. Chant des esprits sur les eaux Chœur de l’Opéra d’Etat
de Vienne, Clemens Krauss. 1950. Œuvres chorales Günther Arndt, Marcel
Couraud, Robert Shaw. 1952-1961. CD VII-X Die schöne Müllerin.
Winterreise. Schwanengesang Dietrich Fischer-Dieskau, Gerald Moore.
1951-1961. 46 lieder Marian Anderson, Peter Anders, Lisa Della Casa,
Dietrich Fischer-Dieskau, Kathleen Ferrier, Kirsten Flagstad,Elisabeth
Grümmer, Hans Hotter, Gerhard Hüsch, Lotte Lehmann, Christa Ludwig,
Hermann Prey, Heinrich Schlusnus, Elisabeth Schumann, Irmgard Seefried,
Rita Streich, Elisabeth Schwarzkopf. 1932-1962.

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THE WORLD IS LISTENING

SEVENTEENTH
VAN CLIBURN
INTERNATIONAL
PIANO COMPETITION

21 MAY – 7 JUNE 2025 I FORT WORTH, TEXAS USA

JURY
PAUL LEWIS, / JON NAKAMATSU,
RICO GULDA, LISE DE LA SALLE,
ANDREAS HAEFLIGER, YEVGENY SUDBIN,
MARI KODAMA, / WU HAN, /
GABRIELA MONTERO, /
©
DA
AS

APPLICATIONS DUE 16 OC TOBER 2024 I CLIBURN.ORG


ACTUALITÉS coulisses
PAR BENOÎT FAUCHET

Leur parole est d’or


Les nouveaux disques du pianiste Lukas Geniusas et de l’ensemble Profeti della Quinta
dirigé par Elam Rotem ont été couronnés d’un Diapason d’or le mois dernier. Vous voulez
savoir comment furent conçus ces joyaux ? Les heureux élus lèvent un coin du voile.

Lukas Geniušas Profeti della Quinta


PIANO ENSEMBLE
Rachmaninov : Sonate pour piano no 1. Préludes pour piano Cavalieri : Lamentations.
op. 32 nos 2, 7, 8 et 13. Profeti della Quinta. Pan Classics.
Lukas Geniusas (piano). Alpha.

« Bien que cela aille à l’encontre des idées reçues, la Sonate no 1 Elam Rotem : « L’enregistrement d’extraits des Lamentations
est pour moi l’une des meilleures œuvres pour piano seul de Cavalieri par Le Poème Harmonique, en 2001, a été pour moi
de Rachmaninov, si ce n’est la meilleure. La découverte de sa une grande inspiration. Depuis que je l’ai entendu, je reste fasciné
version originale représente une chance unique d’avoir un aperçu par la beauté de cette œuvre et les défis très intéressants qu’elle
des intentions du compositeur, presque de retracer sa pensée, pose en termes d’interprétation. Cela m’a amené à rechercher
comme c’est le cas avec les éditions originales des Préludes op. 32 le manuscrit et à en publier une nouvelle édition, à rédiger
qui complètent le programme. C’est Rachmaninov à son zénith, ma thèse de doctorat sur la basse continue de Cavalieri, et même
à l’apogée de ses pouvoirs, un idiome musical plein et corsé. à écrire un oratorio d’après ce langage musical. Au fil des années,
Et puis, imaginez : vous avez l’occasion de visiter la célèbre nous avons trouvé le moyen d’être plus à l’aise dans ce style,
propriété d’un de vos compositeurs préférés et êtes autorisé et nous avons senti que le moment était venu de passer devant
à jouer et à enregistrer sa musique sur son propre piano, les micros, en incluant les parties non enregistrées par Le Poème
exceptionnellement bien conservé. Il y a de quoi être totalement Harmonique. Une caractéristique unique chez Cavalieri était
excité, non ? C’est ce qui m’est arrivé lorsque je suis entré dans la présence d’une soprano soliste (Vittoria Archilei) parmi
© JEAN BAPTISTE MILLOT / ELAM ROTEM

la villa Senar, ce lieu serein et paradisiaque situé au bord du lac les musiciens masculins, alors que les femmes ne pouvaient
des Quatre-Cantons, où Rachmaninov a passé ses étés pendant chanter à l’église que dans les couvents de religieuses. Nous avons
sept ans. Le premier jour d’enregistrement a failli être gâché été rejoints par la merveilleuse Perrine Devillers, qui s’approprie
par l’ivresse extatique qui était inévitable après la découverte, cette partie, et notre accompagnement a été assuré par l’orgue,
la veille, de ce sanctuaire musical unique ! Je suis reconnaissant le chitarrone et le lirone. Alors que nous pleurons la destruction
à tous mes complices dans ce voyage – Andrea Loetscher, historique de Jérusalem et de son Temple dans les Lamentations,
directeur de la Villa, l’ingénieur du son Maximilien Ciup. Ils ont nous ne pouvons ignorer l’effusion de sang qui continue dans
contribué de manière essentielle à quelque chose qui restera la région. Grâce à cette musique céleste, nous voulons laisser
gravé comme un événement dans mon parcours créatif. » les catastrophes dans le passé et prier pour la paix. »

I9
● coulisses

CRESCENDO

Continuité féminine à
la direction de l’Opéra
de Lille : Caroline Sonrier passera
le témoin à BARBARA ECKLE à compter
du 1er juillet 2025. Cette quadragénaire
zurichoise formée à Oxford (philosophie),
New York (violon) et Prague (cinéma)
a coordonné la création de l’opéra 1984
de Lorin Maazel à Covent Garden en 2006
avant, en Allemagne, de programmer les JEUNE TALENT
saisons symphoniques du Staatsorchester
de Stuttgart (2018-2020) et diriger Nom : Oliva
la dramaturgie de la Ruhrtriennale
Prénom : Lauranne

© KLARA BECK
pour l’opéra et les concerts (2020-2023).
Dans le Nord, ses saisons comporteront Née en: 2000
de nouvelles formes de représentations, Profession : soprano
y compris hors les murs, avec l’ambition
de conforter le rayonnement d’une maison

I
inscrite depuis deux décennies en bonne l y a ceux qui entretiennent des rapports présenter à l’entrée d’un Opéra-studio, celui
place sur la carte lyrique française. ambivalents sinon contrariés avec les de Colmar. « Je voulais aller sur scène, poser
concours, peinent à y donner le meilleur un pied tout de suite dans le métier, pour
d’eux-mêmes. Et il y a Lauranne Oliva, apprendre au contact de chefs d’orchestre,
« pas traqueuse », qui « adore l’adrénaline » metteurs en scène, chefs de chant et chanteurs
que l’exercice procure et « les rencontres » plus aguerris », explique-t-elle.
qu’il permet. Les résultats l’attestent : triple-
ment primé à Marmande en 2021, ce soprano Gérer sa fougue
lyrique léger a remporté à Paris, il y a quelques A l’Opéra du Rhin, elle se fait remarquer
DECRESCENDO mois, en l’espace de trois semaines et à vingt- en Drusilla du Couronnement de Poppée sous
trois ans seulement, la Paris Opera Competi- la direction de Raphaël Pichon, en Miss Ellen
tion puis les Voix nouvelles. La lauréate a reçu dans Lakmé au côté de Sabine Devieilhe…
un vibrant hommage de Diapason, sous la Elle est attendue en ce mois de février pour
plume d’Ivan A. Alexandre : « timbre de miel une Pamina qui devrait lui aller à ravir au
Il semble loin le temps où, au pied du mur sans sucre », « agilité sans chiqué », « soleil Théâtre des Champs-Elysées, le temps
romain, deux opéras mis en scène étaient tendre »… d’Une Petite Flûte « jeune public » également
chacun donnés deux fois au cours d’une Ce soleil s’est levé un 21 juin – « jour de solstice programmée à Tourcoing et Bordeaux.
même édition… En difficultés financières, d’été et de fête de la musique », relève-t-elle Le Theater an der Wien la recevra en avril
les Chorégies d’Orange ne présenteront avec entrain – à Perpignan. La ville est chère dans une rareté de Salieri, Kublai Kahn, exhu-
pas de production scénique l’été au cœur de cette « Franco-Catalane » reven- mée par Christophe Rousset. Sans compter
prochain, mais une version de concert diquée, fière de cette identité linguistique qu’elle est l’une des trois nommées dans la
de Tosca de Puccini, certes solidement autant que culturelle qui a habité ses mots catégorie « révélation artiste lyrique » des Vic-
distribuée (Roberto Alagna, Aleksandra et son chant dès l’enfance. Son goût de la voca- toires de la musique classique 2024, décernées
Kurzak, Bryn Terfel). Un coup dur pour lité la conduit au conservatoire de sa ville fin février à Montpellier (cf. p. 14).
le directeur du festival depuis 2016, natale, qui porte le nom d’une soprano Tout va très vite, mais son mentor perpigna-
© AYSEYAVAS / GILLES LEIMDORFER

JEAN-LOUIS GRINDA. « L’expression catalane comme elle, mais d’outre-Pyrénées : nais, l’ancien ténor Christian Papis, veille.
“reculer pour mieux sauter” semble bien Montserrat Caballé. A dix-huit ans, elle y rem- « Son plus grand objectif est de me faire suivre
résumer la situation. C’est une très grosse porte une médaille d’or ; à vingt et un, son un chemin logique et de ne pas me mettre en
concession pour cette édition 2024, mais prix d’excellence. danger », explique la soprano, admirative des
la saison 2025 sera normale », estime Que faire ensuite ? L’accès à l’un des deux parcours de Sonya Yoncheva, Nadine Sierra
le metteur en scène, confiant grâce conservatoires nationaux supérieurs de mu- et Lisette Oropesa, « voix saines et qui
à la hausse attendue du soutien de l’Etat sique aurait pu sembler un choix évident, mais durent ». « Mon professeur me dit de “calmer
et du mécénat. la jeune femme saute la case CNSM pour se les chevaux”. Je dois gérer ma fougue ! » B.F.

10 I
Cri du chœur Il a dit
Les Petits Chanteurs de Vienne ne manquent pas de prestige,
mais d’argent. Heureusement, le gouvernement autrichien
a volé à leur secours en urgence.

2023
aurait dû rester comme plus chers, mais cela ne peut pas être réper-
une année de jubilé cuté sur le public, sinon il ne viendra pas »,
pour les Wiener Sän- remarquait fin décembre le président des
gerknaben, les Petits Chanteurs de Vienne, Wiener Sängerknaben, Erich Arthold, dans

© GREGOR HOHENBERG
fondés il y a 525 ans à la chapelle de l’empe- les colonnes de la Kronen Zeitung.
reur Maximilien Ier et qui ont d’ailleurs
raconté leur vénérable histoire dans un épais Patrimoine culturel
coffret discographique (cf. p. 65). Mais sur Le responsable du chœur n’a pas tardé à être
leur site web, c’est un appel à la solidarité qui entendu par le gouvernement autrichien, qui
attire l’attention : « En raison de la pandémie, a annoncé le déblocage d’une enveloppe de
nous avons dû annuler plus de sept cents 800 000 euros sur les fonds du ministère de « Me suis-je fait piéger ? »
représentations et perdu les revenus de plus la Culture. Signe de l’importance dans le pays Roberto Alagna s’est posé la question,
de deux ans. Aidez-nous si vous le pouvez. » de cette maîtrise dont la « tradition chorale sur les réseaux sociaux, après avoir
La maîtrise viennoise, organisation privée qui et éducative » est inscrite au patrimoine signé une tribune en soutien
ne perçoit pas de subventions régulières, a fait culturel immatériel de l’Unesco depuis 2017, à Gérard Depardieu, mis en examen
ses calculs : il lui manque près d’un million le chancelier fédéral lui-même, le conserva- pour viols et agressions sexuelles, et très
d’euros pour continuer à faire vivre son teur Karl Nehammer, a pris la parole : « Nous critiqué après la diffusion d’images où
« campus » de quelque trois cents élèves, dont sommes fiers de ce chœur de renommée il multiplie les propos misogynes. Le ténor
les cent répartis dans quatre chœurs de gar- mondiale [...] qui fait partie de l’identité autri- et le comédien s’apprécient, au moins
çons (9-14 ans) réputés pour leurs tournées et chienne, et nous ferons tout notre possible depuis que le second a joué les récitants
enregistrements, mais aussi un ensemble pour lui assurer un avenir sûr. » (Lélio) sur l’album Berlioz (Emi/Warner)
d’une trentaine de filles créé en 2004. L’aide promise a l’apparence d’«un coussin enregistré par le premier en 2002.
L’inflation est venue s’ajouter aux consé- qui nous permettra de tenir le coup jusqu’à la Mais le texte en question, paraphé
quences durables de la crise sanitaire, spirale fin de la saison », en août, a commenté Erich par une cinquantaine d’artistes, a été
inquiétante pour une organisation qui tire Arthold. En attendant une solution de finan- vivement critiqué en ce qu’il dénonçait
environ deux tiers de ses revenus de concerts cement pérenne, afin d’éviter que les cho- un « lynchage » de l’acteur et une
à l’étranger. « Les salles, les hôtels, les vols et ristes au célèbre costume marin ne crient fa- « attaque » contre l’art. En réponse, huit
mille artistes signataires d’une pétition en
les frais de personnel deviennent de plus en mine dès la rentrée prochaine. B.F.
ligne ont fustigé « un crachat à la figure
des victimes de Gérard Depardieu mais
aussi de toutes les victimes de violences
sexistes et sexuelles ». Comme d’autres
(Carole Bouquet, Nadine Trintignant,
Pierre Richard, Jacques Weber…),
Roberto Alagna s’est alors désolidarisé
d’un texte auquel il avait prêté son nom,
dit-il, « sans même avoir lu l’écrit ».
Le chanteur se dit « contre toutes formes
de violence et d’agression, de la part de
qui que ce soit et envers qui que ce soit ».
« Je m’oblige aussi à ne jamais porter de
jugement sur mon prochain. J’ai confiance
en la justice qui seule doit juger. Je suis
toujours profondément peiné pour celles
© LUKAS BECK

et ceux qui sont dans la tourmente,


la détresse, la douleur et souffrent
injustement », conclut le ténor. B.F.

I 11
● coulisses

ENTRÉE DES ARTISTES


A l’Orchestre symphonique
de Barcelone, une femme
succède à une autre :
la Franco-Britannique

© WIENER PHILHARMONIKER / DIETER NAGL


Stephanie Childress a été
désignée première cheffe
invitée pour les saisons
2024-2025 et 2025-2026,
à la place de Marta
© KAROLINA HELLER

Gardolinska et sous l’autorité du


directeur musical Ludovic Morlot.

Artiste associé de l’Orchestre


philharmonique de Nice depuis
2019, Lionel Bringuier a été promu
chef principal de la formation
symphonique et lyrique de sa ville
natale, et ce jusqu’à l’été 2025.

Déjà persona non grata au Met


Marche à l’ombre
Faut-il rayer la guerrière Marche de Radetzky du programme du concert
de New York comme à La Scala
de Milan, Ildar Abdrazakov, du Nouvel An viennois ? Une parlementaire écologiste a relancé le débat.
célèbre basse russe, a été
déprogrammé par les Opéras
de Zurich, Paris et Vienne après

L
avoir inscrit son nom parmi a députée écologiste autrichienne Eva rapporte que les officiers autrichiens ont frappé
les cinq cents soutiens officiels Blimlinger a commencé l’année par des mains dès sa première exécution, tradition
de Vladimir Poutine en vue un message ironique sur les réseaux so- toujours honorée, pas toujours en mesure,
de la prochaine élection ciaux, alors que le concert du Nouvel An par les spectateurs du Neujahrskonzert – au
présidentielle, en mars. viennois venait à peine de s’achever, comme de désespoir, dit-on, de certains chefs, comme
coutume, sur la Marche de Radetzky de Johann Carlos Kleiber hier et Franz Welser-Möst
Le Concours de bel canto Vincenzo Strauss père : les Wiener « Philharmoniker aujourd’hui. Et jusqu’en 2019, c’est une adapta-
Bellini, présidé par le chef Marco et le public du Neujahrskonzert perpétuent la tion d’un nazi notoire, Leopold Weniger, que
© MARCO BORGGREVE / DEUTSCHE GRAMMOPHON

Guidarini, n’a pas décerné de tradition, car il est toujours si agréable d’ap- le public a applaudie…
1er Grand Prix lors de sa douzième plaudir la victoire sur les Piémontais et celle […]
édition mais des prix aux sopranos sur la population viennoise » lors de la Révolu- Où sont les femmes ?
françaises Sarah Rodriguez tion de 1848… Faut-il « annuler » la présence Peu de voix s’élèvent cependant pour deman-
(meilleure voix féminine et public) rituelle de cette marche militaire en hommage der à jeter la Marche dans les oubliettes de
et Inés Lorans (meilleure au Feld-maréchal Radetzky sous les ors du Mu- l’Histoire, y compris au sein de la gauche au-
interprétation d’un air en français), sikverein, voire la bannir de tout programme ? trichienne. « Le contexte politique de cette
ainsi qu’à l’Israélienne Elia Cohen Invitée à préciser sa pensée par le quotidien œuvre musicale vieille de près de 180 ans est
Weissert (ville de Vendôme). Kleine Zeitung, l’historienne de métier ne va pas certes intéressant pour les historiens, mais ce
si loin mais invite à s’interroger sur cette mu- débat n’est pas pour moi une priorité », sou-
A bientôt quatre-vingt-quatre ans, sique composée en « hommage à l’Armée impé- ligne Gabriele Heinisch-Hosek, porte-parole
le chef et pianiste allemand riale et royale, qui a tué de nombreux civils peu pour la culture du Parti social-démocrate
Christoph Eschenbach avant la création ». Et de poursuivre : « Je suis (SPÖ). Laquelle juge en revanche « grand
a accepté un nouveau sûre que les Philharmoniker continueront à temps qu’après des décennies une femme chef
poste, celui de directeur jouer la Marche, mais je pense que le contexte d’orchestre soit enfin invitée pour ce concert
artistique du NFM historique doit être souligné. Se pose également traditionnel diffusé dans de nombreux pays ».
Philharmonique la question de savoir si les marches militaires Ce ne sera pas l’an prochain : pour fêter le
de Wroclaw (Pologne). sont adaptées au concert du Nouvel An à notre bicentenaire de la naissance de Johann
Il prendra ses fonctions époque où la guerre fait rage à quelques cen- Strauss, les Philharmoniker ont choisi de
à compter du 1er septembre, taines de kilomètres de chez nous. » confier le Neujahrskonzert 2025 au fidèle
jusqu’en 2029. En réalité, les débats autour de la Radetzky- Riccardo Muti, qui se produira pour la sep-
Marsch ne datent pas d’aujourd’hui. La légende tième fois dans cet exercice. B.F.

12 I
L’image
Quelques manifestants
brandissant une banderole
« Niente fascisti all’opera, niente
opera per i fascisti » et joignant
la parole au geste en criant « Pas
de fachos à l’Opéra, pas d’opéra
pour les fachos ! » C’est ainsi que
la cheffe italienne Beatrice Venezi
a été accueillie lors du concert
du Nouvel An de l’Orchestre
philharmonique de Nice,
© WIKIMEDIA COMMONS CC BY-SA 4.0

à l’Opéra de la ville azuréenne.


La protestation a rapidement été
couverte par les réactions outrées
d’une bonne partie du public
et les premières notes de l’Ouverture
de La Chauve-Souris de Johann
Strauss II, selon des vidéos
postées sur les réseaux sociaux.
Beatrice Venezi a feint de s’en
amuser en adressant un salut

De Londres
amical aux contestataires, mais
elle était prévenue : un collectif
local s’était ému de l’invitation
de la fille de Gabriele Venezi,
fondateur d’un parti néofasciste,
et qui s’est elle-même engagée
auprès du gouvernement
de la dirigeante d’extrême droite
à Manchester
Giorgia Meloni en devenant Au nord-ouest, du nouveau pour l’English National Opera (ENO),
la conseillère musique de son qui a choisi sa nouvelle base principale.
ministre de la Culture, Gennaro
Sangiuliano. Un travail « purement
technique », s’est défendue devant
la caméra de BFMTV Nice-Côte

C
d’Azur la maestra, assurant qu’elle ontraint de penser son avenir hors « Manchester aujourd’hui est complètement
ne faisait « pas de politique ». de la capitale britannique s’il voulait méconnaissable par rapport à ce qu’elle était
garder une subvention de l’Arts il y a quelques décennies à peine. La ville s’est
Council England, l’English National transformée au cours des dernières années
Opera (ENO) a examiné cinq points de chute : […], avec la plus grande économie créative
Birmingham, Bristol, le Grand Manchester, d’Europe après Londres », affirme Bev Craig,
Liverpool et Nottingham. En décembre, la leader travailliste du conseil municipal,
l’ENO a annoncé son choix : ce sera le Grand estimant que la métropole « convient parfai-
Manchester, conurbation de 2,8 millions tement à l’ENO ». La compagnie lyrique
d’habitants jusqu’alors dépourvue de com- devrait y œuvrer en lien avec la Factory Inter-
pagnie lyrique à demeure. La deuxième national de Manchester et le centre artistique
maison d’opéra londonienne, moins élitiste The Lowry de la ville voisine, Salford.
que Covent Garden, va commencer à déve- Pour proposer une offre artistique au Grand
lopper une programmation artistique dans Manchester sur la période 2024-2026, l’ENO
sa nouvelle base en lien avec des partenaires bénéficiera de 24 millions de livres encore
locaux, avant son installation définitive, qui versés par l’Arts Council. Mais aura-t-il les
devra être achevée en 2029. reins financiers assez solides pour garder une
Après le déclin industriel, l’agglomération saison digne de ce nom au London Coliseum
du nord-ouest de l’Angleterre parie notam- (notre photo), sa demeure historique dans la
© DR

ment sur la culture pour son développement. capitale ? B.F.

I 13
● coulisses

ENTRÉE DES ARTISTES


Sir Donald Runnicles
deviendra l’an prochain
Victoires de la
Chefdirigent
du Philharmonique
de Dresde qui est, avec
la Staatskapelle, l’un des
Musique Classique
deux grands orchestres
de la capitale saxonne.
La fête continue !
© SIMON PAULY

A cinquante-huit ans et après Retransmise en direct de Montpellier, la 31e cérémonie réserve


plus de trente ans de carrière,
la mezzo autrichienne comme chaque année son lot de surprises et de temps forts.
Angelika Kirchschlager a annoncé
son retrait de la scène pour
se consacrer à sa classe de chant

V
et théâtre musical à l’Académie oilà trente ans, en 1994, le classique cause : les plus grands musiciens du pays
de musique et des arts du s’émancipait des Victoires de la mu- (français, mais aussi les étrangers qui sont
spectacle de Vienne (MDW). sique, qui réunissaient tous les sur le territoire depuis au moins cinq ans
styles, et se dotait de sa propre céré- et y exercent une activité importante) y
monie. Décernées lors d’un faste spectacle viennent – et y reviennent. Depuis les pre-
Successeur d’Antonio Pappano
dans la fosse de Covent Garden télévisuel, dans la continuité de l’impulsion mières éditions, certains artistes sont de
à partir de 2025, Jakub Hrusa initiée en 1986 par Jack Lang, qui souhaitait véritables habitués, à l’instar de la soprano
n’en reste pas moins solidement plus de musique sur le petit écran, ces Natalie Dessay, qui a gagné la statuette pas
installé à la barre de l’Orchestre récompenses devinrent rapidement une moins de six fois entre 1995 et 2005. Notons
symphonique de Bamberg, référence dans le paysage national. Et pour qu’aujourd’hui, un délai de trois ans sépare
qui vient de signer la deuxième
reconduction de son contrat
de Chefdirigent depuis 2016,
cette fois jusqu’en 2029.

La harpiste Marielle Nordmann


a figuré dans la promotion
du 1er janvier de la Légion
d’honneur au grade d’officier,
quelques semaines après
qu’Emmanuel Macron a remis
les insignes de grand-croix
à Daniel Barenboim et ceux
de commandeur de cet ordre
© ELENA CHERKASHYNA

à Martha Argerich.

Remarquée lors de la cérémonie


du couronnement du roi Charles III
à l’abbaye de Westminster,
la soprano sud-africaine
Pretty Yende a été
nommée ambassadrice
de la maison de couture
Dior, devenant
la première cantatrice
à porter ce titre, au service
des collections de Maria Grazia
Chiuri, directrice artistique
pour la femme depuis 2017.

14 I
une victoire d’une nouvelle nomination, place de choix au bar des coulisses, afin de de Montpellier, la cérémonie s’ouvrira, comme
disposition qui a empêché le talentueux recueillir les confidences des artistes – tous l’an dernier, par une chorégraphie de Mehdi
Bertrand Chamayou d’avoir, pour l’instant, deux reviennent d’ailleurs cette année « avec Kerkouche. Parmi les temps forts de la soirée,
plus de cinq « V » dorés à stocker chez lui. une surprise », souffle Marc Voinchet. Quant citons un hommage à Puccini pour les cent
aux musiciens, ils sont désormais encoura- ans de sa mort, et les prestations d’invités de
Génération Victoires gés à « se travestir le moins possible », et à être marque, notamment de la soprano albanaise
Au fil du temps, les Victoires et leurs catégo- « davantage eux-mêmes ». « Quand on m’a Ermonela Jaho, du violoncelliste britannique
ries évoluent : les jeunes talents internatio- demandé d’être président, j’avais très à cœur Sheku Kanneh-Mason et de la pianiste ukrai-
naux, les ensembles de musique de chambre, que l’événement soit plus en phase avec ce nienne Anna Fedorov – sans oublier l’Or-
tout comme les orchestres et les chœurs, que je savais des jeunes générations de musi- chestre national de Montpellier Occitanie
quittent le palmarès, tandis que maestros ciens », explique le patron de la soirée, qui guidé par le maestro Michele Spotti.
et maestras de moins de 35 ans rejoignent rêverait de planter une caméra lors de la fête Mais n’omettons pas le principal : les nommés,
leurs collègues instrumentistes et chanteurs qui suit la cérémonie, quand le trac dissipé, départagés par différents jurys et une acadé-
parmi les révélations. De façon générale, la les masques tombent : « Les musiciens clas- mie des votants, le tout « absolument dans les
compétition se tourne de plus en plus vers siques donnent parfois l’impression d’être clous et en toute transparence » répète Marc
la jeunesse et fait ainsi émerger toute une sur une autre planète, mais ce n’est pas le Voinchet. Côté instrumental, le choix se jouera
« génération Victoires ». cas. » Une façon d’essayer de rassurer ceux qui entre la flûte solo de Radio France, Mathilde
« Les grands musiciens français d’aujourd’hui craignent cet art encore souvent qualifié d’éli- Calderini, le guitariste Thibault Cauvin (« ré-
sont presque tous passés aux Victoires », tiste ? En 2023, l’audience avait été décevante, vélation » 2019 puis nommé soliste en 2021),
assure leur actuel président (et directeur de passant sous la barre du million de téléspec- et le pianiste Alexandre Kantorow (qui avait
France Musique), Marc Voinchet. Entré dans tateurs, mais le président de l’événement déjà raflé cette victoire et celle de l’enregistre-
cette redoutable machine en 2022, le Toulou- garde son optimisme, faisant toujours le pari ment en 2020). Du côté des artistes lyriques,
sain a immédiatement voulu « décravater » d’aller chercher le public le plus éloigné. il faudra départager le ténor Benjamin Bern-
et « décorseter » tout ce beau monde. Le pré- Après la 30e édition de l’an dernier, qui célé- heim (déjà vainqueur dans cette catégorie en
sentateur Stéphane Bern a donc perdu son brait ce chiffre rond en grande pompe, le cru 2020), ainsi que les mezzo-sopranos Adèle
nœud papillon, et l’habitué des ondes 2024 promet de rester dans la même veine fes- Charvet (nommée « révélation » en 2020) et
Clément Rochefort s’est vu attribuer une tive. Prenant ses quartiers à l’Opéra Berlioz Lea Desandre (« révélation » 2017, nommée en
2021 et 2023).

Révélations
La révélation « instrumentiste » sera la pia-
niste Nour Ayadi, la violoniste Elise Bertrand
ou la violiste Salomé Gasselin, celle des chan-
teurs, la mezzo-soprano Juliette Mey, la so-
prano Lauranne Oliva (1er prix Voix Nou-
velles 2023) ou le ténor Léo
Vermot-Desroches, et parmi les chefs d’or-
chestre, Marie Jacquot, Léo Margue ou le
dernier vainqueur de Besançon, Swann Van
Rechem. Chez les compositeurs concourent
Karol Beffa (déjà victorieux en 2013 et 2018),
Florentine Mulsant, Yann Robin et Diana Li
Ling Soh. Enfin, pour les enregistrements,
sont en lice l’album « Bach et l’Italie » par
Justin Taylor (Alpha), le coffret « Nicholas
Angelich : Hommage » (Erato), et « Poulenc-
Cavanna : Le Moine et le Voyou » par les Mé-
taboles et l’ensemble Multilatérale dirigés par
Léo Warynski (Nomadmusic). Rendez-vous
à la fin du mois à Montpellier, sur France 3
ou sur France Musique, pour connaître le
nom des heureux élus ! Roxane Borde
© BRUNO TOCABEN

Les Victoires de la Musique Classique 2024 :


le 29 février à 21 h sur France 3
et France Musique, en direct
de l’Opéra Berlioz de Montpellier.

I 15
HISTOIRE

renaissance
Ou comment le passé
se conjugue au présent
Phénomène d’un siècle en rupture d’avant-garde, le mouvement baroque
ne s’est pas arrêté là. Provisoire, il s’est installé. Marginal, il est entré dans
nos institutions. Circonscrit, il s’est étendu à Mozart, à Berlioz… à Stravinsky !
Où, quand, comment ? Suivez le guide.
PAR IVAN A. ALEXANDRE

istoire connue, souvent retracée dans nos à ses maîtres « romantiques » pour construire clavecins,
pages. Avant de l’étudier sous un angle luths, violes, et former avec sa famille ce qui servira de mo-
neuf, maître par maître, (re)traversons dèle aux « ensembles baroques », jouant ses propres éditions
pour mémoire ses premières étapes, au dans un style redevable aux traités historiques – son
pas de cavalerie. abondante Interpretation of the Music of the XVII & XVIII
Siècle des Lumières, le XVIIIe fut celui des explorateurs. Centuries publiée en 1915 sera la bible d’un Thurston Dart,
Explorer le futur par la science, le passé par l’encyclopédie d’un Jean-Claude Malgoire.
et déjà, timidement, par la pratique. Aux premiers rayons A Paris, le professeur Alexandre Choron importe dès les
du siècle, quelques musiciens anglais s’inquiètent du tour années 1820 les messes de Palestrina et les oratorios de
frivole que prend leur art depuis l’irruption de l’opéra. Handel, sources d’un long fleuve alimenté par Notre-Dame
D’abord Academy of Vocal Music, ils adoptent en 1731 le nom de Paris (Victor Hugo, 1831), la nouvelle Histoire de France
Le London Early
d’Academy of Ancient Music, « afin de restaurer l’ancienne Music Group
(Jules Michelet, 1833-1875) et les Expositions universelles.
musique d’église ». L’ennemi intime de Berlioz, François-Joseph Fétis, invente
© GETTY IMAGES / FAIRFAX MEDIA ARCHIVES

du luthiste
Sur le continent, un dessein analogue poussera le baron James Tyler en 1832 le Concert Historique et pour l’occasion emprunte
viennois Gottfried van Swieten à fonder en 1786 une Gesell- en 1979. luths, violes, clavecins. L’amnésie originelle du Conser-
schaft der Associerten (Société des Associés) où il rallumera A la flûte, vatoire incite le compositeur Louis Niedermeyer à rouvrir
la flamme de Bach et de Handel (réorchestré à sa demande un jeune ténor en l’école de Choron et produire un drame lyrique intitulé
par Mozart) bientôt transmise aux pères de la musicologie pleine ascension : Stradella. A la fin du XIXe siècle, il sera imité par Charles
Paul Elliott.
moderne, Raphael Georg Kiesewetter et Simon Molitor, Bordes, Vincent d’Indy et tout ce que la ville compte
jusqu’au prophète Nikolaus Harnoncourt. d’érudits au sein d’une Schola Cantorum où ressuscite-
La fièvre court de capitale en capitale. A Berlin puis Leipzig, ront Monteverdi, Charpentier, Rameau, et qui poussera
Felix Mendelssohn réveille les Passions de Bach. Vers 1890 la jeune pianiste Wanda Landowska vers un illustre
à Londres, le violoniste Arnold Dolmetsch tourne le dos inconnu – le clavecin.

16 I
© UNITEL/DG
● Baroque renaissance

Par eux, ce qui n’était qu’expérience échappe au laboratoire Le Roi danse), en une décennie la France classique est
pour séduire théâtres et institutions. Conquête aventureuse, devenue baroque.
parfois suspecte à ses propres capitaines, soudain victo- Zurich, 1977 : Baroque, oui. Nous remonterons d’ici peu au plain-chant,
un siècle après
rieuse en 1973. Cette année-là, portée par le vent libertaire à la polyphonie Renaissance, à la « musique ancienne ».
la découverte
de 1968, encouragée par une crise pétrolière fatale à la « re- d’un premier Pour l’heure, cap sur ce continent étendu d’Orfeo
ligion du progrès », l’Europe baroque éclate au grand jour : manuscrit, (Monteverdi, 1607) à Orfeo (Gluck, 1762), ce siècle et demi
quelques mois séparent La Petite Bande (Sigiswald Kuijken L’incoronazione qu’on croyait éteint, où une poignée d’audacieux ont
et Gustav Leonhardt), The English Concert (Trevor Pinnock), di Poppea découvert des trésors intacts et dont, par-delà les modes
The Academy of Ancient Music seconde période (Christopher rassemble et l’habitude, nous sommes encore loin d’avoir fait le tour.
Hogwood), The Taverner Consort (Andrew Parrott), Musica les pionniers
Nikolaus
Antiqua Köln (Reinhard Goebel) et Hespèrion XX (Jordi
Harnoncourt,
MONTEVERDI
Savall). Avant 1973, que pesaient les groupes spécialisés Jean-Pierre Le texte
face aux orchestres de chambre, aux Münchener Bach- Ponnelle et, En 1651, la troupe itinérante des Febiarmonici reprenait
Orchester, aux Solisti Veneti ? Après 1973, le vent a tourné. dans le rôle-titre, à Naples un opéra né à Venise huit ans plus tôt. Puis silence.
L’orchestre de chambre traditionnel s’endort, le spécialiste Rachel Yakar. Souvenir effacé, partition introuvable, addio Poppea, addio !
s’éveille. Il en souffle du Nord (Amsterdam Baroque, 1979 ; Passent les siècles, et que nous arrive-t-il ? Au cours de la
Ricercar Consort 1981), du Sud (Giardino Armonico, 1985), seule saison 2004-2005, un public plus nombreux qu’en 1651
de l’Ouest (English Baroque Soloists, 1978 ; Tafelmusik, applaudit L’incoronazione di Poppea à Strasbourg, Colmar,
1979 ; King’s Consort, 1980), de l’Est (Concerto Köln, 1985 ; Mulhouse, Lyon, Beaune, à Varsovie, Zurich, Munich,
Freiburger Barockorchester, 1987). Francfort, Düsseldorf, Hambourg, et deux fois à Paris, une
La France accueille d’abord ces vents multiples. Même son au palais Garnier, une aux Champs-Elysées. Oui, la même
répertoire naturel, Charpentier, Rameau, appartient aux saison ! Poussée lente quoique irrésistible depuis la décou-
experts flamands ou britanniques. Jusqu’en 1977, année verte d’un premier manuscrit en 1888. Manuscrit publié
qui voit simultanément Philippe Herreweghe fonder la en 1904, qui pique la curiosité de Vincent d’Indy, lequel ose
Chapelle Royale et Jean-Claude Malgoire guider sa Grande la première exécution depuis le XVIIe siècle, en français, dans
Ecurie des instruments modernes vers les anciens. Les Arts sa propre école, sa propre réduction et son propre arrange-
florissants suivent en 1979, Les Musiciens du Louvre en ment, le 24 février 1905. C’est encore à Paris qu’aura lieu
1982, Il Seminario Musicale en 1985, Le Concert Spirituel le retour en scène, six ans plus tard au Théâtre Réjane.
en 1987, Les Talens Lyriques en 1991, Le Concert d’Astrée Bis repetita en 1925 pour un Ritorno d’Ulisse non moins
en l’an 2000… Mais alors quelle tornade ! Jusqu’aux tro- oublié tandis qu’Orfeo, imprimé dès 1609, donc connu depuis
piques, jusqu’au cinéma (Tous les Matins du Monde, Farinelli, toujours, avait reparu, méconnaissable, en Allemagne au

18 I
début des années 1880, avant sa révélation à la Schola Can- La finance ne fut pourtant jamais notre unique maîtresse.
torum par le même arrangeur-directeur, Vincent d’Indy. A l’aube du XXe siècle, Gaetano Cesari avançait que l’His-
Trois opéras, un mystère : le texte. D’abord : qui l’a composé ? toire ne pouvait se conformer au présent, qu’il appartenait
Orfeo, Ulisse, sans aucun doute, Monteverdi. Mais Poppea ? aux artistes vivants d’« habituer le public au langage mu-
Les partitions retrouvées, toutes deux posthumes, se contre- sical du XVIIe siècle ». Sur ses brisées, un Malipiero, un
disent et signalent d’autres plumes – Sacrati, Ferrari ou Walter Goehr (Zurich déjà, première Poppea de studio)
le disciple Cavalli. Ensuite, qu’est-ce qui est écrit ? Là encore, ouvrent la voie littérale que défendra bientôt, preuves à
Orfeo répond : presque tout – les séquences, les instruments, l’appui, le savant Alan Curtis. Son hypothèse : seules les
les ornements. Tandis que Poppea, chef-d’œuvre de l’opéra lignes de chant et de basse sont de Monteverdi, tout le reste
Magnificat,
« commercial » (nous ne sommes plus à la cour : à Venise, apothéose
a été ajouté « par une main moins adroite ». Jouons le texte
on paie sa place), répond : presque rien. des Vêpres nu, nous jouerons le texte vrai. Et de le démontrer en studio,
Une brève introduction, quelques phrases de violon ; pour de Monteverdi en concert, en scène.
le reste, une ligne de chant, une ligne de basse instrumen- publiées en 1610. Auprès de ses confrères, Alan Curtis passait pour un fon-
tale, point. L’interprète sera donc plus qu’un exécutant. Les portées damentaliste spartiate. Un demi-siècle plus tard, c’est lui
Ce sera un juge. Qui chante, à quelle hauteur, qui joue quoi, montrent qui l’emporte. Les interprètes savent désormais lire ce texte
quand, comment, à combien ? Austère, le pionnier d’Indy ces fameuses jadis lettre morte. Pas seulement L’incoronazione di Poppea,
chiavette,
faisait autorité et ne trouvait d’opposant que le musicologue « petites clefs »
Il ritorno d’Ulisse tout autant, dont le jeune ensemble
crémonais Gaetano Cesari (littéral, avec clavecin, orgue qui induisent I Gemelli vient de montrer quels beaux enfants promet une
et luth, au début du XXe siècle ! aucun succès évidemment) une transposition lecture fidèle quand elle épouse la liberté.
quand sonna l’heure interminable des orchestrateurs. vers le grave, Le moins obscur Orfeo lui non plus ne manquait pas de
Benvenuti, Krenek (tous deux en 1937), Kraach (1959, dirigé devenues recoins sombres. Il fallut six ou sept décennies pour éclair-
en 1963 par Herbert von Karajan)… Poppée est impudique, pommes de cir sa notation, établir son diapason, pondérer son chœur,
qu’elle soit symphonique ! discorde parmi sentir son tactus, ranimer ses chitarroni, et surtout retrou-
les interprètes.
ver son chant. Ce bel canto des origines à la fois virtuose et
_ « Notre devoir est
de rendre au public,
cet idéal inaccessible. » _
Même chez les érudits que dégoûte le brouet d’Erich
Kraach, la courtisane conserve sa couronne bariolée.
Durant l’été 1962, le jeune claveciniste londonien Raymond
Leppard secoue le festival de Glyndebourne : Poppea
s’enivre de cordes et de polyphonie – mixture adoptée
partout dans le monde y compris au palais Garnier en 1978
(Gwyneth Jones, Jon Vickers, Christa Ludwig, Nicolaï
Ghiaurov, d’un kitsch étourdissant). Et les adversaires
du barocophobe Mr Leppard ne déploient pas moins de zèle
à élargir ce qui n’était autrefois qu’un support. En 1973,
à Darmstadt pour la scène et à Vienne pour les micros,
Nikolaus Harnoncourt fête les vingt ans de son Concentus
Musicus en habillant Poppea aussi royalement que possible
(cornets, chalemies, harpes). Luxe redéployé, avec plus de
feu et moins de rigueur à Zurich en 1977 lors d’une trilogie
Monteverdi mise en scène par son ami Jean-Pierre Ponnelle.
Date capitale : les instruments anciens s’imposent pour
la première fois, non seulement dans un théâtre de réper-
toire, mais à la conscience collective.
Dix ans plus tard à Montpellier, le contre-ténor René Jacobs
devenu chef justifie son adhésion au parti orchestral en pla-
çant le public sur le trône du roi. « Quand les théâtres de
Venise obéissaient à des lois économiques, » affirme-t-il,
« la noblesse italienne s’offrait des spectacles fastueux,
© WIKIPÉDIA

musicalement idéaux. Notre devoir, surtout au disque, est


de rendre au public cet idéal inaccessible en son temps pour
des raisons financières. »
● Baroque renaissance

déclamé, technique et poétique. Au Met, en 1960, Leopold entre pour et contre au nom de Vêpres que révèrent les uns
Stokowski voyait juste en recrutant Gérard Souzay. Dans comme les autres. Et encore une fois le camp dénigré des
les années 1970, les ténors Eric Tappy et Lajos Kosma (à chiavette finit par l’emporter. Le texte, le texte.
l’Opéra de Lyon), le baryton Philippe Huttenlocher (avec
Michel Corboz comme avec Harnoncourt), d’autres ténors, BACH
d’autres barytons s’en approchent. Mais un homme Le père
convertit cette grammaire abstruse en langue vivante : le Johann Sebastian Bach, lui, n’a pas attendu trois siècles.
ténor anglais Nigel Rogers qui, d’une voix sans charme, Sa notation n’était pas hiéroglyphe, ses œuvres n’ont pas
tire l’Orphée le plus éloquent par la seule exactitude. disparu. Pourtant, à sa mort, l’Europe ne connaissait que
Nigel Rogers trouvera dans ses compatriotes Anthony Rolfe deux Bach, son fils Johann Christian, le « Bach de Londres »,
Johnson, John Mark Ainsley, Simon Keenlyside, des émules et le puîné Carl Philipp Emanuel grâce à qui la bibliothèque
accomplis. Mais la leçon excède le cadre du théâtre. Musi- Chronique de Berlin détenait les principaux manuscrits du père.
cienne, analyste, interprète, Nadia Boulanger est d’abord d’Anna C’est là, dans la cité prussienne tenue à cette époque
une lectrice : malgré un piano anachronique, son enregis- Magdalena… pour Bachs Hauptstadt (capitale de Bach), que l’intime
En 1967,
trement début 1937 de neuf madrigaux, balli et lamenti d’Emanuel, le diplomate Gottfried van Swieten, découvre
Jean-Marie Straub
fertilise les imaginations par la justesse de la lecture. et Danièle Huillet
le trésor des temps à venir.
Comme la simple lecture distingue aujourd’hui un Concerto filment Rentré à Vienne, le baron van Swieten ne souhaite plus que
Italiano ou une Compagnia del Madrigale. le claveciniste rendre à l’Histoire ce qui lui appartient et restaurer un genre
Lecture à l’origine des dernières hostilités : la guerre des Gustav Leonhardt où s’accordent toutes les vertus de l’art divin : l’oratorio. C’est
chiavette. Au début du XVIIe siècle, à Venise dont le la litur- dans le rôle par lui que Mozart découvre l’harmonie et le contrepoint
gique était élevé, la polyphonie en général, le Vespro de 1610 de Johann du Cantor palpables dans la Messe en ut mineur ou Don
Sebastian Bach,
en particulier, recourent à ces chiavette, « petites clefs » qui Giovanni. C’est par lui que l’organiste Nikolaus Forkel
et le gambiste
indiquent une transposition vigoureuse sauf à maintenir Nikolaus
conçoit le projet d’une biographie de Bach – parue en 1802
les voix supérieures dans un registre trop aigu. Transposer ? Harnoncourt et dédiée à van Swieten.
Chef du Taverner Consort, Andrew Parrott répond oui à la en prince La biographie inspire le respect. Au moment où le génie
faveur du naturel. Chef du Monteverdi Choir, John Eliot d’Anhalt-Köthen. allemand sonde ses racines, Forkel lui découvre un père.
Gardiner répond non à la faveur du brio. La lutte s’engage Un père fondateur (Urvater) au-dessus du monde,
© IDI CINEMAFOTOGRAFICA/ RADIOTELEV

I
imperméable aux coquetteries viennoises : un Allemand
ni saxon ni prussien. Universel.
Il n’était toutefois question pour aucun adorateur de conver-
tir ce passé en présent. Survivaient quelques chorals, les
préludes et fugues, un ou deux motets, souvenirs émus mais
souvenirs. Jusqu’au 11 mars 1829. Ce soir-là, à Berlin, dans
une Sing-Akademie si pleine qu’il faudra bisser, trisser
le concert, devant la famille royale et les esprits de la nation
(Heine, Hegel…), un « nouveau Mozart » de vingt ans
exhume un joyau enfoui : la Passion selon Matthieu
(… secundum Evangelistam Matthæum, pas de saint chez
les luthériens). Moment crucial à Berlin, en Allemagne,
ici-bas, aujourd’hui pour demain.
Ce cadeau ne tombe pas du ciel. Felix adolescent avait reçu
pour Noël une copie complète de la Passion. Ses guides
n’étaient autres que son père Abraham Mendelssohn, fervent
collectionneur, et le musicien le plus respecté de Berlin, le
vétéran Carl Friedrich Zelter, maître de Meyerbeer, oreille
de Goethe et patron de la Sing-Akademie. Zelter refusait de
diriger Bach qu’il estimait trop difficile pour les exécutants
comme pour l’auditoire. Mais Felix a la jeunesse, l’appétit,
le soutien de l’Akademie et de son camarade la basse Eduard
Devrient à qui reviendra la partie de Jésus. « La plus grande
œuvre de notre plus grand maître » est ressuscitée.
Deux tiers des arias ont disparu, c’est un chœur mixte à cent
cinquante-huit poitrails qui soulève les âmes, non plus dans La « révolution Bach » attendra cependant le XXe siècle.

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une église comme au temps de Bach mais dans un audito- Dans les années Sur deux chemins. Premier chemin : l’instrument. Dès
rium. Le fidèle n’allant plus au Saint-Esprit, le Saint-Esprit 1910, la pianiste le 11 mars 1829, Mendelssohn hésite et se met… au clavecin.
Wanda
ira à lui : credo du monde laïc. Quatre ans plus tard à Landowska reçoit
Que le piano plus sonore chasse presque aussitôt.
Dresde, le nombre de musiciens aura doublé. Au fil des ans des ateliers Pleyel Schumann, Chopin, Brahms, Wagner : qui échappe au
l’orchestre gonfle. Les Passions, la Messe en si mineur, un clavecin Clavier bien tempéré ? Et pourtant qui ignore son véritable
les cantates engagent des foules qu’on distingue à peine moderne destinataire ? A la fin du XIXe les maisons Erard, Gaveau,
du public : un chœur, un peuple, un père tout-puissant. qui s’apprête Pleyel, conçoivent donc des clavecins modernes, adaptés
L’orchestre symphonique adopte les Concerts brandebour- à conquérir au goût moderne. Et c’est par eux qu’une pianiste polonaise
geois, les grandes Suites réorchestrées, les concertos pour le monde avant émigrée à Paris en 1900 s’apprête à conquérir la planète.
sa chute devant
violon. Avec un succès qui n’égale pas encore celui de la le clavecin
Sur une machine flambant neuve sortie des ateliers Pleyel,
Passion – quand, fin 1833, Chopin, Liszt et Ferdinand Hiller historique. dotée de jeux aigus et graves comme un orgue, Wanda
jouent à Paris un mouvement du Concerto pour trois « pia- Landowska illumine le festival Bach de Breslau en 1912.
nos » de Bach, Berlioz se désole « de voir trois talents admi- Si bien que la Hochschule de Berlin lui ouvre une classe
rables, pleins de sève, brillants de jeunesse et de vie, réunis spéciale. C’est sur ce clavecin « ferraillant » qu’en 1933 elle
en faisceau pour reproduire cette sotte et ridicule psalmo- soustrait les Variations Goldberg à l’empire des pianistes.
die ». Il n’empêche que, parmi les artistes sinon parmi les C’est sur lui qu’elle achève en 1954 l’enregistrement intégral
peuples, la température s’élève. Proche de Mendelssohn, du Clavier bien tempéré.
le violoniste Ferdinand David publie les Sonates et Partitas ; 1954. Les nouvelles d’Europe parviennent-elle jusqu’à son
Liszt transcrit la grande Fantaisie & fugue en sol mineur refuge américain ? Sait-elle qu’au même moment, à Vienne,
et brode sur le nom devenu talisman B-A-C-H (si bémol, la, un jeune claveciniste nommé Gustav Leonhardt, avec son
do, si) ; Brahms se sent petit aux pieds de la statue – « Si je ami violoncelliste Nikolaus Harnoncourt et leurs épouses
m’imaginais avoir pu écrire cette œuvre ou simplement la violonistes Marie et Alice, accompagne deux cantates
commencer », écrit-il à propos de la Chaconne pour violon, « sur instruments historiques » chantées par l’alto masculin
« je suis sûr que la fièvre et le choc m’auraient rendu fou. » Alfred Deller ? La guerre commence.
Pas seulement entre piano et clavecin. Entre clavecin et
_ En 1933, le clavecin « ferraillant » clavecin. Moderne et ancien. C’est-à-dire, de plus en plus,
entre vieux Modernes et nouveaux Anciens. Que pourra la
vestale Landowska contre le mouvement inauguré par
de Wanda Landowska soustrait Leonhardt ? Que pourront les disciples de l’une – Ruggero

Bach à l’empire des pianistes. _ Gerlin, Ralph Kirkpatrick, Rafael Puyana – contre les élèves
de l’autre – Ton Koopman, Pierre Hantaï, Skip Sempé ?

I 21
© GETTY IMAGES / HIROYUKI ITO
● Baroque renaissance

Et il n’y a pas que le clavecin. Dans Sodome et Gomorrhe « c’était la machine à coudre de Hindemith, des orchestres
(1922), Proust se plaint de ne pouvoir mêler à l’écrit la sono- Le chef érudit de chambre, des Musici di Roma. »
rité, « comme certaines œuvres de Bach ne sont jamais Andrew Parrott, En 1967, ce Bach historique incarné par Leonhardt (rôle-
rendues exactement parce que les orchestres manquent de ici à la tête titre) et Harnoncourt (prince d’Anhalt-Köthen) devient
ces “petites trompettes” au son si particulier, pour lesquelles du New York un film, Chronique d’Anna Magdalena Bach. Nouvelle
l’auteur a écrit telle ou telle partie ». Le siècle s’est alors déjà Collegium, victoire : cette cadence du Brandebourgeois no 5 au clavecin
reconstitue
lancé à la recherche des « petites trompettes » si périlleuses détrône tous les Steinway. Le tricentenaire de 1985 et le
le chœur
et cependant si congrues. Les organistes retrouvent cou- qu’aurait dirigé chambardement numérique mettent fin aux hostilités.
leurs, articulations, registrations. Wieland Kuijken et Anner Bach lui-même : Adieu orchestre de chambre, adieu Modernes d’un autre
Bylsma interrogent le violoncelle de Bach, Marie Leonhardt un chanteur âge, bonjour Musica Antiqua Köln, Petite Bande, Akademie
et Alice Harnoncourt son violon cordé en boyau, son archet par partie. für alte Musik, Concert des Nations, Café Zimmermann
léger, son phrasé verbal. Leurs dauphins ennemis Sigiswald und so weiter.
Kuijken (menton loin de la table) et Reinhard Goebel Côté chœur, la partie devait suivre un cours similaire.
(menton sur le bois) enseignent à leur tour. Les chorales massives héritées du XIXe siècle cédaient aux
Mais Bach n’est à personne. Résistent d’abord les forma- chœurs professionnels dont l’excellence n’égalait que le bien-
tions symphoniques désormais accoutumées aux Passions fondé. Qui pouvait préférer les chœurs de radio ou d’opéra,
annuelles. Ensuite ces formations « de chambre », souvent les cercles dilettantes encouragés, soupirait Bernard Shaw,
nées après la guerre quand le désir était grand et les moyens « à se mouvoir lourdement de note en note », aux prodiges
petits. Nombre de ces orchestres constitués par « la bande d’un Monteverdi Choir, d’un Collegium Vocale, d’un
des Karl » (Richter à Munich, Münchinger à Stuttgart, Pygmalion, d’un Bach Collegium Japan ? Gustav Leonhardt,
Ristenpart dans la Sarre) se vouent presque entièrement ici même en 1993 : « Il y a très peu de choses qu’on puisse
à Bach, comme Helmuth Rilling à Francfort ou Max affirmer au sujet de Bach. Mais une des rares choses que
Pommer à Leipzig. D’autres établis à Londres, à Rome, l’on sache, c’est ce qu’il pensait être l’idéal. Il l’a écrit : trois
à Lucerne, à Paris, jonglent de Purcell à Stravinsky sans
renoncer au Cantor, voix de Dieu donc de tous.
Or, plus que les institutions philharmoniques, ce sont
_ Ce qui mettait Harnoncourt en
précisément ces orchestres de chambre que les ensembles
« baroques » vont assécher. « Ce qui me mettait en colère », colère, c’était « la machine à coudre
se souvient Nikolaus Harnoncourt, ce n’était pas la Passion
selon Furtwängler ou les Brandebourgeois selon Krenek, des orchestres de chambre ». _
22 I
chanteurs par voix. Pour une œuvre à quatre voix, cela fait a convaincu ses pairs Alexandre Guilmant et Vincent d’Indy
un chœur de douze personnes. C’était son idéal. » Thèse que la nation manquait d’une école spirituelle opposée
illustrée par le fil conducteur du mouvement : l’intégrale au Conservatoire manuel. Une école qu’on baptise Schola
des cantates selon des critères historiques, dirigée par Cantorum, où les grands disparus reprennent vie, où, avec
les faux jumeaux Harnoncourt et Leonhardt, commencée les motets de Lassus et les cantates de Bach, renaissent les
en 1970, achevée en 1988. opéras de Monteverdi, de Lully, de Destouches, et bien en-
Or patatras. En 1982, le chef américain Joshua Rifkin relit Sur le perron tendu de Rameau. Début 1903, Castor et Pollux ouvre le bal
le fameux Entwurff (projet) de 1730 sur lequel repose cette de la Schola – réduit à deux actes qui électrisent Debussy : « Rameau
théorie du « douze idéal », et conclut : c’est un malentendu, Cantorum, rue semble un contemporain auquel nous pourrons dire notre
une mauvaise traduction. Manuscrits, gravures, usages, Saint-Jacques, admiration à la sortie », quand « la façon pompeuse et
témoignages, tout porte à croire que Bach dirigeait des en- ses trois fausse » de Gluck a perdu tout crédit.
fondateurs :
sembles de solistes. Un par partie. Mais oui ! s’exclament Les concerts de la Schola reçoivent un écho si favorable que
Charles Bordes,
Andrew Parrott, John Butt, Konrad Junghänel. Mais non ! Alexandre leur chef d’Indy parvient au but suprême : rendre Rameau
crient les maîtres du chœur, hier parés pour la révolution, Guilmant à son théâtre, le frileux Opéra de Paris. But atteint le 13 mai
aujourd’hui inquiets de leur prérogative. La paix signée par et Vincent d’Indy. 1908 au palais Garnier. D’Indy, qui l’année précédente ral-
les instrumentistes, voici que la guerre redouble chez les C’est par eux lumait la flamme de Dardanus à Dijon, suggère Hippolyte
choristes. Les apôtres de Bach ne dorment jamais. que ressuscitent et Aricie pour au moins deux raisons : le sujet adapté de
en même temps Phèdre ne paraîtra pas saugrenu, et la troupe compte une
Monteverdi
RAMEAU et Rameau.
Phèdre rêvée : Lucienne Bréval. Demi-succès – Hippolyte
La querelle ne reverra Garnier qu’en 1996. Mais Rameau, dont la statue
Lundi 7 février 1785, porte Saint-Martin, 324e et dernière
représentation de Castor et Pollux à l’Opéra. Et ? Et rien.
Un chœur de Zoroastre au premier Concert Historique
de Fétis en 1832, quelques pages principalement chorales
au long du XIXe siècle, les Pièces de clavecin republiées
pour la maigre cérémonie du centenaire en 1864. Depuis
1789, Rameau incarne l’Ancien Régime, ses perruques,
ses dieux, ses mœurs légères. Vive la vertu ! Vive Gluck
et bon débarras.
Jusqu’au 1er septembre 1870. Ce soir-là, les canons prus-
siens écrasent le Second Empire à Sedan. Napoléon III
en personne est fait prisonnier. Humiliation totale. Les
tranchées de 1914 prétendront laver notre honneur sali.
En attendant, debout ! Le présent nous condamne, que
le passé nous sauve !
Dijon, ville natale, organise en 1876 un premier Festival
Rameau. Trois ans plus tard, Théodore de Lajarte, bientôt
relayé par l’éditeur parisien Théodore Michaëlis, commence
à publier ses opéras. Entreprise interrompue après le sep-
tième volume mais trop urgente. L’inachèvement stimulera
l’éditeur Durand qui, entre 1895 et 1924, approchera les
vingt volumes confiés au directeur de publication Camille
Saint-Saëns (clavier, cantates, motets), à Paul Dukas
(Les Indes galantes, La Princesse de Navarre), à Vincent
d’Indy (Hippolyte et Aricie, Dardanus), Claude Debussy
(Les Fêtes de Polymnie) et Reynaldo Hahn (Les Fêtes de
l’Hymen et de l’Amour) entre autres sommités.
L’Exposition universelle de 1889 décuple les forces d’un pays
qui élève simultanément des temples à la gloire de ses héros
et de son avenir. Ici on inaugure la Tour Eiffel, là le pianiste
Louis Diémer joue Rameau sur un clavecin historique
de Pascal Taskin. En 1895, alors que Saint-Saëns publie
© SCHOLA CANTORUM

les Pièces de clavecin, Diémer fonde la Société des Instru-


ments anciens où quelques pages de Dardanus et des
Boréades voisinent avec une myriade de petits-maîtres
et qui procure à Tolstoï « le plus grand plaisir de ma vie ».
Quelques mois plus tôt, le compositeur Charles Bordes
● Baroque renaissance

monumentale accueille le spectateur aux marches du palais, rameauneuse Renée Viollier qui prépare au Festival d’Aix-
n’est plus un étranger chez lui. Le revoici au plus sanglant en-Provence une riposte non moins brillante : Platée,
de la guerre, deux jours avant que la Grosse Bertha ne comédie du même Rameau certes « révisée » mais non
crache ses obus sur la capitale, le 21 mars 1918, avec une déformée. En 1956, la grâce du ténor Michel Sénéchal jointe
autre tragédienne en feu sous le voile de Télaïre, Germaine à la bravoure du chef Hans Rosbaud font de l’été Mozart
Lubin. Vrai succès : la soprano tient plus de cinquante fois un été Platée. Querelle identique en 1964 pour les fêtes du
le rôle jusqu’au fracas d’une autre guerre à l’automne 1940 bicentenaire. A Bordeaux puis à l’Opéra-Comique, Manuel
(Castor quitte alors la maison pour le reste du siècle et n’y Rosenthal dirige un Zoroastre lourdement orchestré quand
reviendra, dit-on, que dans deux ans sous la baguette de son confrère Serge Baudo donne à la Maison de la Radio
Theodor Currentzis). le même Zoroastre, écourté mais respectueux quant à l’or-
La fortune de Castor laisse à peine deviner celle qui attend chestration et abaissé d’un ton pour rendre aux chanteurs
un titre inattendu après l’armistice. Le 18 juin (!) 1952, le la prononçable de 1756 (notez que le jeune chef à la mode,
le rideau se lève sur le plus chatoyant spectacle de l’Opéra Pierre Boulez, concilie alors rigueur et couleur en dirigeant
avant Rolf Liebermann. Son prédécesseur Maurice Hippolyte et Aricie au Théâtre des Champs-Elysées).
Lehmann a recruté sept peintres célèbres (Carzou, L’été 1982 : L’inépuisable querelle des Anciens et des Modernes trou-
Wakhévitch, Chapelain-Midy…). Le ballet bondit, les flots Jean-Philippe vera encore des adversaires équitablement répartis lorsque
écument, un volcan s’allume, on diffuse des parfums dans Lafont, paraîtront, la même année 1974, les deux premières Indes
la salle. Lido culturel des Trente Glorieuses, Les Indes Jennifer Smith et galantes du microsillon, ici Jean-François Paillard, là
galantes (ou ce qu’il en reste) retentissent près de trois cents Gilles Cachemaille Jean-Claude Malgoire, tous deux « sur instruments mo-
créent
fois jusqu’en 1965. On accourt de New York, de Tokyo. Qui dernes », l’un sur le mode moderne sostenuto cantabile,
Les Boréades,
n’a pas vu les Indes n’a rien vu. tragédie lyrique l’autre sur le mode baroque, scandé, articulé. Pourtant

_ Le Rameau futur, notre de Rameau


mise en scène
elle finira, notre joyeuse querelle.
Elle finira le 21 juillet 1982. Après un essai en concert
par Jean-Louis à Londres, John Eliot Gardiner révèle Les Boréades à Aix-
Rameau, est né ce 21 juillet Martinoty
et dirigée par
en-Provence. Entrée des archets courbes, des flûtes sans
clefs dans une institution de première grandeur. Du moins
1982 à Aix-en-Provence. _ son champion
historique,
en France où, deux ans plus tôt, Raymond Leppard immo-
John Eliot lait Dardanus à l’Opéra national. Triomphe par KO des
Ici renaît une solide tradition française : la querelle. Gardiner. Anciens parce qu’ils sont décidément les plus modernes.
Première querelle, art contre spectacle. Coupées, alourdies, Après Les Boréades, Gardiner portera aux nues Hippolyte
falsifiées, les Indes de l’Opéra national exaspèrent la et Aricie. Le Rameau futur, notre Rameau, celui de William
© 2018 COLLECTION ARMELLE & MARC ENGUERAND
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Christie, de Marc Minkowski, de Christophe Rousset, Dès 1772, Hambourg découvre Le Messie, triomphe tel
de Raphaël Pichon, d’Alexis Kossenko, celui de Simon Rattle Londres 1911.
que, trois ans plus tard dans la même ville la même œuvre
qui fait souffler Les Boréades à Salzbourg en 1999, ne doit Presque autant sera dirigée par Carl Philipp Emanuel Bach. Messie partout
rien à Maurice Lehmann, ni à Raymond Leppard, ni au de musiciens sans interruption. Et, à partir des célébrations de 1784
visionnaire Harnoncourt – premier « baroqueux » à oser que d’auditeurs à Westminster, sans limite. Comme celui de Bach, le chœur
Castor et Pollux en studio (1972). Le Rameau de Platée régu- sous la coupole de Handel enfle, enfle. Cinq cents musiciens à Westminster ;
lièrement à l’affiche de l’Opéra depuis 1999, le Rameau du Crystal Palace. trois ans plus tard, plus de huit cents. En 1857, le chef
des Polymnie, des Osiris, des Acanthe et Céphise arrachés Selon Michael Costa inaugure un Handel Festival sous la cou-
Bernard Shaw,
au silence, est né ce 21 juillet 1982 à Aix-en-Provence. Fin c’est Handel
pole futuriste du Crystal Palace : le nombre d’exécutants
de la querelle. Jusqu’à la prochaine. qu’on passe deux mille. Mille de plus pour le centenaire en 1859,
« assassine ». quatre mille cinq cents en 1883, et cetera. « En Angleterre »,
HANDEL écrit Bernard Shaw, « Handel est assassiné par la tradition
Le théâtre des chœurs gigantesques. »
Premier compositeur sans purgatoire. En 1759, une Le carnage cessera lors d’un autre anniversaire : 1959.
semaine avant sa mort, il assistait à son propre Messie. A ce moment, plusieurs chefs instruits par les musicolo-
Ni trêve ni parenthèse. Sans attendre, son éditeur publie gues de Londres et de Cambridge esquissent un retour
un Opus 7 posthume rempli de ce qui faisait alors la re- aux proportions « historiques ». Adrian Boult et Colin
nommée du musicien, ses concertos pour orgue. Au même Davis en tête, suivis de Richard Bonynge, Charles
instant, son disciple John Christopher Smith dirige Tobit, Mackerras, Raymond Leppard, Neville Marriner dont
patchwork puisé dans les œuvres du disparu comme pour le conseiller n’est autre que Thurston Dart, autorité mon-
nier sa disparition. Les faux oratorios de Handel se suc- diale, claveciniste de surcroît. Marriner tenait le violon
cèdent, qui ne font nul obstacle aux vrais, son cadet chez Davis, Hogwood tiendra le clavecin chez Marriner
Thomas Arne dirige Alexander’s Feast en 1762, le comte avant de s’émanciper à son tour. A la fin des années 1970,
Cowper fait exécuter la même ode à Florence en 1768, un la baroque generation prend ainsi le pouvoir, au moins
Messie écourté gagne New York en 1770… Peut-on mieux dans les studios : Christopher Hogwood, John Eliot
résumer la vie post mortem du géant que le jeune compo- Gardiner et son insurpassable Monteverdi Choir, Andrew
siteur britannique Samuel Arnold, auteur en 1774 d’un Parrott, Harry Christophers, Paul McCreesh et leurs
autre patchwork intitulé Omnipotence ? rivaux, poussant parfois le scrupule jusqu’à restituer un

I 25
● Baroque renaissance

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état éphémère de la partition – Dublin 1742, Foundling le rôle-titre de Giulio Cesare – rôle écrit pour le castrat alto
Hospital 1754. Natalie Dessay Senesino – aux barytons Benjamin Luxon (à Vienne) et
Mais à cette époque quelque chose a changé. En fait, tout est Cleopatra Thomas Hampson (à Zurich). Usage désuet, au moins depuis
Handel a changé. Après sa (non) mort en 1759, une poignée dans Giulio la fondation en 1955 d’une Handel Opera Society (HOS)
d’ouvrages survécurent : quelques oratorios avec trompettes Cesare en 2011 dirigée par le maestro Charles Farncombe. La HOS ne ré-
au palais Garnier.
(Le Messie, Judas Maccabaeus, Israel in Egypt), deux ou trois Inconnu en 1920,
vèle pas seulement Joan Sutherland et Janet Baker, elle rend
odes et anthems, Water Music. Avait entièrement disparu le titre sera vu leur voix aux héros. Margreta Elkins, Huguette Tourangeau,
le théâtre, qui fut toute sa vie. cette seule année Helen Watts portent l’armure, après elles Tatiana Troyanos,
Le 6 avril 1754, le rideau tombait sur Admeto, dernière repré- 2024 de Vienne Marilyn Horne, Teresa Berganza.
sentation d’un opéra italien à laquelle le compositeur ait pu à Jérusalem, Quand sonne à la porte un inconnu : le contre-ténor.
assister. Il faut attendre 1878 pour réentendre à Hambourg de Sydney à Tartu En 1954, Alfred Deller enregistre Sosarme. Loup solitaire,
un florilège de son premier drame lyrique, Almira, et encore et de Francfort rejoint dans les années 1970 par ses disciples Paul Esswood,
à Paris.
près d’un demi-siècle pour que ressurgisse un opéra com- James Bowman, Charles Brett, René Jacobs, puis par les
plet. Encore cette Rodelinda fondatrice, exhumée le 26 juin falsettistes de moins en moins éthérés, de plus en plus incar-
1920 à Göttingen par le professeur d’histoire de l’art Oskar nés, les Américains Jeffrey Gall, Derek Lee Ragin, David
Hagen, est-elle traduite, réduite, allégée de ses da capo, Daniels, Bejun Mehta, Lawrence Zazzo, et Gérard Lesne,
recomposée à l’occasion et transposée afin de répondre aux et Jochen Kowalski, et Andreas Scholl, et aujourd’hui
critères du jour. « Toute personne douée de raison », écrit Max Emanuel Cencic, Franco Fagioli, Philippe Jaroussky,
le Dr Hagen, « sait que les opéras de Handel dans leur forme Paul-Antoine Bénos-Djian, Christophe Dumaux ou la star
originale sont incompatibles avec les exigences de la scène dansante Jakub Jozef Orlinski.
moderne. » Pour les rendre compatibles, les rôles masculins Alto féminin (seule alternative au castrat sur scène au
destinés aux castrats descendent d’une octave. Handel, oui, XVIIIe siècle), alto masculin, nos cœurs balancent. Il n’en est
à condition qu’il ne s’éloigne pas de Wagner. pas moins certain que, notamment par eux, Handel s’est
A ce prix, c’est un triomphe. L’été suivant, Hagen essaie métamorphosé. Jusqu’en 1987, l’Opéra de Paris ne connais-
Ottone. Encore un an et, le 5 juillet 1922, voici Giulio Cesare sait pas un seul de ses drames. Depuis, Cesare, Alcina,
porté disparu depuis 1737. Ou plutôt Julius Caesar, version Ariodante, Hercules y séjournent. En concert ou en spec-
princeps de ce qui allait devenir le plus populaire des opéras tacle, le Théâtre des Champs-Elysées lui réserve une place
seria. Ainsi naquit le Festival de Göttingen, origine d’un à part. Les années italiennes du jeune compositeur
Handel revival toujours florissant. – Agrippina, La resurrezione, Il trionfo del Tempo, cantates,
Et toujours en quête de voix. Les ténors, les barytons et motets – sont sorties de l’ombre. Et le bel canto de ses
les basses ont sévi longtemps. Un avocat de la cause contemporains Hasse, Vinci, Porpora guide leur retour au
« historique » comme Nikolaus Harnoncourt, premier chef phare qu’il a allumé. Ce théâtre que méprisaient nos aïeux
à avoir enregistré un oratorio de Handel philologique sur mais qui est la sève de Handel, son principe vital, parle une
instruments d’époque (Belshazzar, 1975), distribuait en 1985 langue d’aujourd’hui. Sursaut irrépressible. Cette seule

26 I
_ Entre alto masculin L’allumette embrase le disque classique en 1999 : c’est le
Vivaldi Album, premier opus monographique de Cecilia
Bartoli, feu aux poudres à tous égards. Alberto Basso bran-
et alto féminin dit l’album pour convaincre la patronne d’Opus 111, maison

nos cœurs balancent. _ bientôt rachetée par Naïve. L’Edition Vivaldi se propose
de transformer en objets sonores les 450 œuvres préservées
dans la collection de Turin. Opéras compris : L’Olimpiade
année 2024, Flavio se chante à Vienne, Hercules à Berlin, par Rinaldo Alessandrini et La verità in cimento par Jean-
Il trionfo à Munich, La resurrezione à Hambourg, Agrippina Christophe Spinosi en 2003, ensuite Orlando finto pazzo,
à Amsterdam, Partenope à San Francisco, Deidamia à Orlando furioso, Tito Manlio, Griselda, ainsi jusqu’à Dario
Tokyo, Alcina à Sydney et Milan, Cesare à Versailles et en 2013. L’éditeur traverse l’ouragan internet avec peine
Monaco, Arianna et Orlando à Londres… A Paris : Giulio mais il en faut davantage pour épuiser les artisans. Après
En tête
Cesare, Rinaldo, Berenice, Tolomeo. Et on en passe deux d’une génération une pause forcée, reprise en 2017 : Dorilla in Tempe,
grands tiers. Le gourmand George Frideric, qui avait fui spontanée Giustino, Argippo, Tamerlano.
l’opéra italien pour n’y plus revenir, pouvait-il s’attendre apparue en Italie Feu d’artifice. Feu d’artifice trompeur. Ces merveilles
à pareil festin ? à la fin des restent le partage des seuls amoureux. Nos grands théâtres
années 1980, ignorent toujours ce répertoire qui refuse d’en devenir un.
VIVALDI le violoniste-chef Aucun opéra de Vivaldi au Met, à Covent Garden, au
Fabio Biondi
Le violon secoue Les
Staatsoper de Vienne, à l’Opéra de Paris, aucun à Salzbourg
En 1930, la bibliothèque de Turin acquiert la collection Quatre Saisons.
ou à Aix. Non, si l’opéra s’enregistre, si Stabat Mater et Nisi
personnelle d’Antonio Vivaldi, somme en vingt-sept Dominus unis en 1975 par James Bowman ont nourri
volumes redécouverte quatre ans plus tôt. Fin d’une pé-
régrination rocambolesque qui deviendra un roman
– L’Affaire Vivaldi du chef flûtiste Federico Maria Sardelli
(2015, traduit en 2022).
Les opéras de Handel refleurissent en Allemagne, pourquoi
ceux de Vivaldi ne retrouveraient-ils pas un public en Italie ?
Deux semaines après l’invasion de la Pologne par le
IIIe Reich, le 19 septembre 1939, la toute jeune fondation
des Studi Vivaldiani inaugure une Semaine Vivaldi à
Sienne. En ouverture : L’Olimpiade, premier opéra du Prêtre
Roux entendu au XXe siècle, évidemment très « arrangé ».
Bruit modeste comparé à celui des hymnes et des armes.
La guerre vient, la voix s’éteint. Vingt ans séparent
L’Olimpiade d’une Fida ninfa en tournée. On taille, on trans-
pose, on s’ennuie : jusqu’à l’Orlando enregistré en 1977
par Claudio Scimone la fête est triste.
Du bruit, l’album de 1977 en fait un retentissant. Marilyn
Horne incendie le rôle-titre ; à ses côtés Victoria de Los
Angeles, Sandra Browne, Lajos Kosma rivalisent de sé-
duction ; le chef lui aussi transpose, supprime (la moitié
des airs et beaucoup de récitatifs), ses Solisti Veneti
préfèrent le soave au furioso, mais ça y est. Le disque
donne lieu à un spectacle qui instaure le metteur en
scène Pier Luigi Pizzi titulaire de la scène baroque pour © GETTY IMAGES / ROBERTO SERRA - IGUANA PRESS

deux décennies. Cette fois l’effort paie. La même année


paraît un (long) Tito Manlio. Suivent Catone, Dario et…
et… le parfum à nouveau s’évapore. Maîtres du nouveau
monde, les Harnoncourt, les Gardiner, n’y prêtent
aucune attention.
Point de théâtre ? Patience. En attendant, chantons au mi-
cro. Les partitions sont prêtes, les voix entraînées, les chefs
instruits. Les soutiens aussi : le chercheur Alberto Basso,
sa bonne fée musicienne au nom prédestiné Susan Orlando,
notre acolyte Roger-Claude Travers, plaideur historique,
son camarade Frédéric Delaméa… Ne reste qu’à trouver
un éditeur et gratter l’allumette.

I 27
● Baroque renaissance

l’éditeur Decca et le nourrissent encore, si le Gloria résonne


du Cap à Montréal, l’atout du compositeur dans le concert
des nations reste l’instrument. La flûte, le hautbois, le bas-
son et d’abord le sien : le violon.
Dimanche 26 février 1922, le virtuose romain Bernardino
Molinari tente une première au XXe siècle : l’exécution pu-
blique d’un groupe de concertos descriptifs autrefois prisés :
Les Quatre Saisons. Tant de bravos qu’il recommence, dédie
en 1927 son arrangement « à Benito Mussolini » et l’enre-
gistre en pleine guerre pour Cetra. Album à l’origine de la
fondation en 1947 d’un Institut Antonio Vivaldi par Antonio
Fanna et Angelo Ephrikian, missionnaires inlassables.
En 1951, un Royal Festival Hall tout neuf accueille le pre-
mier festival Vivaldi des îles britanniques : le virus a
traversé le Channel, Londres sera elle aussi capitale du
violon baroque. Et la fièvre se répand des Solisti Veneti
à l’Academy of St Martin in the Fields, des Musici aux
Solistes de Zagreb, archet long, vibrato généreux, délec-
table ronron jusqu’aux préparatifs du tricentenaire
© PIERRE GROSBOIS

quelques saisons après le baroque boom de 1973.


A l’approche de l’an 1978, James Bowman enregistre son
cher Nisi, Claudio Scimone son Orlando rêvé, Simon
Standage et l’English Concert essaient les Quatre saisons
(essai transformé dans leur superbe remake en 1981)
auxquelles Alice et Nikolaus Harnoncourt répondent par
l’ouragan déchaîné contre le legato universel. Quand le son page et régné en monarque absolu, n’inspirait aucune
diapason baisse, le ton s’élève. L’antoniomania inonde la « Un rêve noir sympathie. Admiré dans toute l’Europe, le monologue
planète. Sauf l’Italie, inconsolable depuis que Salvatore habité par d’Armide ouvrait en 1832 la deuxième partie du premier
Accardo et Felix Ayo ont perdu leur couronne. un soleil » : Concert Historique de Fétis au Conservatoire. La même
ainsi le metteur
Le retour au pays attendra 1990. En quelques années, Armide résumera donc à elle seule toutes les tragédies
en scène
Enrico Gatti, Fabio Biondi, Enrico Onofri, Giuliano Jean-Marie
de Lully à la Schola Cantorum, le 24 novembre 1905.
Carmignola forgent le violon du siècle qui vient. Un violon Villégier voit-il Manque toutefois le principal : la méthode. Manquent
latin qu’Ottavio Dantone, chef du Giustino et du Tamerlano Atys, spectacle les luths, les violes, les tailles et les basses de violon.
dans l’Edition Vivaldi, entend « à la fois libre et cultivé : majeur Manquent le coup d’archet, la carrure, la déclamation, l’élan
lyrique dans l’expression, bouillonnant par le rythme. du XXe siècle des gigues, l’instinct de la basse continue. Quand on ne sait
Un art du chant complet, avec des mots. Des mots sans finissant, repris pas lire, on accuse le texte. Un motet, une suite, une fanfare,
avec un égal
bouche mais beaucoup de mots ! » le menuet du Bourgeois gentilhomme, piochez à loisir. Un
succès en 2011.
opéra complet, n’y songez pas. Amateurs et professionnels
LULLY préfèrent Charpentier, sa densité, son harmonie, son rythme
Le renouveau savant, son décor italien, et des deux Te Deum celui de Lully
« On trouve dans les opéras de Lulli des steppes de récitatifs est de beaucoup le moins populaire.
et d’airs, où le premier temps de chaque mesure tombe avec Fondateur en 1966 d’un ensemble pionnier, sur instruments
une raideur implacable sur la rime, ou sur la césure de modernes mais abreuvé aux sources historiques,
l’hexamètre. C’est d’une monotonie accablante. » Verdict Jean-Claude Malgoire avait fait comme tout le monde :
prononcé en 1907 par Romain Rolland. Sans appel puisqu’on un air de trompette, une turquerie. Et puis, en 1975, le grand
eût, à l’époque, cherché en vain une contradiction. bain : Alceste, première tragédie de Lully au disque. Toute
Lully n’est pas perdu. La plupart des œuvres ont été publiées la Grande Ecurie et la Chambre du Roy plonge avec lui.
de son vivant. Elles sont à l’origine de ce que nous nommons La steppe était donc habitable : pluie de récompenses… sans
« répertoire » : dédié à Louis XIV en 1675, Thésée tenait conséquence. Habitable, mais la clef, où est-elle ? Manque
encore l’affiche de l’Opéra en 1779 – hors l’église, nul com- toujours le fluide qui changera ce marbre en chair. Le pas-
positeur ne connut en son siècle pareille longévité. Chacun sage aux « instruments anciens » annonce la révélation.
mesurait l’impact que le style, l’orchestre, le drame de Lully Armide, enregistrée par Philippe Herreweghe et la jeune
avaient eu sur Purcell, Handel, Telemann, Rameau – outre Chapelle Royale sous le contrôle de Philippe Beaussant,
les auteurs d’hommages spontanés, Couperin, Rebel, Grétry, malgré ses hésitations passagères et le sacrifice de l’acte IV,
jusqu’à Richard Strauss ou au cinéma de cape et d’épée. n’est pas loin d’y parvenir… …Alors parut Atys.
Pas perdu : proscrit. Mauvais caractère, mauvaises mœurs, Quand approchait l’année Lully (mort en 1687), le directeur
le « Florentin » qui avait écarté ses semblables, troussé de l’Opéra national était l’ancien patron du Teatro Comunale

28 I
de Musique baroque fondé la même année 1987, puis par
ses propres moyens, elle ressuscite Campra, Marais,
Mondonville, embrasse Handel, Bach, Mozart, Berlioz.
Elle voyage, rayonne, se démultiplie au point que plus
personne ne sait combien de Poème Harmonique (autre
lullyste), de Concert d’Astrée (plutôt Rameau), de Pygmalion,
de Rêveuse, d’Accents, de Marguerite Louise, de Chapelle
Harmonique, de Jupiter, de Consort nous honorent. Plus
d’une centaine. Dans ce domaine au moins, nul déclin.

MOZART ET AU-DELÀ
La conquête
« J’écoute Bach au piano », avouait le claveciniste Yannick
Le Gaillard, « mais Schubert sur un Steinway, impossible. »
Position défendable – l’univers stylisé de Bach ne repose pas
sur l’instrument quand Schubert ne gagne rien à singer
Rachmaninov. Défendable mais peu commune. Aux ama-
teurs de piano, les claviers historiques évoquent générale-
ment le bastringue du grenier familial.
Même réticence à l’orchestre. Que les « baroqueux »

© GETTY IMAGES / HIROYUKI ITO


épluchent Monteverdi, Purcell ou Rameau, à la rigueur
Bach et Handel. Mais Mozart, mais Beethoven ! L’orchestre
moderne est né de leurs symphonies, pourquoi restaurer
l’imperfection que l’usage et le progrès ont corrigée ?
« L’interprétation vraiment “historique” », clame Nietzsche
_ La « génération Atys » en 1879, « parlerait en fantôme à des fantômes. » Réponse
de Nikolaus Harnoncourt en 1954 : « Cette attitude face

ne se borne pas
à servir Lully : elle voyage,
elle rayonne. _
à Florence, Massimo Bogianckino. Sous son gouvernement,
Lully serait bien traité. William Christie et les Arts florissants
viennent de rétablir la Médée de Charpentier dans ses droits
et de reprendre à Paris le somptueux Hippolyte d’Aix-en-
Provence. Le théâtre classique de Jean-Marie Villégier a
conquis la Comédie-Française, la chorégraphe Francine
Lancelot étudié les pas du Grand Siècle. Tous sont là, tout
est prêt pour faire d’Atys, mieux que le triomphe de l’opéra
baroque, le flambeau d’une génération.
Fin 1986 (Florence) et début 1987 (Opéra-Comique),
Christophe Rousset est au clavecin, Hugo Reyne à la flûte,
Marc Minkowski au basson. Trois héritiers – c’est-à-dire
continuateurs et contradicteurs – qui défendront Lully sur
ces nouveaux fonds. Minkowski est le premier à enregistrer
deux de ses opéras, Phaëton et Acis et Galatée. Hugo Reyne
entreprend une intégrale (Ballet de Flore, Isis, Amadis, Atys !)
suspendue après le treizième volume. Intégrale – des seuls
opéras – que Christophe Rousset (Persée, Bellérophon,
En 1968, Robert Levin découvre
Roland…) est en voie d’accomplir. Ténor du chœur en 1987, le lien profond qui unit Mozart
Hervé Niquet se voue aux grands motets – et à Proserpine. à son instrument, le pianoforte.
La génération Atys ne se borne pas à servir Lully. Elle assure En 2023, son intégrale des sonates
au pays une légitimité dont l’excellence anglaise, flamande reçoit un Diapason d’or de l’année.
ou allemande le privait jusqu’alors. Par la grâce d’un Centre

I 29
● Baroque renaissance

à la musique historique – ne pas la rapporter au présent mais Beethoven, et ensuite ? Berlioz évidemment. Plus que le titan
se replacer soi-même dans le passé – est le symptôme de de Vienne, l’insurgé de Paris pensait couleur, caractère.
l’absence d’une musique contemporaine vraiment vivante. » La facture moderne n’a-t-elle lutté contre le « son froid et
Constat d’une ère fantôme. D’une disparition, non de la mu- l’abominable hurlement » de l’ophicléide décrit par Berlioz
sique actuelle dans le monde actuel, mais de la musique dans son Traité d’instrumentation, ce « quelque chose de pé-
comme art dans le bizness mondial. Qui veut retarder cette nible, de souffrant » propre à l’aigu du basson français, les
disparition ne peut pousser aveuglément la même charrue « sons perçants » de la clarinette en mi bémol ? N’avions-nous
en attendant la fin. « Restituer authentiquement » la mu- pas perdu l’expression en perfectionnant la technique ?
sique historique, poursuit Harnoncourt, ne signifie pas Berlioz, et ensuite ? Bruckner, qu’un Philippe Herreweghe
accepter son rôle de fantôme. C’est « la seule voie juste pour « dékarajanise » au festival de Saintes et en studio dans
la rendre de manière vivante et respectueuse ». un esprit que lui-même compare à celui de Marguerite
Harnoncourt dessinait pourtant la frontière de son do- Yourcenar dans les Mémoires d’Hadrien : « Refaire du de-
maine : Monteverdi, Biber, Bach… jusqu’au petit Mozart dans ce que les archéologues ont fait du dehors, tâcher
de Mitridate et Lucio Silla. Pour servir le grand Mozart de rendre leur mobilité, leur souplesse vivante, à ces
de Don Giovanni, il préférait l’Orchestre du Concergebouw visages de pierre. » Et Wagner que Concerto Köln et The
à son propre Concentus. Frontière que les disciples – et lui- Age of Enlightenment, ensembles spécialisés, confient
même à la fin de sa vie – feront reculer sans cesse. Le pia- à des chefs aussi modernes que Simon Rattle ou Kent
niste Paul Badura-Skoda, qui déclarait en 1957 le pianoforte Nagano. Et Mahler à qui les Smithsonian Players resti-
« impraticable » par défaut d’instrument en bon état, change tuent des Stradivarius non modifiés. Et Debussy dont
d’opinion et se fait le champion des claviers perdus. Mozart En 2016, le chef Pelléas et Mélisande retrouve son Opéra-Comique natal
(très) moderne
devient l’enjeu : fondement du répertoire institutionnel, Kent Nagano
« sur instruments d’époque ». Et Ravel que rhabille Jos van
il éveille la curiosité des indépendants. Au point que certains inaugure un Ring Immerseel, et Stravinsky acéré par Les Siècles de François-
« baroqueux » purs et durs, le flûtiste à bec Frans Brüggen de Wagner avec Xavier Roth. Et Schumann, et Offenbach, et Chabrier, pas
en tête, trahissent leurs amours de jeunesse par dévotion l’ensemble encore Puccini mais demain…
à Mozart, Haydn et Beethoven. En Grande-Bretagne, Roger Concerto Köln Défiées, les institutions permanentes clament une légitimité
Norrington fonde des « London Classical Players ». Classical jouant sur que ni le public ni les élus ne leur contestent. Statu quo pour
au sens large : après Mozart, place à un Beethoven fidèle instruments l’instant. Permanents, intermittents : deux modèles s’af-
« historiques »
aux effectifs et surtout aux tempos publiés par le composi- (au centre,
frontent qui se posaient autrefois en culture / contre-culture
teur en 1817. Avec ou sans tempo, dans les années 1980, le Wotan et se sont établis en cultures au pluriel. Rivales et simulta-
les symphonies de Beethoven rajeunissent entre les mains de Simon Bailey). nées. L’enjeu n’est plus esthétique. Il est politique, il est
de MM Brüggen, Gardiner and friends. financier, il est planétaire, il est présent. ◼
© KÖLNMUSIK / JÖRN NEUMANN

30 I
NOUVEAUTÉS • CE MOIS-CI

À Versailles la musique résonnait à tout instant enregistrements et captations, tous réalisés dans
et en tout lieu. Du lever au coucher du soleil, elle les plus beaux espaces du Château de Versailles:
accompagnait les grands moments de la vie de Opéra Royal, Chapelle Royale, Galerie des Glaces…
la Cour, lors des soupers et des chasses, pour les Se côtoient ainsi mises en scène lyriques, concerts
fêtes, dans les bosquets et les jardins. prestigieux, musiques de chambre intimistes au sein
La musique a aujourd’hui repris sa place à Versailles: de cette programmation où les œuvres du répertoire
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PORTRAIT

Counterpoint
A peine plus âgé que Philip Glass, Steve Reich a développé tout au long
de son existence un langage musical dont l’étiquette « minimaliste » offre
une description… minimale. A quatre-vingt sept ans, il continue à explorer
des sons et des rythmes nouveaux, comme on pourra le vérifier lors
du prochain Festival Présences de Radio France, dont il est l’invité d’honneur.
PAR PIERRE RIGAUDIÈRE

l compte parmi les compositeurs radicalité accessible. Sa générosité Stockhausen, Berio, alors que sa mu-
vivants les plus connus de la pla- se manifeste dans son travail avec sique d’avant 1950 pointait vers ce que
nète, que bien des jeunes créa- les musiciens, mais aussi dans le les gens appelaient minimalisme. John
teurs d’horizons géographiques temps qu’il a bien voulu nous accorder Cage était une force majeure et vous
et esthétiques très différents citent pour revenir sur certains points de son ne pouviez pas descendre la rue, parce
aujourd’hui encore comme l’une de parcours, ses propos alimentant la to- qu’il se tenait devant vous, si bien que
leurs sources principales d’inspira- talité des citations qui figurent dans son la seule chose possible était de le
tion, voire comme un choc fondateur. le présent portrait. actualité contourner ! » Aux voix de la musique
Avec son énergie créatrice en appa- Parmi les titres de ses compositions savante occidentale qu’il admire de
EN SCÈNE
rence inépuisable, Steve Reich laisse- des années 1980, apparaît trois fois façon sélective – avec une éclipse entre
Festival
rait presque penser que sa trajectoire le terme « counterpoint ». De façon Présences. Bach et Debussy, Stravinsky, Bartok –,
musicale a toujours été un long fleuve métaphorique ou plus directement Paris, Radio France, et du jazz – l’écoute de Coltrane contre-
tranquille. Dans ses œuvres les plus musicale, l’idée de contrepoint Philharmonie, pointe l’enseignement de Berio à Mills
emblématiques qu’il a tenu à faire condense plusieurs caractéristiques du 6 au 11 février. College –, viennent un peu plus tard
figurer au programme du Festival remarquables de la démarche artis- 16 œuvres de Reich s’ajouter celles des percussions afri-
figureront
Présences 2024, on pourra cependant tique de Steve Reich. Des études conco- au programme,
caines, découvertes dans un célèbre
lire, en filigrane, son enfance chahutée mitantes de philosophie – au cours dont la première ouvrage du révérend A.M. Jones, puis
entre New York et la Californie, les pe- desquelles il commence à s’intéresser française celle du gamelan indonésien, alors en
tits jobs qu’il a dû enchaîner pour de près à la pensée de Wittgenstein – de Jacob’s Ladder pleine efflorescence sur les campus
asseoir son activité musicale, la résis- et d’histoire de la musique, à l’Univer- pour quatre voix nord-américains, et dont se souvient
et ensemble
tance à un vent dominant qui poussait sité Cornell pendant les années 1950, instrumental (pièce
la flûte d’Octet (1979).
© RADIO FRANCE / CHRISTOPHE ABRAMOWITZ.

plutôt, pendant ses années d’études, alimentent déjà deux flux complémen- créée à New York
vers le sérialisme prôné à Darmstadt, taires. Il renonce à Harvard pour la le 5 octobre 2023, L’art du canon
et dont Berio a su l’aider à se libérer. Juilliard School où il étudie avec par le New York Comme avant lui Webern ou Ligeti,
On y entendra aussi – pour peu qu’on Vincent Persichetti, consolide sa for- Philharmonic et Reich voit en Pérotin, dont le célèbre
Synergy Voices, dir.
laisse de côté l’idée facile qu’il serait mation avec des leçons privées auprès Jaap Van Sweden).
organum Viderunt Omnes a inspiré
un compositeur doublement répétitif, du jazzman Hall Overton. Pour Reich, Proverb (1995), puis en Dufay et
au sein des œuvres mais aussi entre John Cage est alors un anti-modèle Josquin, des maîtres de l’écriture
elles – qu’il a su se renouveler à des mo- qui, à partir de Music of Changes et de contrapuntique. Mais c’est plus spéci-
ments clés en intégrant de nouvelles son intérêt pour les procédures aléa- fiquement dans le principe du canon
influences, et qu’il n’a jamais renoncé toires, est entraîné « dans un monde que s’ancre son rapport à la polypho-
à ce qu’on pourrait appeler une sonore plus proche de Boulez, nie. Et le canon commence chez lui,

32 I
© JACK VARTOOGIAN-GETTY IMAGES
● Steve Reich

de la façon la plus littérale qui puisse déphasage et les boucles, les motifs confronter la notation à l’épreuve du
s’imaginer, par le décalage pris, résultants sont un phénomène inhé- réel, car « si on n’a pas un sens aigu
Steve Reich
d’abord accidentellement puis avec le rent à la répétition. A la fois virtuels dans son atelier
de la façon de l’interpréter, on n’a pas
plus fin contrôle, entre deux magné- et bien présents, ils naissent de l’inte- en 1989, la vraie saveur de la musique ».
tophones lisant la même bande. Ce raction entre les voix de polyphonie. à l’époque Un tel rapport à la notation s’inscrit
sera, strictement circonscrite entre Reich s’est « intéressé à la façon de les où la bande dans une évolution progressive : le
1965 et 1971, la période des pièces cacher ou au contraire de les mettre magnétique est socle piano et papier à musique, qui
fondées sur le déphasage, d’abord sur en évidence dès les premières pièces un outil en passe n’a pas disparu de sa pratique, sera un
bande (It’s gonna rain et Come out), et notamment dans la section marim- d’être détrôné temps troqué pour des boucles de
par l’informatique
puis aux instruments (Piano Phase et bas de Drumming, où les chanteuses musicale.
bandes magnétiques. Mais après It’s
Violin Phase). les font émerger par un crescendo, gonna rain puis Come out, se souvient-
Si le déphasage n’est plus de mise puis les laissent repartir dans le flux il, « je me suis dit que je n’allais pas
après 1971, l’idée du canon perdure. musical. » Il s’agit, en somme, « d’ap- passer ma vie à composer des pièces
« Cette technique qui remonte au porter de la variété et de la variation pour bande ». Reich aspire à travailler
XIIIe siècle est une structure indépen- sans rien changer ». avec des musiciens. Après avoir expé-
dante du son lui-même et on peut rimenté au piano la confrontation
l’utiliser pour produire des résultats De l’atelier aux interprètes avec un motif enregistré et mis en
toujours différents. C’est comme une Son rapport avec les interprètes réunis boucle, en l’occurrence celui de Piano
fontaine qui n’arrête pas de jaillir. » autour de lui fin 1966, dans un premier Phase, il constate qu’il est tout à fait
De l’article Music as a Gradual Process temps Art Murphy et Jon Gibson, puis possible d’accélérer très graduelle-
publié en 1968, Reich précise qu’il ne un ensemble plus étoffé qui tournera ment et de reproduire de cette façon
s’agissait pas d’un manifeste mais en Europe en 1972 sous de nom de le fameux déphasage. Ainsi s’opère, en
plutôt d’un bilan portant sur sa pra- « Steve Reich and Musicians », laisse 1967, le passage de la bande à la mu-
tique du moment : le processus est lent une place importante à la transmis- sique live. Music for Eighteen Musi-
et progressif, il révèle la logique locale sion orale. « Ce rapport a toujours cians « a été écrite à l’aide d’un ma-
mais aussi la structure globale, il se existé dans la musique écrite occiden- gnétophone 8 pistes qui jouait toutes
confond avec le résultat sonore et le tale, car la notation a toujours eu les parties », la bande n’étant plus
compositeur doit assumer qu’une fois besoin de l’interprétation », remarque- qu’un outil transitoire.
lancé, il se déroule tout seul. A la fois t-il, tout en citant en exemple la colla- Puis arrive en 1984 le premier ordina-
contrôle total et dépersonnalisation boration suivie de Stravinsky avec teur Macintosh, et avec lui l’idée que
de l’acte créateur, le processus ouvre Ansermet et Monteux, ou le cas des la notation elle-même puisse restituer
l’auditeur à un nouveau type d’écoute. compositeurs qui jouent, tels Debussy, directement la musique. Electric Coun-
Moins souvent commentés que le leur propre musique. Il importe de terpoint (1987) est la première pièce

34 I
écrite par l’intermédiaire d’un ordina-
teur, avec un clavier de commande et
piano ». Il faut remonter au temps
des leçons avec Kohloff pour retracer
_ « Ce qui compte, c’est
un son de guitare. l’origine de cette attitude au clavier,
En 1993, le logiciel Sibelius vient et à la méthode « Stick Control » qui la musique elle-même, et
perfectionner cette idée ; il devient un constitue la base de cet enseignement.
important outil de composition mais, « Etudier l’alternance des mains mène ce qu’on retiendra, c’est si
là encore, en contrepoint avec l’action
physique au piano. « Pour la première
à penser très précisément comment
on peut créer des variations sur les elle est bonne ou non. » _
décennie du XXIe siècle, une dizaine mêmes notes à partir de groupes de
de pièces tient dans un seul carnet combinaisons de deux ou trois pulsa- La force de l’harmonie
de notes car tout a été élaboré dans tions, et à développer une sorte de Son ancrage dans une logique tonale
Sibelius. » La question de l’outil, tem- mode de pensée physique fondé sur confère à l’harmonie un fort pouvoir
père-t-il, « est importante mais c’est ces possibilités illimitées qu’offre structurant, directement audible dans
une note de bas de page, car après l’alternance des mains. » Cette confi- la plupart de ses œuvres. Steve Reich
quelques années, personne ne se sou- guration mentale héritée du manie- a lui-même explicité le cas des onze
cie plus de comment ça a été fait. Ce ment des baguettes implique, au- accords qui sous-tendent la progres-
qui compte, c’est la musique elle- delà du geste, la notation : « Si vous sion de Music for 18 Musicians. Le sys-
même, et ce qu’on retiendra, c’est si elle allez à la fondation Sacher, vous ver- tème de séquences harmoniques pola-
est bonne ou non. » Et pour ceux qui rez dans mes premières pièces des risées par un accord principal est
s’en soucient quand même, bonne nou- séquences de type “LR”, “LRR” etc. encore présent dans sa musique ré-
velle : tous les quatre ou cinq ans, Je n’utilisais alors pas de notation cente, comme l’attestent par exemple
Reich envoie à la fondation Paul musicale mais juste des lettres [L et les quarante premières secondes de
Le compositeur
Sacher à Bâle un disque dur « où il y a R pour « gauche » et « droite » ndlr] (à droite)
Reich/Richter (2018). A plusieurs re-
pour chaque nouvelle œuvre non seu- que j’assortissais parfois de nota- interprétant avec prises, le compositeur a manifesté la
lement le résultat final, mais toutes tions rythmiques. » Si cette notation ses acolytes volonté de renouveler son vocabulaire
les étapes intermédiaires. » a vite laissé place à des partitions son Drumming, harmonique, ce que l’on perçoit no-
plus conventionnelles, on peut consi- pièce pour voix tamment dans Triple Quartet (1999).
Drumming dérer que cet habitus de percussion- et percussions Cette tension chromatique, inhabi-
En 1950, Reich prend des cours avec niste accompagne aujourd’hui encore du début tuelle chez lui, remonte à ses années
des années 1970.
Roland Kohloff, qui deviendra timba- le compositeur. d’apprentissage à la Juilliard School.
lier du New York Philharmonic. Cette
sensibilité de percussionniste a-t-elle
nourri une inventivité musicale
centrée sur l’expression de la pulsa-
tion ? mais aussi une pratique de la
composition s’appuyant largement, en
tout cas dans les années 1970, sur l’in-
teraction directe avec les interprètes ?
Son intérêt pour les percussions afri-
caines le conduit, en 1970, à l’Univer-
sité du Ghana à Accra, où il étudiera,
principalement avec le maître tam-
bourinaire Gideon Alorwoyie de l’eth-
nie Ewé. Cet enseignement de maître
à élève repose sur l’imitation de mo-
tifs répétés jusqu’à ce qu’ils soient
correctement reproduits. Avec un ma-
gnétophone à trois vitesses, il enre-
gistre la leçon, quatre à cinq fois par
semaine, puis rejoue le soir la bande
© HIROYUKI ITO-GETTY IMAGES

à vitesse plus lente, de façon à pouvoir


noter les motifs, dont les transcrip-
tions figurent dans un article publié
en 1972.
Quiconque a vu Steve Reich en concert
comprend pourquoi il se décrit volon-
tiers comme un « percussionniste au

I 35
● Steve Reich

« J’ai beaucoup étudié les quatuors de ordinaires, elle fournit d’abord le ma- quatre psaumes en hébreu ancien,
Bartok, surtout les nos 4 et 5. Outre la tériau mélodique et rythmique dans de textes religieux. Les inflexions
forme en arche du 4e, j’ai été marqué les pièces pour bande puis, avec mélodiques de la cantillation l’ins-
par l’intensité et la dissonance de son l’avènement de l’échantillonneur, elle pirent, à la fois pour leur sobriété, leur
premier mouvement. C’était le lan- devient le modèle d’intonation qui intensité et la subtilité de leur orne-
gage vers lequel je tendais à cette peut être extrapolé aux instruments. mentation. Aux cantors juifs qui
époque, et c’est devenu le monde so- Les exemples ne manquent pas : avec chantent « comme s’ils étaient à
nore initial de mon Triple Quartet. » De Different Trains (1988), début d’une col- l’opéra », il préfère le chant des juifs
nouveaux dépaysements harmo- laboration suivie avec le Kronos Quar- sépharades et leur vocalité plus nasale.
niques sont encore à prévoir, car le tet et partition après laquelle Reich
compositeur « travaille actuellement
sur des accords parallèles, qui occa-
commence à se pencher sur le cas
Janacek, avec City Life (1995) pour
_ « Je me force, à l’âge
sionnent des changements constants ensemble, avec WTC 9/11 (2010), la voix
de tonalités ». Jusqu’ici, confirme-t-il, parlée devient mélodie. Dans The Cave de quatre-vingt-sept ans,
« les grands changements harmo- (1993), où s’exprime un autre type de
niques correspondaient à un change- contrepoint, celui que tisse le compo- à trouver quelque chose
ment d’armure, avec un peu de varia-
tion entre les deux. Mais avec cette
siteur avec la vidéo de Beryl Korot, sa
compagne dans la vie, la voix enregis- de nouveau. » _
nouvelle façon de travailler, chaque trée est liée à l’image, ce qui élargit son
mesure amène une nouvelle tonalité. potentiel dramaturgique. Loin de se focaliser exclusivement
Je me force, à l’âge de quatre-vingt- Reich revient en 1974-1975 vers le ju- sur des textes religieux, le compositeur
sept ans, à trouver quelque chose de daïsme, étudiant à la fin de la même a aussi mis en musique des textes,
Schéma
nouveau, et j’ai beaucoup de satisfac- décennie l’hébreu biblique à la syna- présentant
parfois très brefs, de Wittgenstein
tion à le faire à partir de l’accord exact gogue de Lincoln Square à New York. la disposition dans Proverb et dans la troisième par-
de Four organs ! » Tehilim (1981) marque simultanément des instruments, tie de You are (Variations), de William
dans sa musique l’assouplissement recommandée Carlos Williams dans The Desert Music
Vox populi, vox Dei mélodique du motif, l’avènement d’une par Reich pour (1982-84). Il a fait, à plusieurs reprises,
Chez Reich, la voix est un grand pour- voix porteuse de texte et non plus sa Music for se rencontrer des paroles sacrées et
voyeur de contrepoint. Voix des gens instrumentale, et l’introduction, avec 18 Musicians. profanes, comme dans Daniel Varia-
tions (2006), où alternent extraits du
Livre de Daniel et propos du journa-
liste Daniel Pearl, kidnappé puis assas-
siné en 2002 au Pakistan par des extré-
mistes islamistes.
Lorsque Reich se réfère musicalement
à la cantillation ou à la prière, la pul-
sation, si importante dans sa musique,
se met alors en retrait, comme abolie.
On le remarque dans le troisième mou-
vement de WTC 9/11, et de façon plus
prolongée dans Traveler’s Prayer (2020).
C’est, explique le compositeur, qu’en
confrontant « des chants hébreux, qui
ne sont pas rythmiques, à mon usage
habituel de la pulsation, il m’a semblé
qu’il était bien préférable de laisser
les mélodies être ce qu’elles sont vrai-
ment, de les laisser courir et donc de
m’adapter à elles plutôt que de les for-
cer à intégrer mon monde. » Le résul-
tat de ce changement, non pas décidé
à l’avance mais conséquence d’un
choix musical, a pu surprendre
nombre d’auditeurs comme le com-
© WIKIPEDIA

positeur lui-même : « Si on peut faire


ça en tant qu’octogénaire, c’est une
surprise bienvenue ! » ◼

36 I
REICH EN DISQUES
Pour l’effectif plus imposant
de The Desert Music, il semble
judicieux de se tourner vers
Michael Tilson Thomas (Nonesuch,
1985), mais la version plus récente
de Kristjan Järvi (Chandos)
est elle aussi très cohérente.
Pour qui préfère chez
Reich les effectifs
chambristes,
les quatuors à cordes
passent
inévitablement
par une écoute du Kronos Quartet :

© RADIO FRANCE / CHRISTOPHE ABRAMOWITZ.


Different Trains, couplé avec Electric
Counterpoint dont le guitariste
Pat Metheny reste l’interprète
idiomatique, Triple Quartet
puis WTC 9/11.
Mais on apprécie dans
le premier l’alternative
qu’offre la sensibilité
plus européenne
des Diotima (Naïve),
alors que l’intégrale des quatuors
L’abondante discographie consacrée On gagnera, par le Mivos Quartet (DG) reste bien
à Steve Reich est aujourd’hui enrichie, après être revenu plus proche des Kronos.
et on ne peut que s’en réjouir, à la source de Music La rencontre des sons
par une deuxième, voire une troisième for Eighteen Musicians échantillonnés
génération d’interprètes. dans sa version et des instruments
Ainsi, les œuvres les plus historique et un peu acoustiques peut
emblématiques du compositeur pop (Steve Reich Ensemble, ECM), se poursuivre avec
peuvent être appréciées soit dans à écouter les versions de l’Ensemble City Life, où
leur éthos originel, avec des musiciens Signal (Brad Lubman, HM), la comparaison des versions de
qui ont forgé leur interprétation de l’Ensemble Links (Rémi Durupt, Steve Reich and Musicians (Nonesuch)
au contact direct du compositeur, Kairos) et, plus limpide encore, celle et de l’Ensemble Modern (RCA),
soit dans l’énergie renouvelée du Colin Currie Group. Cet ensemble bien que dirigées dans les deux cas
d’interprètes qui ont grandi avec créé ad hoc pour la musique pour par Brad Lubman, fait apparaître
cette musique, qu’ils ont d’abord percussion de Reich en est l’un des partis pris différents en matière
écoutée puis travaillée, parfois des ambassadeurs les plus pertinents de brillance des timbres.
dans les conservatoires, avant – sa gravure de Drumming Sous la baguette
de les proposer à leur tour au public. est remarquable. de Susanna Mälkki,
Pour les pièces fixées Le premier le LA Phil se montre
sur bande, It’s Gonna enregistrement brillant dans Music
Rain et Come Out, de Tehilim (Reich and for Ensemble and
on se dirigera bien sûr Musicians, ECM, 1988 Orchestra (couplé
vers les versions pour la réédition CD) avec un tout aussi trépidant Runner),
originales rassemblées reste une référence tandis que, dirigé par George Jackson,
dans la compilation « Early Works » même si la version dirigée par l’Ensemble Intercontemporain prouve
de Nonesuch (1987), où figure Reinbert de Leeuw et le Schoenberg avec Reich/Richter qu’il a son mot
également la toujours actuelle version Ensemble (Nonesuch) constitue à dire dans la musique du compositeur
de Piano Phase du duo Double Edge. une excellente alternative. new-yorkais. P.R.

I 37
● l’œuvre du mois
PAR BRIGITTE FRANÇOIS-SAPPEY ET BERTRAND BOISSARD
HISTOIRE, INTERPRÉTATION
DISCOGRAPHIE COMPARÉE

Préludes pour piano op. 28


é-ré-ré : trois coups mor- Valldemossa. Censé guérir le fragile à part avec ses suggestions finales
tels fff dans l’extrême artiste en exil, le séjour a été mal vécu entre parenthèses…
grave du clavier ré- par le musicien, inquieté par cet « en-
sonnent comme l’enfon- 1839 droit bien étrange » et une « cellule L’art de Chopin
cement de clous dans un cercueil. en forme de grand cercueil ». Sand se « Chopin parle peu et rarement de
Geste saisissant de Frédéric Chopin souviendra longtemps des « yeux ha- son art ; mais, quand il en parle, c’est
pour refermer, dans le funèbre ré Roméo gards » d’un Chopin « persuadé qu’il avec une netteté admirable », assure
mineur, son recueil épique et intros- et Juliette était mort lui-même ». George Sand. La puissance émo-
pectif de Vingt-quatre préludes. Quin- de Berlioz est tionnelle, voire évocatrice, de ses
tessence de l’oxymore, chaque inspi- créé à Paris, Origines et postérités préludes, fulgurantes litotes (dont
ration allie une irrésistible éloquence Oberto de Œuvre-phare du piano romantique et le compositeur n’a joué que des bou-
(sans mots) à une perfection concise Verdi à Milan. l’un des plus hauts sommets de la pro- quets) pourrait s’inscrire ainsi entre
d’aphorisme. ● duction de Chopin, cet Opus 28 do- le Je-ne sçay-quoi de Couperin et la
« Chopin n’a de souci, semble-t-il, que Stendhal publie mine l’histoire du genre (cf. Jean- secrète poétique du fragment de
de rétrécir les limites, de réduire à l’in- La Chartreuse Jacques Eigeldinger dans Autour des Schumann.
dispensable les moyens d’expression », de Parme. 24 Préludes de Frédéric Chopin, Ma- Dans l’espace-temps restreint et ner-
s’émerveillera André Gide, relevant ses jorque, 2019). Nombreux sont en effet veux d’idées contrastées (trente se-
« extraordinaires raccourcis », et cor- ● les compositeurs qui, après Bach et condes pour plusieurs), l’interprète a
roborant ainsi le lapidaire « tel débute Schumann son Clavier bien tempéré, ont ausculté pour mission multiple de faire « chan-
Chopin, tel il finit » de Schumann. Un compose son les vingt-quatre tonalités majeures et ter avec les doigts » l’instrument à
peu déconcerté toutefois par les fan- Carnaval mineures. La plupart s’en tiennent dé- marteaux, de doser avec subtilité les
de Vienne,
tasques miniatures d’études, noc- sormais à un enchaînement de pré- nuances (du ppp au fff final), le rubato
Mendelssohn
turnes, impromptus, mazurkas ou son Trio avec ludes selon le cycle des quintes (suivis et la pédalisation, de démêler le tis-
marches que sont les Préludes de son piano no 1. de leur relatif mineur). Ainsi, déjà, Cle- sage des voix intérieures, de souligner
jumeau, « le plus hardi et fier génie menti, Hummel et Czerny. les intrépides innovations modales et
poétique du temps », Schumann y ● Dédiés au facteur de piano Camille chromatiques, et de faire jaillir du
décelait « des esquisses […] ou des Delacroix Pleyel « parce qu’il les aimait », les Pré-
Pré clavier incandescences et cendres à
ruines […] le tout pêle-mêle dans sa achève Hamlet ludes op. 28 de Chopin le sont aussi, la manière des embrasements rouge
bigarrure et sa sauvagerie ». Pour et Horatio au dans l’édition germanique, à Kessler et noir de Delacroix.
Liszt, ces « préludes poétiques […] ad- cimetière, en réponse à l’hommage de ses Vingt- Car, loin des salons parisiens, Cho-
mirables par leur diversité » ont « la Turner expose quatre préludes op. 31. Dans le cercle pin l’implacable a laissé surgir les vi-
Le Dernier
libre et grande allure qui caractérise de Chopin, distinguons ensuite Alkan sions fantastiques, obsessionnelles,
Voyage
les œuvres de génie ». du Téméraire. et Heller. qui le hantaient. Tous ses proches ont
Parus en août 1839, plusieurs pré- Tel Busoni, pour qui « son œuvre pro- signalé la violence contenue de l’exilé :
ludes étaient écrits avant qu’à l’au- phétique est constituée par les Vingt- « Polonais, il vivait dans le cauchemar
tomne 1838 George Sand n’entraîne quatre préludes », tous les successeurs des légendes. Les fantômes l’appe-
Chopin à Majorque où ils ont été seront obsédés par cet étalon-or : des laient, l’enlaçaient », rapportera Sand
achevés (janvier 1839, après l’arrivée Russes Scriabine, Rachmaninov, au se souvenant de ses « idées terribles
du pianino Pleyel), dans l’enferme- Français Ohana et tant d’autres. De- ou déchirantes ». Liszt évoquera sa
ment glacial de la chartreuse de bussy, adorateur de Chopin, se situant nature « impérieuse et fantasque »,

38 I
Pour ses éclairs poétiques uniques,
le cycle a trouvé en Alfred Cortot son
prophète, dramaturge génial qui vit et
recrée les Préludes en un jaillissement
ininterrompu de musique. Souplesse
de la diction, noblesse du chant, pa-
lette de couleurs illimitée, éclats sou-
dains : parmi ses quatre témoignages,
celui de 1933-1934 (retenu pour notre
Discothèque idéale), mieux enregistré
que celui de 1926 tout aussi extraor-
dinaire, reste formidablement riche
d’enseignements. En 1928, son répé-
titeur au Conservatoire, Robert Lor-
tat (Dante/APR), affiche immédia-
tement une effervescence qui ne se
tarira plus. L’agogique très étudiée,
qui semble pourtant si naturelle, la
vitalité la plus limpide et la plus ner-
veuse (no 12) éblouissent.

Fantasmagories
Samson François (Columbia/Warner,
1959) exploite tout ce que la partition
peut recéler de fantasmagorie : ver-
sion comme pensée dans l’instant, un
peu gauche parfois (no 12), foncière-
ment sinueuse, à la subjectivité inso-
lente. On s’émerveille aussi de la viva-
cité foudroyante de Rudolf Kehrer
(Melodiya, 1970) qui, dès la première
pièce, fait sourdre des profondeurs de
la lave en fusion.
Le piano aristocratique de Benno
Moiseiwitsch (Naxos, 1948-1949) en-
chante par son grand geste, sa force
de conviction, ses surprises constantes
(liberté du no 16, contrastes dyna-
miques du no 18). Marche lugubre
© WIKIMEDIA

(no 2), délié fantastique de la main


gauche (no 3), impatience acérée
(no 10), coups de griffe (no 16) : avec
Guiomar Novaes (Vox, 1949), l’imagi-
son « imagination ardente jusqu’à nation est aussi au pouvoir.
la violence ». Pour ses propres Pré- Discographie Animée d’un sentiment d’inéluc-
ludes symphoniques, Liszt résumera : comparée tabilité (la marche au supplice du
« Notre vie est-elle autre chose qu’une no 2), avançant constamment, volon-
série de préludes à ce chant inconnu D’une discographie aussi vaste qu’ex- taire, ardente dans les moments de
Frédéric Chopin
dont la mort entonne la première et sous le pinceau ceptionnelle en qualité, nous avons tempête, l’interprétation de Murray
solennelle note ? » et il intitulera son d’Eugène retenu vingt-quatre versions extrême- Perahia (Sony, 1975) a du tempéra-
ultime poème symphonique Du ber- Delacroix ment variées, écartant à regret Sofro- ment à revendre (les trilles du no 9,
ceau à la tombe, parcours qui vaut en 1838. nitzki, Merjanov, Karolyi, Anda, Fou l’extraversion inattendue du no 10).
pour les Préludes de Chopin. De fait, Ts’ong, Magaloff, Freire, Davidovich, Exacerbant les variations de tempos
les préludes en mi et si mineur (nos 4 Darré, Ranki, Rana, mais encore les et de caractères, Ivo Pogorelich (DG,
et 6) ont résonné en octobre 1849 en décevants Duchable, Ashkenazy, 1989) morcelle le cycle. S’il fascine
l’église de la Madeleine à l’enterre- Lugansky, Barenboim, Larrocha, pour son contrôle sonore phénomé-
ment de Chopin. B.F.-S. Sokolov, Achucarro, Ohlsson… nal et quelques fulgurantes réussites

I 39
● l’œuvre du mois

L’ŒUVRE PAS A PAS (la chasse sauvage du no 12, le train


fantôme du no 16), il agace au moins
no 1, ut majeur, Agitato. ininterrompus à l’octave évoquent
Un bref entrelacs haletant de voix le finale de la Sonate « Funèbre ». autant par son statisme outrancier.
syncopées. no 15, ré bémol majeur, Sostenuto. Evgeny Kissin (RCA, 1999) fait jaillir
no 2, la mineur, Lento. Nocturne en canto spianato des masses sonores qui engloutissent
Jugé bizarre et discordant par qui fait sonner une obsessionnelle l’auditeur. Au milieu de ces cavalcades
les contemporains, un pudique pédale de dominante (la « goutte d’une ahurissante virtuosité (no 12), de
et prophétique lamento sur d’eau » dont parlait Sand ?) cette sauvagerie inouïe (no 16), les pré-
fond monotone d’harmonies jusqu’à l’hallucination ff dans ludes les plus introvertis tendent à pas-
tourmentées. la partie centrale. Un exemple ser inaperçus.
no 3, sol majeur, Vivace. des « doux abîmes » ressentis Chopinien s’il en est, Arthur Rubins-
Comme la Phantasie op. 17 par Heine. tein (1946) n’est pas à son meilleur
de Schumann, mais leggieramente, no 16, si bémol mineur,
dans l’Opus 28. Malgré une vigueur
cette étude pour la main gauche Presto con fuoco. Un véhément
énonce dès l’entame sénestre la dérapage harmonique précède de chaque instant et une envergure
réduction du thème de la dextre. la fuite éperdue de la main droite souvent impressionnante, l’ensemble
no 4, mi mineur, Largo. dans l’aigu, comme pour échapper paraît un peu brusqué : une furia pas
Tonalité « méditative » et « triste » à la machine à broyer de l’ostinato toujours contrôlée.
pour Mattheson et mélodie rythmique gaucher. Cauchemar
désolée sur le glas chromatique sempre più animato, alla Schumann. Lyrisme
des accords de basse no 17, la bémol majeur, Allegretto. Autre chopinien accompli, Stefan
no 5, ré majeur, Allegro molto. Palpitante romance sans paroles Askenase (DG, 1953) impose un dis-
Fluide et ambiguë : binaire dans le alla Mendelssohn, dans la couleur cours extraordinairement soutenu
ternaire et oscillations harmoniques. romantique de l’amour, avec une fin (nos 4 et 6) et spontané. Le chant, en-
no 6, si mineur, Lento assai. fondue dans le silence (perdendosi). core le chant : tel semble être le leit-
Canto spianato (chant soutenu) no 18, fa mineur, Allegro molto.
motiv de ce grand styliste, comme
d’une poignante tristesse En plus lapidaire, même récitatif
sous le joug inexorable de la main impérieux, même élan passionnel, dans un no 17 aux allures de romance
droite dans le médium. même couleur tonale que sans paroles. Doigts admirables, ma-
no 7, la majeur, Andantino. l’Aufschwung (Essor, 1837) des nière impeccable : rien n’est forcé, tout
Une mazurka miniature dolce. Phantasiestücke de Schumann. coule de source chez Rafael Orozco
no 8, fa dièse mineur, no 19, mi bémol majeur, Vivace. (Warner, 1968). Si ce virtuose habité
Molto agitato. Frissonnement Envol elfique de triolets va loin dans les profondeurs (no 2), son
Le jaillissement
polyrythmique autour de l’ardente aux deux mains. lyrisme s’épanouit sans contraintes :
que nous offre
mélodie centrale dévolue au pouce no 20, ut mineur, Largo. une voix qui relève de l’évidence.
le prophète
de la main droite. En trois brèves étapes, la réduction Cortot n’a pas Ambiance feutrée, douceur ouatée,
no 9, mi majeur, Largo. d’une grandiose marche funèbre pris une ride ! toucher de velours, tempos généra-
Marche héroïque en double qui va s’éloignant. lement retenus, fureur contenue : en
chant (dans le médium et dans no 21, si bémol majeur, Cantabile.
1965 (VAI), Ivan Moravec livre l’inter-
le grave) et frémissants triolets. Union d’un chant expressif
no 10, ut dièse mineur, et d’une harmonie suprêmement prétation la plus intimiste de toutes,
Allegro molto. Contraste complexe.
cristallin de graciles cascades. no 22, sol mineur, Molto agitato.
Autonome et plus ample, Fragment de scherzo révolté
le Prélude op. 45 dans la même jusqu’à la véhémence du risoluto ff.
tonalité présentera un tout no 23, fa majeur, Moderato.
autre caractère. Coulée ondoyante delicatissimo
no 11, si majeur, Vivace. dans la couleur pastorale, à peine
Furtif impromptu aux deux mains troublée par une dissonance :
en « discorde harmonieuse ». un instant lumineux entre les deux
no 12, sol dièse mineur, pages les plus violentes.
Presto. Implacable chevauchée, no 24, ré mineur, Allegro
nerveuse et chromatique. appassionato. Les arabesques se
no 13, fa dièse majeur, muent en cris de terreur zébrant en
Lento. Un méditatif nocturne tous sens le clavier pour échapper
tripartite, dans la lumière lunaire, au dessin/destin obstiné de la basse
diamantée de six dièses. impitoyable. Chute vertigineuse fff
no 14, mi bémol mineur, dans l’extrême grave d’une tombe :
Allegro. Brève bourrasque ré-ré-ré, les trois coups mortels
pesante. Les triolets de croches referment le recueil. B.F.S.
© DR

40 I
et de couleurs. Cette incandescence
ne fait pas obstacle à un bel canto aux
reflets mordorés. Capté lui aussi en
Pollini (ci-contre)
édifie une
récital, Shura Cherkassky (Orfeo,
architecture 1968) prodigue un incomparable et
d’un souverain charmeur art des nuances (no 13), la
équilibre, quand fantaisie la plus étonnante (no 16), une
Arrau (ci-dessous) ingénuité inespérée (no 15), une va-
déploie une riété de coloris grisante.
puissance A l’opposé de cette vision, Claudio
© ERICH-AUERBACH

tragique
saisissante.
Arrau au Printemps de Prague 1960
(APR) déploie, incomparablement
mieux que dans ses enregistrements
de studio, une puissance tragique à
avec une subtilité, une plénitude de sans emphase du récit se marient à l’ampleur démesurée. Comme pos-
timbres sans pareille. Christoph une autorité innée. On ne cite guère sédé, poussé par un feu qu’on lui a ra-
Eschenbach (DG, 1971) nous surprend Rudolf Serkin (Sony, 1976) parmi les rement connu, il use d’un rubato par-
par la beauté de ses phrasés et nuances chopiniens d’excellence. Pourtant, il ticulièrement audacieux, mis au
(no 6), son cantabile éloquent (no 4), sa explore la polyphonie comme peu service d’une expressivité doulou-
fougue aiguisée (no 12). Un poète. d’autres, invite à des rapprochements reuse. Bouleversant. B.B.
Dès les toutes premières secondes de pertinents (les contours mendelssoh-
l’exécution de Martha Argerich (DG, niens du no 3) et habite la noirceur de
1975), une matière mouvante prend certaines visions d’un geste aussi dé-
possession de l’auditeur. Derrière un solé (nos 4 et ) qu’intense (no 14).
lyrisme parfois débordant (no 17), Jeu séduisant et chaleureux, tech-
la version la plus électrique qui soit nique imparable (no 16) : Nelson Goer-
sonne plus d’une fois l’hallali (no 18). ner (Alpha, 2015) fait entendre un
On sort épuisé de ce voyage plus apo- piano splendide, quoique sans guère
calyptique que tragique (no 24). Ames d’aspérités. Behzod Abduraimov (Al-
délicates s’abstenir. pha, 2020) ne s’épanche pas davan-
tage : approche d’une rare somptuo-
Hauteur sité, admirable pour ses accès de
Face à ses débordements, la modes- violence tendue (no 14), son caractère
tie, la transparence et la qualité des épique saisissant (nos 12 et 24), son
timbres du splendide Erard de 1849 feu, la clarté de ses textures (no 16).
utilisé par Tatiana Shebanova (NIFC,
2009) accentuent l’impression de Etincelles

© ALLAN WARREN
spleen qui sourd de ce regard désa- En public au Carnegie Hall, l’interpré-
busé. Maurizio Pollini (DG, 1974) tation de Jorge Bolet (RCA, 1974) est
unit l’ensemble avec une cohérence un moment de tous les risques et de
extrême : sens des proportions, lim- tous les triomphes, une orgie de sons
pidité et pudeur règnent en maître.
La maîtrise instrumentale, la flui-
dité, cette main gauche inquiétante
LE QUARTÉ GAGNANT
(no 2) ou ouvrant des gouffres (no 16)
atteignent à la perfection. C’est dans
sa descendance que s’inscrit, parmi
les pointures de la jeune génération,
un Rafal Blechacz (DG, 2007), par
sa conception plus apollinienne que
dionysiaque, sa domination du clavier,
son équilibre souverain des voix. Visionnaire Tragique Angélique Lumineux
Parmi les trois versions de Vlado Per- Alfred Cortot Claudio Arrau Ivan Moravec Maurizio Pollini
lemuter, celle de 1972 en studio à la (1933-1934, notre (APR, 1960) (1965, Vai) (1974, DG)
BBC témoigne d’une approche directe, Discothèque idéale) PLAGE 9
sans complaisance. Dans une sonorité
DE NOTRE CD
de bronze, la densité et la grandeur

I 41
● mythologies HOMMAGE AUX INTERPRÈTES
LÉGENDAIRES
PAR FRANÇOIS LAURENT

André Cluytens
Une baguette française
Au carrefour des sensibilités latine et germanique, le chef réalise la synthèse
entre un geste souple, voire sensuel, et une approche rigoureuse des œuvres :
couleurs, sûreté du rythme, sens du théâtre et de la clarté.

ndré Cluytens naît et se


forme à Anvers, dans
l’ombre d’un père chef
d’orchestre. Mais c’est en
France, où il s’installe dès 1932 (il a
vingt-sept ans), que son talent est très
vite reconnu. Après l’Opéra de Tou-
louse, ceux de Bordeaux et de Lyon se
disputent ce blond et fringant maestro
qui remplit les salles et impressionne
les têtes d’affiche parisiennes.
A partir de décembre 1942, André
Cluytens est régulièrement invité dans
la capitale par l’Orchestre de la Société
des concerts du Conservatoire (ils en-
registrent ensemble, en 1943, une
ébouriffante Burlesque de Strauss avec
Marcelle Meyer), l’Orchestre National
puis au palais Garnier. Son succès est
immense. En novembre 1944, Jean
Wiéner s’enthousiasme pour cet
« homme qui ne bat pas seulement la
mesure, mais qui anime, qui projette,
qui transforme, qui transmet et qui
galvanise ».

Un Christ blond et exalté


Mis à l’index par le comité d’épura-
tion, Cluytens enseigne à la Fondation
Straram (le jeune Georges Prêtre est
parmi ses élèves) avant de retrouver
en 1946 le pupitre de la Société des
concerts, qui le « titularise » trois ans
plus tard. D’abord circonspect devant
« Cluytens l’analyste, Cluytens l’exact,
1905 [...] artiste sérieux et solide [...] à la fois
sobre et efficace », le critique Bernard
© KVESDI

Gavoty ne tarit plus d’éloges en 1955.


1967 Ce n’est plus un chef qu’il a devant
les yeux à Aix-en-Provence, mais un Cluytens ôte à cette musique « le creux et Scènes alsaciennes de Massenet,
« Christ blond et exalté, [se donnant] de la pompe, le clinquant », ouvrant des Debussy, Roussel et Ravel d’antho-
tout entier à sa mission qui est de sou- la voie à Pierre Boulez, qui héritera logie), et un large éventail de concertos.
lever, de survolter son bel orchestre ». du Parsifal de 1966. Lui-même pianiste, Cluytens s’enten-
Il n’a alors guère de rival dans le pay- Walter Legge lui confie le Philharmo- dra à merveille avec ses pairs, de Clara
sage musical français, ses aînés Pierre nia pour graver en 1958 un bouquet Haskil, Walter Gieseking, Wilhelm
Monteux, Charles Munch et Paul Paray russe, La Valse de Ravel, España de Kempff et Alfred Cortot (pour un ul-
se sont fixés en dehors de l’Hexagone Chabrier et une Symphonie fantastique time et émouvant Concerto de Schu-
et les chefs de sa génération (Manuel de Berlioz qui fera date. Il est, cette mann resté dans les tiroirs de l’édi-
Rosenthal) ou légèrement plus jeunes année-là, consacré « premier million- teur) à Arthur Rubinstein, Guiomar
(Jean Martinon, Igor Markevitch, Jean naire français du disque classique » : Novaës, Samson François, Monique
Fournet) font, en regard, office de se- Emi se frotte les mains. de la Bruchollerie, Aldo Ciccolini,
conds couteaux. Outre la vénérable Gabriel Tacchino, Emil Guilels, Leon
Société des concerts (dont il démis- Millionnaire du disque Fleisher, Friedrich Gulda… ou Dimitri
sionnera en 1960 pour prendre les Afin de soustraire sa poule aux œufs Chostakovitch. Toutes rencontres fort
rênes du National de Belgique), d’or aux sirènes de la concurrence, la heureusement documentées.
Cluytens dirige régulièrement à maison de disque lui propose une inté- S’il crée en 1948 les Trois tâla de
Favart, au palais Garnier et, surtout, grale des symphonies de Beethoven Messiaen puis donne en 1953 la pre-
notre Orchestre National qu’il em- avec les Berliner Philharmoniker. mière audition française du Concerto
mène à plusieurs reprises en tournée. Banco : elle sera bouclée en 1960. pour deux pianos, percussion et or-
Berlin, Vienne, Cologne, Milan, Lenin- Entre 1949 (Un Américain à Paris de chestre de Bartok et du Rake’s Progress
grad, Prague, Chicago, New York : est- Gershwin) et 1966 (L’Enfance du Christ de Stravinsky, notre maestro ne s’aven-
il une grande phalange qui ne l’a pas de Berlioz), le chef aura engrangé une ture guère au-delà dans la musique
invité dans les années 1950 ? colossale discographie : treize inté- du XXe siècle. Mais quel avocat (des
Wieland Wagner l’appelle au débotté grales d’opéras souvent fabuleuses (du archives radio en témoignent) pour
en 1955 pour lui confier Tannhäuser ; Faust de Gounod par deux fois à Boris Ibert, Honegger, Milhaud et Tomasi…
il l’engagera pour Les Maîtres Godounov de Moussorgski en passant Rongé par un cancer, il s’éteint en juin
chanteurs, Lohengrin, Parsifal – tous par Hansel et Gretel d’Humperdinck, 1967, quelques semaines avant de faire
préservés par la radio. Les critiques Les Mamelles de Tirésias de Poulenc ou ses débuts au Met. Au cimetière de
allemands applaudissent « un idéal Le Rossignol de Stravinsky), un cata- Montmorency, Georges Auric salue
sonore sensuel qui conserve clarté logue d’orchestre où brille d’abord « la simplicité et la générosité de ce
et transparence nonobstant l’intensité le répertoire français (des Ouvertures grand chef d’origine belge, mondiale-
extrême du sentiment ». Un « dégrais- de Berlioz à Gaultier-Garguille de Bon- ment célèbre, qui avait choisi la France
sage », résume Antoine Goléa : deville en passant par Les Erynnies pour patrie ». ◼

TROIS JOYAUX
RAVEL : WAGNER : Tannhäuser. CHOSTAKOVITCH :
Daphnis et Chloé. Wolfgang Windgassen Les deux concertos
DEBUSSY : Jeux. (Tannhäuser), Gré pour piano.
Chœurs René Duclos, Brouwenstijn (Elisabeth), Dimitri Chostakovitch
Orchestre de la Société Dietrich Fischer-Dieskau (piano), Ludovic Vaillant
des concerts (Wolfram)… Chœur (trompette),
du Conservatoire. Emi, 1962 et 1963. et Orchestre du Festival de Bayreuth. Orchestre national de la RDF. Emi, 1958.
Si vous connaissez déjà les fabuleux Notre Discothèque idéale, 1955. Pour sa venue à Paris en 1958, Dimitri
concertos pour piano avec Samson Cluytens, appelé à la rescousse pour Chostakovitch est fêté par l’Orchestre
François, voici un autre sommet du legs se substituer à un Jochum empêché, national. Dans la foulée des concerts,
ravélien de Cluytens : un Daphnis met le public (et l’équipe) de Bayreuth Cluytens réalise la première gravure
et Chloé baigné dans un onirisme à genoux. « Direction ductile, occidentale de sa Symphonie « 1905 »,
lumineux et chaud, comme une fresque d’une fluidité parfaite, très tenue dans sous la supervision du compositeur
allégorique de Puvis de Chavanne. les grands ensembles [...], le chef résout qu’il accompagne en sus dans ses deux
Couplage idéal : Jeux de Debussy, dès l’Ouverture l’impossible équation concertos pour piano. Les soucis
où Cluytens, exacerbe davantage de Tannhäuser : le dosage entre de doigts ? Oubliés. Incroyablement
la couleur et la sensualité du geste, la ferveur des pèlerins et les spasmes détendues, ces partitions batifolent
alla Maurice Denis. du Venusberg », dixit Didier Van Moere. et chantent comme jamais.

I 43
● l’air du catalogue EN 10 DISQUES, UNE INVITATION
AU VOYAGE À TRAVERS...
PAR ANNE IBOS-AUGÉ

La Chine
n 1298, le marchand vénitien Marco Polo crou- de chambre » (Charles Chaynes en 1960). Un élève de Wi-
pit dans une geôle gênoise. Il conte à son com- dor, l’Américain Blair Fairchild, écrit en 1922 de folklori-
pagnon d’infortune, Rusticien de Pise, les pé- santes Songs from the Chinese. Deux ans plus tard, le Fran-
régrinations qui le menèrent jusqu’en Chine. çais Armand Bolsène compose des Poèmes chinois à
Le Devisement du monde connaît aussitôt un vif succès, partir de textes du XIIe siècle. Olivier Greif imagine aussi
ouvrant à qui veut la suivre la voie de l’Asie orientale. Il L’affiche originale bien Taking Leave of A Friend, pour voix et piano qu’une
faudra pourtant attendre les dernières années du XXe de la création, sonate pour piano « Three Poems of Li T’ai Po ». Enfin,
siècle pour que ce texte inspire les compositeurs, de Tan en 1926, après son Marco Polo de 1995, le Chinois Tan Dun s’appro-
Dun à Arthur Lavandier (son Abrégé des merveilles a été de la Turandot prie la musique occidentale avec son Premier Empereur
puccinienne.
créé en 2019) en passant par Pierre Feillans, Kyriakos (2006). La boucle est bouclée.
Kalaitzidis et Isabelle Aboulker.
Entretemps, un parfum de Chine a fugacement soufflé
sur le baroque en ballet (Mascarade du roi de la Chine de
Philidor en 1700), pièces de viole (gigue La Pagode chez
Marais en 1725) ou de clavecin (Les Pavots, Les Chinois
chez Couperin en 1730). On cherchera en vain quelque
réalisme musical dans ces « chinoiseries », guère plus
caractérisées que les « turqueries » et autres émanations
d’Asie : c’est seulement avec le Mémoire sur la musique des
Chinois tant anciens que modernes (1776) de Joseph-Marie
Amiot, qui vécut à Pékin de 1751 à sa mort en 1793, qu’une
certaine authenticité pénètrera l’Occident. Le jésuite
écrira d’ailleurs lui-même des Divertissements chinois sur
des airs en vogue à la cour impériale.

Contes, théâtre, poèmes


Souvent passés à la moulinette occidentale, les contes pro-
diguent une matière de choix : la Laideronnette de Ravel
provient d’un conte français de la fin du XVIIe siècle ; et si les
Turandot de Weber (dont l’Overtura chinesa fournira à Hin-
demith le scherzo des Métamorphoses symphoniques), Bu-
soni et Puccini s’inspirent d’une pièce de Gozzi, cette prin-
cesse tueuse d’amoureux à coups d’énigmes insolubles
trouverait son origine dans une pseudo-histoire persane
des Mille et un jours du Français Pétis de la Croix, écrits au
début du XVIIIe siècle en réplique aux Mille et une nuits com-
pilées par Antoine Galland. Quant au Rossignol décliné par
Stravinsky en opéra (créé en 1914) puis en poème sympho-
nique pour les Ballets russes (1920), il chante d’abord chez
Andersen. Point d’argument externe aux Pagodes debus-
systes : le pentatonisme (dont se nourriront Ravel et tant
d’autres après lui, en ajoutant ici une percussion ou un cé-
lesta, là une vocalise orientalisante) y respire la pureté.
Certains, Mahler en tête, puisent à des poèmes. Antholo-
© WIKIMEDIA.

gie de textes chinois, La Flûte de Jade publiée par Franz


Toussaint va inspirer mélodies (Armande de Polignac vers
1918, Marguerite Canal en 1924) et « Suite pour orchestre

44 I
PUCCINI (il faudra attendre 1982 pour que l’entièreté
1926 ▶ TURANDOT. de son travail soit réhabilitée). Luciano Berio
Joan Sutherland, Luciano Pavarotti, imagine, en 2001, une autre conclusion à cette
Montserrat Caballé, Nicolai Ghiaurov, légende de passion et de mort. Véritable
London Philharmonic Orchestra, « opéra de mélodie », l’œuvre renferme des pages
Zubin Mehta. Decca. mémorables (dont le fameux « Nessun dorma »
de Calaf, la Scène des énigmes de Turandot,
Sur un livret d’Adami et Simoni d’après et le « Tu, che di gel sei cinta » qui précède
Gozzi, Puccini compose une partition qui le suicide de la jeune esclave Liù). En 1972,
demeure inachevée à sa mort. Franco Alfano Joan Sutherland prête sa voix à la cruelle
livrera deux scènes finales à Toscanini princesse, que courtise un Luciano Pavarotti
en 1926, que le chef mutilera amplement désarmant de soleil et de ferveur.

MARAIS RAVEL STRAVINSKY


1725 ▶ La Pagode. 1908-1910 1917 ▶ Le Chant
François Joubert-Caillet, ▶ Ma mère l’Oye. du rossignol.
L’Achéron. Samson François, Orchestre national
Ricercar. Pierre Barbizet (piano). Emi. de France, Pierre Boulez.
La sobriété est de mise dans Pierre Barbizet et Samson Erato.
cette lecture du Cinquième Livre de pièces de François signaient en 1967 une interpréta- Adapté des actes II et III de l’opéra Le Rossi-
viole : nulle redondance ne se glisse dans ces tion précise et lumineuse de ces « enfan- gnol, Le Chant du rossignol fut conçu pour les
pièces galantes, sérieuses ou descriptives. La tines » conçues pour quatre jeunes mains. Ballets russes. Sur fond de pentatonisme et
gigue La Pagode de la Suite en sol est de Un conte de Madame d’Aulnoy, Le Serpentin de célesta, les vocalises cadentielles du vrai
celles-là. Chantante et dansante, elle té- vert, est à l’origine de Laideronnette impéra- rossignol s’opposent aux phrases sur ostinato
moigne, à l’instar des marches à la turque ou trice des pagodes, dont le premier motif rap- de son alter ego mécanique. L’interprétation
persane, de l’orientalisme (au sens large) du pelle les Pagodes debussystes. de Pierre Boulez se tient au plus près d’une
baroque français. partition richement colorée.
MAHLER
GLUCK 1912 ▶ Le Chant BARTOK
1754 ▶ Le cinesi. de la terre. 1926 ▶ Le Mandarin
Isabelle Poulenard, Kathleen Ferrier, merveilleux.
Gloria Banditelli, Julius Patzak, Orchestre royal
Anne Sofie von Otter, Wiener Philharmoniker, du Concertgebouw,
Guy De Mey, Bruno Walter. Decca. Riccardo Chailly. Decca.
Orchestre de la Schola Cantorum de Bâle, Mahler retient six poèmes de La Flûte Contrainte à rabattre des clients que ses sou-
René Jacobs. DHM. chinoise (recueil de textes du VIIIe siècle, teneurs dévaliseront ensuite, une prostituée
Les trois Chinoises du titre – Lisinga, Tangia adaptés en allemand par Hans Bethge) pour s’émeut pour un riche mandarin qui s’obstine
et Sivene – chantent des arias de styles variés son Lied von der Erde, symphonie pour ténor, à ne pas vouloir mourir. Jugé immoral à la
pour divertir le frère de Lisinga, Silango, ren- alto (ou baryton) et orchestre. Pentatonisme, création, ce mimodrame n’allait rencontrer
tré d’Europe. Après une scène tragique, un célesta et percussions explicites (tam-tam, le succès qu’après la mort de Bartok. Ric-
duo pastoral et un air comique, l’opéra, sur triangle) émaillent ce cycle centré sur la cardo Chailly en laisse une version de stupre
un livret de Métastase (déjà utilisé par Cal- terre, la nature et la solitude humaine. et de mort, d’un engagement absolu.
dara) s’achève sur un quatuor vocal.
ROUSSEL ADAMS
OFFENBACH 1907-1932 ▶ Mélodies 1985-1987
1855 ▶ Ba-Ta-Clan. op. 12, 35 et 47. ▶ Nixon in China.
Huguette Boulangeot, Marie Devellereau, Trudi Ellen Craney,
Rémy Corazza, Raymond Yann Beuron, Billy Eidi. Sanford Sylvan,
Amade, Orchestre Timpani. Thomas Hammons,
Jean-François Paillard, S’appuyant chaque fois sur les traductions de John Duykers, Orchestra of St. Luke’s,
Chœurs et Orchestre lyrique de l’ORTF, poèmes chinois par Henri-Pierre Roché, Edo De Waart. Nonesuch.
Marcel Couraud. Erato. Roussel laisse trois diptyques de mélodies Ce premier opéra de John Adams évoque, sur
Chinoiserie pour rire que cette opérette en d’après Fu-Mi (Opus 12), Li-Ho et Chang-Chi un livret d’Alice Goodman, l’amélioration des
un acte – gravée par de fabuleux chanteurs (Opus 35), Li-I et Huang-Fu-Ian (Opus 47) qui rapports sino-américains au début des an-
et comédiens en 1959. Les langues sont far- empruntent à l’échelle pentatonique et même nées 1970. Aucune référence à la musique
felues au possible et les quiproquos de ri- aux modes karnatiques indiens (Réponse chinoise, mais des chœurs verticaux figurant
gueur. Heureusement, Fè-ni-han, la « Pari- d’une épouse sage). Marie Devellereau, Yann la foule endoctrinée et des personnages très
sienne de race » alias Fé-an-nich-ton, et le Beuron et Billy Eidi délivrent de ces minia- caractérisés pour ce drame politico-histo-
prétendu Ké-ki-ka-ko pourront s’échapper tures chatoyantes une version sobre, parfai- rique depuis devenu un classique. On pourra
sains et saufs de la conjuration orchestrée tement prononcée tant vocalement que pia- l’entendre dans la distribution originale de
par Ko-ko-ri-ko. nistiquement. la création.

I 45
La chronique
D’IVAN A. ALEXANDRE

Patrimoine immatériel
ercredi 6 décembre, vingt-quatre heures autrefois souveraine, aujourd’hui marginale, déchiffrable
avant que le rideau de la Scala se lève sur par les seuls connaisseurs, ce que suggère la candidature
Don Carlo, le « Comité intergouvernemental déposée en 2022 par l’Etat italien. Le chant lyrique dont
de sauvegarde du patrimoine culturel il est question a sans cesse évolué jusqu’au double mal-
immatériel » hébergé par l’Unesco ajoutait à sa liste heur : le cinéma, qui racontait les mêmes histoires à un
« la pratique du chant lyrique italien ». Grammaire public plus large, et le micro, outil d’un chant nouveau,
expressive, code gestuel, discipline théâtrale et surtout plus simple, plus pop. Alors, il s’est pétrifié. En 1830,
« technique de chant sous contrôle physiologique qui Maria Malibran chantait Rossini, Bellini, Donizetti, tous
intensifie la puissance vocale dans des espaces acous- vivants. En 1960, Maria Callas chantait Bellini, Donizetti,
tiques tels que les auditoriums, les arènes et les églises ». Verdi, jusqu’à Puccini et Cilea, tous morts. Un demi-siècle
Sourcilleuse, l’organisation justifie son choix : « Transmise plus tard, Anna Netrebko chante les mêmes. Le patrimoine
oralement entre un maestro et un élève, cette pratique n’est plus que patrimonial. Ecrasé par Zucchero, Dalida
favorise la cohésion collective et la mémoire sociocultu- et leurs disciples. Tellement immatériel qu’il a disparu
relle. C’est un moyen d’expression libre et de dialogue des ondes, des écrans, des écoles. « Le pays d’où vient
intergénérationnel, sa valeur culturelle est reconnue notre art liturgique, qui a inventé l’opéra et dont le lan-
au niveau national et international. » gage reste la lingua franca de la musique classique »,
Quatre siècles après L’Orfeo, trois après Giulio Cesare, résume l’éditorialiste Elisabeth Braw (Engelsberg Ideas
deux après Semiramide, et un siècle après la mort de du 1er décembre), « est devenu un bourbier musical. »
Puccini (29 novembre 1924, hommages à suivre), le comité
aura pris son temps. « Les Nations Unies chantent enfin _ Même réduit
les louanges de l’opéra italien », titre le Times. « Voici la
consécration officielle de ce que nous savions déjà : le chant
lyrique est une valeur mondiale, de celles qui nous repré-
à sa science vocale,
sentent le mieux à travers la planète », renchérit le ministre
de la Culture Gennaro Sangiuliano.
l’art lyrique en est-il là ? _
Mais justement. Outre leur propre futilité, ces inscriptions Les théâtres italiens réduisent leurs saisons – meilleures
annuelles servent d’abord les pratiques locales. Parmi salles du monde, vaisseaux fantômes en mauvais état.
les cinquante-six introduites en 2023, retenons la danse Le public déserte les auditoriums. Les conservatoires
dabkeh de Palestine, la fête éthiopienne de shuwalid, crient famine. Si c’est la blessure d’une longue et belle
les célébrations de la naissance du prophète Mahomet au histoire que l’Unesco espère guérir, alors pourquoi ne
Soudan, le carnaval de Rotterdam et la saison d’alpage en pas avoir couché ce trésor sur la liste prioritaire du
Suisse. Même réduit à sa science vocale, l’art lyrique en « patrimoine immatériel nécessitant une sauvegarde
est-il là ? Si c’est ce que croit l’Unesco, ce n’est pas ce que urgente » – liste où entre cette année, par exemple, le
dit la mappemonde. L’opéra italien se chante sur les cinq soufflage de verre traditionnel syrien. Et s’il fallait accro-
continents, à Vienne comme à Houston, au Cap comme cher à l’Italie une médaille indiscutable, alors pourquoi
à Séoul. Et sa voix n’a, depuis longtemps, plus grand chose ne pas avoir inscrit au « patrimoine culturel immatériel
d’italien. Ce 7 décembre rituel à Milan, Don Carlo unissait de l’humanité » un art que le pays maintient, on ne sait
deux divas du Nord, Elina Garanca et Anna Netrebko, comment, au plus haut des cieux ? Pas le chant lyrique,
lesquelles chantent aussi bien Wagner, Tchaïkovski ou oh non. La direction d’orchestre.
Massenet. En quoi « la pratique du chant lyrique italien » Maîtres Toscanini, Sabata, Giulini, Abbado, Muti, Chailly,
se distingue-t-elle des autres pratiques ? En quoi Rossini Gatti n’ont pas attendu le XXIe siècle. Mais comptez les
et Verdi appartiennent-ils à un patrimoine distinct de capitaines en poste dans nos institutions. Les Noseda,
© YANNICK COUPANNEC

Mozart, Glinka, Bizet, Britten ou Adams ? Les jurés de les Luisi, les Scapucci, les Rustioni, Sagripanti, Luisotti,
notre United Nations Educational, Scientific and Cultural Capuano (élu de Cecilia Bartoli), Mariotti (successeur
Organization en ont-ils eux-mêmes la moindre idée ? de Muti à Rome), les Arrivabeni, Manacorda, Frizza,
Peut-être estiment-ils le chant lyrique italien plus précieux Gamba, Lanzillotta, Battistoni, Bisanti et cetera, et cetera.
que les autres chants lyriques en vertu, non de sa popula- Hic et nunc et partout. Jeune, fier, cultivé : on ne peut plus
rité, mais au contraire de sa rareté. Une technique vivant, ce patrimoine-là.

46 I
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JEUNES TALENTS BAROQUES

2 FÉVRIER 2024 13 SEPTEMBRE 2024 8 MAI 2024

GEORG FRIEDRICH CONCERT CONCERT


HÄNDEL - ACIS AND BAROQUE “DOLCE VITA”
GALATEA HWV 49B “AMORE LANGUEO”
(VERSION INÉDITE DE 1736) Un nouveau langage musical Musique savante et
de la sensualité dans l'Italie musique populaire,
Maria Ladurner (Galatea, du 17 siècle France-Italie (1930-1950)
soprano), Marco Angioloni Arnaud Gluck (contre-ténor), Marco Angioloni (ténor),
(Acis, ténor), Alexandre Baldo Alice Letort (théorbe), Ensemble Contraste –
(Polifemo, baryton-basse) sortie de disque
Sacha Lévy (viole de gambe)
Ensemble Mozaïque

SALLE CORTOT, PARIS SALLE CORTOT, PARIS BAL BLOMET, PARIS

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Avec le soutien d’ « Un Pied en Scène »,


association loi 1901 de mécénat lyrique
et chorégraphique
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SPECTACLES à voir et à entendre
Du 1er février au 10 mars 2024

13 rendez-vous
à ne pas manquer
3 Polifemo de Porpora
Du 5 au 11 février, Strasbourg, Opéra. Les 25 et 27, Mulhouse, La Sinne.
Le 10 mars, Colmar, Théâtre municipal.
Après le disque, le spectacle. Alors que George Petrou vient tout juste d’exhumer
le même Polifemo de Porpora (label Parnassus Arts, Diapason découverte, cf. no 728),
l’Opéra du Rhin présente le chef-d’œuvre dans une mise en scène confiée
à Bruno Ravella – déjà signataire en Alsace d’un très solide Stiffelio de Verdi. Pour
ces premières représentations françaises (presque trois siècles après la création
londonienne !), on a réuni un plateau où brilleront en particulier deux glorieux
contre-ténors, Paul-Antoine Bénos-Djian dans le rôle d’Ulysse et Franco Fagioli
dans celui d’Acis, envoûté par la Galatée de la craquante Madison Nonoa (Maria
dans West Side Story ici même, c’était elle). Le cyclope qui donne son titre
à l’ouvrage a, quant à lui, les traits et la voix de la belle basse bolivienne
José Coca Loza. Pour accompagner ce festival de pyrotechnies belcantistes,
on peut compter sur Emmanuelle Haïm, qui démontrera une nouvelle fois
son amour des voix et son sens du théâtre à la tête de son Concert d’Astrée.

à naviguer en eaux troubles, il entretient une relation


EMMANUELLE HAÏM
à explorer l’inconscient féconde depuis plus de trente-
de personnages pris, comme cinq ans. Le chef accompagne
1 Degout) autopsiant sa propre lui, à leur propre piège », d’abord le grand mezzo
L’Autre voyage dépouille, sous le regard éploré écrivait Didier Van Moere dans de Nina Stemme dans les Sea
d’après Schubert de sa veuve (la soprano nos colonnes à l’issue des Pictures d’Elgar, mélodies aux
Du 1er au 11 février, Paris, Siobhan Stagg). L’orchestre représentations. Le Châtelet reflets wagnériens, et dirige
Opéra-Comique. Les 6 et 8 et le chœur Pygmalion offrent reprend la production avec la symphonie tirée de l’opéra
mars, Dijon, Auditorium. un riche écrin à cette aventure un autre orchestre (Les Talens Mathis der Maler d’Hindemith.
Raphaël Pichon aime voir sensorielle atemporelle. lyriques), un autre chef Une semaine plus tard, toujours
naître des créations lyriques, (Christophe Rousset), mais un sous sa direction et dans
de nouveaux opéras 2 plateau identique – à une seule la même grande salle
imaginaires à partir Così fan tutte exception : c’est désormais Pierre Boulez, l’Ensemble
de partitions du passé : après de Mozart Patricia Petibon qui incarne intercontemporain se joint
Du 2 au 22 février, Paris,
Miranda, inspiré de Purcell, en Despina. à un hommage à feue Kaija
Théâtre du Châtelet.
2017, la salle Favart accueille Saariaho au sein d’une affiche
sous sa direction musicale Così fan tutte transformé par 4 100% finlandaise. Le poème
L’Autre voyage, tableaux Dmitri Tcherniakov en scènes
Esa-Pekka Salonen symphonique Les Océanides
© MARIANNE ROSENSTIEHL

lyriques sur des musiques Les 7 et 8 février puis le 15,


de la vie conjugale pour vieux de Sibelius précède le concerto
de Schubert et des textes de Paris, Philharmonie.
amants a fait grincer quelques pour violoncelle Notes on Light
Goethe, Heine… Forte de son dents l’été dernier à Aix-en- Pour deux programmes et trois de la compositrice
théâtre très visuel, Silvia Costa Provence. Mais « la direction soirées hors des sentiers battus, et la tellurique Kraft, avec
met en scène un médecin d’acteur du metteur en scène Esa-Pekka Salonen retrouve solistes et électronique,
légiste (le baryton Stéphane russe reste épatante, il excelle l’Orchestre de Paris, avec lequel de Magnus Lindberg.

I 49
● à voir et à entendre

metteur en scène allemand été enregistré dès 2010 pour


Kevin Barz, qui interroge le label Naxos, bien avant
la persistance de théories sa création scénique polonaise,
créationnistes en notre temps en 2018. Orchestration
supposément éclairé. Auréolé foisonnante, lignes vocales
de sa récente victoire au généreuses, Petitgirard s’inscrit
concours Operalia, le soprano dans une saine tradition lyrique
colorature léger Julie Roset française, malgré la brûlante
est l’ange Gabriel et la femme actualité du sujet qui
originelle Eve, aux côtés décortique les mécanismes
du ténor Jonas Hacker (Uriel) d’emprise psychologique
et de la basse Sam Carl (Raphaël au sein d’une secte dont
et Adam). Marta Gardolinska les adeptes sont retenus sur
veille sur le plateau, comme sur une île. Sous la direction
l’orchestre et le chœur – très du compositeur, on retrouve
sollicité – de la maison lorraine. quelques glorieux gosiers,
TAMARA WILSON comme le baryton Armando
8 Noguera dans le rôle-titre, ou
5 Guru encore Marie-Ange Todorovitch
Beatrice di Tenda de Bellini de Laurent Petitgirard
Du 9 février au 7 mars, Paris, Opéra Bastille. et Anaïs Constans incarnant
Du 20 au 24 février,
respectivement sa mère
© DR

Créé en 1833 à La Fenice de Venise, l’avant-dernier Nice, Opéra.


et sa maîtresse délaissée.
opéra de Bellini, Beatrice di Tenda, demeure un objet Après avoir assuré en 2002 Ancienne administratrice
rare. Le voici qui fait son entrée au répertoire de l’Opéra les premières représentations générale de la Comédie-
de Paris ! L’événement se double des débuts dans françaises de son Elephant Man, Française, Muriel Mayette-Holtz
le répertoire romantique italien de Peter Sellars, dont l’Opéra de Nice s’attelle viendra en voisine pour assurer
le spectacle promet de dénoncer avec force l’arbitraire aujourd’hui au deuxième la mise en scène, depuis
du pouvoir en emprisonnant dans un palais aux murs ouvrage lyrique de Laurent le Théâtre national de Nice
d’acier l’infortunée comtesse de Tende, accusée Petitgirard. Fait rare : Guru avait qu’elle dirige désormais.
de trahison puis condamnée à mort. Sous la baguette
de Mark Wigglesworth, Tamara Wilson tient le rôle-titre
créé par Giuditta Pasta et immortalisé au disque par 10
Joan Sutherland, en compagnie du Filippo de Quinn
Idomeneo de Mozart
Du 21 février au 2 mars, Genève, Grand-Théâtre.
Kelsey, de l’Agnese de Theresa Kronthaler et des frères
Du 27 février au 7 mars, Toulouse, Théâtre du Capitole.
Pene et Amitai Patti en Orombello et Anichino.
Toulouse reprend l’Idomeneo déroutant présenté à
Aix-en-Provence à l’été 2022. Le metteur en scène japonais
se confronte à un monument Satoshi Miyagi reverra-t-il pour l’occasion sa copie ? On
6 Beatrice Rana du piano, cette Sonate l’espère, d’autant que le plateau, comme souvent au Capitole,
Le 13 février, Paris, en si mineur de Liszt qui recèle bien des trésors : l’Ilia de Marie Perbost, l’Idamante de
Philharmonie. intimida plus d’un virtuose. Cyrille Dubois (deux artistes bien connus du public toulousain),
Quel programme que celui mais aussi l’Elettra d’Andreea Soare, mozartienne déjà aguerrie,
de la pianiste italienne ! A la 7 et l’Idomeneo de Ian Koziara, ténor venu du programme
La Création de formation pour jeunes chanteurs du Metropolitan Opera.
Fantaisie op. 28 de Scriabine,
de Haydn Au pupitre, l’excellent Michele Spotti fait une infidélité
une de ses partitions les plus
Du 18 au 23 février, Nancy, à l’Opéra de Marseille dont il est désormais directeur musical.
passionnées et éruptives,
Opéra national de Lorraine. Autre équipe, non moins prometteuse, sur les bords du Léman :
succèdent les rares Cyprès
op. 17 de Castelnuovo-Tedesco, On ne s’étonne plus l’Idomeneo de Stanislas de Barbeyrac a pour fils l’Idamante
sensible évocation d’une villa de la présence de l’oratorio de Lea Desandre, l’Elettra de Federica Lombardi pour rivale
toscane que le compositeur à l’Opéra : il y est (presque) l’Ilia de Giulia Semenzato. Leonardo Garcia Alarcon guide
fréquenta dans les années 1920. chez lui. A Nancy, c’est les musiciens de sa Cappella Mediterranea rejoints
Après deux Préludes et L’Isle La Création de Haydn qui se par ceux de l’Orchestre de chambre de Genève,
joyeuse de Debussy, où son donne à entendre et donc alors que Sidi Larbi Cherkaoui propose un spectacle
sens des couleurs devrait faire à voir, dans la régie et avec qui devrait s’achever en apothéose de la danse.
merveille, Beatrice Rana les images animées du jeune

50 I
78e CONCOURS DE GENÈVE
INTERNATIONAL MUSIC COMPETITION
15 – 22 OCTOBRE 2024
Chant & Composition
9 Nuit du Piano 11 Ballets russes
Le 21 février, Toulon, Les 28 et 29 février,
Palais Neptune. Paris, Philharmonie.

Menu particulièrement Le prodige finlandais


copieux que celui de cette de la direction Klaus Mäkelä
Nuit du piano toulonnaise, poursuit sa belle saison russe
ponctuée de cinq récitals. avec l’Orchestre de Paris.
Après un concert découverte Petrouchka avait ouvert
avec des étudiants de l’IESM le concert de rentrée
(Institut d’enseignement à la Philharmonie. L’œuvre
supérieur de la musique), y revient à l’affiche, cette fois
Claire Désert et l’excellent avec les deux autres ballets
Geister duo se partagent « russes » mythiques
la scène à tour de rôle. de Stravinsky, L’Oiseau de feu
et Le Sacre du printemps.
La pianiste française ouvre
Comme au dernier Festival
les hostilités avec Schumann,
d’Aix-en-Provence, le trio
Brahms et Chopin, revenant
de partitions est agrémenté
plus tard dans des œuvres
de films spécialement réalisés, DÉLAI D’INSCRIPTION
du premier, de Debussy et de CHANT – 17 AVRIL 2024
respectivement par Bertrand
Bartok. Les duettistes David COMPOSITION – 29 MAI 2024
Mandico, Rebecca Zlotowski CONCOURSGENEVE.CH
Salmon et Manuel Vieillard
et Evangelia Kranioti.
auront aussi fort à faire avec
Un accord sons-images soigné
Schubert, clôturant cette joute
pour une soirée luxueuse.
musicale dans la magie
de Daphnis et Chloé de Ravel
et le feu d’artifice assez 12 Alexandre Kantorow
terrifiant de La Valse.
et Jaap Van Zweden
Le 28 février, Toulouse,
Halle aux grains.
Le 29, Aix-en-Provence,
Grand-Théâtre de Provence.
Le 9 mars, Bruxelles, Bozar.
Au cours d’une tournée qui
les mèneront aussi à Rome,
Bâle, Zurich, Dresde, Rotterdam
et en Asie, l’Orchestre
philharmonique de Hong Kong,
son directeur musical Jaap
Van Sweden et Alexandre
Kantorow interprètent
à Toulouse et Bruxelles
la Rhapsodie sur un thème
de Paganini de Rachmaninov,
une nouveauté au répertoire
de la star française du piano.
A Aix, le soliste gravit les cimes
du Concerto no 4 de Beethoven,
© JÉRÔME BELLOCQ

un autre bonheur. Deuxième


© Sophie Leroux

partie de choix, que ce soit


avec la Symphonie « Titan »
de Mahler ou, en Belgique,
STANISLAS DE BARBEYRAC la 1ère de Brahms.

I 51
● à voir et à entendre

13 The Exterminating Angel d’Adès


Du 29 février au 23 mars, Paris, Opéra-Bastille.
Après une soirée à l’Opéra, une assemblée d’aristocrates et de grands
bourgeois se retrouve à souper dans une demeure cossue. Mais sans raison
apparente, aucun des convives ne trouvera la force de quitter les lieux. Une nuit
passe, puis plusieurs journées, un des invités trépasse, une idylle se noue…
Pour tous ces naufragés de la civilisation commence alors une lente mais
inéluctable déchéance. C’est sur cette trame inspirée par le film éponyme
d’un Luis Buñuel sous influence surréaliste que Thomas Adès a composé son
Exterminating Angel, dont la création en 2016 à Salzbourg fit l’effet d’une grande
claque dans la figure. La mise en scène originale péchait par excès de prudence ?

© MARCO BORGGREVE
Nul doute que Calixto Bieito saura, pour cette nouvelle production parisienne,
tirer un parti plus flamboyant d’une matière dramatique aussi dense. Et qu’une
distribution triée sur le volet investira tous ses atouts vocaux dans les grands
écarts de l’écriture, comme dans ses déferlements madrigalesques. Au pupitre,
le compositeur alterne avec Courtney Lewis, qui était son assistant à Salzbourg.

THOMAS ADÈS

ET AUSSI…
Alceste de Lully, Nathalie Stutzmann Gautier Capuçon Mikko Franck
version de concert et l’Orchestre national et Daniil Trifonov et l’Orchestre philharmonique
Le 30 janvier, Versailles, du Capitole de Toulouse Le 8 février, Bordeaux, de Radio France
Opéra royal. Le 1er février, Le 2 février, Toulouse, Auditorium. Le 15 février, Dijon,
Paris, Théâtre des Halle aux grains. Le 5, Paris, Le 10, Paris, Philharmonie. Auditorium. Le 16, Paris,
Champs-Elysées. Philharmonie. Debussy, Prokofiev, Maison de la Radio.
Gens, Auvity, De Donato, Mozart, Brahms,Wagner. Rachmaninov. Mahler : Symph. no 6.
Bertin-Hugault, Poul, Lefilliâtre.
Les Epopées, dir. Fuget. Quatuor Arod Adam Laloum Janine Jansen
Le 3 février, Paris, Le 11 février, Paris, Théâtre et la Camerata Salzburg
Philippe Herreweghe Théâtre des Abbesses. des Champs-Elysées. Le 22 février,
Le 1er février, Poitier, TAP. Haydn, Tchaïkovski. Le 12, Nancy, salle Poirel. Bruxelles, Bozar.
Le 2, Paris, Philharmonie. Chopin, Schubert. Le 27, Paris,
Don Giovanni de Mozart,
Schubert : Symph. no 8. Philharmonie.
version de concert
Brahms : Un Requiem allemand. L’Orfeo de Monteverdi, Haydn, Mozart.
Le 5 février, Paris, Théâtre
version de concert
des Champs-Elysées.
Rinaldo de Handel, Le 14 février, Paris, Allan Clayton
Van Horn, Zamecnikova, Volkov,
version de concert Philharmonie. Le 26 février, Paris, Théâtre
Lombardi, Kellner, Di Mateo,
Le 2 février, Paris, Théâtre Debus, Vermeulen, de l’Athénée.
Hässler. Chœur et Orch. de
des Champs-Elysées. Zaïcik, Borchev, Pe, Britten : Canticles.
l’Opéra de Vienne, dir. Jordan.
Vistoli, Barath, Skerath, Davies, Brooymans.
Richardot, Pichanick, Mastroni. Bertrand Chamayou Freiburger Barockorchester, Quatuor Ebène
Les Accents, violon et dir. Noally Le 7 février, Dijon, dir. Jacobs. Le 28 février,
Auditorium. Paris, Maison de la Radio.
Les Pêcheurs de perles Liszt, Schumann, Ravel, Marina Viotti Mozart, Schnittke, Grieg.
de Bizet Glinka/Balakirev, Balakirev. et Jérémie Rhorer
Les 2, 4 et 6 février, Saint- Le 13 février, Lyon, Daniel Harding
Etienne, Grand-Théâtre. Christian Tetzlaff Auditorium. et l’Orchestre philharmonique
Catherine Trottmann, Kévin et l’Orchestre de chambre Le 14, Aix-en-Provence, de Radio France
Amiel, Philippe-Nicolas Martin. de Paris Grand-Théâtre de Provence. Le 29 février, Paris,
Guillaume Tourniaire direction Le 7 février, Paris, Théâtre Mozart, Gluck, Maison de la Radio.
musicale, Laurent Fréchuret des Champs-Elysées. Mendelssohn, Saint-Saëns, Tanguy : Constellations.
mise en scène. Dvorak, Viotti, Widmann, Haydn. Massenet, Bizet... Holst : Les Planètes.

Pages réalisées par Bertrand Boissard, Emmanuel Dupuy, Benoît Fauchet, Pierre-Etienne Nageotte

I 52
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Beethoven BEETHOVEN
+ 14 CD Les indispensables
Les sonates pour piano
Des interprétations de légende, sélectionnées par les critiques de Diapason.

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SPECTACLES vu et entendu

Drame ténébreux

54 I
UN PEU BEAUCOUP PASSIONNÉMENT PAS DU TOUT
nous
avons
aimé...

La Scala de Milan avait jeté son dévolu sur le Don Carlo


de Verdi pour son ouverture de saison. A la magnifique
direction de Riccardo Chailly, répondait une distribution
de haut vol, dominée par Anna Netrebko.

Don Carlo de Verdi. Milan, Teatro alla assez plébéien, se fait ici styliste, déployant une
Scala, le 13 décembre. A voir sur ligne galbée et nuancée, Posa plein de noblesse.
Arte Concert jusqu’au 5 juin 2024. Francesco Meli assouplit son émission, tire de sa
voix sonore les demi-teintes d’un Infant moins
Une tour d’albâtre, de hautes écorché vif que douloureusement tourmenté.
grilles, des moines soldats : tout L’Eboli d’Elina Garanca nous est familière, rien
désigne l’enfermement, la répres- moins que harengère aux graves débraillés – ils
sion, l’emprise de la religion. paraissent même parfois timides –, vipérine mais
L’intérieur du palais royal n’est très princesse, qui assume la légèreté de la Chan-
d’ailleurs que l’envers du retable : soumission son du voile et tient son « O don fatale ».
du trône à l’autel, de Philippe II à l’Inquisiteur.
Même s’il dit penser à l’aujourd’hui, Lluis Pasqual Irrésistible tension
refuse la facilité des transpositions pour préser- Chez le vétéran Michele Pertusi, la beauté intacte
ver l’universalité du message, restituant les du cantabile permet encore un « Ella giammai
costumes d’époque, avec le noir de la cour m’amo » à faire pleurer et compense l’usure
d’Espagne, adepte d’un naturalisme historiciste des moyens, l’extrême amenuisement du grave
stylisé. Jusqu’ici, on peut le suivre : il est d’autres en particulier. Si cette usure ne messied pas,
chemins que celui du Regietheater. Mais dans au fond, à ce Philippe II vampirisé par l’Eglise,
ce décor de Daniel Bianco, entre pittoresque elle enlève malgré tout de sa force à la confron-
et abstraction, animé par les jolies lumières de tation avec l’inquisiteur, un Jongmin Park qui,
Pascal Mérat, que se passe-t-il vraiment ? Pas lui aussi, impressionnerait davantage s’il en avait
grand-chose, sinon rien, le metteur en scène se les graves. Les chœurs, eux, sont superbes.
contentant d’une direction d’acteurs minimale, Riccardo Chailly a choisi la version milanaise en
voire d’un autre âge, laissant les personnages quatre actes, en une sorte de retour aux sources.
exprimer à travers le chant seul leurs tourments On est évidemment frustré, mais on rend aussitôt
et leurs frustrations. les armes : l’âme de ce Don Carlo, c’est lui. Beauté
Heureusement, ils y parviennent, grâce aussi, de la pâte sonore, raffinement des couleurs, élé-
sans doute, à Riccardo Chailly, qui leur inspire gance des phrasés, on a rarement entendu un tel
des nuances, des raffinements dont certains orchestre. Le chef italien ne sombre pas, pour
ne se montrent pas toujours coutumiers. On en- autant, dans le narcissisme : il dirige un drame
tend ainsi une Anna Netrebko des meilleurs ténébreux, entretient, sans rien précipiter, une
soirs, chez laquelle on ne déplorera que quelques irrésistible tension intérieure, chante avec les
aigus émaciés et peu stables à la fin : l’opulence personnages, exprime tout ce dont eux-mêmes
du timbre, notamment dans le médium et le n’ont peut-être pas conscience. Voilà un
grave, la maîtrise du souffle, les sons filés sont Don Carlo intimiste, finalement, loin de tout
d’une grande, comme la beauté du phrasé. Voici pompiérisme dans le tableau de l’autodafé, qui
© BRESCIA E AMISANO

une vraie reine d’Espagne. Luca Salsi, en général met les cœurs à nu. Didier Van Moere

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I 55
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interprétations choisies par les critiques de Diapason Maîtres Chanteurs, Parsifal, les indispensable du Ring
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Les grands opéras Œuvres symphoniques , concertos
Avec M. Callas, R. Tebaldi, V. de los Angeles, et musique de chambre
B. Nilsson, C. Bergonzi, J. Björling, D. Mitropoulos, De son 1er quatuor à cordes (1871) à la crépuscu-
T. Serafin, E. Leinsdorf… laire Symphonie « pathétique » (1893), voici toutes
les grandes partitions concertantes, symphoniques
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et chambristes de Tchaïkovsk soit 14 h de musique !
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VOLUME 25 - GOUNOD - BIZET


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la discographie des seize quatuors à cordes de
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Lac des cygnes), Eugène Onéguine et La Dame
de Pique. Et en complément, les plus beaux airs
et ensembles de ses opéras moins connus par la
crème du chant russe.
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stéréophonie associant des trésors bien connus et Les huit symphonies,les plus belles pageschorales et une
des pépites à redécouvrir, où les derniers proches riche anthologie de lieder pour compléter les trois grands
du maître croisent quelques-uns de ses premiers
cycles. Avec, comme toujours, des références consacrées,
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Sommaire
60 LES DIAPASON D’OR
62 L’île déserte

64 Rééditions

68 L’événement

70 LES 120 CRITIQUES


98 Les vidéos
© MORGANE VIE

PAGE 68

PAGE 64
PAGE 98
© DAVIDB.HECHT / SONY MUSICENTERTAINMENT

© SFMONIKA RITTERSHAUS

PAGE 62

58 I
février 2024
Votre indispensable
Des enregistrements rares ou légendaires sélectionnés par les critiques de Diapason.

J
usqu’à l’aube de la cin- brosse un splendide portrait de archet poète plane par-dessus Inspirée par un poème de Mus-
quantaine, Edouard son dédicataire. Outre l’emploi les ombres schumanniennes de set, Namouna (1881) était pour
Lalo (1823-1892) est, à de tournures ibériques, dans les l’Andante. Le rondo final le plus Dukas « la partition de ballet la
Paris, l’altiste puis le mélodies et les rythmes (haba- aérien et lumineux de la disco- plus neuve, la plus forte et la plus
second violon du Qua- nera dans les mouvements graphie est ici. brillamment inventée qu’on eût
tuor Armengaud. Hector Berlioz, impairs, séguedille puis mala- encore entendue ». Boudés par
qui avait enrôlé ce jeune musi- gueña dans le Scherzando…), Pirouettes au soleil le public du palais Garnier mais
cien originaire de Lille au sein Lalo colore son orchestre par un Il y a davantage d’audace for- admirés par Debussy, Chabrier
de son éphémère Grande Société tambour de basque, un triangle, melle dans le Concerto pour et Fauré, son orchestre piquant,
philharmonique, avait aussi et des cordes en pizzicatos pour violoncelle (1876-1877), lui ses rythmes pleins d’imprévu
encouragé ses premiers travaux évoquer la guitare. aussi teinté d’hispanisme, dont (l’action se déroule en Grèce)
de composition. Modeste, indo- Technique superlative, élégance chacun des trois mouvements retrouvent éclat et ressort grâce à
lent, scrupuleux, Lalo préfère de la cambrure, intensité du alterne épisodes dramatiques un Paul Paray épatant de vigueur
mener ce qu’il appelle lui-même chant : Leonid Kogan est, en et passionnés. Pierre Fournier pointue.
une « vie d’escargot ». L’amitié 1959, un digne successeur de et Jean Martinon donnent du Parmi les cinq numéros de la
de Pablo de Sarasate, qu’il sur- Sarasate. Au pupitre d’un Phil- relief à la rêverie de l’Intermezzo Suite no 1, avouons un faible
nomme affectueusement « le harmonia rutilant, Kiril Kondra- comme au scherzo primesautier pour la Sérénade dédiée à Sara-
lion du violon », finira par le faire chine accorde, dans cette version qui la traverse. La noblesse de sate (le basson s’y épanche sur
sortir de sa coquille pour livrer devenue introuvable, la finesse phrasé du premier et la direc- des cordes en pizzicatos) et pour
plusieurs joyaux, notamment de l’accompagnement (les bois !) tion tonique du second ourlent le joyeux tumulte reliant Parades
concertants. à la pureté du dessin soliste. Sou- ensuite de mélancolie un finale (avec solo de flûte pour l’ami
Le plus célèbre et le plus virtuose, vent coupé ailleurs, l’Intermezzo au Vivace formidablement Taffanel) et Fête foraine.
la Symphonie espagnole (1874), gagne un flegme pétillant, et un souple et élancé. François Laurent

n o
LALO : Concerto pour violoncelle (a).
Namouna (Suite no 1) (b).
Symphonie espagnole (c).
Pierre Fournier (violoncelle), Orchestre
Lamoureux, Jean Martinon (a). Detroit Symphony
Orchestra, Paul Paray (b). Leonid Kogan (violon),
Philharmonia Orchestra, Kiril Kondrachine (c).
« Les Indispensables de Diapason »
no 165. Ø 1958-1960. TT : 1 h 17’.

I 59
● Le choix de la rédaction

DIAPASON D’OR
NOUVEAUTÉS
● CRITIQUE P. 68 ● PLAGE 1 ● CRITIQUE P. 81 ● PLAGE 2 ● CRITIQUE P. 96 ● PLAGE 3

CHARPENTIER HAHN UN SECOLO CANTANTE


Médée. Le Ruban dénoué… Œuvres de Ferrari, Monteverdi, Strozzi…
Solistes, Le Concert Spirituel, Hervé Niquet. Eric Le Sage, Frank Braley. Solistes, Le Stagioni, Paolo Zanzu.
Alpha. Sony. Arcana.
Une équipe idéale nous offre davantage Deux complices creusent les arrière-plans Cet « opéra imaginaire » puisé dans
que la version la plus historiquement des douze valses ficelées par Hahn diverses œuvres des années 1630 et 1640,
informée possible aujourd’hui : en 1915, et les rapprochent judicieusement constitue une passionnante anthologie
une vision renouvelée d’un chef-d’œuvre. des Trois valses romantiques de Chabrier. du répertoire lyrique vénitien.

DÉCOUVERTE
● CRITIQUE P. 89 ● PLAGE 6 ● CRITIQUE P. 75 ● CRITIQUE P. 94 ● PLAGE 7

SCHUMANN CHIN SCHUMANN


Quatuor et quintette avec piano. Concertos pour violon, pour violoncelle, Œuvres et arrangements pour hautbois
Isabelle Faust, Antoine Tamestit, Jean Guihen pour piano. Le Silence des sirènes… et piano.
Queyras, Alexander Melnikov… HM. Solistes, Berliner Philharmoniker. BPHR. Philippe Tondre, Danae Dörken. Klarte.
Légèreté, clarté de textures, articulation Le Philharmonique de Berlin consacre Le hautbois solo du Philadelphia Orchestra
d’une exceptionnelle netteté : les interprètes une monographie captivante à l’une des s’approprie des pages de Schumann datées
illuminent deux joyaux chambristes compositrices les plus inventives de notre de la féconde année 1849 avec une maîtrise
de Schumann. Le choix de temps : parfaite introduction à son art ! qui force l’admiration.

60 I
CHAQUE MOIS, LE MEILLEUR DU DISQUE
CLASSIQUE, D’UN SEUL COUP D’ŒIL !
INDISPENSABLE
● CRITIQUE P. 76 ● PLAGE 4 ● CRITIQUE P. 86 ● PLAGE 5 ● RENDEZ-VOUS P. 89

CORELLI QUENTIN & CORELLI LALO


Concerti grossi op. 6. Sonates pour flûte et continuo. Symphonie espagnole. Namouna (Suite no 1).
Accademia Bizantina, Ottavio Dantone. Anna Besson, Myriam Rignol, Jean Rondeau. Concerto pour violoncelle.
HDB. Alpha. En 1959, Kogan et Kondrachine donnaient
Nouveau triomphe pour l’Accademia Des timbres somptueux et un sens affûté un raffinement inouï aux cinq mouvements
Bizantina, avec toujours une jouissance du discours font oublier que ces sonates de la Symphonie espagnole. Cette gravure
du son, une dramaturgie millimétrée étaient au départ pour violon : un des plus jusqu’ici introuvable brille, avec deux
et une éclatante maîtrise du temps musical. beaux disques de flûte depuis longtemps ! autres trésors, dans un Indispensable Lalo.

RÉÉDITION
● CRITIQUE P. 64 ● PLAGE 8

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De Beethoven à Schumann en passant
par des Brahms essentiels, Sony réunit
tout ce que les Cleveland ont enregistré entre
1972 et 1987. D’un niveau artistique inouï,
ce legs restait quasi inédit en CD !

I 61
● L’île déserte de MARC LESAGE

LES DISQUES QUE TOUT MÉLOMANE DOIT CONNAÎTRE


o
n 135
Grieg
20 Pièces lyriques.
Emil Guilels. 1974, DG.

l est des œuvres qui traversent comme un fleuve la vie de en ces années-là s’y expriment à chaque instant, parfois
leurs auteurs. Pour Edvard Grieg ce furent ses soixante- ensemble et au plus haut degré, comme dans ce fabuleux
six Pièces lyriques, réparties en dix cahiers. Inauguré par Nocturne op. 54 no 4 aux textures impalpables.
une Arietta, le premier (Opus 12) est, en 1867, celui d’un Ce n’est pas le seul miracle de cet album. Moins d’un an après
jeune homme de vingt-quatre ans, fondateur la même cet enregistrement, les Pièces lyriques de Grieg disparurent
année de l’Académie norvégienne de musique. Le dernier des récitals de Guilels, aussi subitement qu’elles y étaient
(Opus 71), publié en 1901, marque à la fois un retour sur soi apparues. Il préféra désormais le concerto, dont il laisse trois
et un adieu à la création. Si un brusque élan d’allégresse témoignages entre 1979 et 1983, ceux d’un géant devenu fra-
illumine le nostalgique Il était une fois (no 1), Passé (no 6), gile mais toujours capable des plus infimes nuances. On
lugubre avec ses chromatismes amers, s’enfonce inexora- songe à Schumann, à qui le pianiste vouait une affection
blement vers le grave, fortissimo. La fin ? Presque. Une certes sélective mais constante : lors des sessions berlinoises
ultime valse, Souvenirs (no 7), clôt le recueil – et le cycle de juin 1974, sa musique circule déjà sous la tendre déclara-
entier – sur une réminiscence de l’Arietta par laquelle tout tion d’A tes pieds op. 68 no 3 ou les rythmes pointés du Scherzo
avait commencé. op. 54 no 5, jumeau du volet inaugural des Quatre pièces
Encadrer un programme strictement chronologique par op. 32. Elle nourrit l’esprit de ce disque pensé comme un cycle
ces deux morceaux, quoi de plus cohérent ? Mais Emil à la trame narrative subtilement esquissée, entre question-
Guilels fait surtout apparaître leur similitude, fût-elle alté- nements angoissés, parenthèses intimistes et échappées vers
rée par le passage du temps : à la main droite, la phrase se le rêve. Tout l’art de Guilels y est concentré, aussi vivant et
déploie avec le même galbe, les mêmes inflexions, jusqu’au limpide qu’une source d’eau pure.
ritenuto des dernières mesures. Magie d’une technique tout
au service d’un dessein interprétatif qui se dévoile chemin
faisant : replonger la musique de Grieg dans l’imaginaire
romantique qui l’alimente. L’anthologie cultive une mélan-
colie à laquelle se mêle parfois la noirceur, telle cette Mélo-
die op. 47 no 3 qui tente d’épancher une douleur oppres-
sante : quel sens de la progression dans les épisodes Più
mosso ! Quant au Ruisseau op. 62 no 4, ce sont des ombres
inquiétantes qui tournoient au fond de ses eaux cristallines.
Le danger rôde, surgit soudain : effrayant Petit Troll op. 71
no 3, porté par une pulsation implacable.
Les pages légères sont servies de manière tout aussi magis- ● Grieg : Concerto ●« The Unreleased ●Œuvres de Liszt,
trale, qu’elles évoquent la joie d’un Peer Gynt de retour dans pour piano. Recitals at the Schumann, Scarlatti,
ses contrées (Vers la patrie op. 62 no 6) ou la rusticité d’une Emil Guilels, Concertgebouw ». Mozart/Busoni...
fête de village (Halling op. 47 no 4). Noblesse intériorisée du Concertgebouw, Emil Guilels. Emil Guilels.
Eugen Jochum. The Lost Recordings, Nos Indispensables,
chant, gradations dynamiques et agogiques, transparence
Tahra, 1979. 1975-1980. 1935-1968.
du toucher : ces qualités que le jeu de Guilels approfondissait

62 I
Les Grands
Entretiens
Un musicien se raconte en 5 rendez-vous

Du lundi au vendredi
de 6h30 à 7h et de 22h à 22h30
François-René Duchâble I Evgeny Kissin I Joyce DiDonato I
Elsa Dreisig I Mariana Flores I Hélène Grimaud I Karita Mattila I
Igor Pogorelich I Esa-Pekka Salonen I Andreas Scholl…
Judith Chaine, coordination
À écouter et podcaster sur le site de France Musique et sur l’appli Radio France
● Rééditions
i i
é t ons

Aimez-vous Brahms ?
De Beethoven à Schumann en passant par des Brahms essentiels, Sony réunit
tout ce que le Quatuor de Cleveland a enregistré entre 1972 et 1987 : un legs
d’un niveau artistique inouï, qui demeurait presque totalement inédit en CD.
constater qu’aucune autre for- du présent coffret. Le premier
mation, à l’exception peut-être romantisme est davantage
des Alban Berg dans leur deu- représenté, et l’on redécouvrira
xième version (Warner), n’a pu un flamboyant Octuor op. 20 de
véritablement rivaliser avec la Mendelssohn avec le Quatuor
pureté du style et la beauté de de Tokyo (1977), et de sublimes
cette intégrale. Supérieurement Schubert, dont un incandescent
énergiques et virtuoses, ces inter- « La Jeune Fille et la Mort » en
prétations irradient une lumière 1974 et un lumineux Quintette
chaude et douce et pénètrent au en ut avec le violoncelliste Yo-Yo
cœur des œuvres. Ma en 1983.
Chez Brahms, les Cleveland Hormis Brahms, Beethoven fut
marient une phénoménale au cœur du répertoire du Qua-
mise en valeur du moindre tuor de Cleveland. Son intégrale,
détail à une ligne intérieure se gravée de 1974 à 1979, est sans
déployant en amples et somp- nul doute à réévaluer. Si les Six
tueuses phrases lyriques. L’aus- quatuors op. 18 paraîtront à cer-
tère romantisme nordique des tains trop opulents et extraver-
Quatuors op. 51 nos 1 et 2, l’ar- tis, leurs étincelants « Razou-
© DAVIDB.HECHT / SONY MUSIC ENTERTAINMENT

chitecture subtile et sensuelle du movsky », 10e et 11e fascinent


Quatuor no 3 op. 67 sont trans- par la richesse conjuguée des
cendés par une vitalité, une couleurs et des nuances et par
transparence et une flexibilité la justesse de l’expression. Cet
rythmique hors norme. alliage s’intensifie encore dans
les derniers quatuors, ce qui
Osmoses nous vaut notamment de puis-
Cette profonde fibre brahm- sants 12e, 15e et 14e. Saluons le
sienne se confirme en 1976 retour tant attendu d’un quatuor
dans un Quintette op. 115 aussi qui, en à peine un quart de siècle,
nocturne que foisonnant d’idées a offert quelque chose d’assez

D
ès ses débuts en 1969, de New York. Cinq ans plus tard, en compagnie du clarinettiste unique dans l’histoire du genre.
lors du Festival de elle se fixe à l’Eastman School Richard Stoltzman, sans parler Patrick Szersnovicz
Marlboro, le New of Music de Rochester. Dès de splendides Sextuors op. 18 et
Cleveland Quartet lors, avec un effectif seulement op. 36 en 1977 et 1978 avec Pin- « Cleveland Quartet,
est salué comme un modifié en 1980 par l’arrivée de The Complete RCA Album
chas Zukerman au deuxième
Collection ».
ensemble d’une qualité excep- l’altiste Atar Arad, le Cleveland alto et Bernard Greenhouse au Sony, 23 CD. Diapason d’or
tionnelle. Donald Weilerstein, Quartet acquiert le statut d’un deuxième violoncelle. En 1982,
violoniste et professeur au Cle- des plus prodigieux quatuors le Quintette op. 34 avec Ema- PLAGE 8 DE NOTRE CD
veland Institute, y a réuni autour américains du XXe siècle. Entre nuel Ax impressionne par l’os-
de lui le violoniste Peter Salaff, 1972 et 1987, il enregistre exclu- mose exemplaire entre piano et
le violoncelliste Paul Katz et son sivement pour RCA et c’est au cordes. Une entente parfaite dont
épouse l’altiste Martha Strongin sommet de sa gloire, en 1995, profiteront à leur tour les Quin-
Katz – la notice du coffret ren- qu’il met un terme à sa carrière. tette op. 44 et Quatuor op. 47 de
ferme un passionnant entretien Schumann en 1985.
(en anglais) avec eux tous. En Hors norme A la fois grandioses et enjoués,
1971, la formation supprime le Son premier disque, en 1972 – les témoignages des Cleveland
« New » de son nom en quittant un double LP réunissant les trois dans le classicisme viennois
Cleveland pour s’installer à Buf- quatuors à cordes de Brahms –, (Haydn, Mozart) ou la musique
falo, où elle succède au Quatuor se révèle une pure merveille. du XXe siècle (Ives, Barber) sont
de Budapest à l’Université d’Etat Aujourd’hui encore, force est de restés fort rares, d’où l’intérêt

64 I
INSTITUTION VIENNOISE TRÉSORS D’ARCHIVES, LA SUITE

A U
u XVe siècle, la maison Habsbourg dotait le palais impérial n quatrième coffret ICA remboîte vingt volumes du défunt
viennois d’une chapelle musicale, instituant ce qui allait label « BBC Legends ». Les précieuses notices d’origine
devenir un chœur de garçons prestigieux entre tous : ont disparu, la qualité sonore des documents reste variable.
les Wiener Sängerknaben, autrement dit les Petits Chanteurs de L’essentiel provient de captations réalisées dans les années
Vienne. « 525 » ans plus tard, un coffret de 21 CD puise dans 1960-1970 et pour la majeure partie en stéréo. Au sommet,
différents catalogues (DG, Decca, Philips, Koch, mais aussi BASF et le concert dirigé par Nadia Boulanger et célébrant
RCA) pour illustrer un demi-millénaire d’histoire de la musique. On y le 30 octobre 1968 les cinquante ans de la mort
croise un autre célèbre Autrichien, Nikolaus Harnoncourt, qui guide de sa sœur Lili : ses Psaumes et Pie Jesu précèdent
d’un geste savant et secourable les petits chanteurs dans deux motets un bouleversant Requiem de Fauré. Outre Giulini
du Germano-Flamand Heinrich Isaac et un touchant Stabat mater de (War Requiem en 1969 avec les forces du New
Steffani. Une place de choix est réservée aux compositeurs inscrits Philharmonia, et Britten conduisant le Melos
dans l’arbre généalogique du chœur : les anciens Ensemble), Tennstedt (7e de Mahler avec le LPO
Sängerknaben Joseph et Michael Haydn, en 1980), Barbirolli (4e de Mahler) et Boult (7e
Franz Schubert et Anton Bruckner, les musiciens de Sibelius avec le Royal Philharmonic en 1963),
à la cour Mozart (Requiem de très haute tenue sont présents Szell (8e et 9e de Beethoven au
en 1976) et Salieri (pour des messes et motets pupitre du New Philharmonia en 1968), Horenstein (5e de Bruckner),
chantés encore à la chapelle de la Hofburg), sans Silvestri (tirant le meilleur du Bournemouth Symphony dans
oublier les valses de la famille Strauss entonnées les Pini di Roma de Respighi) ou Svetlanov (un Poème de l’extase
au Musikverein… Les petits chanteurs étendent de Scriabine, joyau d’une tournée de l’Orchestre d’Etat d’URSS
leur expertise jusqu’à Britten, non dans le en 1968, complète une Schéhérazade avec le LSO). L’occasion,
vaudeville Golden Vanity qu’il leur a dédiés, mais une Missa brevis qui aussi, de retrouver Rudolf Serkin (« Hammerklavier » et Opus 110),
met en valeur leurs qualités – mélange unique de franchise et fermeté John Ogdon (moins indispensable dans les deux concertos de Liszt,
dans l’attaque, de rondeur du grain, de fruité lumineux du timbre. l’un avec Silvestri, l’autre avec Colin Davis), Arturo Benedetti
Ce caractère demeure quand bien même la qualité vocale varie ; Michelangeli (Livre I des Préludes de Debussy en 1982 et concerto
celle-ci dépend évidemment du recrutement et de l’assemblage de Grieg avec Frühbeck de Burgos en 1965) ou Clifford Curzon
des voix, a fortiori dans un « campus » qui aligne quatre chœurs (« L’Empereur » de Beethoven et le 26e de Mozart dirigés par
de garçons pour pouvoir tourner loin de sa base et donner trois cents Boulez). La spontanéité de Tortelier dans le concerto d’Elgar en 1972
concerts par an. Les chefs passent, de Friedrich Brenn à Gerald Wirth, (sous la baguette du vénérable Boult, quinze jours après leur gravure
retenant parfois moins l’attention que les solistes Georg Nigl en studio) et un programme Mahler donné le 16 février 1970
et Max Emanuel Cencic, saisis dans l’enfance de leur art, brillants par Dietrich Fischer-Dieskau, soutenu par le piano si inventif
témoins d’une école de chant hors norme. Benoît Fauchet de Karl Engel valent plus que le détour. François Laurent
« 525, Wiener Sängerknaben ». Decca, 21 CD. Y YYYY « BBC Legends, Vol. IV ». ICA, 20 CD. Y YYYY

Ode à l’amitié perdu sans jamais s’alanguir, dans un album


Schumann où le pianiste effeuille comme
musiciens allemands. Autour d’un noyau
dur d’amis formé par Christian et Tanja

U
n peu plus d’un an après la disparition personne les Bunte Blätter avant des Tetzlaff, Boris Pergamenschikow,
du pianiste, ce coffret englobe Kreisleriana exaltées. ou Antje Weithaas, le simple plaisir
la première partie de la carrière Surtout, il y a Brahms, compositeur dont de se retrouver pour pratiquer la musique
discographique de Lars Vogt, passée il connaît le moindre recoin de l’œuvre. de chambre nous vaut, malgré les aléas
durant une quinzaine d’années dans En témoignent, notamment, une lecture du live, des sonates, trios ou quatuors avec
le giron d’Emi. Signé dans la foulée dense et grave de la Sonate no 3 et un piano de Brahms, toujours convaincants,
de sa victoire à Leeds en 1990, le jeune bouquet de pièces tardives empreintes un intense trio de Tchaïkovski ou des
artiste allemand s’impose vite comme de mélancolie, qui touchent juste. Dvorak et Mozart à l’entrain communicatif,
une des valeurs montantes du label. On retrouve aussi Brahms en majesté outre un étonnant Carnaval des animaux
Simon Rattle et ses musiciens dans ce qui constitue la meilleure part de Saint-Saëns ou un impeccable
de Birmingham enregistrent avec lui du coffret : un hommage au merveilleux Quatuor pour la fin du temps de Messiaen.
des versions débridées des concertos chambriste qu’était Lars Vogt. Véritable âme du groupe, Lars Vogt y
de Schumann et Grieg, ainsi que des 1er Accompagnateur recherché, le voici avec excelle en partenaire attentif et généreux,
et 2e de Beethoven aussi imaginatifs Sarah Chang (sonates de Franck, Ravel, rendant indissociables les visages de l’ami
qu’entraînants. Abbado et ses Berliner Saint-Saëns), Truls Mørk (Chostakovitch et du musicien. Laurent Muraro
lui confient la partie soliste de la et Prokofiev) ou la corniste Marie Luise
Kammermusik no 2 de Hindemith. Neunecker (Beethoven, Schumann, « Lars Vogt,
Côté solo, l’humour irrésistible que Vogt Hindemith…). Le voici également dans son The Complete Warner
rend à Haydn est aussi recommandable rôle central de fondateur et directeur Classic Edition ».
qu’un superbe double album de sonates artistique du festival Spannungen de Warner, 27 CD.
et fantaisies de Mozart, à la fois fragiles Heimach, une petite ville près de Cologne YYYYY
et pudiques. Même réussite dans la Sonate qui verra converger chaque été, à partir
D 894 de Schubert qui chante à corps de la fin des années 1990, les meilleurs
● Rééditions

DAME JANET
DANS L’OMBRE DE GUILELS

P
our fêter les quatre-
vingt-dix ans de Dame

F
igure un peu oubliée du piano soviétique et rival Janet en 2023, Decca a
malheureux d’Emil Guilels, Yakov Flier méritait bien rassemblé vingt et une
un tel hommage. Comme pour le récent coffret consacré
galettes mêlant intégrales, réci-
à Benno Moisewitsch (cf. no 720), on saluera l’initiative du
label Scribendum, qui réunit en 15 CD la majeure partie d’un tals, lieder et airs tirés d’opé-
legs auparavant dispersé ou depuis longtemps introuvable. ras. Ainsi se trouvent détachés
Né en 1912, élève du mythique Igumnov, Flier était de cette quelques airs d’Ariodante de
génération arrivée à maturité à la fin des années 1930 Handel sous la baguette pla-
avec un jeu conjuguant à la fois une technique infaillible, cide de Raymond Leppard,
un son riche et puissant, un engagement total et une quelques pages de La clemenza
sensibilité à fleur de peau. Devançant Guilels à Vienne di Tito et de Così fan tutte sous
en 1936, il cédera devant son cadet à Bruxelles deux ans la direction de Colin Davis qui
plus tard, et le verra ainsi partir plus fréquemment que lui frustrent par leur incomplé-
pour des tournées hors du bloc soviétique. tude. Passons sur des « Arie
On trouvera ici de nombreuses merveilles à commencer amorose » (1965) empesées aux-
par les gravures les plus anciennes des années 1940, avant
quelles on préfère les héroïnes
que des problèmes à la main droite n’obligent le pianiste
à réduire ses apparitions durant la décennie suivante. gluckistes (1976) où font mouche la distinction de la chanteuse
Il va alors se consacrer anglaise, son legato, les fêlures qu’elle laisse entrevoir – « Divinités du
davantage à l’enseignement Styx » d’Alceste a comme rarement l’allure d’une prière éperdue. Ché-
– Viktoria Postnikova, rissons aussi l’album consacré à Mozart (deux airs de Sesto) et Haydn
Mikhail Pletnev ou Rodion (Scena di Berenice et Ariane à Naxos) : ici, les personnages vivent et se
Chédrine compteront parmi développent révélant la tragédienne dans sa splendeur.
ses élèves. Le coffret renferme d’autres joyaux plus ou moins connus. Parmi
Joué sans les coupures eux, le Dido and Aeneas de Purcell qui révélait en 1961 une débutante :
qui se pratiquaient « Janet Baker impose d’emblée par sa noblesse, son verbe, son canta-
à l’époque, le Concerto no 3 bile dépourvu d’affectation, le modèle absolu – indépassable y compris
de Rachmaninov, capté par elle-même en 1975 », résumait Ivan A. Alexandre (cf. no 570). La
en concert en 1941 sous la
réussite tient aussi à ce que le timbre et le chant de la mezzo-soprano
baguette de Boris Khaïkine
allie urgence, vigueur contient à la fois de sensualité et de tragique. Qualités qui font égale-
et majesté (on pourra en ment le prix d’une Cléopâtre de Berlioz et d’une Herminie portées par
revanche oublier la version la direction bouillonnante de Colin Davis – la reine d’Egypte se dresse
avec Bernstein et New York là, devant nous, implacable, tourmentée, déchirante. Un must. On
en 1963, écho de l’une des rares sorties internationales chérit aussi les duos de Schubert partagés avec Dietrich Fischer-Dies-
de Flier). Tout aussi remarquables, une poignée de Préludes kau et Gerald Moore, les quatuors vocaux où les rejoignent Elly Ame-
du même Rachmaninov, un théâtral Concerto no 2 de Liszt, ling et Peter Schreier.
une Polonaise op. 44 de Chopin dévalée à tombeau ouvert Au rayon lied et mélodie, bonheurs divers. Priorité à l’album de 1967
voisinent avec des pièces de Mendelssohn, Dohnanyi, (originellement publié par L’Oiseau-Lyre) où mille et une inflexions
Albeniz, et de véritables tours de force comme la Chaconne de la voix répondent aux teintes mystiques du Melos Ensemble of Lon-
de Bach/Busoni ou, de Liszt, les Funérailles, la Ballade no 2
don – un immense moment de musique de chambre. Le mélange d’éro-
et la paraphrase sur le Miserere du Trouvère.
tisme délicat et de distance aristocratique fait merveille dans les Trois
Au-delà de la puissance, ce piano séduit cependant aussi
par un sens du chant capable d’aller au bord de la rupture : poèmes de Mallarmé de Ravel, le frémissement des Chansons madé-
ne tenant qu’à un fil, sa Gretchen de Liszt nous arrache casses est irrésistible, comme les eaux troubles et troublantes des
des larmes, tout comme les transcriptions de Wagner. Poèmes hindous de Delage. Et quelles splendeurs dans ce velours, dans
A retenir également dans cette anthologie, les gravures ces moirures vocales aux reflets infinis ! Les programmes venus du
consacrées à Schumann (Etudes symphoniques, Fantaisie, fonds Hyperion – le label britannique étant récemment entré dans le
Fantasiestücke), ou à ses compatriotes (Medtner, Tchaïkovski, giron d’Universal – convainquent moins,
Kabalevski, Cui), sans oublier une lecture énergique l’ascèse du chant avec le piano accusant çà
du concerto de Khatchaturian avec Svetlanov. Malgré et là un accent guère irréprochable en fran-
des témoignages dans les années 1960 souvent moins çais (Fauré) comme en allemand (lieder de
décisifs et une qualité sonore globale assez fruste, on jeunesse de Mahler), la voix s’étant de plus
regrettera surtout l’absence totale de livret qui aurait pu
quelque peu indurée. Demeure l’intelli-
permettre de mieux comprendre la carrière du pianiste.
Laurent Muraro gence fabuleuse. Loïc Chahine
© DECCA

« The Art of Yakov Flier ». Scridendum, 15 CD. Y YYY « Janet Baker, A Celebration ».
Decca, 21 CD. Y Y Y Y

66 I
Relax !
1h30 de détente et de plaisir
sur France Musique

Du lundi au vendredi de 15h à 16h30


par Lionel Esparza
À écouter et podcaster sur le site de France Musique et sur l’appli Radio France
LES
L’événement
Toison d’or
Hervé Niquet, Le Concert Spirituel et Véronique Gens nous offrent bien
davantage que la Médée de Charpentier la plus historiquement informée possible
aujourd’hui : une vision renouvelée d’un chef-d’œuvre.

B
enoît Dratwicki l’af- A l’univers compositionnel iné-
firme en conclusion dit créé par Charpentier – et c’est
de son texte dans la précisément ce qui dérouta tant
notice : « C’est une et fit l’infortune de l’œuvre en
Médée inédite qui est 1693 – répond ainsi aujourd’hui
présentée ici. » La partition, un monde sonore nouveau.
certes, est bien la même que celle Hervé Niquet tend d’un bout à
révélée au disque par William l’autre l’arc dramatique, maîtri-
Christie en 1984 (avec Jill Feld- sant son accélération progres-
man, HM) et reprise par le même sive. Aucune page ne semble
en 1994 (avec Lorraine Hunt, superflue. Il n’est pas une ritour-
Erato). Mais autour des notes, nelle qui ne trouve sa juste place,
Hervé Niquet tout change. D’abord, par un res- pas une danse qui n’arbore ses
pect assez strict de l’ornementa- couleurs idoines – grâce aussi
tion écrite par Charpentier, sou- à un orchestre partout somp-
vent parcimonieuse, à laquelle tueux. Ecoutez encore comme les
les interprètes choisissent de ne chœurs sont investis sans pour
presque rien ajouter. autant tomber dans les effets
Les effectifs sont conformes m’as-tu-vu – superbe déploration
au relevé de 1704, chronolo- à la mort de Créon !
giquement proche de la créa-
tion – douze violons, huit altos Humaine, trop humaine
répartis en trois pupitres, six Aucune faille ne dépare la distri-
basses de violon, quatre haut- bution, dominée par Véronique
Véronique Gens Judith Van Wanroij bois et autant de bassons… plus Gens. Certains, peut-être, s’éton-
un continuo généreux (deux neront d’un vibrato aussi fourni,
basses de viole, deux basses d’un format vocal aussi ample,
de violon, deux théorbes et un mais il faut cela pour camper la
clavecin). La manière même magicienne de Colchide. Char-
d’employer ces musiciens est pentier pousse les chanteurs
plus historiquement informée dans leurs retranchements, et
que celle des précédentes gra- ici, cela se sent et dessine un
vures : point d’instrumenta- portrait renouvelé. La Médée
© MORGANE VIE.

tion de la basse continue, dont de Gens est d’abord humaine.


les sept membres jouent tou- Le texte le montre : elle est celle
jours comme un seul homme… que tous – de Jason au roi en
Cyrille Dubois et Fabien Hyon sauf, bien sûr, dans les danses. passant par Créuse – cherchent

68 I
● Le dictionnaire des disques

CRITIQUES DU MOIS
à tromper. La soprano développe
un véritable personnage dont la
duplicité de Jason, sa veulerie
face à Médée et sa sentimenta-
en studio
cohérence se dévoile peu à peu lité un peu mièvre avec Créuse. • Nelson Goerner revient à Liszt pour Alpha.
Au programme, la Sonate en si mineur, les trois
– ce qui contribue à rendre à la Ici encore, l’incarnation réussit,
Sonnets de Pétrarque, une Rhapsodie hongroise…
partition et au livret leur juste et il en va de même pour le Créon
Tandis que Pierre-Laurent Aimard s’est penché pour
rythme. Partout un équilibre sombre, ombrageux même, de
Pentatone sur les Ländler de Schubert.
idéal entre texte et chant, mais Thomas Dolié. La galerie de rôles
aussi entre grandeur outragée et secondaires est sans reproche. • Jonas Kaufmann est le héros
sensibilité. Sa progressive chute Mention spéciale à la Nérine du Parsifal wagnérien à paraître
est plus déchirante que mons- dramatique d’Hélène Carpentier chez Sony. Autour de lui, Elina Garanca,
Ludovic Tézier, Georg Zeppenfeld…
trueuse. Assurément une incar- – une confidente à la mesure de
et dans la fosse de l’Opéra de Vienne,
nation majeure. la redoutable magicienne.
Philippe Jordan (Sony).
Il n’existait jusqu’alors que deux
Plateau parfait versions discographiques de • Michael Spyres, accompagné
Judith Van Wanroij offre à cette Médée ; c’est peu pour un par les Talens Lyriques de Christophe
Créuse un timbre charnu, des tel chef-d’œuvre. La nouvelle Rousset, a gravé chez Erato
séductions vocales, un vrai sens gravure bouleverse en partie un programme intitulé « In the Shadows »,
nos habitudes, mais c’est pour avec des pages signées Méhul, Rossini, Meyerbeer,
de la ligne et un style affûté ;
Beethoven, Auber, Spontini, Bellini, Marschner,
son ambition point subtilement le mieux. On s’y attache dura-
Weber et Wagner.
sous ses mots léchés. Cyrille blement au fil des écoutes, et
Dubois ne possède pas moins la l’on pourrait pasticher le vers • CVS nous promet deux raretés lyriques :
connaissance du baroque fran- qui ouvre l’acte IV : jamais on ne un Poro de Handel avec l’ensemble
çais, et parvient à faire sentir la l’entendit si belle. Loïc Chahine Il Groviglio dirigé par Marco Angioloni,
et Le Carnaval du Parnasse
de Mondonville sous la baguette
MARC-ANTOINE CHARPENTIER
© MUSACCHIO IANNIELLO - EMI CLASSICS / MARCO BORGGREVE / GREGOR HOHENBERG - SONY

d’Alexis Kossenko (avec entre autres


1643-1704 Mathias Vidal et Gwendoline Blondeel).
Médée.
Véronique Gens (Médée), Cyrille Dubois (Jason),
• Giovanni Antonini poursuit
son périple dans les symphonies
Judith Van Wanroij (Créuse), Thomas Dolié (Créon),
David Witczak (Oronte), Hélène Carpentier (la Victoire,
de Haydn : les 33e, 62e, 50e et 85e
Nérine, l’Amour), Floriane Hasler (Bellone), Jehanne Amzal, « La Reine » arrivent dans un quinzième
Marine Lafdal-Franc (dessus), David Tricou (haute-contre), volume (Alpha).
Fabien Hyon (taille), Adrien Fournaison (basse-taille), • L’Akademie für Alte Musik livre la conclusion
Le Concert Spirituel, Hervé Niquet. de son intégrale des symphonies de Carl Philipp
Alpha (3 CD). Ø 2023. TT : 2 h 50’. Emanuel Bach, en même temps que les Dixit Dominus
TECHNIQUE : 3,5/5 et Nisi Dominus de Handel avec Carolyn Sampson
Enregistré en mars 2023 par Manuel et le RIAS Kammerchor : c’est pour
Mohino à la Cité de la musique et
bientôt chez Harmonia Mundi.
de la danse de Soissons. L’image
manque légèrement d’ampleur • De l’orchestre, avec Ma Vlast de
et de précision. La dynamique pourrait Smetana par le Philharmonique tchèque
également avoir un peu plus de tonicité sous la direction de Semyon Bychkov
et les voix davantage de présence,
(Pentatone) et la Schéhérazade
mais ces dernières sont bien intégrées
à la scène sonore. de Rimski-Korsakov – couplée à Une
nuit sur le mont chauve de Moussorgski
PLAGE 1 DE NOTRE CD – par l’Accademia nazionale di Santa
Cecilia et Antonio Pappano (Warner).

I 69
Abel / Alfano / Alkan / Bacewicz / Bach / Beethoven

accentuent la complexité, voire la L’indolent Petit Conte et Ma chère


NOS COTATIONS férocité de ces trois œuvres. L’intel- servitude !…, au ton désabusé, ap-
EXCEPTIONNEL A acquérir les yeux fermés. lect prime le plus souvent sur le cœur portent un éclairage différent, tout
et l’émotion, mais la découverte vaut comme le charmant Andantino des
largement le coup d’oreille. Trois petites fantaisies, dont le Presto
YYYY Y SUPERBE Osez-le ! Jean-Claude Hulot offre à ce très plaisant album une
conclusion sardonique. Auteur d’un
YYY Y RECOMMANDABLE Ne déparera pas votre discothèque CHARLES-VALENTIN texte exhaustif (réservé aux anglo-
YY Y MOYEN Pour fanas avant tout. ALKAN phones), Mark Viner confirme son
1813-1888 statut de pianiste aux moyens ap-
Y Y DÉCONSEILLÉ A quoi bon ce disque ?
Y Y Y Y Y L’œuvre pour piano, préciables et de fin connaisseur d’un
Y EXÉCRABLE Évitez le piège ! Vol VI : Petit Conte. Pour corpus singulier entre tous.
Monsieur Gurkhaus. Jean qui Bertrand Boissard
pleure et Jean qui rit. Toccatina
NOTRE COUP DE FOUDRE Révélation d’une œuvre op. 75. Capriccio alla soldatesca GRAZYNA BACEWICZ
inédite ou d’un talent à suivre.
découverte op. 50. Désir. Le tambour 1909-1969
bat aux champs op. 50 bis. Y Y Y Y Y Symphonies nos 3 et 4.
Fantasticheria. Chapeau bas ! Ouverture.
CARL FRIEDRICH ABEL de justesse, et l’on peut sans doute Ma chère liberté et Ma chère BBC Symphony Orchestra,
1723-1787 rêver direction plus ardente que servitude. Quasi-Caccia op. 53. Sakari Oramo.
Y Y Y Symphonies WKO 37, celle de Martin Jopp. Le Chemin de fer op. 27. Chandos (SACD). Ø 2023. TT : 59’.
38, 39 et 41. Symphonie Simon Corley Trois petites fantaisies op. 41. TECHNIQUE : 4/5
concertante WKO 43. Mark Viner (piano). Puissante et ima-
Main Barockorchester, FRANCO ALFANO Piano Classics. Ø 2018-2022. ginative, la mu-
Martin Jopp. 1875-1954 TT : 1 h 18’. sique de Gra-
Accent. Ø 2022. TT : 1 h 18’. Y Y Y Y Y Les trois quatuors TECHNIQUE : 3,5/5 zyna Bacewicz
TECHNIQUE : 4/5 à cordes. Mark Viner pour- détourne volon-
Né à Köthen, der- Elmira Darvarova, Mary Ann suit son intégrale tiers les règles
nier grand vir- Mumm (violon), Craig Mumm (alto), Alkan avec des attendues. Dans ses deux dernières
tuose de la viole Samuel Magill (violoncelle). pièces de carac- symphonies, les nos 3 (1952) et 4
de gambe, Abel Naxos. Ø 2022. TT : 1 h 23’. tère et autres (1953) les structures traditionnelles
a animé pendant TECHNIQUE : 2,5/5 « grotesque- s’accompagnent de tempos chan-
plus de vingt ans De Franco Alfano, ries » – terme qu’il emprunte au geants, de couleurs imprévues et
la vie musicale de Londres, où il la postérité a titre d’un florilège gravé en 1971 variées. A la création, le critique
fonda avec Johann Christian Bach surtout retenu par Raymond Lewenthal (cf. no 687). de Glos Wielkopolski fut désar-
les « Bach Abel Concerts ». Le public la réalisation des Le curieux trouvera dans ce sixième çonné par les « lambeaux de motifs
d’alors étant notamment friand de deux dernières volume deux premières au disque : nerveusement déchiquetés » de
symphonies ; Abel en écrivit une scènes de Turan- l’anodin et très bref Pour Monsieur la 3e, cette musique « sale » aux
quarantaine. Les six dernières, qu’il dot, à la demande de Toscanini. A Gurkhaus et le plus substantiel Jean « harmonies obstinément disso-
présenta en 1782 à Berlin au futur côté de ses opéras Résurrection, qui rit (une de ses deux fugues de nantes ». Les premiers mouvements,
Frédéric-Guillaume II, sont dites Sakuntala (« le Parsifal italien » selon chambre avec Jean qui pleure), bro- comme les derniers, donnent le
« Prussiennes ». En voici cinq, dont Fritz Reiner) et Cyrano de Bergerac, dant sur l’air de Don Giovanni « Fin ton en faisant place à nombre de
quatre en « premier enregistrement subsiste un corpus chambriste, dont ch’han dal vino ». sections qui accélèrent ou ralen-
mondial », la cinquième étant une trois quatuors à cordes. L’extraversion caractérise maintes tissent le discours. Ici, un thème
symphonie concertante pour haut- Très vaste et composé durant la pages, telle la Toccatina op. 75, qui commencé à la clarinette s’achève
bois, violon et violoncelle. Grande Guerre (apparemment en nécessite d’être jouée dans sa pre- aux bassons, relayés par les haut-
Avec ces œuvres en trois mouve- mémoire de son fils Herbert mort au mière partie continuellement dans bois puis les flûtes (Drammatico
ments assez brefs dans le style front), le premier saisit par sa tension la nuance piano, le caprice Quasi- de la 3e). Là, les bois enrichissent
galant, on se situe nettement en véhémente et ses déplorations tra- Caccia ou encore l’Etude Le Che- la ligne des cordes d’un fragment
deçà des ambitions et des réali- giques. Plus détendu, le deuxième min de fer (1844), qui prend la forme rythmique supplémentaire (Appas-
sations d’un Haydn ou d’un Carl fut créé en 1927 dans la maison de d’une folle toccata vivacissimamente, sionato de la 4e).
Philipp Emanuel Bach à la même Mussolini à qui il est dédié. Comme dont le motorisme annonce lointai- Pleins d’invention, les motifs sont
époque. Mais elles alternent agréa- certaines pages de Respighi, il se nement Prokofiev. souvent brefs, voire très brefs, jouant
blement fraîcheur des mouvements réfère volontiers à la musique an- Le Capriccio alla soldatesca est les oppositions de caractères (notes
vifs et délicatesse des mouvements cienne ou à des thèmes populaires dédié au fils du maréchal Lannes, répétées contre mélodie « sans fin »
lents, celui de la Symphonie WKO 38 pour évoquer, en l’idéalisant, l’Italie dont l’héroïsme bravache est évo- dans le Vivace de la 3e, lignes dis-
faisant dialoguer le hautbois et le de la Renaissance. Le troisième, écrit qué par une musique aimablement jointes contre motifs plus ramassés
cor tandis que celui de la WKO 39, à la mort de son épouse et créé en extravagante (« crânement », « quasi dans l’Ouverture). Le recours aux
pour cordes seules, s’aventure en 1947, s’ouvre par un chant funèbre conquistatore », intime la partition), mesures irrégulières instaure cer-
ut mineur. Malheureusement, les et se referme par une marche bee- et se clôt sur un « religiosamente » tains déséquilibres (Adagio de la
solistes de l’orchestre francfortois thovénienne dont l’énergie rayonne à la douceur inattendue. Le tam- 3 e ), assortis d’accentuations
ne sont pas à leur meilleur dans d’espérance. bour bat aux champs prolonge cette brusques, de ponctuations percus-
la WKO 43, avec en particulier un Les quatre musiciens du Met de veine militaire plus fantasque que sives qui ne sont pas sans rappeler
violoncelle désespérément en mal New York qui les interprètent ici belliqueuse. Stravinsky, tandis que les scherzos

70 I
invitent volontiers le ton populaire sujet de la fugue (Sicut erat) auraient et adaptée. Mais ce manque d’allant engendre davantage de tapage que
(plus marqué dans la 4e). mérité davantage de soin : ici, ils dessert quelquefois l’intensité du d’envolée. L’Et incarnatus – que Ja-
Sakari Oramo et le BBC Symphony sont à plusieurs reprises brisés de discours (Das alte Jahr vergangen cobs plongeait dans une pénombre
paraissent un peu plus sages que façon disgracieuse par une autre ist ou O Mensch, bewein dein Sünde à couper le souffle – apparaît mal
Lukasz Borowicz avec les musiciens voix. En pleine déroute contrapun- gross). Les registrations, générale- assuré et reste avare de mystère.
de la WDR (CPO, cf. no 722). Les tique, le chœur dont on louait l’équi- ment pertinentes, se révèlent çà et Le Crucifixus se pare, lui, d’accents
nouveaux venus laissent néanmoins libre initial s’engage dans de labo- là étonnantes voire très discutables presque véristes, quand l’immense
percevoir les contrastes propres à rieuses vocalises. On attend en vain (la fugue en ut sur les anches est fugue Et vitam venturi saeculi prend
cette musique, tour à tour élégiaque l’explosion de joie qui devrait à oublier) et la pédale reste bien l’eau de toutes parts.
et motorique, inquiète et jubilatoire, conclure le Magnificat. trop faible de bout en bout. D’où Dans le Sanctus, l’entame et le Pre-
et d’une palette de nuances qui ose Les mêmes défauts entachent la un défaut d’assise rythmique, que ludium l’emportent sur un Pleni sunt
s’étendre du pppp murmuré au ffff Cantate de Noël, pour laquelle on renforcent certains ralentis exagé- coeli et un Osanna (Presto) passa-
éclatant. Anne Ibos-Augé retournera à Hermann Max (Capric- rés aux cadences ou des appuis trop blement débraillés, un Benedictus
cio, 2018), à ses chœurs soyeux et marqués faisant boiter la pulsation articulé de manière décousue. Il faut
CARL PHILIPP EMANUEL à la merveilleuse Barbara Schlick. (fugue en la). Eminent spécialiste attendre l’Agnus Dei pour voir Savall
BACH Adrien Cauchie de Bach, Suzuki nous a habitués à et ses troupes trouver le ton juste,
1714-1788 mieux. Charles Seinecé entre recueillement et extraversion.
Y Y Magnificat. Cantate de Noël. JOHANN SEBASTIAN BACH Enfin, on ne nous enlèvera pas
Spiega, Ammonia fortunata. 1685-1750 LUDWIG VAN BEETHOVEN de l’idée que la collégiale de Car-
Kölner Akademie, Michael Y Y Y Orgelbüchlein (Chorals 1770-1827 dona, par son acoustique réverbé-
Alexander Willens. BWV 599-624). Préludes Y Y Y Missa solemnis. rée, n’était pas le lieu idéal pour en-
CPO. Ø 2022-2023. TT : 1 h 09’. et fugues BWV 543 et 549. Lina Johnson (soprano), registrer une mosaïque aussi hors
TECHNIQUE : 3/5 Masaaki Suzuki (orgue). Olivia Vermeulen (mezzo), d’échelle. Hugues Mousseau
Pour Carl Philipp Bis (SACD). Ø 2023. TT : 1 h 07’. Martin Platz (ténor), RÉFÉRENCES : Thielemann/Dresde
Emanuel Bach, TECHNIQUE : 3/5 Manuel Walser (baryton), (DVD CMajor), Jacobs (HM).
écrire en 1749 C’est le très bel Capella Nacional de Catalunya,
un Magnificat orgue Treut- Le Concert des Nations, Y Y Y Y Quatuors à cordes
constituait à mann (1737) de Jordi Savall. nos 1, 6, 7, 11 et 12.
coup sûr un la collégiale Alia Vox (SACD). Ø 2023. TT : 1 h 16’. Quatuor Doric.
exercice intimidant, a fortiori s’il Saint-Georges TECHNIQUE : 2,5/5 Chandos (2 CD). Ø 2021 et 2023.
s’agissait pour lui de concourir à la de Grauhof que Après une inté- TT : 2 h 38’.
succession paternelle comme can- Masaaki Suzuki a choisi pour le qua- grale des sym- TECHNIQUE : 4/5
tor de l’église Saint-Thomas de Leip- trième volume de son exploration phonies plom- Formé en 1998,
zig. Alexander Willens et la Kölner de l’orgue de Bach. Le programme bée par un le Quatuor Doric
Akademie n’y font guère d’ombre est centré sur l’Orgelbüchlein, dont orchestre rare- puise, pour le
au RIAS Kammerchor et à l’Akade- il propose les chorals pour l’Avent, ment à la hau- premier volume
mie für Alte Musik Berlin que diri- Noël, la Nouvelle Année, l’Epipha- teur des enjeux (cf. nos 694 et 714), de son intégrale,
geait en 2013 Hans-Christoph nie et le temps de la Passion. Le Jordi Savall affronte avec la Missa dans les trois
Rademann (HM). grand Prélude et fugue en la mineur solemnis une œuvre dont les har- périodes créatrices de Beethoven.
Pourtant, cela démarre bien, l’or- BWV 543 les précède tandis que diesses confinent à l’impraticable, Les violonistes Alex Redington et
chestre emmenant avec une fougue celui en do mineur BWV 549 – une notamment dans l’écriture meur- Ying Hue, l’altiste Hélène Clément
joyeuse un chœur équilibré qui joue œuvre de jeunesse influencée par trière des parties vocales. Alors et le violoncelliste John Myerscough
plaisamment avec les entrées en Böhm et Buxtehude – se glisse au que l’effectif instrumental (8/7/5/4/3 mettent d’abord leur maîtrise tech-
canon. Si le premier air (Quia res- milieu des chorals. pour les cordes) est le même que nique, leur sensibilité et leur intel-
pexit) semble pris au pas de course, Généralement très brèves, les celui de l’excellente version de René ligence au service du jeune Bee-
la soprano s’accorde de belles liber- pièces de l’Orgelbüchlein ne sont Jacobs (HM, cf. no 698), les forces thoven. Ses Quatuors no 1 en fa
tés de tempo et prend le temps du pas les plus virtuoses, toujours por- chorales, elles, sont plus réduites : majeur et no 6 en si bémol majeur,
dialogue avec les violons. Ensuite, tées par le sens du choral qu’elles trente-six chanteurs au lieu de qua- les plus inspirés et substantiels de
les déceptions s’enchaînent. Les traduisent en notes. Ce lien entre rante-sept. Le chef catalan, reven- l’Opus 18, sont sans doute ici les
vocalises du Qui fecit mettent le texte et musique, essentiel dans ce diquant un Beethoven à hauteur mieux interprétés du double album.
ténor en difficulté : l’articulation recueil, doit être sensible à l’écoute. d’homme, tourne le dos à toute dé- Dans le no 11 en fa mineur (« Se-
manque de précision, le souffle de Ici, c’est parfois réussi (Der Tag, der bauche de puissance, choix légitime rioso »), œuvre aussi énergique
longueur. Le Fecit potentiam est ist so freudenreich ou Vom Him- qui n’est d’ailleurs nullement l’apa- qu’énigmatique, l’effervescence des
entonné par une basse bouffe très mel kam, très aérien) et parfois à nage des interprètes historiquement accents et la pugnacité convainquent
occupée à rouler les r, moins à sou- l’opposé du sens du choral : où informés. La volonté de maintenir en partie.
tenir les lignes chromatiques – que est la joie de Jesu meine Freude ? l’effusion sous contrôle fonctionne La puissance des développements
l’écriture se rapproche parfois du le recueillement de Christe, du (à peu près) dans le Kyrie, mais plus et la dynamique élancée du Quatuor
genre lyrique ne veut pas dire qu’il Lamm Gottes ? Cette divergence du tout dans le Gloria dont les as- no 7 en fa majeur exigent beaucoup
faille forcer le trait. entre texte et musique se trouve sauts mettent au supplice orchestre, en termes de force d’impact et de
L’entrée véhémente de la mezzo accentuée par certains choix de chœurs et solistes, la vaillance dé- continuité, mais également de ri-
dans le Deposuit potentes tranche l’interprète. ployée ne pouvant faire oublier gueur et d’introspection. C’est cette
avec l’élan souple et mesuré que Souvent d’une extrême lenteur, ses l’indiscipline. dernière dimension qui fait parfois
lui donnaient l’orchestre et le ténor. tempos permettent à Suzuki de dé- L’artisanal volontarisme affiché défaut ici. Sans remonter aux gra-
Enfin, les énoncés successifs du ployer une ornementation inventive dans la première section du Credo vures de légende, et pour s’en tenir

I 71
Bach / Beethoven / Bertin / Brahms

BACH à des versions récentes, il est per- de Dressler (WoO 63), Righini
par Jean-Christophe Pucek
mis de préférer le brio, l’urgence (WoO 65), Haibel (WoO 68), Arne
expressive et la virtuosité conqué- (WoO 79) et sur God Save the
▸ Se fondant sur la pratique du Cantor, qui n’hésitait pas
rante des Ebène (Erato, Diapason King (WoO 78). SWEELINCK :
à transcrire ses œuvres pour les réutiliser, Robert King imagine
d’or, cf. no 684), le fruité, l’instinct Variations sur Mein junges Leben
une adaptation pour cordes, hautbois et continuo
dramatique et la ferveur des Dover hat ein End. BACH : Aria variata
des six Sonates en trio BWV 525-530 conçues par Bach
(Cedille, Diapason d’or, cf. no 729). alla maniera italiana BWV 989.
pour l’apprentissage de l’orgue par Wilhelm Friedemann.
Dans l’apollinien et très lyrique Qua- BACH/BRAHMS : Chaconne pour
La proposition réserve quelques jolis moments
tuor no 12 en mi bémol majeur, les la main gauche. FELDMAN :
(BWV 525) mais manque de séduction sonore (Vivace
Guarneri II (Philips), Tokyo II (HM), Last Pieces. CAGE : Seven Haiku.
de la BWV 526) comme de fantaisie – on en fera
Artemis (Virgin/Erato), Danois (ECM) In a Landscape. CRUMB :
provision chez Florilegium (Vivat, Y Y Y ).
ont montré qu’on peut allier l’ex- Processional.
▸ Transcriptions toujours avec le disque réunissant Julien Martin trême raffinement des nuances, Cédric Tiberghien (piano).
(flûtes à bec) et Olivier Fortin (clavecin). Leur approche l’aération maximale de la texture Harmonia Mundi (2 CD).
sensible, leur éloquence, leur complicité réenchantent avec la densité et l’élan le plus vi- Ø 2023. TT : 2 h 34’.
les originaux pour flûte traversière (BWV 1035), orgue sionnaire. Malgré d’indéniables TECHNIQUE : 4,5/5
(BWV 527) ou violon (BWV 1014 et 1017). Le résultat atouts, dont une louable individua- Improvisateur hors
est moins probant avec la Suite BWV 997 qui surexpose lisation des lignes et une réelle acuité pair, Beethoven
trop souvent les aigus de la flûte. Sommet de l’album, rythmique, les Doric ne répondent était passé
l’immense Chaconne de la Partita BWV 1004 dans pas avec pareille intensité à de tels maître dans l’art
une lecture au clavier seul, dense, architecturée – magistrale enjeux. Patrick Szersnovicz de broder sur
(Alpha, Y Y Y Y Y ). des thèmes à
▸ En 1866, Ferdinand David publie son arrangement pour violon YYY Trios à cordes op. 9 succès, issus d’opéras-comiques, de
des Suites pour violoncelle, qu’il destine à ses élèves (arr. pour trio avec piano Ries). ballets, ou des airs populaires. En
du conservatoire de Leipzig. Jorge Jimenez Trio Parnassus. 1782, neuf variations sur une marche
l’interprète sur boyau, utilisant un archet de 1850. MDG. Ø 2021. TT : 1 h 18’. de Dressler (sa toute première
Chaleureuse, sa lecture allie, à son meilleur, énergie TECHNIQUE : 4/5 œuvre : il n’a pas douze ans) attestent
et clarté. Malgré quelques tensions (Menuets Curieuse idée déjà ce goût pour la métamorphose.
de la BWV 1008) ou timidités (Prélude de la BWV 1012, d’avoir transcrit Superbement enlevé par Cédric Ti-
peu solaire), la probité engagée du violoniste retient l’attention les trois Trios à berghien, ce petit joyau spirituel
(Pan, Y Y Y Y ). cordes op. 9 de étonne par sa hardiesse.
▸ Sur la foi du visuel choisi pour la pochette, on aurait pu Beethoven pour Il y a toujours, jusque dans les cycles
s’attendre à ce que Solomon’s Knot nous propose une violon, violon- les plus modestes, un moment de
version renversante des motets du Cantor, ici couplés celle et piano, publiés initialement grâce, telle la cinquième (Con es-
avec ceux de Johann Christoph Bach. On reste sur sa faim par Simrock en 1806 sous le numéro pressione) des Variations sur God
devant une exécution propre, mais qui affiche un déficit d’Opus 61, celui-là même du save the King. On relèvera aussi la
de relief gênant. Jesu meine Freude, véritable juge concerto pour violon. Pour l’essen- saveur des WoO 79 sur Rule Bri-
de paix, s’avère sans grand nerf, court de souffle. tiel, Ferdinand Ries – secrétaire, tannia ou l’attrait des WoO 77 en
De Suzuki à Gardiner II, les versions qui ont su conjuguer copiste, élève puis biographe de sol majeur sur un thème original,
éloquence et ferveur ne manquent pas (Prospero, Y Y Y ). Beethoven – a conservé la partie inversement proportionnel à leurs
de violon, confié au violoncelle celle dimensions réduites. Les célèbres
▸ Moi d’abord ! C’est l’impression un rien agaçante que laisse d’alto, donné à la main gauche du trente-deux Variations en ut mineur,
le nouvel album de Maurice Steger. Au menu, des transcriptions piano celle du violoncelle, et com- l’un de ses ouvrages les plus bril-
pour flûte à bec visant à mettre en valeur un musicien posé le reste. Le résultat s’avère lants, se situent à part. Tiberghien
qui, fidèle à lui-même, fait assaut de virtuosité, plaisant même si l’équilibre est évi- met particulièrement bien en valeur
d’impact, à défaut parfois de finesse. S’il s’évertue demment moins parfait que dans leur volonté presque impatiente d’en
à occuper le devant de la scène, il n’est pas le seul l’original. découdre (ainsi dans la XXII).
à capter l’attention. Sebastian Wienand, claveciniste Pour nous convaincre, il aurait aussi La présence de l’austère musique
d’un ensemble La Cetra très en verve, séduit par son jeu fallu une lecture plus enthousias- de Sweelinck, dont s’était entiché
allant mais fluide et nuancé : il fait ainsi merveille dans mante que celle des Parnassus. Lar- Glenn Gould, nous ramène deux
un Concerto BWV 1057 fort enlevé (Berlin Classics, Y Y Y Y ). gement déparée par les traits sa- siècles plus tôt, quand celle de Bach
▸ Auteur d’un vaste cycle Frescobaldi remarqué (Arcana, vonnés et la justesse défaillante de nous gratifie d’une merveilleuse par-
cf. no 687), Francesco Cera s’est attelé au Clavier bien tempéré. la violoniste Julia Galic, l’interpré- tition, cette Aria variée à la manière
Tranchant avec celles qui font de ces deux livres un traité tation sonne bien routinière. Diffi- italienne dont Rosalyn Tureck livrait
des passions (Rousset, Staier…), son approche cile, dans ces conditions, d’apporter une superbe lecture lors de son mé-
très analytique se refuse à presser le pas, à exagérer un éclairage neuf sur des œuvres morable récital à Saint-Pétersbourg
les contrastes. Maître de ses moyens techniques, dont la mouture originale est so- (VAI). Tiberghien n’est pas loin de la
le claveciniste ne manque ni d’idées, comme lidement documentée au disque. rejoindre par son élégance sensible.
l’atteste sa conduite du BWV 847, ni de sensibilité, Jean-Claude Hulot Alexandre Kantorow (Bis) tendait
intense, par exemple, dans le BWV 883. autrement la Chaconne BWV 1004
Dommage que la prise de son rende l’écoute du Livre I Y Y Y Y Y « Variation[s], Vol. II ». transcrite pour la main gauche par
pénible ; la lecture très fouillée du Livre II est, en revanche, Variations en ut mineur WoO 80. Brahms et déployait des trésors de
mieux captée (Dynamic, Y Y Y Y ). Variations en sol majeur WoO 77. toucher qu’on ne retrouve pas ici.
Variations sur des thèmes Mais saluons le nouveau venu pour

72 I
sa noblesse de ton, sa ligne d’une rôle-titre avait dû être réécrit pour
solidité à toute épreuve. un ténor.
Il referme son programme avec trois
compositeurs américains. Chez Feld-
man et Cage le son semble une
C’est la version originale, avec un
Fausto travesti, que nous décou-
vrons ici. Malgré des aigus quelque-
MENDELSSOHN
HOLLIGER · RIHM · WIDMANN · COLL
« variation du silence ». Les pièces fois un rien brutaux et une justesse
ascétiques du premier s’étirent ou çà et là incertaine, Karine Deshayes
s’excitent brièvement, toujours à la
limite du néant. A la concision des
se montre éloquente dans ce rôle
exigeant. Elle forme avec Karina
SOL GABETTA
BERTRAND CHAMAYOU
Sept haïkus du second, tous dédiés Gauvin un couple harmonieux, leurs
à un proche, et dont le plus long deux voix se mêlant subtilement
n’excède pas la demi-minute, suc- (« O sguardi » au II, « Margarita, Mar-
cède l’hypnotique In a Landscape. garita », dernière scène du IV). Le
Autre musique du rite, Processional Mefisto d’Ante Jerkunica, grand
de Crumb se meut dans les paysages gagnant du trio, se révèle d’une ex-
hantés chers au créateur disparu il traordinaire diversité, tour à tour
y a deux ans. démoniaque (pacte du I) et gouail-
Un double album à savourer tran- leur (air bouffe façon catalogue « Un
quillement, où l’intelligence et le amico mio diletto » au II). Nico Dar-
goût de l’interprète se mêlent à la manin (convaincant Valentino), Marie
sensibilité du virtuose. Gautrot, Diana Axentii et Thibault
Bertrand Boissard de Damas complètent joliment la
distribution.
LOUISE BERTIN Le Chœur de la Radio flamande ex-
1805-1877 celle, diabolique, angélique ou
Y Y Y Y Y Fausto. simple commentateur (savoureuses
Karine Deshayes (Fausto), commères du III). Quant aux Talens
Karina Gauvin (Margarita), Lyriques dirigés par Christophe
Ante Jerkunica (Mefistofele), Rousset (qui tient le pianoforte dans
Nico Darmanin (Valentino), les récitatifs), ils exaltent parfaite-
Marie Gautrot (Catarina), ment les contrastes de la partition.
Diana Axentii (une Sorcière, Non exempte de longueurs, celle-
Marta), Thibault de Damas ci suprend par ses reliefs très mar-
(Wagner, un Bandit), Les Talens qués, passant parfois abruptement
Lyriques, Chœur de la Radio de l’obscurité à la lumière (surtout
flamande, Christophe Rousset. dans les actes extrêmes, les plus
Bru Zane (2 CD). Ø 2023. aboutis) jusqu’à son étonnante
TT : 2 h 05’. conclusion. Enfin, le curieux fera son
TECHNIQUE : 4,5/5 miel d’un appareil éditorial très soi-
Dès sa publi- gné, comme toujours avec le Palaz-
cation, en 1808, le zetto Bru Zane, mine d’informations
Faust de Goethe sur l’œuvre elle-même et le contexte
fascine et le jeune de sa création. Anne Ibos-Augé
Pour son retour tant attendu au disque, Sol Gabetta
romantisme musi- fait équipe avec l’incomparable Bertrand Chamayou.
cal ne cesse de JOHANNES BRAHMS Les deux artistes prolongent leur exploration du
s’en emparer. En 1833-1897
répertoire romantique pour violoncelle et piano et
1831, cinq ans Y Y Y Y Les deux concertos
après son Ultima scena di Fausto, pour piano. nous présentent les œuvres complètes de Mendelssohn :
la compositrice Louise Bertin dé- Simon Trpceski (piano), Orchestre les Variations concertantes, Op. 17
voile ainsi un Fausto. Créée au symphonique de la WDR, ainsi que les Sonates pour violoncelle
Théâtre-Italien de Paris le 7 mars Cristian Macelaru.
1831, en présence de la reine, Linn (2 CD). Ø 2023. TT : 1 h 35’. (No. 1, Op. 45 et No. 2, Op. 58)
l’œuvre sera déprogrammée après TECHNIQUE : 4/5 Ce répertoire est accompagné de pièces courtes
trois représentations et jamais re- Un double album écrites spécifiquement pour cet album par les
jouée. Trop singulière ? Le critique à la fois frustrant
de la Revue musicale ne vit dans la et passionnant.
compositeurs : Wolfgang Rihm, Heinz Holliger,
richesse harmonique revendiquée Frustrant car le Francisco Coll et Jörg Widman, toutes inspirées par
par cette élève de Fétis et Reicha Concerto no 1 en le magnifique Lied Ohne Worte,
que des « incorrections, des étran- ré mineur exige Op. 109 de Mendelssohn.
getés qui dénotent de la négligence, beaucoup plus en termes de pro-
de la précipitation ». D’autre part, fondeur et de souffle. Malgré un L’intégralité de ce disque a été enregistré
initialement pensé pour une mezzo- orchestre de la Radio de Cologne à la Philhamonie de Paris.
soprano (mais refusé par la Mali- plein de qualités, malgré aussi l’en-
bran, ceci explique cela), le tente manifeste entre Simon Trpceski
Brahms / Bruckner / Charpentier / Chin / De Leeuw

et Cristian Macelaru, leur volonté depuis septembre 2021, Marzena Fort de savantes recherches dans exécutée et enregistrée chaque an-
d’allègement et de décantation, très Diakun se lance, pour leur premier une approche historiquement infor- née à Saint-Florian lors des Bruc-
défendable en soi, n’évite pas de disque commun, un rude défi : les mée, le violoniste et musicologue knertage, il boucle le cycle des neuf
fatals écueils. Dès sa vaste intro- œuvres pour chœur et orchestre de Johannes Leertouwer se propose symphonies.
duction orchestrale, le Maestoso Brahms. Prises dans les brumes ro- d’ouvrir des perspectives neuves, Alors que le chef français s’était dis-
semble souvent survolé et un peu mantiques de deux cors et d’une dans une démarche un peu analogue tingué par ses gravures à la majes-
trop rapide, d’autant que le détail harpe, les voix de femmes des Quatre à celle illustrée par Isabelle Faust et tueuse lenteur des 2e et 3e dans
ciselé et le raffinement du pianiste chants op. 17 restent fermes jusque Alexander Melnikov (HM, cf. nos 563 leurs rédactions originelles, il choi-
ne favorisent pas un discours ample, dans le vibrato qui gagnerait à être et 639), Leila Schayegh et Jan sit pour la 1re la tardive révision de
embrassant et dominant la grande atténué. Pour les Liebeslieder-Wal- Schlutsz (Glossa, cf. no 673), plus ré- Vienne (1891). Comme il s’agit de la
forme. Son souci d’introspection zer, Diakun a retenu la version or- cemment Aylen Pritchin et Maxim dernière symphonie complète réé-
s’épanouit mieux dans l’Adagio, chestrée par Brahms lui-même (édi- Emelyanychev (Aparté, cf. no 707). crite par Bruckner, Ballot en déduit
quoique l’éventail expressif de tée en 1930) et semble par sa Les efforts de Leertouwer et de son que la coda du finale s’approche
l’œuvre, de la tragédie à la résigna- conduite, attentive aux équilibres complice Julius Reynolds portent ainsi le plus de celle dont la 9e est
tion, ne soit pas vraiment respecté. comme à la mobilité naturelle de la moins sur la beauté et la saveur des si cruellement dépourvue… A la vé-
Moins uniment robuste et athlétique valse, se souvenir de ses années de timbres que sur une reconsidération rité, l’idée s’appliquerait avec plus
qu’on aurait pu le craindre, le finale perfectionnement viennoises. Le radicale de l’usage du legato, du de pertinence à celle d’Helgoland.
est plutôt une bonne surprise. « triptyque » inspiré par l’Antiquité portamento, du vibrato (souvent Fidèle à une conception de l’idiome
Une autre bonne surprise est la lec- permet à l’orchestre de briller : ses absent ou économe à l’extrême) et brucknérien héritée de Celibidache,
ture assez inspirée du Concerto no 2 cordes sont remarquablement lé- – plus déterminant – du rubato. le chef opte pour des tempos très
en si bémol majeur. La partition offre gères dans le Chant du destin sur Lorsqu’on sait la cordiale détesta- amples, surtout dans le finale dont
pourtant de terrifiantes difficultés un poème de Hölderlin, Nänie tion qu’avait Brahms du métronome il élargit considérablement le tempo
techniques. Le pianiste macédonien d’après Schiller expose les qualités et des tempos rigides, on ne peut avec une coda assez écrasante.
et le chef roumain y sont à leur meil- de sa petite harmonie, et c’est à qu’applaudir à cette flexibilité, à L’acoustique très réverbérée et un
leur, tout comme les solistes de l’or- peine si un excès de solennité guette cette audace dans les changements peu confuse de l’abbaye et les li-
chestre (cor, violoncelle). Sans exal- dans le sombre Chant des Parques d’allure. mites de l’orchestre – une forma-
ter une vision grand format de goethéen. Svelte, élancée, libre comme une tion de circonstance empruntant
l’œuvre, leur approche se révèle Dans la Rhapsodie pour contralto, improvisation tout en ciselant les sa dénomination au peintre déco-
souplement phrasée et riche d’ar- la cheffe polonaise convie sa com- arrière-plans, la Sonate no 1 (1878) rateur de l’abbaye au XVIIIe siècle
rière-plans. Les quatre mouvements patriote Agnieszka Rehlis, qui dé- y gagne indéniablement quelque – placent cette gravure singulière
sont très équilibrés, le déploiement ploie la belle amplitude d’un mezzo chose. La no 2 (1886) en retire éga- derrière celles d’Abbado à Lucerne
et le libre épanouissement de leurs au timbre séduisant, sans toutefois lement un étonnant équilibre, une (DG, Diapason d’or) et de Thiele-
développements singulièrement y faire oublier ses illustres aînées clarté, une égalité de poids jusque mann à Vienne (Sony, Diapason
mis en lumière. L’auditeur peut sans (Ferrier, Ludwig, Fassbaender, Baker, dans ses inflexions les plus interro- d’or), servis l’un et l’autre par des
trop d’obstacles goûter un parcours Norman…). Le chœur masculin est gatives. Le ton mis à la no 3 (1886- phalanges d’exception. Elle n’en
prodigieux d’invention rythmique un accompagnateur solide, plus doux 1888) convainc moins, à la fois forcé est pas moins une pierre supplé-
et mélodique, où conflits et tensions à l’oreille dans ses basses que côté et anémié, avec des éclats artificiel- mentaire à l’édifice brucknérien le
harmoniques ne s’apaisent et se ré- ténors. La maestra Diakun, elle, af- lement dramatisés au sein d’un am- plus personnel et original de toute
solvent qu’au début d’un Andante fiche des affinités brahmsiennes que bitus dynamique restreint (presque la discographie. Après la « no 0 »
chambriste à souhait et dans un fi- nous espérons retrouver de disque constamment forte ou mezzo forte). captée en août 2023, le maestro
nale étonnamment enjoué. en disque. Benoît Fauchet La faute à un violon ici trop « droit » français reviendra l’été prochain à
Patrick Szersnovicz et acide, et à un piano (Blüthner de la 9e en dirigeant les fragments du
RÉFÉRENCES : Discographies YYYY Les trois sonates 1857) pauvre en grave. finale. Jean-Claude Hulot
comparées dans les nos 555 et 648. pour violon et piano. Patrick Szersnovicz
Johannes Leertouwer (violon), RÉFÉRENCES : Suk/Katchen (Decca), YYY Symphonie no 5.
YYYY Schicksalslied op. 54. Julian Reynolds (piano). Zukerman/Barenboim (DG), Orchestre symphonique
Quatre chants pour chœur de Challenge (SACD). Ø 2023. Szeryng/Rubinstein (Parnassus), de l’ORF, Markus Poschner.
femmes avec cors et harpe op. 17. TT : 1 h 11’. Perlman/Ashkenazy (Emi/Warner). Capriccio. Ø 2023 TT : 1 h 11’.
6 Liebeslieder-Walzer op. 52 TECHNIQUE : 4/5 TECHNIQUE : 2,5/5
(orch. Brahms). Rhapsodie pour Qu’elles privilé- ANTON BRUCKNER L’intégrale des
contralto op. 53. Nänie op. 82. gient une ex- 1824-1896 symphonies par
Gesang der Parzen op. 89. pression lyrique Y Y Y Y Symphonie n°1 Markus Poschner
Agnieszka Rehlis (mezzo-soprano), et mélancolique (version de Vienne). avance à grands
Chœur et Orchestre (no 1), méditative Orchestre Altomonte pas. Enregistrée
de la Communauté de Madrid, et sous un soleil de Saint-Florian, Rémy Ballot. en février dernier,
Marzena Diakun. voilé (no 2) ou plus inquiétante et Gramola (SACD). Ø 2022. TT : la 5e est l’une des rares pour laquelle
IBS. Ø 2023. TT : 1 h 13’. dramatique (no 3), les trois sonates 1 h 04’. il n’existe pas plusieurs moutures. La
TECHNIQUE : 3/5 pour violon et piano sont des TECHNIQUE : 3,5/5 nouvelle version peine à s’imposer
Directrice artis- œuvres avant tout libres et lumi- Rémy Ballot arrive dans une discographie bien fournie.
tique et cheffe neuses qui appartiennent à la pé- bientôt au terme La faute à un orchestre de la Radio
principale des riode de maturité de Brahms. Les de son périple autrichienne aux sonorités assez
forces musicales interprètes doivent donc veiller à brucknérien. Au sèches, désavantagé par une prise
de la Comunidad ne pas trop uniformiser leurs cli- rythme patient de son manquant d’ampleur et met
de Madrid mats respectifs. d’une symphonie très en avant les timbales.

74 I
Poschner dirige l’œuvre plutôt
vite sans délivrer une vraie vision
de l’ensemble. Furtwängler à Ber-
Nouveauté
lin en 1942 (DG), dans une lecture Les harmonies de cordes à vide traversent les
parmi les plus rapides de la disco- UNSUK CHIN quatre mouvements, mettant en évidence un
graphie, dégageait une urgence NÉE EN 1961
et une tension telles qu’il emme- Concerto pour violon no 1 (a). art de l’orchestration qui, au-delà du ravisse-
nait l’auditeur dans une terrifiante Concerto pour violoncelle (b). ment coloriste, vise à clarifier la forme. Chris-
course à l’abîme. Rien de tel ici, où Concerto pour piano (c). tian Tetzlaff se montre, comme le chef, attentif
il ne faut pas davantage chercher Le Silence des Sirènes (d). à ne pas alourdir l’énoncé. A sa virtuosité déca-
le mysticisme d’un Jochum (Philips, Choros Chordon (e). Rocana (f). pée répond celle, plus jubilatoire et joueuse,
Barbara Hannigan (soprano) (d), de Sunwook Kim, acrobate dans le Concerto
RCO) ni la splendeur orchestrale de
Christian Tetzlaff (violon) (a), Alban Gerhardt
Blomstedt, Harnoncourt ou Thiele- pour piano (1996-1997), qui souligne chez Chin
(violoncelle) (b), Sunwook Kim (piano) (c),
mann. A quoi riment ces brusques le jeu dans le sérieux et vice versa, tandis que
Berliner Philharmoniker, Simon Rattle (a, d, e)
accélérations, comme dans le début Myung-Whun Chung (b), Sakari Oramo (c), Sakari Oramo surfe sur l’énergie cinétique
du finale, et ces apothéoses sans Daniel Harding (f). croissante de la pièce.
grandeur, comme dans les deux co- BPHR (2 CD + Blu-ray). Ø 2005 à 2022. Le Silence des sirènes (2014) offre à sir Simon
das des mouvements extrêmes, cu- TT : 1 h 59’ (+ interview 45’). une dentelle orchestrale qui colore la voix sans
rieusement malingres ? La dixième TECHNIQUE : 4,5/5
étape d’un parcours qui devrait en
l’obstruer, laissant le champ libre à une Bar-
Enregistré à la Philharmonie de Berlin entre
comporter au moins seize n’est tou- avril 2005 et octobre 2022 et au Suntory Hall
bara Hannigan aussi crédible dans ses appels
jours pas la bonne… de Tokyo en novembre 2017 par Peter Gross, de sirène que dans un passage jazzy où resurgit
Jean-Claude Hulot Marco Buttgereit, Gregor Schweiger et René son expérience du théâtre musical de Ligeti.
Möller. Toutes d’une grande qualité, ces différentes Enregistré dans l’énergie d’un concert à Tokyo,
MARC-ANTOINE captations ont en commun leur image ample, Choros Chordon (2017) scintille comme une
une définition des timbres précise et soignée,
CHARPENTIER des contours instrumentaux ciselés
poussière qui tend à s’agglomérer en des corps
1643-1704 solides avant de se disperser de nouveau. La
et un impeccable équilibre soliste/orchestre.
Y Y Y Y Y Te Deum H 146. fluidité de la matière est soulignée par une

P
DESMAREST : Te Deum our beaucoup dans la collaboration touche de microtonalité dont les instrumen-
« de Lyon ».
récurrente d’Unsuk Chin avec les tistes réussissent à faire une évidence.
Jehanne Amzal, Eugénie Lefebvre
Berliner Philharmoniker, Simon La pièce la plus impressionnante de ce pro-
(dessus), Clément Debieuvre,
François-Olivier Jean (haute-
Rattle dirige ici trois de ses œuvres, gramme reste Rocana (2008), où les réflexions
contre), François Joron (taille), dont il soigne particulièrement le et miroitements que suggère le titre (en sans-
Jean-Christophe Lanièce, relief polyrythmique. Les pre- krit) ouvrent la profondeur spa-
David Witczak (basse-taille), mières secondes du Concerto tiale de l’orchestre. Chin souffle
Ensemble Les Surprises, pour violon no 1 (2001) frappent l’impact et la stase, évoque des
Louis-Noël Bestion de Camboulas. par leur ressemblance avec couleurs spectrales dans une
Alpha. Ø 2022. TT : 51’. celles du concerto de Ligeti – écriture restituée de façon lim-
TECHNIQUE : 4,5/5 influence assumée puis par- pide par les musiciens berlinois
Quelques mois faitement digérée par celle et Daniel Harding.
après La Cha- qui fut son élève à Hambourg. Pierre Rigaudière
pelle Harmo-
nique (CVS, cf.
no 726), Les Sur-
prises nous à Lyon, la partition a sans doute profité aux tutti. A la tête d’un en- On connaît l’en-
livrent leur vision du célèbre Te été conçue pour la cour de Lorraine semble instrumental volubile et gagement de
Deum H 146 de Charpentier. Dès (le duché était alors un état sou- précis, délivrant de précieux mo- Reinber t De
les nuances du Prélude, Louis-Noël verain), où le compositeur s’était ments d’intimité, le chef avance Leeuw pour la
Bestion de Camboulas oppose au installé pour se soustraire à la jus- sans heurt parmi les brefs numéros création musi-
faste rutilant déployé par Valentin tice française. Les Surprises y ma- de ce Te Deum pour mieux en pré- cale, notamment
Tournet une mesure et une élégance nifestent plus de liberté que chez server la cohérence. comme chef de l’ensemble Asko
toutes françaises, à mi-chemin entre Charpentier, faisant leur miel des Jean-Christophe Pucek Schönberg. On connaît beaucoup
célébration publique et dévotion sections contrastantes du « Te moins le compositeur. Aussi cette
privée. Le « Te per orbem » est un Deum laudamus ». Quelques ins- REINBERT DE LEEUW rare occasion de découvrir le second
modèle de délicatesse ; l’efferves- tabilités (« Te gloriosus »), un rien 1938-2020 dirigé par le premier est-elle une
cent « In te Domine speravi » traduit d’affectation (« Tu ad liberandum ») Y Y Y Y Der nächtliche Wanderer aubaine. Par sa durée (trois gros
une exaltation sans clinquant. Dom- ne ternissent pas une interpréta- (a). Abschied (b). quarts d’heure) et son effectif (deux
mage que le dessus, dans « Te tion à la fois émouvante (« Dignare Orchestre philharmonique orchestres dont un hors scène et
ergo », se cantonne à un chant trop Domine ») et engagée. Les cou- de la Radio néerlandaise, Reinbert une bande enregistrée), Der nächt-
instrumental, peu lisible. leurs du chœur se fondent sans que De Leeuw (a), Edo de Waart (b). liche Wanderer (2013) est une page
Cette réserve vaut aussi pour le Te l’impact de ses interventions s’en Challenge Classics. audacieuse. Le texte de Hölderlin,
Deum de Desmarest qui constitue trouve amoindri – une captation Ø 2014 et 2017. TT : 1 h 08’. susurré (au deuxième tiers de l’œuvre)
une belle découverte. Conservée plus détaillée aurait toutefois TECHNIQUE : 4,5/5 par un comédien, sert de modèle

I 75
Corelli / Dowland / Dun / Dussek

Jadran Duncumb (luth),


Nouveauté Accademia Strumentale Italiana,
Alberto Rasi.
passant de la fin du premier Allegro, assénée Challenge. Ø 2022. TT : 1 h 06’.
ARCANGELO CORELLI presque avec violence, et un Grave désolé dont
TECHNIQUE : 4/5
1653-1713 En 1604, alors en
Concerti grossi op. 6. certains accents paraissent se ressentir des poste au Dane-
Accademia Bizantina, forces déployées auparavant ! mark, Dowland
Ottavio Dantone. L’un des atouts de cette nouvelle lecture est son livre son recueil
HDB (2 CD). Ø 2021. TT : 2 h 10’. jeu avec le temps musical. Ecoutez comme le instrumental le
TECHNIQUE : 4,5/5 moindre enchaînement est millimétré dans le plus célèbre, ses
Enregistré en novembre 2021 à l’Arboreto de Rimini Concerto no 2 : les prises de parole du concer- Lachrimae pour cinq violes et luth.
par Fabio Framba. Des timbres bien définis et des
tino dans le Vivace liminaire, l’accélération Dowland y décline en sept pièces
contours nets au service d’une image très précise
et bien construite, avec des plans larges et des joueuse du trille, le silence habité qui sépare un fameux thème de quatre notes
solistes installés à l’avant sans que l’on perde l’Allegro de l’Adagio : du grand art ! Tout cela descendantes – symbolisant les
en cohésion. Très bel équilibre dynamique. s’appuie encore sur une articulation au cor- pleurs – repris d’une pièce pour luth
deau, qui sait être vive ou moelleuse, sur une seul qu’il avait composée en 1596

A
et de sa version vocale Flow my
près son triomphe dans les concerti science de la matière sonore qui excelle à
tears. A ces sept pavanes (sept
grossi de Handel (Diapason d’or de faire surgir un drame ou une élégie en douze « larmes ») se joignent neuf gail-
l’année 2023), l’Accademia Bizan- mesures par le jeu des timbres et des dyna- lardes, deux allemandes et trois
tina et Ottavio Dantone remettent miques. Et quelle inventivité au continuo ! Ah, pièces lentes.
le couvert avec ceux de Corelli. ce bref motif répété par les cordes pincées à la A l’instar de Jordi Savall (Astrée,
« D’un geste puissant et agile, le chef italien fin de l’Andante largo ! Dans le célèbre Concerto 1987) ou plus récemment Phantasm
creuse des chemins inédits à travers la forme, no 8 « fatto per la notte di Natale », on succombe (Linn, 2017), l’Accademia Strumen-
lui rendant à la fois la nouveauté et l’aplomb aux ombres diaphanes qui peuplent le Grave, tale Italiana enregistre le livre en-
classique des chefs-d’œuvre », s’émerveillait aux lignes tendrement enlacées des deux Ada- tier. La lecture fait la part belle à
Luca Dupont-Spirio. Ce geste, cette conscience gio (un rai de lumière passe à la fin du second), la connivence des archets, comme
formelle, cette inspiration de tous les instants, aux charmes entêtants de la Pastorale. Tout au en témoignent les gaillardes qui
on les retrouve ici. S’il ne reconduit pas l’effec- long du recueil, idées nouvelles, basses tantôt ne manquent pas d’allure (Sir John
Souch his Galiard). Mais c’est d’abord
tif pléthorique (et coûteux) du mythique enre- enveloppantes tantôt rythmiques, virtuosité
le luth superlatif de Jadran Duncumb
gistrement par l’Ensemble 415 (HM, cf. l’Ile du collectif. qui impressionne, tant dans les dis-
déserte de Jean-Christophe Pucek dans notre L’Accademia Bizantina se tient sur la ligne sertations parfaitement dosées des
no 720), Dantone trouve une autre jouissance de crête de l’extraversion, voire d’un quasi- pavanes (magnifique Lachrimae
du son et y gagne une souplesse que les dix-huit expressionnisme, sans tomber dans l’his- gementes) que dans les gaillardes
violons et la vingtaine de basses rassemblés en trionisme. Tout ici est parfaitement maîtrisé, jouées en solo (The Earle of Essex
1991 ne possédaient pas tout à quand la version dirigée par his Galiard). Sans tomber dans une
fait. Les deux violons du concer- Amandine Beyer misait davan- mélancolie exacerbée, l’ensemble
tino allient discipline et mobi- tage sur la passion débridée s’alanguit parfois inutilement, sur-
lité dans un dialogue idéal avec (ZZT, Diapason d’or de l’année tout dans les pavanes qui soufflent
la masse du concerto grosso. 2013). Et pourtant, le lyrisme, le le chaud et le froid. Des change-
N’allez pas croire qu’on perde ments de nuances abruptes (La-
théâtre, la rêverie, le détour sont
chrimæ Antiquæ) et l’accentuation
pour autant en majesté : l’incipit autant d’ingrédients savam-
des dissonances (Lachrimæ Coactæ)
du Concerto no 3 joue habile- ment dosés par l’Accademia témoignent d’une vision harmonique
ment du contraste entre la Bizantina et Ottavio Dantone. verticale et perturbent le discours à
solennité altière du tutti et le Ce Corelli retrouve quelque défaut d’apporter le relief escompté.
phrasé langoureux des solistes. chose d’ineffablement romain. Si elle ne bouleverse pas une dis-
Quel saisissement, aussi, en PLAGE 4 DE NOTRE CD Loïc Chahine cographie pléthorique, cette nou-
velle version prolongera les volup-
tés doloristes de Savall ou la
rythmique. Au sein de ce tissu assez l’orchestration et de son lien orga- et massif témoigne déjà d’une plume noblesse et le caractère différencié
dense de brèves figures où est vo- nique à une harmonie particulière- alerte, sa tendance à aligner gestes conféré à chaque pavane par Phan-
lontairement neutralisée la dimen- ment raffinée n’est pas si étonnante. orchestraux et micro-citations (de tasm (Diapason d’or).
sion mélodique, la première percée Il ne pouvait se trouver meilleur ex- Stravinsky et Ravel notamment) n’en Frédéric Degroote
lyrique au violon solo est empruntée pert que lui-même pour mener avec fait pas une œuvre essentielle. On
à une sonate d’Oustvolskaïa. Pré- le Philharmonique de la Radio néer- se réjouit en tout cas qu’il n’ait été TAN DUN
parée par un long pré-écho harmo- landaise le travail d’équilibre qu’exige un adieu que provisoire. NÉ EN 1957
nique, surgira plus tard une citation une telle écriture. Pierre Rigaudière Y Y Y Y Buddha Passion.
à l’accordéon de l’Elégie de Wagner. Avec Abschied, De Leeuw mettait Shenyang (baryton-basse),
De la part de celui qui a abordé au en musique quatre décennies plus JOHN DOWLAND Huiling Zhu (mezzo-soprano),
pupitre de si nombreux chefs- tôt son « adieu » à la composition. 1563-1626 Chuanyne Wang (ténor),
d’œuvre, une telle virtuosité de Si ce poème symphonique éruptif Y Y Y Y Lachrimae. Sen Guo (soprano), Weiwei Tan

76 I
(chant traditionnel), Batubagen sait économiser ses ressources et
(chant traditionnel et viole xiqin), varier ses paysages. Le bon goût de
Yining Chen (luth pipa), l’écriture et de l’exécution laisse à
Internationale ChorAkademie, distance l’écueil de la boursouflure.
Orchestre national de Lyon, Benoît Fauchet
Tan Dun.
Decca (2 CD). Ø 2019. TT : 1 h 40’. JAN LADISLAS DUSSEK
TECHNIQUE : 4/5 1760-1812
Chinois natura- Y Y Y Y Y Sonates pour violon
lisé Américain, et pianoforte op. 4 no 3,
Tan Dun s’em- op. 69 nos 1 et 2.
ploie à bâtir des Julia Huber (violon),
ponts entre Ex- Miriam Altmann (pianoforte).
trême-Orient et Brilliant Classics. Ø 2022. TT : 55’.
Occident – toute sa Buddha Pas- TECHNIQUE : 3,5/5
sion l’atteste. Pour écrire ces six Julia Huber et
actes racontant des scènes de la Miriam Altmann
vie du Bouddha jusqu’au nirvana, arrivent, dans ce
dont il signe musique et livret (en troisième vo-
mandarin et sanskrit), le composi- lume, aux plus
teur est allé consulter certains des intéressantes
manuscrits de Dunhuang décou- des sonates de Dussek. Quelle dif-
verts dans les grottes de Mogao, férence entre la dernière de l’Opus 4
au nord-ouest de la Chine, et ac- (1787), de facture classique, et les
tuellement conservés au musée de deux premières de l’Opus 69 (1809),
Nara (Japon), dans notre Biblio- sorties de la plume d’un composi-
thèque nationale (BnF) ainsi qu’à teur perclus de goutte ! Les rôles
la British Library. du pianoforte et du violon s’y équi-
Dans un cadre globalement tonal librent : il ne s’agit plus de sonates
pimenté de chromatismes, de glis- pour pianoforte avec accompagne-
sandos et de quelques motifs répé- ment du violon « ad libitum » (comme
titifs, un quatuor de solistes emmené celles de l’Opus 4), mais de véri-
par le Bouddha rayonnant du bary- tables duos. Bref, nous y entrons
ton-basse Shenyang incarne la fac- dans le romantisme.
ture vocale « classique » de cette Dussek multiplie les thèmes contras-
fresque à mi-chemin entre oratorio tés, convoque çà et là les danses
et opéra. La touche locale est ap- de sa Bohème natale… Les deux
portée par la star de la musique interprètes soulignent avec sensi-
populaire chinoise Weiwei Tan et bilité la richesse de cette musique
l’impressionnant chant diphonique qui déborde d’idées (notamment
khöömii de Batubagen, dont l’émis- les vastes premiers mouvements).
sion laryngée sur un bourdon a des A la rondeur d’un pianoforte très
airs de guimbarde. Les nombreux incarné répond un archet chantant,
instruments traditionnels convoqués délicat et plutôt moelleux, nonobs-
(viole xiqin, luth pipa, grelots et tant quelques aigreurs dans l’aigu.
cloches, bassin d’eau, bols tibétains, Une si belle complicité, qui s’épanouit
cymbales chinoises, tambours paigu) dans l’invention variée de l’Opus 69,
se fondent dans le décor plutôt que ne peut, pour autant, masquer le
de le surcharger. creux de l’Opus 4 no 3.
Pour la création en 2019, le maestro De cet album enthousiasmant, re-
a embarqué jusqu’à Shanghai l’im- tenons particulièrement le discours
peccable Orchestre national de Lyon, souple et énergique du Molto alle-
avec lequel il entretient des liens gro con fuoco de l’Opus 69 no 1, pot-
depuis deux décennies, et l’Inter- pourri qui nous mène d’une marche
nationale ChorAkademie de Lubeck, militaire à une polka, en passant par
chœur de jeunes éblouissant de des formules fuguées et des motifs
clarté, toujours parfaitement défini concertants. L’Allegro espressivo qui
– le chemin d’illumination boudd- ouvre la sonate suivante n’est pas
hique lui va bien. en reste, avec son lyrisme tempéré,
Oscarisé pour la bande originale du
film Tigre et Dragon en 2000, Tan Commandez vos disques sur
Dun déploie sur moins de deux
heures une partition à l’efficacité cd.com
presque cinématographique, qui voir pages ▸ 102-103
Dvorak / Escher / Falla / Franck / Fux / Gal / Grensheim

ses modulations subtiles et ses chan- Ingrid Geerlings (flûte) (h, i), frappe par l’intelligence inventive qu’un ballet – c’est pourquoi l’on
gements d’atmosphères. James Austin Smith (hautbois) de ses phrasés. Gérard Condé se réfère toujours à Ansermet. A
Wissâm Feuillet (a, c, h, i), Alan R. Kay (clarinette) nouveau, rien de précipité, encore
(a, e, i), Dorian Cooke (basson) MANUEL DE FALLA moins de démonstratif, une grande
ANTONIN DVORAK (a, i), Ron Schaaper (cor) (i), 1876-1946 attention aux demi-teintes, pour les
1841-1904 Anna da Silva Chen (violon) (h), Y Y Y Y Le Corregidor grâces surannées de la Danse du
Y Y Y Y Concerto pour piano. Kimi Makino (alto) (c, h), Gideon et la Meunière (a). Le Tricorne (b). corregidor par exemple, ce qui n’ex-
Mazurek. Rondo. den Herder (d), Anna Litvinenko Carol Garcia (mezzo) (a), clut pas la franchise des accents de
Marketa Cepicka (violon), (h) (violoncelles), Dirk Luijmes Serena Perez (mezzo) (b), la Danse du meunier. On connaît
David Matousek (violoncelle), (orgue [g] et clavecin [h]), Orchestre philharmonique versions plus rutilantes, orchestres
Leonardo Pierdomenico (piano), Ellen Corver (piano) (c), Gruppo de Malaga, José Maria Moreno plus virtuoses, notamment dans la
Philharmonie de chambre de Montebello (f), Henk Guittar (f). Valiente. Jota, sans parler des interventions
Pardubice, Vahan Mardirossian. Etcetera (2 CD). Ø 2021-2022. IBS. Ø 2022-2023. TT : 1 h 18’. de Serena Perez, mais ce très inté-
Piano Classics. Ø 2022. TT : 56’. TT : 2 h 34’. TECHNIQUE : 3,5/5 ressant couplage se signale par son
TECHNIQUE : 4/5 TECHNIQUE : 3/5 IBS nous avait sens de l’équilibre, la cohérence de
Parti pris inté- Tourné vers la tra- naguère offert la son propos et la qualité de sa réa-
ressant que de dition germa- version originelle lisation. Didier Van Moere
ne pas aborder nique (Hinde- de L’Amour sor-
comme un grand mith, Eisler) cier (cf. no 715). CÉSAR FRANCK
cheval de ba- davantage que Voici à présent 1822-1890
taille romantique vers Debussy celle du Tricorne, d‘abord panto- Y Y Y Y Les Béatitudes.
le mal aimé concerto pour piano, ou Ravel dont on a voulu faire un mime intitulée Le Corregidor et la Anne Catherine Gillet (soprano),
donné ici dans sa version originale épigone, Rudolf Escher puisait à des Meunière, que créèrent au Teatro Héloïse Mas (mezzo), Eve-Maud
– la partie soliste a connu ensuite sources plus profondes : en amont Elseva de Madrid, en avril 1917, Joa- Hubeaux (contralto), John Irvin,
plusieurs révisions qui ne sont pas de Sweelinck, il cherchait dans le quin Turina et la compagnie de Gre- Artavazd Sargsyan (ténors),
de la main de Dvorak. Même s’il chant des trouvères le modèle d’une gorio Martinez Sierra. David Bizic (baryton), Patrick
s’agit de faire contre mauvaise for- fluidité monodique. Discursive sans Confiée à une dizaine d’instruments Bolleire, Yorck Felix Speer
tune bon cœur, au regard du petit être descriptive, aisée à suivre sans – plus ou moins ceux du premier (basses), Chœur national hongrois,
effectif de la Philharmonie de être attendue, cette musique pleine Amour sorcier –, la partition épouse Orchestre philharmonique royal
chambre de Pardubice, Leonardo de tensions, toujours bien sonnante, strictement les étapes de l’histoire, de Liège, Gergely Madaras.
Pierdomenico et Vahan Mardiros- s’adresse à la sensibilité autant qu’à alors que le ballet commandé par Fuga Libera (2 CD).
sian mettent ainsi en relief les réfé- l’imagination. Plus expressif qu’ar- Diaghilev, avec les décors de Picasso, Ø 2022. TT : 1 h 59’.
rences ou influences (Beethoven, chaïsant, son libre modalisme (issu élargit l’effectif à l’orchestre sym- TECHNIQUE : 2,5/5
Chopin, Mendelssohn) sous-jacentes, du retour privilégié de certaines phonique. On passe ainsi des sono- Entamées en 1869,
mais aussi le caractère pastoral voire notes plutôt que d’une échelle dé- rités plus authentiques, parfois Les Béatitudes
rustique de l’œuvre, compte tenu terminée) se souvient de celui du presque ascétiques du Corregidor seront achevées
des sonorités de l’orchestre. solo de cor anglais de Tristan. à celles, plus plantureuses, plus « oc- dix ans plus tard
Le programme n’est pas complété Ces captations du Festival Orlando cidentalisées », révélées à Londres et créées seule-
par l’un des deux autres concertos permettent de découvrir huit par- par Ernest Ansermet en 1919, du ment en 1891,
(violon, violoncelle) mais par des titions chambristes. Associer les flamboyant Tricorne. Sa trépidante après la mort de Franck. Cet ora-
pages concertantes pour ces deux timbres ou jouer les uns contre Jota finale ne rappelle guère la la- torio monumental s’articule en un
instruments, postérieures, originel- les autres rend limpide une poly- pidaire Pelea final de la première prologue et huit tableaux, dont
lement accompagnées au piano puis phonie riche de canons amorcés, mouture – la seconde partie est chacun suit un plan tripartite ainsi
orchestrées par le compositeur : le d’imitations furtives, ponctuées de d’ailleurs celle que Falla a le plus résumé par d’Indy : d’abord « un
Mazurek, contemporain du concerto solos lyriques à l’éloquence intime. retouchée. exposé, douloureux ou violent, des
pour violon, et le Rondo, qui pré- Le Trio d’anches (1939), si différent On revenait surtout, pour ce Cor- vices et des maux qui règnent sur
cède de peu le concerto pour vio- du style goguenard et sautillant qui regidor, à la narration effervescente la terre » (la souffrance, l’injustice,
loncelle. Dans ces pièces brèves, colle à la peau de cette formation, de Josep Pons avec son orchestre etc.) puis « l’affirmation céleste […]
les solistes, issus des rangs de l’or- est un chef-d’œuvre, magistralement de chambre barcelonais (HM). A du remède à ces maux », enfin la
chestre, s’illustrent davantage par compris par ses interprètes. On pla- Malaga, José Maria Moreno Valiente, proclamation par le Christ de « la
leur engagement que par leur jus- cera ensuite la sombre Passacaglia moins incisif, moins coloré, mais très béatitude promise aux guéris et
tesse. Simon Corley pour orgue (1937) et la Sinfonia per attaché aux indications de nuances, aux sanctifiés ». Le chœur, çà et là
dieci strumenti (1975) qu’Escher a privilégie les atmosphères plutôt divisé en petits groupes (juives,
RUDOLF ESCHER dû s’amuser à écrire à l’opposé de que le théâtre – pour le Chant du païennes, penseurs, esclaves, etc.),
1912-1980 l’esthétique dominante, mais forte coucou, entre autres, gâté malheu- intervient abondamment, alternant
Y Y Y Y Trio d’anches (a). d’une autre invention. Le Tombeau reusement par une Carol Garcia tré- ou dialoguant avec des solistes per-
Quintette à vent (b). Trio pour de Ravel (1959), souvent cité en réfé- mulante et approximative là où l’on sonnifiant des sortes d’allégories
clarinette, alto et piano (c). rence, le cède, pour l’inspiration, à la entendait Teresa Berganza chez – quatre pharisiens, deux époux,
Sonate pour violoncelle (d). Sonate pour violoncelle seul (1948) Lopez Cobos (Claves). une mère et un orphelin, cinq voix
Sonate pour clarinette (e). où deux virtuoses semblent s’affron- Associer Le Tricorne à ce Corregi- célestes, etc.
Sinfonia per dieci strumenti (f). ter pacifiquement. dor est une idée heureuse. Le chef Autour du Christ altier de David Bi-
Passacaglia pour orgue (g). Au fil de cette attachante antho- y préserve l’esprit de la pantomime zic, rayonnent le soprano très in-
Le Tombeau de Ravel (h). logie, préfiguration d’une moder- tandis que beaucoup dirigent une carné d’Anne-Catherine Gillet (sou-
Quintetto a fiati (i). nité élargie, le Gruppo Montebello symphonie chorégraphique plus riant Ange du pardon), de poignantes

78 I
figures maternelles campées par pour le vérisme. Derrière son épouse, dans le chœur ou, au contraire, en danse au XVIIIe siècle. Quant à la
les mezzos Eve-Maud Hubeaux et l’excellent Xavier Lecomte de la Bre- émergent de façon singulière : la Sérénade pour cordes (1946), c’est
Héloïse Mas mais aussi un duo de tonnerie joue les monsieur Wagner mélodie dissonante sur « et lux per- sans doute la partition la plus conve-
ténors formé par celui plus suave face à Bianca Castafiore : passé des petua » circule par exemple des vio- nue de l’ensemble.
d’Artavazd Sargsyan et celui plus solos qu’il joue non sans autorité, et lons aux sopranos puis au chœur Pour rendre justice à ces pages lu-
autoritaire de John Irvin. Face à eux, dès que rentre l’archet, il s’efface et en un passage de relais très réussi. mineuses, trois solistes habitués des
l’Ange de la mort et Satan ont le redevient accompagnateur. Les voix presque juvéniles des so- répertoires rares : l’infatigable Oli-
verbe noir, exempt d’effets de Il est difficile de se couler avec le pranos et de l’alto confèrent parfois ver Triendl défend avec brio le bref
manche, de Patrick Bolleire. même naturel dans les pièces de au Dies irae une candeur inatten- concertino pour piano, tandis que
Les couleurs denses du Chœur na- salon de la première période et dans due mais fort à propos : elle donne Justus Grimm fait chanter celui pour
tional hongrois, ses lignes animées la sonate, tout en ne surchargeant davantage de force et de profon- violoncelle. Le premier concurrence
avec ferveur s’accompagnent hélas pas d’intentions la charmante Mé- deur à cet épisode central. Dans Gottlieb Wallfisch (CPO, couplé au
d’un français quelque peu indistinct. lancolie. Le duo n’évite pas les écueils l’œuvre entière, tous les registres beau quatuor avec piano), le second
La prise de son trop globale, sèche, et, pour tout dire, ne rend pas de de la polyphonie sont soutenus et Matthew Sharp dans un programme
manquant à la fois de détail et de manière convaincante la tension portés avec une cohésion admirable : centré sur le violoncelle (Avie, avec
relief y est pour beaucoup. L’or- formelle du chef-d’œuvre, notam- on en oublierait la perfection un peu Kenneth Woods). Le choix se jouera
chestre liégeois, avec ses cordes ment dans les mouvements ex- hautaine et plus distante de Vox sur les couplages. Souvent critiquée
aiguisées, ses cuivres tantôt triom- trêmes. En revanche, l’abattage de Luminis (Ricercar, 2015). pour sa justesse incertaine, Nina
phaux (renforcés par l’orgue dans la soliste et l’élégance du pianiste Pour la Messe en ré majeur (ca 1732) Karmon séduit dans le concertino
l’apothéose finale) tantôt démo- font merveille dans le Duo pour de Pergolèse, captée lors du même pour violon, aimable fantaisie qui
niaques, en souffre moins. A sa tête, piano et violon concertant sur des concert, les voix solistes ne sont pas frôle le pastiche. La Sinfonietta Riga
Gergely Madaras, tient fermement motifs de Gulistan de Dalayrac les mêmes que dans le Kaiserre- expédie consciencieusement la Sé-
le discours mais jongle avec les op. 14. Paul de Louit quiem. Elles ne manquent pas de rénade, mais sans beaucoup d’im-
masses sonores sans toujours trou- légèreté (« Quoniam tu solus ») et plication. Un joli disque de plus pour
ver un équilibre – là encore, on au- JOHANN JOSEPH FUX l’interprétation ménage de moments explorer l’univers paisible de Hans
rait attendu des micros qu’ils cor- 1660-1741 bien inspirés (« Domine Deus ») mais Gal. Jean-Claude Hulot
rigent certains de ces débordements Y Y Y Y Kaiserrequiem. sans autant nous convaincre que la
non qu’ils les soulignent. Armin Jor- PERGOLESI : Messe en ré majeur. gravure princeps de Giulio Prandi FRIEDRICH GERNSHEIM
dan (Erato) et, dans une moindre Zeronove, I Pizzicanti, (Arcana, 2016, Diapason Découverte) 1839-1916
mesure, Rafael Kubelik (Gala) Lukas Wanner. qui conjugue virtuosité opératique Y Y Y Y Quatuor à cordes no 5.
gardent la priorité. Prospero. Ø 2023. TT : 1 h 17’. et ferveur religieuse. Quintette à cordes no 2.
François Laurent TECHNIQUE : 4/5 Adrien Cauchie Alexander Hülshoff (violoncelle),
Johann Joseph Quatuor Diogenes.
YYYY L’œuvre pour violon Fux est l’un des HANS GAL CPO. Ø 2020-2021. TT : 1 h.
et piano. derniers compo- 1890-1987 TECHNIQUE : 4/5
Darina Maleeva (violon), Xavier siteurs de l’ère Y Y Y Y Concertino pour Après avoir étu-
Lecomte de la Bretonnerie (piano). baroque en Au- violoncelle. Concertino pour dié le piano à
Indesens. Ø 2021. TT : 53’. triche. Pour au- piano. Concertino pour violon. Leipzig auprès
TECHNIQUE : 3/5 tant, son œuvre ne constitue pas Sérénade pour cordes. de Moscheles,
Etrange préten- une queue de comète. En té- Nina Karmon (violon), Gernsheim sé-
tion que celle de moignent l’influence exercée sur les Justus Grimm (violoncelle), journa à Paris où
Darina Maleeva, compositeurs des générations sui- Oliver Triendl (piano), il côtoya Liszt, Saint-Saëns, Rubin-
d’avoir « décou- vantes par son traité de contrepoint Sinfonietta Riga, Normunds Sne. stein et même Rossini. Rentré en
vert » la pièce Gradus ad Parnassum, ou le destin Hänssler Classic. Ø 2023 Allemagne, ce pianiste, chef et pé-
intitulée Mélan- de son requiem, ici enregistré en TT : 1 h 09’. dagogue (Humperdinck compte
colie : cette « transcription d’après public. Ecrit en 1720 pour les ob- TECHNIQUE : 4/5 parmi ses élèves) se lia notamment
une leçon de solfège » a été publiée sèques de la veuve de l’empereur Tirés de l’abon- avec Brahms et Bruch, dont la mu-
dès 1911 et figure comme FWV 10 Leopold Ier, cette messe des morts dant catalogue sique est à bien des égards assez
dans le catalogue Mohr de 1969. a ensuite été exécutée pour d’autres de Gal, voici trois proche de la sienne. Ses dernières
La violoniste bulgare en a néanmoins funérailles liées à la famille impé- concertinos avec compositions montrent qu’il n’était
réalisé une édition annotée pour riale (dont celles de Charles VI en o rc h e s t re à pas fermé à la nouveauté d’un
son instrument (chez Lemoine), parti 1740), ce qui a lui a valu le surnom cordes et une Strauss ou d’un Reger, à la diffé-
pris justifié par la ressemblance de de Kaiserrequiem. sérénade. Paradoxe, l’œuvre la plus rence, justement, de Bruch.
son caractère avec le juvénile An- Le chef Lukas Wanner et ses musi- récente et la plus développée, le Le nom de Gernsheim (israélite) dis-
dantino quietoso op. 8, qui se trouve ciens s’emparent magistralement concertino pour violoncelle (1965), parut des affiches sous le Troisième
également dans cette intégrale. de ce chef-d’œuvre qui exige des s’avère celle dont le langage est le Reich, pour ne plus y reparaître. CPO
Maleeva aborde cette musique en interprètes une adaptation perma- plus classique, culminant dans le en a fait un de ses oubliés favoris
prima donna : son entrée très scé- nente : l’écriture fait s’enchaîner des splendide et lyrique Adagio central. et cela se comprend. Après les Qua-
nique dans la sonate, le récitatif dra- pages solistes, des chœurs et des Celui pour piano, écrit entre les deux tuors nos 1 et 3 par les Diogenes (cf.
matisé comme les passages du deu- moments instrumentaux. Dans l’in- guerres (1934), s’inscrit dans le néo- no 683), les mêmes interprètes
xième mouvement sur la corde de troït où le discours est clairement classicisme de son époque. A peine abordent le no 5 et le non moins
sol, le lyrisme et le vibrato un peu sur- conduit, les voix solistes, dont les plus tardif (1939), celui pour violon magnifique Quintette à deux vio-
joués des deux pièces plus courtes timbres sont assez vite reconnais- est un diptyque (Andante et Rigau- loncelles no 2 – l’ultime partition de
ont tout de la diva qui a un penchant sables, se fondent avec élégance don) qui emprunte le thème de sa Gernsheim, créée en 1916.

I 79
Gilles / Gottlieb / Grieg / Hahn / Haydn / Kayn / Leclair

Le lyrisme exalté que déploie l’Alle- progression depuis l’affliction, ja- leur tenue est irréprochable. Il faut JOSEPH HAYDN
gro initial du quatuor n’est pas si mais pesante, du Requiem aeter- saluer l’impeccable clarté de la 1732-1809
éloigné du jeune Strauss, tandis que nam jusqu’à l’acceptation apaisée conduite polyphonique, le soin ap- Y Y Y Les Sept Dernières Paroles
le quintette est une sorte de Monde du Lux aeterna est intelligemment porté à l’articulation comme aux du Christ en croix.
d’hier musical, profondément ancré rendue, la douceur (« quia pius es ») nuances. Ainsi vivifiés, son origina- Hélène Walter (soprano),
dans le romantisme, où passent les dissipant in fine l’angoisse. lité, son charme n’en sont que plus Salomé Haller (mezzo), Benoît
ombres de Brahms et Dvorak et Saluons les couleurs des Folies Fran- évidents. La sonate de W.F. Bach Haller (ténor), Pierre-Yves Cras
celle, chérie, de sa fille Maria, morte çoises et la cohésion d’un chœur proposée en complément, dont le (baryton), Quatuor 1781.
en 1915 dans un accident de voi- préparé avec soin. Le bonheur est Largo galant s’ombre d’une inquié- Paraty. Ø 2022. TT : 52’.
ture. Le Quatuor Diogenes s’affirme moins constant côté solistes – c’est tude diffuse restituée avec finesse, TECHNIQUE : 3,5/5
comme un défenseur ardent, res- aussi le cas dans le motet (inédit) permet, en le remettant en contexte, Après la version
tituant avec homogénéité et brio Domine Deus meus, qui expose en- de mieux apprécier l’art de Gold- originale pour
deux superbes partitions non dé- core davantage leurs limites – avec berg. Voilà donc le disque priori- orchestre, Haydn
nuées de grandeur, tirées grâce à des tensions chez la haute-contre taire pour connaître et aimer ses a réalisé lui-
eux d’un injuste oubli. et un dessus à l’élocution perfec- sonates en trio. même ou super-
Jean-Claude Hulot tible. Cette menue réserve ne doit Jean-Christophe Pucek visé trois autres
pas détourner l’amateur de réper- avatars de ses Sept Dernières Pa-
JEAN GILLES toire sacré Grand Siècle. EDVARD GRIEG roles : pour quatuor à cordes, pour
1668-1705 Jean-Christophe Pucek 1843-1907 piano puis sous forme d’oratorio.
Y Y Y Y Y Messe des morts. Y Y Y Concerto pour piano. En voici encore une variante, pour
Domine Deus meus. JOHANN GOTTLIEB SCHUMANN : Concerto quatuor vocal et quatuor à cordes,
Eugénie Lefebvre (dessus), GOLDBERG pour piano. proposée par les chanteurs de La
Clément Debieuvre (haute-contre), 1727-1756 Elisabeth Leonskaja (piano), Chapelle Rhénane de Benoît Haller
Sebastian Monti (taille), Y Y Y Y Y Les quatre sonates Luzerner Sinfonieorchester, et les musiciens du Quatuor 1781.
David Witczak (basse-taille), en trio. W.F. BACH : Sonate Michael Sanderling. L’œuvre se prête sans difficulté à
Les Pages et les Chantres en trio F 50. Warner. Ø 2023. TT : 1 h 04’. cet hybride des versions quatuor
du CMBV, Les Folies Françoises, Ensemble Diderot, TECHNIQUE : 3/5 et oratorio, conservant de cette der-
Fabien Armengaud. Johannes Pramsohler. Réunir les concer- nière l’interlude central pour vents
CVS. Ø 2022. TT : 1 h 03’. Audax. Ø 2022. TT : 1 h. tos de Schumann (ici pour cordes). Force est pourtant
TECHNIQUE : 4,5/5 TECHNIQUE : 3,5/5 (1845) et de de regretter un important hiatus
Jean Gilles, ra- Goldberg conti- Grieg (1869) est entre la partie vocale, dont on ap-
conte Michel nue d’intéresser. d’une logique précie l’intonation impeccable, les
Corrette, pre- Quelques mois éprouvée : tout interventions a cappella d’un carac-
mier éditeur de après l’intégrale – l’esprit, la tonalité, le format – les tère archaïsant et l’interprétation
sa Messe des de ses œuvres rapproche. Elisabeth Leonskaja porte résolument expressive, et la partie
morts, essuya le pour clavier (cf. les deux partitions à un rare degré instrumentale, qui, nonobstant une
refus de l’« homme de distinction » no 727) nous arrive un nouvel enre- de raffinement : ni afféterie ni es- prise de son très réverbérée, appa-
pour lequel il l’avait composée. Ce gistrement de ses quatre sonates broufe, mais une simplicité et une raît aigre, glaciale et blafarde.
dernier redoutait en effet la dépense en trio conservées. Si la Sol mineur poésie qui seront, hélas, le seul fait Simon Corley
nécessaire à son exécution. Vexé, adopte une coupe tripartite plus de la soliste. La sérénité qu’elle af-
le musicien la réserva à ses propres « moderne », les trois autres sont fiche dans l’Intermezzo de Schumann YYYY Symphonies nos 93 à 95.
funérailles. Si l’histoire relève sans en quatre mouvements (lent/vif/ tourne le dos à toute virtuosité – YYYY Symphonies nos 96 à 98.
doute de la fable, le succès de lent/vif) sur le modèle de la sonate quel contraste avec la flamme qu’y Orchestre de chambre danois,
l’œuvre, jouée entre autres lors des corellienne. Outre sa maîtrise du mettait son mentor Sviatoslav Rich- Adam Fischer.
obsèques de Rameau et de Louis XV, contrepoint (Allegro fugué de la ter (Emi) ! Mais ce piano contem- Naxos (2 CD séparés).
ne s’est pas démenti. Noble gravité, Sonate en la mineur) héritée de platif voire méditatif, privé de relief, Ø 2022. TT : 1 h, 1 h 09’.
dramatisme mesuré mais tangible, son maître Bach, et une proximité finit par lasser. TECHNIQUE : 3,5/5
délicatesse du coloris : tout atteste avec le langage de ses fils, per- Il déstabilise également le Luzerner
la main d’un maître. La théâtralité ceptible dans certains élans sen- Sinfonieorchester, guère aidé par
assumée d’Hervé Niquet (Accord, sibles (Adagio de la Sol mineur), la direction mollassonne de Michael
1989) et l’équilibre rayonnant de Goldberg ose pimenter ses inspi- Sanderling. Timbres très quel-
Jean-Marc Andrieu (Ligia, 2008) rations : les harmonies parfois tor- conques (le début de l’Opus 16 de
dominent la discographie, éclipsant tueuses de l’ample Ciacona sur Grieg sonne avec une platitude dé-
la lecture compassée de Philippe laquelle se referme la Si bémol solante), interventions désincarnées, Après avoir achevé il y a plus de
Herreweghe (HM, 1990). majeur en témoignent. absence d’élan, cohésion çà et là vingt ans une remarquable intégrale
Fabien Armengaud ne manque pas L’Ensemble Diderot aborde ces défaillante : on regrette à chaque des symphonies avec la Philharmo-
d’atouts. La partition révisée sur pages avec une vitalité, un aplomb mesure New-York et Leipzig qui ac- nie austro-hongroise Haydn, Adam
laquelle il s’appuie colle au plus près qui font paraître timide la version compagnaient jadis Leonskaja. Ou- Fischer se lance avec son Orchestre
la mouture originale. Elle fait appel concurrente de Ludus Instrumen- blions ce témoignage à réserver aux de chambre danois dans une série
à des voix d’enfants et se rapproche talis (Ricercar, cf. no 705). Très droits, fans les plus avertis de l’artiste, et de « symphonies tardives » dont
des effectifs dont Gilles pouvait dis- les violons ne sont pas toujours les retournons vite à Curzon (nos Indis- les volumes I et II sont consacrés
poser. Le chef trouve d’emblée le plus sensuels au monde, ce qui tend pensables) pour Grieg, Freire (Sony) aux six premières Londoniennes. Le
ton juste, entre ferveur recueillie et à amoindrir l’impact des mouve- et Lipatti (Warner) pour le même chef se renouvelle en se mettant
animation du discours. La ments exigeant plus d’effusion, mais couplage. Erwan Gentric au goût du jour, comme s’il était

80 I
animé par la volonté de faire tom-
ber la perruque de « papa Haydn » :
tempos plus vifs (qui le conduisent
Nouveauté
à ralentir de façon un peu suspecte
parenthèse fauréenne et agitée, c’est une fugace
lorsque vient par exemple le second REYNALDO HAHN citation du « faites-lui mes aveux » de Siebel qui
thème du premier mouvement de 1874-1947
la Symphonie no 94), sonorités plus Le Ruban dénoué. Caprice nous tire l’oreille. La Danse du doute et de l’espé-
astringentes, geste moins élégant mélancolique. Pour bercer rance fait admirablement ressortir la morsure
et prise de son moins spacieuse ca- un convalescent. Puisque du premier dans la seconde. Et La Cage ouverte
ractérisent ces nouvelles lectures. j’ai mis ma lèvre*. CHABRIER : laisse s’envoler un motif dont le compositeur
Elles ne manquent certes jamais de Trois valses romantiques. fera le finale de Ciboulette : « Il n’est de durable
Sandrine Piau (soprano)*,
verve mais pèchent parfois par des ivresse / Demain nous serons très vieux /
Eric Le Sage, Frank Braley (piano).
intentions trop appuyées, avec des Aimons pendant notre jeunesse / L’amour on
Sony. Ø 2022. TT : 1 h 11’.
trompettes et timbales très en avant. TECHNIQUE : 4,5/5 n’ trouvera jamais mieux ». Les sentiments que
D’aucuns trouveront de l’intérêt à ranime le pétillement des Baisers illuminent Il
Enregistré au Concert Hall de Namur
ces menuets entraînants – celui de en décembre 2022 par Jean-Marc Laisné. sorriso – dont Hahn se souviendra, là encore,
la 98e, par exemple – et à cette ma- Parfait équilibre spatial entre les deux pianos, pour habiller le duo de Lorenzo et Jessica à
nière spectaculaire de marquer le aux registres bien définis. Belle homogénéité
l’acte I de son Marchand de Venise.
caractère dramatique de la 95e. Ils et cohérence des timbres, dans une image
pourront aussi goûter le mordant au relief très subtil. Le thème du Seul amour « ne cessa se chanter
de l’Allegro initial de la 96e (« Le Mi- dans [sa] tête, comme si [son] cœur s’épanchait

E
racle ») et du Spirituoso final de la ric Le Sage et Frank Braley, après en un flux intarissable », confiait le composi-
97e, d’autant que le parti pris géné- un épatant double concerto de Pou- teur. « Très senti », indique-t-il en tête de cette
ral de vivacité n’empêche pas les lenc, auront attendu presque vingt dernière valse : notre duo lui rend intensité,
mouvements lents de respirer, tel ans pour nous livrer, toujours aussi élégance, soubresauts et bouffées de mélanco-
l’Adagio cantabile de la 97e. complices, deux autres trésors du lie. Huseyin Sermet et Kun Woo Paik ne les
Simon Corley piano français. C’est en 1915, sur le front, que distillait pas à ce point dans une gravure
le soldat Reynaldo Hahn compose Le Ruban (Valois, cf. no 380) qui, jusque-là, n’avait pas été
HUGO KAUN dénoué, douze valses destinées à « fixer des détrônée. Outre une mélodie où resurgit le
1863-1932
instants qui auront compté dans [sa] vie ». Tout thème du Seul amour (sur les mots « J’ai dans
Y Y Y Y Symphonie no 3.
Minnehaha. Hiawatha. en frémissements chaloupés, les Décrets indo- l’âme une fleur que nul ne peut cueillir ! »), Le
Orchestre symphonique lents du hasard déroulent leur mélodie lega- Sage et Braley ajoutent le fauréen Pour bercer
de la Radio de Berlin, tissimo, comme sur un nuage (« mollement un convalescent, lui aussi de 1915.
Jonathan Stockhammer. mais très en mesure », recommande Hahn Ils rapprochent surtout, très judicieusement,
CPO. Ø 2022. TT : 1 h 07’. au secondo). Tandis que Les Soirs d’Albi, mar- Hahn et le Chabrier des Trois valses roman-
TECHNIQUE : 4/5 qués « vif et leste », filent leggero, en clignant de tiques (1897). Une souplesse rieuse enveloppe
De la même l’œil vers l’España de Chabrier. l’impétuosité de la première les
génération que Souvenir… Avenir… s’alanguit humeurs et les coups de menton
Mahler et Ri- amoroso, s’enflamme (« très de la deuxième. Nos compères
chard Strauss, chanté ») puis s’éteint. font ensuite étinceler avec déli-
Hugo Kaun catesse les pirouettes de la troi-
Le Demi-Sommeil embaumé se
quitta son Berlin
déploie tel un rêve. « Très capri- sième. Ces raffinements singu-
natal en 1887 pour s’expatrier aux
Etats-Unis à Milwaukee, ville du Wis- cieux mais sans jamais pres- liers, cette pointe de mystère
consin qui abritait alors une impor- ser », note Hahn : Le Sage et préludent alors idéalement au
tante communauté allemande. Il y Braley y suggèrent comme per- Caprice mélancolique (1897)
demeura quinze ans avant de ren- sonne, hésitation, sourire, d’un Reynaldo de vingt-trois
trer à Berlin où il occupa divers tendresse, effusion, déception, ans. Eblouissant.
postes d’enseignement jusqu’à sa tristesse. Dans L’Anneau perdu, PLAGE 2 DE NOTRE CD François Laurent
mort.
De sa période américaine date le
diptyque Im Urwald (1901), poèmes les deux poèmes attestent un mé- son Adagio, mouvement le plus JEAN-MARIE LECLAIR
symphoniques d’après Hiawatha de tier très sûr à défaut d’une inspira- développé et le plus émouvant. 1697-1764
Longfellow. Minnehaha ne cache tion personnelle. L’orchestre de la Radio de Berlin Y Y Y Quatrième Livre de sonates
pas sa dette envers le Wagner de Composée à Berlin en 1913, la s’y trouve dans son élément natu- pour violon et basse continue :
Tristan, dont s’inspirent le cor an- Symphonie no 3 montre Kraun aux rel et le chef Jonathan Stockham- Sonates nos 3, 6, 8 et 10.
glais du début, les élans passionnés prises avec la mutation du langage mer, plus connu comme chef Hélène Schmitt (violon),
des cordes qui suivent ou même le symphonique initiée par Mahler. d’opéra et comme interprète de Francisco Mañalich (viole
recours à la clarinette basse. Hiawa- L’œuvre eut des défenseurs de pages de Rihm, Nono, Eötvös ou de gambe), Jonathan Pesek
tha fait davantage songer à une choix comme Pfitzner et Furtwän- Glass, fait de son mieux pour in- (violoncelle), François Guerrier
chasse fantastique, avec des appels gler. De forme classique en quatre suffler énergie et lyrisme à une (clavecin).
de cors évoquant Le Chasseur mau- mouvements et de style postro- musique assez épigonale mais sym- Aeolus. Ø 2017-2018. TT : 1 h 08’.
dit de Franck. Incontestablement mantique, la partition culmine dans pathique. Jean-Claude Hulot TECHNIQUE : 3/5

I 81
Ligeti / Liszt / Lully / Mahler / Mascagni / Mendelssohn

Pour sa première Arditti en 1994 (Sony). Nous pou- Preludio et l’Etude no 2 ouvrent le des évidences alors qu’il pouvait
incursion disco- vons en déduire ce qu’y préconisait cahier avec un geste d’affirmation s’agir de choix d’autrui. » Retour aux
graphique dans le compositeur, outre une rigoureuse héroïque, de frénésie capricieuse. sources (partitions manuscrite et
le répertoire précision rythmique et dynamique : Liszt y conquiert un piano nouveau, imprimée, livret de la création), mais
français, Hélène il aimait la tension, l’énergie incisive aux rythmes et couleurs harmo- aussi prise en compte de certains
Schmitt a choisi et décapante et avant tout un son niques inventives, comme dans le acquis musicologiques – on enten-
le redoutable Livre IV de Leclair. fin et tranchant – ce qui ne veut pas tendre Paysage, parcouru ici de sub- dra ici les danses sans continuo.
Lancé tambour battant, l’ample dire uniformément « droit » ou senza tils clairs-obscurs. Mazeppa est tré- Dès le prologue, on est surpris par
Allegro de la Sonate no 6 saisit par vibrato. pidant, inouï (et presque excessif) la fragmentation du discours : plu-
une effervescence brouillonne dès Le Verona String Quartet, forma- de vivacité, avec un passage central tôt que d’enchaîner les différents
l’incipit, toujours empreinte ensuite tion américaine ainsi nommé en au lyrisme somptueux. La virtuosité petits airs, duos, danses, chacun ou
d’une certaine agressivité. Le ciel hommage à Shakespeare, répond du pianiste culmine dans des Feux presque semble vouloir se détacher
ne s’éclaircit ni dans l’Adagio, privé d’assez loin à de tels desiderata. follets virevoltants, démoniaques… comme un morceau autonome (fré-
de sensualité, ni dans le Tempo di Dans le Quatuor no 1 (1953-1954), La progression de Vision est inexo- quents rallentendos). La suite ne
gavotta instable, ni dans une Gigue il recourt volontiers au legato et au rable sans être pesante quand dément pas totalement ce senti-
qui ignore le « prestissimo » noté portamento, imprimant parfois un l’Eroica (la pièce la moins inspirée ment, donnant l’impression de culti-
par Leclair – malgré des défauts, fort cachet viennois qui se justifie du cycle) arbore un côté versatile ver la forme brève au détriment de
Patrick Bismuth (ZZT, 2005) carac- en partie lorsque les échos de la et tranchant qui la soustrait à toute la continuité dramatique.
térisait au moins ces mouvements Suite lyrique de Berg ou des Qua- emphase, mais non à une certaine Le chef adopte aussi des tempos
avec plus d’exactitude. tuors nos 3, 4 et 5 de Bartok se font désinvolture. extrêmes, volontiers pressants (« Les
Après cette entrée en matière par- plus saillants. Nulle trahison ou édul- Particulièrement fantasque, animée plaisirs à ses yeux », par exemple)
fois douloureuse, la Sonate no 10 coration, mais une volonté certaine d’un chant vertigineux, la Chasse ou très étirés. Et pourquoi changer
apparaît moins crispée. Toutefois, d’arrondir les angles, quand d’autres sauvage permet à l’interprète de de tactus après la première phrase
elle ne fera pas d’ombre à Luis Ota- (Hagen, Artemis, Casals, Belcea, dérouler un discours personnel tout de « C’est le défaut commun des
vio Santos (Ramée, 2012, Diapason Hanson), dans des couleurs autant en restant cohérent. Ricordanza est belles » (acte I, scène 4) ? Ce n’est
d’or), autrement sensible dès l’An- sinon davantage attrayantes, ont servie par un toucher et des traits pas le seul endroit de fluctuation…
dante affettuoso. L’archet de Schmitt su mieux exprimer l’aspect fantas- irréels… Si l’Etude no 10 se relance à Tout se passe comme s’il y avait vo-
retrouve tendresse et poésie dans tique et onirique de ces « Métamor- chaque fois avec une inventivité gal- lonté d’exagérer les contrastes – ce
l’Un poco andante de la Sonate no 3. phoses nocturnes ». vanisante, Harmonies du soir pèche qui fonctionne bien dans certaines
Comme libéré, il s’autorise à illumi- Si l’Andante et allegretto de jeu- un peu par précipitation quand le danses dont l’originalité est ainsi
ner l’Allegro, à épouser la mélan- nesse n’a qu’un intérêt documen- prophétique Chasse-neige est tu- soulignée. La fête du IV (un des meil-
colie ardente de la Sarabanda, le taire, le Quatuor no 2 (1968) dévoile multueux, symphonique à souhait. leurs moments de cet enregistre-
sautillement du Tambourin – sans un univers sonore où, malgré la ra- Après la référence de Lazar Berman ment) y gagne en vivacité, en vie
ivresse cependant. dicalité de l’écriture, subsistent, ou la réussite récente de Gabriel même. Ailleurs, le propos en ressort
Semblables qualités infusent la So- beaucoup plus savamment dissimu- Stern (Diapason d’or), Zhang livre souvent ampoulé.
nate no 8, abordée avec autorité lés, allusions et hommages. La lec- une version à l’imagination fertile. La même remarque vaut pour la di-
(Allegro assai). Son Andante dé- ture des Verona vaut le détour : res- Jean-Yves Clément rection musicale des chanteurs. En
roule une rêverie aux accents vo- pirant large, elle est magistralement Sangaride, Marie Lys agace ainsi
lontiers pathétiques avant que le articulée, à la fois réfléchie et aé- JEAN-BAPTISTE LULLY plus d’une fois par ses maniérismes ;
Tempo di ciaconna ne déploie des rienne. Malgré tout, on reste loin 1632-1687 le timbre manque, à notre goût, de
volutes qui gagneraient à être plus de l’électricité corrosive et des su- Y Y Y Y Atys. charme et de fraîcheur. La décep-
souples. Soutenue par un continuo perbes déflagrations des Diotima Reinoud Van Mechelen (Atys), tion est plus grande encore avec la
où brille le clavecin attentif de Fran- (Pentatone, cf. no 721), et il lui Marie Lys (Sangaride, Flore), Cybèle d’Ambroisine Bré, à qui font
çois Guerrier, cette réalisation vo- manque aussi l’étonnant mélange Ambroisine Bré (Cybèle), défaut la personnalité, la noblesse ;
lontaire mais inégale ne convainc de sauvagerie, de sensualité et de Philippe Estèphe (Célénus), si la voix est plus à sa place que
pas toujours. Puisse le « Volume II » mystère que savaient y mettre les Chœur de chambre de Namur, dans Psyché (CVS, cf. no 720), elle
que laisse présager ce « Volume I » austères LaSalle. Les Talens Lyriques, accuse souvent ses limites, minaude
nous combler davantage. Patrick Szersnovicz Christophe Rousset. beaucoup, et l’on cherche en vain
Jean-Christophe Pucek CVS (3 CD). Ø 2023. TT : 2 h 52’. une véritable incarnation. Reinoud
FRANZ LISZT TECHNIQUE : 3,5/5 Van Mechelen est à peu près le seul
GYÖRGY LIGETI 1811-1886 Christophe Rous- à éviter l’affectation, parvenant
1923-2006 Y Y Y Y Y Douze Etudes set était au cla- même à un certain naturel. Si le rôle-
Y Y Y Y Les deux quatuors d’exécution transcendante. vecin pour la re- titre ne le flatte guère (peu d’aigus,
à cordes. Andante et allegretto. Haochen Zhang (piano). création d’Atys peu de lignes à déployer), le ténor
Quatuor de Vérone. Bis (SACD). Ø 2022. TT : 1 h 06’. en 1986-1987. Le s’en tire bien, sans toutefois s’élever
Dynamic. Ø 2022. TT : 57’. TECHNIQUE : 4/5 chef af firme aux cimes où nous l’avons connu
TECHNIQUE : 4/5 Haochen Zhang, avoir voulu aborder cet opéra vers ailleurs. Plus amant que roi, le Célé-
Ligeti adouba la vainqueur du la fin de son périple lulliste, pour nus de Philippe Estèphe affiche une
gravure (1969, Concours Van « que [ses] choix d’interprétation vocalité extravertie, quitte à parfois
DG) du Quatuor Cliburn 2009, soient davantage guidés par [son] surjouer un peu.
no 2 par les La- propose de ces expérience propre, accumulée par La gravure de Christie (HM) ali-
Salle (ses créa- pages vision- [sa] fréquentation de l’œuvre lul- gnait dans les rôles secondaires
teurs) et il super- naires une lecture ébouriffante mais lienne au fil des années, que par ce une galerie de chanteurs presque
visa l’intégrale enregistrée par les qui pourra déconcerter par endroits. qui avait pu se graver en [lui] comme tous excellents ; la plupart sont ici

82 I
plus anonymes – à l’exception de Vänskä, dont c’était le dernier avec cette musique restent à dé- Variations op. 82 (Javier Perianes,
Gwendoline Blondeel, qui donne concert comme directeur musical montrer. Si théâtral chez Mozart, le par exemple, s’y montrait autrement
l’impression d’être largement de l’orchestre, se montre ici convain- chef a ici le souffle court, ne tend expressif), davantage d’imagination
sous-employée. cant. Cette 8e file droit avec, no- pas l’arc, peu naturel dans ses phra- dans la Fantaisie op. 28. La virtuo-
Les Talens Lyriques connaissent leur tamment dans le Veni Creator, une sés, étranger surtout au lyrisme brû- sité est bien au rendez-vous des
Lully sur le bout des doigts et saine énergie, admirablement cana- lant de la partition sicilienne. Caro- Variations sérieuses, mais malgré
sonnent relativement généreux, lisée. Le chef sait aussi être touchant lina Lopez Moreno, malgré un timbre les efforts qu’y déploie l’interprète
comme dans leur récent album comme en témoigne son « Dir, der fruité et une voix bien conduite, pour donner vie aux passages les
Royer. Il n’en va pas de même du Unberührbaren », magnifiquement s’avère un peu légère pour cette plus animés, le discours est bien
Chœur de chambre de Namur, bien ourlé. Ce qui est beaucoup moins Santuzza soprano, plus jeune, plus corseté par rapport aux gravures,
souvent en panne d’ampleur, voire clair, hélas, c’est la prononciation. fragile – elle pèche par la modestie plus souples dans leurs tourbillons,
d’unité – la déploration du dernier Est-ce l’effet des masques portés du bas-médium et du grave. Trop de Bertrand Chamayou ou Jan Li-
acte en pâtit singulièrement. par les choristes ? Nous avons des léger aussi le charretier de Domen siecki, sans aller jusqu’à citer la my-
Le mythe de la version de 1987 te- volumes, des équilibres et des Krizaj, dont les fureurs jalouses ap- thique version, survoltée, de Ho-
nait aussi à la magie qui en émanait, nuances, mais perdons l’éclat des pellent une voix plus sombre et plus rowitz en 1946.
comme dans la célèbre scène du mots dans un magma choral peu corsée dès son air d’entrée, un peu Jérôme Bastianelli
sommeil – elle paraît ici aussi propre distinct et sans consonnes. bousculé.
que normale. Si cette nouvelle gra- Cette Symphonie « des Mille » est C’est le Turiddu de Giorgio Berrugi Y Y Y Y Sonates pour piano
vure se distingue par des partis pris donc une semi-réussite. Reste à sa- qui assure le mieux, pas le timbre MWV U19 et U23. Romances
affirmés, l’Atys du XXIe siècle est voir ce qu’apportera à ce cycle iné- le plus ravageur, un peu à la limite sans paroles non éditées.
encore à venir. Loïc Chahine gal la parution de la 3e. de ses moyens, mais solide et pas Allegretto MWV U138. Andante
Christophe Huss débraillé. Mamma Lucia a beau être MWV U76. Andante MWV U165.
GUSTAV MAHLER RÉFÉRENCES : Solti (Decca), souvent distribuée à des chanteuses Sostenuto MWV U167. Canon
1860-1911 Bertini (Emi), Wit (Naxos). en fin de carrière, celle d’Elisabeth MWV U163. Capriccio MWV U43.
Y Y Y Y Symphonie no 8. Fiorillo est littéralement impossible. Allegro « Danse des ours »
Carolyn Sampson (soprano I, PIETRO MASCAGNI On rangera donc cette Cavalleria MWV U174. Thème et variations
Magna Peccatrix, Mater Gloriosa), 1863-1945 au rayon des curiosités musicolo- en ré majeur. Pièce pour piano
Jacquelyn Wagner (soprano II, Y Y Y Cavalleria rusticana. giques : pour la version tradition- MWV U38. Wie die Zeit läuft
Una poenitentium), Sasha Cooke Carolina Lopez Moreno (Santuzza), nelle, c’est le fonds qui manque le MWV U196.
(Mulier Samaritana), Jess Dandy Giorgio Berrugi (Turiddu), moins. Didier Van Moere Christopher Williams (piano).
(Maria Aegyptiaca), Barry Banks Elisabetta Fiorillo (Lucia), Domen Naxos. Ø 2022. TT : 1 h 15’.
(Doctor Marianus), Julian Krizaj (Alfio), Eva Zaïcik (Lola), FELIX MENDELSSOHN TECHNIQUE : 3/5
Orlishausen (Pater Ecstaticus), Chœur et Orchestre Balthasar 1809-1847 Cette anthologie
Christian Immler (Pater Neumann, Thomas Hengelbrock. Y Y Fantaisie sur The Last Rose d’œuvres pour
Profundus), National Lutheran Prospero. Ø 2022. TT : 1 h 14’. of Summer op. 15. Fantasie piano de Men-
Choir, Angelica Cantanti, TECHNIQUE : 3/5 op. 28. Trois caprices op. 33. delssohn rare-
Minnesota Boychoir, Chorale La Cavalleria rus- Variations sérieuses op. 54. ment jouées est
and Orchestra, Osmo Vänskä. ticana que l’on Andante et variations op. 82. fort bien conçue.
Bis (SACD). Ø 2022. TT : 1 h 23’. connaît par cœur Shihyun Lee (piano). Dans cet assemblage d’ébauches,
TECHNIQUE : 3,5/5 n’est qu’une révi- Dynamic. Ø 2023. TT 1 h 20’. de partitions de jeunesse ou de cir-
Avant-dernier sion de la version TECHNIQUE : 3/5 constance, on trouve aussi bien ce
volume du cycle princeps, qui Lauréate du pre- qui a contribué à la réputation du
Mahler d’Osma avait valu à Mascagni le premier prix mier prix au compositeur (des scherzos qui ga-
Vänskä à la tête du Concours Sanzogno. Pour faci- Concours Men- lopent dans l’azur, des romances
du Minnesota liter la tâche des chœurs et des chan- delssohn 2018, qui se déploient tendrement) que
Orchestra, la teurs, le jeune lauréat a ensuite taillé Shihyun Lee des pièces plus inattendues, comme
Symphonie « des Mille » fut captée dans sa partition et abaissé la tona- semblait avoir la Danse des ours, plaisanterie mu-
en juin 2022, dans le contexte de lité de certains passages. Par quelques atouts à faire valoir dans sicale de 1842, ou ces Variations en
la pandémie. Remplaçant au pied exemple, le Chœur de Pâques, qui la musique du divin Felix. Hélas, ré majeur écrites en 1820 dans le
levé la soprano I du Veni Creator était écrit un ton plus haut, fut éga- l’artiste coréenne (née en 1991) peine style de Haydn.
(tombée malade deux jours avant lement raccourci, l’air de Santuzza à convaincre. La sonorité de son Pour ceux qui souhaitent se conten-
le concert dont cet enregistrement perdit un demi-ton et celui d’Alfio piano, en premier lieu, n’a guère de ter d’un florilège, l’album de Chris-
est l’écho), Carolyn Sampson en un couplet. Mascagni n’a pas si mal charme, avec des aigus un peu durs topher Williams sera une alternative
assume héroïquement la partie, en fait : le cantique, originellement, et une brillance trop uniforme. Les intéressante à l’intégrale exhaustive
plus de sa propre Mater Gloriosa amenait les choristes et la délaissée phrasés manquent en outre de le- enregistrée par Roberto Prosseda
dans la Scène finale de Faust. Mais dans des zones peu confortables gato, ce qui confère à ces œuvres (Decca), naturellement plus sujette
pourquoi son « Komm Hebe dich! » de la voix. Santuzza n’était pas alors délicates une forme de prosaïsme, aux redites. Les deux interprétations
est-il tenu ainsi à l’arrière-plan par le falcon qu’elle est devenue. accentuée par des nuances relati- se complètent bien : le pianiste gal-
les micros ? Et comment ne pas Sachons gré à Thomas Hengelbrock vement limitées. On attend plus de lois offre un jeu net et précis, fine-
froncer le sourcil à chaque inter- d’avoir ressuscité cette première légèreté dans le jovial Caprice op. 16 ment articulé, quand son confrère
vention du ténor Barry Banks, Doc- mouture à Baden-Baden, à la faveur no 2 (une page qui, pour Jean-Fran- italien, avec une sonorité plus ronde,
tor Marianus pas toujours gracieux d’un concert dont ce CD porte té- çois Zygel, illustrerait parfaitement privilégiait la mise en lumière du
(« Höchste Herrscherin der Welt » moignage. Mais ses affinités et celles la gracieuse course de Bambi dans caractère propre à chaque œuvre
et surtout « Blicket auf ») ? du Balthasar Neumann Ensemble les bois), plus de rondeur dans les plutôt que la limpidité des phrasés.

I 83
Messiaen / Mondonville / Mozart / Mustonen / Novak / Perosi

BAROQUE ITALIEN Prenons par exemple la Danse des fin du temps, Stalag VIIIA (2018) de
par Denis Morrier
ours : le premier nous livre une al- Murail emprunte à la partition du
lègre turquerie, le second donne à maître quelques structures d’ac-
▸ Sacrifiant au rituel du disque de Noël, La Capella della Torre
entendre les grognements et la ba- cords, d’infimes éléments ryth-
– avec ses trois chanteurs environnés de flûtes, chalemies,
lourdise des bêtes sauvages. Preuve miques et mélodiques, tous habi-
luths et percussions à gogo – livre un étrange
que même dans des œuvres mi- lement intégrés au langage propre
gloubi-boulga. De Ciconia, Isaac, Cazzati ou Frescobaldi,
neures, deux approches sont pos- du disciple. Ces onze minutes for-
voici donc des fragments de messes, danses
sibles pour illustrer le génie du divin ment, ainsi positionnées en ouver-
profanes et laudes anonymes. Tout s’amalgame
Felix. Jérôme Bastianelli ture de programme, un prélude
dans une « Renaissance » qui couvrirait trois siècles
« préparatoire » à l’écoute d’un es-
et une interprétation qui recycle uniformément
OLIVIER MESSIAEN sentiel chef-d’œuvre.
instrumentations, rythmiques outrées et tambourinades
1908-1992 Patrick Szersnovicz
exaspérantes (« Capriccio pastorale », DHM, Y ).
Y Y Y Y Y Quatuor pour la fin
▸ Couplage improbable : le Gloria baroque (et inédit) du temps. MURAIL : Stalag VIIIA. JEAN-JOSEPH CASSANÉA
d’Antonio Caldara (1707) et la néoclassique Lauda per Het Collectief. DE MONDONVILLE
la Natività del Signore d’Ottorino Respighi (1929) Alpha. Ø 2021 et 2022. TT : 1 h 01’. 1711-1772
sont interprétés avec propreté par l’orchestre TECHNIQUE : 4/5 Y Y Y Y Daphnis et Alcimadure.
de chambre de Canova et les voix profuses Quatre musiciens Elodie Fonnard (Alcimadure),
d’Intende Voci, sous la direction de Mirko Guadagnini. de Het Collec- François-Nicolas Geslot (Daphnis),
Manquant de style et d’unité chez Caldara, tief, ensemble Fabien Hyon (Jeanet), Hélène
les chœurs (malgré leurs stridences) et les trois belge à géomé- Le Corre (Clémence Isaure),
chanteurs (au vibrato marqué et parfois peu assurés) trie variable, as- Les Eléments, Les Passions,
convainquent mieux dans Respighi, sans pour autant approcher socient à l’œuvre Jean-Marc Andrieu.
les sommets poétiques de l’enregistrement déjà ancien de Messiaen celle, écrite pour le Ligia (2 CD). Ø 2022. TT : 2 h 06’.
de Richard Hickox (Urania, Y Y Y ). même effectif (clarinette, violon, TECHNIQUE : 3,5/5
▸ Jadis gravés par I Musici (Philips), les Concerti grossi violoncelle et piano) par l’un de ses Le 29 octobre
de l’Opus 8 (1709) de Giuseppe Torelli voient élèves, Tristan Murail, figure de la 1754 se tient à
leur interprétation renouvelée par l’ensemble mouvance spectrale. Fontainebleau la
Locatelli que dirige Chiara Cattani : face à un ripieno Frappant par l’originalité foncière création d’un
puissant et investi, les violons solos, certes agiles de son langage rythmique et modal, drôle d’opéra :
et brillants, paraissent parfois étriqués et approximatifs, le Quatuor pour la fin du temps fut Daphnis et Alci-
en particulier dans la célèbre Pastorale de Noël, composé durant les derniers mois madure, « pastorale languedo-
autrefois magnifiée par Christopher Hogwood et Giovanni de 1940 et les premiers jours de cienne ». Mondonville étant né à
Antonini (Tactus, Y Y Y ) 1941, alors que Messiaen était en Narbonne et disposant d’interprètes
▸ Révélées par l’Academia Filarmonici d’Alberto Martini captivité au stalag VIIIA. Ses huit eux aussi venus du Sud – au premier
dans la monumentale Bonporti Edition (Naxos), les sonates mouvements contrastent autant par rang desquels les deux stars Jélyotte
en trio de l’Opus 6 du Padouan Francesco Antonio leurs dimensions et leur caractère (originaire de Lasseube, près de Pau)
Bonporti (1672-1749) connaissent grâce aux Labirinti que par leurs combinaisons instru- et Marie Fel (née à Bordeaux) – a
Armonici, une nouvelle intégrale. Il faut vite déchanter. mentales (la formation n’apparaît lui-même rédigé le livret en langue-
Desservie par une prise de son qui surexpose au complet que dans les mouve- docien. Après sa reprise dans la fou-
le premier violon, l’exécution manque cruellement ments I et VI, au début et à la fin du lée à l’Académie royale de musique,
de délicatesse : justesse relative, ornementation II et dans certains épisodes du VII). l’œuvre connaît un certain succès
peu inventive, agressivité des gigues (Brilliant Classics, Y Y ). Malgré la rigoureuse précision de en province, elle est jouée à Bor-
ses directives d’exécution, destinées deaux, Toulouse, Millau, Béziers,
▸ Les cantates de Domenico Scarlatti destinées au castrat à créer une sensation d’apesanteur Nîmes, Montpellier… Cinq parodies
Farinelli ont fait l’objet de maintes gravures (d’Eckersley à Cencic). et d’intemporalité, l’œuvre permet attestent aussi la fortune de l’ou-
Ana Veira Leite, accompagnée par les deux violons des approches très différentes. vrage (dont une pantomime intitu-
et le continuo de Concerto 1700, en propose Rude, austère, fouillée dans le dé- lée Alcimatendre).
une lecture démonstrative, aux colorations uniformes tail, la lecture de Het Collectief Mondonville a cherché à ancrer
(cordes agressives, chant assuré mais peu nuancé, tranche avec celle, plus sensuelle l’œuvre dans un certain régiona-
ornementation convenue), plus impérieuse que délicate. et gratifiante sur le plan des timbres, lisme. Le cœur de l’acte II est ainsi
(« Amorosi accenti », 1700, Y Y Y ) de Raphaël Sévère avec le Trio Mes- une chasse au loup. Outre l’inser-
▸ Dans l’acoustique réverbérée de la cathédrale de Fribourg, siaen (Mirare, Diapason d’or, cf. sion d’un « air du pays » à l’acte I,
auréolée des sonorités généreuses de son orgue de 1657 no 676). Pourtant, les nouveaux ve- basé sur une chanson populaire,
(lequel est supérieurement tenu et registré par Marc Meisel), nus apportent, jusque dans les plusieurs Tambourins – danse d’ori-
les motets du Bolonais Maurizio Cazzati (1616-1678) phases les plus librement auda- gine provençale – parsèment la par-
reçoivent une interprétation chatoyante, cieuses (solo de clarinette d’Abîme tition qui fait, par ailleurs, la part
où brille avec éloquence le radieux soprano des oiseaux) ou extatiques (Louanges belle aux italianismes : mélodies
Ayako Ono. A ses côtés, deux violonistes inspirés pour cordes et clavier), et par-delà d’apparence simple dans la lignée
abordent de délicieuses Sonate a 3 de Colonna l’extrême variété des accents, une des « Bouffons » qui avaient tant
et Aresti. Une anthologie sacrée rigoureusement densité de l’expression et une conti- séduit Paris, traits de violons, voca-
construite et servie avec autant de subtilité que d’invention nuité dramatique admirables. lises brillantes…
(Brilliant Classics, Y Y Y Y Y ). Ayant pour titre le nom du camp Objet d’un enregistrement confi-
où fut composé le Quatuor pour la dentiel en 1981 (Ventadorn), la

84 I
partition reçoit ici sa première gra- en étant à l’écoute des initiatives Mais le forgeron Ilmarinen parvien- politiques de sa patrie. Sa produc-
vure sur instruments anciens dis- originales de la soliste, n’est jamais dra à rendre aux astres leur liberté. tion musicale, diverse, de l’expéri-
ponible en CD. Jean-Marc Andrieu pris en défaut d’enthousiasme. Mais D’un seul tenant, la fresque déroule mental au très convenu, ne se fixa
y dirige avec un enthousiasme pal- tout cela ne suffit pas pour s’impo- les étapes de l’histoire à grand ren- jamais sur un style précis, comme
pable un orchestre Les Passions très ser dans la discographie. fort d’images sonores : mélodie de l’illustre cet hommage rendu au
investi – même s’il n’est pas toujours Simon Corley basson harmonisée en style de cho- compositeur par ses deux filles, la
irréprochable, en particulier du côté ral (introduction), arpèges de piano flûtiste Clara et la pianiste Dora.
des violons, très sollicités. Le chœur YYY Requiem. Exsultate, et harpe (envol de Louhi, déguisée Les Choreae vernales (1980) pour
de chambre Les Eléments se montre jubilate. Ave verum corpus. en oiseau), percussions explicites flûte, célesta, harpe et petit or-
en deçà des enjeux, manquant de Marie Lys (soprano), (le forgeron). Elle s’achève sur un chestre à cordes, cultivent une jo-
cohésion et de précision. Beth Taylor (contralto), climax orchestral et vocal, matéria- liesse de timbres tout à fait surannée.
Elodie Fonnard domine la distribu- Cyrille Dubois (ténor), lisant le lever de soleil. Des emprunts L’œuvre peint dans un diatonisme in-
tion de son soprano bourré de Hanno Müller-Brachmann (basse), à une vieille chanson finnoise et à solent un printemps éclairé de fluides
charme, se tirant avec brio des vo- Ensemble vocal de Lausanne, un trepak karélien teintent fugace- couleurs et balayé de bourrasques.
calises et illuminant chacune de ses Orchestre de chambre ment son langage tonal assumé. Son éclat sensoriel violent inspire
apparitions. François-Nicolas Ges- de Lausanne, John Nelson. C’est un roman historique de Mika à Clara Novakova et ses complices
lot s’acquitte honorablement de sa ICA Classics. Ø 2023. TT : 1 h 02’. Waltari qui a inspiré la Symphonie une stylisation rayonnante.
partie, même si la voix accuse çà et TECHNIQUE : 3,5/5 no 2 (2013) et lui a fourni son sous- Les concertos (1955 et 1977) para-
là un rien de fatigue. Son timbre Dans ces œuvres titre (« Johannes Angelos »). Ses phrasent Martinu (mentor de Novak)
élégiaque convient bien au rôle de sacrées de Mo- quatre mouvements illustrent la fin voire Stravinsky sans avoir ni leur
Daphnis et se distingue de celui, zart enregistrées de l’empire byzantin en 1453. Mé- clarté ni leur envergure. La direc-
plus corsé, de Fabien Hyon, Jeanet en public, John lodies plaintives de vents et phrases tion de Tomas Netopil et le jeu des
engagé et presque gouailleur. Dans Nelson joue lentes de cordes sont tantôt ryth- solistes, mal différenciés, y installent
le prologue, Hélène Le Corre prête d’abord sur les mées par les percussions (La Vierge un flou de texture et d’articulation
son mezzo charnu à Clémence Isaure, contrastes : à la sérénité éthérée des Blachernes), tantôt hiératiques absent de la gravure princeps (1957,
non sans quelques tensions dans de l’Ave verum succède le radieux (A l’église des Saints-Apôtres). Les Supraphon) du concerto pour deux
l’aigu. La séduction de la musique Exsultate, jubilate, où Marie Lys dé- couleurs exacerbées de l’orchestre pianos sous les doigts du compo-
l’emporte malgré tout sur les ré- roule correctement ses vocalises. et une certaine âpreté rythmique siteur et de son épouse. Faut-il pré-
serves. Si ce n’est pas une version Le Requiem est plus froid et étale, reflètent la violence des conflits (Le ciser que Karel Ancerl donnait à
de référence, c’est tout de même même si les moments de caractère Jour de la Saint-Spyridon, Aleo e l’œuvre un tout autre relief ?
un peu plus qu’une version d’attente. dramatique, animés par une battue polis – ce qu’on peut traduire par De même, le Concentus biiugis –
Loïc Chahine assez raide, sont abordés dans un La cité est tombée). Des pages ly- qui force les pianistes à des croise-
tempo vif. L’Orchestre de chambre riques évoquent (fugitivement) An- ments périlleux à quatre mains sur
WOLFGANG AMADEUS de Lausanne, peu mis en avant par gelos et Anna, les héros du roman toute l’étendue du clavier – a été
MOZART la prise de son, paraît chétif. L’En- qui se rencontrent puis périssent bien mieux rendu, récemment, par
1756-1791 semble de vocal de Lausanne est lors de ces derniers jours de les solistes placés sous la baguette
Y Y Y Concertos pour violon agréablement délié et le quatuor Constantinople. de Gabriela Tardonova (Toccata
nos 1, 2 et 5. de solistes tire convenablement son Malgré sa palette profuse et l’impli- Classics). Pascal Brissaud
Aisslinn Nosky (violon), épingle du jeu. Mais comment ce cation de Ian Bostridge (dans la Sym-
Handel and Haydn Society. Requiem pourrait-il s’imposer dans phonie no 2), la musique accuse un LORENZO PEROSI
Coro. Ø 2019-2023. TT : 66’. une discographie pléthorique ? manque de relief que ne comble 1872-1956
TECHNIQUE : 4/5 Simon Corley pas l’interprétation du Philharmo- Y Y Y Y Quintettes avec piano
Le second volume nique de Turku dirigé par le com- nos 3 et 4. Trio à cordes no 1.
de l’intégrale OLLI MUSTONEN positeur. Anne Ibos-Augé Six trios à cordes d’exercice
des concertos NÉ EN 1967 Matteo Bevilacqua (piano),
pour violon enre- Y Y Y Y Symphonies nos 2 JAN NOVAK Roma Tre Orchestra Ensemble.
gistrée en public « Johannes Angelos » 1921-1984 Naxos. Ø 2022 TT : 57’.
par Ais slinn et 3 « Lumières célestes »*. Y Y Concerto pour deux pianos. TECHNIQUE : 4/5
Nosky ne présente pas les plus re- Ian Bostridge (ténor)*, Concentus biiugis pour piano Après le Trio à
marquables des cinq. Il faut donc Orchestre philharmonique quatre mains (a). Choreae cordes no 2 du
saluer l’engagement que la violo- de Turku, Olli Mustonen. vernales (b). prêtre romain
niste canadienne, Concertmaster Ondine. Ø 2022-2023. TT : 1 h 04’. Clara Novakova (flûte) (b), Lorenzo Perosi
de la Handel and Haydn Society, TECHNIQUE : 4/5 Dora Novak-Wilmington, Karel et ses deux pre-
déploie pour défendre les deux pre- Comme le trio Kosarek (piano) (a), Orchestre miers quintettes
miers, typiques d’un style galant qui pour ténor, vio- symphonique de la Radio avec piano (cf. no 718), voici les deux
risquerait sinon de paraître souvent loncelle et piano de Prague, Tomas Netopil. autres, écrits en 1931, et son Trio à
vain. Les cadences ne manquent dont elle est la Supraphon. Ø 2022. TT : 1 h 12’. cordes no 1 (1928), toujours par les
pas de panache et même d’humour, refonte, la Sym- TECHNIQUE : 3,5/5 mêmes interprètes. Chacune d’un
suscitant les rires des spectateurs, phonie n o 3 La carrière du quart d’heure environ, les trois par-
mais comme dans le volet précé- (2020) trouve son origine dans une Morave Jan No- titions illustrent le style assez peu
dent (cf. no 700), le son est ténu, légende finlandaise. Louhi, maîtresse vak a été mar- personnel et la solide technique
pas toujours agréable, et la justesse (diabolique) du pays de Pohjola, y quée au fer d’un compositeur évoquant tour à
parfois incertaine. L’orchestre bos- emprisonne le Soleil et la Lune, lais- rouge par les vi- tour Bach, Schumann ou Fauré.
tonien, plaisant et confortable tout sant les habitants dans l’obscurité. cissitudes Matteo Bevilacqua et ses musiciens

I 85
Quentin / Sacchini / Salgado / Santa Maria / Schmidt / Schubert

l’héritage de son riche oncle. Pour


Nouveauté l’édification du public, Philippe dé-
joue néanmoins les deux allégories
pour violon. Il en va de même dans les sonates et réussit à déstabiliser Fasto. C’est
JEAN-BAPTISTE QUENTIN de Corelli « ajustées à la flûte avec la basse ».
l’occasion de beaux airs stéréoty-
CA 1690-CA 1742 pés qui ne brillent guère par leur
Sonates pour violon et basse On pouvait craindre que la transposition vers finesse. Le Sacchini d’avant ses
continue nos 6, 4 et 10 (Largo) l’aigu engendrât quelque stridence : il n’en est voyages à travers l’Europe n’est
du Livre III, nos 2 (Andante) rien, le timbre demeure partout somptueux. pas encore le compositeur auda-
et 10 (Largo) du Livre II, op. 14 no 4. Ecoutez, dans la no 4, comme les ornements cieux de Chimène ou d’Œdipe à
CORELLI : Sonates pour violon de l’Adagio coulent, comme la virtuosité de Colonne. Il n’en livre pas moins une
et basse continue op. 5 nos 3, 4 et 5. l’Allegro et du Vivace virevolte, sans rien pour- musique napolitaine brillante, vive,
Anna Besson (flûte), Myriam Rignol (viole
tant d’ostentatoire, comme l’Adagio déploie enjouée, dont l’invention mélodique
de gambe), Jean Rondeau (clavecin et orgue).
son lyrisme pudique ! Et quelle exquise déli- manque toutefois tellement de pro-
Alpha. Ø 2022. TT : 1 h 14’.
TECHNIQUE : 4/5 catesse dans le finale ! Dans la no 3, l’Allegro fondeur et de surprises qu’elle
Enregistré par Aline Blondiau en juillet 2022 nous promène de tourbillons en accalmies donne l’impression d’entendre plu-
au Collège de Hollande, Louvain (Belgique). avec une maestria réjouissante. La captation sieurs fois le même air.
Une image sonore à la fois dense et ample, offrant L’interprétation très sautillante du
en proximité autorise à la musicienne des
un relief subtil. Captée en très grande proximité, Concerto de Bassus que dirige Franz
la flûte y est localisée à l’avant-scène. Toujours
amuïssements délicieux, tels ceux dont elle Hauk évite toutefois l’ennui, même
au centre mais en arrière-plan, se superpose pare l’Adagio de la même sonate. si l’on aurait aimé plus d’assise sur
au clavecin ou à l’orgue positif, une viole de gambe Des pages de Quentin voisinent sans avoir nul- la basse continue. Aguerris à ce ré-
qui fait corps avec lui. lement à rougir avec le génie corellien, ainsi pertoire, les chanteurs peignent
l’Andante pris dans la Sonate no 2 du Livre II, avec facilité leur personnage et af-

N
é vers 1690 à Paris, Jean-Baptiste où la complémentarité de la flûtiste avec ses frontent dignement, mais sans bril-
Quentin dit « le Jeune » intègre partenaires fait des merveilles. Besson trouve lant, une partition techniquement
comme violoniste l’Académie partout en Jean Rondeau un soutien attentif et exigeante : ainsi les longues arias
royale de musique en 1718. Il publie inventif – tant pis si la basse d’archet est çà et parcourent souvent un large ambi-
à partir de 1728 quatre Livres de là plus prosaïque. L’Allegro de l’Opus 14 no 4 tus, Fasto doit enchaîner deux airs
pourrait n’être qu’un aimable cui-cui ; par sa très exposés au début de la seconde
sonates pour son instrument, ainsi qu’un
partie et le saint fait déferler les
volume de sonates en trio et deux recueils tenue, son investissement, il nous ravit.
notes piquées en écho à l’orchestre
à quatre parties. Dans le sillage La Sonate no 4 du Livre III fait dans le sommet de l’œuvre, « Coll’ira,
de Corelli, sa musique épouse presque songer à Handel : l’Un che t’accende ».
les codes de son époque. poco adagio envoûte, ce tour Guillaume Saintagne
Anna Besson en révèle magis- galant qui parcourt une bonne
tralement le charme. Une sono- part de la musique européenne LUIS HUMBERTO SALGADO
rité splendide, un discours dans le deuxième tiers du 1903-1977
vibrant et admirablement XVIIIe siècle traverse la délicate Y Y Y Sonate pour alto et piano.
poli exercent d’emblée une Aria en rondeau en fin de pro- Selene. Sonate pour violoncelle
séduction que rien ne viendra gramme. Voilà bien l’un des plus et piano. Quintette pour vents.
démentir. La flûtiste fait tota- beaux disques de flûte baroque Kansas Virtuosi.
Naxos. Ø 2021-2022. TT : 1 h 14’.
lement oublier que les sonates entendu depuis longtemps.
ici rassemblées ont été pensées PLAGE 5 DE NOTRE CD
TECHNIQUE : 3/5
Loïc Chahine
Après avoir puisé
dans le folklore
de son pays, le
du Roma Tre Orchestra s’y montrent Ketevan Chuntishvili (Povertà), de la Contre-Réforme) s’est vite compositeur
d’une probité exempte de reproche, Markus Schäfer (Fasto), muée en dramma per musica, alors équatorien Luis
mais peinent à offrir à ces pages Daniel Ochoa (Inganno), que naissait l’opéra. H. Salgado ex-
les couleurs et le relief qui les ren- Concerto de Bassus, Franz Hauk. La vie du saint, qui abandonna ses plora les ressources de la polyto-
draient peut-être un peu plus vi- Naxos (2 CD). Ø 2022. TT : 1 h 54’. richesses familiales pour se consa- nalité, du néoclassicisme et du do-
vantes. Complément plus anecdo- TECHNIQUE : 3/5 crer à Dieu, est ici prise comme décaphonisme. Cette versatilité ne
tique encore : sept exercices pour Saint Philippe Neri sujet par Antonio Sacchini. Son ora- laisse guère transparaître une per-
trios à cordes des années 1920, est considéré torio sur un livret anonyme honore sonnalité affirmée, comme le
simples et brévissimes travaux d’écri- comme le père une commande passée par les jé- confirme, en parallèle de ses neuf
ture de quelques dizaines de se- de l’oratorio, suites du Collegium Germanicum symphonies (gravées récemment
condes. Jean-Claude Hulot puisqu’il fonda et Hungaricum de Rome et desti- pour Brilliant), une production cham-
l’ordre des Ora- née au Carême de 1765. Dans cette briste dont Naxos livre un premier
ANTONIO SACCHINI toriens au sein duquel germa cette azione sacra, la Pauvreté soutient florilège. Il a pour attrait principal
1730-1786 forme musicale. L’alternance de et guide Philippe contre les stra- une sonate pour alto (1973) qui sty-
Y Y Y Y L’abbandono delle chants (laudes) et de commentaires tagèmes de Pompe (Fasto) et Illu- lise des mélodies (pentatoniques)
ricchezze di San Filippo Neri. des textes sacrés (tels qu’on les pra- sion, qui fait vibrer la corde fami- et danses traditionnelles. Avec son
Yeree Suh (San Filippo Neri), tiquait dans cet ordre emblématique liale pour le convaincre d’accepter piano énergique et son archet

86 I
mi-guitare, mi-danseur, le finale entre les différentes voix), qui fait extrêmement subtile tout comme peut-être cœur véritable du par-
s’enroule autour d’un albazo au ici cruellement défaut. La cadence une charge émotionnelle considé- cours, malgré son insolite concision.
rythme caractéristique. qui clôt le pénultième vers du Sanc- rable – Schmidt l’a écrite après la Ni l’éphémère et cinglant scherzo,
L’austère quintette à vents (1958), tus en apporte hélas la confirma- mort de sa fille. Mais, là encore, la ni l’ample et parfois rude finale ne
revendiquant un langage « poly- tion : extrêmement douteuse dans concurrence est rude : le regretté vont rompre la continuité drama-
technique », intègre des passages sa réalisation, elle nous ramène un Kreizberg, Welser-Möst, Petrenko tique et une expression à la fois sé-
sériels dans des épisodes aux har- siècle ou deux en arrière. avec Berlin et, surtout, Mehta à vère et transparente.
monies tonales. La sonate pour vio- Cette lecture au premier sens du Vienne, gravure dont la découverte Les six Moments musicaux D 780
loncelle (1962) procède d’une écri- terme ne dépasse guère l’archéo- détermina la passion de Berman (réunis en 1827, mais plus anciens)
ture néoclassique un peu plus logie, et ne convainc pas davantage pour le compositeur. émeuvent par la sonorité d’ensemble
avenante. Saluant en 1969 l’alunis- sur le plan technique : les voix, mal En tant que somme, cette nouvelle autant que la coloration des divers
sage d’Apollo 11, le « trio program- placées, peu aidées par ces flûtes intégrale approche la récente réus- registres. Diversifiées et secrètes,
matique » pour vents Selene (1969) à bec en doublure – ensemble re- site de Paavo Järvi (DG, Diapason les ombres portées par le pianiste
s’avère plus rébarbatif, sauf à ima- doutable s’il en est – à la justesse d’or, en trois CD seulement). Re- français paraîtront peut-être trop
giner qu’il veut illustrer le vide trop souvent fragile. Heureusement, grettons l’absence des deux autres denses à certains. Ciselant le détail
intersidéral… un Benedicamus Domino, étranger grandes pages symphoniques de sans être trop à l’écoute de lui-
Pour convaincre tout au long de cet à la messe-parodie et de grande Schmidt, les Variations sur un thème même, il conjugue le naturel, sinon
ensemble assez hétérogène, il eût beauté, sauve la mise. Pour ama- hussard et la Chaconne, qui auraient la simplicité de l’allure, et la raré-
fallu des interprètes plus investis teurs de curiosités. pu tenir sur ces CD. Seul Vassili Si- faction, voire la distanciation des
que cette réunion d’étudiants et de Clément Stagnol naïski (Naxos) les a judicieusement climats et des paysages. Le mou-
professeurs de l’université du Kan- incluses. Jean-Claude Hulot vement et l’apparente immobilité
sas regroupés sous le vocable pré- FRANZ SCHMIDT de ses inflexions respirent la puis-
somptueux de Kansas Virtuosi. 1874-1939 FRANZ SCHUBERT sance d’un rêve éveillé.
Jean-Claude Hulot Y Y Y Y Y Les quatre symphonies. 1797-1828 Patrick Szersnovicz
Notre Dame (Intermezzo Y Y Y Y Y Sonate pour piano
FRANCISCO et Musique du carnaval). D 959. Moments musicaux Y Y Y Y Y Sonate pour violon
DE SANTA MARIA BBC National Orchestral of Wales, D 780. et piano D 574. Fantaisie
1532/8-1597 Jonathan Berman. Adam Laloum (piano). pour violon et piano D 934.
Y Y Y Missa O beata Maria. Accentus (3 CD). Ø 2020-2022. HM. Ø 2023. TT : 1 h 16’. Rondeau brillant pour violon
Benedicamus Domino. TT : 3 h 30’. TECHNIQUE : 4,5/5 et piano D 895.
Et œuvres de Guerrero, Carreira, TECHNIQUE : 4/5 Trois ans après Viktoria Mullova (violon),
Escobar et anonyme. L’enthousiasme d’exemplaires Alasdair Beatson (pianoforte).
Arte Minima, Pedro Sousa Silva. du chef anglais Sonates D 894 Signum. Ø 2021. TT : 1 h 02’.
Pan Classics. Ø 2022. TT : 58’. Jonathan Ber- et D 958 (HM), TECHNIQUE : 3,5/5
TECHNIQUE : 3/5 man pour les Adam Laloum S’il pratiqua le
Jusqu’ici inconnu symphonies du livre de la D 959 violon dès l’en-
au disque, Fran- Viennois Franz en la majeur (1828) une interpréta- fance, Schubert
cisco de Santa Schmidt est avant tout sensible dans tion d’une rare souplesse expres- le fit rarement
Maria, né Fran- les symphonies impaires. De la ju- sive et d’une extrême limpidité. Nul dialoguer avec
cisco Moro, fut vénile et heureuse 1re (1899), il fait monolithisme, nulle déclamation le piano. Outre
un maître de ressortir, par-delà les influences trop verticale dans le vaste premier les Sonatines (1816), il laissa trois
chapelle d’origine espagnole dont (Bruckner et Strauss essentiellement), mouvement, au tempo vif et animé œuvres qui constituent ce pro-
la carrière se déroula pour l’essen- la richesse d’inspiration – « je chante, lorsqu’il le faut. Nul refus du chant gramme. Viktoria Mullova y emploie
tiel au monastère de Santa Cruz moi, comme l’oiseau chante dans non plus dans ce jeu au toucher sub- le Guadagnini de ses aventures ba-
de Coimbra, ville portugaise dotée le feuillage », selon le vers de Goethe til, mais un lyrisme savamment in- roques et classiques : un instrument
d’une université alors florissante. placé en exergue de la partition. tense et retenu, mêlé de clarté mi- de 1750, monté en boyau, dont les
La Messe O beata Maria relève de Berman prend son temps dans l’au- nérale, nuancé d’angoisse et de aromes boisés s’exhalent particu-
la technique de la messe-parodie : tomnale 3e (1928), dont le lyrisme mystère. Laloum n’y entend pas une lièrement dans le médium. N’étaient
elle s’inspire d’un motet de Pedro s’épanouit, livrant ici le plus bel Ada- idylle, mais un Schubert de feu et des aigus pincés dans certains pas-
Guerrero (ca 1520-après 1560), que gio de la discographie. de glace. Sa lecture se révèle moins sages du redoutable Rondeau (1826),
les artistes ont la bonne idée d’in- En revanche, la monumentale 2e rugueuse, violente, décantée que l’ampleur de l’instrument se ré-
sérer en tête de programme. (« le plus éblouissant monument de celle de Serkin (Sony, le must), moins chauffe d’un vibrato toujours distillé
Si la messe offre moins d’intérêt que la symphonie viennoise après Mah- nocturne et hivernale que celle de à bon escient. A cette sonorité cor-
le motet, c’est aussi le résultat so- ler », selon Langevin), fascinante Lupu (Decca), mais presque aussi sée sans être étriquée, Alasdair Beat-
nore du parti pris revendiqué par d’inventivité et de luxuriance, pâtit analytique que celle de Brendel en son répond par la rondeur envelop-
les interprètes : utiliser le matériel d’une prise de son insuffisamment 1987 (Philips). pante de son pianoforte, réplique
provenant de la source elle-même, détaillée, mais aussi de la sonorité Foisonnant d’idées neuves à chaque d’un Graf de 1819 auquel les micros
toujours en parties séparées, plutôt trop neutre de la phalange galloise incise et chaque développement, confèrent une belle présence.
que d’élaborer une édition de tra- – surtout en regard des témoignages le Molto moderato initial trace une Dans la Sonate en la majeur (ou
vail qui les superposerait dans un qu’en laissent les Wiener Philhar- ligne intérieure qui resurgit et se Grand Duo, 1817), les timbres s’op-
« conducteur ». Encore faut-il pos- moniker (Mitropoulos, Leinsdorf, prolonge dans l’Andantino, par-delà posent sans réellement se mélan-
séder une compréhension satisfai- plus récemment Bychkov). le fantastique hoffmannesque et ger, ce qui n’est pas un contresens
sante du contrepoint (les rapports La 4e trouve un interprète inspiré, l’orageuse et subite explosion de dans une œuvre aux humeurs ins-
de consonances ou dissonances mettant en valeur une construction son épisode central. Apogée et tables : de brusques éclats de voix

I 87
Schubert / Schumann / Sibelius / Sperger / Stamitz / Strauss

résonnent même dans le délicat Puis tout dévale dans une stupeur des textures limpides, un trait par- conduisent au cœur des ténèbres
Andantino. Cette lecture vigoureuse, blanchie, où la sonorité feutrée et fois erratique qui leur confèrent une d’Il tempo largo, vaste mouvement
emportée parfois (le Presto) sou- les couleurs éteintes du vieux Bechs- certaine étrangeté. En témoignent déjà proche de l’univers dévasté du
ligne davantage que Naaman Slu- tein (1905) de Le Bozec confinent l’Air varié – dont Joseph Tong re- futur Tapiola (1926). Energique mais
chin et Piet Kujiken la parenté bee- à l’hypnotique (Die Krähe). Avant lève, dans son texte de présenta- en demi-teinte, instable et jouant
thovénienne de la partition que le cycle ne se referme sur l’ex- tion, qu’il habite le même monde sur la bitonalité et d’âpres disso-
(Passacaille, cf. no 713). De dix ans tinction du Leiermann, Die Neben- compositionnel que le Quatuor à nances, le finale n’apporte qu’un
postérieure, la Fantaisie est aussi sonnen aura résonné comme un cordes « Voces intimae » (son illusoire répit et ne se départ jamais,
bien servie : si l’Allegretto pourra ultime appel de détresse, qu’on croit contemporain) – ou Le Berger, dont sous la baguette de Rouvali, d’un
sembler un brin sévère, les varia- bien n’avoir entendu ainsi dans au- les brusques ruptures de ton sont fascinant dramatisme ascétique.
tions de l’Andantino sont parfaite- cune autre version. En fait de « lec- plutôt audacieuses. Les compléments sont également
ment différenciées. On admirera ture », les deux complices semblent Dans ce troisième volume d’une splendides. Une cinglante Valse
surtout la conduite harmonique du s’en être remis entièrement à Schu- intégrale en cours, l’interprète se triste (1903), dont l’expression-
frémissant Andante molto, dont le bert, n’esquivant rien de ses aspé- signale autant pour sa probité, une nisme pathétique et languide est
retour prépare un Allegro vivace rités, de sa cruauté et de cette irré- certaine humilité aussi, que par son ici transcendé par l’élan visionnaire,
triomphant. médiable solitude qui, à mesure amour communicatif de pièces dont succède au poème symphonique
Pour découvrir le reste de ce réper- qu’avance le Voyageur, vient nimber beaucoup méritent à coup sûr une La Nymphe des bois (1895), par-
toire sur instruments d’époque, cher- de silence leur interprétation. La plus large reconnaissance. couru d’intenses et subtils chan-
chez l’intégrale Daskalakis/Giaco- vérité nue à laquelle ils ont l’humi- Bertrand Boissard gements d’éclairage. La fulgurante
metti (Bis, cf. no 698), plus séduisante lité de s’exposer devient ici celle de direction de Rouvali lui redonne tout
sur le plan sonore. Si l’essentiel vous Schubert même – et donc la nôtre. Y Y Y Y Y Symphonie no 4. son souffle dévastateur et son ro-
suffit, ce disque est pour vous. Sylvain Fort La Nymphe des bois. Valse triste. mantisme très imagé.
Marc Lesage Orchestre symphonique de Patrick Szersnovicz
JEAN SIBELIUS Göteborg, Santtu-Matias Rouvali.
YYYYY Winterreise. 1865-1957 Alpha. Ø 2021-2023. TT : 1 h 04’. JOHANN MATTHIAS
Cyrille Dubois (ténor), Y Y Y Y Florestan. Largo. TECHNIQUE : 4/5 SPERGER
Anne Le Bozec (piano). Six impromptus op. 5. D’une tension dis- 1750-1812
NoMadMusic. Ø 2021. TT : 1 h 16’. Huit petits morceaux op. 99. sonante et d’une Y Y Y Quatuors à cordes op. 1.
TECHNIQUE : 3,5/5 Dix pièces op. 58. grandiose nu- Membres de l’Académie
Tout artiste s’ap- Joseph Tong (piano). dité, la Sym- de chambre de Potsdam.
prochant du Quartz. Ø 2022. TT : 1 h 13’. phonie n o 4 CPO. Ø 2021. TT : 56’.
Winterreise de- TECHNIQUE : 4/5 (1910-1911) en la TECHNIQUE : 4/5
vrait renoncer à L’œuvre pour mineur demeure le chef-d’œuvre le Né en Moravie,
en révéler les se- piano de Sibelius plus exploratoire de Sibelius sur le actif à Bratislava,
crets, et être reste largement plan du langage harmonique, et V ienne puis
prêt à voir ses propres secrets mis dans l’ombre, sans doute le plus radical, le plus Schwerin, Sper-
au jour par l’œuvre de Schubert. malgré les su- désespéré. Entre abstraction lyrique ger était un vir-
Rien de tel pour déceler les natures perbes antholo- et expressionnisme, elle sonne tuose de la
indifférentes, neutres, élusives, fac- gies d’Andsnes (Sony, Diapason d’or) comme un paysage ravagé par un contrebasse à laquelle il consacra
tices. Rien de tel aussi pour trahir et Gothoni (Ondine) et l’intégrale cyclone, un combat contre les forces pas moins de dix-huit concertos.
les failles, les angoisses, la réserve tout à fait digne d’intérêt de Havard du chaos. A la tête d’un Sympho- Parmi ses très nombreuses œuvres,
de compassion dont disposent ceux Gimse (Naxos). Une somme certes nique de Göteborg rompu à cette neuf quatuors, datant sans doute
qui s’y aventurent. Il faut accepter inégale, constituée pour l’essentiel musique, Santtu-Matias Rouvali en des années 1780, nous sont parve-
d’être transpercé par Schubert. Tel de miniatures, où les joyaux ne sont offre une interprétation de très haut nus, dont les trois formant l’Opus 1,
est Cyrille Dubois ici, soutenu par pas rares. On placera au sommet vol, qui fait suite à d’exemplaires redécouverts en 1990.
le piano d’Anne Le Bozec. les Impromptus op. 5 (1893), qui al- 1re, 2e, 3e et 5e (cf. nos 676, 688, 717). S’ils apparaissent bien comme
Il s’engage dans ce cycle avec un ternent tons grave (no 1) et prime- Moins rugueux et granitique que étant d’un contemporain de Haydn
tremblement respectueux sensible sautier (no 2), marche débonnaire Barbirolli/Hallé (Warner), moins uni- et Mozart, ils ne comportent que
dès les premiers lieder. Un rien d’in- (no 3) et somptueuses sonorités iri- ment austère que Berglund I et II trois mouvements (alors que la plu-
quiétude affleure dans Gute Nacht. descentes (no 5). Le tout dernier, (Warner), mais, tel Okko Kamu avec part des quarante-cinq symphonies
Une vulnérabilité s’avoue, une dis- sous ses airs de danse rustique, Lahti (Bis), qui favorisait partout des de Sperger en comptent quatre) et
position à se laisser gagner par une s’impose comme une des plus émou- arêtes fines, le chef finlandais se font la part belle au premier violon
sidération glacée que Schubert ins- vantes confidences de Sibelius au montre à la fois flamboyant et (l’alto et le violoncelle ne s’éman-
tille d’emblée (Erstarrung). Et puis, clavier. Si les Huit petits morceaux introspectif. cipent que rarement). On demeure
soudain, tout se déchire ; le voya- (1922) ne peuvent cacher une cer- Dès un premier mouvement mena- ici dans l’esprit du divertimento, lé-
geur entre dans sa nuit ; il n’en sortira taine banalité d’inspiration, la Suite çant et d’une hiératique ampleur, ger et insouciant : davantage que la
plus : c’est l’espèce de suspension de pour piano Florestan (1889) évoque Rouvali nous plonge dans un désert richesse contrapuntique ou l’inventi-
timbre et de souffle de Wasserflut. Schumann – pas seulement en rai- de feu et de glace, à travers les blocs vité harmonique, on appréciera une
Quelque chose d’éperdu va s’accen- son de son titre. Elle prend la forme erratiques dont on perçoit claire- veine mélodique et un charme cer-
tuer, et ne plus cesser de creuser la de quatre pages sereines, tranquil- ment chaque composante. Pénétrés tain que les Membres de l’Académie
plaie. Le sussurrement de Auf dem lement expressives, au charme assez d’incertitudes harmoniques, par- de chambre de Potsdam mettent
Flusse conduit à une sorte d’à-vif ineffable. fois aux limites extrêmes de l’apho- remarquablement en valeur, flattant
dans Rückblick, jusqu’à l’amuïsse- Les Dix pièces op. 58 (1909) pré- risme et du non-dit, les faux dé- notamment le tempérament lyrique
ment blanc de Frühlingstraum. sentent des rythmes plus acérés, parts du bref Allegro molto vivace des adagios. Simon Corley

88 I
CARL STAMITZ
1745-1801
Y Symphonies concertantes
Nouveauté
nos 9 et 12. Symphonie d’allègement et de décantation des interprètes.
concertante op. 2 no 2. ROBERT SCHUMANN Alexander Melnikov joue un piano Pleyel
Orchestre de chambre du 1810-1856
Quatuor avec piano op. 47. (Paris, 1851) qui favorise une articulation d’une
Palatinat électoral, Paul Meyer.
CPO. Ø 2021. TT : 1 h. Quintette avec piano op. 44*. exceptionnelle netteté, et se marie idéalement,
TECHNIQUE : 2/5 Isabelle Faust, Anne Katharina dès le premier mouvement (Sostenuto assai
Pour le lecteur Schreiber* (violons), puis Allegro non troppo), à la transparence des
pressé : un Antoine Tamestit (alto), cordes en boyau. Une telle légèreté, une telle
disque à fuir à Jean-Guihen Queyras (violoncelle), clarté de la texture illuminent également les
Alexander Melnikov (pianoforte).
toutes jambes. trois autres mouvements. Plus que jamais, les
Harmonia Mundi. Ø 2021. TT : 53’.
Faut-il dévelop- TECHNIQUE : 4,5/5 audaces de cette partition à la fois secrète et
per davantage ? rayonnante, dépassant parfois celles du Quin-
Enregistré en juin 2021 par Stephen Cahen
L’auditeur est pourtant prévenu : la à la Bundesakademie de Trossingen (Allemagne). tette op. 44, ouvrent une perspective qui nous
notice a l’honnêteté de citer une Des cordes aux timbres magnifiquement définis, mène à Brahms et à Fauré.
lettre de Mozart à son père où les et un pianoforte Pleyel capté en proximité Splendide, irréprochable quant à la perfor-
frères Stamitz sont qualifiés de « gri- et parfaitement intégré. Image très équilibrée
bouilleurs de notes ». Ce que nous et belle cohérence dynamique .
mance instrumentale, l’interprétation du Quin-
confirment ici trois des trente-huit tette op. 44 soulève d’autres questions. L’œuvre,

I
symphonies concertantes de Carl l y a tout juste dix ans, Isabelle Faust, on le sait, suscita lors d’une audition privée
Stamitz, datant sans doute de ses Jean-Guihen Queyras et Alexander Mel- chez les Schumann l’enthousiasme de Liszt et
années parisiennes (1769-1776) : deux nikov entamaient une intégrale des trios de Wagner pour sa richesse d’invention mélo-
pour violon et violoncelle, une autre avec piano de Schumann en trois volumes dique, rythmique et harmonique, et plus encore
pour deux violons (s’effaçant au pro- (couplés aux concertos pour leurs instru- pour la nouveauté de sa conception. Virtuoses
fit de la clarinette dans l’Andante ments). Rejoints par Anne Katharina Schrei- et raffinés, Isabelle Faust et ses compagnons
central). Autant de brouets fadasses ber et Antoine Tamestit, ils abordent cette soulignent arêtes vives et contours anguleux.
en trois mouvements où les poncifs fois le Quintette avec piano op. 44 (1842) en Déliés, rythmiques, aérés, scherzo et finale y
sont mollement et poussivement mi bémol majeur et rendent à ce chef-d’œuvre gagnent un certain relief, et la marche funèbre
enfilés. Des solistes (violon, violon-
de la musique de chambre du deuxième mouvement se
celle) à la peine, accompagnés par
un orchestre aux couleurs criardes, romantique son pendant long- révèle saisissante d’angoisse, de
semblent enregistrés dans un car- temps occulté : le Quatuor avec douleur et de fougue. Si d’au-
ton à chapeau. Une heure : que le piano op. 47, esquissé dans la cuns pourront regretter un Alle-
temps peut parfois paraître long ! même tonalité et dans un même gro brillante initial certes ciselé
N’en jetons plus… mais que diable élan créateur, en octobre de la dans le détail mais privé d’élan
l’excellent Paul Meyer est-il allé faire même année. visionnaire et de lumière inté-
dans cette galère palatine ? Son éclat est moins apparent, rieure, voici assurément une lec-
Simon Corley en partie à cause de l’écriture ture originale, et sans doute la
des cordes souvent trop tas- meilleure version récente de la
RICHARD STRAUSS sée dans le registre grave, mais discographie.
1864-1949
il profite à plein de la volonté PLAGE 6 DE NOTRE CD Patrick Szersnovicz
Y Y Y Y Concerto pour hautbois.
Concerto pour cor no 1. Le
Bourgeois gentilhomme (Suite).
Andreas Fosdal (hautbois), préservent sa lecture de toute éva- Accompagnateur consciencieux Prospero. Ø 2022.TT : 56’.
Jakob Keiding (cor), Orchestre nescence, on souhaiterait, pour être dans les concertos, Toshiyuki Ka- TECHNIQUE : 3/5
philharmonique de Copenhague, pleinement convaincu, une palette mioka dirige la Suite du Bourgeois La discographie
Toshiyuki Kamioka. dynamique plus variée, une narra- gentilhomme avec ce qu’il sied de de Daniel Behle
Orchid Classics. Ø 2019 et 2021. tivité plus prononcée. finesse et de relief. La relative neu- est désormais
TT : 1 h 17’ C’est un autre soliste de la forma- tralité de l’orchestre n’en tient pas substantielle,
TECHNIQUE : 3,5/5 tion danoise qui hérite du juvénile moins cette version à bonne dis- avec des projets
C’est la veine la Concerto pour cor no 1 (1882-1883) : tance des gravures de Rudolf Kempe toujours intéres-
plus diserte et Jakob Keiding, dont le timbre lai- (Emi-Warner) et Riccardo Muti (DG). sants sur le plan musical. Outre le
volubile du com- teux n’est pas sans charme, ménage Hugues Mousseau canon des lieder, opéras, airs d’opé-
positeur bavarois brio et ton de confidence. On reste rette, le ténor explore certaines
qu’illustre le pro- toutefois loin en termes de détail, YY 7 lieder. WAGNER : Extraits zones moins connues du répertoire
gramme. Le de richesse expressive des versions de Lohengrin, Les Maîtres germanique. Pourtant, à chaque fois,
Concerto pour hautbois (1945) a de Peter Damm avec Heinz Rögner chanteurs de Nuremberg, il laisse un sentiment d’inachevé,
pour interprète Andreas Fosdal, (Berlin Classics), de Hermann Bau- Tannhäuser. voire d’occasion manquée, comme
supersoliste du Philharmonique de mann avec Kurt Masur (Philips) ou Daniel Behle (ténor), Orchestre si cette intelligence ne se reflétait
Copenhague. Si le corps de sa so- de Lars-Michael Stransky avec An- philharmonique Borusan pas dans le chant. C’est du moins
norité et la franchise de son phrasé dré Previn (DG). d’Istanbul, Thomas Rösner. ce que montre le présent album.

I 89
Strauss / Verdi / Vierne / Wranitzky / Xuarez / Récitals

Alors qu’il enchaîne des lieder et GIUSEPPE VERDI le superbe « O Signore, dal tetto ils en valent la peine. Avec Laurent
des airs qui pourraient donner lieu 1813-1901 natio », ou le très prégnant solo du Wagschall et Muza Rubackyté, les
à des contrastes saisissants ou à des Y Y Y I Lombardi alla prima premier violon au début de l’acte préludes et Solitude ont quant à
parallèles frappants (Lohengrin chan- crociata. III. Julia Le Brun eux de préférables alternatives.
tant Morgen de Strauss, cela vaut Nino Machaidze (Giselda), Piero Paul de Louit
le détour), on est un peu accablé Pretti (Oronte), Galeano Salas LOUIS VIERNE
par une uniformité vocale et inter- (Arvino), Michele Pertusi (Pagano), 1870-1937 PAUL WRANITZKY
prétative assez sidérante. Tout sonne Miklos Sebestyen (Pirro), Reka Y Y Y L’œuvre pour piano, Vol. 1756-1808
pareil tout le temps. Rien n’est ca- Kristof (Viclinda), Chœur de la II : Douze préludes op. 36. Ainsi Y Y Y Y Quatuors à cordes
ractérisé. C’est gênant lorsqu’il s’agit Radio bavaroise, Orchestre de la parlait Zarathoustra op. 49. op. 2 no 2, op. 32 no 4 et op. 49.
de différencier Walter de Lohengrin Radio de Munich, Ivan Repusic. Solitude op. 44. Air à danser. Quatuor Almaviva.
ou de Tannhäuser, mais plus encore BR Klassik (2 CD). Ø 2023. Airs de danse. CPO. Ø 2020. TT : 1 h 06’.
lorsqu’il convient de prêter aux lie- TT : 2 h 06’. Sergio Monteiro (piano). TECHNIQUE : 3,5/5
der de Strauss les plus célèbres un TECHNIQUE : 3,5/5 Naxos. Ø 2022. TT : 1 h 17’. Les cinquante-
semblant de personnalité. Behle n’y Les enregistre- TECHNIQUE : 2,5/5 quatre quatuors
peut pas grand-chose. Il est tribu- ments des Lom- Le second volume de Wranitzky de-
taire d’un timbre rétif aux miroite- bards de Verdi de l’œuvre pour meurent encore
ments et d’une émission dont la rai- sont plutôt rares, piano de Louis largement terra
deur interdit toute fantaisie. C’est, mais la concur- Vierne par Ser- incognita au
au fond, le Krawatten-ténor typique, rence y est rude. gio Monteiro disque, à l’exception notamment
étroit de timbre et de son, impec- Après celui dirigé par James Levine comprend les des six de l’Opus 16 enregistrés il y
cable et inaltérable techniquement pour Decca (avec, excusez du peu, cycles et pièces les plus idiomatiques a une trentaine d’années par le Qua-
mais assommant musicalement. June Anderson, Luciano Pavarotti, de son romantisme noir, imprégné tuor Stamic (Panton). La forme (trois
Moins irréprochable, il deviendrait Samuel Ramey et Richard Leech) ou de mélancolie et volontiers enclin mouvements) ne semble pas chan-
peut-être intéressant. Sylvain Fort celui de Lamberto Gardelli chez Phi- au fantastique. Cette humeur lu- ger au fil de ce corpus, mais le pro-
lips (avec Placido Domingo, Cristina gubre, nourrie des intenses chagrins gramme habilement choisi par les
YYY Metamorphoses. Deutekom et Ruggero Raimondi), qui frappent le compositeur pen- Almaviva permet de mesurer l’évo-
Sonatine pour vents no 1. cette captation d’avril 2023 au Prinz- dant la Grande Guerre, convient lution du compositeur, en commen-
Orchestre du Mozarteum regentheater de Munich fait pâle mieux à l’interprète que la Suite çant par le bref Opus 2 no 2 (anté-
de Salzbourg, Riccardo Minasi. figure. bourguignonne et les pièces de sa- rieur à 1790), de facture plus
Berlin Classics. Ø 2020-2021. La basse de Michele Pertusi est un lon contenues dans le premier volet mozartienne que haydnienne, avec
TT : 1 h 04’. peu voilée, ce qui est d’autant plus (cf. no 717). Les deux pièces extrêmes son mélancolique Poco adagio. On
TECHNIQUE : 3/5 dommage que ce verdien patenté des Douze préludes ont de l’élo- peine ensuite à faire de l’agréable
Sortie en 1944 séduit par l’élégance de sa ligne de quence et le ton est juste. Opus 32 no 4 (1798) un contempo-
« de l’atelier d’un chant et la qualité de son style. Nino En revanche, on s’étonne du nombre rain des derniers quatuors de Haydn
invalide » (sous- Machaidze met tout son cœur à don- de négligences qui, en sus d’un et de l’Opus 18 de Beethoven, faute
titre que lui ac- ner de l’émotion et de la profon- timbre désagréable (instrument ou d’en posséder l’inventivité et le gé-
cola le composi- deur dramatique à sa Giselda, mais prise de son ?), laissent un fâcheux nie. L’Opus 49 (1804, également
teur), la Sonatine semble malheureusement avoir forcé sentiment d’inabouti, voire de désin- connu comme Opus 45 no 3) déploie
pour vents no 1 passionne assuré- ses moyens de soprano lyrique, ce volture : tempos des préludes net- le ré mineur d’un romantisme bien
ment davantage ceux qui la jouent qui nuit à la beauté d’un instrument tement trop lents (Suprême appel, tempéré qui préfigure Cherubini ou
que ceux qui l’écoutent. Les excel- désormais bien rauque, manquant Adieu) ou trop rapides (Nostalgie, Mendelssohn. Le mouvement cen-
lents instrumentistes de l’Orchestre de douceur et de moelleux, accu- Sur une tombe), décalage des mains tral (Largo) apparaît ici encore
du Mozarteum s’y distinguent par mulant les duretés et stridences. généralisé sans raison (Tendresse) comme le plus inspiré. L’acoustique
des tempos trop modérés, pour ne L’Oronte de Piero Pretti est des- ou accords importunément arpégés très réverbérée de cet enregistre-
pas dire plombés – le deuxième servi par un timbre ingrat, un souffle (Dans la nuit), inversion des rapports ment compense la maigreur des ins-
mouvement, poussif, est fort loin plutôt court. Si « La mia letizia » ap- de mouvements (Evocation d’un jour truments « anciens » de la formation
d’un Andante. Nos treize Salzbour- pelle davantage de subtilité, le ténor d’angoisse). suisse. Simon Corley
geois y perdent plus de deux mi- trouve des accents expressifs dans La crudité du toucher aplatit la poly-
nutes sur les musiciens de la Staats- le trio de la mort puis l’apparition au phonie (Tendresse dans les préludes, ALONSO XUAREZ
kapelle de Dresde de Christian Saint Sépulcre. Enfin, Galeano Salas Nuit blanche de Solitude), trahit les 1640-1696
Thielemann (Profil, cf. no 678). campe un honnête Arvino malgré contrastes de Pressentiment op. 12 Y Y Y Y Y Messe Surge propera.
Des Métamorphoses, autre œuvre le défaut de graves. no 3, la langueur de Nostalgie (cette Lamentation de Jérémie.
tardive (1945), Riccardo Minasi livre Heureusement, les chœurs (excel- cousine triste de la Forlane de Ra- 9 motets.
une lecture dont le détail et la lisi- lents) se révèlent à la hauteur d’une vel), met sous le boisseau les feux Amystis, Jose Duce Chenoll.
bilité de la texture (pour cinq qua- partition qui leur fait la part belle, follets de La Ronde fantastique des Brilliant. Ø 2023. TT : 54’.
tuors à cordes et trois contrebasses) tout comme l’Orchestre de la Radio revenants op. 44 no 4 ou des Esprits TECHNIQUE : 3/5
s’accompagnent d’une certaine sé- de Munich, placé sous la baguette de la nuit (dans les Airs à danser). Né dans la région
cheresse. Cette interprétation, qui d’Ivan Repusic. On savoure l’ampleur, Les amoureux de Vierne prêteront de Tolède, Xua-
repose sur l’association « crescendo- la générosité et l’énergie requises l’oreille aux pièces récemment re- rez fut formé au
emportement », va à l’encontre du par les pages puissantes et guer- découvertes, comme Ainsi parlait couvent madri-
grain sonore voluptueux qui signe rières (impressionnant hymne de ba- Zarathoustra, qui semble dévelop- lène des Descal-
les grandes versions. taille à l’acte IV), mais aussi la poésie per les Fantômes pour orgue, ou zas reales avant
Christophe Huss des passages les plus élégiaques : les deux charmants Airs à danser : d’obtenir la direction des chapelles

90 I
de Séville (1675-1684) et de Cuenca indiquer sur la partition la mention nuelle Bertrand. Son violoncelle dia- Elisabeth Joyé. Un itinéraire qui est
(1664-1675, puis de 1684 à sa mort). « avec une joie de plus en plus tu- logue, dans le splendide concerto aussi tout personnel : ici un hom-
Il eut de prestigieux disciples, dont multueuse ») ou au contraire la vision (1925) d’Ibert, avec un dixtuor de mage à son maître Gustav Leon-
Sebastian Duron, et laisse une abon- apocalyptique d’un monde destiné vents. Après une Pastorale qui hardt à travers la Chaconne en sol
dante production de musique sa- à se consumer dans un gigantesque semble n’avoir pour but que de pré- de Böhm mise au programme de
crée, parvenue jusqu’à nous à l’état brasier. On peut, plus simplement, senter les timbres des uns et des son ultime récital ; là ce Capriccio
de copies manuscrites dans diverses y célébrer un sommet du répertoire, autres, la Romance puis la Gigue cromatico de Merula qui accom-
cités hispaniques, jusqu’à Munich aussi lancinant qu’ardent, un tour poussent progressivement la soliste pagne la claveciniste depuis ses
et Mexico. Ce passionnant pro- de force pianistique dont Horowitz à dévoiler l’étendue de sa virtuo- débuts. Elle en propose une lecture
gramme composé exclusivement lui-même (un de ses plus grands ser- sité, à la fois technique et expres- aussi sinueuse mais plus soucieuse
d’œuvres liturgiques inédites à viteurs) reconnaissait l’exigence tant sive. Elle use avec sobriété d’effets de continuité que celle de Rinaldo
double chœur (de six à neuf par- physique que mentale. De ce double désormais rebattus (harmoniques, Alessandrini (Opus 111, 1994). Il y
ties), toutes conservées à Cuenca, point de vue, Eckardstein domine glissandos, jeu con legno) et nous a, chez Joyé, une appréciable so-
révèle un polyphoniste au langage son sujet, concluant son ascension tient en haleine dans les brèves ca- briété dont témoigne sa Suzanne
richement élaboré, associant contre- incendiaire d’un diminuendo tout dences qui amorcent le dénouement un jour d’Andrea Gabrieli : elle se
point savoureux, fausses relations personnel. Regrettons que son de chaque mouvement. garde d’une ornementation foison-
chromatiques et autres frictions Bechstein manque de rondeur, en Ecrite au crépuscule du XIXe siècle, la nante pour mieux souligner le ca-
dissonantes. particulier dans le médium, assez Sérénade op. 43 de Hartmann est un ractère mélodique de cette pièce
Il est interprété avec probité par un métallique. Le feu est également nonette pour vents et contrebasse d’après Lassus. Appliquée à Puer
ensemble réunissant huit chanteurs présent dans l’exécution tendue et qui n’échappe pas à l’empreinte nobis nascitur de Sweelinck, la re-
homogènes et soudés, aux chaudes explosive de Mort et Transfigura- du wagnérisme (Intermezzo) mais cette fait aussi merveille. Sobriété
voix méditerranéennes, et quatre tion, transcrit pour piano par l’inter- reste principalement ancré dans le ne veut pas dire absence de fantai-
continuistes (avec basson, harpe, prète en 2021. Sans non plus négli- passé. En témoignent le classicisme sie, loin de là. Plus pétillante que
viole et orgue). S’y distinguent de ger la désolation qui ouvre le poème formel de l’Allegro initial, la veine Francesco Cera (Arcana, 2019) dans
valeureuses sopranos, aux timbres symphonique de Strauss, et le mys- rossino-berliozienne du Scherzo et l’Aria detta la Frescobalda de Fres-
charnus et colorés, confrontées à tère qui le clôt. les éléments caractéristiques du cobaldi, elle s’assombrit dans la Fan-
d’impressionnantes culminations su- Oubli de l’éditeur ? Messiaen est finale (Rondo noté « alla polacca » taisie FbWV 206 de Froberger, sans
raiguës, de vaillants ténors et une le seul compositeur du programme dans le manuscrit puis Andantino toutefois verser dans le dolorisme
basse agile, parfois claironnante. Un dont le nom n’apparaît pas au dos religioso). appuyé d’un Jean-Marc Aymes (Lan-
apport déterminant à la connais- de l’album. L’extraordinaire Regard A l’exact opposé, la Sérénade en ré vellec, 2020).
sance des riches répertoires sacrés de l’Eglise d’amour est pourtant lit- mineur (1878) de Dvorak regarde vers Certains regretteront peut-être que
ibériques au Siglo de Oro. téralement soulevé de terre par Ec- la modernité et annonce les grandes Joyé n’ait pas retenu un instrument
Denis Morrier kardstein. Comme chez Scriabine, pages pour vents de Strauss. Qu’ils français pour d’Anglebert ou Louis
on déplore que l’instrument ne per- fassent preuve de légèreté (Mode- Couperin, mais la Chaconne d’après
mette pas à cette musique d’irra- rato quasi marcia) ou de puissance (fi- Ennemond Gaultier du premier se
R ÉCI TA L S dier davantage.
Une improvisation fait le lien avec
nale), les cors sont superbes. Notons
encore les relais impeccables dans
déploie avec élégance, le Prélude
en sol mineur du second ne se perd
l’Opus 111 beethovénien. L’Arietta ? le Trio du Menuetto et les lignes de jamais dans ses âpretés ou ses er-
SEVERIN VON Déraisonnablement lentissime, se basse tirées au cordeau dans l’An- rances. Cette Allemande à fleur de
ECKARDSTEIN dit-on dans un premier temps. Mais dante con moto que les chambristes larmes (Richard), cette Passacaille
PIANO la magie du développement opère, bâtissent comme un intermède sym- aux volutes amère (Rossi), cette Cha-
Y Y Y Y Y SCRIABINE : jusqu’aux saisissantes perspectives phonique… sans chef. La réussite conne en fa (Fischer) où la musi-
Vers la flamme op. 72. finales : une lumière qui auréole l’al- est d’autant plus admirable que cet cienne laisse libre cours à son affec-
STRAUSS/ECKARDSTEIN : bum d’un artiste à la personnalité Opus 44 est l’une des œuvres les tion témoignent d’un art souverain
Mort et transfiguration. décidément bien affirmée. plus rabâchées du répertoire : cha- du clavier où se conjuguent maîtrise
MESSIAEN : Vingt regards sur Bertrand Boissard peau bas ! Bertrand Hainaut et sensibilité.
l’Enfant Jésus (Regard de l’Eglise Jean-Christophe Pucek
d’amour). ECKARDSTEIN : ENSEMBLE ARABESQUES ELISABETH JOYÉ
Improvisation. BEETHOVEN : YYYYY IBERT : Concerto CLAVECIN IZABEL MARKOVA
Sonate pour piano no 32. pour violoncelle et orchestre Y Y Y Y Y « Miscellanées ». ALTO
Avi. Ø 2022. TT : 1 h 16’. d’instruments à vent*. Œuvres de G. et A. Gabrieli, YYYY CLARKE : Sonate pour
TECHNIQUE : 3/5 E. HARTMANN : Sérénade op. 43. Gibbons, Merula, Sweelinck, alto et piano. BRITTEN :
Conçu comme un DVORAK : Sérénade Bull, Roberday, d’Anglebert, Lacrymae op. 48. BOWEN :
voyage de la pour vents op. 44*. Froberger, Frescobaldi, Rossi, Phantasy op. 54*.
terre vers la Emmanuelle Bertrand L. Couperin, Richard, Fischer, Irene Puccia, Alla Bellova* (piano).
clarté et la trans- (violoncelle)*. Böhm, Chambonnières. Claves. Ø 2022. TT : 53’.
cendance, le pro- Farao. Ø 2021. TT : 55’. L’Encelade. Ø 2022. TT : 1 h 02’. TECHNIQUE : 3,5/5
gramme imaginé TECHNIQUE : 4/5 TECHNIQUE : 4,5/5 Née en 1997, for-
par Severin von Eckardstein s’ouvre L’Ensemble Ara- Un tour de l’Eu- mée à Sofia puis
sur une des pièces ultimes de Scria- besques célèbre rope musicale Lausanne, Izabel
bine. On peut voir dans ce dense son dixième an- baroque en une Markova s’est il-
et ramassé Vers la flamme de 1914 niversaire avec heure : voilà ce lustrée dans plu-
une glorification extatique des forces une invitée de que propose, sur sieurs concours
positives de l’univers (ce que semble marque : Emma- trois claviers, internationaux et devenait, à

I 91
Récitals

BAROQUE FRANÇAIS vingt-quatre ans, l’une des plus Mutter’s Virtuosi.


par Loïc Chahine
jeunes musiciennes de l’Orchestre DG. Ø 2023. TT : 1 h 22’.
de l’Opéra de Zurich. Pour son pre- TECHNIQUE : 3,5/5
▸ La vielle et la musette connurent au XVIIIe siècle une grande
mier album, elle nous emmène en Avec ce concert
vogue. L’Ensemble Danguy mêle judicieusement aux sonates
Grande-Bretagne, où l’influence de capté au Mu-
des pièces vocales qui varient agréablement le propos.
virtuoses tels que Lionel Tertis et sik verein de
Malgré quelques fragilités, la soprano Monika Mauch se coule
William Primrose incita nombre de Vienne, Anne-
parfaitement dans ces charmantes pastorales
compositeurs du XXe siècle à s’atta- Sophie Mutter
– les deux cantatilles de Louis Lemaire (ca 1693-1750)
cher au timbre mélancolique et folk- livre sa troisième
sont délicieuses. Partout, le collectif affiche
lorisant de l’alto. gravure du Concerto en la mineur
une cohésion admirable, un style impeccable et une
En ouverture de la Phantasy (1918) de Bach après celles de 1982 (Emi)
diversité de tons qui évite tout ennui. La vielle de Tobie
de York Bowen, un récitatif énonce, et 2007 (DG). Si l’accompagnement
Miller déploie une virtuosité stupéfiante – écoutez
à découvert, un thème aux rythmes orchestral a salutairement gagné
les Tambourins de la sonate signée par un certain M. Ravet !
pointés, dont le dépouillement en sveltesse au fil du temps, la so-
Le Largo de la Sixième Sonate à deux vielles de Jean-Baptiste
évoque le dernier Brahms : il inspi- liste n’a pas renoncé au vibrato mais
Dupuits (mort en 1759) exploite à fond les sonorités
rera les épisodes à venir, ici d’un pare désormais ses phrasés de
et trouve des accents inquiétants. Un projet très bien mené
lyrisme brûlant, quand l’archet éco- teintes plus mates : l’instrument
(« Le Berger innocent », Ricercar, Y Y Y Y Y ).
nome de Lawrence Power (Hype- sonne même un peu mince à la fin
▸ On retrouve Tobie Miller parmi Les Ambassadeurs ~ La Grande rion) y apportait des éclairages plus de l’Andante. Le Concerto brande-
Ecurie dans une monographie consacrée à Jacques-Christophe ambigus. Egalement construit d’un bourgeois no 3 et le Concerto en fa
Naudot (1690-1762), proposant six concertos pour divers souffle, Lacrymae (1950) de Britten majeur de Vivaldi tentent la même
instruments – musette, flûte à bec, traversière, déploie un langage autrement tor- synthèse entre esthétique roman-
piccolo, vielle – accompagnés par deux violons turé. Ces dix « réflexions » tirées tique et pratiques informées : Mut-
et basse continue, ainsi qu’un Divertissement champêtre d’un air de Dowland évoluent dans ter y partage la vedette avec les
sans basse. Si la musique, de style italianisant, n’est un climat enténébré que Markova jeunes musiciens de son ensemble,
pas toujours la plus fascinante qui soit, la réalisation restitue de manière plutôt convain- fondé en 2011. L’effectif réduit ap-
est de bonne tenue, quoique l’on souhaiterait cante, entre claudications gro- porte de la clarté aux textures quand
un peu plus de rondeur. Se distingue surtout la flûte éloquente tesques (II et VIII) et déplorations le mordant des attaques compense
d’Alexis Kossenko dans l’Opus 17 no 5 (CVS, Y Y Y Y ). sans recours (III et IV). Très réussie, des phrasés un rien timides.
▸ Continuiste dans divers ensembles, David Bergmüller consacre la dernière nous montre la fuite éper- La curiosité viendra des complé-
son premier album solo à l’école française de luth baroque, depuis due d’un Peter Grimes sur fond de ments. Dans un langage mêlant
René Mézangeau (1568-1638) jusqu’à Robert de Visée (1660-1732). cloches, agitées par le piano ton- Korngold, Bartok et un Schönberg
Le toucher est délicat, le musicien ménage une ample agogique nant d’Irene Puccia. première manière, le Nonette (2014)
à la plupart des pièces. Si les ornements sont parfois La sonate pour alto (1919) de Re- d’André Previn confronte deux qua-
un peu raides ou appuyés dans les pages modérées, becca Clarke bénéficie désormais tuors à cordes, avec une contrebasse
le luthiste est à son aise dans l’abondance et la virtuosité, d’une discographie digne de son dans un rôle d’arbitre. On lui pré-
comme le montre un impeccable double de La Belle calibre. Notre jeune artiste tire l’écri- fère le Concerto en la majeur du
Homicide. Saluons son sens de la poésie (le Prélude en ré ture modale du premier volet vers Chevalier de Saint-Georges : Mut-
de Bergmüller, l’Allemande de Dufaux et le Carillon des contrées oniriques, à l’abri des ter s’en donne à cœur joie dans les
de Gaultier, bien conduits, forment un bel ensemble), tout en échos de la guerre, si présents chez trilles et autres traits virtuoses de
regrettant une Chaconne en sol de Visée pour théorbe prosaïque Vinciane Béranger (Aparté). Malgré cette page galante.
(« Rhétorique du silence », Berlin Classics, Y Y Y Y ). sa fougue, le miroitant Vivace En bis, un vrombissant extrait des
▸ Sur le papier, le projet est prometteur : un siècle de clavecin manque légèrement de transpa- Quatre Saisons et deux élégies hol-
sur trois instruments originaux – un Hemsch de 1761, un Ruckers rence côté accompagnement. Le lywoodiennes apportent une touche
ravalé par Taskin en 1780, un Goujon ravalé par Swanen en 1784. labyrinthique finale trouve, lui, une de show et de glamour. Servie avec
Las ! les doigts de Jos Van Immerseel sont souvent lecture habitée qui a pour rivale générosité, à défaut d’être subtile-
à la peine et presque partout les finitions laissent celle, plus âpre, d’Adrien La Marca, ment dosée… Marc Lesage
à désirer (prenez, par exemple, La Lugeac de Balbastre). Diapason d’or pour son anthologie
Certains tempos trop mesurés paraissent bien pesants anglaise parue en 2016 (La Dolce EWELINA NOWICKA
(la Chaconne de Duphly !), les ornements poussifs Volta, cf. no 664). Marc Lesage VIOLON
(La Portugaise de Forqueray), le raffinement aux abonnés Y Y Y LAKS : Poème pour violon
absents (La Pothouin de Duphly). A oublier (« Le clavecin à Paris ANNE-SOPHIE MUTTER et orchestre de chambre
VIOLON (arr. Nowicka) (a). Symphonie
au XVIIIe siècle », Channel, Y Y ).
Y Y Y Y VIVALDI : Concerto pour pour cordes (b). WEINBERG :
▸ Pieter-Jan Belder a la main plus heureuse dans les trois Livres trois violons RV 551. Les Quatre Trois pièces pour violon
de Jean-François Dandrieu (ca 1682-1738). Fort d’une technique Saisons (« L’Eté », Presto). et orchestre de chambre
sans faille, le claveciniste travaille la caractérisation BACH : Concerto pour violon (arr. Nowicka) (c).
des pièces. Joue-t-il ici staccato ? C’est pour mieux BWV 1041. Concerto NOWICKA : Kaddish 1944 (d).
peindre La Contrariante, quand L’Affligée déploie brandebourgeois no 3. PREVIN : Orchestre de chambre
un legato accompli. Malgré de légères baisses de régime Nonette. CHEVALIER DE SAINT- Amadeus de la Radio polonaise,
(la Première Suite du Livre II appellerait par exemple GEORGES : Concerto pour violon Agnieszka Duczmal (b, c),
davantage d’imagination), voilà une intégrale op. 5 no 2. WILLIAMS : Cinderella Anna Duczmal-Mroz (a, d).
recommandable (Brilliant Classics, 4 CD, Y Y Y Y Y ). Liberty (Nice to Be Around). CPO. Ø 2012-2013. TT : 1 h 06’.
Schindler’s List (Thème). TECHNIQUE : 4,5/5

92 I
Né à Varsovie, TECHNIQUE : 4/5 Sextuor (a). CAPLET : Légende La catedral. Julia Florida.
installé à Paris Carolyn Sampson pour saxophone (b). TOMASI : GINASTERA : Sonate pour
dès 1926, Simon aime chanter, ce Concerto pour saxophone (c). guitare.
Laks y paracheva n’est pas une BEFFA : Le roi qui n’aimait Pentatone. Ø 2023. TT : 1 h 02’.
ses études musi- surprise. Et nous pas la musique (d). TECHNIQUE : 3/5
cales auprès de aimons Carolyn Jean-Yves Fourmeau (saxophone Sean Shibe est
Rabaud et Vidal. Il en a résulté un Sampson, ce qui alto) (b, c), Frank Braley (a), l’un des guita-
compositeur au solide bagage tech- est la moindre des choses. Circu- Karol Beffa (d) (piano), ristes les plus en
nique, plus qu’à l’inspiration bou- lant sans peine de la mélodie fran- Charles Berling (récitant) (d). vue de la nou-
leversante. Son Poème (1954) en çaise au lied, du baroque au contem- Indésens. Ø 2021. TT : 1 h 13’. velle génération
trois volets symétriques, et quasi porain, d’une langue à l’autre avec TECHNIQUE : 4/5 anglaise. Né en
monothématique, commence un égal degré d’excellence, la so- Mise en musique 1992, passé par le Royal Conserva-
comme du Vaughan Williams et prano construit le plus souvent ses par Karol Beffa toire of Scotland ainsi que par l’en-
s’achève comme du Berg, toute ten- programmes autour d’une théma- d’un conte de seignement de Paolo Pegoraro en
tative d’élan lyrique s’y dissolvant tique. Rien de tel cette fois. Comme Mathieu Laine, Italie, il est aussi à l’aise au luth qu’à
dans un profond trouble. D’une plus elle l’indique dans la notice, les vingt- Le Roi qui n’ai- la guitare classique ou électrique.
grande sûreté de main et d’une belle deux pièces qu’elle a retenues ne mait pas la mu- Il aborde ici trois monuments latino-
gravité, mais tout aussi épigonale, sont pas toujours ses favorites ou sique est ici proposé dans une nou- américains avec un jeu très équili-
la Symphonie pour cordes (1964) les plus significatives, mais celles velle version pour quatuor de bré, introspectif, évocateur, qui se
s’ouvre comme la « Liturgique » de que lui ont dictées l’humeur et le saxophones et piano, avec le co- déploie en couleurs veloutées.
Honegger pour vite démarquer avec bonheur du moment. Wolf, Brahms, médien Charles Berling pour réci- Joyaux de l’album, les pièces de
une désarmante candeur la Musique Schubert, Bernstein, Parry, Men- tant. Le compositeur a ainsi truffé Villa-Lobos montrent l’artiste à son
pour cordes, percussion et célesta delssohn, Marx, Franck, Strohl, Pa- sa partition « d’acrobaties en tous meilleur : il livre de véritables pé-
de Bartok. ladilhe, Gounod, Poulenc, Saariaho, genres » qui rendent hommage à pites, se hissant vers les sommets
On préfère les Trois pièces pour vio- Pritchard, Barber, Gurney, Strauss, la « technique époustouflante des de la discographie. L’Etude no 1
lon et piano d’un Weinberg de seize Wallen : vous avez dit bon plaisir ? saxophonistes » – ils se saisissent tombe comme un météore en pleine
ans, ici arrangées pour cordes. L’ins- La seule cohérence à chercher, en en effet sans difficulté des « dé- tempête. Tout aussi surprenante,
piration flamboyante et obsessive somme, est celles de l’art de la chan- hanchements rythmiques » qui leur la no 2 est ici bien plus incontrôlable
à la fois, déjà très sombre, évoque teuse et de son pianiste désormais sont demandés. et onirique que chez Turibio Santos
le Szymanowski de Mythes, avec régulier – et régulièrement excellent Avec pour soliste Jean-Yves Four- (Erato), mais encore plus sibylline
un charme indicible et une étrange – Joseph Middleton (auquel se joint meau et dirigé par Johan Farjot, et hors du temps que la très subtile
prémonition de son futur destin, le violon de Jack Liebeck dans un Saxo Voce revisite deux classiques version de Julian Bream (Sony).
notamment dans l’envoûtant Rêve Morgen céleste). du répertoire dans lesquels les saxo- Epoustouflante, la no 12 offre une
de poupée. Ewelina Nowicka glisse On ne dédaignera pas l’entendre phones remplacent l’orchestre. Si chevauchée épique de sioux dont
en complément son propre Kaddish dans trois Chants de Bilitis de Rita le concerto de Tomasi gagne en le lâcher-prise narcotique brise tous
de 2007 où elle brasse sans succès Strohl, d’une fine ciselure. Ce que couleurs harmoniques grâce une les repères jusqu’à flirter avec le
des formules congelées et hétéro- notre artiste apporte au répertoire remarquable homogénéité de rock.
gènes, très en deçà de la noblesse français n’est pas seulement son idio- timbres, la Légende de Caplet perd Dans la sonate de Ginastera, le
de son propos. matique perfection, mais quelque en lisibilité : malgré sa sonorité cui- Scherzo comme le finale, dont la
En osmose avec les deux cheffes, chose comme une vibration à fleur vrée, la voix du saxophone alto prin- véhémence est servie par de re-
la violoniste déploie une énergie de mots qui les fait entendre mieux, cipal se retrouve la plupart du temps marquables moyens, laissent éga-
passionnée et rude, dont la puis- et comme plus profondément. Le diluée dans la texture instrumen- lement percer la nature volontiers
sance et la générosité brute se re- Parfum de l’instant de Saariaho ac- tale. Les interprètes n’en font pas contemplative de l’interprète. Sous
flètent dans les cordes fibreuses de complit cette prouesse de trouver moins preuve d’une fabuleuse les doigts de Kyuhee Park (Colum-
l’orchestre de chambre Amadeus. dans la sophistication de la ligne virtuosité. bia), ces deux mouvements trou-
A défaut d’une étoffe plus subtile de chant la matière d’une expres- De bonne tenue, l’interprétation vaient une lecture certes plus riche,
et de sfumatos plus évocateurs (sur- sion puissante. du sextuor de Poulenc peine à vive, nerveuse et foisonnante, mais
tout chez Weinberg), cette forma- Si le répertoire en langue anglaise convaincre, trop monochrome. L’ex- dépourvue de cette dimension
tion de la Radio polonaise évite au semble couler de source, le réper- ceptionnelle uniformité des instru- envoûtante.
moins les écueils de la dispersion. toire allemand appelle cette dimen- ments de Sax échoue à reproduire Associé à la profondeur des basses,
Pascal Brissaud sion authentique, pour ne pas dire la diversité de tessiture, de volume le mystère distillé par des aigus cris-
völkisch, qui manque parfois aux et d’attaque qui existent entre une tallins tire le Preludio de La catedral
CAROLYN SAMPSON artistes les plus raffinés : il est amu- flûte, un cor et un basson. Le piano de Barrios vers le rêve. Moins éva-
SOPRANO sant d’entendre Sampson se jeter de Frank Braley apporte du relief nescente, l’interprétation de Thibaut
Y Y Y Y Y « But I like to sing… » directement dans An die Musik ou grâce à une articulation ciselée mais Garcia (Erato, Diapason d’or) avait,
Œuvres de Wolf, Brahms, Parry, An eine Äolsharfe, comme pour aller s’épanche rarement, laissant retom- en comparaison, plus de présence.
Schubert, Bernstein, Franck, droit au plus fréquenté, où elle réus- ber le souffle expressif. Et, dans l’Allegro solemne, Sharon
Mendelssohn, Marx, Strohl, sit une merveille de sentiment. Un Bertrand Hainaut Isbin (Sony) offrait une palette de
Paladilhe, Gounod, Poulenc, album simple et beau. couleurs, des contrastes et accen-
Saariaho, Pritchard, Barber, Sylvain Fort SEAN SHIBE tuations, dont l’univers vaporeux de
Gurney, Strauss, Wallen. GUITARE Shibe reste bien éloigné. L’interprète
Jack Liebeck (violon), SAXO VOCE Y Y Y Y « Profesion ». est peut-être ici moins à blâmer
Joseph Middleton (piano). YYYY « Le souffle VILLA-LOBOS : Prélude no 3. qu’une excessive réverbération qui
Bis (SACD). Ø 2022. TT : 1 h 09’. des légendes ». POULENC : 12 Etudes. BARRIOS : tient la guitare à distance et noie la

I 93
Récitals

Papillons de Charlotte Dévéria


Découverte (1856-1885), un Duo d’étoiles sous
la plume de la moins oubliée Cécile
répertoire romantique de l’instrument ? Qu’à Chaminade ou encore une Chan-
PHILIPPE TONDRE cela ne tienne, Tondre puise dans le corpus
son andalouse de Paul Puget (1848-
HAUTBOIS 1917), irrésistible de déhanché.
« Contrasts ». schumannien de la féconde année 1849. C’est ainsi toute une époque de la
SCHUMANN : Adagio et allegro. Dans l’Adagio et allegro originellement pour cor musique française qui ressuscite,
Trois pièces de fantaisie op. 73. et piano, le souffleur triomphe des « lignes à celle de ces salons sans lesquels
découverte Chant du soir op. 85 no 12. n’en plus finir » tel un violoniste et libère une bien des pages n’auraient pas vu
Trois romances op. 94. Pièces dans le ton « fougue sans relâche » dans le mouvement le jour.
populaire nos 2, 3 et 4. rapide. Il prend ensuite le hautbois d’amour en Le piano d’Iñaki Encina Oyon est à
Danae Dörken (piano).
la pour remplacer la clarinette dans un l’unisson, plein de vie, de rythme,
Klarthe. Ø 2020. TT : 47’.
TECHNIQUE : 3,5/5 Opus 73 galvanisé par le piano rutilant de de couleurs – on se souvient de son
Danae Dörken. Que de poésie dans ces Pièces intégrale des mélodies d’Albeniz
Enregistré en avril et mai 2020 au SWR
Funkstudio de Stuttgart par Fabian Vossler de fantaisie dont les ultimes mesures sont litté- avec Adriana Gonzalez. « A deux
et Volker Neumann. Une image cohérente ralement époustouflantes ! voix » ou « A trois voix » ?
et équilibrée. Mate et peu enveloppante, Didier Van Moere
Contraste saisissant, les deux interprètes nous
l’acoustique n’est guère flatteuse et le piano
sonne un peu éteint, mais les contours
offrent une page vespérale (Abendlied) oscillant CAMINO DE SANTIAGO
de l’interprétation sont fidèlement restitués. entre nostalgie du jour passé et promesse de Y Y Y « Musique médiévale
l’aube à venir. La transition vers les Romances des pèlerinages espagnols ».

N
ommé en 2016 (à vingt-sept ans) op. 94 est opportune. Là où Gabriel Pidoux fai- Spielleyt.
hautbois solo de l’Orchestre du sait plutôt preuve de prudence (Alpha, cf. Christophorus. Ø 2008. TT : 1 h 06’.
Gewandhaus de Leipzig, Philippe no 710), Tondre, par sa sereine hauteur de vue, TECHNIQUE : 3/5
Tondre est depuis 2020 celui du apporte un supplément d’âme à ces « chants Christophorus
Philadelphia Orchestra. Formé à d’ombre et de lumière », ainsi qu’il les qualifie réédite la capta-
Paris auprès de David Walter, cet artiste lui-même. Il explore les moindres recoins de la tion d’un concert
franco-britannique est par ailleurs membre du phrase, méandres seulement interrompus par de 2008 originel-
quelque accès fiévreux. lement publié en
Chamber Orchestra of Europe
2010. Puisant
et enseigne régulièrement en Trois des Cinq pièces dans le ton
dans les Cantigas de Santa Maria
Allemagne, en Grande-Bre- populaire concluent l’album sur d’Alphonse le Sage, le Llibre ver-
tagne ainsi qu’aux Etats-Unis. une touche plus divertissante. mell de Montserrat, le Cancionero
C’est à « la musique de Robert Comme les duos formés par Hol- de Palacio, les codex Panciatichi
Schumann [qui] est en quelque liger avec Brendel, Boyd avec et Calixtinus, le programme est
sorte [sa] madeleine de Proust », Pires ou Alexeï et Leonid Ogrint- bâti autour du thème du pèleri-
qu’il a choisi de dédier son tout chouk, Tondre et Dörken se nage, notion particulièrement pré-
premier album. risquent à la transcription. Et sente dans l’imaginaire médiéval
Le compositeur n’a légué au séduisent par une maîtrise qui et régulièrement illustrée au disque.
hautbois que Trois romances force l’admiration. L’ensemble Spilleyt tire l’interpré-
devenues l’œuvre-phare du PLAGE 7 DE NOTRE CD Bertrand Hainaut tation vers les musiques tradition-
nelles. Si le résultat est honorable
et les imperfections liées au concert
rares, les arrangements rappellent
dynamique et la finesse du jeu. Mais TECHNIQUE : 3,5/5 Chausson), nostalgie (Rêverie de ceux du folk revival dans les années
pour Villa-Lobos, le détour s’impose. Epanouies dans Pauline Viardot) ou encore piquant 1970. Cette manière d’harmoniser
Julien Gobin la chair de leur volubile (Joie de Massenet, Dan- les monodies sent un peu le car-
jeunesse, deux sons de Lalo). Entre mystère et eu- ton-pâte, et applique indifférem-
À DEUX VOIX belles voix. On phorie, les deux voix se marient ment les mêmes recettes à un ré-
YYYYY Duos de Widor, Delibes, les connaît bien : amoureusement, la soprano distil- pertoire qui s’étale pourtant du
Paladilhe, Viardot, Chaminade, la Liù d’Adriana lant çà et là ces pianissimos aigus XIIIe au XVIe siècle.
Puget, Devéria, Chausson, Gonzalez a récemment Bastille et dont elle a le secret. Malgré une certaine inventivité
Fauré, Franck, Massenet, Marina Viotti, dont les succès ne se Le programme ne suscite pas moins dans l’instrumentation, les parties
Gounod et Lalo. comptent plus, est déjà une étoile l’intérêt : à côté de figures du pan- de cornemuse ou de percussions
Adriana Gonzalez (soprano), au firmament lyrique. Encore fallait- théon français, émergent des noms prennent beaucoup de place et,
Marina Viotti (mezzo-soprano), il que les timbres s’accordent, ce moins attendus. Widor, qu’on aurait à la longue, fatiguent. L’album dis-
Iñaki Encina Oyon (piano). qui se réalise dans ce florilège de tort de réduire à ses claviers de tille quelques moments touchants,
Audax. Ø 2022. TT : 1 h 08’. duos. Autre raison de se réjouir, elles Saint-Sulpice, a toute sa place ici, tel le beau cantique Mariam
ont assimilé les canons du style fran- comme Paladilhe, dont Au bord de matrem du Llibre vermell, chanté
Commandez vos disques sur çais, préservant ces mélodies de l’eau pourrait être chanté par Lakmé avec humilité et ferveur par Regina
cd.com tout exotisme articulatoire et res-
tituant la variété de leurs atmos-
et Malika. Le passionné découvrira
même plusieurs premières au
Kabis et doté d’un accompagne-
ment plus approprié.
voir pages ▸ 102-103
phères : sensualité (La Nuit de disque, notamment les frémissants Clément Stagnol

94 I
COURT CONCERT maintes fois les bois par ses traits Sens aigu du phrasé, conduite di- nombreux recueils de « musique
YYYY REICHA : Grande virtuoses, et déploie assez plaisam- recte des lignes, large palette de nationale » arrangée pour instru-
Ouverture en ré. ROMBERG : ment une certaine originalité en nuances, diversité des modes de ment mélodique et basse qui ont
Concerto pour violon n° 8. même temps qu’une intense acti- jeu témoignent, chez les deux mu- vu le jour en Ecosse et en Irlande.
WINEBERGER : Symphonie en ré. vité – même le mouvement lent est siciennes, d’une compréhension L’occasion de saisir que cette mu-
Mikhail Ovrutsky (violon), un Allegretto. Simon Corley musicale évidente et d’une belle sique largement orale, connue
Orchestre Beethoven de Bonn, complicité. Seul bémol : la prise de comme « populaire », côtoyait
Dirk Kaftan. DUELLES son rapprochée privilégiant trop sans distinction les musiques « sa-
MDG (SACD). Ø 2021-2023. YYYYY BOSMANS : Sonate souvent le violon au détriment du vantes ». La vitalité et la bonne hu-
TT : 1 h 08’. pour piano et violon. piano. Sans cela, on tiendrait là trois meur de l’album précédent se re-
TECHNIQUE : 4,5/5 BACEWICZ : Caprice no 3. Oberek versions de référence. trouvent pleinement ici. On s’incline
Le deuxième vo- no 1. PEJACEVIC : Sonate pour Anne Ibos-Augé devant l’engagement et la minutie
lume de cette violon et piano. CANAL : Sonate (à commencer par le violon jubila-
« Edition Hofka- pour violon et piano. INDISCRETION toire d’Alix Boivert) de ce travail
pelle » témoigne Raphaëlle Moreau (violon), Y Y Y Y « Musique nationale passionnant. Surtout, on apprécie
de l’important Célia Oneto Bensaid (piano). d’Ecosse et d’Irlande au XVIIIe les quelques plages où le clave-
rôle de mécène Mirare. Ø 2023. TT : 59’. siècle ». cin de Pierre Gallon (fantastique
tenu par l’archevêque-électeur de TECHNIQUE : 2,5/5 The Curious Bards. « And thou wert my own thing »)
Cologne Maximilien-François Compositrice HM. Ø 2021. TT : 1 h 07’. et les smallpipes de Quentin Vian-
d’Autriche (1756-1801). Résidant à néerlandaise ma- TECHNIQUE : 4/5 nais (écoutez le Strathspeys « Miss
Bonn, il constitua une bibliothèque jeure du premier Après un premier Clementina Sarah Drummond of
musicale d’une grande richesse et XXe siècle, Hen- disque fort bien Perth », la danse la plus spécifique
renforça l’orchestre de la cour. Cette riëtte Bosmans reçu (cf. no 679), d’Ecosse !) se joignent au collectif
Hofkapelle donnait de nombreux trouve ici deux The Curious pour enrichir sa palette sonore.
concerts auxquels le jeune Beetho- interprètes à sa mesure. Son unique Bards continue Frédéric Degroote
ven prit part à la fois comme pia- et juvénile sonate (1918), déjà par- de reconstituer
niste et altiste. Anton Reicha y fut faitement aboutie, combine classi- un folkore ancien en mêlant tradi- THE PALACIO SONGBOOK
nommé seconde flûte en 1785 et cisme et inventivité. Raphaëlle tion orale et recherche sur l’inter- Y Y Chansons et motets
c’est pour cette formation (dirigée Moreau et Célia Oneto Bensaid prétation historique. Le nouveau de Milan, Encina, Urrede, Dufay,
par son oncle) qu’il écrivit notam- avancent et phrasent avec fluidité. programme s’intéresse aux Peñalosa, Binchois, Brumel,
ment une ludique et stupéfiante L’Allegro initial est très exactement
Grande Ouverture d’un Concert ou « non troppo mosso » tandis que
d’une Académie de la Musique : le tempo (peut-être un rien trop al-
dix-huit minutes de Haydn sous acide lant) de l’Adagio souligne avec élé-
où se succèdent les épisodes les gance ses lignes mouvantes. Des
plus divers mais aussi les événements motifs rythmiques syncopés et des
les plus inattendus – coq-à-l’âne, mélodies popularisantes ornent
ruptures de ton, silences, audaces d’accents slaves la Sonate op. 43
harmoniques, mesures à 5/4. (1919) de la Croate Dora Pejacevic.
Rejoignant l’orchestre en 1790, An- Hésitant entre modalité et tonalité,
dreas Romberg lui destina aussitôt l’Adagio (un étonnant rondo lent
le huitième de ses concertos pour dont un couplet préfigure le finale)
violon. Cette œuvre charmante ré- et l’Allegro molto vivace tranchent
vèle davantage un talent de virtuose avec le postromantisme marqué de
que de compositeur : l’allant que l’Allegro con anima initial.
Dirk Kaftan et son Orchestre Bee- La sonate (1925) de Marguerite Canal
thoven de Bonn s’efforcent de lui fut écrite durant son séjour à la Villa
insuffler ne peut empêcher l’atten- Médicis.Elle déroule quatre mouve-
tion de retomber à certains mo- ments aux couleurs délicatement im-
ments. Le soliste Mikhail Ovrutsky pressionnistes. A un Andantino con
s’investit jusqu’à citer dans la ca- moto ravélien (teinté de cadences
dence du premier mouvement le fauréennes) succède un Sourd et
Concerto « L’Empereur », dans la haletant condensé, évitant tout
même tonalité de mi bémol. ancrage tonal. Suivent un Adagio
Bien que formé à Mannheim, ville espressivo aux accords complexes
réputée pour le caractère d’excel- dont le chant surgit lentement d’une
lence et d’innovation de son or- harmonie mouvante et un Allegro
chestre, Paul Wineberger n’en fut con bravura incisif et jubilatoire. En
pas moins impressionné par la Hof- guise de respirations virtuoses et
kapelle et offrit six symphonies à presque amusées, les brefs Caprice
Maximilien-François. Fort bien ser- no 3 (1946) et Oberek no 1 (1949) de
vie par cet enregistrement, la Sym- Grazyna Bacewicz se glissent entre
phonie en ré est assurément exi- les sonates, aérant savoureusement
geante pour les musiciens, sollicitant ce dense corpus.

I 95
Récitals

Napolitain Nicola Matteis (1649-


Nouveauté 1699) y publia des Suites pour son
instrument et basse continue. Une
Ce projet courageux s’avère ici pleinement seconde partie de violon est par-
UN SECOLO CANTANTE abouti. Après un flamboyant prologue, tiré de fois ajoutée par les interprètes en
« La naissance de l’opéra guise de contrechant (Borre de la
vénitien ». Œuvres de Cavalli,
L’Ormindo de Cavalli et porté par le chant géné-
Suite en ut mineur), voire une troi-
Ferrari, Monteverdi, Uccellini, reusement fleuri d’Emmanuelle De Negri, se sième, remplaçant alors le clavecin
Sacrati, Brunerio et Strozzi. succèdent au fil de l’album sept scènes contras- dans le rôle de la basse (Sarabanda
Emmanuelle de Negri (soprano), tées, entrecoupées de trois somptueuses pages amorosa de la Suite en la mineur).
Blandine Staskiewicz (mezzo), Paul-Antoine instrumentales détachées des Sonate, arie e cor- La virtuosité de ces pièces s’étend
Bénos-Djian (contre-ténor), Zachary Wilder (ténor), renti (1642) de Marco Uccellini. à la basse continue, comme dans
Salvo Vitale (basse), Paolo Zanzu (clavecin
Conformément aux usages des théâtres véni- l’amusante Gavotta de la Suite en
et direction), Le Stagioni.
tiens, le comique s’y mêle au tragique, tandis la mineur où violoncelliste et clave-
Arcana (CD). Ø 2022. TT : 59’.
TECHNIQUE : 4/5 que se côtoient le profane et le spirituel – poi- ciniste donnent à entendre des di-
gnant Pianto della Madonna de Monteverdi, où minutions avant celles du violon. Se
Enregistré en octobre 2022 à la Cité de la voix
de Vézelay par Alban Moreau. Une mise en espace la lamentation de la Vierge se substitue à celle dégage ici un air de franche liberté
où les voix sont inscrites dans un premier plan très qui fait paraître Amandine Beyer
d’Ariane abandonnée. Des personnages bigar-
marqué. La prise de son, en proximité, préserve un peu sage (Alpha, 2009).
rés (empruntés à Monteverdi, Cavalli et
tonicité et dynamique. Si l’acoustique ne gêne La Sonate à quatre parties Z 807 (ca
en rien la précision et la définition, l’image manque Sacrati) se croisent et se confrontent : l’hé- 1680) de Purcell est une grande cha-
un peu d’aération. roïque Pénélope (Blandine Staskiewicz) fait conne. Déployant davantage de
face à ses prétendants, l’ironique Arnalta moyens que pour les Diverse biz-

D
epuis 1984 et le programme vision- (réjouissant Zachary Wilder) à l’industrieuse zarie sopra la vecchia sarabanda o
naire du London Early Music Poppée, la fausse folle Déidamie aux raisonne- pur ciaconna de Matteis, les inter-
Group (« 17th Century Bel Canto », ments savoureux du Capitan (abyssal Salvo prètes jouent avec la basse obsti-
Hyperion), révélant une myriade Vitale), que vient compléter, en écho, une pièce née (jeux de distance, rubatos…)
d’extraits d’opéras alors inconnus inédite de Michelangelo Brunerio (Nella autant qu’avec les motifs mélodiques
(tels Eliogabalo et Muzio Scae- musica di mondo). progressivement dévoilés. S’il ne
vola de Cavalli), aucune antho- Pour servir cette magnifique manque pas de séductions, le relief
expressif qui en résulte pourra sem-
logie dédiée au lyrique baroque construction rhétorico-dra-
bler excessif comparé à la version
vénitien n’avait été à ce point matique, aussi divertissante
de La Rêveuse (Mirare, 2018).
riche et passionnante. qu’édifiante, Zanzu a réuni un Surtout, on découvre quatre so-
Dans un lumineux texte de pré- éblouissant quintette de solistes nates d’une compositrice unique-
sentation, Paolo Zanzu explique et un petit ensemble (conforme ment connue par le pseudonyme de
vouloir « montrer les jeux d’in- aux pratiques du temps : six Mrs. Philarmonica sous lequel elle les
fluences entre la musique théâ- archets, deux théorbes et un publia. Ecrites vers 1715, ces œuvres
trale et les autres genres [du clavecin raffiné) qui les accom- dans le style italien font la part belle
Seicento] tout en déroulant pagnent avec invention et subti- aux violonistes dont l’admirable fu-
comme un opéra imaginaire ». PLAGE 3 DE NOTRE CD lité. Denis Morrier sion des timbres donne lieu à des
moments d’une langueur presque
insoutenable de beauté (Andante
e con spirito de la Sonate en do mi-
Agricola, Isaac, Tromboncino… emprunte également au Cancionero le parti pris d’étirement constant neur) ou bien à de vives conversa-
Da tempera velha, de Segovia, à ceux de Montecas- du temps nous laisse sur le bord du tions en forme de joutes oratoires
Ariel Abramovich (luth). sino et de l’Escurial, et à quelques chemin. Clément Stagnol (Con spirito ma non presto et Vivace
Glossa. Ø 2022. TT : 1 h 11’. recueils publiés par l’imprimeur ita- de la Sonate en sol majeur). Enfin,
TECHNIQUE : 2,5/5 lien Petrucci. Parfois, les correspon- PHILARMONICA l’Adagio et le Vivace de la Sonate
Fort de ses quatre dances avec le Cancionero de Pala- Y Y Y Y Y Œuvres de Matteis, en si mineur nous évoquent, dans
cent soixante- cio existent, mais c’est donner bien Purcell, Mrs. Philarmonica. la lecture passionnée de Théotime
trois pièces, le de l’importance à quelques aspects Le Consort. Langlois de Swarte, Sophie de Bar-
Cancionero de de détail du manuscrit. Et pourquoi Alpha. Ø 2023. TT : 1 h 11’. donnèche, Hanna Salzenstein et Jus-
Palacio est un raccrocher une partie de l’album au TECHNIQUE : 4/5 tin Taylor, quelques pages de la mu-
immense trésor Triptyque de la Crucifixion peint Convoquant une sique religieuse italienne du XVIIIe
qui compile à lui seul la majorité du entre 1440 et 1445 par Roger Van compositrice et siècle. Adrien Cauchie
répertoire profane espagnol des der Weyden ? Tous ces détours deux composi-
XVe et XVIe siècles parvenu jusqu’à brouillent inutilement le propos… teurs, Le Consort SÉRÉNADES POUR VENTS
nous. L’anthologie de « musique Côté interprétation, les voix pa- place au centre YYY RAFF : Sinfonietta.
pour trois voix et luth » à laquelle il raissent souvent mal assurées. Le de son pro- SCHRECK : Nonett Divertimento.
donne ici son titre, balayant la mu- texte est relégué au second plan, gramme l’influence que la musique JADASSOHN : Sérénade.
sique du début de la Renaissance, et le tout baigne dans un état italienne a eue en Angleterre à la Ensemble à vent de l’Orchestre
n’y puise pourtant pas exclusive- contemplatif assumé – y compris fin du XVIIe siècle et au début du philharmonique de Jena,
ment. En effet, le programme l’accompagnement au luth. Enfin, XVIIIe. Violoniste établi à Londres, le Simon Gaudenz.

96 I
CPO. Ø 2021. TT : 59’. ménage quelques surprises harmo- Tarnet, Semple, Clarke, Rowarth, révèlent modérément convain-
TECHNIQUE : 3/5 niques nonobstant un systématisme Knibbs, McMillan, Skempton, cantes. On leur préfère les textures
Malgré l’essor que le Scherzo ne rompt pas. Le Cooke, Howard. plus élaborées d’A Winged Woman
des bois et des nom de Gustav Schreck (1849-1918) The Marian Consort, d’Electra Perivolaris (commande
cuivres durant le reste lié au poste de Thomascantor Rory McCleery. passée en 2022 par le chœur), qui
XIX e siècle, le qu’il occupa à Leipzig jusqu’à sa Linn. Ø 2022. TT : 1 h 10’. mêle poèmes de Heather Dohol-
goût pour les mort. Outre deux sonates (pour TECHNIQUE : 4/5 lau, lettre d’Hildegard von Bingen
grandes forma- basson et pour hautbois) ainsi qu’un Dix compositeurs et vocalises de couleur nostalgique.
tions à vent s’est progressivement nonette pour vents et cordes, il laisse d’aujourd’hui Celles d’Esse indubitamente son
émoussé après Mozart et Beetho- un Divertimento op. 40 peu original (nés entre 1947 Donne (Chloe Knibb) et du médi-
ven. Le genre de la sérénade, en en dépit de la sûreté du contrepoint et 1997) cé- tatif Canticum Mariae Virginis (Phi-
particulier, semblait avoir vécu qui l’irrigue. lèbrent la figure lip Cooke) empruntent elles aussi
jusqu’à ce que Dvorak et Gounod Plus évocatrice que ces premières mariale à travers à des techniques et des styles di-
le renouvellent magistralement dans au disque, la Sinfonietta op. 188 de des textes religieux ou profanes, vers et les combinent pour donner
le dernier quart du siècle. Les œuvres Joachim Raff (1822-1882) regarde dans différentes langues. Il en ré- du relief aux textes. Plus bref, Quae
des trois compositeurs allemands davantage vers Mendelssohn. Son sulte des polyphonies a cappella est ipsa d’Anna Semple oppose
au programme s’inscrivent dans ce écriture brillante, quasi orchestrale, de styles musicaux divers : la fac- deux chœurs (l’un chante des frag-
regain d’intérêt. Elles sont destinées fait mouche. Dommage que la mise ture homophone classique d’Oliver ments du Cantique des cantiques,
à un double quintette à vent (ex- en place rythmique ne soit pas plus Tarney (Prayer) et Howard Skemp- l’autre des visions mystiques de
cepté le nonette de Schreck qui ne précise. Faut-il incriminer la distance ton (Ave Virgo) voisine avec des es- Julian of Norwich) et alterne voca-
requiert qu’un seul hautbois) et se importante entre les musiciens que thétiques plus horizontales (magni- lises grouillantes et passages
coulent dans la forme en quatre semble trahir la prise de son ? Sa- fique Ave Maria composée en 1937 homophoniques.
mouvements. luons néanmoins la persévérance par Rebecca Clarke, seule entorse Les interprètes du Marian Consort
Elève de Liszt et maître de Grieg, avec laquelle Simon Gaudenz et ses chronologique du programme) ou, y brillent partout par la précision
Busoni ou encore Delius, Salomon instrumentistes de Jena servent ces le plus souvent, alliant les deux. et l’homogénéité. Quelques aigus
Jadassohn (1831-1902) renoue avec répertoires oubliés. Les âpres quintes à vide de l’Ave parfois un peu tendus se laissent
des mouvements caractéristiques Bertrand Hainaut maris stella médiévalisant de Ben vite oublier devant une conduite
dans la Sérénade op. 104 : une Rowarth, les orientalisantes Laudi toujours fluide et une palette de
marche et un boléro en guise d’ou- A WINGED WOMAN de James McMillan ou le planant nuances remarquablement variée.
verture et de finale. L’Andante YYYY Œuvres de Perivolaris, Unbound de Dani Howard se Anne Ibos-Augé

I 97
● Les vidéos

De l’enfer au paradis
Capté à Salzbourg, bien chanté, le Triptyque de Christof Loy prend d’efficaces libertés
avec l’ordre voulu par Puccini et ravit par une direction d’acteurs très fouillée.
tenue vocale en mari jaloux, elle incarne avec
autant de style que d’intensité les déchire-
ments d’une Giorgetta irrésistiblement atti-
rée par le Luigi très avantageux de Joshua
Guerrero. Face à Karita Mattila, voix défaite
mais présence incroyable, dont la Princi-
pessa très vamp est d’une froideur glaciale,
Grigorian atteint des sommets, authentique
figure tragique au « Senza mamma » bou-
leversant.
Les petits rôles, si bien dessinés par la mise
en scène, ne le sont pas moins par le chant.
Des anciens y côtoient de jeunes pousses du
Young Singers Project. Simon bien campé
de Scott Wilde, Sœur infirmière pleine de
fraîcheur de Juliette Mars, on pourrait tous
les citer. Enkelejda Shkosa, elle, traverse le
Triptyque, impayable Zita, Fouine nostal-
gique ou Sœur zélote rigide, faisant oublier
le délitement de la tessiture.
La réussite de la production ne tient pas
moins à la direction de Franz Welser-Möst
© SFMONIKA RITTERSHAUS et au Philharmonique de Vienne, qui dis-
tillent toutes les séductions de l’orchestre
puccinien, ses audaces à la fois modernistes
et capiteuses. Le chef, au-delà du théâtre,
crée des atmosphères, peint des tableaux
autant qu’il raconte des histoires. Manque
seulement une once d’humour dans Gianni

P
our Gianni Schicchi un lit, pour rédimée, après une scène d’une violence ter- Schicchi. Didier Van Moere
Il tabarro quelques meubles sur le rible avec la Principessa. Cette fin, problé-
quai, pour Suor Angelica des tables matique pour les metteurs en scène peu por-
et quelques plantes : sur l’immense tés sur les extases sulpiciennes, est ici à la GIACOMO PUCCINI
scène du Festpielhaus salzbourgeois, Chris- fois poignante et cathartique : Angelica 1858-1924
tof Loy veut un Triptyque réduit à l’essentiel, quitte ses habits de religieuse et redevient Y Y Y Y Y Le Triptyque.
tout entier concentré sur la psychologie des une femme. Tenant son enfant, elle réussit, Gianni Schicchi : Asmik Grigorian
personnages. Non qu’il néglige le mouve- à l’inverse de Giorgetta, à trouver sa propre (Lauretta), Misha Kiria (Gianni Schicchi),
Enkelejda Shkosa (Zita),
ment : les ressorts du comique sont activés de vérité. Dès lors, préserver l’ordre initial eût Alexey Neklyudov (Rinuccio)…
main de maître chez le défunt, les scènes col- constitué une erreur. Il tabarro : Roman Burdenko (Michele),
lectives, au couvent, très travaillées. Mais le Asmik Grigorian (Giorgietta),
Triptyque se fonde aussi sur des figures en Anciens et jeunes pousses Joshua Guerrero (Luigi)…
apparence secondaires – héritiers corbeaux, Ce Triptyque a été conçu autour d’Asmik Suor Angelica : Asmik
petits métiers ou religieuses plus ou moins Grigorian, tour à tour Lauretta, Giorgetta Grigorian (Suor Angelica),
candides. La caractérisation de chacune Karita Mattila (la Principessa),
et Angelica. La fille de Schicchi lui sied peu,
Hanna Schwarz (la Badessa)…
atteste un grand metteur en scène. avec un « O mio babbino caro » sans séduc- Chœur de l’Opéra d’Etat
Aux protagonistes, Loy donne aussi un tion. C’est le magnifique imposteur de Misha de Vienne, Wiener
extraordinaire relief, en particulier dans Kiria qu’on écoute d’abord, si loin des vété- Philharmoniker,
Suor Angelica, par laquelle il choisit de refer- rans à bout de voix, éclatant de santé, aux Franz Welser-Möst.
mer son Triptyque, modifiant l’ordre prévu facéties phrasées. Mais la voix de la soprano Mise en scène : Christof Loy.
par Puccini : on passe ainsi, comme chez révèle ensuite sa beauté, ses couleurs, sa dou- Unitel (2 DVD ou Blu-ray).
Dante, de l’enfer auquel est promis Schicchi, ceur et sa puissance. Aux côtés du superbe Ø 2022. TT : 3 h 01’.
Son PCM stéréo/DTS 5.1.
au Paradis qui doit accueillir la pécheresse Michele de Roman Burdenko, exemplaire de

98 I
DOMENICO CIMAROSA napolitain. Malgré un vibrato un
1749-1801 rien trop marqué et fort d’une belle
Y Y Y Le astuzie femminili. sensibilité, le ténor Valentino Buzza
Eleonora Bellocci (Bellina), sait rendre attachant l’amoureux Fi-
Rocco Cavalluzzi (Don Giampaolo landro. En Don Romualdo, le tuteur
Lasagna), Matteo Loi (Don qui voudrait épouser sa pupille, le
Romualdo), Valentino Buzza
(Filandro), Martina Licari (Ersilia),
Angela Schisano (Leonora),
baryton Matteo Loi ne démérite
pas non plus, même si le person-
nage gagnerait à se montrer encore
d’une Ouverture dirigée au bâton
(coquetterie bruyante), Federico
Maria Sardelli obtient d’un orchestre
I l y a bien peu d’adéquation entre
le somptueux cadre versaillais
et cette production venue d’Aix-
Theresia Orchestra, Alessandro plus bouffon. peu rompu à ce répertoire des en-Provence, avec une distribution
De Marchi. Mise en scène : Et les dames ? Eleonora Bellocci, rythmes vifs mais souvent heurtés. renouvelée : costumes modernes,
Cesare Scarton. au médium assuré et à l’émission La sévérité écrase la grâce, surtout décor aux murs nus, envahi de
Dynamic (2 DVD ou Blu-ray). naturelle et expressive, incarne une avec des cordes aussi métalliques chaises et surplombé d’un orne-
Ø 2022. TT : 2 h 46’. Bellina plutôt convaincante. Mar- – « instruments anciens », indique ment saugrenu (un énorme tuyau
Son PCM stéréo/DTS 5.1. tina Licari apporte fraîcheur et agi- pourtant l’éditeur. Les chanteurs de canalisation suspendu aux
lité à Ersilia, et la mezzo Angela mâchonnent le français et sont in- cintres). Les personnages, alignés

C réé à Naples en 1794, deux ans


après Il matrimonio segreto, ce
dramma giocoso connut à l’époque
Schisano compose une gouvernante
enjouée. Le charme classique et
pétillant de cette musique est bien
compréhensibles dès qu’un soup-
çon de mélodie s’en mêle. Seuls
Acis et Télème s’en sortent un peu
dans une boîte, attendent patiem-
ment qu’arrive leur tour. Aurait-on
confondu Busenello avec Piran-
un certain succès. Révisé par Res- restitué par le Theresia Orchestra mieux, mais le premier manque de dello ou Ionesco ?
pighi, on peut l’entendre au disque, sous la direction d’Alessandro De charisme, quand le second s’emballe Dans cette mise en scène a minima,
par Graziella Sciutti, Luigi Alva et Marchi. Julia Le Brun au point de chanter faux dans l’aigu. quelques chairs dénudées, des pos-
Sesto Bruscantini (sous la baguette Polyphème semble bridé, et quand tures lascives et même un peu de
de Mario Rossi, Opera d’Oro) ou JEAN-BAPTISTE LULLY Scylla montre une belle intensité, triolisme bisexuel pour faire sen-
par Daniela Dessi et Simone Alaimo 1632-1687 Galatée souffre d’un timbre sans suel et moderne. La violence gagne
(direction Massimo De Bernart, Fo- Y Acis et Galatée. éclat et d’un jeu très limité, encom- chaque scène, avec œillades ap-
nit/Warner). Cette captation vidéo Jean-François Lombard (Acis), bré par une vaine gestuelle. puyées, vociférations et gesticula-
du Reate Festival, sur instruments Elena Harsanyi (Galatée), Il faut dire que Benjamin Lazar nous tions pour seul mode d’expression.
anciens, propose en outre un retour Luigi De Donato (Polyphème), avait habitué à mieux, beaucoup Les incohérences sont légion, de-
à la version originale. Valeria La Grotta (Diane, Scylla), mieux. Pas d’ancrage historique puis le duo d’amour détourné entre
Au cœur d’une intrigue aussi ban- Sebastian Monti (Apollon, Télème), dans cette mise en scène, mais pas Valetto et Arnalta (substituée à Da-
cale que farfelue, une jeune femme Francesca Lombardi Mazzulli d’idée non plus. Le caractère léger migella), jusqu’au suicide de Sé-
met tout en œuvre avec ses amies (l’Abondance, Aminte), de la pastorale et les conditions nèque : alors qu’il a déjà avalé du
pour dégoûter un fiancé gênant et Chœur et Orchestre du Mai de sa création lors d’une partie de poison et agonise dans des convul-
pouvoir épouser celui qu’elle aime. musical florentin, Federico chasse du Dauphin servent de pré- sions ridicules, ses familiers l’invitent
Déguisements, menaces de mort, Maria Sardelli. Mise en scène : texte à un spectacle faussement à renoncer. Plus absurde encore :
et même une fausse accusation Benjamin Lazar. improvisé, de bric et de broc, où il expire en réclamant son bain pour
d’agression sexuelle : aucune « as- Dynamic (DVD ou Blu-ray). les jeans fréquentent les accessoires s’y tailler les veines !
tuce féminine » ne sera de trop. Ø 2022. TT : 1 h 52’. de soirée costumée, et les toiles Si les yeux s’ennuient, les oreilles
S’ouvrant sur une page campa- Son PCM stéréo/DTS 5.1. peintes les lampions de guinguette. se fatiguent tout aussi vite : voix
gnarde, la soirée se clôt sur une Les danses sont navrantes, le chœur agressives, vibrato exagéré, fiori-
danse russe, tandis que de feints
hussards s’expriment en germano-
italien… Il pourrait y avoir plus de
L ully est venu trouver la gloire en
France et ce n’est malheureu-
sement pas cette version qui redo-
est caché, soirée patronage. Lully
méritait décidément un meilleur
hommage de sa ville natale.
tures hors style, effets racoleurs
ou indélicats… On a rarement en-
tendu Arnalta aussi approximative,
fantaisie encore dans cette partition rera son blason en Italie. Œuvre Guillaume Saintagne Néron aussi strident (atroce duo
d’inspiration inégale et un peu mo- testamentaire, Acis et Galatée a avec Lucain), Poppée aussi peu vo-
notone. Un soupçon de comique pourtant beaucoup de charmes à CLAUDIO MONTEVERDI calement séduisante. Face au chant
supplémentaire n’aurait pas nui à offrir. Si la poésie de Campistron 1567-1643 élégiaque d’Othon ou à la profonde
cette production, même si la direc- est assez plate face à celle de Qui- Y Y L’incoronazione di Poppea autorité de Sénèque, Octavie hurle
tion d’acteur est vive et bien menée, nault, le livret a le mérite d’être clair (version de Venise, 1650). et malmène ses lamentos, tandis
les costumes d’époque raffinés et et bien construit. Le compositeur Elsa Benoit (Poppée), que Valetto surjoue le moindre trait
la mise en scène de Cesare Scarton s’y montre toujours aussi inventif Jake Arditti (Néron), comique.
efficace, plutôt jolie avec ses élé- et l’on peut citer la chaconne finale Ambroisine Bré (Octavie), L’arrangement de la partition est
ments de décor amovibles en ou la lamentation de Galatée au Iestyn Davies (Othon), très peu historiquement informé,
trompe-l’œil. rang des chefs-d’œuvre du maître, Alex Rosen (Sénèque), avec parties instrumentales et inter-
L’œuvre est défendue par une tout en se réjouissant que ce der- Stuart Jackson (Arnalta, ludes ajoutés au style improbable
équipe juvénile, homogène et at- nier ait pu flatter sa veine comique Nourrice), Maya Kherani (Drusilla), (on en regretterait presque l’antique
trayante. On admire leur dyna- avant de mourir, grâce au person- Julie Roset (Valetto, Amour), édition Leppard !). Surtout, il sonne
misme et leur précision sans faille nage élégamment grotesque du Laurence Kilsby (Lucain), fort mal. Bruyant, l’orchestre est
dans les nombreux ensembles. La cyclope Polyphème. Capella Mediterranea, aussi brouillon, avec des violons
basse Rocco Cavalluzzi campe avec Captée à Florence, cette produc- Leonardo Garcia Alarcon. sur la corde raide, d’inutiles dou-
prestance un Don Giampaolo La- tion a hélas pour seul intérêt d’être Mise en scène : Ted Huffman. blures de flûtes ou de cornets, des
sagna plutôt sympathique, s’expri- la première version de l’œuvre dis- CVS (DVD + Blu-ray). Ø 2023. basses vrombissantes, un continuo
mant dans un savoureux dialecte ponible en vidéo. Passé la surprise TT : 2 h 44’. Son DD stéréo. bavard qu’envahissent un fouillis de

I 99
● Les vidéos

cordes pin- pousser la chanson et lancer leurs dans le constructivisme des années flamboyants, galvanisés par les
cées et un répliques, dans l’esprit du stand- 1930. Quant au procédé consistant pouvoirs secrets du metteur en
clavecin hi- up. D’où souvent un sentiment à dérouler sur trois bandeaux lumi- scène qui fait d’eux un aréopage
deux. Pour de statisme, d’uniformité visuelle neux les didascalies ou les textes interlope. Entre cette vidéo et l’en-
faire pop, la aussi, que ne dissipent guère des de liaison (confiés d’habitude à un registrement audio, on privilégiera
rythmique lumières versatiles, ni les innom- récitant), il apparaît excessivement cependant le second, le passage
est systé- brables images fixes ou animées didactique. par la case studio ayant permis de
matique- qui défilent sur quelques écrans, Dans ces conditions, tout repose resserrer quelques vis côté chant.
ment syncopée (dès le premier puisant leur vocabulaire esthétique sur le jeu des Comédiens Français, Emmanuel Dupuy
monologue d’Othon) ou chalou-
pée, quelle que soit la situation ou
le propos. A fuir ! Retournons sans BERNSTEIN INTIME du lit où est allongé un garçon. Cette
regrets aux versions filmées de réfé- dichotomie gouverne tout le film,
rence : Ponnelle/Harnoncourt (DG), Maestro, le biopic sur le chef compositeur, mais par petites touches, articule une narration
mais aussi Audi/Rousset et Alden/ est désormais disponible sur Netflix. entretenue avec un sens du rythme qui aurait
Bicket (l’une et l’autre chez Opus Réalisateur et interprète du rôle principal, probablement plu à Lenny.
Arte). Bradley Cooper a fait le choix de dévoiler Bradley Cooper réussit le tour de force
Denis Morrier l’envers du décor. d’esquisser tous les grands actes de la vie
de Bernstein, ses grands succès comme chef,
KURT WEILL
1900-1950
Y Y Y L’Opéra de quat’ sous
A cteur, producteur, réalisateur : Bradley
Cooper est tout cela à la fois dans le biopic
qu’il a osé consacrer à Leonard Bernstein,
compositeur, personnalité influente, sans
les montrer vraiment. Ses mentors, amis et
collaborateurs de toujours sont là, mais ne font
(version française). icône majeure de la culture américaine dans la que passer. Au centre du jeu, celle que ce film
Dominique Vella (Celia Peachum), deuxième moitié du XXe siècle. Le mur à franchir sensible et poignant réhabilite, c’est Felicia
Christian Hecq (Jeremiah était insurmontable, en apparence : comment Montealegre, l’épouse chilienne de Bernstein
Peachum), Birane Bra (Macheath), évoquer un artiste dont la photographie, – actrice, et ancienne élève de Claudio Arrau.
Marie Oppert (Polly), le cinéma, d’innombrables émissions de Maestro est l’histoire de leur amour ; autrement
Elsa Lepoivre (Jenny), télévision nous ont déjà tout dit et montré ? dit celle de leur rencontre, de la découverte
Benjamin Lavernhe (Brown), Cooper a choisi sans doute la seule voie par Felicia de l’autre facette de Bernstein
Le Balcon, Maxime Pascal. possible : dévoiler l’envers du décor, à savoir le (qu’elle acceptera par amour, comme l’édition
Mise en scène : Thomas Bernstein quotidien et intime dans ses rapports des Bernstein Letters l’a révélé), et des tensions
Ostermeier. avec les autres en général, et sa famille en permanentes qu’elle insufflera à leur relation
Alpha (DVD). Ø 2023. particulier. La double séquence d’ouverture fixe – dans une scène d’anthologie, la plus violente
TT : 2 h 37’. Son N.C. clairement la schizophrénie que sa bisexualité du film, elle lui assène ses quatre vérités. Autres
imposa au musicien : on y voit le Bernstein moments très forts : ceux avec le clarinettiste

P our les qualités et limites musi-


cales de cet Opéra de quat’
sous donné dans une traduction
ultime, en couleur, d’un réalisme physique
saisissant ; puis, en noir et blanc, le jeune
ambitieux vivotant à New York, bondissant
et amant David Oppenheim, celui où, confronté
à une question essentielle posée par sa fille
Jamie, Bernstein n’assume pas et lui ment.
française, on se réfèrera à la cri- Tout cela élabore un portrait riche et complexe,
tique du CD paru il y a quelques entre musique, vie sociale épanouie
mois (cf. no 727). Concernant l’as- et amertume, ce qui sied à l’être
pect théâtral, la vidéo ne change fondamentalement tragique qu’il était.
guère la perception du spectacle L’incarnation de Cooper, sa manière d’être
vu à Aix-en-Provence en juillet der- et de bouger, sont réellement magistrales,
nier. Thomas Ostermeier montre et filmées avec un sens du mouvement qui colle
des comédiens à l’œuvre, avec le parfaitement au rayonnement de Bernstein
souci d’abolir la frontière entre la – la ressemblance est troublante. L’incarnation
représentation et le réel. Ainsi, les de Felicia par Carey Mulligan, l’évolution
ajouts et improvisations sur le texte de son personnage dévoré par le tourment
abondent, fidèles à l’impertinence est elle aussi grandiose.
cabaretière de la pièce, dans le Maestro ? Oui, ô combien. Mais ce titre
but surtout de briser ce fameux est un voile. Le film aurait pu s’appeler Lenny
quatrième mur imaginaire qui se et Felicia. Vous connaissiez l’artiste. A travers
dresse entre la salle et le plateau une histoire de couple hors norme, il vous
– les protagonistes s’adressent rapprochera de l’homme, humain trop humain,
souvent au public, le font même génial et terrible, monstrueux et séducteur
participer. – mais unique, évidemment. Rémy Louis
Un fond noir, un praticable auquel
mènent des escaliers métalliques, Maestro, un film de Bradley Cooper.
une simple grille pour évoquer la A voir sur Netflix. Ø 2023. TT : 2 h 09’.
prison : le principal élément de cet Avec Bradley Cooper, Carrey Mulligan,
© NETFLIX

austère décor est une rangée de Matt Bomer, Maya Hawke, Sarah Silverman,
quatre micros plantés à l’avant- Josh Hamilton…
scène, où les comédiens viennent

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Franck, César : Franck : L’oeuvre pour violon et piano 1225657A 29,74 € p. 79  Reicha, Anton : « Court Concert » (Ovrutsky / Kaftan) 1231427V 33,88 € p. 95 
Gal, Hans : Gal : Anthologie (Karmon / Grimm / Triendl) 1229776A 26,00 € p. 79  Multi-Artistes : « Duelles » (R. Moreau / Oneto Bensaïd) 1229607A 31,90 € p. 95 
Gernsheim, Friedrich : Gernsheim (Hülshoff / Quatuor 1229761A 20,33 € p. 79  The Curious Bards : « Indiscretion » (The Curious Bards) 1223339A 33,07 € p. 95 
Gilles, Jean : Gilles : Messe des morts (Armengaud) 1227851A 31,56 € p. 80  Multi-Artistes : « The Palacio Songbook » (Da tempera velha 1226668A 31,90 € p. 95 
Bach, Goldberg : Goldberg : Sonates en trio (Pramsohler) 1229609A 28,37 € p. 80  Multi-Artistes : « Un secolo cantante » (Zanzu) 1231741A 31,09 € p. 96 
Grieg, Edvard : Grieg : Concerto pour piano (Leonskaja / 1232976A 29,53 € p. 80  Ayrton, Louise : « Philarmonica » (Le Consort) 1230832A 31,09 € p. 96 
Haydn, Joseph : Haydn : Les Sept Dernières Paroles du Christ 1224861A 28,37 € p. 80  Jadassohn, Salomon : « Sérénades pour vents » (Gaudenz) 1229764A 30,26 € p. 96 
Haydn, Joseph : Haydn : Symph. nos 93 à 95 (A. Fischer) 1222803A 18,94 € p. 80  Clarke, Rebecca : « A winged Woman » (McCleery) 1228850A 31,09 € p. 97 
Haydn, Joseph : Haydn : Symph. nos 96 à 98 (A. Fischer) 1228866A 18,94 € p. 80  LES DVD
Chabrier, Emmanuel : Hahn : Le Ruban dénoué (Le Sage / 1229917A 31,49 € p. 81 
Puccini, Giacomo : Puccini ; Le Triptyque (Welser - DVD 149345AN 55,79 € p. 98 
Kaun, Hugo : Kaun : Symph. no 2 (Stockhammer) 1229765A 30,26 € p. 81 
Puccini, Giacomo : Puccini ; Le Triptyque (Welser - BluRay 149345AS 57,68 € p. 98 
Leclair, Jean-Marie : Leclair : 4ème livre de sonates pour 1220781A 28,96 € p. 81 
Cimarosa, Domenico : Cimarosa : Le astuzie femminili (De 148665CN 52,01 € p. 99 
Ligeti, György : Ligeti : Quatuors (Quatuor de Vérone) 1233135A 27,00 € p. 82 
Lully, Jean-Baptiste : Lully : Acis et Galatée (Sardelli / Lazar) 148032CN 46,48 € p. 99 
Liszt, Franz : Liszt : Douze Etudes d’éxécution transcendante 1222898V 31,56 € p. 82 
Lully, Jean-Baptiste : Lully : Acis et Galatée (Sardelli / Lazar) 148032CS 46,48 € p. 99 
Lully, Jean-Baptiste : Lully : Atys (Rousset) 1234422A 53,99 € p. 82 
Mahler, Gustav : Mahler : Symph. no 8 (Vänskä) 1233118V 31,56 € p. 83 
Mascagni, Pietro : Mascagni : Cavalleria rusticana (Hengel- 1233091A 35,44 € p. 83 
Mendelssohn, Felix : Mendelssohn : Pièces pour piano (Lee) 1229000A 27,00 € p. 83 
Mendelssohn, Felix : Mendelssohn : Pièces pour piano (Wil- 1231709A 18,94 € p. 83 
Multi-Artistes : « Capriccio pastorale » (La Capella della Torre) 1231595A 31,49 € p. 84 
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LE SON échos
PAR VINCENT COUSIN

FOCAL ARIA EVO X


(Aluminium/Magnésium) médium 16,5 cm TMD, tweeter TAM)
au profil en M inversé succède et No 4 (trois voies bass-reflex, deux woofers
au tweeter TNF, couvrant l’aigu 21 cm, médium 16,5 cm TMD, tweeter
jusqu’à 30 kHz. Le médium TAM), ainsi qu’une centrale Evo X Center

1
Inaugurant en 2013, dans l’histoire de la reçoit la suspension TMD (Tuned (deux voies bass-reflex, deux woofer-
marque de Saint-Etienne, des haut-parleurs Mass Damper) pour une meilleure médium 16,5 cm TMD, tweeter TAM).
avec membranes sandwich Flax à base de dynamique et une distorsion moindre Les rendements vont de 89,5 dB pour
fibres de lin, la gamme Aria 900 a marqué – un amortisseur harmonique stabilise le la No 1 à 92,5 dB pour la No 4, 91 dB pour
son époque. Appréciée pour son caractère comportement de la suspension dans cette la Center. La No 4 couvre un spectre de
sonore mariant intelligibilité et relief, son zone du spectre où la sensibilité de l’oreille 37 Hz à 30 kHz (±3 dB) et descend à 31 Hz
design et son accessibilité, elle a ensuite été est la plus élevée et la densité à -6 dB avec des coupures à 280 Hz et
déclinée en Aria K2, les membranes Flax d’informations à son maximum. Le moteur 2600 Hz. A l’opposé, la No 1 promet 55 Hz
cédant la place à des membranes K2 en des woofers est revu afin d’offrir plus à 30 kHz (±3 dB) et 47 Hz à -6 dB avec une
fibre d’aramide au son encore plus incisif. d’impact dans le grave et les filtres sont coupure à 2800 Hz. Focal insiste sur la
Dix ans plus tard, cette gamme promettant retravaillés pour améliorer équilibre et montée en qualité perçue de cette nouvelle
une « haute-fidélité réellement expressive fusion des registres. La famille se compose ligne disponible en finitions Black High
et accessible à tous » cède la place à une d’une deux voies bass-reflex compacte, Gloss et Prime Walnut ainsi qu’un
toute nouvelle ligne baptisée Aria Evo X. la No 1 (avec tweeter TAM complété d’un tout nouveau coloris Moss Green High Gloss
Elle s’en distingue par de réelles avancées grave-médium de 16,5 cm à suspension parfaitement assorti à la façade
technologiques tout en restant fidèle à la TMD), de trois colonnes No 2 (trois voies avec effet cuir. Les mêmes en mieux !
membrane Flax pour le grave et le médium. bass-reflex, deux woofers 16,5 cm, médium PPI : Aria Evo X No 1 : 749 €. No 2 : 1699 €.
L’innovation porte sur différents points : 16,5 cm TMD, tweeter TAM), No 3 (trois No 3 : 1999 €. No 4 : 2299 €.
le nouveau tweeter TAM à dôme Al/Mg voies bass-reflex, trois woofers 16,5 cm, Aria Evo X Center : 799 €. focal.com

MEZE EMPYREAN II NAGRA HD PHONO


2
Diapason d’or en 2019, ce casque haut de gamme à diaphragme

3
Isoplanar élaboré avec un soin rigoureux en Marmatie, au nord-ouest L’excellence chez Nagra se conjugue en deux lettres : HD,
de la Roumanie, entame une nouvelle carrière en version II. Fruit comme High Definition. Cet étage phono au superlatif vient
d’une collaboration réussie avec l’ukrainien Rinaro dans la mise compléter les HD Preamp, HD DAC X et les blocs mono HD
au point de son haut-parleur hybride isodynamique, l’Empyrean II Amp. Comme souvent chez le constructeur de Romanel-sur-
promet plus de clarté, de profondeur et un confort d’écoute Lausanne, celui-ci est l’aboutissement d’une évolution qui puise
en progrès. Isodynamique, car les transducteurs consistent dans le passé prestigieux de Nagra Kudelski, entreprise fondée
en une membrane plane se déplaçant entre des barreaux aimantés, par Stefan Kudelski, inventeur des magnétophones Nagra
pesant seulement 0,16 g tout en développant 4650 mm² de surface de reportage qui ont quadrillé et quadrillent encore la planète.
active. Hybride, car leur profil ovoïde combine deux sortes Le HD Phono trouve sa source dans les étages préampli
de bobines mobiles imprimées à la surface de la membrane planaire, du magnétophone Nagra IV-SJ qui a donné l’étage phono
l’une en forme de spirale pour les fréquences élevées, l’autre en forme du préampli PL-P, suivi des Nagra VPS et BPS, puis du Classic
de serpentin pour les fréquences basses de manière à couvrir un large Phono en 2020. Le HD Phono est conçu en deux châssis massifs
spectre tout en ménageant un espace sonore usinés CNC et suspendus ; le premier contient une alimentation
parfaitement décloisonné (casque ouvert). à supercondensateur ultra-silencieuse, le second des étages à
La bande passante couvre de 8 Hz à 110 000 Hz tubes dual mono en pure classe A offrant trois entrées, une MM
avec une sensibilité de 105 dB et un niveau maxi et deux MC munies de transfos élévateurs de gain 26 dB, avec
de 130 dB SPL (!) pour une impédance de 32 Ω. impédance réglable au pas de 5 Ω entre 5 et 390 Ω. Le gain total
Le cadre des écouteurs est en ABS et fibre de verre, est 68,5 dB (±6 dB). La courbe de correction est ajustable entre
l’arceau en fibre de carbone et son repose-tête en les valeurs RIAA, Teldec, NAB 100μS, Victor EUR, Victor USA.
cuir le rend à la fois confortable et pas encore trop PPI : NC. nagraaudio.com
lourd (385 g). Un choix de câbles PCUHD plaqué
argent ou cuivre pur est possible, et le casque
est livré en valise avec deux types de coussinets,
alcantara et mixte.
PPI : 2999 €. mezeaudio.fr

I 105
● échos EN BREF
par courroie, bras droit et étage
phono MM commutable. Côté
CD, le confort d’usage est visé
avec le CD-C603 et son plateau
cinq disques, un plus pour lire
DUAL LE RETOUR ELIPSON PLANET L GOLD un opéra ou une intégrale sans
quitter son fauteuil. Une touche
EDITION & PLANET W35 Xi

4
L’engouement pour le vinyle qui compte pour 45 %
du chiffre d’affaires des formats physiques en valeur, Elipson cultive la sphère Pure Direct coupe la sortie
contre moins de 1 % il y a dix ans (source : Statista) en versions passive et active numérique et l’affichage pour
entraîne dans son sillage le retour de marques un peu connectée. La Planet L Gold une plus grande pureté du son.
oubliées. C’est le cas de l’allemand Dual dont les premiers Edition (diamètre 29 cm, coaxial PPI : TT-S303 : 529 €.
tourne-disques à double moteur combinant mécanisme 16,5 cm avec tweeter à dôme CD-C603 : 599 €. yamaha.fr
d’horlogerie et moteur électrique, d’où leur nom, datent tissu de 25 mm, bass-reflex,
de 1935. Plus grand fabricant de platines en Europe post filtre deux voies à composants SONUS FABER DUETTO
Seconde Guerre mondiale, la société construisait aussi audiophiles) se décline en trois L’italien se jette à son tour dans
amplis, tuners, lecteurs de cassettes et magnétoscopes nouveaux coloris Mercury Ice la mêlée des enceintes actives
avant de déposer le bilan fin 2022. La nouvelle entité DUAL Gold, Mars Lava et Uranus Cloud, connectées en privilégiant
Deutschland GmbH est installée à Fuchstal, en Bavière. ornés d’un socle et d’une grille le segment
Tradition et savoir-faire aidant, elle scinde sa gamme dorés. En version active haut de
en deux lignes. La première propose des platines à pose connectée, la Planet W35 Xi gamme.
et relevage du bras automatisés – les modèles CS329, intègre Chromecast et AirPlay 2, Les Duetto
CS429 et CS529 –, toutes trois entraînées par courroie. Amazon Music, Deezer, Spotify sont des
L’autre ligne, manuelle à 100 %, vise Connect, Tidal, Qobuz, les web compactes
un public plus averti et compte trois radios, mais aussi le Bluetooth 5.0 deux voies bi-amplifiées Ultra
modèles, CS418 et CS518 à courroie et des connexions filaires Toslink, Wide Band (transmission sans fil
et CS618Q en direct drive (photo). mini jack 3,5 et RJ45. entre les deux enceintes). 350 W
Au sommet, un modèle direct drive Son système stéréo met en d’amplification par enceinte,
réalisé à l’unité, la Primus œuvre deux woofers de 16,5 cm un woofer 13 cm en bass-reflex
Maximus. Wirklich interessant ! et deux tweeters de 25 mm. et un tweeter à dôme soie
PPI : Automatique de 400 à PPI : Planet L Gold Ed. : 999 € de 28 mm. Streaming AirPlay 2,
1100 €. Manuelle de 550 à 1300 €. (la paire). Planet W35 Xi : 699 €. Chromecast, Spotify, Tidal
fusion-acoustic.com elipson.com Connect, Roon ready, Bluetooth
AptX HD, mais aussi entrées
YAMAHA phono/ligne, Toslink, HDMI-eARC
CD-C603 & TT-S303 et sortie Subwoofer.
ACOUSTIC ENERGY PPI : 3999 € (la paire).
finesounds.fr
CORINIUM VERTERE

5
L’anglais Acoustic Energy enclenche la vitesse supérieure XTRAX & DARK SABRE
avec les Corinium. L’ambition exprimée par Mat Spandl : Chez Vertere, la
« établir de nouvelles normes en matière de son, de design XTRAX, nouvelle
et de valeur ». Du haut de gamme accessible, une vision référence en MC,
à laquelle on adhère. S’appuyant sur l’exemple Que vous soyez vinyle ou CD,
Yamaha a ce qu’il vous faut. reçoit châssis
de la BBC LS3/5A, musicalement juste sans être rigoureuse aluminium, stylet
à la mesure, Mat Spandl décrit la Corinium, dont le nom La TT-S303 marque le retour
du fabricant en tant que micro-elliptique en diamant nu
latin est celui que portait la ville de Cirencester à l’époque et cantilever télescopique. Pour
romaine, comme une colonne optimisée pour combiner spécialiste de la lecture vinyle
performante et accessible. un budget moindre, la Dark Sabre
dynamique à grande échelle et musicalité fine, médium bénéficie de ces innovations.
expressif et excellent sens du rythme. Au menu, socle lourd laqué noir
isolé par des pieds amortisseurs, PPI : XTRAX : 6750 €. Dark Sabre :
La Corinium regroupe dans une ébénisterie 1700 €. laudiodistribution.com
Resonance Suppression Composite aux parois plateau aluminium entraîné
évasées un groupe médium de 12 cm et tweeter
Soft dome de 29 mm avec légère amorce TÉLEX
de pavillon. Le médium couvre cinq octaves avant ● Quadri-amplifiée , ne coûtant que 249 €, comprenant deux 11 cm
de passer le relais au tweeter à 3400 Hz. Le grave et deux tweeters de 19 mm, l’enceinte Bluetooth Tangent Spectrum
est confié à deux 14 cm à membranes carbone Square est conçue pour s’intégrer aux meubles IKEA Kallax et Expedit.
comme le médium coupé dans le bas à 260 Hz. ● Les TAD Grand Evolution One GE1 sont de belles colonnes trois
L’épaisseur des parois atteint 50 mm, la façade voies avec deux woofers de 18 cm MACS II (aramide) et un haut-parleur
est doublée d’une feuille d’aluminium de 6 mm coaxial CST, incluant un tweeter de 35 mm à dôme béryllium, et un
et le rendement est de 92 dB. Voici qui promet. cône médium de 14 cm en magnésium. 88 dB et 58 000 € la paire.
PPI : de 7200 à 7900 €, selon finition. jffdiffusion.

106 I
Déjà mythique...

La série de câbles « Mythical Creatures »


est exclusivement disponible chez :

Annecy Nautile Store 04 50 65 13 54


Chandon Hifi Solution 04 77 60 39 23
Cormontreuil Passion Home
Cinema 03 26 23 97 72
Fréjus Design Audio 04 94 17 90 17
Mulhouse Les artisans
du son 03 89 46 43 75
Nantes L’Auditorium 02 40 20 53 09
Paris Elecson KLS 01 43 40 34 84
Toulouse Play Hifi 05 62 73 53 63
LE SON banc d’essai

de 990 € à 15 990 €
Sur la ligne de départ, notre sélection de treize amplificateurs rassemble une proportion
plus forte qu’à l’accoutumée de modèles 100 % lampes, six au total (Cayin Jazz 80 EL34,
Pier Audio MS-300B-PP, Triode TRV-88XR, Aurorasound HFSA-01, Synthesis Roma 510AC
Signature, Copland CTA-407). Pour compléter ce défilé qui va de l’EL84 à la 300B en passant
par l’EL34 et la KT88, deux modèles hybrides jouent le rôle de chaînons manquants dans
la théorie de l’évolution des amplificateurs modernes, les Magnat MA 900 et Aesthetix
Mimas. Sur un autre versant, ceux qui misent tout sur le numérique et/ou la classe D, du bébé
Creek 4040A aux intégrés Java Single Shot Integrated et Bel Canto E1X en passant
par le couple NAD M66 + M23. Un brin extrême, l’inclassable B.Audio Alpha One place
son amplification en classe AB sous haute surveillance d’un cerveau numérique de gestion
et d’optimisation. A l’arrivée, une sacrée brochette de talents.

CREEK 4040A

O
ubliée la forme allongée, comme le capot en bois, de l’intégré L’écoute
CAS4040 des années 1980, premier du nom dans la lignée du L’écran LCD affiche même la résolution des signaux numériques
fabricant basé à Hemel Hempstead au nord de Londres. qu’on lui soumet. Le réglage de volume agit par pas de 1 dB, la molette
Oubliée également la couleur verte emblématique du logo et de la de gauche s’occupe du choix de l’entrée et des paramètres accessibles
typographie des versions suivantes. Présenté en compagnie du lec- par menus, dont balance et tonalité. Le son maintenant. Pour rester
teur 4040CD au High End de Munich en mai 2023, le 4040A, dernier cohérent, nous avons branché un lecteur réseau NuPrime Stream-9
avatar de cette série légendaire, se met au goût du jour en optant au DAC du 4040A : le résultat est on ne peut plus convaincant.
pour des modules Merus en classe D de chez Infineon associés Le convertisseur et la partie amplification sont dans une continuité
à un DAC doté d’une puce ESS Sabre ES9018k2m 32 Bits, le tout vivante et homogène, avec une présence et une représentation spatiale
logeant dans un boîtier ultra compact et demeurant sous la barre qui font penser à une électronique de plus gros calibre. C’est saillant
fatidique des 1000 €. Comme l’indique son concepteur Mike Creek, à l’écoute d’une pièce aux variations mélodiques et dynamiques aussi
« la clé des performances impressionnantes de l’amplificateur inté- marquées que la Bacchanale de Daphnis et Chloé (extrait B) ou
gré réside dans son alimentation haute fréquence, optimisée pour encore dans le dialogue – presque un combat piano-violoncelle –
l’électronique audio. » S’ajoute l’agréable surprise de trouver trois de la pièce « Fire – Li » de Marion von Tilzer (extrait A). Le 4040A
entrées ligne dont une XLR, une autre configurable en phono avec y concilie l’ardeur du jeu des deux interprètes avec une mise en scène
la carte optionnelle Sequel mk4, une en entrée directe ampli, trois respirante, savamment organisée sur les axes espace et temps. Dans
entrées numériques dont une coaxiale et une optique en 24 Bits/ une catégorie qui ne cesse de croître en nombre de prétendants, celle
192 kHz, la troisième USB-B pour tous signaux des mini DAC/amplis en classe D, le 4040A brigue
PCM 24/192 et DSD64. En prime un récep- la plus haute marche du podium. Une belle
teur Bluetooth 5.0 aptX HD et une sortie continuité d’esprit et de talent.
casque jack 6,35. Mini le 4040A ? Sa puis-
sance, bien servie par l’alimentation de Les + : Compact, musical, et en classe D.
350 watts stabilisée en tension, lui permet Les - : En restant abordable (+).
de délivrer 2x55 W sous 8 Ω et de doubler
celle-ci sous 4 Ω. Petit mais musclé. stentor-distribution.fr

108 I
MAGNAT MA 900

M
oins connue de ce côté-ci du Rhin, si ce n’est pour ses cais- chaque sous-ensemble. Les tubes sont placés dans une enceinte
sons de basses réputés, la marque de Pulheim, près de Cologne, protégée par un écran métallique juste derrière la façade – comme
a eu cinquante ans en 2023. Cinquante années au service de un certain Luxman LV-105, précurseur de l’intégré hybride dans
la haute-fidélité, du Home cinéma et du car audio, en tant que fabri- les années 1980. Belle référence à laquelle ce MA 900, quarante ans
cant d’enceintes et d’électroniques, mais aussi d’une récente table plus tard, peut se référer sans complexe en matière d’apport musical
de lecture vinyle, la MTT 990. Un savoir-faire tout entier concentré et d’un rapport qualité/prix détonnant. Avec le lecteur NuPrime
dans cet intégré hybride tubes-transistors équipé d’un DAC 24 Bits/ Stream-9 en direct sur le DAC, une plage aussi délicate et travaillée
192 kHz, du Bluetooth 5.0 aptX HD, d’un étage phono au rapport que le duo piano et violon Jazz, Lagoon I de Sergey Akhunov (extrait C),
signal/bruit de 85 dB en MM et 74 dB en MC, et de circuits d’ampli- fait preuve d’une grande finesse résolutive et d’un drive puissant,
fication délivrant 2x130 W sous 8 Ω et 2x200 W sous 4 Ω en classe ne laissant aucune place à l’hésitation ou au manque d’assise.
AB. En régime impulsionnel, le MA 900 peut même atteindre On mesure ici à quel point une hybridation réussie associée à une
2x320 W sous 4 Ω, une puissance colossale pour un intégré de cette section amplificatrice largement dotée en alimentation influe sur
gamme, qu’il doit à une alimentation qui ne l’est pas moins, orga- le niveau de réalisme de la reproduction musicale, agissant sur la
nisée autour d’un imposant transfo toroïdal noyé dans une résine matière du son, le comportement dynamique, la crédibilité harmo-
coulée dans un épais berceau métallique solidement boulonné. nique et rythmique. Même constat avec l’entrée phono visiblement
L’alimentation du DAC emprunte une autre voie, de façon à séparer soignée, positionnant cet intégré comme le plus audiophile du
la partie numérique de la partie analogique. Les entrées sont au constructeur. Que ce soit en MM avec transfo élévateur ou directe-
nombre de douze, six analogiques haut niveau dont une en façade ment en MC avec une cellule Audio-Technica AT-ART9, la restitu-
(jack 3,5), phono MM et MC, quatre numériques coaxiales et Toslink ; tion du Songe d’une nuit de Sabbat dirigé par François-Xavier Roth
ni HDMI ni USB en revanche, celle qui est présente étant réservée est à la fois puissante et habitée (extrait F). Est-ce que le MA 900
au service. Au menu également une sortie casque « plie le match » ? Avec une telle puissance et de
jack 6,35 et une sortie enregistrement. Les telles potentialités, il y a des chances.
tubes d’entrée sont des doubles triodes ECC81.
Les + : Puissant, hybride et talentueux.
L’écoute Les - : Manque une interface USB-B.
Les 11,7 kg du MA 900 attestent le sérieux de
sa conception avec des circuits dédiés à magnat.de

CAYIN JAZZ 80 EL34

U
ne électronique à tubes est-elle forcément dispendieuse ? plus puissants. Ce sentiment provient sans doute de la génération par
Pas dans le cas de ce Jazz 80 équipé d’un push-pull de tubes les amplis à lampes d’une quantité d’harmoniques élevée comparée
pentode EL34 – existe aussi une version pentode KT88 –, à leurs homologues à transistors, se soldant par une distorsion légè-
un tube musical et endurant, employé ici en-deçà de son potentiel rement supérieure d’où ce fameux « son lampes » qualifié de plein,
maximal, soit 2x36 W en mode Ultra linéaire ou 2x18 W en mode généreux et chaud. Le Cayin Jazz 80 EL34 évite de tomber dans
Triode, sur 4 ou 8 Ω grâce aux transformateurs de sortie. Question le piège de l’ultra-romantisme et présente plutôt un profil droit, linéaire
fiabilité, comptez a minima sur 5000 heures de fonctionnement et transparent sans être sec ni manquer d’expression, avec un bon
avant de changer les EL34, le triple pour les tubes d’entrée. recul du bruit confirmé par la mesure (rapport S/B 90 dB pondéré A).
Remplacer les tubes de sortie demande à régler le courant de pola- Ce qui se révèle très convaincant à l’écoute, y compris au casque. Quid
risation (Bias) ; cette opération est facilitée, sur le Jazz 80, par du débat Triode contre Ultra linéaire ? Disons que le mode Ultra linéaire
la présence de vumètres au double usage de contrôle de la modu- est celui qui procure le plus d’impact, le mode Triode se montrant plus
lation et de mesure du Bias. Outre ces deux vumètres, on trouve fin, plus articulé, plus proche de la vérité des timbres. Riche idée que
un sélecteur ouvrant un choix de trois entrées ligne et un récepteur de proposer les deux modes afin, pourquoi pas, d’en changer d’un
Bluetooth aptX HD et LDAC, un peu saugrenu sur un ampli à lampes disque à l’autre. Exemple avec la Bacchanale tirée de la symphonie
à vocation audiophile, mais fidèle à l’air du temps. A droite, le réglage chorégraphique Daphnis et Chloé dont les brusques variations au
de volume est motorisé – ça c’est de la modernité bienvenue, tout chœur et à l’orchestre gagnent à être épaulées par un comportement
comme la présence d’une sortie casque en jack 6,35. La fabrication énergique (extrait B), tandis que la voix de Véronique Gens dans La
est de très bonne facture, avec un châssis bien ajusté, une façade Voix humaine de Poulenc profite du discernement tout en nuances
épaisse et un capot laqué, l’interrupteur de mise et de l’expressivité propre au mode Triode (extrait D).
en service sur le flanc gauche et des clés au plus Un choix esthétique rendu possible par cet intégré au
près des tubes pour le contrôle du Bias et le pas- potentiel situé au-delà de sa valeur.
sage de mode Triode à Ultra linéaire.
Les + : Un choix malin pour démarrer
L’écoute dans l’univers du tube.
Il se dit souvent que les watts des amplis à tran- Les - : Et ne pas s’en lasser (+).
sistors ne valent pas ceux des amplis à lampes,
que ces derniers paraissent systématiquement son-video.com

I 109
● banc d’essai

PIER AUDIO MS-300B-PP

I
nstallée à Coulommiers-la-Tour, entre Blois et Vendôme, l’entre- bien doté pour mettre en valeur les 300B. La diversité de ces tubes
prise Pier Audio fait régulièrement l’objet de nos chroniques disponibles sur le marché démontre leur attrait – certains, comme des
– le mois dernier encore avec les enceintes Filante 21 Tubular, Western Electric originaux de 1961, sont vendus 9995 $, soit plus de
extrapolation en plus grand des Filante 17 Tubular (Diapason d’or, trois fois le prix de cet ampli pour une seule paire. Ici, on démarre
cf. no 718). L’autre savoir-faire de la marque aux appareils conçus basique mais rien n’empêchera de faire évoluer l’appareil avec le temps
en France et assemblés en Chine, ce sont les amplificateurs hybrides – la base est saine. Une clé à deux positions Normal/Soft placée auprès
ou 100 % lampes. Ce tout nouvel intégré met en œuvre un push-pull des tubes modifie la tonicité de l’ampli et sa réponse impulsionnelle.
de tubes monotriode 300B, considérés comme les rois des tubes Accompagnant les brusques variations d’intensité du chœur et de
et portés aux nues par les aficionados. Autre caractéristique de la l’orchestre du Sinfonia of London dans la Bacchanale tirée de Daphnis
marque : offrir le meilleur en musicalité et fiabilité tout en restant et Chloé (extrait B), le MS-300B-PP montre deux visages : d’un senti-
abordable. Pari tenu avec cet intégré qui met en œuvre pas moins ment de liberté et d’intense respiration en mode Normal, on passe
d’une dizaine de tubes, les quatre 300B, mais aussi quatre doubles à quelque chose de plus intime, relaxé, mais aussi fouillé en position
triodes 6SN7 pour les étages entrée et driver, et deux valves redres- Soft. Quel que soit le mode et même avec des enceintes au rendement
seuses 5U4G pour les alimentations droite et gauche. En matière très bas, l’impression d’aisance, de spontanéité et d’ouverture carac-
d’entrées, le MS-300B-PP est suffisamment doté avec trois entrées téristiques des 300B domine et fait la différence, donnant à la musique
ligne dont une en XLR, une phono MM et une ligne directe pour enregistrée un sentiment d’urgence et de fraîcheur inégalé. Faire l’expé-
s’en servir en bloc de puissance. Quatre commandes rience de la 300B en disposant grâce au push-pull
rotatives en façade, pour la mise en route, le contrôle d’une bonne réserve de tonicité à un tarif aussi mesuré
des Bias (courant de polarisation) des 300B à l’aide constitue en soi une performance louable, pour ne
du galvanomètre central, volume et choix des sources. pas dire unique. Vous savez tout.
Sur le dessus deux clés pour reconfigurer l’intégré.
Les + : La 300B pour tous, et un rêve
L’écoute qui se réalise pour beaucoup.
L’appareil a été écouté en tant qu’intégré et en tant que Les - : Et l’entretien des dix tubes,
bloc stéréo à partir d’un préampli extérieur, un disposi- le prix de ce rêve.
tif qui a tout son sens si l’on souhaite faire évoluer son
système à terme. Tel quel, l’intégré se montre déjà fort pier-audio.com

RAPPORT
ÉQUILIBRE QUALITÉ ENTRÉES/SORTIES ENTRÉE SORTIE
DYNAMIQUE QUALITÉ PPI DAC
SPECTRAL MUSICALE LIGNE PHONO PREAMPLI
PRIX
Sequel mk4 S/PDIF, Toslink, USB-B,
CREEK 4040A ★ ★★ ★ ★ ★ ★★ ★★ ★ ★ ★★ ★★ ★ ★★ ★ ★★ 990 € 2 RCA, 1 XLR NON
Option 149 € PCM 24 Bits/192 kHz DSD64
5 RCA, 2 S/PDIF, 2 Toslink,
MAGNAT MA 900 ★ ★★ ★ ★ ★ ★★ ★★ ★ ★ ★ ★★ ★ ★ ★ ★ ★★ ★ ★★ 1099 € MM/MC NON
1 jack 3,5/REC OUT PCM 24 Bits/192 kHz
CAYIN Jazz 80 EL34 ★ ★★ ★ ★ ★ ★★ ★★ ★ ★ ★★ ★ ★ ★ ★★ ★ ★★ 1890 € 3 RCA NON NON NON
PIER AUDIO ★ ★★ ★ ★ ★★ ★★ ★ ★ ★ ★★ ★ ★ ★ ★★ ★ ★★ ★ 2990 € 2 RCA, 1 XLR MM NON NON
MS-300B-PP

TRIODE TRV-88XR ★ ★★ ★ ★ ★ ★★ ★★ ★ ★ ★★ ★ ★ ★ ★★ ★ ★ 3990 € 3 RCA MM NON NON

AURORASOUND HFSA-01 ★ ★★ ★ ★ ★★ ★★ ★ ★ ★ ★★ ★ ★ ★ ★ ★★ ★ ★ 4449 € 3 RCA MM NON NON

SYNTHESIS ★ ★★ ★ ★ ★★ ★★ ★ ★ ★ ★★ ★ ★ ★★ ★ ★★ 4990 € 3 RCA, 1 XLR MM/MC NON OUI


Roma 510AC Signature

COPLAND CTA-407 ★ ★★ ★ ★ ★ ★★ ★★ ★ ★ ★ ★★ ★ ★ ★ ★ ★★ ★ ★★ 6990 € 5 RCA/REC OUT MM NON NON

JAVA Single Shot ★ ★★ ★ ★ ★ ★★ ★★ ★ ★ ★ ★★ ★ ★ ★ ★ ★★ ★ ★ 8900 € 2 RCA MM USB-B PCM 24/192 DSD in DoP OUI
Integrated

★ ★★ ★ ★ ★★ ★★ ★ ★ ★★ ★ ★ ★★ ★ ★★
2 RCA, 1 XLR/ 4 S/PDIF, 1 AES/EBU, OUI
NAD Masters M66 5999 € MM/MC
4 SUB OUT XLR 1 HDMI-eARC, 1 USB-A RCA+XLR

NAD Masters M23 ★ ★★ ★ ★ ★ ★★ ★★ ★ ★ ★★ ★ ★ ★★ ★ ★★ 3999 € 1 RCA, 1 XLR - - -

1 AES/EBU, 1 BNC, 1 Toslink, 1 USB-B,


BEL CANTO E1X ★ ★★ ★ ★ ★ ★★ ★★ ★ ★ ★ ★★ ★ ★ ★ ★ ★★ ★ ★★ 10 000 € 2 RCA MM/MC 1 USB-A, PCM 24 Bits/384 kHz OUI
DSD in DoP, MQA

MM/MC 2 Coax, 2 Toslink, 1 USB-B PCM 24 OUI


AESTHETIX MIMAS ★ ★★ ★ ★ ★★ ★★ ★ ★ ★★ ★ ★ ★★ ★ ★★ 12 700 € 5 RCA+XLR
Option 1950 € Bits/384 kHz DSD128 Option 1950 € RCA+XLR

1 AES/EBU, 1 S/PDIF, 2 Toslink,


B.AUDIO Alpha One ★ ★★ ★ ★ ★ ★★ ★★ ★ ★ ★★ ★ ★ ★★ ★ ★★ 15 990 € 2 RCA, 1 XLR NON 1 USB-B, 1 USB-A, PCM 24/384 OUI XLR
DSD256 DXD

110 I
TRIODE TRV-88XR

A
la tête d’une vingtaine d’électroniques toutes à tubes, l’entre- L’écoute
prise Triode Corporation fondée par M. Junichi Yamazaki A le voir, on ne pourrait pas déceler le tempérament enjoué, volontaire
à Koshigaya Saitama en 1994 (Japon), fêtera cette année et compétent dont cet ampli fait preuve plage de test après plage de test.
ses trente ans. Au sommet de la gamme trône le Junone 845S. Avec Les apparences sont souvent trompeuses ; s’agissant d’une marque
ses triodes 845, tube né aux Etats-Unis dans les années 1930, drivées jamais testée dans nos pages, cette remarque vaut, d’où une écoute
par des triodes 300B, il délivre la coquette puissance de 22+22 W soutenue. L’impression générale est celle d’un son vivant, articulé
en classe A. Nettement moins ambitieux mais aussi plus puissant, et consistant, ni monotone ni redondant. Volontaire aussi, capable
le modèle sélectionné pour ce dossier est nouveau. Il s’agit d’un d’animer avec une bonne réserve d’énergie nos lourdes colonnes trois
intégré délivrant 2x35 W grâce à un push-pull de pentodes KT88 voies au rendement de 93 dB. Nos plages de test les plus exigeantes
polarisées en classe AB. Superbement fini avec sa façade alumi- sur les critères de respect de la densité spectrale, des transitoires
nium brossé et son châssis laqué rouge, il se montre étonnamment et de l’ouverture spatiale sont, pour des raisons complémentaires,
compact pour la catégorie, ne mesurant que 34,5 cm en largeur, la Bacchanale, tableau final du ballet Daphnis et Chloé, avec le chœur
18,5 cm en hauteur et 32 cm en profondeur, tout en étant doté et l’orchestre lancés en vagues successives (extrait B), et le minimaliste
de quatre entrées, dont une phono MM, et d’une sortie casque en « Fire – Li » de Marion von Tilzer pour piano et violoncelle aux sono-
jack 6,35, les sorties haut-parleurs étant uniques que ce soit pour rités organiques (extrait A). Le TRV-88XR passe sans accroc des sons
des enceintes en 4 ou 8 Ω. Sur le dessus, trois clés, un galvanomètre denses et piégeux du premier extrait au sens de l’épure et du détail que
et quatre axes de potentiomètres accessibles à l’aide requiert le suivant. Confronté à de telles difficultés,
d’un tournevis fin dans le but d’ajuster les Bias cet intégré se montre respectueux de l’enveloppe so-
(courant de polarisation) des tubes de puissance. nore et de son évolution dans le temps ; dit autre-
Les deux clés extérieures pour sélectionner le tube ment, il permet de ressentir l’intention musicale
mesuré par le galvanomètre, la troisième pour et l’essence du son. Pour trouver mieux, il faudra
choisir des pentodes EL34 en lieu et place des franchir un sérieux cap en matière de budget.
KT88. De quoi posséder deux amplis en un
pour le prix d’un jeu de tubes supplémentaire. Les + : L’accord entre suavité et autorité.
La télécommande permet réglage à distance Les - : Une réputation à construire.
du volume et Mute, mais aussi changement
d’entrée. Pour ne pas quitter son canapé. conceptas.fr

SORTIE
CASQUE
AUTRES
W RMS
8 Ohms
DIMENSIONS LxHxP
(en cm)
POIDS
(en kg) Nos extraits test
BT 5.0 aptX HD,
OUI 2x55 W 21,5 x 6 x 25,5 2,2
AMP IN par menu Cinq extraits musicaux sont cités dans ces pages, choisis
pour recouper des critères tels que vérité des timbres,
OUI BT 5.0 aptX HD 2x130 W 43,3x16,1x36,2 11,7
étendue du spectre, dynamique, scène sonore...
OUI BT aptX HD, LDAC 2x36 Ul 2x18 Tr 30x19x38,5 17,0 A. Marion von Tilzer : Ten Songs of Change (« Fire – Li »).
Maya Fridman (violoncelle), Marion von Tilzer (piano),
NON AMP IN 2x24 W NC NC
Lulu Wang (récitante). trptk. Disponible en vinyle,
OUI
Fonctionne avec EL34
2x35 W 34,5x18,5x32 17,0
en DSD sur SACD et sur Qobuz en 24 Bits/88,2 kHz
ou KT88

Réglages grave/aigu
B. Maurice Ravel : Daphnis et Chloé (Bacchanale).
OUI 2x14 W 36x14,5x32 10,3 Sinfonia of London Chorus, Sinfonia of London,
avec correction phono
John Wilson. Chandos. Disponible en DSD sur SACD
NON Paramètres MM/MC 2x80 W 41x23,5x50,3 20,0
et sur Qobuz en 24 Bits/96 kHz.
Auto Bias 6550 / KT88 / KT90 /
NON
KT100 / KT120 / KT150
2x50 W 43,5x21,5x42 20,0 C. Sergey Akhunov : Jazz, Lagoon I. Julia Igonina (violon),
Maxim Emelyanychev (piano). Aparté.
OUI BT aptX 2x200 W 44x13x41,5 9,5 Disponible en CD et sur Qobuz en 24 Bits/96 kHz.

OUI
Streamer BluOS wifi Ethernet,
- NC NC
D. Francis Poulenc : La Voix humaine (« Allô !… Allô !…
Dirac Live Room Correction Mon Dieu, faites qu’il redemande. ») Véronique Gens
2x200 W (soprano), Orchestre national de Lille, Alexandre Bloch.
- - NC NC
1x700 W bridgé Alpha Classics. Disponible en CD et sur Qobuz
en 24 Bits/96 kHz.
Streamer Ethernet
OUI 2x180 W 45,1x8,4x37,5 8,2
UPnP/DLNA, SEEK App E. Matthias Pintscher : Nemeton. Ensemble
Intercontemporain, Matthias Pintscher. Alpha Classics.
OUI
Filtre passe-haut
2x150 W 43,4x14x44,9 20,0 Disponible en CD et sur Qobuz en 24 Bits/48 kHz.
pour filtrage Subwoofer
F. Hector Berlioz : Symphonie fantastique (Songe
Streamer LAN UPnP d’une nuit de Sabbat). Les Siècles, François-Xavier Roth.
NON Roon, Airplay, DSP 64 Bits 2x120 W 45x10,2x39,5 15,5 Marantz avec HM (live, 2019). Vinyle, 45 T/min.
8 filtres paramétriques

I 111
● banc d’essai

AURORASOUND HFSA-01

C’
est avec un vif intérêt que nous accueillons dans notre audi- L’écoute
torium le premier amplificateur de la marque Aurorasound, Le HFSA-01 adopte un look bien vintage. On pourra acquérir des
basée à Yokohama. Cet intégré conçu par Shinobu Karaki boutons en bois à la place des boutons en plastique noir façon labo.
opte pour une amplification hybride avec des amplis opérationnels La façade en aluminium brossé s’habille de poignées en acajou, le
faible bruit OPA604A Texas Instruments en entrée et, en étage de fabricant soulignant que « le design rétro crée une vie audio relaxante ».
sortie, un push-pull de tubes EL84 à la modeste puissance de 2x14 W Loin de nous l’idée de contredire M. Karaki sur ce point. Nous rappe-
délivrés à travers des transfos de sortie 4 ou 8 Ω. Bien que doté lant l’émotion ressentie à l’écoute des étages phono Vida MkII VI-6
de trois entrées ligne RCA, le HFSA-01 reste très orienté vinyle et Vida Supreme, nous avions hâte d’écouter cet intégré en entrée
– en atteste la présence d’un étage phono MM et d’une trop rare clé phono mais aussi avec le duo streamer/DAC Silent Angel Rhein Z1/
Mono/Stéréo facilitant l’écoute d’anciens disques monophoniques. Soulnote D-2. La section phono est conforme à la réputation d’Auro-
Autre dispositif allant dans ce sens, la présence d’un correcteur rasound. Même si le circuit est simple, l’ADN de la marque y domine.
grave/aigu associé à une clé de mise en ou hors service. Chaque C’est détaillé, nuancé, équilibré, ouvert et peu bruité. Le réglage de
appareil est livré avec un abaque en plastique avec deux trous cor- tonalité n’a aucun effet délétère sur le signal. Les EL84 induisent une
respondant aux deux boutons. Cet abaque, imprimé, mentionne sonorité libre, vibrante et non stérile. Ecoutée sur Qobuz, la Bacchanale
les principales courbes de correction en vogue dans l’histoire de Daphnis et Chloé le confirme (extrait B). Transparence, nuance
du 78T au microsillon (Columbia, Decca, NAB, AES, RIAA). La et vivacité atteignent des niveaux inouïs. En découle une expressivité
courbe RIAA s’obtient en plaçant les deux boutons en que l’on cherche souvent ailleurs, en vain, sur des électroniques plus
position médiane (ou la clé sur Direct). Pour les ambitieuses. Tout n’est pas parfait pour autant
autres courbes, mettre la clé sur Tone et ajus- – en matière de silence, de fiches un peu
ter la position des boutons selon l’abaque. chiches –, mais le sens du phrasé, le juste équi-
Avant 1958, on est en mono. Le montage libre entre ampleur et vivacité, et cette vitalité
fait appel à un circuit intégré à haute typique des EL84 séduisent. Belle découverte.
performance et à un minimum de com-
posants sur le trajet du signal (relais de Les + : Aisance, dynamique et cohésion.
commutation et potentiomètre ALPS). Les - : L’accastillage un peu chiche.
Bienvenue, une sortie casque jack 6,35 qui
ne recourt pas aux tubes de puissance. musikae.fr

SYNTHESIS ROMA 510AC SIGNATURE

S
ynthesis Art in Music existe depuis 1992 et revendique l’apport L’écoute
du made in Italy dans toute sa production consacrée depuis Des switchs permettent de choisir entre les valeurs d’impédance
sa création à l’usage quasi exclusif du tube. L’entreprise mila- de charge 100 Ω, 150 Ω, 300 Ω (MC) et 47 kΩ (MM) en phono. Simple
naise a été fondée par Luigi Lorenzon dans la continuité de FASEL, et efficace, de quoi révéler dans cet exercice la grande finesse du Roma
un fabricant de transformateurs et de selfs créé par Lorenzon senior 510AC Signature qui donne au Songe d’une nuit de Sabbat (extrait F)
en 1961. Un savoir-faire aussi rare que précieux, conférant aux une dimension mystérieuse et un souffle tellurique, avec le frisson
appareils portant la marque Synthesis une personnalité recon- des cloches qui sonnent le glas tandis que les cors en appellent aux
naissable à l’instant. Le Roma 510AC est un intégré encore cieux. Cet intégré traduit parfaitement ce que Christophe Huss écri-
abordable, capable de délivrer 80 W par canal dans 6 Ω avec un vait en 2019 dans Diapason au sujet de cette version dirigée par
rapport signal/bruit supérieur à 90 dB pondéré A grâce à un François-Xavier Roth, qui « nous plonge dans une forêt de sonorités
push-pull de pentodes KT88 (la pondération A tient compte de fascinantes ». Ce qui ressort en effet de l’écoute de nos différents ex-
la courbe de sensibilité de l’oreille). La toute récente version traits, c’est le raffinement des ambiances et des timbres, la très large
Signature fait évoluer cet intégré en lui apportant une entrée ligne perspective d’une pièce comme « Fire-Li » pour violoncelle et piano
XLR d’une part, un étage phono MM/MC dont on peut faire varier (extrait A) aux timbres fouillés, travaillés et pleins, riche d’expressivité
les paramètres d’impédance et donc la sensibilité d’autre part. et de nuance, tant dans le mode de représentation spectral que dans
Dans le même temps, certains composants sont revus à la hausse, la perspective globale. Véronique Gens dans La Voix humaine (ex-
notamment les tubes de puissance, ici des KT88 Gold Lion d’ori- trait D) est d’une présence vocale très incarnée et délicatement posée
gine russe, à la fois plus fiables et nettement plus performants, avec l’orchestre. Le Roma 510AC Signature est l’inverse d’un ampli
musicalement parlant. La fabrication est mas- virulent ; sa nature, c’est la nuance et une forme
sive et soignée – en témoigne le poids de 20 kg – bien comprise de sensualité au service de l’expres-
et les commandes sont rendues portables, sion musicale. Une belle signature.
volume motorisé et entrées sélectionnées par
commande logique. Pas de choix du mode de Les + : Le bon côté des lampes, l’opulence,
fonctionnement des étages de puissance, le style et la manière.
l’Ultra linéaire est privilégié et les Bias Les - : Rien ou presque.
(courant de polarisation) sont gérés de
manière automatique. hamysound.com

112 I
COPLAND CTA-407

P
remière nouveauté signée du Danois Ole Møller à se glisser enregistreur avec monitoring et un phono MM. Sur le bandeau noir,
dans notre auditorium depuis l’intégré CSA70 tout transistors on trouve dix leds indicatrices du statut de chacun des tubes. Saluons
(Diapason d’or, cf. no 708). Le CTA-407 est d’une autre trempe. le tour de force d’un ampli capable de s’adapter à une aussi large variété
Son allure générale – deux boutons tournés dans l’acier massif de tubes de puissance. Saluons aussi le choix de faire travailler ces
et quelques discrets voyants au centre – montre son appartenance. tubes en étant contrôlés de leur premier à leur dernier souffle – de quoi
Mais sa stature en impose. Un bandeau noir accueille une rangée vaincre toute réticence. Ce d’autant que le son est d’une qualité en tous
de voyants dont la raison échappe au premier abord. En s’appro- points remarquable. Autre tour de force, le CTA-407 est ultra silencieux
chant, on comprend que ces voyants s’attachent à monitorer le fonc- même sur des enceintes à 93 dB de rendement, ce que confirme
tionnement des tubes de puissance. Le CTA-407 prend la suite la valeur de 100 dB de rapport signal/bruit en pondéré A. Important
du CTA-408, lui aussi majoritairement tubes. Si le CTA-407 est aussi pour écouter toute la micro dynamique d’une pièce aussi intimiste
haut (21,5 cm) et profond (42 cm), c’est qu’il peut accueillir tous types que Jazz, Lagoon I de Sergey Akhunov (extrait C). Dans cet album
de tubes pentodes/tétrodes au choix dans la liste 6550 / KT88 / KT90 / hommage aux collages de Henri Matisse pour son livre Jazz, le violon
KT100 / KT120 / KT150, en les changeant aussi simplement qu’une de Julia Igonina est d’une texture si fine, le piano de Maxim
ampoule d’éclairage grâce à la présence d’un circuit automatisé de Emelyanychev si caressé, que l’électronique ne doit pas en perdre
réglage des courants de polarisation des tubes de puissance (Bias). une miette tout en en révélant les nuances, et c’est bien le cas ici.
A condition quand même d’utiliser quatre tubes de même type. Ce A l’opposé, les montées en régime du chœur et du Sinfonia of London
circuit inclut à la fois une protection contre un défaut des tubes tout dans le dernier tableau de Daphnis et Chloé demandent vigueur
en manageant le fonctionnement global et cohésion, ce qui semble une évidence pour
de l’ampli, optimisant sa réponse et son le CTA-407 (extrait B). De modèle en modèle,
comportement. Une innovation qui fait le Ole Møller améliore et raffine, sans perdre de
prix de cet intégré dont la puissance volon- vue l’essentiel : la beauté du son. A saluer.
tairement limitée à 2x50 W en classe AB,
est prioritairement délivrée en classe A. Les + : L’ampli à lampes quasi
universel est né.
L’écoute Les - : Et la musique en est grandie (+).
Les entrées sont au nombre de six, quatre
au niveau ligne, une entrée/sortie pour un conrad-johnson-france@wanadoo.fr

JAVA SINGLE SHOT INTEGRATED

R
emarquée au High End de Munich en mai 2023, Java Hi-Fi est L’écoute
une marque d’électroniques néo-zélandaise animée par le sym- Avec le LDR, le réglage de volume est d’une progressivité inédite,
pathique Martin Bell. L’approche de cette jeune marque est de quoi apprécier la subtilité, l’aération notoire, le côté incroyablement
orientée vers un design particulier des circuits associé à une présen- velouté non dénué de sensualité de cet intégré. La restitution est comme
tation soignée combinant bois précieux et aluminium dans une com- libérée de la pesanteur, ampli et enceintes ne faisant plus qu’un.
binaison de sept essences de bois et trois tons de métal. A la carte. Ce caractère pourra surprendre, comparé à un ampli transistorisé
Tout a commencé avec le préampli LDR, un préampli passif équipé en classe AB plus massif et charnel au premier abord. Au début. Plus
de photorésistances en lieu et place d’un classique potentiomètre l’écoute avance, plus l’univers sonore du Java Single Shot s’impose,
(LDR : Light Dependent Resistor). C’est ce type de montage que l’on d’une subtile agilité, en même temps habité, foisonnant de micro
retrouve dans l’intégré Single Shot, le premier à combiner LDR informations, ne se désunissant pas lorsque le rythme et la dynamique
et étages de puissance en classe D basés sur des transistors GaN FET augmentent. C’est vrai de la Bacchanale, dernier tableau de Daphnis
au nitrure de gallium, au rendement environ 20 % supérieur à celui et Chloé, où les intonations du Sinfonia of London et du chœur sont
des MOS FET. Contrairement à ce qu’annonce un peu vite le fabri- traitées avec un soin impeccable (extrait B). Même constat pour
cant, il n’est pas le premier à recourir à cette technologie, les GaN Véronique Gens dans La Voix humaine dont la virtuosité le dispute
FET étant présents chez AGD, Technics ou HiFi Rose. Cela n’enlève à l’émotion (extrait D). Un grand bon point à l’étage phono qui fait
en rien de l’intérêt à cet intégré qui délivre ainsi 2x200 W sous 8 Ω, preuve de transparence et de lisibilité, tout comme d’un silence de
le double sous 4 Ω. Soigné jusqu’aux embases RCA et aux bornes fonctionnement remarquable. Mais le meilleur moyen de profiter à
HP puisées chez ETI Research, le Single Shot embarque un étage fond du potentiel de cet intégré reste de l’attaquer avec un streamer
phono MM avec correction RIAA passive et un Dual DAC à base en USB. Et si la puissance manque, le Double Shot double la puis-
de puces Burr-Brown PCM1794As, entièrement dévolu à une en- sance et le nombre d’entrées, en XLR. Avis aux amateurs.
trée USB-B (PCM 24/192 et DSD in DoP) et à un
récepteur Bluetooth aptX. Soit un total Les + : La conception préampli
de quatre entrées incluant phono et passif + ampli classe D.
USB, mais aussi une sortie variable Les - : La transparence
pour un subwoofer ou un bloc de et la respiration associées (+).
puissance, sans oublier une sortie
casque jack 6,35 en façade. adv@lightmusiccompany.com

I 113
● banc d’essai

NAD MASTERS M66 + M23

P
résenté en octobre 2023 en Chine où NAD connaît une forte L’ampli HybridDigital M23 fait aussi partie de la série Masters.
croissance, le préampli DAC streamer M66 compte parmi Ses modules Eigentakt Purifi Audio se caractérisent par une dis-
les appareils les plus aboutis du moment. Outre sa présentation torsion très basse et un rapport signal/bruit meilleur que 127 dB
luxueuse, d’une qualité irréprochable avec notamment des pieds à pleine puissance, de 2x200 W sous 8 Ω et 2x380 W sous 4 Ω.
isolants à double étage, un écran couleur tactile de 7 pouces et une
molette de réglage en acier massif, ce M66 concentre un ensemble L’écoute
de fonctionnalités rarement réunies. Le cœur de l’appareil repose En solo avec un préampli passif, le M23 montre qu’il est ultra linéaire,
sur un lecteur BluOS multiroom wifi LAN bien connu pour sa sou- doté d’une énergie dont l’écoute domestique ne viendra pas à bout.
plesse et la réactivité de son application. Deux slots sont ménagés à Sa capacité en courant et sa réactivité suivent sans inertie la demande
l’arrière pour des extensions futures. Le DAC fait appel à une puce des extraits musicaux les plus exigeants tel le Sinfonia of London
ESS ES9038PRO qui comprend huit convertisseurs en symétrie interprétant avec éclat la Bacchanale de Daphnis et Chloé (extrait B).
parallèle (4+4). Intervient, en outre, un circuit propriétaire DDH Le couple M66/M23 s’avère complémentaire : homogène en écoute
(Dynamic Digital Headroom) qui élimine la distorsion d’écrêtage réseau (Qobuz), il se distingue par son équilibre et sa bonne répartition
numérique entre les échantillons. Les entrées numériques sont au spatiale, affichant une tendance douce, soyeuse, presque lissée. A no-
nombre de sept : AES/EBU, HDMI-eARC, USB-A et 4xS/PDIF. Les ter que la clé de gain à trois positions Low-Mid-High à l’arrière
entrées analogiques – trois lignes dont une du M23 change la donne – nous avons opté
XLR, phono MM et MC séparés – sont soit pour Mid. En phono, le résultat dépend du
numérisées par une puce ES9822PRO afin mode de fonctionnement choisi, avec un avan-
de bénéficier de différents traitements dont tage très net pour le mode Analog Bypass.
la correction de salle Dirac Live (micro fourni), Si l’on peut se passer du Dirac, c’est l’idéal,
soit laissées en analogique. La commande faisant du couple M66/M23 un ensemble vrai-
de volume met en œuvre un circuit numérique ment tout-terrain, à la croisée des deux mondes.
de contrôle à résistances ultra-précis.
Surprenantes les quatre sorties subwoofer et Les + : Fonctions et performances au top.
leur management via Dirac ; moins surpre- Les - : A maîtriser à l’usage.
nantes, les deux sorties principales doublées
RCA et XLR et un ampli dédié au casque. nadelectronics.com

BEL CANTO E1X

D’
aspect, avec son long coffret noir en aluminium épais de L’écoute
tout juste 8,4 cm, il évoque un appareil de laboratoire ou L’intérêt d’un tel appareil intégré ? Tout regrouper sous une plateforme
de studio. Un immense logo Bel Canto est gravé à même le unique baptisée AMiP (Asynchronous Multi-Input Processor) : jitter
capot, tandis qu’un écran alphanumérique associé à une roue réduit quasiment à néant, sources resynchronisées de manière asyn-
codeuse constitue, avec une discrète prise casque jack 6,35, le seul chrone dans le DAC HDR-II (High Dynamic Range). La correction
ornement de la façade. L’arrière s’avère plus fourni et très pro dans RIAA en phono est analogique, pilotée numériquement, tout comme
l’approche : bornes WBT NextGen pour les haut-parleurs, trois en- les filtres Tilt et Bass Eq. Résulte de tout ceci une homogénéité sans
trées analogiques dont une phono MM/MC paramétrable via les faille, dénuée de tous les problèmes courants de ruptures de flux et
menus, sortie variable après préampli pour un subwoofer, entrées autres difficultés rencontrées lorsqu’on associe des éléments séparés.
numériques S/PDIF AES/EBU, coax BNC et Toslink, USB-B et Première impression en streaming de Qobuz : un sentiment exacerbé
USB-A, qui jouxtent une prise Ethernet pour le streaming en UPnP/ de quiétude et de profondeur, en même temps la conviction que l’am-
DLNA et Roon ready. Résolution maximale pour le DAC, 24 Bits/ pli peut être poussé à un niveau phénoménal sans effort ni fatigue,
192 kHz en PCM, MQA et DSD128 (DoP). Des menus déroulants sans écrêtage ni bascule tonale. La bande passante subjective paraît
permettent d’accéder à différents contrôles : Tilt permet la bascule illimitée ; l’E1X repousse les murs et redessine l’espace. L’impression
de la balance tonale autour d’un point d’inflexion situé à 775 Hz de présence est presque dérangeante, passant outre les habituels
par pas de 0,6 dB à ±3 dB. S’ajoute à cela le Bass Eq centré sur 100 Hz signaux qui rappellent que la musique est enregistrée. La
à ±3 dB. Idéal pour corriger la réponse enceintes-local. Enfin, en Bacchanale de Daphnis et Chloé (extrait B) se montre particulière-
cas de recours à un subwoofer, un filtre passe-haut pour les en- ment réaliste, comme soustraite aux enceintes. Cette expérience de
ceintes principales déplaçable par pas de 10 Hz entre 40 et 120 Hz. présence, d’amplitude dynamique vaut vraiment d’être vécue, ne serait-
D’autres paramètres pour la gestion du subwoofer, de l’entrée phono, ce que pour mesurer à quel point la mise en cohérence de ces tech-
de la balance et du casque. Seek pour iOS est une application de niques apporte à l’expérience musicale. Chapeau Bel Canto !
streaming conçue pour Tidal, Qobuz, VTuner et les fichiers du cloud.
Avec Android, on prendra MConnect et, dans les deux cas, Roon Les + : Une approche
à condition de disposer d’un systémique née d’une
Roon core. Quant à la puissance idée forte.
délivrée, elle se monte à 2x150 W Les - : Cet E1X ne flatte
sous 8 Ω et 2x250 W sous 4 Ω. pas l’ego, il se vit (+).

114 I
AESTHETIX MIMAS

P
our le Californien Jim White, le boss d’Aesthetix, le composant sortie préampli disposant elle aussi des deux modes. Juste à côté,
essentiel d’un préamplificateur est la commande de volume. deux logements (slots) pour recevoir une carte DAC avec cinq entrées
Solution retenue : 88 résistances de précision commutées par S/PDIF et USB-B traitant PCM 24 Bits/384 kHz et DSD128 via
un circuit logique au pas de 1 dB. Solution la plus respectueuse USB-B. L’autre carte optionnelle est un étage phono RIAA MM/MC
de l’intégrité du signal selon Jim White, héritée du préampli ligne à circuit différentiel entièrement discret, basé sur des FET.
Calypso à tubes. L’intégré Mimas emprunte aussi au bloc de puis-
sance Atlas qui est un appareil hybride tubes/transistors, comme L’écoute
le Mimas. En entrée, un tube double triode 6DJ8 (ECC88) par canal La prise en main est un peu déconcertante, surtout sans télécom-
dans une configuration entièrement différentielle et symétrique mande, l’assimilation du mode d’emploi vivement conseillée. Chaque
de bout en bout, prolongée par des étages de puissance à transistors extrémité de l’écran est cliquable, et forme la commande de volume.
pontés et donc flottants par rapport à la masse (une précision im- Le pas de 1 dB est d’une précision redoutable, suffisamment fin pour
portante quant au fonctionnement et à la sécurité de l’appareil). la majorité des enceintes. De cet ampli, on dira qu’il est avant tout
Autre aspect déterminant pour le résultat final, les alimentations élégant, neutre et respectueux du message musical. Un enregistrement
régulées au nombre de sept, établies à partir d’enroulements sépa- tel que la Bacchanale de Daphnis et Chloé par le Sinfonia of London
rés d’un puissant transformateur en mesure de fournir 750 VA avec (extrait B) est bien timbré, bien structuré, apaisé dans ses éclats par
une capacité de filtrage de 176 800 μF rien que pour les étages rapport à des électroniques plus vives en classe D notamment, sans
de puissance. Ceux-ci délivrant dès lors 2x150 W sous 8 Ω et 2x280 W perdre en profondeur ni en résolution – juste moins exploré en dyna-
sous 4 Ω en classe AB, sans contre-réaction dans une configuration mique. Tel est le DAC en option tandis que l’étage phono paraît plus
à couplage direct (sans condensateur de liaison). Les alimentations pertinent. Le tout reste dans une juste mesure – un avantage en soi,
occupent l’avant de l’appareil, bâti dans un large châssis en profilés car le Mimas arrive à rendre élégants, acceptables, civilisés et savam-
d’aluminium, avec un minimum de com- ment policés des enregistrements très diffé-
mandes en façade réparties autour d’un rents et pas uniquement du classique.
afficheur indiquant la source, le volume
et des paramètres accessibles par la logique Les + : Une très bonne synthèse.
de commande. L’appareil comporte cinq Les - : Le mode opératoire.
entrées ligne symétriques ou asymétriques
au choix, sagement alignées à côté d’une jason-diffusion.com

B.AUDIO ALPHA ONE

U
n condensé du savoir-faire technologique de B.audio, tel se L’écoute
présente l’Alpha One, ses 2x120 W (8 Ω) en classe AB, 2x200 W Pensé comme une machine universelle, l’Alpha One est d’un abord
(4 Ω), son convertisseur sigma-delta multibit, son module ré- simple, que l’on peut piloter en streaming avec une application type
seau EX offrant des fonctionnalités de streaming UPnP / Openhome MConnect, mais aussi à travers Roon, en Airplay, UPnP, MPD, LMS,
et de correction acoustique avancées grâce à un DSP 64 Bits capable NAA. Ouverte, donc. En plongeant dans les menus, on découvre
de gérer huit filtres paramétriques pour la correction de salle. un univers de complexité avec un jeu de huit filtres paramétriques.
Comme le dit le fabricant du Haut-Rhin sur son site « L’objectif Un vrai dispositif d’acousticien que Sébastien Bermann justifie en
était à la fois simple et exigeant : combiner dans un seul boîtier indiquant que l’appareil peut s’adapter au couple enceintes/local,
un DAC à la pointe de la technologie avec un amplificateur double dévoilant travailler à une application dédiée pour 2024. L’Alpha One
mono hautes performances à refroidissement passif. » Qui dit classe offre trois entrées analogiques dont une symétrique XLR doublée d’une
AB dit en effet dégagement de chaleur et donc nécessité de prévoir sortie préampli également XLR. Avec six entrées dont AES/EBU, USB-B
de bonnes surfaces de radiateurs pour le refroidissement. Une op- et USB-A, le DAC sait tout faire, traiter PCM 24 Bits/384 kHz, DXD,
tion prioritaire dans l’esprit des Bermann père et fils, propre DSD DoP et natif jusqu’au DSD256. Et l’écoute ? Elle excelle, mettant
à garantir silence et durabilité, et un défi technologique pour conte- parfaitement en valeur les atouts de la classe AB, soit une forme
nir le tout dans un élégant boîtier haut de 10,2 cm. Pari risqué, mais de densité, de matière qui fait dire aux détracteurs de la classe D que
pari tenu. L’Alpha One est à peine plus haut que les 9,1 cm du B.dpr celle-ci semble parfois jouer hors-sol. Alors qu’avec l’Alpha One, c’est
one EX, qui est le même appareil sans les étages de puissance. à la fois solide et en même temps délicat, structurellement riche et
Au passage, l’Alpha One perd la belle roue codeuse pour se conten- détaillé, ouvert et fouillé – pour tout dire, vraiment classieux. Du duo
ter de touches arrondies – l’équilibre de la façade en aurait souffert piano violoncelle « Fire – Li » (extrait A), des percussions de Nemeton
nous dit Sébastien Bermann, l’un des trois B. Reste l’afficheur très (extrait E), l’Alpha One donne une lecture savante, appliquée, intran-
lisible, qui déroule les métadonnées en lecture et détaille paramètres sigeante dans la traduction des timbres comme des variations d’éner-
et menus. DAC, streamer et DSP, tous sont gie. Une haute idée de la haute-fidélité.
régis par une technologie déposée SJR
(Source Jitter Removal) – tout le monde au Les + : Une quête de perfection rare.
même tempo. Les circuits préampli sont Les - : Ni casque ni phono.
symétriques, les amplis double mono et la
télécommande en aluminium massif. b-audio.com

I 115
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courrier électronique. Vous bénéficiez d’un droit d’accès, rectification, d’effacement de vos données ainsi que d’un droit d’opposition
 Je ne souhaite pas recevoir les offres Diapason et Voyages Lecteurs sur des produits en écrivant à RMM-DPD, c/o service juridique, 40 avenue Aristide Briand – 92220 Bagneux, ou par mail à dpd@reworldmedia.com.
et services similaires à ma commande par la Poste, e-mail ou téléphone. Dommage ! Vous pouvez introduire une réclamation auprès de la CNIL - www.cnil.fr. Pour en savoir plus sur la gestion de vos données personnelles, vos
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LE GUIDE radio
Les concerts sur France Musique
Du 1er au 29 février 2024
JEUDI 1er Puccini, Bellini. Orch. national Cilea : Adriana Lecouvreur. SAMEDI 17 VENDREDI 23
20 h En direct de la Maison Bordeaux-Aquitaine, Stikhina, Jagde, Kiria, 20 h Bordeaux, Grand- 20 h Mulhouse, La Filature,
de la Radio. Bach/Webern, dir. Swensen. Margaine. Chœur et Orch. Théâtre, 22/1/24. 17/11/23. Schumann,
Sadikova, Beethoven. Reuven de l’Opéra de Lyon, Bizet : Les Pêcheurs de perles. Mendelssohn, Levinas.
mandoline, Orch. national LUNDI 5 dir. Rustioni. Foor, Hoskins, Sempey, Demarquette violoncelle,
de France, accordéon 20 h Prague, Rudolfinum, Lécroart. Orch. nat. Orch. symph. de Mulhouse,
et dir. Meir Wellber. 13/9/23. Brahms, Dvorak. LUNDI 12 Bordeaux-Aquitaine, dir. Tali.
Levit piano, Orch. philh. 20 h Berlin, Philharmonie, dir. Dumoussaud.
VENDREDI 2 de Vienne, dir. Hrusa. SAMEDI 24
30/9/23. Liszt, Stravinsky,
20 h En direct de la Maison Chostakovitch. Kantorow LUNDI 19 20 h Paris, Théâtre
de la Radio. Jarre, MARDI 6 piano, Orch. philh. de Berlin, des Champs-Elysées, 2/2/24.
20 h Stuttgart, Beethoven Handel : Rinaldo. Vistoli,
Versnaeyen. Orch. philh. 20 h En direct de la Maison de dir. Sokhiev. Saal, 26/1/24. Schumann, Barath, Skerath, Richardot,
de Radio France, dir. Stil. la Radio. Reich, Stephenson,
Ginastera, Nielsen, Mozart. Pichanick, Mastroni.
Werner. Werner soprano, MARDI 13
SAMEDI 3 Bidi harpe, Christophe Les Accents, dir. Noally.
Kang violon, Synergy Vocals,
20 h En direct de la clarinette, Orch. symph. de la
En direct de la Cité Ensemble Intercontemporain,
Philharmonie de Paris. Radio de Stuttgart, dir. Hasan. LUNDI 26
des Congrès de Nantes, dir. Jackson.
Scriabine, Castelnuovo- 20 h Glasgow, The Queen’s
sauf mention contraire.
11 h 15 Glinka, Balakirev, MERCREDI 7 Tedesco, Debussy, Liszt. MARDI 20 Hall, 19/1/24. Langer, Mozart,
Rana piano. Haydn. Ablogin, piano, Orch.
Rachmaninov, Tchaïkovski, 20 h En direct de la Maison 20 h Paris, Théâtre
Balakirev, Moussorgski… de la Radio. Eastman, Risser, des Bouffes du Nord, de chambre d’Ecosse, piano
Masleev piano. Reich. Ensemble Links, MERCREDI 14 15/1/24. Vivaldi. Bertrand et dir. Emelyanychev.
13 h 2/2/24. Duruflé, dir. Durupt. 20 h Paris, Ircam, 5/2/24. violoncelle, Musiciens
Bruckner, Pärt, Von Bingen. Reich, Smith, Einbond. des Paladins, Corréas clavecin MARDI 27
Vox Clamantis, dir. Tulve. JEUDI 8 Greenwood guitare électrique, et dir. musicale. 20 h Versailles, château,
14 h 45 Chausson. 20 h En direct de la Maison de L’Instant donné. 15/1/24. Bach. De Lera,
Galy violon, Buajasan piano, la Radio. Connesson, Reich. MERCREDI 21 Piestrak violon, Orch.
Quatuor Hermès. Synergy Vocals, Colin Currie JEUDI 15 de l’Opéra Royal, violon
16 h 30 Smetana, Dvorak. 20 h Paris, Maison et dir. Langlois de Swarte.
Group, dir. Currie.
Trio Wanderer.
20 h Paris, Maison de la de la Radio, 9/2/24. Reich,
Radio, 8/10/23. Suk, Joachim, Zanési, Berio, Davachi. MERCREDI 28
18 h 15 Schumann, Ravel. VENDREDI 9
Dvorak. Lim piano, Musiciens Groupe de recherches
Nguci piano. 20 h En direct de la 20 h En direct de la Maison de
de l’Orch. philh. de Radio musicales INA.
20 h Respighi, Debussy. Philharmonie de Paris. la Radio. Mozart, Schnittke,
France.
Petrova violon, Laloum piano. Reverdy, Dessner, Reich. Ott Grieg. Quatuor Ebène.
piano, Chœur et Orch. philh.
JEUDI 22
DIMANCHE 4 de Radio France, dir. Lubman.
VENDREDI 16 20 h Paris, Maison JEUDI 29
17 h 30 En direct de la Cité 20 h En direct de la Maison de la Radio, 14/1/24. Britten, 20 h En direct du Corum
des Congrès de Nantes. SAMEDI 10 de la Radio. Mahler : Mozart. Kavakos violon, de Montpellier. « 31e édition
Chopin, Albéniz, 20 h Paris, Théâtre Symph. no 6. Orch. philh. Musiciens de l’Orch. des Victoires de la musique
Porumbescu, Tchaïkovski, des Champs-Elysées, 5/12/23. de Radio France, dir. Franck. philh. de Radio France. classique ».

Chef de rubrique (hi-fi) : Vincent COUSIN Directeur de la publicité (disques, concerts, PRÉ PRESSE / PHOTOGRAVURE
Rédacteur : Jean-Christophe PUCEK festivals, instruments) : Etienne GANUCHAUD Chef de service : Sylvain BOULARAND
Rédacteur – Secrétaire de rédaction : Directrice de clientèle hi-fi, Club hi-fi :
Loïc CHAHINE
FINANCE MANAGER
Olivia MORENO Géraldine PELLERIN
Une publication du groupe Reworld Media Secrétariat : Laetitia BONIS-DATCHY Assistante de publicité : Christine AUBRY
VENTE AU NUMÉRO 10-31-1282
Ont collaboré à ce numéro : Vincent Agrech, MARKETING Responsable marché : Siham DAASSA Certifié PEFC
Jérôme Bastianelli, Bertrand Boissard, Chef de produit : Giliane DOULS Ce produit est issu
N° ISSN : 1292-0703 de forêts gérées
Roxanne Borde, Pascal Brissaud, Adrien Cauchie, durablement et de
ABONNEMENT : Commission paritaire : 0220 K 87093 sources contrôlées.
Jean-Yves Clément, Gérard Condé, Simon Corley, Dépôt légal :
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Tél. : 01 46 48 47 60
ÉDITEUR Isabelle Davy, Frédéric Degroote, Paul de Louit,
Du lundi au vendredi de 9h à 19h janvier 2024
REWORLD MEDIA MAGAZINES (SAS) Benoît Fauchet, Wissâm Feuillet, Sylvain Fort, et le samedi de 9h à 18h (prix d’un appel local). Prix de vente : 8,90 €
40 avenue Aristide Briand - 92220 BAGNEUX Brigitte François-Sappey, Erwan Gentric, E-mail : formulaire sur www.serviceabomag.fr Date de parution :
Directeur de la publication : Gautier NORMAND Julien Gobin, Bertrand Hainaut, Courrier : Service Abonnement Diapason 26 janvier 2024
Actionnaire : Président Reworld Media France Jean-Claude Hulot, Christophe Huss, 59 898 Lille Cedex 9
(RCS Nanterre 477 494 371) Anne Ibos-Augé, Marc Lesage, Julia Le Brun, Prix de l’abonnement France 1 an (11 numéros) :
Tél. : 01 41 33 50 00 Rémy Louis, Denis Morrier, Hugues Mousseau, 64,90 €. Dom-Tom et étranger : nous consulter
www.diapasonmag.fr Laurent Muraro, Pierre Rigaudière, A compter du 1er mai 2021, le prix des
Guillaume Saintagne, Charles Seinecé, Affichage Environnemental
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Rédacteur en chef : Emmanuel DUPUY trimestriels passera au maximum à 21,90 € TTC Certification PEFC
Calendrier des concerts, guides : DIRECTION ÉDITION Impact sur l’eau Ptot 0,016kg/tonne
Pierre-Etienne NAGEOTTE : Editeur : Germain PÉRINET FABRICATION
calendrier.diapason@reworldmedia.com Editeur adjoint : Charlotte MIGNEREY Directeur des opérations industrielles :
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I 119
● livres

Le réalisateur et sa méthode
Bruno Monsaingeon, filmer la musique, entretiens avec Guillaume Monsaingeon. Philharmonie de Paris. 336 p., 28 €.
Auteur de documentaires sur la mu- Beaucoup de ces films sont consacrés à de jeunes musiciens souvent
sique, Bruno Monsaingeon se confie à l’orée de leur carrière (de Kocsis et Ranki en 1975 à Mäkelä
longuement, quitte à parfois noyer le aujourd’hui, en passant par Fray, Anderszewski…). L’interprète
lecteur sous les détails, au fil de demeure au centre de ses préoccupations de réalisateur. Pas d’anec-
quinze années d’entretiens, accordés dotes mais un souci constant de la dramaturgie, de la narration.
à un autre Monsaingeon – Guillaume, Des repérages au montage, tout est pensé, rien n’est laissé au hasard :
son neveu. Il y passe en revue son par- spontanéité et improvisation ne sont guère de mise.
cours, ses rencontres les plus impor- Comment filmer ? Quel but atteindre ? « Provoquer l’émotion »,
tantes, sa façon d’envisager son tra- répond-il. Donner à voir la « fabrication du son », la « confrontation
vail. La part autobiographique est vite physique » du musicien et de son instrument. Quitte à un peu maquil-
évacuée. Si ses parents sont à peine ler les choses : méticuleux et tenace, Bruno Monsaingeon se prête ainsi
évoqués, il revient sur le choc initial à quantité de subterfuges pour arriver à ses fins, notamment dans son
de la découverte d’un disque de utilisation des archives. La voix de Fischer-Dieskau est couverte
Menuhin. Violoniste de formation, par des commentaires inopportuns ? Qu’à cela ne tienne : il substitue
c’est par hasard qu’il est amené à col- au son d’origine un disque du chanteur – et tant pis si le diapason
laborer à l’ORTF pour la série des et le tempo s’en trouvent modifiés. Il va aussi jusqu’à coller sur un film
Chemins de la musique. Malgré la fré- muet d’un Ruggiero Ricci de douze ans une bande sonore du même
quentation de la cinémathèque très violoniste, capté sept décennies plus tard – et tant pis s’il faut « salir »
jeune, rien ne lui vient à l’esprit quand le résultat pour le rendre crédible. Pour cause de cadrage défaillant,
on l’interroge sur des films qui l’au- il n’hésite pas non plus à remplacer une note de Menuhin, prenant
raient influencé – tout au plus cite-t-il Les Enfants du paradis. alors lui-même le violon en tentant d’imiter le son d’origine – l’intéressé
Son nom reste surtout attaché à Glenn Gould, à qui il a dédié de nom- n’en saura jamais rien. Parfois, sa « participation » prend plus d’am-
breux films. Les pages qu’il lui consacre sont passionnantes, donnant pleur : à cause d’une bande-son pas synchrone dans un document sur
à voir l’adhésion du pianiste à ces différents projets, son implication une masterclass donnée par Oïstrakh, il enregistre lui-même quelques
absolue. La plupart des œuvres de Bruno Monsaingeon prennent mesures à la place d’une des élèves du grand musicien.
la forme de portraits d’artistes. Son but ? « Imposer » une lecture Si ces manipulations au minimum posent question, elles s’inscrivent
de leur travail, afin que « le spectateur accède à une intensité qu’il dans la méthode toute personnelle d’un créateur pour qui « la seule
n’aurait eue ni au concert ni à l’écoute d’un disque », assène-t-il. intégrité qui compte est esthétique ». Bertrand Boissard

Chopin : réalité d’une légende ? en reste. Même la biographie de Liszt, modèle pour les écritures
ultérieures, tend vers le moralisant.
Le Mythe de Chopin par Irene Calamai. Le siècle suivant voit surgir un changement de paradigme dans
Classiques Garnier, 345 p., 49 €. la critique, qui prend deux directions distinctes : la « technicité »
De l’aveu général, Chopin est une légende. Mais comment (Schloezer, Landowska) s’oppose à la « littérature » (Suarès,
celle-ci s’est-elle construite ? par qui l’a-t-elle été ? Claudel), certains écrits (Ganche, Alain, Gide) participant
C’est à ces questions que tente de répondre l’ouvrage d’une voie hybride. Du côté de l’écriture romanesque, les choses
d’Irene Calamai, qui invite, dans une perspective comparatiste – changent aussi, les auteurs privilégiant désormais l’œuvre
réduite au domaine francophone – textes littéraires (hommage, à l’homme. Les biographies restent malgré tout (jusqu’en 1974,
roman-feuilleton, biographie, correspondance) terme de l’étude) proches de la littérature « idyllisante »
et musicaux (critiques, essais). Le mythe émerge du siècle précédent, malgré l’insertion de plus
dès le premier concert parisien de Chopin en plus fréquente de précisions utiles (chronologies,
(26 février 1832), fiasco qui, grâce à quelques catalogues d’œuvres). Quelques qualificatifs (génie,
critiques élogieuses, ouvre néanmoins au poète, ange, cygne, sylphe) et analogies avec
compositeur les portes de l’édition puis, petit à petit, des personnages réels ou fictionnels (Raphaël, Ariel)
des concerts privés et publics jusqu’au triomphe font l’objet d’une analyse particulière, autres acteurs
devant Louis-Philippe, sept ans plus tard. de la popularisation du mythe chopinien.
De ce mythe, l’autrice examine les multiples facettes. Une riche bibliographie (mais aucune discographie)
Au XIXe siècle, les critiques sont volontiers lyriques ; complète cet intéressant travail, un peu alourdi par
les romans, Balzac et Sand en tête, font jouer réalité de nombreux renvois internes comme par un abus
et fiction. Legouvé, auteur dramatique, les poètes de guillemets inutiles et de préfixes entre parenthèses
(Anna de Noailles, Chapman, Rollinat) ne sont pas qui n’en facilitent pas la lecture. Anne Ibos-Augé

120 I
Berlioz en actes Les livres bâclés sont dangereux
Les femmes musiciennes sont dangereuses
Berlioz à Paris, collectif sous la direction de Cécile Reynaud.
par Annie Coste. Flammarion, 160 p., 29,90€.
Actes Sud / Palazzetto Bru Zane. 576 p., 45 €.
Du mode mixolydien « dramatique, mystique et planant »
Une livre et demie, un pouce
de Sappho au compte Instagram dédié à la flûte « Sasha »
d’épaisseur… si la musicographie
de la popstar Lizzo (!), ce nouvel opus sur les musiciennes
se mesurait au poids, cette publi-
ratisse large. Dès l’introduction, les clichés pleuvent.
cation des actes d’un colloque tenu
Comme souvent, le Moyen Age est particulièrement
à Paris en décembre 2019 serait
malmené. Oui, les femmes chantaient alors dans leurs
en excellente position. Elle l’est
églises conventuelles. Hildegard n’a pas été la seule
aussi par la qualité et le nombre
abbesse à inviter jongleurs et ménestrels de tous sexes
des collaborateurs. Une trentaine ?
au couvent. Contrairement à ce qu’affirme l’autrice,
A défaut de notices individuelles
Blanche de Castille n’a jamais composé, une seule mélodie
(sauf Cécile Reynaud, initiatrice
de la comtesse de Die est parvenue jusqu’à nous
du colloque, qui n’en aurait pas
et la corporation des ménétriers de 1321 compte bien
besoin) et, surtout, de table des
des femmes. S’il est réducteur d’amalgamer Amy Beach
matières, il faut se contenter de
et l’Ecole de Boston, il est triste que le bref paragraphe
l’approximation. De même que
sur Grazyna Bacewicz taise sa « co-fondation »
pour cerner l’objet de ce recueil
du Festival de Varsovie. L’absence des compositrices
finement édité par Etienne Jardin. Imaginons le sous-texte :
dans le domaine de la musique électronique (qui n’est
Berlioz, en vrai provincial, était tellement attaché à Paris qu’il
pas confiné au monde des DJ) ne témoigne, quant à elle,
rêvait de le voir à ses pieds pour conquérir du même coup
que de la méconnaissance, chez l’autrice, de Saariaho,
le monde civilisé, comme il l’appelait.
Canat de Chizy ou Neuwirth (parmi d’autres).
Puis, convaincu qu’il serait plus favorablement accueilli en
Mais il est vrai que de la seconde moitié « savante »
Belgique, dans les pays germaniques, en Russie et en Grande-
du XXe siècle, il n’est pas question. Bon.
Bretagne, il laissa Lutèce papillonner sur les rives de la Seine.
Les portraits sont brossés à larges traits, sur une trame
Au retour, déposant ses lauriers sur le seuil de la cité ingrate,
récurrente : brève exposition aux poncifs généralistes,
il ne manqua pas les occasions de critiquer la mesquinerie
développement anecdotique, coda larmoyante. De langage
du « style parisien », de louer Meyerbeer (« on voit bien qu’il
musical il n’est question qu’en vagues généralités :
n’est pas français ») ou de brocarder, en faisant rimer leurs
les œuvres de Viardot sont « splendides » et celles
patronymes, la pléthore de virtuoses venus chercher à Paris
de Lili Boulanger « graves et tourmentées » quand elles
la consécration de leur talent.
sont réduites à des « constellations de sonorités » chez
Qu’en était-il du concert, à l’époque de Berlioz ? Qu’a-t-il pu
Alice Coltrane. Certains choix de « principales créations »
y entendre et y faire jouer ? dans quelles conditions ? dans quelles
laissent rêveur : le Concerto pour piano de Montgeroult
salles ? Sa Grande messe pour les morts aux Invalides, son Te Deum,
n’est après tout qu’un arrangement de Viotti (ce qu’on
le Carnaval Romain avec une (demi) répétition … Les pages de
ne nous dit pas). Fausse bonne idée, la playlist regorge de
Bortnianski et de Glinka, dont il se fit l’ambassadeur. Quid de
perles : Hildegard n’a jamais composé de danse (plage 14) ;
l’Opéra, théâtre des joutes à fleuret moucheté entre ceux qui di-
Mentita (pourquoi en proposer une version instrumentale ?)
rigent le vaisseau amiral et celui qui, d’un coup de plume, menace
appartient à l’Opus 3 de Strozzi non à son Opus 6
de l’envoyer par le fond, rêvant peut-être de prendre la place ?
(plage 22) ; on cherchera
De là, on passe hardiment aux trésors de la collection François
vainement dans la plage 28
Lang (manuscrits, épreuves corrigées, partitions annotées), puis
le Concerto de
au survol du piano-chant autographe des Troyens acquis par
Montgeroult ; le Quatuor
la BNF. Et si le lecteur commence à perdre le fil, la préface lui
de Fanny Mendelssohn est
rappellera que tout est dans tout et que les candidatures obstinées
en mi bémol (et non dièse)
de Berlioz à l’Institut peuvent mener à sa fréquentation espacée
majeur… Last but not least,
de l’Ecole de Médecine, voire aux salons parisiens vu que, dans
aucune bibliographie pour
tous les cas, on peut parler d’institutions.
donner envie d’aller plus
Il sera plus aventureux de chercher un lien entre le fort oublié
loin, de creuser au-delà
Isaac Strauss (« le Strauss de Paris »), directeur des bals de l’Opéra,
de cette poignée
et « Charles Lamoureux, le plus berliozien des wagnériens » ou
de banalités parsemée
« Berlioz et les Dauphinois de Paris ». Qu’importe au fond puisque
de moult coquilles. Encore
le chapitre « Berlioz le plus statufié des musiciens français » pique
une fois, une relecture aurait
autant la curiosité que « Hector Berlioz dans la presse belge » ou
été bienvenue.
« Berlioz et les jeunes musiciens français ». On apprend beaucoup,
Anne Ibos-Augé
c’est là l’essentiel. Gérard Condé

I 121
la playlist de ma vie
PAR VINCENT AGRECH

Simon-Pierre Bestion
chef d’ensemble
musique baroque intitulé Pasticcio, et Romain, avec son album
jazz Naja. Ils étaient pour moi des modèles, et chaque seconde est
pour toujours gravée en moi.

Le disque que vous écoutez


quand tout va mal
Rien, mais c’est assez rare. Ecouter part tou-
jours d’un désir, et le désespoir profond vous
Le premier disque prive de toute envie. En revanche, j’aime me
dont vous vous souvenez plonger dans un état de mélancolie volontaire,
Je revois toute la collection de vinyles Vogue avec les polyphonies franco-flamandes de la Renaissance, par
de mon père : les premiers Johnny, les Chaus- exemple le Requiem de Fevin par Marcel Peres, mais aussi le
settes Noires, Jerry Lee Lewis… Pour un enfant, merveilleux album Dowland de Sting.
j’avais des goûts très vintage ! Je n’écoute plus ce
type de rock depuis très longtemps, mais garde une tendresse Le disque idéal pour faire l’amour
particulière pour l’oublié Bill Taylor, qu’on appelait l’Elvis anglais, La musique peut vraiment orienter l’acte et la
créature vêtue de cuir intégral ultra-noir, avec une image de sé- façon de le faire ! D’expérience, je conseillerais
ducteur désinvolte et de musicien autodidacte. pour un long moment de plaisir planant
Officium, où le saxophoniste Jan Garbarek
Le disque qui vous a décidé improvise avec une extraordinaire sensualité sur
à devenir musicien les polyphonies de Cristobal de Morales chantées par le Hilliard
Ce serait un doublé : les Goldberg par Glenn Ensemble. Et, pour accélérer le rythme, L’Anneau de Salomon de
Gould, dans la première version, et par Scott Jean-Louis Florentz, avec son élan percussif presque tribal, la ri-
Ross. J’étudiais l’orgue, et rêvais de jouer un chesse de ses thèmes et la saturation debussyste de son orchestre.
jour ces variations en concert, ce que je n’ai
jamais fait. L’autre passion de mon père, avec le rock, était Jean- Le disque à faire découvrir
Sébastien Bach, qu’il a transmise à ses six enfants. Et au fond, à ses enfants
Gould comme Ross étaient des rockers, des êtres hors des Si j’en ai, je voudrais être le premier à leur faire
normes à une époque qui les glorifiait comme tels – pensez aux écouter Superstition de Stevie Wonder, et les
extraordinaires couvertures des disques du second. James Brown des années 1970, pour les danser
avec eux ! Et plus tard, un disque de La Tempête
Le disque qui vous a décidé qui, hélas, ne sortira peut-être jamais, alors qu’il serait sans
à devenir chef doute à mon sens notre plus beau : nos arrangements de pièces
Le Sacre du Printemps par Bernstein. Choc de la de Steve Reich, mêlant instruments anciens, modernes et jazz,
découverte de l’œuvre comme de l’artiste. J’adore que le compositeur n’a malheureusement pas validés.
tout en lui, son naturel, son énergie, le plaisir sen-
suel que les musiciens semblent partager à jouer Le disque à passer
sous sa direction (ce n’est pas le cas avec tous les chefs !), son œuvre pour votre enterrement
de compositeur aussi, et son génie de la pédagogie. Je n’aime pas la fausse légèreté qui est parfois
prônée en ces circonstances aujourd’hui.
Le disque que vous avez Certains moments exigent de libérer l’émotion,
le plus écouté être ému aux larmes, communier dans la peine.
© HUBERT CALDAGUÈS

Je ne reviens plus beaucoup aux mêmes disques aujourd’hui ; il Les Funerals Sentences de Purcell par Philippe Herreweghe,
y en a trop à découvrir ! Mais, adolescent, j’écoutais en boucle les comprenant notamment la musique funèbre pour la reine Mary,
premiers enregistrements de mes frères aînés, avec lesquels j’ai distille une extraordinaire tendresse qui ouvre la porte à l’espoir,
quatorze et dix ans d’écart : Alexis, qui avait gravé un recueil de de même que celui de Graindelavoix Josquin, the Undead.

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