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ESSAIS
PSYCHANALYTIQUES
SUR LE TRAVAIL
CRÉATEUR
GALLIMARD
© Éditions Gallimard, 1981.
AVANT-PROPOS
L'identification héroïque.
Le (( décollage ;»).
Crise et création.
LE DE FREUD
1. Cité in Jones. La Vie et l'œuvre de Sigmund Freud, 1953, trad. franç. P.U.P., t. l,
1958, p. 348.
L la création
l'avis de Jones et de Ferenczi. Ceux-ci lui expliquent que ses
proviennent de la satisfaction qu'il a retirée de vivre fortement en
imagination les expériences de meurtre et de manducation du
Freud le confirmera au cours d'un entretien avec Jones : «
Traumdeutung, rai décrit le désir de tuer son propre père; ici,
j'ai décrit le meurtre réel ; après tout, il y a un pas énorme entre le
désir et l'acte 1• »
Après la réalisation symbolique du parricide, celle tout aussi
symbolique de l'inceste. A la suite des jours ( merveilleux» d'une
visite de Rome avec sa belle-sœur, et la rupture avec Jung étant
consommée, Freud, en automne 1913, retrouve son exaltation
créatrice et rédige Pour introduire le narcissisme.
Un quatrième épisode affronte Freud de nouveau à la mort et lui
rend un regain créateur, entre 1916 et 1923. La soixantaine est
venue: c'est la crise d'entrée dans la vieillesse. A quarante ans, on a
à accepter d'avoir un jour à mourir. A soixante ans, on a à se prépa-
rer à une mort qui se rapproche de plus en plus inéluctablement. Il
arrive que déjà un enfant, un petit-enfant, un frère ou une sœur
meurent, ce qui a été alors le cas pour Freud. Il perd en 191 5 son
demi-frère Emmanuel, auquel il était très attaché; en 1920 sa fille
Sophie ; en 1923 le fils de celle-ci. Des proches parents disparais-
sent : le mari de sa sœur préférée Anna, un neveu tué à la guerre,
une nièce qui se suicide. Enfin, comme toile de fond, la première
grande guerre, ses massacres, ses plaies qu'elle a laissées. De 1916
à 191 9, la pensée de la mort habite Freud, mais celui-ci tient à
préciser qu'elle est sans rapport avec les événements par ailleurs
douloureux pour lui que je viens de recenser. Jones, dans le second
tome de sa biographie de Freud, mttltiplie les témoignages qui
montrent celui-ci ( épuisé», prêt à (c prendre le monde en
dégoût », ( soulagé à la pensée que cette dure existence aura une
fin », ressentant ( parfois agréable » l'idée superstitieuse que sa vie
s'achèvera en février 1918. C'est une véritable dépression qui s'ins-
talle, dont les cr~ses créatrices antérieures lui avaient permis de faire
jusque-là l'économie. Pourtant il a créé la psychanalyse, son œuvre
pourrait s'arrêter là, la valeur commence d'en être reconnue. Juste-
ment, ce qu'il a fait, parce que c'est fait, perd sa valeur. Il lui faut
encore créer, ou mourir. Il sent la nécessité de poursuivre son auto-
analyse à travers l'approfondissement, puis la remise en question de
sa théorie. Le narcissisme le travaille, en tous les sens du
terme. Ce n'est plus seulement, comme les fois précédentes, une
l, André Missenard, qui a étudié en détail cene crise chez Freud, y met en évidence le
liés aux idéalisations infantiles et
« travail du narcissisme », la pene des repères identificatoires
juvéniles. le passage nécessaire par la dépression pour accéder à une véritable sublimation,
rendant possible le renouveau théorique, la victoire sur le fantasme mortifère de l'enfant
mort par l'élaboration de la pulsion de mort. (A. Missenard, 0: Narcissisme et rupture »,
in R. Kaës, A. Missenard, D. Anzieu et al. Crise, rupture et déPassement. Analyse transition-
nelle en psychanalyse individuelle et groupa/e, op. cit., pp. 82-14f).
'LU.~UJL"'j!::',U~, avec son antisémitisme et son eXiJarlSl()mUS-
me en pays germaniques voisins. C'est le ""'~.J..F. ...... ,
l'Anschluss va réaliser en 1 de l'annexion de
pour à quatre-vingt-deux ans d'émigrer :
qui répète départ de Freiberg, danger non pas
mort, p~y.sique en a pris son parti), mais spirituelle : la
pensee JUlve, et ses fruits dont la psychanalyse fait partie, sont
menacés de destruction. En 1937, peu avant le départ dètml1:1t
pour l'Angleterre, Freud publie Analyse finie, analyse sans et
Constructions dans l'analyse. Puis il mène à bien Moise et le mono-
théisme (1937-1939), ultime avatar de ses identifications héroÏ-
ques. A Londres, il prend des notes en vue d'un Abrégé de psychana-
lyse; il écrit Le Clivage du Moi dans le processus de définse et meurt
en 1939 avant sa publication. C'est la dernière crise créatrice, la
crise octogénaire, réservée au petit nombre de ceux qui ont pu arri-
ver à ce grand âge valides d'esprit et avec la passion de vivre et
penser toujours chevillée au corps. Comme souvent chez le vieil-
lard, c'est pour Freud une crise récapitulative. La découverte de la
psychanalyse est interminable, au moins autant que la cure: tel est
l'ultime message de son inventeur. Pendant plus d'un demi-siècle, la
vie intellectuelle de Freud, nouveau Moïse, n'aura-t-elle pas été un
long abrégé de psychanalyse ?
III
LE TRAVAIL DE L'ŒUVRE
Les plus grandes œuvres sont celles qui travaillent à leur tour le
lecteur. Je ne parle pas ici de l'effort de lecture d'un texte difficile,
ni du besoin de relire les œuvres par lesquelles on a été profondé-
ment ému ou interrogé, non plus du travail, qui guette les écrits deve-
nus « classiques », d'édition critique, d'annotation, d'interprétation
du contenu, d'analyse de la forme, de recherche des sources, de
constat des influences, de rapprochements avec la biographie de
r auteur ou avec le contexte social. Tout cela pourrait faire l'objet
de statistiques au vu desquelles on ne manquerait pas de mesurer
l'importance d'une œuvre au nombre d'articles ou de livres parus
sur elle ou au temps que les gens acceptent de consacrer à la lire, à
en discuter, à en entendre parler. C'est à un autre niveau que je me
place, et que j'ai défini au début: travail du rêve, travail du deuil,
travail de la création. A cette série des formes du travail psychique,
que Freud, comme bien d'autres, a parcourue mais en en étant
davantage conscient, répondent les effets croissants du travail de
l' œuvre sur le lecteur.
U ne œuvre ne travaille pas le lecteur - au sens du travail psychi-
que - si elle lui donne seulement le plaisir du moment, s'il en parle
comme d'une bonne fortune, plaisante mais sans lendemain. Le
lecteur qui commence d'être travaillé par l'oeuvre entame avec elle
une sorte de liaison. Pendant les interruptions même de sa lecture,
tout en se préparant à la reprendre, il s'-abandonne à la rêverie, sa
fantaisie éveillée est stimulée, il en insère des fragments entre les
LA CRISE CR ICE
ET LES ÂGES DE LA VIE
1. « Mort et crise du milieu de la vie ", trad. franç. in D. Anzieu et coll., Psychanalyse du
génie créateur, Dunod, 1974.
Le corps de l'œuvre
Créations de la vieillesse.
Créations de la maturité.
Toutes ces crises surviennent aussi bien chez les personnes ordi-
naires que chez les créateurs reconnus. L'avantage d'étudier la crise
chez ces derniers est qu'elle y est plus apparente, plus repérable
dans ses effets, plus compréhensible dans ses processus. Une statis-
tique portant sur un échantillon de 310 écrivains, peintres, sculp-
teurs, musiciens permet à Elliott Jaques de situer à trente-sept ans
l'âge moyen où sont survenus chez eux des changements impor-
tants. Certains qui n'avaient jamais encore créé, ou qui n'avaient
fait preuve que de talent, non d'une véritable originalité, devien-
nent soudain de grands créateurs : tel est le cas de Freud et dans
une certaine mesure de Proust. Des créateurs précoces connaissent
alors le dessèchement, parfois une mort prématurée : ainsi Mozart,
Raphaël, Chopin, Rimbaud, Baudelaire, Purcell, Watteau, dispa-
raissent entre trente-cinq et trente-neuf ans. Les plus remarquables
continuent de créer, mais ils ne le font plus de la même façon: leurs
sources d'inspiration, leur genre, leur style changent. Que le classi-
cisme de l'âge mûr succède au romantisme de la jeunesse est un fait
bien connu. L'évolution des méthodes du travail créateur l'est
moins, et un des mérites de Jaques est de l'avoir mise en évidence.
L'idéal de l'artiste, de l'écrivain juvénile est de produire du premier
jet et à jet continu: idéal à l'image de la vie sexuelle de cet âge; sa
créativité est rapide, incontrôlée, brillante, fiévreuse. L'auteur
mûrissant a, comme la satisfaction sexuelle, l'inspiration plus lente à
venir; en contrepartie, il trouve, à élaborer son œuvre, des plaisirs
plus espacés, plus raffinés, plus construits. Le premier prône la libé-
ration des émotions et des passions; le second leur maîtrise. La
production d'un matériel spontané suffit à celui-là; il peint ou il
compose en un jour ; quelques semaines lui suffisent à écrire un
roman ; il ne se relit pas ; l'œuvre doit être d'emblée parfaite, ou
elle n'est pas. On reconnaît là un des mécanismes essentiels au
noyau schizoïde de la personne, le raisonnement en tout ou rien. La
forme de son œuvre, autant que le fond, accapare le créateur à l'âge
mûr; il remanie son plan, il remet tout en chantier, les
Le corps
versions successives s'accumulent ; il recueille longuement sa
mentation ; les corrections, les retouches l'occupent et le préoccu-
pent, le produit brut est pour luî non plus une fin, mais le point de
départ d'un nouveau travail de mise au point, de ré-écriture, qui lui
demande généralement des années, voire le reste de sa vie. Celle-ci
ne fait plus alors qu'un avec l'œuvre en cours (Work in progress,
disait mystérieusement James Joyce de Finnegans Wake, dont il
taisait le titre, qu'il mit dix-sept ans à écrire entre quarante et
cinquante-sept ans et qui parut deux ans avant sa mort, survenue en
1941). Cette œuvre au long cours reste souvent un monument
inachevé, tel L 'Homme sans qualités (1930-1933) de Robert
Musil l .
Dans cette seconde crise ne se reflète pas que la diminution
d'énergie vitale et sexuelle normale à la phase climactérique. L'atti-
tude envers la mort simultanément se modifie, comme le souli-
gne Jaques et comme le montre l'exemple de Sigmund Freud.
La jeunesse ne pense pas à la mort ; elle a tout le temps devant
elle, en même temps qu'elle veut tout tout de suite; elle est du
même coup idéaliste et optimiste, impatiente et révolutionnaire;
elle porte des jugements tranchés ; elle croit à la bonté de la nature
humaine et au caractère mauvais de la société, à moins que ce ne
soit l'inverse, la condition humaine étant corrompue, la nature
extérieure restant seule parfaite; c'est qu'elle clive les pulsions
de vie dont elle' idéalise l'objet intériorisé, et les pulsions de
mort qu'elle projette. En elle tout est bon, le mal est au-dehors,
la mort ne la concerne pas ; d'où sa facilité à tuer ou à se suici-
der.
L'homme mûr au contraire devient conscient de l'inévitabilité de
sa mort, et tolérant à l'égard des manifestations du mal ; il recon-
naît la coexistence chez tous les humains des forces d'amour et de
destruction, coexistence qui lui apparaît comme la véritable source
de la misère et des drames de l'humai:f1e condition; d'où son pessi-
misme serein, son conservatisme libéral, sa résignation constructive.
D'où aussi son accès à ce que Lucien Goldmann avait, dès 195 5,
appelé « la vision tragique du monde », dont il voyait en Racine et
Créations de la jeunesse.
de mes grimaces pendant que, d'un geste sûr et indolore, elle extir-
pait le drain fabuleux et dérisoire, puis remarquant les traces de
mon activité d'écriture elle m'a traité de «( Monsieur de Sévigné ».
r
Au soir de ce jour mémorable par la régression que avais vécue -
il fallait que je mette mes tripes sur la table pour parer le danger qui
me menaçait - mon premier chapitre était terminé et recopié, et ma
secrétaire prévenue de venir le prendre dès le lendemain pour le
dactylographier. Notons au passage le trio des bonnes fées (l'infir-
mière, la secrétaire, Mme de Sévigné) convoquées sur le berceau de
l'enfant marqué de blessures inextricablement réelles et imaginaires
et récipiendaire de dons par où s'affirme sa double identification
héroïque et masochiste. Ma tentative de poursuivre la composition
de ce roman est entrée en conflit pendant de longs mois avec la
rédaction du présent ouvrage et il m'a fallu renoncer à voir aboutir
ma création romanesque pour mener à bien ma réflexion sur le
travail créateur et sa formulation.
La régression créatrice est freinée par la rigidité défensive, par l'ar-
mure caractérielle, par l'armature névrotique du sujet, par la crainte
justifiée d'avoir à affronter, chemin faisant, des angoisses de type
psychotique (annihilation, dévoration, morcellement, persécution,
retrait). La résistance à la régression est une forme de la résistance
au changement: peur de l'inconnu, de l'inquiétante étrangeté, de la
métamorphose. Mais il ne suffit pas de régresser : il faut supporter
les représentants psychiques inconscients découverts par la régres-
sion. Les supporter, c'est-à-dire ni rabattre la dalle du tombeau sur
eux, ni se sentir envahi dans un débordement catastrophique et
décompensatoire. La double capacité du Moi de régresser et de
tolérer ce qui surgit alors - fantasmes inattendus, accès d'angoisse,
autres affects intenses, approche d'un vide où se perd la substance
de l'être, instauration d'une immobilité posturale mortifère ou
déclenchement d'une agitation motrice effrénée - constitue la
condition du passage à la seconde phase du travail créateur.
Il est toutefois nécessaire de discuter davantage les diverses
hypothèses qui ont été proposées quant aux processus en jeu à cette
première phase : régression, dissociation, saisissement ?
Les psychanalystes qui s'y sont intéressés en ont principalement
parlé en termes de régression. Il est vrai que les trois sens accordés
par Freud à la régression psychique peuvent s'appliquer là. Le
retournement créateur a souvent été décrit comme une démarche
régrédiente, comme une inversion de valeurs qui s'apparente à la
régression topique, au rebroussement de l'excitation du pôle moteur
cinq phases créateur
l'appareil psychique (celui qui vise à la décharge la quamtlté
d'excitations) au pôle perceptif et imaginaire (celui qui COlnfllarlde
l'hallucination, le rêve et qui procure la représentation illusoire
la satisfaction des désirs). Le créateur suspend d'agir pour
ner ; il se retire des sollicitations du monde, de la société,
nature pour s'enfermer dans une chambre, une tour, une charmille,
d'une façon homologue au désinvestissement de la réalité chez celui
qui veut s'endormir et qui cherche une posture reposante, sur un
support stable, sous un enveloppement de couvertures, à r abri du
bruit et de la lumière. Souvent même, c'est parce qu'un être humain
est enfermé contre sa volonté dans une prison, dans une île, dans un
lieu perdu, qu'il se met à imaginer, à peindre, à composer, à écrire.
Comme le rêveur, le créateur entre dans un état d'illusion, où une
partie de lui est endormie et une autre éveillée, avec une conscience
plus aiguë que pendant le jour de ce qui se passe dans son esprit.
Plusieurs créateurs ont décrit ce moment comme une hallucination :
l'analyse du Coin plaisant d'Henry James m'en fournira plus loin un
exemple. Il y a également dans la création un aspect de régression
chronologique : un homme fait retour sur son passé, il fait retraite
pour remettre en question sa vie (La Chute, 1956, d'Albert
Camus), il laisse remonter de son enfance une impression, une
sensation, une émotion (cf. la madeleine de Proust, ou le récit Loin,
1979, publié par un psychanalyste, J.-B. Pontalis), un amour ou
une haine, une nostalgie, un soupir, un cri de détresse, d'abandon,
d'injustice, de vengeance. Le décollage créateur opère enfin une
régression formelle : les idées rationnelles, la pensée verbale, les
concepts élaborés sont abandonnés pour les images, la pensée figu-
rative, les modes de communication primaires.
Mais la régression créatrice se distingue aussi bien de la régres-
sion provoquée du patient en cure psychanalytique que de la régres-
sion psychopathologique brusque (celle qui produit un symptôme
névrotique ou une décompensation psychosomatique, voire qui
prépare l'entrée dans la psychose). Elle est à la fois spontanée
comme la seconde mais plus imprévisible, et partielle comme la
première mais plus consciente, car le créateur, je l'ai dit, qui n'a pas
derrière lui un psychanalyste pour le garantir des risques encourus,
pour être attentif et pour comprendre et se remémorer à sa place,
dédouble son Moi en une partie qui régresse et une autre qui reste
vigilante et qui prend conscience.
Aussi Hartmann, Kris et Lôwenstein ont-ils pu, dans la perspec-
tive de l'Ego-psychology américaine, parler d'une «régression
contrôlée au service du Moi n. Mais cette formulation prête à
Le corps de l' œuvre
confusion, et s'applique mieux aux phases ultérieures du travail de
création, quand le créateur est en possession de ce qui fera l' origina-
lité de son œuvre et qu'il développe celle-là dans celle-ci. Lors de la
phase initiale en effet, s'il y a bien contrôle par la conscience non
seulement conservée mais exacerbée, il y a tout autant une régres-
sion du Moi qu'une régression libidinale aux pulsions partielles
prégénitales dont l'activation stimule le processus de sublimation.
D'où le fait que cette régression créatrice, sorte de rêve nocturne
fait les yeux grands ouverts, apparaisse tantôt comme le surgisse-
ment d'une hallucination (ce qui anticipe la phase suivante, la saisie
d'un représentant inconscient), tantôt comme l'émergence d'un
délire (ce qui anticipe la troisième phase, la mise en œuvre d'un
code organisateur de l'œuvre), c'est-à-dire comme un moment
psychotique non pathologique.
S'agirait-il donc d'une dissociation provisoire du psychisme?
Les créateurs eux-mêmes et les psychiatres qui ont eu à soigner
certains de ceux-ci parlent volontiers d'un état passager de déper-
sonnalisation. Pendant la seconde moitié du XIXe siècle, la littératu-
re romanesque prépsychanalytique s'est beaucoup intéressée aux
rêves, à l'hypnose, aux dédoublements de personnalité, à l'automa-
tisme mental, à tout ce qui fonctionnait comme révélateur des
personnalités multiples qui coexistent en un même individu derrière
son identité apparente. Cette irruption dans la conscience d'un Moi
étranger n'a pu faire le sujet de nombreux romans (dont le prototype
reste le Docteur JekJU et Mister Hyde, 1886, de R.L. Stevenson) que
parce que les auteurs en avaient eu l'expérience plus ou moins confu-
se au cours du travail de création et aussi parce que les progrès de
la psychologie pathologique avaient fourni des analogies cliniques
et un cadre conceptuel permettant de concevoir ces phénomènes.
La dépersonnalisation a fonctionné comme un verre grossissant
qui mettait en évidence toute une gamme d'altérations commençant
avec de fines dissociations du Moi chez une personne normale et
aboutissant aux comportements dissociés de certains schizophrènes.
Les progrès de la clinique et de la théorie psychanalytiques permet-
tent d'en proposer des explications plus précises. Qu'est-ce qui se
dissocie dans ce qu'on appelle communément l'inspiration? L'unité
toujours fragile que le Moi conscient et préconscient essaie d'établir
dans le psychisme vole en éclats. Le Surmoi, l'Idéal du Moi, le
Moi idéal se mettent à fonctionner en morceaux séparés et l'un ou
l'autre de ces sous-systèmes psychiques se morcelle lui-même en les
diverses identifications qui se sont stratifiées en lui à des âges diffé-
rents et dans des circonstances variées, voire contraires. Une autre
Les cinq phases travail créateur
dissociation concerne le Moi lui-même, en tant qu'il assure
gration de la psyché dans le soma (autrement dit la résidence
l'esprit dans l'organisme) : c'est la dissociation du Moi psychique
et du Moi corporel, avec les sentiments d'étrangeté, les manifesta-
tions somatiques qui s'ensuivent. Mais la dissociation créatrice est
temporaire et réversible. Le créateur peut, avec l'expérience, aussi
bien en provoquer le retour qu'y mettre fin. Il y a là une analogie
avec l'expérience mystique individuelle, avec les états de transe
collective. Le vocable de dissociation a une connotation trop
psychiatrique pour s'appliquer avec justesse au déclenchement du
travail créateur.
Je préfère utiliser le terme de saisissement à l'exemple de Michel
de M'Uzan l, psychanalyste ayant eu l'expérience personnelle de la
création littéraire (il a publié deux recueils de nouvelles), et qui l'a
lui-même emprunté à Frobenius : ce terme cc a le mérite de rendre
au phénomène son caractère d'accident brusque et essentiel. Pour
Frobenius, cet état de saisissement aboutit à un acte qui n'est pas seu-
lement descriptif, mais organisateur, générateur d'un nouvel ordre
qui constitue une acquisition. Il s'agit là, en d'autres termes, d'une
expérience mythique du réel, qui double pour ainsi dire la communica-
tion immédiate et silencieuse avec la réalité )bjective des choses )J.
Et de M'Uzan de préciser les trois caractéristiques de ces états:
( 1) une modification de la naturelle altérité du monde exté-
neur;
2) r altération de r intimité silencieuse du moi psychosomati-
que;
3) le sentiment d'un flottement des limites séparant ces deux
ordres, avec une connotation d'étrangeté. A cette transformation
dans le rapport des investissements objectaux et narcissiques
répond le sentiment éprouvé par le sujet d'un changement de sa
position à l'égard du monde, voire de sa propre identité. L'état de
saisissement qui y est lié suscite la conscience d'entrer en rapport
avec quelque chose d'essentiel et pourtant d'ineffable.») De
M'Uzan rapproche le saisissement de la dépersonnalisation quant
au processus et le différencie quant à l'affect : si cet état est vécu
dans l'angoisse, c'est la dépersonnalisation; s'il est ressenti sur le
mode exaltant de la ( dilatation toute-puissante ») il correspond à
l'inspiration artistique, à l'extase mystique, à certaines expériences
élationnelles. ( Dans les deux cas, l'instant de saisissement me
paraît relever d'une expérience traumatique. »
1 cc Aperçus sur le processus de la création littéraire» ( 1964) ; repris in De l'art d la
mort, up. cit., pp 3·27 . La citation est tirée des pages 6-7.
02 Le corps de l'œuvre
Pour ma part j'apporterai quelques nuances et compléments à
cette description. Le saisissement (du futur créateur par une
sensation-image-affect dont if fera le thème directeur de son œuvre)
est inséparable d'un dessaisissement (de soi-même, du contrôle
habituel du Moi, des représentations établies de son être, des inves-
tissements dans des buts et dans des objets censés épuiser l'intensité
pulsionnelle). Cette mise en question de l'unité de la personne, cette
effraction de son enveloppe psychique, cette rupture dans son
narcissisme sont éprouvantes, toujours dans un premier temps
extrêmement angoissantes. En un second temps, qui peut ou non
suivre immédiatement, la prise de conscience particulièrement vive
d'un représentant psychique inconscient vient déclencher non seule-
ment l'illusion élationnelle d'omnipotence, mais l'entreprise de
reconstituer, par le projet de composer l'œuvre, une peau mi-
matérielle mi-psychique venant réparer l'effraction. Les grands
créateurs, comme les grands mystiques, ont multiplié les avertisse-
ments d'avoir à se méfier des pièges de l'exaltation euphorique
(qu'une drogue peut aussi bien procurer) : si elle n'est pas encadrée
par l'angoisse, elle risque de n'être qu'un accomplissement imagi-
naire des désirs narcissiques. Mis à part l'affect qui l'auréole, la
représentation alors visée est creuse, ou banale, comme dans ces
rêves fort bien enregistrés par Freud où le dormeur rêve d'une idée
géniale, qui s'avère au réveil n'avoir aucun contenu. Si l'auteur,
captivé par cette fascination vaine, en tire néanmoins une œuvre,
celle-ci s'avère sans intérêt, sans originalité; elle n'a de valeur qu'à
ses propres yeux, comme un reflet, d'autant plus fascinant qu'il est
vide, de son Soi grandiose.
Le terme de saisissement me paraît mieux convenir en raison de
sa diversité même de sens. Tantôt il connote une attitude passive
(le sujet est saisi, d'une façon brusque et soudaine, par une impres-
sion forte, sensation - généralement de froid -, émotion, senti-
ment, qui envahit l'esprit, et même l'âme, c'est-à-dire le noyau de
son être psychique) ; tantôt il désigne une attitude mentalement
active dont le modèle corporel est fourni par la main : saisir, et
mieux encore se saisir de, c'est mettre la main avec détermination,
force, rapidité, c'est prendre d'un coup, empoigner, s'emparer;
puis, par dérivation du physique au mental, saisir s'applique
à la conscience qui embrasse, appréhende un objet par la
perception ou par le raisonnement. T el est le paradoxe du
saisissement créateur, la coexistence d'une extrême activité de
la conscience et d'une extrême passivité du reste du Moi. Les
connotations de saisir, fournies par le grand dictionnaire Robert,
Les cinq créateur
coïncident toutes avec les descriptions données par créateurs
leur état initial. Certaines sont d'ordre émotionnel: horreur,
joie, angoisse, surprise, étonnement. D'autres sont d'ordre
sensoriel et il ne s'agit pas de n'importe quelle sensation, mais
frisson et de froid: ainsi dans un célèbre Sonnet ( 5)
mallarméen, « Le vierge, le vivace et le bel aujourd'hui)),
immobilisé par le gel à la surface d'un lac fournit-il une image de
l'inspiration qui efface les limites entre le liquide et le solide, entre
le vivant et son milieu physique, dont sa survie dépend, et
évoque-t-il sans doute confusément le traumatisme de la naissance :
toute mise au monde est une mise au froid. Tel encore le commen-
taire que dans son Journal en 1888 Frédéric Nietzsche donne de
son état intérieur pendant qu'il composait Humain, trop humain:
(c C'était une guerre, mais une guerre sans poudre et sans fumée,
l, Cité par Léon Chestov, La Philosophie de la tragédie, 1902, trad. franç., Flamma-
rion. 1966,
2, « L'échelle des températures, Lectll~e du corps dans Madame Bovary » in Le Temps
de la réflexion, (1, 1980. pp, 145 -183), Les citations qui suivent sont tirées des pages
174 et 176.
04 Le corps de l'œuvre
tions thermiques le parallèle classique entre Gustave Flaubert et
Emma Bovary, Starobinski montre que « la mort, le froid, la voca-
tion artistique, la réflexivité,- l'ironie et le rire sur toutes choses se
révèlent donc étroitement solidaires et interdépendants ». Il cite la
lettre du 16 septembre 185 3 à Louise Colet : c( N'en est-il pas de
la vie d'artiste, ou plutôt d'une œuvre d'Art à accomplir, comme
d'une grande montagne à escalader? ( ... ) n fait froid et l'éternel
ouragan des hautes régions vous enlève en passant jusqu'au dernier
lambeau de votre vêtement ( .. ,). C'est l'heure où l'on compte ses
fatigues, où l'on regarde avec épouvante les gerçures de sa peau. L'on
n'a rien qu'une indomptable envie de monter plus haut, d'en finir,
de mourir. Quelquefois, pourtant, un coup des vents du ciel arrive
et dévoile à votre éblouissement des perspectives innombrables,
infinies, merveilleuses! ( ... ) N'importe! Mourons dans la neige
( ... ) et la figure tournée vers le soleil ! »
Plus près de nous, Danièle Sallenave, dans Les Portes de Gubbio 1
qui se présente comme le journal au second degré d'un créateur, fait
écrire au narrateur: « Aller vers ce champ de neige, s'enfoncer
jusqu'au ventre, retenir son souffle sous la brûlure du froid; s'y
plonger dans un éblouissement sans limite » (p. 33).
Inspiré, le créateur recommence sa propre naissance et réexpéri-
mente le risque mortel: il est envahi par le froid extérieur, oppressé
par l'air; inerte, immobilisé, paralysé, il se trouve sans parole,
sinon sans voix ; il n'a plus que la ressource d'un cri.
n est presque mort de saisissement, mais, retournement décisif, il
saisit l'occasion, il se saisit de l'étrange, de l'inconnu, de l'imprévi-
sible, qui n'est peut-être qu'un objet banal vu avec des yeux neufs et
dont il va faire un essentiel, un fil directeur, un ressort logique. Il y
a là une situation paradoxale mais, comme Winnicott en a fait la
découverte à propos de l'objet transitionnel, à la fois placé là plus
ou moins par hasard par l'entourage et inventé par l'enfant, le para-
doxe du saisissement - passivité du Moi, activité de la conscience
- ne doit pas être résolu pour qu'un processus créateur puisse s'en-
clencher. Lors de cette phase première, de cet instant inaugural, le
créateur est un Asaisisseur, pour reprendre le dérivé lexical forgé par
un poète 2 : c( 0 Saisisseur de glaives à l'aurore. »
Ô force errante sur mon seuil, ô Mendiante dans nos voies et sur les traces du Prodi-
gue?
Le vent nous conte sa vieillesse, le vent nous conte sa jeunesse .. Honore, ô Prince, ton
exil!
Et soudain tout m'est force et présence, où fume encore le thème du néant.
Plus haute, chaque nuit, cette clameur muette sur mon seuil, plus haute, chaque
nuit, cette levée de siècles sous l'écaille,
cc Et, sur toutes grèves de cc monde, un ïambe plus farouche à nourrir de mon être !...
cr Tant de hauteur [l'épuisera la rive accare de ton seuil, ô Saisisseur de glaives il
l'aurore,
cc Ô Manieur d'aigles par leurs angles, et Nourrisseur des filles les plus aigres sous la
plume de fer !
cc Toute chose à naître s'horripile à l'orient du monde, toute chair naissante exulte aux
premiers feux du jour !
cc Et voici qu'il s'élève une rumeur plus vaste par le monde, comme une insurrection de
l'âme
cc Tu ne te tairas point, clameur! que je n'aie dépouillé -sur les sables toute allégeance
humaine. (Qui sait encore le lieu de ma naissance ?). »)
1 Trad. franç in Psychanalyse à l'Université, nO Il, 1978, pp. 373-382. Les citations
ci-dessus reproduites sont aux pages 380-382
Le
quelque chose aurait pu se passer, ou bien encore,
façon un peu plus éloignée, les objets contenus dans ces pièces et
que la construction ne pouvait évidemment pas connaître. Cela se
produisait aussi bien dans les rêves survenant immédiatement après
la communication (de la construction) que dans les états de
diurne. ») Commentons: il s'agit d'un déplacement: l'affect lié à la
scène pathogène et au fantasme sous-jacent est neutralisé; le décor,
avec ses qualités sensibles, est surinvesti ; la quantité d'investisse-
ment reste ainsi constante ; le déplacement de cette quantité s' effec-
tue selon des lignes de similitudes et surtout de contiguïté. Freud
pousse plus loin sa réflexion, qui l'amène à prendre en considéra-
tion l'existence d'hallucinations non pathologiques : cc Ces souve-
nirs auraient pu être qualifiés d'hallucinations, si à leur netteté
s'était ajoutée la croyance à leur actualité. Mais l'analogie gagna de
l'importance quand mon attention fut attirée par la présence occa-
sionnelle de véritables hallucinations dans d'autres cas, des cas qui
n'étaient certainement pas psychotiques. Ainsi continuait mon
raisonnement : on n'a pas encore assez apprécié ce caractère peut-
être général de l'hallucination, d'être le retour d'un événement
oublié des toutes premières années, de quelque chose que l'enfant a
vu ou entendu à une époque où il savait à peine parler. » Cette
hallucination en quelque sorte (c normale » - et dont le rôle dans le
travail psychique de création me paraît essentiel, bien que Freud ne
fasse pas le rapprochement - constitue une forme archaïque de
remémoration, également éloignée de l'agir (de l'acte-signe de l' en-
fant, de l'équation symbolique du psychotique, de l'acting-out de
l'analysant) et de la pensée (de la pensée verbale, de la mémoire
réorganisée avec l'acquisition de la parole). Il s'agit d'une pensée
primaire, par images, figurative, où les représentants psychiques
inconscients se présentent directement à la conscience sans le
détour, l'élaboration et la déformation par un préconscient non
encore suffisamment constitué.
Freud pousse plus loin son raisonnement: de même qu'il y a des
hallucinations non pathologiques, de même il peut y avoir une part
de vérité dans un délire. Là encore Freud n'effectue pas le rappro-
chement avec la création d'une œuvre (encore qu'il ait, dans Totem
et tabou, en 1912-1913, émis l'idée qu'un système philosophique
était une paranoïa réussie), mais « le rapport étroit de l'hallucina-
tion et de certaines formes de psychoses» le conduit à une rééva-
luation des « formations délirantes ) : « Dans le mécanisme d'une
formation délirante nous ne soulignons habituellement que deux
facteurs, d'une part le fait de se détourner du monde réel et les
Les créateur
ce que
de désir exerce sur le contenu du délire. Mais le processus dyna-
mique ne pourrait-il pas être plutôt celui-ci : cette poussée du refou-
lé profiterait fait qu'on se détourne de la réalité pour imposer
son contenu à la conscience, et dans ce cas les résistances mobilisées
par ce processus et la tendance à raccomplissement du désir se parta-
geraient la responsabilité de la déformation et du déplacement de ce
qui est remémoré? (... ) Ce qui importe, c'est l'affirmation que la folie,
non seulement procède avec méthode, comme le poète ra déjà re-
connu, mais qu'elle contient aussi un morceau de vérité historique. »
L'intensité de la croyance délirante, poursuit Freud, provient de
la conviction inconsciente du malade qu'il y a une vérité au fond de
son délire ; semblablement la construction du psychanalyste n'a un
pouvoir convaincant sur le patient que parce qu'elle touche et
ravive chez lui une vérité oubliée. Là encore j'ajouterai à Freud que
la force propre à l'œuvre d'art, qui est de communiquer à l'usager
la croyance en la réalité des personnages, des événements, des
paysages, des émotions représentés, provient d'une semblable vérité
historique personnelle oubliée dont l'œuvre permet la réappropria-
don à l'auteur et qui provoque, par un effet de résonance fantasma-
tique et affective, un mouvement de réappropriation analogue chez
le lecteur en ce qui concerne sa propre vérité historique oubliée. Le
délire pathologique est par contre dépourvu de ce pouvoir de réso-
.nance (sauf cas du délire à deux). Revenons à Freud: « Les délire5
des malades m'apparaissent comme des équivalents des construc-
tions que nous bâtissons dans le traitement psychanalytique. ( ... )
De même que l'effet de notre construction n'est dû qu'au fait qu'elle
nous rend un morceau perdu de l'histoire vécue, de même le
délire doit sa force convaincante à la part de vérité historique qu'il
met à la place de la réalité repoussée. » L'œuvre - littéraire, scienti-
fique, artistique - n'est-elle pas une autre de ces « tentatives d'ex-
plication et de restitution» d'un morceau de réalité dénié ou
oublié?
1 Anfré Green, dans Le Discours vitlan! (P.U.F., 1973), a essayé de combler cem::
lacune mais sans se référer à la création littéraire et artistique
Les c,t'iateur
sa et
an1tlniomllql.leS qui affecteront
ou le récit. Les techniques provocation de cette rp'iTnr"Ic:!(","'nt"p
émotionnelle par le créateur s'apparentent plus à l'auto-hypnose, au
somnambulisme, à la transe qu'à des associations libres sur un
un souvenir, une image mentale. C'est la concentration m~:nta1e
un point brillant, sur un détail aussi peu significatif
apte à accaparer et à détourner la conscience. C'est
par le mystique dans son ascèse, des représentations, qu'elles
d'origine sensorielle, mnésique ou intellectuelle. C'est la page
blanche que le poète fixe, en faisant silence dans son esprit, en
évitant la tentation surréaliste, qui ramènerait au cas précédent, de
la remplir avec le flux surabondant des représentations de choses et
de mots, en soutenant cette attente jusqu'au renoncement, et à l'ir-
ruption d'un affect longtemps neutralisé qui resurgit, plus présent
que quand il a déjà été là mais sans avoir pu alors être plrinement
vécu. Le poème, par ses sonorités, ses scansions, sa mélodie, ses
consonances, ses ruptures d'harmonie, par l'immédiateté, l'inatten-
du de ses évocations, est, avec la musique ou la peinture, des plus
appropriés à traduire cet affect et les états psychiques qui y sont
liés.
Un troisième cas, moins assurément connu et encore plus
dépourvu d'explication métapsychologique, est celui où le représen-
tant psychique saisi régressivement par le créateur est une forme
très particulière de représentation de chose que B. Gibello a spéci-
fiée comme représentant de transformation 1. Untel représentant se
situe à la limite du psychique et du corporel: il s'agit de l'opération
même de la naissance - et de la reconnaissance - de ce représen-
tant comme réalité psychique à partir d'une activité motrice, de
l'exercice d'un rythme, d'une expérience posturale, du dialogue
tonique du corps propre avec les autres corps, animés et i~animés.
Paul Valéry est un des rares esthéticiens à avoir, dans L'Ame et la
danse (1921), consacré une réflexion philosophique à l'art muscu-
laire par excellence, celui du ballet. A vingt et un ans, en 1892, il a
sa cc nuit de Gênes »), qui lui fait abandonner l'amour, la poésie, le
dandysme, les plaisirs sensuels, pour le calcul des possibilités humai-
nes et l'étude du raisonnement abstrait dans la ligne de Leibniz. En
termes psychanalytiques, il détourne des objets ses investissements
narcissiques et libidinaux pour retourner sa libido sur l'observation
1. a Représentants de choses, représentants de mots, représentants de transforma-
tions », Documents et débats (Bulletin intérieur de l'Association Psychanalytique de Fran-
ce), li, avrü 1980, pp. 23·34.
2 Le corps
sa propre structure narcissique et de ses propres processus
pensée, dans une tentative, continuée tout au long de sa vie,
rendre conscientes ce que rappelle les opérations et les opérateurs
inconscients qui constituent les codes préconscients sous-jacents à
cette structure et à ces processus. Par la suite, revenant à la poésie,
Valéry ne néglige pas de donner une expression sensible à ces
abstractions (ce qui correspond à la phase suivante, la troisième
selon moi, du travail créateur). Levé de très bonne heure, il effectue
chaque matin sa c( gymnastique » mentale qu'il consigne dans ses
Cahiers. Comme Freud le fait au même moment à l'égard de ses
propres rêves, Valéry s'érige en observateur constant et lucide de
l'activité de son esprit. Il s'intéresse aux opérations mentales
communes ou particulières à l'attention, au langage, à la création
poétique, aux différents arts, aux diverses techniques, à l'action
calculée et réglée sur les choses. Il place ses identifications héroÏ-
ques dans trois personnages morts ou imaginaires, à chacun
desquels il consacre un ou plusieurs essais : Monsieur Teste (1895,
1924, 192 5), Léonard de Vinci (1919), Eupalinos ou L'architecte
( 192 1). Il s'efforce d'y saisir ce que j'ai appelé plus haut ces repré-
sentants de transformation, qui correspondent à une pensée sans
image visuelle ni affect et qui opèrent dans la construction d'un
texte, d'une machine, d'un édifice. Le chapitre suivant, consacré au
commentaire du Cimetière marin (1917), s'efforcera d'en donner un
exemple. Freud, avant de devenir psychanalyste, dans son premier
livre Sur les conceptions de 1'aphasie (1891), consacré aux rapports
entre la structure du syst2:me nerveux et celle du langage, avait
pressenti la notion de schéma corporel et souligné l'importance,
dans la parole, la lecture, l'écriture, des images motrices - ~u'il
conviendrait d'ailleurs de subdiviser en images kinesthésiques et
posturales.
Ce troisième cas de saisie créatrice d'un représentant psychique
inconscient requiert une lucidité plus poussée que dans les deux
premiers, une ascèse, une précision, un don dans le maniement des
abstractions, un éloignement de l'inspiration, de l'enthousiasme, un
dédain pour le flux associatif des représentations de chose et de
mot comme pour la transe affective. Plutôt qu'une défense
maniaque ou obsessionnelle contre la position dépressive, on trouve
là un recours plus archaïque à la défense par le retrait, la froideur et
la clairvoyance schizoïdes contre la position paranoïde (retrait
1. Hermann Rorschach consacre sa thèse de médecine ( 1912) à 1'étude psychologique
des images kinesthésiques, notion qu'il applique ensuite à l'interprétation de son test de
taches d'encre (1921).
Les créateur 1
opéré seulement pendant le travail : avec
rier et des visites, Valéry s'ébrouait dans la vie sociale, et
publique). Le psychanalyste qui me semble s'en être approché le
plus, aussi bien par son mode de fonctionnement personnel (auto-
observation de l'endormissement, du réveil, de l'anesthésie, des
déformations hypnagogiques et oniriques de l'image motrice du
corps et de r espace-environnement) que par sa théorie (distinction
du Moi psychique et du Moi corporel, sentiment d'un noyau
central de soi, fluctuation des frontières du Moi), c'est le Viennois
Paul Federn, dont on a traduit l'œuvre en français avec un demi-
siècle de retard l . A sa suite l'Ecossais Guntrip, dont on n'a traduit
en français que l'autobiographie psychanalytique 2 , a proposé une
hypothèse psycho-génétique stimulante: le premier sentiment d'un
Soi psychique, avant ceux de l'identité, de la continuité, de l'unité
du psychisme et de sa résidence dans un corps, serait le sentiment
d'unicité, d'être un être unique; sa préservation fonderait la vitalité
somato-psychique de l'individu pendant toute l'existence et le nour-
risson l'éprouverait dès les expériences motrices (respirer, téter,
s'éveiller, être tenu) contemporaines de la naissance. Cette hypothè-
se présente l'avantage de rendre compte d'une contradiction qui a
gêné les commentateurs de Valéry: c'était dans l'exacerbation de
son narcissisme (c'est-à-dire dans la reconfirmation de son unicité)
qu'il parvenait à saisir les structures les plus générales du travail de
la pensée (en tant qu'abstractions des activités motrices élémentai-
res ).
La seconde étape du travail créateur - la prise de conscience,
grâce à l'acuité, la vivacité de l'attention d'U1l ou plusieurs représen-
tants inconscients (représentation, affect, image motrice) de façon à
les fixer dans le préconscient comme noyaux d'une activité de
symbolisation - est moins fréquente que l'étape précédente. Non
seulement les sentiments de honte et de culpabilité l'inhibent (la
vue, l'écoute, le contact de certaines choses, l'expression de certaines
émotions sont défendus) mais aussi le poids du savoir acquis brouil-
le la perception des choses nouvelles (ce qui constitue une forme de
la résistance épistémologique). Ici la solitude, nécessaire lors de la
phase précédente, devient un handicap. Le créateur est assailli de
doutes (cf. le ( ver rongeur » évoqué par le poètt~ dans Le Cimetière
marin) : ce qu'il est en train de saisir - redoute-t-il - n'a aucune
1 Paul Fedcrn, La Psychologie du Moi et les psychoses, .trad.franç. P.U.E 1979.
2. Mon expérience de l'analyse avec Fairbairn et Winnicott in Mémoires, Nouvelle revue
de psychanalyse, 1977, nO 15, pp. 5-28; ce texte est suivi d'une discussion par
D . Anzieu, J.-B. Pontalis, G. Rosolato
Le corps
un simple délire personnel ; c'est faux, laid, mal, pis
même, cela le fera apparaître différent des autres, qui ne le lui
pardonneront pas. A quoi l'ôn reconnaît - rétrospectivement -
l'intervention corrosive de la pulsion d'autodestruction, dont Freud
a constaté d'expérience qu'elle se précipite sur toute création en
train de se faire pour tenter de l'annihiler dans son germe.
Un moyen de surmonter cette résistance réside dans la rencontre
d\m interlocuteur privilégié, ami et confident unique, de même
sexe ou non, avec lequel le créateur entretient une connivence déci-
sive sur plusieurs des quatre plans suivants - intellectuel, fantasma-
tique, affectif, narcissique - mais non sur tous (un écart est indis-
pensable pour qu'un échange mutuel et soutenu s'établisse). Peu
importe, quant au travail créateur s'entend, que cette connivence
s'accompagne de relations sexuelles : certains génies ont besoin
d'abstinence pour disposer du supplément de libido nécessaire à la
sublimation; d'autres le trouvent dans la recharge libidinale appor-
tée par l'excitation d'une vie amoureuse et sexuelle intense ou
variée, scandaleuse ou secrète. L'ami(e), par ses réactions sponta-
nées, garantit la validité - car ils résonnent en lui ou en elle
profondément - des représentants psychiques archaïques dont le
créateur lui soumet la saisie qu'il vient d'opérer. Ceux-ci, étant
reconnus et partagés, commencent d'acquérir pour leur découvreur
une réalité objective. Ce soutien apporté par l'ami( e)-témoin donne
au créateur la confiance nécessaire envers sa propre réalité
psychique interne pour contrebalancer son premier mouvement de
défiance (persécutive ou dépressive) envers celle-ci.
La recherche psychanalytique s'est intéressée à ce rôle de l' ami( e)
du créateur en soulignant l'importance, pour ce dernier, de pouvoir
c( partager son secret l » et en insistant sur le rôle cc catalytique» de
l'ami 2 ; la notion winnicottienne d'c( illusion » me semble s'imposer
là : la mère, en s'occupant pour l'enfant de la réalité externe, appor-
te à ce dernier l'illusion que le monde s'accorde à ses désirs ; illu-
sion positive car elle amène l'enfant à une prise en compte progres-
sive de cette réalité externe, dont il se détournerait si elle infligeait
trop tôt un démenti trop brutal, trop répété, à sa réalité interne. De
même en témoignant combien les premières ébauches de l'œuvre
provoquent en lui ou en elle un écho émotionnel, intellectuel,
fantasmatique, l' ami( e) procure au futur créateur l'illusion indispen-
sable pour se résoudre à transformer des morceaux de sa
1 B.C. Meyer, cité in C. Kligermann, « Pand on Creativiry » International Journal of
Psycho-Analysis, 1972. J3, nO 1, pp. 21-30.
2 M Masud R Khan. Le Soi caché (1974, trad. franç Gallimard, 1976).
Les créateur
réalité subjective en une
que joua pour Freud pour M()ntal~ne,
pour Proust Céleste Le créateur est ainsi aidé à maltnt:enlr
préservée reste sa vie une aire d'illusion, où il y a COlntlnultè
et non opposition entre le principe de plaisir et celui
L'œuvre à son tour fait retrouver au lecteur, au spectateur, à
teur, l'univers de l'illusion et satisfait à la nécessité où nous nous
trouvons tous, pour supporter la difficulté de vivre, de réconcilier
de temps à autre le principe de plaisir et le principe
J. Barchilon 1 a souligné un autre aspect de l'intuition créatrice:
l'enfant se heurte tôt ou tard aux idées toutes faites des grandes
personnes et c'est sur le mode de la moquerie, du défi, de l'absurde
qu'il parvient à exprimer, malgré la violence exercée sur lui par le
point de vue des adultes, l'expérience qu'il a de sa propre réalité
intérieure. De nombreux auteurs ont effectivement parlé de leur
propre travail créateur comme d'un moment de rire énorme ou
comme émanant d'une volonté de scandaliser. Le mouvement
Dada en a fourni systématiquement des exemples.
Pour revenir à l' ami( e), une de ses fonctions est de contrebalancer
dans la réalité extérieure l'effet généralement négatif d'un person-
nage imaginaire de la réalité psychique, auquel de M'Uzan2 a
donné le nom de « public intérieur ». Pour me limiter à l'écrivain,
quand on écrit, on s'adresse silencieusement à un être idéal, une
mère, une sœur que l'on aurait voulu séduire, un père que l'on
aurait voulu convaincre de sa valeur. Concevoir une œuvre, c'est
dire à cet être idéal intériorisé : (c tu le vois bien, avoue-le, tu as été
injuste à mon égard, reconnais mes désirs, mes capacités, donne-
moi acte de ce que je me sens être réellement ». Mais ce personnage
intérieur qu'on souhaiterait tant se concilier persiste en nous
souvent tel qu'il a été autrefois: dépréciatif, indifférent, méprisant,
décevant, négateur. Au cours d'une cure psychanalytique, on constate
que le travail d'analyse de cet être idéal comme composante du
Surmoi a souvent un effet libérateur sur la créativité du sujet.
Un des paradoxes du travail créateur réside dans l'espoir de se
aimer un jour sinon de son Surmoi, du moins d'un des person-
nages intériorisés qui composent celui-ci. C'est un paradoxe, car
sans un amour suffisant du Surmoi on ne saurait devenir créateur
1" Cf. son article cité pp. 103- 104." Les deux extraits qui suivent se trouvent pp. 171
et 181
2 . c( Le discours cétologique et le corps dans Moby Dick» ill Bulletin de psychologie,
1977·1978,31, nO 336, nO spécial « L'interprétation psychanalytique des œuvres»,
pp. 824-830 . Repris in J C uillaumin et al., Corps création, op. cit
ve, tandis que le texte de l'œuvre, sa structure, son tissu représen-
tent la surface du corps r a_uteur (ce que j'appellerais son Moi-
peau) : « Un grand corps blanc, puissant et merveilleux, a recueilli,
par déplacement, la fascination pour celui de la mère. Il est le
centre d'intérêt du roman et l'investigation symbolique de son
anatomie est ici plus explicite que dans d'autres œuvres où l'explo-
ration est seulement celle du décor, du cadre naturel, en d'autres
termes, de la mère-nature. ( ... ) Ce qui frappe c'est la tentative
confuse du narrateur pour trouver une écriture proche du corps, ( ... )
qui fusionne le corps et la parole ( ... ) : c'est ce que révèlent les
hiéroglyphes sur la peau du cachalot et du cannibale maternel, et
surtout, la conception de la peau de l'artiste comme lieu d'écriture.
Il traduit ainsi que seule une écriture inscrite dans le corps peut
parler de ce qui est de l'ordre de l'évocation de la communication
charnelle et fusionnelle avec la mère. » Un autre exemple peut être
demandé à L'Invention de Morel (1940) de Bioy Casares. Le
narrateur a découvert une machine (figuration du roman) capable
d'enregistrer et de reproduire, avec tous leurs mouvements et toutes
leurs sensations, des êtres humains, en induisant, chez le spectateur
(le lecteur)~ la croyance que ce sont des personnages vivants et,
chez les modèles des personnages, la croyance qu'ils vont devenir
ainsi immortels. Le narrateur apprend à se servir de cette machine
par lui-même et à son propre détriment car la peau et les organes
des sens dont elle dote les personnages projetés sont pris sur leurs
modèles vivants dont ils précipitent la décomposition. Au fur et à
mesure que le roman tisse ses fils, impose sa croyance, fait progres-
ser son enveloppe, le narrateur se décharne et se met à décroire. Ici,
le corps de l'œuvre, c'est l'imago du corps propre, unifiante, incor-
ruptible.
Avec le troisième cas, le narrateur tient à l'écart son corps aussi
bien réel qu'imaginaire et il essaie de déduire le corps même du
texte du code qui l'organise. Dans Comment j'ai écrit certains de mes
livres (paru après sa mort en 193 5) Raymond Roussel explique le
processus suivant. Il choisit deux mots presque homonymes (billard
et pillard). Il ajoute à chacun d'eux les mêmes mots mais qu'il
prend dans des sens différents. D'où les deux membres de phrase :
1) Les lettres du blanc sur les bandes du vieux billard...
2) Les lettres du blanc sur les bandes du vieux Pillard...
Ces deux membres de phrase fournissent respectivement le début
et la fin d'un conte (première version d'Impressions d'Afrique, paru
en 1910), le corps du conte étant une pure invention, une série de
lieux communs pour permettre de passer du pr~mier sens au
Les cinq phases créateur 121
second. « Au début on voyait quelqu'un écrire avec un blanc
de craie) des lettres (signes typographiques) sur les bandes
d'un billard. ») Le conte reposait sur une histoire de rébus basée sur
les récits d' ( un blanc (explorateur) qui, sous ce titre
noirs", avait publié, sous forme de lettres (missives) un livre où il
était parlé des bandes (hordes) d'un Pillard (roi nègre) »). cette
conception préstructuraliste de l'œuvre, le jeu des rapprochements
et des glissements de forme et de sens des mots est considéré
comme nécessaire et suffisant à produire un texte.
Comment, à cette troisième phase du travail créateur, la résistan-
ce inconsciente vient-elle jouer -? Elle n'est pas la même pour chacu-
ne des opérations en lesquelles se décompose cette phase : saisir un
code dans un représentant psychique marginal et isolé, choisir un
matériau qu'on sait manier pour y matérialiser ce code, projeter son
propre corps comme peau et chair de œuvre. r
La première opération (se saisir d'un code) peut être paralysée
par ce que le créateur ressent comme un danger de réussir: la satis-
faction des désirs mégalomaniaques, la victoire remportée sur les
personnages intérieurs dévalorisants, l'audace d'égaler ou de
surpasser ses parents, ses maîtres, ses modèles, sont mal tolérées si
elles sont trop évidentes ; mais elles sont généralement motivantes.
La seconde opération (incarner le code) réveille des fantasmes
démiurgiques et l'identification à l'imago d'un dieu tout-puissant et
créateur: eux aussi sont autant stimulants qu'inhibants. Quant au
choix du matériau, il répond à une double règle : offrir au créateur
une résistance matérielle assez forte pour l'obliger à des prouesses
techniques (ainsi Valéry s'impose-t-il, pour composer Le Cimetière
marin, le cadre strict de 24 strophes de 6 vers décasyllabiques
rimés) ; susciter en lui le moins possible de résistance psychique
inconsciente. Dans son autobiographie, qui n'est pas intitulée par
hasard Les Mots (1964), Sartre témoigne d'un trait spécifique à la
vocation d'écrivain: les mots lui résistent moins que les choses. La
troisième opération (donner symboliquement sa peau et ses organes
pour que l'œuvre vive) éveille une plus vive angoisse, que Balzac a
exprimée par le titre même de La Peau de chagrin (1831) et dont
Bioy Casares a fait le sujet même de ce roman, L'Invention de
Morel ( 1973), que j'ai analysé ailleurs 1 : si l'un des deux vit, l'autre
meurt. Plus il produit, plus le créateur dépense son énergie pulsion-
nelle, plus il hâte sa mort. La peau et les organes qu'il greffe sur ses
1. René Kaës a étudié et classé les diverses fantasmatiques sous-jacentes aux activités de
formation. Ses analyses sont en grande partie transportables aux activités de création,
d'autant que la formation est souvent considérée comme une création continuée ou recom-
mencée" Cf. ses contributions aux ouvrages collectifs qu'il a dirigés, Fantasme et formation,
Dunod, 1973 ; Désir de former et formation du savoir, Dunod, 1976"
Les créateur
psychique de création. Le Surmoi est en le lieu n<::.,rrhtr11'IP
originaire du code, que celui-ci soit éthique ou
démarche créatrice en cette troisième phase opère un ael)la,cerneIlt
topique : le code est en voie soutiré au Surmoi pour
gré au Moi.
Le Surmoi - il convient de le rappeler - est non seulement
l'énonciateur des interdits, mais aussi l'introducteur à
symbolique dont le langage constitue le prototype. dernier
point a été simultanément (quoique en apparence contradictoire-
ment) souligné en France par Lacan, qui a fait du Nom du père (et
des structures symboliques de la parenté, empruntées à Lévi-
Strauss) l'organisateur du Surmoi, et aux Etats-Unis par une
branche de l'Ego-psycholog'V, qui, développant l'intuition freudienne
d'une origine ( acoustique ) du Surmoi, a montré comment l'acqui-
sition de la parole, c'est-à-dire la soumission aux règles du code
linguistique, structurait le Surmoi de l'enfant comme instance régu-
latrice et non plus seulement sadique l . J'ajouterai ceci: au fur et à
mesure que cet aspect du Surmoi perd de son caractère menaçant
pour ne plus conserver que son caractère contraignant et qu'il est
intériorisé par le Moi en développement, l'intelligence, qui est une
fonction du Moi, peut se saisir des contraintes devenues logiques et
jouer avec elles sans que le Moi éprouve des sentiments de culpabi-
lité. Mais il subsiste toujours dans le Moi une haine plus ou moins
inconsciente à l'égard du code en tant qu'il a été originairement et
arbitrairement imposé par le Surmoi. D'où deux attitudes obser-
vables jusque chez les sémioticiens eux-mêmes. Une première attitu-
de consiste à maîtriser par la pensée le plus grand nombre de codes
possible, censés correspondre soit aux structures de l'univers (Ges-
talttheorie) soit à celles de l'esprit (structuralisme) : dans ce cas, le
Moi s'assimile complètement la fonction régulatrice du Surmoi, et
il dépossède celui-ci d'une de ses deux armes (l'autre restant la
menace du châtiment, du type menaces de dévoration ou de castra-
tion, qui sont alors déplacées dans des domaines non intellectuels) ;
d'où un sentiment de triomphe auquel le Moi idéal s'associe. La
seconde attitude consiste au contraire à rester méfiant à l'égard de
tout ce qui est organisation, système, programme, structure (rien ne
devient plus vite tyrannique qu'un code non seulement dans la vie
mentale où il engendre le dogmatisme et l'idéologie, mais dans la
l Alors que Lacan formule un énoncé trop général. trop vague et indécidable, selon
lequel l'inconscient serait {( structuré comme un langage », l'expérience psychanalytique
montre que c'est le Surmoi. devenant partie interne du Moi, qui est structuré par le
discours des parents et de l'environnement comme un langage.
Le corps de
vie sociale, où il impose vite ce qui est censé être les bonnes
pensées, les bonnes paroles, les bonnes moeurs) et à concevoir l'in-
telligence comme une activité" libre de l'esprit, sans obligation ni
sanction, l'esprit se donnant à lui-même, à titre de pure méthode,
des règles provisoires, souples et modifiables à volonté : dans ce
cas, le Moi ne veut rien devoir au Surmoi et, soutenu par le désir
omnipotent du Moi idéal, il affirme son indépendance à la fois par
rapport à la nécessité externe (le réel) et par rapport à la nécessité
interne (la Loi), la science, comme l'art, n'étant plus présentée que
comme un jeu libre de la pensée avec elle-même. Les psychanalystes
d'enfants connaissent bien ce conflit: les difficultés d'apprentissage
de récriture et du calcul sont souvent en rapport avec un Moi sous-
développé, qui reste fasciné par un Moi idéal grandiose et épouvan-
té par un Surmoi archaïque cruel ; inversement, un apprentissage
trop facile, trop précoce, trop rapide des codes scolaires peut sigIller
aux yeux du psychanalyste (non pas, hélas, à ceux des éducateurs ni
des parents) une domination envahissante du Surmoi et un danger
d' obsessionnalisation.
C'est dans la troisième phase du travail créateur que va se jouer
l'issue du conflit, spécifique au créateur, entre le Moi idéal et le
Surmoi. Si l'œuvre n'est que l'application, correcte et laborieuse,
d'un code établi à un matériau familier, elle est banale; le Moi s'est
conformé à un des systèmes de pensée du Surmoi. L'oeuvre littérai-
re originale infléchit l'utilisation du code dans le sens des intérêts et
des revendications narcissiques et grandioses du Moi idéal : elle
fusionne en une symbiose triomphante des codes éloignés ; elle
oppose à un code un autre code, qui fait dérailler le fonctionnement
du premier ; elle tire d'un code des conséquences imprévues, qui
vont jusqu'à se retourner contre lui; elle se sert d'un code commun
pour affirmer l'individualité, la singularité de l'auteur. Le Moi, une
fois de plus, satisfait, dans la création, deux maîtres : le Moi idéal
qui veut que le sujet soit un et tout, et le Surmoi qui exige ordre et
contraintes. En s'emparant d'un code commun pour l'infléchir dans
un sens personnel ou en s'inventant un code singulier à ses mesures,
le Moi accomplit trois opérations: il achève d'intérioriser le
Surmoi comme instance régulatrice; il se défend des contraintes du
Surmoi en s'appropriant et en retournant contre celui-ci une de ses
armes (la nécessité de se plier à des codes) ; enfin il affirme son
sentiment d'être une personne singulière en construisant une oeuvre
absolument originale sur un code à la limitè unique : ce que les
sémioticiens appellent - rappelons-le - un « idiolecte »).
Les créateur 25
œuvres ».
Le corps
publication, quitte d'ailleurs à la défigurer, à la mutiler et à la
rendre impubliable à force de retouches, ratures et remaniements.
Souvent d'ailleurs c'est la preSSIon de l'éditeur réclamant avec insis-
tance le manuscrit qui met fin au travail créateur, ou encore un ami
prend-il la décision à la place de l'auteur. Ainsi, découvrant chez
Paul Valéry un manuscrit du Cimetière marin, que, malgré plusieurs
années de travail, le poète ne trouvait pas au point, Jacques Rivière,
convaincu aussitôt de la valeur du texte, l'emporte-t-il et le publie-
t-il dans la N.R.E Une fois qu'il est imprimé, Valéry se sent inca-
pable, malgré son désir, de le travailler encore; il se contente, dans
les rééditions ultérieures, de changer des virgules de place, et d'in-
tervertir quatre strophes : une fois publiée, son œuvre lui échappait.
De nombreux créateurs trouvent pour les inspirer et les soutenir
dans leur travail une égérie ou un ami qui ressuscite pour eux la
présence, nécessaire à leur complétude narcissique, d'un jumeau
imaginaire dont la mort, supposée autrefois contagieuse et fantas-
mée à partir d'événements réels ou de récits entendus, est ainsi
démentie. Symétriquement, le découragement est pour le créateur,
un anti-compagnon noir, inséparable et constant. C'est que créer
est plus une façon de se défendre que de se dégager d'une dyna-
mique dépressive, prompte à resurgir malgré l'avancement du
travail et les succès éventuels des productions antérieures. «Le
résultat acquis ne donne jamais assurance sur l'avenir; l'objet
produit est toujours à reconstruire, sa naissance à reprendre, pour
que celle du sujet, venu du néant, soit confirmée. » Et André
Missenard 1 de préciser : « La vie du créateur est sous le signe de la
continuité narcissique et de la rupture ( ... ) comme une tentative de
"séparation" qui ne doit pas advenir. » Nathalie Zaltzman 2 l'avait
observé chez certains patients auxquels la représentation de la nais-
sance est insupportable, car elle est le « temps où coexistent une
unité déjà rompue, une séparation non encore accomplie».
La résistance du créateur à soumettre l'œuvre aux réactions et
aux jugements du public me semble surtout relever de la dialectique
de l'identification projective, découverte par Mélanie Klein.
Publiée, l'œuvre sera-t-elle un bon ou un mauvais objet et pour
qui? Quatre possibilités en découlent. Tant qu'il la garde pour lui,
son œuvre symbolise pour celui qui la crée le bon objet intériorisé.
Que va devenir ce bon objet s'il est produit au-dehors? Une
première ligne d'éventualités est que l'œuvre publiée, exposée,
1. {( Narcissisme et rupture » in R. Kaës, A. Missenard et D. Anzieu et al. : Crise,
rtlpture et dépassement, op. cit., 141 et pp. 145-146.
2. {( La chimère du sexe », ToPique, 1977, nO 20, pp. 19-41.
Les cinq phases créateur
jouée, reste bonne, soit à ses yeux, soit pour un public qui en recon-
naîtra la valeur. Dans ces deux cas, la perspective d'avoir à affron-
ter une recrude~cence d'avidité angoisse le créateur. En effet, s'il
imagine que l'œuvre parue gardera pour lui sa valeur, il anticipe
combien il lui sera cl' autant plus douloureux de ne pas en avoir
conservé la jouissance exclusive: ce qu'on donne aux autres de bon,
on le perd pour soi; son avidité intérieure insatiable ne l'aura plus à
sa disposition : publier est une frustration de cette avidité. Si ce
sont les autres qui doivent trouver l'œuvre bonne, sa propre avidité
insatiable est alors projetée en eux et elle lui fait fantasmer avec
quel appétit ils se rapproprieront, la dévoreront, la digéreront, l'ex-
ploiteront, la plagieront, l'en déposséderont.
La seconde ligne d'éventualités est qu'en paraissant à l'extérieur,
l'œuvre s'inverse de bonne en mauvaise et se révèle horrible ou
détestable, soit à l'auteur, soit au public. Dans ces deux cas, la pers-
pective de faire face à une surcharge non plus d'avidité mais d'en-
vie haineuse suscite l'angoisse. Si l'auteur redoute de voir, en la
regardant du dehors, toutes les parties mauvaises de lui qu'il aura
déposées dans son œuvre, il préférera détruire d'avance cette image
haïssable ou du moins lui refuser le jour. Si les autres doivent la
recevoir comme un mauvais objet jeté par lui sur eux, le créateur
leur attribue une réaction symétrique ; ils se sentiront menacés,
attaqués, souillés par ce mauvais objet et dans un mouvement de
retaliation, ils dirigeront sur elle et sur son créateur une violente
contre-attaque envieuse. Selon donc que l'identification projective
vise lui-même ou les autres et selon qu'elle véhicule l'avidité ou la
haine, le créateur qui affronte un public peut avoir quatre raisons de
se sentir exposé. Sa sensibilité personnelle le fera davantage souffrir
de rune ou l'autre de ces angoisses. Sans compter que les confrères,
les critiques, les usagers de l'œuvre chez qui fonctionne aussi sous
l'une ou l'autre de ces formes la propension à l'identification projec-
tive alimentent souvent de telles craintes par leurs dires ou leurs
comportements et compliquent le problème, pour l'auteur, d'ac-
complir son dernier acte.
Mais l'angoisse du créateur au moment d'exposer son œuvre à
un public n'est pas que projective. Des deux critères que l'esthé-
tique a retenus pour qualifier une œuvre comme étant une œuvre
d'art et que j'ai rappelés au début de ce livre - faire ce qui n'a
encore jamais été fait, voir sa valeur reconnu~ -, le premier seul
dépend du créateur ; le second, par définitic n, lui échappe. Si la
critique peut, après coup, trouver dans l'œuvre des particularités de
style ou de message qui expliquent le succès, éventuellement différé
Le corps de l'œuvre
ou localisé, de celle-ci, il n'a pas été possible jusqu'ici de déduire le
second critère du premier. Autrement dit, il ne suffit pas qu'une
œuvre soit originale pour qu'elle rencontre un public qui apprécie
cette originalité. Die Traumdeutung est pendant plusieurs années un
four intellectuel et commercial avant de devenir le best-seller qu'il
reste encore actuellement: c'est là une exception parmi d'autres
tout aussi célèbres, une exception néanmoins qui fait négliger la
masse indénombrable des œuvres incontestablement originales,
produites par un travail créateur authentique et tombées aussitôt
dans le purgatoire ou l'enfer de l'oubli ou plutôt dans les limbes
réservées aux âmes des enfants mort-nés et non baptisés. Une triple
étude, littéraire, psychanalytique et sociologique, sur les causes de
la mortalité infantile des œuvres serait à entreprendre.
Certes, des auteurs se veulent les porte-parole d'une sensibilité
neuve, d'une génération, d'une classe, d'une ethnie montantes, d'un
nouveau théâtre, d'un nouveau roman, d'une nouvelle philosophie,
voire d'une nouvelle cuisine, mais le bruit fait autour d'eux n'est pas
nécessairement une preuve d'originalité, celle-ci se dégonflant
parfois assez vite à l'usage. Les techniques du marketing aboutissent
même de plus en plus à ce que des éditeurs passent commande à des
( nègres», à des journalistes, ou à des rewriters professionnels
d'ouvrages correspondant aux goûts, aux attentes d'un public
déterminé et fabriqués sur mesure pour ce but, par exemple par le
moyen d'enregistrements au magnétophone. Ici on voit que si le
second critère est respecté, c'est au détriment du premier.
L'illusion dont se berce l'auteur quand il produit son œuvre est
que celle-ci va trouver d'elle-même, et sans qu'il ait à intervenir, un
public, sinon la grande masse, du moins celui, flatteur, élitiste, d'un
« happy few », d'un petit nombre de connaisseurs. Illusion renfor-
cée par le fait que, de temps en temps, cela arrive ainsi. Dans le cas
le plus général, il ne suffit pas que l'auteur ait fini son œuvre pour
qu'il en ait fini avec elle. Il lui reste à la soutenir, à la faire connaî-
tre, ou à s'entourer de personnes qui le fassent pour lui, voire à
publier des « manifestes » qui attirent l'attention sur elle en justi-
fiant son originalité pour des raisons théoriques, esthétiques, politi-
ques. Il en va d'une œuvre comme d'un nouveau-né: rester au
monde où il a été mis exige des soins ; il faut le présenter à l' entou-
rage pour qu'il soit connu et reconnu.
Les créateur
1. Dans le journal Le Monde du 8 décembre 1978, p. 17. J'ai reproduit tout le passage
concerné dans ma contribution, intitulée cc Les antinomies du narcissisme dans la création
littéraire », à l'ouvrage collectif dirigé par J. Guillaumin, Corps création, op. cit.
Le
relation avec d'autres et d'autres encore, qui se donnent semblable-
ment, et cela non sans tâtonner, non sans hésiter, à la façon de l'ar-
chéologue qui doit apparier" entre elles des inscriptions sans
connaître encore la langue qui leur est peut-être commune ni bien
entendu leur message. » Cette phrase ne décrit-elle pas successive-
ment les trois premières phases ? La première consiste bien en un
déplacement topique du Moi qui se porte « aux confins... de la
conscience» ; le poète a de plus précisé auparavant qu'« à chaque
fois que j'ai vu paraître dans l'écriture un élément vraiment neuf,
c'est de mon inconscient qu'il venait », qu'« écrivant, je commence
toujours par lui offrir du silence» et que « cela aussi prend du
temps ». A la seconde phase, le Moi dédoublé concentre son atten-
tion sur le représentant inconscient pour le « retenir » : c'est ce que
Bion appelle la notation. La troisième phase enfm, l'invention d'une
« langue» inconnue qui permette de symboliser ce représentant
inconscient en le liant à d'autres, conscients, préconscients et incons-
cients, correspond tout à fait à ce que j'entends par l'institution du
représentant psychique inconscient comme code organisateur de
l'œuvre: « Au début donc, ce sont de simples parcelles, en deçà
encore de la qualité poétique, qui est une pensée qui s'affirme, et
une clarté qui se fait ou en tout cas une tension qui se marque en
connaissance de cause. Puis j'interprète, comme je peux, apprenant
de ces images premières les grands symboles qui me feront mieux
comprendre les situations où je pourrai parler dans le livre. En
somme, c'est une langue qui m'est donnée peu à peu.» Yves
Bonnefoy passe sous silence la quatrième phase, implicite dans son
texte, comme développement de la troisième. Mais il donne un
renseignement précieux sur la cinquième phase : quand et comment
le créateur sait-il que son œuvre est achevée? ({ Et quand le livre
prend fin, ce que je constate plus que décide, c'est que je ne puis
plus progresser, pour quelque raison, dans l'étude de cette langue
de ce moment de ma vie. Sur quoi il ne me reste plus qu'à retourner
avec elle à l'existence vécue, pour vérifier et approfondir ce
commencement d'un savoir ou constater ses limites et le voir se
désagréger. Après chacun de ces quatre livres j'ai ainsi cessé d'écrire
des poèmes, à chaque fois pour plusieurs années. )
Cette intuition empathique du processus de création sous forme
d'une conscience actuelle à certains moments de son déroulement
ou sous celui d'une anticipation, ou d'une reconstruction après
coup, induit le créateur à réintégrer dans l'œuvre en train de se faire
certains des états qu'il éprouve en la faisant, voire à utiliser comme
matériau pour son œuvre l'un ou l'autre des processus en jeu dans
phases créateur 3
sa conception et sa réalisation. toute œuvre peut-être,
façon plus ou moins cachée, mais qui tend à devenir systématique
et ostentatoire avec l'art contemporain, il y a chevauchement,
emboîtement, interversion de deux démarches: par la création,
faire une œuvre achevée en tant que produit d'un processus; par le
traitement de ce processus en produit, construire, à partir de celui-
ci, une œuvre inachevée, qui ne soit pas seulement un autre produit
mais qui soit censée susciter chez l'interprète, chez l'usager, une
activité de création complémentaire.
Les grands créateurs inscrivent dans l'œuvre - l'étude de L' In-
terprétation des rêves de Freud m'en a fourni ailleurs un exemple 1 -
cette tension entre une œuvre-produit, et une œuvre-processus. La
première - l'œuvre-produit fini - se déroule selon les lois de l'har-
monie, les modèles de la mise en surface ou en volume, les conven-
tions de l'intrigue ou les règles du raisonnement, et s'achève sur une
conclusion, un dénouement, une proportion, un finale qui la
closent, tandis que l'œuvre-processus, ou « œuvre ouverte» pour
reprendre le titre d'un livre d'Umberto Eco (1962), dérive des
c( poétiques contemporaines... (qui) placent le plaisir esthétique
moins dans la reconnaissance finale d'une forme que dans la saisie
du processus continuellement "ouvert" qui permet de découvrir en
une forme toujours de nouveaux profils et de nouvelles possibili-
tés » (op. cit, p. 99). Définition intellectuellement exacte mais qui
évacue la pan de r inconscient. Le psychanalyste a à préciser en
quoi et dans quelle mesure une œuvre, sinon toute œuvre est spon-
tanément (plutôt qu'intentionnellement) ouverte, et ouverte pour le
créateur lui-même avant d'apparaître telle à l'usager. Le champ
dynamique que sa construction engendre offre certes des espaces
vacants, des réseaux de rapports à arranger et à déranger comme
des mots croisés, des chemins plus ou moins probables dessinés en
filigrane. lViais il présente aussi des trous, masqués parfois par des
fausses fenêtres ou du trompe-l'œil, des interstices où se profilent
cl' autres représentants psychiques inconscients que celui que l'auteur
projette de faire fonctionner comme organisateur de l'œuvre, des
lacunes par lesquelles l'inconscient, faute d'avoir la parole, signe sa
présence silencieuse et témoigne de son inlassable activité, un vide
enfin qui n'est pas que la trace en creux de tous les êtres chers, de
tous les biens perdus. Le dessein, le plan de l'œuvre, son exécution
(quel terme équivoque !) sont affectés de blancs, qui ont la couleur
1 Guntrip et Federn (cités plus haut, p. 113) ont respectivement précisé ces deux
caractrristitjues.
2. Je me réfère ici à la grille de Bion (reproduite en tête de ses livres) comme permet-
tant le mieux actuellement de jalonner les niveaux de la pensée, depuis le niveau A (élé-
ments bêta multiplement clivés, et projetant des morceaux de soi dans des morceaux
J'objets sous forme bizarre et éparpillée) jusqu'au niveau H (calcul algébrique).
Les créateur
Le projet de totaliser niveaux pensée, des couches
rience, des organisations du psychisme aussi divers est source
tensions entre ces paliers, ces strates, ces dispositifs. Ces tensions
apportent à l'œuvre une multiplicité suffisamment croisée de
miques internes pour qu'émane d'elle un sentiment de vie - le
sentiment que l'œuvre est à la limite plus vivante que la vie.
elle est la vie qui se reconnaît et qui se représente à e1H~-II1lenle
comme vivante, les vies de plusieurs êtres condensées en une
vie, les multiples moments d'une même vie ramassés en un tout
serait le tout de cette vie.
r ai étudié ailleurs en détail les antinomies dans lesquelles se
particularisent ces tensions et qui contribuent aux ressorts propre-
ment esthétiques de l'œuvre 1. rai été ainsi amené - ces antinomies
se rapportant essentiellement au narcissisme humain - à parler
d'une «( structure nécessairement narcissique de l'œuvre 2 »). Cette
dernière, en effet, imite, transpose, convertit dans sa composition le
jeu des relations entre les formes et les niveaux du narcissisme de
l'auteur et, par contrecoup, du lecteur, l'ensel1ble des œuvres
proposant à l'ensemble des hommes une image kaléidoscopique de
toutes leurs ressemblances et de toutes leurs différences en matière
de fonctionnement psychique et plus particulièrement quant au
cadre narcissique de ce fonctionnement. L'œuvre idéologique est
celle qui confronte le lecteur, le public à telle ou telle de ces antino-
mies et qui impose le choix d'un des deux termes. L'œuvre
utopique refuse de considérer ces antinomies comme inéluctables ou
essentielles et elle construit une société, un état de choses, qui les
feraient disparaître et où les humains échapperaient aux tensions
consécutives. L'œuvre qui mérite le nom de transitionnelle crée un
espace (et une durée) tels qu'ils rendent le paradoxe d'abord tolé-
rable, puis concevable, et qu'ils le maintiennent ouvert, c'est-à-dire
source possible de création - tout comme la mère suffisamment
bonne dont parle Winnicott permet à l'enfant d'expérimenter sa
solitude sous sa protection et sans ses empiètements et de découvrir
mais aussi d'inventer les correspondances et les différences entre le
monde intérieur et la réalité externe.
DU cc CIMETIÈRE MARIN »
POÈME DE LA CRÉATION DU POÈME.
1. Freud a découvert dans le travail du rêve et retrouvé dans celui de l'esprit (au sens
du trait d'esprit) l'importance de ce processus de la pensée primaire qu'est la condensa-
tion : condensation non seulement de représentations de choses mais de mots, de lettres.
de chiffres. La découverte freudienne demande à être étendue aux formes plus complexes
du travail de la pensée et de la création: condensation des genres, condensation d'illu-
sions, etc,
2. cc "p ne mélancolique insomnie a enfanté le premier mot ; un robinet qui coulait a fait
naître le second» (cc Paul Valéry vivant », Cahiers du Sud, 1946, p. 232). Le titre, Le
Cimetière marin, est d'abord considéré par lui « comme une boutade de poète agacé ».
Nicole Celeyrette-Pietri pense que, le titre initial ayant été Mare nostrum, la sensation
auditive déclenchante était une remémoration du bruit rythmé des vagues (thème fréquent
dans les notes de Valéry).
corps
plus insistant
HLI.\.U."\.,
; il au commentateur de le que
ne prononce pas: c'est une hallucination). Ce bruit persiste dans sa
tête pendant plusieurs jours. Il finit (grâce au travail, propre au
préconscient, de liaison entre représentants de chose et représen-
tants de mot), par l'associer : premièrement à une organisation
sonore non pas duodécimale mais décimale (les vers du poème à
venir seront décasyllabiques : façon de prendre le contre-pied des
grands modèles prosodiques alors régnants, l'alexandrin et le
vers libre) ; et deuxièmement à des images visuelles provenant de
souvenirs d'une certaine époque la vie et groupées autour d'une
thématique précise (c Le poème possible fut un monologue de moi,
dans lequel les thèmes les plus simples et les plus constants de ma
vie affective et intellectuelle, tels qu'ils s'étaient imposés à mon
adolescence et associés à la mer et à la lumière d'un certain lieu de
la Méditerranée, fussent appelés, tramés, opposés»). L'homme
mûr, qui réside à Paris depuis de longues années, se remémore les
lieux familiers de son adolescence, le soleil, la mer, les pins, son
goût d'alors pour les plaisirs des sens, pour les auteurs grecs, pour
la musique, pour les sciences exactes, son narcissisme intellectuel,
son désir de gloire; il récapitule l'inspiration méditerranéenne
qui a donné unité et cohérence à son œuvre. Nouvelle conden-
sation opérée par Le Cimetière marin, celle des deux crises créa-
trices de Paul Valéry, la crise d'entrée dans la jeunesse, qui fut aussi
sa crise d'entrée dans sa vocation d'écrivain (cette nuit de Gênes de
1892) 1 et sa crise actuelle d'entrée dans la maturité, dans la gloire
et dans la double perfection de la forme et de la pensée 2 •
Si l'on s'en tient donc aux déclarations du poète, au contenu
manifeste du texte, à la couleur locale, Le Cimetière marin est une
méditation sur la vie et la mort en un lieu approprié, un cimetière,
mais pas n'importe quel cimetière, celui de sa ville natale, où ce qui
sera son cadavre a toutes chances d'être enterré plus tard, où il le
sera effectivement 3• C'est un cimetière « marin », c'est-à-dire non
pas un cimetière de bateaux au fond de la mer, mais, renversement
des niveaux qui sera un des ressorts dynamiques du poème, un
1. Je rai expliquée plus haut, p. Ill. Gênes est la ville natale de sa mère. C'est le père
du poète, d'origine corse, qui est d'une famille de marins.
2. Sur les manifestations de cette crise, voir l'Annexe, p. 361.
3. Si depuis mon adolescence je suis fasciné et intrigué par Le Cimetière marin, c'est
aussi parce que mon père m'emmenait en ce lieu nous recueillir sur la tombe de son propre
père; quand j'y retourne, je me rends de plus sur la tombe de Valéry dont mon père me
parlait comme d'un condisciple un peu plus âgé du lycée de Cette.
Les cinq créateur
cimetière situé à la sortie de la ville de Cette l, le
corniche qui surplombe du port de pêche. Ainsi le visiteur
des morts peut-il d'un côté contempler les tombes sous les et
de l'autre dominer du regard la mer bleue parsemée par les voiles
blanches des barques des pêcheurs. Tel est le contenu manifeste
l'incipit:
Moi corporel (le corps est une citerne qui répercute les bruits
actuels du monde) et du Moi psychique (l'âme attentive à ce qui va
surgir à l'intérieur d'elle, guettant l'image de son devenir et finale-
ment envahie par des images du passé) et nomination des deux
premiers affects dysphoriques éprouvés dans cet état (Amère,
sombre et sonore citerne,/Sonnant dans l'âme un creux toujours futur).
Les strophes Il et 12 reviennent de façon plus allusive sur l'ex-
périence de cet état intérieur initial et initia nt dans le processus
créateur : refus des modes, des habitudes, des croyances (écarte
l'idolâtre) ; retrait mais aussi vigilance (solitaire au sourire de pâtre) ;
50 Le corps
attente (Je et encore : Ici venu, est
paresse) ; mise à distance ce qui est de r ordre d' une alJlon~::1allce
superficielle, les pensées trop -réfléchies, les rêves nocturnes, les
rêveries éveillées, les connaissances acquises, les anecdotes
(Éloignes-en les prudentes colombes,!Les songes vains, les anges
curieux !) ; recherche d'une idée nette, rigoureuse, essentielle par
l'assèchement de ce qu'on appell~ commodément l'inspiration
'insecte net gratte la sécheresse (... )/A je ne sais quelle sévère essence),
par la double tolérance à l'illimité et au manque (La vie est vaste,
étant ivre d'absence), par l'union des contraires (Et l'amertume est
douce), par la lucidité de la conscience (et l'esprit clair).
La seconde phase du travail de création, la saisie d'un (ou d'une
série de) représentant( s) psychique( s) non seulement produit l'inci-
pit mais s'inscrit en lui :
10 Cf cette note de Valéry (qui est sans doute une ironique dénégation) sur son poème
Les Pas «( Tes pas, enfants de mon silence LI ») : cr petit poème purement sentimental,
auquel on prête un sens intellectuel, un symbole de l'inspiration» (Cahiers, XXVIII,
427). Cf également
« Créer donc l'espèce de silence à laquelle répond le beau, ou le vers pur, ou l'idée lumi-
neuse ...... Alors le vers semble né de lui-même 1, né de sa nécessité - qui est précisément
mon état - C) »
« Cette remarque très ancienne, très importante - il s'agit d'un édifice complet - 1)
(e. VI, 687) [19171. (N. de PV.)
Le corps
intérieur absolu, nécessaire à quiconque veut se tenir disponible à la
création et ne prêter attention qu'à l'essentiel.
Tranquille, si l'on retient Ici référence à une absence d'affect
plutôt qu'à une absence de bruit, appelle encore une autre interpré-
tation. Ce toit tranquille est la paix intérieure, constante affective de
fond réitérée au long des quatres premières strophes (calme, v. 6 et
14 ; paix, v. 9 ; repos, v. la ;
sommeil, v. 16 ; sérénité, v. 23), de
laquelle peuvent ensuite émerger des colombes, c'est-à-dire une
gamme variée de sentiments et d'émois pendant les 16 strophes
médianes 1 pour fil:1ir par la quasi-disparition de toute notation
émotionnelle (avec deux exceptions limites, ivre v. 136, et réjouies
v. 143) dans les quatre strophes terminales où le narrateur aban-
donne l'exercice de la pensée et celui de la mémoire affective pour
l'action.
Que ce soit donc sur le plan visuel, sur le plan moteur, sur le plan
sonore, ou sur celui de l'affect, l'incipit propose un fond sur lequel,
comme dans la psychologie de la forme découverte en cette même
année 1917, se détachent des figures ambiguës: surface d'inscrip-
tion pour des signes et des symboles; temple du silence et caverne
d'échos où résonnent les rythmes qui donnent vie au corps, à la
raison, au poème ; premier moteur immobile autour duquel je vais
montrer que gravite un monde de mouvements ; ataraxie qui est
pour le sage le profond support des humeurs changeantes. Le fait
de ramasser en un si court espace (un seul vers de la
pieds seule-
ment) un aussi grand nombre d'images mentales et de catégories si
diverses introduit dans le texte une tension dynamique qui est pour
le lecteur source d'un plaisir proprement esthétique. Toutes les
œuvres ne fonctionnent pas sur le même principe économique. Une
formulation de celui qui opère ici serait la suivante : le maximum
d'accumulation quantitative et le maximum d'écart qualitatif dans
le minimum de place et de durée. Mais les lignes d'associations
d'idées dont les contenus sont condensés dans l'incipit et qui
courent ensuite à travers tout le poème sont en même temps repré-
sentées dans l'incipit en tant que processus: elles sont - j'en dois la
remarque à Annie Anzieu - autant de colombes, c'est-à-dire de
pensées qui remuent sur le toit tranquille du corps, c'est-à-dire dans
la tête. L'incipit non seulement condense la multiplicité de contenus
latents que la suite du texte développe mais il est une figuration
1 dédain, v24 ;jouiJsance, v.25 ; délice, v.26 ; orgueil, v.32 ; grandeur, vA6 ; meplait,
v.57 ; amertume, v.72 ; craimes, v.79; repentirs, doutes, v.30; impatience, v.l02 ; consola-
trice, v 104; amour, haine, v.ll 5 ; plaît, v.ll9 ; cruel, v.12 L
Les créateur 3
symbolique de l'émergence des figurations symboliques au cours
travail de la pensée. Il s'apparente à l'incipit du rêve freudien
l'injection faite à Irma: Un hall, nous recevons, désignait le précons-
cient du créateur comme conteneur des pensées nouvelles en train
de naître sous une forme figurée. La représentation anticipatrice
l'acte d'écrire en silence et dans la sérénité provient elle-même
d'une auto-représentation originaire de la pensée pensante dans son
effort pour contenir les pensées encore in conçues, par une forme au
réseau prosodique serré et par la trame qui tisse ensemble les fils
divers du contenu 1.
Colombes, sous la plume de Valéry, est plus qu'une simple méta-
phore, c'est la métaphore originale d'une métonymie banale.
Colombes remplace par ressemblance voiles, qui depuis des siècles de
rhétorique remplace par contiguïté bateaux. La colombe, symbole
de paix, ajoute sa redondance à l'adjectif précédent tranquille et,
par 1ïnter~édiaire du columbarium, prépare les tombes de la rime
suivante. As' en tenir au contenu manifeste, les colombes représente-
raient les âmes des morts du cimetière voisin voletant au-dessus des
eaux et, pourquoi pas, transportées dans la barque du nocher infer-
nal. Mais le contenu latent est en rapport avec les deux autres sens
figuratifs de ce nom d'oiseau. La colombe est un symbole de pure-
té : les colombes sont ici les pures pensées abstraites. Colombe est
également un terme de tendre affection adressé à une jeune fille ;
colombes, en ce sens, sont encore ici des pensées, mais cette fois-ci
des pensées vierges et tendrement chéries. L'invocation phila psycha
de l'épitathe pindarique ne mériterait-elle d'être traduite par âme,
ma colombe?
La phase suivante du travail créateur, la troisième - le choix
d'un code et sa mise au travail dans un corps - est figurée par
lVIidi le juste. La pensée verbale de Valéry dans Le Cimetière marin
est, autant que sa prosodie, une mécanique de précision: Midi
n'est donc pas appelé par hasard le juste. Comme Ce toit tranquille
qui le précède, Midi le juste implique un renversement de perspecti-
ve. Quand toit, dans le langage courant, connote un élément du
paysage, c'est un élément en hauteur, une montagne: l'Himalaya
est le toit du monde. La hardiesse de Valéry consiste, dès le second
mot du premier vers, à faire de la mer, vue sous lui par le narrateur,
un toit. Double renversement du rapport du corps au milieu
Le diadème est une figure de la temporalité abolie, Cf. ces vers de La Jeune Parque:
1. Une confirmation extrinsèque au texte m'est apportée par une spécialiste de Valéry,
Nicole Celeyrette-Pietri, qui m'écrit: «( Le mythe aristotélicien du premier moteur immo-
bile hante depuis longtemps l'esprit de Valéry. Il a noté dans ses Cahiers [C., II, 154
(1900)J 10 prôlon kinottn (le premier moteur) et le paraphrase plusieurs fois. D'autre part,
à l'époque de Charmes, il travaille manifestement à une théorie poétique marquée par
l'aristotélisme (nombreuses notes dans les Cahiers, sur le problème de la matière et de la
forme en particulier, copie de passages de la Métaphysique, etc). Les spécialistes l'ont
jusqu'à présent peu dit. Mais je me demande si le "contenu latent" n'est pas alors plutôt
l'inscription - volontaire, très consciente - d'une réflexion que le lecteur est invité à
déchiffrer à un niveau de lecture "anagogique" (notion familière et opératoire chez Valé-
ry). » (Communication personnelle reproduite avec l'autorisation de l'auteur.)
Le corps
saisi par l'immobilité, ou s'y abandonner. Immobiliser son corps
pour penser, arrêter le flux des représentations mentales pour les lier
autrement, c'est s'exposer à une expérience intérieure de la mort.
En réponse à un interlocuteur qui, reprenant l'argument
Zénon, lui démontre que le mouvement n'existe pas, Diogène le
cynique se lève et marche, tranquille comme un toit, mobile comme
les colombes. Semblablement, le narrateur du Cimetière marin se
lève en même temps que le vent et il court à l'onde en rejaillir
vivant. Le poète a terminé la troisième opération de son travail
créateur. Le code intelligible a pris un corps sensible: l'hydre abso-
s'est trouvée une chair C'est quand un code achève de s'in-
carner dans une matière à il donne forme qu'un texte prend
vie. L'œuvre alors exhale et puissance. Elle est de délires
douée. Les quatre dernières strophes chantent la double réussite de
l'artiste: ce qu'il a créé est vivant et, ce faisant, il s'est à lui-même
redonné vie.
Le matériau auquel le narrateur, dans sa méditation méditerra-
néenne sur la mort, applique son code apparemment astronomique
et solaire, c'est le corps de l'univers avec ses quatre éléments, chers
à la philosophie grecque et qui sont successivement décrits et
contrastés ; c'est le corps humain avec sa musculature et ses cinq
sens, qui enrichissent tour à tour le contenu du texte ou le style de
sensations tantôt dénotées et tantôt prises dans des connotations
figuratives l . Entre le corps de l'univers et le corps propre du narra-
teur s'ébauche une nouvelle tension génératrice de l'œuvre comme
tentative de réduire l'écart entre le microcosme et le macrocosme.
Si le toit tranquille est l'incipit, l'absolu d'un commencement, le
faîte du corps, l'initiative de la pensée qui se saisit d'un groupe de
représentants psychiques inconscients pour l'instaurer en code géné-
rateur de l'œuvre, et si la suite du texte est ce qui s'ensuit quant à la
forme et quant au fond, c'est-à-dire l'inventaire des organes des
sens et de la musculature qui fournissent une chair à cette abstrac-
tion et qui l'habillent d'un style, le poème en tant que tout
contenant les parties est une peau qui fait tenir ensemble la sensuali-
té, la motricité, l'affectivité, une enveloppe qui unifie pour un
instant le présent, le passé, et l'attente d'un avenir, une membrane
qui met en harmonie les vibrations du corps avec le rythme interne
du code. C'est à peu près en ces termes que l'avant-dernière strophe
résume le poème qui s'achève: Peau de panthère, tachetée des stimu-
l. Le lecteur trouvera en Annexe (p. 361) un relevé systématique des mots ayant pour
référents des sensations et des mouvements humains
créateur
lations qui à sa
idoles soleil, vêtement souple qui s'ajuste aux
mouvements du corps et que trouent les emplacements des Orj~alleS
des sens ; Hydi"'e absolue, ivre ta chair bleue/Qui te remords
lante queue, image fantastique corps rose et auto-érotiquement
investi au stade du narcissisme secondaire (qui est celui où régresse
nécessairement le créateur). Cette métaphore pellique n'a rien
d'étonnant chez un auteur qui écrit, dans ses Cahiers et le
publiera en 1932 dans L'Idée fixe : (( Nous sommes des ectodermes ))
et encore: (( Ce qu'il Y a de plus profond en nous, c'est la peau ))1.
créateur pense autant avec sa peau qu'avec sa tête 2 • L'être humain
ordinaire, quand il pense, ne sait penser que selon un des deux.
Il est plus facile et plus rapide de signaler la présence dans Le
Cimetière marin des deux dernières phases du travail créateur. Le
long et minutieux travail du style et de la prosodie est indiqué dès
le début de la deuxième strophe (Quel pur travail de fins éclairs
consume/Maint diamant d'imperceptible écume). Les mots sont, en
poésie, des pierres précieuses et une pensée bien sertie fait du poème
un (c parfait diadème;) (v. 77).
Après quelques années de travailla composition s'achève. L'ulti-
me strophe reste à mettre au point. Le narrateur prend congé
(L'air immense ouvre et referme mon livre) ; il anticipe la publication
et son effet souhaité (Envole7{:vous, pages tout éblouies) : figure de
style qui intègre aux dernières lignes du poème l'éblouissement
espéré du lecteur anonyme, ainsi rendu présent dans le texte.
Le vers final : Ce toit tranquille où picoraient des focs, répète la
métaphore initiale du toit tranquille dont la polysémie a servi d'or-
ganisateur au poème, traduit les colombes du premier vers par voiles
et introduit un nouveau verbe de mouvement plein de mystère pour
le lecteur et pour les commentateurs : picorer. Pour Valéry sa
présence est tout à fait logique dans le contenu manifeste : «Ce
1 C( 0 belle phrase ... qui dira, qui fera ce contour miraculeux pénétrant dans toutes les
cavités sans abandonner le bel ensemble - inflexion, passage vivant, caressant, dessinant
toute chose; contenant les extrêmes dans la forme, capable de la pensée distincte comme
sous l'unité de la peau les machines distinctes sont logées - colloquées. » (G, VI, 799.)
[1917].
« Art Littéraire Parfait
« (.n) C'est un art qui a été établi par les anciens ( ... ) Il ne procède ni d'éclairs de spon-
tanéité, ni de raccourcis violents - on ne voit ni les os, ni les muscles, ni les nerfs mais
bien une peau qui les contient, les cache, en dore les faisceaux et les fond les uns dans les
autres. Elle enveloppe les efforts et unifie les mouvemerts.» (G, VI, 757.) [1917].
2. J'ai développé par ailleurs l'hypothèse que l'activité ce Li pensée repose sur la consti-
tution de ce que j'ai appelé un Moi-peau. ({( Le Moi-peau », Nouvelle revue de psychanalyse,
1974, nO 9, pp.195-208.)
Le corps
cimetière existe. Il domine la mer sur laquelle on voit colombes.
c'est-à-dire les barques des pêcheurs, errer, picorer... Ce mot a scan-
dalisé. Les marins dlsent d'un navire qui plonge de l'avant dans la
lame, qu'il pique ne~ L'image est analogue. Elle s'impose à qui a
vu la chose 1• » L'interprétation du contenu latent m'apparaît là
impossible, faute d'autres associations d'idées de l'auteur. Picorer
est vraisemblablement surdéterminé par une expérience personnelle,
par un souvenir inconscient, qui échappe au code qui a organisé
jusque-là tout le poème et dont le sens se dérobe à l'auteur comme
au lecteur. L'inconnu, auquel tout rêve nocturne, toute création a
rapport, comme l'a noté Rosolato dans son livre La Relation d'in-
connu 2 , vient inscrire in fine son carré blanc.
Le Cimetière marin est construit comme un système : le tout y est
présent d'une façon différente dans chacune de ses parties, que ce
soit dans la forme, dans les procédés de style, dans la succession
des strophes, dans les grands thèmes du contenu. Ce tout est consti-
tué par un représentant psychique inconscient que l'incipit dénote
d'emblée en en déposant les signes sur la page en même temps qu'il
connote et auto-représente sous forme figurée cette inscription en
train de se faire. Le représentant psychique est doté d'une organisa-
tion dynamique interne, concrétisée par l'opposition toit/marche,
comme la figure {marche} s'oppose au fond (toit) tout en reposant
sur lui, comme dans la physique d'Aristote, qui sert de modèle à la
pensée occidentale, la matière et la forme coexistent et interagis-
sent, chacune selon son mode propre. Ce représentant psychique
inconscient bipolaire fournit le code autour duquel l'œuvre va se
développer, comme la Terre et les planètes voisines gravitent, du
moins dans le système copernicien-galiléen, autour du Soleil. Déve-
loppement est à entendre autant en un sens photographique que
logique : le poème ne fait pas autre chose dans sa diachronie que de
développer, et de superposer en feuillets, des épreuves multiples
tirées du même négatif original (le représentant inconscient) à l'aide
de révélateurs différents. Traduit en contenu manifeste, c'est-à-dire
conscient, ce représentant inconscient fournit au narrateur du
poème une méditation méditerranéenne sur la mort. Condensé en
un contenu latent préconscient, dont le poème, par un mouvement
antagoniste de décondensation, développe chaque fil pour lui-
LE CODE AU L DANS
ESQUISSE D'UNE MISE EN ORDRE DE
DIVERSITÉ DES CODES
1" Didier Anzieu, c( Les traces du corps dans récriture », in D. Anzieu et al., Psychana-
lyse el langage, op. cit., pp" 181-184.
2. ( Je m'en tiendrai au sens suivant, qui est strictement freudien: un symbole est un
signe corporel ou matériel qui évoque, par ressemblance ou par contiguïté, la chose signi-
fiée. » (D. Anzieu, ibid.).
3. Figures Ill, 1972, éd du SeuiL
Le corps
crire dans le texte les vécus corporels. Certaines figures
rique - Ella Sharpe 1 l'a bien montré pour la métaphore - tirent
leur force de leurs références à dës sensations ou à une symbolique
corporelle. »)
1 Je discute cette idée plus loin à propos du Coin plaisant d'Henry James (voir p. 218).
Les cinq créateur
vide comme désorganisatrice la santé de Blaise et comme
organisatrice de sa pensée en physique puis en psychologie.
cela ouvre la question de la place du vide dans l'œuvre.
1 Voir l'origine de ces deux termes dans le recueil d'articles du regretté Nicolas Abra-
ham. L'Ecorce et le noyau, Aubier·Flammarion, 1978, à qui je les emprunte.
2. Je reprends le titre du numéro Il de la Nouvelte revue de psychanalyse, 1975, « Figu-
re~ du vide )).
Les phases créateur
diachronique, se rapporte non plus à individuelle, ni à la
préhistoire infantile de l'individu, mais à sa généalogie, aux
générations qui l'ont précédé et dont il est issu. Loin le
souvenir réélaboré après coup d'une satisfaction primitive et
ment comblante, cette figure est celle d'un secret. Secret originaire,
secret des origines, venant introduire une coupure dans la série
généalogique: illégitimité d'une naissance, avortements réussis ou
tentés, généalogies parallèles, morts inexpliquées d'un frère,
sœur, d'un parent, d'un onde, d'une tante, d'un aïeul. Ici l'événe-
ment traumatique est souvent antérieur à la naissance même de l'in-
dividu. L'après-coup s'y manifeste par un effet destructurant,
décompensatoire, à l'occasion, par exemple, d'une date d'anniver-
saire, d'une parole malheureuse qui· ravive la coupure, la destruc-
tion. Comme l'a montré Nicolas Abraham, le vide est celui d'une
« crypte ») psychique, habitée par la présence-absence de ce membre
« fantôme» de la famille, conservé là comme mort-vivant, et
auquel la place est laissée par le sujet, qui ne peut plus en contrepar-
tie vivre que comme mort. L'œuvre, dans ce cas, élève, à ce reve-
nant secret, un tombeau vide, dont le vide signifie à son architecte
qu' y mourir est la condition d'une résurrection de l'autre.
A côté ou en plus du vide, trace laissée par les ruptures d'une
histoire, le créateur trouve en lui un vide inhérent, pour des raisons
structurales, à certains aspects du fonctionnement psychique. La
pulsion, selon la définition même que Freud en a donnée, est natu-
rellement tournée vers des buts et des objets dans lesquels elle
trouve ou cherche décharge (quantitative) et satisfaction (qualitati-
ve). Mais il reste un écart irréductible entre la pulsion en tant que
poussée ayant sa source dans des zones plus ou moins localisées du
corps, et les activités dont le Moi attend la résolution de la tension
pulsionnelle. L'écrivain, l'artiste crée pour faire quelque chose de
cet inemployé pulsionnel qui subsiste en lui, quelque remplie que
soit par ailleurs sa vie, sociale, professionnelle, familiale, amoureu-
se. Le travail créateur crée un emploi pour cet excès d'images
mentales, de pensées, d'affects qu'une existence ne suffit pas à épui-
ser, quitte pour le créateur à s'en épuiser lui-même. L'œuvre vient
remplir - pour un temps plus ou moins perdurable - cette inadé-
quation foncière entre la pulsion et ses investissements. Le surgisse-
ment d'une pulsion déferlant inopinément dans sa pleine force peut
être de l'ordre non plus d'une expérience à métaboliser, à symboli-
ser, à expliquer, mais d'un déchirement de renveloppe narcissique
protectrice, d'une irruption traumatique où le sujet frôle la catas-
trophe et qui appelle d' indéfinies répétition~ pour en restituer
210 Le corps
rétrospectivement 1a maîtrise. Autour des traces de ce surgissement
traumatique. l'œuvre tisse sa toile pour les capter, pour suturer les
déchirures, pour accomplir, par une peau symbolique de mots, par
un entrelacs d'images plastiques ou sonores, la restauration de l'in-
tégrité narcissique de la personne. rai analysé ailleurs 1 un des para-
doxes de l'« expérience » mystique, celui du vide et de la plénitude,
car il y a sur ce point une analogie entre les démarches du créateur
et du mystique : ( rai essayé de constituer un paradoxe métapsy-
chologique qui corresponde dans la théorie psychanalytique à ce
paradoxe interne à la vie mystique : la dispersion de la pulsion de
vie dans ses buts et ses objets est suspendue par le Moi (c'est l'ascè-
se) ; l'espace psychique ainsi laissé vide est investi massivement
par la pulsion de mort (c'est l'angoisse) ; la pulsion de vie, une
fois retournée et concentrée sur sa source et sur sa poussée, fait
retour sous forme d'une recharge libidinale dont l'intensité est
considérable (c'est l'extase).» Le vide, ici, est la marque que
la pulsion manque et manquera toujours d'un objet constamment
disponible pour lui apporter une satisfaction totale et qu'elle
est vouée aux seules satisfactions partielles et provisoires. Le
vide des objets et des buts est l'envers du trop-plein de la
pulsion.
U ne dernière figure du vide que j'évoquerai tient également
à des raisons structurales. C'est la faille dans la communication
des signaux émis et reçus. Signaux mal émis par suite de la mala-
dresse, de l'inexpérience, de l'incurie de l'émetteur. Signaux mal
reçus ou mal renvoyés par suite de l'ambiguïté du message, de
l'indifférence, de l'incompréhension, des moqueries, du narcissisme
ou de la haine du récepteur. Les malentendus inévitables entre
adultes possesseurs d'un même code linguistique sont accentués
et amplifiés par les séquelles des expériences malheureuses faites
par l'enfant avant et au moment de l'acquisition de la parole
dans ses communications réciproques avec son entourage premier.
Les figures parentales, les grandes personnes sont en position de
supériorité et de domination sur les enfants et l'obligation qu'elles
fom à ceux-ci de comprendre leurs paroles et de se soumettre à
leurs énoncés fait violence à l'infans, à celui qui est encore sans
discours. Mais il y a plus : les grandes personnes se servent entre
elles, devant l'enfant, d'un mode de communication auquel il
n'a pas accès. « Il voit et entend ses parents jouir entre eux
Comme je le développe dans l'ouvrage, créer, ne fût-ce que ces essais, a requis
un certain nombre de circonstances favorables, les unes intérieures, les autres
autour de moi. Je ne ferai ici état que des secondes. Je dois à Annie Anzieu l'idée
directrice de mon travail princeps sur les caractéristiques obsessionnelles du style
dans les romans de Robbe-Grillet. rai été stimulé par les sollicitations de
l-B. Pontalis et par sa constance à accueillir dans Les Temps modernes puis dans
la Nouvelle revue de psychanalyse mes études psychanalytiques d'œuvres littéraires.
En me confiant la tâche d'improviser la synthèse du colloque Corps création orga-
nisé par lui à Lyon en janvier 1978, Jean Guillaumin m'a permis d'élaborer la
théorie du travail créateur que j'expose ici. À partir de là, Catherine Fabre-
Gibier a su me fournir la documentation, le soutien moral et l'aide pratique dont
j'avais besoin. Régine Lissarrague a été, comme d'habitude, une collar.ûratrice
précise et précieuse en contribuant à la mise au point matérielle du md.nuscrit. À
ces personnes, et à toutes celles dont l'intérêt, les suggestions et les cùnseils m'ont
permis de commencer, de continuer et d'achever mon texte, va ma gratitude.
D.A.
RÉFÉRENCES
Abraham N., 40, 137, 208, 209. Balzac H. (de), 68,121. 194,218,
Abrégé de psychanalyse, 43. 224.
Ajar E., 56. Baranger W., 54.
À la recherche du temps perdu, 17, 30, Barchilon, J., 1 1 5.
39,47, 143, 148. Barthes R., 172, 175, 191
Aleph (L j, 282, 285, 291, 292, Baudelaire Ch., 5 l, 246.
294,295,298,303,312,318, Bavard (Le). 136.
319,320. Beckett S, 66, 73, 74, 179. 270.
Ambassadeurs (Les), 194. 363.
Âme et la danse (L 'J, Il L Bel Été (Le), 168.
Analyse finie, analyse sans fin, 43. Belle du Seigneur. 5O.
Andersen H.C., 189. Benveniste E, 167.
Andreas-Salomé L., 61. Berenstein L. 127.
Anzieu A, 31, 134, 1 52, 342, 348, Bergson H., 17, 148, 173. 348.
361 Besdine M., 60, 61. 62, 363.
Anzieu D., 30, 3 L 42, 60, 77, 113, Bestiaires (Les), 205
121, 128, 133, 18L 182, 183, Bettelheim B, 56. 330
21 L 219, 225, 281, 32~:L 335, Bible (la), 46, 327.
353, 355,361, 363. Bibliothèque de Babel (La), 286,
Archives du Nord, 220. 305, 307, 3]2, 319.
Aristote, 68, 88, 149, 156, 159, Bion VV. R., 85, 88, 89, 95. 132,
294, 325 140, 1) l. 1 56, ] 85, 330, 335,
Au-delà du principe de plaisir, 55. 337.
Aulagnier, P., 50. Bioy Casares A.. 120, 121. 182,
Auteur et autres texW (L 'J, 283. 293, 282, 285, 291.
301, 312. 316, 318, 320, 321. Blanchot M, 241. 250
Autre monde (L 'J, 219. Bleger l, 22.
Bonaparte M., 61.
Bacon F. (philosophe). 337. Bonnefoy Y., 131, 132.
Bacon F. (peintre), 9, 136, 206, Boole G., 286.
333-339, 363. Borges J. L., 9, 32, 48, 105, 148.
Bair D, 179. 186, 187, 188,281-321, 363
Ballade de la geôle de Reading, 5 3. Bourget P, 17
368 Le corps de /'œuvre
Bout de la route (Le), 46" Dans le labyrinthe, 267-270, 271,
Bouvet M", 259, 272, 273 274,275, 276,277,
Bowlby J., 251. 278,
Brave Soldat Chveik (Le), 356. Dante, 143,313.
Brémond C, 191. Daudet A., 17.
Breton A, 259. De Foe D., 47.
Bruit et la fureur (Le), 270. Delacroix E., 246.
Démon du bien (Le), 205.
Cahiers (de Valéry), 112, 148, 151, De M'Vzan M., 64, 101, 115,222
157, 158. Dépeupleur (Le), 179.
Caillois R., 108. Désarrois de l'élève T (jrlm (Les), 52,
Camus A., 99, 259. 54.
Carnets (d'Henry James), 86, 215, Descartes R., 54, 326.
233,250. Des Forêts L.-R., 136.
Carroll L., 357. Detienne M., 199.
Celeyrette-Pietri N., 145, 157,361. Deuil et mélancolie, 19,
Céline L.-F., 66, 19 L Dewey J., 138.
Cendrars B., 66. Dick Ph. K., 56, 191.
Cent vingt journées de Sodome (Les), Dickens Ch., 218.
118, Discours sur l'origine et les fondements
Cervantès, 219, 285. de l'inégalité parmi les hommes, 57.
Chartreuse de Parme (La), 50, 164. Divine Comédie (La), 143.
Chasseguet-Smirgel J., 54, 118. Dix petits nègres. 192.
Chateaubriand F.R. (de), 72. Don Quichotte. 285. 300.
Chestov L., 103. Docteur Jek)1l et Mister Hyde, 100.
Chklovsky, 182. Dostoïevski F., 218.
Chomsky N., 195. Doubrovsky S.. 143.
Chopin F., 51. Du Maurier G .. 46.
Christie A., 192, 193.
Chute (La), 99. Eco V., 133, 135, 139,169,182
Cimetière marin (Le) , 9, 18, 72, Edel L., 241.
112. 113, 121, 128,137,142- Einstein A., 58, 148.
162, 286, 36 L Éloges (Images à Crusoé), 47.
Cixous H., 85. Eluard P., 259.
Cocteau J., 47. Empédocle. 58.
Cohen A, 50. Énéide (L'), 30. 53. 57.
Coin plaisant (Le), 99, 137, 206, Enfant et les sortilèges (L 'J, 344.
215-255. Esquisse d'une psychologie scientifique
Colette, 344. 16, 28. 29, 72.
Colonie pénitentiaire (La), 167. Essai pour les coniques. 32 5.
Comment j'ai écrit certains de mes Estienne L.. 340.
livres, 120. ~tranger (L '), 259.
Compagnie, 179. Etudes sur l'hystérie, 27. 241.
Constructions dans l'analyse, 43, 105. Eupalinos ou l'architecte. 112.
Contes à rebours, 97. Exil, 104.
Contre Sainte-Beuve, 28. ExPériences nouvelles touchant le vide,
Croce B., 138. 325.
Cyrano de Bergerac, 219. Fargue L.-P .. 340, 341.
Faulkner W .. 218, 270.
Dac: P., 352. Favez G., 31. 278.
Le
Federn P., Il 3, 140.
Fictions, 282, 283, 288, 291, 295, Hacedor (El). voir Auteur et autres
298, 318, 319, 320. textes (L')
Finnegans Wake, 52, 85, 135. Hamlet, 32, 46, 203.
Fitzgerald FS, 30 l. Hartmann H, 99
Flaubert G., 76, 103, 104, ! 19, Hasek J.. 356.
198,243. Hegel G.W.F., )3, 85.
Foucault M .. 199,350. Heisenberg W., 148.
France A. 17. Histoire de l'éternité, 283, 290. 29 L
Freud S., 15, 16, 19,21,23,24, 318, 319.320.
25,26,27,28,29, 30, 31, 32, Histoire universelle de l'infamie. 282,
33, 34, 3 5, 36, 37, 38, 39, 40, 283,305,318,319,320.
41, 42. 43. 45, 46, 51. 52. 53, Hoffmann E.T.A., 219. 230.
55, 60, 61. 62. 68, 71. 72. 74, Holbein H .. 194.
75,77,81. 82, 83. 85. 94. 98. Homme au coin du mur rose (L '), 284,
102, 105, 106. 107. 108.109, 288, 290, 291. 296. 297, 299.
110,112,114,115,117.133, 305. 310,315.318.319.
142,145,153.182.185,186, Homme au sable (L J, 230.
187, 193. 197, 198. 199,203, Homme Jans qualités (L '). 52.
205,208,209.217.218.219. Hugo V, 218, 341.
224,235,238.241. 242,250. Humain, trop humain, 103
257, 307, 315. 324. 328, 330. Huxley A.. 174, 198
337, 338, 345, 348, 357. 358.
Frobenius L.. 101. Idée fixe (L '). 158.
Ile mystérieuse (L'). 47.
Galilée, 324, 327. Immaculée Conception (L '), 259.
Genette G .. 183,284. Impressions d'Afrique, 120.
Genevoix M., 50. Interprétation des rêves (L J, 15, 19,
George F.. 3 5 l. 29, 30, 34,40,41. 45, 60, 110.
Gibello B., Ill. 130, 133, 186.
Gide A., 64, 145. Invention de Morel (L '), 120, 121,
Giono J., 46. 182, 282
Girard R., 54.
Giraudoux J,. 47. Jakobson R., 108. 137. 169.
Goethe W:, 16. 28. 31. 42, 61. Jalousie (La), 265-267, 271.272.
153. 273.274.275.276,277,278,
Goldmann L., 52. 281
Gommes (Les). 47, 165, 260-263, James H, 9. 32, 74, 76, 86, 99,
270,272.273.274,275,277. 137,193.194,195.197,198.
Gori R., 75, 348. 199,203,206,215-255.346.
Gracq J., 32. 57, 66, 72, 73, 269. James W., 76,195,199,215.216.
Gradiva, 203. 227.241, 242,243.244,253.
Granger M., 119. 254.
Gren A.. 20, 110, 216, 232, 240. Jansénius, 327.
Greenacre P., 60. Jaques E, 30, 49, 50. 51. 52. 53.
Grinberg L.. 33 5. 145, 363.
Guillaumin J., 118, 119. 131. 141. Jardin aux sentiers qui bifurquent (Le).
216, 361. 363. 285,288,305,319.
Guiraud P., 169,343,351. Jardin des supplices (Le), 33 5.
Guntrip H. 113, 140. Jarry A. 56.
Le corps l' œuvre
Jean-Paul. 219. Mahler M., 69.
Jean Santeuil, 28. Malaise dans la civilisation, 21, 71.
Jensen W., 203. . Mallarmé S.. 136, 142, 150, 15 L
Jérome K. Jérome, 344. Mann Th., 66.
Jeune Parque (La), 144, 145. 147, Martinet A, 310.
156, 361. Marx K., 350.
Jones E., 37, 40, 41, 81, 82. Maupassant G. (de), 195, 197, 198.
Joyce l,52, 67,74,85,135,191. Meilleur des mondes (Le), 174.
259. Meltzer D., 56.
Justine ou les Malheurs de la vertu, Melville H., 119, 219.
1I8. Mémoires d' Hadrien, 57.
Merveilleux Voyage de Nils Holgersson
Kaës R., 19,21, 42, 123, 128. (Le), 189.
Kafka P., 66, 68, ) 16, 127, 167, Métaphysique (La), 88, 157.
219, 259. Météores (Les), 56, 206.
Kant E., 12, 42. Meurtre de l'Orient-Express (Le),
Kekulé von Stradonitz A., 118. 192.
Khayam O., 301. Meurtre de Roger Ack.royd (Le), 192.
Klein M., 30, 31, 53, 54.75.315. Michaux H., 66, 343.
344, 358. 359. jJJ84, 174.
Kris E.. 99. Miller H., 66.
Mirbeau O .• 335.
La Boétie. Il 5. Missenard A, 42, 128.
Lacan J.. 123. 185, 194, 307. Moby Dick.. 119.
Lagache D .. 15. Moise et le monothéisme. 43.
LagerlOf S., 189. Molière. 224.
Le Brun Ch., 246. Molloy, 179. 270.
Le Clézio lM.G., 57, 67. Monsieur Teste. 112, 145.
Leenhardt J., 281. Montaigne M. (de), 115.
Lefevre F., 143. Montherlant H. (de). 68. 204, 205.
Leibniz W.G., 54, Ill, 286. 206.
Le Lionnais Fr., 307. Moreno J.L. 69.
Léonard de Vinci, 32, 77, 153, 203. Morrissette B., 258, 262, 268.
Lévi-Strauss CL. 68. 123, 175, 204, Motifdans le tapis (Le), 193.
205, 206. Mots (Les), 84, 121.
Lewis CS., 286. Mozart W.A, 51.
Limbour G., 179. Musil R.. 52. 54.
Livre de sable (Le), 283, 321.
Locus Solus, 135. Nietzsche Fr.. 103.
Loin, 99. Novalis. 219.
Losfeld E.. 56, 349. Nouvelles histoires extraordinaires.
Louis Lambert, 194. 216.
Lowenstein F.. 99.
Lulle, 286. ŒdiPe roi. 32. 46. 47. 203.
Orwell G .. 174.
McDougall J., 64.
Machine infernale (La), 47. Paris J., 195. 196. 197.
Madame Bovary, 103. Pascal BL. 9. 30, 53. 57. 96. 203,
Magritte R, 136. 207. 322. 323-332. 353. 363.
Maison Tellier (La), 195, 197. Passeron R.. 166.
Le
Pavese G. 168. Robinson Crusoé, 47.
Peau de chagrin (La). 121. Roderic/e Hudson. 216
Pensées (les), 57. 328, 330. 353. Rorschach H.. 112.
Périer G .. 322. 323. Rose et bleu. 283, 32 L
Perrault Cl.. 246. Rosolato G .. 113, 139. 159
Perrot)..137.193, 194, 195, 199. Roubaud l, 181
216. 235. 241, 245. 247. Rousseau l-)', 57.
Peter Ibbetson. 46. Roussel R. 56. 120, 135.
Petot j.-M., 358. Ruffiot A.. 199.
Piaget ]., 69.
Picasso P., 50. Sacher-Masoch 1. (von). 67.
Pindare. 137. Sade D.A.F. (marquis de), 74, 118,
Pingaud B.. 281 235
Pirandello 1.. 357. Saint Augustin. 327.
Poe E.. 56. 216. Saint-John Perse, 47. 104, 167.
Pontalis J.-B.. 31. 99. 113, 338. Sallenave D., 104, 117.
36] Sami-Ali M .. 230. 236.317,334.
Portes de Gubbio (Les): 104, 117 Sartre ).-P .. 32. 54, 76, 84. 121.
Pour introduire le narcissisme. 4}. Saussure F. (de), 307.
Presqu'île (La), 73. Segal H., 56.
Procès-verbal (Le), 57. Shakespeare W .. 32. 302.
Propp V., 191. Sharpe E .. 184.
Proudhon l. 350. Signorelli 1.. 1 5
Proust M .. 17. 26, 27, 28. 30, 32, 50nge (Le). 205
39.42.51, 74, 99,110,115, Sophocle. 32. 298.
143, 198, 208, 218, 304. 50uvenirs pieux. 220.
Purcell H., 51. Spinoza B .. 154.
Spitz R.. 85, 323
Queneau R. 345 Starobinski ]., ] 03. 104. 119.
Stendhal. 5O. 164
Rabelais Fr., 343. Stevenson R.L.. 100
Racamier P.C. 77, 355 Sue E.. 218.
Racine J,. 52 5ur les conceptions de J'aphasie, 112.
Radiguet R. 47 5u7.flnne el le Pacifique. 47
Raphaël. 51 Swift ).. 189.
Rapport de Brodie (Le), 105, 283, Sylvester D, 334
321.
Ravel M .. 344. Tardieu ]., 351.
Récit de la grande exPérience de l' équi- Tartini G, 125
libre des liqueurs, 326. Tausk V., 56.
Reine des neiges (La), 189. Tinguely. 56.
Reine morte (La), 205. Tirso de Molina, 48.
Rembrandt, 1 5. Tolstoï L, 182. 218.
Renan E., 17. Torok M, 137.
Rimbaud A, 51, 57, 108. Torricelli, 324, 326, 327.
Rivière l, 128. Totem et tabou, 40, 106.
Robbe-Grillet A, 9. 32, 47, 77, Tour d'écrou (Le), 240, 250, 346.
127, 165. 192, 193.256-281. Tournier M., 45. 47, 48, 56, 148,
306, 361, 363 188. 189, 206.
Robert M , 206, 218, 219 Traité de l'équilibre des/iqueurs. 329.
Le corps
Trakl G., 74. Voltaire, 351.
Traumdeutung (Die), voir Interpréta- V oyage au bout de la nuit, 191.
tion des rêves (L ') - Voyages de Gulliver (Les), 189.
Trente mille jours, 50. Voyeur (Le), 192, 263-265, 271,
Tristan et Yseult, 219. 274,275,276,277.
1'rois hommes dans un bateau, 344.
Wallon H., 69.
Ulysse, 85, 19L Watteau A. 51
Un balcon en forêt, 57. Wilde O., 53, 300.
Une saison en enfer, 57. William Wilson, 216.
Un mot pour un autre, 351. VVinnicott D. W., 22, 64, 75, 76,
Un régicide, 260, 263, 277. 77,79,96,104,113,141,142,
234,237,243,252,310,330,
Valéry P., Ill, 112, 113, 121, 128,
337, 339.
137, 142-162, 183, 361.
Wolfson L., 359.
Vanilliers (Les), 179. .
Vendredi ou les Limbes du Pacifique,
47. Yourcenar M., 57, 220.
Vent Paraclet (Le), 45, 47, 188.
Vernant J.-P., 202. Zaltzman N., 128.
VerneT, 47. Zeraffa M., 254.
Virgile, 53, 57. Zola E., 168, 198.
Avant-propos 9
Première partie
L'AUTEUR TRAVAILLÉ PAR LA CRÉATION 13
1. ENTRER EN CRÉATION 15
L'identification héroïque (1 5). Le (( décollage)) (16). Travail du
rêve, travail du deuil, travail de la création (18). Crise et création
(20).
II. LE CAS DE FREUD 24
Tableau d'une crise créatrice (24). Premier éPisode du décollage freu-
dien (18J)4-18J)J) : découvertes du sens des rêves et des notions
d'appareil psychique et de travail psychique (26). Second éPisode du
décollage freudien (18J) 6-18J) 1): découverte du «complexe»
d'Œdipe, deux formes du désir incestueux chez le créateur (29).
Niveaux de symbolisation des rêves freudiens: l'injection faite à Irma,
« on est prié de fermer un œil », rêves de Rome, retour des
langues oubliées, transcripti.'on directe du vu en un code (33).
Derniers éPisodes du décollage freudien: la crise de 1913 (rupture
avec Jung), la crise d'entrée dans la vieillesse (1917-1924) et le
remaniement de la métapsychologie, la crise octogénaire (1937-
1939) et l'exil ,final (40).
III. LE TRAVAIL DE L' ŒUVRE 44
L'auteur travaillé par la création (44). Le lecteur travaillé par
l'œuvre (45).
IV. LA CRISE CRÉATRICE ET LES ÂGES DE LA VIE 49
Créations de la vieillesse (50). Créations de la maturité: l'ombre
portée de la mort (5 1). Créations de la jeunesse: l'ombre portée de
la violenee (54). Deux sortes de littératures : littératures de l'accusa-
tion, littératures de la résignation (57).
V. QUE FAIRE DES STIMULATIONS PRÉCOCES? 60
Stimulations maternelles précoces et dynamique héroïque-masochiste:
complexe de Jocaste chez la mère, hystérophobie de Freud, légen-
de d'Héraklès (60). Particularités de la topique psychique du créa-
Le
teur : conflit du Moi idéal et du Surmoi, force du Ça, capacité du
Moi de varier ses modes de fonctionnement, Idéal du Moi
conciliant (64). Fonction maternelle du mental: inquiétante étran-
geté et inattendue familiarité, matrice primaire de la communica-
tion, premiers décodages sensoriels, interface mère-nourrisson et
Moi-peau, surstimulation et créations-totalisations, sous-
stimulation et créations-consolidations, l'angoisse de séparation
comme déclencheur du décollage créateur, le mental comme inté-
riorisation d'un environnement maternel surstimulant, dynamique
de l'hyperactivité fantasmatique, dynamique de l'hyperactivité
intellectuelle, fonction paternelle du code (68). Fonction paternelle
dans la conception psychique et attitude mentalement active du Moi
devant la scène primitive : trois exemples de patients en psychanaly-
se, passivité et activité chez Freud, rôle du père dans les diverses
sortes de conception (79). Formes et fonctions du sexuel dans l'acti-
vité de pensée. Fonction du maternel dans le travail créateur, fonc-
tion du féminin, fonction du masculin, fonction du paternel, fonc-
tion de l'indéterminé (84).
Deuxième partie
LES CINQ PHASES DU TRAVAIL CRÉATEUR 91
1. DES CINQ PHASES DU TRAVAIL CRÉATEUR ET DE LEURS
INSCRIPTIONS DANS L'œUVRE 93
Résumé des cinq phases (93). Première phase : le saisissement créateur i
circonstances ; trois exemples : résistances : régression ; dissocia-
tion ; saisissement; retour d'une vérité oubliée sous forme d'une
hallucination non pathologique; l'œuvre comme construction de
cette vérité (95). Deuxième phase : prise de conscience de représentants
psychiques inconscients ; levée d'une représentation refoulée et surac-
tivation pulsionnelle; remémoration affective et retour d'états
archaïques du Moi et du Soi ; appréhension de représentants de
mouvements du corps et d'opérations de l'esprit; un moyen de
surmonter les doutes propres à cette phase : la résonance fantas-
matique d'un(e) ami(e) et le rétablissement de raire d'illusion; un
moyen de parer au jugement du public intérieur : se faire aimer du
Surmoi (107). Troisième phase: instituer un code et lui faire prendre
corps: déplacement topique du représentant inconscient; écart
entre le code et le corps de l'œuvre; corps de l'~uvre et corps de
l'auteur ; résistances inconscientes successives ; fantasmatiques de
la çréation ; jeux du Moi avec le code et fonction régulatrice du
Surmoi; conflit du Moi, du Moi idéal et du Surmoi; l'idiolecte
( 116). Quatrième phase : la composition proprement dite de l'œuvre
( 12 5). Cinquième phase: produire l'œuvre au-dehors; difficulté de
décider que l'œuvre est achevée: danger de rupture de la continui-
té narcissique; difficulté d'exposer l'œuvre à un public: les quatre
formes d'angoisse produites par r identification projective (127).
Réintégration dans l'œuvre du processus de sa création : Repérage des
cinq phases par les créateurs eux-mêmes; exemple d'Yves Bonne-
foy ; œuvre-produit et œuvre-processus; logique de l'improbable
et logique de l'impossible; exemples d'inscription dans l'œuvre de
corps
chacune des cinq phasës ; représentation du pouvoir de représenta-
tion; diverses formes de l'illusion de totalisation et matrice
psychique primaire; œuvre idéologique, utopique, transitionnelle
( 1 3 1).
IL L'EXEMPLE DU « CIMETIÈRE MARIN », POÈME DE LA
CRÉATION DU POÈME
Proposition d'une lecture: condensation de la poétique et du poïé-
tique; circonstance de la composition: crise d'entrée dans la
maturité évoquant la crise d'entrée dans la jeunesse; contenu
manifeste: le cimetière de Cette, une cc vanité» païenne ; la
première phase (hallucinatoire) du travail créateur et son inscrip-
tion dans la strophe 8 ; la seconde phase ~t son inscription dans
l'incipit: pluralité des représentants psychiques inconscients (sen-
soriels, moteurs, affectifs) condensé:; dans celui-ci ; la troisième
phase : le code organisateur du poème est fourni par la théorie
aristotélicienne d'un premier moteur immobile, la matière à laquel-
le ce code donne forme est un rythme (qui joue sur l'opposition du
décimal et du duodécimal) et l'image du corps (qui joue sur l'oppo-
sition du macrocosme, composé des quatre éléments, et du micro-
cosme humain doté des cinq sens) ; brèves inscriptions des quatliè-
me et cinquième phases ; pensée obsessionnelle et travail cré~teur.
III. LE CODE AU TRAVAIL DANS L'œUVRE 163
ESQUISSE D'UNE MISE EN ORDRE DE LA DIVERSITÉ DES CODES : Sens 0 :
recueil des lois écrites (codex), rapport au Surmoi; sens 01 :
les mythes; sens 1 : chiffre, clé, marque, grille; sens 1 bis: en
mathématiques et en biologie; sens 2 a : ensemole de préceptes
moraux et sociaux ; sens 2 b : ensemble d'instructions techniques ;
sens 3 : le code langagier et ses sous-codes, le sous-code du style
dans les textes écrits ; sens 4 : le système et ses variantes : le
programme, la structure, l'idiolecte; liberté intérieure du créateur
face à la diversité des types de code (163). Dimension diachronique
des codes et leur reprise dans le style : interaction du nourrisson avec
les objets et avec l'entourage; des schèmes sensori-moteurs aux
codes de communication ; spécificité de la littérature et nouvelles
considérations sur le style, l'effet d'étrangeté ou de singularisation,
l'illusion symbolique ou sémantique (177). Le code au travail dans
l' œuvre : plusieurs formules: l'exemple de la découverte de l'in-
conscient par Freud (184). Une première formule, appliquer un
code connu à un domaine inconnu : les « contes» de Borges, un
roman de LagerlOf, un conte d'Andersen, « Ulysse» de Joyce
(186). Une deuxième formule, appliquer à un domaine connu un
code inconnu du lecteur mais non de l'auteur : la lecture comme
roman policier, le double sens sexuel et l'anamorphose chez Henry
James, une critique générative d'une nouvelle de Maupassant,
Maupassant face au code contemporain des mœurs et à la théorie
pseudo-scientifique et prépsychanalytique de la dégénérescence
familiale, la double référent:e entre l'inconscient et la culture,
discussion du mythe d'Adonis, effets comiques et tragiques de la
tension diachronique entre des codes (192). Une troisième formu-
376 Le corps de l' œuvre
le, appliquer à un domaine connu un code inconnu de l'auteur lui-
même: problèmes d'interprétation, Montherlant interprété par
L.évi-Strauss, autres exemples (203). -Limites du travail du code:
l'absence, le manque, le vide: l'écorce, le noyau et le vide dans l'ap-
p~reil psychique; quatre figures du vide dans l'œuvre: la perte du
sein, le secret d'une généalogie interrompue, l'inemployé de la
pUlsion, la communication impossible (207).
Troisième partie
QUELqUES MONOGRAPHIES 213
1. UNE ALLÉGORIE DE LA CRÉATION LITTÉRAIRE: « LE
COIN PLAISANT») D'HENRY JAMES 215
Du roman familial à l'hallucination: roman familial de l'enfant,
de 1'adulte, du vieillard; la fantaisie éveillée: si j'étais mort... ;
l'altérité dans le rêve nocturne; la conduite narrative (21 7). Un
homme s'interroge sur son autre vie : première partie de la nouvelle
de James, particularités de r espace (227). La rencontre avec le
douhle, ou le saisissement créateur: deuxième partie de la nouvelle,
chasse à l'alter ego, régression vers le haut, ruptures dans la
communication, angoisse du vide, régression vers le bas, significa-
tion du vestibule, l'hallucination de l'autre comme moment créa-
teur, importance de l'hallucination dans la famille Ja~es, un
cauchemar d'Henry James enfant, la technique jamesienne de l'en-
vers du récit (232). La présence-soutien de l'ami(e} dans le travail de
composition: troisième partie de la nouvelle : la rassurante familia-
rité d'entendre un récit, ambiguïté du dénouement, hypothèses
interprétatives concernant les personnages (250).
II. LE DISCOURS DE L'OBSESSIONNEL DANS LES ROMANS
DE ROBBE-GRILLET 256
Liminaire. La théorie de l'objet: sa critique; le monde vécu de
l'obsessionnel: la relation à distance avec l'objet (256). Analyse
des premiers t'omans de Robbe-Grillet: «Les Gommes », « Le
Voyeur», «La Jalousie», «Dans le labyrinthe» (260). Le
discours intérieur de l'obsessionnel : (c Le style exprime les mécanis-
mes de.défense, l'intrigue est la transposition du fantasme» (270).
Les mécanismes de défènse : construction, transposition, description
minutieuse, isolement, dédoublement, impersonnalité, figement,
perfectionnisme, labyrinthe intérieur (270). Le discours intersubjec-
tif de l'obsessionnel (275). Le fantasme : le complexe d'Œdipe de
l'obsessionnel (277).
III. LE CORPS ET LE CODE DANS LES CONTES DE BORGES 282
La place des contes dans la vie et l'œuvre de Borges: les contes
d'avant l'accident de Noël 1938 (c Histoire universelle de l'infa-
mie ») ; les contes de 1 9 3 9 à 1941 (c Le jardin aux sentiers qui
bifurquent») ; les contes de 1941 à 1944 (<< Fictions») ; les
contes de 1945 à 1949 (<< L'Aleph»); les contes de 1949 à
1952 (<<'L'Aleph» 2 e édition) ; les contes d'octobre 1952 à octo-
bre 195'3 (<< Fictions», 2 e édition) (282). Le thème du duel
Le corps l'œuvre
au couteau: « L'Homme au coin du mur rose» (1935), réappari-
tion du thème en 1952, l'accident de Noël 1938 et la crise d'en-
trée dans la maturité (296). La double symétrie sPéculaire (300). Le
code de la bibliothèque totale (305). La quête dtt code de tous les codes
(310). Orif,inalité de Borf,es (314). Chronolof,ie des contes de Borf,es
( 318)
IV. DE L'HORREUR DU VIDE À SA PENSÉE: PASCAL 322
L'anf,oisse du vide che'Z Pasc'al, enfant malade (322). Le vide et la
physique: expériences et polémiques contre l 'horreur du vide
( 3 24). Le vide et la métaphysique : les trois états de l'histoire sacrée
de l'homme ; les trois ordres ; le vide intérieur est central dans la
psychologie humaine; divertissement, angoisse et agonie (327).
En résumé (3 3 1).
V. LA PEAU, LA MÈRE ET LE MIROIR DANS LES TA-
BLEAUX DE FRANCIS BACON 333
Communiquer la douleur de l'incommunicable: déformations;
douleur ; indifférence maternelle ; indifférenciation de Soi ; atta-
ques contre les organes des sens et de la motricité ; incommunica-
bilité ; le décor du tableau comme environnement qui ne contient
pas (333). Rétablir les sif,nes : lumière, espoir, traces, contacts; le
miroir restauré (337).
VI. UNE CONCLUSION POUR RIRE: LE MOT D'ESPRIT, CIR-
CUIT COURT DU TRAVAIL CRÉATEUR 340
Le travail du style dans la contrepèterie (340). La haine des mots
(344). Le ravalement du code au corps: exemples de mots d'esprit
pendant une psychanalyse (345). Le bon ordre syntaf,matique perverti
par l'esprit: trois formules (348). Ramener un énoncé à de l'énoncia-
tion (352). Paradoxe et impunité (355). Toute lanf,ue est d'abord
étranf,ère (3 58). L'œuvre, circuit long, et le mot d'esprit, circuit
court du travail créateur (3 59).
Annexe - Documents sur Paul Valéry 361
Remerciements 363
Références 365
Index des auteurs et des Œuvres cités 367
CONNAISSANCE DE L'INCONSCIENT
SÉRIE: TRACÉS