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Bulletin de la Société française du

Rorschach et des méthodes


projectives

L'expression du fantasme narcissique au TAT


Françoise Brelet-Foulard

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Brelet-Foulard Françoise. L'expression du fantasme narcissique au TAT. In: Bulletin de la Société française du Rorschach et
des méthodes projectives, n°38, 1994. pp. 55-66;

doi : https://doi.org/10.3406/clini.1994.1668

https://www.persee.fr/doc/clini_0373-6261_1994_num_38_1_1668

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55

Bulletin de la Société du Rorschach et des


Méthodes Projectives de Langue Française
1994, 38, 55 - 66

L'EXPRESSION DU FANTASME NARCISSIQUE AU T.A.T.

Françoise BRELET-FOULARD

Professeur de psychologie Clinique. Université Paris XIII. Avenue Jean-baptiste


Clément. 93430 Villetaneuse

Mots-Clés : TAT. Modalités discursives.Fantasme. Narcissisme

Depuis maintenant plus de trente ans, l'école française de TAT utilise


un jeu de 16 planches tirées des 31 planches originales proposées par H. Murray.
V. Shentoub put d'abord mettre en évidence, à partir d'un nombre important de
protocoles de langue française, les éléments perceptifs les plus prégnants
("contenu manifeste des planches") et les thématiques d'histoires fréquemment
rencontrées ("thème banal"). 1970 marque un tournant décisif pour l'école
française (V. Shentoub, R. Debray, 1970). S'appuyant sur les références
théoriques de la psychanalyse, ces deux auteurs montrent que la situation TAT
est situation de conflit. Conflit entre deux mouvements : la pression pulsionnelle
dont l'expression fantasmatique est ravivée par la présentation de la planche, et
la sollicitation de la "représentation-but" évoquée par la consigne : organiser un
récit qui entre en résonance avec les affects et les représentations inconscientes
de nouveau mis en mouvement, mais qui respecte les nécessités de la
communication et les lois du langage. La structure fantasmatique œdipienne est
le mode le plus "économique" et le plus "efficace" d'organiser cette
conflictualisation proprement humaine. Et ceci d'autant plus que la situation TAT
l'évoque préférentiellement. En effet :
a/ La stimulation des planches propose avant tout des personnages en
relation et renvoie le sujet en test aux différents scénarios fantasmatiques qu'il a
organisé dans le cadre des fantasmes originaires, ceci avec d'autant plus
d'intensité que les figurations de personnages sont le plus souvent nettement
marquées (toujours dans les premières planches, à l'exception de la planche 3)
quant à la différence des sexes et la différence des générations. Compte tenu de
l'ordre de passation, les dernières planches (11, 13B, 13MF, 19,16), à la
sollicitation plus régressive, participent cependant de la même dynamique. Le
travail à propos du thème banal au TAT conforte cette analyse.
b/ La relation de test, marquée par la dissymétrie entre le psychologue
et le testé et l'offre "seductive" (dans le sens de la "séduction maternelle
œdipienne") des planches par l'examinateur, propose aussi l'interdit : la totale
abstention du psychologue ne laisse à la pression pulsionnelle que la
construction de l'histoire et son expression comme issue, conformément à la
consigne. Celle-ci, elle aussi conflictuelle, «raconter l'histoire qui va avec cette
planche», incite à la régression et à un fonctionnement plus proche du processus
primaire, et en même temps à la canalisation du fantasme dans un discours qui
obéisse à la secondarisation (aux exigences de la langue et de sa logique). Elle
implique que l'excitation libidinale réactivée par la planche dans la situation de
test soit tolérée par le sujet, canalisée dans l'expression fantasmatique qui lui est
personnelle, et que celle-ci ne soit pas drastiquement refoulée et puisse se
permettre une expression dérivée. Ainsi le fantasme inconscient alimentera le
travail créatif qu'exige la construction de l'histoire. Il s'y exprimera de façon
suffisamment déformée, sans trop ; de cette façon il sera tolerable par le moi et
partageable avec autrui (ici le psychologue), situation analogue à celle des
conduites habituelles.

V. Shentoub mettait ainsi en évidence un certain nombre de procédés


de construction de la phrase correspondant aux conduites défensives : analogues
au registre obsessionnel, procédés "contrôle" (A) ; au registre hystérique,
procédés "labiles" (B) ; marqués enfin par l'inhibition (Cp) '. Le psychologue
avait à apprécier leur efficacité dans la construction de l'histoire et dans la
décharge de l'excitation pulsionnelle ; leur capacité de "dégagement" (D.
Lagache). Leur crispation, leur éventuelle intensification, leur impossibilité enfin
à "contenir" la pression de l'exigence pulsionnelle, le recours à des modes de
fonctionnement plus "archaïques" (émergence de fantasmes crus, déformations
perceptives, troubles graves du langage et de la pensée, etc.) (procédés E)
permettaient de repérer, quand ils devenaient envahissants, des fonctionnements
du registre psychotique et le type de fantasme qui était à leur origine.
Nous avons nous-même, plus tardivement, dans un travail sur la
projection dans la situation de test (F. Brelet, 1986, 1987), montré que la notion
de reste diurne , telle que Freud la fait travailler en 1917, était pertinente à la
compréhension du rôle du stimulus-planche au TAT. Elle permet de comprendre
comment l'histoire racontée "à partir de la sollicitation" de la planche, peut
"donner expression au désir inconscient dans (le) matériel" de cette planche.
Le modèle interprétatif de V. Shentoub privilégiait une lecture du TAT
dans le registre des réponses névrotiques et permettait de pointer et de
comprendre leurs échecs, et la réponse psychotique. Mais le nombre croissant de
pathologies non névrotiques, non psychotiques, amenait les cliniciens à
s'intéresser de plus en plus au fonctionnement psychique de ces patients. Le
Rorschach et le TAT apparaissaient particulièrement aptes à apporter leur
concours à ces recherches, comme à permettre des approches diagnostiques plus
précises.
1 : cf en annexe "item de dépouillement les mécanismes A, B, Cp, E".
EXPRESSION DU FANTASME NARCISSIQUE AU TAT 57

Aussi avons-nous proposé en 1986 un modèle d'interprétation des


histoires TAT qui, partant du même postulat, avec la même référence théorique
et la même méthodologie que V. Shentoub, permettait de répondre à ces
nouvelles exigences : nous avons pu ainsi mettre en évidence, dans ces
protocoles que la fantasmatique œdipienne n'organise pas, des histoires ou des
séquences d'histoires qui témoignent d'un surinvestissement des fantasmatiques
narcissiques, des fonctionnements discursifs qui tendent à gérer ou à se défendre
de mouvements dépressifs envahissants, et des modes d'organisation rhétorique
qui témoignent des aménagements, des originalités, de la torsion du travail de
pensée sous l'effet de processus archaïques sous-jacent encore trop agissants,
sans que le sens et la capacité de communication de l'histoire en soient altérés.
Ces travaux nous ont permis en outre de pouvoir "isoler" certaines pathologies
de l'attitude projective : vacillements, porosité des limites entre l'espace de
l'interprété (espace du dehors) et l'espace de l'interprète (espace du dedans),
autres que les confusions qui marquent la psychose, et qui se révèlent de manière
très nette dans la situation-TAT. Ce modèle interprétatif paraît particulièrement
pertinent à la compréhension des états limites et des personnalités narcissiques
mais aussi des addictifs, de la psychopathic des pathologies alimentaires etc. en
permettant des discriminations dans leur mode de fonctionnement respectif. Il
propose aussi un mode de compréhension affiné des processus de pensée à
l'adolescence, ou dans la senescence.
Je voudrais, dans les limites de cet article, proposer quelques éléments
de ce modèle interprétatif en prenant pour exemple le cas de l'histoire de type
narcissique, laissant volontairement de côté les constructions défensives devant
l'émergence des mouvements dépressifs et les processus de pensée "adaptés aux
processus primaires et aux topiques archaïques" (D. Anzieu).

D nous faut d'abord rappeler rapidement les caractères secondaires de


ces histoires, dont le signe distinctif essentiel, nous l'avons dit, est
l'aconflictualité.
Mal déployées dans le temps, elles ont tendance à "s'instantanéiser",
n'ayant ni commencement ni fin. A l'extrême, elles proposent une "image-écran"
(par analogie au souvenir-écran). Dans ce but, le sujet utilise parfois des formes
verbales immobiles (en français : l'infinitif, le participe présent). Il s'agit en effet
d'arrêter le temps et au-delà d'éluder toute problématique de l'origine et toute
reviviscence d'une fantasmatique de castration et l'exigence de délai qu'elle
implique. L'image proposée doit être fixe, inaltérable, idole érigée (de valeur
positive ou négative) à laquelle s'identifier enfin de manière définitive.
L'exploitation de l'espace et le travail de catégorisation est moins
altéré. Le registre des percepts sensoriels de la planche est fortement investi. Les
valeurs de blanc, de noir, de gris donnent lieu à des interprétations sensorielles
vives - l'ombre, le brouillard, l'ensoleillement, la neige, et leur dérivation, le
froid, le chaud etc. Interprétations sensorielles qui, privilégiées, permettent de
communiquer l'affect de manière analogique. Parfaitement suggestives, ces
"atmosphères" concourent à l'expression de l'éprouvé subjectif, un éprouvé
parfois subtil, très nuancé, souvent longuement développé.
De la même manière, le mouvement perceptif ne valorise pas chez ces
sujets les personnages en relation comme c'est habituellement le cas dans le
registre névrotique. C'est à un "one man show" que l'on assiste, le personnage
du héros animant seul l'histoire. Les autres personnages sont ou absents, ou
d'existence secondaire, véritables faire-valoir. Le sujet en test décrit des relations
de type spéculaire ; ou bien dans un fonctionnement élaboratif moins évolué, il
traite les différents personnages de la planche comme absolument identiques,
doublant le héros de véritables clones.
A noter enfin que si les procédés discursifs de type névrotique avec
lesquels l'histoire est construite détournent, déguisent et masquent l'expression
des modalités de l'investissement libidinal de l'objet, les histoires de ce registre
proposent des expressions plus proches des contenus inconscients (encore que se
pose la question d'un fantasme narcissique inconscient). Les mouvements
narcissiques, souvent de type "grandiose", s'y disent à ciel ouvert ; et lorsque
ceux-ci faillissent, des contenus plus archaïques font irruption dans l'histoire :
"fantasmes crus" et mises en relation persécutives.
Le psychologue doit en même temps interpréter ce que V. Shentoub
avait appelé la "lisibilité" de ce type d'histoires : le fait qu'elles soient
partageables, à valeur de communication, et que leur déroulement se fasse sans
trop d'entraves, produisant une histoire facilement écoutée. Certaines de ces
histoires en effet, tout en étant discrètement transgressives quant à la consigne
(qui demande une histoire, donc un début et une fin), témoignent d'une grande
lisibilité, signe d'une bonne élaboration psychique. D'autres, par contre, nous le
verrons, répétitives, envahies par les références personnelles, témoignent de la
faiblesse de l'investissement narcissique et de son inflation artificielle, dès lors
nécessaire. La fragilité du moi y est perceptible et ses faibles capacités à remplir
ses autres tâches : l'appréciation de la réalité, sans être perturbée comme dans la
psychose, se limite quelquefois de manière drastique. Le travail de la pensée
peut subir la pression des fonctionnements archaïques et le maintien de la limite
conscient/inconscient devient parfois vacillant, laissant les contenus inconscients
faire irruption de manière ponctuelle (à noter que cette limite n'est, dans ce cas,
jamais rompue ni diffuse, comme dans la psychose).

Ces différents mouvements vont être repérables à travers un certain


nombre de procédés rhétoriques qui concourent à la construction des "histoires
narcissiques".
Accent porté sur l'éprouvé subjectif (non relationnel)
L'histoire, avons-nous dit, devient un "one man show". Erection d'une
EXPRESSION DU FANTASME NARCISSIQUE AU TAT 59

image de soi pour en jouir et la montrer à l'autre (dans la relation de test, le


psychologue). Eventuellement pour y repérer et y assurer une identification
vacillante. Un certain nombre de phrases, dans l'histoire, se centreront sur
l'éprouvé subjectif (hors toute relation). Nuancé, parfois subtilement décrit,
l'histoire propose cet éprouvé comme ce qui "spécifie", sert d'identité au
personnage-centre de la description (Cf "Cn 1" de la feuille de dépouillement
jointe).
Exemple : Olivia, planche 7 GF « La petite fille semble assez distraite,
dans ses rêves, un peu abandonnée, comme si elle voyait en rêve autre chose,
prise dans le rêve, ne semble pas écouter la personne qui lui parle,
complètement absente, en dehors. Pas de contact, non, absente, un peu triste et
ennuyée. Si mettons on continue, c'est une jeune fille qui est en dehors des
réalités, ne s'adapte pas tellement, attitude familière, du mal à accepter, à être
bien chez elle, lasse peut-être des personnes qui peuvent l'entourer. Elle a
certainement besoin de beaucoup de délicatesse, d'être entourée».

Références personnelles ou autobiographiques


Moins bien élaborée, l'histoire (ou la séquence d'histoire) met en scène
le sujet en test lui-même (exemple 1) sans que l'écran projectif (l'histoire à
raconter) soit confondu avec l'espace interne, comme dans l'exemple 2 (Cf "Cn
2" feuille de dépouillement).
Exemple 1 : Laura, planche 1 «Je crée un roman, ou bien je dis ce que
cela m'évoque ? Je ne suis pas obligée de faire une petite dissertation avec
roman ... difficile de raconter parce que cela m'évoque des trucs... je peux vous
dire cela ? (?) Ce petit garçon me fait penser peut-être à moi lorsque j'étais à
l'école. Apparemment il a l'air de réfléchir ou de s'ennuyer, ça me fait penser à
moi qui avait un violon et ne m'en servais pas. La musique a l'air de prendre
beaucoup de temps dans sa vie [...]».
Exemple 2 : Marie, planche 5 « Alors c'est une vieille femme qui rentre
dans une chambre avec un air très surpris, comme si elle venait de découvrir
quelque chose. Ce qui est amusant dans l'histoire, c'est qu'on regarde l'intrigue.
Il y a une intrigue à cette histoire mais on ne la voit pas. Il n'y a que les yeux
de cette femme qui peuvent nous servir de lunettes. Le mobilier est assez... on
a l'impression d'être dans une chambre de jeune fille, peut-être qu'elle vient de
découvrir cette jeune fille avec une personne indésirable. D'où sa surprise, c'est
tout. »

Affect'titre
Une courte phrase donnée comme résumé de l'histoire (comme un titre
donné à l'histoire) met l'accent sur Yaffect, alors que dans le champ névrotique
du contrôle (histoires conflictualisées) on repère la même tendance à "intituler
l'histoire", mais dans une intention de mise à distance de l'affect (Cf "Cn 3"
feuille de dépouillement).
Exemple : Laura, planche 3BM «Je veux toujours commencer en
disant ça m'évoque, et pas dire une histoire. On dirait une enfant. Je suis pas
sûre. C'est d'ailleurs pas une enfant, c'est une femme ... La désillusion. Une
femme qui pleure parce qu'elle a raté sa vie, [etc.]»

Détails narcissiques - Idéalisation de soi - Critique de soi


L'histoire propose des détails "narcissiques", positifs ou négatifs, des
idéalisations du héros, qui n'ont pas, comme dans le champ névrotique de
l'hystérie, la visée de séduire, de se proposer comme appas ; ils concourent
exclusivement à la définition "grandiose" du héros.
La mise en place d'une critique de soi (qui implique qu'on aurait dû ne
vivre aucun échec, aucune difficulté) soutient dans ce champ la même visée (Cf
"Cn 9" et "Cn 10" feuille de dépouillement)
Exemple : Marthe, planche 5 : «C'est une pauvre vieille fille,
recroquevillée sur elle-même, étriquée, idiote, qui rentre chez elle. Elle n'est
occupée que de ses chaussettes et de son chat. Vraiment une vieille fille
complètement idiote».
Exemple : Marthe, planche 10 : «...Je ne sais pas, j'ai pas
d'imagination, c'est toujours pareil, je rate tout... je vois pas bien. Deux vieux,
oui, deux vieilles gens qui ont traversé la vie ensemble et n'ont plus rien devant
eux».

Insistance sur le repérage des limites et des contours


On peut isoler aussi dans ce type d'histoire un mouvement rhétorique
un peu différent : le sujet en test donne de l'importance à tout ce qui dessine,
limite, précise les contours du héros de l'histoire. Le modèle du Moi-peau que
précise D. Anzieu depuis une dizaine d'années rend compte de manière théorico-
clinique de cette attitude psychopathologique à visée d'assurance narcissique,
insistant sur ce qui limite (métaphore des limites du moi, fragiles chez ces
personnalités). Au Rorschach, les travaux sur les indices "barrière" et
"pénétration" permettent de mettre en évidence les mêmes fragilités. (Cf "Cn 6"
feuille de dépouillement).
Exemple : Jacques, planche 3 «Voilà un jeune homme bien désolé...
son dos, voûté, ses vêtements fatigués... il s'est arrondi sur le divan. Je ne sais
pas... disons qu'il s'est disputé avec ses camarades».

Posture signifiante dfaffect


Nous trouverons aussi, très illustrative de ces figures de discours, la
posture signifiante d'affects où c'est la position du corps qui donne à voir, de
manière analogique, ce que vit le héros de l'histoire. (Cf "Cn 4" feuille de
dépouillement).
Exemple : Olivia, planche 3BM «... Bon alors ici... ça semble être un
EXPRESSION DU FANTASME NARCISSIQUE AU TAT 61

enfant, enfin un adolescent. Il peut peut-être dormir parce qu'il est fatigué ou
découragé, il pleure, ou alors s'être endormi, je sais pas, en jouant par terre,
endormi de fatigue... Il a une position abandonnée, plutôt pleurer que dormir.
Complètement effondré. Il se laisse aller, plus du tout de forces...»
Exemple : Pierre, planche 3BM « Un garçon ou une gamine. Ce n'est
pas la posture de repos normale, tout à fait la posture de quelqu'un de rejeté. Je,
je trouve ça horriblement triste. Vous ne me montrez que des choses tristes. C'est
noir et blanc, plus noir que blanc... C'est un enfant qui est triste parce qu'on l'a
disputé et qui attend que quelqu'un vienne le chercher pour le consoler. C'est
tout. (?) ... que quelqu'un va venir et va lui parler pour qu'il comprenne non
seulement ce qu'on lui demande mais pourquoi».

Accent mis sur les qualités sensorielles


L'insistance sur les qualités sensorielles de la planche, ses valeurs de
blanc, noir, gris, de contrasté, etc. participe de la même intention. Apparemment
descriptive, elle développe les caractères de l'atmosphère de la planche,
transcription des affects du héros, dans une insistance à visée identificatoire (Cf
"Cn 5" feuille de dépouillement).
Exemple : Olivia, planche 11 « Bizarre ça... rochers, chemin de
pierres... C'est un pont assez à pic, un paysage plutôt de montagne, assez noir,
par mauvais temps. Paroi lisse, sensation enfermée, pas de ciel. Cette partie là,
nuages et là chutes de pierres, assez fermée comme image. Ça fait penser au
mauvais temps, à l'orage ».

Mise en tableau
Un autre mouvement discursif peut aussi être mis en évidence, dans
lequel le sujet en test donne à voir, à regarder, aux témoins (ici au psychologue).
Nous l'avons appelé mise en tableau ("Cn 8" feuille de dépouillement).
Exemple : Camille, planche 13 B « Là je dirais que c'est une photo, la
représentation d'une photo qui a été prise et ça représente un petit garçon sur
le pas d'une porte dans un pays où il fait très chaud parce qu'on voit le rayon
de soleil qui rentre dans la maison, parce qu'il est pieds nus».

On peut le considérer comme extrêmement proche (il s'y confond


parfois) avec un mouvement qui porte plus sur le temps que sur l'espace et dont
le mouvement est moins de donner à voir, à soi et à l'autre, pour s'y repérer, que
d' "instantanéiser" le cours de la vie, d'arrêter le temps et de nier l'historisation.
Exemple : Lionel, 7BM « Ça c'est très beau ça ! Ça c'est un maître
avec un élève. Ça pourrait faire croire qu'ils font de la musique, et le maître a
l'air très fier de son élève, sûr de lui-même à travers son élève. Ça c'est une
vision instantanée. Je vois pas comment on peut créer une histoire ».
Relations spéculaires
Enfin, la mise en place de relations spéculaires permet au sujet en test
d'introduire des personnages dont la présence sur la planche serait trop prégnante
pour être négligée. Il évite ainsi toute mise en relation objectale (ceci concourant
au repli narcissique) (Cf "Cn 7" feuille de dépouillement).
Exemple : Camille, planche 9GF « Alors là ce sont deux femmes...
qui... deux amies ou deux sœurs parce qu'elles se ressemblent un peu, qui
courent, j'ai l'impression qu'elles sont pressées. Elles sont au bord de la mer, on
dirait des palmier [etc.]».

Une autre modalité de cette même attitude discursive consistera à


décrire deux ou trois personnages de la planche dans une situation identique, de
"mêmeté" absolue, en faisant un héros "global", réunion de personnages
indifférenciés.
Exemple : Lionel, planche 4 « ... Alors ça c'est un plateau de tournage
dans les années 60. Ça commence bien mon histoire (rit). Deux grands acteurs
américains ou un grand acteur, une grande actrice, deux grandes stars qui jouent
la comédie. Ils sont très beaux tous les deux, mais ils... ils n'ont aucun rapport,
elle c'est une femme d'argent, une prostituée [etc.]».
Avec la dénégation de «ils n'ont aucun rapport», Lionel va commencer
une deuxième séquence d'histoire, cette fois conflictualisée et nettement dans le
champ "contrôle".
On voit qu'il ne s'agit pas ici de confusion d'identité (lorsqu'on ne sait
dans une phrase qui, entre deux sujets potentiels, doit être considéré comme le
sujet du verbe). Ces confusions d'identité/télescopages de rôle, caractéristiques
du registre psychotique, sont rencontrées aussi dans certains protocoles
hystériques - cette fois dans des histoires conflictualisées - plus fréquemment
dans les protocoles d'états-limites. Ils restent ponctuels chez les personnalités
narcissiques, indiquant d'ailleurs la mise en échec des processus narcissiques
plus élaborés que nous venons de décrire.

Mais il faut le préciser, cette rhétorique narcissique aura à être


cliniquement appréciée dans la dynamique de chaque protocole.
En effet, on le sait, tout scenario fantasmatique développe à la fois une
polarité objectale et une polarité narcissique. Prenons-en un exemple simplifié au
maximum : "il m'aime". Si "il" précise l'objet libidinal, dans une relation de
complémentarité, le "m"' spécifie un "moi" (dans le sens courant du terme)
"unique" pour l'autre, et trouvant dans cette relation une identité. D'autre part, la
polarité narcissique elle-même peut se déployer sur deux versants : le modèle
spéculaire selon l'exemple de la femme narcissique du Freud de Pour introduire le
narcissisme, qui se mire dans le regard de l'homme aimé, et le modèle de l'amibe,
exemplifié chez Freud par le "chef, le "fiihrer," si sûr de son "être lui" qu'il n'a
besoin d'aucun "autre" pour assurer son narcissisme, dans sa splendide autarcie.
EXPRESSION DU FANTASME NARCISSIQUE AU TAT 63

Aussi doit-on poser en préalable que l'histoire (ou la séquence


d'histoire) narcissique sera normative au TAT à condition :
- Qu'elle apparaisse ponctuellement et n'envahisse pas le protocole.
Les planches 3BM et 9GF la sollicitent plus fortement, ainsi que la planche 16
(planche blanche) qui, faute d'un support imagé explicite, donne souvent lieu à
une histoire qui fait écho à la manière dont le sujet se représente, de manière
implicite, sa place dans la relation de test.
- Qu'elle soit prise dans un protocole globalement organisé par l'Œdipe
; les histoires, rappelons-le, témoignent alors de la gestion du conflit pulsionnel
en termes névrotiques (désir/défense), dans une relation à l'autre investie et
marquée par l'interdit œdipien.

De toute façon, le psychologue aura à repérer s'il s'agit d'une histoire,


à quelle planche apparait ce recours à l'investissement narcissique. Il sera
sensible ainsi à l'éclairage fantasmatique de l'Œdipe qui a fait difficulté au sujet
en test. La modalité précise du fantasme telle que la planche la sollicite rend
compte en effet de ce repli devant une relation objectale soumise à de trop forts
contre-investissements.
Lorsqu'il s'agira d'une séquence dans l'histoire, il lui faudra être attentif
à ce qui précède son moment d'émergence ; plus précisément la dynamique dans
laquelle elle survient est à remarquer soigneusement : s'agit-il d'une crispation
défensive, les mouvements de défense de type hystérique ou obsessionnel ne
réussissant pas à contenir la pression pulsionnelle ? Est-ce la seule manière qui
permette au sujet de gérer un contenu fantasmatique devenu intolérable pour le
moi, le mouvement narcissique survenant alors en rupture ?

Il aura aussi à être attentif au mouvement qui fait suite à cette


émergence :
- Le sujet fort de ce repli, réinvestit-il la polarité objectale que le media-planche
sollicite, et comment ? Le recours narcissique doit alors ère considéré comme
une procédure de "dégagement", cliniquement positive.
- Est-il au contraire entrainé dans des gestions psychiques plus coûteuses,
éventuellement pathologiques :
- mise en place d'une histoire traduisant une problématique narcissique
plus caricaturée, où le "moi grandiose" devient prépondérant et où les contenus
sont d'omnipotence ou de totale infériorité ;
- mouvements dépressifs dont la gestion occupe le reste de l'histoire ;
- voit-on l'histoire s'infléchir sous l'effet de "fantasmes crus" ou de
mises en relation de type persécutif ?
- le sujet en test fait-il recours au décor de la planche, aux éléments
analogiques, résonant à la communication des affects (contraste, séparation des
plans, valeur des blancs, des noir et des gris, etc.) pour retrouver dans ce
"dehors" des éléments de prothèse identitaire, compensant un "vidage" intérieur
des représentations ? (Cf les problématiques addictives et les pathologies
alimentaires surtout, certains états-limites, certaines dépressions).

Il faut enfin noter que la présence de moments narcissiques (comme de


moments dépressifs et antidépressifs) est toujours à considérer attentivement
quand il s'agit de protocoles psychotiques. Elle est sûrement positive quand il
s'agit des protocoles les plus pathologiques, qu'ils soient refroidis dans un
rapport à la réalité hyper-contrôlé, ou qu'ils explosent dans un
"collé/écartelé/éparpillé" que contiennent mal des symbolisations
impartageables. Dans des protocoles moins gravement perturbés, leur
dynamique devra être soigneusement relevée. Elle donnera lieu à une
interprétation clinique similaire à celle que nous décrivions dans le paragraphe
précédent.

Conclusion

A ce court exposé de la rhétorique propre à l'histoire narcissique, il


nous reste à ajouter peut-être l'essentiel : la clinique nous a appris depuis ces dix
dernières années que ces procédés discursifs, isolés ici de manière à en faciliter
la présentation, ne se présentent que rarement seuls dans les protocoles. La
plupart du temps, que ce soit dans les mêmes moments ou que cela apparaisse
en réponse à la stimulation d'autres planches, s'y ajoutent en petites quantités des
expressions qui témoignent de la défense anti-dépressive, ou des torsions ou
originalités syntaxiques propres à un travail de pensée marqué - ou tolérant -
aux processus inconscients (processus primaires) et aux modalités psychiques
plus archaïques, particulièrement celles qui sont liées à la topique psychique
dedans/dehors.
Ainsi est-il un peu insatisfaisant de les en isoler, mais l'espace imparti
à un article ne pouvait permettre de traiter aussi ces deux autres aspects,
particulièrement pertinents à la compréhension des fonctionnements limites.
Il reste que la prédominance des modes de gestion de l'économie
psychique privilégiant l'investissement narcissique et son expression dans le
protocole TAT nous semble nécessaire pour conclure à des difficultés
narcissiques de la personnalité.

Références

Brelet F. (1986) Le TAT, fantasme et situation projective, Paris, Dunod, 188 p.


Brelet F. (1987) On cherche un metteur en scène, Psychologie Française, 32,3,137-140.
Freud S. (1914) Zur einfuhrung des Narzissmus, Pour introduire le narcissisme
Freud S. (1917) Metapsychologische Ergànzung zur Traumlehre, Compléments
métapsychologiques à la théorie du rêve
Freud S. (1921) Massen Psychologie und Ich-Analyse, Psychologie collective et analyse du moi
EXPRESSION DU FANTASME NARCISSIQUE AU TAT 65

Shentoub V., Debray R. (1970) Fondements théoriques du processus TAT, Bulletin de Psychologie,
24, 292 (12-15), pp. 897-903.
Shentoub V. et al. (1990) Manuel d'utilisation du TAT, approche psychanalytique, Paris, Dunod,
201 p.
UNIVERSITÉ RENÉ DESCARTES (Paris V), ISNTITUT DE PSYCHOLOGIE,
Groupe de Recherches en Psychologie Projective : Manuel d'utilisation du TAT ; Approche
psychanalytique Vica Shentoub et al. Paris, Dunod, 1990 (page 69).
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