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Le moulin de l’apparole pris de travers - Suivre un fil (Esthela Solano-S... https://www.wapol.org/ornicar/articles/230sol.

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Le moulin de l’apparole pris de travers - Suivre un fil


Esthela Solano-Suarez
 

Le moulin de l’apparole pris de travers.


- Ce que nous savons qu’il ne faudrait pas faire

Il a fait une analyse. Cette analyse a duré quatre ans.

« Pendant quatre ans – dit-il – sur le divan, j’ai rêvassé en regardant les moulures et les fissures du plafond. »1
Il écrira, peu de temps après ces quelques pages remarquables, par où il témoigne de ce qui fut son analyse. Les
lieux d’une ruse dit bien, que le lieu de l’analyse et le lien analytique furent propices à donner corps et consistance à la
défense du sujet 2.
En effet, le lien dominé par « les rites de fin de séance », tels que « le coup de sonnette du patient d’après, l’analyste
marmonnant quelque chose qui ressemblait à « bien », sans que cela ait jamais impliqué une quelconque appréciation sur les
matières brassées au cours de la séance », bref, la ritualisation du lien, donnait à ce lieu le caractère « d’un endroit mort
et tranquille. »
Ainsi, l’analysant nous a fait saisir d’emblée la solide implication qui relie la ruse du sujet et le standard de la
pratique. Un fil secret, et néanmoins logique, rend solidaires « la neutralité bienveillante de cette oreille immobile » ,
chez l’analyste, aux « séances amorphes où j’avais cette sensation innommable d’être une machine à moudre des mots sans
poids », du coté de l’analysant.

Le standard pétrifie, on l’aura compris. La « régularité de ces rites d’entrée et de sortie » leste la routine du
signifié, et en préserve son sens. Dans ces conditions, le dispositif analytique exclut la surprise, dès lors qu’il
forclot l’acte, et par voie de conséquence entrave la réalisation possible de l’inconscient.

Lacan nous a libérés de ce carcan. On le sait et on le lui doit. Néanmoins, d’avoir été affranchis de la
tyrannie du standard, ne nous allège pas de la responsabilité de l’acte ni ne nous exonère pas pour autant de
l’exigence de rendre compte de ce qui guide notre opération.

- Ce que nous souhaiterions savoir faire

Par exemple, notre pratique dite « des séances courtes », peut-elle garantir à l’analysant qu’il ne se trouvera pas
réduit à « être une machine à moudre des mots sans poids » ? Pas forcément, dans la mesure où la parole, pour peu
qu’on lui donne libre cours, apportera de l’eau au moulin de l’apparole3, lequel ne moud d’autre graine que la litanie
de jouissance. Or, la substance de jouissance qui s’écoule dans l’apparole, peut aussi bien s’accommoder au raccourci
temporel, pour en faire son bonheur.

Arrivés à ce point on est en droit de poser que la parole , dans l’expérience d’une analyse, est une condition
nécessaire , mais pas suffisante.

En effet, Lacan nous a transmis les principes d’une opération analytique qui s’exerce à briser le flot de l’apparole,
pour que les mots prennent du poids. Ainsi, par la fonction de la coupure elle contrarie le sens dans sa valeur d’usage,
jouant de l’équivoque signifiante. Dès lors qu’elle déjoue la solidarité d’usage entre le son et le sens,

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l’opération analytique se rend homologue du procédé du Witz. De ce fait,, à trouer l’apparole elle fait ex-sister la
lalangue, et démontre la valeur de jouis-sens dans sa sémiotique singulière, qui, de parasiter le corps, l’affecte.

Du fait de vider les mots de leur sens, l’acte analytique s’inscrit comme limite de la fuite du sens. Cette limite
introduite par le biais du non-sens, vise le réel, à démontrer que le sens-joui n’est sexuel, que pour suppléer au
sexuel qui manque. Autrement dit, l’inconscient de se réaliser, s’avère être un savoir faire avec la lalangue , lequel se
substitue au savoir faire du rapport sexuel qu’il n’y a pas. De cet impossible et de ce qui s’en substitue à titre de
jouissance sémiotique, proviendront aussi bien la confusion de sentiments, que les événements de corps, à titre
de symptôme, et les embrouilles caractéristiques qui vouent le parlêtre à l’irrémédiable débilité mentale
dont consiste l’apparole.

Le réel et la débilité mentale sont incurables.4 Mais une analyse peut alléger le corps du poids du pathos qui
en provient, à titre d’inhibition, symptôme et angoisse.

- Une vignette clinique à titre d’exemple, à ne pas suivre

Prenons ici le temps d’introduire une petite vignette clinique : elle souffre dans son corps et de son corps. Elle ne se
sent pas femme. En tout cas elle ne se sent pas femme telle qu’elle imagine ce que devrait être une femme. Elle ne
parvient pas à éprouver la satisfaction caractéristique de l’orgasme lors de relations sexuelles avec son partenaire.

Un jour elle parle de son corps. Elle commence la phrase et dit : « Le corps que j’ai... »

La séance s’arrêtera là dessus. Elle aura entendu ce qu’elle a dit . Elle aura dit « Le corps que je hait ». Elle sait
maintenant qu’elle hait sa féminité. D’où peut-elle haïr ce corps, que par ailleurs elle adore, si ce n’est du point où
la haine lui indique son identification à l’homme ? Ainsi la fascination pour le corps des autres femmes s’avère
désormais, n’être que masque où trouve refuge le refus de sa féminité. A cet endroit gît la solidarité secrète
de la fille au père, et leur alliance faite de mépris, à l’égard de sa mère. Elle entrevoit désormais que
l’hainamoration est au coeur de l’embrouille que capture son corps .

Or, tandis que la pratique réglée sur le standard, épouse dans son fonctionnement l’appareil de l’apparole, pour
mieux servir la défense face au réel, l’orientation lacanienne, par contre, la dérange, démasquant la
jouissance en jeu, dès lors qu’elle vise la production d’un effet de sens réel.

1Georges Perec, Les lieux d’une ruse, in Penser/Classer, Hachette, textes du XX° siècle,pages 59-72.

2Le « cas » Perec a donné du fil à tordre à son analyste, comme en témoignent les textes écrits à son sujet. Voire
notamment « A partir du contre-transfert : le mort et le vif entrelacés », J.B. Pontalis, in Nouvelle Revue de
Psychanalyse, N° 12.

3Jacques Alain Miller, Le monologue de l’apparole, La cause freudienne N° 34.

4Jacques Alain Miller, Lacan qui enseigne, in Qui sont vos analystes, Le Seuil, janvier 20002, page574

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1- Dans son adresse au Comité d’action (Papers n°2), Graciela Brodsky décline d’une façon très intéressante la
conjonction-disjonction entre principes et règles, à la suite de la contribution de Marco Focchi.

Sa démarche m’a donné envie d’aller chercher au niveau du savoir accumulé dans la langue - c’est à dire au
niveau de l’étymologie - la différence ou la parenté qui spécifie dans leur us, le champ sémantique propre
aux principes et aux règles. Ma démarche n’a pas été infructueuse, car j’ai trouvé mon bonheur dans le
Robert, Dictionnaire Historique de la Langue Française :

Principe : vient du latin principium , dérivé du princeps « qui occupe la première place » ( le mot prince provient
de cette source). Le mot latin désigne le commencement, le début dans le temps, par abstraction l’origine
fondatrice : principia les éléments dont quelque chose est formé , les fondements.

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En français le terme garde son sens dans le champ épistémologique : fondement logique et par extension il se
rapporte à une loi de portée générale relative à une science ou à une discipline.

Le sens s’étend vers 1351 en dehors du champ épistémologique, vers le sens pratique de « règle d’action », et
plus tard en 1688, avec l’introduction du pluriel « principes », le terme désigne en particulier « les règles morales
auxquelles une personne ou un groupe est attaché ».

Je trouve très significative la dérive sémantique qui glisse du champ épistémique des principes, vers celui de
règles de l’éthique. Dans ce sens les principes conjoignent la règle.

Règle : adapté du latin regula « instrument servant à mettre d’équerre, étalon permettant de juger, de corriger ».
En français le mot prend une valeur figurée très générale : « prescription d’ordre moral, intellectuel ou pratique
s’appliquant à la conduite ». Dès le XVI° siècle une restriction de son sens la transforme en « une prescription qu’il
convient de suivre dans l’étude d’une science, d’une technique » par exemple « règles de la grammaire », en
mathématiques « règle de trois », et au pluriel pour l’ensemble de conventions propres à un jeu, « règles du jeu ». Ici
la règle rejoint les principes. Cependant, ce qui différencie la règle des principes, c’est que les principes se
rapportent aux fondements, alors que la règle est corrélée au procédé pratique, au « faire ».

Comme le met en évidence Marco Focchi, les psychanalystes de l’IPA dès lors qu’ils substituent les règles , voire les
prescriptions, aux principes - c’est à dire aux concepts - ils se reconnaissent « analystes » à partir de l’application d’un
étalon d’étiquète : la commune mesure qui fait d’un praticien un analyste est celle d’exposer une pratique
d’analyse qui se rend conforme au standard de cinq , quatre, à la rigueur trois séances par semaine, tout au long
d’une année ! Ici nul souci du résultat, ni de mise en évidence de la logique de la cure, ni de la démonstration
des principes de son action.

2-On voit bien que le temps qui s’accorde à la règle du standard est celui qui se mesure, voire qui se comptabilise, en
tant de minutes pour une séance, tant de séances par semaine, tant de semaines pour une cure. Ici c’est la durée
comptabilisée celle qui donne crédit et garantie à l‘analyste . L’IPA croit à l’étalon, au sens de la règle, du temps
métrique. Cet étalon prend ainsi la fonction du Un grâce auquel il devient possible de construire un ensemble
homogène, celui de tous les praticiens qui s’y conforment. Devenant ainsi « tous pareils » à l’égard de la règle, et
grâce à la règle, ils s’enferment dans la psychologie et se défendent de rendre raison des principes fondateurs de
leur position, lesquels proviennent des apories logiques posées par le décollement entre petit a et S (A/). Lacan
nous enseigne que sur cette scission repose la distinction entre psychologie et psychanalyse.

En revanche, si l’orientation lacanienne comporte de tenir compte du réel, comme l’expose Jésus Santiago, ceci
comporte d’accueillir la dimension temporelle de l’imprévu. Non seulement de lui faire place, mais aussi de se faire
l’agent. Dans ce sens par son acte l’analyste se fait l’agent de la contingence.

La séance analytique comporte une face de « régularité bureaucratique », c’est sa face de nécessité,
contrariée par l’acte de l’analyste, lequel introduit les effets de division, par où se « réalise » l’inconscient comme
sujet. C’est ce qui écrit la ligne supérieure du discours de l’analyste : petit a , flèche, S barré. Il est certain
comme le note Jesus Santiago dans son texte, que l’acte analytique d’une part sollicite chez l’analysant l’application de
la règle fondamentale, dès lors qu’il « déchaîne le mouvement d’investissement du sujet supposé savoir », mais
pas pour s’y accorder à son ordre,qui est celui du discours du maître, c’est à dire, celui de l’inconscient, mais plutôt
pour le contrarier, juste pour produire le quart de tour qui fait venir au jour son envers. Autrement dit, l’acte
analytique à couper le lien entre S1 et S2, il isole le signifiant S1 hors-sens, à la place du produit, et de ce fait le savoir ,
c’est à dire S2, vient à la place de la vérité. Pour cela, comme dit Graciela , l’acte va contre l’inconscient. Par cette
voie, qui est celle de la rencontre de la croyance transférentielle -voire de l’amour - avec l’acte de l’analyste, le
dispositif de semblant du discours analytique, aurait une chance de toucher au réel.

3- Dans mon texte du PapersN°1, comme le signale Graciela, j’avais mis l’accent sur ce point.

Or, comme l’indique Jacques Alain Miller, les séances qui sont toujours la même chose, on dirait presque toujours la
même séance, à cause du défaut de l’acte analytique (tel que l’exprimait si bien Georges Pérec dans le récit
de son analyse que j’ai commenté), ces séances, dominées par le rite et la routine, produisent comme
conséquence généralement , que les événements imprévus aient lieu en dehors. A cet égard l’acting
out en est l’exemple majeur. Ici le « bout de réel » est chassé en dehors du lieu de l’analyse. Les rites préservent
de l’irruption du réel.

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En revanche, si nous posons que l’analyste se fait par son acte agent de la contingence, et par ce biais il promeut la
démonstration du réel en tant qu’impossible, alors nous introduisons par là une problématique majeure en ce
qui concerne le maniement des « pouvoirs de la parole » dans la direction de la cure.

Traiter cette question comporte de tenir compte des différentes périodes dans l’enseignement de Lacan, selon
l’orientation que nous tenons de Jacques Alain Miller. A cet égard, il serait intéressant de dégager les principes
de la direction de la cure selon les différents moments de l’enseignement de Lacan, a fin de décliner ses «
varités ».

C’est à mon sens une voie à suivre.

4 - En tout cas, il y a , me semble–t-il, un abîme entre le Discours de Rome, où Lacan dégage les principes de l’action
analytique à partir du champ du langage et de la fonction de la parole, productrice des effets de sens et de vérité,
et la coupure radicale qui est introduite par Lacan au cours de son dernier enseignement , comme Jacques Alain Miller
l’a dégagé dans l’orientation lacanienne ; où la parole est ravalée au rang d’une jouissance autistique, le savoir
tombe au rang de l’élucubration, et le sens nous enferme irrémédiablement dans la débilité mentale.

Par voie de conséquence, si l’expérience analytique prend comme principe de son orientation le réel, en tant
que hors-sens et sans loi, celui-ci nous confronte à une façon de « faire » qui ramène la pratique aux antipodes de la
seule prise en compte des effets de sens et de vérité provenant de la parole.

Lorsque Lacan place le réel comme principe d’orientation de l’expérience, alors il affirme l’aspiration « d’aller
plus loin que l’inconscient « . La question devient dès lors, celle de comment opérer avec la parole pour ne pas se
laisser enfermer dans le champ du langage, c’est - à- dire dans l’élucubration de savoir qui participe du mensonge
du symbolique ? L’opération analytique deviendrait -elle équivalente d’un savoir faire avec la lalangue ? En tout
cas Lacan va jusqu’à affirmer qu’il n’est pas impossible que la vérité devienne « un produit du savoir-faire » (
leçon du 18 novembre 1975). Cette affirmation comporte que la pratique analytique participe de la techné . Dans ce
sens, son agent n’est autre que l’artisan.

Je me propose de suivre ce fil dans le prochain numéro de Papers.

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