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Bulletin de la Société française du

Rorschach et des méthodes


projectives

Techniques projectives et choix professionnel : apports et limites


André-Michel Gardey

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Gardey André-Michel. Techniques projectives et choix professionnel : apports et limites. In: Bulletin de la Société française du
Rorschach et des méthodes projectives, n°35, 1991. pp. 95-104;

doi : https://doi.org/10.3406/clini.1991.962

https://www.persee.fr/doc/clini_0373-6261_1991_num_35_1_962

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Résumé
Face à une demande latente du sujet, qui dépasse souvent le seul conseil d'orientation, l'utilisation du
Rorschach et du TAT ne le place pas seul face à lui-même, mais face à un psychologue auquel il
adresse un discours (ponctué de mouvements régrédients et progrédients sollicités par le médiateur
qu'est le test). Le psychologue devient le dépositaire d'un discours unique, porteur d'une situation
transférentielle incontournable. Nous situons là les limites du recours aux techniques projectives en
orientation professionnelle : comment percevoir et travailler ce transfert, surgissant dans un espace-
temps trop bref, pour permettre au sujet de démarrer un processus de changement favorisant une
intégration socioprofessionnelle positive et porteuse d'estime de soi ?

Abstract
In case of a latent demand, going further than a simple counsel in vocational guidance, using the
Rorschach and the TAT doesn't put the subject in front of himself, but in front of the psychologist, to
whom he gives a speech (punctuated whith regredient and progredient pulses, requested by the test).
Then, the psychologist becomes depositary of a unique speech, opening a transferencial relationship.
Here, are located the limits of projective test in vocational guidance : how to perceive and how to
analyse this transferencial situation, in such a short space/time, in order to help the subject in starting a
change process to get a positive professional adaptation with a real self-esteem ?
TECHNIQUES PROJECTIVES ET
CHOIX PROFESSIONNEL :

APPORTS ET LIMITES (i)

André-Michel GARDEY*

Face à une demande latente du sujet, qui dépasse souvent le seul conseil d'orientation,
l'utilisation d Rorschach et du TAT ne le place pas seul face à lui-même, mais face à un
psychologue auquel il adresse un discours (ponctué de mouvements régrédients et
progrédients sollicités par le médiateur qu'est le test). Le psychologue devient le dépositaire
d'un discours unique, porteur d'une situation transférentielle incontournable. Nous situons là
les limites du recours aux techmques projectives en orientation professionnelle : comment
percevoir et travailler ce transfert, surgissant dans un espace-temps trop bref, pour permettre
au sujet de démarrer un processus de changement favorisant une intégration
socioprofessionnelle positive et porteuse d'estime de soi ?

In case of a latent demand, going further than a simple counsel in vocational guidance, using
the Rorschach and the TAT doesn't put the subject in front of himself, but in front of the
psychologist, to whom he gives a speech (punctuated whith regredient and progredient pulses,
requested by the test). Then, the psychologist becomes depositary of a unique speech, opening
a transferencial relationship. Here, are located the limits of projective test in vocational
guidance : how to perceive and how to analyse this transferencial situation, in such a short
space/time, in order to help the subject in starting a change process to get a positive
professional adaptation with a real self-esteem ?

Ce qui m'a incité à intervenir dans ce symposium sur la place des techniques
projectives dans le choix professionnel, c'est surtout qu'il s'agit d'un champ
normatif d'application des techniques projectives. En effet, depuis longtemps, je
m'interroge sur le "normal" au Rorschach et au TAT, et je trouve personnellement
qu'il y a pas assez de recherches en techniques projectives qui vont dans le sens
d'une approche clinique du normal.

* Psychologue Conseil, 8, rue Fustel de Coulanges à 75005 Paris. .

(1) Communication au symposium de la société du Rorschach et des méthodes projectives de


langue française "la place des techniques projectives dans le choix professionnel et les
processus de changement"
Liège - Château de Colonster - 24 novembre 1990. «
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Je vais donc vous parler aujourd'hui de mon rapport aux techniques


projectives, en relation avec le cadre de référence que j'utilise pour
l'interprétation des protocoles, c'est à dire la psychanalyse, et enfin des questions
que ne manque pas de me poser ma pratique de psychologue travaillant en partie
avec des populations normatives.

Afin de bien demeurer dans le sujet qui nous réunit ici, j'ai choisi de me
centrer sur la pratique de l'orientation professionnelle des adolescents ou des
jeunes adultes.

CHOIX PROFESSIONNEL

A) Définition brève des termes

Avant d'aller plus loin, définissons les termes qui seront les mots-clés de
cette communication :

Vocation

Si VOCATION signifie "une vive inclination pour une profession", un peu


comme un appel (puisque la racine latine vient de vocare, appeler) qui s'inscrit
en soi et s'impose comme inéluctable, alors ce n'est pas de vocation que je
parlerai.

Choix professionnel

J'utiliserai plus volontiers les termes CHOIX PROFESSIONNEL, qui


expriment bien que le sujet opère un tri, et sélectionne selon des critères qui
peuvent varier pour chacun, les solutions souhaitables, probables pour finir par
adopter la solution possible en fonction de divers paramètres, à la fois objectifs
et subjectifs.

Orientation professionnelle

C'est face à ce Choix Professionnel que, dans la pluspart des cas le sujet
consulte pour une ORIENTATION PROFESSIONNELLE, laquelle se pratique
dans le cadre du conseil et de l'aide à la décision. S'orienter signifie que l'on
va déterminer sa position propre par rapport à un certain nombre de données
extérieures (par exemple régler sa position dans l'espace par rapport aux points
cardinaux et choisir sa route en fonction d'un but à atteindre et de ces données
externes que sont les points cardinaux). Dans le cadre de l'orientation
professionnelle, le sujet tentera de se situer en fonction de ses aptitudes
propres, de ses motivations, mais aussi d'éléments extérieurs tels que les
données socio-économiques du moment et prévisionnelles pour le futur.
TECHNIQUES PROJECTIVES ET CHOIX PROFESSIONNEL 97

C'est donc dans ce décor-là, représenté par la consultation pour une


Orientation Professionnelle qui débouchera sur un Choix Professionnel
engageant l'avenir et le mode de vie du sujet, que je vais m'attarder sur
l'utilisation des techniques projectives.

Mais auparavant, interrogeons-nous rapidement sur la pratique de


l'Orientation Professionnelle.

B) Interrogation sur la pratique de l'orientation professionnelle

Habitué à travers l'écoute flottante d'un discours manifeste à mieux


entendre le discours latent, j'aimerais qu'on s'interroge un peu sur ce que sous-
tend, à mon avis, dans la plupart des cas une demande manifeste d'Orientation
Professionnelle.

On entre ici dans le cadre du Désir latent du sujet, et de son impossibilité à


être dit dans la forme manifeste du discours, et partant de l'accès à la
connaissance de ce Désir par le psychologue et par le sujet lui-même.

Pour parler plus simplement, j'ai pour habitude de me poser


systématiquement la question de savoir ce que cache une demande d'Orientation
Professionnelle. En effet, nous sommes bien en présence d'une demande d'aide
de la part du sujet, souvent sous la pression de l'entourage familial, scolaire ou
professionnel. Or qui dit demande d'aide, renvoie à malaise, difficulté à se situer
face à soi (Identité), aux autres (Identifications) et au monde qui comprend soi et
les autres (Relations d'objet).

Autrement dit, que se cache-t-il derrière cette demande parfaitement


socialisée, c'est à dire dicible parce que manifestement adaptée à la réalité du
sens commun et donc normative dans ses formes ?

En effet, dans le cadre d'une consultation pour une Orientation


Professionnelle, nous avons affaire régulièrement à des sujets fragilisés, et nous
nous apercevons souvent que le motif qui les fait consulter, bien que réel et
rationnel, est souvent un motif/écran . Mon avis est que ce moment d'un choix
qui engage tout l'avenir, c'est à dire un espace inconnu anxiogène, réactive une
problématique d'identité chez le sujet, aussi bien que sont remises en question les
éventuelles difficultés de relation à soi et aux autres.

La plupart du temps, les jeunes sujets qui consultent manifestent des


difficultés à se percevoir, au niveau de la représentation de soi, comme un tout
unitaire, permanent et stable, à la fois suffisamment étanche et ouvert aux autres :
ils expriment généralement une image de soi parcellaire, fragmentée, instable ou
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floue au niveau des identifications sexuelles. Cette confusion au niveau de la


représentation de soi, surtout lorsqu'elle s'accompagne, notamment chez les
adolescents, d'une réactivation des difficultés relatives aux processus
d' individuation, renforce la difficulté des sujets à prendre position face à un choix
professionnel, qui engagera les adultes qu'ils seront plus tard.

On comprend donc que, dans ces conditions, la pratique de l'Orientation


Professionnelle ne peut se borner à l'examen des aptitudes et connaissances des
sujets à partir duquel seraient prodigués des conseils sur telle ou telle filière
professionnelle.

METHODOLOGIE DE L'ORIENTATION PROFESSIONNELLE

Regardons rapidement quelle est la méthodologie de l'Orientaion


Professionnelle et quelle a été son évolution au cours de ces deux dernières
décennies.

A) La pratique de l'O.P. jusqu'à ces dernières années

Il n'y a pas si longtemps, on axait encore un examen d'Orientation


Professionnelle principalement sur le potentiel intellectuel et le niveau des
connaissances du sujet, à partir de quoi, en s' aidant accessoirement d'un
questionnaire d'intérêt, on faisait des propositions d'orientation vers telle ou telle
formation.

Grosso modo, cela se passait ainsi : lors d'un entretien, le sujet était invité à
faire part au conseiller de ses difficultés à s'orienter, et le conseiller investiguait
son passé scolaire et s'informait sur ses éventuels souhaits et attentes quant à la
vie professionnelle future.

Puis on invitait le sujet à se soumettre à une série de tests d'aptitudes et


d'acquisition, agrémentés d'un questionnaire d'intérêt. Les résultats quantitatifs
aux tests passés servaient de canevas au conseiller pour faire des propositions
d'orientation cohérentes avec les capacités quantifiées du sujet.

B) Réalité du monde du travail actuel

Il est clair que les notions d'âge mental, ou de Q.I. sont devenues obsolètes
de nos jours, en matière d'Orientation Professionnelle.

Ce qui a fait changer la pratique de l'Orientation Professionnelle au cours


des deux dernières décennies, c'est que l'économie et ses nécessités de
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développement à l'échelle planétaire, implique de la part des entreprises et des


individus une capacité d'adaptation et de changement permanent.

Je veux dire par là qu'il ne suffit plus d'une bonne formation de départ alliée
à un bon potentiel pour se couler dans un creuset où sa carrière se fera bon gré
mal gré.

Les connaissances de chacun sont en effet à actualiser régulièrement, tout au


long d'une carrière, si l'on veut être compétitif sur un marché de l'emploi de plus
en plus tendu et exigeant.

Aujourd'hui une carrière ne progresse plus de façon linéaire, mais de façon


irrégulière, car les sujets doivent être à même d'opérer des mutations totales ou
partielles de leur savoir-faire afin de s'adapter à des fonctions sans cesse
modifiées dans leur contenu de par l'apport de technologies nouvelles. Prenez
l'exemple simple du travail de bureau : depuis l'invasion de l'informatique et de
la bureautique, la fonction de secrétaire a tendance à disparaître car son contenu
s'est vidé et a été avantageusement remplacé par la capacité d'exploitation de
données multiples des différents logiciels; et l'on voit apparaître de nouvelles
fonctions, telles que celle d'assistante, qui ne requière pas les mêmes qualités à
mettre en oeuvre que celles qu'on attendait d'une secrétaire.

Celui ou celle qui ne prévoit donc pas cette nécessité d'adaptation régulière
au paysage du travail sans cesse remodelé par les impératifs économiques
d'efficacité et de productivité, se crée des handicaps lourds de conséquence pour
son avenir.

Vous comprenez aisément que dans ces conditions, le psychologue lui-


même ne peut pas se permettre un déphasage par rapport à la réalité du terrain
dans le cadre des Orientations Professionnelles qu'il réalise : il doit intégrer le
problème du changement et de la capacité d'adaptation dégageante du sujet dans
ses conseils.

C'est pourquoi, on remarque aujourd'hui qu'un large consensus se fait sur la


place centrale de la personnalité dans une Orientation Professionnelle.

C) La pratique de l'orientation professionnelle de nos jours

En effet, il semble aussi important sinon plus important de connaître


qualitativement les possibilités de mobilisation par le sujet de ses potentialités,
que de seulement quantifier lesdites potentialités.
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Et pour cela, il faut procéder à une approche clinique des modalités de


fonctionnement de la personnalité, qui permet au psychologue d'élaborer un
diagnostic, à partir duquel il pourra fournir un pronostic d'orientation en relation
avec le sujet.

De plus, l'utilisation du terme "examen" psychologique, en vogue dans les


années 50 et 60, est tombée en désuétude de nos jours, et nous préférons lui
substituer le terme de "bilan" psychologique.

L'utilisation des tests, qui a été parfois outrancière, dans l'examen


psychologique répondait à un besoin d'évaluation objectif et quantitatif, c'est à
dire qu'ils servaient à mesurer des aptitudes, et c'est la signification univoque
d'un résultat qui primait sur tout.

Comme le souligne Nina RAUSCH de TRAUBENBERG (1990), le bilan


psychologique quant à lui, se construit selon "un modèle dynamique, faisant
alterner des épreuves inscrites dans la réalité objective et d'autres relevant de
l'activité imaginaire". Ce n'est que par le biais de cette dynamique que le sujet
aura la possibilité d'avoir recours à deux pôles d'expression, l'un objectif, l'autre
imaginaire. Il est essentiel que le psychologue, lors d'une Orientation
Professionnelle puisse saisir le fonctionnement mental d'un sujet comme
englobant les pôles émotionnels et cognitifs de son développement psychologique.

C'est donc dans l'espace interactif entre pôle cognitif et pôle émotionnel,
que se fait la lecture du fonctionnement psychique du sujet. C'est ainsi que nous
approchons les choix préférentiels de tels ou tels mécanismes de défense par le
sujet, le niveau de sa problématique, les capacités de son Moi à fonctionner
comme organisateur gérant les différents conflits intrapsychiques et permettant
ou non au sujet un dégagement opérant, adaptatif à la réalité extérieure.
Cette lecture permet de comprendre et de se prononcer sur les capacités du sujet à
mobiliser ses ressources dans un but de réalisation d'objectifs. Nous sommes
donc éclairés sur ses capacités, dans sa confrontation avec la réalité externe, à
négocier dans le sens d'une créativité de nouvelles normes d'adaptation.

PLACE DES TECHNIQUES PROJECTIVES DANS LE BILAN


PSYCHOLOGIQUE

A) Apport des techniques projectives, Rorschach et TAT

Dans ce contexte-là, les techniques projectives telles que le Rorschach et le


TAT se montrent d'une richesse extraordinaire pour investiguer les modalités du
fonctionnement de la personnalité.
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Le Rorschach est une épreuve qui, à partir d'un stimulus visuel très limité
dans l'espace, renvoie aux fondements mêmes du fonctionnement psychique, à
paritr de données telles que l'exploration perceptive, la projection fantasmatique,
le maniement des défenses et la tonalité émotionnelle.

Le TAT, à partir d'une histoire produite par le sujet en réaction aux planches
figuratives proposées, met en évidence, par l'analyse simultanée des procédés
d'élaboration du discours et des problématiques exprimées, l'importance de la
prise en compte de l'épaisseur des constructions langagières, à entendre non
seulement en termes de signifiants ou de syntaxe structurale, mais aussi en termes
de représentations et affects.

Ainsi que le préscisent Didier ANZIEU et Catherine CHABERT (1983), le


sujet soumis à un test projectif est libre de ses réponses, à partir du matériel qui
lui est présenté et du type d'activité qui lui est proposé. En fait, les consignes
renvoient le sujet à son propre désir. La qualité particulière du matériel proposé,
tout à la fois concret et ambigu, la sollicitation d'associations verbales à partir de
ce matériel, enfin l'élaboration d'un champ relationnel original entre sujet et
testeur en présence de l'objet médiateur qu'est le test, sont autant de points
communs aux épreuves projectives. Les consignes enjoignent le sujet à imaginer
à partir du voir, ce qui est censé déclencher la mobilisation de conduites
perceptives et de conduites projectives.

Ainsi, ces épreuves nous permettent de tester la qualité du rapport du sujet


au réel en même temps que l'intégration d'une réalité psychique dans son
système de pensée.
Face à une épreuve projective, le sujet doit donc réagir et s'organiser pour faire
face à la fois à son monde intérieur et à son environnement. Vica SHENTOUB,
dans un article de 1981 sur le TAT, test de créativité, souligne le caractère
paradoxal des consignes qui demandent au sujet de s'attacher à la réalité du
matériel tout en créant de images ou des scénarios qui n'y sont pas représentés.
Le test projectif se définit en effet par l'appel à un double mode de
fonctionnement : la référence au réel et le recours à l'imaginaire.
Pour ce qui concerne le Rorschach, qui n'est pas un test figuratif, l'appel
conflictuel n'est pas aussi déterminé que dans les tests thématiques comme le
TAT par exemple.
Le Rorschach éveille davantage des représentations et des affects liés au corps, de
par sa structure même, qui est symétrique et ordonnée autour d'un axe.
La structuration inconsciente du matériel, la liberté des réponses, le flou relatif
des consignes font de la situation projective une situation "vide" que le sujet doit
combler en mobilisant les ressources profondes de sa personnalité. Cette situation
vide est censée raviver les conflits psychologiques, déclencher l'angoisse et la
régression.
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Il va de soi que face à une telle richesse d'informations sur le


fonctionnement psychique, les techniques projectives se montrent un outil tout à
fait pertinent pour le conseil d'un sujet en quête d'un choix professionnel.

Cependant, il faut mentionner que si les apports de ces techniques sont


indéniables, cela ne va pas toujours sans risques, lequels posent de par le fait de
leur présence certaines limites à l'utilisation de ces techniques en matière
d'Orientation Professionnelle.

LIMITES DES TECHNIQUES PROJECTIVES EN ORIENTATION


PROFESSIONNELLE

Nous avons vu que la liberté d'association laissée au sujet n'est pas sans
rappeler l'invitation à parler librement faite à l'analysant dans une cure
analytique.
Or, dans le cadre de la passation d'un test projectif, le testeur se montre frustrant
pour le sujet car il l'oblige à dévoiler son désir tout en refusant de prendre en
charge celui-ci, s' abritant derrière l'attitude de neutralité bienvaillante
caractéristique du psychanalyste.
Il se crée entre le testé et le testeur, au cours de la passation du test, une ébauche
de relation transférentielle, plus ou moins manifeste et plus ou moins brève.

Comme nous l'avons mentionné plus haut, il arrive souvent que la demande
du sujet dépasse le cadre du simple conseil face à un choix professionnel à
effectuer.
Et nous savons que dans le cas de la passation d'un Rorschach ou d'un TAT, le
sujet n'est pas seul face à lui-même, mais qu'il adresse un discours, ponctué de
mouvements régrédients et progrédients sollicités par le médiateur qu'est le test,
au psychologue qui est là -ici et maintenant- pour entendre ce discours-là. Ainsi
le psychologue devient dépositaire d'un discours unique qui s'inscrit dans
l'espace et le temps, c'est à dire dans l'histoire vivante du sujet. Et ce discours
unique est porteur d'une relation transférentielle incontournable.

En voici un exemple: Thierry vient me consulter à 21 ans pour une


Orientation Professionnelle, après deux échecs successifs au Baccalauréat. Lors
de nos entretiens, je lui fais passer un Rorschach et un TAT. A la fin de nos
entretiens, nous convenons qu'il ne trouvera pas la solution qu'il attend par la
mesure de ses capacités intellectuelles (qui sont bonnes), mais dans la résolution
d'un problème d'ordre affectif et relationnel avec son entourage familial, car il
peut réussir son Bac, mais ne le "veut" pas actuellement. Je lui indique également
que rien ne l'empêche d'ailleurs, après cela de s'orienter vers une carrière
artistique (ses protocoles témoignent d'une richesse fantasmatique fabuleuse);
TECHNIQUES PROJECTIVES ET CHOIX PROFESSIONNEL 103

Il reprend rendez-vous quelque temps après et m'informe qu'il a décidé de


repasser son Bac, mais en secret (secret partagé par moi, à partir de ce moment),
sans le dire à personne.

Six ans passent et Thierry m'appelle un jour pour un rendez-vous. Lors du


premier entretien, je lui demande ce qui l'amène, et il me répond "voilà, grâce à
vous j'ai pu avoir six ans de vie possible", et il ajoute en riant "j'aimerais donc
repartir pour six ans, je voudrais faire une psychothérapie avec vous."

Sur le moment, mon avis est qu'il est revenu parce que depuis six ans j'étais
dépositaire d'un "secret", qui l'avait empêché de vivre comme tout le monde, et
qu'aujourd'hui, il se sent mûr pour aborder son problème et nous délier (lui et
moi) de son secret.
Ses paroles suivantes viennent appuyer mon impression : il sourit, me dit non
sans fierté qu'il a réussi son Bac en cachette après qu'on se fut vus il y a six ans,
et qu'il a jeté son attestation de réussite à la figure de ses parents, qu'ensuite il
s'est inscrit dans une école privée de cinéma qui a coûté très cher à son père.
Puis il m'informe qu'ayant suivi mes conseils d'orientation, il est devenu
réalisateur de films publicitaires, et il enchaîne aussitôt en déclarant "vous savez,
je me souviens bien des tests que vous m'avez fait passer, celui avec les taches
d'encre et l'autre où il y avait une planche avec une avalanche dans la montagne
(PI 11 du TAT. Il faut savoir que son frère cadet s'est tué en montagne quelques
années avant qu'il passe le test), et il poursuit "mon problème est là-bas,
j'aimerais repasser ce test et revoir cette planche".

Il est clair que dans un tel cas, le transfert avait été massif lors de la passation
du test dans le cadre de l'Orientation Professionnelle, et que j'avais été dans
l'impossibilité de travailler ce transfert avec lui, et voilà que six ans après, Thierry
venait me proposer de lui-même un cadre (la psychothérapie) pour analyser et
dépasser ce transfert auquel il était resté fixé pendant toutes ces années.

Ce cas illustre bien que la passation d'un test n'est jamais neutre et qu'elle
se déroule entre un sujet et un psychologue s'appuyant sur un tiers qu'est le test,
l'un pour discourir, l'autre pour écouter.

Et c'est certainement là, dans ce cadre de cette dynamique relationnelle, que


se situent les limites de l'utilisation de ces techniques en matière d'aide à un
choix professionnel : que faire de ce transfert qui surgit dans un espace-temps très
bref, contrairement au transfert en situation de cure analytique, lequel se situe sur
un segment temporel continu et long ?
Comment pour le psychologue percevoir et travailler ce transfert du sujet pour lui
permettre de démarrer des processus de changement qui favoriseront une
intégration socio-professionnelle positive et porteuse de désir de vivre et d'estime
de soi ?
104 GARDEY

CONCLUSION

Pour conclure, je souhaiterais m' adresser particulièrement aux jeunes


psychologues qui assistent à ce symposium aujourd'hui, pour leur dire que les
techniques projectives sont un outil d'investigation de la personnalité aussi
précieux et incisif que peut l'être le diamant. Il faut donc les manier avec la plus
grande des précautions aussi bien au cours de la passation elle-même que lors de
l'analyse et de l'interprétation du protocole. A mon sens, il convient en priorité
de rechercher dans la production du sujet ce qui est positif et qui atteste de sa
capacité à créer de nouvelles normes de fonctionnement, donc à changer, en un
mot chercher ce qui donne signe de vie dans le discours. Il faut aussi se méfier de
la tendance que nous avons tous lorsque nous débutons, à vouloir ne déceler que
ce qui dans un protocole pourrait relever de la pathologie, car n'est-ce pas encore
un signe de santé que de pouvoir s'offrir le luxe de régresser, à condition de
pouvoir se ressourcer dans le cadre d'une régression au service du Moi, opérante
et dégageante pour le sujet dans sa médiation entre le dedans et le dehors ?

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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RAUSCH de TRAUBENBERG N. (Juin 1975). Autour du psychodiagnostic de Rorschach
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milieu professionnel. Psychol. du Trav., EAP, pp. 36-38.
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