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Bulletin de psychologie

Les méthodes projectives : variations expérimentales de deux


dimensions anthropologiques et leurs applications à l'épreuve du
village imaginaire
Loïc M. Villerbu, Bernard Gaillard, Claude Bouchard

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Villerbu Loïc M., Gaillard Bernard, Bouchard Claude. Les méthodes projectives : variations expérimentales de deux
dimensions anthropologiques et leurs applications à l'épreuve du village imaginaire. In: Bulletin de psychologie, tome 52
n°439, 1999. Le test du village. pp. 71-76;

doi : https://doi.org/10.3406/bupsy.1999.14797;

https://www.persee.fr/doc/bupsy_0007-4403_1999_num_52_439_14797;

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bullETÎN de psychologie / tome 52 (1) / 439 / janvier-février 1999

Les méthodes projectives variations :

expérimentales de deux dimensions


Loïc-M. VILLERBU anthropologiques et leurs applications
Bernard GAILLARD à répreuve du village imaginaire
Claude BOUCHARD*

Le retour aux questions inaugurales des mé¬ littéraire ou plastique. On sait ce que Léonard de
thodes projectives repose le problème de l’autono¬ Vinci pouvait faire d’une lézarde dans un mur ;

mie des modes et des types d’interpellation de ces d’autres avec la méthode associative mettaient au
méthodes au regard de théorisations qui en sont ve¬ point des techniques d’écriture ;
nues à les intégrer partiellement, parfois au point - des emprunts aux activités scientifiques
qu’elles en ont perdu leur typicité pour ne plus être contemporaines. Ici, on se référera plus à l’hypno¬
qu’une application du mode interprétatif dominant. se et à ce qui l’a précédé (magnétisme, ou rêve
Il y a là un mouvement naturel, une logique de ter¬ dont la science fut d’abord mantique), à la grapho¬
ritorialisation et d’appropriation qui, périodique¬ logie. Par exemple, le travail présenté en 1886 à la
ment, du fait même de son excès, amène à ré-inter Société de psychologie physiologique par
roger l’usage et les fondements de cadres, devenus H. Ferrari, J. Hericourt, Ch. Richet, sous le titre
habituels, d’interprétation. « La personnalité et l’écriture, essai de graphologie
La question, reprise, de la classification heuris¬ expérimentale» : «si la forme de l’écriture est
tique nous projette dans un champ anthropolo¬ réellement sous la dépendance de ces états de
gique : la psychopathologie en constitue une expé¬ conscience et de personnalité, à chaque personna¬
rimentation. Les épreuves projectives sont des lité différente doit correspondre une écriture diffé¬
modes d’expérimentation de dimensions psycho¬ rente ». Ils constatent, après une mise en veille
anthropologiques. Leurs créations, pour aussi em¬ somnambulique, que les changements opérés dans
piriques et bricolées qu’elles paraissent, obéissent à l’écriture ont porté sur la dimension des lettres, sur
un mouvement structural d’expérimentation locale l’épaisseur des traits, sur leur direction générale...
des conditions psychiques inhérentes à ces dimen¬ Arguments qu’ils mettent à profit pour contester
sions. L’intrigue d’un côté, l’énigme de l’autre or¬ ceux avancés par des spirites « qui arguent d’écri¬
ganisent ces variations structurales. Nous nous pro¬ ture différente des médiums écrivains pour affirmer
posons de montrer, dans cet article, les liens V existence réelle de personnes défuntes qui guide¬
structuraux entre les épreuves relevant de l’énigme raient leur main ».

et, par là, d’ouvrir, par de nouvelles expérimenta¬ Binet en France, dans les Altérations de la per¬
tions, d’éventuelles créations instrumentales pro¬ sonnalité (1912), tiendra des propos semblables en
jectives. les référant à l’hystérie. Une nouvelle ère commen¬
ce : rendre visible des phénomènes d’inconscience.
HISTOIRE DE LA PENSEE PROJECTIVE Il fera d’ailleurs un catalogue de tous ces nouveaux
instruments destinés à rendre visible les phéno¬
La pensée projective s’est construite en emprun¬
mènes se passant à l’insu de la conscience vigile.
tant des formes et des techniques à trois domaines :
Cette période ne se comprend bien que si nous
- des emprunts aux activités divinatoires, la
nous reportons aux questions scientifiques alors
mantique. Ce type d’emprunt a été, jusqu’à présent,
posées et qui ont abouti à offrir deux théorisations
peu étudié dans la mesure où les créateurs en font
contrastées des phénomènes liés à l’inconscience.
eux-mêmes peu référence. Il y a une histoire socio
scientifique de ces techniques à faire. Sans doute Avec le modèle du magnétisme, une énergie cir¬
est-ce plus le type tache d’encre qui se prêterait le cule. On peut la capter, l’utiliser. D’autre part des
mieux, de la cristal-vision (pégamancie, hydroman phénomènes échappent à la conscience de leur au¬
cie, cataptromancie...) à l’encromancie, mais il se¬ teur, le mettent, lui et d’autres, en situation psycho¬
rait également intéressant d’étudier les rapports de logique particulière ; c’est pour en rendre compte
style (d’écriture, de graphe...) avec d’autres procé¬
dés géomantiques ou acutomantiques,de la posture (*) Laboratoire cliniques psychologique, Centre
de
avec la palmomantique ou la transe ; études et recherches en cliniques criminologiques -
- des emprunts aux activités artistiques, de type Université Rennes 2.
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que l’on confirma et inventa une référence scienti¬ était, deviendra le milieu privilégié d’auto-expéri¬
fique : la double personnalité ou la personnalité mentations.
multiple. Pour en montrer l’existence autant que
pour la confirmer, les procédés destinés à rendre vi¬ Eléments de crise de la constitution de la psy¬
sible indirectement cette présence ont été inventés, chologie projective
utilisés. Le schéma théorique sur lequel concepts Hétérogénéité des savoirs de référence. La psy¬
et expériences ont été construits emprunte une tra¬ chologie dite projective est une psychologie élabo¬
me qui va de l’inconscience à la conscience, en tra¬ rée à partir d’un savoir double, à la fois expérimen¬
versant des degrés (infra, sub, supra....). Du « flui¬ tal et expérientiel. Le premier désigne la médiation
de » postulé au départ, c’est à la motricité, qu’un de technologies variées d’observation ; l’objectif
appareil rend visible, que les chercheurs se en est le développement de connaissances sur le
confiaient, en quelque sorte. fonctionnement psychique considéré selon les
La rupture épistémologique fut introduite par structures et les processus d’une part, les représen¬
S. Freud qui fit de l’inconscient un système, et non tations et la genèse d’autre part. Le second indique
plus de l’inconscience une qualité des choses. la prévalence d’une expérience se rapportant autant
L’appareil mental imaginé, dont on connaît les dif¬ aux patients, définis par leur pathologie spécifique,
férentes transformations (Inconscient/Précons¬ qu’à tout un chacun défini par ses régulations/déré¬
cient/Conscient : Ça/Moi/Surmoi : Moi/Idéal du gulations psychiques et ceci dans la perspective
moi/Moi idéal) inaugure, sous une forme non ins¬ d’un changement.
trumentale (non liée à des outils), une nouvelle vi¬ Etudier la psychologie projective revient à exa¬
sibilité. Visibilité ou représentation du fonctionne¬ miner les trois registres de sa constitution :

ment psychique non seulement par le jeu limité - ses dispositifs instrumentaux de connaissance
d’instances (donc de pouvoirs, par exemple figura et les théorisations explicites et implicites de leur
bilité, condensation, déplacement, ordonnancement construction ;

du Préconscient) mais par leur dynamique d’articu¬


- ses références psychopathologiques quand il
lation et les quantités économiques d’énergie au :

s’agit d’une traduction des indices ou symptômes


travail. Ces appareils peuvent prendre des formes
d’un champ autre sur le champ projectif, par
différentes concentriques, en strates superposées,
:
exemple le champ de la cure analytique ou celui de
etc. Ce sont des fictions heuristiques, des représen¬
la psychologie du développement sur le champ pro¬
tations psychiques ou topiques.
jectif (1) ; lorsque la volonté de savoir se porte sur
Ce moment de basculement, jamais totalement la consistance, la logique et la dynamique des élé¬
achevé, a engagé le savoir psychologique sur une ments psychiques supposés être au travail dans tel
autre voie dont les conséquences furent, dans ce qui ou tel type d’expérimentation projective, laquelle
nous intéresse ici, l’invention de la psychologie se définit par le croisement d’une modalité projec¬
projective : passage d’une psychologie des fonc¬ tive sélective et d’une référence psychopatholo¬
tions à une psychologie de l’inconscient. gique précise.
Psychologie des fonctions qui fut d’abord métrique
Les concepts de référence sont profondément hé¬
de par l’invention de la notion de seuil appliqué à :
térogènes. Il n’y a rien de plus « flottant », surdé¬
l’intelligence, la mémoire, l’attention, l’imagina¬
terminé, que le concept de projection lui-même ou
tion. La question de la « volonté » fut peu travaillée
ce qu’on a qualifié de projectif. On sait que les
pour l’être ensuite sous la forme de l’accès au ju¬
techniques projectives ne procèdent pas d’un essai
gement moral. Psychologie de l’inconscient qui, délibéré de construction d’un savoir.
pour se réaliser, dut subvertir le statut même de
l’imagination ; celle-ci devient une voie royale La « projection » (2) en tant que concept n’a pas
grand-chose à voir avec « projectif ». Projection
d’accès, fonction interprète de personnalité cachée,
prend sens d’une aventure l’invention de la cure
latente, secrète, d’autant plus secrète et cachée que :

la mémoire comme fonction demeurait le signifiant des névroses d’une part, l’expérimentation psycho¬
indirect de l’avant de la rupture épistémologique, à logique, au sens large, d’autre part (gestalt théorie,
savoir la double personnalité.
Aussi, quand la psychologie projective définira
progressivement son objet, elle fera référence, dans (1) Villerbu L.M. (1993) Aires d’origine et temporali¬
tés des épreuves projectives, dans Huteau M. Les tech¬
sa construction de la personnalité et/ou du caractè¬
niques psychologiques d’évaluation des personnes. Ed.
re, à la mémoire comme trace et inconscience, et à
EAP, p. 371-376.
l’histoire comme climat et inconscient, une mémoi¬
(2) La récapitulation des sources et mises en perspecti¬
re dont on a connu l’exploitation par l’hypnose ou ve Ali Sami (1970), De la projection, Payot, Paris, et
:

l’écriture..., une histoire qui va s’exploiter par Laplanche J. et Pontalis J. P. (1967), Vocabulaire de la
l’imagination libre ou thématisée selon des modali¬ psychanalyse, articles Projection, p. 343-350, Psycho¬
:

tés diverses. L’imagination, de fonction qu’elle névrose de défense, p. 355-356.


bullETiN dE psycboloqiE 73

psycho-biologie psycho-physique, écologie, théo¬ avec des procédés dont l’art humain ne dispose
rie du champ...) Projectif désigne une formalisa¬ pas ; elle atteint l’inaccessible [...] si la maladie ne
tion expérimentale. Dans la référence analytique, le se chargeait pas de désorganiser pour nous les mé¬
concept de projection renvoie à un conflit d’ins¬ canismes de l’esprit et de nous faire mieux com¬
tances dont la géographie est donnée dans une to¬ prendre son fonctionnement normal, qui donc ose¬
pique ; il se donne à voir soit en processus, soit en rait risquer des expériences que la morale la plus
structures psychopathologiques. En psychologie, le vulgaire réprouve ? » Texte que l’auteur poursuit
concept renvoie plus essentiellement à une hiérar¬ en 1916 dans Les maladies de la volonté « il m’a
chisation d’intérêts, à leur mise en tension, au titre semblé qu ’il y ait quelques profits à traiter cer¬
d’une visée sélective qui tantôt s’appelle besoin, taines conceptions de la psychologie sous celle de
stress, tantôt monde privé. dissolution ». La référence à Lreud, et aux lignes de
Le « projectif » est au principe de la formulation fractures du cristal, est un autre repère convergent.
d’une méthode expérimentale et il définit une ac¬ La méthode pathologique se prescrit sur le modèle
tion de problématisation d’une question, en interro¬ d’un trouble observé. C’est sur ce type de proposi¬
geant une déficience interne, en étudiant des amé¬ tion, implicite/explicite, que nombre de concep¬
nagements défensifs et réactionnels à ce déficit. En tions s’exposeront par la suite : les procédés d’ob¬
tant que formule d’expérience ou projectivité, il servation vont tendre à imiter la « nature » en
s’agit de mise en forme d’une catégorie de ques¬ prescrivant du désordre, en provoquant de la dis¬
tions et de l’incorporation d’une question particu¬ traction, dont les retombées seront analysées. Les
lière. Elle implique toujours un conflit, un choix, conditions d’analyses mobilisent un appareil psy¬
une décision, un malentendu, une référence déci¬ chique en lui supposant une dé-construction pos¬
sionnelle et conflictuelle. Le projectif de la métho¬ sible. La division de la conscience crée un « désar¬
de rend compte de ce qu’il y a toujours un écart, un rimage » des conduites connues, apparente.
écart constitutif entre dire/penser, penser/faire... Une métrologie hétérogène. Où lire les formes
C’est cet écart qui est instrumenté dans nombre de attestant de la réalité des interprétations ? Toute la
registres :
dehors/dedans, ici/là-bas, l’homme/la métrologie projective y est suspendue et cela, de
femme, 1’ enfant/1’ adulte... Ces registres supposés manière polémique. Valider une orientation par ses
conflictualisables sont d’ordre spatial, temporel, re¬ résultats, ou valider un schéma concept par une ex¬
lationnel. Il s’agit d’une observation provoquée, périence de cure, revient toujours, dans le cadre
excluant le schéma SxR, exigeant une problémati¬ projectif, à proposer une grille ou un schéma d’ana¬
sation. C’est un espace de contrainte sélective, au lyse les paramètres dont use l’un ou l’autre champ,
cœur des effets de censure/autocensure, dont cha¬
et cela trop souvent aux dépens d’un travail spécu¬
cune des caractéristiques redouble, en les rendant
latif sur l’appareil psychique supposé. C’est en ce
visibles, les éléments en jeu dans la singularité
sens que l’on peut dire que l’assujettissement de la
d’une expérience incorporant altérité et désir, au¬
technologie projective à ses professionnels n’a guè¬
trui, le monde, moi-même... et ce qui, du désir que
re fait avancer le savoir sur les appareils psy¬
nous en avons, les spécifie.
chiques. La recherche, là, achoppe et ne s’est avan¬
L’épreuve projective teste et met en scène les pa¬ cée que timidement, dans ses inventions de tests,
ramètres d’une situation rendue actuelle. Leur lisi¬
des limites du test d’une part, test des limites inter¬
bilité n’est pas immédiate. La psychologie projecti¬
prétatives, d’autre part de l’appareil mental.
ve s’est, d’autre part, construite sur la méthode
pathologique, son lieu d’émergence fut la patholo¬ Prenons quelques exemples quand il s’agit de la
:

gie mentale ou les troubles singuliers de l’adapta¬ validité, deux types de corrélation sont envisagés et
tion. Somnambulisme, vigi-ambulisme, hypnose... la seconde n’a guère démontré son efficacité scien¬
sont autant de modèles latents ou à demi cachés, tifique corrélation avec un critère externe, tech¬
:

par leurs capacités révélatrices : « l’hypnotisme, nique du portrait, de la prédiction de performance,


écrivait Ribot en 1909, est le procédé le plus effi¬ corrélation avec un critère interne, l’intra-corréla
cace pour pénétrer dans une région de la psyché ; tion. C’est cette dernière qui devrait expérimenter
l’activité inconsciente ou subconsciente [...] elle les a priori de signification de la grille, quitte à la
explore un monde souterrain qui fait partie de bousculer. Sur la fidélité, il s’agit du même problè¬
nous-mêmes qui concerne notre passé et qui est un me : l’un des versants de celle-ci s’obtient d’un ac¬

réservoir de tendances virtuelles d’énergie poten¬ cord entre juge, expert et l’autre, d’une stabilité
tielle n ’ayant pas encore réussi à faire irruption entre deux passations sur des critères dont la dis¬
dans la conscience [...] il est permis de les at¬ cussion est rarement faite, ou dont la réalité sen¬
teindre directement ». Ou encore « la méthode pa¬ sible est contestable. Si l’on se centre, maintenant,
thologique [...] la maladie est une expérimentation sur la sensibilité d’une épreuve, on peut chercher
de l ’ordre le plus subtil, instituée par la nature elle l’influence d’événements sur les formes réactives
même, dans des circonstances bien déterminées et de la personnalité, mais cela ne dit rien de l’auto
74 bu IIni N (Je psycboloqiE

consistance de cette même personnalité, c.-à-d. de Quelles leçons tirer de la mise en question de
ces modifications dans l’appareil mental supposé. ces deux modèles ? Dix propositions se dégagent
des travaux que nous avons engagés dans cette ré¬
CLASSIFICATION EMPIRIQUE, capitulation, à la condition de concevoir l’appa¬
CLASSIFICATION HEURISTIQUE reillage projectif comme une expérimentation des
DES TECHNIQUES PROJECTIVES conditions faites à l’homme en ce qu’il est humain,
Au-delà d’une opération de dénombrement, la autrement dit, dans une anthropo-nomie qui envisa¬
ge la pathologie comme une expérience naturelle
première classification de Frank a eu comme effet
de celle-ci.
de définir les techniques par leur formule expéri¬
mentale propre (le projectif des méthodes) et leur 1) Les expériences projectives posent des ques¬
objet opératoire supposé. Cela nous a appris à dis¬ tions, au-delà et en deçà de leur forme heuristique
socier deux choses : des modalités opérationnelles manifeste. Elles ne sont pas réductibles à la forme
et des objets d’expérience. qu’on leur connaît.
L’histoire de la pensée projective nous montre à 2) Ces questions interrogent les conditions
ce sujet, dans deux modèles différents, deux préoc¬ mêmes de la constitution de l’expérience anthropo¬
cupations relativement attachées à des aires cultu¬ logique.
relles et à leurs pratiques de métier. 3) L’expérience anthropologique, saisie par l’ap¬
Modèle 1. Les classes de test se font à partir d’en¬ pareillage projectif, se réalise fondamentalement
tités affirmées, empruntées, fonctionnelles, dans une sur deux problématiques structurales : V énigme
interférence diagnostic/théorie. Ces entités au d’une part, Y intrigue de l’autre. L’énigme en tant
nombre de deux se sont formalisées différemment qu’elle renvoie à une question traitant de l’origine
dans la succession des langues théoriques domi¬ et que rien ne l’attestera jamais. L’intrigue en tant
nantes. Les éditions successives de l’ouvrage de D. qu’elle renvoie à une organisation des rapports
Anzieu en sont un bon témoignage. Partant de la dans une intentionnalité que rien, non plus n’attes¬
constitution et de l’histoire, il est possible de repérer tera. La réalité de ces deux problématiques se tient
les passages successifs en deux chaînes : constitu¬ au-delà de l’outil, de façon opératoire dans l’in¬
tion-structure-pulsion-espace d’un côté, histoire jonction elle-même : association suspensive de tou¬
contenus de pensée-fantasme-temps de l’autre côté. te autre conduite (à quoi cela fait penser, ressemble,
Modèle 2. Le modèle se caractérise par l’étude évoque ; il s’agit de ce qui échoit, sans qu’aucune
de traits plus que de styles (de personnalité) com¬ organisation manifeste en vienne à dire les origines
me dans le précédent. Ces traits sont fortement cor¬ et les sens), organisation critique d’une intention
rélés à des schémas d’adaptation sociale et l’on ne ou d’une série d’intentions sur un choix (faire du
choix une narration selon les modalités d’un drame
se limite pas aux techniques projectives ; hypothè¬
se d’opérations formelles à l’œuvre (cohérence in¬ qui suppose un état conflictuel).
terne/cohérence externe), refus de frontières entre 4) Deux matrices empiriques rendent compte des
techniques projectives/techniques non projectives objets projectifs théoriques : l’expérience d’inter¬
(intérêt exclusivement centré sur des processus), prétation libre des formes fortuites, l’épreuve
classes de tests faites en vue d’une offre spécifique d’aperception thématique.
(constitution/construction/réfraction/interpréta¬ 5) Chaque expérience anthropologique se définit
tion...), tests construits en vue d’un problème parti¬ à partir de ses modes d’attestation et d’auto valida¬
culier (forme et mode de distorsion/autovalidation tion. Les épreuves projectives posent une question
possible ou non d’une réponse, limitation ou non qu’il faut soutenir, porter, et non résoudre. Son
des réponses...). éventuelle résolution est un échec et donne lieu au
Ces deux modèles ont chacun leur avantage et développement observable d’une psychopathologie
leur limite : l’intérêt pour une entité référentielle et de ses réaménagements.
délaisse l’étude expérimentale des modalités opéra¬ 6) Rorschach, dans sa thèse inaugurale, nous a
toires dans la mesure où elles sont déjà interprétées laissé les prémisses d’une telle analyse. Observer et
dans la référence à un système métapsychologique. énoncer ce qui se passe quand les positions conflic¬
Le courant français y est fortement représenté au¬ tuelles induites ne peuvent être soutenues. Il avait,
tour du groupe de recherche en psychologie projec¬ pour l’exprimer, inventé deux concepts : confabu¬
tive de l’université de Paris V. Dans le modèle 2, lation et contamination. Ce sont deux processus de
l’intérêt pour les formes opératoires délaisse les ratage des stratégies de validation d’une expérien¬
champs théoriques susceptibles d’être mis en ob¬ ce, opératoires sur les deux problématiques anthro¬
servation expérimentale, l’effort est porté sur la pologiques. Dit autrement : des appropriations ty¬
méthodologie et ses effets. Le meilleur exemple ac¬ piques visent à « colmater » un manque de
tuel est constitué des travaux réalisés autour du sys¬ référence (dans le rapport à l’énigme ou à l’in¬
tème intégré de Exner. trigue) ; la confabulation et la contamination sont
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des ratés, tant de l’exigence d’ associer » que de ponse ne vaut pour elle-même sans qu’elle puisse
celle de narrer. être soutenue. C’est à cela que convie l’épreuve in¬
7) Si l’on fait des techniques projectives une ex¬ ventée par Rorschach et que l’on comprend mieux
périmentation des conditions de constitution de si à la question « d’où je viens », il importe d’abord
l’expérience anthropologique, chacune d’entre davantage de comprendre comment chacun sou¬
elles est l’expérimentation différentielle d’un para¬ tient cette question dans les réponses qu’il peut
mètre structural de l’une ou de l’autre des condi¬ donner ; donner une réponse n’est pas trouver la so¬
tions fondamentales de cette expérience. On en in¬ lution.

duira que les techniques projectives sont des Les réponses que chacun peut donner montre¬
variations structurales, encore empiriques, inache¬ ront, ou non, sa capacité à soutenir cette question ;
vées des matrices prototypiques élaborées à partir il le fera en formalisant, par exemple à travers les
de l’ILFF, de Rorschach et du TAT de Murray. données contemporaines de la « Cité idéale », du
8) Par hypothèse, nous conviendrons de dire que « village » ou du « village imaginaire », du « Petit
certaines (investigations formalisées) sont, plus monde », ou des « îles merveilleuses »... (et l’on
que d’autres, aptes à développer des expériences sait aussi que l’ILFF comme le village peuvent se
psychopathologiques, sur un mode non aléatoire. précipiter dans une image du corps) ou en se faisant
l’architecte euphémisant de données disparates au
9) Certains développements psychopatholo¬
titre du Beau.
giques aménagent, par exigence de cohérence, ce
qui fait la condition d’une autre structure. Ce premier axe de formalisation en faisant de
Y utopie sa référence distinctive a construit et mis
L’analyse psychopathologique revient à percevoir,
au travers de consignes appropriées, les moments en acte, en psychologie projective, les tests du vil¬
d’interférences qui en viennent à palier (suppléer, lage (la cité idéale et les mythes qui l’entretiennent,
compenser...) aux déficits que l’on pourra, par édu¬ le commentaire qui le rend acceptable) tout comme
cation, supposer. Certaines formes psychopatholo¬ les Mosaic tests ou les tests de pyramides (l’esthé¬
giques sont, d’autre part, à penser comme ne pou¬ tique et ses rapports avec la figurabilité). Ce n’est
vant pas être représentables dans ces épreuves certainement pas un hasard qu’il faille chercher
telles qu’elles sont proposées par défaut d’incita¬ ailleurs que dans la psychologie projective une
tion (incorporant et formalisant une question exis¬ grande part de ces derniers.
tentielle). De nouvelles consignes sont à imaginer Quant à la question « où vais-je », elle se soutient
par déduction incorporant des déficits spécifiques. de références normatives. La cité idéale donnait à

10) Les états pathologiques (les quatre struc¬


voir la capacité à soutenir une utopie, c’est le savoir
tures) sont à dissocier des pathologies opportunes être-avec, faire-avec, fondamentalement un jeu
(émergeant des conditions sociales) dont on perçoit avec la responsabilité, dans le savoir vivre qui lui
essentiellement les processus et les dynamiques répond en symétrie complémentaire dans des
partielles. Pour estimer celles-ci, nous manquons épreuves telles que le TIDC (test d’intégration dif¬
de procédures projectives de recherche des facteurs
férentielle des conflits) ex-PF de Rosenzweig dans
de risque et de vulnérabilité ; les échelles et inven¬ une référence constante à des conventions par rap¬
taires élaborés parallèlement aux différentes grilles port auxquelles il va être demandé de se situer.
Parallèlement aux demandes de se faire architecte
d’interprétation des épreuves originales en sont un
premier pas. De telles pathologies, en témoignant du Beau, en symétrie complémentaire, il s’agit
d’effets transtructuraux, sont d’importance pour dasn l’arrangement d’images (par exemple) de
étudier le réel des structures citées. donner sens à un rang déjà là (d’où le rapport à la
devinette), ordonnancé en variations limitées.

L’EPREUVE DU VILLAGE IMAGINAIRE


L’expérience de l’intrigue offerte par le TAT se
décompose en semblables variations (Villerbu,
ET LA CLASSIFICATION HEURISTIQUE
1993). Les possibilités diagnostiques prennent avec
DES EPREUVES PROJECTIVES OU
ce schéma une autre dimension, tant dans ce qu’il
NOSO-NOMIE PROJECTIVE
paraît possible d’interroger que dans les formes
Les épreuves projectives sont à considérer com¬ d’interrogations elles-mêmes. En ce qui concerne
me des variations structurales et instrumentales :
l’utopie de la cité, quand elle n’est pas interrogée
des déconstructions expérimentales. Certaines sur le versant de l’image du corps, on perçoit mieux
d’entre-elles, plus que d’autres, totalisent diverses le sens des questions posées par les praticiens, la
variations structurales. C’est le cas de deux
construction terminée ; par exemple, dans les vil¬
épreuves projectives matrices : l’ILFF et le TAT. lages à but réitératif de R. Mucchielli, trois ques¬
L’expérience de l’énigme offerte par l’ILFF se tions, dans des formes différentes, sont toujours po¬
décompose en variations structurelles. Quelle ré¬ sées : lien entre l’habitat et le patient, autre figure
ponse soutenir à la question fondamentale que pose de son statut dans la généalogie ; les questions de
l’origine ? d’où je viens, où vais-je ? Aucune ré¬ frontières et la capacité en faisant du centre de se
76 bullETÎN dE psycholoqiE

Utopie Esthétique Village Monde


Architecture

Mosaic test
Pyramide test Responsabilité
etc. "’ll DC
etc.

Rang à découvrir
Arrangement
- d’images (EAS)
- etc.

Convention
I.L.F.F.

Schéma heuristique élaboré sur l’expérience anthropologique de l’énigme

déployer ; la mobilisation des investissements par (Villerbu, 1993). C’est le mérite des travaux de Y.
la fiabilité du lieu lui même et les conditions so¬ Denis d’avoir conduit, dans l’expérience itérative
ciales qui y sont faites. La constitution du moi-peau des villages imaginaires, une démarche qui a rendu
de D. Anzieu s’analyse en de pareils rapports et des expérimentales nombre d’observations empiriques
formes psychopathologiques s’y lisent aussi poussant à cette systématisation.

BIBLIOGRAPHIE

Bouchard (C.). (1989). Le village imaginaire en Gaillard (B.). (1996). Prolégomènes pour une cli¬
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