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Le TAT en clinique
Rosine Debray
Debray Rosine. Le TAT en clinique. In: Bulletin de la Société française du Rorschach et des méthodes projectives, n°31, 1978.
Les méthodes projectives en médecine psychosomatique. pp. 83-92;
doi : https://doi.org/10.3406/clini.1978.1384
https://www.persee.fr/doc/clini_0373-6261_1978_num_31_1_1384
R. DEBRAY *
Dans une approche qui tente d'appréhender l'économie générale qui préside au
fonctionnement de l'individu, l'habituelle dichotomie qui consiste à considérer d'un
côté ce qui se passe sur la scène mentale et de l'autre les incidents qui peuvent survenir
au niveau somatique ne peut plus être de mise. Il convient alors en abandonnant la
perspective qui isole la psyche du soma de considérer le sujet dans la continuité qui
fait la trame même de sa vie, continuité dans laquelle les incidents somatiques viennent
prendre place au même titre que les autres événements, accidents ou symptômes qui
constituent son histoire. C'est là la perspective de travail qui anime les membres de
1T.P.S.O. (Institut de Psychosomatique) sous la direction du Dr Pierre Marty.
« L'économie psychosomatique » (2) d'un individu donné, considéré à un moment
précis de sa vie, est la résultante de toute une série de processus d'ajustements
extrêmement complexes et multiformes dans lesquels interviennent des facteurs aussi divers
que l'hérédité, le code génétique, les rythmes biologiques propres au sujet mais aussi
les caractéristiques de sa vie relationnelle, la symptomatologie mentale transitoire
ou plus permanente qu'il peut présenter, les traits de caractère, les particularités de
son histoire, etc. Tout ceci n'étant nullement exhaustif.
On voit que cette économie psychosomatique appréhendée à un moment donné ne
peut être que tout à fait singulière, unique pourrait-on dire, à l'image du sujet qui la
réalise, et que toute généralisation à d'autres individus basée sur la classification des
symptômes, que ceux-ci soient somatiques ou psychiques, ne saurait en rendre compte
d'une manière réellement satisfaisante.
C'est reprendre, mais d'une façon sans doute beaucoup plus large, la phrase selon
laquelle il n'y a pas de maladies mais des malades, c'est-à-dire en définitive des êtres
humains toujours différents et non réductibles les uns aux autres. C'est dire aussi que
les particularités de l'économie psychosomatique d'un sujet peuvent être repérées à
tout moment de sa vie et quel que soit apparemment son état de santé physique ou
mentale. C'est dire encore que le vocable psychosomatique, qui, tout en voulant nier la
rupture entre le corps et l'esprit, contribue à la souligner, peut s'appliquer en fait au
fonctionnement économique général de tous les individus humains.
Il n'en demeure pas moins qu'en l'absence d'une symptomatologie somatique précise,
face à un sujet donné, nous avons tendance à « oublier » ce qui se passe au niveau
du corps comme si l'état de bonne santé ou de silence organique allait de soi et ceci
d'autant plus que cela nous permet de nous centrer en toute quiétude sur ce qui se
passe sur le plan psychique, celui que nous privilégions lorsque nous nous orientons
vers une profession dite « psy ».
C'est donc en fait un compromis qui réintroduit le corps à travers des symptômes
somatiques pour lesquels on s'accorde à reconnaître une participation psychique
incontestable qui s'exprime avec la reconnaissance de maladies dites « psychosomatiques ».
Mais ce compromis du même coup réintroduit la dichotomie psyche-soma à travers cette
distinction qui ferait que certaines affections prendraient leur origine dans la psyche
et d'autres pas. -
Sans doute est-ce avec l'observation et l'étude des nourrissons et des jeunes enfants
que cet écueil que constitue le clivage entre le corps et l'esprit peut être le plus
facilement évacué dans la mesure où il semble évident que, pour eux, l'expression
pulsionnelle — ou peut-être vaudrait-il mieux dire vitale — se fait à travers des manifestations
qui engagent d'emblée leur « économie psychosomatique » en relation étroite avec leur
environnement. L'intérêt des psychosomaticiens de 1T.P.S.O. pour ce qui s'est passé
dans la première année de la vie des individus en serait le reflet.
Quoiqu'il en soit, cet effort pour tenir compte de tous les éléments qui ont fait et
qui font le sujet qu'il nous est donné d'examiner ne conduit nullement à négliger ce
qui se passe sur la scène mentale et l'utilisation d'un outil comme le T.A.T. peut nous
donner de précieux renseignements à cet égard. C'est, nous semble-t-il, ce que montre
le protocole de David âgé de 15 ans.
David nous est adressé par son médecin allergologue qui le suit depuis deux ans
pour un asthme récidivant qui fait suite à des rhumes fréquents accompagnés de
fièvre. Le traitement de désensibilisation qui a été entrepris récemment donnerait de
bons résultats malgré le fait que la mère qui se charge de faire des piqûres se soit
involontairement trompée de dosage et qu'elle ait administré des doses dix fois plus
petites que celles que le médecin avait prescrites. C'est cet incident, vécu comme
troublant semble-t-il par l'allergologue, qui l'aurait amené à conseiller une consultation
psychologique.
David est le deuxième enfant d'une fratrie de quatre. Une sœur le précède de
15 mois, un frère le suit d'un an et une dernière petite sœur a six ans de moins que lui.
A propos de son anamnèse, la mère signale qu'après l'avoir nourri au sein pendant
trois semaines il a présenté au moment du sevrage un eczema généralisé qui a cédé
assez rapidement après un changement de lait. L'asthme ne serait apparu qu'aux
environs de la septième année, en étant toujours précédé d'un rhume avec fièvre. Les
crises ont pu prendre cependant de telles proportions que David a été confié à
plusieurs reprise pour la durée de l'année scolaire à ses grands parents paternels en
France, les parents et les frère et sœurs vivant à l'étranger avec de nombreux
déménagements en raison de la profession du père. Il est à signaler que David ne présente
qu'exceptionnellement de l'asthme quand il est chez ses grands parents.
L'adaptation scolaire de David a toujours été médiocre, il est actuellement en classe
de troisième dans un cours privé où il serait un élève passable.
Il s'agit d'un adolescent pas très grand, plutôt inhibé, qui présente une onychophagie
très importante. A l'examen psychologique, il s'exprime à minima et paraît modérément
intéressé par ce qu'on lui propose.
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Planche 5 : (V02") Je vois une chambre, une pièce... je vous la décris ou bien
qu'est-ce que je fais ?... Bon ben je vois une table dont les battants sont repliés, un
buffet... au-dessus du buffet une bibliothèque à moitié pleine... (?) rien du tout.
(2'49")
L'aménagement ici se fait par l'accrochage au contenu perceptif de l'image, renforcé
par la demande qui est faite à l'examinateur. Seuls les objets concrets sont mentionnés
à l'exclusion du personnage féminin qui est scotomise. La question de l'examinateur
concernant ce qui se passe se solde par un refus non dénué sans doute d'opposition.
Planche 6 BM : (11") C'est un homme qui vient s'excuser auprès de sa mère... (?)
Je sais pas moi il a été longtemps absent, il revient à la maison et sa mère lui fait des
reproches... (?) Sa mère lui pardonnera. (l'15")
Avec l'accent qui est mis ici d'emblée sur la culpabilité du fils par rapport à la mère
un aménagement moins « abrasé » se fait jour probablement en liaison directe avec
le refus assez péremptoire qui avait suivi la question posée à la planche précédente.
Malgré le caractère tout à fait banalisé de ce qui est dit, on peut être tenté de lire en
filigrane une allusion à une référence personnelle avec ce thème de longue absence
chez un garçon qui se porte mieux lorsqu'il est confié pour la durée de l'année scolaire
à ses grands-parents paternels, c'est-à-dire loin de sa mère.
Planche 7 BM : (12") C'est une comparaison entre deux générations, le père et le
fils... (?) rien... (?) On voit le père et le fils qui... se confrontent. (l'43")
Le thème de « confrontation » père/fils est donné ici abruptement sans aucun
aménagement verbalisé, l'inhibition étant à nouveau envahissante et signant l'intolérance au
conflit et le peu d'élaboration, en tous cas au niveau du dire, d'une problématique
renvoyant à l'expression de la rivalité, c'est-à-dire en fin de compte au maniement
de l'agressivité.
(1) Cette fiche de dépouillement et l'analyse des items qui la composent sont publiées dans un
précédent article écrit en collaboration avec Madame V. Shentoub (4).
(2) On trouvera la fiche de David à la suite de cet article.
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Il n'est pourtant pas exclu que l'évolution ultérieure se fasse avec l'atténuation,
voire la quasi disparition de la symptomatologie asthmatique, les remaniements liés
à la crise de l'adolescence puis à l'entrée dans la vie adulte, peuvent aboutir à des
modifications économiques notables. Celles-ci affecteront cependant essentiellement
les aménagements au niveau du caractère ou au niveau du comportement, modifiant
l'équilibre relationnel du sujet mais ne modifiant guère son mode de fontionnement
mental qui, en l'absence d'une mobilisation psychothérapique adéquate, conservera les
grandes lignes que nous avons décrites. Aussi bien des symptômes de la série allergique
pourront-ils à l'occasion se manifester dans le cours de la vie de ces sujets à l'instar
de David qui avant l'apparition de son asthme vers 7 ans avait présenté à 3 semaines
un eczéma généralisé au moment de son sevrage.
La prise en charge psychothérapique, si celle-ci peut être réalisée, a pour but d'aider
à une meilleure tolérance de l'angoisse et des conflits en réduisant du même coup le
poids de l'inhibition mentale dont le retentissement sur le fonctionnement intellectuel
est toujours sensible ainsi que nous le montre à nouveau David.
BIBLIOGRAPHIE
1. DEBRAY R. — « Normalité et pensée opératoire », Psychologie Française, 1977, tome 22, n° 1-2.
2. KREISLER L., FAIN M., SOULE M. 1974 — L'enfant et son corps. Coll. Le Fil Rouge, P.U.F.
3. MARTY P. 1976 — Les mouvements individuels de vie et de mort. Essai d'économie
psychosomatique, Paris, Payot.
4. SHENTOUB V., DEBRAY R. — « Que faire d'une excessive richesse fantasmatique.
Interprétation d'un protocole inhabituel de T.A.T. ». Bulletin de Psychologie : Psychologie clinique III.
T. XXXII, n° 339, 309-322.