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Bulletin de la Société française du

Rorschach et des méthodes


projectives

Le TAT en clinique
Rosine Debray

Citer ce document / Cite this document :

Debray Rosine. Le TAT en clinique. In: Bulletin de la Société française du Rorschach et des méthodes projectives, n°31, 1978.
Les méthodes projectives en médecine psychosomatique. pp. 83-92;

doi : https://doi.org/10.3406/clini.1978.1384

https://www.persee.fr/doc/clini_0373-6261_1978_num_31_1_1384

Fichier pdf généré le 17/05/2018


Bull.
nu 31,Soc.
décembre
Franc, 1978,
du Rorschach
pp. 83-92 et des Méth. Proj.

LE T.A.T. EN CLINIQUE PSYCHOSOMATIQUE

A propos du cas d'un jeune adolescent asthmatique

R. DEBRAY *

Dans une approche qui tente d'appréhender l'économie générale qui préside au
fonctionnement de l'individu, l'habituelle dichotomie qui consiste à considérer d'un
côté ce qui se passe sur la scène mentale et de l'autre les incidents qui peuvent survenir
au niveau somatique ne peut plus être de mise. Il convient alors en abandonnant la
perspective qui isole la psyche du soma de considérer le sujet dans la continuité qui
fait la trame même de sa vie, continuité dans laquelle les incidents somatiques viennent
prendre place au même titre que les autres événements, accidents ou symptômes qui
constituent son histoire. C'est là la perspective de travail qui anime les membres de
1T.P.S.O. (Institut de Psychosomatique) sous la direction du Dr Pierre Marty.
« L'économie psychosomatique » (2) d'un individu donné, considéré à un moment
précis de sa vie, est la résultante de toute une série de processus d'ajustements
extrêmement complexes et multiformes dans lesquels interviennent des facteurs aussi divers
que l'hérédité, le code génétique, les rythmes biologiques propres au sujet mais aussi
les caractéristiques de sa vie relationnelle, la symptomatologie mentale transitoire
ou plus permanente qu'il peut présenter, les traits de caractère, les particularités de
son histoire, etc. Tout ceci n'étant nullement exhaustif.
On voit que cette économie psychosomatique appréhendée à un moment donné ne
peut être que tout à fait singulière, unique pourrait-on dire, à l'image du sujet qui la
réalise, et que toute généralisation à d'autres individus basée sur la classification des
symptômes, que ceux-ci soient somatiques ou psychiques, ne saurait en rendre compte
d'une manière réellement satisfaisante.
C'est reprendre, mais d'une façon sans doute beaucoup plus large, la phrase selon
laquelle il n'y a pas de maladies mais des malades, c'est-à-dire en définitive des êtres
humains toujours différents et non réductibles les uns aux autres. C'est dire aussi que
les particularités de l'économie psychosomatique d'un sujet peuvent être repérées à
tout moment de sa vie et quel que soit apparemment son état de santé physique ou
mentale. C'est dire encore que le vocable psychosomatique, qui, tout en voulant nier la
rupture entre le corps et l'esprit, contribue à la souligner, peut s'appliquer en fait au
fonctionnement économique général de tous les individus humains.
Il n'en demeure pas moins qu'en l'absence d'une symptomatologie somatique précise,
face à un sujet donné, nous avons tendance à « oublier » ce qui se passe au niveau
du corps comme si l'état de bonne santé ou de silence organique allait de soi et ceci

* Assistante à l'Université René-Descartes, Paris V. Membre de l'I.P.S.O.


— 84 —

d'autant plus que cela nous permet de nous centrer en toute quiétude sur ce qui se
passe sur le plan psychique, celui que nous privilégions lorsque nous nous orientons
vers une profession dite « psy ».
C'est donc en fait un compromis qui réintroduit le corps à travers des symptômes
somatiques pour lesquels on s'accorde à reconnaître une participation psychique
incontestable qui s'exprime avec la reconnaissance de maladies dites « psychosomatiques ».
Mais ce compromis du même coup réintroduit la dichotomie psyche-soma à travers cette
distinction qui ferait que certaines affections prendraient leur origine dans la psyche
et d'autres pas. -
Sans doute est-ce avec l'observation et l'étude des nourrissons et des jeunes enfants
que cet écueil que constitue le clivage entre le corps et l'esprit peut être le plus
facilement évacué dans la mesure où il semble évident que, pour eux, l'expression
pulsionnelle — ou peut-être vaudrait-il mieux dire vitale — se fait à travers des manifestations
qui engagent d'emblée leur « économie psychosomatique » en relation étroite avec leur
environnement. L'intérêt des psychosomaticiens de 1T.P.S.O. pour ce qui s'est passé
dans la première année de la vie des individus en serait le reflet.
Quoiqu'il en soit, cet effort pour tenir compte de tous les éléments qui ont fait et
qui font le sujet qu'il nous est donné d'examiner ne conduit nullement à négliger ce
qui se passe sur la scène mentale et l'utilisation d'un outil comme le T.A.T. peut nous
donner de précieux renseignements à cet égard. C'est, nous semble-t-il, ce que montre
le protocole de David âgé de 15 ans.
David nous est adressé par son médecin allergologue qui le suit depuis deux ans
pour un asthme récidivant qui fait suite à des rhumes fréquents accompagnés de
fièvre. Le traitement de désensibilisation qui a été entrepris récemment donnerait de
bons résultats malgré le fait que la mère qui se charge de faire des piqûres se soit
involontairement trompée de dosage et qu'elle ait administré des doses dix fois plus
petites que celles que le médecin avait prescrites. C'est cet incident, vécu comme
troublant semble-t-il par l'allergologue, qui l'aurait amené à conseiller une consultation
psychologique.
David est le deuxième enfant d'une fratrie de quatre. Une sœur le précède de
15 mois, un frère le suit d'un an et une dernière petite sœur a six ans de moins que lui.
A propos de son anamnèse, la mère signale qu'après l'avoir nourri au sein pendant
trois semaines il a présenté au moment du sevrage un eczema généralisé qui a cédé
assez rapidement après un changement de lait. L'asthme ne serait apparu qu'aux
environs de la septième année, en étant toujours précédé d'un rhume avec fièvre. Les
crises ont pu prendre cependant de telles proportions que David a été confié à
plusieurs reprise pour la durée de l'année scolaire à ses grands parents paternels en
France, les parents et les frère et sœurs vivant à l'étranger avec de nombreux
déménagements en raison de la profession du père. Il est à signaler que David ne présente
qu'exceptionnellement de l'asthme quand il est chez ses grands parents.
L'adaptation scolaire de David a toujours été médiocre, il est actuellement en classe
de troisième dans un cours privé où il serait un élève passable.
Il s'agit d'un adolescent pas très grand, plutôt inhibé, qui présente une onychophagie
très importante. A l'examen psychologique, il s'exprime à minima et paraît modérément
intéressé par ce qu'on lui propose.
— 85 —

Son niveau au Wechsler est légèrement supérieur à la normale:


QI G = 107
QI V = 104
QI P = 110
On y relève une chute élective aux épreuves « fragiles » : série de chiffres et code.
A la Figure de Rey les résultats sont médiocres, d'un niveau de 7-8 ans.
L'organisation de l'espace paraît défaillante, sans repères stables, il n'y a pas de perception de
l'armature centrale ni à la copie ni à la mémoire, cette dernière étant très désorganisée
avec des éléments déformés, incomplets, omis et d'autres surajoutés.
Voici ce que David nous dira au T.A.T. :
Planche 1 : (5") Je me mets à la place du garçon ? Je regardais ce violon qui depuis
la veille au soir avait semblé m'attendre sous une couche de poussière importante dans
le vieux cagibi du fond du jardin. Mon grand-père l'avait sans doute laissé là, ayant
trouvé... en ayant trouvé un autre plus beau... (?) j'en sais rien du tout. (l'53")
On voit qu'après l'interrogation initiale, David se lance dans une interprétation assez
libre et riche en utilisant le pronom personnel « je ». Mais avec l'introduction du
personnage du grand-père donné comme mieux « nanti » que le sujet de l'histoire, c'est
l'inhibition qui apparaît, suivie d'un blocage que la question de l'examinateur ne
parviendra pas à lever. Si l'on peut dire qu'il s'agit bien ici de la réactivation d'une
problématique qui tourne autour de la castration dans un contexte de rivalité face à une
image paternelle, problématique somme toute banale pour un adolescent de 15 ans,
ce qui nous paraît le plus important à souligner c'est l'intensité du blocage qui fait
suite à un début d'histoire témoignant de possibilités de fantasmatisation dont pour
finir il n'est rien fait à l'image du violon perçu, identifié et non touché.
Planche : 2 (6") Le cheval tirait la charrue tandis que les femmes... appuyées contre
un arbre... se parlaient entre elles. Le sillon était droit, profond... ils s'alignaient recti-
lignes et le laboureur... encourageait son cheval de la voix avec une petite baguette...
et d'une petite baguette le forçait à avancer. (?) (2'07")
Confronté au triangle œdipien donné par la planche, David se cantonne à une
description « cloisonnée » où les objets : cheval, sillons, baguette, viennent en quelque
sorte servir d'écran entre les personnages au même titre que l'inhibition qui perce
dans les silences intra-récit. On peut noter cependant le rapprochement aconflictuel
des deux femmes vues comme se parlant entre elles, ce qui n'est pas vraiment en
accord avec le contenu manifeste et le déplacement du conflit sur le laboureur qui
« force » le cheval à avancer.
Planche 3 BM : (3") Je vois pas. (?) l'9" Je vois un garçon qui est en train de pleurer
sur son lit... (2'05")
Face à la position dépressive qui est cependant évoquée, c'est l'inhibition qui devient
envahissante et apparemment indépassable.
Planche 4 : (V (?)... V12") D'après le visage de l'homme s'exprime un refus... (?)
Je sais pas, la femme lui demande certainement quelque chose que l'homme ne peut
pas. (?) J'ai pas idée. (2'03")
L'inhibition persiste ici et l'intolérance aux conflits déjà perceptible à la planche 1
puis à la planche 2 s'affirme nettement avec la non élaboration d'une histoire centrée
autour de l'expression de l'agressivité dans le couple.
— 86 —

Planche 5 : (V02") Je vois une chambre, une pièce... je vous la décris ou bien
qu'est-ce que je fais ?... Bon ben je vois une table dont les battants sont repliés, un
buffet... au-dessus du buffet une bibliothèque à moitié pleine... (?) rien du tout.
(2'49")
L'aménagement ici se fait par l'accrochage au contenu perceptif de l'image, renforcé
par la demande qui est faite à l'examinateur. Seuls les objets concrets sont mentionnés
à l'exclusion du personnage féminin qui est scotomise. La question de l'examinateur
concernant ce qui se passe se solde par un refus non dénué sans doute d'opposition.

Planche 6 BM : (11") C'est un homme qui vient s'excuser auprès de sa mère... (?)
Je sais pas moi il a été longtemps absent, il revient à la maison et sa mère lui fait des
reproches... (?) Sa mère lui pardonnera. (l'15")
Avec l'accent qui est mis ici d'emblée sur la culpabilité du fils par rapport à la mère
un aménagement moins « abrasé » se fait jour probablement en liaison directe avec
le refus assez péremptoire qui avait suivi la question posée à la planche précédente.
Malgré le caractère tout à fait banalisé de ce qui est dit, on peut être tenté de lire en
filigrane une allusion à une référence personnelle avec ce thème de longue absence
chez un garçon qui se porte mieux lorsqu'il est confié pour la durée de l'année scolaire
à ses grands-parents paternels, c'est-à-dire loin de sa mère.
Planche 7 BM : (12") C'est une comparaison entre deux générations, le père et le
fils... (?) rien... (?) On voit le père et le fils qui... se confrontent. (l'43")
Le thème de « confrontation » père/fils est donné ici abruptement sans aucun
aménagement verbalisé, l'inhibition étant à nouveau envahissante et signant l'intolérance au
conflit et le peu d'élaboration, en tous cas au niveau du dire, d'une problématique
renvoyant à l'expression de la rivalité, c'est-à-dire en fin de compte au maniement
de l'agressivité.

Planche 8 BM : (9") C'est un garçon qui va se faire opérer... et qui appréhende...


C'est tout... (?) deux chirurgiens en train de l'opérer. C'est tout. (55")
Comme en réponse à la question de ce qu'il en est de ses possibilités de maniement
de l'agressivité, David évoque ici le retournement de l'agressivité sur le sujet lui-même
dans un mouvement où l'inhibition prend une coloration phobique, la défense se faisant
à nouveau dans un deuxième temps et après question par l'accrochage au contenu
perceptif.
Planche 10 : (11") On voit une femme et un homme, puis voilà. (30")
Il s'agit ici, face au rapprochement hétérosexuel tendre, d'un refus faisant suite à
une simple dénomination des personnages.
Planche 11 : (8") Je vois pas ce que ça peut être. (15") Un chemin rempli de pierres
qui conduit à une forteresse, un orage... des éclairs, une espèce de monstre. C'est tout,
d')
Après une tentative de refus soulignant l'aspect peu structuré de l'image, David
donne une brève description d'éléments dont le caractère phobique est en accord avec
les caractéristiques du contenu manifeste.
Planche 13 B : (52") (?) Un petit garçon qui attend que le temps s'écoule... C'est
tout. (l'14")
Après une très longue latence il s'agit d'une interprétation à minima dans laquelle
on peut à nouveau sentir un mouvement de référence personnelle à la situation actuelle
— 87 —

vécue comme vraisemblablement persécutante, ce qui entraîne inhibition, passivité


et réaction d'opposition à minima.
Planche 13 MF : (12") C'est un homme qui pleure de désespoir... (?) je sais pas, la
personne qui est dans le lit est morte. (115")
L'affect dysphorique est donné d'emblée mais suivi à nouveau d'un important blocage
que la question ne fera que lever partiellement avec la dénomination vague de la
« personne morte ».
Planche 19 : (15") Une maison sous la neige, un orage... c'est tout. (40")
Ici l'interprétation à minima est banale, la reprise de l'expression « un orage » venant
rappeler l'évocation de la planche 11.
Planche 16 : (40") Je ne sais pas moi, je suis sur la plage, je vais faire du bateau...
Il y a du vent mais la mer est calme... le bateau arrive, j'embarque et la promenade est
agréable. Voilà. (l'40")
A nouveau une assez longue latence initiale suivie de l'évocation d'une activité
solitaire mais agréable et habituelle pour David en vacances ; la restriction reste très
importante et les éléments phobiques, le vent, paraissent tout à fait tenus dans
l'assertion « mais la mer est calme ».

Au total on peut dire que ce protocole pose le problème du poids et de la valeur


de l'inhibition dans l'organisation mentale de David et du rôle que celle-ci peut jouer
dans son économie psychosomatique générale.
Le premier point qui mérite discussion a trait à la nature de cette inhibition. Il
existe en effet une très notable différence entre une inhibition à parler, à dire —
fréquente chez les adolescents — mais qui n'atteint pas pour autant la pensée, et une
inhibition beaucoup plus massive de l'appareil mental qui apparaît comme une
inhibition à penser, c'est-à-dire qui s'accompagne d'un vide mental. Sans doute une distinction
aussi radicale est-elle très difficile à apprécier et peut-être même n' existe-t-il pas de
forme véritablement pure même chez des sujets présentant une « vie opératoire »
dominante (1,2) l'inhibition à dire venant se combiner dans des proportions variables chez
les différents individus à l'inhibition à penser.
Avec David cependant, il semble bien que dans un premier temps au T.A.T. il ait
essayé de satisfaire à la consigne et de raconter une histoire en rapport avec la planche
à l'instar de ce qu'il nous dit à la planche 1 puis à la planche 2 et que l'inhibition à
dire suivie vraisemblablement de l'inhibition à penser, ne se soit déclenchée que dans
un deuxième temps, lorsque ce qu'il a évoqué s'est avéré non élaborable. Nous avons
en effet souligné son apparente intolérance aux conflits liée aux trop grandes quantités
d'affects que ceux-ci suscitent et que l'inhibition contient tout en s'appuyant sur le
raccrochage aux éléments du contenu manifeste des planches, c'est-à-dire en
remplissant le vide avec les données de la réalité extérieure.
Dans cette perspective on peut comprendre que le compromis que David évoque
à la planche 6 BM apparaissent comme le meilleur du protocole puisqu'il est tout
infiltré par sa réalité vécue : le fils est vu comme coupable de ses trop longues absences
et sa mère lui pardonnera, ce qui lui permet du même coup de faire l'impasse sur ce
qui n'est pas élaborable : l'expression et le maniement de l'agressivité face à une image
— 88 —

toute puissante (l'image féminine scotomisée de la planche 5 par exemple). La


problématique de la castration dont nous avons souligné l'impact dès la planche 1 est en
quelque sorte vécue au niveau de l'inhibition à dire, redoublée par l'inhibition à penser,
qui a été scellée dès l'entrée dans la phase de latence avec l'apparition des crises
d'asthme qui vont avoir pour effet d'éloigner David du milieu familial où il est
continuellement malade en le soustrayant du même coup aux conflits parentaux et à
la rivalité fraternelle.
Mais dire que la problématique de la castration est vécue au niveau du symptôme
que représente l'inhibition, c'est dire qu'elle n'est ni élaborée ni vraisemblablement
élaborable dans l'état actuel du fonctionnement économique de David. Ceci peut être
objectivé au niveau de la Fiche de dépouillement i1) remplie à la suite de l'analyse
du T.A.T. (2) où l'on peut voir qu'à la faiblesse des procédés de la série rigidité
s'ajoutent celle des procédés de la série labilité, ce qui atteste du peu de vigueur des défenses
névrotiques. Seuls les facteurs de la série inhibition sont largement représentés avec
le recours à la réalité : celle du matériel et celle de la réalité vécue par le sujet, le tout
étant utilisé sans surcharge fantasmatique notable, donc sans émergence repérable du
processus primaire. Il ne s'agit pourtant pas de dire que toute expression fantasmatique
est absente de ce protocole, ce qui ne correspond pas à ce qu'il nous est donné de voir,
mais de souligner que la réactivation des fantasmes suscités par le matériel n'aboutit
pas à une réelle prise en charge par les processus de la pensée et conduit, au contraire,
à l'inhibition et au blocage. Celui-ci peut faire suite parfois à l'évocation du
retournement masochiste de l'agressivité contre le sujet lui-même comme c'est le cas à la
planche 8 BM par exemple, ou apparaître encore après une brève représentation phobo-
gène non élaborée comme cette référence à « un orage » qui revient aux deux planches
peu structurées 11 et 19.
Au total on voit qu'en ce qui concerne l'élaboration des conflits interpersonnels de
même que la lutte contre l'angoisse, David se révèle démuni et qu'en l'état actuel des
choses la prise en charge qu'il peut effectuer sur la scène mentale en est plutôt réduite.
Sans doute est-on en droit de considérer qu'un tel aménagement dure grosso-modo
depuis le début de la phase de latence, moment auquel les crises d'asthme ont fait
leur apparition dans sa vie. C'est un asthme qui a chez David cette particularité
reconnue par certains pédiatres et évoqués par Michel Fain (2) que l'enfant se porte mieux
lorsqu'il est éloigné de son milieu familial, ce qui peut amener à conseiller une
« parentectomie ». Pour David celle-ci est réalisée avec son placement chez ses grands-
parents paternels chez lesquels effectivement il n'a pratiquement jamais de crise. Une
telle mesure dont l'efficacité est reconnue pragmatiquement pourrait-on dire, mérite
qu'on s'y arrête puisqu'elle signe le lien qui existerait entre les crises d'asthme, dans
cette forme particulière, et la proximité des parents, c'est-à-dire des conflits que cette
proximité engendre. Il est remarquable de souligner qu'une telle mesure n'est envisagée
que pour des enfants entrés dans la phase de latence ou parvenus à l'adolescence,
c'est-à-dire ayant dépassé l'âge du conflit œdipien, mais sans avoir pu apparemment
réaliser une élaboration mentale suffisante des conflits puisque la voie somatique est
engagée lorsque ceux-ci surgissent dans le cours de leur vie familiale et que, par
ailleurs, l'étude de leur fonctionnement mental révèle le plus souvent, comme pour
David, la faiblesse de leurs défenses névrotiques et l'importance du poids de l'inhibition.

(1) Cette fiche de dépouillement et l'analyse des items qui la composent sont publiées dans un
précédent article écrit en collaboration avec Madame V. Shentoub (4).
(2) On trouvera la fiche de David à la suite de cet article.
_ 89 —

Il n'est pourtant pas exclu que l'évolution ultérieure se fasse avec l'atténuation,
voire la quasi disparition de la symptomatologie asthmatique, les remaniements liés
à la crise de l'adolescence puis à l'entrée dans la vie adulte, peuvent aboutir à des
modifications économiques notables. Celles-ci affecteront cependant essentiellement
les aménagements au niveau du caractère ou au niveau du comportement, modifiant
l'équilibre relationnel du sujet mais ne modifiant guère son mode de fontionnement
mental qui, en l'absence d'une mobilisation psychothérapique adéquate, conservera les
grandes lignes que nous avons décrites. Aussi bien des symptômes de la série allergique
pourront-ils à l'occasion se manifester dans le cours de la vie de ces sujets à l'instar
de David qui avant l'apparition de son asthme vers 7 ans avait présenté à 3 semaines
un eczéma généralisé au moment de son sevrage.

La prise en charge psychothérapique, si celle-ci peut être réalisée, a pour but d'aider
à une meilleure tolérance de l'angoisse et des conflits en réduisant du même coup le
poids de l'inhibition mentale dont le retentissement sur le fonctionnement intellectuel
est toujours sensible ainsi que nous le montre à nouveau David.

FICHE DE DEPOUILLEMENT DU T.A.T.


— Nom : DAVID
— Date de l'examen :
— Age : 15 ans
— Profession :
— Niveau scolaire et socio-culturel :

I. Procédés mis en œuvre pour l'élaboration du texte manifeste :


A) Facteurs de la série Rigidité (versus contrôle)
Al:
1) Histoires construites proches du CM. de l'image
2) Recours à des clichés sociaux, littéraires, culturels, etc.
3) Solutions par référence au sens commun
A2:
> 1) Accrochage aux Dd Ban (ou plus rarement évoqués) y compris expressions et
postures
2) Justification des interprétations par ces Dd
3) Précautions verbales
4) Eloignement temporo-spatial
5) Précisions chiffrées, titres donnés à l'histoire (en rapport avec le CM.)
6) Hésitation entre interprétations différentes
7) « Remâchage » (aller-retour entre l'expression de l'agressivité et la défense)
> 8) Eléments du type formation réactionnelle (propreté, ordre, aide, devoir, économie,
etc.) planche 1, planche 2
9) Dénégation
10) Intellectualisation
11) Changement brusque de direction dans le cours de l'histoire (accompagné ou non
de pose dans le discours)
12) D ou Dd évoqué et non intégré
13) « Rumination » - Accent porté sur les conflits intra-psychiques
14) Affect exprimé à minima.
— 90 —

B) Facteurs de la série Labilité (versus laisser-aller)


Bl:
1) Histoires riches, tendance Originalités
> 2) Introduction de personnages non figurant sur l'image, planche 1
3) Identifications souples et diffusées
4) Expression verbalisée d'affects nuancés, modulés par le stimulus.
B2:
1) T.L.I. court, fuite en avant dans l'interprétation
2) Histoires à rebondissements, theatralisme, récits en dialogue, fabulation loin de
l'image
3) Expression verbalisée d'affects « exagérés », goût du drame
4) Représentations contrastées, alternance entre des états émotionnels opposés
5) Aller-retour entre désirs contradictoires - Fins à valeur de réalisation magique
du désir
6) Exclamations, digressions, commentaires, références personnelles
7) Erotisation des relations ; pregnance de la thématique sexuelle et/ou symbolisme
transparent
8) Attachement aux Dd « narcissiques »
9) Instabilité dans les identifications
10) Accent porté sur les relations inter-personnelles
11) Accent porté sur une thématique du style « agir» : aller, courir, dire, fuir, etc.
12) Présence des thèmes de peur, de catastrophe, de vertige, etc.

C) Facteurs de la série Inhibition


+ 1) T.L.I. long et/ou silences importants intra-récits
+ + 2) Tendance générale à la restriction
+ + 3) Conflits non exprimés. Motifs non précisés
> 4) Récits banalisés à outrance, placages
> 5) Anonymat des personnages
+ 6) Nécessité de poser des questions. Tendance refus. Refus
+ 7) Accrochage aux éléments du CM.
8) Accent porté sur le quotidien, le factuel
+ 9) Evocation d'éléments anxiogènes (« phobiques » ou « dépressifs ») suivie ou précédée
d'arrêt dans le discours.

D) Réactions au niveau du comportement


1) Agitation motrice — mimiques et/ou expressions gestuelles
> 2) Demandes faites à l'examinateur
3) Critiques du matériel et/ou de la situation, etc.
4) Ironie, dérision.

E) Emergences du processus primaire


1) Perception de Dd rares
2) Justifications arbitraires à partir de ces Dd
3) Perceptions d'objets morcelles (et/ou d'objets détériorés ou de personnages malades,
malformés)
4) Fausses perceptions
5) Scotomes d'objets manifestes (D)
6) Confusions des identités (« télescopage » des rôles)
7) « Associations courtes »
__ 91 —

8) Abstractions, symbolisme hermétique


9) Perceptions sensorielles
10) Perseveration dans les thèmes en dépit des variations du stimulus
11) Inadéquation du thème au stimulus: considérations métaphysiques, politiques,
philosophiques — fabulation « hors image »
12) Expressions « crues » liées à une thématique sexuelle ou agressive
13) Recherche arbitraire ' de l'intentionalité de l'image et/ou des physionomies ou
attitudes
14) Perception de « mauvais objets »
15) Craquées verbales (trouble de la syntaxe, associations par consonance ou
contiguïté, coq à l'âne)
16) Vague, indétermination, flou du discours
17) Expression d'affects et/ou représentations massifs liés à n'importe quelle
problématique (dont l'incapacité, le dénuement, la réussite mégalomaniaque, la peur, la
mort, la destruction, la persécution, etc.)
II. Résultante :
• /) Procédés présentés : (évaluation de l'éventail défensif)
— A2 (»
-Bl(»
— C + ++
— D (»
— E
2) Evaluation des possibilités de dégagement des fonctions du MOI :
— Lisibilité +
• Procédés non apparents et/ou variés
• Présence des facteurs Al - Bl
• Affects nuancés
• Histoires structurées
• Résonance fantasmatique
— Lisibilité ±
• Prédominance des facteurs A2
et/ou B2
et/ou C
et/ou D
• Production altérée par les mécanismes mis en œuvre, permettant un dégagement
partiel (impact fantasmatique sous-jacent)
— Lisibilité — ou +
• Prédominance des facteurs f£
et © +++
et D
• Défenses massives, affects massifs, envahissement par les fantasmes sous-jacents)
III. Hypothèse concernant l'organisation structurale :
Organisation dominée par l'inhibition dans laquelle les éléments phobiques ne
parviennent pas à être pris en charge par l'élaboration mentale.
N.B. > indique que le procédé apparaît positivement sous forme de tendance
+ indique que le procédé apparaît positivement avec une relative fréquence
++ indique que le procédé est utilisé lépétitivement
(+) indique que le procédé n'a pas une réelle valeur défensive
— 92 —

BIBLIOGRAPHIE
1. DEBRAY R. — « Normalité et pensée opératoire », Psychologie Française, 1977, tome 22, n° 1-2.
2. KREISLER L., FAIN M., SOULE M. 1974 — L'enfant et son corps. Coll. Le Fil Rouge, P.U.F.
3. MARTY P. 1976 — Les mouvements individuels de vie et de mort. Essai d'économie
psychosomatique, Paris, Payot.
4. SHENTOUB V., DEBRAY R. — « Que faire d'une excessive richesse fantasmatique.
Interprétation d'un protocole inhabituel de T.A.T. ». Bulletin de Psychologie : Psychologie clinique III.
T. XXXII, n° 339, 309-322.

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