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Enfance

Une recherche d'équipe sur la débilité mentale


René Zazzo

Citer ce document / Cite this document :

Zazzo René. Une recherche d'équipe sur la débilité mentale. In: Enfance, tome 13, n°4-5, 1960. Nouvelles recherches sur la
Débilité mentale. pp. 335-364;

doi : 10.3406/enfan.1960.2236

http://www.persee.fr/doc/enfan_0013-7545_1960_num_13_4_2236

Document généré le 17/06/2016


Une recherche d'équipe

sur la débilité mentale

Bilan 1960

par

René ZAZZO

§ 1. La contribution que nous apportons aujourd'hui mes


collaborateurs et moi à la connaissance de la débilité mentale
vient s'ajouter aux nombreux articles que nous avons publiés
depuis plusieurs années en diverses revues.
Une première vue d'ensemble de notre travail a été donnée
en 1956 dans un numéro spécial de La Raison (N° 16).
Mais il s'agissait bien plus alors d'entreprendre une
critique générale de la notion de débilité mentale et de réfléchir
sur la convergence de nos travaux avec ceux de collègues
étrangers (Barbel Inhelder à Genève et Luria à Moscou) que d'exposer
le détail de nos techniques et de nos résultats. Sur le plan
expérimental, l'essentiel était la publication du profil-type du débile
mental. Cependant la notion d' hêtêrochronie que je devais
dégager de ce profil pour servir de principe explicatif ou tout au
moins de guide dans nos recherches ultérieures n'était pas
encore formulée.
C'est le bilan établi pour notre participation en 1960 à la
Conférence de Londres 1 qui m'a convaincu de l'opportunité et
de l'utilité d'une nouvelle publication d'ensemble. Le cadre
d'un numéro spécial d'Enfance nous permettait d'ailleurs de
dire mieux et plus complètement ce que nous avions exposé
à Londres.

§ 2. Mais il ne suffît sans doute pas de rassembler en un


recueil nos travaux de la dernière période pour en faire
apparaître l'unité. Ces travaux répondent à une intention commune

1. London Conference on the Scientific Study of Mental Deficiencv (Londres,


24-29 Juillet 1960).
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beaucoup plus qu'à un plan d'ensemble rigoureusement dessiné


au départ. Pour saisir la solidarité qui lie ensemble nos travaux
il convient de rappeler l'intention commune, pour expliquer les
nombreuses différences de ton il faudrait pouvoir tenir compte
de la personnalité de chaque auteur et de ses intérêts propres.
Il faut ajouter que ce travail d'équipe n'était pas une
mobilisation totale et permanente de tous ses membres. Ce travail
a été accompli, parmi bien d'autres tâches, dans le cadre de la
consultation quotidienne du laboratoire de psychologie *. Il s'est
poursuivi pendant presque dix ans. C'est dire qu'en cours de
route et au fur et à mesure que s'enrichissait notre expérience,
les perspectives se sont modifiées, les intérêts se sont déplacés.
Notre travail n'a donc pas cette belle ordonnance qu'un esprit
épris de logique pourrait souhaiter. Mais en cela il y a peut-être
un certain avantage : des idées aberrantes et neuves ont mûri,
qu'une planification plus stricte n'aurait pas permises.

§ 3. De toute façon le lecteur a besoin d'être guidé pour


nous suivre.
Notre ambition fut de reprendre le problème de la débilité
mentale dans toute son ampleur : ses etiologies, son
diagnostic, son pronostic.
La question du diagnostic nous l'avons abordée en premier
et avec la recherche systématique des spécificités de la débilité
mentale : nous avons admis comme hypothèse de travail que
le débile mental n'était pas assimilable à un enfant normal
plus jeune, comme pouvaient le faire croire la pratique des tests
et la notion d'âge mental.
La question de l'étiologie est celle que nous avons le moins
bien étudiée : faute de documents suffisamment sûrs et malgré
les efforts conjugués du Dr Y. Rutschmann et d'Irène Talan
nous ne sommes pas encore encore parvenus à établir de façon
vraiment décisive une diversité de tableaux psychologiques qui
serait en rapport avec la diversité des causes de la débilité.
Enfin, c'est dans les trois dernières années que nous nous
sommes attaqués à la question du pronostic. Si nos résultats
sont encore loin d'être décisifs ils sont en tout cas très
encourageants. Nous sommes partis d'un constat assez facilement

1. Laboratoire de Psychologie de l'Hôpital Henri Rousselle (Centre de Prophylaxie


Mentale du Département de la Seine).
RECHERCHE D'ÉQUIPE SUR LA DÉBILITÉ MENTALE 337

reconnu : sauf pour les cas de débilité profonde, le Quotient


Intellectuel n'autorise pas un pronostic. Mais contrairement à
une opinion courante l'insuffisance du Q.I. dans l'établissement
d'un pronostic ne tient pas à son inconstance. Mises à part
les erreurs de calcul il faut bien admettre que le Q.I. reste à peu
près constant et que, quand il change, c'est beaucoup plus
souvent en mal qu'en bien.
Dans le passé on a voulu sauver l'espoir d'une adaptation
future du débile en proclamant l'inconstance du Q.I. — Cette
critique du Q.I. partait de bons sentiments mais ses arguments
étaient faux. Nous rejetons donc cette critique du Q. I. Nous
en formulons une autre, bien plus sévère : le Q.I. reste à peu
près fixe, mais les critères d'adaptation et la personnalité comme
unité intégrative se modifient, eux, avec l'âge. Les critères
selon lesquels on juge un écolier de 10 ans ne sont pas ceux
selon lesquels on juge un adolescent de 15 ans ou un adulte.
Certes le critère intellectuel subsiste pour tous les âges,,
mais parmi bien d'autres. La question se pose alors de savoir
si les aspects que nous saisissons par exemple à 15 ans sont
une émergence imprévisible ou bien si ces aspects, au moins
certains d'entre eux, sont déjà décelables dans l'enfance mais
échappent à la routine des examens qui sont alors pratiqués.
Cette question reste ouverte.
Dans leur plus grande simplicité nos conclusions sont donc
les suivantes : l'âge mental suffit peut-être au diagnostic de
la débilité mais il ne permet pas d'en comprendre les
caractéristiques, le quotient intellectuel est utile au diagnostic mais
il n'autorise pas un pronostic.

§4. Présentées ainsi, ces conclusions ont le défaut d'être


seulement négatives et ainsi de paraître rejoindre les
récriminations de ces esprits chagrins qui n'ont jamais pu admettre
ou jamais su comprendre les conquêtes de la psychometric
On a dit bien souvent, et j'ai répété moi-même sans précautions
suffisantes, que critiquer la notion traditionnelle de débilité
mentale c'est critiquer les notions d'âge mental et de Quotient
Intellectuel. Il faudrait dire plus exactement que ces mesures,
considérées isolément, sont insuffisantes et donc trompeuses.
En fait il n'y a pas à choisir entre une définition
quantitative et une définition qualitative de la débilité, si l'on comprend
bien quel est l'usage des chiffres en psychologie. Leur rôle est
338 R. ZAZZO

presque toujours d'exprimer les degrés, les nuances d'une


qualité. Ils ne suppriment pas la qualité, mais ils la symbolisent,
pourvu qu'on ne soit pas victime de l'illusion arithmétique
où le nombre se substitue à la réalité, le signifiant au signifié.
Prenons l'exemple de l'âge mental. C'est le niveau de
développement mental des enfants normaux qui ont l'âge physique
correspondant. L'âge mental est donc défini ici par l'âge
chronologique. La notion est claire. Et pourtant nous sommes dans
un domaine où rien n'indique que les unités employées soient
homogènes. Dans l'échelle des âges mentaux, deux fois deux
ne font pas quatre.
Si nous passons maintenant des enfants normaux aux enfants
débiles un nouveau problème de différence qualitative va se poser.
Un même âge mental a-t-il la même signification pour
l'enfant retardé, l'enfant normal, l'enfant d'intelligence
supérieure ? L'erreur serait peut-être de se laisser enfermer dans
l'alternative du oui et du non. L'égalité exprimée par un même
âge mental peut traduire une égalité réelle (définie opération-
nellement par le contenu du test) sans qu'on puisse conclure
à une identité psychologique.
Je m'explique. Dans les tests classiques d'intelligence, le
niveau d'âge est une mosaïque, un hochepot : il est obtenu par
la totalisation d'activités mentales très diverses. Le même
résultat peut donc être obtenu par des moyens différents. En
d'autres termes et pour nous appuyer sur un exemple, l'efficience
intellectuelle d'un débile de 15 ans peut être égale à celle d'un
enfant de 8 ans : les moyens et les composantes de son
intelligence sont différents — et peut-être même ne correspondent-ils
à aucun niveau génétique normal.
Le chiffre de 8 ans dans l'échelle génétique normale ne
signifie rien s'il n'est pas rapporté à l'ensemble des activités
dont il n'est que le symbole. Le chiffre de 8 ans pour le débile
mental ne signifie rien s'il n'est pas d'abord accompagné par
l'indication de l'âge réel ou du Quotient Intellectuel : et il nous
faut encore savoir à quelle qualité, à quel style d'intelligence
correspond ce symbole à deux dimensions.
Huit ans pour 8 ans n'a pas la même qualité que 8 ans pour
15 ans.
Cette remarque fort banale pose en fait le problème de
l'utilisation des méthodes défectologiques et pathologique en
psychologie. L'idée suivant laquelle le pathologique est homogène
RECHERCHE D'ÉQUIPE SUR LA DÉBILITÉ MENTALE 339

au normal, cette idée que nous devons à Ribot et qui a pesé


si lourdement sur les développements de la psychologie
française, est inacceptable. On peut bien dire, certes, que la maladie
est une expérimentation instituée par la nature mais à quoi
cela nous sert-il si les conditions de cette expérimentation sont
si complexes qu'elles restent inaccessibles ? Enfin et surtout
un même « élément » prend des significations différentes suivant
qu'il s'inscrit dans un contexte pathologique ou dans un
contexte normal.
Le passage du normal au pathologique reste possible,
l'analyse de l'un par l'autre reste valable, mais à la condition de
respecter la dialectique des choses. En défectologie ou en
pathologie on doit toujours supposer que le déficit s'accompagne
d'un changement qualitatif — on doit toujours supposer une
nouvelle structure d'ensemble où les éléments prennent des
significations nouvelles.
Ainsi, répétons-le, un niveau global de développement
change de signification en fonction du Q.I. dont il est affecté,
c'est-à-dire en fonction de la vitesse de développement.
Mais il faut encore élargir notre perspective : si nous voulons
saisir le débile dans toute sa spécificité ce n'est pas seulement
d'intelligence qu'il faut parler mais de sa situation totale, de
sa mentalité globale, de sa personnalité. Quand nous parlons
d'un âge mental nous le rattachons plus ou moins
explicitement à la mentalité d'un enfant normal de cet âge. Cette
association doit être brisée s'il s'agit de débiles. On peut supposer
qu'un âge mental affecté d'un Q.I. inférieur doit produire un
tableau psychologique spécifique. C'est ce que nous avons
à décrire et à comprendre.
J'ai dit un jour que ce qui fait l'originalité du débile mental
c'est que son âge mental est inférieur à son âge chronologique.
Ce n'est pas une boutade.
La disproportion entre l'âge mental et l'âge chronologique
est d'abord une définition métrique, quantitative de la débilité.
Mais elle n'est pas que cela : elle est aussi, en un certain sens,
la cause de tout ce qui peut caractériser le débile.
Le développement mental du débile ne s'est pas accompli
au même rythme que son développement physique. Il en résulte
un système d'équilibre particulier et probablement tout un
ensemble de traits spécifiques.
C'est là mon hypothèse directrice de Vhétérochronie.
340 R. ZAZZO

A. — Le problème du Diagnostic.

I. — La notion cChétérochronie.

§ 5. On définit traditionnellement la débilité mentale par


un syndrome (déficit intellectuel global) une étiologie (origine
congénitale) un pronostic (irrécupérabilité).
Nous raisonnons comme si le pronostic était impliqué dans
l'étiologie mais comme nous ne les connaissons ni l'un ni l'autre
nous les déduisons du syndrome constaté, de l'état présent du
sujet.
Nous sommes autorisés à faire l'hypothèse que le présent
traduit le passé, l'étiologie — comme un effet sa cause — et
qu'il contient ou préfigure l'avenir. De toute façon aucune
autre démarche» n'est actuellement possible.
Mais il faut alors ne pas tricher avec l'incertitude de cette
hypothèse. Il faut surtout pousser la description des constats
aussi loin qu'il est possible pour les rattacher, dans les cas
privilégiés, à tout ce que nous pouvons apprendre sur les
etiologies, pour les rattacher aussi à l'évolution ultérieure du sujet.

§ 6. Si nous sommes réduits à fonder le diagnostic de la


débilité sur un constat, nous ne devons pas réduire ce constat
à la notation du Quotient Intellectuel.
Le Q.I. permet d'établir un diagnostic de première
approximation, une dichotomie entre l'enfant normal et le sujet
déficient. Et pour cela il reste une notion de première importance.
Mais il n'autorise rien d'autre : ni de comparaison véritable
entre la psychologie du normal et celle du déficient, ni de
distinction entre débilités vraies et pseudo-débilités, ni de
diversification entre différentes formes de débilité.
C'est à ces comparaisons, ces distinctions, ces diagnostics
plus finement différentiels que nous devons travailler.
Dans ce but nous formulons quatre hypothèses
fondamentales :
a) la structure psychique, et donc la séméiologie du débile
est différente de la structure de l'enfant normal, de même âge
mental.
RECHERCHE D'ÉQUIPE SUR LA DÉ RILITÉ MENTALE 341

b) la structure psychique du débile (défini par le déficit


global de son développement mental) est différente de la
structure des déficients par troubles particuliers (troubles graves
et spécifiques du langage par exemple).
c) la débilité vraie revêt des formes diverses.
d) la diversité des formes psychiques de la débilité vraie
correspond plus ou moins directement à une diversité d'étio-
logies.
Pour éprouver ces hypothèses nous avons utilisé, dans un
premier temps, la méthode du profil psychologique. A l'aide
d'une batterie de tests nous avons cherché à dessiner des profils
différentiels et tout d'abord à caractériser le profil-type du
débile par rapport aux normes de l'enfant de même âge mental
(hypothèse a).

§ 7. Notre batterie fut composée de tests dont nous


pouvions penser, d'après notre expérience clinique et des
investigations antérieures, qu'ils différencieraient le débile de l'enfant
normal de même âge mental : épreuves d'efficience
psychomotrice, épreuves d'organisation spatiale, épreuves scolaires
(calcul et orthographe) etc.
Ces épreuves ont été préalablement étalonnées en normes
d'âge. Pour chaque individu examiné, Comme pour l'ensemble
de notre population de débiles, nous pouvons ainsi établir un
psychogramme.
Le psychogramme de la débilité a d'abord été établi sur
les résultats de 300 débiles, garçons et filles, âgés de 9 à 14 ans
et pourvue de Q.I. s'échelonnant entre 45 et 75 (test de Bin et -
Simon, révision 1949).
On pourrait objecter ici une pétition de principe : pour
découvrir, les caractéristiques de la débilité nous considérons
déjà comme débiles des sujets dont nous ne savons pas au départ
s'ils possèdent ces caractéristiques.
La démarche est inévitable qui consiste à partir d'une
définition incomplète et entachée d'erreurs pour parvenir à une
définition plus satisfaisante. La pétition de principe est
empiriquement évitée si certaines précautions sont prises : nous avons
éliminé de notre population tous les pseudo-débiles patents
et tous les sujets présentant des troubles neurologiques graves
ou des affections telles que l'épilepsie.
342 R. ZAZZO

On peut donc tenir pour probable que notre population est


composée en majorité de débiles vrais et sans troubles organiques
surajoutés.

§ 8. Nous avons dessiné le psychogramme ou profil-type


du débile en établissant la hiérarchie des résultats obtenus
par l'ensemble de notre population expérimentale aux divers
tests de la batterie (voir figure ci- jointe).
Le profil-type du débile, étant donné la nature de notre
batterie et la nature de notre population, conduit aux
constatations suivantes :
a) les résultats se hiérarchisent, au-dessous et au-dessus du
niveau Binet-Simon, avec un minimum pour les épreuves où
intervient l'organisation spatiale (test de Bender par exemple)
avec un maximum aux épreuves d'efficience psycho-motrice
(rendement au test du double barrage par exemple).
b) l'écart entre les termes extrêmes de la hiérarchie paraît
d'autant plus grand que la débilité est plus profonde.
Pour fixer les idées nous donnerons quelques chiffres :
a) soit un débile-type de 14 ans d'âge réel et de 10 ans d'âge
mental au Binet-Simon. Nous constatons au Bender un niveau
de développement de 8 ans. Et au test de barrage (plus
précisément au rendement pour le barrage des deux signes) un niveau
de 12 ans. En termes de Quotient de Développement notre
débile obtient donc 71 au Binet-Simon (10 : 14), 57 au Bender
(8 : 14) et 86 au barrage (12 : 14).
Si au lieu du Quotient de Développement nous utilisons
le Quotient Relatif 1, c'est-à-dire un quotient calculé par rapport

pour1. désignerSuivant lel'usage


rapport
nous
entre
employons
le niveaul'expression
d'âge obtenu
Quotient
à un test
de Développement
et l'âge chronologique
(Q.D.)
du sujet. Le Q.I. est donc un cas particulier : c'est le Q.D. établi pour un test
d'intelligence. Le Quotient Relatif est établi non par rapport à l'âge chronologique mais par
rapport à l'âge mental (ici le Binet-Simon). Dans nos travaux antérieurs nous
désignions ce rapport par l'expression : Quotient de Rendement. Mais cette dernière
expression suppose que le niveau atteint dans un secteur quelconque de la croissance est
un rendement du niveau mental. Comme une énergie produite par rapport à la
puissance d'un moteur. Suivant les secteurs considérés cette supposition est partiellement
vraie (rendement scolaire) ou erronée, ou absurde. Tout rendement supérieur à l'unité
est un non-sens. A telle enseigne que lorsque dans un domaine où la notion de
rendement a un sens (domaine scolaire) le Quotient est supérieur à l'unité on doit mettre
en doute systématiquement le chiffre du niveau mental. L'expression de Quotient
Relatif (sous-entendu : au niveau mental) ne suppose rien : elle n'a qu'une valeur
descriptive. '
Organisation
spatiale CÛ
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CQ ffi CQ CL, o
Q.D.
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92
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60
Profil Psychologique de débiles mentaux a la batt
(Age réel : 9 à 14 ans. — Q.I. moyen au Binet-Sim
344 R. ZAZZO

au Binet-Simon qui est ici de 10 ans, l'indice du Bender est de


80 (8 ans Bender : 10 ans Binet-Simon), l'indice du barage est
de 120 (12 : 10).
Le Quotient Relatif présente l'avantage d'établir la
proportionnalité avec le niveau Binet-Simon, et de permettre ainsi
une comparaison directe des profils aux divers niveaux de
débilité :
b) Pour une population de débiles définie par Q.I. Binet-
Simon de 70, les Quotients Relatifs s'échelonnent entre 85 et
130 soit un écart de 45 points.
Pour une population de débiles définie par un Q.I. Binet-
Simon de 50, les Quotients Relatifs s'échelonnent entre 80 et
150, soit un écart de 70 points.
Le terme d'hêtêrochronie exprime simplement ce fait que le
débile comparé à l'enfant normal se développe à des vitesses
différentes suivant les différents secteurs du développement
psycho-biologique.
Avant d'examiner ce que peut impliquer l'hétérochronie
du développement, ou ce qu'est du moins sa portée
heuristique, considérons encore un instant l'instrument qui l'a mise
en évidence : sa valeur pratique et les critiques qu'il ne manquera
pas de susciter.

§ 9. D'un point de vue pratique, le psychogramme-type


présente un triple intérêt :
• a) il dénonce concrètement pour le praticien la valeur
absolue et mythique du Q.I. La multiplicité des Q.D. met bien en
évidence qu'un même chiffre ne possède pas la même valeur
diagnoscique d'un test à l'autre.
b) II permet de distinguer entre hiérarchie typique et
dysharmonie : nous savons maintenant qu'il est normal pour un débile
d'avoir par rapport à son niveau Binet un niveau inférieur à
certaines épreuves, un niveau supérieur à d'autres.
c) enfin et surtout il nous fait progresser dans le diagnostic
entre débiles et pseudo-débiles.

§ 10. En bonne méthode, on doit se demander si le profil


obtenu traduit bien une réalité psychologique ou s'il n'est pas
le résultat d'artefacts.
RECHERCHE D'ÉQUIPE SUR LA DÉBILITÉ MENTALE 345

a) peut-il s'agir d'un artefact statistique ? Si à telle épreuve


le niveau d'âge du débile est plus ou moins bas, dira-t-on, c'est
peut-être que la dispersion de cette épreuve est plus ou moins
grande. En fait il ne s'agirait pas ici d'un artefact. Car il est
légitime pour une épreuve de développement de traduire un écart
statistique de dispersion en écart d'âge. Et pour un même écart
la valeur d'âge peut évidemment varier d'une épreuve à l'autre.
Cependant un problème subsiste : dans quelle mesure un
écart d'âge constaté est-il dû à un effet de dispersion de l'épreuve,
dans quelle mesure est-il dû à une caractéristique plus spéciale
au débile ? Ce problème n'a pas encore été étudié dans son
ensemble. Mais nous pouvons déjà affirmer que pour une épreuve
psycho-motrice comme le barrage le niveau relativement élevé
du débile ne s'explique évidemment pas par une faible dispersion
de l'épreuve. En termes d'écart statistique comme en termes
de retard d'âge la débilité psycho-motrice est ici moins grave
que la débilité intellectuelle.
De toute façon la notation en niveau d'âge reste valable,
Ja question restant ouverte de connaître les causes et la
signification de ces niveaux.

b) un artefact peut provenir de la nature de notre


population. Si nous avons éliminé les cas neurologiques patents, des
cas de débiles exogènes (cas d'organicité notamment) subsistent
probablement.
On est alors en droit de se demander si, dans le profil-type,
l'infériorité aux tests d'organisation spatiale n'est pas due à
la présence de débiles exogènes.
Nos elaborations nous permettront peut-être un jour de
répondre en toute rigueur à cette question et d'établir,
éventuellement, deux ou plusieurs psychogrammes différents.
Tous les contrôles que nous avons effectués depuis 1956
ont confirmé l'allure générale du psychogramme. Les travaux
encore inédits de mes deux collaboratrices, Y. Rutschmann
et Irène Talan, pour distinguer entre les profils des débiles
endogènes et des débile exogènes n'ont rien établi de très net. Notre
batterie étant ce qu'elle est, et dépourvue peut-être des épreuves
propres à distinguer les deux types d'étiologie, la hiérarchie
générale du psychogramme subsiste : avec seulement des
infériorités et des supériorités plus ou moins fortes suivant l'étiolo-
gie de la débilité.
346 R. ZAZZO

§ 11. Nous admettrons donc que l'hétérochronie est bien


une caractéristique des débiles mentaux : c'est un fait, un
constat.
Faisons un pas de plus : l'hétérochronie est une notion
guide pour expliquer la mentalité du débile, la dynamique de
son comportement. L'hétérochronie et d'éventuelles
caractéristique dues à l'organicité suffisent à rendre compte de tout
ce qu'il peut y avoir de spécifique dans la psychologie du débile :
nous passons alors dans le domaine de l'hypothèse.
Je sais combien une hypothèse se transforme ingénument
en système, combien une idée directrice devient facilement
une idée fixe. Et combien une hypothèse économique, et par
là même séduisante, risque peu d'être en accord avec la .
complexité des choses.
Jouons cependant le jeu, mais avec le maximum de prudence
et en comptant sur la liberté d'esprit de mes collaborateurs
pour me garder de trop y croire.

§ 12. L'hétérochronie n'est pas une simple collection de


vitesses disparates. Elle est un système, une structure.
Sans doute peut-on concevoir que la vitesse en tel secteur
du développement est sans aucun rapport causal avec la vitesse
en tel autre secteur. Mais du fait que l'organisme est un tout,
du fait que l'individualité est une unité intégrative, il résulte
que les traits, isolés arbitrairement par les techniques de mesure^
appartiennent à une structure d'ensemble.
C'est en partant des supériorités relatives du débile que
nous saisirons sans doute le mieux le principe de
l'hétérochronie.
Je disais tout à l'heure que la disproportion entre l'âge
mental et l'âge réel est non seulement la définition métrique
de la débilité mais la formule fondamentale de sa structure.
Il faut préciser que dans la quasi-totalité des cas le niveau de
développement somatique correspond à peu près à l'âge
chronologique *. De telle sorte que la formule la plus fréquente est

1. J'ai souvent observé que dans les cas où l'arriération mentale s'accompagnait
d'une arriération physique à peu près égale le pronostic était favorable. Une action
sur le développement physique agissait en même temps sur le développement mental
et l'on concluait alors, rétrospectivement, à une pseudo-débilité. Il semblerait alors
que la débilité vraie répondît à un déficit électif du potentiel cérébral, l'énergie
somai^ générale restant à peu près intacte.
RECHERCHE D'ÉQUIPE SUR LA DÉBILITÉ MENTALE 347

une dissociation entre le rythme du développement somatique


et le rythme de développement des tissus cérébraux.
Comparé à l'enfant normal de même âge mental, et donc
plus jeune physiquement, le débile peut posséder des avantages
dûs à l'âge : des meilleures performances physiques, une plus
grande force, une plus grande vitesse, (mise en évidence dans
notre batterie par les épreuves de pointillage et de barrage)
mais peut-être aussi une plus grande richesse d'expériences
et de conditionnements, des intérêts plus mûrs en certains
domaines (intérêts professionnels et intérêts sexuels par exemple).
Mais ces avantages ont aussi leur contre-partie, et ainsi
peuvent s'expliquer, paradoxalement, certaines infériorités du
débile par rapport à l'enfant plus jeune de même niveau mental.
Au cours des années les conditionnements se, sont
multipliés et perfectionnés. Le débile est un être d'habitude. Il
éprouverait alors plus de difficultés à d'adapter à des situations
vraiment nouvelles parce que chez lui le conditionnement prime
et gêne l'opération mentale. Ainsi s'expliquerait, du moins en
partie, la persévéra tion décrite par Strosheim et d'autres auteurs,
l'inertie oligophrénique de Luria, enfin et surtout la viscosité
génétique analysée par Barbel Inhelder : l'enfant débile régresse
plus souvent que l'enfant normal à des modes antérieurs de
pensée dont il a une plus longue habitude. Il y retombe comme
en des ornières plus profondément creusées.
C'est en fonction de cette vue d'ensemble que j'essaierai
de lier entre eux les divers travaux de notre équipe et
notamment toutes les contributions qui constituent la première partie
de ce numéro spécial d' Enfance. Pour plusieurs d'entre elles
le lien avec la notion d'hétérochronie est évident. Pour d'autres
il est moins net et parfois même inexistant, au moins dans
l'intention de l'auteur. Mais toutes ces contributions se rejoignent
en tout cas dans un effort systématique pour affiner le
diagnostic de la débilité mentale.

II. — Analyses expérimentales.

§ 13. La plupart des épreuves qui composent notre batterie


pourraient donner lieu à une analyse détaillée pour répondre
à la question : à niveau de développement égal les composantes
de la note globale (ou si l'on préfère les qualités de la réponse)
348 R. ZAZZO

sont-elles les mêmes chez le débile et chez l'enfant normal ?


Nous avons tenté cette analyse pour quelques unes de ces épreuves
et notamment pour le Binet-Simon, pour l'orthographe, pour
le test des deux barrages.
L'analyse du Binet-Simon aboutit à une conclusion
extrêmement nette : un même niveau n'est pas obtenu avec les mêmes
éléments par les débiles et par les enfants normaux. Ce qui
signifie que l'ordre de difficulté des items n'est pas identique.
Par exemple compter à rebours et construire sur ordre une
phrase avec trois mots est plus difficile pour un débile que pour
un enfant normal, à âge mental égal.
Par contre, énumérer les mois ou interpréter une gravure
est plus facile pour un débile que pour un enfant normal, à âge
mental égal.
Évidemment une telle analyse ne peut aller très loin avec
le matériel limité du Binet-Simon. Mais elle suffit à indiquer
que les qualités d'un même niveau intellectuel ne sont pas
identiques chez le débile et chez l'enfant normal. Elle permet
aussi, dans la pratique du Binet-Simon, d'amorcer un diagnostic
entre la débilité et une arriération liée à la dyslexie.
Les items électivement échoués ne sont pas en effet les
mêmes pour les débiles et pour les dyslexiques.
Une feuille de notation que nous avons établie récemment
avec indication de la difficulté ou de la facilité des items dis-
criminatifs (voir reproduction ci-jointe) facilite l'analyse des
réponses et oriente ainsi dès le début de l'examen la recherche
du diagnostic.

§ 14. Par contre à .l'épreuve d'orthographe, H. Santucci


et M. Verba n'ont pas pu mettre en évidence une spécificité des
débiles. Mais elles ont confirmé, et à tous les niveaux d'âge
considérés, l'hétérochronie du niveau orthographique.
On peut tenter ici une explication en termes de rendement
et en tenant compte des déficits spécifiques de la débilité. Si
le rendement en orthographe est inférieur à ce que pouvait
faire espérer le niveau mental, disent nos auteurs, c'est peut-
être parce que l'organisation spatiale est particulièrement
déficiente chez les débiles mentaux.
Ainsi le niveau d'orthographe dépendrait à la fois du niveau
mental et du niveau d'organisation spatiale.
RECHERCHE D'EQUIPE SUR LA DÉBILITÉ MENTALE 349

TEST BINET-SLViON
Feuille de Niveau Étalonnage Classes Primaires — Paris 1949.

3 ans et moins. 8e année.


1 Montrer nez, œil, bouche. 29 Compter de 20 à 0 (L—) (D— ) (+).
2 Nommer clé, couteau, sou. *30 Répéter 5 chiffres (-) (D-j.
*3 Énumérer une gravure. *31 Reconnaître pièces monnaie (+) (D+).
*4 Répéter 2 chiffres. 32 Énumérer les mois (L— "I (D+).
5 Donner son sexe.
6 Comparer 2 lignes. 9e année.
*7 Donner son nom de famille.
*8 Répéter phrases 6 syllabes. *33 Rendre la monnaie (L— ).
*34 Définir sup. à usage ( — ).
4e année. 35 Critiquer phrases absurbes (D+).
36 Ordonner 5 poids (— ).
9 Comparer 2 poids.
I

*10 Répéter 3 chiffres. 10e année.


Ml Répéter phrases 10 syllabes (+).
12 Jeu de patience. I 37 3 mots en 2 phrases (D— ).
*13 Définir par l'usage. ; 38 Deux dessins de mémoire (—) (L—) (D— ).
14 Copie du carré (+). *39 Questions difficiles.
i

5e année. 40 Résister à suggestion


11e année. lignes.
[I|

15 Comparaisons esthétiques.
*16 Compter 4 sous simples ( + '). 12e année.
17 Nommer 4 couleurs.
18 Exécuter 3 commissions (+). 413 mots en 1 phrase (D—).
19 Distinguer matin et soir.
Supérieur à 12 ans.
6e année. 42 Définir mots abstraits ( —) (D+).
*20 Compter 13 sous simples (+). 43 Deviner le sens de phrases en
21 Lacunes de figures (+)• dre (D-).
44 Plus de 60 mots en 3 minutes (D—).
22 Main droite, oreille gauche. 45 Trouver 3 rimes (D— ).
23 Copie du losange (+) CL—). *46 Interpréter 1 gravure (D+) (-{-).
24 Deux objets de souvenir. *47 Répéter 7 chiffres (D— ).
48 Problèmes de faits divers (D-J-).
7e année. *49 Répéter phrases de 26 syllabes.
50 Épreuve de découpage.
*25 Décrire une gravure (L — ). 51 Reconstruire un triangle.
*26 9 sous dont 3 doubles (+) (L— ). 52 Différence mots abstraits.
27 Date du jour (+) (L—). 53 Roi et Président.
*28 Questions faciles. 54 Pensée d'Hervieu.

Pour interprétation de la dispersion :


(+) bon test de développement
( — ) mauvais test de développement
(D+) facile pour les débiles (D— ) difficile pour les débiles
(L— ) difficile pour sujets ayant difficultés de lecture.
350 R. ZAZZO

§ 15. Une analyse déjà publiée du test de barrage x nous


permet de comprendre sur un exemple concret comment l'écart
entre l'âge physique et l'âge mental peut déterminer des traits
spécifiques de la débilité mentale.
Les débiles sont en général des sujets qui ont un niveau
d'efficience (vitesse et rendement) relativement élevé mais qui
ont conservé un style de travail infantile, nettement inférieur
à leur niveau mental.
L'infantilisme de leur activité se marque par un taux élevé
d'inexactitude et surtout par un parallélisme entre
l'inexactitude et la vitesse : comme chez les enfants très jeunes la
précision diminue quand la vitesse augmente, la précision augmente
quand la vitesse diminue. Chez l'enfant normal de 9 ans cette
corrélation disparaît : tout se passe alors comme si la précision
était maintenue par une sorte d'auto-régulation. Chez les débiles
ayant atteint ou dépassé 9 ans d'âge mental, cette régulation,
cette intégration vitesse-précision ne s'établit pas.
Ainsi un débile de 14 ans d'âge réel avec 9 ans d'âge mental
peut facilement atteindre une vitesse de 12 ans mais son style
de travail correspondra à celui d'un enfant de 6 ou 7 ans.
L'écart entre le niveau psycho-moteur du débile et son âge
mental fournit l'explication la plus simple de ce phénomène :
le débile est en survitesse par rapport à ses possibilités
intellectuelles de discrimination, mais cette survitesse correspond
à son régime moteur, à son développement somato-physio-
logique.
Dans son présent article Irène Talan analyse ce
comportement en le comparant à celui qu'on observe chez des sujets
détériorés et à un groupe normal de contrôle.
Les travaux non-publiés de Claire Daurat tendent à montrer
que ce style est une caractéristique tenace du débile. Des
modifications de la consigne et les conseils répétés de ralentissement
en cours d'épreuve sont pratiquement inopérants. La vitesse
est maintenue à un niveau trop élevé et la régulation de la
précision reste impossible.
Afin de savoir si le débile est capable d'établir une
régulation convenable pour une vitesse correspondant à son âge
mental il faudrait lui imposer cette vitesse par un dispositif expéri-

1. R. Zazzo « Qu'est-ce que la débilité mentale ? » La Raison, n° 16, p. 13 et Manuel


pour V étude psychologique de l'enfant (Delachaux, I960), pp. 257-260.
RECHERCHE D'ÉQUIPE SUR LA DÉBILITÉ MENTALE 351

mental : cette expérience dont on comprend l'intérêt pédagogique


nous ne l'avons pas encore tentée.
Du point de vue méthodologique cette analyse du test de
barrage présente un intérêt majeur : elle dissocie entre un fait
psychologique spécifique qui n'est réductible à aucun niveau
d'âge et les conditions de ce fait qui sont, elles, d'ordre génétique.
En effet le développement psycho-moteur du débile et
son développement intellectuel peuvent s'inscrire l'un et l'autre
sur une échelle génétique mais ces deux facteurs discordants
aboutissent à un style de comportement qui n'appartient à
aucun âge. Ceci illustre bien ce que peut être un trait
spécifique dans le domaine de la défectologie ou de la pathologie
mentale.

§ 16. Nos observations sur le barrage posent beaucoup,


plus qu'elles ne résolvent les problèmes de l'apprentissage,,
de l'éducabilité, du dynamisme intellectuel chez les débiles.
De ce que nous savons déjà du débile, de son inertie, de ses
difficultés d'auto-régulation, nous pourrions déjà déduire que
son dynamisme intellectuel est faible, que sa marge d'éduca-
bilité est réduite. Mais l'expérience seule peut trancher. Et il
faudrait d'ailleurs, pour arriver à des conclusions sûres,
expérimenter en des domaines variés où interviennent à des degrés
divers les supériorités et les infériorités relatives du débile.
Par son travail qui déborde d'ailleurs très largement le
secteur de la débilité mentale, Michel Hurtig apporte une
contribution très intéressante au problème de l'apprentissage
intellectuel chez le débile.
Il a comparé trois catégories d'enfants de même âge mental
(enfants normaux, enfants très handicapés socialement, enfants
débiles), et pour deux techniques d'apprentissage.
La tâche proposée était la même pour les deux sortes
d'apprentissage : raisonnement sur des figures géométriques. Mais alors
que la première technique consistait en un apprentissage par
répétitions sans explication; la seconde technique consistait
à accompagner chaque passation du test par une explication.
Le résultat essentiel est que le débile se distingue, à la seconde
technique comme à la première, par une absence à peu près
totale d'apprentissage.
L'examen attentif des chiffres obtenus par Michel Hurtig
permet de dégager deux effets de l'inertie des débiles.
352 R. ZAZZO

D'abord, l'incapacité à profiter des répétitions de l'épreuve


ou de la répétition des explications qui leur sont données.
Mais aussi ce fait que la première explication augmente
considérablement la performance qu'ils auraient eue
spontanément. Sans explication leur performance à l'épreuve est très
inférieure à celle des enfants normaux qui ont pourtant le même
âge mental qu'eux. Mais, après que sur un exemple on leur
a expliqué le type de raisonnement qu'ils doivent mettre en
œuvre, ils réussissent à un niveau à peu près égal à celui des
enfants normaux. C'est donc que spontanément ils sont inaptes
à se mobiliser au maximum. Ils sont incapables d'initiative
intellectuelle : ils peuvent comprendre, ils ne savent pas inventer.
Ce trait spécifique de passivité n'est pas à confondre avec
la lenteur de. leur rythme de développement tel qu'il est chiffré
par le Q.I., même s'il peut y avoir un lien de causalité entre
les deux caractéristiques.
Un Q.I. de 70, par exemple, signifie qu'en 10 mois l'enfant
gagnera 7 mois d'âge mental. C'est là le dynamisme naturel
du développement psycho-biologique. Mais le dynamisme
intellectuel est autre chose, qui permet à l'individu, comme le dit
Michel Hurtig d'utiliser les mécanismes acquis pour les dépasser.
A cette épreuve de raisonnement il suffit aux enfants normaux
de quatre répétitions pour les conduire à des solutions en avance
d'un an sur leur âge. Avec le même niveau mental et le même
entraînement les débiles, eux, ne gagnent pratiquement rien.
Mais il ne faut pas se hâter de généraliser. Il est possible
que le matériel utilisé ne soit pas propre à stimuler les débiles,
à déclancher leur dynamisme. D'autres expériences d'éduca-
bilité en d'autres domaines seraient nécessaires pour conclure.
L'expérience de Michel Hurtig nous propose cependant dès
maintenant un indice nouveau pour diagnostiquer entre la
débilité mentale et la pseudo-débilité, au moins sous certaines
de ses formes.
Au début des exercices d'apprentissage les enfants
lourdement handicapés (scolarisation quasi-nulle, milieu social et
affectif d'une extrême pauvreté) qui constituent le troisième
groupe de comparaison ne se distinguent pas des débiles. Leurs
performances intellectuelles sont aussi lamentables. Mais les
quatre séances avec explications suffisent pour qu'ils rattrapent,
à quelques points près, les performances des enfants normaux.
RECHERCHE D'ÉQUIPE SUR LA DÉBILITÉ MENTALE 353

§ 17. Nous nous sommes demandés quel rapport pouvait


exister entre le dynamisme intellectuel et la fragilité des
fonctions mentales.
Nous savons déjà, grâce aux travaux de Barbel Inhelder, que
l'enfant débile parvenu à un certain stade de raisonnement
retombe facilement au stade antérieur. Il est beaucoup plus
vulnérable que l'enfant normal du même âge à la perturbation des
conditions extra-intellectuelles du raisonnement (facteurs
affectifs, interventions maladroites du milieu, fluctuations du tonus
mental et moteur). C'est que, nous dit Inhelder, l'enfant débile
garde l'empreinte du stade inférieur pour s'y être attardé plus
longtemps. Une perturbation, même légère, peut alors le faire
régresser.
Cette notion de viscosité génétique s'accorde bien avec
l'extrême faiblesse du dynamisme intellectuel mise en évidence
chez les débiles par Michel Hurtig.
' Mais les activités mentales ne sont pas toutes de logique
pure comme celles qu' Inhelder et Hurtig sollicitent dans leurs
épreuves.
La fragilité varie certainement d'un type d'activité à l'autre.
Et rien ne nous interdit de penser que la hiérarchie de fragilité
des fonctions mentales varie d'un âge à l'autre et suivant les
individus ou catégories d'individus.
Les débiles présentent-ils des fragilités particulières et,
dans l'affirmative, leurs spécificités vont-elles nous aider —
dans ce domaine comme en d'autres — à mieux analyser le
jeu des fonctions mentales ?
C'est la question posée par Irène Talan.
A vrai dire son article intitulé « Débilité mentale et
détérioration » n'apporte pas encore de réponse. Il nous présente
seulement une première étape de la recherche.

§ 18. Irène Talan a voulu d'abord comparer le profil


psychologique de malades mentaux détériorés au profil
psychologique de débiles parvenus au terme de leur développement
(sujets de 15 à 24 ans). Le test employé est le Wechsler-Bellevue.
Dans le cas des sujets détériorés on suppose donc, par.
définition, que la faiblesse élective de certaines épreuves est un
affaiblissement. Cet affaiblissement électif mesure la
détérioration du sujet mais aussi, du même coup, la plus ou moins
grande fragilité des épreuves qui composent le test.
354 R. ZAZZO

Dans le cas des débiles ce n'est pas une détérioration qu'on


mesure. Et leur fragilité est donc, pour l'instant, hors de
question. Ce qu'on mesure, ce sont tout simplement les inégalités
d'un développement parvenu à son terme.
Ainsi la comparaison est entre une dispersion (scatter) due
à une détérioration et une dispersion due à une hétérochronie.
Bref entre une involution de malades et une évolution de débiles.
Les résultats sont nets et, à première lecture, paradoxaux :
les épreuves les plus vulnérables (cubes de Kohs, Code) sont
celles qui, chez les débiles, sont réussies au niveau le plus élevé ;
les épreuves qui sont les plus résistantes aux effets de la maladie
et de l'âge (information, compréhension) sont réussies mal ou
médiocrement par les débiles.
L'impression de paradoxe est due sans doute au fait que la
structure mentale du débile est très différente de celle du non-
débile. Le débile se caractérise, comme l'a bien montré Luria,
par un déficit des mécanismes verbo-intellectuels, de ce que les
disciples de Pavlov appellent le second système de signalisation.
Ses infériorités électives peuvent donc être très différentes
des fragilités qu'on observe dans un développement normal. De
toute façon c'est en fonction de son hétérochronie que ses déficits
doivent être étudiés. Le problème reste ouvert.
Ces premiers résultats en même temps qu'ils cernent le
problème fondamental de la fragilité mentale apportent une
très utile contribution au diagnostic différentiel de la
détérioration et de la débilité.
Mais ils constituent aussi une réserve très sévère quant à
l'usage du fameux indice de détérioration vulgarisé par le
test de Wechsler.
Cet indice — calcul de la différence entre les épreuves qui
tiennent et les épreuves qui ne tiennent pas — n'est valable
qu'en supposant chez le sujet examiné un niveau antérieur
parfaitement harmonieux, une absence totale d'hétérochronie.
Nous savions déjà par les travaux de Sloan, de Boehm et
de Sarason, nous savons beaucoup mieux aujourd'hui par
l'analyse d'Irène Talan que l'indice de Wechsler est dépourvu
de signification chez les débiles mentaux.

§ 19. Avec l'article de Roger Perron l'horizon s'élargit.


Il s'élargit même jusqu'à déborder la notion de spécificité qui
jusqu'alors nous guide.
RECHERCHE D'ÉQUIPE SUR LA DÉBILITÉ M EXT A LE 355

Nous ne devons pas nous enfermer, dit Perron, dans une


spécification particulière aux débiles mentaux et d'autant
moins si nous passons des caractéristiques d'ordre intellectuel
à l'étude de la personnalité.
Pour pouvoir suivre Perron dans ce que ses propos ont de
positif il faudrait distinguer entre techniques d'approche et
but.
Si nous nous enfermions au départ dans des techniques,
des notions, des modèles valables uniquement pour les débiles
nous n'en sortirions probablement jamais. Mais cela ne limite en
rien « la recherche d'une caractérologie particulière aux
déficiences mentales ». La recherche d'éventuelles spécificités doit
être conduite avec des notions ouvertes à l'ensemble de la
psychologie.
Il est d'ailleurs intéressant de constater que pour définir
la troisième voie qui est proprement la sienne, Roger Perron
part explicitement de la notion d'hétérochronie sous la
formulation la plus brutale que je lui ai donnée.
A mon avis il n'y a pas trois voies distinctes qu'on puisse
définir comme Perron essaie de le faire. Mais l'inquiétude que
traduit sa tentative trop formelle de clarification répond bien
à quelque chose de grave : le problème de la comparabilité
entre groupes hétérogènes, problème dont j'ai souligné naguère
toutes les difficultés à propos de la comparaison entre enfants
jumeaux et enfants singuliers.
En dépit de la multiplicité des points de vue auxquels la
science peut se placer une seule voie sans doute nous est ouverte :
celle d'une dialectique qui considère à la fois le continuum de
certaines variables et la discontinuité des structures,
l'existence d'éléments et leurs groupements auxquels ils empruntent
leur pleine signification, les qualités originales de ces structures,
de ces ensembles, et leurs connotations quantitatives.
Une spécificité, quelle qu'elle soit, n'est pas une réalité coupée
du reste. Elle obéit aux lois générales mais dans le jeu de
conditions particulières qu'il nous appartient de découvrir et
d'analyser.

§ 20. Les conditions que Perron considère pour l'étude de


la personnalité chez le débile mental se résument en une notion
qui n'appartient évidemment pas en propre à la défectologie :
la situation d'infériorité.
350 R. ZAZZO

Perron utilise la technique des estimation a priori du degré


de réussites pour diverses tâches qui sont proposées au sujet.
Des trois hypothèses de travail formulées, la seule qui
concerne directement la défectologie est que. les estimations a priori
seront plus faibles chez les débiles que chez les normaux du
fait que les sujets qui ont souvent éprouvé des échecs s'attendent
à échouer.
L'expérience prouve que la réalité est beaucoup plus complexe.
Il faut distinguer suivant que le débile prévoit sa réussite
sans autre référence que la difficulté présumée de la tâche,
ou qu'il se mesure par surcroît à d'autres enfants débiles de
sa classe, ou qu'il se compare à des enfants normaux.
Chemin faisant, Perron a mis en évidence un résultat
inattendu et que les hypothèses de travail n'impliquaient pas :
les débiles les plus infériorisés physiquement (plus petits, moins
lourds) ont une tendance très nette à se juger supérieurs aux
plus grands. Il faudrait peut-être souligner aussi que, dans
ces classes spéciales, les plus grands sont aussi, et très
objectivement, les plus débiles.
L'article de Perron a le mérite d'ouvrir des perspectives
nouvelles, et nous attendons beaucoup des suites de son travail.
L'étude de la personnalité n'en est encore qu'à ses débuts et
pour les débiles mentaux elle est pratiquement inexistante.

§ 21. Le propos de Gaby Netchine nous ramène à des


questions plus modestes. Il s'agit pour elle, tout simplement, de
valider le profil-type des débiles mentaux.
Elle considère que dans ce profil-type le déficit électif des
épreuves grapho-motrices caractérise le plus nettement les
débiles mentaux. Son hypothèse est alors que les débiles qui
présentent ce déficit sont de vrais débiles, ou si l'on préfère des
déficients peu récupérables.
Son expérience consiste à constituer deux groupes de débiles
les uns présentant un déficit grapho-moteur ('test de Bender),
les autres pas, et de comparer leur évolution mentale au cours
d'une année.
Les résultats confirment l'hypothèse bien au-delà de tout
ce qu'on pouvait espérer : les sujets conformes au profil-type
n'évoluent que très faiblement, ils gagnent trois mois d'âge
mental en un an, les autres non conformes au profil évoluent à un
rythme presque normal : ils gagnent dix mois en un an.
RECHERCHE D'ÉQUIPE SUR LA DÉBILITÉ MENTALE 357

De si beaux résultats me laissent un peu perplexe : que les


déficients non-typiques soient de pseudo-débiles capable de
récupérer rapidement dans un bon milieu éducatif je l'admets
assez facilement et cette constatation suffirait à valider mon
psychogramme. L'expérience de Gaby Netchine confirmerait
d'ailleurs indirectement l'observation faite par Michel Hurtig
sur les enfants socialement handicapés.
Mais le ralentissement des vrais débiles m'inquiète : à ce
rythme ils se tranformeraient en moins de trois ans en imbéciles..
Il y a là quelque chose à tirer au clair.
Cependant, établis sur une population bien définie, des faits
sont là, incontestables.
Nous abordons par eux le problème des etiologies et, sous
un certain angle, celui du pronostic.

§ 22. En essayant de saisir les relations entre les


performances mentales et l'électroencéphalogramme c'est une
contribution supplémentaire que Catherine Lairy et Serge Netchine
apportent à toutes les questions connexes d'une définition de
la débilité mentale : étiologie, diagnostic et pronostic.
On sait combien la notion est controversée d'une relation
entre l'intelligence et certains rythmes de l'activité cérébrale.
Les techniques et les elaborations originales de nos auteurs
déblaient considérablement le terrain.
L'hypothèse à laquelle ils tiennent le plus est que, s'il existe
des aspects de l'EEG spécifiques de différents niveaux mentaux,
ces aspects tiennent moins à tel ou tel indice isolé qu'à leur
mode de groupement.
En fait, Serge Netchine et Lairy parviennent bien à dégager
des modèles d'organisation cérébrale qui caractérisent des
niveaux mentaux différents. Et c'est un nouveau progrès par
rapport à un travail que nous avons publié ensemble il y a
quelques années.
Mais je ne vois pas que cette constatation d'une grande
importance élimine l'hypothèse que des indices « isolés » puissent
être, eux aussi, les indicatifs du niveau mental.
Je constate en effet, que pour des sujets de même âge, la
lenteur du rythme occipital est en corrélation positive avec
l'infériorité du niveau mental, que la rapidité du rythme
occipital est en corrélation positive avec la supériorité du niveau
mental. .
358 R. ZAZZO

Ici comme en d'autres domaines la comparaison entre débiles


et normaux peut s'exprimer par des différences quantitatives
et par des différences spécifiques de structures.

B. — De l'enfant débile à l'adolescent


le problème du pronostic.

, § 23. Cette seconde partie consacrée au problème du


pronostic de la débilité mentale n'est en rien comparable à la
première.
Elle est beaucoup plus brève du seul fait que les études
y sont moins nombreuses et commencées depuis moins longtemps.
Mais aussi et surtout elle introduit une perspective de recherches
profondément différente de celle que nous avions pour l'étude
du diagnostic.
Nous sommes partis ici d'une question posée par la pratique
pédagogique et professionnelle : comment se fait-il que parmi
les adolescents classés comme débiles quand ils étaient enfants
certains s'adaptent professionnellement et socialement et, par
conséquent, n'apparaissent plus comme débiles ? Les Q.I.
avaient-ils été mal calculés ? Les Q.I. se sont-ils modifiés ?
Une autre explication est-elle possible ?
J'ai déjà dit en cet article (§ 3) et ailleurs la conclusion
à laquelle nous sommes rapidement parvenus. Dans la majorité
des cas il ne s'agit ni d'une erreur de calcul, ni d'une
amélioration du Q.I. Le Quotient Intellectuel calculé à plusieurs
années de distance reste pratiquement constant.
L'explication est autre : si le Q.I. ne change pas, les
critères d'adaptation par contre se modifient profondément, et
peut-être aussi la personnalité de l'enfant.
La première question, et la plus importante, est de savoir
quelles sont les caractéristiques qui font qu'un adolescent est
adapté socialement, professionnellement, et jugé comme tel
par son entourage : bref, quels sont alors les critères de la
débilité et de la non-débilité puisque, en dernière instance, la
débilité est définie comme une inadaptation au milieu : scolaire,
professionnel, social.
La seconde question, dont dépend en fin de compte toute
possibilité de pronostic, est de savoir si ces caractéristiques
que nous saisissons chez l'adolescent sont une émergence impré-
RECHERCHE D'ÉQUIPE SUR LA DÉBILITÉ MENTALE 359

visible, ou bien si ces caractéristiques (au moins certaines d'entre


elles) sont déjà décelables dans l'enfance, mais échappent
habituellement à la routine des examens et à l'intérêt des adultes.

§ 24. Posé en ces termes d'adaptation au milieu, le problème


du pronostic nous oblige donc à abandonner, au moins pour
un temps, le laboratoire et ses techniques traditionnelles.
Il faut aller voir, sur place, comment se comporte
l'adolescent débile. Dans la salle de classe, mais aussi à l'atelier où
s'amorce sa formation professionnelle.
Les articles de Robert Mandra, de Maria Dubost et Claude
Kohler nous introduisent dans l'univers scolaire et
professionnel de ces adolescents que, seul, le critère du Binet-Simon
réunit encore sous le diagnostic de débiles mentaux.
Mais il ne suffît pas de voir. Nous, voulons savoir pourquoi
certains de ces adolescents s'adaptent et pourquoi d'autres
ne s'adaptent pas. Nous avons alors élargi notre équipe à
plusieurs collègues de l'École de la rue Desprez où fonctionnent
débiles'
pour les adolescents plusieurs classes de
pré-apprentissage *. En plus des séances régulières de travail avec le
directeur, les professeurs, et les maîtres d'atelier nous avons institué
une liaison permanente entre le laboratoire et l'école : au moyen
de techniques qu'elle a spécialement mises au point pour cette
étude, une de mes collaboratrices, Lucette Merlet, a observé
et analysé le comportement des adolescents débiles en classe
et à l'atelier.

§ 25. Les tâtonnements, les minutieuses démarches


préliminaires de Lucette Merlet pour comprendre le milieu étudié,
pour formuler exactement ses problèmes, pour mettre au point
ses techniques ne sont pas la partie la moins intéressante de
son travail. C'est une reconversion à laquelle on assiste, un
processus de rupture par rapport aux routines du laboratoire.
. Nous avions formulé ensemble l'hypothèse, somme toute
fort banale, que dans la bonne adaptation de l'adolescent débile
intervenaient des qualités motrices et sensori-motrices et des
qualités de caractère. Lucette Merlet parle ici de qualités

1. M. Caron, directeur; M. Mandra, professeur; M. Barnley, psychologue-scolaire;


M. Durck, professeur à l'atelier de cordonnerie ; M. Le Maux, professeur d'éducation
physique.
360 • R. ZAZZO

humaines qu'elle définit comme l'aptitude à établir facilement


des contacts et des liens avec autrui.
Encore fallait-il quantifier ces qualités, en établir une
description précise; une catégorisation satisfaisante.
Pour saisir les qualités « humaines » de chaque sujet c'est
à l'entourage qu'elle s'est adressée : aux maîtres par le moyen
d'un simple questionnaire de caractère et de comportement,
aux camarades par le moyen d'un questionnaire sociométrique.
Pour saisir les qualités motrices, sensori-motrices et d'une
façon plus générale le style du travail en atelier elle a procédé
à des observations directes, avec chronométrage, suivant un
schéma de catégorisation qu'elle avait établi dans une période
d'observations préliminaires.
De l'expérience sociométrique elle parle peu dans son
présent article. Le compte^rendu complet en a été fait à Bonn,
au Congrès International de Psychologie (1960).
Nous nous bornerons à souligner ici que la formule socio-
métrique de chaque individu, c'est-à-dire la combinaison des
choix et des rejets dont il est l'objet traduit éloquemment son
degré de réussite sociale dans le groupe, d'après les
recoupements opérés avec l'opinion des maîtres. Enfin et surtout,
ce qui est de première importance pour saisir un facteur
d'adaptation indépendant des critères du Binet-Simon, que la
formule de popularité est largement indépendante du Quotient
Intellectuel.
Le questionnaire sociométrique, appliqué jusqu'ici de façon
rarissime aux débiles mentaux, nous apparaît donc comme une
technique très efficace pour mettre en évidence et mesurer
certaines conditions extra-intellectuelles de leur adaptation.

§ 26. Dans l'état actuel de nos travaux c'est cependant


la technique d'observation systématique qui nous paraît le
plus rentable immédiatement.
Les chiffres et les graphiques publiés par Lucette Merlet
caractérisent les adolescents examinés avec une netteté
étonnante.
Ces adolescents, au nombre de quatre, avaient été choisis
en fonction du désaccord entre le diagnostic du Binet-Simon
et l'opinion des maîtres : deux des adolescents étaient
considérés par les maîtres d'atelier et les instituteurs comme
difficilement adaptables, et débiles au sens le plus complet du terme,
RECHERCHE D'ÉQUIPE SUR LA DÉBILITÉ MENTALE 361

les deux autres au contraire comme bien adaptés et somme


toute intelligents en dépit d'un Q.I. de 0,60.
L'expérience de Lucette Merlet devait objectiver, justifier
et expliquer l'impression des maîtres.
Il apparaît en effet que les deux sujets considérés comme
« intelligents » ont toujours un rendement plus rapide et
meilleur dans les tâches qui leur sont demandées. Dans des conditions
standardisées, l'exécution du même travail de cordonnerie
par exemple demande quelques minutes aux deux premiers,
une demie-heure pour le troisième, et plus d'une heure pour
le quatrième. Or ce quatrième, lent, inefficace, et considéré
par ses maîtres comme un vrai débile irrécupérable, est le plus
intelligent des quatre d'après le Binet-Simon. Son Q.I. est de
0,79.
Quand on analyse dans le détail le comportement de nos
adolescents on constate que la lenteur n'est pas essentiellement
affaire de motricité mais qu'elle est due à des pertes de temps,
au manque de continuité, à la distractiyité, au manque
d'organisation et de concentration. Les qualités inverses
d'organisation, de continuité dans l'effort peuvent fort bien appartenir
à des débiles pourvu que les tâches entreprises n'exigent pas
un haut niveau de logique et d'abstraction.
Il est probable que ces qualités et ces défauts sont en
rapport plus ou moins direct avec l'étiologie de la débilité, avec
l'histoire affective et éducative du débile. Il est probable alors
que de telles caractéristiques peuvent être saisies dans l'enfance
scolaire, mais à condition que les tâches proposées aient la
complexité, la signification d'activités réelles, où la personnalité
de l'individu puisse être engagée.
Le raccord reste à faire entre cette image de l'adolescent
débile dont Lucette Merlet nous livre les premiers traits et
l'image de l'enfant débile telle qu'elle est dessinée par nos
techniques traditionnelles.
C'est alors, et alors seulement, que nous pourrons parler
de pronostic.

§ 27. Marie-Claude Hurtig et Hilda Santucci ont entrepris


•ce travail de raccord. En partant du profil-type pour voir ce
qu'il devient chez les adolescents.
C'est l'inverse du bon chemin puisque pour établir un
pronostic d'adaptation il faudrait au contraire rechercher dans
362 R. ZAZZO

l'enfance l'amorce des qualités exigées dans l'adolescence.


Nos collaboratrices le savent bien mais en attendant mieux,
et disposant de matériaux immédiatement exploitables, elles
ont voulu s'assurer que ces matériaux ne recelaient pas quelques
éléments de valeur pronostique.
En fait elles ont dû assez vite se borner à rechercher si les
modifications survenant à l'adolescence avaient quelque
incidence sur l'allure du profil : ce qui est évidemment tout autre
chose que de rechercher dans le portrait de l'enfant quelques
traits futurs de l'adolescence.
Mais le travail valait la peine d'être tenté : il permet d'étudier
la constance ou les éventuelles transformations de certaines
caractéristiques que nous connaissons bien chez les débiles
d'âge scolaire.

§ 28. Le fait brut et incontestable mis en évidence ici


est la constance du profil-type : la hiérarchie des épreuves
observée à l'âge scolaire se retrouve sans aucune modification
dans le profil-type des adolescents débiles.
Cependant si la hiérarchie des épreuves reste identique
l'écart entre les épreuves extrêmes diminue. Il passe de 32 points
(de Q.R.) pour la population scolaire à 20 points pour la
population post-scolaire. Cette diminution de l'écart est due
essentiellement au fait que le Quotient Relatif du Pointillage baisse
avec l'âge et que celui du Bender augmente.
C'est ce fait que Marie-Claude Hurtig et Hilda Santucci
analysent et commentent longuement.
Leur hypothèse est que l'aspiration à un statut d'adulte
empêche le débile adolescent de se mobiliser pour des activités
qu'il juge infantiles (exemple : l'épreuve de pointillage) et
par contre détermine une attitude de mobilisation pour des
activités valorisées socialement ou intellectuellement (exemple :
l'épreuve de Bender).
Cette hypothèse a surtout une valeur heuristique pour les
recherches futures. Elle présente en outre l'intérêt d'attirer
l'attention sur le fait qu'avec l'âge des facteurs extérieurs au
rationnel d'une épreuve peuvent en modifier la signification.
RECHERCHE D'EQUIPE SUR LA DÉBILITÉ MENTALE 363

Conclusions.

§ 29. J'ai essayé de donner une vue d'ensemble des travaux


poursuivis par l'équipe psychologique de l'Hôpital Henri Rous-
selle sur le thème de la débilité mentale, d'en indiquer les
principaux fils directeurs, d'en dégager les résultats essentiels.
Certes nous ne sommes pas les premiers à avoir soutenu
que le Quotient Intellectuel ne peut suffire m au diagnostic
ni au pronostic de la débilité mentale.
Nous ne sommes pas les premiers non plus à rechercher les
spécificités du débile. En 1905, alors qu'il publiait son fameux
test qui semblait opérer une assimilation du débile à l'enfant
normal, Binet lui-même déclarait : « II existe nécessairement
entre l'enfant normal et l'enfant débile des différences apparentes
et cachées... Il se peut que nous réussissions un jour à dégager
des signes d'arriération psychologique tout à fait indépendants
de l'âge... Ce sera l'objet d'un travail ultérieur ».
Ce programme de travail que Binet, mort prématurément,
n'a pas pu entreprendre nous l'avons repris à notre compte.
En identifiant ces spécificités, ces signes d'arriération
indépendants de l'âge, nous avons cherché à distinguer le débile
non seulement de l'enfant normal mais d'autres formes de
déficience.
Nous avons tenté d'aller plus loin et de réaliser ici encore
un vœu de Binet : passer du diagnostic au pronostic. Ici la
tâche est plus difficile et nous n'avons guère fait que déblayer
grossièrement le terrain.
Au moins serons-nous satisfaits si nous avons bien convaincu
nos lecteurs que le pronostic n'est pas, en ce domaine, une
transposition pure et simple du diagnostic dans l'avenir.
En quelle mesure et de quelle façon d'ailleurs les
descriptions différentielles du présent auxquelles nous avons consacré
nos principaux efforts sont-elles des diagnostics, dans quelle
mesure le diagnostic et le pronostic sont-ils solidaires ?
La description différentielle du présent devrait être un lien
entre le passé et l'avenir, entre l'étiologie et le pronostic. C'est
un constat mais qui ne prendra sa pleine signification, qui ne
deviendra une véritable connaissance discriminative, une
diagnose, que par validation avec les etiologies accessibles et le
terme ultérieurement connu du développement.
364 R. ZAZZO

Puisque nous ne disposons en général que des données


présentes c'est sur ces données que nous sommes d'abord amenés
à travailler et sans connaître à quoi elles sont liées. Mais la
validation peut être amorcée sur des cas privilégiés. Par exemple
notre profil-type et ses variantes peuvent être validés par les
cas où les données de l'anamnèse et des examens neurologiques
nous renseignent avec précision sur l'étiologie. Et le profil
une fois validé peut servir au diagnostic étiologique des cas pour
lesquels nous, ne savons rien.
Dans la direction du pronostic le problème se pose
autrement. Le terme d'une évolution dépend des facteurs organiques,
des etiologies, mais aussi des influences éducatives et enfin
d'une trajectoire psychologique qui peut ne pas être linéaire.
La débilité mentale n'est pas seulement définissable par le
rythme intellectuel de croissance dont nous savons qu'il reste
à peu près constant tout au cours de l'enfance : elle est une
notion relative à certains critères sociaux, elle est aussi un état
qui évolue qualitativement avec l'âge.
S'il en est ainsi un pronostic absolument certain est
impossible non seulement en fait, par imperfection de nos connaissances,
mais aussi en droit.
De cette marge d'incertitude nous devons nous féliciter.
Elle est la marge de liberté où l'action formatrice et
transformatrice du milieu peut s'exercer. Elle est une négation de
la fatalité.
Sans doute d'un vrai débile nous ne ferons jamais un homme
d'une « intelligence » moyenne. Mais l'intelligence n'est pas
nécessaire pour s'adapter au milieu, pour « passer inaperçu »
selon l'heureuse formule t de Mandra.
Une meilleure connaissance des exigences minima de la
société, une connaissance plus fine des possibilités du débile
nous permettront d'adapter le débile à son milieu, dans la
majorité des cas. L'œuvre poursuivie par Maria Dubost le prouve.
Nous devons rechercher dans l'enfance du débile tous les
éléments de pronostic pour, en fin de compte, donner tort à ce
pronostic.

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