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Examen médicolégal des maltraitances infantiles — Partie 1

Serge Garcet :
Bonjour Docteur Niveau, vous êtes psychiatre et pédopsychiatre. Vous êtes également
Responsable de l’Unité de Psychiatrie Légale de Médecine Légale de Genève. Merci tout
d’abord de répondre à nos quelques questions. Vous avez par ailleurs réalisé une capsule
autour de l’outil SVA dans l’analyse de la crédibilité, et nous allons ici essayer d’aller un peu
plus loin de façon à mieux comprendre ses outils, ses enjeux et ses limites. La première des
questions que j’aurais envie de vous poser, c’est [que] finalement la question de la crédibilité
est une question assez complexe. Pourriez-vous la redéfinir en quelques mots ?
Gérard Niveau :
Bonjour, Professeur Garcet. La crédibilité est une notion un peu galvaudée au sens commun.
La définition n’est pas très claire au sens commun. Un discours est considéré comme crédible
si on peut lui attribuer une certaine valeur. Je vous répondrais plutôt, en tant que psychiatre
légiste, que pour la justice, pour un procureur par exemple, la question de savoir si un discours
est crédible revient à demander s’il existe des critères scientifiques pour que l’on puisse
considérer qu’un discours est crédible, ou une audition de l’enfant en particulier. Et
actuellement, à ce jour — si je puis dire —, la seule méthode scientifique validée est la
méthode dite du Statement Validity Analysis (SVA), cette fameuse méthode SVA qui est
utilisée dans de plus en plus de pays en Europe et en Amérique du Nord.
Serge Garcet :
Quelle différence pouvons-nous faire entre crédibilité et vérité ? Ce sont souvent des notions
qui sont confondues. Considérer un enfant comme crédible revient-il à dire qu’il dit la vérité ?
Gérard Niveau :
Alors effectivement, il est très important au sens médicolégal, de distinguer la crédibilité de la
vérité. Un discours crédible, malheureusement, ne reflète pas toujours la vérité. Là aussi au
sens commun, on le comprend bien. Mais au sens médicolégal, c’est un problème plus
compliqué, puisqu’un enfant peut avoir un discours crédible si, au pire, il ment de façon
efficace, ou s’il a été influencé par souvent un adulte qui va lui proposer un discours qui, une
fois entendu par l’expert ou par le juge, va sembler réaliste, crédible… Alors que par hasard
on pourra découvrir qu’en fait les faits qu’il décrit ne sont jamais survenus. Donc, on voit
d’emblée que c’est là une limite, qu’il faut bien connaître et bien identifier cette méthode
SVA.
Serge Garcet :
Et justement, vous avez évoqué la notion de mensonge. De la même manière, que pouvons-
nous dire des rapports entre crédibilité et mensonge ? Pourrait-on dire, par exemple, qu’un
enfant est crédible malgré qu’il soit capable de mentir ?
Gérard Niveau :
Bien sûr, les enfants mentent d’autant mieux qu’ils s’approchent de l’âge adulte. Les enfants
peuvent mentir dès un âge très jeune. Mais souvent quand ils sont justement petits, quand ils
ont 5 ou 6 ans, ils mentent avec beaucoup de maladresse. Donc on identifie assez facilement
le mensonge. Ce qui est aussi important à prendre en considération, c’est que quand l’enfant
ne dit pas la vérité, ce n’est pas forcément qu’il ment. Cela peut être qu’il n’a pas compris
certaines choses, qu’il s’exprime de façon malhabile qui fait que son discours ne reflète pas la
vérité, ou qu’il a été influencé par une forte suggestion, qu’il répète le discours qu’on lui a
suggéré sans forcément avoir la conscience qu’il ment.
Serge Garcet :
Vous venez de le dire, l’enfant peut mentir, entre guillemets, de façon intentionnelle ou de
façon non intentionnelle, éventuellement aussi par loyauté à l’égard d’un des parents dans
une problématique de cet ordre. Et paradoxalement dans notre société, la parole de l’enfant
a tendance à être un petit peu sacralisée. L’enfant dit toujours la vérité. Alors d’une certaine
façon, n’y a-t-il pas là un problème de fond ? Et que devons-nous penser de cette place de la
parole de l’enfant dans le procès et dans son évaluation ?
Gérard Niveau :
Oui, nous vivons une période où la parole de l’enfant est partiellement sacralisée. On ne va
pas remonter jusqu’à l’Antiquité, mais il y a encore un ou deux siècles la parole de l’enfant
était plutôt considérée comme n’ayant aucune valeur. Donc on considérait facilement que les
enfants ne disaient pas la vérité. Actuellement, le balancier est un peu de l’autre côté. Ce qui
est important du point de vue de l’expert, ou du légiste, c’est de se positionner dans une
position d’impartialité, c’est-à-dire de ne pas se laisser influencer par ces croyances
populaires, ou par la pression médiatique, ou par ses sentiments propres, parce que nos
sentiments propres vont toujours un petit peu dans le sens du soutien de l’enfant, qui d’autant
plus, apparait comme une victime potentielle. Et donc, il ne faut bien sûr pas non plus se situer
dans une position systématiquement inverse. Il faut essayer de se détacher de ces aspects un
peu émotionnels, et se cantonner à un rôle d’analyse scientifique — aussi scientifique que
possible — de ce discours qui nous est proposé par l’enfant.
Serge Garcet :
Je vous entends par rapport à cette nécessité d’être attentif par rapport à l’analyse
scientifique de la parole de l’enfant. Pourtant dans le passé, on a quand même connu quelques
égarements assez retentissants dans des affaires judiciaires. Je pense notamment à l’affaire
d’Outreau en France. Pensez-vous à ce niveau-là que si l’analyse de la crédibilité avait été faite
avec d’autres méthodes que celles qui avaient été proposées à l’époque, le résultat aurait été
différent, dans l’analyse judiciaire qui aurait été faite de ces situations ? Y a-t-il une évolution
dans la façon dont nous rendons compte de la crédibilité de l’enfant au niveau de l’expertise ?
Gérard Niveau :
Oui, d’un autre côté, on est dans une situation un peu facile, un peu de « rejouer la pièce alors
que l’on connaît la fin ». Mais je crois qu’effectivement dans la plupart des grands scandales
qui concernent ces expertises — scandales qu’on retrouve également dans l’expertise de
dangerosité —, le grand problème dans ces affaires, c’est souvent que la méthodologie n’a
pas été la bonne, voire — je pense à l’affaire d’Outreau, sans vouloir être excessivement
critique — l’absence totale de méthodologie qui fait que les experts ont fait une sorte
d’évaluation un peu instinctive — peut-être aussi avec tout de même une certaine bonne foi
— qui s’est avérée excessivement subjective. Je pense que c’est de ce fonctionnement qu’a
abouti le scandale, et les erreurs bien sûr. Je pense qu’il y a eu une évolution. Quand on parlait
de ce balancier de crédibilité entre « trop de crédibilité » ou « pas assez de crédibilité
d’emblée », actuellement, le balancier est en train de se remettre au centre. Une fois de plus,
avec une exigence d’approche beaucoup plus scientifique, une exigence de la part de la justice
vis-à-vis des experts.

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