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Introduction
Après avoir étudié ensemble les éthiques des vertus et les étiques déontologiques, nous
allons maintenant aborder un troisième grand courant : les éthiques conséquentialistes et
utilitaristes. La cinquième leçon tournera autour de la figure de Jérémy Bentham, qui est
considéré comme le fondateur de l’utilitarisme. C’est François Dermange qui va nous
conduire à travers cette leçon. Dans un premier temps nous allons retracer la jeunesse de
l’utilitarisme en montrant en particulier comment ce courant propose une nouvelle
conception du bien, une conception objective basée sur l’observation scientifique des
comportements humains. Dans un deuxième temps, nous examinerons plus en détails
comment Bentham lui-même a conçu l’utilitarisme. Comme nous verrons dans la
deuxième séquence, Bentham parle de l’observation des êtres humains tels qu’ils sont et
non pas tels qu’ils devraient être. Pour Bentham, le bonheur de l’être humain se trouve
dans la maximisation des plaisirs et la minimisation des peines.
Nous étudierons alors comment Bentham rend ces plaisirs et ces peines commensurables,
c’est-à-dire comparables entre eux. Pour ce faire, le philosophe anglais va réduire en fin de
compte les peines et les plaisirs à des seuls biens matériels. Et c’est l’argent qui va devenir
l’étalon de mesure pour les comparer entre eux. Dans les séquences suivantes nous allons
élargir la perspective sur l’utilitarisme. Dans la séquence quatre, nous découvrirons
pourquoi l’utilitarisme est une doctrine des lumières. Nous verrons que la pensée de
Bentham partage plusieurs traits communs avec les éthiques des lumières. Notamment
dans l’importance qu’elle apporte à l’impartialité et à l’égalité de tous les êtres humains.
Nous aborderons également dans cette séquence les principales critiques qui ont été
développées contre l’utilitarisme, en particulier la critique très virulente qui a été faite par
Nietzsche. Ensuite, deux séquences vont nous mener à considérer les ramifications
politiques de l’utilitarisme.
Nous nous interrogerons d’une part sur la tendance de l’utilitarisme à vouloir tout réguler
des comportements humains, et d’autre part sur la conception de la liberté qui a été
développée par les utilitaristes. Enfin nous allons terminer à nouveau par deux efforts de
mise en perspective de l’utilitarisme. Tout d’abord nous vous proposerons de travailler sur
un cas pratique. Nous aborderons ici la question de l’impôt juste. Et finalement c’est
Guillain Waterloo dans une dernière séquence qui nous offrira son regard sur l’utilitarisme
et nous montrera aussi toute la complexité de ce courant. Bon visionnement et bonne suite
de travail.
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Nous avons vu jusqu'à présent deux courants de l'éthique, un courant qu'on appelle le
courant des vertus, qui trouvait son origine chez Aristote, et puis un autre courant, le
courant des éthiques déontologiques ou du devoir, qui trouvait son origine chez Kant. Le
troisième courant que nous allons voir à partir d'aujourd'hui est un courant qui, lui,
raisonne de manière différente. Pour toutes les questions d'éthique concrètes qui se
posent à nous, nous avons trois manières de penser les choses. Ou bien on s'interroge sur
l'idée de personne bonne, de personnalité morale et auquel cas on va être orienté vers les
éthiques des vertus ; ou bien on réfléchit aux critères de l'action juste et dans ce cas, on va
être orienté vers les éthiques déontologiques ; ou bien, et c'est le troisième grand courant
que nous allons étudier à partir d'aujourd'hui, on s'intéresse aux conséquences
souhaitables de l'action, et on entre dans le champ de notre troisième courant, les éthiques
conséquentialistes et utilitaristes. Il faut bien comprendre que pour ces éthiques, elles sont
à la fois téléologiques. Vous vous souvenez ce que veut dire téléologique. Téléologique
veut dire qu'elles sont orientées vers un but comme l'éthique d'Aristote, mais à la
différence de l'éthique d'Aristote, ce but est défini de manière totalement différente que
pour les éthiques des vertus. En effet, vous vous en souvenez, pour les éthiques des vertus,
la question centrale, c'est le but, mais ce but c'est le bien, et ce bien c'est le bonheur. Un
bonheur qui est conçu d'abord de manière personnelle pour l'agent moral et ensuite par
extension pour l'ensemble de la société. Or ici, si ces éthiques sont téléologiques, elles ne
sont pas eudémonistes, c'est-à-dire que le but n'est pas défini en fonction d'une définition
du bonheur.
Ce sont des éthiques qui naissent au moment des Lumières comme l'éthique de Kant,
comme les éthiques déontologiques. Et comme elles, elles réagissent aux conflits civils et
religieux qui ont fait répandre en Europe tellement d'encre mais aussi tellement de sang.
On ne peut plus penser la question du bien comme étant à la base de l'éthique, ou en tous
les cas on ne peut plus la penser à partir de ce que les religions ou les philosophies antiques
proposaient comme définition du bien. Les éthiques déontologiques, elles, décident de
couper définitivement avec la question du bien. Elles n'ont plus une définition substantielle
mais une définition formelle de l'éthique. Le conséquentialisme, lui, raisonne autrement.
Il se dit, si on ne peut pas s'entendre sur la définition du bien, parce qu'il y a des
catholiques, il y a des protestants, il y a des stoïciens, il y a des platoniciens, des
aristotéliciens, tout ce que vous voulez, eh bien on va trouver une manière objective,
scientifique de définir ce qui est bien, et on va le faire par l'observation des comportements
humains. Donc il s'agit bien d'une éthique téléologique, orientée vers un but, mais ce but
n'est plus le grand but proposé par la philosophie d'une définition du bonheur, il va naître
de l'observation scientifique de la manière dont les gens se comportent pour viser leur
bien. Si on veut réfléchir maintenant aux différences de cette manière de voir les choses
avec les éthiques des vertus, on doit pouvoir constater ceci, il ne s'agit pas de se prononcer
sur le fait de savoir si les personnes telles qu'elles se comportent se comportent bien ou se
comportent mal ; il s'agit d'abord de voir ce qu'elles font. Et si on voit ce qu'elles font, alors
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on pourra en tenir compte dans la composition ensuite, dans la recherche du bonheur pour
tous. Donc il n'y a pas de jugement moral sur le comportement des personnes. Il n'y a pas
d'appréciation non plus sur ce qu'il faudrait qu'elles fassent pour se comporter mieux.
Il n'y a plus de perfectionnisme ; ce perfectionnisme qui faisait que dans l'éthique des
vertus, on cherchait à devenir quelqu'un de bien, une personnalité morale. On doit dire
aussi que ces éthiques ne définissent pas le bien de la manière dont les éthiques des vertus
le définissaient, c'est-à-dire en disant, que le souverain bien était le bien qui ne renvoyait
à aucun autre bien. On abandonne cette manière de voir les choses. De même, on
abandonne l'adéquation que posaient les éthiques des vertus entre mon bonheur et le
bonheur de l'ensemble de la société. Les deux choses, peut-être sont d'ordres différents,
et ce qui intéresse ici, c'est d'abord le bonheur de la société. Donc pour toutes ces manières
de voir les choses, pour toutes ces éthiques conséquentialistes, il s'agit bien d'être
téléologique sans adhérer au modèle des vertus. À présent, nous allons voir la principale
figure des éthiques conséquentialistes qui est Jeremy Bentham, qui sera le fondateur d'un
courant nouveau qu'on va appeler l'utilitarisme. Si nous filmons cette séquence dans cette
rue, c'est que cette rue porte le nom d'Étienne Dumont. Étienne Dumont était un pasteur
genevois qui ensuite a été le principal collaborateur de Bentham, qui s'est converti à
l'utilitarisme, et qui a été le principal propagateur des idées de Bentham sur le continent.
Donc nous sommes en quelque sorte ici au cœur même de là où a été pensé l'utilitarisme
naissant.
Séquence 2 : l’utilitarisme de Bentham.
Jeremy Bentham, le fondateur de l'utilitarisme, est un homme des Lumières. Né en 1748,
mort en 1832, il est un peu plus jeune que Kant, mais c'est vraiment la même génération
que lui. Par contre, il vit dans un tout autre contexte. Le contexte de l'Angleterre, une
Angleterre qui s'industrialise déjà, une Angleterre qui a une tradition beaucoup plus
pragmatique que la Prusse orientale de Kant. Pour Bentham, lorsqu'il s'agit de faire sa
propre déontologie, un terme qu'on a déjà entendu chez Kant, il s'agit d'avoir une approche
entièrement différente. Il ne s'agit pas de s'abstraire de la science, comme Kant s'abstrait
de la métaphysique, mais il s'agit, au contraire, d'avoir du bien, d'avoir du bonheur, une
vision concrète, scientifique, objective, basée sur l'observation. Or, que prétend Bentham?
C'est que si les individus peuvent être chrétiens, pas chrétiens, catholiques ou protestants,
ou s'ils peuvent être plutôt proches des platoniciens ou au contraire des stoïciens, il n'en
reste pas moins que dans leur manière concrète d'agir, on voit peu de différences. Ce qu'ils
cherchent, et ce sera la base anthropologique de toute l'analyse de l'utilitarisme, ce qu'ils
cherchent avant tout, c'est leur plaisir et, par contraste, à échapper à la peine, à la douleur.
Pour Bentham, il s'agit donc de regarder l'homme tel qu'il est et non pas tel que les
moralistes voudraient qu'il soit. Un être qui est entièrement pris par la quête du plaisir et
par la fuite de la douleur. Voici ce qu'écrit Bentham. >> La nature a placé l'humanité sous
l'égide de deux maîtres souverains, >> la peine et le plaisir. C'est à eux seuls d'indiquer ce
que nous devons faire, aussi bien que de déterminer ce que nous ferons. À leur trône est
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fixée, d'un côté la norme du bien et du mal, de l'autre, l'enchaînement des causes et des
effets. Ils nous gouvernent dans tout ce que nous faisons, dans tout ce que nous disons,
dans tout ce que nous pensons. >> On le voit donc, pour Bentham, il s'agit, donc, de penser
les choses à partir de ce que l'être humain est réellement, dit-il, un être de plaisir, un être
qui cherche le plaisir.
Il ne s'agit donc pas de vouloir transformer les comportements humains, mais, d'abord, de
comprendre comment l'esprit humain fonctionne. Et ici, Bentham s'enracine dans une
grande tradition philosophique anglaise et écossaise, en particulier peut-être, le nom de
Hume, qui voudra lui aussi dans son Traité de la nature humaine, devenir le Newton de la
philosophie morale, en regardant comment l'esprit humain fonctionne, pourra-t-il nous
indiquer ce que Bentham veut faire lui aussi, essayer de renouveler entièrement la morale
par la méthode scientifique. Voici encore ce qu'écrit Bentham. >> Je me suppose étranger
à toutes les dénominations de vices ou de vertus. Je suis appelé à considérer les actions
humaines uniquement par leur effet en bien ou en mal. Je vais ouvrir deux comptes. Je
passe au profit pur tous les plaisirs, je passe en perte toutes les peines. Je pèserai
fidèlement les intérêts de toutes les parties ; l'homme que le préjugé flétrit comme vicieux
et celui qu'il préconise comme vertueux sont pour le moment égaux devant moi. Je veux
juger le préjugé même et peser dans cette nouvelle balance toutes les actions, afin de
former le catalogue de celles qui doivent être permises et de celles qui doivent être
défendues. >> Il s'agit, donc, pour Bentham, de n'avoir aucun a priori >> sur qui est vicieux,
qui ne l'est pas, qui est un homme de bien, qui n'est pas un homme de bien, mais de
regarder concrètement comment les gens agissent, quels sont les plaisirs qu'ils recherchent
et, au bout du compte, quels sont leurs buts qu'on devra encourager ou au contraire
dissuader.
Pour cela, Bentham se livre à une analyse très fine des comportements humains. Il s'agira
d'abord, pour lui, de déterminer quels sont les différents types de plaisirs et quels sont les
différents types de peines qui peuvent nous affecter. Et là, il va identifier toute une série.de
plaisirs simples et de peines simples. J'en énumère ici quelques-uns: les plaisirs des sens,
de la richesse, de la compétence, de la bonne entente, de la renommée, du pouvoir, de la
piété, de la bienveillance, de la malveillance, de la mémoire, de l'imagination ou de
l'attente. Si on avait le temps, on pourrait voir que pour chacun de ces plaisirs simples, il y
a effectivement, toute une série d'observations, par exemple, sur ce que la bonne entente
peut nous fournir de plaisir, de relations avec les autres ou au contraire de relations qui ne
concernent que nous-mêmes par exemple, par la mémoire que nous avons d'événements
heureux passés. Et puis, à ces plaisirs simples, il y a aussi des peines simples qui, en général,
sont le contrepoint de ces plaisirs simples. La privation, c'est-à-dire la gêne financière, la
douleur des sens, les douleurs de la maladresse, de la discorde, de la mauvaise réputation,
de la bienveillance, de la malveillance, de la mémoire, de l'imagination, etc. En général, les
plaisirs ont, en contrepartie, des peines. Mais ce n'est pas toujours le cas, et on voit que
Bentham, par exemple, nous décrit comment l'ennui, qui est absence de plaisir, n'a pas de
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contrepartie du côté des plaisirs. Ou bien, le plaisir d'exercer du pouvoir n'a pas de
véritable contrepartie du côté des peines. Une fois qu'il a énuméré tous ces plaisirs et
toutes ces peines simples, Bentham va dire qu'il faut les pondérer par différents éléments,
pour véritablement comprendre, pour un individu donné, comment cet individu va définir
son propre plaisir ou pondérer ses différents plaisirs par différents facteurs. Ces différents
facteurs sont, par exemple, la durée. Plus un plaisir est durable, plus il sera valorisé par la
personne. Plus il sera intense, plus il sera valorisé par la personne. Mais aussi, plus il sera
pur, c'est-à-dire, non susceptible d'être suivi par un sentiment contraire, plus il sera
valorisé, plus il sera certain, plus il sera proche, plus il sera étendu, c'est-à-dire concernera
un grand nombre de personnes, plus il sera fécond, c'est-à-dire susceptible d'entraîner
d'autres plaisirs de la même espèce et plus il sera valorisé lui aussi. Autrement dit, Bentham
va inventorier, sans doute pour la première fois, de manière scientifique, ce qui peut
composer pour un individu la somme de ses plaisirs et de ses peines, et montrer comment,
pour un individu donné, en sachant que la formule sera différente chaque fois et pour
chacun d'entre nous. Nous essayons de viser notre bien. Mais notre bien, ce n'est plus le
bien d'Aristote, le propre bien, c'est la manière dont nous composons nos différents plaisirs
et nos différentes peines.
Voici, pour conclure cette séquence, ce que dit Bentham. >> Additionnez toutes les valeurs
de l'ensemble des plaisirs d'un côté, et celles de l'ensemble des peines de l'autre. Si la
balance penche du côté du plaisir, elle indiquera la bonne tendance générale de l'acte, du
point de vue des intérêts de telle personne individuelle ; si elle penche du côté de la peine,
elle indiquera la mauvaise tendance de l'acte. Pour chaque acte considéré, il s'agira, donc,
de voir quels sont, par une pesée d'intérêts, les plaisirs et les peines qui sont en jeu, pour
voir si la balance penche d'un côté ou de l'autre. La métaphore de la balance, comme la
métaphore comptable de ce qu'on met au crédit et ce qu'on met au débit, indique déjà
quelque chose de l'utilitarisme. Il n'y aura pas un point de vue fixe, mais une pesée
d'intérêts. Cette pesée d'intérêts sera la base même de l'utilitarisme.
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quelques-uns. Voici ce qu'écrit Bentham, pour vous montrer que finalement l'éthique est
une affaire de calcul. >> Veut-on évaluer une action? Il faut suivre en détail toutes les
opérations que l'on vient d'indiquer. Ce sont les éléments du calcul moral, et la législation
devient une affaire d'arithmétique : mal qu'on inflige, c'est la dépense, bien qu'on fait
naître, c'est la recette. Les règles de ce calcul sont les mêmes que pour tout autre calcul. >>
En pratique, comment est-ce que Bentham va procéder? Là, nous entrons dans le concret
du calcul. C'est difficile. C'est difficile parce que si on inventoriait un grand nombre de
plaisirs et un grand nombre de peines et trouvait des critères de pondération, il faut ensuite
réduire cette complexité, sans quoi on ne peut rien faire.
Dans cette réduction nécessaire, alors que Bentham a bien perçu la complexité de la chose,
mais dans cette réduction nécessaire, Bentham va considérer par exemple que seuls les
plaisirs qui nous concernent personnellement, égoïstement, doivent entrer en ligne de
compte. C'est tout à fait contre-intuitif. Par exemple, pourquoi est-ce que nous voulons
avoir une villa au bord du lac? Est-ce que c'est simplement pour la jouissance égoïste que
nous aurons en nous levant le matin pour voir le lac, ou est-ce que c'est aussi pour en faire
profiter notre famille, nos amis, ceux que nous aimons, et peut-être encore davantage ceux
dont nous attendons la reconnaissance, parce que si on sait que nous avons une villa au
bord du lac, c'est vraiment que nous sommes des gens bien, des gens riches, des gens qui
sont arrivés à leur but? Mais ça, Bentham ne le prend pas en considération. Il ne prend en
considération que les plaisirs égoïstes. Autre réduction que va faire Bentham, c'est qu'il va
abandonner toutes sortes de critères de pondération des plaisirs et des peines, comme par
exemple la proximité, le fait qu'un plaisir soit proche ou bien la certitude que ce plaisir se
réalise. Il va encore considérer que les seuls plaisirs qui doivent entrer en ligne de compte
sont les plaisirs matériels, les plaisirs de la jouissance et non plus les plaisirs de l'esprit, les
plaisirs de la relation, les plaisirs de l'art, les plaisirs du sentiment, etc.
Et puis surtout, Bentham va considérer qu'il faut trouver un médium de comparaison des
différents plaisirs et des différentes peines, une unité de mesure commune des différents
plaisirs et des différentes peines. Il va chercher et il va finalement arriver à cette conclusion,
le seul critère qui permet de comparer l'ensemble des plaisirs et des peines c'est l'argent.
L'argent a ceci de magique en quelque sorte, que quelles que soient nos préférences
individuelles pour les fraises, pour les pommes et les bananes, certains aimeront beaucoup
les unes et beaucoup peu les autres, mais quelles que soient nos préférences individuelles,
le marché fixe un prix à chaque chose, un prix aux pommes, un prix aux fraises et un prix
aux bananes. Et donc si on utilise cette magie du marché, on pourra comparer les différents
plaisirs et les différentes peines. Je me souviens très bien moi-même que le premier cours
d'économie que j'ai suivi a duré trois minutes. Le professeur a regardé la plus jolie fille de
la classe et lui a demandé, mademoiselle, quel est le prix de votre vertu? 100 francs, 200
francs, 300 francs? La fille le regardait interloquée, et à un moment elle s'est énervée, et il
a dit, voilà, nous nous approchons du prix. Retenez une chose, toute chose a un prix, et
c'est à partir de ce prix que l'on pourra comparer les différents biens.
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Voici ce qu'écrit Bentham. >> L'usage d'une commune mesure est de permettre à la
personne qui parle de communiquer, à toute personne à laquelle elle parle, la même idée
qu'elle conçoit elle-même de la quantité d'une chose dont elle parle. Si donc, venant à
parler des quantités respectives de diverses peines et de divers plaisirs, et nous mettant
d'accord pour formuler à leur propos les mêmes propositions, nous voulons attacher les
mêmes idées à ces propositions, en d'autres termes, si nous voulons nous comprendre l'un
l'autre, il nous faut employer quelques communes mesures. La seule commune mesure que
comporte la nature des choses, c'est l'argent. Combien d'argent donneriez-vous pour
acheter ce plaisir? Cinq livres, et pas davantage. Combien d'argent donneriez-vous pour
acheter cet autre plaisir? Cinq livres, et pas davantage. Les deux plaisirs doivent, pour vous,
être réputés égaux. Combien d'argent donneriez-vous pour acheter immédiatement ce
plaisir? Cinq livres, et pas davantage. Combien d'argent donneriez-vous pour vous
exempter immédiatement de cette peine? Cinq livres et pas davantage. Le plaisir et la peine
doivent être réputés équivalents. >>
L'argent devient ainsi la base de la morale. Sans argent, on ne peut rien faire. Et si on a
l'argent, alors on pourra calculer la manière de maximiser l'ensemble des plaisirs et
l'ensemble des peines de tous les individus. À nouveau, voici ce que dit Bentham. >> Le
thermomètre est l'instrument qui mesure la chaleur, le baromètre, la pression de l'air. Ceux
que ne satisfait pas l'exactitude de ces instruments devront en trouver d'autres plus exacts
ou dire adieu à la philosophie naturelle [la physique]. L'argent est l'instrument qui mesure
la quantité de peine et de plaisir. Ceux que ne satisfait pas l'exactitude de cet instrument
devront en trouver d'autres plus exacts ou dire adieu à la politique et à la morale. >>
L'utilitarisme sert ainsi de mesure à l'économie, mais aussi à la morale et à la manière dont
le législateur devra transformer la société pour permettre la maximisation de la jouissance
de tous.
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argent. Est-ce que la vie humaine, est-ce que la santé, est-ce que la liberté peuvent être
comparables et monnayables? Évidemment, c'est une question qui, pour certains, tombera
sous le sens et on parlera d'économie du sport, d'économie de l'éducation, d'économie de
la santé et on trouvera une manière économique, par le calcul économique de résoudre les
problèmes sociaux, mais d'autres vont trouver qu'il s'agit là de quelque chose de tout à fait
indu. Enfin, une dernière grande critique va être adressée à l'utilitarisme. C'est que
l'utilitarisme, parce qu'il se prétend scientifique, prétend décrire les comportements
humains et se baser sur la description des comportements humains. Mais la science qui fait
cela effectivement, elle ne veut pas transformer la réalité. Or l'utilitarisme, s'il est
scientifique ou prétend l'être en tous les cas dans sa description des comportements,
prétend être aussi extrêmement normatif parce qu'il ne se contente pas de dire ce qui est
mais ce qui doit être.
Il ne s'agit pas simplement de décrire comme le fait le scientifique, comment les astres
gravitent, mais il s'agit de vouloir corriger les comportements humains pour qu'ils se
comportent de la bonne façon. Autrement dit, l'utilitarisme, derrière sa prétention
scientifique, est bien une doctrine philosophique qui n'est pas scientifique mais qui repose
sur une certaine vision de ce que doit être le comportement humain en essayant de corriger
les comportements humains pour qu'ils se comportent de la manière appropriée.
Comment une théorie peut-elle être scientifique et normative? Ce sera une des grandes
questions qui sera posée à l'utilitarisme de Bentham. Une dernière critique peut être
adressée à Bentham. Celle-là viendra et cela nous étonnera peut-être de Nietzsche, du
philosophe allemand. Lui, ce qu'il va reprocher à l'utilitarisme, ce n'est pas son caractère
arbitraire ou plus exactement ce qu'il va reprocher à l'utilitarisme, c'est qu'il considère que
tous les individus se valent. Si tous les individus se valent, cela veut dire qu'on va prendre
le point de vue de la masse, de la plus grande partie des individus et finalement sacrifier
peut-être pas l'innocent mais sacrifier l'élite. Les gens qui veulent s'émerger, émergé
justement de cette masse de gens pour s'affirmer eux-mêmes. Et voilà ce beau poème que
rédige Nietzsche contre les utilitaristes.
>> Pas un seul de ces animaux grégaires à l'intelligence épaisse et à la conscience inquiète,
et qui entreprennent de défendre la cause de l'égoïsme en la présentant comme celle du
bien-être général, ne veut admettre ni ne devine que le bien-être général >> n'est pas un
idéal, ni un but, ni une idée concevable, mais seulement un vomitif, que ce qui convient à
l'un peut ne pas convenir à l'autre, qu'exiger une seule morale pour tous, c'est léser
précisément les hommes supérieurs, bref, >> qu'il y a une hiérarchie entre les hommes et
par conséquent entre les morales. C'est une espèce modeste et foncièrement médiocre que
ces Anglais utilitaires. Salut à vous, braves charretiers ! Toujours plus ça dure meilleur c'est!
Toujours plus raides de la tête et des genoux, Sans enthousiasme ni plaisanterie,
Incurablement médiocres, Sans génie et sans esprit. >> Voilà une toute autre critique de
l'utilitarisme qui nous ouvrirait sur d'autres éthiques, >> des éthiques comme celles de
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Nietzsche, qui prendra le point de vue des hommes supérieurs, de ceux qui ont du génie et
qui veulent s'extraire de la masse.
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de rembourser leur dette. Mais, on voit qu'en 1787, le jeune Bentham écrit au vieux Smith,
Smith va mourir trois ans plus tard, il lui écrit en défendant l'usure, en défendant la liberté
des taux d'intérêt, et il va le faire avec un argument simple, il va dire, en réalité vous Smith,
vous voulez fixer un plafond aux taux d'intérêt, vous dites que c'est pour des raisons
économiques, mais en réalité ce n'est pas vrai, c'est pour des raisons morales parce que
vous pensez que les pauvres vont subir de plein fouet l'imposition de ces taux d'intérêt
élevés. Mais voilà ce qu'écrit Bentham à Smith, je pourrais dire, dit-il, que je vous dois tout
car si je parviens à remporter sur vous quelque avantage, ce ne peut être qu'avec les armes
que vous m'avez vous-mêmes fournies. Autrement dit, pour Bentham, il faut suivre le
libéralisme jusqu'au bout, et tant pis si des gens vont subir les conséquences de leurs actes
ou même s'ils sont mis sous pression par quelques-uns qui leur imposeront leurs
conditions. Tant pis parce que la seule chose qui doit compter, n'est pas un a priori qui
limiterait la liberté économique, par exemple la liberté d'imposer un prêt à un taux usuraire
mais la seule chose qui doit compter c'est l'avantage qu'en retirera toute la société. Et,
pour voir cela, eh bien il ne faut pas simplement regarder la situation de quelques uns, par
exemple les pauvres, mais il faut regarder l'intérêt commun, et si l'intérêt commun dicte
que les prêts à la consommation doivent être développés parce que cela permettra de
satisfaire la question des débouchés des entreprises, eh bien tant mieux et tant pis pour
les pauvres. Donc on le voit, il y a de grandes tensions entre le libéralisme politique et le
libéralisme économique et vous savez que, par exemple, sur cette question des taux
d'intérêt, eh bien toutes les législations n'ont pas au nom de principes économiques mais
au nom de principes de justice, vont dans les pays occidentaux, dans ces démocraties
libérales, vont fixer des plafonds aux taux d'intérêt, elles vont le faire parce qu'elles
défendront cette idée qu'une liberté politique n'a de sens que si la personne a des
conditions économiques suffisantes pour qu'elle puisse exercer ses droits, et donc au nom
de sa conception de la liberté politique, elle va fixer des limites à l'économie.
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une objection à l’utilitarisme, ici, plusieurs objections. Première objection, c’est de dire
que, probablement comme la décision de progression fiscale est décidée par la majorité
par le plus grand nombre, le plus grand nombre pourra imposer à une minorité des taux
que elles-mêmes n’aimeraient pas supporter et que, dans une perspective utilitariste
puisqu’on tient compte du plus grand nombre, on est prêt à sacrifier quelques-uns pour
l’intérêt du plus grand nombre. C’est quelques-uns sont généralement ici les riches et dans
une perspective libérale en particulier
On trouvera que la perspective utilitariste, est un peu suspecte. Deuxième objection, c’est
qu’elle répartition entre l’impôt direct et l’impôt indirect. Si ce qui compte, c’est la
maximisation du plus grand nombre, Eh bien, on aura tendance à considérer que, au fond,
c’est toujours difficile de payer des impôts directement, de faire sa déclaration d’impôts,
etc , et qu’il est moins douloureux de penser à un impôt indirect, par exemple la TVA plus
indolore semble-t-il que n’importe autre impôt, et en particulier que les impôts directs
donc peut-être que la considération du plaisir, et pas simplement du résultat comptable de
l’impôt entre en compte dans une perspective utilitariste, ce qui pourra paraître aussi à
certains un peu suspecte si au fond on considère de justice et pas simplement des critères
de plaisirs.
Peut-être qu’on pourrait dire un mot puisque tu as évoqué la taxation. Parfois l’idée de
l’impôt injuste mais à l’égard des plus riches. C’est-à-dire l’idée de la taxation particulière
des riches décisions qui avaient été, que le gouvernement français avait voulu mettre en
œuvre lorsqu’il y a quelques années, il proposait de taxer ceux qui ont plus d’un 1000000
de revenus d’euros par an, de les taxer à partir de ce 1000000 à 75%, donc en retirait les ¾
systématiquement avec l’idée d’une injustice claire parce que imposer des revenus à un
tel niveau, c’est, pas les ôter mais enfin, c’est en retirer quand même l’essentiel. C’est
confiscatoire donc, et en même temps avec cette idée de bien commun c’est-à-dire que le
gouvernement insistait à l’époque en disant oui mais c’est une situation de crise que nous
traversons. Il faut que ceux qui sont les plus aptes à payer paye davantage que les autres,
même si pour un temps on pourra dire que c’est une moindre injustice. Pareil question
qu’on pourrait également envisager du point de vue des forfaits fiscaux en Suisse, qui ont
été discutés récemment. Forfait qui consiste à donner enfin, je veux dire, des personnes
riches qui n’exercent pas d’activité lucrative professionnel sur le territoire mais qui
viennent s’installer en Suisse au lieu de payer l’impôt sur le revenu et surtout sur leur
fortune comme le ferait n’importe quelle Suisse. Ils ont droit à un forfait libératoire, un
forfait qui fait qu’au fond, ils payent moins qu’ils ne devraient payer normalement si on
comptait leur fortune, comme pour tous les autres Suisses. Et là, il y avait vraiment deux
arguments contradictoires lors de ce grand débat. Et qui, finalement a abouti à une réponse
négative au niveau confédéral. Mais malgré tout, il y avait 5 cantons qui avaient décidé
d’abolir ces forfaits fiscaux. Au fond il y a une contradiction entre d’un côté un point de
vue déontologique qui s’appuierait sur l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme
de 89, qui dit que chaque citoyen doit concourir en fonction de ses, capacités a d’égale
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manière en fonction de ses capacités à l’entretien du bien public. Donc on pourrait dire que
là d’un point de vue
De règles de principe il y a quelque chose d’injuste à l’idée de faire des forfaits fiscaux alors
que d’un point de vue utilitariste, on discute de l’avantage et du désavantage.
Effectivement, on a plutôt tendance à dire, mais somme toute, ces riches qui viennent avec
leur fortune, ils font tourner l’économie Suisse, ils font, ils mettent des sommes
considérables dans les banques suisses, ce qui permet à à la société de prospérer
davantage. Peut-être qu’on peut conclure avec un mot sur la perspective déontologique
précisément. Cette perspective dira probablement que la liberté va toujours de pair avec
une responsabilité, cette responsabilité, elle est d’abord intentionnelle. C’est librement
que chacun, en fonction de son niveau de revenu, de son niveau de fortune, devrait pouvoir
contribuer. Contribution publique au bien de la société. Alors, est-ce qu’on peut imposer
quelque chose qui devrait être voulu intentionnellement ? On le voit dans certains États
qui ont adopté une perspective fortement déontologique. Eh bien, chacun devrait être fier
en réalité des impôts qu’il paye et on devrait pouvoir afficher dans les communes une liste
des contribuables en fonction de leur contribution publique, parce que c’est un geste de
responsabilité. C’est un geste volontaire. Évidemment, vous le savez bien, dans la plupart
des États, il y a un secret. Et même lorsque les lois nous permettent de savoir ce qu’elles
sont les contributions de notre voisin, elles sont très difficilement applicables. Et ce secret
est bien va évidemment à l’encontre d’une perspective déontologique. Mais dans une
perspective déontologique chacun devrait être fier de payer ses impôts.
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proposer une éthique efficace qui ait une prise véritable sur la réalité, il ne veut surtout
pas considérer ce que les hommes pourraient être mais ce qu'ils sont et ce qu'ils veulent
tels qu'ils sont. Comme on constate que les êtres humains cherchent spontanément le
plaisir et cherchent à fuir le déplaisir, l'éthique va consister à trouver les voies pour
maximiser ce qu'il cherche, le plaisir et minimiser ce qu'il fuit, c'est-à-dire, la douleur. Et
cela sans se demander si l'existence humaine ne pourrait pas consister en d'autres visées.
Donc, on abaisse en quelque sorte les objectifs ou les aspirations que l'on pourrait avoir
pour l'humanité, on se détache par exemple de tout esprit religieux, la question n'est pas
de faire que l'humanité soit meilleure, la question est seulement de faire qu'elle soit la plus
contente d'elle-même, la plus contente de sa condition qu'il est raisonnablement possible.
Mais on pourrait objecter qu'il y a plaisir et plaisir. À quoi Bentham semble précisément
répondre, parce qu'il veut faire oeuvre de science, qu'il ne faut pas chercher à faire des
différences entre les plaisirs, différences qui risqueraient de faire entrer dans des
discussions infinies. Mais plutôt, trouver des modalités qui permettent de mettre tous les
plaisirs sur le même plan, de façon à pouvoir tous les comparer entre eux, les substituer les
uns aux autres et calculer les conditions de la maximisation des plaisirs, Bentham, ainsi,
sépare le plaisir de son objet, il suppose que tout plaisir est identique en soi à tout autre.
Que le plaisir a une seule nature, toujours la même, que ce soit le plaisir de celui qui
contemple une oeuvre d'art ou le plaisir de celui qui mange un hamburger. C'est le même
plaisir, la même étoffe, la même étoffe de plaisir, simplement, l'objet qui a suscité le plaisir
est différent, mais du coup, s'il est deux fois plus facile d'avoir des hamburgers à disposition
que de pouvoir consulter un tableau ou de pouvoir aller écouter une symphonie dans une
salle philharmonique, alors, il faut chercher à manger des hamburgers.
Les choses sont complètement claires quand Bentham donne son critère de comparaison
universel des plaisirs, et vous le savez-vous l'avez vu, ce critère de comparaison universel,
c'est l'argent. D'un côté, ce critère permet de faire des différences entre les choses, je peux
estimer que pour avoir le plaisir de manger un hamburger, je suis prêt maintenant, là, à
mettre 10 francs suisses. Et je peux estimer aussi, que pour avoir le plaisir d'écouter une
symphonie ce soir, je suis prêt à mettre 50 francs suisses, cela signifie que le plaisir de la
symphonie vaut 5 hamburgers. L'idée du caractère universellement commensurable des
plaisirs, est une idée majeure de l'utilitarisme benthamien. Elle a sans doute contribué, à
faciliter l'inclination des modernes, à penser que tout se vaut. Alors attention, tout se vaut
ne veut pas dire, que rien n'a plus de valeur qu'autre chose, cela veut dire que tout peut se
comparer à tout. Tout le monde reconnaîtra que la quantité de plaisir fait une différence,
mais la grande majorité de nos contemporains pense volontiers que tous les plaisirs sont
sur le même plan en tant qu'ils sont des plaisirs. Et un plaisir double d'un autre plaisir
devient le même plaisir si le plaisir moitié moins important dure deux fois plus longtemps.
Une autre chose remarquable, que l'éthique, que l'utilitarisme benthamien introduit en
éthique, c'est une tension entre l'individu et la société. D'un côté, son utilitarisme calcule
tous les plaisirs, à partir de l'individu, d'un autre côté, la plus grande somme de plaisirs
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pour la société est ce qu'il faut rechercher Par conséquent, on a beau calculer tous les
plaisirs à partir de l'individu, il faut remarquer que cela n'empêche pas de considérer
l'éthique à partir d'un point de vue, du point de vue global de la société.
Si le déplaisir complet, d'un individu permet d'augmenter fortement le plaisir de 50
individus, il semble éthique d'imposer le déplaisir complet à l'individu en question.
Bentham fait donc virtuellement sauter une barrière morale très importante celle de ne
pas exposer un individu à être un pur moyen en vue de la satisfaction des autres. Il semble
clair qu'à la question que posait Fedor Dostoïevski, dans son roman, les Frères Karamazov,
la question, la fameuse question suivante, est-ce que j'accepterai qu'un être humain,
souffre indéfiniment des choses terribles, pour que moi, et mes semblables, notre société,
puissent vivre agréablement, est-ce que j'accepterai? La réponse de Bentham semble
devoir être, si la somme totale de plaisir dans la société, est plus importante avec cette
souffrance continuelle d'un innocent, alors il ne faut pas hésiter. Un kantien, vous l'avez
compris, répondra toujours que c'est inacceptable, c'est-à-dire qu'un autre être humain ne
peut jamais, être seulement considéré comme un moyen mais doit toujours aussi, être
considéré comme une fin. Quant à un tenant de l'éthique des vertus, il dirait qu'il est
indigne d'un homme vertueux de faire reposer son bonheur sur quelque chose d'aussi
sordide, c'est donc l'exigence, ce serait l'exigence d'incarner une certaine qualité
d'humanité, qui réprouverait une telle instrumentalisation des autres ou d'un autre.
Nous avons d'ailleurs une illustration frappante de cette attitude, dans la réponse que
donnent certains intellectuels, qui se revendiquent de l'utilitarisme, alors pas tous bien sûr,
mais certains d'entre eux, à propos du rapport à l'environnement, certains estiment en
effet que les dégradations que nous faisons subir actuellement à notre environnement, ne
doivent pas au fond nous considérer de soucis trop considérables, nos descendants, disent-
ils, seront déjà contents de souffrir moins en payant pour réparer les dégâts, et comme ce
sont nos descendants, bien sûr, ils n'auront pas connu le monde que nous avons connu. Ce
sera pour eux un plaisir, ou un moindre déplaisir de souffrir pour qu'il y ait moins de
problèmes dans leur habitat. Et nous en attendant, nous sommes contents de pouvoir jouir
sans entrave même si nous détruisons notre environnement, et ainsi d'après eux, le calcul
serait bon. Il y a donc bien toute une série de problèmes posés par l'utilitarisme de
Bentham, et nous verrons précisément dans la prochaine leçon, que ces problèmes vont
amener d'importantes inflexions dans l'utilitarisme, dès John Stuart Mill, à vrai dire,
l'utilitarisme, devra être assez profondément révisé.
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