Vous êtes sur la page 1sur 128

Didier 

Sicard

L’ÉTHIQUE MÉDICALE
ET LA BIOÉTHIQUE

Septième édition mise à jour


14e mille
À lire également en
Que sais-je ?
COLLECTION FONDÉE PAR PAUL  ANGOULVENT

Jacqueline  Russ, Clotilde  Leguil, La Pensée éthique contemporaine,


no 2834.
Nicolas Aumonier, Bernard Beignier, Philippe Letellier, L’Euthanasie,
no 3595.
Monique  Canto-Sperber, Ruwen  Ogien, La Philosophie morale,
no 3696.
Fabienne Brugère, L’Éthique du « care », no 3903.
Caroline Mecary, PMA et GPA, no 4163.

ISBN 978-2-7154-0958-3
ISSN 0768-0066
Dépôt légal – 1re édition : 2009
7  édition mise à jour : 2022, février
e

© Presses Universitaires de France / Humensis, 2022


170 bis, boulevard du Montparnasse, 75014 Paris
Introduction

L’image du vocable « éthique », lorsqu’il est appliqué


aux sciences et à la médecine du vivant, offre une ambi-
guïté. Car il recouvre indifféremment l’éthique médicale
proprement dite, c’est-à-dire l’exigence d’une certaine
forme de comportement de la médecine au service du
malade, et la bioéthique, qui est la mise en forme à partir
d’une recherche pluridisciplinaire d’un questionnement
sur les conflits de valeurs suscités par le développement
technoscientifique dans le domaine du vivant.
Les deux termes – éthique médicale et bioéthique – ont
donc des champs d’application voisins mais aussi croisés :
par exemple en clinique, avec un donneur vivant d’organe ou
pour un couple demandeur d’une assistance à la procréation.
Le CCNE (Comité consultatif national d’éthique) n’est
pas un comité dit de bioéthique, même si sa finalité pre-
mière est le champ spécifique des sciences de la vie. Pour
autant, il ne s’interdit pas de donner des avis sur le consen-
tement du malade à la recherche de l’accès aux soins pour
les plus vulnérables, ou même de la médecine en prison.
Les lois dites de bioéthique ne concernent pas l’éthique
médicale proprement dite, c’est-à-dire la relation entre la
médecine et le malade ; mais le médecin ne pourra jamais
s’empêcher de s’y référer en telle ou telle occasion.
C’est pourquoi il a semblé opportun de tenter ici de
clarifier les enjeux respectifs de l’éthique médicale et de
la bioéthique :
– l’éthique médicale couvre tout le champ relationnel
de la médecine ;
– la bioéthique couvre le questionnement existentiel
et ontologique du rapport au vivant.
3
Toutefois, le mot même « bioéthique » prête plus à la
confusion qu’à éclairer le concept. Pourquoi réserver ce
mot à ce qui concerne seulement l’embryon, la greffe,
les gènes et pas à la fin de vie, à la recherche médicale ?
L’embryon dans la bioéthique, la fin de vie dans la loi
générale ? Le gène de l’humain dans la bioéthique, le
gène des plantes (OGM) nulle part ? Comme s’il y avait
plusieurs éthiques du vivant. Il est d’ailleurs étrange que
cette seule loi se réfère à l’« éthique », comme si les autres
aspects du rapport de la science du vivant ne pouvaient y
prétendre. L’éthique enfin révisable tous les cinq ans et
la recherche sur l’homme tous les vingt ans ? N’y a-t-il
pas là une étrangeté qui témoignerait simplement que
l’interrogation sur le début de l’existence est plus lourde
que ce que l’opinion pense le plus souvent ?

I. – Éthique et morale

L’origine étymologique de ces deux termes renvoie à la


même idée : mœurs communes, comportement :
– mos : mores en latin, d’où est dérivé le terme « morale » ;
– ethos : en grec, d’où est dérivé « éthique », qui porte
un jugement sur les comportements, bien ou mal.
La morale dans l’imaginaire collectif serait normative,
articulée à des références religieuses ou culturelles fortes,
fondée sur une tradition principielle. L’éthique serait un
questionnement séculier, dynamique constamment en
renouvellement. Claude Huriet a coutume de dire que la
morale, c’est la réponse avant la question et l’éthique un
questionnement sans réponse…
Cela étant, il est de fait que la morale a parfois suc-
combé à une vision un peu désuète et que l’éthique semble
plus ouverte, plus adaptée à la science contemporaine où
la participation de chacun à son élaboration est attendue.
4
Pour autant, une éthique de la recherche sans support
moral est bien fragile, et une morale qui ne s’inscrirait
pas dans une éthique responsable, bien vaine.

II. – Éthique et déontologie

La déontologie crée une obligation de règles auxquelles


le praticien doit se conformer. Il y a un Code de déon-
tologie qui contient un certain nombre de prescriptions,
d’actions pour le médecin. L’éthique en revanche ne peut
pas se soumettre à des règles. Ainsi, si le consentement
d’un malade aux soins ou à la recherche est d’ordre déonto-
logique (il est inscrit dans la loi), son éclairage est d’ordre
éthique, car justement la réflexion éthique s’interroge sur
la meilleure façon d’éclairer un consentement et de lui
donner sa vérité.

III. – Les références éthiques

Si, depuis au moins deux mille ans, l’humanité souscrit


à quelques grands principes du Décalogue, il lui est plus
difficile d’affronter la nouveauté d’une situation en termes
de jugement moral. Comment aborder éthiquement une
technique appliquée à l’homme qui fait soudain irruption,
sans se réfugier immédiatement derrière la simple vision
négative d’une transgression du passé ? Il est illusoire que
la réflexion puisse fonctionner sans références, mais il est
essentiel d’interroger ces références pour voir comment
elles s’appliquent.

IV. – Situations nouvelles

On ne peut jamais faire l’impasse sur un arrière-plan


culturel, théologique ou spirituel, car depuis toujours
les actions humaines ont tendu vers le bien et vers le
5
juste. Cependant, les références philosophiques sont aussi
importantes, en particulier Kant avec ses impératifs catégo-
riques de devoir conférer à la volonté autonome humaine
d’agir en considérant la personne comme une fin, jamais
uniquement comme un moyen et de façon telle que cette
action soit universalisable.
À partir de ces références, la tentation nord-américaine
est d’orienter la réflexion vers l’utilitarisme. En revanche,
en Europe, la bioéthique a une inspiration plus axiologique,
plus kantienne, même si ces séparations, oppositions
finissent peu à peu par perdre tout sens, avec même para-
doxalement une éthique américaine de plus en plus tentée
par la réflexion non utilitariste et l’Europe par le contraire.
Les Américains ont fondé la bioéthique de la recherche
sur quatre grands principes : le respect de l’autonomie de la
personne, la bienfaisance, la non-malfaisance et la justice.
Peu à peu, ces principes se sont appliqués à l’ensemble
de l’éthique dite « clinique » qui concerne donc le rap-
port au malade : le respect de la vie est situé au sommet,
mais ce simplisme apparent de respecter la vie alimente
les extrêmes (comme les mouvements antiavortement et
anti-interruption de traitement de sujets en état de vie
végétative), autant qu’il nourrit les appréciations qua-
litatives sur la vie avec l’émergence de QALY (quality
adjusted life year). Si l’autonomie des personnes est plus
encouragée par la bioéthique américaine, l’Europe fait plus
reposer la bioéthique sur la recherche d’un sens incarné,
indépendant de la situation hic et nunc. La personne n’est
pas propriétaire de son corps à l’opposé de la conception
anglo-saxonne. On ne peut donc ni donner ni vendre ses
organes, ses gamètes ou son sang. Les principes d’hu-
manité qui refusent la réification du corps et cherchent
le plus grand bien avec les références permanentes aux
Droits de l’homme ancrent fortement les lois de bio-
éthique françaises de 1994 révisées en 2004 et 2011 après
des débats publics.
6
V. – Peut-il y avoir
un « universel bioéthique » ?

Les Africains sont toujours surpris de l’hétérogénéité


des « postures » éthiques de l’Occident et comprennent
mal que celui-ci invoque sans cesse l’universel… Le respect
de la dignité humaine devrait constituer cet universel.
Or, l’Occident se déchire entre une conception onto-
logique de la dignité de tout être humain appartenant à la
communauté humaine (la dignité de l’homme appartient
à son humanité même, dit le CCNE en 1991) et celle
seule d’un psychisme cohérent au sein d’un corps expo-
sable. Comment ne pas être humble dans le port universel
de ce message quand les esclaves ont longtemps été des
« biens » et que des nazis ont exterminé, au nom de leur
indignité, des malades mentaux, des personnes appartenant
à des minorités spirituelles ou culturelles, juives en parti-
culier. Où commence la personne ? Quelle est la dignité
d’un fœtus avorté ? Son appartenance à l’espèce humaine
pourtant ne fait pas de doute. La dignité humaine ne
dépend pas des circonstances. L’avortement ne remet pas
en cause sa dignité d’être humain, d’unicité. L’Europe, et
en particulier la France, considère la personne comme un
être dont l’existence au sein de la communauté humaine
fonde sa dignité. L’universel commence là, mais c’est un
universel à construire.
PREMIÈRE  PARTIE

Bioéthique
CHAPITRE  PREMIER

Histoire

Au début des années 1970 émerge soudain ce mot, dans


l’univers culturel américain, sous la plume du biologiste
Van  Rensselaer Potter dans un livre de 1971 Bioethics.
Bridge to the Future 1. Le destin de ce concept est d’au-
tant plus étrange qu’il surgit tardivement, bien après les
jugements du tribunal de Nuremberg, à l’encontre des
médecins nazis (20 et 21 août 1947). L’accusation la plus
grave résidait dans le martyre de personnes détenues, des-
tinées à servir de cobayes pour les expériences médicales
plus insupportables les unes que les autres précédant leur
mort. Comme si la gravité du crime médicalement exécuté
n’avait été perçue que dans sa dimension nazie, politique
et laissait dans l’ombre la question de la disponibilité des
personnes humaines à l’expérimentation scientifique qui
précède et suivra l’extermination nazie. Est-ce à dire que
l’humanité attendait ce mot pour réfléchir sur les condi-
tions de l’expérimentation sur le vivant ? Ou prenait-elle
soudain conscience de la fragilité humaine induite par
le développement vertigineux des connaissances sur le
vivant ? S’inquiétait-elle des possibilités infinies d’inter-
ventions sur le vivant ? Probablement tout cela à la fois.
Certes, la morale médicale n’était pas indifférente dans
la seconde partie du XXe siècle à la réflexion sur la personne
en mettant l’accent sur son respect et sur son autonomie.
Cela étant, la recherche sur l’homme, « corps humain
devenu corps productif, assujetti à l’expérimentation

1. Englewood Cliff, N. J., Prentice-Hall, 1971.

10
médicale et biologique pour devenir une force utile 1 »
(Michel Foucault, Surveiller et Punir), a longtemps existé
en dehors de tout regard social critique. Peu à peu, éthique
médicale et bioéthique vont voir leurs champs se recouvrir
et s’interpénétrer. La réflexion sur le don d’organe, la
procréation assistée, la fin de vie, le recours à la génétique
va envahir l’ensemble du champ de la médecine avec deux
tendances contradictoires.
L’une qui est celle de l’attention portée de façon à
la fois excessive à des questions existentielles rares mais
spectaculaires au détriment du respect justement des per-
sonnes dans leur vulnérabilité même.
L’autre qui est en miroir l’extension sans limites de la
réflexion éthique à ce qui ne concerne la médecine que
de façon lointaine : précarité, accueil des plus vulnérables.
D’un côté, l’interrogation éthique sur la greffe d’un
visage monopolise l’intérêt de la société qui reste pourtant
indifférente à la difficulté d’obtention de greffons rénaux et
de l’autre, la réflexion se confond avec celle qui concerne
les Droits de l’homme en débordant le champ même de
la médecine.
La bioéthique est donc née en 1971. Sa fortune est liée
à l’inquiétude sociale devant la soudaine perception de la
menace sur l’humanité que peut faire peser la recherche
scientifique. À Bruxelles encore, lors des derniers forums
européens citoyens sur les neurosciences en 2006, l’en-
semble des citoyens européens confiait, avec une certaine
naïveté, à la réflexion des comités d’éthique le soin de
borner les excès de la science. Néanmoins, de façon plus
concrète, le mélange de fascination et d’effroi pour les
progrès de la biologie moléculaire et de la génétique, fas-
cination pour les cellules souches, effroi pour les OGM,
a suscité une demande accrue pour des structures aux-
quelles la société déléguait un programme de réflexion.

1. Repris de C. Ambroselli, L’Éthique médicale, Paris, Puf, 1988.

11
Et enfin, l’accès de l’humanité à une procréation séparée de
la sexualité a ouvert un champ infini des possibles de l’en-
fantement, suscitant autant d’enthousiasme et d’espérance
que de réserve sur cette maîtrise nouvelle et auparavant
inconnue de la naissance d’un enfant.
Certes la réflexion sur la naissance, la vie et la mort
n’a pas attendu l’existence de ce mot pour occuper depuis
toujours les esprits religieux, philosophiques, mais les
médecins et biologistes étaient peu concernés. Ou s’ils
l’étaient, c’était à travers la compassion pour la souffrance
symbolisée par le serment d’Hippocrate.
L’intérêt de ce mot bioéthique qui associe bios (la vie)
et ethos (mœurs) est de convoquer philosophes, juristes,
scientifiques et personnes malades ou non à une réflexion
commune. Cette transdisciplinarité reste pourtant balbu-
tiante : les scientifiques supportent mal que la légitimité
de leurs recherches soit interrogée par des profanes, les
juristes comprennent mal cette irruption de la science
dans un droit qui n’a pas toujours de réponse adaptée, les
théologiens s’inquiètent de l’échappement de l’interven-
tion sur le vivant à une tradition qu’ils voudraient figée.
Or, si la bioéthique a un sens, c’est justement dans cette
rencontre permanente entre des points de vue différents.
Peut-on donner une définition de la bioéthique ? Elle
me paraît être la mise en forme à partir d’une recherche
pluridisciplinaire d’un questionnement sur des conflits de
valeurs suscités par le développement technoscientifique
dans le domaine du vivant et en particulier de l’humain. Il
ne s’agit donc pas d’une réponse morale, mais d’un ques-
tionnement incessant, toujours à reprendre, interrogeant
autant le progrès des connaissances que notre capacité à
réfléchir sur nous-mêmes. En aucune façon, il ne s’agit
de procédure codifiée ni de compromis entre personnes
de bonne volonté, ni d’application normative d’un droit
médical, ni d’une lecture morale de la science médicale. La
bioéthique n’est en aucun cas « la morale » de la science.
CHAPITRE  II

Bioéthique et Droits de l’homme

Il est tentant pour la bioéthique de se limiter à l’ex-


pression de quelques principes de base, avec le risque
majeur de l’abstraction de l’usage. Or, quel principe est
plus éthique que celui du respect des Droits de l’homme ?
L’évidence que l’accès à la santé n’est possible que si ces
droits sont respectés fait peu à peu son chemin. Il a fallu
l’épidémie de l’infection par le VIH pour que soudain ce
corollaire, Droits de l’homme et soin, apparaisse dans
toute sa lumière. En effet, ces situations de crise sont
nécessaires pour que la société ne fasse pas de la victime
non seulement un bouc émissaire, mais un danger. De la
même façon que la peur de l’autre met en péril les droits
fondamentaux dans les situations de terrorisme, la peur
de la maladie (Sida, maladie psychiatrique,  etc.) peut
conduire à la peur du malade. De cette peur naissent la
stigmatisation, la discrimination, l’exclusion qui renforcent
la vulnérabilité des personnes les plus précaires. Face à
des risques potentiels de grandes épidémies, ce sont tou-
jours les plus vulnérables qui sont les plus touchés. On
sait par exemple que l’épidémie de grippe espagnole a
touché 30 fois plus les populations les plus vulnérables
et que l’épidémie de Sida est un marqueur remarquable
de la vulnérabilité et de la pauvreté. Cela étant, cette
conscience collective qui doit animer les décisions poli-
tiques n’est pas toujours au rendez-vous des débats de
bioéthique. Comme si chacun des êtres humains pouvait
se prévaloir ou exprimer naturellement son autonomie, et
que le respect de celle-ci suffisait. Toutefois, avant d’être
13
respectée, cette  autonomie doit pouvoir être exprimée.
Qu’en est-il des droits de la personne handicapée physique
ou mentale, quand celle-ci est vue comme un poids social
qu’il faudrait éradiquer ! L’éthique ne commence-t-elle pas
par cette attention ? Emmanuel Hirsch rappelle que René
Cassin conférait à la Déclaration universelle des droits
de l’homme la portée du « Premier manifeste d’ordre
éthique que l’humanité organisée ait jamais adopté ». Il
y a soixante ans que l’Assemblée générale de l’ONU a
adopté cette Déclaration universelle, mais ce n’est que
depuis les années 1980 que cette déclaration a vocation à
s’inscrire comme un patrimoine de l’humanité, permettant
d’éviter les dérives auxquelles le progrès technologique
pourrait exposer la dignité humaine. Respecter la dignité
de toute personne constitue le signe de l’appartenance à la
communauté humaine, c’est pourquoi certains ont même
demandé que les Droits de l’homme soient remplacés par
les droits de la personne… Ces querelles de mots n’ont
quoi qu’il en soit guère de sens, sinon d’alimenter des
débats superficiels et pauvres.
Le Code de Nuremberg (1947) apparaît comme le
premier des textes pouvant servir à guider la réflexion. Il
établit une liste de 10 critères contenus dans le jugement
du procès des médecins nazis. Il identifie le consentement
éclairé comme préalable absolu à la conduite de toute
recherche médicale.
Déclaration universelle des droits de l’homme (ONU
10  décembre 1948). Article 1er –  Tous les êtres humains
naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués
de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les
autres dans un esprit de fraternité.
Cependant, parmi les 30 articles, aucun n’indique spéci-
fiquement le droit à un accès équitable au soin. L’article 22
stipule que toute personne, en tant que membre de la
société, a droit à la sécurité sociale et qu’elle est fondée
à obtenir la satisfaction des droits économiques, sociaux
14
et culturels indispensables à sa dignité… Il s’agit de la
seule mention.
La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples
adoptée le 27  juin 1981 à Nairobi stipule dans son
article  16 que « toute personne a le droit de jouir du
meilleur état de santé physique et mentale qu’elle soit
capable d’atteindre ».
La déclaration du Caire sur les droits de l’homme en islam
du 5  août 1990 stipule dans son article  17 que « tout
homme a le droit de vivre dans un environnement sain et
que l’État et la société doivent garantir à chaque homme
la protection sanitaire et sociale ainsi que tous les services
publics dont il a besoin, dans la limite des possibilités
existantes ».
La Charte sociale européenne du Conseil de l’Europe adop-
tée le 3 mai 1996 à Strasbourg déclare dans son article 11 :
« Les parties s’engagent à prendre des mesures appropriées
tendant notamment à éliminer dans la mesure du pos-
sible les causes d’une santé déficiente, à prévenir dans la
mesure du possible les maladies épidémiques, endémiques
et autres, ainsi que les accidents » ; – dans son article 13
« un droit à l’assistance sociale et médicale »  – dans son
article 15 « un droit des personnes handicapées à l’auto-
nomie, à l’intégration sociale et à la participation à la vie
de la communauté ».
La Charte des droits fondamentaux de l’Union euro-
péenne adoptée par le Conseil et le Parlement européen
le 7 décembre 2000 stipule dans son article 35 que « toute
personne a le droit d’accéder à la prévention en matière de
santé et de bénéficier des soins médicaux dans les condi-
tions établies par les législations et pratiques nationales ».
Certains textes sont plus spécifiques à la situation
des femmes, comme la recommandation générale no 24 des
femmes et la santé de l’ONU le 2 février 1999 qui dans son
article  12 dit que « les États parties prennent toutes les
mesures appropriées pour éliminer la discrimination à
15
l’égard des femmes dans le domaine des soins de santé
en vue de leur assurer sur la base de l’égalité de l’homme
et de la femme les moyens d’accéder aux services médi-
caux, y compris ceux qui concernent la modification de
la famille ».
Les textes concernant la situation des enfants sont pré-
cisés dans la déclaration d’Ottawa sur les droits de l’enfant
aux soins de santé de l’Association médicale mondiale en
1998  : « Tout enfant a droit à la vie, ainsi que le droit
d’accès aux services appropriés de promotion de la santé,
de prévention, de traitement des maladies et de soins de
santé. »
On peut donc observer que les textes généraux fonda-
teurs des Droits de l’homme ne laissent qu’une place très
théorique au droit à avoir la meilleure santé possible et à
accéder aux soins. En revanche, quelques textes spécifiques
comme la convention d’Oviedo et la Déclaration univer-
selle sur la bioéthique et les droits de l’homme abordent de
façon plus concrète la question des actes de biomédecine.
En particulier la convention d’Oviedo pour la protec-
tion des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain à
l’égard des applications de la biologie et de la médecine,
adoptée par le Conseil de l’Europe le 4 avril 1997, a été
ratifiée par la France en juillet 2011. Elle est extrêmement
précise dans son article 3 sur l’accès équitable aux soins de
santé, dans son article 6 sur la protection des personnes
n’ayant pas la capacité de consentir, dans son article 7 sur
la protection des personnes souffrant d’un trouble mental,
sur la non-discrimination à partir des tests génétiques, sur
la protection des personnes se prêtant à une recherche et
sur l’interdiction de la constitution d’embryon humain
aux fins de recherche (art. 18).
La Déclaration universelle sur le génome humain et les
Droits de l’homme de l’Unesco du 11 janvier 1992.
La Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits
de l’homme de l’Unesco en 2005 reconnaît que la santé
16
ne dépend pas uniquement des progrès de la recherche
scientifique et technologique, mais également des fac-
teurs psychosociaux et culturels. Elle fait des principes
du consentement éclairé, de la non-discrimination, de la
non-stigmatisation, du respect de la vulnérabilité humaine
et de l’intégrité personnelle, de l’accès à des soins de santé
de qualité, aux médicaments essentiels, notamment dans
l’intérêt de la santé des femmes et des enfants, un enjeu
majeur.
Ainsi, peu à peu, il apparaît que la précarité, la pau-
vreté sont des facteurs majeurs de l’inégalité aux soins
et que toute réflexion éthique doit d’abord prendre en
compte l’inégalité sociale, géographique, économique et
culturelle. Il s’agit de donner aux droits la possibilité de
s’appliquer. Peut-être après les périodes de l’esclavage et de
l’apartheid, l’extrême pauvreté deviendra-t-elle un champ
majeur de la réflexion bioéthique ? Rendre indivisibles les
droits fondamentaux, rendre indissociables les droits à la
protection de la santé constituent les Droits de l’homme
en une inspiration qui devrait être un jour présente dans
la réflexion civique. Il est étrange pourtant que les uni-
versités ne laissent aucune place à cette revendication de
donner des droits à ceux qui ne les ont pas, et les débats
dits de bioéthique ne laissent qu’une place marginale aux
prérequis éthiques croissants.
CHAPITRE  III

À propos du don d’organes

La France est un des rares pays au monde à avoir ins-


crit dans ses lois les notions de « non-patrimonialité », de
« non-disponibilité » du corps, de consentement, d’ano-
nymat du donneur et de gratuité du don. Cela ne signifie
pas que ce soit le seul pays qui interdise la marchandisa-
tion du corps, mais cette interdiction se fait au nom d’un
principe intangible. Le corps du citoyen ne lui appartient
donc pas en propre. Il ne peut en faire commerce. Et
pourtant étrangement, il peut en faire don. Don de ce qui
ne lui appartient pas… et même don présumé, car la loi
Caillavet de 1976, toujours valide et même renforcée par
les lois de 1994, 2004, 2011 et par un décret du 11 août
2016, considère que le corps de la personne décédée peut
faire l’objet de prélèvement d’organes en l’absence d’op-
position exprimée de son vivant. L’ambiguïté commence
quand cette connaissance d’un refus explicite est si rare
(à peine une cinquantaine de mille sur le registre national
des refus) que l’on demande à la famille le sentiment du
défunt sur l’acceptable ou le refus de ce prélèvement.
Mais la famille ignore le plus souvent le souhait réel de
celui qui vient de mourir et exprime alors son sentiment
à elle. Or, en situation de deuil brutal, cette question est
porteuse d’une grande violence. « Laissez-le en paix ! »
constitue une réponse émotive qui fait abstraction des
bénéfices que le receveur d’organe devrait attendre. Les
refus familiaux dans une telle situation sont de l’ordre
de 30 %, alors qu’ils n’étaient qu’environ 10 % dans les
années 1990.
18
La solution idéale serait que chaque citoyen exprime
clairement sa volonté au sortir de l’adolescence, quitte à
revenir plus tard sur sa décision en toute liberté. Il n’y
aurait plus de consentement présumé, mais un consente-
ment explicite. Mais cette question apparemment simple
se heurte à une hostilité de l’opinion qui préfère ne pas
y penser. L’idée d’un corps d’un proche qui serait arra-
ché à sa famille sous le prétexte qu’il a consenti au don
heurte les sensibilités. Il n’y a donc pas de solution éthique
simple. Certains receveurs d’organes ont même exprimé
leur refus de prélèvement… Le rationnel n’est pas tou-
jours au rendez-vous ! Mais on ne peut être sans effroi
devant un corps dépecé en quelques minutes (cœur, rein,
foie, intestins, pancréas, os, cornée), même si ce corps est
voué à l’incinération quelques heures plus tard. D’autant
plus que la personne est dite en état de mort cérébrale.
Son cœur bat. Son corps est chaud au toucher. Certes
son électroencéphalogramme est plat, et une injection de
produit de contraste iodé révèle qu’il n’y a plus de circu-
lation cérébrale. Il s’agit d’une mort médicale, mais non
d’une mort culturellement évidente. La culture imprime sa
marque en effet sur les greffes d’organes. Dans un grand
nombre de pays, le « mort » est plus intouchable que le
vivant. Cela explique et justifie les prélèvements effectués
seulement chez le vivant en particulier dans les pays et les
cultures islamiques et orientales.
Le don entre vivants pose des questions d’ordre éthique
différentes. Quel est le degré de liberté ou de soumission
du donneur ? Dans les pays islamiques où cette forme
de don est à peu près exclusive, ce sont les femmes qui
donnent, plus que les hommes. Le statut de la femme n’est
peut-être pas étranger à cette asymétrie. Ce don à partir
du vivant encourage les transactions financières. L’Iran
les a même institutionnalisées en rémunérant officielle-
ment les donneurs avec un prix forfaitaire. Mais souvent,
des trafics sordides alimentent ce marché. Des personnes
19
riches obtiennent un organe non vital (rein) à un prix
variable selon l’état économique du pays (ce prix peut
atteindre 80 000  à 100 000 $  US…). Les condamnés à
mort en Chine (près de 10 000 par an) sont la source
quasi exclusive d’organes transplantés en ce pays et font
l’objet d’un marché lucratif pour les hôpitaux… Il semble
qu’une réflexion sur ce sujet soit en cours en Chine. Une
loi récente interdirait les prélèvements à des fins de greffe
chez les condamnés à mort.
La loi française autorise ces dons entre vivants, mais
en les limitant à la fratrie (élargie en 2004 à un deuxième
cercle familial et en 2011 au-delà du cercle familial) si
les liens sont étroits et stables et en les soumettant au
contrôle de l’Agence de la biomédecine qui a pris le
relais de l’Établissement français des greffes et qui gère
les listes d’attente. Des contraintes peuvent peser sur le
donneur vivant. Si l’augmentation des donneurs vivants
dans le monde facilite grandement la greffe d’organes, son
recours est très hétérogène (537 greffes de rein à partir
de donneurs vivants pour 3 548 en France). Autant il
apparaît évident pour des parents de donner un rein à un
de leurs enfants, voire à un conjoint pour l’autre, autant
le don pour des membres collatéraux de la famille reste
plus problématique. Il ne faudrait pas que l’altruisme du
don évolue vers une sorte d’obligation morale excessive.
Le don croisé d’organes entre deux paires de donneurs-
receveurs, pour des raisons de compatibilité biologique,
permet l’augmentation des greffes entre vivants. La loi du
2 août 2021 augmente cette possibilité en permettant une
chaîne de donneurs-receveurs, limitée cependant à 6 paires
de donneurs-receveurs, avec l’ouverture à un prélèvement
sur un donneur décédé.

20
I. – La greffe de foie-reins-poumons-cœur

La demande excède l’offre (23 208 personnes en attente


d’un organe en 2017, 5 781  greffes réalisées en 2018.
3 548 greffes de rein, 1 323 greffes de foie, 450 de cœur,
372  de poumons et seulement 7 de pancréas). Chaque
année, des personnes meurent par absence de don dispo-
nible. La liste d’attente est apparemment simple. Premier
inscrit, premier servi. Cet égalitarisme théoriquement
équitable n’est pas toujours le plus souhaitable. Faut-il faire
attendre cette personne jeune qui aurait bénéficié d’une
survie de quarante années et privilégier cette personne
âgée atteinte d’un cancer dont les chances de guérison
sont minces ? Faut-il écarter celui qui continue de fumer
ou de boire au profit de celui qui a fait des efforts de
volonté d’arrêt, etc. ? Deux situations restent dérogatoires ;
les situations d’urgence (greffe de foie après une consom-
mation d’amanite phalloïde par exemple) et les enfants.
Cette « pénurie » d’organes, qui a peu de chance de
disparaître, justifie le recours du donneur à cœur arrêté
depuis la loi de 2004. Ici, la mort est culturellement évi-
dente, mais le cœur pourrait repartir avec des soins appro-
priés. Doit-on alors se précipiter pour considérer le corps
comme disponible ? Ou au contraire faire des manœuvres
de réanimation peut-être illusoires sous le regard effrayé
et angoissé des familles qui ne savent pas si l’on privilégie
leur proche comme une personne réanimable ou comme
une personne potentiellement donneuse ? Le respect de
la contradiction existant entre l’accompagnement de fin
de vie, moment de réduction des gestes actifs, et les pré-
lèvements sur personnes à cœur arrêté, qui bénéficient
d’une réanimation destinée non à la personne morte, mais
au receveur d’organes, s’impose d’autant plus que cette
situation peut être vécue comme une grande souffrance
pour la famille du donneur. L’Agence de la biomédecine
21
a autorisé en 2014 les prélèvements chez un sujet à cœur
arrêté (Maastricht 3), c’est-à-dire après une décision d’ar-
rêt des soins de réanimation.
D’autres types de greffe posent des questions diffé-
rentes.

II. – La greffe de cornée

Le prélèvement du film cornéen –  membrane trans-


lucide qui recouvre la cornée – qui n’est pas le prélèvement
de l’œil est ressenti comme attentatoire au visage. « On lui
a volé son regard », disent les parents bouleversés après une
telle découverte. Pourtant, ce type de prélèvement d’une
grande simplicité et utilité restitue la vue à des personnes
atteintes de cataracte très invalidante. Mais l’idée qu’une
société se fait de l’œil lui donne un statut tout à fait à part.

III. – La greffe de moelle


et de cellules de sang de cordon

Elle ne peut se faire qu’entre vivants apparentés ou


proches sur le plan immunologique. La recherche de
consentement est donc évidente. L’altruisme se mani-
feste sous la forme de volontaires anonymes de don de
moelle ou de cellules souches hématopoïétiques. La loi de
2021 élargit le cercle familial des donneurs et receveurs
potentiels et permet éventuellement le prélèvement sur
des personnes qui font l’objet d’une protection juridique.
Dès qu’un malade en a le besoin, l’enquête familiale
recherche alors un donneur potentiel et, en son absence,
on fait appel aux banques nationales et internationales.
Depuis quelques années, la greffe de cellules issues de
sang de cordon commence à se substituer dans certains
cas aux greffons de moelle. Elle pose la question du don
« altruiste » de ce sang à qui en a besoin ou de la garde
22
égoïste de ce matériau cellulaire congelé pour l’enfant
lui-même qui est né avec ce cordon et qui pourrait en
avoir un jour besoin.

IV. – La greffe d’utérus

Des premières greffes d’utérus à partir de donneuses


vivantes ou décédées ont permis la réalisation de grossesses
qui ont abouti à la naissance d’enfants normaux. L’utérus
greffé est enlevé après l’accouchement.
Ainsi, la greffe d’organes ou de tissus exprime au plus
haut point les contradictions éthiques entre un bénéfice
évident pour la personne qui reçoit et les sentiments per-
sonnels ou d’une société sur le statut du corps. Le corps
ne sera jamais une « chose ». Il est parfois sacré, mais il
est toujours au centre d’un débat éthique.
Le respect des convictions philosophiques et spirituelles
de la personne donneuse s’impose quelle que soit leur
rationalité, de même que doit s’imposer le respect des
convictions concernant l’état de « mort encéphalique ».
La mort encéphalique peut ne pas être considérée par
certaines personnes ou cultures comme la vraie mort. Elle
est un événement avant d’être un fait ; d’où l’importance
d’une information non culpabilisante à partir d’interroga-
tions légitimes et le respect de convictions inébranlables.
Si une société doit tout faire pour encourager les greffes
d’organes, elle ne doit pas traiter cette question comme
celle d’une simple pénurie de ressources, mais reconnaître
l’importance de la dimension symbolique du rapport au
corps. Le discours médical de bienfaisance pour le receveur ne
peut se substituer à un dialogue sur le sens.
CHAPITRE  IV

L’assistance médicale
à la procréation

S’il n’y avait pas eu la naissance d’Amandine, y aurait-il


eu un Comité consultatif national d’éthique ? Si les
embryons humains n’étaient pas congelables, si les gros-
sesses n’étaient pas devenues un accomplissement d’une
grande hétérogénéité dans leurs conditions de survenue, y
aurait-il eu une telle passion pour la réflexion éthique ? Je
ne le pense pas. Tout ce qui concerne l’embryon humain
fascine en effet à juste titre. L’homme façonne désor-
mais en effet son origine puisqu’il en est le dépositaire.
Depuis trente ans, les exploits se multiplient : grossesses
de femmes ménopausées, introduction d’un seul sperma-
tozoïde dans l’ovule avec cette nouvelle situation inatten-
due d’une stérilité qui peut devenir transmissible, naissance
d’un enfant où cinq géniteurs sont parties prenantes, choix
de tel embryon implanté plutôt que de tel autre, transfert
d’embryon ou de paillettes de sperme postmortem, la liste
ne s’arrêtera jamais. À partir du moment où les gamètes
sont devenus des produits, échangeables, vendables et sur-
tout congelables, la question culturelle de la filiation s’en
trouve bouleversée, et l’éthique est sans cesse convoquée
pour fixer des limites arbitraires. La loi no 2021-2017 du
2 août 2021 relative à la bioéthique apporte une révolu-
tion majeure dans le domaine de l’assistance médicale à
la procréation (AMP). Une stérilité biologique n’est plus
la seule condition pour y recourir. L’insémination avec
donneur s’ouvre aux couples de femmes homosexuelles et
24
aux femmes seules. La seule différence qui demeure par
rapport au couple hétérosexuel repose sur la participa-
tion de l’officier d’état civil, qui recueille le consentement
des deux femmes à reconnaître conjointement l’enfant.
Cette reconnaissance est portée en marge de l’état civil
de l’enfant.

I. – L’insémination avec donneur

Le don de sperme a toujours existé… sous sa forme


adultérine. Dans les années 1950, certains gynécologues,
face à des formes de stérilité supposément masculine,
pratiquaient des inséminations avec le sperme de donneurs
rémunérés, qui restaient anonymes. Les soucis de traça-
bilité restaient inconnus. Certains étudiants en médecine
en particulier y trouvaient une source de revenus non
négligeable.
La volonté d’organiser cette insémination avec donneur
s’est exprimée par la création de CECOS (centres d’études
et de conservation des œufs et spermatozoïdes humains).
Des donneurs majeurs, bénévoles et anonymes, choisis
par le centre en fonction de leur phénotype, donnent leur
sperme après une simple masturbation. Ce sperme est
soit transféré immédiatement dans l’utérus, soit congelé
sous forme de paillettes pour une utilisation ultérieure.
Cette insémination avec donneur (IAD) pose le problème
éthique du choix des donneurs qui sont anonymes pour
le receveur mais pas pour le centre. Il faut, en effet, que
le phénotype du donneur ne soit pas trop éloigné de celui du
demandeur. L’autoconservation des gamètes est possible
par la congélation des prélèvements de sperme et des
ovocytes (vitrification) avant le traitement d’une maladie
qui risque de stériliser.
Le don d’ovocytes est beaucoup plus difficile, car ceux-ci
doivent être prélevés par une ponction des follicules ovariens
25
sous anesthésie. Cette petite intervention n’encourage pas
les donneuses anonymes, altruistes. C’est pourquoi dans
les années 1960, certains centres ont encouragé des dons
ciblés venant de sœurs des donneuses. Mais ce fléchage a
été interdit par la loi de bioéthique qui impose l’anonymat
du don. Plusieurs solutions ont alors été proposées. Les
femmes qui veulent procréer trouvent une donneuse qui
fera un don anonyme, lui permettant un accès prioritaire
en sachant qu’elle ne recevra pas l’ovocyte de la donneuse
choisie par elle. Elles peuvent aussi se rendre à l’étranger
et acheter un ovocyte ou enfin pourraient rémunérer les
donneuses en France. Cette dernière éventualité a été
envisagée, mais parce qu’elle met en cause le principe de
gratuité et de non-patrimonialité, elle a été interdite. Le
don de gamètes peut être remplacé par un don d’embryon
en cas de double infertilité. La loi de 2021 a autorisé le
double don autrefois interdit, c’est-à-dire l’accueil par
la femme d’ovocytes et de spermatozoïdes provenant de
donneurs.
Enfin a été envisagé avec le consentement des don-
neuses le prélèvement chirurgical d’ovocytes lors d’une
intervention gynécologique pour une autre cause. La
congélation rapide des ovocytes (vitrification) favorise ce
type de don au Japon, en Italie et en France (Pr Frydman).
Certains pays (dont la France) proposent cette congélation
à des femmes fertiles à compter de leur 29e jusqu’à leur
37e anniversaire afin qu’elles puissent concevoir plus tard,
au moment souhaité, alors que leur fertilité aurait décru.
Chez l’homme, cette autoconservation de gamètes, en
dehors de cas de protection dus à des traitements invasifs,
peut se faire du 29e au 45e anniversaire.

26
II. – La fécondation in vitro (FIV)

Quelle que soit l’origine des gamètes, la fécondation


in  vitro (paillettes de sperme congelé, ovocytes) permet
la création d’embryons. L’ICSI (Intracytoplasmic Sperm
Injection) permet l’introduction sous le contrôle du micro-
scope d’un seul spermatozoïde dans l’ovocyte. Cette tech-
nique permet la création d’embryons autrefois impossible
en raison du faible nombre de spermatozoïdes, de leur
« asthénie » ou de leur incapacité chromosomique (posant
la question éthique autrefois inattendue de la transmission
volontaire d’une stérilité. A-t-on le droit de créer un enfant
lui-même stérile ?).
Les embryons sont ainsi transférés dans l’utérus de la
future mère porteuse. Autrefois, de nombreux embryons
étaient introduits pour favoriser les chances de grossesse,
mais cette conduite a aussi entraîné un risque de multi-
parité dangereux. C’est pourquoi, peu à peu, la limite de
l’introduction de deux embryons seulement a été fixée. Les
autres embryons obtenus par la fécondation in vitro restent
au congélateur sous la forme d’embryons dits « surnumé-
raires » (environ 155 000 embryons conservés en France).
Leur destin est d’être détruits, d’être secondairement intro-
duits dans l’utérus, d’être proposés à la recherche avec le
consentement des parents ou enfin donnés à un couple
receveur. La question éthique se pose alors, du statut de
cet embryon qui dépend du choix parental. Le don d’un
embryon, apparemment simple, repose la question future
de l’anonymat et de la connaissance de son origine par
l’enfant qui sera né.

III. – L’anonymat

Le droit des enfants à accéder aux origines personnelles


est un apport majeur de la loi du 2 août 2021. Que ce soit
27
par souci de l’apport de la médecine prédictive pour ne
pas faire perdre de chance à la personne, par l’action de la
réflexion des psychanalystes ou le droit à l’identité protégé
par la Convention européenne des droits de l’homme,
la loi permet désormais aux enfants conçus par AMP
d’accéder aux données du donneur, voire à son identité
s’il a donné son consentement explicite. S’il refuse, le
don aussi est refusé. Les donneurs d’avant la loi de 2021
ne sont pas dans une obligation de divulgation, mais ils
peuvent y consentir.

IV. – L’âge et la question


du don postmortem

Un décret du 28 septembre 2021 (no 2021-1243) fixe


les conditions d’âge pour bénéficier d’une AMP. Le prélè-
vement d’ovocytes peut être réalisé chez la femme jusqu’à
son 43e  anniversaire ; le recueil de spermatozoïdes chez
l’homme jusqu’à son 60e  anniversaire. L’insémination
artificielle, l’usage des gamètes ou des tissus germinaux
recueillis, prélevés ou conservés à des fins d’AMP ainsi
que le transfert d’embryons peuvent être réalisés jusqu’à
45 ans chez la femme qui a vocation à porter l’enfant
et jusqu’à 60 ans chez le membre du couple qui n’a pas
vocation à porter l’enfant.
Une question éthique demeure  : celle de l’accès des
femmes veuves aux gamètes congelées de leur compagnon
décédé, alors même que le processus de FIV était en cours
et interrompu par le décès. Cette interdiction au nom
du refus du législateur de mettre au monde un enfant
« né d’un mort » est en contradiction avec le souhait de
la femme d’accéder aux gamètes de son compagnon en
l’obligeant, si elle veut un enfant, à recevoir les gamètes
d’un tiers donneur dont elle ignore tout. Pourtant, la loi
l’autorise à recevoir l’embryon congelé issu des gamètes de
28
son compagnon. Comme si les relations affectives avaient
perdu toute légitimité au profit d’un droit d’une personne
seule à procréer.

V. – La gestation pour autrui

À partir du moment où l’assistance médicale à la pro-


création s’est banalisée, il a été envisagé que les gamètes
soient introduits dans l’utérus d’une femme receveuse qui
ne fera qu’héberger la grossesse avant de rendre l’enfant
aux parents biologiques. Cette situation, qui reste excep-
tionnelle, peut se faire soit à partir de la réception d’un
embryon, soit à partir d’une fécondation in vitro venant
des ovocytes de la mère dite « porteuse » qui hébergera la
grossesse, devenant donc pour une part une mère gestatrice
et une mère biologique. Que peut dire l’éthique dans un
tel cas ? Qu’elle offre à l’humanité de nouvelles promesses
de conflits entre mère gestatrice et mère biologique ? La
marchandisation de la grossesse est déjà un fait avéré,
en particulier dans les pays d’Asie (Thaïlande, Inde) et
d’Europe orientale (Ukraine) ou les États-Unis proches
d’un encouragement au « tourisme procréatif » (12 000 à
77 000 € aux États-Unis). S’il faut éviter de porter un
jugement négatif sur ces mères, on ne peut s’empêcher
de rappeler que la grossesse n’est pas simplement une
situation mécanique mais qu’elle est un échange d’infor-
mations et d’émotions probablement permanent entre la
future mère et son fœtus, qu’elle peut mettre en danger
la vie de la mère qui, parfois, accomplit cette mission plus
comme aide à sa précarité que par altruisme. Dans certains
cas douloureux où cette gestation est liée à une absence
d’utérus de la mère qui souhaite une telle gestation, on
pourrait imaginer que l’Agence de la biomédecine, comme
pour des greffes d’organes, donne son aval à une sœur
ou à une cousine qui voudrait venir en aide à cette mère,
29
impuissante à mener à terme une grossesse, sans que cette
situation s’apparente à un contrat de cession ou de vente.
La loi française maintient cette interdiction en raison du
risque de marchandisation du corps, mais la justice fran-
çaise accepte désormais d’inscrire à l’état civil la filiation
des enfants de parents sociaux ayant eu recours à une GPA
à l’étranger, ce qui implique une certaine reconnaissance !
Ainsi, l’assistance médicale à la procréation a largement
dépassé le concept de mise au monde d’un enfant. Le
contournement de la stérilité –  don de gamètes, FIV,
GPA, greffe d’utérus – s’est accompagné d’une demande
légitime de « droit à l’enfant », mais cette demande ignore
quelquefois le « droit de l’enfant ». L’assistance médicale
à la procréation a ouvert aussi la porte aux recherches
sur les cellules souches ; peu à peu, la procréation risque
de devenir un choix entre la naissance et la réparation
humaine !
CHAPITRE  V

Les cellules souches et l’embryon

L’embryon humain est-il une personne ? Oui, disent les


représentants de certaines religions comme la religion catho-
lique : il est au moins « comme » une personne. Oui, dit le
Comité consultatif national d’éthique : il est « comme une
personne potentielle ». Non, disent les chercheurs fascinés
par leurs études sur les cellules embryonnaires, les « cellules
de l’espoir » (Lionel Jospin, 2002), il ne peut être une per-
sonne ni même une personne potentielle. À la rigueur, il est
une potentialité de personne, mais avant tout il est un « tas
de cellules », cellules dont le destin appartient aussi bien
au chercheur qu’à la future mère. S’il évolue au sein de la
matrice, alors il deviendra progressivement une personne.
Ces débats sémantiques, qui focalisent de façon exces-
sive l’attention des spécialistes de la bioéthique, finissent
par être vains. Les religions elles-mêmes peinent à sta-
tuer sur l’ontologie embryonnaire. L’Église catholique a
changé au cours des siècles, sa vision de l’incarnation de
l’âme, tout au moins de son moment et même selon le
sexe de l’embryon… (masculin, cinquante jours ; féminin,
quatre-vingts jours…)
Les scientifiques ne sont pas unanimes à assimiler les
cellules embryonnaires à n’importe quelles cellules de
mammifères. Et chacun échoue avec la meilleure inten-
tion du monde non seulement à relier sa conception spi-
rituelle ou philosophique à un agir concret, constant sur
l’embryon, mais en outre à faire partager par l’ensemble
des acteurs quelques idées simples. Comme si l’extériori-
sation du processus de procréation avait ouvert la voie à la
31
notion de fabrication d’enfant au détriment de la simple
advenue au monde, en même temps qu’elle permettait une
possibilité de déviation du processus vers un autre chemin
que la naissance, celui de la régénération.
Ces nouvelles ouvertures sur la création de la vie humaine,
aussi angoissantes que triviales (qu’y a-t-il en effet de plus
simple que de faire rencontrer au laboratoire deux gamètes
de sexe opposé ?) ne cessent d’embarrasser le législateur qui
se retrouve pris au piège d’apparaître comme un aventurier
sans scrupule ou sans limites ou comme un censeur rétro-
grade, d’autant plus que les contradictions s’accumulent :
– protéger un embryon in vitro tout en étant totalement
indifférent à son sort lié à l’interruption de grossesse
déclenchée par le stérilet (qui favorise son expulsion
précoce) ou à l’usage du RU486 peut apparaître in-
cohérent comme si ces embryons in  vitro avaient
acquis plus de droits que l’embryon in vivo… ;
– protéger l’embryon, mais demeurer indifférent au
sort du fœtus interrompu dans son développement
par un accident de la circulation, lors d’un fœticide
programmé jusqu’au dernier moment en raison d’une
anomalie considérée comme incompatible avec une
vie normale, ou lors d’une erreur médicale (sous
prétexte qu’il ne s’agit pas d’une personne au sens
juridique du terme) est étrange ;
– protéger l’embryon mais soumettre son existence à
l’expertise biologique avant l’implantation (en raison
du risque de maladie génétique dont il faut se pré-
munir) est contradictoire avec son respect a priori.
Ces contradictions n’en finissent pas d’être convoquées
pour défendre ou attaquer telle ou telle position. Elles
atteignent leur acmé quand l’embryon lui-même n’est
pas issu des gamètes de sexe différent, mais d’un transfert
nucléaire intrasomatique, c’est-à-dire issu d’un clonage.
L’espèce humaine n’a pas encore accédé à cette possibilité,
32
mais son application réussie chez le mouton Dolly rend
celle-ci théoriquement accessible un jour.
Le clone sera-t-il appelé embryon ou d’un autre nom ?
Aurait-on appelé Dolly d’une autre dénomination que
mouton ? Si la plupart des scientifiques cependant n’envi-
sagent pas de laisser le processus embryonnaire du clonage
aller à son terme c’est-à-dire à l’implantation intra-utérine,
en revanche, ils fondent de grands espoirs sur l’accès aux
cellules souches issues d’un tel clone. On sait en effet que
le premier et le deuxième jour, les cellules du blastomère
initial ont la capacité de créer un être humain, tout au
moins un embryon ; elles sont donc appelées  « toti-
potentes ». L’intérêt de celles-ci est avant tout d’être proches
sur le plan immunologique du donneur du noyau qui sera
transféré dans un ovocyte énucléé. Cette proximité permet
alors une éventuelle greffe de ces cellules pour compenser
un déficit survenu au cours de la vie. Cette thérapie porte
le nom de clonage à visée thérapeutique. La loi française
l’interdit, car ce clonage ouvrirait la voie non seulement
au clonage dit reproductif, mais ferait de ce clone une
structure à potentialité de personne détournée vers un usage
purement thérapeutique. Même si cette prouesse scienti-
fique (car cette possibilité reste actuellement totalement
virtuelle) permet d’accéder à cet état d’existence, le débat
éthique se situerait aux confins de l’utilitarisme opportu-
niste le plus absolu (la création de son clone de réparation)
et du mépris absolu de l’ontologie embryonnaire. Le début
de la vie au secours de sa fin. Mais une humanité qui ne
supporte plus sa finitude repousse indéfiniment la mort,
choisit le plus souvent la réparation quels que soient les
enjeux spirituels, devient de plus en plus indifférente à cette
ontologie. Le mythe de Faust n’est peut-être pas loin…
On voit ainsi que l’embryon est l’objet de projections
aux spectres très larges puisqu’elles vont du respect de ce
qui serait un être humain à l’image la plus matérialiste,
celle de médicament. Ce détournement de sens a même
33
été utilisé un moment avec une certaine mauvaise foi pour
« l’enfant dit médicament ». En effet, si un enfant est
atteint d’une maladie hématologique génétique grave, une
transplantation de cellules souches peut le sauver. Quelle
aide sera plus proche biologiquement que son petit frère
ou sa petite sœur ? Il a donc été envisagé (et réussi) de
mettre en route une fécondation in vitro, de choisir parmi
les embryons produits celui qui n’a pas cette maladie géné-
tique et qui a le plus de parenté immunologique, de l’im-
planter en espérant que la grossesse surviendra. L’enfant
à la naissance pourra alors donner ses cellules souches
présentes dans le sang du cordon ou éventuellement dans
sa moelle ultérieurement ; elles sauvent un enfant malade,
et cet enfant restera un enfant à part entière. Il a été un
donneur de cellules, mais son existence spécifique est due
à sa structure immunologique ; et d’autres embryons n’ont
pas été choisis en raison de leur éloignement immunitaire.
Quel sera le destin de cet enfant ? Libre ou esclave de
son frère ou de sa sœur ? La médecine peut-elle refuser
ce sauvetage d’un enfant qui va mourir par un autre au
nom de ce destin entravé ? Du point de vue moral et
intellectuel, le sentiment de malaise l’emporte. Mais hic
et nunc, peut-on faire usage de ces réserves pour refuser
de sauver une vie ? Après quelques années de rares pra-
tiques, la loi du 2 août 2021 maintient ce recours sur la
proposition du Sénat.
Quant au fœtus lui-même, il est dans une situation
étrange. N’étant ni une personne ni une chose, il n’est
rien. Il peut en revanche être réparé, observé, traité comme
une personne à part entière. Son destin vient-il à ce que
son existence s’interrompe prématurément, et il sera alors
réduit au statut de déchet hospitalier. Cependant, faire de
cette existence trop brève un non-événement pour la mère
qui a attendu avec espérance cet enfant et l’a senti remuer
dans son ventre est d’une grande violence. Le législateur
a fini par reconnaître une possibilité d’inscription à l’état
34
civil du fœtus mort sans pourtant lui donner de person-
nalité juridique.
Toutes ces réflexions révèlent l’écart qui existe entre
l’imaginaire collectif qui concerne l’embryon et le fœtus
et les solutions individuelles proposées dans chaque cas.
La possibilité d’interrompre une grossesse volontairement
ne pose réellement plus de débat de société autre que
celui de la confrontation avec l’interdit religieux et celui
des conséquences psychologiques plus ou moins connues
à moyen et long termes pour la mère. En revanche, inter-
rompre une grossesse en raison d’anomalies détectées par
les techniques médicales de plus en plus performantes
soulève la question d’un eugénisme masqué. Cette ques-
tion du devenir du fœtus et de l’embryon reste toujours
aussi présente, aussi source de perplexité, comme si dans
le fond de l’inconscient humain demeurait l’inquiétude
de notre origine.
La recherche sur l’embryon.  – Les recherches sur
l’embryon et les cellules souches embryonnaires, d’abord
interdites puis soumises à une autorisation, c’est-à-dire à
une dérogation au principe d’interdiction de l’Agence de la
biomédecine, ne sont désormais soumises qu’à une simple
déclaration. Néanmoins, les embryons conçus dans le cadre
d’une AMP mais dépourvus de projet parental peuvent
être utilisés pour la recherche avec l’accord des parents.
La recherche sur les cellules souches embryonnaires est
séparée de la recherche sur l’embryon et soumise à une
simple déclaration. La pertinence du projet reste cepen-
dant de la responsabilité de l’Agence de la biomédecine.
La création dite d’embryons transgéniques ou chimé-
riques est possible, mais sans qu’ils puissent être utilisés
pour une fécondation in vitro.
Le délai maximum d’usage pour la recherche d’em-
bryons humains reste fixé à 14 jours.
CHAPITRE  VI

Le dépistage prénatal

Il concerne les explorations pratiquées pendant la


grossesse pour l’expertise de la normalité d’un fœtus. Il
se distingue du diagnostic préimplantatoire. Ce dernier
concerne, comme son nom l’indique, l’examen de l’em-
bryon avant son implantation utérine. Il n’est pas des-
tiné à une interruption de grossesse. Il précède celle-ci.
Le diagnostic prénatal repose sur l’échographie qui est
répétée au cours de la grossesse aux troisième, cinquième
et septième mois, qui demeure une exception française.
Un test de diagnostic sanguin, non pas de la trisomie 21,
mais de l’augmentation significative (1/200) de ce risque,
est pratiqué vers la douzième semaine. Si le test révèle ce
risque ou si l’échographie montre un épaississement nucal,
le médecin propose une amniocentèse, c’est-à-dire un pré-
lèvement de liquide amniotique par voie intra-abdominale
pour examiner le liquide et rechercher l’anomalie chromo-
somique sur les cellules prélevées. Ces examens font courir
un risque d’interruption accidentelle de grossesse de l’ordre
de 1 à 2 %. Depuis quelques années, un examen du caryo-
type fœtal à partir du sang de la mère permet de réduire
le nombre d’amniocentèses. Cette facilité encore coûteuse
(environ 800 €) ouvre aussi la porte à des demandes abu-
sives du génome fœtal et donc à un eugénisme de fait,
même s’il ne se déclare pas comme tel. Le résultat positif
s’accompagne de près de 90 % de demandes d’interruption
de grossesse. Ce dépistage, quasi systématique mais non
obligatoire, comme l’a rappelé la loi, peut conduire, qu’on
le veuille ou non, à une programmation eugéniste qui ne
36
veut pas dire son nom. L’obligation faite au médecin et à la
sage-femme d’informer toute femme enceinte sur le risque que
son futur enfant soit atteint de la trisomie  21 est désormais
inscrite dans la loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique :
Toute femme enceinte reçoit lors d’une consultation médi-
cale une information loyale, claire et adaptée à sa situation
sur la possibilité de recourir à sa demande à des examens
de biologie médicale et d’imagerie permettant d’évaluer le
risque que l’embryon ou le fœtus présente une affection
susceptible de modifier le déroulement ou le suivi de la
grossesse.
Le dépistage prénatal est très organisé dans sa pra-
tique et ses finalités. Il revient en effet au médecin des
centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal de porter
un jugement sur l’existence d’une maladie grave et incu-
rable pouvant justifier l’avortement dit thérapeutique. Le
seuil de cette gravité est diversement apprécié. Il dépend
aussi du regard de la société sur sa capacité à accepter des
enfants handicapés. Moins la société est accueillante, plus
l’exigence d’une normalité sera revendiquée. Sans faire de
procès à ceux qui pensent que l’on peut désormais appli-
quer le principe de précaution à la naissance d’un enfant
normal, on ne peut qu’être inquiet d’une société qui ne
supporte plus le doute ou le divers.
CHAPITRE  VII

Questions posées à la génétique


par la bioéthique

Il n’y a guère de domaine de la médecine où ne s’expri-


ment autant les fantasmes les plus extrêmes. Le concept
de « manipulations génétiques » effraie les citoyens. Les
mots « OGM » rassemblent sous leur bannière les craintes
les moins rationnelles. Les maladies génétiques assurent
le succès du téléthon. Que celui-ci donne des ressources
financières importantes, personne ne peut s’en plaindre. La
recherche a été considérablement aidée depuis vingt ans
par de tels appels généreux au don. Il n’en demeure pas
moins que la fascination pour la génétique est excessive,
tout au moins dans le domaine de la santé publique. Les
cris d’orfraie devant les risques de discrimination géné-
tique pour les assurances, les banques, les employeurs ne
tiennent pas compte des réalités épidémiologiques.
Certes, quelques maladies emblématiques focalisent
l’attention sur ce risque. Maladie de Huntington, muco-
viscidose, hémophilie, myopathie, drépanocytose, thalas-
sémie, etc., leur gravité justifie l’absence de désinvolture
à leur égard. Les personnes et les familles touchées sou-
haiteraient tellement que la recherche leur permette d’ac-
céder à des traitements. Mais cette demande si légitime
s’accompagne d’une autre, celle de l’« éradication » de
telle ou telle maladie génétique. Ici, le discours devient
d’une violence inconsciente des enjeux. Éradiquer des êtres
humains comme on voudrait éradiquer la violence ou des
termites. De quoi s’agit-il en effet ?
38
– De ne pas faire naître ou d’interrompre le processus
de gestation par un dépistage prénatal ;
– de s’acharner à dépister des risques dans une famille ;
– de choisir un embryon indemne de telle ou telle
maladie génétique avant son implantation utérine.
S’il est si compréhensible pour une famille éprouvée de
ne pas souhaiter faire naître un enfant porteur lui-même
d’une même maladie génétique, il l’est moins d’ouvrir
la voie à une attitude obsessionnelle de normalité. La
normalité n’existe pas. Il y a des êtres plus ou moins nor-
maux que les autres, c’est-à-dire ayant une plus ou moins
grande capacité d’adaptation au monde. La normalité, c’est
l’éventail le plus ouvert des possibilités d’existence. Un
hémophile peut avoir une vie très heureuse, une maladie
de Marfan être présente chez Mendelssohn, Rachmaninov,
Abraham Lincoln, sans que la société ne regrette leur
existence.
Il faut donc être prudent dans l’énonciation de propos
dévastateurs. Oui, la médecine génétique a un sens, celui
d’être attentive à la détresse ; non, la médecine génétique n’a
pas vocation à transformer l’humain ; elle renverrait alors aux
pires souvenirs d’un totalitarisme de droite ou de gauche.
Quels sont donc les problèmes posés par la génétique
à la bioéthique ?
1. La discrimination. –  Être identifié par ses gènes
à une maladie handicapante ou mortelle peut entraîner
un préjudice social et personnel grave. La loi protège
apparemment de cette discrimination, quels que soient les
intérêts de la société de connaître les profils génétiques.
Nul ne peut exiger l’examen de dépistage avant la signature
d’un contrat de travail, la souscription d’une assurance-vie,
la délivrance d’un prêt, sous peine de poursuites judiciaires.
Un médecin ne peut pas pratiquer un examen de dépis-
tage génétique de routine sans le consentement de la per-
sonne, même si c’est dans l’intérêt de la personne dépistée.
39
Le consentement doit même faire l’objet d’une procédure
écrite. Il est impératif, par exemple, de ne pas mettre en
évidence le statut BRCA 1 1 et 2 2 de cancer du sein sans avoir
demandé son accord à la femme. Seule la femme, si elle
est porteuse dudit gène, peut avertir sa famille féminine de
l’intérêt de faire ce test. La médecine ne peut passer outre
et convoquer les membres de la famille de son propre chef.
Le législateur a souhaité cependant faire de cette infor-
mation une obligation légale au nom de l’intérêt du groupe
familial. Mais il a hésité au dernier moment en laissant
le choix de cette information à la personne qui doit y
être obligée, par son médecin, à prévenir les membres de
sa famille. La personne peut déléguer au médecin, selon
la nouvelle loi, la responsabilité de l’information, sans
que son identité soit révélée (ce qui n’empêchera pas le
patient informé de tout mettre en œuvre pour identifier
plus ou moins facilement la personne porteuse du gène…).
Le respect du consentement de la personne est essentiel
quels que soient les enjeux. Sinon, la porte est ouverte
au dépistage à l’insu de la personne concernée avec les
conséquences éthiques que cela implique. De façon déro-
gatoire, l’examen génétique d’une personne décédée ou
hors d’état de s’exprimer peut être entrepris dans l’intérêt
de ses proches (si elle ne s’y est pas opposé antérieure-
ment), ce qui constitue une exception au secret médical.
2. Le droit à l’information. Le droit de ne pas savoir.
Savoir  si l’on est atteint d’une maladie génétique est un
droit. Garder la connaissance pour soi ou vouloir ignorer

1. L’angoisse suscitée par ce dépistage, s’il se révèle positif, réside dans


l’attitude à adopter  : ablation préventive des deux seins ? Avec ou sans
castration ? Simple surveillance ?
2. La présence de ces gènes accroît de façon très importante (90 % de
risque entre 20 et 80 ans) le risque familial de cancer du sein. Il ne faut
cependant pas oublier que ces formes « génétiques » ne concernent que
10 % des cancers du sein.

40
le  destin programmé de sa vie dans un domaine où la
médecine est le plus souvent impuissante est sinon un
droit, du moins une possibilité. Quelques cas patho-
logiques, voire mortels, de maladies génétiques, qu’un simple
régime nutritionnel permettrait d’éviter, rendent ce droit
de ne pas savoir particulièrement angoissant, en tout cas
pour les membres de la famille qui ignorent tout.
3. Le dépistage préimplantatoire. –  À partir du
moment où la fécondation in  vitro a permis la création
d’embryons implantables, et surtout à partir du moment
où l’observation de la soustraction d’une des quatre cellules
primordiales de ceux-ci ne leur créait pas de dommages,
il était tentant d’étudier les gènes avant l’implantation
utérine. La présence d’un gène délétère entraîne soit la
destruction de l’embryon, soit la création de lignées de
cellules souches qui vont permettre d’étudier le processus
pathologique dans son développement.
La loi de 2004 a permis à trois centres français de faire
un dépistage préimplantatoire dans le cas de maladies par-
ticulièrement graves (pour une centaine de cas par an).
La question se pose alors des limites. Peut-on considérer
comme particulièrement grave l’expression des gènes de
cancer (du sein, du côlon) ? Si la réponse est oui, la porte
est ouverte à tous les cancers chez lesquels un jour ou l’autre
on découvrira une origine génétique. Mais un cancer qui se
développe à 50 ans, dans cinquante ans, est-ce une maladie
particulièrement grave ? Certaines instances recommandent
d’y associer la recherche de l’anomalie chromosomique
de la trisomie 21, ce qui continue de poser un problème.
En effet, nommer un groupe humain pour le supprimer
pose une question éthique majeure. La recherche d’un
gène reste donc réservée aux cas où un couple présente
de fortes probabilités de donner naissance à un enfant
avec une maladie génétique d’une particulière gravité et
reconnue incurable.
41
4. La médecine prédictive. – Connaître à partir de son
génome ses facteurs de susceptibilité ou exceptionnellement
de la survenue inéluctable d’une maladie génétique aboutit
ici encore à des situations plus fantasmatiques que réelles.
Nous sommes tous en effet porteurs de tels gènes de sus-
ceptibilité au cancer, de maladie d’Alzheimer, etc., mais
l’environnement joue un rôle majeur. L’interaction gène-
environnement est un des acquis fondamentaux de la science
génétique de la fin du XXe siècle ; or, l’environnement est très
difficile à isoler dans ses composantes à l’opposé du gène
accessible à la biologie moléculaire. C’est pourquoi, à part de
rares situations où la médecine prédictive se fonde sur une
réalité existentielle, elle est en fait plus vouée à un marché
avide de profits qu’à une médecine du discernement. Certes,
quelques maladies peuvent être prédites comme la maladie
de Huntington, modèle paradigmatique de la médecine
prédictive, mais aussi maladie de Charcot-Marie-Tooth.
Mais ces maladies restent extrêmement rares.
Prédire une maladie fréquente comme le diabète reste
en revanche peu pertinent. En effet, le choix de la méthode
de dépistage qui s’opère entre la détection d’une simple
possibilité de diabète (qui existe dans une large partie de
la population) ou un dépistage plus pointu de gènes de
prédisposition au diabète (qui ne touche alors qu’une toute
petite fraction de la population) revient à présenter cette
alternative  : inquiéter tout le monde ou bien dépenser
des sommes considérables pour un bénéfice bien limité.
5. Les autotests. – Le marché biotechnologique voit s’ou-
vrir des promesses de développement considérable. L’envoi
d’une goutte de sang sur une carte par Internet ou l’examen
au domicile avec un réactif ouvre apparemment la porte à
une connaissance infinie de soi. Mais la complexité du sens
et de l’interprétation des résultats est sans rapport avec leur
facilité d’accès. L’avenir des autotests semble important,
en particulier pour le dépistage des infections par le VIH.
42
6. L’identification génétique. – Elle fait partie désor-
mais du monde policier. Reconnaître un ADN sur des
traces laissées par le meurtrier appartient à la police scien-
tifique avec des chances minimes d’erreurs. Cet ADN ne
code pas de gènes. Il ne peut donc pas permettre d’iden-
tifier un malade, mais seulement une personne. Les don-
nées biométriques intègrent peu à peu l’ADN dans leurs
fichiers. La loi française a, en 2007, demandé que les
migrants qui veulent faire venir leurs enfants fassent tester
l’ADN de ceux-ci avant de venir en France. Cette loi a été
heureusement abandonnée avant sa mise en application.
Elle était en contradiction avec la loi française générale qui
est très réticente à l’idée de faire des tests ADN familiaux
pour des raisons de filiation autres que celles qui sont
demandées par la justice. Un enfant ne peut choisir en
effet d’établir sa filiation paternelle selon ses désirs. Mais
ici encore, un marché particulièrement rentable risque de
se développer en dehors de toute contrainte. Vaut-il mieux
développer cette recherche ou laisser faire le marché ?
7. La carte génomique. –  Depuis Craig Venter qui
a obtenu la première carte de son génome, un certain
nombre d’entreprises de biotechnologies proposent des
cartes génomiques aux personnes soucieuses d’être infor-
mées sur leur avenir. Même si leur prix a vertigineuse-
ment baissé, l’intérêt pratique est extrêmement réduit,
car le nombre de gènes en cause dans des maladies bien
identifiées est très faible par rapport à des gènes dits de
susceptibilité, dont nous sommes peu ou prou tous por-
teurs à un degré ou à un autre.
8. Recherches sur les caractéristiques génétiques des
populations. – Les caractéristiques génétiques des popula-
tions font l’objet de recherches intenses sans le consentement
de ces dites populations. Un véritable « pillage » génétique
s’exerce en dehors de toute législation au profit des pays
du Nord au détriment des pays du Sud. Ce  patrimoine
43
génétique est pourtant digne de respect au même titre que
le patrimoine intellectuel, agricole ou industriel.
9. Problèmes éthiques de la thérapie génique. –  La
thérapie génique inaugure une nouvelle approche théra-
peutique. Fondée sur l’apport d’un gène, grâce à un vecteur
viral, sur son remplacement, sur sa suppression ou sa mise
en silence, cette thérapie en est encore à ses balbutiements.
Elle concerne essentiellement la thérapie somatique. En
effet, la thérapie germinale qui supposerait une intervention
sur les gènes des gamètes, donc une activité transmissible,
pose des problèmes éthiques particulièrement difficiles.
Elle peut se pratiquer ex vivo en réinjectant des cellules
transformées par les modifications génétiques (lymphocytes)
ou in  vivo par l’injection directe des gènes dans l’organe
lui-même. La thérapie génique ne peut être utilisée que pour
quelque 4 000 maladies monogéniques connues. En effet,
un grand nombre de maladies génétiques sont multifacto-
rielles et inaccessibles à un tel traitement. Parmi les maladies
monogéniques encore faut-il que le gène muté en cause soit
clairement identifié. Or, souvent un gène a de nombreuses
mutations responsables de pathologies graves, mortelles ou
totalement asymptomatiques. La thérapie génique ne peut
donc s’adresser qu’à des maladies aux mécanismes patho-
logiques bien identifiés : déficit en OCT (ornithine carbamyl
transférase), hémophilie, thalassémie, adrénoleucodys-
trophie, déficit immunitaire lié à l’X, amyotrophie spinale.
Parmi les premiers essais réussis, le traitement du déficit
immunitaire (DICS) d’Alain Fischer a retenu l’attention.
Certes les enfants atteints, dits « enfants bulles » (car le
déficit immunitaire qui les rend vulnérables à la moindre
infection les oblige à vivre dans une bulle), peuvent par-
fois être traités par une greffe de moelle allogénique ; mais
les donneurs compatibles sont rares (20 % des cas). Parmi
les 18 premiers enfants traités par son équipe et d’autres
aux États-Unis et en Angleterre, 16 ont spectaculairement
44
guéri ; malheureusement, cinq d’entre eux ont ensuite pré-
senté une leucémie dont une a été mortelle. Ces leucémies
sont liées à la stimulation d’un gène oncogène par le virus
du vecteur apportant le gène réparateur. Quelques succès
ont été obtenus pour la thalassémie et la drépanocytose.
Du point de vue éthique, la thérapie génique somatique
répond au concept de bienfaisance, de justice, mais ne répond
pas toujours au respect de l’autonomie de la personne. Car
les maladies génétiques sont avant tout des maladies chez de
jeunes enfants. Les parents n’ont pas d’autres choix que d’ac-
cepter ce type de protocoles de recherche, compte tenu de
la situation dramatique dans laquelle ils se trouvent. Autant
les phases 2 et 3 sont légitimes, autant la phase 1 pose un
problème difficile. Comme dans la phase 1 de la thérapie
anticancéreuse qui n’apporte aucun bénéfice réel au patient,
mais une simple information utile pour la recherche, peut-on
soumettre ces enfants atteints de maladies génétiques rares
à une phase 1, aussi indispensable à la recherche qu’inutile
pour eux. Doit-on utiliser ces essais thérapeutiques chez
des enfants condamnés ou chez des sujets atteints de forme
peu grave ? Cette dernière solution a été retenue pour les
premiers traitements du déficit en ornithine carbamyl trans-
férase. Un jeune homme peu atteint s’est porté volontaire
et est malheureusement mort de l’infection virale liée au
vecteur pendant le protocole de recherches.
Des thérapies in  utero pourront être envisagées, mais
elles se heurtent à la question de pouvoir faire un essai
chez une mère qui voudrait à tout prix maintenir sa gros-
sesse et prendre le risque pour son enfant. On imagine la
violence du débat auquel ces mères seraient confrontées.
Enfin, l’usage de techniques nouvelles telle la CRISPR-
Cas9 offre des perspectives immenses en permettant par
des « ciseaux » chimiques de supprimer un gène jugé défec-
tueux. Des essais sur des embryons humains en Chine ont
suscité une réprobation générale.
CHAPITRE  VIII

La recherche sur l’homme

Lorsque la réflexion éthique aborde des sujets généraux


comme les greffes d’organe, l’assistance médicale à la pro-
création, l’usage de la génétique, etc., le débat contradic-
toire trouve son issue dans la loi ; mais celle-ci n’épuise
jamais les positions respectives antagonistes interrogatives.
En revanche, la recherche sur l’homme ne souffre aucun
débat. La loi y installe son arsenal juridique sans faille.
Car la violence nazie de l’expérimentation humaine, qui a
révolté les consciences et justifié le jugement du tribunal de
Nuremberg en 1947 a fait émerger de façon consensuelle
le concept de consentement éclairé.
Un être humain ne peut faire l’objet d’une quelconque
expérimentation sans avoir consenti de façon éclairée,
libre et expresse à celle-ci. Mais cela finit par constituer la
bonne conscience d’une humanité qui conclurait à « plus
jamais ça ». Or, la médecine nazie n’a pas eu le mono-
pole d’une expérimentation sauvage, certes à une échelle
incomparable. Américains, Scandinaves et Français ont
procédé avant et après le jugement à des expérimenta-
tions sur des personnes handicapées (stérilisation) sans le
moindre consentement de leur part. Des Noirs américains
atteints de syphilis n’ont pas été traités par la pénicilline
comme les données de la science le justifiaient, afin que
l’histoire naturelle de cette maladie puisse se dérouler sans
entrave. Des enfants ont fait l’objet de biopsies hépatiques
au cours de fièvre typhoïde simplement pour avoir des
données cognitives. La tentation a été grande pour les
médecins de considérer que le malade était plus un objet
46
de soins qu’un sujet. Au XXIe  siècle, les traitements ont
été et continuent d’être expérimentés dans les pays du
Sud au mépris de toute réglementation au prétexte que les
ressources thérapeutiques y sont rares. On conçoit donc
que la façon dont la recherche sur l’homme est pratiquée
constitue le repère éthique central et le meilleur témoignage
du respect de la personne.

I. – Les textes fondateurs

Il peut paraître étonnant qu’avant 1988, date de la loi


Huriet-Sérusclat, l’expérimentation sur l’homme en France
était sinon libre, tout au moins sans encadrement strict.
Un médecin pouvait, au nom de l’intérêt de la science ou
dans son propre intérêt (affaire Milhaud, 1987), admi-
nistrer un nouveau médicament ou engager une nouvelle
procédure sans passer par les fourches caudines de la loi.
La loi Huriet-Sérusclat du 20 juillet 1988 a radicalement
changé les comportements. Désormais, la moindre expé-
rimentation sur l’homme doit s’assurer du consentement
de cette personne, être soumise à un comité de protection
des personnes qui expertise le projet. Tout projet sauvage
est rigoureusement interdit. L’investigateur est clairement
identifié ainsi que le promoteur. Entre 1988 et 2004, les
concepts de « bénéfice individuel direct » ou d’« absence
de bénéfice individuel direct » ont permis une plus grande
prise de risques si les bénéfices pour la personne étaient
envisageables. Cette dichotomie a parfois abusivement
conduit les chercheurs à trouver un bénéfice individuel
direct pour garder une certaine marge de liberté, alors
que celle-ci était beaucoup plus entravée par les situa-
tions d’absence de bénéfice individuel direct. Autrement
dit, tout traitement chez un malade dans le coma ou en
situation désespérée peut théoriquement se revêtir facile-
ment de cette intention thérapeutique. Mais la directive
47
européenne 2001/CE a obligé une révision de la loi Huriet
en substituant à la notion de bénéfice individuel direct
ou d’absence de bénéfice la notion de rapport bénéfice/
risque. Le risque encouru par la personne qui se soumet
à l’expérimentation doit toujours être mis en rapport avec
le bénéfice escompté. Il n’est pas question de faire cou-
rir le moindre risque si le bénéfice est minime. Et cette
obligation est désormais inscrite dans le Code de la santé
publique.
Dès qu’une recherche est envisagée, le projet est soumis
à un comité de protection des personnes (CPP, ancienne-
ment CPPRB) qui donne son avis à l’Agence du médica-
ment. Les membres des différents CPP sont nommés par
l’État. Leur avis est décisif et non plus consultatif comme
c’était le cas auparavant en 1988.
La loi no 2012-300 du 5 mars 2012 (dite « loi Jardé »)
a changé considérablement les conditions de la recherche.
Le décret d’application du 17  novembre 2016 précise
les modalités de « recherches impliquant la personne
humaine » (RIPH). Une Commission nationale des RIPH
est créée. Les dossiers sont répartis de façon aléatoire
entre les Comités de protection des personnes qui doivent
traiter tous les dossiers, même les recherches « non inter-
ventionnelles ».
La déclaration d’Helsinki (Association médicale mon-
diale), dont la dernière révision date d’octobre 2013, pré-
cise de façon très claire les protections dont doivent jouir
les personnes qui font l’objet d’une expérimentation. La
Déclaration aborde en particulier les inégalités Nord/
Sud. L’OMS, par l’intermédiaire des directives pour la
recherche biomédicale appliquée au sujet humain, joue
un rôle important de régulation internationale.
Mais la déclaration d’Helsinki, depuis 2008, est jugée
trop favorable aux personnes au détriment de la recherche
par les Américains qui ont impulsé en octobre  2008 le
Guideline for Good Clinical Practice. Cette brèche dans un
48
accord international pose une question éthique majeure :
celle de la subsidiarité d’un pays pour établir ses propres
lois ; alors que la recherche sur l’homme devrait faire
l’objet d’une déclaration universelle contraignante pour
l’humanité entière.

II. – Les questions éthiques qui demeurent

1. Le consentement. –  Fût-il « libre et éclairé », il


n’épuise pas les questions de l’autonomie et de la liberté.
Une personne vulnérable est-elle vraiment autonome ? La
femme est-elle libre par rapport à son mari ? Un habi-
tant d’un pays dont le produit national brut par habitant
est de 200 $ US peut-il refuser l’essai d’un médicament
anti-VIH ? Le concept d’individu occidental n’est pas
partagé par la terre entière. Le chef de clan a plus de
visibilité que la personne elle-même. Qui va consentir la
personne ou le chef ? Peu à peu, le consentement a fini par
se réfugier dans des substituts juridiques, se limitant à une
signature en bas d’un document. Pire, ce consentement
a fini par se constituer peu à peu en une protection du
médecin investigateur de la personne : « il a signé », « il a
consenti ». « Je peux donc expérimenter. » Il serait peut-
être préférable de substituer au consentement la notion de
choix éclairé entre un oui ou un non, les deux étant placés
sur un même plan, en privilégiant la personne elle-même
plutôt que le groupe.
2. Les personnes en situation de vulnérabilité.
Certaines personnes, enfants, prisonniers, malades psy-
chiatriques, personnes âgées, personnes inconscientes, sont
dans l’incapacité de donner un consentement libre. On
leur substitue alors des « personnes de confiance », des
« médiateurs », des parents, mais ceux-ci ne remplaceront
jamais la personne elle-même, en particulier des personnes
dans le coma, chez lesquelles il peut être tentant de faire
49
des recherches qui ne seraient jamais acceptées par des
personnes douées de toutes leurs capacités. La vraie diffi-
culté est de considérer que l’incapacité physique et mentale
constitue un devoir supérieur de respect à ces personnes
plutôt que le contraire. Un enfant mineur peut avoir la
capacité de dire non (on doit pouvoir lui expliquer), et
son refus doit être accepté, même si ses parents ont donné
leur consentement.
3. Le placebo. – L’usage du placebo semble le comble
de l’inéthique, et pourtant, une recherche à visée thé-
rapeutique a besoin de lui pour asseoir des conclusions
solides. Quand on sait, par exemple, que 70 % des dou-
leurs d’estomac habituelles sont calmées par un placebo,
il peut sembler léger de conclure à un effet thérapeutique
dans ce domaine d’une nouvelle substance. Le placebo est
donc souvent nécessaire. C’est son usage à l’« insu » qui
est insupportable. Le consentement de la personne doit
porter sur l’acceptation possible du placebo. Plus souvent,
la recherche procède par double aveugle : ni le médecin ni
le patient ne savent s’il prend le médicament ou le placebo.
Mais la tension peut être vive entre l’opinion publique
et les investigateurs ; quand Salk a donné son vaccin anti-
poliomyélitique à un groupe considérable d’enfants, un
placebo à un autre groupe aussi considérable, et a com-
paré avec un important groupe témoin qui ne recevait
rien, l’opinion publique s’est émue. Des enfants du groupe
témoin et du groupe placebo ont contracté la poliomyélite,
alors que quasiment aucun enfant vacciné n’a été atteint.
La preuve était apportée. Plutôt que de diaboliser le
placebo, la recherche doit pouvoir sereinement expliquer
l’utilité de son emploi.
4. La recherche Nord/Sud. – De plus en plus, le coût
des recherches (on estime à un milliard d’euros le coût
du développement d’une nouvelle molécule) suscite des
« délocalisations » dans des pays pauvres en ressources
50
humaines et thérapeutiques. L’absence de médicaments
disponibles est aussi utilisée pour justifier l’usage abusif
de placebo au Sud qui serait interdit au Nord.
Des essais de traitements courts, voire insuffisants,
peuvent être proposés, compte tenu de la pauvreté des
populations. L’essai du traitement simplifié anti-VIH chez
des femmes enceintes séropositives pour éviter la conta-
mination de leur enfant qui aurait été inacceptable dans
les pays du Nord a été pratiqué ouvertement en Afrique
au nom de la précarité de ces populations.
5. Les essais chirurgicaux. –  Ils n’appartiennent pas
strictement à la recherche médicale. Une nouvelle voie,
d’abord, ne passe jamais devant un CPP. Un premier acte
chirurgical pratiqué par un chirurgien inexpérimenté n’est
qu’exceptionnellement annoncé à un malade qui devrait
pourtant en être informé, avec l’assurance qu’un chirurgien
très expérimenté soit présent.
6. Les essais de phase 1 en cancérologie. –  Chez un
malade atteint d’un cancer sans espoir de traitement,
il semble légitime d’essayer de nouvelles molécules. La
recherche a besoin de celles-ci. Le malade accepterait
volontiers un nouveau médicament, mais la législation
impose d’abord que l’on fasse une phase 1 qui teste non
pas l’efficacité, mais la seule tolérance à ce médicament.
Ce malade recevra alors une nouvelle molécule qui n’aura
aucun effet thérapeutique, mais seulement des effets secon-
daires. Mais le malade ne sera jamais prévenu de cette
situation ; on lui dira qu’il s’agit d’un nouveau médicament
encore non testé suscitant alors une grande espérance. De
plus, le malade qui a expérimenté cette phase 1 n’aura pas
accès à la phase 2, celle de l’efficacité…
Essais, recherches et respect des personnes malgré leur
évidence nécessaire sont bien souvent contradictoires. Si
la loi empêche les déviances majeures, elle n’empêche
pas les dérives.
51
7. Les conflits d’intérêts. – Ils deviennent l’enjeu majeur
de la recherche, car leur financement dépend de plus en
plus de structures financières soucieuses de retour sur
investissements. Cette aliénation à l’argent est responsable
de l’écart croissant entre la recherche dite fondamentale,
financée par le secteur public, et la recherche appliquée,
dépendant de financements privés. Il s’y ajoute l’esprit
de compétition, être le premier, le prestige et l’impor-
tance majeure de publier pour une carrière universitaire :
publish or perish, dit le célèbre adage. Une recherche est
donc vulnérable à d’autres intérêts que la vérité scienti-
fique, alors que « le choix de chercher le vrai est un choix
éthique », rappelle Anne Fagot-Largeault. Intégrité et
probité sont des exigences éthiques fondamentales. Les
chercheurs doivent être totalement indifférents aux enjeux
économiques, politiques, idéologiques et écologiques (le
climato-scepticisme !). Leur faillite explique les crises sani-
taires de l’amiante, de la chlordécone, du médiator, du
sang contaminé, des méfaits du tabac, etc. Ils ne doivent
pas mentir pour infléchir leurs résultats. Être financé par
un laboratoire ou une ONG n’est pas répréhensible si le
chercheur est capable de résister aux demandes qu’il juge
contraires à l’éthique de l’organisme financeur. Un conflit
d’intérêts, selon l’article 25 de la loi du 13 juin 1983, repris
dans la loi du 11 octobre 2013, est constitué par « toute
interférence entre un intérêt public et des intérêts publics
ou privés qui sont de nature à influencer ou à paraître
influencer un exercice indépendant, impartial et objectif
d’une fonction ». Toute rédaction d’un article scientifique
doit être suivie d’une déclaration de liens d’intérêt qui ne
sont pas nécessairement des conflits, mais qui sont toujours
suspects de l’être. Le lecteur doit être capable de juger par
lui-même. Le plus dangereux des conflits est celui qui n’est
pas signalé. Par exemple, quand une signature prestigieuse
met son nom au service d’une entreprise tout en cachant
leur lien. L’enseignement universitaire prépare mal à ces
52
conflits d’intérêts, en particulier en raison de la formation
permanente des médecins confiée quasi exclusivement à
l’industrie pharmaceutique. De même, la présence aux
congrès est financée en moyenne par les mêmes acteurs
alors que dans d’autres pays européens comme l’Alle-
magne, l’université prend en charge ces frais. La conscience
de l’importance majeure des conflits d’intérêts est en train
d’évoluer mais la stratégie des financeurs aussi ! Rien ne
remplace la conscience personnelle du chercheur.
CHAPITRE  IX

L’apport des neurosciences

Le plus grand débat de la recherche du futur réside dans


les avancées des neurosciences qui reposeront la question
fondamentale du libre arbitre et du déterminisme.
Comment arriverons-nous, comme le pense Jean-
Claude Ameisen, à « penser la capacité de se réapproprier
ce que nous apprenons sur nous-mêmes comme objet
d’étude de l’extérieur » ?
La personne restera-t-elle au centre des finalités de la
connaissance ou se mettra-t-elle à son service ? La réflexion
éthique commence quand le retour sur soi, sur son intime
permet l’ouverture sur l’autre et la mise à distance de la
science ; pas quand elle est sollicitée au dernier moment
pour combler ou neutraliser l’effroi suscité, dans une sorte
de dernier sursaut alliant résignation et culpabilité…
De quoi s’agit-il en effet ? De trois concepts nouveaux
ou plutôt de trois tentations :
1/ la tentation de modifier de l’extérieur les compor-
tements, que ce soit suivant le désir de la personne
ou à son insu ;
2/ la tentation de réduire l’humain à ce qu’en dit la
génétique ou l’imagerie ;
3/ la tentation de discriminer ceux qui ne s’intègrent
pas dans une norme.

54
I. – Modification extérieure du comportement

Si des médicaments agissent sur des récepteurs ou des


médiateurs chimiques pour modifier le comportement,
il est tentant de faire de leur usage une ouverture à la
« normalité ». Un enfant turbulent, hyperactif, source de
désordre familial ou scolaire, constitue une préoccupation
à laquelle le médecin est sommé d’apporter une réponse.
Celle-ci existe : la Ritaline®. Des chefs d’établissements
scolaires, des enseignants lassés devant des comportements
parfois déviants proposent non seulement d’introduire
cette médication, mais encore de faire de celle-ci une
condition sine qua non du maintien scolaire. Cette attitude
est tout à fait logique. Mais elle introduit une normalisa-
tion thérapeutique du lien social. On sait que notre pays
est un des plus grands consommateurs de psychotropes ;
est-ce la façon la plus rationnelle de maintenir les condi-
tions d’un « vivre ensemble » ou est-ce un renoncement
à permettre l’épanouissement des capacités de chacun ?
L’usager d’alcool, dépendant, se verra ainsi proposer
un test génétique ou pharmacologique pour juger de ses
capacités physiologiques à résister ou à se soumettre à sa
dépendance. À chaque situation physiologique spécifique
répondra une prise en charge adaptée. Cette démarche est
certes utile, voire nécessaire, mais elle méconnaît radicale-
ment les conditions de survenue de cette alcoolisation (perte
de repères, solitude, chômage, deuil, etc.). Or, les applica-
tions des neurosciences à l’humain ont tendance à établir
une chaîne de causalité entre un phénomène biologique
biochimique et une expression cognitive. Autrement dit, la
découverte d’une anomalie induit le risque de réduire la vie
intérieure à ce qu’en dit la physiologie ; ce qui méconnaît
la complexité interactive de la personne avec son envi-
ronnement. Une rationalité ici est une irrationalité là-bas.
La normalité de la pensée est une dangereuse illusion.
55
Les  neurosciences dans leur application thérapeutique
auraient plutôt vocation à rassembler l’être dans son unité
dispersée qu’à augmenter ou diminuer ses capacités cogni-
tives. C’est plus de cette cohérence que de stimulation
mentale désordonnée dont le cerveau a besoin.
Autant l’information pharmacologique sur le fonctionne-
ment mental s’est banalisée, autant l’intervention chirurgicale
ou par électrostimulation suscite frayeur et inquiétude. On
le comprend, car le souvenir des lobotomies de Muniz dans
les années 1930 a laissé des traces légitimes. Des personnes
atteintes de pathologies psychiatriques sévères ont ainsi été
traitées par neurochirurgie avec sections de réseaux neuro-
naux. Certaines lobotomies ont été suivies de véritables états
d’indifférence « frontale », voire de déficit cognitif sévère.
Les succès obtenus par le Pr Benabid de Grenoble dans
le traitement par stimulation électrique de la maladie de
Parkinson ont justifié des projets d’extension de cette théra-
peutique à des indications psychiatriques, comme les TOC
(troubles obsessionnels compulsifs) et dans les états dépressifs
sévères. À côté de succès vraisemblables, voire spectaculaires,
la question se pose de l’autonomie du sujet qui s’aperçoit
dépendant de cette stimulation pour éprouver une moindre
souffrance ; on ne peut parler de guérison, mais de substi-
tution à un déficit biochimique d’une stimulation électrique.
Avec les progrès de la télétransmission, des scénarios
de science-fiction angoissants pourraient ainsi permettre
une modification comportementale à distance, selon des
volontés totalement extérieures à la personne.

II. – La tentation de réduire l’humain


à ce qu’en dit la médecine

Si le lien machine-homme devient aussi étroit, ce


que dit la machine dit la personne… les paramètres
deviennent des critères. L’imagerie cérébrale fonctionnelle
56
est particulièrement sollicitée dans plusieurs domaines,
celui de l’éducation, de l’apprentissage, de la justice et des
thérapies dites comportementalistes. Si l’imagerie fonc-
tionnelle révèle que l’apprentissage d’une langue étrangère
doit se conformer à la localisation cérébrale de son expres-
sion (qui montre par exemple l’identité topographique
pariétale de la langue maternelle d’origine et de la langue
étrangère apprise avant quatre ans), doit-on en conclure
que tous les enfants doivent être initiés à l’apprentissage
d’une langue étrangère avant quatre ans ? Pour certains
oui, pour d’autres, ce serait absurde en fonction de l’en-
vironnement familial, de la signification symbolique et
sensorielle de tel ou tel apprentissage de langue.
Si l’imagerie fonctionnelle cérébrale permet de détecter
le « mensonge » chez un suspect, à partir de l’observation
de zones activées particulières, le risque est non seulement
de retourner aux pires fantasmes des machines à détecter
le mensonge des films noirs américains des années 1950,
mais surtout de confier à la seule image la preuve d’un
conflit de conscience qui peut avoir d’autres motivations
que le mensonge. Si la pensée peut faire l’objet d’une
traçabilité fonctionnelle, elle ne pourra jamais être expli-
quée dans son existence dynamique complexe par une
cartographie, fût-elle fascinante. C’est pourquoi le Code
civil ne permet l’imagerie fonctionnelle qu’à des fins médi-
cales et de recherche scientifique. Elle est exclue du cadre
judiciaire. Les techniques de manipulation cérébrale avec
ou sans application commerciale présentant un danger
peuvent être interdites par décret.
Il en est de même de la génétique. Depuis une dizaine
d’années, un certain nombre de gènes ont été identifiés
chez des personnes atteintes de pathologies psychiatriques
(schizophrénie ou autisme), mais ceux-ci sont multiples et
ne sont jamais que des gènes de prédisposition, jamais de
diagnostic. Or, le risque de confusion gît dans cette ambi-
guïté : avoir le gène ne signifie pas que l’on est malade,
57
ne pas l’avoir ne l’exclut pas. Tout au plus une certaine
« susceptibilité à », dont le risque de l’information peut
conduire à des malentendus inducteurs de pathologies
acquises. Les neurosciences ne pourront jamais réduire
une maladie mentale à un ou plusieurs gène(s). Certes, la
maladie de Huntington existe et est liée à une mutation
génétique, mais elle reste une exception par son caractère
binaire : survenue obligatoire ou absence de survenue. La
loi du « tout ou rien » s’applique, ce qui explique la com-
plexité extrême du dépistage. Comment affronter non pas
un risque, mais un destin certain si on possède le gène ?

III. – La tentation de discriminer

Identifier une personne de façon réductrice conduit


nécessairement à une discrimination, voire à une stigma-
tisation. La peau noire, qui n’est rien d’autre qu’une accu-
mulation un peu supérieure aux blancs de mélanocytes, en
est le paradigme. Tout cela avec les meilleures intentions
du monde, car les neurosciences ne diront jamais le réel de
la personne, mais une prédiction statistique. Si cette pré-
diction est connue de l’employeur, de l’État, de l’assureur,
on imagine les conséquences qui peuvent en être tirées.
Que conclure de l’usage futur des neurosciences ? Que
plus elles fascinent, plus elles doivent nous rendre prudents
dans leur usage. Une nouvelle aventure scientifique doit
permettre des progrès gigantesques dans la compréhension
physiopathologique. Mais ces progrès de la connaissance
doivent nous rendre particulièrement circonspects devant
le risque d’une normalisation. Comme si l’histoire humaine
n’était qu’un conflit permanent ou plutôt un combat per-
manent entre ce que l’on apprend de soi et ce que l’on ne
saura jamais. Comme si la fonction première de l’extension de
la connaissance était l’extension infinie de l’ignorance.
CHAPITRE  X

L’universel éthique
et l’institutionnalisation
de la bioéthique

I. – L’universel éthique

L’universel éthique ne peut s’imposer. Il ne peut que


se retrouver progressivement dans le sentiment d’un bien
commun auquel chaque culture adhère et non auquel
elle se soumet. La difficulté qui surgit immédiatement
est l’extension progressive des connaissances concernant
l’homme, ses constituants, son fonctionnement, en un mot
l’hominisation qui peut faire illusion, comme le souligne
Mireille Delmas-Marty, sur le processus d’humanisation.
Celui-ci est le versant éthique de l’hominisation. Or, les
biotechnologies privilégient l’hominisation et non l’huma-
nisation. D’où le fossé qui se creuse entre les pays fascinés
par les avancées biotechnologiques et ceux qui n’y ont pas
accès ou qui s’y refusent pour des raisons spirituelles. Un
universel qui avance sous la bannière biotechnologique
est alors voué à l’échec ou à être une violence imposée
au nom du progrès.
L’humanisation, malgré ses difficultés, a paradoxalement
plus de chance de progresser vers des valeurs universelles
que l’hominisation. Ce n’est pas, par exemple, à partir
de la physiologie sexuelle féminine que la lutte contre les
mutilations sexuelles féminines en Afrique, proclamée avec
un sentiment de bonne conscience, gagnera son combat.
C’est à partir des mouvements des femmes africaines,
59
elles-mêmes dans leur intégration progressive du respect
d’elles-mêmes et en particulier des plus jeunes, que peu
à peu ces pratiques insupportables pour un Occidental
s’imposeront comme définitivement bannies de l’humanité.
L’universel éthique est ainsi une évidence partagée par
les Occidentaux. Mais les Africains et les Asiatiques ne
manquent pas de s’étonner des divergences dans l’applica-
tion concrète, par exemple de l’autonomie. Ici, le respect
du droit de mourir par suicide assisté ou par euthanasie, du
droit de procréer par gestation déléguée à autrui, d’avorter
quand bon vous semble, là des interdictions inscrites dans
la loi, voire la Constitution.
L’embryon est l’objet d’une foire d’empoigne entre ceux
qui voudraient en faire un élément de réparation du vivant
et ceux qui réclament pour lui un statut à part entière
d’humain. Le CCNE a en son temps proposé le terme
de « personne humaine potentielle » qui a le mérite de
reléguer les extrêmes dans leurs convictions, mais n’abolit
pas pour autant les contradictions.
L’éthique a ainsi vocation à un universel, mais un uni-
versel qui attend que chaque culture propose sa vision, à
son propre rythme. L’Occident a beaucoup à apprendre
des cultures africaines, de leur générosité, de leur capacité
à accompagner la personne, des cultures asiatiques par leur
force de mise à distance de l’événement, leur résignation,
voire leur fatalisme. Chaque culture véhicule évidemment
des valeurs propres qui lui paraissent essentielles. Le res-
pect de chacune d’entre elles n’est pas de faire preuve de
relativisme ou d’indifférence. Il est l’amorce d’une écoute
pour chercher en commun. La tour de Babel d’une éthique
universelle est un échec. Les langues de feu de la Pentecôte
qui permettent à chacun de se comprendre à partir de
langues différentes sont plus proches de l’universel. C’est
par le manque que l’on éprouve que l’on peut s’approcher
de l’autre ; ce n’est pas en partant de certitudes.
60
II. – L’institutionnalisation de la bioéthique

Il peut sembler étrange d’inscrire la bioéthique dans


des lois et des comités. Étrange parce que ce qui devrait
demeurer du champ de la réflexion et du questionnement
se retrouve soudain revêtu du sceau de la loi. Dérisoire
parce qu’il y aura toujours un fossé entre ce que propose
la science et ce que dira la loi. Certains esprits continuent
de protester contre cette irruption, qu’ils jugent exces-
sive, du droit dans des pratiques médicales qui devraient
relever de la seule autorité scientifique. Pourtant, cette
initiative française –  car la France est le seul pays à
s’être doté d’un tel arsenal législatif – a progressivement
fait le consensus autour d’elle ; même si aucun des pays
n’a un corpus spécifique comparable ; leur législation
concerne la procréation, la fin de vie ou les greffes de
façon hétérogène.
Les lois dites de bioéthique ont plusieurs mérites :
– celui d’inviter les citoyens à réfléchir sur des limites
que la science ne leur offre pas toujours, en particulier
lors des débats toujours très riches qui précèdent
chaque révision des lois ;
– celui d’établir des repères clairs pour tous qui sont
peu à peu appropriés par les citoyens ;
– celui d’introduire dans le droit des concepts comme
celui de respect de la dignité, de non-marchandisation
et du respect de l’intégrité du corps humain qui
excède largement le champ dit de la bioéthique.
Mais l’autre étrangeté est le domaine justement réservé
par ces lois à quelques aspects spécifiques. La notion même
de consentement de la personne à des recherches qui
constitue la pierre angulaire de la notion de dignité et
d’inaliénabilité de l’être humain n’est pas dans la loi dite de
61
bioéthique 1. La fin de vie, l’attention aux plus vulnérables,
la recherche médicale (qui fait l’objet d’une loi spécifique,
dite « loi Huriet-Sérusclat de 1988 »), la brevetabilité ou
non du génome humain, les modalités d’une interruption
de grossesse, le statut d’enfants nés à l’étranger par des
méthodes de procréation interdites en France ne sont
pas inscrits dans ces lois. Heureusement peut-être, car le
danger serait celui d’une incarcération excessive de la vie
intime et personnelle. La loi risquerait alors d’être sans
cesse transgressée et ainsi vidée de sa substance.
L’institutionnalisation de la bioéthique s’inscrit donc
dans un champ limité qui offre des conditions concrètes
pour le droit de s’exercer dans le domaine des greffes,
de l’assistance médicale à la procréation et des données
nominatives.
Ce champ est celui des lois de 1994 revues en 2004,
en 2011 : loi no 2011-814 du 8 juillet 2011 et en 2013 :
loi no 2013-704 du 6 août 2013.
Ces lois encadrent :
– la transplantation d’organes en la limitant à des pré-
lèvements effectués sur des sujets en état de mort cérébrale
ou « à cœur arrêté » après consultation du registre des refus (à
peu près 50 000 personnes) et de la famille sur la connaissance
qu’elle avait de l’avis de la personne concernée s’il était connu
de son vivant. Les prélèvements à partir de donneur vivant
sont possibles dans la fratrie et au-delà si « les liens sont étroits
et stables » après avis de l’Agence de la biomédecine. Le corps
humain est réputé inviolable. Son intégrité doit être respec-
tée. Sa non-patrimonialité interdit toute marchandisation ;
– l’assistance médicale à la procréation ; la lutte contre
la stérilité repose sur l’encadrement des pratiques de

1. Cependant, on connaît le destin historique de cette disposition légale


lorsqu’elle a été proclamée par la république de Weimar qui a été le pre-
mier État au monde à l’inscrire au fronton de sa législation quelques mois
avant le nazisme…

62
fécondation in  vitro (même si la technique de l’ICSI 1
n’est pas dans la loi). La création d’embryons pour la
recherche n’est plus interdite. En revanche, le clonage dit
« reproductif » ou « thérapeutique » reste interdit. L’accès
de la recherche aux embryons dits surnuméraires qui
n’ont plus de projet d’implantation utérine dépend de
la communication du projet à l’Agence de la biomédecine
et de la consultation des parents. Le concept d’une
recherche appliquée à la seule thérapeutique de l’em-
bryon disparaît au profit de la recherche fondamentale.
Ces embryons peuvent être en outre donnés à un autre
couple ou détruits. L’insémination postmortem est interdite,
mais l’implantation d’embryons est permise après la mort
du père. Le don de gamètes n’est plus anonyme : le donneur
est désormais sommé de fournir ses données personnelles. La
greffe de cellules de sang de cordon et de cellules placentaires
allogéniques anonymes est possible après consentement de la
mère pour le prélèvement ;
– l’identité génétique des personnes qui n’a pas voca-
tion à s’inscrire dans un usage privé. Elle ne peut être
recherchée que dans le cadre de la recherche ou d’une
enquête policière ou judiciaire (empreintes génétiques).
Promulguées en 1994, révisées en 2004 sans modifica-
tion substantielle, elles ont été revues en 2011. Le principe
d’une révision systématique tous les cinq ans est retenu dans
le projet de loi relatif à la bioéthique de 2020.
1. Le CCNE (Comité consultatif national d’éthique).
Créé  par décret en 1983 (sous l’impulsion de François
Mitterrand, Jean-Pierre Chevènement et Philippe Lazar,
après la naissance d’Amandine par fécondation in  vitro),
il a été le premier Comité national d’éthique au monde.
Inscrit dans la loi en 1994, son indépendance a été recon-
nue par son rattachement en 2004 aux services du Premier

1. Intracytoplasmic Sperm Injection.

63
ministre et non plus à l’INSERM. Il est composé de
39  membres issus de diverses structures de recherche ou
institutions (INSERM, CNRS, INRA, Collège de France,
Conseil d’État, Cour de cassation, Académie des sciences,
Académie de médecine, Institut Pasteur, ministère de la
Recherche, ministère de l’Éducation nationale, ministère
de la Communication, Premier ministre), ce qui assure une
pluralité des compétences et des opinions. Il n’y a pas de
représentants des personnes malades ou handicapées comme
c’est le cas, par exemple, au Comité d’éthique allemand.
Le président de la République nomme le président pour
un mandat qui est renouvelable tous les deux ans, et cinq
membres au titre des principales familles philosophiques et
spirituelles, catholiques, protestantes, juives, islamiques et
non confessionnelles. Aucune de ces personnes ne représente
une religion ou une philosophie. Elle siège au titre de ces
familles. Les membres sont nommés pour quatre ans. Ce
mandat est renouvelable une fois. Le président actuel
est le Pr Jean-François Delfraissy depuis novembre 2017.
Les cinq premiers présidents ont été le Pr  Jean Bernard
(1983-1992), le Pr  Jean-Pierre Changeux (1992-1998),
le Pr  Didier Sicard (1999-2008), le Pr  Alain Grimfeld
(2008-2012), le Pr  Jean Claude Ameisen (2012-2017).
Depuis sa création, il a rendu plus de 130 avis et recom-
mandations. Si un grand nombre a une grande influence
sur les décisions qui seront prises, certains avis n’ont pas
été suivis d’effet, au moins immédiat, par le pouvoir poli-
tique (ADN et filiation des étrangers [avis no 100], hôpital
et argent [avis no 101]).
Les saisines qui donneront lieu à des avis proviennent
des institutions publiques, des organismes de recherche ou
de personnalités politiques. Mais le Comité peut se saisir à
tout moment de toute question posée par un professionnel
de santé ou un citoyen et en faire une autosaisine si le
sujet est jugé intéressant.
64
Le fonctionnement se fonde sur un comité technique
qui réunit 12 membres et qui fait une expertise des dos-
siers avant sa présentation en comité plénier, une fois
par mois. Les membres du comité technique s’entourent
à leur demande d’avis d’experts.
Les relations avec les comités étrangers sont très impor-
tantes. Les relations avec le Comité d’éthique allemand
(Nationaler Etikrat) ont été très étroites jusqu’en 2008,
avec des réunions simultanées des deux comités deux fois
par an et continuent sur un rythme annuel. Des réunions
associant le Nationaler Etikrat, le Wellcome Trust et le
CCNE se déroulent périodiquement. Tous les six mois,
les comités d’éthique européens, à l’occasion de chaque
présidence tournante de la communauté européenne, se
réunissent dans une ville du pays organisateur.
La question du champ de réflexion du Comité peut
parfois prêter à discussion entre une attention réduite
aux simples questions de biotechnologie et un élargisse-
ment vers les problèmes humains posés par la médecine
contemporaine.
2. Les comités d’éthique. –  Ils sont très divers. Ils
peuvent être présents dans une institution de recherche,
dans un hôpital ou hors de l’hôpital. Leur fonction qui
parfois n’a rien d’officielle est de réfléchir aux cas diffi-
ciles de la pratique médicale et de la recherche. Parmi les
comités d’éthique officiels existent :
– le comité d’éthique de l’INSERM ;
– le comité d’éthique du CNRS ;
– le comité d’éthique de l’INRA ;
– le comité d’éthique du numérique, créé en 2019 sous
les auspices du CCNE.
Une structure particulière est constituée par le centre
d’éthique clinique de Cochin créé à l’initiative de Bernard
Kouchner, sous la direction de Véronique Fournier. Cette
65
structure originale, pluridisciplinaire, influencée par l’École
éthique de Chicago, aborde depuis sa création des situa-
tions difficiles, individuelles et des questions de société
hospitalières. Les centres d’éthique clinique de Cochin et
de Nantes ont pour vocation d’instruire en profondeur un
dilemme éthique pour un malade.
Chaque hôpital peut avoir à sa demande un comité
d’éthique dont l’influence est variable en fonction des
personnalités qui le composent. Malgré leur absence de
caractère officiel, le résultat des délibérations a souvent
une incidence importante sur le fonctionnement de l’éta-
blissement.
3. Les espaces éthiques. – Le premier espace éthique
a été créé à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris en
1995 à l’initiative d’Alain Cordier, Emmanuel Hirsch et
Didier Sicard. Il n’a pas pour vocation de traiter de cas
particuliers, mais de réfléchir aux problèmes que pose la
médecine à l’univers du soin. Des travaux considérables,
menés par cet espace, ont fait l’objet de nombreuses
publications et ont eu une influence déterminante sur la
culture hospitalière et l’institutionnalisation des espaces
éthiques en France. Il est devenu l’Espace éthique de
l’Île-de-France.
Le deuxième espace éthique créé a été l’Espace éthique
méditerranéen sous l’impulsion de Jean-François Mattéi
et Pierre Le Coz. Son influence a largement dépassé la
région du Sud. La loi du 6  août 2004 a donc créé des
espaces régionaux ou interrégionaux d’éthique. Leur gesta-
tion a été difficile et les décrets qui les mettent en œuvre
les organisent sous le contrôle du CCNE. Il demeure
une ambiguïté entre une finalité purement médicale de
traitement de conflits éthiques à propos de situations indi-
viduelles et une réflexion pluridisciplinaire concernant des
questions éthiques générales sur le rapport de la médecine
à l’homme. Chaque région a désormais son espace éthique.
66
Une certaine tentation a été d’en faire les héritiers des comi-
tés d’éthique hospitaliers traditionnels, en particulier dans les
CHU. Mais leur vraie finalité serait plutôt d’être des structures
d’ouverture à la société civile non médicale afin de créer un
lien, de permettre une participation réelle de la société à
la réflexion. Ce n’est que par leur fonctionnement que
l’on pourra juger de leur influence culturelle dans la vie
citoyenne.
4. L’Agence de la biomédecine. –  Elle a succédé à
deux structures antérieures, l’Établissement français des
greffes et la Commission de biologie de la reproduction
qui était chargée des problèmes de procréation. Elle a une
importance considérable, ses deux directrices générales
successives ont été nommées en Conseil des ministres.
Elles sont aidées d’un comité exécutif et d’un comité de
coordination et de réflexion éthique. Sa fonction n’est pas
simplement réflexive mais décisionnelle. Ses décisions à
propos de la recherche sur l’embryon ont été décisives
pour ouvrir l’accès à une recherche dans ce domaine et
permettre, par exemple, la création de lignées cellulaires
embryonnaires chez des embryons porteurs de malforma-
tions sévères. Il n’y a pas de lien institutionnel entre l’Agence
de la biomédecine et le Comité consultatif national d’éthique,
mais l’Agence de la biomédecine peut tout à fait demander son
avis au CCNE sur telle ou telle question scientifique. La loi
de 2011 demande au CCNE de faire un rapport tous les deux
ans sur l’évolution des données scientifiques qui pourraient
poser un problème éthique.
5. Les comités de protection des personnes (CPP).
Créés par la loi no 2004-806 du 9 août 2004 relative à la
politique de santé publique, ils ont succédé aux comités
de protection des personnes qui se prêtent à la recherche
biomédicale (CPPRB). En rupture avec le précédent sta-
tut, ils ont acquis une fonction décisionnelle. Tous les
projets de recherche leur sont soumis, un rapporteur est
67
nommé, les membres en sont choisis par tirage au sort
sur une liste de volontaires. Leur réponse est apportée à
l’Agence du médicament qui peut passer outre un avis
négatif ou positif mais généralement l’Agence n’exprime
pas de désaccord avec ces comités.
6. L’enseignement universitaire de la bioéthique. – Il
reste étrangement modeste, limité à quelques heures de
cours en première année de médecine, avant le concours
d’admission en deuxième année, devant des amphithéâtres
bondés qui ne laissent aucune place à la réflexion person-
nelle de l’étudiant.
Le rapport d’Alain Cordier sur l’enseignement de la bio-
éthique (2005) insistait pourtant sur l’importance de cette
formation tout au long du cursus universitaire médical.
Chaque « module » de spécialité enseignée devait laisser place
à une réflexion éthique. Ces vœux sont restés « lettre morte ».
En revanche, quelques universités médicales et juri-
diques ont inscrit dans leur école doctorale des mastères
et des doctorats d’éthique. Le premier a été celui de
Paris-Descartes (Pr Christian Hervé), suivi de Paris-XII
(Pr Emmanuel Hirsch), Aix-Marseille (Pr Jean-François
Mattéi et Pierre Le Coz), Amiens (A. de Broca), Strasbourg
(Pr Marie-Jo Thiel), Rennes, Brest (Pr Boles)…
Mais ces formations ont de la peine à irriguer l’en-
semble de la communauté étudiante. Il est regrettable
que les étudiants en médecine soient moins sensibilisés
à la réflexion éthique que les étudiants en droit ! Leur
absence généralement constatée aux colloques portant sur
ces sujets traduit peut-être leur désintérêt et indifférence,
mais elle marque surtout leur manque d’apprentissage à
ce type de réflexion.
Il peut sembler paradoxal que des sujets de société qui
passionnent autant le public restent aussi absents chez ceux
qui auront la charge de mettre en pratique les applications
concrètes.
68
La bioéthique n’est pourtant qu’une part de l’éthique
médicale, qui déborde largement le domaine des greffes,
de la procréation et de la génétique.
7. Les comités nationaux d’éthique étrangers. – Après
la création en France du CCNE en 1983, de nombreux
pays ont établi une instance nationale éthique. Mais leur
hétérogénéité de fonctionnement et de rattachement aux
structures gouvernementales ne permet pas d’en dessiner
un modèle standard (Académie des sciences, ministère
de la Santé).
En Europe, la Belgique (1996), le Luxembourg (1988),
la Hollande, la Suède (1985), le Danemark (1988), la
Norvège (1988), la Finlande (2001), l’Irlande (2002),
l’Italie (1990), le Portugal (1990), Malte (1991), la Grèce
(1998), l’Espagne (2002), l’Allemagne (2001), la Suisse
(1998), l’Autriche (2001), la Slovénie (1995), la République
tchèque et la Slovaquie (1992), la Croatie (2001), la
Pologne (1989), la Hongrie (2003), la Roumanie (1991),
la Russie (1992), la Géorgie (2000), l’Estonie (2001) et la
Lituanie (1997) ont un Comité national. Il n’y a pas de
Comité national au Royaume-Uni. Le Nuffield Committee
joue ce rôle.
Aux États-Unis, la Presidential Commission for the Study
of Bioethical Issue joue ce rôle, directement nommée et
rattachée au président des États-Unis.
Au Canada, le Conseil national d’éthique en recherche
chez l’humain (1995) est une structure de coordination plus
qu’un Comité national. Au Québec, la Commission de
l’éthique de la science et de la technologie (2001) joue ce rôle.
En Amérique du Sud, l’Argentine (1986), le Mexique
(1986), la République dominicaine (1995), l’Uruguay
(2001).
Au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, Israël (2002),
le Liban (2001), la Tunisie (1991), l’Algérie (1996),
l’Égypte (1996).
69
En Extrême-Orient, Taïwan (2002), le Japon (2002),
la Corée (1998), Singapour (2000), l’Inde (2000), le Laos
(2014).
En Australie (1988), la Nouvelle-Zélande (2002).
En Afrique noire, le Sénégal, le Mali, le Cameroun, le
Burkina Faso, la Côte d’Ivoire ont de tels comités.
En outre :
– une conférence européenne des comités nationaux
d’éthique (COMETH) rassemble chaque année les
instances nationales ;
– la Commission européenne nomme un comité d’experts
éthiques ;
– tous les deux ans, un sommet mondial des comités
d’éthique nationaux se réunit. Après San  Francisco
(1996), Tokyo (1998), Londres (2000), Brasilia
(2002), Canberra (2004), Pékin (2006), Paris (2008),
Singapour (2010), Carthage (2012), Mexico (2014),
Berlin (2016), Dakar (2018) et Lisbonne (2020), Paris
doit accueillir cette conférence mondiale en 2022.
DEUXIÈME  PARTIE

L’éthique médicale
CHAPITRE  PREMIER

Le consentement

Il n’y aurait pas d’éthique médicale au sens concret


du terme sans le pilier central du « consentement ». Le
paradoxe réside dans le relatif flou qui le concerne avec
l’écart considérable qui existe entre ce que demandent le
droit, les textes législatifs, les différentes conventions et
la réalité. De quoi s’agit-il ? De respecter suffisamment
la personne que l’on soigne ou chez laquelle on fait de
la recherche médicale en recueillant son consentement
« libre et éclairé ».
S’il a fallu attendre Nuremberg pour que le consen-
tement surgisse comme la pierre angulaire de l’éthique
médicale, celui-ci reste ambivalent. Pourquoi ? Parce qu’il
existera toujours un espace entre le soin et la recherche et
qu’un acte de diagnostic et de thérapeutique sur un malade
a vocation à pencher toujours du côté du soin même s’il
est plus proche de la recherche, ou tout au moins à être
présenté comme tel.
C’était toute l’ambiguïté d’une partie de la loi Huriet
qui séparait nettement la recherche avec bénéfice indi-
viduel direct et sans ce bénéfice. L’absence de bénéfice
justifiait alors des précautions beaucoup plus impor-
tantes pour le malade. La médecine a longtemps essayé
de contourner cette contrainte en montrant qu’il y avait,
de fait, un bénéfice pour le malade, même si celui-ci
était plus théorique que réel. La directive européenne a
supprimé cette césure et l’a remplacée par la notion de
rapport bénéfice/risque, qui est plus claire et certainement
moins hypocrite.
72
Ainsi, le consentement apparaît relativement simple.
Un médecin, un chercheur recueillent celui-ci avant de
pratiquer l’acte. Mais autant pour la recherche, l’obliga-
tion qui en résulte est relativement simple, autant pour
le soin, à quel seuil doit-on se conformer pour demander
le consentement ? Car cela peut confiner à l’absurde. La
question n’est donc pas celle d’une limite fixée par le droit,
mais d’un respect de la personne concernée. Et l’éthique
est embarrassée par deux impératifs contradictoires, le
respect de l’autonomie et la bienfaisance. Ils peuvent bien
sûr coexister mais aussi être antagonistes. Doit-on placer
le malade devant toutes les hypothèses évolutives de sa
maladie au nom de son information éclairée, au risque
de l’angoisser inutilement en respectant son autonomie ?
Doit-on, au contraire, réduire le champ de l’information
à ce qui est réellement nécessaire, ce qui respecte la bien-
faisance, mais pas nécessairement l’autonomie ?
L’évolution actuelle va plutôt dans le sens du respect de
l’autonomie au moins du point de vue médico-légal. Les
juges considèrent que ce droit vaut obligation de la part
du médecin. Même si le tourment accentué du malade en
est le prix, l’autonomie est première. Mais « autonomie »,
qu’est-ce que cela veut dire pour un malade qui veut guérir
ou au moins être soulagé ? Il y a toujours une asymétrie
radicale dans l’acte de soin. L’autonomie d’un marcheur
dans la rue, d’un choix de placement financier ou d’achat
d’automobiles peut apparaître en effet simple. Mais choi-
sir en toute connaissance de cause un traitement, dont
l’expertise échappera toujours au malade, peut apparaître
surprenant, d’autant plus que le malade a spontanément
envie de donner sa confiance à celui qui le soigne, sans
la discuter. Il ne peut à chaque instant mettre en doute
l’intérêt réel de ce qu’on lui propose. Mais le médecin
peut profiter de cette asymétrie radicale pour considérer
que le consentement va de soi, et qu’il peut se limiter
à la signature d’un document présenté ; sa présentation
73
peut même être biaisée de façon telle que l’intérêt d’une
pratique plutôt qu’une autre l’emporte sans débat : « Vous
avez le choix entre deux traitements. Celui-ci est insup-
portable et dangereux, celui-là est sûr et efficace… »
Ainsi, que l’on veuille épargner le malade ou le séduire,
la tentation est toujours là de contourner le consentement.
Trois écueils rendent en effet le consentement libre et
éclairé, souvent plus une formalité qu’un acte de respect
de la personne :
– la rapidité de l’échange, sans véritable temps de
réflexion ; or, c’est la réflexion qui donne au consen-
tement sa validité ;
– la façon directive médico-légale de la présentation,
conduisant à présenter celui-ci comme une obligation
plutôt que comme une approche respectueuse ;
– la prime à l’écrit, plutôt qu’à l’oral. La signature d’un
document constituant seule une preuve.
En fait, le véritable consentement est une information
suffisamment élaborée pour que le refus soit aussi fort
que l’acceptation : un choix plutôt qu’un consentement.
Dans le domaine de la cancérologie, la phase dite 1,
c’est-à-dire l’administration d’une nouvelle molécule, est
proposée à des malades en situation d’échec ou d’échap-
pement thérapeutique atteints de cancer. Comme nous
l’avons vu, cette phase est destinée à tester la tolérance et
la pharmacodynamique débutante, c’est-à-dire les doses
réelles qui seront toxiques, et dont on mesure l’absorp-
tion. Ces phases 1 qui sont à 100 % destinées à la seule
recherche sont pourtant présentées au malade comme
étant une possibilité thérapeutique nouvelle. Quel est le
malade qui peut refuser une telle éventualité ? Alors que
le bénéfice qu’il en tirera pour lui sera a priori nul ; mais
il est vrai que la collectivité en sera récompensée.

74
I. – Le consentement
des personnes vulnérables

Le malade atteint de pathologie mentale n’a pas suf-


fisamment d’entendement pour pouvoir décider en toute
liberté. Et pourtant, la recherche sur des soins intrusifs est
souvent nécessaire chez lui. La médecine oscille alors entre
le recueil d’un consentement minimal et celui d’un tiers
familial ou amical. Le médiateur est parfois appelé, trop
rarement. Comment faire de la recherche avec consente-
ment chez un malade déprimé à qui l’on propose le choix
entre un placebo et une thérapie antidépressive ? Chez un
tel malade aussi la prescription de son administration par
sismothérapie justifie son consentement avant la violence
ressentie de ce traitement.
Il en est de même pour le malade inconscient ou en
situation d’urgence. Il peut être tentant, dans ces situa-
tions, de considérer que le consentement étant impossible,
le médecin peut s’arroger le droit de choisir pour le malade,
faisant paradoxalement de cette situation particulière une
occasion rêvée pour la recherche. Certes, la famille, des
amis peuvent être convoqués, mais on ne voit pas la pos-
sibilité de retarder là l’acte thérapeutique en urgence pour
trouver un interlocuteur disponible et légitime.
– Les enfants doivent être particulièrement protégés. Si les
parents ont le pouvoir de donner le consentement pour
eux jusqu’à leur majorité, il n’en demeure pas moins que,
dès qu’un enfant peut s’exprimer, il doit être interrogé
lui-même avec respect pour son avis personnellement
recueilli, fût-il en désaccord avec ses parents ;
– les prisonniers constituent une entité à part. Leur incar-
cération rend impossible leur liberté à consentir. Quand
Pasteur a demandé à l’empereur du Brésil des condamnés
à mort pour leur administrer, au prix de leur échappement
75
possible à cette peine, voire de leur liberté, un vaccin
contre la rage, ce choix n’était pas injuste, mais simple-
ment il se résumait à accepter de mourir exécuté ou de
subir un vaccin aux effets inconnus. La réponse ne fait
guère de doute  : qui n’aurait pas choisi d’expérimenter
le vaccin ? La question du consentement peut se poser
cependant pour l’administration des médicaments destinés
à atténuer, par exemple, des pulsions sexuelles chez un
pédophile ou un violeur récidiviste. Ces thérapeutiques
sont difficiles à donner à des citoyens libres. La prison
peut, en certaines occasions spécifiques, être le lieu d’ex-
périmentations, mais sans que la liberté ne constitue alors
une monnaie d’échange ;
– enfin les personnes âgées, seules, les personnes porteuses
d’un handicap psychique, génétique ou non, doivent être pro-
tégées pour elles-mêmes plutôt que de servir à la recherche,
sauf si elles semblent capables d’en comprendre les véri-
tables enjeux.
Le paradoxe est qu’écarter des sujets pour la recherche
peut aussi constituer une discrimination à leur égard.

II. – Le consentement


à la recherche médicale

S’il s’agit de volontaires sains et s’ils sont rémunérés


(dans des limites annuelles d’environ 3 000 €), leur consen-
tement est plus lié à la rémunération qu’ils peuvent en
attendre qu’aux inconvénients éventuels de l’essai.
S’il s’agit de volontaires sains à titre gratuit (par exemple
volontaires des essais vaccinaux contre le VIH), leur
consentement est celui d’un altruisme a priori, mais leur
demande est celle de l’information scientifique durant
l’essai et surtout après l’essai. Ils se considèrent à juste
titre comme de véritables partenaires de l’essai et non
comme des cobayes.
76
S’il s’agit de malades soumis à des protocoles de
recherches, qui ne sont pas indemnisés (encore que cette
possibilité théorique existe), le recueil de leur consente-
ment doit leur laisser le temps nécessaire à la réflexion.
Ainsi, le consentement est tout sauf une procédure
médico-légale. Il est une sorte de respect de l’altérité
qui doit se matérialiser par la loyauté de l’information.
La loyauté ne signifie pas indifférence à la réception de
celle-ci. Le consentement à la prise d’un placebo n’est pas
inéthique, mais l’explication fournie à sa prescription doit
être compréhensible pour une personne qui a toujours le
sentiment, plus ou moins diffus, d’être un « cobaye ». C’est
dans cette subtile relation, qui doit prendre en compte des
conflits légitimes d’intérêts en les révélant, que la médecine
trouve peut-être sa plus noble expression.
CHAPITRE  II

L’éthique du secret médical

Il n’y a rien de plus dévoyé que le secret médical, car il


est toujours tentant de révéler l’intime ou d’y avoir accès.
Le secret bancaire est beaucoup plus protégé, car l’intérêt
du banquier dépend de sa capacité à le maintenir, ce qui
n’est pas toujours le cas du médecin. Le secret médical
est donc une fiction déontologique sans cesse proclamée,
encensée, aussi défendue que violée. Il ne peut en effet
être gardé jalousement, s’il n’est pas construit comme une
valeur non à sauvegarder mais sans cesse à construire.
C’est parce qu’il est d’une grande vulnérabilité et qu’il
est en contradiction avec la curiosité humaine naturelle,
que son élaboration doit être pensée de façon active et
non simplement conservatoire.
Certes, l’histoire et les textes de lois donnent une grande
valeur au secret médical, considéré depuis Hippocrate
comme un devoir absolument nécessaire à la construction
de la relation de confiance entre un médecin et un malade.
Il est l’exemple même de ce que l’on nomme le secret
professionnel. Il s’impose comme un devoir du médecin
dans le Code pénal (art. 371 ou 226-13) et dans le Code
de déontologie médicale. Mais ce n’est que récemment
qu’il a été considéré comme un droit de la personne à
laquelle s’applique le secret par la loi du 4 mars 2002.
Tout est donc apparemment simple. Le secret médical
est une donnée essentielle de l’activité médicale. Personne
ne peut y déroger, sous peine de poursuite pénale.
Le paradoxe surgit quand sa révélation, sa transgression
sont réclamées au nom du droit, au nom de la demande
78
sociale de transparence, au nom d’un principe de précau-
tion dévoyé, au nom de l’attention portée aux victimes,
au nom de la sécurité et plus généralement au nom du
changement d’exercice de la médecine. Les contraintes
économiques, l’informatique envahissante, la multiplica-
tion des acteurs intervenant auprès de la personne malade
réduisent à une peau de chagrin le secret médical.

I. – Un changement de culture d’abord

L’infection par le VIH a bouleversé, dès 1984, l’opinion


publique en causant une peur de l’autre, considéré comme
personne à risque de contamination. Il a fallu de longues
batailles pour obtenir que les pastilles rouges ne tatouent
pas au su et au vu de chacun les dossiers médicaux (au
nom d’une sécurisation illusoire et fantasmatique) et que la
déclaration obligatoire nominative ne s’impose pas comme
une donnée essentielle de santé publique.
Mais si la confidentialité des résultats sérologiques
a fini par être obtenue, la société supporte mal qu’un
médecin, averti de la séropositivité d’une personne, laisse
dans l’ignorance son ou sa partenaire sexuel(le). Il en va
pourtant du principe même du secret. Si le médecin trahit
la confiance qui lui est accordée par le patient, celui-ci ne
communiquera plus ses résultats à celui qui risque de le
trahir. La mort n’abolit pas le secret médical ; une famille
ne doit ainsi pas avoir accès à des données confidentielles,
même après le décès de la personne qui ne souhaitait pas
cette divulgation.
Mais le droit n’en juge pas toujours ainsi et peut
condamner à des peines exemplaires des personnes qui, en
toute conscience, ou inconscience, n’auraient pas averti leur
partenaire sexuel de leur séropositivité en risquant donc
de les contaminer ; le secret de leur sérologie est considéré
comme un « empoisonnement ». Si la médecine n’a pas
79
encore fait face, de façon générale, à une telle situation
de pénalisation de la non-délation, la société n’en serait
pas moins impitoyable à son égard en cas de tragédie.
Il en est de même pour les maladies génétiques. Un
médecin, averti de l’existence de l’une d’entre elles, doit
tout faire pour convaincre le sujet dit index, c’est-à-dire
porteur connu de cette maladie, d’avertir les membres de
sa famille susceptible de prendre des mesures de prévention
éventuelles. Le législateur a même tenté d’en faire une
obligation pénale, ce qui jusqu’ici n’a pas été suivi d’effet.

II. – Les nouvelles pratiques


de la médecine et le secret

Depuis 1947, le Code de la santé publique a prévu


une dérogation au caractère absolu du secret médical, en
permettant le partage sans réserve d’information entre le
médecin traitant et le médecin de l’assurance-maladie.
Mais la loi du 4  mars 2002 a introduit le concept de
« secret partagé », secret « propagé » (dit l’avocat Paul
Lombard) lorsque plusieurs personnes concourent au soin
d’un patient ; même si ce partage est théoriquement réduit
aux notions éventuellement nécessaires pour le bien du
malade et soumis au consentement implicite ou explicite
de la personne, il finit par devenir de fait un secret de
Polichinelle.
Les ordinateurs hospitaliers restent ouverts, avec des
codes d’ouverture divulgués à chacun, les PowerPoint de
staff n’hésitent pas, malgré les recommandations officielles,
à inscrire le nom sur grand écran de telle ou telle personne.
Il suffit qu’une personne connue ou célèbre soit hospita-
lisée pour que, comme une traînée de poudre, « sous le
sceau du secret », son nom soit révélé par un bavardage
irresponsable. L’indiscrétion donne le sentiment de déte-
nir un pouvoir… Seuls les militaires ont gardé encore la
80
culture du secret absolu, ce qui justifie d’ailleurs que les
hommes et femmes politiques soient hospitalisés de façon
préférentielle dans les hôpitaux de l’armée.
Le dossier médical partagé (DMP). Sa justification théo-
rique est celle d’une meilleure coordination des soins.
Certes, là encore il y a des codes rendant difficile l’accès
de personnes extérieures à ce dossier médical partagé, mais
il est possible que le malade veuille garder le secret (par
exemple de son infection par le VIH) envers son propre
médecin. De la même façon, il n’est pas évident qu’un
dermatologue puisse avoir accès à des données concernant,
par exemple, une interruption de grossesse. Le conflit
d’intérêts entre celui de la médecine et celui du malade
rend difficile son inscription actuelle encore dans le réel.
Les informations aux assurances. À l’occasion de telle
ou telle hospitalisation, d’un décès, les assurances veulent
savoir si la maladie en cause est assurée comme risque
dans la police souscrite. Il est fréquent que des médecins
naïfs ou désinvoltes répondent aux assurances alors que le
secret médical s’impose à eux, quelle que soit la volonté
de l’assurance. Il n’y a pas de partage possible entre un
médecin traitant et un médecin-conseil de l’assurance ;
même s’il se déclare indépendant de celle-ci.

III. – Les limites juridiques au secret

Une déclaration obligatoire de maladies contagieuses


(la tuberculose, la diphtérie, etc.) ou d’une maladie profes-
sionnelle contourne de façon légale le secret, même si, et
c’est encore là un paradoxe, l’entreprise n’est pas avertie,
par exemple, des doses de radiation reçues par tel ou tel
travailleur qui se serait plaint, l’empêchant ainsi de prendre
des mesures de protection adaptées. Autrement dit, le
secret de la médecine du travail laisse au seul médecin du
travail le soin d’en tirer les conséquences. Les mineurs de
81
moins de 15 ans ou les personnes vulnérables physique-
ment et mentalement qui ont subi des agressions sexuelles
doivent être protégés par la demande d’une enquête sociale
et d’une expertise par le médecin. Le psychiatre qui conclut
à une hospitalisation d’office d’un malade mental en rai-
son de sa dangerosité pour lui-même ou son entourage
rompt évidemment le secret. Plus récemment, le pouvoir
politique, à l’occasion de telle ou telle affaire médiatique,
a contraint les médecins de prison à révéler des conduites
jugées dangereuses au mépris du secret médical.
Le secret médical peut servir aussi d’alibi à un pouvoir
médical excessif en miroir de la transparence revendiquée
comme une valeur sociale.
Le secret médical est donc de plus en plus fragilisé.
C’est cette fragilité même qui lui confère une valeur à
restaurer. Le fondement du secret médical est éthique plus
que déontologique. Il est avant tout celui de la protection
face à la vulnérabilité que constitue la maladie, contre
l’ordre policier, sanitaire, voire moral (dans son sens tra-
ditionnel de « bonne conscience collective »).
Le médecin doit en assurer la responsabilité morale sans
être trop sensible aux demandes extérieures fussent-elles
juridiques, voire judiciaires. C’est son honneur et sa raison
d’être. La médecine est fondée sur la parole, plus que sur
le bavardage. Georges Simmel écrivait – citation reprise
dans un article de Patrick Baudry dans Agora  : « Si la
socialisation humaine est conditionnée par la capacité de
parler, elle est modelée par la capacité de se taire. »
CHAPITRE  III

La fin de vie et la médecine

Mourir n’est pas simplement l’expression de la fin de


notre vie. C’est aussi une situation dans laquelle la culture
imprime sa marque sociale. Philippe Ariès a montré com-
bien l’histoire de la relation de chacun à sa propre mort
était loin d’être une affaire purement intime.
Armelle Debru 1 avait ainsi, à partir d’Ariès, identifié
« la mort apprivoisée » par son rituel collectif caracté-
ristique du haut Moyen Âge, « la mort de soi » de la
deuxième partie du Moyen Âge qui met au centre du
processus de mort le mourant en renforçant le thème du
châtiment et de la préparation à une bonne mort, puis « la
mort de toi » qui valorise les sentiments et les émotions
au moment des Lumières, enfin « la mort inversée » qui
est celle de notre temps. Le mourant est privé de sa mort,
on meurt seul, la mort doit être discrète, mise à distance,
en quelque sorte « la mort de lui » avec un affaiblissement
des frontières vie-mort, prolongation de la qualité de vie
sur la qualité de mourir.
Dans le dernier quart du XXe  siècle, un changement
fondamental surgit. Simultanément, le progrès thérapeu-
tique fait reculer de façon substantielle la date de la mort,
et la société exclut de plus en plus la mort de l’espace
social quotidien. Comme si l’émergence de l’efficacité
médicale avait fini par s’inscrire dans l’imaginaire collectif
de façon telle que les rites publics, si présents auparavant,
risquaient d’apparaître comme des témoignages d’échec

1. A. Debru, Cahiers du CCNE, no 24, 2000, p. 14.

83
insupportable. La médecine triomphe. Les greffes de cœur,
de foie, de rein sauvent des vies. La chirurgie cardiaque et
digestive, la réanimation rivalisent d’exploits impossibles à
envisager les années précédentes, les leucémies, autrefois
signe d’une mort proche et certaine, deviennent accessibles
à des traitements qui guérissent parfois et entraînent sou-
vent des rémissions prolongées.
La mort devient alors de plus en plus un accident mal-
heureux de la vie, un échec de la médecine, voire une faute
médicale. Le lapsus d’un de mes étudiants « autrefois les
gens mouraient souvent » en dit long sur l’état d’esprit
contemporain.
Mourir est donc devenu une affaire de la médecine. Il
n’est pas question de se passer d’elle pour le meilleur et
pour le pire.
– Pour le meilleur, car l’idée demeure que la médecine
est toute-puissante. Si 50 % des cancers peuvent guérir,
pourquoi pas le mien ? Si le dépistage précoce a permis
de faire de certains cancers une maladie guérissable (sein,
côlon, poumon), un grand nombre de cancers restent mal-
heureusement au-dessus de toute ressource thérapeutique
(pancréas, gliome cérébral, mélanome évolué, etc.) ;
– pour le pire, car si la médecine ne peut rien, elle peut
au moins avoir l’élégance de ne pas s’attarder dans son
impuissance et accélérer le processus terminal.
La médecine a donc acquis la position de pouvoir
choisir de donner ou de ne pas donner la mort, à un
moment où le droit des malades à exercer leur propre
jugement sur leur maladie et l’intervention du débat sur le
coût économique des traitements innovants et complexes
dans cette dernière partie de la vie sont venus placer le
médecin dans une position d’assiégé. Il n’est pas facile
de voir confronter son projet médical à l’avis d’une per-
sonne que l’on considère comme incapable de saisir les
enjeux réels, ou à celui d’une famille qui intervient avec
84
parfois des opinions contradictoires, pas toujours dénuées
d’arrière-pensées. Il n’est pas plus facile d’être harcelé par
les administrations qui demandent des comptes sur le
rapport coût/efficacité.
C’est donc ce contexte qui depuis vingt ans alimente
les débats sur l’euthanasie et qui occupe le devant de la
scène. Sans rapport aucun avec le nombre de demandes
réelles d’euthanasie ni de situations dans lesquelles la ques-
tion se pose. Sur les 500 000  à 600 000  décès annuels
dans notre pays, à peine 10 000 à 20 000 sont réellement
concernés. Mais leur questionnement est à la source d’une
amplification médiatique considérable. Il suffit qu’une per-
sonne porteuse d’un handicap moteur et sensoriel majeur
(Vincent Humbert) ou d’une maladie cancéreuse de la face
(Chantal Sébire) ou d’un état végétatif prolongé (Eluana
Englaro en Italie, Vincent Lambert en France) fasse appel
à la société ou au président de la République pour que
l’opinion s’enflamme dans un affrontement des « pour »
et des « contre » l’euthanasie active.
Parmi les « pour » milite depuis une trentaine d’années
l’ADMD (l’Association pour le droit de mourir dans la
dignité) qui considère que l’agonie est indigne de l’huma-
nité, qu’il faut savoir sauvegarder la dignité en demandant
ou acceptant l’euthanasie. Les grands témoins rivalisent
de discours persuasifs qui expriment leur opinion. Les
citoyens qui désormais ont signé un document d’apparte-
nance à ce réseau et qui souhaitent pouvoir mourir aidés
par la médecine font pression pour obtenir satisfaction.
Mais la loi française actuelle de 2016 s’y oppose. D’où
les protestations réitérées.
Longtemps la médecine a oscillé entre deux positions
contradictoires : la clandestinité de pratiques euthanasiques
décidées par le seul médecin en fonction de son sentiment
personnel et l’acharnement thérapeutique plus pratiqué en
fonction de la crainte de se voir accuser de n’avoir pas tout
fait pour sauver le malade que dans l’intérêt réel de celui-ci.
85
L’Église catholique, qui en a fait un interdit absolu, a
considéré que la question ne saurait se poser. L’interdiction
biblique du meurtre et le caractère sacré du corps ne per-
mettent pas d’envisager un débat contradictoire.
L’ADMD d’un côté, les religions de l’autre laissent la
médecine dans une situation d’incertitude d’action. Le
CCNE en l’an 2000 dans son avis 63, conscient de ce
fossé, avait rappelé l’importance des soins palliatifs et
ouvert la porte en des cas rares à l’« exception d’eutha-
nasie ». Cette position a suscité beaucoup de commen-
taires, comme si l’euthanasie était recommandée par le
CCNE. Il n’en était rien, simplement le Comité prenait
en compte le réel et considérait que les personnes avaient
le droit de vouloir que leur fin de vie survienne plus tôt
que dans son destin naturel. Si la médecine concourait à
cette fin, elle ne devait le faire que dans une transparence
et dans l’expression d’une solidarité de la société associant
la personne, sa famille, la médecine et la loi. À ce titre, il
était recommandé que la justice ne se saisisse pas de cette
question en la qualifiant de meurtre et en sortant le carton
rouge de la cour d’assises, mais simplement avertie de ce
qui s’était passé, accepte que le principe de l’« exception
d’euthanasie » arrête la procédure.
Mais les juristes et le législateur n’ont pas suivi ces
réflexions ou recommandations. Il a fallu la loi dite
Leonetti du 22 avril 2005 pour trouver une solution équi-
librée qui vient surtout protéger le médecin de l’obligation
d’acharnement thérapeutique qualifiée d’obstination dérai-
sonnable. Le malade est placé au centre de la réflexion. Il
peut refuser tous les traitements, même les soins comme
la nutrition et l’hydratation. Son avis l’emporte sur tout
autre. Sa douleur doit être soulagée quel qu’en soit le prix.
Même si la mort survient plus tôt en raison du soulage-
ment antalgique (notion de double effet), il ne s’agit pas
de donner la mort. Les personnes inconscientes, dénuées
de capacité cognitive voient leur avis recueilli sous forme
86
de directives anticipées ou remplacé par la présence d’un
tiers familial ou d’une personne de confiance. Le point
majeur est le recours aux soins palliatifs dès que la situation
le demande. Le geste d’euthanasie est proscrit, mais il
demeure une zone grise entre le geste sédatif de l’admi-
nistration de dose létale et l’existence de ce « double effet »
lié aux effets mortels de thérapie antalgique. L’objectif
majeur est celui de ne pas laisser « mal mourir », mais
d’aider à « bien mourir ». Un article du Code de déon-
tologie récemment revu (février 2009) ouvre « le recours
aux traitements antalgiques et sédatifs permettant d’as-
surer la dignité de la fin de vie du patient », lorsqu’une
limitation ou un arrêt de traitement ont été décidés, afin
d’éviter des agonies inutilement cruelles pour le malade et
sa famille. Le président Hollande a demandé au Pr Sicard
en juillet 2012 un rapport destiné à prendre les mesures
pour aider les personnes en fin de vie à mourir dans la
dignité (qui a été rendu en décembre  2012). Une pos-
sibilité de « sédation terminale » profonde à la demande
du malade a été recommandée. Les conditions concrètes
d’un suicide assisté ont été évoquées sans en faire une
recommandation formelle. Le CCNE a rendu un rapport
en juin 2013, laissant ouvertes plusieurs solutions avec une
majorité de membres hostiles à l’euthanasie. Une réunion
citoyenne a recommandé l’ouverture d’une possibilité de
suicide assisté et même « d’euthanasies sans consente-
ment ! » [sic]. Les députés Jean Leonetti et Alain Claeys
ont rendu leur rapport en décembre  2014. Une loi dite
« Claeys-Leonetti », votée le 5 août 2016, rend l’existence
de directives anticipées contraignantes, et permet l’admi-
nistration d’une sédation profonde et continue jusqu’au
décès à la demande du malade pour qu’il puisse finir sa
vie dans un état de sommeil apaisé.

87
I. – Les différentes pratiques euthanasiques

L’euthanasie active consiste en l’administration directe


de substances létales proche de l’exécution. Elle est prati-
quée en Belgique, aux Pays-Bas, au Canada, en Colombie
et en Espagne.
L’euthanasie passive ne s’oppose pas au processus de
fin de vie, l’arrêt du traitement en constitue le modèle.
Mais la frontière qui sépare les deux n’est pas toujours
évidente. Retirer un respirateur lors d’un arrêt de soins
entraîne rapidement la mort si le respirateur était le seul
lien qui maintenait la personne en vie. S’agit-il vraiment
d’une euthanasie passive ? Certes, la différence réside dans
l’intention, mais une certaine hypocrisie n’est pas étrangère
à cette dichotomie.
L’assistance au suicide. Se suicider est un droit reconnu,
mais la personne peut être dans une situation d’incapacité
de le faire. D’où certaines structures dans sept cantons
de Suisse (par exemple Exit, Dignitas), dans les États
de l’Oregon, du Montana, du Colorado, de la Californie
et de Washington aux États-Unis et au Canada, qui ont
proposé une organisation d’aide au suicide dans des condi-
tions de transparence et de légalité. Mais le prosélytisme
de certains et des données économiques qui ne sont pas
étrangères au projet laissent perplexes sur la diffusion
potentielle de ces pratiques.

II. – Les soins palliatifs

Il est étrange que les soins palliatifs aient mis autant


de temps à inscrire leur pratique dans une activité médi-
cale courante. Leur origine anglo-saxonne est liée initia-
lement au besoin d’accompagnement de personnes qui
souffraient, en opposition à une vision rédemptrice de la
souffrance défendue par certaines religions. Mais peu à
88
peu, les Églises catholiques en particulier se sont investies
dans cette reconnaissance d’une médecine qui abandonne
toute visée curative et s’approche du mourant pour sub-
venir à tous ses besoins physiques et moraux. C’est à un
« bien mourir » que les soins palliatifs s’adressent. Que ce
soient des hôpitaux spécialisés, des services ou des unités
mobiles, les soins palliatifs font désormais partie inté-
grante de l’univers hospitalier. Le médecin, l’infirmière
et le psychologue se partagent l’activité auprès de la per-
sonne mourante. Généralement, ce sont des personnes de
grande qualité humaine, qui sont à l’écoute des personnes.
Malheureusement, la médecine hospitalière qui conserve
une culture essentiellement curative n’a pas encore intégré
totalement ces structures qui restent le parent pauvre de
l’hôpital. Il n’y a pas encore de droit opposable à l’absence
de proposition de soins palliatifs…

III. – Les législations internationales

La Hollande, la Belgique et le Luxembourg ont ins-


crit depuis 2001 l’euthanasie dans leur univers législatif
(quelques milliers de cas par an). Dès qu’un malade en
fait la demande, si les médecins approuvent celle-ci dans
des conditions strictes et déterminées, l’euthanasie peut
survenir avec un document d’autorisation administrative.
La mort est donnée par injection de barbituriques à forte
dose suivie ou non d’injection de curare. Elle survient en
moins de deux minutes.
La déclaration doit en être faite à la justice, et une
Commission nationale en Belgique, quatre commissions
régionales en Hollande s’assurent de leur conformité à la
loi, mais il ne semble pas que des pratiques clandestines
aient disparu. Certains estiment en effet que 50 % des
euthanasies le demeurent en Belgique. Le Conseil de
l’Europe n’a pas franchi le pas de l’autorisation de ces
89
pratiques. La plupart des pays européens y restent forte-
ment hostiles, en particulier l’Allemagne (on imagine que
le passé n’est pas étranger à cette position).
Il reste cependant deux points aveugles :
– l’accès aux soins palliatifs, très insuffisants et réservés
aux derniers jours, plutôt qu’un tressage avec les soins
curatifs. Les médecins y restent peu formés et l’image
reste plus celle d’une médecine compassionnelle que
d’une médecine scientifique fondée sur des recherches ;
– l’accès des maladies chroniques, en particulier neuro-
dégénératives (maladies de Charcot, de Friedreich) à
une demande de suicide ou d’euthanasie reste difficile
avant que la fin de vie concrète survienne.
Le risque demeure d’une loi calquée sur la Belgique
qui ignore ou substitue à une offre de soins palliatifs des
situations de résignation à demander la mort dans une
grande solitude.
Une ouverture au suicide assisté, très contrôlée par
l’État a  priori et non a  posteriori, permettrait peut-être
que le débat retrouve sa sérénité.

IV. – La fin de vie du nouveau-né

La question est rarement évoquée. La mort du


nouveau-né ne défraye la chronique que lorsqu’il y a crime
ou erreur médicale. Or, un enfant porteur d’un handicap
moteur ou psychique à la naissance est parfois mis à mort
par le médecin qui ne supporte pas l’agonie interminable
de cet être. Le fœtus est parfois tué avant sa naissance,
car on ne souhaite pas sa venue au monde en raison du
nombre de ses malformations et de sa mort certaine. Il
n’y a pas d’ADMD pour les nouveau-nés, mais les Églises
elles-mêmes hésitent à protester contre telle ou telle pra-
tique euthanasique. Le silence est roi. Doit-on réanimer
90
à tout prix un nouveau-né en l’exposant à des séquelles
cérébrales qui seraient incapables de lui procurer une vie
future acceptable (mais qu’est-ce qui est acceptable ?) ou
au contraire s’abstenir de toute réanimation ? Le choix
est le plus souvent très difficile pour les parents devant
être consultés, mais leur avis ne doit pas leur donner le
sentiment qu’ils sont eux les acteurs responsables de ce
choix tragique.
En fin de compte, la fin de vie est habituellement assez
simple, quoi qu’en disent les médias. Qu’il s’agisse de
l’aboutissement naturel d’une maladie ou d’une perte de
conscience progressive, la médecine a généralement peu
de questions importantes à se poser sur la conduite à
tenir pour abréger ou prolonger la vie. Mais lorsque le
mourir devient difficile, le médecin a maintenant toutes
les possibilités de concourir à ce que la mort se déroule
dans les conditions les plus acceptables qui ne soient pas
celles d’un geste radical, mais simplement de l’attention
très particulière portée par la société à ce moment de la vie
qui existe jusqu’à la mort.
CHAPITRE  IV

L’éthique médicale et la fragilité


des personnes vulnérables

L’écart est souvent grand entre les discours, les recom-


mandations, les prises de position religieuses ou culturelles
à propos du début et de la fin de la vie, et la relative
indifférence de ces mêmes postures à l’égard des personnes
qui ont le plus besoin du regard éthique porté sur elles.
Ainsi, les personnes âgées, considérées comme un poids
pour la société, les personnes atteintes de maladies men-
tales ciblées comme des menaces sociales, celles qui sont
porteuses de maladies génétiques que l’on ne voudrait
plus voir grâce à la science, celles qui vivent en situation
de grande précarité économique que l’on rejette le plus
possible de l’univers économique, l’étranger volontiers
considéré plus comme un intrus que comme un travailleur,
les malades du Sud enfin qui n’ont d’existence propre que
par la recherche que l’on fait sur eux, au bénéfice quasi
exclusif du Nord…
Il n’y a pas incompatibilité entre le regard porté sur
l’embryon, le fœtus, la personne mourante et les situations
évoquées ci-dessus. Bien au contraire, elles incarnent le
sommet de la fragilité et de la vulnérabilité. Mais plutôt
que la recherche de l’ontologie plus ou moins utopique du
statut du fœtus et du caractère sacré de la vie, la réflexion
éthique a à se préoccuper justement de la protection des
plus faibles. C’est à partir de cette radicale asymétrie que
la réflexion éthique peut en effet avoir un sens opératoire
et non seulement incantatoire.
92
I. – Les personnes âgées

La technomédecine est embarrassée par le vieillissement.


Car sa traque des désordres uniques s’accommode mal de
ce que l’on nomme la polypathologie du vieillissement. La
recherche clinique les abandonne, car elle ne peut « modé-
liser » à partir de variables complexes et perturbantes. Les
doses de médicaments seront donc approximativement
choisies à partir de celles qui sont en usage chez les adultes,
avec une toxicité éventuelle qui est très mal connue.
En outre, la médecine est réticente à ne pas afficher
des objectifs de guérison, au moins d’amélioration. Or,
les personnes âgées ont certes le même désir de soulage-
ment, mais sont avant tout en recherche d’un sentiment
de respect, d’une attention aux mille inconforts (excrétoire
en particulier) qu’elles éprouvent, en bref une médecine de
l’incurable. C’est toute l’ambiguïté des planifications médi-
cales du futur que de s’intéresser plus aux performances
et prouesses de la téléchirurgie qu’à l’approche du vieil-
lissement. Or, la démographie est impitoyable et le sera
de plus en plus au cours de ce XXIe siècle. L’hôpital sera
« gériatrique » ou il sera réduit à un hospice accueillant les
personnes abandonnées, dépendantes, quand bien même il
sera aussi un lieu high-tech impersonnel. Ce n’est pas parce
que la personne est atteinte d’une maladie d’Alzheimer,
qu’elle a perdu les traces d’une mémoire, et qu’elle n’en-
registre plus les événements du présent, qu’elle doit être
infantilisée et traitée comme un corps devenu sans esprit.

II. – Les maladies mentales

La société ne s’y intéresse réellement qu’à l’occasion de


tel ou tel fait divers qui défraye la chronique « Que fait-on
avec ces personnes ? Il faudrait les enfermer, les mettre
hors d’état de nuire », etc. Or, la maladie mentale est avant
93
tout une souffrance, même lorsqu’elle s’exprime sous la
forme d’un comportement jovial ou d’un état d’excitation.
L’approche purement sécuritaire (certes nécessaire dans
certains cas de violence irresponsable qui justifie la plupart
des situations d’internement d’office) est aux antipodes
de l’éthique. L’usage du principe de précaution, lorsqu’il
se réduit à la protection des responsabilités de l’équipe
soignante, se retourne nécessairement contre l’intérêt de
la personne. L’enfermement psychiatrique n’est certes pas
inéthique, il comporte une efficacité thérapeutique impor-
tante, mais il constitue toujours une inquiétude sur la façon
dont cette personne privée de liberté doit être respec-
tée. L’histoire de la psychiatrie a toujours oscillé entre la
répression, l’enfermement et l’ouverture des établissements.
Le plus grand problème contemporain demeure le transfert
des maladies mentales sur l’univers carcéral, totalement
inadapté à une prise en charge thérapeutique réelle.

III. – L’eugénisme masqué

À mesure que la médecine perfectionne ses connais-


sances en génétique, elle propose son intervention dans
le domaine de la naissance :
– soit par le diagnostic préimplantatoire quand la
crainte d’une maladie génétique est liée au portage
d’un statut génétique particulier chez les parents (ce
qui oblige à une fécondation in vitro) ;
– soit par amniocentèse vers la 10e, 12e  semaine de
grossesse (ce qui implique un risque d’interruption
de celle-ci de 1 à 2 %) ;
– soit par échographie ;
– soit par prélèvement de sang fœtal chez la mère.
Cette évolution est irréversible. Mais la tentation est
grande, en abaissant le seuil de gravité, d’élargir sans cesse
94
l’espace du diagnostic et de confondre réalité et probabilité
de cette mutation. Le plus grave est le regard porté sur
la personne handicapée en raison d’une mutation chro-
mosomique ou génétique. Leur droit à l’existence appa-
raît de plus en plus comme une survie, malgré la loi du
11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la
participation à la vie citoyenne des personnes porteuses
de handicap. Mendelssohn, Abraham Lincoln, avec leur
maladie de Marfan ne pourraient plus naître aujourd’hui.
Peu à peu, la société de façon plus ou moins consciente
exclut les personnes handicapées de l’univers social. Certes
demeure au moins la compassion, mais un enfant ou un
adulte atteint de trisomie  21 est vu avec inquiétude et
plutôt voué à l’exclusion qu’à l’accueil.

IV. – Les situations de grande précarité

Plus la personne est en situation de précarité, plus elle


éprouve un sentiment de rejet. Son intégration sociale se
mesure à l’aune de sa pauvreté. Sans logement, sans res-
sources, elle est réduite à quémander sans cesse une aide,
éparpillée, confuse, humiliante, indifférente aux spécificités
de chacun. Le réconfort provisoire apporté par l’alcool, le
tabac ne fait que l’enfermer dans une exclusion définitive.
Il est étrange que l’accès aux soins qui devrait être pour
les plus précaires une priorité soit plus difficile pour eux
que pour des personnes moins vulnérables. La prévention
des maladies vasculaires, cancéreuses, infectieuses, reste
pour elles de l’ordre d’une totale virtualité.

V. – L’étranger migrant

Avant d’être un étranger qui demande l’accueil, il est


une personne humaine en situation générale de grande
détresse psychologique plus que physique, car ce sont les
95
plus vaillants qui surmontent les obstacles géographiques
de la migration. Indépendamment des choix d’accueil ou
de rejet administratif qui ont leur rationalité propre, leur
état les expose à une plus grande vulnérabilité aux maladies
transmissibles (tuberculose, VIH). Être attentif à la dimen-
sion sanitaire ne signifie pas défendre le laxisme dans le
contrôle des frontières. Mais l’indifférence de la médecine
à leurs risques propres est une question éthique majeure.

VI. – La recherche Nord/Sud

Plus les déclarations internationales affichent la dignité


indiscutable de tout être humain, plus –  en miroir  – le
relativisme culturel permet aisément de s’en affranchir. La
reconnaissance d’une autonomie des femmes par exemple,
malmenée par une anthropologie plus respectueuse de
valeurs locales que des femmes elles-mêmes, est loin
d’être acquise. Le standard of care, « standard de soin »
naturellement très inégalitaire entre le Nord et le Sud,
va permettre à la recherche d’utiliser plus facilement que
dans le Nord un placebo versus une molécule active. Peu
à peu, le Sud devient un terrain privilégié de la recherche.
Malheureusement, les retombées locales de la recherche
sont très réduites. Le comble est atteint lorsqu’un pays
du Sud participe à une recherche aboutissant à la mise en
œuvre d’une thérapeutique dans le Nord, thérapeutique
qui sera interdite ou inaccessible pour des raisons éco-
nomiques dans le Sud (exemple du vaccin contre l’hépa-
tite B). S’intéresser aux malades du Sud est moins rentable
que de soigner les malades du Nord.
L’attention qu’une société porte aux plus faibles et aux
plus vulnérables trahit son degré de civilisation. Il n’est
pas certain que le progrès dans ce domaine soit de nature
à nous rendre si fiers de notre humanité contemporaine.
CHAPITRE  V

Éthique et infection
par le virus VIH
et la Covid-19

Aucune maladie n’avait focalisé l’attention éthique


autant que l’infection par le VIH. À chaque étape de son
développement, elle a provoqué des débats sur la situa-
tion des malades, le regard porté sur eux par la société.
Leur mort programmée et quasi constante jusque dans
les années 1996-1997 a fait faire un pas décisif aux soins
palliatifs. Le respect que ces malades, comme d’autres per-
sonnes, sont en droit d’attendre a bien souvent été remplacé
par une discrimination, un abandon, un ostracisme que l’on
croyait réservés aux maladies du passé, lèpre, peste, etc.
Mais les temps ont changé. L’infection s’est banalisée et les
discriminations se réduisent à mesure que les traitements
transforment cette infection en maladie chronique.
L’infection par le VIH a posé, comme d’autres mala-
dies, la question centrale des Droits de l’homme comme
un paradigme essentiel de la prise en charge préventive
et curative de la maladie.
L’infection par la Covid-19 a pris le relais des questions
éthiques posées par le virus VIH. Si l’infection par le VIH
a suscité la participation accrue des malades aux décisions
diagnostiques et thérapeutiques, l’infection par la Covid-19
n’a pas laissé de place à la participation des citoyens. Ces
deux maladies, malgré des différences évidentes, posent
des questions éthiques qui ne sont pas si éloignées que
l’on peut le croire.
97
I. – Les débats éthiques sur le dépistage du VIH

On a oublié la violence des propos au début de l’épidé-


mie. Certains proposaient en effet de rendre le dépistage
obligatoire et de faire de véritables lazarets. Des femmes
enceintes devaient être soumises les premières à ce dépis-
tage. Il a fallu la vigilance d’associations représentatives de
malades pour ne pas recourir à ces mesures qui n’ont non
seulement aucun caractère protecteur pour ceux qui ne sont
pas atteints, mais finissent par créer une véritable psychose
de la délation. Des autotests ont été récemment proposés.
La pire des situations inéthiques est incarnée par le
dépistage à l’insu de la personne, souvent pratiquée au
début de l’épidémie par certaines équipes, au nom de leur
protection sanitaire. Actuellement, il existe une déclaration
obligatoire, totalement anonymisée, qui permet de mesurer
l’évolution annuelle de l’épidémie.

II. – Les mises à disposition de thérapies


contre le VIH

Durant l’année 1996, pour la première fois, des médi-


caments dits « antiprotéases » ont été efficaces ; mais leur
production initiale était très réduite, contraignant les États
entre eux à un tirage au sort. Cette forme de procédure n’a
heureusement pas duré, car elle apparaît d’une particulière
violence pour le plus grand nombre. Dans l’ensemble, la
communauté médicale a traité en priorité ceux dont l’état
lui paraissait le plus urgent et qui étaient promis à une
mort prochaine. C’est ainsi que des malades qui allaient
vers une fin rapide ont survécu jusqu’à aujourd’hui. Depuis
quinze ans, des centaines d’essais thérapeutiques ont pu
avoir lieu chez des dizaines, voire des centaines de milliers
de malades. Comment permettre le consentement libre
98
et éclairé quand un groupe de malades prend un placebo
et l’autre la molécule active ? Quand un médicament est
réputé plus efficace pour un malade gravement atteint
et comparé à un médicament jusque-là jugé insuffisant ?
Dans l’ensemble, la recherche sur ces malades a fait faire
un bond à l’éthique de la recherche grâce à la ténacité
des médecins, des associations de malades, de l’ANRS
(Agence nationale de recherche sur le sida), particulière-
ment vigilante, et qui sont devenus de véritables labora-
toires pédagogiques de la recherche.

III. – La confidentialité de l’infection par le VIH

Peu de maladies exposent à de tels conflits de


conscience. Un médecin connaît, par exemple, le statut
séropositif d’un ou d’une malade dont le compagnon ou
la compagne ignore tout. Il se sent complice du risque à
venir pour cette personne. Pourtant, il est essentiel qu’il
garde le secret de celui qui lui a accordé sa confiance sur
la non-divulgation de son état. Sinon, la confiance est
rompue, et le malade consultera un autre médecin ou
hésitera avant de lui confier le secret de sa vie intime. Les
juges n’ont pas suivi cette démarche et ont parfois incri-
miné quelques personnes d’« empoisonnement » lorsqu’une
personne déclarait au juge qu’elle avait été contaminée à
son insu par tel ou tel partenaire sexuel. Un malade dont
la maladie devient une arme agressive est alors jugé comme
un criminel ; ce qui méconnaît le fait qu’un malade est
avant tout une victime avant d’être un agresseur.
Les enfants nés de mères séropositives, à l’occasion
d’une contamination lors de la grossesse ou de l’accou-
chement –  car le père ne peut à lui seul transmettre la
maladie –, ont avant tout le droit à la confidentialité totale
de leur état. On a oublié la situation tragique induite par
des parents qui, apprenant que leur enfant était au contact
99
d’un autre, séropositif, exigeaient désormais que sa sco-
larisation au contact de cet enfant cesse. Ils réclamaient
le droit de savoir…

IV. – Le problème éthique Nord/Sud


de l’infection par le VIH

Il est devenu courant de dire que 90 % des malades


atteints du Sida sont au Sud, avec 10 % des traitements
et que 90 % des traitements sont au Nord pour 10 %
des malades… L’absence de traitements faciles d’accès a
longtemps obéré la prévention de l’infection. À quoi bon
dépister une personne si elle ne pouvait en recevoir un
bénéfice thérapeutique ou plutôt si elle était simplement
exposée à une relégation sociale concernant en particulier
les femmes ?
Depuis dix ans, le Fonds mondial contre le Sida a
beaucoup aidé la plupart des pays à donner des médica-
ments antirétroviraux à leurs malades. Même si les chiffres
restent encore insuffisants, le prix d’une thérapie annuelle
est passé de 30 000 $ à 300 $… Ce chiffre de 300 $ est
toujours largement au-dessus des possibilités financières
et économiques des personnes, car cela constitue le revenu
moyen de la plupart des habitants. Cependant, un grand
nombre de programmes européens et américains ont fini
par permettre à un grand nombre de malades d’accéder
à des thérapies qui prolongent la vie. Mais des efforts
importants restent à faire sur le plan de la transmission
materno-fœtale, sur le risque que courent les enfants à
être allaités. Il est à peu près certain que si l’ensemble des
malades qui en avaient le besoin dans les pays du Sud accé-
daient aux traitements, l’épidémie s’arrêterait quasiment
d’elle-même, car on sait désormais qu’un malade traité
avec une charge virale négative a de très faibles chances
de transmettre l’infection.
100
V. – La pandémie de Covid-19

La pandémie de Covid-19 a suscité de nombreuses


questions éthiques. Parmi elles, l’isolement des personnes
en EHPAD à qui l’on a refusé la visite de leurs proches
en raison d’un risque de contamination, et qui sont décé-
dées dans une extrême solitude. Privilégier la sécurité au
détriment de l’humanisation des soins est une question
éthique majeure. Il en a été de même avec la réduction à
un cercle familial très étroit pour le dernier accompagne-
ment aux obsèques.
L’afflux des malades en situation de détresse respiratoire
lors des vagues de l’épidémie a justifié un tri d’accueil en
réanimation malgré les démentis des hôpitaux. Le choix
des patients a pu dépendre de leur chance estimée de
guérison.
Les revendications libertaires face au risque de diffusion
du virus ont joué un rôle majeur dans sa propagation,
comme en ont témoigné les foyers infectieux observés
dans des rassemblements religieux, politiques ou festifs.
La vaccination a été au cœur des protestations libertaires
insolubles de la part d’une minorité qui la refuse face à
une majorité devenue intolérante à ce débat. Ce refus est
au centre du débat entre les intérêts individuel et collectif.
L’intérêt individuel se fait au nom d’une liberté absolue ;
l’intérêt collectif peut justifier une réduction passagère
des libertés. En période de pandémie, cette question est
aiguë et particulièrement sensible en ce qui concerne les
soignants. En effet, le refus de certains d’entre eux de se
faire vacciner porte également atteinte à la liberté de leurs
malades de ne pas être contaminés par eux.
Le passe sanitaire est, certes, une atteinte aux libertés,
mais le virus reste bien indifférent à ces débats.
Enfin, l’inégalité majeure d’accès au vaccin pour les pays
du Sud est un facteur de menace pour les pays du Nord.
101
Une pandémie, comme son nom l’indique, touche toute l’hu-
manité et révèle de façon évidente notre interdépendance.
Loin d’être un problème d’ordre national, la couverture
vaccinale doit être pensée à l’échelle mondiale. Aucun pays
ne peut donc trouver de réponse individuelle en fermant
ses frontières.
CHAPITRE  VI

Les problèmes éthiques posés


par l’usage de l’intelligence
artificielle en médecine

La question éthique majeure de notre temps est celle


du transfert de l’être, c’est-à-dire de nous-mêmes, sur
des prothèses qui nous sont extérieures, dans une sorte
de pacte faustien qui nous sourit avant de nous perdre.
Parmi ces prothèses, deux semblent importantes :
– la médecine, devenue la prothèse existentielle par
essence d’une société hypocondriaque, venue com-
penser une perte de sens, une absence de réflexion
spirituelle, en se substituant aux facteurs essentiels
de l’existence ;
– l’intelligence artificielle, qui nous fascine autant
qu’elle semble menaçante.
Ce qui réunit peut-être ces deux prothèses, c’est la
confiscation croissante par l’économie, c’est-à-dire le
marché, c’est-à-dire une société calculante et non plus
pensante.

I. – Les algorithmes

L’IA est fondée sur des algorithmes, c’est-à-dire des


calculs destinés à résoudre un problème, issus du nom
d’un mathématicien persan du IXe siècle, Al-Khwarizmi.
Ce qui est propre à l’IA, c’est la capacité considérable
103
d’obtenir des résultats rapides et précis à partir de don-
nées gigantesques, et surtout la capacité d’autoappren-
tissage qui permet à la machine de se perfectionner
elle-même en apprenant sans cesse de ses échecs et de
ses erreurs, en interagissant avec le monde réel pour
résoudre des problèmes habituellement résolus par des
processus mentaux de haut niveau chez les humains,
donc comme un esprit humain, ce qui sépare la robo-
tique de l’IA.
Outre que la pensée de l’IA doit être calculante pour
être exécutable par une machine numérique, la question
centrale est alors  : est-ce qu’une pensée non calculante
peut encore avoir droit de cité ?
Autrement dit, si intelligence vient de inter legere, lire
entre les lignes, la pensée non calculante est évacuée au
profit de modèles statistiques. Comment réduire à des
unités calculantes Le Bateau ivre, Beethoven, Picasso, ou
les textes sacrés fondateurs ?
Heidegger prophétisait déjà la venue inexorable d’une
société calculante.
C’est donc un usage algorithmique réducteur auquel
on fait face aujourd’hui, et si l’IA est fondée sur son
développement, on peut paradoxalement assister, au
nom de la fascination pour la puissance calculante, à
un appauvrissement de pensée sans que chacun n’en
ait vraiment conscience. Nous confions, en effet, peu
à peu notre vie à des calculs définitifs ou probabilistes
dont nous ignorons tout des arcanes et des fondations.
Or, tout est là.

II. – L’input et l’output

Intéressons-nous maintenant à l’amont et à l’aval, à


l’input et à l’output, garbage in, garbage out, si ce qui entre
est faux, ce qui sort est faux.
104
1. L’input. – Il y a deux types d’input :

– ceux des scientifiques, professionnels qui confient


à la machine des images numérisées, des données issues
de leurs travaux et qui ont toutes les chances d’être des
bases solides ou tout au moins pensées ;
– ceux des données, type big data confiées à un sous-
prolétariat de pays émergents (« fermes à clics ») sous-
payé, car le travail ingrat consiste à rassembler autour
d’un sujet ou d’une personne toutes les informations le
ou la concernant. C’est le modèle Google ou Facebook,
qui vous conduit à vous interroger sur les propositions
inattendues de votre ordinateur sur tel livre, tel objet, tel
pays ou tel restaurant, en fonction de vos clics préalables.
Nous passons ainsi notre temps à fournir des données qui
seront vendues désormais, avec ou sans notre consente-
ment ! Nous devenons, à notre insu, des hommes et des
femmes « sandwichs ».
2. L’output. –  Ce qui est plus grave, c’est quand les
institutions elles-mêmes (banques, assurances, orientation,
admission ou inscription universitaire, choix d’un emploi,
tri des malades – ceux qui coûtent et ceux qui rapportent –,
attribution des peines d’emprisonnement, etc.) fondent
leurs critères de choix sur l’IA, car leur fonctionnement
reste la plupart du temps opaque et fait l’impasse sur les
biais. Les Noirs, par exemple, sont arrêtés 8 fois plus
que les Blancs aux USA. Les statistiques de la dangero-
sité noire sont donc perçues 8 fois plus grandes, d’où la
condamnation pour récidive 8 fois plus fréquente.
Les préjugés sont renforcés par les équations mathéma-
tiques. Les outils sont ainsi confisqués par l’élite. Certes,
le marché en a conscience, en proposant de contourner
les obstacles par des formations payantes.
3. L’application médicale. – La médecine est une acti-
vité qui a été longtemps une expérience acquise grâce à
105
la relation médecin-malade. L’irruption de ce que l’on
nomme les « données de santé » change totalement le
champ d’activité en substituant à l’expérience et à l’intui-
tion, l’evidence based medicine, les big data et l’intelligence
artificielle.
Les résultats thérapeutiques fondés sur des statistiques
de 500 000 malades lui confèrent une puissance de feu
sans pareille.
Mais les données publiques non liées au marché restent
peu accessibles ou, en tout cas, d’une accessibilité sans
rapport avec leur intérêt réel (exemple de l’alcool).
En revanche, les algorithmes privés issus d’entreprises
lucratives ou de données venant des diverses connections
de dispositifs privés, dits connectés, pullulent. Ce sont
eux qui sont destinés à orienter les malades (Internet)
ou les comportements des médecins. C’est pourquoi le
malade doit être informé de l’utilisation d’un dispositif
médical complexe comportant un traitement de données
algorithmiques dont l’apprentissage a été réalisé à partir
de données massives.
4. Les limites de l’intelligence artificielle. –  Certes,
nous dit-on, la décision restera humaine. Mais quand
l’IA annonce la vérité, comment y renoncer ? La question
demeure de l’ignorance des fondements initiaux des algo-
rithmes et de leur finalité. Même si celle-ci concerne par
exemple l’amélioration des choix de paramètres destinés au
passage en réanimation, ce qui est évidemment un progrès,
le risque demeure dans l’usage de ces résultats pour en
exclure a  priori ce passage si les chances de survie sont
faibles. Les faux positifs sont encouragés par les méde-
cins, les faux négatifs par les ingénieurs ! L’information
est essentielle mais la décision du médecin doit rester
subordonnée au jugement hic et nunc.
Un autre exemple, le type de prothèse de hanche ou
de stent pourrait bénéficier, dans ses indications et dans
106
sa pose, de l’IA fondée sur une puissance statistique très
utile. Mais cet usage va dépendre de facteurs multiples
comme le confort, l’âge, l’activité professionnelle, le poids,
les comorbidités, etc. Autrement dit, il est essentiel de
complexifier les bases algorithmiques, sinon les résultats
seront biaisés. Or, les algorithmes n’aiment pas la com-
plexité infinie des bases de départ, trop consommatrices
de temps et d’énergie. Il ne faut pas que la machine, pour
autoapprendre, soit perturbée par trop de singularités de
différences ethniques, de conditions sociales, de survie
d’un hôpital en faillite, en un mot, par la Vie.
Or, chacun a une vie singulière, c’est le principe même
de la médecine. Accueillir la singularité sur un arrière-plan
universel permet de révéler le degré d’adéquation de cette
personne malade au modèle, ou de s’en éloigner.
L’IA ne peut accepter les infinies singularités car elle
fonctionne par moyenne par écart type en luttant contre
l’éparpillement des données. Elle choisit donc les plus
simples, qui sont les moins diverses et les plus fréquentes,
comme le tabac et le cancer, l’alcool et les troubles men-
taux. Mais le paradoxe est que, de cette évidence, elle ne
tire pas de conclusions très opératoires, car le marché s’y
oppose avec force. Elle préfère se pencher sur des données
parcellaires qui vont construire le concept de médecine
personnalisée que le marché encourage vivement.
L’IA doit donc répondre au marché de façon positive
et, pour y répondre, surtout ne pas prendre en compte
des variables sociales trop compromettantes. La personne
défavorisée est ainsi accusée de mauvaise prévention, de
ne pas manger assez de fruits et de légumes, de manger
trop de junk food, de boire trop de boissons sucrées, de
ne pas faire assez de sport, de ne pas protéger son dos,
de mal dormir, de ne pas vivre dans un environnement
silencieux et non pollué, etc.
Tous ces comportements ont pour point commun la
fragilité sociale.
107
Enfin, l’IA privilégie les faits apparemment objectifs et
non les sentiments ressentis. Ceux-ci ne s’expriment jamais
en chiffres, pas plus que la complexité de l’environnement,
de l’épigénétique, ou de la narration d’une histoire. Les
articles scientifiques et les demandes actuelles de rédaction
de comptes rendus d’hospitalisation censurent en effet ces
aspects considérés comme marginaux. L’IA a la tentation
de confondre corrélation et causalité. Une corrélation sta-
tistique n’est jamais une explication de causalité, comme
la confusion entre mémoire et intelligence.
Son pouvoir est de nous adapter à elle et non de nous
élever. Elle n’invente pas le futur, elle codifie le passé.
La pertinence n’est pas de mémoriser la BNF en un clic,
elle est de rechercher avec discernement la pertinence des
grandes œuvres.
Notre esprit simplificateur finit par vouloir rendre ser-
vice à l’IA. Les universités sont tétanisées par le classe-
ment international de leur place dans le monde et tentent
désespérément de se faire « bien voir » par les paramètres
de l’IA, oubliant que leur mission centrale n’est pas le
conformisme mais la formation d’esprits libres et créatifs.
Les machines apprennent désormais plus vite que nous,
mais leur apprentissage est orienté sur l’efficacité et non
sur la perplexité et la réflexion.
L’IA devrait être un outil merveilleux et non pas le
maître dévoyé de notre intelligence. Rendre les algo-
rithmes plus justes (principe de justice), laisser l’individu
libre de penser (principe d’autonomie), être certain du
bénéfice apporté (principe de bienfaisance) et du rapport
bénéfice/risque (principe de non-malfaisance).
CHAPITRE  VII

Éthique et économie

Il n’y a rien de plus insupportable lorsque l’éthique se


vend comme un produit marketing. Mais rien de plus
irresponsable qu’une économie dénuée d’éthique. La ques-
tion demeure de l’écart entre le faire et le dire.

I. – La recherche médicale,


l’économie et l’éthique

La recherche scientifique et en particulier la recherche


médicale est sans cesse menacée par l’usage économique
qu’elle suscite ou qui en résulte. En effet, la recherche
fondamentale sans application concrète rapide, donc
sans retour sur investissement programmable à courte
échéance, est vouée à rester le parent pauvre. En revanche,
l’économie financière encourage la recherche à application
directe, thérapeutique en particulier ; en oubliant para-
doxalement que c’est la recherche fondamentale sans but
utilitariste précis qui permet les grandes avancées. Ce sont
les travaux sur l’asymétrie du cristal qui vont permettre à
Pasteur de défricher peu à peu le vivant et son approche
maximale. Mais le plus grave, du point de vue de l’éthique,
c’est l’innovation prometteuse, draineuse de capitaux, mais
qui restera de fait virtuelle, ou plus apparente que réelle,
qui fera illusion. Un des éléments possibles de la crise
économique contemporaine est peut-être l’écart qui réside
entre la véritable innovation technologique et la commu-
nication qui en est faite. L’informatique joue aussi un rôle
109
majeur en multipliant les apparences de l’innovation, par
la mise en réseaux, sans fournir de nouveaux concepts
imaginatifs.
Autrement dit, le ralentissement de l’innovation oblige
à sa mise en scène croissante. Il est presque normal de
dire que les deux courbes se croisent  : plus le produit
est faible dans son utilité réelle et plus son marketing
est grand. Ce qui est valable pour les produits ménagers
ou cosmétiques l’est aussi pour les médicaments. Depuis
trente ans en effet, les grandes révolutions thérapeutiques
marquent le pas. Pas de nouvel antibiotique, pas de nouvel
antihypertenseur, pas de nouvel antidiabétique, pas de
nouveau médicament de l’insuffisance cardiaque.
Une exception, l’immunothérapie à l’égard de certains
cancers, obtient parfois des résultats spectaculaires, mais
au prix de coûts tellement élevés qu’on voit mal leur usage
devenir commun. L’objectif majeur de l’industrie pharma-
ceutique réside donc dans l’accroissement des cibles poten-
tielles plutôt que dans l’efficacité réelle du médicament.
Traiter les « non-patients » est plus rentable que traiter des
malades. C’est un problème éthique quasi insoluble. Car,
si le marché du médicament se resserrait sur ce qui est
vraiment utile ou vital, l’innovation ne serait plus financée.
En fin de compte, l’inutilité crée les conditions propices
au développement de la recherche… Il n’y a donc pas de
jugement moral à avoir, mais un simple questionnement.
En revanche, la présentation des résultats est le plus
souvent une occasion de mettre le feu à l’éthique. Quand
un laboratoire annonce 70 % de baisse de la mortalité avec
tel ou tel médicament, le consommateur moyen fasciné se
précipite. Mais il oublie que le risque qui était de 6 pour
1 000 passe à 2,5 pour 1 000. Ce n’est pas négligeable
certes, mais il n’y a pas de commune mesure entre le
risque réel, sa perception et le discours marketing. De la
même façon, une courbe peut apparaître spectaculaire en
fonction du chiffre de l’ordonnée ou plate si on change
110
d’échelle. Ce que l’observateur naïf retient, c’est la courbe,
pas les chiffres…
La recherche est donc sans cesse aux prises avec une
obligation non de résultats tangibles, mais de résultats
présentables. Et cette présentation sera d’autant plus
importante que l’effet réel est faible.

II. – L’économie Nord/Sud et l’éthique

Le développement d’un nouveau médicament a un


coût de plus en plus considérable avoisinant le milliard
de dollars. Il est donc légitime d’investir sur des bases
solides. Or, les contraintes éthiques de la recherche ont
un coût considérable : respect des personnes, non-usage
du placebo quand ce n’est pas absolument nécessaire,
consentement difficile à obtenir quand il s’agit de phase
1 chez des malades, etc. Il est alors tentant de délocaliser la
recherche dans le « Sud ». Les obligations de transparence
sont réduites, le placebo est d’usage courant, car il n’y a
pas de thérapie usuelle qui l’en empêcherait. C’est ainsi
que, peu à peu, les populations du Sud ont été incluses
dans les programmes de recherche pour le Nord. Le triple
paradoxe, c’est que leur consentement est monnayé, les
retombées pour leurs pays sont quasi nulles, et les maladies
qui leur sont propres, étrangères aux essais thérapeutiques.
Certes, des tentatives sont faites ici ou là pour rendre plus
éthiques les essais dans les pays du Sud quand ils sont
effectués par le Nord. Des chartes (ANRS) existent, mais
il n’y a pas d’organisations internationales qui veillent ou
ont la charge de coordonner et de contrôler ces essais.
D’autre part, au moment où la pharmacogénomique
s’invite dans le champ thérapeutique, c’est-à-dire utilise
le profil génétique particulier pour rendre plus efficace le
médicament en fonction de celui-ci, il est tentant de faire
des recherches sur le profil génétique des populations.
111
Dans ce domaine, un véritable pillage des données géné-
tiques, sans bénéfice pour le Sud, se fait depuis quelques
années. La finalité ethnogénétique d’identification d’une
traçabilité des populations, de leurs migrations peut servir
de caution à des pratiques moins nobles.

III. – L’économie hospitalière et des soins

Il est toujours difficile d’identifier les financements


nécessaires à la prise en charge d’une maladie, d’une
dépendance, d’un accident, d’une intervention chirurgicale.
Mais il est encore plus difficile d’évaluer le service rendu
à la personne et l’importance de la solidarité nécessaire.
Tous les systèmes publics et privés tentent de cerner ces
paramètres, mais échouent le plus souvent à stabiliser
le système ou à le rendre plus juste. Le seul critère qui
émerge à un certain moment est la rentabilité d’une prise
en charge, le retour sur investissement et surtout le béné-
fice dégagé. Ces critères privilégient donc le concept du
malade ou de la maladie « qui rapporte ». Car celui ou
celle dont la prise en charge devient coûteuse pour la
collectivité est à peu près exclu(e) au nom de l’équilibre
des comptes. Or, ce qui est admissible dans une économie
de marché habituelle l’est moins quand il s’agit de pré-
carité, de maladie où l’humain est plus important que la
technologie, des personnes âgées dépendantes, des soins
palliatifs, etc. Le soin se formate alors sur l’économie et
finit par perdre son sens initial.
La T2A (tarification à l’activité) en est un des emblèmes
récents les plus signifiants. L’hôpital sera remboursé au
prorata de son efficacité. Une maladie a un prix, elle a
une durée. Si le malade coûte plus cher ou reste plus
longtemps à l’hôpital, celui-ci, pénalisé, ne l’acceptera pas
une deuxième fois. La logique comptable se referme sur
elle-même. Étendre la T2A à la psychiatrie en fonction
112
de codes américains (DSM) révèle la part croissante de
l’économie au détriment de l’attention portée au malade.
Entre la désinvolture totale, l’indifférence aux coûts éco-
nomiques d’une prise en charge et la tarification autoritaire
indifférente à la personne, il y a place pour une réflexion
éthique contemporaine. La santé ne peut être laissée aux
seuls soins du secteur lucratif. La solidarité publique doit
manifester sa présence dans n’importe quel secteur. C’est
une question éthique majeure.

IV. – La brevetabilité du gène

Des débats éthiques ont eu lieu à propos de la possibi-


lité de breveter un gène. Si cette possibilité a été a priori
interdite pour le gène « en tant que tel », elle ne l’a pas
été pour les applications des séquences génétiques dans
leur usage courant. C’est ainsi, par exemple, que Myriad
Genetics a breveté le gène BRCA1, dont les mutations
sont à l’origine de formes familiales autosomiques domi-
nantes de cancers du sein (entre 5 et 10 % de ces cancers).
L’Institut Curie avec l’aide de Dominique Stoppa Lyonnet
a réussi, dans un premier temps, à contester le caractère
universel de ce brevet, mais il semble que cette résistance
n’ait pas été jusqu’ici très efficace.
Il est tout à fait préoccupant qu’une firme ou qu’un
laboratoire de recherche puisse s’approprier un brevet
sur un élément du corps humain, qu’il s’agisse d’un gène
ou d’une séquence génétique. De tels éléments devraient
être sans restriction à la disposition des chercheurs et des
malades. Devoir dépenser entre 2 000 et 3 000 € pour la
recherche d’une telle mutation dans une famille atteinte
revient non seulement à privilégier l’usage abusif d’un tel
brevet, mais encore à encourager les chercheurs à breveter
sans cesse chaque nouvelle séquence génétique comme un
nouvel Eldorado.
CHAPITRE  VIII

Éthique et religion

À chaque révision des lois dites de bioéthique, les


parlementaires (Assemblée nationale, Sénat, Office par-
lementaire d’évaluation des choix scientifiques et techno-
logiques) et le Conseil d’État demandent à auditionner
les représentants des religions. Aucune loi ne fait l’objet
d’une telle attention. Pourquoi ?
– Une bioéthique, par essence laïque, « républicaine »,
aurait à tenir compte des spiritualités religieuses, tout au
moins de leur corpus moral. L’éthique naturellement
évolutive affronterait des dogmes par essence stables. La
bioéthique serait soumise au regard des grandes morales
spirituelles, seulement lorsqu’il s’agit du domaine de l’em-
bryon et de la greffe d’organe !
– Le sentiment d’un Bien et d’un Mal, différent selon
les points de vue, avec l’indifférence de fait au concept de
souffrance et de bien-être, comme s’ils étaient indissocia-
blement liés aux concepts précédents. Alors qu’au nom du
Bien ou du Mal principiels, la souffrance ou le bien-être de
l’autre peuvent être mis en contradiction avec ces principes.
La question sans réponse claire est celle d’une éthique dont
les objectifs ne seraient pas partagés par les différentes
pensées spirituelles. Ainsi, greffer à un enfant le foie d’un
autre enfant mort serait ici un acte contre nature, là un
acte de grande solidarité. Faire de la recherche sur un fœtus
mort serait moins grave que sur un embryon congelé…
Si l’on dépasse ces interrogations, il faut accepter que
la bioéthique soit une occasion unique contemporaine
114
d’affrontement de conceptions sur le vivant, héritées
des siècles précédents. Aucune autre question, politique,
économique, juridique n’est l’objet d’un tel débat à la
recherche d’un consensus sur notre rapport au début de la
vie (même si la question de l’avortement est soigneusement
évitée dans la loi dite de bioéthique), à la greffe (la mort
qui donne la vie), à notre accès à l’identité génétique.
Il faut se méfier des stéréotypes, d’une morale religieuse
vue comme conservatrice et d’une morale républicaine
sans cesse happée par la science. Il existe aussi un « sacré
républicain » comme il existe un sacré religieux, seulement
le premier reste implicite quand le second est explicite.
L’Église catholique a publié en 2009 un ouvrage sur
la révision des lois pour « contribuer aux débats ». Elle
rappelle « qu’elle profère un grand oui à la vie humaine,
à la valeur infinie de la personne humaine aimée pour
elle-même comme principe absolu ». Le premier droit est
celui à la vie. L’interdit de tuer, la dignité spécifique de
la procréation humaine fruit d’une sexualité ancrée dans
l’amour humain au sein du mariage restent fondateurs. Elle
accorde une grande attention aux conséquences sociales des
choix législatifs (solidarité, vulnérabilité). Elle distingue
la science à la recherche du vrai de la technoscience, plus
sensible à la volonté de puissance et aux intérêts finan-
ciers en jeu, conduisant à une discrimination génétique en
particulier. Sans s’opposer frontalement à la fécondation
in  vitro, elle souhaite limiter le nombre d’embryons à
implanter. Elle reconnaît en l’embryon dès sa conception
un être humain et refuse la recherche dont il peut faire
l’objet, en particulier lorsque cette recherche est destinée
à créer des lignées embryonnaires. L’Église catholique
reconnaît la mort encéphalique et apporte son concours
à la greffe d’organe. Elle prohibe la maternité pour autrui
en fonction de l’existence du principe d’indisponibilité du
corps humain. Elle s’interroge sur l’anonymat du don-
neur de gamètes comme conséquence du tiers donneur et
115
refuse l’aide de l’assistance médicale à la procréation aux
personnes seules en craignant aussi les conséquences d’un
élargissement au diagnostic préimplantatoire.
Il est vrai qu’ainsi rassemblée, cette position catholique
semble plus porteuse de refus que d’ouverture, mais on
ne peut s’empêcher de lui trouver une grande cohérence,
fondée en particulier sur le respect absolu de l’embryon
et de la vie humaine.
L’Église protestante est moins précise dans ses recom-
mandations : comme l’a dit Olivier Abel, les protestants
sont « porteurs du désaccord que l’on retrouve dans l’en-
semble de la société française ». Les Églises évangéliques
en particulier sont plus proches des positions catholiques
que des positions libérales du protestantisme réformé.
La position protestante sur la bioéthique est plutôt celle
de la liberté et de la responsabilité. Dans l’ensemble, les
protestants sont moins précis sur le respect dû à l’em-
bryon dès sa conception et s’interrogent davantage sur la
relation de cet embryon avec sa mère au moment de son
accueil, à sa relation à Dieu qu’à son statut ontologique.
Ils sont plutôt réservés sur l’acharnement procréatif, mais
ils ne sont pas hostiles à l’AMP en réclamant plus des
droits pour l’enfant que des droits à l’enfant. Leur posi-
tion concernant les greffes d’organe est celle qui existe
dans la loi, et ils se méfient, comme les catholiques, d’un
réductionnisme génétique.
La religion juive part du postulat du choix a priori de la
vie et de l’éloignement du magnétisme de la mort qui est
par essence « impure ». (C’est ainsi que l’« impureté » des
femmes pendant leurs règles est liée à cette vie embryon-
naire qui n’advient pas, à cette potentialité de vie inter-
rompue.) Les juifs ont une conception progressive de
l’animation de l’embryon. Il n’a pas d’existence reconnue
propre avant quarante jours. La recherche peut donc théo-
riquement en disposer in vitro jusqu’à cette période. Cela
ne signifie nullement que l’avortement est licite jusqu’à
116
quarante jours, car l’embryon est protégé in  vivo dans
l’utérus de sa mère. L’acte d’avortement demeure un acte
de mort, donc impur. Les juifs ne sont pas opposés à
l’assistance médicale à la procréation. Mais l’importance
de la filiation juive, en particulier maternelle, milite contre
l’anonymat et les donneuses de gamètes. Le diagnostic
préimplantatoire est considéré comme une manifestation
contemporaine de l’« eugénisme ». Si le respect du corps
impose sa protection absolue, le respect de la vie encourage
les greffes d’organes. La fin de vie ne doit pas faire l’objet
d’une interruption brutale décidée en fonction de tel ou
tel critère, mais la vie doit être respectée jusqu’au bout.
L’indignité est liée au regard critique qui est projeté sur
la dignité de la personne. Il n’y a pas de valorisation de
la souffrance, et les soins palliatifs sont encouragés.
L’islam aborde les questions de l’éthique médicale en
s’appuyant sur les fondements de la religion. Ces principes
sont contenus dans deux référentiels : le Coran et la sunna
du prophète Mohammed. Pour l’islam, l’homme n’est
pas le propriétaire de son corps ni des corps des autres
hommes, car ils appartiennent au Créateur. Ainsi, il est
interdit de tuer des hommes et de se suicider. La qualité
d’homme commence au moment de l’insufflation de la vie
dans le fœtus et finit à l’apparition des signes avérés de la
mort. À chaque situation qui pose une question de bio-
éthique, les spécialistes sont appelés à chercher si, dans le
Coran et dans la tradition du prophète, le cas en question
est explicité. Si cela n’est pas le cas, ils cherchent si un
cas semblable a déjà fait l’objet d’études accompagnées de
solutions. C’est le raisonnement par l’analogie. S’il n’est
fait nulle part mention du cas en question, on se fie alors
à la jurisprudence (Ijtihad). La personne humaine a donc
un caractère sacré, et l’inviolabilité du corps humain vivant
s’étend au cadavre avec une interdiction de l’incinération.
Le don d’un organe pour sauver un parent malade ou
un ami est considéré comme un acte de charité dans la
117
tradition islamique. Mais ce don ne peut être accepté que
s’il n’y a pas d’autres moyens de sauver la vie du receveur.
Après la mort, le prélèvement n’est pas interdit, mais il
doit avoir fait l’objet d’un consentement explicite, et les
héritiers doivent donner leur accord. Dans le domaine de
la procréation, un enfant doit être issu d’un homme et
d’une femme unis par un contrat de mariage. Le Coran
n’admet que la filiation biologique. Une grossesse obtenue
avec un sperme qui n’est pas celui du mari équivaut à un
adultère. L’avortement est interdit, mais un avortement
thérapeutique avant le 120e jour est permis, et même après
s’il s’agit de sauver la vie de la mère. L’islam interdit l’eu-
thanasie active qui est assimilée à un homicide volontaire.
Dans l’ensemble, ces postures spirituelles se retrouvent
dans un consensus pour respecter la vie et son début,
même si les modalités de ce respect sont plus ou moins
absolues. L’Église catholique est celle qui a souhaité, par la
loi, un encadrement très strict de la science, faisant d’elle
la cible des critiques des rationalistes, en se référant sans
cesse à une transcendance, comme d’ailleurs la plupart
des autres religions.
Conclusion

« À quoi sert la bioéthique ? », s’interroge Jean-Paul


Thomas dans son ouvrage édité en 2003 1. L’éthique médi-
cale a-t-elle vocation à dominer la bioéthique ? La bio-
éthique est-elle affaire de spécialistes ? Est-elle seulement
l’occasion d’affrontements irresponsables au sens de son
incarnation réduite à quelques situations exceptionnelles ?
Est-elle la résurgence d’une morale institutionnelle, voire
religieuse que la science aurait bousculée depuis un siècle ?
A-t-elle vocation à dire le droit, là où la biologie intro-
duit des brèches dans l’arsenal juridique ? Est-elle une
nouvelle spécialité dans la philosophie de la médecine et
du droit ? Peut-elle constituer pour certains esprits une
rente de situation ?
Peut-être tous ces risques à la fois. Elle est peut-être
aussi l’occasion pour une société de s’approprier la réflexion
sur le vivant en ne la confiant justement pas aux scien-
tifiques qui, quelle que soit leur ouverture d’esprit, ne
peuvent s’empêcher de déduire de leurs recherches une
pratique. Quand cette césure survient, comme Jacques
Testart l’a incarnée après la naissance d’Amandine en
1983, à laquelle il a apporté une importante contribu-
tion, l’opinion crie soit à la supercherie, soit à la bascule
idéologique.
La bioéthique dépasse donc largement les enjeux scien-
tifiques. Elle porte un regard sur la vie, sur ce qui nous fait
homme, sur notre capacité à vivre ensemble, surtout sur
notre attention à l’autre, en particulier le plus vulnérable.
Une bioéthique figée dans des principes généraux, qu’ils

1. J.-P. Thomas, À quoi sert la bioéthique ?, Paris, Le Pommier, 2003.

119
soient religieux ou rationalistes (même s’il n’y a pas de
contradiction nécessairement entre les deux termes), qui
ne prend pas en compte le respect de l’humanité de l’autre
est vaine ; pire, elle est un masque qui permet justement
de s’abstraire de cette responsabilité.
La question centrale qui demeure est celle des limites de
cette attention à la fragilité et à la vulnérabilité de l’autre.
Si elle est absolue, par exemple le respect inconditionnel
de l’embryon (qui est plus vulnérable que l’embryon ?),
la greffe d’organe d’abord aux plus malades (même si
l’espoir de guérison est minime), l’assistance à la procréa-
tion à toute femme qui le demande (fût-elle ménopau-
sée ou transsexuelle) au nom justement de leur détresse,
« le vivre ensemble » pourrait être remis en question ; en
revanche, si les politiques campent sur des positions de
principe intangibles (interdiction de l’avortement, liste
d’attente pour les greffes d’organe, indifférence à toute
situation particulière, etc.), celles-ci peuvent constituer un
carcan pour la bioéthique qui repose sur un questionne-
ment incessant entre deux impératifs qui peuvent sembler
contradictoires : respecter l’humanité de l’autre, respecter
l’humanité dans son ensemble, respecter le désir d’avoir un
enfant, voire son droit, tout en étant d’abord attentif aux
droits de cet enfant. Le droit échoue à vouloir assumer
ces contradictions ; la loi, égale pour tous, aboutit, de
fait, à protéger les moins vulnérables, la bioéthique n’a
pas pour vocation de combler les asymétries ontologiques
des applications du droit (même si celui-ci revendique le
contraire). Elle garde pour mission essentielle d’obliger à
réfléchir sans dogmatisme sur nos finalités divergentes,
sur notre difficulté à penser simultanément le proche et
le lointain, sur notre recours opportuniste à la marchan-
disation du vivant tout en le diabolisant, etc. Elle nous
oblige à penser le concept de solidarité en l’interrogeant
justement quand il est limité à ceux qui nous sont les plus
proches. L’institutionnalisation de l’éthique médicale du
120
soin, dans sa version procédurale, standardisée, protoco-
lisée, organisationnelle, réduite à l’obéissance à des lois,
fût-ce la loi emblématique dite « Kouchner » relative au
droit des malades et de la qualité de la prise en charge,
du 4 mars 2002, comporte un risque paradoxal, celui de
la non-reconnaissance de la personne. Une éthique « cer-
tifiée » abolit le questionnement permanent d’une pensée
sans cesse en éveil qui doit s’interroger sur le danger de
la bonne conscience. L’éthique médicale transformée en
check-list est un non-sens. C’est pourtant ce qui menace
l’univers du soin. De la même façon que le moralisme
abolit la morale, la simple application de principe abolit
l’éthique.
Des principes éthiques n’ont de sens que dans la
réflexion qu’ils suscitent. La bioéthique est plus dans son
rôle en interrogeant hic et nunc des principes que dans leur
incantation, fût-elle la plus généreuse.
REMERCIEMENTS

Je remercie particulièrement Amina Mialet et Djamila


Rahmani pour leur aide efficace. Sans leur participation,
ce « Que sais-je ? » n’aurait pas existé.
BIBLIOGRAPHIE

Abiteboul S., Dowek G., Le Temps des algorithmes, Paris, Le Pommier,


2017.
Alexander D., Science et foi, préface de D. Sicard (dir.), Paris, Frison-
Roche, 2004.
Beauchamp T.-L., Childress J.-F., Les Principes de l’éthique biomédicale,
Paris, Les Belles Lettres, 2008.
Benaroyo L. (éd.), Éthique et responsabilité en médecine, Chêne-Bourg,
Médecine et Hygiène, 2006.
Bernard J., De la biologie à l’éthique, Paris, Buchet-Chastel, 1990.
Bruaire C., Une éthique pour la médecine, Paris, Fayard, 1978.
Canto-Sperber M. (dir.), Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale,
Paris, Puf, 2e éd. 2001.
Causse J.-D., L’Instant d’un geste, Genève, Labor et Fides, 2004.
Collange  J.-F., La Vie, quelle vie ? Bioéthique et protestantisme, Lyon,
Olivetan, 2007.
Depadt  V., Chambaud  L., La nouvelle loi de bioéthique en question(s),
Rennes, Hygée, 2021.
Devillers L., Des robots et des hommes. Mythes, fantasmes et réalités, Plon,
2017.
Droit R.-P., L’éthique expliquée à tout le monde, Paris, Seuil, 2009.
Durand  G., Introduction générale à la bioéthique, Genève/Paris, Labor
et Fides/Cerf, 1999.
Eckenwiler L.A., Cohn F.G. (éd.), The Ethics of Bioethics, Baltimore,
Johns Hopkins University Press, 2007.
Essays Commissioned by the President’s Council on Bioethics, Human
Dignity and Bioethics, Washington, 2008 (https://bioethicsarchive.
georgetown.edu/pcbe/reports/human_dignity/).
Fagot-Largeault A., L’Homme bioéthique, Paris, Maloine, 1985.
Ganascia J.-G., Le Mythe de la singularité. Faut-il craindre l’intelligence
artificielle ?, Paris, Seuil, 2017.
Hirsch  E., Le Devoir de non-abandon. Pour une éthique hospitalière et
du soin, Paris, Cerf, 2004.
–, (dir.), Éthique, médecine et société, Paris, Vuibert, 2007.
–, Apprendre à mourir, Paris, Grasset, 2008.
–, Traité de bioéthique, Toulouse, Érès, 2010, 3 vol., 2014.
–, Traité de bioéthique. Les Nouveaux territoires de la bioéthique, Toulouse,
Érès, 2018.
–, Faut-il autoriser l’euthanasie ?, Paris, Les Nuls, 2019.
Hottois G., Missa J.-N., Nouvelle Encyclopédie de bioéthique, Louvain-
la-Neuve, De Boeck, 2001.
Kahn A., L’Ultime Liberté, Paris, Plon, 2008.

123
Kahn A., Godin C., L’Homme, le bien, le mal, Paris, Stock, 2008.
Kemp P., Le Discours bioéthique, Paris, Cerf, 2007.
Kopp  N. (dir.), Éthique médicale interculturelle, Paris, L’Harmattan,
2006.
Mallet D., La Médecine entre science et existence, Paris, Vuibert, 2007.
Marzano M. (dir.), Dictionnaire du corps, Paris, Puf, 2007.
Morin E., La Méthode, t. VI : L’Éthique, Paris, Seuil, 2008.
Muller  D., L’Éthique protestante dans la crise de la modernité, Genève/
Paris, Labor et Fides/Cerf, 1999.
Pelluchon C., Éléments pour une éthique de la vulnérabilité, Paris, Cerf,
2011.
Pitcho B., Depadt-Sebag V. (dir.), Médecine et Droits de l’homme. Textes
fondamentaux depuis 1948, Paris, Vuibert, 2008.
Quéré F., Conscience et Neurosciences, Paris, Bayard, 2001.
Rameix S., Fondements philosophiques de l’éthique, Paris, Ellipses, 1996.
Ricœur P., Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990.
Sicard  D. (dir.), Travaux du Comité consultatif national d’éthique.
20e anniversaire, Paris, Puf, 2003.
–, L’Alibi éthique, Paris, Plon, 2006.
–, « Penser solidairement la fin de vie », Rapport au président de la
République, Paris, La Documentation française, 2013.
Taguieff P.-A., La Bioéthique ou le juste milieu, Paris, Fayard, 2007.
Thiel M.-J. (dir.), Donner, recevoir un organe, Strasbourg, Presses uni-
versitaires de Strasbourg, 2009.
Thomas J.-P., À quoi sert la bioéthique ?, Paris, Le Pommier, 2003.
TABLE DES MATIÈRES

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
I Éthique et morale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
II Éthique et déontologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
III Les références éthiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
IV Situations nouvelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
V Peut-il y avoir un « universel bioéthique » ? . . . . . . . . . . . . . . . 7

PREMIÈRE PARTIE
Bioéthique

CHAPITRE PREMIER
Histoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10

CHAPITRE II
Bioéthique et Droits de l’homme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13

CHAPITRE III
À propos du don d’organes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18

I La greffe de foie-reins-poumons-cœur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
II La greffe de cornée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22
III La greffe de moelle et de cellules de sang de cordon . . . . 22
IV La greffe d’utérus. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23

CHAPITRE IV
L’assistance médicale à la procréation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24

I L’insémination avec donneur. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25


II La fécondation in vitro (FIV). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
III L’anonymat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
IV L’âge et la question du don postmortem . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28
V La gestation pour autrui . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29

CHAPITRE V
Les cellules souches et l’embryon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31

125
CHAPITRE VI
Le dépistage prénatal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36

CHAPITRE VII
Questions posées à la génétique par la bioéthique. . . . . . . . . . . . . . 38

CHAPITRE VIII
La recherche sur l’homme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46

I Les textes fondateurs. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47


II Les questions éthiques qui demeurent . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49

CHAPITRE IX
L’apport des neurosciences . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54

I Modification extérieure du comportement . . . . . . . . . . . . . . . . 55


II La tentation de réduire l’humain à ce qu’en dit
la médecine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
III La tentation de discriminer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58

CHAPITRE X
L’universel éthique et l’institutionnalisation de la bioéthique . . . . 59

I L’universel éthique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59
II L’institutionnalisation de la bioéthique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61

DEUXIÈME PARTIE
L’éthique médicale

CHAPITRE PREMIER
Le consentement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72

I Le consentement des personnes vulnérables. . . . . . . . . . . . . . . 75


II Le consentement à la recherche médicale . . . . . . . . . . . . . . . . . 76

CHAPITRE II
L’éthique du secret médical . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78

I Un changement de culture d’abord. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79


II Les nouvelles pratiques de la médecine et le secret . . . . . . 80
III Les limites juridiques au secret . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81

126
CHAPITRE III
La fin de vie et la médecine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83

I Les différentes pratiques euthanasiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88


II Les soins palliatifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88
III Les législations internationales. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89
IV La fin de vie du nouveau-né . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 90

CHAPITRE IV
L’éthique médicale et la fragilité des personnes vulnérables . . . . 92

I Les personnes âgées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93


II Les maladies mentales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
III L’eugénisme masqué . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94
IV Les situations de grande précarité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95
V L’étranger migrant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95
VI La recherche Nord/Sud. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96

CHAPITRE V
Éthique et infection par le virus VIH et la Covid-19 . . . . . . . . . . 97

I Les débats éthiques sur le dépistage du VIH . . . . . . . . . . . . . 98


II Les mises à disposition de thérapies contre le VIH . . . . . . 98
III La confidentialité de l’infection par le VIH. . . . . . . . . . . . . . . 99
IV Le problème éthique Nord/Sud de l’infection par le VIH. . . . 100
V La pandémie de Covid-19 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101

CHAPITRE VI
Les problèmes éthiques posés par l’usage de l’intelligence
artificielle en médecine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103

I Les algorithmes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103


II L’input et l’output . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104

CHAPITRE VII
Éthique et économie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109

I La recherche médicale, l’économie et l’éthique . . . . . . . . . . . 109


II L’économie Nord/Sud et l’éthique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111
III L’économie hospitalière et des soins . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 112
IV La brevetabilité du gène . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113

127
CHAPITRE VIII
Éthique et religion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 114

Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119

Remerciements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122

Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123

Composition et mise en pages


Nord Compo à Villeneuve-d’Ascq

Vous aimerez peut-être aussi