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Sicard
L’ÉTHIQUE MÉDICALE
ET LA BIOÉTHIQUE
ISBN 978-2-7154-0958-3
ISSN 0768-0066
Dépôt légal – 1re édition : 2009
7 édition mise à jour : 2022, février
e
I. – Éthique et morale
Bioéthique
CHAPITRE PREMIER
Histoire
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médicale et biologique pour devenir une force utile 1 »
(Michel Foucault, Surveiller et Punir), a longtemps existé
en dehors de tout regard social critique. Peu à peu, éthique
médicale et bioéthique vont voir leurs champs se recouvrir
et s’interpénétrer. La réflexion sur le don d’organe, la
procréation assistée, la fin de vie, le recours à la génétique
va envahir l’ensemble du champ de la médecine avec deux
tendances contradictoires.
L’une qui est celle de l’attention portée de façon à
la fois excessive à des questions existentielles rares mais
spectaculaires au détriment du respect justement des per-
sonnes dans leur vulnérabilité même.
L’autre qui est en miroir l’extension sans limites de la
réflexion éthique à ce qui ne concerne la médecine que
de façon lointaine : précarité, accueil des plus vulnérables.
D’un côté, l’interrogation éthique sur la greffe d’un
visage monopolise l’intérêt de la société qui reste pourtant
indifférente à la difficulté d’obtention de greffons rénaux et
de l’autre, la réflexion se confond avec celle qui concerne
les Droits de l’homme en débordant le champ même de
la médecine.
La bioéthique est donc née en 1971. Sa fortune est liée
à l’inquiétude sociale devant la soudaine perception de la
menace sur l’humanité que peut faire peser la recherche
scientifique. À Bruxelles encore, lors des derniers forums
européens citoyens sur les neurosciences en 2006, l’en-
semble des citoyens européens confiait, avec une certaine
naïveté, à la réflexion des comités d’éthique le soin de
borner les excès de la science. Néanmoins, de façon plus
concrète, le mélange de fascination et d’effroi pour les
progrès de la biologie moléculaire et de la génétique, fas-
cination pour les cellules souches, effroi pour les OGM,
a suscité une demande accrue pour des structures aux-
quelles la société déléguait un programme de réflexion.
11
Et enfin, l’accès de l’humanité à une procréation séparée de
la sexualité a ouvert un champ infini des possibles de l’en-
fantement, suscitant autant d’enthousiasme et d’espérance
que de réserve sur cette maîtrise nouvelle et auparavant
inconnue de la naissance d’un enfant.
Certes la réflexion sur la naissance, la vie et la mort
n’a pas attendu l’existence de ce mot pour occuper depuis
toujours les esprits religieux, philosophiques, mais les
médecins et biologistes étaient peu concernés. Ou s’ils
l’étaient, c’était à travers la compassion pour la souffrance
symbolisée par le serment d’Hippocrate.
L’intérêt de ce mot bioéthique qui associe bios (la vie)
et ethos (mœurs) est de convoquer philosophes, juristes,
scientifiques et personnes malades ou non à une réflexion
commune. Cette transdisciplinarité reste pourtant balbu-
tiante : les scientifiques supportent mal que la légitimité
de leurs recherches soit interrogée par des profanes, les
juristes comprennent mal cette irruption de la science
dans un droit qui n’a pas toujours de réponse adaptée, les
théologiens s’inquiètent de l’échappement de l’interven-
tion sur le vivant à une tradition qu’ils voudraient figée.
Or, si la bioéthique a un sens, c’est justement dans cette
rencontre permanente entre des points de vue différents.
Peut-on donner une définition de la bioéthique ? Elle
me paraît être la mise en forme à partir d’une recherche
pluridisciplinaire d’un questionnement sur des conflits de
valeurs suscités par le développement technoscientifique
dans le domaine du vivant et en particulier de l’humain. Il
ne s’agit donc pas d’une réponse morale, mais d’un ques-
tionnement incessant, toujours à reprendre, interrogeant
autant le progrès des connaissances que notre capacité à
réfléchir sur nous-mêmes. En aucune façon, il ne s’agit
de procédure codifiée ni de compromis entre personnes
de bonne volonté, ni d’application normative d’un droit
médical, ni d’une lecture morale de la science médicale. La
bioéthique n’est en aucun cas « la morale » de la science.
CHAPITRE II
20
I. – La greffe de foie-reins-poumons-cœur
L’assistance médicale
à la procréation
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II. – La fécondation in vitro (FIV)
III. – L’anonymat
Le dépistage prénatal
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le destin programmé de sa vie dans un domaine où la
médecine est le plus souvent impuissante est sinon un
droit, du moins une possibilité. Quelques cas patho-
logiques, voire mortels, de maladies génétiques, qu’un simple
régime nutritionnel permettrait d’éviter, rendent ce droit
de ne pas savoir particulièrement angoissant, en tout cas
pour les membres de la famille qui ignorent tout.
3. Le dépistage préimplantatoire. – À partir du
moment où la fécondation in vitro a permis la création
d’embryons implantables, et surtout à partir du moment
où l’observation de la soustraction d’une des quatre cellules
primordiales de ceux-ci ne leur créait pas de dommages,
il était tentant d’étudier les gènes avant l’implantation
utérine. La présence d’un gène délétère entraîne soit la
destruction de l’embryon, soit la création de lignées de
cellules souches qui vont permettre d’étudier le processus
pathologique dans son développement.
La loi de 2004 a permis à trois centres français de faire
un dépistage préimplantatoire dans le cas de maladies par-
ticulièrement graves (pour une centaine de cas par an).
La question se pose alors des limites. Peut-on considérer
comme particulièrement grave l’expression des gènes de
cancer (du sein, du côlon) ? Si la réponse est oui, la porte
est ouverte à tous les cancers chez lesquels un jour ou l’autre
on découvrira une origine génétique. Mais un cancer qui se
développe à 50 ans, dans cinquante ans, est-ce une maladie
particulièrement grave ? Certaines instances recommandent
d’y associer la recherche de l’anomalie chromosomique
de la trisomie 21, ce qui continue de poser un problème.
En effet, nommer un groupe humain pour le supprimer
pose une question éthique majeure. La recherche d’un
gène reste donc réservée aux cas où un couple présente
de fortes probabilités de donner naissance à un enfant
avec une maladie génétique d’une particulière gravité et
reconnue incurable.
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4. La médecine prédictive. – Connaître à partir de son
génome ses facteurs de susceptibilité ou exceptionnellement
de la survenue inéluctable d’une maladie génétique aboutit
ici encore à des situations plus fantasmatiques que réelles.
Nous sommes tous en effet porteurs de tels gènes de sus-
ceptibilité au cancer, de maladie d’Alzheimer, etc., mais
l’environnement joue un rôle majeur. L’interaction gène-
environnement est un des acquis fondamentaux de la science
génétique de la fin du XXe siècle ; or, l’environnement est très
difficile à isoler dans ses composantes à l’opposé du gène
accessible à la biologie moléculaire. C’est pourquoi, à part de
rares situations où la médecine prédictive se fonde sur une
réalité existentielle, elle est en fait plus vouée à un marché
avide de profits qu’à une médecine du discernement. Certes,
quelques maladies peuvent être prédites comme la maladie
de Huntington, modèle paradigmatique de la médecine
prédictive, mais aussi maladie de Charcot-Marie-Tooth.
Mais ces maladies restent extrêmement rares.
Prédire une maladie fréquente comme le diabète reste
en revanche peu pertinent. En effet, le choix de la méthode
de dépistage qui s’opère entre la détection d’une simple
possibilité de diabète (qui existe dans une large partie de
la population) ou un dépistage plus pointu de gènes de
prédisposition au diabète (qui ne touche alors qu’une toute
petite fraction de la population) revient à présenter cette
alternative : inquiéter tout le monde ou bien dépenser
des sommes considérables pour un bénéfice bien limité.
5. Les autotests. – Le marché biotechnologique voit s’ou-
vrir des promesses de développement considérable. L’envoi
d’une goutte de sang sur une carte par Internet ou l’examen
au domicile avec un réactif ouvre apparemment la porte à
une connaissance infinie de soi. Mais la complexité du sens
et de l’interprétation des résultats est sans rapport avec leur
facilité d’accès. L’avenir des autotests semble important,
en particulier pour le dépistage des infections par le VIH.
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6. L’identification génétique. – Elle fait partie désor-
mais du monde policier. Reconnaître un ADN sur des
traces laissées par le meurtrier appartient à la police scien-
tifique avec des chances minimes d’erreurs. Cet ADN ne
code pas de gènes. Il ne peut donc pas permettre d’iden-
tifier un malade, mais seulement une personne. Les don-
nées biométriques intègrent peu à peu l’ADN dans leurs
fichiers. La loi française a, en 2007, demandé que les
migrants qui veulent faire venir leurs enfants fassent tester
l’ADN de ceux-ci avant de venir en France. Cette loi a été
heureusement abandonnée avant sa mise en application.
Elle était en contradiction avec la loi française générale qui
est très réticente à l’idée de faire des tests ADN familiaux
pour des raisons de filiation autres que celles qui sont
demandées par la justice. Un enfant ne peut choisir en
effet d’établir sa filiation paternelle selon ses désirs. Mais
ici encore, un marché particulièrement rentable risque de
se développer en dehors de toute contrainte. Vaut-il mieux
développer cette recherche ou laisser faire le marché ?
7. La carte génomique. – Depuis Craig Venter qui
a obtenu la première carte de son génome, un certain
nombre d’entreprises de biotechnologies proposent des
cartes génomiques aux personnes soucieuses d’être infor-
mées sur leur avenir. Même si leur prix a vertigineuse-
ment baissé, l’intérêt pratique est extrêmement réduit,
car le nombre de gènes en cause dans des maladies bien
identifiées est très faible par rapport à des gènes dits de
susceptibilité, dont nous sommes peu ou prou tous por-
teurs à un degré ou à un autre.
8. Recherches sur les caractéristiques génétiques des
populations. – Les caractéristiques génétiques des popula-
tions font l’objet de recherches intenses sans le consentement
de ces dites populations. Un véritable « pillage » génétique
s’exerce en dehors de toute législation au profit des pays
du Nord au détriment des pays du Sud. Ce patrimoine
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génétique est pourtant digne de respect au même titre que
le patrimoine intellectuel, agricole ou industriel.
9. Problèmes éthiques de la thérapie génique. – La
thérapie génique inaugure une nouvelle approche théra-
peutique. Fondée sur l’apport d’un gène, grâce à un vecteur
viral, sur son remplacement, sur sa suppression ou sa mise
en silence, cette thérapie en est encore à ses balbutiements.
Elle concerne essentiellement la thérapie somatique. En
effet, la thérapie germinale qui supposerait une intervention
sur les gènes des gamètes, donc une activité transmissible,
pose des problèmes éthiques particulièrement difficiles.
Elle peut se pratiquer ex vivo en réinjectant des cellules
transformées par les modifications génétiques (lymphocytes)
ou in vivo par l’injection directe des gènes dans l’organe
lui-même. La thérapie génique ne peut être utilisée que pour
quelque 4 000 maladies monogéniques connues. En effet,
un grand nombre de maladies génétiques sont multifacto-
rielles et inaccessibles à un tel traitement. Parmi les maladies
monogéniques encore faut-il que le gène muté en cause soit
clairement identifié. Or, souvent un gène a de nombreuses
mutations responsables de pathologies graves, mortelles ou
totalement asymptomatiques. La thérapie génique ne peut
donc s’adresser qu’à des maladies aux mécanismes patho-
logiques bien identifiés : déficit en OCT (ornithine carbamyl
transférase), hémophilie, thalassémie, adrénoleucodys-
trophie, déficit immunitaire lié à l’X, amyotrophie spinale.
Parmi les premiers essais réussis, le traitement du déficit
immunitaire (DICS) d’Alain Fischer a retenu l’attention.
Certes les enfants atteints, dits « enfants bulles » (car le
déficit immunitaire qui les rend vulnérables à la moindre
infection les oblige à vivre dans une bulle), peuvent par-
fois être traités par une greffe de moelle allogénique ; mais
les donneurs compatibles sont rares (20 % des cas). Parmi
les 18 premiers enfants traités par son équipe et d’autres
aux États-Unis et en Angleterre, 16 ont spectaculairement
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guéri ; malheureusement, cinq d’entre eux ont ensuite pré-
senté une leucémie dont une a été mortelle. Ces leucémies
sont liées à la stimulation d’un gène oncogène par le virus
du vecteur apportant le gène réparateur. Quelques succès
ont été obtenus pour la thalassémie et la drépanocytose.
Du point de vue éthique, la thérapie génique somatique
répond au concept de bienfaisance, de justice, mais ne répond
pas toujours au respect de l’autonomie de la personne. Car
les maladies génétiques sont avant tout des maladies chez de
jeunes enfants. Les parents n’ont pas d’autres choix que d’ac-
cepter ce type de protocoles de recherche, compte tenu de
la situation dramatique dans laquelle ils se trouvent. Autant
les phases 2 et 3 sont légitimes, autant la phase 1 pose un
problème difficile. Comme dans la phase 1 de la thérapie
anticancéreuse qui n’apporte aucun bénéfice réel au patient,
mais une simple information utile pour la recherche, peut-on
soumettre ces enfants atteints de maladies génétiques rares
à une phase 1, aussi indispensable à la recherche qu’inutile
pour eux. Doit-on utiliser ces essais thérapeutiques chez
des enfants condamnés ou chez des sujets atteints de forme
peu grave ? Cette dernière solution a été retenue pour les
premiers traitements du déficit en ornithine carbamyl trans-
férase. Un jeune homme peu atteint s’est porté volontaire
et est malheureusement mort de l’infection virale liée au
vecteur pendant le protocole de recherches.
Des thérapies in utero pourront être envisagées, mais
elles se heurtent à la question de pouvoir faire un essai
chez une mère qui voudrait à tout prix maintenir sa gros-
sesse et prendre le risque pour son enfant. On imagine la
violence du débat auquel ces mères seraient confrontées.
Enfin, l’usage de techniques nouvelles telle la CRISPR-
Cas9 offre des perspectives immenses en permettant par
des « ciseaux » chimiques de supprimer un gène jugé défec-
tueux. Des essais sur des embryons humains en Chine ont
suscité une réprobation générale.
CHAPITRE VIII
54
I. – Modification extérieure du comportement
L’universel éthique
et l’institutionnalisation
de la bioéthique
I. – L’universel éthique
62
fécondation in vitro (même si la technique de l’ICSI 1
n’est pas dans la loi). La création d’embryons pour la
recherche n’est plus interdite. En revanche, le clonage dit
« reproductif » ou « thérapeutique » reste interdit. L’accès
de la recherche aux embryons dits surnuméraires qui
n’ont plus de projet d’implantation utérine dépend de
la communication du projet à l’Agence de la biomédecine
et de la consultation des parents. Le concept d’une
recherche appliquée à la seule thérapeutique de l’em-
bryon disparaît au profit de la recherche fondamentale.
Ces embryons peuvent être en outre donnés à un autre
couple ou détruits. L’insémination postmortem est interdite,
mais l’implantation d’embryons est permise après la mort
du père. Le don de gamètes n’est plus anonyme : le donneur
est désormais sommé de fournir ses données personnelles. La
greffe de cellules de sang de cordon et de cellules placentaires
allogéniques anonymes est possible après consentement de la
mère pour le prélèvement ;
– l’identité génétique des personnes qui n’a pas voca-
tion à s’inscrire dans un usage privé. Elle ne peut être
recherchée que dans le cadre de la recherche ou d’une
enquête policière ou judiciaire (empreintes génétiques).
Promulguées en 1994, révisées en 2004 sans modifica-
tion substantielle, elles ont été revues en 2011. Le principe
d’une révision systématique tous les cinq ans est retenu dans
le projet de loi relatif à la bioéthique de 2020.
1. Le CCNE (Comité consultatif national d’éthique).
Créé par décret en 1983 (sous l’impulsion de François
Mitterrand, Jean-Pierre Chevènement et Philippe Lazar,
après la naissance d’Amandine par fécondation in vitro),
il a été le premier Comité national d’éthique au monde.
Inscrit dans la loi en 1994, son indépendance a été recon-
nue par son rattachement en 2004 aux services du Premier
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ministre et non plus à l’INSERM. Il est composé de
39 membres issus de diverses structures de recherche ou
institutions (INSERM, CNRS, INRA, Collège de France,
Conseil d’État, Cour de cassation, Académie des sciences,
Académie de médecine, Institut Pasteur, ministère de la
Recherche, ministère de l’Éducation nationale, ministère
de la Communication, Premier ministre), ce qui assure une
pluralité des compétences et des opinions. Il n’y a pas de
représentants des personnes malades ou handicapées comme
c’est le cas, par exemple, au Comité d’éthique allemand.
Le président de la République nomme le président pour
un mandat qui est renouvelable tous les deux ans, et cinq
membres au titre des principales familles philosophiques et
spirituelles, catholiques, protestantes, juives, islamiques et
non confessionnelles. Aucune de ces personnes ne représente
une religion ou une philosophie. Elle siège au titre de ces
familles. Les membres sont nommés pour quatre ans. Ce
mandat est renouvelable une fois. Le président actuel
est le Pr Jean-François Delfraissy depuis novembre 2017.
Les cinq premiers présidents ont été le Pr Jean Bernard
(1983-1992), le Pr Jean-Pierre Changeux (1992-1998),
le Pr Didier Sicard (1999-2008), le Pr Alain Grimfeld
(2008-2012), le Pr Jean Claude Ameisen (2012-2017).
Depuis sa création, il a rendu plus de 130 avis et recom-
mandations. Si un grand nombre a une grande influence
sur les décisions qui seront prises, certains avis n’ont pas
été suivis d’effet, au moins immédiat, par le pouvoir poli-
tique (ADN et filiation des étrangers [avis no 100], hôpital
et argent [avis no 101]).
Les saisines qui donneront lieu à des avis proviennent
des institutions publiques, des organismes de recherche ou
de personnalités politiques. Mais le Comité peut se saisir à
tout moment de toute question posée par un professionnel
de santé ou un citoyen et en faire une autosaisine si le
sujet est jugé intéressant.
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Le fonctionnement se fonde sur un comité technique
qui réunit 12 membres et qui fait une expertise des dos-
siers avant sa présentation en comité plénier, une fois
par mois. Les membres du comité technique s’entourent
à leur demande d’avis d’experts.
Les relations avec les comités étrangers sont très impor-
tantes. Les relations avec le Comité d’éthique allemand
(Nationaler Etikrat) ont été très étroites jusqu’en 2008,
avec des réunions simultanées des deux comités deux fois
par an et continuent sur un rythme annuel. Des réunions
associant le Nationaler Etikrat, le Wellcome Trust et le
CCNE se déroulent périodiquement. Tous les six mois,
les comités d’éthique européens, à l’occasion de chaque
présidence tournante de la communauté européenne, se
réunissent dans une ville du pays organisateur.
La question du champ de réflexion du Comité peut
parfois prêter à discussion entre une attention réduite
aux simples questions de biotechnologie et un élargisse-
ment vers les problèmes humains posés par la médecine
contemporaine.
2. Les comités d’éthique. – Ils sont très divers. Ils
peuvent être présents dans une institution de recherche,
dans un hôpital ou hors de l’hôpital. Leur fonction qui
parfois n’a rien d’officielle est de réfléchir aux cas diffi-
ciles de la pratique médicale et de la recherche. Parmi les
comités d’éthique officiels existent :
– le comité d’éthique de l’INSERM ;
– le comité d’éthique du CNRS ;
– le comité d’éthique de l’INRA ;
– le comité d’éthique du numérique, créé en 2019 sous
les auspices du CCNE.
Une structure particulière est constituée par le centre
d’éthique clinique de Cochin créé à l’initiative de Bernard
Kouchner, sous la direction de Véronique Fournier. Cette
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structure originale, pluridisciplinaire, influencée par l’École
éthique de Chicago, aborde depuis sa création des situa-
tions difficiles, individuelles et des questions de société
hospitalières. Les centres d’éthique clinique de Cochin et
de Nantes ont pour vocation d’instruire en profondeur un
dilemme éthique pour un malade.
Chaque hôpital peut avoir à sa demande un comité
d’éthique dont l’influence est variable en fonction des
personnalités qui le composent. Malgré leur absence de
caractère officiel, le résultat des délibérations a souvent
une incidence importante sur le fonctionnement de l’éta-
blissement.
3. Les espaces éthiques. – Le premier espace éthique
a été créé à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris en
1995 à l’initiative d’Alain Cordier, Emmanuel Hirsch et
Didier Sicard. Il n’a pas pour vocation de traiter de cas
particuliers, mais de réfléchir aux problèmes que pose la
médecine à l’univers du soin. Des travaux considérables,
menés par cet espace, ont fait l’objet de nombreuses
publications et ont eu une influence déterminante sur la
culture hospitalière et l’institutionnalisation des espaces
éthiques en France. Il est devenu l’Espace éthique de
l’Île-de-France.
Le deuxième espace éthique créé a été l’Espace éthique
méditerranéen sous l’impulsion de Jean-François Mattéi
et Pierre Le Coz. Son influence a largement dépassé la
région du Sud. La loi du 6 août 2004 a donc créé des
espaces régionaux ou interrégionaux d’éthique. Leur gesta-
tion a été difficile et les décrets qui les mettent en œuvre
les organisent sous le contrôle du CCNE. Il demeure
une ambiguïté entre une finalité purement médicale de
traitement de conflits éthiques à propos de situations indi-
viduelles et une réflexion pluridisciplinaire concernant des
questions éthiques générales sur le rapport de la médecine
à l’homme. Chaque région a désormais son espace éthique.
66
Une certaine tentation a été d’en faire les héritiers des comi-
tés d’éthique hospitaliers traditionnels, en particulier dans les
CHU. Mais leur vraie finalité serait plutôt d’être des structures
d’ouverture à la société civile non médicale afin de créer un
lien, de permettre une participation réelle de la société à
la réflexion. Ce n’est que par leur fonctionnement que
l’on pourra juger de leur influence culturelle dans la vie
citoyenne.
4. L’Agence de la biomédecine. – Elle a succédé à
deux structures antérieures, l’Établissement français des
greffes et la Commission de biologie de la reproduction
qui était chargée des problèmes de procréation. Elle a une
importance considérable, ses deux directrices générales
successives ont été nommées en Conseil des ministres.
Elles sont aidées d’un comité exécutif et d’un comité de
coordination et de réflexion éthique. Sa fonction n’est pas
simplement réflexive mais décisionnelle. Ses décisions à
propos de la recherche sur l’embryon ont été décisives
pour ouvrir l’accès à une recherche dans ce domaine et
permettre, par exemple, la création de lignées cellulaires
embryonnaires chez des embryons porteurs de malforma-
tions sévères. Il n’y a pas de lien institutionnel entre l’Agence
de la biomédecine et le Comité consultatif national d’éthique,
mais l’Agence de la biomédecine peut tout à fait demander son
avis au CCNE sur telle ou telle question scientifique. La loi
de 2011 demande au CCNE de faire un rapport tous les deux
ans sur l’évolution des données scientifiques qui pourraient
poser un problème éthique.
5. Les comités de protection des personnes (CPP).
Créés par la loi no 2004-806 du 9 août 2004 relative à la
politique de santé publique, ils ont succédé aux comités
de protection des personnes qui se prêtent à la recherche
biomédicale (CPPRB). En rupture avec le précédent sta-
tut, ils ont acquis une fonction décisionnelle. Tous les
projets de recherche leur sont soumis, un rapporteur est
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nommé, les membres en sont choisis par tirage au sort
sur une liste de volontaires. Leur réponse est apportée à
l’Agence du médicament qui peut passer outre un avis
négatif ou positif mais généralement l’Agence n’exprime
pas de désaccord avec ces comités.
6. L’enseignement universitaire de la bioéthique. – Il
reste étrangement modeste, limité à quelques heures de
cours en première année de médecine, avant le concours
d’admission en deuxième année, devant des amphithéâtres
bondés qui ne laissent aucune place à la réflexion person-
nelle de l’étudiant.
Le rapport d’Alain Cordier sur l’enseignement de la bio-
éthique (2005) insistait pourtant sur l’importance de cette
formation tout au long du cursus universitaire médical.
Chaque « module » de spécialité enseignée devait laisser place
à une réflexion éthique. Ces vœux sont restés « lettre morte ».
En revanche, quelques universités médicales et juri-
diques ont inscrit dans leur école doctorale des mastères
et des doctorats d’éthique. Le premier a été celui de
Paris-Descartes (Pr Christian Hervé), suivi de Paris-XII
(Pr Emmanuel Hirsch), Aix-Marseille (Pr Jean-François
Mattéi et Pierre Le Coz), Amiens (A. de Broca), Strasbourg
(Pr Marie-Jo Thiel), Rennes, Brest (Pr Boles)…
Mais ces formations ont de la peine à irriguer l’en-
semble de la communauté étudiante. Il est regrettable
que les étudiants en médecine soient moins sensibilisés
à la réflexion éthique que les étudiants en droit ! Leur
absence généralement constatée aux colloques portant sur
ces sujets traduit peut-être leur désintérêt et indifférence,
mais elle marque surtout leur manque d’apprentissage à
ce type de réflexion.
Il peut sembler paradoxal que des sujets de société qui
passionnent autant le public restent aussi absents chez ceux
qui auront la charge de mettre en pratique les applications
concrètes.
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La bioéthique n’est pourtant qu’une part de l’éthique
médicale, qui déborde largement le domaine des greffes,
de la procréation et de la génétique.
7. Les comités nationaux d’éthique étrangers. – Après
la création en France du CCNE en 1983, de nombreux
pays ont établi une instance nationale éthique. Mais leur
hétérogénéité de fonctionnement et de rattachement aux
structures gouvernementales ne permet pas d’en dessiner
un modèle standard (Académie des sciences, ministère
de la Santé).
En Europe, la Belgique (1996), le Luxembourg (1988),
la Hollande, la Suède (1985), le Danemark (1988), la
Norvège (1988), la Finlande (2001), l’Irlande (2002),
l’Italie (1990), le Portugal (1990), Malte (1991), la Grèce
(1998), l’Espagne (2002), l’Allemagne (2001), la Suisse
(1998), l’Autriche (2001), la Slovénie (1995), la République
tchèque et la Slovaquie (1992), la Croatie (2001), la
Pologne (1989), la Hongrie (2003), la Roumanie (1991),
la Russie (1992), la Géorgie (2000), l’Estonie (2001) et la
Lituanie (1997) ont un Comité national. Il n’y a pas de
Comité national au Royaume-Uni. Le Nuffield Committee
joue ce rôle.
Aux États-Unis, la Presidential Commission for the Study
of Bioethical Issue joue ce rôle, directement nommée et
rattachée au président des États-Unis.
Au Canada, le Conseil national d’éthique en recherche
chez l’humain (1995) est une structure de coordination plus
qu’un Comité national. Au Québec, la Commission de
l’éthique de la science et de la technologie (2001) joue ce rôle.
En Amérique du Sud, l’Argentine (1986), le Mexique
(1986), la République dominicaine (1995), l’Uruguay
(2001).
Au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, Israël (2002),
le Liban (2001), la Tunisie (1991), l’Algérie (1996),
l’Égypte (1996).
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En Extrême-Orient, Taïwan (2002), le Japon (2002),
la Corée (1998), Singapour (2000), l’Inde (2000), le Laos
(2014).
En Australie (1988), la Nouvelle-Zélande (2002).
En Afrique noire, le Sénégal, le Mali, le Cameroun, le
Burkina Faso, la Côte d’Ivoire ont de tels comités.
En outre :
– une conférence européenne des comités nationaux
d’éthique (COMETH) rassemble chaque année les
instances nationales ;
– la Commission européenne nomme un comité d’experts
éthiques ;
– tous les deux ans, un sommet mondial des comités
d’éthique nationaux se réunit. Après San Francisco
(1996), Tokyo (1998), Londres (2000), Brasilia
(2002), Canberra (2004), Pékin (2006), Paris (2008),
Singapour (2010), Carthage (2012), Mexico (2014),
Berlin (2016), Dakar (2018) et Lisbonne (2020), Paris
doit accueillir cette conférence mondiale en 2022.
DEUXIÈME PARTIE
L’éthique médicale
CHAPITRE PREMIER
Le consentement
74
I. – Le consentement
des personnes vulnérables
83
insupportable. La médecine triomphe. Les greffes de cœur,
de foie, de rein sauvent des vies. La chirurgie cardiaque et
digestive, la réanimation rivalisent d’exploits impossibles à
envisager les années précédentes, les leucémies, autrefois
signe d’une mort proche et certaine, deviennent accessibles
à des traitements qui guérissent parfois et entraînent sou-
vent des rémissions prolongées.
La mort devient alors de plus en plus un accident mal-
heureux de la vie, un échec de la médecine, voire une faute
médicale. Le lapsus d’un de mes étudiants « autrefois les
gens mouraient souvent » en dit long sur l’état d’esprit
contemporain.
Mourir est donc devenu une affaire de la médecine. Il
n’est pas question de se passer d’elle pour le meilleur et
pour le pire.
– Pour le meilleur, car l’idée demeure que la médecine
est toute-puissante. Si 50 % des cancers peuvent guérir,
pourquoi pas le mien ? Si le dépistage précoce a permis
de faire de certains cancers une maladie guérissable (sein,
côlon, poumon), un grand nombre de cancers restent mal-
heureusement au-dessus de toute ressource thérapeutique
(pancréas, gliome cérébral, mélanome évolué, etc.) ;
– pour le pire, car si la médecine ne peut rien, elle peut
au moins avoir l’élégance de ne pas s’attarder dans son
impuissance et accélérer le processus terminal.
La médecine a donc acquis la position de pouvoir
choisir de donner ou de ne pas donner la mort, à un
moment où le droit des malades à exercer leur propre
jugement sur leur maladie et l’intervention du débat sur le
coût économique des traitements innovants et complexes
dans cette dernière partie de la vie sont venus placer le
médecin dans une position d’assiégé. Il n’est pas facile
de voir confronter son projet médical à l’avis d’une per-
sonne que l’on considère comme incapable de saisir les
enjeux réels, ou à celui d’une famille qui intervient avec
84
parfois des opinions contradictoires, pas toujours dénuées
d’arrière-pensées. Il n’est pas plus facile d’être harcelé par
les administrations qui demandent des comptes sur le
rapport coût/efficacité.
C’est donc ce contexte qui depuis vingt ans alimente
les débats sur l’euthanasie et qui occupe le devant de la
scène. Sans rapport aucun avec le nombre de demandes
réelles d’euthanasie ni de situations dans lesquelles la ques-
tion se pose. Sur les 500 000 à 600 000 décès annuels
dans notre pays, à peine 10 000 à 20 000 sont réellement
concernés. Mais leur questionnement est à la source d’une
amplification médiatique considérable. Il suffit qu’une per-
sonne porteuse d’un handicap moteur et sensoriel majeur
(Vincent Humbert) ou d’une maladie cancéreuse de la face
(Chantal Sébire) ou d’un état végétatif prolongé (Eluana
Englaro en Italie, Vincent Lambert en France) fasse appel
à la société ou au président de la République pour que
l’opinion s’enflamme dans un affrontement des « pour »
et des « contre » l’euthanasie active.
Parmi les « pour » milite depuis une trentaine d’années
l’ADMD (l’Association pour le droit de mourir dans la
dignité) qui considère que l’agonie est indigne de l’huma-
nité, qu’il faut savoir sauvegarder la dignité en demandant
ou acceptant l’euthanasie. Les grands témoins rivalisent
de discours persuasifs qui expriment leur opinion. Les
citoyens qui désormais ont signé un document d’apparte-
nance à ce réseau et qui souhaitent pouvoir mourir aidés
par la médecine font pression pour obtenir satisfaction.
Mais la loi française actuelle de 2016 s’y oppose. D’où
les protestations réitérées.
Longtemps la médecine a oscillé entre deux positions
contradictoires : la clandestinité de pratiques euthanasiques
décidées par le seul médecin en fonction de son sentiment
personnel et l’acharnement thérapeutique plus pratiqué en
fonction de la crainte de se voir accuser de n’avoir pas tout
fait pour sauver le malade que dans l’intérêt réel de celui-ci.
85
L’Église catholique, qui en a fait un interdit absolu, a
considéré que la question ne saurait se poser. L’interdiction
biblique du meurtre et le caractère sacré du corps ne per-
mettent pas d’envisager un débat contradictoire.
L’ADMD d’un côté, les religions de l’autre laissent la
médecine dans une situation d’incertitude d’action. Le
CCNE en l’an 2000 dans son avis 63, conscient de ce
fossé, avait rappelé l’importance des soins palliatifs et
ouvert la porte en des cas rares à l’« exception d’eutha-
nasie ». Cette position a suscité beaucoup de commen-
taires, comme si l’euthanasie était recommandée par le
CCNE. Il n’en était rien, simplement le Comité prenait
en compte le réel et considérait que les personnes avaient
le droit de vouloir que leur fin de vie survienne plus tôt
que dans son destin naturel. Si la médecine concourait à
cette fin, elle ne devait le faire que dans une transparence
et dans l’expression d’une solidarité de la société associant
la personne, sa famille, la médecine et la loi. À ce titre, il
était recommandé que la justice ne se saisisse pas de cette
question en la qualifiant de meurtre et en sortant le carton
rouge de la cour d’assises, mais simplement avertie de ce
qui s’était passé, accepte que le principe de l’« exception
d’euthanasie » arrête la procédure.
Mais les juristes et le législateur n’ont pas suivi ces
réflexions ou recommandations. Il a fallu la loi dite
Leonetti du 22 avril 2005 pour trouver une solution équi-
librée qui vient surtout protéger le médecin de l’obligation
d’acharnement thérapeutique qualifiée d’obstination dérai-
sonnable. Le malade est placé au centre de la réflexion. Il
peut refuser tous les traitements, même les soins comme
la nutrition et l’hydratation. Son avis l’emporte sur tout
autre. Sa douleur doit être soulagée quel qu’en soit le prix.
Même si la mort survient plus tôt en raison du soulage-
ment antalgique (notion de double effet), il ne s’agit pas
de donner la mort. Les personnes inconscientes, dénuées
de capacité cognitive voient leur avis recueilli sous forme
86
de directives anticipées ou remplacé par la présence d’un
tiers familial ou d’une personne de confiance. Le point
majeur est le recours aux soins palliatifs dès que la situation
le demande. Le geste d’euthanasie est proscrit, mais il
demeure une zone grise entre le geste sédatif de l’admi-
nistration de dose létale et l’existence de ce « double effet »
lié aux effets mortels de thérapie antalgique. L’objectif
majeur est celui de ne pas laisser « mal mourir », mais
d’aider à « bien mourir ». Un article du Code de déon-
tologie récemment revu (février 2009) ouvre « le recours
aux traitements antalgiques et sédatifs permettant d’as-
surer la dignité de la fin de vie du patient », lorsqu’une
limitation ou un arrêt de traitement ont été décidés, afin
d’éviter des agonies inutilement cruelles pour le malade et
sa famille. Le président Hollande a demandé au Pr Sicard
en juillet 2012 un rapport destiné à prendre les mesures
pour aider les personnes en fin de vie à mourir dans la
dignité (qui a été rendu en décembre 2012). Une pos-
sibilité de « sédation terminale » profonde à la demande
du malade a été recommandée. Les conditions concrètes
d’un suicide assisté ont été évoquées sans en faire une
recommandation formelle. Le CCNE a rendu un rapport
en juin 2013, laissant ouvertes plusieurs solutions avec une
majorité de membres hostiles à l’euthanasie. Une réunion
citoyenne a recommandé l’ouverture d’une possibilité de
suicide assisté et même « d’euthanasies sans consente-
ment ! » [sic]. Les députés Jean Leonetti et Alain Claeys
ont rendu leur rapport en décembre 2014. Une loi dite
« Claeys-Leonetti », votée le 5 août 2016, rend l’existence
de directives anticipées contraignantes, et permet l’admi-
nistration d’une sédation profonde et continue jusqu’au
décès à la demande du malade pour qu’il puisse finir sa
vie dans un état de sommeil apaisé.
87
I. – Les différentes pratiques euthanasiques
V. – L’étranger migrant
Éthique et infection
par le virus VIH
et la Covid-19
I. – Les algorithmes
Éthique et économie
Éthique et religion
119
soient religieux ou rationalistes (même s’il n’y a pas de
contradiction nécessairement entre les deux termes), qui
ne prend pas en compte le respect de l’humanité de l’autre
est vaine ; pire, elle est un masque qui permet justement
de s’abstraire de cette responsabilité.
La question centrale qui demeure est celle des limites de
cette attention à la fragilité et à la vulnérabilité de l’autre.
Si elle est absolue, par exemple le respect inconditionnel
de l’embryon (qui est plus vulnérable que l’embryon ?),
la greffe d’organe d’abord aux plus malades (même si
l’espoir de guérison est minime), l’assistance à la procréa-
tion à toute femme qui le demande (fût-elle ménopau-
sée ou transsexuelle) au nom justement de leur détresse,
« le vivre ensemble » pourrait être remis en question ; en
revanche, si les politiques campent sur des positions de
principe intangibles (interdiction de l’avortement, liste
d’attente pour les greffes d’organe, indifférence à toute
situation particulière, etc.), celles-ci peuvent constituer un
carcan pour la bioéthique qui repose sur un questionne-
ment incessant entre deux impératifs qui peuvent sembler
contradictoires : respecter l’humanité de l’autre, respecter
l’humanité dans son ensemble, respecter le désir d’avoir un
enfant, voire son droit, tout en étant d’abord attentif aux
droits de cet enfant. Le droit échoue à vouloir assumer
ces contradictions ; la loi, égale pour tous, aboutit, de
fait, à protéger les moins vulnérables, la bioéthique n’a
pas pour vocation de combler les asymétries ontologiques
des applications du droit (même si celui-ci revendique le
contraire). Elle garde pour mission essentielle d’obliger à
réfléchir sans dogmatisme sur nos finalités divergentes,
sur notre difficulté à penser simultanément le proche et
le lointain, sur notre recours opportuniste à la marchan-
disation du vivant tout en le diabolisant, etc. Elle nous
oblige à penser le concept de solidarité en l’interrogeant
justement quand il est limité à ceux qui nous sont les plus
proches. L’institutionnalisation de l’éthique médicale du
120
soin, dans sa version procédurale, standardisée, protoco-
lisée, organisationnelle, réduite à l’obéissance à des lois,
fût-ce la loi emblématique dite « Kouchner » relative au
droit des malades et de la qualité de la prise en charge,
du 4 mars 2002, comporte un risque paradoxal, celui de
la non-reconnaissance de la personne. Une éthique « cer-
tifiée » abolit le questionnement permanent d’une pensée
sans cesse en éveil qui doit s’interroger sur le danger de
la bonne conscience. L’éthique médicale transformée en
check-list est un non-sens. C’est pourtant ce qui menace
l’univers du soin. De la même façon que le moralisme
abolit la morale, la simple application de principe abolit
l’éthique.
Des principes éthiques n’ont de sens que dans la
réflexion qu’ils suscitent. La bioéthique est plus dans son
rôle en interrogeant hic et nunc des principes que dans leur
incantation, fût-elle la plus généreuse.
REMERCIEMENTS
123
Kahn A., Godin C., L’Homme, le bien, le mal, Paris, Stock, 2008.
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Thomas J.-P., À quoi sert la bioéthique ?, Paris, Le Pommier, 2003.
TABLE DES MATIÈRES
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
I Éthique et morale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
II Éthique et déontologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
III Les références éthiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
IV Situations nouvelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
V Peut-il y avoir un « universel bioéthique » ? . . . . . . . . . . . . . . . 7
PREMIÈRE PARTIE
Bioéthique
CHAPITRE PREMIER
Histoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10
CHAPITRE II
Bioéthique et Droits de l’homme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
CHAPITRE III
À propos du don d’organes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18
I La greffe de foie-reins-poumons-cœur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
II La greffe de cornée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22
III La greffe de moelle et de cellules de sang de cordon . . . . 22
IV La greffe d’utérus. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
CHAPITRE IV
L’assistance médicale à la procréation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24
CHAPITRE V
Les cellules souches et l’embryon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31
125
CHAPITRE VI
Le dépistage prénatal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36
CHAPITRE VII
Questions posées à la génétique par la bioéthique. . . . . . . . . . . . . . 38
CHAPITRE VIII
La recherche sur l’homme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46
CHAPITRE IX
L’apport des neurosciences . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54
CHAPITRE X
L’universel éthique et l’institutionnalisation de la bioéthique . . . . 59
I L’universel éthique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59
II L’institutionnalisation de la bioéthique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61
DEUXIÈME PARTIE
L’éthique médicale
CHAPITRE PREMIER
Le consentement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72
CHAPITRE II
L’éthique du secret médical . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78
126
CHAPITRE III
La fin de vie et la médecine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83
CHAPITRE IV
L’éthique médicale et la fragilité des personnes vulnérables . . . . 92
CHAPITRE V
Éthique et infection par le virus VIH et la Covid-19 . . . . . . . . . . 97
CHAPITRE VI
Les problèmes éthiques posés par l’usage de l’intelligence
artificielle en médecine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103
CHAPITRE VII
Éthique et économie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109
127
CHAPITRE VIII
Éthique et religion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 114
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119
Remerciements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123