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1 Compréhension socio-cognitive des relations auteurs-


victimes

Serge Garcet :
Comment comprendre le passage à l’acte d’un agresseur ? Quelles sont ses motivations ?
Comment interpréter l’attitude donnée d’une victime dans un contexte à risque pour elle ?
Quelles sont ses attentes par rapport à la situation et par rapport à l’auteur ? Comportements,
attitudes, passage à l’acte, motivations, attentes, ces quelques éléments rendent rapidement
compte de la complexité relationnelle inhérente aux interactions humaines dans les contextes
de violences. Dès lors, si nous voulons envisager les processus de victimisation et les
dynamiques qui se jouent entre l’agresseur et sa victime, nous devons nous arrêter le temps
de comprendre comment une personne interagit avec son environnement, comment elle
interprète celui-ci et selon quels principes émet-elle des réponses comportementales
supposées répondre aux sollicitations de l’environnement et à ses attentes personnelles. Pour
arriver à cette compréhension, commençons par aborder différentes notions. Il s’agit de
l’agentivité, du déterminisme réciproque, du système interprétatif cognitivo-affectif, des
anticipations cognitives et des principes de renforcements et enfin des scripts
comportementaux et schémas cognitifs.

L’agentivité

En 1986, Albert Bandura a proposé de qualifier d’« agentique » (agentic perspective) le


fonctionnement humain. Le choix de ce terme renvoyait à l’idée que nous sommes des
« agents », qui agissons de façon proactive et initions nos interactions avec le monde social
qui nous entoure. Dans cette perspective « agentique » (agentic perspective), loin d’être des
organismes réactifs, modelés par l’environnements comme le suggéraient les tenants d’un
behaviourisme radical, ou guidés par des forces intérieures inconscientes selon les principes
de la psychanalyse ou de la psychologie dynamique, les personnes sont considérées comme
des agents auto-organisateurs, proactifs, autoréflexifs et autorégulés, constamment en train
d’adapter leurs comportements, leurs affects et leurs projets avec les différentes facettes de
leurs environnements.

Il en découle que chaque individu dispose d’une capacité d’autodétermination qui lui permet
d’influer intentionnellement sur son environnement en adaptant ses comportements, ses
émotions, ses buts et ses valeurs aux situations rencontrées1. Cette capacité
d’autodétermination se construit au travers du système interprétatif cognitivo-affectif qui est
propre à chacun d’entre nous. Ainsi, les actions qui en découlent définissent notre signature
comportementale unique et subjective sur laquelle s’appuie la perception par notre
entourage de ce que nous appelons communément notre personnalité2.

Le déterminisme réciproque

La perspective agentique met aussi l’emphase sur les interactions réciproques et


bidirectionnelles qui relient la personne, ses comportements et les facteurs de
l’environnement. On parle de déterminisme réciproque ou de causalité triadique réciproque
pour rendre compte de ces interactions réciproques et bidirectionnelles. Simplement, il s’agit
selon Bandura, d’une conception transactionnelle du Soi et de la société où facteurs
personnels internes (événements cognitifs, émotionnels et biologiques), comportements et
l’environnement fonctionnent comme des facteurs en interactions qui s’influencent
réciproquement. Naturellement, l’agentivité humaine s’exerce dans les limites et contraintes
qu’imposent ces interactions réciproques entre les facteurs individuels, comportementaux et
environnementaux. Ces interactions sont fonction des circonstances, des activités mais aussi
de la temporalité puisque les effets réciproques ne s’observent pas nécessairement
simultanément. Il existe ainsi une interaction dynamique et permanente entre les facteurs
internes (la personne) et externes (son environnement). Ces facteurs s’influencent et se
modifient réciproquement de façon contingente, interdépendante et variable, dans le temps
et selon les situations.

Le système interprétatif cognitivo-affectif

Ces notions d’agentivité et de déterminisme réciproque montrent le rôle essentiel du système


interprétatif cognitivo-affectif de la personne dans ses interactions, c’est-à-dire dans le
traitement de l’information qui concerne le monde social et dans la production des
comportements. Le système interprétatif ou le système cognitivo-affectif de la personnalité
selon l’appellation donnée par Walter Mischel est constitué de processus cognitifs, de
contenus cognitifs ainsi que d’états affectifs. Ce système interprétatif repose sur des capacités
d’abstraction et de symbolisation qui génèrent des représentations mentales à propos de soi
et du monde. Au niveau des processus de traitement, nous retrouvons différentes capacités
qui permettent diverses opérations cognitives de sélection, de catégorisation, d’attribution,
etc. sur les représentations stockées au fil des expériences vicariantes (modèle et imitation)
dans une logique d’apprentissage social. Ce système interprétatif subjectif est aussi à l’origine
d’une autoréflexion qui permet au sujet d’anticiper ses actions et de les réguler en évaluant
l’impact personnel de ses expériences et l’effet produit sur les situations auxquelles il participe

1
BANDURA, A., Social foundations of thought and action, a social-cognitive theory, Englewood Cliffs, NJ: Prentice Hall, 1986.
2
BANDURA, A., A Social Cognitive Theory of Personality. In L. Pervin & O. John (Eds.), Handbook of personality, (2nd ed., pp. 154-
196). New York, 1999, Guilford Publications. (Reprinted in D. Cervone & Y. Shoda [Eds.], The coherence of personality. New York:
Guilford Press.)
directement ou indirectement. Au niveau des contenus cognitifs, nous retrouvons des savoirs
préalables que sont les valeurs, les croyances, les scripts, les stéréotypes, les théories
implicites, etc. qui traduisent la représentation subjective que nous avons du monde. Ces
différents savoirs sont essentiels puisque notre représentation du monde affecte notre
compréhension des comportements d’autrui, notre compréhension de nouvelles
informations, nos propres croyances quant à la probabilité d’apparition de certains
évènements ainsi que nos comportements.

Anticipations cognitives et renforcements

Comme le notait déjà en 1955, Georges Kelly, (the psychology of personal construct) les
processus cognitifs d’une personne sont psychologiquement modelés par la façon dont elle
anticipe les événements. A la même époque, en 1954, Julian Rotter dans son ouvrage Social
learning and clinical Psychology, rapporte que la probabilité d’émission d’un comportement
est fonction des attentes de la personne par rapport à ce comportement et de la valeur du
renforcement supposée par son système interprétatif. Nous pouvons définir les attentes
comme les conséquences subjectivement attendues de chacun des comportements possibles
et la valeur du renforcement comme l’évaluation subjective du renforcement en termes de
coûts et de bénéfices. Selon cette évaluation subjective et anticipative, la valeur du
renforcement pourra être positive ou négative. La mise en œuvre de comportements dépend
donc avant tout de l’anticipation au sein de notre système interprétatif de l’effet ou des effets
que ceux-ci pourraient produire et du ou des bénéfice(s) supposé(s) que nous pourrions en
tirer. Une fois le comportement produit, les processus d’autorégulation permettent à la
personne d’évaluer la pertinence du comportement émis et la concordance entre les
anticipations en termes d’attentes et de renforcement face au principe de réalité. Si la
conséquence du comportement produit est positive, elle augmentera la probabilité
d’émission ultérieure du comportement et renforcera la/les représentation(s) qui le sous-
tend. A l’inverse, si la conséquence du comportement produit est négative, elle diminuera la
probabilité d’émission du comportement et déforcera la/les représentation(s) qui le sous-
tend. Précisons par rapport à cette notion de renforcements qu’un renforcement positif peut
renvoyer à l’augmentation de quelque chose de positif (l’affection exprimée par un parent par
exemple) ou à la diminution de quelque chose de négatif (évitement d’un comportement
violent de la part d’un partenaire, par exemple). Rappelons encore que la dimension
subjective propre à notre système interprétatif fait qu’un renforcement peut être considéré
comme positif par une personne et négatif par une autre voire positif ou négatif chez la même
personne selon le moment. A titre d’exemple, un sandwich sera surement considéré comme
un renforcement positif si j’ai faim mais plutôt négatif si j’ai déjà dépassé mon seuil de satiété.

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