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Dhondt Urbain. Fondements d'une éthique sociale. In: Revue Philosophique de Louvain. Troisième série, tome 59, n°63, 1961.
pp. 494-514;
doi : https://doi.org/10.3406/phlou.1961.5086
https://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1961_num_59_63_5086
<"> Summa Theol, II* H«. q. 123, a. 12. Cf. ARISTOTE, Eth. à Nie, V, 3,
1129 b 25-1130 a 9. Voir aussi J. PlEPER, Ueber die Gereehtigkeit, Munich,
s. d., pp. 47-56.
<"> Summa Thmol., U» H", q. 14». a. 8. ad 2.
500 Urbain Ùkondt
Il
(") Dans notre exposé nous ne croyons pas nécessaire de distinguer c Etat » et
« communauté politique », quoiqu'on puisse noter une différence de signification
entre ces deux expressions; on peut voir dans l'Etat une certaine forme de société
politique. .
502 Urbain Dhondt
A. L'Etat
t. Signification de l'Etat.
Si le phénomène politique n'était que le produit de la moralité
seule, il semblerait impossible de rendre compte de l'élément
conflictuel qui domine toute vie politique. Des oppositions existent
entre groupes et des injustices régnent dans les relations entre les
diverses classes, à l'intérieur d'un même Etat ; par ailleurs, il existe
une pluralité d'Etats, entre lesquels règne une agressivité
insurmontable. On comprend qu'à la lumière de ces constatations, certains
soient portés à ne voir dans l'Etat que l'instrument d'une volonté de
jouissance qui ne parvient pas à réaliser une harmonie spontanée
entre les hommes. La volonté de promouvoir une communauté
universelle de personnes ne semble pas être la loi de la vie politique.
Lorsqu'
Aristote traite de l'origine de l'Etat, il déclare que
l'homme est un animal politique parce qu'il possède un logos qui
lui permet de discerner l'utile et le nuisible, ainsi que le juste et
l'injuste (lesquels, selon le commentaire de S. Thomas, s'appliquent
à la catégorie de l'utile) ; a c'est le commerce des hommes qui ont
le sens du bien et du mal, du juste et de l'injuste, qui fait la société
politique et familiale » (18).
Pour manifester la nature véritable de l'Etat, il faudrait montrer
la relation qui existe entre le monde du travail (qu' Aristote vise
lorsqu'il parle de la catégorie de l'utile), et le monde de la moralité. A
<"> Pol, I. 1, 1253 a 9-18. Cf. S. Thoma» : « Consistit enim justitia et injusti-
tia ex hoc quod aliqui adaequentur vel non adaequentur in rebus utilibus et noci-
vis » (In Pol, I, lect. I, n. 37, éd. SPIAZZl).
Fondements d'une éthique sociale 503
2. Ethique de l'Etat
L'intention morale dépasse chacun des individus dont elle
émane, pour constituer une société politique qui doit réaliser les
buts propres auxquels tend l'aspiration morale. Cet ordre politique
qui est au service de la moralité comporte en même temps un aspect
d'opposition à l'ordre moral lui-même. La bonne volonté morale
a comme principe suprême : potius mori quatn foedari ; la société
politique elle, a comme première loi : se maintenir pour élever la
communauté à une vie proprement humaine. La loi fondamentale
de la morale est la bonne intention, l'aspiration à la réalisation du
bien, la tendance vers le parfait, tandis que la politique comporte
comme première exigence d'avoir une efficience concrète sur la
réalité sociale. Et si cette réalité sociale n'est pas animée par des
impératifs moraux, mais par les lois de la violence et de l'irrationnel,
comme le soutenait Machiavel, alors surgit la question de savoir si
l'homme politique peut encore se tenir aux pures exigences de la
morale. Le premier problème que nous pose le machiavélisme est
celui de la possibilité d'une politique morale. Deux considérations
peuvent être émises à ce sujet. Tout d'abord, la possibilité d'une
politique morale dépend des forces morales du peuple lui-même, et
l'on peut croire que celles-ci sont toujours à l'oeuvre — du moins
inchoativement — dans l'attitude concrète de toute société civilisée.
On peut aussi invoquer à ce propos une loi immanente de l'histoire,
selon laquelle les valeurs morales sont finalement des éléments qui
contribuent au maintien d'une société (XT), tandis que le mal, malgré
<"> J. MARITAIN, L'homme et VEiat, Paris, 1953, pp. 51, 54-55 ; Id., La fin du
Machiavélisme, pp. 130-150 (repris dans Sort de l'homme, Neuchâtel, 1943, pp. 97-
150).
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critère qui permette de distinguer les deux éléments donl est fait le
droit positif : ce qui est conclusion deductive à partir des
principes du droit naturel, et ce qui est « adaptation » de ces principes
aux circonstances sociales ?
On peut manifester un aspect de ce problème à propos de
l'exigence de justice, qui doit constituer la règle suprême d'action de
l'homme d'Etat. Or une pure volonté de justice ne vaut rien, au point
de vue politique, sans une efficacité réelle. La justice sociale exige
en premier lieu l'unité et la paix entre les citoyens, car les possibilités
d'action de l'Etat sont corrélatives aux capacités que celui-ci possède
de supprimer les conflits dans les relations sociales. Le premier bien
politique est la paix et l'ordre dans la société ; les exigences de cet
ordre social constituent d'ailleurs les limites du droit de révolte contre
l'autorité injuste. Il est sans doute vrai que ce bien suppose un
certain élément de justice, mais — un peu d'expérience suffit à le
manifester — l'homme politique assure souvent mieux la paix sociale
en comblant de ses faveurs les puissants au détriment des faibles.
Par ailleurs, la paix est le fruit de la concordance des volontés
individuelles <Jes membres d'une société ; mais l'unanimité de ce*
volontés ne suffit pas à donner à une action humaine un caractère
de justice complète. La solidarité entre hommes n'exclut pas tout
égoïsme, qu'il s'agisse d'un intérêt individuel ou d'un égoïsme de
groupe ; du même coup, le souci de justice n'atteint jamais
totalement les dimensions du bien universel. Aussi saint Thomas affirme-
t-il que le législateur ne doit viser la justice et la vertu qu'en second
lieu (1". Tout droit positif est donc toujours un compromis entre les
exigences de la justice et celles des relations de force qui
maintiennent la cohésion à l'intérieur d'une société. Cet énoncé ne
résout évidemment pas toutes les difficultés : au contraire le problème
rebondit. Jusqu'à quel point l'homme politique peut-il admettra
l'injustice et sacrifier la justice à l'ordre ?
La difficulté d'établir une éthique sociale, que nous venons dé
manifester par l'antinomie qui règne entre les impératifs de la
justice et la nécessité de l'ordre, peut encore être présentée sous
un autre aspect. Une politique juste doit procurer à tous les membres
de la société une égalité de condition, accorder à chacun d'eux
une liberté concrète et positive ; mais la possibilité' d*y parvenir
dépend du niveau atteint par la civilisation et des exigences de la
(M» A. VAN LEEUWEN, art. cit., p. 47 (cf. dans le résumé en français, p. 53:
« notre caractère de personne transcende réellement notre appartenance à quelle
communauté particulière que ce soit, et précisément à cause du caractère
universellement social de la personne humaine comme telle »). Bien que nous nous
rallions aux conclusions de l'auteur, nous avons préféré suivre une autre méthode
que la sienne.
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B. La société familiale
> E. Weil, op. cit., p. 220? eTéducatew de» citoyens à U liberté par la
liberté
Fondements d'une éthique sociale 513
{Adapté du néerlandais)