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On parle souvent d’esprit critique comme guide de la raison. Faire preuve d’esprit critique
pourrait ainsi nous éclairer face à l’irrationalité, aux pseudosciences, aux dérives idéologiques
ou sectaires ou même face à toute forme de dogmatisme. C’est bien possible et l’utilisation
d’outils adéquats peut certainement nous aider à développer une forme d’autodéfense
intellectuelle (Baillargeon, 2006).
Cependant, quels sont concrètement les outils à notre disposition ? Comment la zététique
peut-elle permettre de développer l’esprit critique et quelles en sont les outils, les « règles » ?
Pour répondre à ces questions, quelques précisions s’imposent.
Critique de la critique ?
Il est fréquent de comprendre le verbe « critiquer » comme dire du mal de quelque chose ou
de quelqu’un. Par exemple, lors de repas entre amis, « l’étiquette » nous recommande de ne
pas critiquer les plats (bien souvent très bons) confectionnés avec tant de mal pour nous faire
plaisir. Pourtant, quand on jette un œil dans le dictionnaire, on peut trouver ce genre de
définition :
Relever « les qualités et les défauts »… On peut donc tout à fait critiquer le gâteau au
chocolat, même (surtout) s’il est bon ! Il est intéressant de constater comment ce verbe est
couramment employé. Bien des gens critiquent les décisions du gouvernement mais il est bien
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rare que l’on en cite les mérites1. Quand une secrétaire critique son patron, il est aussi rare de
l’entendre en dire du bien. Bref, critiquer est souvent réduit à son sens négatif et n’est que peu
souvent utilisé et compris dans sa signification bivalente : démêler le vrai du faux, le bon du
mauvais, le juste de l’injuste, donner les défauts et les qualités, les points positifs et négatifs,
etc.
La zététique, « l’art du doute » comme le définit le Pr. Henri Broch, tire ses origines du grec
zêtein, qui signifie chercher2. Mais chercher quoi ? Et d’ailleurs, comment chercher ? Pour
répondre à ces questions, il faut revenir à la définition ci-dessus : zététicien3 est synonyme de
critique. Oui, un zététicien peut passer une bonne partie de son temps à examiner, à se
questionner, à tester, à enquêter, à (se) remettre en question, à ronchonner
dirons certains, bref, à critiquer. Rrah ! Quelle triste vie. Mais n’êtes vous pas
zététicien sans le savoir ? Ne passez-vous pas vous aussi une partie de votre
temps à vous interroger, à démêler le vrai du faux, à juger, à faire des choix ?
Si la réponse est oui, alors lisez la suite, cher zététicien…
Dans la 4ème de couverture de son dernier ouvrage (Broch, 2008) Henri Broch décrit ce qu’il
appelle la première la loi de la Zététique : « … c'est de ne pas prendre pour argent comptant
tout ce que l'on veut bien nous dire, c'est se donner du recul et c'est, surtout, ne pas se priver
de poser des questions, même si elles dérangent. C'est finalement, tout simplement, se
remettre dans la situation où le petit être en formation que nous étions posait sans arrêt des
questions à son entourage, faisait des hypothèses,… bref cherchait à comprendre le monde
qui l'entourait. Il n'y a pas de raison objective pour que cela cesse lorsque le petit enfant
grandit. La seule différence, c'est que lorsque l'on grandit, on croit savoir plus de choses et
souvent on se drape dans des certitudes. »
Cette règle est assez bien illustrée par la diffusion des rumeurs et autres légendes urbaines
(que nous avons tous colportées sans le savoir). L’information reçue alors ne tient souvent
qu’à un fil : celui de la vérification à la source et de sa crédibilité.
Imaginons que vous discutez avec une personne affirmant que les
fantômes existent et qui tente de vous convaincre en donnant certains
détails troublants, détails vous laissant la plupart du temps sans
réponse. A ce stade de la discussion, deux positions peuvent être
prise, l’une consistant à se satisfaire de ce témoignage et l’autre
consistant à tenter de juger de la valeur de celui-ci. Pour y parvenir,
il faut se rappeler qu’une affirmation qui sort de l’ordinaire doit être appuyée par des
arguments ou preuves très solides. Pourquoi cela ? Parce qu’il n’est pas équivalent d’affirmer
que vous avez vu un fantôme rôder dans votre maison et de prétendre que vous avez vu la
Lune la nuit dernière. Dans ce dernier cas, il ne sera pas nécessaire d’exiger plus qu’une
4 Le choix de présenter ces règles plutôt que d’autres est totalement subjectif même si elles sont généralement
acceptées comme étant « fondamentales ». Certaines sont très détaillées, d’autres moins, notamment par manque de
place mais on pourra trouver plus d’informations dans le livre du Pr. Broch cité.
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simple vérification (par exemple, on peut observer le ciel). Par contre, l’existence des
fantômes remettrait en cause un grand nombre de nos connaissances en physique, en chimie,
en biologie, etc. bref, nos savoirs communs, vérifiés et établis à l’heure ou vous lisez ces
lignes. Il semble alors assez logique d’exiger plus qu’un témoignage comme preuve de leur
réalité.
Pour reprendre un sujet bien connu, la découverte d’empreintes dans la neige ou une vidéo
floue ne pourra jamais attester de l’existence du Yéti. Le Yéti en chair et en poils, ça, déjà
plus…
Cette règle, décisive, est un argument logique à avancer quand on se retrouve confronté à une
situation comme celle-ci : « Vous ne pouvez pas nier la possibilité que des êtres venus
d’ailleurs viennent sur Terre nous rendre visite à bord d’engins ultra-perfectionnés, sinon,
prouvez-moi que ce n’est pas possible ! ». Il arrive que ce type d’affirmation soit avancé
quand on touche à certains phénomènes « paranormaux ». Il faut donc garder à l’esprit que la
preuve que tel phénomène X existe revient à celui qui affirme. Pourquoi cela ? Car il est
impossible logiquement de prouver que ce phénomène n’existe pas.
Prenons un exemple : Bob affirme qu’il peut se transformer en éponge. A cela vous lui
rétorquez, à juste titre, que c’est un être humain et que les êtres humains sont incapables de se
transformer en éponges. Bob vous répondrait alors : « Est-ce vraiment impossible ? Prouvez-
moi que c’est impossible ! »
Là, vous vous dites que Bob est fou. En fait, Bob est très malin : on
dit qu’il a retourné la charge de la preuve. C’est un argument piège et
pour le déjouer, il suffit donc de se rappeler qu’on ne peut
rigoureusement pas prouver que la transformation d’un être humain
en éponge est impossible. En effet, vous aurez beau utiliser vos
meilleurs arguments, il suffira à Bob de vous dire qu’il y arrive, par
exemple, en utilisant « un dématérialisateur ionique à impulsion » que
lui ont prêté les habitants d’une autre galaxie venus lui rendre visite, pour réduire vos
explications d’impossibilité à néant. Vous allez dire qu’il suffit de montrer que ce procédé est
une invention imaginaire et ridicule provenant du cerveau de Bob ? C’est certainement le cas.
Mais malheureusement pour vous, impossible de le prouver une nouvelle fois. Bob peut ainsi
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imaginer toutes sortes d’explications permettant de dire comment il se transforme en éponge
sans que vous puissiez lui prouver qu’il a tort. Par contre, il suffirait à Bob de nous montrer
comment il s’y prend (et pas seulement sur une vidéo) pour le vérifier et ainsi constater le
phénomène (en tout cas, on aurait alors plus qu’un simple témoignage).
Argument qui intervient souvent en dernier recours, l’inversion de la charge de la preuve est
assez répandu, c’est pourquoi il faut savoir le reconnaître : « Peut-être qu’un jour on
découvrira un être humain capable de se transformer en éponge, vous ne pouvez pas le
nier… ». Tout à fait d’accord, mais aujourd’hui, nous n’en avons toujours pas vu…
Cette règle se comprend assez bien si l’on considère qu’un être humain est faillible : tout le
monde peut se tromper et commettre des erreurs de perception, de compréhension, d’analyse,
de mémoire, etc. Pour s’en convaincre regardez cette image :
D.R.
Il semble que la bande placée au centre soit gris clair à gauche puis devienne de plus en plus
foncée vers la droite. Prenez deux feuilles de papier et cachez à présent le fond de l’image en
ne laissant apparaître que la bande…vous verrez alors que celle-ci a toujours une couleur
grise mais uniforme ! De manière générale, toutes les illusions d’optiques que nous pouvons
rencontrées sont la preuve que notre cerveau nous joue des tours, à notre insu, quelque soit
nos capacités5.
5Mêmes les personnes connaissant l’illusion de la bande grise sont bien incapables de voir la couleur uniforme de la
bande…Ceci souligne le fait qu’un pilote de chasse ne sera pas moins faillible qu’un footballeur lors d’observations
de phénomènes aériens sortant de l’ordinaire.
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Comment se fier alors au témoignage de quelqu’un, témoignage affirmant qu’il a vu ou
entendu tel ou tel phénomène « paranormal » ? Cela ne signifie pas que tout témoignage doit
être jeté à la poubelle. Un ensemble de plusieurs témoignages cohérents est souvent un bon
indice pour effectuer des recherches plus poussées. Mais en aucun cas ils ne pourront
constituer une preuve de l’existence du phénomène observé. C’est le cas pour de nombreuses
observations d’OVNI qui, malgré leur caractère intéressant et dans quelques rares cas
inexpliqué, ne sont et ne seront jamais la preuve que des êtres venus d’ailleurs nous aient
rendu visite.
Lors de discussions tournant autour de thèmes « paranormaux », il arrive souvent que des
témoignages intriguant nous soient rapportés : « J’étais assis en train de regarder la télé
quand tout à coup, le chat a miaulé, l’horloge de ma grand-mère qui ne marchait plus depuis
sa mort a sonné un coup, et le cadre de sa photo est tombé…6 ». Témoignage suivi de la
question : « Comment pouvez-vous expliquez cela ? ». La réponse est simple : on ne le peut
pas7. Ce phénomène, aujourd’hui inexpliqué dans l’état de nos connaissances sur le sujet,
n’est pas pour autant inexplicable au sens où il n’existerait pas explications rationnelles. C’est
peut-être simplement le fait de notre ignorance de celles-ci !
Pour terminer, une facette que l’on ne doit jamais oublier lors d’une investigation sur le
terrain ou ailleurs, lorsque le phénomène est avéré et qu’on en possède une trace fiable,
tangible. En quelques mots, cette règle nous rappelle que, confrontés à un événement
semblant défier les lois « naturelles », l’explication la plus rationnelle doit être privilégiée :
« Existe-t-il une autre explication possible, une explication "naturelle" qui - dans les mêmes
conditions - donnerait un résultat identique, avec toutes les caractéristiques de ce phénomène
"surnaturel" ? L'hypothèse naturelle, moins coûteuse, est alors préférée et l'hypothèse
8 Monvoisin R., La leçon de ChOZ du Professeur Z - Peut-on aiguiser le rasoir d’Occam sous une pyramide ? (2007)
9 Exemple tiré de http://zeteticien.free.fr/posters/questions_zet.php?i=95
10 Voir « La charge de la preuve revient à celui qui affirme ».
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En guise de conclusion, voici quelques autres « règles »11 à garder en mémoire…
Les anomalies ne sont pas un fondement - Un scénario n'est pas une loi - Quantité n'est pas
qualité - Un mot écrit n'est pas auto-validant - L'analogie n'est pas une preuve - L'inexistence
de la preuve n'est pas la preuve de l'inexistence - La non-impossibilité n'est pas un argument
d'existence - Possible n'est pas toujours possible - Compétitif n'est pas forcément
contradictoire - La bonne foi n'est pas un argument - Positionner le curseur vraisemblance -
Situer l'hypothèse sur l'échelle vraisemblance - Accorder toute son importance à l'incertitude
d'un résultat - Une analyse globale ou statistique est souvent concluante - Se montrer prudent
dans l'interprétation - Ne pas oublier l'exposition sélective et la validation subjective - La
nature est sûre - La parcimonie est de règle - Le mode de rejet des données est significatif -
Une théorie scientifique est testable, réfutable - L'inférence est nécessaire - L'erreur est
humaine, la faillibilité permanente ne l'est pas - La compétence de l'informateur est
fondamentale - La force d'une croyance peut être immense - L'illusionnisme a un rôle critique
important - L'histoire des sciences et techniques a son utilité - Le contexte est important.
11 Source : http://www.unice.fr/zetetique/enseignement.html#FACETTES
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