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Sommaire

Introduction 1

1. Quelques notions pour commencer 3

2. L’oralité passive 11

3. L’oralité active 25

4. L’analité expulsive 41

5. L’analité rétentive 71

6. Le stade phallique 113

7. Œdipe et Narcisse 129

8. L’intra-utérin 143

Conclusion 181

Table des matières 183


Introduction

1. Vous vous destinez à une carrière dans le secteur de la petite


enfance.
2. Vous êtes un professionnel de la petite enfance et quelquefois
vous auriez besoin de soutien.
3. Vous êtes parents soucieux de comprendre votre enfant.
4. Vous aimeriez découvrir si notre vie intra-utérine peut avoir
un impact sur notre vie post-natale.
5. Vous êtes tout simplement curieux...
Ce livre s’adresse à vous.

Je vous propose de partir à la découverte passionnante de la


construction de la personnalité psychologique de l’enfant, de
la conception à 7-8 ans environ et d’en examiner chaque étape
pour mieux comprendre, guider et aider. Chaque phase de son
développement sera abordée sous trois aspects :
• les acquis constructifs, comment en reconnaître les effets chez
l’enfant ;
• les perturbations possibles, avec qui (mère, père, famille,
éducateurs...), comment les discerner dans le comportement
de l’enfant ;
• l’influence sur la personnalité adulte.
2 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

J’aborde en premier lieu, bien évidemment, les racines de


sa personnalité, puis l’éveil de celle-ci, la relation privilégiée
avec sa mère, l’âge de la découverte, l’apprentissage des règles
de la vie sociale, l’apprentissage des statuts et des rôles, la
découverte de la sexualité et la synthèse et la mutation vers
la personnalité adulte. En deuxième partie, nous partirons à
la découverte de toute cette partie anténatale qui dévoilera
qu’au-delà de l’hérédité, nous arrivons à la naissance avec des
bagages de notre vie intra-utérine qui auront une répercussion
sur l’enfant et sur l’adulte ensuite. Cela n’est pas en adéquation
avec la chronologie mais j’ai préféré procéder de cette façon-là.
C’est plus facile à intégrer de cette manière.

Je vous souhaite un beau voyage humain


« pas à pas » rempli d’émotion !
Chapitre 1

Quelques notions
pour commencer

A VANT de commencer et afin de parler le même langage, je


vous propose un peu de théorie et la définition de quelques
notions mais pas d’affolement : tout sera très digeste et très
bref ! Avant de se lancer dans le long voyage à travers le déve-
loppement psychologique de l’enfant, mieux vaut comprendre
le « petit jargon » psychologique qui sera employé dans les
chapitres suivants. Je vais limiter au maximum cette partie parce
que l’objectif n’est pas d’approfondir la théorie mais d’aller
droit aux questions concrètes.
Commençons par préciser la situation. Nous sommes tous
le fruit d’une hérédité, venant de nos parents, de nos grands-
parents et de tous nos aïeux, d’une expérience intra-utérine et
d’une éducation donnée par nos parents, l’école, etc. Du coup,
nous sommes tous uniques dans notre façon de ressentir les
4 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

choses, d’aborder la vie, de vivre nos émotions : tout cela com-


pose ce qu’on appelle la subjectivité. Dans le mot subjectivité, il
y a le mot sujet. Le sujet est vivant, par opposition à l’objet, qui
compose l’objectivité : l’objet est inerte. Être vivant, c’est être
subjectif et d’ailleurs, l’objectivité, dans la façon de vivre ou
de percevoir les événements et les émotions, cela n’existe pas.
Nous sommes tous des êtres subjectifs, chacun avec sa vérité.
Pour illustrer ces premières définitions une petite histoire
qui est aussi une première expérience. Faites ce test. Lisez
attentivement l’histoire de Robert, puis tentez de répondre à la
question posée à la fin de cette histoire. La solution est donnée
à la suite. Pas de triche, s’il vous plaît !

Robert travaille depuis des années dans une grande entreprise.


C’est un bon employé, sérieux, apprécié de ses collègues, compé-
tent, dynamique. Un jour, le directeur général prend sa retraite : le
poste est à pourvoir. Tout indique qu’il va revenir à Robert. C’est
sûr : c’est Robert qui va avoir le poste ! Arrive le jour où le PDG doit
annoncer le nom du nouveau directeur général : tout se passe au
cours d’une réunion, en présence des cadres de l’entreprise. À la
surprise générale, c’est Lionel, recruté depuis deux ans, tout juste
sorti d’une grande école, qui obtient le poste : il est jeune, et il est
le fils d’un ami du PDG. Que ressent Robert ? Quelle va être sa
réaction ?

***

Vous avez peut-être répondu de la manière suivante : « Mais


c’est évident ! Il doit être complètement désespéré : c’est vrai-
ment dégoûtant ! Pauvre Robert : il doit penser qu’il n’est plus
bon à rien, qu’il n’a plus qu’à partir à la casse, comme les vieilles
choses qu’on jette après usage : place aux jeunes, aux gens qui
sont compétents... Tout doit lui revenir en mémoire : il doit se
demander ce qu’il a fait pour mériter ça, il doit se creuser la tête
pour essayer de découvrir quelle est son erreur, et pourquoi on
l’a jugé incompétent pour ce poste... Quelle horreur ! Il doit se
sentir comme une serpillière au fond d’un seau : nul, incapable,
rayé de la liste, quoi ! »
1. Q UELQUES NOTIONS POUR COMMENCER 5

Non ? Alors peut-être avez-vous ressenti (pour Robert) de la


colère contre les « petits arrangements » entre amis que ce texte
met en scène : « pourquoi le fils de l’ami du PDG ? »
Ou alors peut-être encore avez-vous répondu que Robert doit
être découragé, qu’il doit sûrement ressentir l’envie de baisser
les bras devant tant d’injustice : « alors qu’il a fait tous ces
sacrifices pour l’entreprise ! » etc.
Mais il n’y a qu’une seule réponse possible, et c’est : « on ne
sait pas ». On ne peut pas savoir à la place de Robert : on ne peut
que projeter notre propre émotion face à cette histoire. Il n’y a
que lui qui pourrait nous dire ce qu’il a vraiment ressenti. Ce
qui est vrai pour une personne ne l’est pas forcément pour une
autre. Vous vous seriez senti(e) infériorisé(e) et culpabilisé(e) ?
ou découragé(e) ? ou en colère ? Mais vous n’êtes pas à sa place.
Quand je propose ce test en formation, s’il y a dix personnes
présentes, il y a dix subjectivités différentes qui s’expriment.
Bien sûr, certaines se rejoignent, parce que le texte est quand
même inducteur, mais on trouve toujours maintes façons de
réagir. Pour certains, cela peut être la colère et l’envie d’ex-
primer son mécontentement, pour d’autres, cela peut être du
découragement, et l’envie de baisser les bras devant tant d’injus-
tice, pour d’autres, cela sera du soulagement. Vous n’y aviez pas
pensé ? Et pourtant certains répondront que « ça lui évite toutes
ces responsabilités qu’il avait peur de ne pas pouvoir assumer.
Parce qu’il y a une différence entre être compétent pour le poste
qu’il occupait jusqu’à présent et être directeur général ! Donc,
ouf ! »
Voilà pourquoi il est difficile, quelquefois, de se comprendre,
de comprendre l’autre et combien il est facile d’entrer en conflit
avec quelqu’un, simplement parce qu’on ne ressent pas les
choses de la même façon face à une situation pourtant identique !
Chacun est persuadé d’avoir raison, et bien sûr, c’est vrai :
chacun a raison, effectivement, mais pour lui-même, sans se
rendre compte que c’est pareil pour l’autre personne. C’est pour
cela qu’on débat et qu’on se dispute pour un oui ou pour un
non : à cause de la subjectivité.
Avant de commencer, pour que nous parlions (justement !) le
même langage, j’aimerais quand même vous donner quelques
6 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

définitions freudiennes... puisque je ferai référence aux travaux


de Sigmund ! Freud bien entendu...
Tout d’abord, je vous propose un dessin (figure 1.1), en forme
d’entonnoir renversé ; ça parlera mieux que de longs discours
pour expliquer comment Freud a défini le psychisme d’un être
humain.

Figure 1.1.

Comme vous pouvez le voir, le ÇA correspond à l’inconscient


d’un individu, le MOI au conscient et le SURMOI se situe dans
le pré-conscient. Mon entonnoir n’a évidemment pas de fond,
car plus on descend vers la partie évasée, plus on va vers
l’inconscient collectif qui n’est pas accessible. Quand on dit
que l’on va fouiller dans l’inconscient, en psychothérapie par
exemple, on n’accède en réalité qu’à une toute petite partie
de cet inconscient, celle que j’ai dessinée en pointillés. Vous
imaginez le gouffre qu’est l’inconscient...
Je vais parler en premier du ÇA. Je parlerai ensuite du MOI et
de ses relations avec le ÇA et je terminerai par le SURMOI.
1. Q UELQUES NOTIONS POUR COMMENCER 7

LE ÇA

On peut dire qu’il est le siège des pulsions. La pulsion est


une demande pressante qui exige une réponse immédiate. Si la
réponse n’est pas trouvée, ou trouvée partiellement, il se crée
un besoin. Ce besoin amène alors un déplaisir, qui lui-même
génère une tension. À l’inverse, si la solution est trouvée, elle
s’accompagne d’un ressenti de plaisir qui peut être un simple
soulagement, une joie, une jouissance, une satisfaction, etc. et
qui provoque la disparition de la tension, du déplaisir, et du
besoin bien sûr.
Je précise qu’il existe deux types de besoins : les besoins dits
« vrais » qui sont des besoins naturels tels que la faim, la soif,
la sécurité, le sommeil, la sexualité... et ce que l’on appelle les
« faux besoins », que l’on se crée à partir de ressentis de manque,
de frustration... et qui sont souvent subjectifs. Je reviendrai sur
ceux-là plus loin.
Or, le ÇA est comme le Roi Soleil : il dit « je veux et j’exige ».
Il ne cherche pas à savoir si c’est possible ou non. Comme il ne
peut pas se satisfaire lui-même, comme il n’en a pas la capacité,
il lui faut un équipier qui, lui, pourra et devra répondre à ses
attentes...

LE MOI

Cet équipier, c’est le MOI , ou conscient, à qui le ÇA peut


déléguer le travail qui consiste, finalement, à le satisfaire ! Pour
résumer, imaginons que le ÇA ait une pulsion qu’il souhaite
satisfaire immédiatement : il envoie alors un message au MOI,
qui doit répondre sans attendre et de façon correcte. Si la réponse
est satisfaisante, le besoin ne s’installe pas et le sentiment de
déplaisir disparaît : il fait place au plaisir et au bien-être. Ce
mécanisme peut concerner un besoin dit « vrai » : par exemple,
vous avez faim et vous avez la possibilité de manger. La tension
qui s’est créée avec la sensation de faim disparaît dès que votre
estomac est rempli. Mission accomplie pour le MOI.
8 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

Seulement voilà : ce n’est pas toujours aussi simple (simple


si l’on part du principe que vous êtes dans une situation et un
pays où manger n’est pas un problème) ! Comme vous pouvez
le constater, le ÇA est têtu et capricieux. S’il veut quelque chose,
il le fait savoir haut et fort. Le MOI doit se soumettre, et partir
dare-dare à la recherche d’une solution rapide. Sa tâche est donc
très difficile. Il se peut qu’il ne comprenne pas la demande, ou
que les règles sociales ne lui permettent pas d’y répondre.
Imaginez : vous êtes sur la plage avec votre amoureux(se), et il y
a plein de monde. Tout à coup, vous avez un besoin pressant de
câlins ou même plus ! Et bien, non ! Interdit ! vous n’avez pas le
droit. Cela ne se fait pas. Donc, il y a frustration. Il faut patienter,
même si ce n’est pas dans votre nature !!! Dans ces conditions,
que doit faire le MOI (le conscient) pour soulager le sentiment de
déplaisir lié à la tension que le besoin non satisfait a fait naître ?
Il doit trouver un compromis en attendant de pouvoir passer à
l’« acte » (!). Le compromis pourrait consister à manger du chocolat
ou une part de tarte ! C’est ce qu’on appelle leurrer le ÇA. Cette
solution peut marcher un certain temps. Le plaisir ainsi trouvé fait
momentanément retomber la tension. Ça compense. Mais cela ne
va pas durer : la tension réapparaîtra rapidement, jusqu’à totale
satisfaction.

Dans l’exemple donné, le besoin était clairement identifié.


Le MOI avait compris le message. Mais il peut arriver que
ce message arrive codé ou transformé... Vous pouvez avoir un
ressenti de faim alors que le besoin réel est affectif, par exemple.
Ainsi vous avez « vraiment » ressenti de la faim et pour du
chocolat, c’est vrai. Vous pouvez vous précipiter sur un pot de
Nutella taille XXL !!! Mais on peut dire que ce message « j’ai
besoin de chocolat », il est sacrément codé. Le pauvre MOI a
obéi à un « vrai faux message », sans pouvoir le décrypter !
Dans le cas du message codé, le MOI ne comprend pas du tout
le message, parce qu’il n’a pas à sa disposition les moyens de
compréhension adaptés. Il n’a pas les éléments ou les outils,
pour pouvoir satisfaire le ÇA.
Prenons l’exemple d’un individu qui a un besoin de sécurité impor-
tant : si le MOI n’a pas les éléments pour comprendre ce besoin et
que la personne se mette en danger ou s’entoure de personnes
insécurisantes et dangereuses pour lui, le ÇA ne sera pas satisfait
1. Q UELQUES NOTIONS POUR COMMENCER 9

et enverra des messages de déplaisir sans que le MOI arrive à


comprendre pourquoi. Il s’ensuivra des tensions importantes que
le conscient n’arrivera pas à expliquer.

Pauvre MOI : il doit sans cesse travailler ! Pas moyen de pas-


ser aux 35 heures ! Il doit s’enrichir en permanence, être curieux
pour acquérir ces moyens de compréhension. Les expériences
faites, à travers les réussites et les échecs, seront mémorisées,
mais aussi tout ce qui aura pu se révéler dangereux pour lui :
cela lui permettra d’éviter ce danger par la suite. Il faut qu’il
trouve des « trucs » pour comprendre les messages de demande
et y répondre, et pour mettre tout cela en œuvre, il doit utiliser
et donc développer des outils intellectuels et physiques. Devant
cette tâche fatigante, le MOI a quelquefois envie de se rebeller
et de « jouer » pour lui, au détriment du ÇA et du SURMOI,
troisième partenaire de l’équipe, dont je vais parler un peu à
présent.

LE SURMOI
Le SURMOI est situé dans le pré-conscient. On y trouve, bien
emmagasiné, le catalogue de toutes les règles, des valeurs, des
interdits, des obligations et des normes sociales. Ces règles et
ces normes évoluent en fonction de l’âge (on n’obéit pas aux
mêmes règles étant enfant qu’à l’âge adulte !), mais aussi en
fonction du pays ou de la région où l’on habite, en fonction de
la religion, etc. Pour reprendre l’histoire du câlin sur la plage,
c’est le SURMOI qui empêche le MOI de céder à la tentation, au
risque de déplaire au ÇA : il y a des règles, et le SURMOI est là
pour les faire entendre, un point c’est tout.

LE TRIO
Vous rendez-vous compte des problèmes posés au MOI ? S’il
fait plaisir au ÇA (en permettant le câlin par exemple), il se met
en faute par rapport au SURMOI, donc par rapport aux règles
sociales : il risque d’être puni. Mais s’il tient compte de ces
10 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

normes sociales, il indispose le ÇA. Le MOI doit donc jongler en


permanence pour trouver le meilleur compromis possible.
Il faut savoir pour terminer que lorsqu’un individu n’arrive
pas à satisfaire les besoins du ÇA de façon durable, soit à cause
du MOI qui n’y arrive pas ou ne comprend pas, soit à cause
du SURMOI qui ne veut pas, s’installe alors un état de tension
permanent. Cet état de tension peut produire un mal-être, une
souffrance, une anxiété, voire une angoisse qui peut même, à
un moment donné, déclencher une maladie que l’on appelle une
somatisation.
Rappelons l’étymologie du mot angoisse : « qui est très
serré »... Le sens du mot s’est d’ailleurs affaibli dans le langage
courant depuis le Moyen Âge, où le mot désignait un état de
souffrance extrême, accompagné de douleurs physiques. Le
vocabulaire de la psychanalyse (et des thérapeutes) redonne
à ce terme toute son importance.
L’angoisse est donc un haut niveau de tension qui doit
absolument être pris en considération. Toute baisse artificielle
de l’angoisse sans compréhension du message (provoquée par
exemple par la prise d’antidépresseurs sans autre démarche, au
moins au bout d’un certain temps) est néfaste, car elle permet
au problème de s’installer et de croître. La manifestation la plus
connue de l’angoisse est la boule qui se forme au niveau de la
gorge, qui peut empêcher et bloquer toute forme d’expression
en laissant la personne en proie à la panique, en la faisant
se replier sur elle-même. On peut aussi ressentir un simple
serrement au niveau de la poitrine, ou des insomnies répétées,
des dérèglements intestinaux, des peurs incontrôlées et sans
objet, une impression de danger vague et imminent. C’est
l’importance et la durée du problème non résolu, et la manière
dont chaque individu supporte les tensions, qui montreront le
niveau d’angoisse.
Chapitre 2

L’oralité passive

E N ROUTE pour découvrir les stades d’évolution psycholo-


gique de Freud. Il considère l’enfant de la naissance.
(d’autres théories ont été développées pour comprendre aussi
la vie intra-utérine de l’enfant) jusqu’à l’âge de 7/8 ans. Voilà
le schéma des stades qui composent cette période, avec le nom
qu’il leur a donné : attention, il est bien évident que les âges que
j’ai indiqués sur le schéma ne sont pas des dates anniversaires.
Par exemple, l’oralité active (OA) ne s’arrête pas le jour même
du deuxième anniversaire : l’analité expulsive (AE) commence
dans « cette période-là ».

0 6/8mois 2 ans 3,5 ans 5


à 6/8 mois à 2 ans à 3,5 ans à 5 ans à 7/8 ans
O RALITÉ O RALITÉ A NALITÉ A NALITÉ S TADE
PASSIVE ACTIVE EXPULSIVE RÉTENTIVE PHALLIQUE
(OP) (OA) (AE) (AR) (PH)
12 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

Pour chaque stade j’expliquerai ce qui se passe pour l’enfant,


quels sont les acquis constructifs qu’il va acquérir, quels pro-
blèmes il peut rencontrer (et avec qui il peut les rencontrer) et
comment ces acquis et ces problèmes vont se manifester dans le
comportement de l’adulte qu’il va devenir.
On peut penser que ce tableau est dépassé. En effet, les
enfants nés fin XIXe -début du XXe siècle ne sont pas les mêmes
que ceux d’aujourd’hui. Les enfants de notre époque, dans les
premières années de leur vie, sont davantage stimulés, plus
éveillés, plus dégourdis, plus ouverts que ceux de l’époque de
Freud.
J’ai donc débattu avec un grand nombre de professionnels de
la petite enfance (directrice de crèches, professeurs des écoles
en maternelle et primaire) afin d’avoir leur avis sur l’âge et les
stades d’évolution définis par Freud.
Nous en sommes arrivés à la conclusion qu’effectivement
les jeunes enfants d’aujourd’hui sont nettement plus en avance
quant à l’éveil mais sur le plan psychologique et émotionnel, on
retrouve la même concordance (à quelques mois près !) avec ce
que Freud a mis en évidence. Les mêmes émotions, les mêmes
ressentis, les mêmes centres d’intérêt, les mêmes peurs à chaque
stade. C’est donc toujours d’actualité quant à leur maturité ou
immaturité psychologique.

L’ ORALITÉ PASSIVE CHEZ L’ ENFANT

Donc, notre enfant vient de naître. Le stade oral passif (OP)


commence. Il dure entre six et huit mois environ. Freud dit
qu’à cette période, l’enfant n’est qu’un ÇA , c’est-à-dire un
inconscient. En effet, quand il arrive à la vie, l’enfant n’a pas
la conscience d’exister. Il doit pendant cette période construire
son MOI , son conscient. L’enfant naît incomplet et n’a pas les
moyens de survivre seul. Il n’a que deux instincts : la succion et
la station debout. Ses neurones ne sont pas connectés en totalité :
les nerfs ne sont pas gainés de myéline et ne peuvent donc pas
transmettre les ordres aux muscles ; la régulation thermique ne
2. L’ ORALITÉ PASSIVE 13

se fait pas (le corps se refroidit ou se réchauffe en fonction de la


température ambiante), etc. Le pauvre n’est pas fini !
C’est une période difficile pour le bébé, il n’a pas conscience
d’exister : il est non individualisé. Il ne sait pas faire la diffé-
rence entre lui et sa mère par exemple, ou entre lui et les autres
personnes : cette phase est dite « schizoïde », à cause du fait que
l’enfant vit dans le morcellement, ne perçoit que des morceaux
de lui-même ou de sa mère (ses mains, ses pieds, le sein de
sa mère, son visage, ses cheveux). On parle aussi de phase
« persécutoire », dans la mesure où l’enfant est dans l’incapacité
de faire face ou de se protéger du stress. Tout cela est très
inconfortable et génère des sentiments d’angoisse permanente,
de vide et des ressentis de non-existence. L’enfant doit donc
trouver une solution pour sortir de cette situation. Cette solution,
c’est la construction de son MOI.
Vous devez vous demander comment va faire ce bébé. Il est
tout petit, tout stressé, pas fini. Pour le comprendre, demandez-
vous de quoi a besoin un nourrisson ?
Tout d’abord il a besoin, bien évidemment, de nourriture phy-
sique au sens premier : les aliments lui apportent des matériaux
de construction. C’est bien mais pas suffisant. Un enfant auquel
on n’apporterait que ce type d’alimentation resterait végétatif et
finirait par mourir.

Françoise Dolto a mis ce fait en évidence face à la mortalité


importante des nourrissons dans les hôpitaux, après-guerre. Contre
l’avis des médecins, elle a demandé au personnel hospitalier de
prendre ces bébés dans les bras au moins cinq minutes par jour
afin qu’ils aient un contact humain et affectif. Cela a fait fortement
diminuer la mortalité chez ces enfants !

Donc, cela montre que l’enfant a besoin d’autre chose que


de nourriture, une chose aussi importante : c’est l’AMOUR,
l’amour de sa mère, ou d’une mère de substitution, qui le fait
vivre. Pour cela, il a besoin du contact avec elle.
Voilà comment ça va se passer : à la naissance, la mère et
l’enfant ont déjà un vécu commun de neuf mois. Sauf pathologie,
inconsciemment, la mère ne peut considérer le bébé comme
14 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

étranger à elle : l’enfant est une extension d’elle-même. Ils


vivent une relation que l’on qualifie de symbiotique et qui
perdure sur le plan psychologique après la naissance. La mère
aura du mal à considérer son enfant comme un être à part. Cela
s’appelle le narcissisme maternel. C’est en fait sur la base d’un
quiproquo inconscient que cette différenciation mère/enfant
s’accomplit, quiproquo que j’explicite dans la figure 2.1.
Le MOI se forme donc pendant cette période. Mais en plus
de l’amour que lui apporte sa mère, quels sont alors les autres
besoins de l’enfant ? Vous allez peut-être penser à de la bouillie,
du talc, du lait, du sommeil, enfin, de soins quoi, et de beaucoup
d’attention aussi !
Exact ! L’enfant a besoin d’une nourriture chaude, nourris-
sante. Elle est associée à être pris, changé, caressé. Il a besoin
également de sécurité (une maman trop anxieuse, ou qui le
rejette, l’insécurise) et aussi de soins, de paroles, de gestes, de
caresses, de contact peau à peau, de sommeil (le sommeil est
une protection par l’oubli et la déconnexion), de stimulations
pour se sentir exister. On comprend bien que la mère peut avoir
du mal à répondre à tout ça au moment où l’enfant en a besoin.
Il se peut qu’elle ne comprenne pas et ne sache pas interpréter
les pleurs de son enfant.
L’enfant pleure parce qu’il a besoin d’être changé et, elle, lui donne
un biberon. Cela arrive souvent, et bien malgré soi ! Insécurité
pour l’enfant. Si ce fait se renouvelle souvent, la mère pourra être
ressentie comme dangereuse et « gavante ».

Tous ces éléments nous font comprendre que les frustrations


sont inévitables. Comme je l’ai dit, l’enfant ne fait pas la
différence entre lui et le milieu extérieur. S’il voit sa maman, il
ne sait pas qu’elle est différente de lui ; s’il voit sa propre main,
celle avec laquelle il joue, il ne sait pas qu’elle lui appartient.
Il associe tous ces « morceaux » de corps, ces objets partiels,
au plaisir ou au déplaisir qu’ils procurent. De fait, l’apparition
de ces objets dans son champ de vision déclenche des réactions
d’anticipation au plaisir ou au déplaisir qu’il s’attend à recevoir.
De plus, l’enfant n’a pas la notion du temps qui passe : il vit
dans un vide existentiel...
2. L’ ORALITÉ PASSIVE 15

Figure 2.1.

J’ai expliqué tout à l’heure que cette période est très incon-
fortable pour le bébé (morcellement, stress), même s’il fait
des risettes et « sourit aux anges ». Or, ce sont justement les
difficultés qui le poussent à trouver des solutions pour structurer
son MOI. C’est donc positif pour lui. Paradoxalement, ce sont
16 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

les problèmes qui vont le faire réagir, alors qu’un enfant trop
protégé par la mère se complaira dans une douce quiétude, ce
qui peut donner plus tard des ressentis d’infériorité quand il sera
face à des problèmes qu’il n’aura pas appris à gérer.
Pour résumer, la personnalité du bébé est au départ la réunion
de morceaux épars qui doivent se cimenter. Le MOI est justement
ce qui permet à ces morceaux de se maintenir unis. Je suis en
train de parler, bien évidemment, d’éléments psychologiques,
donc immatériels, d’une énergie : le MOI peut se définir comme
une énergie de liaison qui permet à la personnalité d’être
structurée et cohérente. Cette structure et cette cohérence ne
se mettent pas en place chez les enfants psychotiques. Mais
nous allons nous occuper seulement des enfants dont le MOI a
réussi à se former.
Une fois formé, le MOI est indestructible, sauf perturbation
très grave (bombardement, séisme, viol, etc.) : par exemple, on
a pu voir le MOI (le conscient) d’une personne éclater, c’est-
à-dire se déconnecter de la réalité. La personne n’avait plus la
conscience d’exister après avoir été coincée des heures, voire des
jours sous des gravats lors d’un séisme ou d’un bombardement.
Mais en dehors de ces cas extrêmes, une fois le MOI construit,
il est solide. Il peut toutefois y avoir des perturbations dans
cette magnifique énergie de liaison. On dit alors que le MOI est
faible : il est construit, mais de manière fragile, ce qui est le cas
quand les conditions de sa construction ont été difficiles (rejet
de la mère, difficultés pour elle de s’occuper correctement de
son enfant). Il reste dans ce cas chez le bébé des sentiments de
fragilité. C’est un peu comme si tous les morceaux étaient bel
et bien reliés mais enfermés dans un sac aux parois élastiques
donc déformables, ce qui ne permet pas au contenu de garder
une unité de forme : on pourrait craindre alors que ça se déchire
et que tout s’éparpille. Cette crainte, qui est ce qui définit le
mieux ces sentiments de fragilité, est totalement subjective.
Dans le cas où cette crainte, ces sentiments de fragilité sont
ressentis par l’enfant, cela produit une personnalité complète et
unie, mais avec des ressentis importants de fragilité, de peurs,
de dangers, de morcellement, etc. Tout cela génère une angoisse
2. L’ ORALITÉ PASSIVE 17

importante. On peut repérer cet état chez le bébé en étant à


l’écoute de certains signes :
• des pleurs constants. L’enfant à cette période n’a pas la
possibilité de se faire comprendre. Il n’a à sa disposition que
les pleurs. C’est donc normal qu’il pleure. Mais quand les
pleurs sont constants, cela montre qu’il y a un problème ;
• un refus de la nourriture ;
• des vomissements chroniques (hors pathologie diagnosti-
quée) ;
• un enfant trop sage. Autant il est normal qu’un enfant pleure
pour manifester ses besoins, autant un enfant trop sage doit
inquiéter. Dans les deux cas, c’est le trop qui, encore une fois,
montre qu’il y a problème ;
• du retard dans l’éveil de l’enfant, des balancements compul-
sifs, de l’eczéma, etc.
Sur le plan psychologique, pendant ces six premiers mois,
c’est avec la mère ou une mère de substitution que l’enfant
se construit. Le père interviendra plus tard. Cette période, si
elle se passe bien, c’est-à-dire si la relation avec la maman est
correcte, permet à l’enfant de construire son MOI. Quand je
parle de relation correcte, je veux dire que la maman aime son
enfant, qu’elle fait de son mieux pour s’en occuper. Elle ne sera
pas parfaite parce qu’une maman parfaite, qui comprend tous
les messages de son nouveau-né, qui est là quand il faut, qui
fait toujours ce qu’il faut au moment où il faut, ça n’existe pas.
Donc, elle fera de son mieux et c’est cela qui permet à son enfant
de sortir de son vide originel. Il mémorise tous les souvenirs
positifs, et ces souvenirs assurent la force du MOI et la solidité
de l’enveloppe.
Si par contre, cette période ne se passe pas très bien, les
souvenirs négatifs se traduiront par des doutes sur la solidité
du MOI et produiront un ressenti de faiblesse, de fragilité, qui
laissera des traces dans la vie adulte. On dira que l’adulte a
des « restes d’oralité passive », ce qui signifie que dans sa vie
d’adulte, il aura des comportements et des ressentis qui sont
ceux de l’enfant de cette période.
18 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

L’ ORALITÉ PASSIVE CHEZ L’ ADULTE

Vous vous demandez peut-être ce que cela peut donner,


concrètement : un adulte qui récupère des ressentis de nour-
risson... Qu’est-ce que ça veut dire ? Puisque cette période est si
importante, est-ce qu’il sera vraiment marqué par elle ? Est-ce
qu’il est condamné à rester pour toujours un enfant sans grandir,
quelque chose comme ça ? Sera-t-il « fixé », figé à ce stade ?
Pour ce qui est d’un adulte qui a gardé des ressentis du nour-
risson, je vais l’expliquer, vous comprendrez mieux ! Ensuite
oui, cette période est importante parce que la construction de
son individualité est primordiale, essentielle. Et non, il n’est pas
condamné à rester toujours avec cette fragilité s’il y en a une. À
partir du moment où le MOI est construit, rien n’est irréversible.
Il peut toujours, souvent en faisant une psychothérapie, faire
régresser ses peurs et ses ressentis négatifs en les comprenant, en
les dédramatisant et donc arriver à mieux vivre et à « grandir ».
Si l’enfant a bien vécu cette période, comme je viens de le
dire, l’adulte qu’il va devenir gardera les acquis constructifs
de ce stade, en l’occurrence, la construction de son MOI, de
son conscient. Par contre, pour un adulte fixé à ce stade (en
totalité ou partiellement puisque nous verrons plus tard que la
personnalité peut se scinder et se fixer à des stades ultérieurs
tout en gardant, partiellement, des fixations antérieures), la
peur subjective du retour au morcellement originel, donc de
l’éclatement de la personnalité, est présente en permanence.
Pour comprendre l’adulte, il faudra toujours, quel que soit
le stade dont je parlerai, se demander comment se comportait
l’enfant et de quoi il avait besoin. Ensuite seulement, vous
pourrez transposer chez l’adulte.
Alors justement, posez-vous la question : de quoi peut avoir
besoin un adulte oral passif ? Pensez au bébé et transposez.
Fermez les yeux pour ne pas lire la suite et imaginez.
***

Bon, voilà la réponse. L’oral passif, celui qui garde des ressen-
tis de cette période, recherche des ambiances calmes et douces,
2. L’ ORALITÉ PASSIVE 19

de la chaleur, du contact, des musiques douces et mélodiques,


des nourritures roboratives, plus liquides que solides, sucrées
et chaudes (des purées, des plats cuisinés roboratifs, des steaks
hachés, du fromage blanc, des laitages en général, des compotes,
des bonbons, etc.), beaucoup de sommeil, de repos, de détente.
C’est quelqu’un qui se fatigue vite. Le sommeil est un refuge
pour lui ! Il a besoin de stimulations, d’être touché, caressé.
L’alcool et la drogue (qui sont présents dans tous les stades) ont
ici un effet stimulant. Dans un premier temps, ils stimulent et
ensuite, ils apportent le sommeil, qui lui-même apporte l’oubli.
On peut ajouter que ce sont des personnes passives, qui ne
vont pas vers les autres. Elles attendent que les autres viennent
vers elles. Par exemple, elles auront des difficultés à téléphoner
aux amis ou à la famille. Elles attendront que les autres appellent,
ou les invitent, tout en râlant si elles ne le font pas. Elles peuvent
se positionner en victimes... La relation aux autres est vécue de
façon symbiotique. Quand l’adulte fixé à l’OP apprécie ou aime
quelqu’un, il essaie d’avoir une relation fusionnelle avec lui, et
peut même aller jusqu’à « pomper » l’énergie des partenaires
qui se prêtent au jeu. D’ailleurs, la relation sexuelle sera vécue
sur ce mode-là. Le plaisir est trouvé dans la symbiose de l’acte
sexuel.
En thérapie, une dame m’expliquait que quand elle avait un rapport
intime, ce qui était jouissif pour elle, c’était d’entourer et de serrer
très fort ses jambes autour de son partenaire, de façon à ce qu’il
ne puisse plus bouger et qu’ils ne fassent plus qu’un !

On trouvera chez l’adulte OP d’importantes facultés d’ab-


sorption et d’assimilation. Il a la capacité de synthétiser et
d’entasser tout un tas de connaissances, voire des diplômes, mais
a des difficultés à les utiliser. Il a le sentiment qu’il lui manque
toujours quelque chose pour pouvoir utiliser ces connaissances !
Il a la capacité d’enregistrer très vite, mais il peut oublier
aussi vite. Quelqu’un que je connais bien disait que son esprit
ressemblait à un hall de gare, parce que tout rentrait et sortait
avec la même intensité...
Les personnes qui gardent des ressentis OP peuvent être
très « pagailles » et laisser du désordre partout (ce qui est une
20 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

représentation du désordre ressenti à l’intérieur d’elles-mêmes) ;


ou au contraire, avoir un comportement rigide et très ordonné
pour combattre les effets du ressenti de chaos interne.
La relation à l’autorité se fait sur le mode de la soumission et
de la conformité. Il ne faut pas oublier que, psychologiquement,
l’adulte a les mêmes ressentis qu’un bébé dans les premiers mois
de sa vie : les autres sont perçus de fait, pour le bébé comme
pour cet adulte OP, comme dangereux. Ils détiennent le pouvoir.
Les adultes OP sont d’ailleurs de bons exécutants mais pas des
décideurs ! Il ne faut donc pas faire de vagues pour ne pas attirer
la colère des autres. L’adulte OP se place là encore souvent en
situation de victime : il se plaint beaucoup du comportement
des autres à son égard, mais sans jamais faire quoi que ce soit
pour faire évoluer ce qui ne lui convient pas. Le but recherché
consiste à se plaindre.
Comme je l’ai expliqué quand on a parlé du bébé au stade
Oral Passif, on voit que l’enfant vit dans un vide existentiel très
inconfortable et angoissant. Il faut aussi reporter ce ressenti à
l’adulte OP : on trouve, fixées à ce stade, des personnalités mor-
bides, quasi-suicidaires, pouvant se mettre en danger. On peut
les retrouver dans les sectes qui prônent la relation symbiotique,
la fusion, et la soumission au gourou... Ces personnalités sont
attirées par les sectes où elles sont prises en charge complète-
ment, certes de façon destructrice, mais les personnes n’y ont
aucune décision à prendre. On les prend pour elles.
Ce sont des gens passifs, contemplatifs, qui peuvent rester
des heures à ne rien faire, à rêver. Ils aiment que leur foyer
soit chaud, harmonieux, sécurisant comme un cocon, un nid, un
refuge, avec des lumières douces et tamisées.

Professionnellement
On va les retrouver dans tous les domaines où ils pourront
être des exécutants. Ce seront des généralistes plus que des
spécialistes, sauf dans des métiers qui touchent aux origines de
la vie et de l’Histoire tels que : archéologues, ethnologues, géné-
ticiens, théologiens... Leur intuition, et le fait qu’ils fusionnent
sans savoir mettre une frontière entre eux et les autres, les fait
2. L’ ORALITÉ PASSIVE 21

s’intéresser aussi à la voyance, à la parapsychologie : ils peuvent


être médiums, etc. On trouve chez eux, également, des artistes :
peintres, musiciens, écrivains...
Pour résumer : l’adulte OP est une personne angoissée, qui
a des ressentis de vide existentiel permanents, qui se sent
insécurisée, qui a besoin qu’on s’occupe d’elle et qu’on la
prenne en charge.

ATTENTION

Il est bien évident qu’on peut facilement se retrouver dans la


description que je viens de faire, soit dans un comportement, soit
dans un autre ! Cela ne veut pas forcément dire qu’on a une
personnalité OP. Pour pouvoir faire cette analyse, il faudrait que
l’on retrouve pratiquement tous les comportements décrits.

On me demande souvent comment on peut reconnaître et


identifier ce type de personnalité... Ce à quoi je réponds :
en les « écoutant ». À chaque stade d’évolution, en effet, on
emploie préférentiellement certains mots, mots qui peuvent être
également dans le vocabulaire de tout le monde à un moment
donné mais c’est la fréquence et surtout l’importance qui leur
est donnée qui montrera que ça correspond à tel ou tel stade
d’évolution enfantin. Il faut toujours se poser la même question :
qu’est-ce qui motive l’enfant ? Qu’est-ce qui est important pour
lui ? Quels mots emploie-t-il, adulte, pour exprimer la même
chose ?
Concrètement, les mots et les concepts que l’on retrouvera
dans le langage courant d’un adulte OP sont : construction (j’ai
besoin de me construire) – plaisir – caresses – massages – calme
– douceur – non-violence – chaleur – douillet – ambiance – unité
– oubli – mélodieux – passivité – sucre – seins – galbé – rondeur
– succion – excitant – élémentaire – sécurité – soumission –
laxisme – paresse – imaginaire – synthèse – symbiose – fusion
– absorption – vide – morcellement – univers – dilution –
irrationnel – apprentissage – indifférenciation – inexistence (je
n’existe pas) – anxiété – angoisse – négation – ennui – mort...
22 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

On m’a déjà dit : « morcellement » n’est pas un mot qu’on dit


couramment en parlant de soi. Vous croyez que c’est ça qu’ils
vont dire ? Oui, certaines personnes l’emploieront. Elles diront
qu’elles se sentent morcelées. D’autres pourront dire qu’elles
sont éparpillées, sans cohésion. Dans ce cas, si vous leur dites :
« vous vous sentez morcelée », elles vont « sauter » sur le mot ;
ça leur parle. Elles diront : « oui, c’est exactement ça ». Une
personne qui n’est pas concernée par l’OP ne comprendra pas ce
mot sur le plan psychologique. Vous comprenez, il y a des mots
qui touchent particulièrement quand on les emploie ou quand
on les entend.

Exercice
Pour que ce soit plus clair, je vous propose de vous mettre
dans la peau d’une personne ayant des restes importants d’OP
et de raconter un voyage comme cette personne le ferait. Vous
pourrez faire cet exercice au fur et à mesure que nous aborderons
chaque stade en vous mettant dans la peau d’une personne
concernée par le stade en question. Cela vous permettra de bien
mettre en évidence la différence de ressentis, de besoins et de
comportements. Je vous demanderai de choisir toujours la même
destination.
Quant à moi, j’ai choisi la Martinique et donc je me mets
dans la peau d’une personne OP. Je vous recommande de lire
mon voyage après avoir écrit le vôtre...
***

Me voilà « embarquée » par ma sœur pour aller passer une


semaine en Martinique. Il a fallu qu’elle bataille pour que je
l’accompagne. C’est tellement difficile de me faire quitter mon
nid... J’avais très peur de cette expérience. Mais enfin, je me
suis décidée pour lui faire plaisir.
Quelle merveille cette île ! Je m’y suis sentie tout de suite
bien. Il y fait chaud, une chaleur humide. Les premiers jours,
j’étais absorbée par cette chaleur qui me maintenait dans une
douce torpeur. C’était difficile de bouger, j’avais envie de dormir.
Ensuite, j’ai pu aller plus facilement à la plage lézarder en
2. L’ ORALITÉ PASSIVE 23

plein soleil, caressée par les alizés. Je contemplais pendant des


heures ces eaux bleu turquoise magnifiques, la plage de sable
blanc si doux sous mes pieds et si chaud aussi et puis, comble
du bonheur, je me suis trempée avec délice dans ces eaux si
chaudes, je me suis laissée porter par elles en faisant la planche
et en regardant ce ciel si clair, si limpide où se promenaient
quelques nuages qui ressemblaient à de la chantilly. Ce que
j’ai beaucoup aimé également, ce sont ces petites collines que
l’on appelle des mornes et qui sont toutes rondes. Moi j’aurais
appelé ça des mamelons. Le soir, je sirotais des ti’punchs. Ça
me grisait, c’était bon, j’oubliais tout, je n’avais plus peur. J’ai
beaucoup aimé les fruits pleins de sucre, les patates douces en
gratin ou en purée, les ignames, les bananes...
Je pense que c’est un endroit où je pourrais vivre. Cette île
entourée d’eau m’attire et m’effraie en même temps car il y
a les tempêtes et les ouragans qui peuvent être si méchants.
Mais sinon, cette vie calme, nonchalante, cette symbiose avec
la nature, le soleil, me conviendraient tout à fait.

Vous verrez par la suite que le même voyage sera vécu


différemment en fonction du stade auquel la personne sera
fixée. Est-ce que cela vous parle davantage ? Est-ce que cela
vous permet de prendre conscience de l’importance des mots
employés ?
Chapitre 3

L’oralité active

N OTRE pitchoun a maintenant entre 6/8 mois et 2 ans pour ce


nouveau stade : l’oralité active. Active parce que contrai-
rement au stade précédent, l’enfant acquiert une autonomie
corporelle. Il passe d’un état passif et impuissant à un état actif.
Mais auparavant, encore un peu de théorie. Courage !
Freud a développé une théorie qu’il a baptisée l’étayage des
pulsions. Il en a développé une autre plus tard pour enrichir cette
dernière. J’en parlerai plus loin. Je commence par l’étayage
des pulsions. Dès la formation de son MOI, l’enfant accélère
le rythme de ses acquisitions jusqu’à atteindre ce qui sera sa
personnalité. Pour cela, comme je l’ai dit précédemment, il
traverse différents stades que Freud lie à une pulsion libidinale.
Le plaisir ressenti à la satisfaction de chacune de ces pulsions
permet à l’enfant de mémoriser les acquis positifs de chaque
stade et ainsi, de stade en stade, de superposer ces acquis pour
compléter sa personnalité. Ces pulsions sont les suivantes :
• La première, nous venons d’en parler, c’est la pulsion orale
passive. Pendant cette étape, le bébé doit sortir de son néant
26 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

originel pour arriver à la conscience. Il est totalement égo-


centré. La zone érotisée, toujours d’après Sigmund, c’est la
bouche et aussi le carrefour aéro-digestif.
• La deuxième est la pulsion orale active. Cette période permet
à l’enfant d’établir une première relation consciente, avec sa
mère qu’il a maintenant la possibilité d’identifier. La relation
se fait toujours sur le mode égocentré. C’est soi par rapport à
soi. La zone érotisée, c’est la peau.
• La troisième est la pulsion anale expulsive. L’enfant découvre
le monde extérieur à travers ses limites et ses possibilités. Son
champ de relation s’agrandit vers le père, la famille, la fratrie
en une relation toujours égocentrée. La zone érotisée est ici le
muscle.
• La quatrième est la pulsion anale rétentive. L’enfant découvre
le monde social. C’est à cette période que se met en place le
SURMOI avec ses règles et ses normes. L’enfant apprend la
vie en groupe. Là, la relation change : elle se fait sur le mode
« soi par rapport aux autres ». Autrement dit, la comparaison,
l’évaluation par rapport aux autres seront importantes. La zone
érotisée, ce sont ici l’anus et l’intestin.
• La cinquième, enfin, est la pulsion phallique : l’enfant
découvre l’utilité des sexes, des statuts et des rôles attachés
à son sexe. La relation se fera sur le mode de soi avec les
autres. C’est l’échange : le partenariat l’emporte dans cette
phase. Bien évidemment, la zone érotisée, ce sont les organes
sexuels.
Voilà pour la théorie : comme vous pouvez le constater, à
chaque étape, l’enfant rajoute un ou plusieurs acquis. Autrement
dit, il rajoute des « couches » positives mais il peut aussi rajouter
des « couches » de problèmes !
Sur un plan physiologique, la myélinisation du système ner-
veux lui permet d’ordonner à ses muscles d’agir selon sa volonté.
Il est petit à petit capable de coordonner ses mouvements. Il peut
attraper des objets, les tenir et se tenir debout. Vient ensuite la
phase où il se déplace, d’abord à quatre pattes, sur les fesses
ou de toute autre façon avant de faire ses premiers pas. Ce
moment est un événement pour toute la famille et souvent
3. L’ ORALITÉ ACTIVE 27

un soulagement pour le dos de ses pauvres parents... Le fait


de passer d’un état passif à un état actif lui fait aussi perdre
ses rondeurs de bébé : il s’affine. L’enfant reste toutefois très
dépendant. Ce n’est pas parce qu’il a maintenant la possibilité
de se déplacer et de se faire mieux comprendre qu’il a atteint
la maturité physique. Il n’est toujours pas capable d’assurer sa
survie en cherchant des nourritures matérielles. Il ne contrôle
pas encore ses sphincters. Il n’est donc toujours pas fini...

L’ ORALITÉ ACTIVE CHEZ L’ ENFANT


Sur un plan psychologique, vers 6/8 mois, c’est le moment
de la séparation avec la mère. C’est un moment difficile et
angoissant pour l’enfant dont les forces sont encore très fragiles.
Cette source d’anxiété peut être la cause de poussées d’eczéma
qu’on a souvent tendance à attribuer à la sortie des premières
dents. En réalité, l’eczéma montre le degré d’anxiété ressenti
par l’enfant face à cette nouvelle étape qui l’amène de la
relation symbiotique avec la mère à un état d’indépendance.
Hors pathologie, la mère, elle, vit bien cette période car elle est
heureuse et fière de voir son bébé sortir de la phase biberons,
changes, sommeil. On entend souvent dire : « maintenant, il
devient intéressant ».
Le désir de l’enfant, au fur et à mesure qu’il avance dans ce
stade oral actif, sera de prendre des forces et devenir comme
les grands. Mais justement ces grands « sont drôlement grands
et lui, il est très petit ». Ils sont tellement impressionnants,
ces adultes ! S’ils crient, ça fait très peur ! D’autant que les
ressentis angoissants de non-existence, ceux du stade antérieur,
sont encore très proches. Vous comprenez que tout ça amène des
ressentis d’infériorité objective, cette fois. Il doit se soumettre
face à ces adultes. Il dépend encore trop d’eux.
Connaissez-vous la différence entre l’indépendance et l’au-
tonomie ? Pour comprendre cette différence, on peut faire le
parallèle avec le scaphandrier. Le scaphandrier indépendant est
celui qui plonge mais reste relié au bateau par un tuyau, alors
que le scaphandrier autonome, lui, porte ses bouteilles sur le
28 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

dos. Il est donc libre d’aller où il veut dans la mesure où il tient


compte de sa réserve d’oxygène. Donc notre petit oral actif est
indépendant puisqu’il a un fil à la patte qui le relie à sa mère !
Un autre acquis constructif de ce stade, c’est la découverte du
lien affectif qui se met en place d’abord avec la mère. Comme
on l’a vu, c’est l’Amour qui est à la base de la construction de
l’enfant. Maintenant qu’il a la conscience d’exister et qu’il sait
identifier les personnes qui l’entourent, il apprend à tester la
solidité de ce lien qu’il découvre. Et d’abord avec sa mère. Pour
ça, il fait des expériences, des essais de séduction, de câlins, de
bouderies, de caprices et il vérifie anxieusement comment la
maman réagit face à ces différents comportements. Il recherche
des preuves d’amour. Ça lui permet de mémoriser les conduites
qui fonctionnent et celles qui sont sans effet, voire qui peuvent
se révéler dangereuses si la maman se met en colère.
Il se constitue un petit catalogue : « quand maman crie, si je lui
fais un grand sourire, elle ne crie plus et elle rit » ou « si je veux
un gâteau, je lui fais un gros câlin et je l’obtiens » ou encore « si
maman parle à quelqu’un, je pleure pour attirer son attention et
elle s’occupe de moi »... donc elle m’aime ! Ouf ! À l’inverse, si ces
attitudes ne fonctionnent pas, il en déduit qu’il n’intéresse pas sa
maman et donc... vous voyez ce que je veux dire.

Ce sont des exemples que je décris de façon intellectuelle.


Il faut bien comprendre que ce n’est pas en ces termes-là que
l’enfant le vit. Tout est vécu sous forme sensitive et émotion-
nelle, sans le raisonnement intellectuel qu’il n’est pas capable,
à cet âge, de mettre en œuvre. D’ailleurs, tout au long de mes
explications, je vais décrire les ressentis de l’enfant de cette
façon-là puisqu’il n’est pas possible de décrire des émotions
sans les mots. Mais l’enfant, lui, ne raisonne pas : il vit et ressent
les événements sous une forme émotionnelle et... subjective !
L’enfant teste donc la solidité du lien et quand ce stade se
passe bien, ce qu’il en retiendra de façon constructive, c’est
que le lien affectif existe, qu’il mérite d’être aimé, qu’il est
intéressant sur le plan affectif.
Seulement voilà, ce n’est pas toujours aussi simple. Pendant
cette période qui dure environ un an et demi, il peut se passer
3. L’ ORALITÉ ACTIVE 29

tout un tas de choses qui peuvent perturber et angoisser l’enfant.


Il peut se trouver confronté à des situations qu’il ne saura
pas gérer. Donc deux solutions : soit, et même si la situation
est difficile pour lui, après un moment de panique, le MOI
arrive à trouver une solution et tout rentre dans l’ordre ; soit
c’est impossible, l’angoisse est trop forte et là, l’enfant a à sa
disposition un mécanisme de défense qui s’appelle la névrose.
La névrose ne peut se mettre en place que si le MOI est formé.
Vous vous souvenez qu’un MOI non construit entraîne un état
psychotique ?
Donc, je reprends : notre bambin est face à une situation
objective ou subjective qui génère chez lui une très forte
angoisse. Le MOI ne peut ou ne sait pas répondre à la demande
du ÇA. Panique à bord. Cette angoisse est insupportable pour
l’enfant : la solution qu’il va trouver consiste à isoler ce
problème, à le mettre de côté et à faire comme s’il n’existait
plus. La demande du ÇA se dilue derrière cet isolant : l’angoisse
n’est plus ressentie consciemment et la souffrance disparaît
mais la question qui a provoqué l’angoisse reste. On dit qu’il
enkyste le problème. Vous pouvez constater que, dans un
premier temps, la névrose est un mécanisme de défense utile :
elle permet à l’enfant de faire taire l’angoisse qui l’habite. Cela
ne devient gênant que plus tard. Pourquoi ?
L’enfant a trouvé une solution pour leurrer le ÇA mais la
réponse n’a pas été trouvée. L’enkystement de la question restée
sans réponse provoque un arrêt du développement psycholo-
gique de notre bambin dans le domaine concerné. Cela s’appelle
une fixation. Une partie de la personnalité reste en arrière et
les pulsions partielles qu’il devrait acquérir dans les stades
suivants se feront sur un mode déformé et incomplet. Cela
s’expliquera mieux quand on donnera plus tard un nom aux
différentes névroses en fonction du stade où elles interviennent.
Ce sera plus concret.
En attendant, ce qui se passe en plus de cet arrêt psycho-
logique, c’est que l’isolant n’a pas une étanchéité totale. Petit
à petit, une sourde angoisse revient titiller le MOI sans qu’il
puisse la rattacher à une origine précise. Il ne comprendra pas
ce qui se passe. Il se met donc à essayer de répondre à la
30 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

question originelle qui a suscité l’angoisse, en recherchant, de


façon inconsciente, des situations qui ressemblent à celle du
départ. Pour cela, l’enfant puis l’adulte qu’il devient recréent
symboliquement le même genre de situation pour tenter de
répondre à une question qui n’existe plus. Mais c’est mission
impossible ! L’enfant et l’adulte tournent toujours de la même
façon. C’est ce qu’on appelle les cercles névrotiques. C’est la
raison pour laquelle on a souvent la sensation de se mettre
toujours dans le même genre « d’embrouilles », de ne pas
avoir de chance, qu’il nous arrive toujours les mêmes galères...
L’entourage aussi voit bien que la personne se met toujours
dans les mêmes histoires et il arrive qu’il le lui fasse remarquer :
« Mais tu ne vois pas que tu te mets toujours dans les mêmes
difficultés ? Arrête ! » La personne alors explique par A+B que
ce n’est pas de sa faute et justifie en toute bonne foi tout ce qui
lui arrive par tout un tas de raisons aussi fausses les unes que les
autres.
Voici comment ça fonctionne : une suite de conduites, de
ressentis, amène la personne d’un point de départ à un point
d’arrivée qui sera le même que le point de départ en passant par
différentes étapes, qui seront toujours les mêmes (figure 3.1).

Figure 3.1.

La première phase correspond à la phase de souffrance. Il


s’est passé un événement qui réveille chez la personne une
3. L’ ORALITÉ ACTIVE 31

émotion insupportable. Vous vous demandez peut-être si c’est la


même que celle que l’enfant a ressentie et qu’il a « enkystée »,
isolée ? Oui, mais l’événement sera évidemment très différent.
Suite à cet événement, cette souffrance peut se présenter sous
différentes formes. Ce peut être un mal-être, une angoisse, une
dépression, voire une somatisation. Cette étape peut durer un
certain temps. Ça peut aller de quelques heures à des jours ou
des mois.
Après cette phase de souffrance intense, vient le moment où
la personne se ressaisit, trouve des justifications à ses problèmes,
prend de bonnes résolutions et se dit que finalement ça va
s’arranger. La phase d’espoir apparaît et la souffrance disparaît.
La personne met en œuvre des conduites « apparemment adap-
tées », ce qui l’amène à la troisième phase qui est le bien-être,
la plénitude, le bonheur. Tout va bien. La crise est passée et elle
pense sincèrement que cette fois-ci, elle a compris, qu’on ne l’y
reprendra plus. Cette phase a également une durée variable. Mais
comme le mécanisme de la névrose est de ramener l’individu à
son point de départ, s’enclenche alors une phase de « doutes sur
le résultat obtenu ». C’est le temps des « oui..., mais... ».
À partir de là, des conduites visant à gommer le doute sont
mises en place : la conséquence, c’est que la personne en fait
trop, attire l’attention sur elle de façon exagérée, ce qui l’amène
à casser l’édifice construit. C’est alors le retour à la case départ...
et à la souffrance.
Une fois la névrose mise en place, elle est refoulée à la
frontière conscient/inconscient. Vous vous souvenez, sur mon
dessin de l’entonnoir retourné, les pointillés que j’avais dessi-
nés ? Adulte, au cours d’un travail d’introspection, les causes
originelles de la névrose peuvent être retrouvées à ce niveau-là.
Voilà comment nous tournons tous ! Il ne faut pas se leurrer :
il serait utopique de penser que pendant tout le développement
psychologique, aucun problème, aucune angoisse ne vient titiller
l’enfant. Ce n’est jamais le cas : à un moment donné, tous
autant que nous sommes, nous avons recours à ce mécanisme
de défense qui est la névrose. Il arrive également que l’enfant
ait recours plusieurs fois à la névrose pour se protéger dans
un premier temps, ce qui hélas donnera lieu à plusieurs cercles
32 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

névrotiques qui auront un nom différent en fonction de l’époque


où ils se seront mis en place. L’adulte, ensuite, aura plus
d’occasions de se compliquer la vie : il aura le droit de faire
plusieurs tours de manège, et d’attraper la queue du Mickey !
Après cette parenthèse, revenons à notre enfant OA. J’ai expli-
qué quels acquis constructifs il allait retirer de cette période si
elle se passe bien. Nous allons voir maintenant, quels problèmes
il peut rencontrer qui seront à l’origine de l’instauration de la
névrose. Encore une fois, mettez-vous dans la peau d’un enfant
de cet âge et pensez à ce qui est important pour lui. Êtes-vous
inspiré ?
***

Ce qui est problématique pour l’enfant, à ce stade, c’est tout


ce qui touche au lien affectif. Ce lien qu’il découvre et qui
est si important pour lui, eh bien devinez... : il a peur de le
perdre. La névrose qui correspond à ce stade est la névrose
d’abandon. L’enfant a peur d’être abandonné et de revenir au
néant des premiers mois de sa vie. Le lien, l’amour, l’intérêt que
lui porte sa maman sont vitaux pour lui. S’il se sent abandonné
(il peut l’être objectivement ou subjectivement), il en trouvera,
inconsciemment (puisque, comme vous le savez, il ne raisonne
pas intellectuellement), la cause en lui. Ce sera parce qu’il n’est
pas intéressant, qu’il ne mérite pas l’attention et l’amour, qu’il
est repoussant. Il se sentira vide, inférieur, coupable, inexistant,
sans valeur. Ce n’est vraiment pas facile pour ce petit bout de
chou qu’il est encore, et ce sera même impossible à supporter :
il enkystera donc tout ça. Il fera en sorte de fuir ces ressentis
de retour à la non-vie. Dans un premier temps, il ressentira un
soulagement émotionnel. Mais la névrose sera installée.

Signes alarmants

Il deviendra geignard, collant, tyrannique, réclamant toute


l’attention de sa maman qui, agacée, le grondera, voire le
punira... ce qui le confortera dans son ressenti qu’il ne mérite
pas d’être aimé et qu’il ne peut qu’être abandonné...
3. L’ ORALITÉ ACTIVE 33

Toutefois, pas d’affolement ! Ce n’est pas parce que pendant


une courte période, un enfant présente ces signes qu’obligatoi-
rement ça veut dire : névrose. Il peut arriver qu’un enfant, sans
qu’il y ait eu problème particulier, ne soit pas en forme et soit
plus grognon que d’habitude. Ce qui doit éveiller l’attention des
parents, c’est si ce comportement perdure.

Causes de l’abandon
Objectivement d’abord, il peut y avoir abandon de la mère.
Une mère qui quitte le foyer dans cette période-là, ce sera vécu
par l’enfant comme tel. C’est pareil pour le décès de la maman,
ou lorsqu’un enfant est maltraité ou battu. Voilà pour les causes
objectives.
Ensuite, il y a évidemment plusieurs causes subjectives qui
pourront amener l’enfant vers le ressenti d’abandon :
• la naissance d’un autre enfant avant qu’il atteigne ses 2 ans
environ. Là, ce n’est vraiment pas cool. Vous vous rendez
compte, un jour sa maman part dans une clinique et quand il
la revoit, elle est avec une espèce de machin tout petit. On lui
dit que c’est son petit frère ou sa petite sœur et on lui demande
d’être gentil avec ce bébé. Il ne faut pas trop le toucher ; il
faut le regarder téter sa maman ou prendre le biberon ; toute la
famille vient le voir. Sa maman n’est plus là de la même façon
pour lui et quelqu’un a pris sa place. Bonjour l’angoisse...
Face à ça, si la maman reste présente pour son aîné et si le
MOI de l’enfant trouve une solution, pas de problème : tout
rentre dans l’ordre. Par contre, si aucune solution n’est trouvée
pour apaiser la panique, c’est l’angoisse...
• la mise à la crèche, par exemple, ou lorsqu’on confie l’enfant
à une nounou, aux grands-parents ; ou encore un enfant qu’on
laisse en vacances dans la famille...
• un fort sentiment de solitude dans des situations d’inconfort
physique ou lors de l’absence momentanée de la maman partie
faire des courses par exemple : il faut comprendre que pour
les adultes que nous sommes, ça peut paraître anodin, mais
que pour un jeune enfant, ce genre de situations peut devenir
insupportable parce que ça se passe à un moment où il n’est
34 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

pas bien, où il a besoin du réconfort maternel, d’être rassuré,


d’être câliné. Si la maman est absente, même pour une courte
durée, dans ces moments-là, pour lui c’est... la mort. Vous
pensez peut-être : « elle y va fort » mais il ne faut pas oublier
que pour que ça arrive, il faut que l’enfant soit déjà fragilisé
et insécurisé. Ce n’est pas systématique.
On peut également constater qu’un changement de compor-
tement de la mère peut amener des ressentis d’abandon : il
arrive quelquefois que des mamans s’intéressent uniquement
aux nourrissons. Une fois que l’enfant grandit, il perd de l’intérêt
pour elle. Des soucis dans la vie de la maman peuvent la stresser
et la rendre moins disponible et patiente avec son enfant. Une
relation symbiotique trop longue (enfant trop couvé) aura les
mêmes effets.
En règle générale, un ressenti subjectif de manque d’amour
provoque l’angoisse.
J’ai l’anecdote d’un petit garçon qui avait juste 2 ans quand son
petit frère est né. C’était en août. Malgré les avertissements d’une
personne de sa famille, à la rentrée scolaire, la maman, fatiguée par
cette naissance, décide de mettre son « grand » à l’école. C’était
une école de campagne où ils acceptaient les enfants très jeunes.
L’enfant a dû ressentir ça comme un abandon, la maman préférant
son petit frère à lui : il a sans doute ressenti également qu’elle
se débarrassait de lui. Après les pleurs, les gros sanglots qui sont
restés sans effet, il a somatisé de façon assez grave et la mère a dû
le retirer de l’école pendant toute l’année. Je vous rassure, il a été
très vite soigné et le problème physique a été résolu rapidement.
Heureusement pour lui, la directrice de l’école a demandé à la mère
de le garder. Malgré ça, le choc a été tellement violent pour cet
enfant qu’une névrose d’abandon a été diagnostiquée, d’autant que
l’enfant, qui jusque-là était adorable, est devenu collant et capricieux
et que la maman ne trouvait rien de mieux que de lui dire dans ces
moments-là : « si tu n’es pas sage, je vais te mettre à l’école ! »...

L’ ORALITÉ ACTIVE CHEZ L’ ADULTE


Dans ses relations affectives, il se comportera comme un
enfant qui a entre 6/8 mois et 2 ans environ ! Le but pour lui
3. L’ ORALITÉ ACTIVE 35

sera de créer des liens affectifs... pour abandonner ou se faire


abandonner (figure 3.2). Allez on tourne...

Figure 3.2.

L’abandon chez l’adulte sera ressenti avec toutes les per-


sonnes avec qui il aura créé un lien affectif. Ce pourra être
amoureux, amical, familial. La personne aura même tendance
à mettre de l’affectif là où il ne devrait pas y en avoir, par
exemple dans les relations professionnelles ! Et elle se sentira
abandonnée, donc angoissée, si l’ambiance avec ses collègues
n’est pas comme elle le souhaiterait... Allons-y pour le manège.
1- Phase de souffrance : abandon. Voilà : il se passe un
événement insupportable pour l’abandonnique. Ce peut être une
rupture amoureuse ou amicale, ou une dispute, des relations
houleuses avec sa mère, ses frères ou sœurs, la famille en
général... Face à cet événement, elle se sent vide, inexistante,
seule, oubliée. Elle justifie ces sentiments par le fait qu’elle
est inférieure, coupable de telle ou telle chose (elle a plein de
ressources pour trouver des causes), qu’elle n’a pas de valeur.
Si c’est dans le domaine amoureux, elle trouvera souvent la
cause dans son physique (elle ou il est gros(se), maigre, n’est
pas belle ou beau, ne mérite pas d’être aimé(e)...). Si c’est dans
le domaine amical, l’abandonnique se trouve inintéressante si
ses amis ne l’ont pas appelée pour sortir, ou si sa meilleure amie
36 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

est allée au cinéma avec quelqu’un d’autre qu’elle... Cette phase


pourra être plus ou moins longue et douloureuse.
2- Phase d’espoir : après avoir cru comprendre pourquoi il
lui est arrivé ce problème, la personne elle prend de bonnes
résolutions et l’espoir revient. Elle est de nouveau gentille,
souriante, agréable, séductrice et reprend contact avec les autres,
crée ou recrée des liens affectifs. Après une rupture amoureuse,
elle déploiera tous ses atouts et ses charmes pour séduire un
partenaire. Si ça fait suite à une dispute, elle redevient câline,
se fait pardonner (elle saura très bien le faire) et sera également
dans la séduction.
3- Phase de plénitude : son dynamisme, sa spontanéité, sa
gentillesse font que l’on ne peut lui résister. Le contact, le lien
seront renoués ou noués et tout va bien. C’est le bonheur. C’est
le bonheur tranquille. La personne se sent aimée et aime, se
montre attentionnée (tout en restant quand même égocentrée,
n’oubliez pas : affectivement, elle a entre 1 et 2 ans), bref elle est
charmante, sans souci. Ça baigne... et ça peut durer, d’ailleurs
cette fois-ci, ça va durer c’est sûr...
4- Phase de doute : seulement voilà, justement ça ne peut
pas durer puisque le but est de revenir à la case départ pour
comprendre pourquoi elle a été « abandonnée, enfant ». Com-
mencent alors les « tu m’aimes ? » Dans un premier temps, le
ou la partenaire répond gentiment et dit « oui, je t’aime très
fort » par exemple. C’est bien, ça rassure... cinq minutes ! Puis
le doute revient et la demande se fait plus pressante. Après
le « tu m’aimes ? » peut venir « prouve-le : depuis quelque
temps, je te trouve plus distant, moins attentionné, tu ne m’offres
plus de fleurs, tu es moins câlin, tu as changé ». Face à cette
situation, le ou la partenaire explique que non, elle se fait des
idées, qu’elle l’aime toujours autant mais que quelquefois il
ou elle peut être fatigué(e), etc. Une fois le grain de sable
installé dans la machine, plus rien ne fonctionne correctement :
la personne abandonnique devient insistante et au bout de la
cinquantième demande de preuves d’amour, le partenaire en a
ras-le-bol, montre de l’agacement et là... patatras ! Elle a enfin
la preuve qu’effectivement, il ne l’aime plus de la même façon.
Horreur !
3. L’ ORALITÉ ACTIVE 37

5- Phase de renforcement des doutes : face à ce constat,


il faut trouver les raisons, justifier le désamour. La phase de
suspicion, de jalousie, et pour certaines même de harcèlement
commence. Lors d’un stage, au moment où j’expliquais le méca-
nisme de la névrose d’abandon, une stagiaire s’est reconnue
dans ce fonctionnement en disant : « Oh là là ! c’est de moi
que tu parles ! » Et elle se met à nous raconter avec beaucoup
d’humour, non sans trace d’émotion, que dans ces périodes-là
elle fouillait les poches de son mari, le pistait à la sortie de
son travail puis le suivait pour savoir ce qu’il allait faire... Une
autre stagiaire a surenchéri en lui disant : « Ah oui, tu faisais
ça toi ? Moi je n’allais pas jusque-là mais qu’est-ce que j’ai pu
l’enquiquiner en lui pourrissant toutes les soirées entre amis !
Il n’avait pas intérêt à parler trop longtemps avec une nana :
je pouvais lui faire des scènes terribles devant tout le monde. »
Dans tous les stages, où il y a une majorité de femmes, ce
genre de description fait toujours réagir, soit dans les souvenirs
humoristiques, soit dans la gêne de se reconnaître.
6- La dernière phase : la rupture. Après toutes ces péri-
péties, arrive la certitude d’échec. On ne l’aime plus, c’est sûr.
Plusieurs solutions s’offrent à elle. Soit la méga scène de ménage
qui l’amène à se sentir abandonnée et donc à revenir à l’état de
souffrance initial, soit carrément la rupture : soit le partenaire
prend la poudre d’escampette parce qu’il n’en peut plus, soit
c’est l’abandonnique elle-même qui décide de rompre le lien.
Dans tous les cas, le but recherché, vous l’avez compris, c’est
que le lien affectif soit rompu pour retrouver la souffrance et
peut-être par-là savoir pourquoi maman l’a abandonnée. Mais,
bien évidemment, la réponse ne sera jamais trouvée.
7- Retour à la case départ : souffrance.
Ce cercle, tel que je l’ai décrit, peut effectivement se mettre
en place sur le plan amoureux, mais on peut aussi faire la même
chose avec un ou une amie, un enfant, un parent, un collègue.
Seules les attentes sont différentes.
38 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

Les centres d’intérêt


Comme pour l’OP, nous allons maintenant aborder les centres
d’intérêt de ces personnes : ce qui les intéresse et les fait vivre !
Depuis le stade précédent, la personnalité en se construisant
s’est également spécialisée. En ce sens, elle a abandonné des
centres d’intérêt élémentaires comme manger ou dormir pour
s’intéresser maintenant au lien affectif. Du stade antérieur,
l’adulte aura tout de même gardé, mais sans que cela soit des
centres d’intérêt exclusifs, la recherche d’un certain confort,
d’ambiance, de chaleur et d’intimité... Il rajoute maintenant la
notion de lien affectif. En état non pathologique, il saura utiliser
ses outils, antérieurement acquis, pour établir un lien affectif
satisfaisant et durable, gage d’une vie de couple harmonieuse.
Les centres d’intérêt, les concepts et les ressentis découverts
au stade oral actif seront donc le lien affectif bien sûr, la séduc-
tion, le contact actif, la curiosité, la recherche, la spontanéité,
la gentillesse, l’enthousiasme, la prédisposition au bonheur
simple, le toucher, la caresse, la sensibilité cutanée, un intérêt
particulier pour tout être vivant humain ou animal bébé, petit,
faible, abandonné, mais aussi... des impressions d’infériorité et
d’incomplétude.
Sur le plan relationnel, ce qui va l’intéresser ce sont les
relations duelles, elle n’aime pas les grands groupes. Elle se
sent plus à l’aise avec deux ou trois personnes, pas plus. Elle
aura plusieurs ami(e)s qu’elle préférera voir séparément.

Professionnellement
On retrouvera les abandonniques plutôt dans des situations
où le contact et le lien sont privilégiés : puériculture, travailleurs
sociaux, psychologues, psychothérapeutes, formateurs, ensei-
gnants, profession de la réception et du tourisme, esthétique,
commerce, etc.

Sexuellement
La relation est vécue sur un mode encore fusionnel mais
qui dépasse ici la simple fusion corporelle (celle qu’affectionne
3. L’ ORALITÉ ACTIVE 39

l’oral passif) pour se déplacer vers la fusion affective et senti-


mentale. La sexualité s’épanouit avec la force et la plénitude du
lien. Affectif et sexuel sont ici intimement liés.

Mots et concepts

En fait, les mots attachés à l’expression de ce stade sortent


d’un sens général passif pour aller vers l’extériorisation et la
dynamique affective : lien – contact – relation – amour – séduc-
tion – curiosité – découverte – amour/cadeau – indépendance
– faiblesse – enrichissement – avenir – partenaire – amis –
réception – fête à deux – actif – ouverture – élan – affection
– gaîté – gentillesse – abandon – versatile – sympathie – éveil
– spontané – doute – rupture – j’ai envie – bonbon – gâteaux –
chocolat – impulsif – caprice – superficiel – enfantin – plaisir
Mais s’ajoutent à ces mots les mots de l’oralité passive
tels que : chaleur, sensibilité, nourriture, harmonie, intuition,
intimité, sommeil, refuge, oubli, nid, etc.

Exercice
Allez en route, comme pour l’OP, faites le test du voyage
en vous mettant dans la peau d’une personne OA pour vous
imprégner de leur ressenti.
***

C’est bon. Vous avez été inspiré par ce stade ? Alors vous
allez pouvoir vérifier en lisant mon voyage en Martinique.

Oh ! Que je suis contente. Pour notre anniversaire de mariage


mon mari m’a fait la surprise de m’offrir un voyage en Mar-
tinique. Il m’a dit que ce serait le voyage de noces qu’on
n’a pas pu faire. Quel amour ! Quel beau cadeau ! Pour le
remercier, je vais faire en sorte que ce voyage soit notre plus
beau souvenir. Je vais être très gentille, très attentionnée et
surtout très amoureuse...
40 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

Le voyage a été long. Enfermés pendant des heures dans cet


avion, très peu pour moi. J’ai horreur de l’avion. J’étais telle-
ment angoissée que je n’ai pas arrêté de manger du chocolat et
des gâteaux. Résultat ? J’ai été malade. En plus, moi qui ai des
crises de spasmophilie, j’ai bien cru que ça allait se déclencher.
Heureusement, mon petit mari était là. Il m’a cajolée, rassurée,
il m’a prise dans ses bras et je me suis endormie.
Enfin, nous sommes arrivés. En sortant de l’avion, la chaleur
était étouffante mais on s’est très vite habitué, surtout moi. Notre
chambre d’hôtel était ravissante, un vrai petit nid d’amoureux
au milieu de la nature. J’étais toute excitée à l’idée du mer-
veilleux séjour que nous allions faire. J’ai fait plein de bisous à
mon mari mais lui m’a dit qu’il vaudrait mieux commencer par
défaire les valises. Quel rabat-joie ! J’ai un peu boudé, puis je
me suis rappelée mes bonnes résolutions, alors je lui ai dit « je
t’aime » et il m’a souri. Ouf !
Nos vacances ont enfin commencé. J’avais envie de tout voir,
moi qui suis si curieuse de tout. J’avais envie de savoir comment
vivent les gens dans leurs maisons, avec leur famille. C’est si
différent de nous. Il fait toujours soleil et chaud. Ils vivent tout le
temps dehors. C’est méga cool, moi qui ne supporte pas d’être
enfermée. J’ai regretté de ne connaître personne pour vivre à
leur contact. Mais dans ce cas, je n’aurais pas pu être seule
avec mon mari pour faire nos gros câlins, nos petits repas aux
chandelles en écoutant de la musique de l’île. J’aurais quand
même bien aimé avoir les deux. Oh ! j’allais oublier. On a pris
un bain de minuit sous les étoiles. C’était super. L’eau était
chaude. Et je ne vous dis pas la suite sur le sable sous les
cocotiers... Quel plaisir, quelle merveille ce séjour. J’ai réussi à
en faire un merveilleux souvenir. On ne s’est pas disputé, tout
a été parfait. Il ne m’a manqué que mon petit caniche nain
« Caramel. »

Vous voyez la différence entre les deux récits de voyages, la


différence dans les ressentis et les centres d’intérêt ?
Chapitre 4

L’analité expulsive

N OTRE enfant a maintenant environ 2 ans et la période qu’on


examinera ici s’étale jusqu’à ses 3 ans et demi. Sur le plan
physiologique, le corps a atteint sa complétude, l’ensemble de
son système est innervé et l’enfant est capable de contrôler ses
mouvements, y compris l’usage de ses sphincters.
C’est la période où la naissance intellectuelle se fait avec
une extrême rapidité. On peut comparer l’enfant à un ordina-
teur dont la mémoire serait vierge et ne demande qu’à être
remplie. C’est l’acquisition du langage, rudimentaire au début,
et rapidement maîtrisé, qui nous montre à quelle vitesse et
avec quelle efficacité l’enfant apprend : d’ailleurs, pendant cette
période, il est facile de lui apprendre plusieurs langues. L’enfant
enregistre à une vitesse phénoménale et sans effort : ce sera bien
différent ensuite pour l’ado ou l’adulte qui eux devront « ramer »
davantage pour arriver au même résultat.
L’esprit de l’enfant fonctionne d’une manière différente de
celle de l’adulte : la pensée de l’enfant est imagée mais concrète,
42 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

irrationnelle, illimitée et permissive. Celle de l’adulte par contre


est intellectuelle et abstraite, logique, encadrée et assujettie à des
règles. Chez l’enfant, cette absence de freins et le fonctionne-
ment spécifique de la pensée enfantine font que les acquisitions
se font sur un mode global et synthétique. Il ne passe pas par le
détail et ne « coupe pas les cheveux en 4 », comme peuvent le
faire les adultes. Il n’est pas non plus soumis au SURMOI dont
j’ai parlé tout à l’heure et donc les règles et les normes ne le
gênent pas dans sa façon de percevoir les événements. Il est
encore, à cette période, totalement égocentré.
Cette pensée irrationnelle et magique et l’absence de freins,
de règles et de tabous lui donnent rapidement l’impression
qu’agir c’est comme être. Il se compare aux adultes. Il devient
un petit « singe » qui mime le comportement des parents. Il se
sent omnipotent. Il lui semble que rien ne peut l’arrêter, que son
champ d’expérience est illimité.

L’ ANALITÉ EXPULSIVE CHEZ L’ ENFANT


C’est sur le plan psychologique que cette période marque le
plus de changement chez l’enfant. On a vu que, jusqu’à présent,
notre bambin était totalement dépendant d’abord, puis dépen-
dant du lien affectif ensuite. Maintenant, comme le scaphandrier,
il reste dépendant mais il peut bouger. Et bouger, je vous garantis
qu’il va le faire... Il part à la découverte du monde extérieur. Il
cherche à dépasser le cadre de son environnement habituel et
connu.
On dit également qu’à cet âge l’enfant n’a pas conscience du
danger. C’est une idée reçue. C’est vrai que c’est le moment où
il grimpe partout, touche à tout, met les doigts dans les prises : il
faut, sans arrêt, être derrière lui pour savoir ce qu’il va pouvoir
encore inventer.
Un petit garçon avait environ 2 ans et demi. C’était l’été, les volets
de sa chambre étaient comme on dit « mis au crochet » et la fenêtre
était ouverte. Sa maman rentre dans la chambre et là... horreur !
Le petit garçon était monté sur le rebord de la fenêtre et avait réussi
à s’asseoir. Le cerveau de la mère s’est mis en ébullition. Elle s’est
4. L’ ANALITÉ EXPULSIVE 43

dit : si je crie, il risque d’avoir peur et de tomber. Elle s’est donc


avancée vers lui en souriant et lui-même souriait en la regardant
arriver. Dès qu’elle a pu l’attraper sans risque, elle l’a grondé et
même lui a donné une petite tape sur les fesses tant sa peur a été
grande.

Au vu de cet exemple, on peut me dire : « Vous trouvez qu’il


n’a pas peur du danger ? Que c’est une idée reçue ? »
C’est une idée reçue parce qu’en réalité, l’enfant a conscience
du danger et qu’il est soumis à des peurs de destruction encore
proches. C’est pour cela que l’enfant va au-devant du danger. Il
cherche à savoir jusqu’où il peut « aller trop loin ». S’il se brûle,
se cogne, se blesse, cela lui montre les limites physiques à ne pas
dépasser (celles du monde matériel dans lequel il évolue) même
si – et parce que – cela s’accompagne d’une souffrance physique
et également cela lui montre les limites qui sont inhérentes à
ses propres forces et qui, elles, sont subjectives. Ces limites
subjectives représentent ses possibilités. Il va associer très vite
possibilités personnelles et limites objectives, ce qui lui donnera
un sentiment nouveau : le sentiment de sa valeur personnelle.
Sur le plan relationnel, ce n’est plus seulement maman
qui sera importante pour lui. D’autres personnes auront une
incidence sur son développement psychologique : PAPA, enfin
(et quand même... !), puis les autres membres de la famille :
les frères et sœurs, les grands-parents, les oncles et tantes...
enfin toutes les personnes qui représentent le cercle familial
affectif. On peut inclure aussi les amis de la famille, toutes les
personnes qui ont une relation affective avec les parents. Le
cercle s’agrandit. Ce n’est plus seulement cette pauvre maman
qui, sur le plan du développement psychologique, porte tout sur
ses épaules.
Avec toutes ces personnes, il cherche les limites. Avec les
objets, pareil. Il se rend vite compte de ce qu’il peut faire avec
telle ou telle personne, tel ou tel objet. Il comprend vite jusqu’où
il peut aller avec chaque membre de la famille, chaque objet.
Pour en arriver à cette conscience, il aura d’abord recherché
les limites avec chacun, avec toute chose. Il se montre insolent,
agressif mais, comme pour le danger, ce sera une apparence.
Quand il se sera fait gronder ou qu’il aura été puni, il aura trouvé
44 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

la limite à ne pas franchir. Ce sera pareil pour les objets ou les


jouets. C’est le moment où il les jette pour tenter de les casser.
Premier avantage, connaître la solidité de l’objet et cerise sur le
gâteau, tester la limite des parents. Vous n’avez pas remarqué
que, quand on dit à un enfant : « ne jette pas ton jouet, tu vas
le casser », c’est le moment où il vous regarde bien en face et
recommence... De cette manière, il se constitue là aussi un petit
catalogue.
Vous pensez peut-être qu’on ne se souvient pas de ce cata-
logue ?
Détrompez-vous, il en reste toujours quelque chose mais
on ne s’en rend pas forcément compte. Autre acquis de ce
stade, la recherche du pouvoir. Je m’explique. N’ouvrez pas
vos yeux en grand. Ce n’est pas forcément un futur homme
politique, cet enfant ! Simplement, lorsqu’il pousse ses parents
à bout et qu’il déclenche leur colère, il a pris le pouvoir sur ces
adultes apparemment si « forts ». Pour lui, cette découverte est
importante. Il voit l’adulte avec d’autres yeux que ceux de la
dépendance et de la fragilité ressenties jusqu’alors. Il se rend
compte qu’ils peuvent être tour à tour forts, faibles, pleins de
doutes, en colère. Ce qui l’amène à découvrir une autre notion :
la manipulation. !
C’est au moment où il découvre cette nouvelle notion de
manipulation qu’il vit une expérience importante : l’apprentis-
sage de la propreté. LE POT ! Il se rend compte que les parents
attachent une grande importance à cet objet. Certainement par
hasard, la première fois, l’enfant fait effectivement ses besoins
dans le pot et non pas dans la couche. Et là ! Émerveillement :
« ça y est, il est propre, c’est génial, il a fait caca au pot ! » On lui
fait un bisou, on lui dit que c’est bien, on le dit à papi et mamie,
toute la famille est au courant. C’est un événement. L’enfant
interprète que ce qui sort de lui, c’est bien, ça a l’air d’être un
cadeau ! Et ce cadeau, il l’offre à tous (surtout au moment des
repas) et encore plus s’il y a des personnes invitées. C’est le
moment qu’il choisit pour leur montrer cette merveille... ce qui
entraînera quelquefois chez certains parents de la gêne, voire de
la colère. Oups ! incompréhension...
4. L’ ANALITÉ EXPULSIVE 45

Quelle ne va pas être ensuite sa surprise quand, après quelques


semaines, les parents montreront moins d’intérêt, auront l’air de
trouver ça normal et lui demanderont même de jeter son cadeau
dans les toilettes et de tirer la chasse. Horreur ! On ne sait même
pas où ça va ! Cruelle désillusion. Si son sentiment de valeur,
antérieurement à cette expérience, a été acquis de façon correcte,
s’il se sent aimé par ses parents, s’il n’y a pas de problème de
lien affectif, il ne s’en offusquera pas trop. Par contre, s’il y a
déficience à ce niveau-là, ou si l’attitude des parents face à cette
éducation est outrancière ou obsessionnelle, ce sera pour lui une
certitude supplémentaire qui lui montrera que ce qu’il est et ce
qui est à l’intérieur de lui n’ont aucune valeur...
C’est aussi le moment où il se pose tout un tas de questions.
Les « pourquoi » sont permanents et quelquefois agaçants à
la fin de la journée pour les parents ! Mais l’enfant a besoin
de repères pour continuer sa construction psychologique et
donc combler le sentiment de vide et d’inexistence qu’il ressent
encore au début de ce stade. Les réponses aux questions qu’il se
pose vont les lui donner. Il faut tout de même faire la différence
entre les questions qu’il pose pour attirer et monopoliser l’atten-
tion des parents et les questions existentielles qui le taraudent.
Pour ce qui est des premières, elles n’ont que peu d’importance
même s’il vaut mieux éviter les réponses du type « va demander
à maman » ou « je ne sais pas ». Parce que j’ai oublié de dire
que c’est le rôle des parents de répondre mais surtout (enfin !)
celui du père. Je dis enfin parce que, jusque-là, la relation
psychologique ne se faisait qu’avec la mère (ce qui ne veut
pas dire qu’affectivement le père n’avait pas d’importance, loin
de là). On parle de relation avec la mère au niveau des acquis
constructifs ou des problèmes rencontrés qui, dans la toute petite
enfance, se font avec elle. Ce n’est donc qu’au stade AE que
le rôle du père est important sur le plan psychologique. Pour
ce qui est des questions plus profondes du style : quelle est ma
valeur ? Qu’y a-t-il à l’intérieur de moi ? Est-ce qu’on m’aime ?
Qui sont les gens qui m’entourent ? Quel est leur rôle ? Quel est
leur pouvoir ?
Je vous entends vous dire : « mais ça ne va pas, un enfant
de cet âge ne se pose pas ce genre de questions ! » Bien
46 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

évidemment que non, du moins pas consciemment et pas de


la façon dont je le dis. Ce sont des besoins et des ressentis
inconscients de compréhension. Mais en ce qui me concerne, je
suis bien obligée de dire cela avec des mots d’adulte, des mots
intellectuels alors que l’enfant fonctionne sur le mode sensitif
comme je l’ai déjà dit.
Pour les parents donc, répondre à ce second type de ques-
tions, les existentielles, ça veut dire s’intéresser à l’enfant,
lui montrer par l’exemple : qu’est-ce que c’est un papa, une
maman, comment ça fonctionne. C’est l’exemple au quotidien
qui répond à ses questions et par là travaille sur le plan de son
éveil psychologique, du développement de son intelligence et
de sa personnalité. Il ne suffit donc pas seulement d’expliquer
le fonctionnement des objets matériels, même si ça peut être
également une attitude formatrice.
Il y a une notion, un mot qui caractérise vraiment bien ce
stade. L’enfant découvre le monde extérieur. Il est sans cesse
curieux, actif, en mouvement (trop quelquefois...). MOUVE-
MENT est donc bien le maître mot de ce stade :
• le mouvement physique : courir, sauter, escalader, tomber, se
relever, explorer, grimper, casser, jeter, s’échapper ;
• le mouvement intellectuel : poser des questions, réclamer,
agresser, exiger, dire des mots grossiers ;
• le mouvement affectif : s’assurer que l’on plaît, que l’on est
aimé, faire l’intéressant, bouder, manipuler, laisser exploser
sa joie, être attentif à l’autre...
C’est un stade vivant et remuant. Il vit, le mouvement c’est la
vie et justement, je disais que jusque-là, l’enfant était anxieux :
maintenant cette anxiété fait place à l’inquiétude. Là encore,
peut-être que vous vous demandez quelle est la différence entre
les deux. J’aimerais d’ailleurs que vous vous posiez la question
parce que je veux vous donner la réponse !
Donc je réponds : l’anxiété est une angoisse dont la cause
est diffuse et permanente sans qu’un événement particulier la
déclenche, alors que l’inquiétude, elle, porte sur des événements
ou des états d’esprit précis, de durée variable mais limitée et
4. L’ ANALITÉ EXPULSIVE 47

dont la cause est identifiée. À ce stade, l’enfant s’inquiète sur


son sentiment de valeur, ses possibilités et ses limites.
En résumé, les acquis constructifs sont :
• la découverte du milieu extérieur, dans une expansion sans
limites ;
• la découverte de ses possibilités et de ses limites physiques
(danger, objets, parents...) ;
• l’apprentissage de la propreté (le pot) ;
• la réponse aux questions qui lui donnent des repères et donc
font reculer les sentiments de vide, de flou et d’inexistence et
tout ça lui donne son sentiment de valeur personnelle.
Comme vous le voyez, le stade AE est le stade du mouvement.
Si tout se passe correctement, cette notion est internalisée, c’est-
à-dire que l’enfant et ensuite l’adulte n’auront pas toujours à la
conscience le besoin de bouger. Ils bougeront quand il le faudra
mais sauront également rester calmes. Par contre, si ça se passe
mal et on va voir comment et pourquoi, le mouvement ne sera
plus un moyen mais deviendra un but. Le but du névrosé AE
sera de bouger en permanence. Pourquoi ?
Pour se sentir vivre. D’ailleurs, j’ai dit tout à l’heure que
Freud avait développé deux théories : j’ai parlé de l’étayage des
pulsions. Il a appelé la seconde théorie la « pulsion de vie et la
pulsion de mort ». Au fil du temps, il a accordé à cette théorie
plus d’importance qu’à la première.
Pour Freud, la vie n’est qu’une parenthèse entre deux états
de mort : l’avant-vie et l’après-vie. Pour lui, l’état normal d’un
individu, celui qui représente la plus grande durée, c’est donc
la mort et l’inconscience. Ce que nous appelons la vie ne serait
autre qu’une péripétie dont nous nous rendons compte parce que
nous la vivons à l’état de conscience. Cela ne vous rappelle rien ?
Mais si ! Le ÇA et le MOI, l’inconscient et le conscient. Super,
je ne parle pas pour rien... La pulsion de mort, Freud l’a appelée
THANATOS. Opposée à cette pulsion, il en existerait une autre :
la pulsion de vie que Freud a appelée ÉROS et qui, combattant
du mieux qu’elle le peut la pulsion de mort, trouverait pendant
un laps de temps relativement court suffisamment de forces pour
48 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

amener l’être à la vie et l’y maintenir jusqu’à ce que, ses forces


déclinant, elle doive de nouveau céder le pas à la pulsion de
mort, perdant ainsi sa dernière bataille et renvoyant l’être dans
son néant. La vie ne serait rien d’autre qu’un éternel combat
entre ÉROS et THANATOS.
On le sait : ÉROS est le Dieu de l’Amour. C’est donc l’amour
qui serait ce plus qui permet à la vie d’apparaître et de se
maintenir. On retrouve là le mécanisme de formation du MOI qui
trouve sa cohérence et son unité grâce à l’énergie de liaison que
l’amour de la mère (et les attitudes qui en découlent) lui a permis
de construire. La pulsion de vie est LA pulsion fondamentale
qui sous-tend toute existence.
Vous comprenez donc que Le mouvement, c’est la vie et
le sentiment de la valeur personnelle ! Une personne AE sera
en permanence en mouvement grâce à la pulsion de vie. Ne
plus bouger représentera pour elle la non-vie, autrement dit la
mort, d’où une forte angoisse face à l’immobilité. On parle
alors de pathologie du mouvement. D’après vous, pour qu’il
y ait problème à ce stade pour l’enfant, qu’est-ce qui peut se
passer ? On a vu qu’à l’oralité passive, la problématique était
la non-formation du MOI et à l’oralité active, des difficultés à
construire le lien affectif avec la mère. Et à l’analité expulsive,
qu’est-ce qui est central ? Vous donnez votre langue au chat ?

Causes de la névrose
Pour qu’il y ait problème chez l’enfant, et donc instauration
de la névrose afin qu’il puisse se protéger de l’angoisse, il faut
que plusieurs conditions soient réunies :
• tout d’abord que l’enfant ne puisse pas acquérir son sentiment
de valeur personnelle en découvrant ses possibilités et ses
limites physiques, parce qu’il y a trop ou pas assez de limites
en effet ;
• il peut aussi y avoir des difficultés dans l’apprentissage de la
propreté, souvent lié au sentiment de valeur ;
• un manque de bons repères, en raison du manque de réponses
aux questions existentielles qu’il se pose ;
4. L’ ANALITÉ EXPULSIVE 49

• enfin une configuration parentale particulière.

Ses possibilités et ses limites, vous avez compris. L’appren-


tissage de la propreté qui peut avoir une incidence sur son
sentiment de valeur, aussi. Quant aux questions auxquelles
doivent répondre les parents par le rôle qu’ils jouent entre
eux et avec l’enfant, j’espère que c’est clair ! Par contre, par
configuration parentale particulière, je veux dire : une mère
insatisfaite dans sa vie de couple, un père silencieux et un enfant
utilisé par l’un ou l’autre pour régler des comptes.
Par père silencieux, il faut entendre un père qui ne remplit pas
son rôle formateur en restant sourd aux questions existentielles,
en ne montrant pas à l’enfant quel est le rôle d’un homme et
d’un père. Il pourra être présent physiquement mais psycholo-
giquement absent, présent en pointillé mais trop occupé ou peu
soucieux de s’intéresser à l’enfant ; ou encore, il s’en occupe,
mais maladroitement. Il peut être également physiquement
absent (divorce, décès ou abandon du foyer). Dans ce dernier
cas, l’enfant sera face à une carence objective. Il lui manquera
le repère de ce qu’est un père, sur son rôle en tant que mari ou
sur sa place dans le foyer et sur sa consistance d’homme. Car
les réponses aux questions sont autant de repères et de jalons
constructifs et identificatoires.
Un mari qui acceptera sans s’affirmer la dévalorisation continuelle
de sa femme dans son rôle masculin sera un père silencieux sur
les questions que se pose l’enfant quant à l’image de l’homme. Le
repère recherché ne sera pas fourni et à la place, il n’y aura que du
vide et du flou... donc des sentiments d’incomplétude et d’angoisse.
Le silence laisse du vide.
Ensuite par mère insatisfaite, on peut entendre une femme critique,
une femme dévalorisante, geignarde, qui se plaint tout le temps,
victime, méprisante, pleurnicharde, insatisfaite dans sa vie de
couple, qui peut s’en plaindre devant l’enfant, qui peut le prendre
à témoin. Par exemple : « Ouh là là, encore une fois ton père n’a
pas fait ceci ou cela, on ne peut pas compter sur lui, c’est toujours
pareil avec lui, il n’est pas là quand on a besoin de lui, il est encore
en retard, il me laisse seule tout le temps, je suis malheureuse »
etc.
Même si elle se cache de l’enfant, il ne faut pas oublier qu’à cet âge,
il n’est que sensibilité, il a des antennes et ressent les choses même
50 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

s’il ne les voit pas. Il n’est pas dupe, il fonctionne sur l’émotion, le
ressenti et a la possibilité de contourner l’écran de la construction
logique ou de l’entente de façade. Il sera conditionné au mépris
ou à la pitié pour ce père présenté comme faible, incapable,
insatisfaisant.

Dans un premier temps, l’enfant sera abusé par le discours


conditionnant de la mère et y adhère : toutes ces conditions étant
réunies, l’angoisse étant trop forte, il n’aura d’autre possibilité
que d’avoir recours à la névrose pour se protéger. Freud l’a
appelée la névrose hystérique. Non, ne croyez pas que c’est une
insulte... !

L’ ANALITÉ EXPULSIVE CHEZ L’ ADULTE


C’est vrai que ce nom a une connotation péjorative dans le
langage populaire. Quand on traite quelqu’un d’hystérique, ce
n’est jamais valorisant, ni gentil je vous l’accorde. À l’origine,
l’homme (car bien sûr ce sont les hommes qui lui ont donné ce
nom) a affublé cette névrose d’un nom dérivant de l’anatomie
sexuelle féminine. Fantasme masculin qui décrivait la migration
physiquement réelle de l’utérus montant au cerveau et qui de
ce fait, ne pouvait être qu’une maladie de femme. Faisons un
peu d’histoire : les affaires de sorcières, il y en a eu surtout
pendant une période de l’Histoire que les hommes appellent
la « Renaissance ». Il y avait, dans des couvents, de véritables
« épidémies » de « possession » par le diable : des femmes
vivant en communauté « attrapaient » toutes la même diablerie
en même temps. Et on devait alors les purger collectivement de
cette maladie, terriblement impressionnante pour ceux qui en
étaient les témoins : les « sorcières » contaminées n’étaient pas
belles à voir, apparemment, mais effrayaient les hommes avec
leurs attitudes lascives, agressives, provocatrices.
Plus proche de nous, le machisme de Charcot a permis à l’hys-
térie d’adopter une autre expression, à l’issue moins radicale
mais à la forme tout aussi spectaculaire (Charcot photographiait
ses « patientes », dehors, pour que l’image soit meilleure) : la
grande crise de type épileptique se préparait par l’apparition de
4. L’ ANALITÉ EXPULSIVE 51

certains symptômes tels que l’humeur cyclothymique, l’irritabi-


lité, les attitudes infantiles, la survenance de la boule d’angoisse,
la perte d’appétit, des nausées et vomissements, des mictions,
une grande fatigue, des tremblements, des contractures, des
fourmillements, des anesthésies partielles ou au contraire des
hyper-sensibilités. Elle se poursuivait par une tétanisation géné-
rale, puis par des contorsions, une crise de fureur, puis encore
par des attitudes mystiques, lubriques, théâtrales accompagnées
de délire verbal. Elle se terminait par des sécrétions urinaires,
salivaires et vaginales importantes.
On la mettait en scène d’ailleurs, comme un spectacle : le
film Augustine, d’Alice Winocour (Fr., 2012), montre bien cet
aspect du travail de Charcot, en 1885.
Quand je raconte ça en stage, j’ai souvent (pour ne pas dire
toujours) des réactions assez vives. Du dégoût ou au contraire
une difficulté à entendre cette description du comportement de
la femme. Ça ne laisse jamais indifférent ! Il est évident que de
nos jours, l’hystérie ne se manifeste plus de la même façon. Elle
a évolué et suit les modes. Il faut dire que la personne fixée à
l’AE ayant une névrose hystérique est très influençable. Pour
le comprendre, repensez à l’enfant de 2 à 3 ans et demi. Il est
facile pour elle de suivre les modes et de répondre à l’attente du
milieu dans lequel elle vit. Je dis « elle » parce que, comme je
l’ai dit l’hystérie est soi-disant féminine. Mais, non non non, ce
n’est pas une névrose uniquement féminine. J’expliquerai tout à
l’heure qu’il y a évidemment des hommes fixés à ce stade avec
cette problématique. Quoi qu’il en soit, la mode aujourd’hui
n’est plus à ces grandes manifestations publiques. L’hystérie
s’est faite plus discrète et se réserve surtout le champ de bataille
du couple, de l’entreprise ou des relations sociales.
Pour comprendre comment fonctionne l’adulte hystérique, il
faut se souvenir que l’enfant AE a un imaginaire débridé. En
plus, c’est grâce à son corps (dont il découvre la maîtrise) qu’il
peut explorer son environnement. L’hystérique adulte a gardé
ces deux caractéristiques : un esprit imaginatif fonctionnant sur
l’impression, le fantasme, l’intuition, associé à un langage cor-
porel traduisant ses ressentis et son état affectif ou émotionnel
de même que la nécessité de bouger pour sentir la vie en lui.
52 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

Il est loin du langage intellectuel et abstrait. L’adulte aussi se


sert du corps. Les manifestations sont largement atténuées mais
on retrouve : des états d’agitation ou de colère, des crises de
nerfs, des syncopes, des sudations profuses, des nausées, des
faiblesses, des troubles neuro-végétatifs, des fourmillements,
des somatisations sans cause physique ou physiologique. À
ce stade-là, quand une personne est soumise à une situation
difficile, quand elle se trouve coincée, dans l’incapacité de se
faire comprendre, elle utilise son corps pour faire passer un
message.
J’ai l’exemple d’une personne qui est venue avec son mari et ses
deux enfants vivre dans la région. Elle ne connaissait personne,
son mari travaillait toute la journée et elle s’est retrouvée toute
seule loin de sa famille et ses amis. Les premiers mois se sont
passés normalement. L’installation dans une nouvelle maison et
la nouveauté étaient positives, donc elle l’a bien vécu. Quelques
mois plus tard, son mari a dû faire face à une charge de travail
plus importante et a dû travailler tard le soir, pour ne pas dire
très tard. Elle ne le voyait pratiquement plus. Elle a commencé à
avoir des symptômes bizarres. Elle s’est plainte : son champ de
vision diminuait ; elle y voyait moins bien... Comme cette personne
avait eu quelques années auparavant des problèmes au cerveau,
ces symptômes ont été pris très au sérieux par le corps médical.
Elle a dû faire une batterie d’examens qui n’ont rien donné. Ils ne
trouvaient rien. Des examens plus approfondis ont été effectués.
Toujours rien. Le mari était extrêmement inquiet : sa femme lui
avait dit qu’elle allait perdre rapidement la vue. Elle avait pris des
dispositions pour toute la famille pour le moment où ça arriverait.
L’entourage était profondément peiné pour ce jeune couple qui allait
devoir affronter une épreuve aussi dure avec deux enfants en bas
âge. Le mari dégageait du temps dans son travail pour accompa-
gner sa femme à l’hôpital. Les mois ont passé : heureusement, rien
ne se produisit. Le mari a eu plusieurs anicroches avec le corps
médical, qui semblait moins présent auprès de sa femme. Comme
j’avais compris ce qui se passait et que souvent il se confiait à moi,
j’ai essayé de lui dire que peut-être sa femme n’allait pas perdre
la vue, mais que ces symptômes étaient la démonstration de son
malaise et de sa solitude et que peut-être, il serait bien d’essayer
de comprendre le message. Effectivement et de façon inconsciente,
bien évidemment, cette jeune femme disait à son mari : « Je ne vais
pas bien du tout, je suis trop seule, j’en peux plus de ne plus te voir,
occupe-toi de moi. » C’était ce qu’on appelle la cécité hystérique
4. L’ ANALITÉ EXPULSIVE 53

ou rupture de contact dont le but inconscient est d’attirer l’attention


sur soi, pour maintenir le contact qu’on craint de voir s’arrêter !

Dans le même genre, on peut également rencontrer la « sur-


dité hystérique ». Elle empêche d’entendre telle ou telle per-
sonne ou tel ou tel message. Elle met l’entourage à rude
épreuve en obligeant l’autre à répéter, à trouver d’autres voies
de communication. À l’inverse, l’hyper sensibilité acoustique
oblige l’entourage à baisser la voix. L’hystérique se désigne
alors comme la victime d’une agression permanente.
La toux hystérique, quant à elle, peut se déclencher en tous
lieux, souvent très malencontreusement : concerts, spectacles,
obsèques, tous les endroits qui demandent du silence. Racle-
ments de gorge récurrents, toux incoercibles, tics : le but est
d’empêcher l’autre d’entendre ou s’empêcher soi-même de
s’exprimer en introduisant un parasite vocal dans la relation
(enrouement chronique par exemple). Là aussi, le message est à
comprendre parce qu’il n’y a aucune cause physiologique. Vous
pouvez faire tous les examens possibles et imaginables, on ne
trouve rien. Alors là, les médecins font souvent le diagnostic qui
« tue » : « c’est dans la tête ». Pour quelqu’un qui est réellement
en souffrance, allez lui dire que c’est dans la tête ! Cela ne fait
que renforcer le problème. Certaines personnes vont même en
rajouter pour qu’on s’occupe enfin d’elles. Le problème, c’est
que ce n’est pas par cette voie que cela se résout. En désespoir
de cause, ces personnes trouvent toujours une nouvelle façon
d’exprimer leurs « maux ».
Et dans ce cas, l’expression ou l’imagerie populaire sont
un vrai réservoir de messages pour l’hystérique. On pourrait
trouver par exemple des personnes qui disent (et qui ressentent) :
« J’en ai plein le dos » (courbatures, dorsalgies, contractures) ;
« je ne peux pas le sentir » (rhume chronique, sinusite, perte
de l’odorat) ; « les bras m’en tombent » (paralysies, anesthé-
sies) ; « il me casse les pieds » (blocage articulaire, irritation
des nerfs, des tendons ou des muscles, crampes, contracture
pouvant entraîner des fractures) ; « je me sens bloqué dans cette
situation » (sciatique, lumbago, torticolis, crampes) ; « mon
54 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

partenaire m’étouffe » (emphysème, suffocations, apnées noc-


turnes, essoufflements) ; « C’est écœurant » (vomissements,
nausées, haut le cœur) ; « je ne me sens pas exister » (syncopes,
hypo tension...) ; « je me sens insécurisé » (attaques de panique,
dérèglements du métabolisme...), etc.
Quoi dire d’autre ? On peut remarquer des troubles de la
mémoire qui se manifestent par des amnésies sélectives portant
sur un fait précis ou une tranche de vie. Des faux souvenirs
sont parfois fabriqués pour remplacer ceux qui sont couverts
par l’amnésie. Il peut y avoir aussi des vertiges d’origine non
neurologique. Cela montre des insécurités à la station debout
et à la marche avec risque de tomber. Ça peut vouloir dire :
« regardez, je suis en insécurité (peut-être seule ou mal entou-
rée) ; il faut que je m’accroche, que je me tienne à quelque chose
ou à quelqu’un sinon je vais tomber. Aidez-moi, écoutez-moi,
regardez mon désarroi... »
On me demande souvent : est-ce que ces personnes sont
VRAIMENT malades ? Vous avez bien insisté : le diagnostic qui
assène « c’est dans la tête » est inadéquat, et inefficace. Alors ?
Qu’est-ce que c’est, ces douleurs, ces maladies ? Je réponds : ce
sont de fausses maladies qui ont l’apparence des vraies mais qui
n’ont de vrai que les symptômes. Le but étant de faire passer
un message soit à la personne même (son corps lui demande
de modifier un comportement ou de trouver une solution), soit
aux personnes de son entourage pour obtenir leur aide. Tant
que le message ne sera pas compris et pris en considération, il
s’ensuivra une suite de « fausses maladies » qui apparaîtront et
disparaîtront sans qu’on sache pourquoi.
Les manifestations peuvent être quelquefois alarmantes mais
sans gravité. Le souci est que la personne hystérique, même
si elle n’est pas réellement malade, souffre physiquement et
psychologiquement : d’une part elle croit sincèrement être
malade et d’autre part, la souffrance peut venir également de la
réaction de l’entourage et/ou du corps médical qui ne la prend
plus au sérieux et peut dire : « c’est rien, c’est dans la tête, c’est
les nerfs ». Ces propos-là agacent et restent incompréhensibles
pour la personne qui a mal !
4. L’ ANALITÉ EXPULSIVE 55

ATTENTION

Il faut faire la différence avec ce qu’on appelle une somatisation.


On appelle ces manifestations « symptômes hystériques » ou
« de conversion ». Alors que la maladie psychosomatique est
une véritable affection physique déclenchée par une cause psy-
chologique. On pourra faire tous les examens que l’on veut à
une personne qui présente des symptômes de conversion, on ne
trouvera rien. À l’inverse, un individu qui somatise sera réellement
malade, même si c’est une cause psychologique qui a déclenché
la maladie. C’est pourquoi, dans ce cas, il faut d’abord soigner la
maladie et parallèlement ou après s’occuper des causes. D’abord,
on va voir le médecin. ON SOIGNE. On essaie de comprendre le
pourquoi après. Compris ?

Autre chose : l’homme hystérique cherche à plaire à tout prix


et à tout le monde, il est comédien. Il est théâtral et excessif. Il
a besoin d’un public. Et comme tout bon comédien, il peut
changer de rôle : il s’adapte au désir de son public. Il peut
donc être perçu comme versatile par l’entourage. Bonjour la
fatigue ! On peut dire de lui qu’il n’a pas de suite dans les idées,
qu’il n’est pas constant ni en amour, ni en amitié. Ce sont des
jugements qui portent sur l’apparence. Ce n’est pas le reflet de
la réalité.
Il sait être par exemple et tour à tour : vif, animé, dramatique,
victime outragée, colérique, se calme aussitôt, pas du tout rancu-
nier, exigeant, boudeur, acide, piquant. Avec son partenaire, la
relation sera orageuse, alternant séduction/rejet, etc. L’homme
recherchera la femme/mère avec laquelle il pourra se montrer
bébé, capricieux, autoritaire, pleurnichard, douillet, vantard,
menteur, perdu, inconsolable, fier et démonstratif, admiratif,
méprisant, chaleureux, dépendant, protecteur, manipulateur,
généreux, exigeant, exhibitionniste, méchant, adorable... Incons-
cient des dégâts affectifs qu’il occasionne par sa versatilité et son
manque de profondeur et de persévérance en tout mais tellement-
attachant-qu’on-ne-peut-pas-lui-en-vouloir... jusqu’à ce que, à
bout de patience, on laisse tomber.
La femme, elle, recherchera l’homme/père fort, protecteur, et
sûr de lui (du moins en apparence) avec lequel elle entretiendra
56 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

un jeu ambivalent de soumission admirative/agression domina-


trice, signe d’une lutte en elle-même qui l’entraîne à se conduire
comme si elle voulait éliminer un homme dont, au fond, elle
ne peut pas se passer, un homme souffre-douleur et protecteur,
un père toujours à séduire, toujours à détruire. Séductrice,
enjôleuse, mettant en avant ses atouts physiques et sexuels,
boudeuse, gamine, femme-enfant, capricieuse, versatile, exi-
geante, rouée, manipulatrice, compliquée ou tellement-simple-
et-naturelle, gentille, attentionnée, démonstrative, excessive,
soupe-au-lait, exaspérante, admirative, dévalorisante... Mais
tellement attachante-qu’on-ne-peut-que-lui-pardonner... ou la
fuir.
Ouf, ça fait beaucoup et ça peut paraître excessif tout ça mais
il faut se remettre dans la peau d’un enfant d’environ 2 à 3 ans
et demi. C’est comme ça qu’il fonctionne ! Et bien comme je
l’ai déjà dit, on reporte ces comportements sur l’adulte fixé à
ce stade-là et on a ce résultat. Cette description est valable pour
une personne hystérique, donc fixée au stade anal expulsif.
Il ne faut pas oublier que l’enfant a manqué de repères, de
limites, de sentiment de valeur et qu’il a dû mobiliser la pulsion
de vie sans pouvoir l’internaliser. C’est donc cette pulsion de vie
qui l’oblige à bouger en permanence et à tenter de faire bouger
les autres, qui lui fait refuser la routine synonyme de mort et
d’immobilité. Sans son public, l’hystérique s’éteint, est en état
de manque et est prêt à s’accrocher à la première personne venue
pour ne pas être seul. Cela le rend suggestible et naïf, toujours
en recherche d’idéal, de perfection, de solutions magiques
auxquelles il croit en raison de son imaginaire enfantin.
J’ai souvent entendu qu’on pouvait les traiter de pervers.
Attention ! Il ne faut pas confondre perversion et perversité.
La perversion est un état limite entre névrose et psychose. Dans
la construction psychologique du pervers, un objet partiel n’a
pas été intégré. C’est le sexe féminin. Cette non-intégration
s’accompagne d’un surinvestissement du phallus. Le surmoi est
construit dans tous les domaines sauf un : la sexualité dans
sa fonction et la représentation féminine. Ce sont des êtres
dangereux qui ne ressentent aucune culpabilité touchant à ce
domaine-là. S’ils commettent des actes odieux comme un viol
4. L’ ANALITÉ EXPULSIVE 57

ou pire un assassinat, ils n’ont aucune émotion ni bonne, ni


mauvaise et peuvent se montrer froids, sans remords. La surprise
des voisins ou de l’entourage est totale. Souvent ils disent que
« c’était quelqu’un sans histoire jusqu’au jour où »... un stimulus,
parfois très anodin, le pousse à commettre des actes immoraux
et sadiques.
Alors que la perversité de la personne hystérique consiste à
agresser verbalement, déstabiliser, manipuler, intriguer, mani-
gancer. Il faut faire bouger, animer. Donc elle utilise ces outils-là
pour que « Thanatos » ne la rattrape pas. Vous voyez : encore
une fois c’est l’exagération qui pose problème. Si l’immobilité
sclérose, l’agitation déstabilisatrice qui remet toujours tout en
question ne permet pas une évolution progressive et durable.
Donc problème... Contrairement aux stades précédents, dans
celui-ci, chez l’adulte, il faut faire la différence entre l’hystérie
masculine et féminine.
Dans une enquête faite en 1964 par Anne-Marie Rocheblave-
Spenle, portant sur les stéréotypes homme/femme, le mot hysté-
rique est donné comme « trait de caractère » de la femme avec
également les mots : capricieuse, peureuse, émotive, bavarde,
incohérente, maniérée, coquette, séductrice, faible, rusée, pas-
sive. On a donc tendance à croire que l’hystérie est une névrose
typiquement féminine. Et bien non : on retrouve l’hystérie égale-
ment chez l’homme. Dans l’enquête faite en 1964, l’homme est
défini par ces termes flatteurs : décidé, ferme, posé, discipliné,
patriote, courageux, ambitieux, combatif, créatif, lucide, etc. On
leur fait la part belle avec toutes ces qualités. Il faut replacer
l’enquête dans le contexte de cette époque-là, bien sûr !
Mais figurez-vous qu’en stage, lorsque je fais faire un exer-
cice sur les stéréotypes et que je demande à mes stagiaires,
en séparant homme/femme, les qualificatifs qui représentent
les hommes et les femmes, on retrouve pas mal de termes
identiques à ceux de 1964. Ça n’a pas tellement changé et
même mes « jeunes stagiaires » font très peu évoluer ces images.
Cela montre que les stéréotypes sont bien ancrés dans notre
inconscient collectif. Ils font partie de notre culture, de notre
éducation. Tout petit déjà, l’enfant sait de façon inconsciente et
de par l’exemple parental et social, que parce qu’il est un garçon
58 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

ou une fille, il devra se comporter de telle ou telle manière. Et ça,


c’est plus difficile pour le garçon que pour la fille. Pour le garçon,
avec tous ces termes élogieux auxquels il doit s’identifier, c’est
beaucoup plus difficile et angoissant à assumer que pour la fille.
Il faut qu’il cache, au mieux, ses peurs et ses insuffisances de
fond. C’est dur d’être un mec !
Pour l’homme, reconnaître la névrose hystérique est un aveu
de faiblesse et de honte. C’est bon pour la femme : pas pour lui !
Se reconnaître hystérique, c’est implicitement avouer sa fémi-
nité. Par contre chez lui, la manifestation est différente de celle
de la femme. Pas de crise de nerfs mais des malaises, des chutes
de tension, de l’hypertension, des éblouissements, des nausées,
des faiblesses musculaires ou articulaires, de l’impuissance, des
troubles visuels, des syncopes, des bourdonnements d’oreilles,
etc.
Autre manifestation qui ressemble plus au stéréotype mascu-
lin : la colère. Chez la femme, on appellera ce comportement
une « crise de nerfs ». Et oui mesdames, je sais que la vie est
injuste mais... c’est comme ça ! Les pauvres, il faut les ménager,
(la crise de nerfs c’est pour la femme). Vous savez que la colère
est un aveu d’impuissance. Elle est souvent provoquée par une
contrariété ou une suite de contrariétés sans possibilité de régler
directement la situation. C’est un moyen d’évacuer la tension
que la colère génère et apporte ainsi le soulagement de la détente,
le plaisir illusoire ou réel d’avoir effrayé l’autre et donc de s’être
prouvé sa propre existence et sa force. Chez l’hystérique, sans
être un orgasme, elle a une composante sexuelle non négligeable
qui la rapproche de la masturbation.
Interdit de rire, c’est vrai ! Les hommes hystériques sont
également nosophobes : ils ont une crainte incontrôlable de
la maladie. La nosophobie se manifeste par des symptômes
ressemblant à ceux de maladies réelles et justifiés par la position
sociale. La névrose cardiaque est l’exemple le plus à la mode
(j’ai dit que l’hystérie suivait des modes). Cela se manifeste
par des oppressions, des palpitations, de la tachycardie, des
spasmes coronariens, des extrasystoles, des douleurs dans le
bras gauche : tout y est pour faire penser à un malaise cardiaque
qui sera justifié par la suite par une grande fatigue due à l’excès
4. L’ ANALITÉ EXPULSIVE 59

de travail ou des tracas personnels ou professionnels. Ils s’en


tirent avec les honneurs et ne déméritent pas.
Autre chose : aujourd’hui, cet enfant étant devenu un homme
fixé à ce stade, il possède donc un phallus mais voilà, son
sentiment de valeur déficient lui fait douter de le mériter. Il doit
sublimer cette peur et exhiber ce qu’il pense être, en lui, le plus
digne d’admiration. Cela peut être son corps, son intelligence,
son esprit, sa fortune, son pouvoir, sa séduction...
Si le regard de l’autre est appréciateur, cela le rassure ; s’il
est méprisant ou dévalorisant ou simplement indifférent, cela
ravive son doute. Sa névrose l’oblige à renouveler sans cesse ce
questionnement pour se rassurer en permanence.
Pour cela, il doit PLAIRE. C’est le maître mot de l’homme
hystérique. Il doit plaire à toutes et à tous. Il cherche activement
à plaire. Il est séducteur et sa quête de contact affectif ne s’arrête
jamais. Il faut être aimé de tout le monde.
Plaire à tout le monde n’est pas facile pour établir des
relations profondes. Il reste superficiel, ne s’engage jamais à
fond dans tous les domaines qu’ils soient amoureux, amicaux,
professionnels. Il a du mal à se poser, à se fixer : si une nouvelle
opportunité se présentait, il faut qu’il soit prêt à la saisir ! On dit
bien que l’herbe est toujours plus verte chez son voisin. Cette
expression lui parle bien.
L’important, c’est le mouvement. Le chercheur cherche ;
s’il trouve ce n’est plus un chercheur : c’est un trouveur. S’il
veut continuer à chercher, il lui faut se réorienter vers d’autres
domaines. Trouver, c’est arrêter de chercher. L’hystérique est un
chercheur qui, par définition, ne peut jamais trouver : trouver,
c’est s’immobiliser, se poser, ne plus bouger, ne plus s’inter-
roger, en un mot c’est mourir. On peut dire que l’hystérique
s’amuse, vit, jouit de cette vie tant qu’il est en action, tendu vers
un but, et s’étiole, s’ennuie, déprime dès qu’il l’atteint. C’est
pour ça que l’on dit qu’il est épuisant : c’est difficile de le suivre.
Vous faites une randonnée en montagne avec lui, quand vous êtes
content parce que vous arrivez devant le lac que vous vouliez voir,
que vous avez envie de vous poser pour admirer le paysage et
vous reposer, lui vous dira : « Viens, on va passer ce col pour aller
voir de l’autre côté ce qu’il y a, ça doit être beau. » Il ne profite
60 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

pas du présent : il lui faut toujours aller plus loin. Il ne comprendra


pas si vous ne voulez pas le suivre ; il vous traitera de rabat-joie,
cherchera à vous déstabiliser avec des propos peu élogieux et se
sentira très malheureux et incompris si vous ne cédez pas. Il ira
bouder un moment puis trouvera autre chose et reviendra, tout
content de son idée, etc.

Je continue ma description : l’homme hystérique a besoin


de se sentir intéressant, écouté, estimé. Il peut être paternaliste,
protecteur, aime à se dévouer. La violence, le pouvoir, l’autorité
lui font peur. Il n’a pas pu accéder à cette dimension de l’homme.
Souvenez-vous que l’image qu’il a eue de son père est dévalo-
risée. Il lui est donc difficile, voire impossible de s’identifier à
cette image. Il reste donc, adulte, l’enfant anxieux et remuant,
cherchant à plaire par la conformité tout en étant capable de
colères spontanées qui manifestent plus son impuissance à se
sentir aimé que son autorité.
Il est provocateur. Il se sent exister en choquant les esprits
bien-pensants, en dérangeant l’ordre établi. Par contre, il se
garde, bien entendu, de faire preuve de capacités personnelles.
Tant qu’il provoque, les autres occupés à se protéger ou à s’en
débarrasser, ne lui demanderont pas de s’affirmer.
Avec les femmes ? Vous voulez savoir ? Et bien la rencontre
est difficile. La femme est un mystère pour lui. Là aussi, la
provocation lui permet d’éviter la confrontation avec elle. Elle...,
qu’il ressent comme étrange, incompréhensible, indéchiffrable,
lointaine. Il pourra soit la fuir, en justifiant cette fuite par le
peu d’intérêt qu’elle mérite, soit, comme Don Juan, en faire la
collection tout en affichant un mépris amusé, soit ne s’attacher
à elle que parce qu’il projette l’image maternelle. Toujours
inquiet sur le fond, il sera comédien sur la forme pour sauver
les apparences.
Mais quand la confrontation devient inévitable, il reste un bon
moyen pour y échapper et c’est l’impuissance. Des séducteurs
impénitents connaissent à l’occasion de leur première rencontre
intime, une curieuse panne d’érection. Ceci dit, ce petit pro-
blème peut arriver à n’importe quel homme la « première fois ».
Ça ne veut pas forcément dire qu’il y a hystérie. Mais pour
l’homme hystérique, si la réaction de la femme est rassurante, si
4. L’ ANALITÉ EXPULSIVE 61

elle ne se formalise pas de ce petit incident, si elle minimise et se


montre plus amoureuse, bien que blessé dans son amour-propre,
il sera heureux d’intéresser cette femme pour autre chose que
sa sexualité. Ce sera un repos agréable dans l’obligation de
compétition virile. Autre avantage, non moins important, c’est
celui d’éliminer les femmes dangereuses, les castratrices, celles
qui se moquent. Celles-là seront à fuir vite et loin.
Par contre, celle qui aura su se montrer gentille, rassurante,
douce, compréhensive, sera récompensée lors des rencontres
ultérieures. Elle aura auprès d’elle un amant merveilleux qui ne
s’occupera que d’elle. Le but étant de lui donner du plaisir pour
la satisfaire et lui plaire même si pour ça il doit se nier et nier son
plaisir. Mais qu’importe ! son sondage en forme d’impuissance
lors de la première relation lui montre qu’il plaît, le plaisir qu’il
lui donne par la suite le confirme et c’est là l’essentiel pour lui.
Autre comportement : l’impuissance permanente. Il renonce
à l’acte sexuel. Vous comprenez que la femme face à cette
problématique soit perturbée ! Soit elle pensera ne pas être en
mesure de réveiller le désir de son partenaire, soit elle verra
une infirmité chez celui-ci. Pourtant l’explication n’est pas
là : l’homme hystérique impuissant est resté le petit garçon
prisonnier du discours de sa mère. Enfant, il essayait de la
consoler de ses insatisfactions, de la peine que lui faisait son
mari, de lui procurer un peu de joie dans une vie si terne et
de faire plaisir à cette maman si gentille. En grandissant, sa
névrose fait que sa maman est toujours présente : il reproduit
le même système, transposé chez sa partenaire. Avec une mère
aussi omniprésente, vous comprenez qu’il ne puisse pas faire
l’amour avec sa femme. « Maman est là dans le lit conjugal, qui
le regarde. » S’il prenait son plaisir, ce serait lui montrer qu’il
la délaisse au profit d’une autre.
Un petit dernier : l’éjaculation précoce et l’éjaculation préma-
turée. Je m’explique... L’éjaculateur précoce montre que ce qui
l’intéresse dans la relation amoureuse, c’est tout ce qui précède
la conclusion. Il aime faire durer l’attente. Il prend son plaisir
dans l’attente, dans le désir qui fait croître la tension car elle est
synonyme de vie par l’excitation qu’elle procure. On retrouve
Éros. En finir avec les préliminaires et donc se résoudre à la
62 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

pénétration, c’est accepter de se faire rattraper par Thanatos


alors autant abréger ! Il faut en finir vite.
Quant à l’éjaculation prématurée, elle se manifeste avant le
passage à l’acte, rendant même impossible le début de celui-ci.
C’est une forme d’impuissance mineure. Elle traduit un refus
de l’engagement au dernier moment. Il montre ainsi à sa mère
qu’il reste et restera toujours le soutien sur lequel elle pourra
compter. Il ne la trompe pas...
Voilà pour l’homme.

L’homme veut plaire ; la femme, elle, se veut parfaite. Autant


dire mission impossible. Vous en connaissez, vous, des femmes
parfaites ?
Elle cherche inlassablement la perfection. Et c’est dans le
regard de l’autre qu’elle compte l’y trouver. Si vous vous
souvenez du début, quand je parlais de subjectivité, vous com-
prendrez la difficulté à laquelle elle se trouve confrontée ! Et
pourtant elle cherche. Elle mobilise sans arrêt sa vigilance pour
s’assurer que ses efforts vont porter ses fruits. Résultat : cela
lui enlève son naturel ; cela lui donne une allure superficielle,
inquiète. Rien n’est trop bien pour la mettre en valeur. Elle peut
soit privilégier le physique avec vêtements, bijoux, maquillage,
coiffure, démarche, port de tête... en surveillant qu’elle produit
bien l’effet souhaité. Si le regard de l’autre est appréciateur, cela
lui donne le sentiment de vivre. Gare à elle s’il est dévalorisant
ou indifférent : c’est la mort certaine.
Si elle favorise le côté intellectuel, elle se montre cultivée, a le
sens de la repartie, de l’esprit, de l’érudition : elle cherche alors
dans le regard de l’autre l’admiration qui lui prouve la réussite
de son rôle. Dans un choix comme dans l’autre, ses manières
sont affectées. Elle ne peut pas faire simple. Elle ressent qu’il
faut se démarquer pour être remarquée. Tous ces artifices vont
lui servir à se montrer parfaite et à cacher qu’elle ne l’est pas.
Les deux mots clés de l’hystérique femme sont : montrer/cacher.
D’après vous que veut-elle cacher ?
Elle veut tout simplement cacher un vide, un manque, une
incomplétude qui la rend imparfaite. Et c’est quoi ? Le manque
4. L’ ANALITÉ EXPULSIVE 63

de pénis. Et oui, elle attache une image valorisée au pénis qui,


lui semble-t-il, donne des pouvoirs, des droits et dont de façon
arbitraire, elle a été privée. C’est une injustice. La recherche de
perfection est donc la recherche de complétude. Autant dire que
c’est impossible. Anatomiquement, c’est fichu !
Elle n’est pas pour autant castratrice. On verra qu’on trouve ce
problème plus loin. Non, elle respecte trop le pénis pour vouloir
le détruire. Elle cherche à le posséder en prenant l’ascendant
sur l’homme, en lui démontrant qu’il ne suffit pas d’avoir un
attribut physique pour être à la hauteur. Donc, elle le séduit
pour ensuite le mettre en situation d’infériorité en lui montrant
ses insuffisances sexuelles ou symboliquement sexualisées et
afficher sa propre supériorité. Et gare à celui qui tombe dans le
panneau : il va passer un mauvais quart d’heure !
Un autre trait qui la caractérise, c’est la recherche d’un
modèle. Les femmes hystériques trouvent un modèle qui les
séduise et qu’elles imitent en tout point : dans la façon de
s’habiller, de parler, de vivre sa vie, sans comprendre que
l’imitation ne fera pas d’elle la même personne. Ce modèle
pourra être une amie, une artiste, actrice ou chanteuse. C’est
l’imaginaire de l’enfant et le besoin de magique qui les guide
vers ça.
La femme peut avoir une relation complexe avec sa mère,
faite d’opposition, de défi, de colère mais en même temps elle
l’imite dans ses habitudes, ses manies...
Sa relation avec les hommes est tout aussi compliquée.
L’homme est décevant par principe. Elle va donc devoir choisir
un partenaire à qui elle va offrir toutes les richesses dont elle
se pare. Ce sera pour elle un don avec toute la supériorité,
la condescendance, la charité, le sacrifice qu’elle met dans
cette notion. Elle ne va pas accorder tout ça au premier venu,
certainement pas, d’autant que ses atouts réels lui laissent la
possibilité de choisir, du moins le premier. Il sera recherché
pour sa beauté, sa force, sa virilité, son intelligence, sa prestance.
Comme elle vit dans le magique comme une enfant, elle rêve
au prince charmant. Je ne veux pas décevoir les dames qui me
lisent mais, vous savez qu’il n’existe pas...
64 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

Alors, ce prince charmant qu’elle choisit restera un homme,


c’est-à-dire un être inquiet et vulnérable sur son statut masculin...
Elle découvre vite la faille. La rupture est vite une évidence.
La rupture pour elle, est synonyme d’abandon et donc de
vide : c’est insupportable. Pour combler ce vide, les partenaires
suivants seront choisis avec plus de hâte, mais ils sont encore
nombreux et le choix sera quand même important. Toutefois, de
rupture en rupture, le temps passant, elle devra se montrer moins
regardante et prendra ce qui se présentera, ses atouts physiques
ou intellectuels n’étant plus les mêmes.
Après la mère et le partenaire, le père. Il est vrai que les
partenaires ont souvent une ressemblance avec le père (âge,
apparence, situation sociale...) ou alors sont complètement à
l’opposé, ce qui est la même chose. Le père reste l’homme
insuffisant et silencieux qu’elle plaint ou qu’elle méprise mais
qui reste, de par son absence ou son silence, inaccessible. Avec
un partenaire ressemblant au père, elle remet en scène les
conditions relationnelles de son enfance et cherche à apporter à
ce pauvre père tout ce qui lui a manqué pour être un homme, un
vrai.
Autre point important, la sexualité : on retrouve un point com-
mun chez beaucoup de femmes hystériques : c’est la frigidité.
Dans le langage courant, une femme frigide est une femme
peu intéressée par les rapports sexuels, qui subit et ne participe
pas, qui ne jouit jamais ou très rarement et qui quelquefois ne
manque pas d’accuser les hommes d’incompétence à lui procu-
rer du plaisir. Pour l’hystérique, seule la jouissance de l’attente
est digne de son intérêt névrotique. C’est aller vers la perfection
encore une fois. Risquer de la perdre pour un passager plaisir
des sens, c’est accepter de se renvoyer à son incomplétude, à
son inutilité, c’est se faire rattraper par Thanatos...

Voilà ce que l’on peut dire succinctement sur la névrose hys-


térique masculine et féminine. On va voir comment l’hystérique
tourne dans son cercle névrotique (figure 4.1).
Pour expliquer plus en détail ce cercle et ce, pour les deux
sexes, je pourrais dire que dans la phase n° 1, celle de la
souffrance, l’hystérique s’est retrouvée dans une situation où
4. L’ ANALITÉ EXPULSIVE 65

Figure 4.1.

elle ne s’est pas sentie intéressante, regardée : elle s’est sentie


seule, démunie, face au flou et au vide avec la peur que Thanatos
ne la rattrape. Ce sont dans ces périodes-là que se manifestent
les symptômes de conversion dont je parlais tout à l’heure. La
personne peut être effondrée, voire dépressive. Cette phase a
une durée variable pouvant aller de quelques heures à quelques
jours et dans la pire des situations, quelques mois.
Dans la seconde phase, puisqu’il faut bien que ça tourne,
elle émerge de cette non-vie insupportable et là, elle trouve la
force de sortir, de rencontrer de nouveau du monde, de paraître,
de séduire par l’apparence, le non-conformisme et bien sûr ça
marche. Ce qui l’amène dans la phase de plénitude où réussite,
sentiment de valeur, de puissance, d’omnipotence seront son lot.
Tout va bien. Éros est en pleine forme... C’est le bonheur, elle
existe, elle est regardée, peut-être même admirée, elle vit, est
entourée. C’est l’extase ! Le regard de l’autre la fait vivre.
Seulement voilà : bien évidemment, ça ne peut pas durer.
Patatras, les doutes surgissent. Les regards seront interprétés
et pas positivement, bien sûr. Elle se sent déstabilisée par
certaines situations ou remarques. Si elle ressent qu’elle n’attire
pas l’attention des autres de la même façon, ça la fragilise ;
elle devient anxieuse et donc elle en rajoute. Elle devient
agressive, cherchant par-là à attirer de nouveau l’attention sur
66 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

elle, à intéresser les autres. Elle déstabilise les personnes autour


d’elle ; elle est moqueuse. Elle refuse d’obéir, se met en colère,
manigance, titille, cherche les limites jusqu’au moment où
immanquablement, les limites des autres seront trouvées et où
elle se fait renvoyer « dans ses 35 mètres ». À ce moment-là,
elle est sûre qu’on lui en veut, et elle fuit de façon théâtrale pour
revenir à la case départ où elle souffre face au vide, à la solitude,
à l’incompréhension et à la déprime.
Voilà pour le tour de manège ! Ce genre de cercle peut se
faire rapidement, dans une soirée par exemple. Ou alors chaque
étape peut être longue, mais jamais trop car il faut que ça bouge
et que ça bouge vite. En dehors de cas extrêmes où Thanatos est
vraiment installé, les étapes ne durent pas trop longtemps.

Mots et concepts

C’est bien évidemment le mouvement pour le mouvement


qui donne la sensation de vivre : ce sont des adultes fonceurs,
risque-tout, inconscients du danger, qui se dispersent dans leurs
centres d’intérêt (il suffit qu’on leur parle de quelque chose pour
qu’ils aient envie d’essayer mais ils en ont vite fait le tour et
cherchent vite une autre activité ou centre d’intérêt : tout reste
superficiel). Ils ont des difficultés à se concentrer, à être logique.
L’exploration, le dynamisme, l’énergie corporelle, la recherche
de ses possibilités personnelles, de limites, l’esprit d’aventure,
le besoin de liberté, le refus de la hiérarchie et de l’obéissance,
de la routine, le goût des voyages, celui de l’exploit personnel,
le refus de l’enfermement, de l’encadrement contraignant, de
l’enracinement, de la possession, la violence explosive mais
non rancunière, l’action pour l’action, le manque de réflexion
et de stratégie, la vie au jour le jour, l’insouciance, le besoin
de repères, de plaire, d’être accepté, d’être regardé, l’exhibi-
tionnisme corporel ou intellectuel, la séduction manipulatrice,
le chantage affectif, un certain goût pour l’intrigue mais sans
machiavélisme, le besoin de faire bouger les choses et les gens,
d’animer, de déstabiliser, une certaine révolte contre l’ordre
établi et les structures rigides, etc. sont ce qui les fait vivre.
4. L’ ANALITÉ EXPULSIVE 67

Professionnellement
Vous les retrouverez en majorité dans des domaines où le
mouvement, le changement, la découverte sont de mise.
Par exemple, des professions libérales ou indépendantes où
elles n’auront que les contraintes que les personnes se donneront
ou que les clients leur donneront mais surtout pas celles qu’un
chef pourrait donner..., les commerciaux mais pas dans un
magasin, les commerciaux qui tournent et si c’est du commerce
international c’est encore mieux, des acteurs, des comédiens,
des gens du show-biz, des sportifs, des femmes d’affaires
(on retrouvera les hommes d’affaires au stade suivant), des
explorateurs, etc.

Sexuellement
Hors pathologie, la relation sexuelle est vécue avec intensité,
dans un don de soi total, dans une ambiance ludique sans barrière
ni interdit. En ce qui concerne les problèmes liés à la pathologie,
on les a vus tout à l’heure.
Alors, vous vous êtes bien promenés, vous avez bien cerné
les besoins de ces personnes fixées à l’AE ? Allez installez-vous
bien, nous partons dans les îles.
***

Oh là là ! le pied ! Mon club de volley a organisé un voyage


d’une semaine en Martinique. Je suis tout excitée. Aller à la
découverte des îles. L’extase !
Nous voilà embarqués dans un énorme 747, moi qui n’ai
jamais pris l’avion. À nous la liberté ! Après 4 heures de vol,
j’ai commencé à trouver le temps long. Assise sans bouger
ou presque : un coup on te donne à manger, un coup tu dois
regarder un film, après on te donne encore à manger, j’ai
l’impression d’être un mouton et on n’est qu’à la moitié du
voyage. Mes copines dorment et moi, je commence à avoir des
crampes à force d’être coincée dans ces sièges inconfortables.
C’est insupportable ! En plus, je ne peux même pas me distraire
en regardant par le hublot. On est au-dessus des nuages et je ne
68 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

vois rien. Rien pour me repérer, pour savoir où on est. Je sais !


Au-dessus de l’océan mais j’aimerais bien le voir. Enfin, je suis
obligée d’attendre. Et bien ça commence fort les vacances !
Enfin, après ce voyage interminable, nous sommes arrivés et
là j’ai cru que nous allions pouvoir foncer à toute vitesse au
village de vacances pour pouvoir plonger dans cet océan que
nous avons survolé si longtemps. Belle compensation ! Et bien,
c’était sans compter avec les embouteillages. Quelle déception !
j’ai cru que j’allais exploser. Être coincée dans ce taxi sous
une chaleur étouffante au milieu d’une file interminable de
voitures qui puent. Je n’aurais jamais pensé retrouver sur cette
île, que je croyais paradisiaque, les mêmes embouteillages qu’à
Toulouse. J’ai rongé mon frein puis j’ai décidé que ça n’allait
pas gâcher mon plaisir. Tant pis, tout commencera demain. Et
là, je me suis mise à passer en revue toutes les activités que nous
allions pouvoir faire. Pour faire passer mon stress, j’ai titillé
mes copines sur leurs mines fatiguées. Elles ne sont pas drôles,
elles ont râlé, alors pff, écœurée j’ai regardé le paysage. Quel
dépaysement ! Ça ne ressemble pas à chez nous. La végétation
est luxuriante, les habitations typiques et ouvertes, les gens
ont l’air rigolard. Maintenant que l’on roule mieux, je vois les
champs de canne à sucre, de bananiers, c’est génial. Je sais que
les gens aiment faire la fête comme moi. Je pense avec plaisir
aux biguines endiablées que je vais pouvoir danser avec mes
copains ou plutôt avec les gens du coin.
Effectivement, dès le lendemain, j’ai entraîné mes copains et
copines et nous avons nagé, plongé, loué un 4X4 pour parcourir
les chemins de la Montagne Pelée, visité St-Pierre au Nord, où
on m’a expliqué que cette ville était toute noire parce qu’elle
a été ensevelie par la lave du volcan, le rocher du diamant
et Ste-Anne au Sud avec à l’inverse ses plages de sable blanc,
les usines de canne à sucre où ils distillent le rhum, goûté aux
fruits exotiques, aux plats tropicaux qui nous changent de notre
alimentation fade en comparaison de la leur.
Je les ai tous épuisés. Le soir, ils voulaient se reposer, se
détendre. Je n’ai pas compris. On fait tout ce chemin pour en
profiter et eux, ils veulent se reposer. C’est vrai, il y a le décalage
horaire, les coups de soleil mais à notre âge, il faut vivre, on
4. L’ ANALITÉ EXPULSIVE 69

aura le temps de se reposer quand on sera vieux. Alors je suis


allée zouker toute seule. Ouh là là, ils sont chauds ces blacks !
J’ai bien cru qu’ils allaient me violer en dansant. Il faut dire que
ces danses sont hyper sensuelles et j’adore ça. Enfin, je m’en
suis bien sortie et moi, j’ai bien profité de mon séjour. C’est pas
comme certains...
Une chose est quand même sûre, je ne pourrais pas y vivre.
Penser que toute l’année, on tourne sur une île qui fait 25 km
de large sur 70 de long. Très peu pour moi. On a vite fait d’en
faire le tour. On doit vite tourner en rond. J’ai besoin de plus
d’espace. Ça limite trop. Je ne supporterai pas. Il y a aussi la
végétation qui est la même du 1er janvier au 31 décembre. Le
soleil qui se couche toujours à la même heure ou presque et se
lève pareil. Quelle routine ! Quel ennui ! Mais pour une semaine
c’est génial.

Alors qu’en pensez-vous ? Vous faites bien la différence entre


cette façon de vivre le voyage et les stades précédents ?
Chapitre 5

L’analité rétentive

N OTRE enfant a maintenant environ 3 ans et demi. Le stade


anal rétentif commence et dure jusqu’aux environs de
5 ans. Si l’enfant ne s’est pas arrêté avant dans son évolution
psychologique, c’est-à-dire s’il ne s’est pas fixé à un stade
antérieur, OA ou AE, le stade AR est un tournant important
dans sa vie. Il sort de son omnipotence pour rentrer dans une
phase coercitive et éducative. On appelle ce stade le stade de la
violence parce que, pour l’enfant, c’est le début de l’acquisition
du principe de réalité et ça, je peux vous dire que ça ne va pas
lui plaire.
Jusqu’à présent, il vivait uniquement sur le principe de plaisir.
S’il obéissait à ses parents, c’était pour leur faire plaisir, et non
parce qu’il comprenait que ce qu’il faisait n’était pas bien. Il
doit donc accepter les règles sociales au détriment de son plaisir.
C’est à ce moment-là que se met en place le SURMOI dont j’ai
parlé au début. Vous vous souvenez : le SURMOI est le gendarme
qui est en nous et qui nous empêche de faire n’importe quoi, qui
nous oblige à respecter les règles sociales.
72 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

Sur le plan intellectuel, comme à l’AE, c’est toujours la


pensée globale et magique qui domine. L’enfant n’est pas encore
capable d’analyser une situation. Pour l’adulte, le message
éducatif est logique et rationnel alors que pour l’enfant, il passe
par l’affectif et le côté ludique.
Sur le plan psychologique, l’enfant est en infériorité objective.
J’ai dit au début que l’objectivité n’existait pas mais là, dans ce
cas, l’enfant est en situation d’infériorité objective par rapport
aux parents. Il est encore dépendant d’eux. Toutefois, à cet
âge, il s’imagine que grandir, égaler l’adulte par la taille va
lui permettre d’être son égal en tout. Bien évidemment, c’est
faux : c’est un fantasme plus qu’un raisonnement. Ce fantasme,
associé aux formidables capacités de développement que pos-
sède l’enfant, le pousse à acquérir peu à peu ce qui lui manque
objectivement et à se supérioriser. Vous avez compris que c’est
grâce à cette infériorité que sa construction se poursuivra et
qu’il arrivera à une seconde naissance : celle qui le fait naître au
groupe social.
Cela le conduit petit à petit de sa vie magique, concrète,
égocentrée et insouciante à une vie logique, abstraite, organisée
et responsable. Bonjour le stress que ça occasionne ! À ce sujet,
connaissez-vous les différentes phases du stress ?
Face à un stress quel qu’il soit, que ce soit pour quelque chose
de peu d’importance ou un événement grave tel qu’un deuil, un
divorce, un accident etc., le stress se manifeste toujours de la
même façon. Il y a d’abord le choc. C’est la nouvelle qui vous
tombe sur le nez. Le choc est instantané et donc, par définition,
ne dure pas.
Vient ensuite la deuxième phase. C’est l’abattement ou la
révolte. Cette phase peut durer longtemps, surtout face à l’an-
nonce d’une maladie ou d’un deuil. La personne peut passer
de l’abattement (en subissant la situation) à la révolte (avec le
ressenti d’injustice). Elle peut osciller longtemps entre ces deux
comportements. Dans les cas les plus difficiles, subjectivement
bien sûr, certaines personnes peuvent rester le reste de leur vie
dans cette phase-là. Elles peuvent ne pas arriver à se sortir de la
dépression et de la révolte face à l’injustice ressentie.
5. L’ ANALITÉ RÉTENTIVE 73

La troisième phase est celle de l’acceptation forcée. La


personne prend conscience que de toute façon, il est inutile
et vain de se battre ou de déprimer : la situation ne changera
pas, il faut donc l’accepter, de force certes, mais l’accepter tout
de même. Là encore, cette phase peut durer le reste de la vie
dans les cas les plus difficiles. La personne accepte la nouvelle
situation mais ne s’adapte pas à une nouvelle façon de vivre.
Elle ne déprimera plus, mais elle restera tout de même fixée sur
ce passé douloureux.
Ce qui nous amène à la quatrième et dernière phase : celle
de l’adaptation. OK, la situation est comme ça, on ne peut pas
la changer alors on s’adapte aux nouvelles données et on vit en
fonction de celles-ci.

Je vais donner l’exemple qu’une stagiaire nous a raconté. J’avais


parlé, lors d’un stage quelques jours avant, des différentes phases
du stress. Quand nous nous sommes retrouvés, elle nous a dit
qu’elle avait bien compris comment cela fonctionnait. Elle nous a
raconté comment en un quart d’heure, elle avait vécu les quatre
phases du stress. C’est une personne qui recherchait un emploi et
bien sûr, c’était important pour elle. Elle a été convoquée pour se
présenter à un poste qui l’intéressait beaucoup. Le matin du jour J,
elle va à l’arrêt du bus et elle attend. Au bout d’un certain temps,
le bus n’arrivant pas, elle commence à se poser des questions et
là, elle apprend qu’ils sont en grève. Horreur ! Elle n’a pas d’autre
moyen de locomotion. Le choc ! Elle en a les jambes coupées.
C’était important pour elle : comment allait-elle faire ? La deuxième
phase la voit complètement abattue : c’est fini, tout s’écroule, elle
va perdre ce poste. Vient ensuite la révolte. Ce n’est pas juste,
depuis le temps que j’attends ça, je n’ai vraiment pas de chance, et
ces chauffeurs de bus pourquoi ils font grève, ils ont un boulot, eux !
etc. Arrive la troisième phase, où elle se dit : bon, ce n’est pas la
peine que je me lamente, de toute façon, je ne changerai rien, c’est
comme ça. Et là, elle a trouvé la solution : elle a appelé un taxi...
Et elle a conclu en disant : premièrement, elle avait eu son poste et
elle en était très heureuse. Deuxièmement, a posteriori, elle avait
pensé à moi : elle avait bien compris ce que j’avais expliqué la
semaine précédente. C’était du direct ! Elle a vu comment elle était
passée, très rapidement étant donné le problème, d’une phase à
l’autre. Elle nous a dit avoir compris comment ça doit être dur et
difficile de sortir de chaque étape quand l’événement est beaucoup
plus dramatique et sans solution, comme un deuil par exemple.
74 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

J’entends par « deuil » soit ce que l’on ressent lors du décès d’une
personne, soit devoir faire ce que l’on appelle le deuil d’une relation
ou d’une situation.

Il faut savoir également que le stress peut être motivé par


un événement heureux, comme un mariage, un déménagement
désiré et positif. Tout changement, dans la vie d’un individu,
peut être source de stress.
Pour notre enfant à l’AR, c’est pareil. L’analité rétentive est
une étape qui implique un changement radical pour lui et du
coup, un stress important mais formateur, du moins si les parents
jouent leur rôle éducatif le mieux possible. Je parle des parents
mais ce ne sont pas, à ce stade, uniquement eux qui vont avoir
une influence sur l’enfant. Nous avons vu qu’au stade oral passif
et actif, sur un plan psychologique, c’est la mère qui a un rôle
à jouer. Au stade anal expulsif, le père et la famille entrent en
scène et au stade anal rétentif, s’ajoutent à ces différents acteurs
les éducateurs scolaires ou extra-scolaires.

L’ ANALITÉ RÉTENTIVE CHEZ L’ ENFANT


Notre bambin a environ 3 ans : il rentre à la maternelle. En
principe, il fait ses besoins au pot, condition pour entrer à l’école.
La période où l’enfant était roi, où il faisait l’intéressant, où il
faisait rire toute la famille par ses pitreries, où il cherchait les
limites de tout le monde, doit s’arrêter. Il faut le socialiser. Le
principe de plaisir doit reculer au profit du principe de réalité.
Pour lui, coup d’arrêt brutal. C’est un choc !
Première phase : c’est d’abord pour lui l’incrédulité, puis
l’anxiété. Il met en place des manœuvres qui seront destinées
à garder la puissance et le pouvoir qu’il croyait avoir sur ces
grands adultes. Il tente, encore une fois, de les manipuler. Si
les parents jouent leur rôle éducatif, les limites sont atteintes
et leur tolérance s’arrête là (dans le cas contraire, le laxisme
éducatif entraînera l’enfant à rester fixé à l’analité expulsive).
Il se retrouve impuissant face à ces nouvelles données. Il doit
apprendre que sa liberté s’arrête où commence celle des autres ;
il doit accepter de ne pas tout obtenir sur simple demande, subir
5. L’ ANALITÉ RÉTENTIVE 75

les frustrations inhérentes à la non-satisfaction de ses demandes


et voir son pouvoir sur les adultes s’émousser (le magique ne
résout pas tout...). Autour de 3 ans, ce choc suscite chez lui
des crises de rage, des tentatives de manipulation par séduction.
Il peut quelquefois devenir odieux, allant jusqu’à casser des
objets appartenant aux parents et auxquels ils tiennent. Il se rend
compte que ce nouveau mode relationnel n’est pas passager
mais a tendance à devenir la nouvelle règle du jeu. CHOC.
La phase deux, abattement ou révolte (inhibition ou opposi-
tion), l’oblige à aller dans une certaine direction : il découvre
un catalogue de règles à respecter et d’interdits, que ce soit
à la maison ou à l’école. Là encore, il est soumis à une forte
anxiété. Il doit faire reculer la peur. Il va falloir qu’il trouve une
solution ! Est-ce que vous avez entendu parler de l’expérience
du professeur Laborit ?
Vous pouvez découvrir cette expérience en regardant le film
qu’Alain Resnais a consacré en 1980 à ce grand neurobiologiste,
inventeur des neuroleptiques. Dans Mon Oncle d’Amérique, le
cinéaste met justement en scène cette expérience : Henri Laborit,
qui joue son propre personnage, explicite sa théorie et son expé-
rience de laboratoire (avec des rats), tandis que trois personnages
(joués par Gérard Depardieu, Nicole Garcia et Roger Pierre... et
parfois par des rats !) la vivent concrètement au sein même de
leur vie, prouvant que l’expérience n’a rien de théorique, mais
qu’elle est susceptible d’expliquer beaucoup de nos choix de
vie, affectifs, professionnels, et même géographiques !
Le Professeur Laborit explique qu’il existe trois cerveaux
chez l’homme. Tout d’abord le reptilien qui est le siège de
la survie immédiate pour laquelle l’homme a besoin de boire,
manger et copuler pour se reproduire. C’est le siège des pulsions
inconscientes. Ça vous rappelle peut-être quelque chose ?
Si vous répondez le ÇA, c’est gagné...
Il y a également le cerveau limbique qui, lui, est le siège
de la mémoire émotionnelle : toutes les émotions agréables ou
désagréables sont mémorisées dès la naissance, et même in
utero. Et enfin, le cortex cérébral : il associe les voies nerveuses
qui gardent la trace des expériences passées. Les trois cerveaux
sont reliés entre eux par des faisceaux, qui sont : récompense,
76 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

fuite, inhibition. Les deux premiers cerveaux fonctionnent de


façon inconsciente. Ils ne savent pas ce qu’ils nous font faire.
Le troisième se sert du langage explicatif et donne aux autres
personnes : excuses, justifications, etc. À partir de ces éléments,
le professeur Laborit a effectué une expérience avec des rats
pour démontrer comment fonctionne l’être humain face au stress.
Voici les différentes étapes de l’expérience.
• 1re étape : dans une cage partagée en deux par une cloison
dans laquelle se trouve une porte et dont le sol est légèrement
électrifié, est placé un rat. On lui envoie un signal sonore et
environ 4 secondes plus tard, le sol est électrifié. Le rat trouve
vite la porte, passe et se réfugie dans la partie non électrifiée
de la cage. On renouvelle cette expérience plusieurs fois par
jour pendant sept jours. Dès qu’il entend le signal sonore, il
évite la punition en passant de l’autre côté. Il fuit et de cette
façon, il maintient un équilibre biologique : il va bien.
• 2e étape : même chose mais la porte est fermée. Il ne peut
pas échapper à la punition. Il ne peut ni fuir ni lutter. Il en
résulte une inhibition qui amène l’angoisse. C’est l’inhibition
d’action. L’angoisse génère des perturbations biologiques
profondes. Si un microbe passe, le rat développe une infection,
alors que ses défenses immunitaires auraient pu agir à un autre
moment. C’est la même chose pour une cellule cancéreuse
qui prolifèrera alors que ça ne serait pas arrivé dans d’autres
circonstances. Cela peut également provoquer des insomnies,
un mal-être, de la fatigue, provoquer ce que l’on appelle des
maladies psychosomatiques.
• 3e étape : même situation mais deux rats sont placés dans
la partie électrifiée. Le deuxième rat est un adversaire avec
lequel le premier luttera. Cette lutte est inefficace mais cette
cohabitation lui permet d’agir et l’action, même si elle ne
mène à rien, permet d’éviter tout accident pathologique,
« aucun rat ne tombe malade ».
Pour les personnes qui ont vu le film, souvenez-vous que
le personnage de Gérard Depardieu rêvait de se battre sur son
bureau avec un homme nouvellement recruté dans son entreprise
et par lequel il se sentait profondément menacé... Faute d’avoir
5. L’ ANALITÉ RÉTENTIVE 77

pu déchaîner sa violence, il se retrouve victime d’un ulcère, puis


il finit par faire une tentative de suicide !
Ce qui nous montre que si l’homme agit face à une situation
stressante d’une façon ou d’une autre, s’il ne reste pas coincé,
il ne somatisera pas, même si l’attitude qu’il mobilise n’est pas
forcément bonne s’il choisit la violence par exemple, ce qui ne
veut pas dire qu’il faut se battre avec tout le monde pour ne pas
somatiser... Il y a d’autres solutions que la violence.
Laissons les rats et les adultes et revenons à nos moutons et
nos enfants, si vous avez bien suivi l’exposé sur le stress et puis,
l’expérience des rats face au stress, vous comprendrez que je
cherche à vous faire comprendre que l’enfant qui entre dans la
phase AR serait comme le rat qui est pris dans sa partie de cage
électrifiée et comme l’adulte face à une situation stressante...
Ce qui nous ramène au rôle éducatif des parents qui ont un
projet pour leur enfant différent de ce que l’enfant souhaiterait
pour lui. Les parents vont devoir « gagner » en l’éduquant.
C’est donc dans la deuxième étape du stress que l’enfant se
trouve confronté à l’angoisse. Il doit accepter le catalogue de
règles et d’interdits présenté par les parents et les éducateurs.
Après le choc, il oscille entre l’abattement et la révolte. De
quelle manière ? En ce qui concerne l’abattement, il a, à cette
époque, un moyen « super » pour retourner la violence contre
lui : ce sont les maladies infantiles contractées à l’école (là,
le rat est seul, enfermé dans sa cage). L’enfant, plus fragile
immunitairement, de par le stress qu’il subit, sera la proie idéale
des virus, microbes et autres « joyeusetés » qui circulent. Quant
à la révolte, elle se manifestera par des refus d’obéissance,
l’opposition, la lutte avec les adultes qu’il tentera de faire plier.
Ça permet un abaissement de la tension, donc un recul de
l’anxiété. Mais le problème de base ne sera pas résolu, bien
évidemment. L’enfant aura momentanément géré les effets mais
pas la cause.
Dans les deux cas, il ne sortira pas vainqueur de la confron-
tation avec les adultes. Je dis les adultes, parce que ce ne sont
plus seulement les parents, mais les éducateurs extérieurs qui
jouent un rôle important désormais. L’enfant aura donc recours
au magique, encore une fois, pour tenter de trouver l’apaisement.
78 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

Pour cela, il aura des fantasmes destructeurs vis-à-vis de ces


mêmes adultes. Il imagine que les pires calamités s’abattent sur
ses parents : mort violente, disparition, souffrance, vengeance.
Ce fantasme de destruction peut également se manifester envers
la fratrie, lors de la naissance d’un petit frère ou d’une petite
sœur. L’enfant peut ressentir le petit nouveau comme un usurpa-
teur et se sentir rejeté puisque, visiblement, les parents accordent
beaucoup d’intérêt à cette espèce de machin qui vient lui prendre
sa place auprès d’eux. Il semble qu’on lui préfère l’autre. Il peut
avoir des envies de le faire disparaître : ça l’arrangerait bien !
Cependant, il doit affronter un nouveau problème. Il n’est
pas encore en mesure de raisonner, et lorsque les parents ou les
éducateurs lui diront par exemple : « Je sais que tu me mens »
ou « Je sais que tu as fait telle bêtise... », l’enfant, qui voit ses
parents comme des êtres supérieurs, interprétera qu’ils ont le
pouvoir de lire dans ses pensées. Il sera certain qu’on lit en lui,
que ses idées de violence contre eux ou contre son petit frère
ou sa petite sœur, sont découvertes par eux. Il aura peur d’être
puni... Oups ! Dur ! D’un côté, l’enfant a besoin de décharger
sa violence et de l’autre, il a la quasi-certitude qu’il est percé
à jour et qu’il risque la punition justement méritée pour avoir
voulu les détruire alors qu’au fond, il les aime beaucoup et qu’il
ne peut se passer d’eux...
S’ils ne prennent pas une importance démesurée, ces peurs
et ces sentiments de culpabilité seront des moteurs de déve-
loppement. Pour se sortir de ce problème, l’enfant minimise,
dédramatise la violence : il se met à parler de monstres, de mort ;
met en scène des jeux morbides ; rit des spectacles catastrophes...
Cela lui permet de défouler son agressivité sans risque.
Cela l’amène dans la phase trois du stress, phase d’accepta-
tion forcée et de soumission avec des sentiments de peurs de
rejet, d’infériorité et de culpabilité, de détresse.
C’est le moment idéal, pour les parents, face à cet enfant
apeuré et résigné, de le faire adhérer aux exigences du groupe
social ! C’est la meilleure période pour le former ! Les parents
peuvent maintenant lui présenter le catalogue des nouvelles
conduites. Hors pathologie, la peur du rejet des parents et la
peur de la punition le poussent à accepter ces nouvelles règles.
5. L’ ANALITÉ RÉTENTIVE 79

Comme il ne faut quand même pas exagérer, il faudra le moti-


ver ! C’est là que commence la relation « commerciale » entre
eux : je te donne, tu me donnes. L’acheteur, ce sont les parents ;
le vendeur, c’est l’enfant ; le bénéfice, c’est plus d’amour, de
félicitations, de tendresse, de valorisation, de récompenses. L’en-
fant intègre grâce à cela, durant cette phase (vers 4 ans-4 ans et
demi), les notions de bien et de mal, les stéréotypes sociaux :
socialement, le petit garçon s’identifie au papa et la fille, à la
maman. C’est le moment où les petits garçons seront policiers,
pompiers, et la petite fille, coiffeuse ou maîtresse... L’enfant
apprend également comment fonctionne le groupe social avec
les notions d’argent, d’organisation, de réflexion, etc.

Un petit garçon est amené par sa maman chez une amie. Avant
de partir, elle lui dit : « on va chez Mme X, tu vas être bien poli,
tu lui diras bonjour et si tu es gentil, je t’achèterai un croissant ».
Arrivé chez la dame en question, l’enfant est muet. Sa mère lui dit :
« dis bonjour à Mme X ». L’enfant lui répond : « Non, je sais que
je n’aurai pas de croissant, mais je ne dirais pas bonjour. » Vous
pouvez constater comment la relation commerciale « je te donne,
tu me donnes » a été un fiasco. Pourtant, c’est en se soumettant
à tout ça, en acceptant de perdre son mode de vie antérieur que
l’enfant sera, une fois adulte, à l’aise dans notre société.

Phase quatre du stress : la phase de la satisfaction, de la


récompense par la naissance du petit Être social, ce qui suppose
que l’enfant renonce à la satisfaction de ses pulsions égocentrées
au profit de la conformité aux règles. Le SURMOI social s’est
mis en place avec l’ensemble des modèles, idéaux, règles,
interdits, conformités... c’est-à-dire le principe de réalité. Le but
étant d’équilibrer le principe de plaisir et le principe de réalité,
de les faire cohabiter de façon harmonieuse. Voilà, comment
idéalement, si les parents et les éducateurs jouent leur rôle sans
faille (hic !), l’enfant construit une autre étape de sa vie pour
trouver, le moment venu, une place et un rang dans la société
dans laquelle il vit.
C’est maintenant le moment de vous donner le nom de la
névrose attachée à ce stade. Il n’y en a pas une, mais quatre !
Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué...
80 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

Je disais donc qu’il y a quatre névroses qui peuvent se


mettre en place à ce stade. Vous avez vu combien ce stade
est important pour l’enfant si, bien sûr, il n’a pas arrêté son
développement avant, c’est-à-dire à l’AE ou encore avant. Donc,
si, psychologiquement l’enfant arrive à ce stade, il devra avaler
pas mal de couleuvres et ce n’est pas évident. Il doit passer d’un
stade où il « ressentait » que tout lui était permis à un stade où
on l’arrête, où il doit apprendre que le principe de réalité existe
et que son principe de plaisir doit reculer. Il faut reconnaître que
pour un bout de chou d’environ 4 ans, ce n’est pas drôle du tout.
Mais attention, je vais encore compliquer. Comme l’analité
rétentive correspond à la norme sociale (du moins dans notre
société occidentale avec nos règles et nos valeurs), c’est le seul
stade où on peut se fixer sans qu’il y ait les névroses qui vont
avec la fixation... Surprise !
Je dis que, pour certaines personnes adultes, ce stade peut être
confortable parce que si on est fixé à ce niveau-là, on est bien
intégré dans la vie sociale. On correspond sans problème à ce
que la société attend de nous. J’en parlerai quand on évoquera
l’adulte. Pour le moment, je continue sur notre bambin.

Les névroses du stade AR


Donc, s’il y a névroses, ce seront : infériorité, culpabilité,
rejet et échec. Quand je dis infériorité et culpabilité, ce ne
sont plus seulement des ressentis comme j’ai pu l’évoquer en
parlant des autres névroses, aux stades antérieurs : je disais,
par exemple pour la névrose d’abandon, que l’enfant et ensuite
l’adulte avaient des ressentis d’infériorité et de culpabilité qui
se rattachaient au sentiment d’abandon. Là, à ce stade, ce sont
des névroses, c’est-à-dire que ça tourne en rond...

La névrose d’infériorité
Il faut se replacer dans le contexte où l’enfant se socialise. Il
va à l’école, peut avoir des activités extra-scolaires quelquefois.
On éduque l’enfant sur le plan social. Vous vous souvenez
qu’à ce niveau d’éducation, les acteurs sont bien évidemment
les parents, y compris et surtout le père, et les éducateurs
5. L’ ANALITÉ RÉTENTIVE 81

scolaires. Or l’infériorité est la fragilisation du sentiment de


valeur, sentiment de valeur plus seulement physique comme
au stade précédent, mais social. C’est le stade de l’évaluation :
c’est l’enfant par rapport aux autres. Il fait moins bien ou il est
moins bien que les autres. On peut trouver quelquefois l’origine
de ce problème dans les stades précédents : le fait de s’ouvrir à
l’extérieur en accentue les effets.
D’après vous, qu’est-ce qui peut être à l’origine de l’instau-
ration d’une névrose d’infériorité chez l’enfant aux environs de
4 ans ?
Jusque-là, pour le garçon ou la fille, la vie était exclusivement
affective, c’est-à-dire tournée vers papa et maman et le reste de
la famille. Pas question de prouver quoi que ce soit, de faire ses
preuves ou démontrer sa valeur. Maintenant, par contre, c’est
le moment où l’enfant apprend à correspondre au stéréotype
social : la fille, pour commencer, doit s’identifier à son rôle : un
rôle stéréotypé, dans lequel il n’y a ni compétition, ni affirmation
sociale. Un rôle de mère en quelque sorte. À ce niveau-là, on lui
demande simplement (si j’ose dire !) de s’effacer. L’infériorité
anale n’est donc pas a priori un problème pour elle mais plutôt
une évidence culturelle, quelle que soit sa sensibilité de base.
Peut-être que certaines femmes qui lisent ces lignes vont
bondir mais pourtant...
Souvenez-vous de l’exercice sur les stéréotypes masculins et
féminins que je fais faire dans les stages. Aujourd’hui, quand
je lis ces listes aux stagiaires, ça les fait rire pour certains,
bondir effectivement pour d’autres. Mais quand on compare
avec leurs propres listes, on se rend compte que même si les
choses ont changé (du fait que les femmes ont, dans la majorité
des cas, leur autonomie financière et que les hommes participent
davantage aux tâches ménagères et qu’ils s’occupent davantage
des enfants), quoi que vous en pensiez, on retrouve pas mal
de traits de caractère identiques par rapport à 1964. Certes,
les femmes ajoutent aujourd’hui pour les hommes certains
qualificatifs, comme « macho, menteur, manipulateur », donc
des qualificatifs peu flatteurs. Mais les hommes, eux, ajoutent
des mots valorisants pour la femme d’aujourd’hui. Ils sont moins
« méchants » que les femmes. Néanmoins, les mots donnés par
82 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

les stagiaires hommes et femmes, jeunes et moins jeunes, restent


globalement les mêmes au fil des années.
Donc, pour revenir à notre sujet, je redis que le stade anal
rétentif est plus facile à vivre pour la fille (enfin pour certaines)
que pour le garçon car lui, à ce stade, il doit prouver quelque
chose. Il apprend qu’il devra être fort, grand et qu’il faut qu’il
réussisse à l’école parce que plus tard, ce sera lui le chef de
famille. Vous vous rendez compte quand on a 4/5 ans ? Quel
poids ! Pour peu que le père, voire les parents, lui mette la
pression... Dur, dur ! Le petit garçon a alors trois possibilités
devant lui :
• soit ses aptitudes lui permettent d’adhérer au stéréotype mas-
culin et là, pas de problème. Il deviendra un homme, celui que
la société lui demande d’être ;
• soit il ne se sent pas capable de se conformer à l’exigence des
éducateurs, mais son MOI est suffisamment fort et adaptable :
dans ce cas, il deviendra un homme malgré tout, avec ses
forces et ses faiblesses qu’il essaiera de cacher le mieux
possible ;
• soit enfin, troisième possibilité, il renonce à son identification
masculine et oblique vers la névrose d’infériorité. La névrose
d’infériorité se met en place par conditionnement sur un
MOI fragile et affaibli. Un petit garçon qui a une sensibilité
féminine (ce qui n’a rien à voir avec l’homosexualité), donc
qui est plutôt rêveur, doux, qui n’a pas envie d’être footballeur
ou leader, etc., sera souvent en butte à la moquerie des autres
enfants : pour lui, c’est l’horreur. Il se sent différent des
autres enfants et non-conforme à ce qu’il faudrait qu’il soit et
donc... vous comprenez la suite. Pour se protéger, il enkyste
l’angoisse, etc.
Des propos du style « tu es nul, tu n’y arriveras pas, arrête
de dire des bêtises, mais qu’il est bête ce petit, même ta petite
sœur comprend, tu n’es qu’une fillette », propos tenus souvent
par un père lui-même en état d’infériorité et qui compense ses
problèmes en rabaissant son enfant, sont autant de condition-
nements qui conduisent le petit garçon à mettre en place la
névrose.
5. L’ ANALITÉ RÉTENTIVE 83

Lors d’un stage de psycho, j’étais avec des assistantes sociales et


des éducatrices de la protection de l’enfance et de l’adolescence.
À la pause, nous sommes sorties prendre l’air devant la porte. À
côté de la salle de cours, il y avait une maison où habitaient un
couple et leurs trois enfants, dont un de 4 ans environ. Nous étions
donc en train de discuter quand le père se met à crier à son petit
de 4 ans : « Mais qu’il est c... ce gosse ! Je vais lui casser les c......
avec un marteau ! » Excusez-moi pour la vulgarité des propos
mais ce sont ses paroles. Les assistantes sociales, ahuries, m’ont
demandé si c’était souvent comme ça, ce à quoi j’ai répondu que
c’était régulier, peut-être pas l’épisode des « c...... », mais pour
le reste, oui. Comment imaginer que cet enfant puisse avoir un
sentiment de valeur ? On lui serine, souvent, qu’il est bête pour ne
pas répéter le mot grossier employé. À terme, il ne peut qu’en être
convaincu...
J’ai une autre anecdote du même genre : c’est l’histoire d’un petit
garçon que ses parents, dans les premières années de sa vie,
avaient placé sur un piédestal. C’était un enfant roi, qui avait toutes
les qualités. Pour une raison inconnue, quand il s’est mis à grandir,
la mère l’a descendu, en flèche, de la hauteur où elle l’avait placé :
à partir de ce moment-là, quand, dans la famille, on parlait de lui,
c’était pour dire qu’il était bête et qu’il ne faisait que des bêtises. Il
était devenu la risée de la famille. Quand les oncles et les tantes
parlaient de lui, en dehors de sa présence et de la présence des
parents, c’était pour dire son prénom suivi de : « le pauvre, il est
bête ». Et effectivement, cet enfant est devenu ce qu’on disait
de lui : il tenait des propos idiots, à contresens de ce qu’il aurait
fallu. Il disait ou faisait toujours des bêtises, se survalorisait, attirait
immanquablement l’attention sur lui, etc. Je pense que cet enfant
n’était pas idiot du tout, bien au contraire. Mais il avait tellement
entendu qu’il l’était qu’il a tout fait pour correspondre à ce qu’on
pensait de lui. Je n’ai jamais compris ce qui avait provoqué le
revirement chez la mère. Aujourd’hui, il a 35 ans environ, il est parti
loin de sa famille et a une position sociale importante au sein de
son entreprise. Je pense que ça ne doit pas être facile tous les
jours pour lui, sauf s’il a pu faire un travail sur son passé, qui lui
permette de remettre les choses à leur place.

Ces « petites » histoires ont toutes des répercussions pro-


fondes en fait, sur la vie des gens : ça peut paraître terrible !
Et en même temps, elles sont tellement banales ! C’est encore
le pouvoir des mots, toujours.
84 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

Une mère trop autoritaire, froide, qui ne manifeste aucune


affection envers son enfant, ou à l’inverse une mère qui prend
son enfant en charge dans ses moindres désirs, qui le surprotège,
qui ne lui permet pas de se confronter aux obstacles qui pour-
raient lui apprendre à se mesurer et à s’évaluer produiront le
même effet. Dans le premier cas, l’enfant voudra se protéger de
cette mère froide au détriment de sa propre construction sociale
et dans le second, il cherchera toujours quelqu’un qui le prenne
en charge et qui s’occupe de lui.
On peut également évoquer la misère, qui met l’enfant en
situation d’infériorité sociale objective. Il s’évalue de façon
négative par rapport aux autres enfants. Dans le même esprit,
l’appartenance à une minorité raciale ou religieuse peut créer des
peurs, de l’insécurité ou de l’agressivité. Une disparité physique,
une infirmité peuvent produire des sentiments d’infériorité,
parce que l’enfant ressent une anormalité souvent montrée du
doigt et renforcée par les enfants entre eux : ils ne sont pas
tendres face à la différence !
Pour résumer, tout ce qui instaure un conditionnement à la
dévalorisation ou à la moquerie pourra être à l’origine de la
névrose. Toutefois, comme nous sommes dans le stade social,
ce n’est pas forcément vers 4-5 ans que l’on pourra s’en rendre
compte. Ce n’est que quand l’enfant sera en primaire, au
collège, au lycée et qu’il aura une profession, plus tard, que
l’on comprendra qu’il y a problème. D’autant que pour se
protéger, l’enfant met en avant un leurre. Il peut mentir, se
vanter d’exploits imaginaires qui n’inquiètent pas forcément
les parents : « C’est de son âge »... Dans ce cas, l’enfant se sent
rassuré par l’efficacité de son leurre : il le peaufine et vit à côté
de sa vie en creusant le fossé qui le sépare des autres. Pourtant,
des comportements particuliers devraient donner l’alerte soit
aux parents, soit aux éducateurs.

Signes alarmants

Un enfant trop bon élève, si c’est ce que semblent attendre les


parents. Il voudra à tout prix leur plaire : ça le rendra anxieux
et soumis, à l’affût de ce qui le valorisera. Il cherchera de
5. L’ ANALITÉ RÉTENTIVE 85

manière exagérée l’approbation, sera en quête de compliments,


et toujours de l’avis de celui qui parle... Comme d’habitude,
c’est le trop qui montre le problème. Un enfant bon élève, mais
qui n’est pas névrosé, ne se rend pas malade si un jour il a une
note moins bonne et n’est pas dans l’attente hyper-anxieuse de
la réaction des parents.
De même, un enfant trop timide, trop réservé, renfermé et
fuyant le contact, méfiant, attendant qu’on vienne vers lui : dans
son cas, c’est le rêve et l’imagination qui donnent une sécurité,
illusoire bien sûr. Ou encore un enfant peureux avec, quelque-
fois, des terreurs nocturnes irraisonnées. Ce comportement peut
être une arme excellente contre les parents. Elle désarmera leur
sévérité : comment gronder l’enfant ou exiger des choses, des
performances si cela produit des manifestations aussi drama-
tiques ? Il faut au contraire le rassurer, l’entourer, le protéger.
J’ai eu le cas d’une petite fille qui utilisait, inconsciemment bien
évidemment, ce moyen pour désarmer l’autorité et les exigences
de sa maman. Le problème, c’est que cette petite fille était en
souffrance importante, que ses nuits étaient très agitées. Tout
cela avait des répercussions sur l’énergie qu’elle ne pouvait pas
mobiliser dans la journée : cela lui faisait avoir des résultats
moyens en classe. C’était comme le serpent qui se mord la
queue !
Un enfant bègue exprime, quant à lui, par ce biais-là, sa
difficulté à établir des relations : l’avantage, si l’on peut dire,
c’est qu’il oblige les autres à avoir une attention particulière
pour l’écouter.
On peut aussi mettre dans cette liste l’enfant maladif, chétif,
qui ne mange pas correctement, enfin celui qui monopolise
l’attention sur lui : ça peut être un appel au secours inconscient.
L’enfant énurétique impose à sa mère un surcroît de travail et
de souci : il lui réclame de cette façon plus de soins, d’attentions.
Il lui montre également son désir de ne pas quitter l’enfance ou
d’y retourner, si c’est suite à l’arrivée d’un petit frère ou d’une
petite sœur. Il montre sa peur du monde des adultes. Voilà les
signes qui peuvent donner l’alerte.
Je veux quand même vous redire que c’est l’exagération, le
conditionnement qui produisent le problème. Si un jour, excédé
86 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

par une journée difficile ou par l’enfant qui, ce jour-là, se sera


montré insupportable, un parent le rabaisse et le dévalorise, ce
n’est pas pour autant que la névrose se met en place.

La névrose de culpabilité
Autre névrose de ce stade : la culpabilité. Il faut faire la
différence entre sentiments de culpabilité et névrose. Quand
notre SURMOI se met en place, vers 4 ans, la compréhension du
bien et du mal permet à l’enfant de se sentir coupable s’il fait une
bêtise. Et heureusement que nous avons tous des sentiments de
culpabilité parce que c’est ce qui nous permet d’être insérés
dans la société ! Si nous n’avions aucune notion de ce que
nous n’avons pas le droit de faire, nous ne pourrions pas vivre
socialement, nous serions asociaux.
Si l’enfant a arrêté son développement psychologique avant
l’analité rétentive, les sentiments de culpabilité qu’il éprouve
seront liés soit aux problèmes de formation du MOI (OP), soit
au lien affectif (OA), soit au sentiment de valeur personnel,
à ses possibilités et ses limites (AE). Par contre, à l’analité
rétentive, comme pour l’infériorité, la culpabilité est une névrose
et donc..., ça tourne en rond ! La culpabilité est une névrose liée
au SURMOI qui prend une importance exagérée. Suivant son
importance, le plaisir associé à la satisfaction des pulsions est
assorti de sentiments pénibles : sentiment de ne pas être en règle,
d’être observé, jugé et cela peut aller jusqu’à l’autocensure de
toute satisfaction personnelle. Mais ça, c’est pour plus tard, pour
l’adulte. Pour le moment, nous allons parler de l’enfant.
Dans sa logique, empreinte encore de beaucoup d’imaginaire,
l’enfant ressent, à cet âge-là, qu’on l’aime parce qu’il le mérite.
Ce mot – mériter – est associé à la notion de conformité,
conformité qu’il ressent être spontanément ce qu’on attend de
lui, en se basant simplement sur des impressions subjectives
ou des réactions qu’il observe chez les adultes en fonction de
ses comportements ou de ses réactions. Il se doit d’être vigilant
pour continuer à faire ce qu’il faut pour qu’on l’aime. Si son
MOI est relativement fort, et en fonction de ses expériences
passées, il pourra relativiser. Mais sur un MOI fragile ou affaibli
par des névroses antérieures, ou si les parents ou les éducateurs
5. L’ ANALITÉ RÉTENTIVE 87

« mettent la dose », ce sera difficile pour lui de résister. Sa seule


solution sera...
Bien sûr la névrose... ! La névrose de culpabilité peut s’ins-
taller insidieusement, par conditionnement comme pour l’infé-
riorité, ou alors suite à un traumatisme. Si on parle du condi-
tionnement, les sources sont nombreuses et les exemples que je
vais vous donner sont des paroles qui m’ont été rapportées lors
d’entretiens ou que j’ai moi-même entendues.
Il y a d’abord, la honte, par des phrases du type : « Tu es un
bon à rien, ton frère, lui, c’est quelqu’un de bien ! Tu n’as pas
honte d’être aussi sale, on dirait un porc... J’ai fouillé ta chambre
et regarde ce que j’ai trouvé, tu n’as pas honte ? Regarde ce qui
est arrivé à cause de toi... » Le chantage marche bien aussi : « Si
tu continues comme ça, tu vas me faire mourir. Tu me rends
malade. Tu fais de la peine à ta pauvre mère. C’est toujours
pareil, tu tombes malade au moment de partir en vacances, tu le
fais exprès... » Pour les premiers instincts sexuels, c’est pareil :
« Touche pas, c’est sale ! Je vais le dire à tous tes copains que tu
mets la main dans ta culotte. »
Des mises en scène traumatisantes : l’incapacité des parents
à faire obéir leur enfant peut les pousser à mettre en place un
exercice particulièrement pervers, sous forme de psychodrame
dans lequel les parents font croire à l’enfant qu’une catastrophe
est arrivée à cause de lui. Un parent fait semblant d’être mort
ou agonisant pendant que l’autre le culpabilise en lui faisant
croire que ce qui arrive est de sa faute. Je sais, c’est absolument
horrible ! Quelquefois l’imagination des pervers n’a pas de
limite !
L’imprégnation religieuse précoce : à cet âge (4/5 ans), l’en-
fant n’a pas de possibilité de discernement ou de choix. Il
fonctionne encore sur le magique et l’irrationnel. S’il subit une
imprégnation religieuse culpabilisante avant qu’il ait la possi-
bilité d’analyser et de critiquer, il sera incapable de relativiser
ce qu’on lui dit. Imaginez un enfant à qui on dit « que le petit
Jésus (pour la religion catholique) sait tout, voit tout et sait
même ce qu’il pense »... Si vous vous rappelez ce que j’ai dit
tout à l’heure, à savoir qu’à cet âge, l’enfant a des fantasmes de
destruction des parents, comment voulez-vous qu’il ne se sente
88 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

pas coupable ? Et mauvais. Il sera découvert par le petit Jésus et


donc puni... De fait, pour l’apprentissage de la religion : mieux
vaut attendre 7 ans environ.
Une dame m’a raconté, au cours d’un entretien, qu’elle avait reçu
une éducation religieuse précoce avec bien évidemment un Dieu
si puissant qu’il n’y avait qu’une unique solution : l’obéissance
aveugle, absolue, totale. Aussi, le jour de sa première communion,
qu’on appelait communion privée, elle était bien conditionnée au fait
qu’elle allait recevoir pour la première fois, à travers la communion,
« le corps du Christ », qui allait « la purifier, la sanctifier ». Quand
on lui mit l’hostie dans la bouche, comme cela arrive souvent, elle
s’est collée sur son palais et « impossible de l’en décoller ». Elle
me raconte qu’elle a vécu un grand moment d’intense panique
parce qu’elle ne savait pas quoi faire de ce corps du Christ, sans
désobéir aux consignes.
Elle s’est rendu compte au cours de cet entretien que, symbolique-
ment, depuis ce jour-là, l’hostie est toujours là. Elle est devenue
une femme de devoir, qui ne s’accorde que peu de plaisirs mais qui
s’impose beaucoup d’obligations. Même si elle a, depuis longtemps,
relativisé les préceptes de sa religion, il n’en demeure pas moins
qu’elle est toujours marquée par eux.

Ou alors, pour continuer à parler du « magique » : le parent


qui dit régulièrement à son enfant qui ment, par exemple, « je
sais que tu mens, le petit oiseau me l’a dit... »... L’enfant peut
interpréter que « Ouah ! elle est forte cette maman ou ce papa :
ils savent parler avec les petits oiseaux ! »... et les petits oiseaux
lisent en lui, donc... culpabilité !
En ce qui concerne la mise en place de la culpabilité trauma-
tique, l’enfant ressent une intense émotion de culpabilité basée
sur le sentiment d’avoir commis une faute impardonnable et
irrémédiable. Ce sentiment s’accompagne immédiatement de la
certitude d’une punition très prochaine. S’ensuit alors une souf-
france permanente qu’il assimile à une punition certainement
méritée. Pour illustrer cette forme de culpabilité, j’ai un exemple
douloureux à vous raconter.
Il s’agit de l’histoire de deux frères pour qui la vie a basculé en une
soirée. Ils avaient respectivement 4 et 7 ans quand est arrivé ce
que je vais raconter. Leur maman est décédée suite à un accident.
Après ce drame, les grands-parents paternels sont venus s’occuper
5. L’ ANALITÉ RÉTENTIVE 89

des deux enfants pendant que le père travaillait. Ils ont compensé
du mieux qu’ils ont pu l’absence de leur mère et le chagrin du père.
Plus tard, le père a rencontré une jeune femme. Après plusieurs
mois, ils ont déménagé chez cette personne et les grands-parents
sont rentrés chez eux. Très touchée par le malheur qui les avait
frappés, la jeune femme a aimé le père et « adopté » les enfants
et les a aimés comme si c’était les siens.
J’ai connu le plus jeune, qu’on appellera T., quand il avait 8 ans
environ. Il m’avait été amené parce qu’il allait mal. Dès qu’il était
à table, il avait envie de vomir, voire vomissait ce qu’il avait avalé.
Il était limite anorexique. Le père, malgré sa nouvelle vie, ne se
remettait pas du drame qu’il avait vécu, ce qui pesait également
sur les enfants. Je passe sur les discussions que j’ai eues avec
T. pendant plusieurs entretiens, où on essayait de comprendre
pourquoi il n’arrivait pas à manger. Mais avant d’expliquer la suite,
il faut savoir comment la maman est décédée. C’était le soir, ils
rentraient du restaurant où ils avaient passé la soirée avec des
amis. Sur la route, un accident venait de se produire. Le père a
garé sa voiture sur le bas-côté et a dit à sa femme qu’il allait voir
s’il pouvait aider, qu’elle reste dans la voiture avec les enfants. Ce
qu’elle fit pendant un bon moment. Ne voyant pas revenir son mari,
elle dit à l’aîné, qui ne dormait pas (T. lui dormait), qu’elle allait voir
ce que son papa faisait. Elle est descendue de la voiture et là, elle
a été fauchée par un autre véhicule qui arrivait à vive allure et qui
n’a pas pu l’éviter. Je pense qu’elle est décédée sur le coup.
Pour en revenir à T., lors d’un entretien où l’on parlait, encore une
fois, de ses difficultés, je lui ai demandé de quoi il se punissait : et là,
de très gros sanglots sont montés de je ne sais où. Cet enfant était
bouleversant. Je n’oublierai jamais ces sanglots, qui n’en finissaient
pas de sortir du plus profond de lui. Quand il a pu se calmer un
peu, il m’a dit : « tu comprends, si je n’avais pas dormi, j’aurais
pu crier pour la prévenir et Maman ne serait pas morte. » Devant
tant de souffrance et devant sa culpabilité, j’ai eu beaucoup de mal
à contenir mon émotion pour lui dire qu’il n’y était pour rien, que
ce n’était pas de sa faute, que c’était la faute du conducteur de
la voiture, qui allait trop vite. J’avais devant moi ce petit garçon
qui depuis toutes ces années se culpabilisait pour une faute qu’il
n’avait pas commise et vous vous rendez compte, se culpabiliser
de la mort de sa maman, ce que ça doit vouloir dire ! L’histoire ne
s’arrête pas là.
Plusieurs années après, le frère aîné est venu me voir, réticent au
début. On va l’appeler P. Il n’en avait pas vraiment envie mais lui
aussi allait mal. Ça se manifestait différemment, mais le résultat,
90 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

c’était la souffrance. Je l’ai vu souvent et on parlait de tout un tas


de choses mais pas forcément de sa mère ou très rapidement. Le
sujet était évité. Jusqu’au jour où je lui ai demandé de me parler du
jour de l’accident. Et là, avec beaucoup d’émotion, il m’a raconté
que quand il était petit, il était plus souvent avec son père qu’avec
sa mère. Il se rappelait que ce soir-là, au restaurant, il était assis à
côté d’elle et qu’il était couché sur ses genoux. Il avait envie d’être
près d’elle. Puis, dans la soirée, il a eu très mal au ventre. La mère
a souhaité écourter la soirée puisque son enfant n’était pas bien.
Ils sont donc partis plus tôt que prévu. Et là, il a réussi à me dire
que s’il n’avait pas été malade, s’ils n’étaient pas partis plus tôt, ils
n’auraient pas vu l’accident, donc ils ne se seraient pas arrêtés et
sa maman serait toujours là. Donc c’était de sa faute. Comme pour
son petit frère, avec beaucoup de douceur, je lui ai expliqué qu’il se
punissait pour une faute qu’il n’avait pas commise. Ce n’était pas
de sa faute.
Mais hélas, l’histoire ne s’arrête pas là parce que quand P. m’a
parlé de sa culpabilité, ce que je vais raconter maintenant était déjà
arrivé, ce qui n’a fait que renforcer sa culpabilité. Il devait avoir 12
ou 13 ans. Pour des vacances scolaires, ils étaient chez les grands-
parents paternels qui s’étaient occupés d’eux au moment du décès
de leur mère. Les deux frères se disputaient. Les grands-parents,
qui devaient aller faire des courses, ont décidé de les séparer. Ils
ont pris T. avec eux et P. est allé chez sa tante dans la maison
à côté. En route, le grand-père a un malaise cardiaque. Ils ont
un accident. Il décède, la grand-mère est gravement blessée et
T. également. Nouvelle culpabilité pour P. qui ressent que s’il ne
s’était pas disputé avec son frère, soit T. ne serait pas parti avec les
grands-parents, soit il serait parti lui aussi et aurait été blessé avec
eux. Ajoutez à ça la douleur de perdre son grand-père, qu’il adorait.
Vous voyez comment se met en place la névrose de culpabilité
traumatique. Tous les deux se sont sentis coupables de la mort
de leur mère pour des raisons différentes et P. a surenchéri avec
l’accident de son petit frère. Je vous rassure, aujourd’hui, ils vont
bien, du moins comme pour tout le monde avec des hauts et des
bas, mais ils s’en sortent bien. Chacun a réussi, en fonction de ce
qu’ils sont. Ce sont des garçons bien, ils ont du mérite, ils ont su se
servir du négatif pour rebondir. Ils sont aujourd’hui papa tous les
deux.

On peut ajouter ce qu’on appelle les coïncidences fatales


subjectives : il peut arriver, sans que ce soit de la perversion
comme tout à l’heure, que l’on dise à un enfant dans un moment
5. L’ ANALITÉ RÉTENTIVE 91

d’agacement : « tu me rends malade » ou « tu veux ma mort ou


quoi ? ». Si par un hasard extraordinaire, la chose annoncée se
produit, une culpabilisation brutale et immédiate peut se mettre
en place. De même, un enfant qui entend par hasard une dispute
entre ses parents, une dispute qui le concerne ou des parents
qui se disputent souvent et ne sont pas d’accord sur la façon de
l’éduquer : si dans un avenir proche, les parents se séparent, il
pourra penser que c’est de sa faute et avoir recours à la névrose
pour sauvegarder son MOI.

La névrose de rejet
Et de trois, donc : la névrose de rejet, d’exclusion. C’est
un ressenti subjectif et violent d’abandon, vécu en termes
d’injustice. On peut dire que c’est une névrose d’abandon qui
se met en place à l’analité rétentive, donc sous forme de vécu
violent.
J’ai en tête l’exemple d’un petit garçon qui était rejeté par son père.
Ils étaient sept enfants dans cette famille et lui était le sixième.
On l’appellera A. C’était le vilain petit canard de la famille. Pour
une raison incompréhensible, le père de cet enfant ne l’aimait
visiblement pas. Il était dur avec lui, plus qu’avec les autres, ce
que l’enfant ressentait comme injuste. L’adulte qu’il est devenu m’a
raconté qu’il faisait tout ce qu’il pouvait pour plaire à son père.
Celui-ci adorait aller pêcher. A., pour partager un moment privilégié
avec lui, lui demandait de l’amener. Il était prêt à tout pour vivre ce
moment et tenter de se rapprocher de lui. Le père se levait très tôt.
Il allait réveiller son fils en le pinçant fortement, en lui faisant très
mal. A. résistait à la douleur pour ne pas réveiller ses frères qui
dormaient à côté de lui de peur qu’ils ne veuillent eux aussi aller
pêcher avec leur père, ce qui l’aurait privé de ce moment partagé
où d’ailleurs il ne se passait rien de ce qu’il attendait. Et à chaque
fois, il revenait malheureux parce qu’il se sentait encore plus rejeté
par ce père qui ne le regardait même pas. Plus tard, au moment de
l’adolescence, le père lui demanda de quitter la maison pour laisser
la place au mari de sa sœur. Ce fut à nouveau un ressenti de rejet
et d’injustice : « Pourquoi il ne m’aime pas, quelle faute ai-je bien
pu commettre ? » A. est devenu un enfant et plus tard un adulte
qui, subjectivement, faisait tout ce qu’il pouvait pour être aimé et
reconnu : il se sentait rejeté et exclu dès que ça ne se passait pas
comme il le voulait.
92 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

On reconnaît ces enfants car ils se replient sur eux-mêmes


si on ne les écoute pas quand ils parlent : ils ressentent qu’on
écoute davantage leur frère, ou leur sœur, ou n’importe qui
d’autre d’ailleurs. Donc : ressenti d’injustice !

La névrose d’échec
Dernière étape : la névrose d’échec. Là, c’est une combinai-
son d’infériorité et de culpabilité. L’enfant trouve la justification
de son infériorité dans un ressenti de culpabilité dont la punition
sera l’échec. Cette névrose se met en place évidemment à
l’analité rétentive mais se matérialisera vraiment au moment
de la scolarité, en période d’examens ou dans le domaine sportif
quand l’enfant est en compétition. On connaît le cas de ces
enfants qui ont révisé leurs examens parfaitement et qui, au
moment où ils sont devant leur feuille, ne savent plus rien, ne
réussissent pas là où il n’aurait pas dû y avoir de problèmes.
Pareil pour le sport : un enfant très bien entraîné, qui est prêt,
qui, pendant les entraînements, réussit tout et qui, le jour de la
compétition, commet l’erreur fatale ! Pour l’adulte qu’il devient,
ce sera la voiture qui tombe en panne malencontreusement le
jour où il doit se rendre à un entretien très important pour lui :
après examen, la voiture marche très bien... Ce qu’il y a donc à
retenir pour cette névrose, c’est que pour qu’elle existe, il faut
qu’il y ait névrose d’infériorité et névrose de culpabilité.

L’ ANALITÉ RÉTENTIVE CHEZ L’ ADULTE


Un adulte fixé à l’analité rétentive a des outils à sa disposition
pour être intégré dans notre société. C’est une personne que l’on
retrouvera soit dans la soumission, soit dans la domination. À ce
stade, nous avons les dominants et les dominés, les chefs et les
exécutants, « les hommes et les femmes » avec les stéréotypes
bien marqués dont nous avons parlé tout à l’heure. Je vais faire
la liste des acquis spécifiques de l’adulte, si ce stade se passe
correctement, ou pas trop mal, pour lui :
• le sens des réalités ;
• l’adaptation aux règles de la vie sociale ;
5. L’ ANALITÉ RÉTENTIVE 93

• le sentiment de valeur sociale, et plus seulement physique


comme au stade anal expulsif ;
• des conduites stéréotypées ;
• l’utilisation contrôlée de la violence ;
• l’autorité, le sens de la hiérarchie, de la place, du rang social,
du pouvoir ;
• l’organisation, l’ordre, la méthode, l’efficacité, la productivité,
la rentabilité, la réflexion, l’opiniâtreté, la logique, la gestion,
la prévision, le calcul ;
• le rôle et la valeur de l’argent ;
• la combativité, le sens de la lutte, de l’opposition et/ou de la
soumission ;
• la manipulation, le dirigisme, la stratégie ;
• le sens des valeurs humaines (honnêteté, humanisme, pro-
bité...) ;
• le sens du devoir et du sacrifice, la religiosité, le dévouement ;
• le sens du territoire, de la propriété, de la possession. Je
connaissais un Monsieur qui avait écrit sur sa boîte aux
lettres : Monsieur X – PROPRIÉTAIRE. C’était un colonel à
la retraite ;
• le sens des affaires, du commerce, du bénéfice, de la récom-
pense, des honneurs, de la valorisation sociale ;
• l’autonomie, et non plus l’indépendance (souvenez-vous du
scaphandrier !) ;
• les opinions personnelles sur le bien et le mal ;
• la conscience de l’existence des autres, le sens de l’équipe, de
la solidarité ;
• la conscience de la nécessité du travail ;
• la notion d’utilité ;
• le recours au fantasme pour échapper aux contraintes ou aux
manques ;
• la recherche de solidité, de bâti, de racines, la stabilité, l’atta-
chement ;
• le goût du secret, du cloisonnement, du pouvoir occulte.
94 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

Comme vous pouvez le constater, tous ces concepts corres-


pondent aux normes et valeurs de notre société... Récapitulons :
ce qui intéresse ou motive les personnes concernées par ce
stade, ce sont toutes ces choses que je viens de lister et dont
je reparlerai plus tard en les détaillant. Mais (parce que, bien
évidemment, vous avez compris maintenant qu’il allait y avoir
un mais...), quand il y a eu problème pendant l’enfance, on en
retrouvera la trace chez l’adulte.

La névrose d’infériorité chez l’adulte


Pour être bien intégré socialement, il faut avoir le sens social,
ce qu’il ne faut pas confondre avec la sociabilité. On peut
être très sociable, avenant, gentil, ouvert, recherché pour sa
compagnie agréable et ne pas avoir ou avoir peu de sens social.
Avoir le sens social, c’est avoir le sentiment d’appartenance
au groupe, c’est ressentir le besoin de concourir à l’harmonie,
au développement commun et, aussi, en retour, de recevoir la
récompense : félicitations, honneurs, argent, bonheur, amour,
etc.
Erwin Wexberg, psychiatre neurologue autrichien, a défini
quelques autres critères pour caractériser ce qu’est le sens social.
Tout d’abord, un sens de la réalité permettant de voir les choses
et les événements dans une perspective « objective », loin de
toute vie égocentrique et de tout intérêt personnel. Ensuite, une
pensée logique, non déformée par la peur (peur qui déforme
l’image de la réalité, exagère certaines menaces et fait apparaître
des dangers là où il n’y en a pas), une pensée disposée à
accepter les vicissitudes de la vie, les moments défavorables...
Enfin, un sens de la responsabilité concernant nos faits et gestes,
nos pensées et nos sentiments : il s’agit d’assumer tout cela
sans vouloir en imputer une partie ou la totalité au sort, à la
malchance, à la malveillance, à la jalousie, à la rancune ou à
quelque instance supérieure que ce soit...
Une stagiaire, en m’entendant énumérer ces critères, nous
a dit que ça lui faisait penser au Tao Te King, soit Le Livre
de la Voie et de la Vertu écrit au VIe siècle avant notre ère
par Lao-Tseu en Chine... car cette idée d’être « responsable »,
5. L’ ANALITÉ RÉTENTIVE 95

de voir les choses telles qu’elles sont, sans peur, ça lui a fait
penser à ça ! Seulement, c’est un idéal absolu que décrit ce livre,
comme quelque chose d’inaccessible sauf au prix d’un très très
long travail sur soi... Mais pour notre adulte qui, lui aura une
névrose d’infériorité, toutes ces choses-là, ce n’est même pas
la peine d’y penser ! La névrose, c’est une insuffisance, voire
une absence de sens social. J’ai dit que l’enfant, pour donner le
change, vivait à côté de sa vie, mettait en place un leurre pour
cacher ses peurs et ses insuffisances. L’adulte va faire pareil : il
trouve des moyens de compensation pour cacher ses manques.
Vous avez pu constater que la déficience d’un organe, par
exemple, peut être compensée par un autre organe ou un autre
sens pour pallier cette déficience. Et bien, psychologiquement,
c’est pareil. Cela peut être le recours aux fantasmes, qui peuvent
soulager le poids de l’angoisse de celui qui se sent incapable
d’agir. Quelqu’un qui se trouve trop petit en taille peut déve-
lopper des conduites d’autorité ; un enfant mauvais dans les
disciplines scientifiques compensera peut-être en sport, musique
ou dessin...
Pour reconnaître une névrose d’infériorité chez un adulte, on
dispose de plusieurs repères (plus les repères sont nombreux
chez une même personne, plus le problème est important et bien
ancré). Là aussi, je vais faire une liste. On commence par :
• une forte subjectivité égocentrique : la personne, malgré les
apparences qu’elle peut donner, ne s’occupe que d’elle. Son
intérêt passe avant tout ;
• une peur existentielle : la réalité de la vie est source de crainte,
de sentiments d’incapacité à être à la hauteur des situations
ou à répondre aux demandes du groupe ;
• une intolérance aux frustrations : les moments défavorables
de la vie sont mal vécus. Ils donnent lieu à des conduites de
refus, d’abattement, des ressentis d’injustice ou d’incompré-
hension ;
• une indisponibilité au travail et aux exigences de la société :
la personne n’a que peu d’intérêt pour la participation-travail
dans le groupe, par manque de goût, par désintérêt pour les
objectifs, par crainte des contacts professionnels ;
96 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

• une incapacité à considérer sa propre part de responsabilité


dans les mésaventures de la vie : c’est le sort, la malchance,
la mauvaise étoile qui empêche de réussir, ou les autres,
la malveillance, la vengeance, la jalousie, l’hostilité qui se
heurte à sa bonne volonté, ou encore une instance supérieure
malveillante comme quelque démon ou quelque saint ou jeteur
de sorts qui lui en voudraient personnellement ;
• l’envie : ce que la personne a, ce qu’elle vit n’est jamais
suffisant. Elle voudrait tout avoir sans faire d’effort. Cette
envie peut se manifester par des attitudes de hargne, de
dévalorisation, de mauvaises querelles ;
• la tristesse : le malheur est exprimé de manière exagérée. La
personne se positionne en victime, attire la compassion, le
soutien, la consolation. Tout cela lui permet de détourner
l’attention de ses insuffisances de fond ;
• la rancune : comme la personne ne peut pas admettre sa part
de responsabilités dans ses actes, elle accuse les autres. Le
ressenti d’injustice qui est en elle et le fait qu’elle pense que
les autres cherchent à lui nuire l’amène à attendre excuses ou
réparations. Si ça n’arrive pas ou si ça n’arrive pas comme
elle le souhaiterait, elle concevra une rancune tenace à leur
encontre ;
• le pédantisme : c’est le masque par excellence, celui qui lui
permet de cacher son infériorité. Locutions sentencieuses,
affirmations continuelles de principes, citations culturelles
envahissantes, phraséologie compliquée sont les outils que
l’adulte emploie pour ça ;
• la supériorité affichée et condescendante : exigences déme-
surées, arrogance, fanfaronnades, snobisme, conduites tyran-
niques envers des personnes ressenties comme faibles ou alors
subjuguées, fascinées, gouroutisées, besoin de se lier avec des
personnalités et de faire étalage de ce lien ;
• la peur au quotidien : les démarches administratives, examens,
situations de recrutement, discussions avec un supérieur hié-
rarchique sont autant de situations difficiles à affronter. Tout
sera fait pour éviter de se confronter à ces situations, quitte
à se mettre en difficulté, mais en donnant quelquefois de soi
5. L’ ANALITÉ RÉTENTIVE 97

une image sereine : « ce n’est pas de sa faute, il était malade...


la voiture était en panne... ». La personne peut aller jusqu’à
se rendre victime d’un véritable accident si la confrontation
devient inévitable ;
• des attitudes velléitaires : la personne fait croire qu’elle va
faire telle ou telle chose, qu’elle allait le faire alors qu’en réa-
lité, ses doutes l’empêchent de le faire. Toutes les rationalisa-
tions entrent alors en scène, qui justifient son immobilisme : la
fatalité, les autres, des obstacles ou des événements imprévus,
une nécessité absolue d’approfondir certaines connaissances
avant de mettre en œuvre, le besoin d’un temps de réflexion
supplémentaire, l’incompétence de ceux qui sont censés four-
nir les informations nécessaires...
Vous comprenez bien qu’on ne va pas retrouver tous ces
traits de caractère chez une même personne. Mais plus on en
retrouvera, plus on pourra dire que la névrose est importante.

Figure 5.1.

Sur la figure 5.1, comme pour les autres cercles, le point


de départ est une angoisse : ici ce sera peut-être la peur de
la moquerie, du ridicule, sentiment de ne pas être à la hauteur,
d’être inutile, insuffisant, avec un ressenti de vide intérieur. Cette
étape, comme vous le savez maintenant, durera... un certain
temps !
98 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

La phase d’espoir consiste ici en la disparition de la panique :


la personne interprète que si elle ne s’est pas sentie à la
hauteur, c’est parce que... ceci ou cela. Elle trouve toujours
une bonne raison qui explique que c’est la faute des autres si
elle s’est retrouvée dans cette situation. Elle met en œuvre des
comportements pour se prouver qu’elle a bien compris et qu’à
partir de maintenant, elle agira autrement. Et que ça marchera !
La personne se sentira à la hauteur, fera ce qu’il faut pour être
reconnue, trouve sa place dans le groupe, se rend utile, efficace,
compense ses manques et met en place un leurre qui donnera le
change. Et ça marchera : elle pourra faire étalage de sa réussite.
Elle se sent exister. C’est le moment où elle peut dévaloriser les
personnes qu’elle ressent être plus faibles qu’elle ou qui sont
moins douées dans un domaine. Elle aura des réflexions du type :
« et tu ne sais pas faire ça ? C’est facile pourtant ! ».
Seulement voilà : comme pour les autres cercles, cette phase
d’apparence de plénitude ne peut durer et les doutes sur l’écran
mis en place commencent à titiller la personne. Cela se traduira
par exemple par : « Oui mais, sur ce dossier, je n’ai pas appro-
fondi comme je l’aurais dû ; ils vont peut-être s’en apercevoir.
On va peut-être se rendre compte que je ne sais pas faire cette
tâche correctement : s’ils grattent un peu, ils vont voir que mes
connaissances sont superficielles. Quand j’ai pris la parole en
réunion, je me suis aperçue que mon collègue souriait en me
regardant ; et ensuite il a parlé avec son voisin qui a souri à son
tour, je pense qu’ils se sont moqués de moi »... La personne peut
alors faire ou dire la bêtise qui attirera l’attention.
Arrive donc la phase du renforcement des doutes avec des jus-
tifications qui ne sont pas demandées, de la vantardise quelque-
fois, ou au contraire de la fermeture, du repli, de la victimisation,
pour arriver à la certitude d’échec qui nous ramène à l’angoisse
du début. Retour à la case départ ! Où la personne n’ose plus
rien faire, a peur d’être découverte, se terre dans son coin avec le
sentiment que tout le monde voit qu’elle est une moins que rien,
avec des attitudes d’évitement, de fuite. Professionnellement,
elle peut refuser ou fuir certains travaux, persuadée qu’elle n’est
pas capable de les assumer. Elle peut aussi refuser une sortie
avec des amis parce que de toute façon, elle n’a rien à apporter,
5. L’ ANALITÉ RÉTENTIVE 99

elle n’est pas intéressante et ils vont s’en apercevoir « et puis,


en plus, je ne sais pas danser on va se moquer de moi... », etc.
Si, chez des amis, elle aide à la cuisine, c’est le moment où
elle va casser un verre, une assiette ou autre chose, tomber le
gâteau qu’elle allait mettre dans le plat ou si c’est chez elle,
rater le plat qu’elle réussit si bien habituellement. Enfin vous
voyez, les exemples ne manquent pas, on pourrait en ajouter des
centaines !

Encore une fois, une stagiaire a raconté une anecdote dont je vous
fais part.
Quelqu’un que je connais s’est fait une spécialité de cuisiner très
bien, avec beaucoup de goût et de soin apporté aux plats et
aux produits, certaines fois, et de manière complètement déplo-
rable d’autres fois, sur les mêmes plats et mêmes produits ! Par
exemple, elle réduisait un jour le temps de cuisson de moitié,
ou oubliait carrément des ingrédients de base, dans des plats
qu’elle connaissait pourtant parfaitement ! J’avais beau, moi qui n’y
connais rien, dire timidement qu’il me semblait bien que le temps
de cuisson était le double la dernière fois, ou qu’elle avait mis
tel ingrédient, rien n’y faisait : la personne préparait littéralement
le ratage, toute seule ! Je ne m’expliquais pas jusqu’à présent
la raison de ces changements brutaux et imprévisibles, et je
comprends juste maintenant : c’était impeccable pour bien repartir
à la case départ, à son ressenti constant d’infériorité, surtout devant
des témoins choisis (puisqu’évidemment, tout dépendait des invités
et des circonstances).

Voilà donc, pour cet exemple, comment se comporte un adulte


qui a un problème d’infériorité.

La névrose de culpabilité chez l’adulte

Elle est liée au SURMOI. Le SURMOI est le gendarme social


qui est en nous et qui, je vous le rappelle, se met en place vers
4 ans chez l’enfant, en internalisant les normes, les règles, les
interdits, les valeurs de la société dans laquelle il vit. Le SURMOI
oblige l’enfant à faire reculer le principe de plaisir pour faire
place au principe de réalité : c’est l’équilibre entre ces deux
pôles qui fait qu’une personne se sent à l’aise et trouve sa place.
100 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

Il nous arrive à tous, à moment donné, d’avoir le sentiment de


ne pas avoir fait ce qu’il fallait, d’avoir fait de la peine ou d’avoir
vexé quelqu’un. C’est ce qui nous pousse à réfléchir avant d’agir,
à faire attention aux autres, à respecter les règles sociales et à
développer son sens social. Mais ça, évidemment, c’est quand
tout se passe bien. Quand il y a névrose de culpabilité, le principe
de réalité prend beaucoup plus de place, au détriment du principe
de plaisir. Le plaisir est coupable, il n’est pas mérité. Et comme
tout coupable doit être puni, vous comprenez ce que ça peut
donner...
Dans la névrose de culpabilité, il y a deux degrés.
Dans le premier cas, la personne va avoir un ressenti diffus :
celui de ne pas être en règle. Pourquoi, elle ne sait pas. Mais
elle ressent qu’elle n’a certainement pas fait tout ce qu’il fallait
pour être conforme. CONFORME, le maître mot du coupable...
Il faut être conforme. Pour être accepté, reconnu, il faut se
conformer à l’attente supposée des autres. À ce degré-là, la
personne accepte de prendre du plaisir, en profite mais ensuite
« elle se le fait payer » par la souffrance qu’elle va ressentir car
elle aura osé prendre du plaisir. Elle oscille entre le besoin de
souffrir et celui de se faire plaisir « frauduleusement ». D’où
des conduites ambiguës, où elle joue à se faire peur en alternant
le plaisir interdit et la souffrance obligée, par l’autopunition.
La prise d’un plaisir (qu’il soit sexuel, alimentaire, cultu-
rel, intellectuel, convivial, qu’il s’agisse d’une tricherie, d’une
combine pour échapper à une corvée, d’une grasse matinée
alors que la vaisselle s’accumule, d’une sortie coûteuse ou d’un
beau cadeau lorsqu’on a un budget serré...) sera suivie, parce
qu’elle produit immédiatement des sentiments de culpabilité, de
conduites de rachat destinées à exorciser les ressentis pénibles.
Surtout que la personne a le sentiment d’être observée dans ses
actes et jugée défavorablement, et ce, même si aucun jugement
réel n’a été énoncé ! L’interprétation d’un regard, d’une attitude,
d’un mot, suffit à déclencher le système. Toutefois, à ce niveau
de névrose, le plaisir sera recherché malgré les conséquences :
« Tant pis... ! On le paiera », « On se rachètera... »
N’avez-vous jamais entendu ce type de réflexions ?
5. L’ ANALITÉ RÉTENTIVE 101

« Qu’est-ce qu’il fait beau en ce moment ! », suivi de « C’est sûr !


Mais on va le payer ! » ou, plus subtil : « Ah ça, m’en parle pas :
c’est la sécheresse qui s’annonce et là, on n’a pas fini d’en voir !
Déjà que les sols sont tout secs ! » Inutile de dire que quand,
timidement (j’étais gamine et ça m’inquiétait réellement, moi, la
sécheresse !), je faisais remarquer un autre jour qu’il pleuvait
enfin et qu’on pouvait être soulagés, j’obtenais bien souvent le
même résultat, adapté bien sûr, soit : « Arrête ! Cette pluie forte,
là, c’est pire que le beau temps. Sur ces sols, c’est la catastrophe
assurée ! », soit : « Pff. Qu’est-ce que tu veux que ça fasse, cette
petite pluie de rien ! Non, vraiment, ce n’est pas une bonne
année ! » Il y a une réponse pour tous les types de temps puisque
de toute façon, il ne fallait surtout pas prendre du plaisir, même pas
celui d’un doux soleil de printemps !

Le deuxième degré de la culpabilité, lui, correspond bien à


la violence du stade anal rétentif. La personne a un sentiment
permanent de mécontentement de soi, d’indignité. Ce qu’elle
fait n’est pas bien ; ce qu’elle pense est inavouable. Elle a honte
d’elle. Le plaisir est totalement interdit, contrairement à ce qui se
passe au premier degré. L’origine de ce type de culpabilité peut
se trouver dans le conditionnement ou l’imprégnation religieuse
trop précoce, comme on l’a vu.
À ce niveau-là, il ne s’agit plus de simples sentiments dif-
fus mais d’angoisse permanente et donc de souffrance. La
souffrance fait vivre. D’ailleurs, en entretien, il m’est arrivé
plusieurs fois la chose suivante : des personnes arrêtaient le
travail qu’elles avaient entrepris en se rendant compte que si
elles comprenaient d’où venaient leurs difficultés, elles iraient
mieux, donc elles souffriraient nettement moins. Et là, horreur !
Qu’est-ce qu’elles allaient mettre à la place ? Elles avaient été
habituées à vivre avec cette souffrance : elles paniquaient à
l’idée du vide qu’elles ressentiraient, pensaient-elles, si cette
souffrance n’était plus là.

Signes de la névrose

Ce sont des personnes qui sont vigilantes en permanence :


elles sont toujours à l’affût de ce qui se passe, ont besoin
d’anticiper les réactions présumées des autres. Elles ont des
102 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

comportements exagérés de protection devant des dangers per-


çus par elles seules et inexistants pour l’entourage. Poussé à
l’extrême, cela peut devenir de la paranoïa. Elles s’attirent alors
des réflexions interrogatives ou des regards perplexes qu’elles
interpréteront immédiatement comme autant de jugements.
Des personnes qui épient leurs voisins, qui interprètent leurs faits
et gestes pour dire ensuite que, si ces mêmes voisins font telle ou
telle chose, c’est pour les embêter, pour leur faire du mal et pour
leur prouver qu’ils font mieux qu’elles. Vous connaissez l’histoire
du marteau ? C’est un monsieur qui veut accrocher un tableau. Le
voisin a un marteau, que notre homme décide de lui emprunter.
Mais voilà qu’un doute le saisit. Et si le voisin s’avisait de me le
refuser ? Hier, c’est tout juste s’il a répondu d’un vague signe de
tête quand je l’ai salué. Peut-être était-il pressé ? Mais peut-être
a-t-il fait semblant d’être pressé ? Et pourquoi ne m’aimerait-il pas ?
J’ai toujours été fort civil avec lui, il doit s’imaginer des choses. Si
quelqu’un désirait emprunter un de mes outils à moi, je le prêterais
volontiers. Pourquoi refuse-t-il de me prêter son marteau hein ?
Comment peut-on refuser un petit service de cette nature ? Ce sont
des gens comme lui qui empoisonnent la vie de tout un chacun !
Il s’imagine sans doute que j’ai besoin de lui. Tout ça parce que
Môssieu possède un marteau. Je vais lui dire ma façon de penser,
moi ! Et notre homme sonne à la porte et, sans laisser le temps de
dire un mot au malheureux qui lui ouvre la porte, s’écrie furibond :
« gardez-le votre sale marteau, je n’en ai pas besoin, malotru ! »
Cette histoire est extraite du livre de Paul Watzlawick (psychiatre),
Faites vous-même votre malheur.

Ce sont également des personnes intransigeantes. Elles ont


un sens strict de la morale, des principes, des notions du bien et
du mal bien ancrées, le sens de ce qu’il faut ou ne faut pas faire,
de ce qui est interdit ou immoral. Elles ont des idées préconçues
sur tout ce qui est d’ordre éducatif, social, relationnel, moral,
religieux et vont tenter de les imposer à leur entourage, soit de
façon claire et verbale, soit par des attitudes désapprobatrices,
des silences qui en disent long, des comportements de victime.
Ce sont des coupables qui jugent en permanence les autres
et qui vont souffrir, puisque c’est le but : si leur entourage
ne se conforme pas à leur propre notion du bien, elles se
sentiront incomprises, jugées à leur tour et ne manqueront pas
de dire que si elles souffrent, c’est la faute des autres. Elles se
5. L’ ANALITÉ RÉTENTIVE 103

veulent inattaquables dans tous les domaines. Elles seront donc


perfectionnistes au point d’en devenir pénibles pour l’entourage.
Autre point : le repos est interdit. Se reposer, c’est ne plus
être vigilant, ne plus réfléchir, ne plus prévoir. En plus, le repos
amène du plaisir. Ce seront donc des personnes toujours actives,
qui se veulent utiles pour les autres, qui cherchent à aider même
quand on ne leur demande rien, qui peuvent être envahissantes
en voulant rendre service, qui ne s’arrêtent jamais... et tombent
malade au moment des vacances. Je connais un monsieur qui a
fait une allergie au soleil au moment de partir en vacances...
Cette forme de culpabilité est lourde tant pour le coupable
que pour l’entourage. En caricaturant, ce sont des personnes qui
s’excusent de demander pardon, qui s’excusent s’il ne fait pas
beau, qui s’expriment en disant tout le temps « j’avoue que... »
(il n’y a que les coupables qui avouent).
Je vous invite à faire un petit tour de manège pour la névrose
de culpabilité (figure 5.2). Une petite précision : à chaque étape,
je parlerai également des ressentis des personnes qui ont une
névrose de rejet et/ou une névrose d’échec, comme ces névroses
sont liées à la névrose de culpabilité.

Figure 5.2.

Au départ, dans la phase de souffrance, on retrouve des sen-


timents d’indignité, de honte de soi, l’impression d’être inutile,
voire nuisible, d’être un moins que rien, un être abject, une
104 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

saleté. Oui, ça va jusque-là ! Ce sera le moment où la personne


aura besoin par exemple d’avoir des attitudes purificatrices en
se lavant tout le temps, en priant, en s’accusant publiquement.
Le rejet amènera, en plus, des ressentis douloureux d’exclusion
et l’échec, la certitude qu’elle n’arrivera jamais à rien.
Dans la phase d’espoir, domine le sentiment d’être soutenu,
consolé : la personne relativise la faute commise, a besoin de
montrer que finalement elle n’est pas si mauvaise que ça, a
besoin de se racheter. Elle prend de bonnes résolutions, se
montre conforme à ce qu’elle pense que l’on attend d’elle. En
cas de névrose de rejet, la personne se livre à une observa-
tion attentive des signes d’encouragement à rétablir le contact,
conduite visant à se faire « pardonner ». En cas de névrose
d’échec, elle entame une réflexion profonde sur les causes de
l’échec : la timidité, l’insuffisance de préparation, etc. Elle prend
alors de bonnes résolutions.
Dans la phase de plénitude, se manifestent : le sentiment
de bien-être, le sentiment d’être jugé favorablement, de méri-
ter des récompenses, d’avoir été conforme, d’être quelqu’un
d’estimable, d’acceptable. La personne se sent fière : elle peut
exhiber sa réussite. C’est le temps du « moi, je... ». En cas
de névrose de rejet, ce sera : des démonstrations d’amitié,
d’affection, des serments, des discours sur l’indissolubilité du
lien retrouvé, un rayonnement, une prise à témoin des proches...
En cas de névrose d’échec, l’exhibition des connaissances, des
affirmations publiques (« je suis enfin prêt », « je suis sûr de
réussir »).
Mais voilà, pour ces trois névroses, la phase de doute arrive :
elle apporte des doutes sur l’efficacité des mesures prises ; elle
produit le sentiment d’être épié, jugé, de n’être accepté qu’en
surface, la certitude que les autres n’ont pas confiance, les doutes
sur soi, sur son mérite, son utilité. Arrivent les sautes d’humeur,
les regards interrogateurs et anxieux, les absences, l’évitement.
En cas de névrose de rejet, ce sont des comportements col-
lants, des demandes de reconnaissance, de la victimisation pour
vérifier que l’on est toujours le centre d’intérêt sans avoir à
le demander. En cas de névrose d’échec : des comportements
anxieux, de la nervosité, un approfondissement de ce qui a
5. L’ ANALITÉ RÉTENTIVE 105

déjà été vu et revu, des vérifications pour être sûr de n’avoir


rien oublié, une survalorisation affichée des concurrents et une
dévalorisation de soi en vue d’obtenir un « mais non, mais non
ne t’en fais pas, tu réussiras, il n’y a pas de raison »...
Arrive la phase de renforcement, où le sentiment d’être décou-
vert, mis à nu, jugé arrive. Et aussi la peur d’avoir laissé traîner
quelque chose de compromettant. La personne se met alors à être
hyper-conforme. C’est le moment où elle a recours à la pensée
magique. En cas de névrose de rejet, il peut y avoir des enquêtes,
des filatures, des questionnements, des plans échafaudés pour
piéger l’autre, des recherches de preuves... Et le dénigrement
du rival ou du concurrent. En cas de névrose d’échec, les
somatisations arrivent (diarrhées, migraines, spasmophilies),
l’acharnement à se préparer soit à l’examen, soit à l’entretien, la
perte d’appétit, les problèmes de sommeil, la certitude d’avoir
oublié quelque chose...
Dernière étape : elle est marquée par la certitude d’avoir été
découvert, la nécessité de fuir, de se cacher, le sentiment de
n’avoir pas répondu aux attentes des autres, d’avoir tout cassé,
tout fait échouer. Viennent alors les actes manqués, l’absence
de vigilance, les confidences sans retenue, les « flagrants délits
de faute ». En cas de névrose de rejet, le partenaire, l’ami ou
le collègue poussé à bout, la dévalorisation de soi poussée à
l’extrême, le laisser-aller, les lamentations, la victimisation. En
cas de névrose d’échec, l’oubli de se présenter à un examen, à un
recrutement, la panique, le trou de mémoire, le malaise physique,
l’accident juste avant l’épreuve, l’inhibition, la présentation où
l’on bafouille, la perte inexplicable d’un dossier important, etc.
Et retour à la case départ...
On a pu voir que cette période charnière qui transforme
l’enfant exclusivement égocentré en un Être social est riche en
enseignements divers et constructifs. Période difficile s’il en est
(!), elle favorise l’instauration de pathologies caractéristiques.
Cependant cette phase, qu’elle soit bien ou mal vécue, apporte
à foison des outils que le MOI saura utiliser plus tard soit pour
son intégration sociale harmonieuse (hors pathologie), soit pour
aider sa névrose à réduire ses ressentis d’angoisse.
106 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

Petit rappel : d’indéfinis au départ (OP), les centres d’intérêt


ont évolué vers l’ouverture relationnelle avec la mère (OA), puis
vers l’ouverture spatio-temporelle (AE), marquant par-là une
expansion continue. Au stade AR, c’est l’ouverture sociale avec
la mise en place du S URMOI qui permet d’intégrer les normes
et valeurs sociales de la Société dans laquelle l’enfant évolue.

Les centres d’intérêt


Les centres d’intérêt et concepts découverts au stade AR
s’articuleront autour de ces notions de prise de recul, d’arrêt
de l’expansion et de la découverte des valeurs sociales. L’adulte
réfléchit avant d’agir, il ne fait pas comme Lucky Luke qui
dégaine plus vite que son ombre. On y trouvera donc des
concepts de réflexion, de recul, d’observation, de risque, de
maîtrise, de hiérarchie, d’organisation, d’opposition, de domina-
tion/soumission, de rétention, d’autorité, de violence calculée,
de précision. L’action pour l’action, la dépense énergétique pour
le plaisir, la vie au jour le jour, l’insouciance... n’ont plus cours.
L’intégration sociale, le rang, la place, l’argent gagné (ou perdu),
les règles, les modèles, les « valeurs humaines », le pouvoir au
sens de « force imposée ou subie » ou au sens de « je suis ou
non capable de... », la rigueur morale, les principes éducatifs ou
généraux... viennent se superposer aux acquis antérieurs en les
complétant par « étayage ».
Plus ou moins marqué par son hérédité et ses expériences
antérieures, l’adulte plus particulièrement concerné par ce stade
aura gardé des stades antérieurs la possibilité d’utiliser certains
outils caractéristiques de ceux-ci, mais préférera sans doute
se servir de ceux qui sont découverts au stade AR car ils
correspondent mieux à ceux de nos sociétés occidentales.
J’ai dit qu’à ce stade, on peut se fixer sans qu’il y ait les
névroses dont je vous ai parlé. Dans ce cas, du « sentiment » à
la « névrose », la distance est grande. On ne peut pas étiqueter
« névrose » de simples conduites préférentielles. Pour qu’il y ait
névrose, il faut la conjonction de conduites circulaires stériles
et d’une souffrance psychologique caractéristique, accompa-
gnée de comportements bien précis. Je rajoute quand même
5. L’ ANALITÉ RÉTENTIVE 107

que c’est l’importance de l’AR chez une personne qui est à


prendre en compte. Certaines personnes ont, par exemple, un
problème d’abandon, quelques comportements hystériques « à
la demande » sans que ce soit la névrose pure (celle qui tourne
en rond), on l’appelle hystéroïdie et ensuite un « peu d’AR ».
Dans ce cas, les acquis de l’AR seront là pour permettre à cette
personne de ne pas agir trop spontanément, de pouvoir réfléchir
avant de prendre une décision... Vous me suivez toujours ? Oui ?

Professionnellement
Socialement, l’analité rétentive trouvera son expression dans
des professions où réflexion, recul, autorité, pouvoir, produc-
tivité, rentabilité, obéissance... peuvent s’exercer, apportant à
l’individu la satisfaction de la conformité aux lois du milieu,
associée au sentiment de participer à la progression et au perfec-
tionnement de la société. L’éventail des professions concernées
est donc très large : banquier, comptable, employé, cadre, diri-
geant, administrateur, commerçant (pas commercial), chercheur
(fondamental, pas appliqué), juriste, fiscaliste, fonctionnaire,
missionnaire, prêcheur, magistrat, métiers du bâtiment, agent de
change, statisticien, physicien, mécanicien, analyste program-
meur... Ce sont beaucoup de professions auxquelles les femmes
ont encore difficilement accès, et cela pour deux raisons : d’une
part parce qu’elles trouvent souvent leur voie de réalisation pro-
fessionnelle aux stades antérieurs ou au stade suivant ; d’autre
part parce que les hommes leur barrent le passage parce qu’ils
veulent garder le pouvoir. Je pense qu’il y a une évolution grâce
à la parité. De plus en plus de femmes ont aujourd’hui accès à
des professions culturellement masculines.

Sexuellement
L’AR trouve son expression dans les notions de propriété,
de pouvoir, de domination et de soumission, voire de sado-
masochisme. La relation est empreinte de violence, parfois
de souffrance, toujours de possession. Elle peut être utilisée
pour obtenir des avantages, un bénéfice, pour démontrer une
supériorité, une puissance, ou au contraire pour affirmer une
108 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

dépendance ou une soumission. Elle n’est en tout cas jamais


gratuite ou désintéressée au plan inconscient, même si elle peut
prendre des apparences contraires. L’acte sexuel lui-même est
chargé de violence, de force, voire de brutalité : il sera toujours
« total », porteur d’un message qui se veut le reflet de la per-
sonnalité globale. Violence, force, brutalité, peuvent d’ailleurs
s’exercer tant dans la domination que dans la soumission. Dans
ce dernier cas, la souffrance devient un moyen de jouissance.
Pour l’homme de ce stade, la sexualité est un moyen de prouver
sa supériorité sur ses concurrents mâles, ou de constater au
contraire son infériorité : il associera souvent son sentiment de
valeur sociale et individuelle à ses « performances » sexuelles,
performances qu’il se plaît à comparer à celles de ses congénères
(en les enjolivant quelque peu...). Pour la femme, la domination
sexuelle pourra être un bon moyen de soumettre l’homme (dans
l’intimité, tout en lui laissant le loisir de se supérioriser socia-
lement), ou au contraire, d’utiliser son « infériorité culturelle »
pour lui donner l’impression d’être le maître et le manœuvrer
en flattant sa vanité...

Les mots

Les mots les plus employés à ce stade seront bien sûr rattachés
à toutes ces notions, et évoqueront l’arrêt après le mouvement,
plus mûr socialement, plus réfléchi, plus utile au perfectionne-
ment du groupe :
réflexion – observation – distance – retrait - organisation –
choix – méfiance – maîtrise – mesure du risque – autonomie –
calcul – prévoyance – planification – précision – persévérance –
constance – spécialisation – rationalisation – gestion – intel-
lectualisme – volonté – patience – rigueur – pragmatisme –
prudence – durabilité – stabilité – solidité – opposition – lutte
– domination – soumission – hiérarchie – pouvoir – obstina-
tion – codes – possession – territoire – autorité – puissance –
impuissance – rétention – rigidité – dissimulation – violence –
profondeur – structuration – théorisation - abstraction – logique
– systématisation – argumentation – vigilance – conservatisme
– productivité – rentabilité – valeurs humaines – principes –
5. L’ ANALITÉ RÉTENTIVE 109

purification – sacrifice – dévouement – renoncement – prison –


décision/indécision – force – faiblesse – différence – obligations
– rang – place – bénéfice – récompense – punition – morale –
droit – supériorité – infériorité – examen – castes – concours
– diplôme – justifications – dur – explosion – écrasement –
nécessaire – obligation
Mais aussi : « il faut et je dois ».
Allez maintenant au travail. Partez en voyage. Pour bien
réussir l’exercice, il ne suffit pas de prendre simplement les mots
de la liste ci-dessus mais surtout il faut bien comprendre ce que
ressent une personne fixée à ce stade, de bien cerner quel type
d’émotion la fera réagir et ensuite utiliser préférentiellement les
mots.
***

C’est bon, pas trop dur (mot de l’AR). Et si maintenant, on


voyageait pour se détendre ? Je vous emmène en Martinique ?
Alors en route...
Pendant un an, mon mari et moi-même, nous avons organisé
un voyage à la Martinique. Nous sommes contents car mon
mari a réussi à trouver, après maintes recherches, des prix très
intéressants. Ce voyage a été longuement préparé : nous avons
acheté des guides pour prévoir un planning des sites à visiter.
Nous ne voulons pas être pris au dépourvu une fois sur place et
être l’objet des pièges à touristes.
Il a été difficile de préparer les bagages. C’est pour moi
toujours dur de me décider à prendre tel ou tel vêtement. J’ai
toujours peur de me tromper dans mes choix. Je fais et défais
cent fois les valises ; ça fait râler mon mari. Mais enfin, la veille
du départ, mise au pied du mur, il a fallu que je me décide.
Le voyage par lui-même s’est très bien passé. Ils sont quand
même bien organisés dans ces compagnies. J’ai bien été un peu
malade au décollage mais je n’ai pas osé le dire : mon mari
n’aurait pas été content et je ne veux pas lui gâcher son voyage.
Il travaille tant le pauvre qu’il a bien le droit à un peu de détente.
Hélas, le lendemain de notre arrivée, les éléments se sont
déchaînés avec une rare violence. Il y a eu une tempête tropicale.
110 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

L’océan était démonté, les vagues étaient très hautes, le ciel


noir, le vent très violent. Nous n’avons pas pu sortir, c’était
trop dangereux. L’électricité a été coupée, avec ça une chaleur
étouffante et la climatisation qui, bien sûr, ne pouvait plus
fonctionner. L’enfer ! Nous n’avons vraiment pas de chance,
c’est toujours pareil : quand on décide de faire quelque chose
d’intéressant, il y a tout le temps un événement qui gâche nos
projets. Et là, si cette tempête avait dû durer, quelle déveine,
vous vous rendez compte ! Être venus si loin, avec ce que ça
coûte, pour rester enfermés... On est quand même malchanceux.
Mon mari ne décolérait pas et en plus je n’osais pas lui dire
que j’avais très peur de cette tempête. Je me sentais oppressée,
complètement stressée. Je m’en rappellerai !
Enfin, ça s’est calmé mais nous avions perdu un temps
précieux sur notre planning. Nous n’avons pas pu faire tout
ce que nous avions prévu. De toute façon, je ne sais pas si
j’ai vraiment aimé. Les collègues qui m’en avaient parlé, m’en
avaient dit tellement de bien. D’accord, les plages sont belles, le
dépaysement assuré, mais moi je trouve que les habitants sont
trop laxistes. Quand on va dans un magasin, il ne faut pas être
pressé. Ils ont toujours le temps, ils ne se précipitent pas pour
vous servir, la musique joue à fond et j’en ai vu certains danser
devant leur comptoir, en riant. Ils ne se sont même pas dérangés
pour savoir ce qu’on voulait. En colère, nous sommes partis.
Et après, ils se plaignent de ne pas travailler, ils le cherchent
aussi... C’est normal qu’ils aient des problèmes, ils n’ont aucune
rigueur, aucune morale. Je n’ose pas vous raconter ce qu’on
a vu au cours d’une fête. Ils ont une façon de danser vraiment
choquante. Là aussi, si certaines se font violer, je peux vous
dire qu’elles n’ont à s’en prendre qu’à elles. Enfin bref, ce n’est
pas une vie qui nous conviendrait. Je regrette presque de m’être
laissé convaincre par mon mari. Je fais toujours pareil. Je me
laisse faire parce que finalement je me rends compte que ce n’est
pas moi qui ai voulu venir dans cette île. C’est lui et on voit le
résultat.
5. L’ ANALITÉ RÉTENTIVE 111

Nous en sommes à notre quatrième voyage : comme je l’ai


demandé tout à l’heure quand on a parlé du voyage AE, est-
ce que vous percevez bien les ressentis des personnes fixées
à des stades différents ? J’espère que vous voyez comment,
parce qu’elles ont arrêté leur évolution psychologique à un
stade particulier, elles vivent chacune le même voyage avec
des intérêts et des envies qui ne sont pas les mêmes ? Est-ce que
vous vous rendez de mieux en mieux compte du « langage »,
des mots qui vont avec ces intérêts, ces envies, ces motivations !
Cela met encore une fois en évidence pourquoi il est quelque-
fois si difficile de se comprendre. Ce qui est important pour une
personne ne l’est pas pour une autre et inversement...
Chapitre 6

Le stade phallique

C E QUI pourrait caractériser le stade phallique serait : naître


garçon, n’être qu’une fille. Vous constatez que ça com-
mence fort !
Avant de commencer, une précision : encore une fois, tout ce
que je vais décrire à partir de maintenant concerne les enfants
qui, psychologiquement, sont arrivés au stade phallique. Ce qui
va suivre ne concernera pas les autres : ceux qui auront arrêté
leur développement psychologique avant vivront cette période
avec les ressentis et les émotions du stade où ils se seront fixés.

LE STADE PHALLIQUE CHEZ L’ ENFANT


Notre enfant qui a maintenant aux alentours de 5 ans
découvre que, parce qu’il est un garçon ou parce qu’elle est une
fille, il aura plus tard un rôle à jouer dans la société. Ce rôle lui
donnera un statut. À vrai dire, le stade phallique ne démarre pas
114 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

à 5 ans mais commence à se mettre en place pendant l’étayage


de la pulsion anale rétentive. On peut dire que ça se prépare !
Ces rôles et ces statuts, la mise en place de conduites sté-
réotypées, remontent « à la nuit des temps ». À l’origine de
la civilisation, on peut penser que l’homme était le guerrier,
le chasseur, celui qui protégeait : c’était l’Homme « fort » qui
assurait la survie de sa tribu. La femme, quant à elle, s’occupait
des tâches domestiques et de « l’élevage des enfants ». Oui, ne
vous offusquez pas. J’ai bien dit « l’élevage des enfants » : la
femme avait un rôle dit inférieur.
Et oui : quoi qu’on en pense, ces stéréotypes, même
aujourd’hui, sont bien ancrés dans notre inconscient collectif !
Souvenez-vous, encore une fois, quand j’ai parlé tout à l’heure
des stéréotypes homme/femme au sujet de l’analité expulsive...
Donc, à ce stade de son évolution, le petit garçon ressent qu’il
doit, justement parce qu’il est né garçon, correspondre à cette
image que la société lui renvoie ; de la même façon, la petite fille
doit jouer ce rôle (qu’elle ressent être dévalorisant) de n’être
qu’une fille. Elle le ressent comme une injustice, parce que ces
stéréotypes ne tiennent pas compte des qualités réelles attachées
à chaque sexe, mais plutôt de la charge que des millénaires
d’inconscient collectif nous font porter encore aujourd’hui.
L’enfant est donc en plein vécu de l’AR lorsqu’il commence
à se rendre compte qu’il existe deux sortes d’individus : ceux
qui possèdent « un machin » entre les jambes et ceux qui ne
l’ont pas.
Une stagiaire m’a dit : C’est vrai qu’entre les valeurs, les normes
de la société, le principe de réalité, le risque d’infériorité et de
culpabilité, de rejet et d’échec qui le guette à ce moment-là, il lui
restait quelques loisirs, à notre petit enfant : c’est cool d’avoir trouvé
ce nouveau jeu ! Mais rassure-moi : avant d’avoir 4 ans, il s’était
quand même bien déjà rendu compte que certains portaient « un
truc en plus » dans la vie ?

Bien sûr qu’à 4 ans l’enfant l’avait déjà remarqué ! Mais ce


que je veux dire, c’est que maintenant, il prend conscience de
l’utilité de cet appendice et se demande pourquoi il y a des
différences. Il s’interroge : est-ce que ceux qui n’en ont pas vont
6. L E STADE PHALLIQUE 115

le voir pousser un jour ? Est-ce que ceux qui l’ont ne le verront


pas rentrer à l’intérieur ou tomber ? Peut-être que c’est ce qui
est arrivé à ceux qui ne l’ont pas ? Toutes ces interrogations
dont il n’ose pas parler vont l’amener à faire des investigations
manuelles. C’est donc dans cette période que, d’abord par
hasard, l’enfant découvre les premiers plaisirs sexuels, liés à ces
attouchements exploratoires. C’est la découverte des premières
masturbations.
Hors pathologie, l’enfant se renseigne sur tous ces mystères.
Il comprend bien que la différence entre les garçons et les filles
n’est pas seulement vestimentaire et qu’il existe quelque chose
de plus fondamental. Du coup, il passe à l’étape suivante de
son développement psychologique, qui l’amène à s’interroger
sur les questions sociales. Souvenez-vous qu’il est à la limite
AR/PH, donc en pleine socialisation.
Il se tourne vers ses parents pour trouver des réponses. Dans
une famille « ouverte », il pourra trouver des réponses. Mais
le plus souvent, il n’obtiendra pas forcément les réponses à
ses questions existentielles. La gêne des parents, leur propre
culpabilité ou leur éducation... tout cela fera qu’ils éludent !
Vous connaissez la publicité à la télé : « Dis Papa, comment on
fait les bébés ? » et la gêne du père qui, pour éviter de répondre,
parle de la bouteille de lait. Donc, ils vont échanger dans la cour
de l’école leurs réflexions avec des enfants aussi « cultivés »
les uns que les autres, qui affichent leur théorie pour avoir l’air
bien informés. Ils mélangent ainsi le vrai, le faux, le magique,
l’interprété... ce qui les amène à vérifier par eux-mêmes, hors
de la vue des parents... Une période de voyeurisme commence.
C’est le moment où l’enfant joue au docteur, au papa et à la
maman, où il mime « l’amour ». Ce comportement est tout à
fait normal chez l’enfant à ce stade de son évolution. Le danger
pour lui, c’est d’être surpris par des parents ou des adultes, quels
qu’ils soient, qui le grondent et le culpabilisent en lui disant que
ce qu’il fait, c’est mal et sale. J’y reviendrai tout à l’heure.
Durant cette période charnière, l’identification aussi se met
en place. Les enfants doivent choisir leur camp : ils peuvent soit
correspondre au stéréotype de leur sexe, soit se marginaliser
116 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

en refusant cette identification ou parce qu’ils ne sentent pas


capables de s’y conformer.
Alors là, plusieurs possibilités ! D’abord pour le garçon.
Soit sa sensibilité de base correspond à son sexe et là, pas de
problème : l’identification sera bonne. Soit l’enfant ne se sent
pas forcément à la hauteur mais, si son MOI est relativement
solide, il arrivera tant bien que mal à donner le change malgré
les doutes que cela générera. Par contre, un petit garçon avec une
sensibilité féminine ne pourra pas s’identifier à son stéréotype et
cela produira un ressenti d’infériorité et de culpabilité important
comme je l’ai déjà dit.
Ce qu’il faut comprendre c’est que la pensée magique aidant,
le garçon s’imagine que la simple possession du pénis lui donne
la puissance et que son exhibition lui renverra un jugement
positif et flatteur de la part des adultes. C’est l’époque des
« t’as vu mon zizi ? ». D’où les forts sentiments de culpabilité
et d’infériorité qui s’installent si l’identification aux stéréotypes
de son sexe est difficile, voire impossible. Dans ce cas, il n’aura
d’autre solution que la névrose pour échapper à l’angoisse
importante que ses doutes entraîneront : c’est la névrose de
castration. L’enfant a peur de perdre son pénis. Selon l’intensité
de l’émotion, nous pourrons trouver soit l’angoisse de castration,
soit la névrose. La différence entre les deux est que l’angoisse
peut pousser à faire ce qu’il faut pour ne pas arriver à la névrose.
C’est « l’étage en dessous ».
Parlons de la fille. Elle n’a pas de question à se poser. Elle
est castrée physiologiquement. Pour elle, ça ne poussera pas.
Elle sait maintenant qu’elle aura toujours un rôle inférieur à
celui du garçon, auquel la gloire est réservée. Freud disait
que c’était pour elle une amère désillusion, qui était ressentie
comme une blessure narcissique. La seule (piètre) consolation
qu’elle a, c’est de savoir que, plus tard, elle aura sa revanche
par l’enfantement. L’enfant qu’elle portera et qu’elle mettra au
monde sera son « phallus », qu’elle exhibera sans retenue. Si
elle refuse de se soumettre à cette identification féminine, c’est
direct... la névrose de castration.
6. L E STADE PHALLIQUE 117

Acquis du stade

Hors pathologie, ce que retient notre « grand enfant » – parce


que maintenant, il se dit grand : vous vous rendez compte, il
est en grande section de maternelle et rentre bientôt à la grande
école ! –, ce sera la prise de conscience des statuts et des rôles.
D’où :
• des ressentis de puissance pour le garçon stéréotypé et bien
identifié ;
• des ressentis de faiblesse et d’impuissance (retenez bien ce
mot) pour le garçon qui possède une sensibilité différente
de celle du stéréotype, ou auquel l’éducation qu’il reçoit
interdit cette identification, poussant même à la dépression
celui qui a une sensibilité ultra-féminine ou qui se trouve
devant un modèle de père auquel il ne pourra pas s’identifier.
Par exemple, un père faible, geignard, brutal, alcoolique ou
au contraire, avec une image tellement forte que l’enfant aura
le sentiment que jamais il ne lui arrivera à la cheville ;
• quant à la fille, elle se sent castrée naturellement. Elle pourra
soit renoncer et accepter « sa condition inférieure » de femme
qu’elle associe au modèle féminin, soit revendiquer autre
chose en refusant le rôle que la société et/ou ses parents
veulent lui faire jouer.
Ce stade permet, comme les autres stades, l’acquisition de
valeurs individuelles mais, contrairement aux stades OP, OA et
AE, ces valeurs ne sont pas égocentrées : elles n’ont pas pour
seule base le principe de plaisir, puisque l’enfant acquiert des
notions de développement personnel au sein d’un groupe dont
les règles ont été acceptées, le principe de réalité ayant été
atteint au stade précédent (l’AR).
Quand, au cours des stages, cette phase est abordée, je
constate à chaque fois qu’il y a deux réactions possibles. Pour
une majorité de personnes, ce stade est incompréhensible. Cer-
taines stagiaires sont revenues plusieurs fois pour tenter de
comprendre ce que ressentent les individus fixés à ce niveau
de développement. Cela s’explique par le fait que peu d’enfants
arrivent jusqu’au stade phallique. Les angoisses qu’ils vivent
118 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

durant les cinq premières années de leur vie les font souvent se
fixer à un stade antérieur.
D’autres personnes, et c’est la deuxième réaction, confèrent
à ce stade une valeur. Elles pensent que c’est plus mature, plus
complet, en un mot : adulte. Je leur réponds : FAUX ! Comme
les autres stades, le stade phallique est un stade enfantin, avec
des comportements enfantins et ne produit pas un confort de vie
supérieur. Je dirais même que c’est le contraire. J’explique à ces
personnes que le fait qu’elles aient des outils supplémentaires
par rapport à une personne fixée à l’OA ou l’AE, leur permet...
de se compliquer encore plus la vie et de se poser encore plus de
questions ! Ils ne prendront pas les plaisirs de la vie simplement,
mais chercheront toujours à se compliquer les choses.
Pour en revenir à ces acquis, on y retrouve la curiosité
sexuelle (le sexe étant perçu comme un outil de procréation
et donc de prolongement de soi). Toujours hors pathologie, un
sentiment de complétude personnelle sera accompagné d’un
ressenti équivalent de marginalisation parce qu’ils se ressentent
différents du reste du troupeau. Le voyeurisme et l’exhibition-
nisme pourront, plus tard chez l’adulte, être sublimés (exhibition
de leur œuvre, par exemple).
Alors que peut-il bien se passer durant cette période pour que
notre enfant n’ait d’autre solution que la mise en place de la
névrose ?
Je récapitule les caractéristiques du stade : découverte sur le
plan sexuel, identification, sentiment de valeur, apprentissage
des statuts et des rôles. La pensée magique recule au profit de
la logique (on dit que c’est l’âge de raison qui pointe son nez) :
l’enfant raisonne et cela lui donne davantage de moyens pour
identifier ses difficultés, ses insuffisances, ses insécurités, ses
peurs, ses culpabilités, etc.

Névrose de castration chez l’enfant


Le garçon aura peur de ne pas être à la hauteur. Il peut
entendre des réflexions du type : « Ne pleure pas, ce sont les
filles qui pleurent, tu ressembles à une fillette, si tu n’arrêtes pas,
je te coupe le zizi. » Ne riez pas, je l’ai entendu : ce n’est pas
6. L E STADE PHALLIQUE 119

une plaisanterie ! Si ce genre de réflexion revient souvent, un


conditionnement s’instaure qui l’amènera à se sentir dévalorisé.
Il ne se sentira pas bien, sera coupable et comme tout coupable
doit être puni : la punition sera la castration. Il aura peur de
perdre cet attribut qui a l’air si important pour tout le monde
et qui lui donnera, quand il sera grand, un rôle supérieur. Trop
dur ! Plus l’enfant sera sensible et plus ce sera difficile pour lui.
Quant à la fille, la mise en place de la névrose de castration se
fera par la non-acceptation de son statut de fille. Certes, elle est
obligée d’accepter le manque de pénis. Il n’y aura pas, contrai-
rement au garçon, d’angoisse de castration puisque le manque
de pénis est ressenti par elle comme un fait physiologique. Par
contre, elle nourrit un désir de vengeance par rapport au petit
garçon et donc, plus tard, envers les hommes qui, eux, ont ce
machin entre les jambes et qui ne le méritent pas : parce que
c’est bien connu, ces mecs ne sont pas à la hauteur ! On dira
souvent d’elle que c’est un garçon manqué.
Cette dernière image aide à mieux représenter ce genre d’enfants :
je me souviens d’une fille, quand j’étais petite, qui était très dure
avec elle-même, physiquement je veux dire, qui ne se « passait »
rien en tant que fille. Elle rejetait les poupées, les pleurs, les
couleurs roses, les petits bijoux de rien qu’on adorait, nous ! Elle
jouait toujours avec les garçons, en les pinçant, en les martyrisant :
c’était elle, la chef de bande. Et les jeux étaient pour le moins
« violents » : foot, batailles... Je peux dire qu’elle ne faisait pas la
princesse !

Le garçon manqué peut se trouver également au stade AR


pour une enfant et l’adulte ensuite qui vivra le stade AR sous
forme de domination.
Ce qui peut également être à l’origine de la névrose, ce
sont les incidents liés à la découverte de la sexualité. J’ai deux
exemples à raconter qui illustrent cela.
Le premier, c’est l’histoire d’une jeune enfant de 6 ans : elle joue au
docteur dans sa chambre avec son cousin. Ils se sont déshabillés
et font, d’après ses dires, une étude poussée de leur anatomie.
Le père de la petite fille rentre dans la chambre à ce moment-là
et, rendu fou de rage par le spectacle, la tape violemment en la
traitant de « salope ». À partir de ce moment-là, le père est très
120 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

dur avec son enfant. Celle-ci a commencé à somatiser, à avoir


des infections urinaires ; plus tard, vers l’adolescence, ce sont des
mycoses vaginales qui lui pourrissent bien la vie. Quand elle veut
sortir avec des copines, le père lui dit régulièrement : « Tu vas faire
la traînée ? » À sa majorité, elle décide de quitter le pays et elle
part vivre très loin de sa famille. Pendant cinq ans, elle reste au loin,
jusqu’au moment où, nostalgique, elle rentre pour revoir sa mère
et ses anciens amis. Arrivée dans la maison familiale, son père
l’accueille par ces mots : « ça y est, tu as fini de faire la pute ? »
Elle se rend compte que rien n’a changé : elle reste donc avec
sa mère, une femme soumise qui ne pouvait pas la soutenir et
la défendre. Puis, elle rejoint des amis avec qui elle sort le soir
pour fêter son retour. Ils vont en boîte et là, m’a-t-elle dit, elle sort
avec un garçon rencontré ce soir-là, le plus destroy de l’endroit. Il
était visiblement sous influence de la drogue, avait mauvais genre
et c’est celui-là qu’elle choisit. Elle a une relation sexuelle avec
lui, non protégée naturellement. Elle m’a dit qu’avec le recul, elle
s’était rendu compte que quelque chose l’avait poussé à se détruire
ce jour-là. Et hélas, elle a réussi. Le résultat, c’est la découverte
de sa séropositivité quelques mois plus tard ; la maladie qui s’est
déclenchée ensuite, et la mort au bout. Lors de notre entretien, elle
m’a dit qu’inconsciemment, elle avait voulu se comporter comme
son père la traitait.

Autre exemple moins dramatique mais traumatisant aussi. Il y a


quelques années, j’ai connu une personne qui est venue me voir
parce qu’elle en avait assez de rougir chaque fois qu’on lui adressait
la parole. Je passe les détails qui nous ont amenées à ce que je
vais raconter. Pendant un entretien, elle s’est souvenue qu’aux
alentours de 7 ans, elle prenait un bain seule dans la salle de bain.
Comme je l’ai dit, c’est le moment où les enfants découvrent le
plaisir de se caresser : c’est ce qu’elle faisait dans son bain. Sa
maman est rentrée et l’a vue. Elle n’a rien dit et est ressortie. Ce
sujet n’a jamais été abordé. La conséquence est une énorme honte,
et la peur que la mère le dise à son père. Mais rien ne s’est passé.
Elle ne sait pas si sa mère en a parlé ou pas, ce qu’elle en a pensé.
Elle est restée sur sa honte profonde. Puis elle a grandi, a oublié
l’incident jusqu’à ce que nos entretiens nous y ramènent. J’ai oublié
de dire qu’elle venait également parce qu’elle n’arrivait pas à avoir
d’enfant alors que, physiologiquement, il n’y avait pas de souci
particulier. Quand elle a ramené ce souvenir à sa conscience, ça lui
a permis de comprendre pourquoi elle rougissait autant quand on
la surprenait et elle a compris également qu’elle ne se donnait pas
6. L E STADE PHALLIQUE 121

le droit d’être mère. Elle ne le méritait pas. Elle s’est donc castrée.
J’ai appris quelques mois plus tard qu’elle était enceinte...

Durant cette période-là, tout ce qui touche au sexe est impor-


tant pour les enfants arrivés au stade phallique. De par leur
éducation, certains parents répriment violemment l’éveil de la
sexualité constructive. Pour le garçon, la mise en place de la
névrose se fera plutôt par conditionnement : les colères, les
punitions, les violences physiques ou verbales seront ressenties
comme autant d’injustices et provoqueront une intense culpabi-
lité. Même si pour lui, la découverte sexuelle est naturelle ! Il
ne va pas pouvoir s’empêcher de se considérer comme indigne
et donc, de penser qu’il mérite la punition suprême : l’ablation
du pénis. Oups ! Alors que pour la fille, même pas peur, c’est
fait, elle est castrée !

LE STADE PHALLIQUE CHEZ L’ ADULTE

L’adulte que l’enfant est devenu a, lui, une pensée rationnelle.


Il n’a plus peur d’être castré physiquement, le fantasme a
transposé ce risque dans des domaines de déplacement ou
de sublimation. Ses doutes sur sa valeur, sur son intégration,
ses culpabilités se traduiront en impuissances plus ou moins
dépressives.
Ces impuissances pourront être physiques : des moyens de
castration symbolique, des moyens d’exercer ou de contenir la
revanche promise dans l’enfance. Pour l’homme, des pannes
sexuelles, telles que l’éjaculation précoce ou une impuissance
majeure ; pour la femme, de la frigidité, du désintérêt sexuel ou
au contraire de la nymphomanie, une stérilité (sans cause orga-
nique) ou au contraire, le besoin de faire beaucoup d’enfants.
Les impuissances pourront être sociales et se traduiront par
une impossibilité à s’affirmer, à se réaliser, par une autocas-
tration, pour l’homme, en cas de « risque » de réussite de
l’action entreprise. Pour la femme, des conduites castratrices, du
dénigrement, des doutes publiquement exprimés sur la virilité
du partenaire...
122 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

En ce qui concerne les castrations intellectuelles, on trou-


vera des tentatives de sublimation manquées dans le domaine
artistique.

Figure 6.1.

Voilà comment ça tourne. À partir de là, est-ce que vous


pouvez imaginer comment fonctionne et se comporte un adulte
fixé au stade phallique ? Vous séchez ?
***

On peut dire que la personne phallique est quelqu’un de


relativement insatisfait, anxieux, angoissé. Mais, et même si
ces sentiments sont douloureux, ils vont lui amener des maté-
riaux constructifs très différents de ceux dont j’ai parlé jusqu’à
présent.
Les personnes phalliques sont en effet des personnes origi-
nales : cette originalité produit de l’incompréhension chez les
« non phalliques ». Du coup, les « phalliques » sont considérés
comme de doux rêveurs, des marginaux, parfois comme des
êtres d’exception mais on ne les comprendra pas car les moyens
qu’ils emploient sortent du traditionnel, du concret, de l’utile,
de l’efficace, contrairement au stade anal rétentif.
Les moyens qu’ils se donnent c’est la créativité. Pour le
phallique, créer est quelque chose de vital. Créer, pour lui,
c’est inventer, ce n’est pas reproduire quelque chose qui existe
6. L E STADE PHALLIQUE 123

déjà. S’il peint, il inventera des formes, une nouvelle école, une
nouvelle manière d’expression : il fera une œuvre originale en
dehors de toute référence existante. Il sera souvent incompris
par les critiques, mais ça ne le trouble pas. Ce qui l’intéresse,
c’est d’exprimer ce qu’il ressent, d’exhiber sa sensibilité. Les
critiques, il s’en moque. Un peintre talentueux mais non créatif
fera référence à la manière d’untel ou d’untel. Il appliquera des
principes déjà connus, des méthodes qui lui auront été apprises
et ne cherchera pas à inventer un autre type d’expression.
La femme phallique aimera enfanter puisque l’enfant est une
extension d’elle-même, une vitrine, un phallus qu’elle exhibe,
dont elle est fière. On ne peut pas dire que la femme phallique
est maternelle et l’intérêt qu’elle montre à l’enfant ne sera pas
motivé par la recherche de son bien-être, mais par la volonté de
montrer à tout le monde qu’elle a enfin pris sa revanche et que
son « œuvre » est belle, magnifique. Si cet enfant est un garçon,
alors là youpi ! Elle ressent qu’elle a enfin le phallus. Elle aura
enfin refermé ce que Freud a appelé sa « blessure narcissique ».
Pour un adulte anal rétentif, avoir le pouvoir veut dire : je
possède, j’ai un pouvoir, un rang. Pour le phallique, homme ou
femme, ça veut dire : je peux, j’ai les moyens, je montre que je
peux. Le pouvoir au sens que lui donne l’AR ne les intéresse
pas. Ce qui les intéresse, et c’est ce qu’ils expriment, c’est de se
réaliser.
Vous vous posez peut-être la question : que veut dire se
réaliser ? Cela m’arrangerait que vous vous la posiez parce
que j’ai envie de vous répondre...

Se réaliser
C’est une question qui est posée dans chaque stage, ce que,
quelquefois, certaines personnes ont du mal à comprendre ! Il
faut faire la différence entre se réaliser et réaliser des choses.
Réaliser des choses c’est anal rétentif alors que se réaliser,
c’est être en accord avec soi-même, même si cela doit être
gênant pour la carrière par exemple, ou pour l’image que
le « phallique » donne aux autres. Ces autres qui d’ailleurs,
souvent, le considèrent comme un doux rêveur, un marginal, un
124 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

immature, voire même un asocial comme je l’ai déjà dit ! L’anal


rétentif trouve que la personne phallique manque d’ambition, car
cette dernière n’est pas intéressée par le fait de s’élever dans la
hiérarchie mais cherche seulement à remplir son rôle au niveau
où il se trouve.

Une dame phallique me disait dernièrement : « Depuis ma retraite,


je n’ai plus de rôle, plus de statut, je n’existe plus. Moi, j’ai besoin de
donner, de partager, je ne donne plus rien de moi, c’est angoissant.
Je ne sais plus dans quel domaine me réaliser, j’ai du mal à
trouver ma place dans cette société. » Cette dame a travaillé dans
l’Éducation nationale pendant toute sa carrière professionnelle.
Elle « s’y réalisait » : elle avait trouvé des solutions nouvelles
hors normes pour l’Éducation nationale, mais qui ont donné de
bons résultats. Et du jour au lendemain, toute cette créativité et la
compensation qu’elle trouvait dans son travail se sont éteintes, et
elle avec...

En fait, pour se réaliser, ou encore avoir un rôle, c’est


encore la question du langage, des mots qui sont propres à
chaque individu, et qui reflètent ses centres d’intérêt et ses
caractéristiques psychologiques...

Mots et concepts

Comme pour les autres stades, les personnes fixées à ce stade


emploient préférentiellement certains mots ou certains concepts,
qui font référence à la notion de statut/rôle, le tout influencé par
le sexe, directement ou de façon sublimée. Si vous avez bien lu,
les mots que la personne dont je viens de parler a employés, ce
sont des mots et des concepts du stade phallique.
On retrouve donc, pour la personne phallique, les mots et
concepts suivants : créativité, création, procréation, réalisation
de soi, être (la notion « d’être » est importante, ça va de pair
avec la réalisation de soi : « j’existe parce que je suis »), rôle,
statut, inventivité, notion de mort/renaissance (il faut mourir
pour renaître de ses cendres ; une œuvre achevée n’a plus d’im-
portance, il faut passer à la suivante), sexe (plaisir, « je peux » ;
à l’inverse, la personne pourra parler de ses impuissances),
6. L E STADE PHALLIQUE 125

originalité, non-conformisme, extension de soi, œuvre, excep-


tion, montrer = fierté, anxiété quant à la possibilité d’avoir les
moyens de, besoin d’air, liberté, besoin de s’exprimer souvent de
manière artistique ou marginale, sens de la vie (elle se demande
souvent quel sens elle peut donner à sa vie), origine de la vie,
voyeurisme, soi avec les autres, partenariat, l’argent (n’a pas
d’intérêt pour elle), mais aussi « je ne suis pas dans le troupeau ».
Elle parlera également de « couper », d’« amputation », sera
sensible à la vue de ciseaux (peur de la castration pour l’homme
et pour la femme, désir de s’en servir comme une menace). Elle
décrira les lieux en y mettant des connotations sexuelles comme
« la mer pénètre dans les terres, hauts pics enneigés, un paysage
fertile », etc.
Les femmes seront intéressées par les grosses motos : ce qui
les motive, c’est d’avoir quelque chose entre les jambes. Interdit
de rire !
Une de mes stagiaires nous racontait en riant beaucoup qu’elle
adorait arroser son jardin et qu’elle comprenait maintenant pourquoi.
En fait, ce qui lui faisait plaisir, c’était de tenir un tuyau d’où sortait
de l’eau. Et oui, il faut être phallique pour mesurer à quel point ça
peut être important, ce genre de détails !

Pour l’homme, la femme est un point d’interrogation avec


lequel on ne peut pas établir une relation (on trouvera là de l’ho-
mosexualité, ce qui ne veut pas dire que tous les homosexuels
sont phalliques, loin de là) ou dont on doit se méfier (peur de
la castration). Pour la femme, l’homme est un géniteur sans
importance qu’il faut éliminer dès qu’il a accompli son travail
(« je n’ai pas besoin d’homme pour vivre, au contraire »).
Lors d’un stage, j’expliquais tout ce que je viens de te dire. Tout d’un
coup, je vois une stagiaire, livide, qui se lève et qui sort en titubant.
J’attends une minute, puis je suis sortie pour voir où elle était partie.
Je l’ai trouvée dans le couloir assise par terre, pratiquement en
syncope. Je m’en suis occupée pour la faire revenir à elle, et ensuite
on a discuté. Et là, elle m’a dit qu’elle venait de prendre la gifle de sa
vie en m’entendant dire que les hommes étaient des géniteurs pour
la femme phallique. Elle m’a raconté qu’elle élevait seule son fils
de 6 ans et que, lorsqu’elle parlait du père de l’enfant, elle parlait
de son « géniteur » : elle avait « brutalement pris conscience »
126 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

qu’elle avait cherché un « géniteur » parce qu’elle voulait un enfant


pour les raisons que j’avais évoquées mais tout en pensant que
l’homme n’était qu’un outil... J’ai su qu’à la suite du stage, elle
avait fait un travail de psychothérapie. La découverte a eu l’effet
d’un électrochoc pour elle. Je ne sais pas ce qu’elle est devenue :
j’espère qu’elle va bien.

Allez préparez-vous à notre petit exercice de voyage, vous


avez maintenant l’habitude...
***

Quant à moi, je vous emmène pour la dernière fois en


Martinique.
Me voilà dans l’avion qui m’amène une semaine en Marti-
nique. J’ai décidé de faire ce voyage en solitaire pour émerger
après la sortie de ma dernière campagne publicitaire. Il faut
dire que j’étais responsable de la mise en œuvre de celle-ci
mais le travail en équipe s’est très mal passé. Ces espèces
de sales bonshommes qui sont soi-disant des collaborateurs et
partenaires ont tout fait pour couper toutes mes idées originales.
Il a fallu toute ma volonté pour me sortir sans problème et
avec panache de ce chemin plein d’embûches dans lequel ils
m’ont obligée à m’engager. Bien mal leur en a pris. Je peux
dire aujourd’hui qu’ils vont regretter longtemps de s’être mis
en travers de ma route. J’ai démontré leur incapacité et je me
suis débarrassée d’eux. Je vais pouvoir enfin me réaliser au sein
d’une équipe féminine que j’ai choisie et avec laquelle je vais
pouvoir échanger et travailler dans le même sens.
Pour le moment, j’ai besoin de renaître après les doutes qui
m’ont assaillie lors de la présentation de mon « bébé ». Ce
spot publicitaire a été ma vitrine mais maintenant c’est terminé.
Je vais passer à autre chose. Et cet autre chose, ce sont les
vacances.
J’ai choisi la Martinique parce que le voyage est assez long
et ça me permettra de bien couper avec mes engagements
professionnels. En arrivant, j’espère pouvoir louer une moto
type 750 ou 1100 pour avoir la sensation très érotique de
chevaucher mon engin pour aller à la découverte des paysages
6. L E STADE PHALLIQUE 127

et des gens de l’île, partager avec eux de bons moments de


plaisir : je ne voudrais pas me retrouver avec le troupeau de
touristes ; ce qui m’intéresse, c’est de me retrouver hors sentiers
battus avec les gens du cru... Je sais que les Antillais sont
machos, mais gare à eux, j’arrive !

Et voilà ! Nous avons fait le tour des stades d’évolution de


l’enfant et des répercussions que ça pouvait avoir ensuite sur
l’adulte. C’est un long et beau voyage, très intéressant et en
même temps très complexe. Autrement dit, savoir tout ça revient
à ne pas voir exactement les choses de la même façon, et à se
donner une chance de garder notre énergie pour les choses qui
en valent réellement la peine ! En tout cas, c’est une aventure
extraordinaire.
Chapitre 7

Œdipe et Narcisse

E XPÉRIENCE ŒDIPIENNE
Juste un petit mot pour évoquer la période œdipienne, qui
n’est pas un stade mais une expérience de quelques années
à cheval sur l’AR et le PH. Il n’y aura donc pas de cercle
névrotique ni de mots attachés à cette expérience, donc pas
de voyage... Ouf !
Un petit rappel du mythe antique évoqué par Sophocle dans
son œuvre théâtrale tragique. Œdipe (du grec oidipous qui veut
dire pied enflé) était le fils de Laïos, tyran de Thèbes et de
Jocaste son épouse. Pour faire échec à un oracle qui annonçait
qu’il tuerait son père et épouserait sa mère, Laïos le confie à un
esclave avec mission de le tuer. Ne pouvant s’y résoudre, celui-ci
l’amène dans la montagne et l’attache à un arbre par une corde
lui enserrant fortement le pied. Recueilli par un berger qui le
nomma Œdipe en constatant l’état de son pied, il grandit, prend
des forces, et, se dirigeant un jour vers Thèbes, il se querelle
130 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

avec un voyageur irascible et le tue : c’était Laïos, son père,


mais il l’ignorait. Arrivé à Thèbes, il sait répondre aux énigmes
que le Sphinx posait aux passants, et le monstre meurt. Il est
accueilli en libérateur, les habitants de la ville le proclament roi
et lui donnent Jocaste comme épouse. Selon Sophocle, Œdipe
qui ne savait pas que le voyageur qu’il avait tué était Laïos, fait
faire des recherches minutieuses pour retrouver l’assassin car il
estime que l’épidémie de peste qui s’est abattue sur la ville ne
peut être que la punition méritée par Thèbes pour l’assassinat de
son roi. L’enquête lui révèle que ce coupable, objet de la colère
des Dieux, n’est autre que lui-même. À cette nouvelle, Jocaste
se pend et Œdipe se crève les yeux. Chassé par ses fils, il part
sur les routes de l’Attique, guidé par sa fille Antigone. Dans
un bois à Colone, il disparaît mystérieusement, objet de la pitié
des Dieux, au milieu des éclairs et des grondements du tonnerre.
Mais, selon Sophocle dans sa tragédie Œdipe à Colone, Œdipe
vieilli et aveugle n’en a pas moins retrouvé une clairvoyance
sereine et apaisée sur son destin tragique lui permettant d’assurer
celui-ci avec lucidité et force d’âme...
Freud s’est donc servi de ce mythe pour représenter cette
expérience qui, entre autres fonctions importantes, remplit celle
de permettre à l’enfant de commettre l’inceste, pas réel bien
entendu, sans le savoir et d’en ressentir la culpabilité en le
découvrant, puis de le dépasser en renforçant sa force psychique.
Il s’agit d’un inceste de « culture » et non de « nature »
autrement dit un inceste fantasmé avec séduction d’un parent et
élimination de l’autre.
La vision vulgarisée place l’Œdipe vers 7/8 ans. En réalité
celui-ci commence bien plus tôt. Pour simplifier au maximum,
ce qu’il faut retenir c’est que le garçon cherche à séduire sa mère
pour la conquête de laquelle il va déployer toutes les ressources
de son statut masculin. Cela grâce à une identification au père
et à l’aide de la puissance magique.
Quant à la fille, elle va déployer des attitudes séductrices
et réceptives pour séduire ce père et éliminer cette mère qui
l’encombre. Dans son fantasme, la victoire éclatante serait
qu’elle obtienne du père un bébé. Cela lui prouverait qu’il a
abandonné la mère à son profit.
7. ΠDIPE ET N ARCISSE 131

Vous imaginez bien que ce désir s’accompagne de forts


sentiments de culpabilité car la fillette, si elle a envie de capter le
père, ne peut pas se permettre d’éliminer sa rivale qu’elle aime et
qui lui a apporté les matériaux et les moyens de sa construction.
Le rôle des parents est, dans un premier temps, de laisser
leur enfant « jouer le jeu » de cette répétition générale afin de
leur permettre de faire cette expérience en milieu sécurisé mais
ensuite les renvoyer vers leurs petit(e)s camarades et remettre
ainsi les choses à leur place.
Hors pathologie, l’enfant retiendra de cette période la convic-
tion qu’il peut plaire et lui donnera confiance en lui pour son
avenir affectif.
Le risque sera que le parent concerné, insatisfait dans sa vie
de couple, se délecte de cet amour que l’enfant lui manifeste et
ne sache pas le « laisser partir » et le retienne dans cette relation
fantasmée. Dans ce cas, plus tard, l’enfant aura des difficultés à
établir une relation saine avec un ou une partenaire. Il cherchera
toujours chez l’autre l’image de ce parent qui n’aura pas su le
lâcher.
Voilà très succinctement comment fonctionne cette période,
qui s’étale, hors pathologie, d’environ 4 ans jusqu’à 7/8 ans.

N ARCISSISME
Je vais terminer en parlant d’un état limite de la névrose qui
s’appelle le narcissisme. Ce n’est pas un stade d’évolution. Cela
se met en place, soit à l’oralité passive, soit à l’analité rétentive.
De nombreux ouvrages parlent très bien de ce problème, dont
les célèbres livres de Marie-France Hirigoyen. Je vais faire un
résumé du fonctionnement de cette névrose.
Vous connaissez bien sûr l’histoire de Narcisse, jeune homme
béotien, célèbre pour sa beauté mais qui était incapable d’un sen-
timent d’amour pour les autres. Insensible à l’amour passionné
de mortelles et de nymphes, dont Écho, il fut puni de son dédain
par Némésis. Se penchant sur l’eau d’une fontaine, il vit son
image, en tomba follement épris et mourut de désespoir devant
132 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

ce reflet inaccessible. À l’endroit où il disparut, poussa la fleur


qui porte son nom.
Comme vous voyez, c’est encore dans la mythologie grecque
que Freud a trouvé la représentation symbolique de cette patho-
logie qui évoque le sujet incapable d’aimer une autre personne
que lui-même. Mais si on regarde de plus près, est-ce que
Narcisse s’aimait vraiment ? Il est vrai qu’il se refuse à accepter
l’amour des autres et à donner le sien, mais ce n’est pas pour
autant de lui-même qu’il tombe amoureux : c’est d’un leurre,
d’une représentation de lui-même, sans consistance parce que
virtuelle. Son amour ne peut donc être que malheureux et
désespéré car il est insaisissable.

Le narcissisme de structure
Le narcissisme se met en place chez l’enfant soit à l’oralité
passive (on l’appelle le narcissisme de structure), soit à l’analité
rétentive : il s’appellera alors narcissisme de retrait. Cette patho-
logie prend le pas sur toutes les autres névroses. Pour qu’il y
ait narcissisme de structure, il faut un MOI très faible, construit
certes, mais très difficilement, ce qui explique qu’il sera très
faible. Il y a fixation orale passive. L’enfant établit avec la
mère ce qu’on appelle une relation anaclitique qui vient du grec
« s’appuyer sur » : cette relation amène une dépendance absolue,
liant l’enfant aux personnes dont la présence le maintient en vie
grâce à l’énergie qu’il leur « pompe ». La cause est une très
mauvaise relation à la mère pendant la première année de la
vie : une mère ressentie comme dangereuse, qui n’apporte pas à
l’enfant ce dont il a besoin.
Vous allez peut-être vous demander quelle différence il y
a avec la description du stade OP, où j’ai évoqué cette mère
ressentie comme dangereuse, parmi les causes de fixation.
Dans le cas du narcissisme, les peurs et les ressentis sont
amplifiés. À l’origine, on peut trouver un problème héréditaire
ou une dépense importante d’énergie utilisée en vue de se
protéger, ce qui fait que cette énergie manque à l’enfant pour
se construire, se rassembler et s’unifier, d’où le MOI très faible.
Par exemple, une mère qui laisse l’enfant livré à lui-même, ne
7. ΠDIPE ET N ARCISSE 133

lui donnant que le minimum vital de « soins affectifs ». Plus


rarement, elle utilise une partie de l’énergie de l’enfant pour sa
propre satisfaction, le vidant d’une grande partie de ses forces et
de ses possibilités constructives. À l’inverse, on peut trouver une
mère envahissante qui prévient tous les désirs de l’enfant avant
même qu’ils ne se manifestent. Par cette attitude, elle empêche
l’enfant de ressentir la différence entre elle et lui, cette différence
étant le moteur essentiel de la différenciation par le rôle qu’elle
joue dans le quiproquo relationnel constructif (figure 2.1). J’en
ai parlé quand j’ai expliqué comment l’enfant construit son MOI.
Tout ce processus est à l’origine de l’instauration du narcissisme
de structure.
Confiance est le maître-mot du narcissisme. L’enfant névro-
tique a confiance en les adultes et quand il y a problème, il
ressent que la cause est en lui : c’est de sa faute, c’est parce
qu’il n’est pas ceci ou cela, parce qu’il n’est pas aimable, etc.
Pour le narcissique, la source de ses malheurs vient de l’autre,
et notamment de sa mère. C’est de sa faute. L’enfant ressent que
le danger vient d’elle. Il établit une relation fusionnelle avec elle
sous forme de victimisation, pour la détruire. Le but de l’enfant
et l’adulte qu’il va devenir sera de se venger d’elle. Il devient
son bourreau en la condamnant aux travaux forcés à perpétuité.
Il faudra qu’elle s’occupe de lui sans relâche.
Ces enfants deviennent des adultes dépressifs, fragiles, mala-
difs, demandant une présence attentive, un dévouement sans
bornes tout en étant tour à tour dévalorisants, blessants, cruels,
méprisants, indifférents ou revendicateurs. Ce sont des adultes
qui ont du mal à s’intégrer dans une vie sociale et profes-
sionnelle pour plusieurs raisons. La première, c’est que pour
exercer une profession, il faut se lever tous les matins, aller
travailler, se laver... Bref : il faut un minimum d’énergie et
cette énergie leur fait défaut. S’intégrer est difficile : ils sont
réellement dépressifs ! Une autre raison à ces difficultés et non
des moindres, c’est qu’en étant dépendants sur tous les plans de
leur mère, ils la « tuent » à petit feu. Elle souffre de les voir dans
cet état. Si la mère refuse de rester dans ce rôle avec son enfant
et qu’elle le fuit et le pousse à partir, il trouvera une maman
de substitution : il trouvera une compagne à qui il fera jouer
134 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

le même rôle. Pour citer quelques exemples, il sera exigeant


quant au choix du repas, voudra tel type de nourriture et pas
un autre, et ensuite pourra dire que c’est « dégueulasse », qu’il
ne peut pas manger une telle horreur, qu’elle ne sait pas du
tout cuisiner... Et vous pouvez rapporter ça à tous les aspects
matériels de la vie. Il exige et démolit ensuite en dévalorisant
et culpabilisant. Mais comme il est malade, on ne peut pas
l’abandonner... d’où les travaux forcés à perpétuité. Je dis « il »
parce que cette pathologie est plus masculine que féminine.
Quand je décris le narcissisme, qu’il soit de structure ou de
retrait, c’est souvent difficile pour les stagiaires de ne pas juger
de tels comportements. Les propos sont souvent violents. C’est
vrai que le comportement est souvent pervers, mais il ne faut
pas oublier que ce sont des personnes en grande souffrance et
que c’est cette souffrance qui les pousse à se comporter de la
sorte. Il reste que vivre avec eux est extrêmement difficile et
douloureux, voire impossible.

Le narcissisme de retrait
Pour le narcissisme de retrait, le comportement est plus
« subtil » mais non moins cruel. Contrairement au narcissisme
de structure, dans le narcissisme de retrait, l’enfant a construit
son MOI , a établi une relation affective avec ses parents et a
confiance en eux. Vers l’âge de 4/5 ans, ce sera à la suite d’un
traumatisme important ou d’un ressenti très fort d’infériorité et
de culpabilité, entraînant une dépression, que se met en place la
perte de confiance pour se protéger et se défendre.
Un bébé et un enfant peuvent être dépressifs ! Mais le
problème est que souvent les adultes ne s’en aperçoivent pas.
Ils vont dire « c’est un enfant difficile » ou au contraire « c’est
un enfant très très calme, on ne l’entend jamais ». C’est encore
l’exagération d’un comportement qui montre le problème.
Donc, notre enfant, pour sa sauvegarde, se retire en lui, perd
la confiance qu’il avait établie avec les adultes et n’échange plus
son énergie avec l’extérieur. Elle circule à l’intérieur de lui et
il se convainc que ça lui suffit : il ne donnera plus rien de lui.
C’est l’échange qui donne de l’énergie. Tu me donnes, je te
7. ΠDIPE ET N ARCISSE 135

donne : ce partage nourrit. Dans le cas du narcissisme, ça ne


marche plus : fini l’échange avec les autres ! Il va faire semblant.
Et pour ça, il met en avant une image derrière laquelle il se
cache : ce qu’il montre sera un leurre. Le souci pour lui, est que
l’énergie ne se recharge pas puisqu’elle tourne sur elle-même,
d’où la nécessité de la pomper chez les autres et de s’accrocher
à eux pour vivre. Il prend donc chez les autres tout ce dont il a
besoin mais, lui, derrière son écran, sera triste, dépressif, avec
un ressenti d’anormalité et tout ça, même s’il se montre brillant,
agréable et sociable.
Pour pouvoir faire un diagnostic de narcissisme, il faut consta-
ter une série de comportements et il faut qu’ils y soient tous. On
peut se reconnaître dans la description d’un ou plusieurs de ces
comportements, ça ne veut pas dire que c’est du narcissisme. Il
faut qu’ils y soient tous, j’insiste !
L’enfant qui, à l’analité rétentive, aura vécu une situation
trop difficile pour lui, souvent avec son père à ce stade, n’aura
pas pour unique solution la névrose, comme dans les cas que
nous avons vus précédemment : il ne pourra que se replier
sur lui-même et couper le contact affectif. À partir de là, il
devient un enfant hargneux, difficile, indifférent aux autres,
distant, égoïste : il pourra avoir des comportements méchants
avec certains enfants qu’il prendra comme têtes de turc. Les
adultes s’étonneront souvent de voir ces enfants se réjouir des
malheurs des autres, que ce soit dans l’entourage ou à la télé
par exemple. Ce type d’enfant peut même se montrer heureux
de la peine qu’il fait à ses parents, sans trace de culpabilité.
Contrairement à la névrose, là, pas de manège : ça ne tourne pas.
Il n’y a pas de répit : c’est toujours pareil.
Il faut savoir que ce sont souvent des infériorisations très
importantes du père qui sont à l’origine du problème : un père
très dur, très autoritaire, injuste, culpabilisant à l’extrême, avec
des propos parfois violents ; une mère qui ne protège pas ou un
traumatisme sous forme de violence et d’injustice. Quelquefois,
le père n’aura pas besoin d’être violent : le regard seul peut
paralyser un enfant et lui faire très peur. À l’inverse, on peut
trouver un père faible, geignard, qui ne joue pas du tout son rôle
et une mère violente, autoritaire.
136 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

Vous pensez peut-être que ça ressemble fortement aux condi-


tions de la mise en place de la névrose d’infériorité à l’AR !
C’est vrai. On peut être amené à confondre névrose d’infériorité
et narcissisme de retrait : souvent, la frontière est mince ! Mais
la différence, c’est que dans l’une, la personne tourne en rond et
a des moments de répit (tant dans l’intensité des ressentis que
dans la durée de chaque étape du cercle), alors que dans l’autre,
la personne n’en a aucun.

Les signes du narcissisme


Pour reconnaître une personne narcissique, il y a :
• la rupture de la relation affective. L’adulte que l’enfant est
devenu ne donne rien de lui affectivement. Il fait semblant.
À l’intérieur, il est mort : il ne peut rien donner. Les per-
sonnes qu’il côtoie peuvent avoir des ressentis bizarres et
sentir inconsciemment que quelque chose cloche ; d’autres ne
perçoivent rien du tout ;
• l’inflation du MOI ou plus simplement la survalorisation. Elle
est nécessaire pour éviter la dépression. Comme Narcisse, la
personne narcissique est amoureuse de son corps ou de son
intellect. Elle en prend soin. Elle a besoin d’être admirée mais
de se plaire également ;
• la sensibilité à la violence. Il ne la supporte pas ou il la
provoque, selon les cas et sa problématique de base. Il ne
supporte pas non plus de vieillir, et la maladie lui fait peur :
il est hypocondriaque, il se croit toujours malade, a toujours
mal quelque part.

À ce sujet, j’ai l’exemple d’une personne que sa femme appelle


« Tamalou ». Tous les matins, il a mal quelque part. En même
temps, il passe des heures dans la salle de bains, est très élégant,
très fier de sa personne. Il faut dire que c’est un bel homme.
Le problème c’est que, comme tout le monde, il vieillit. Il a un
fils, qui maintenant est un homme et cherche à rivaliser avec lui,
notamment sur le plan sportif. Il joue au tennis avec son père et
tente de le battre, ce que le père ne supporte absolument pas. Il
est très agressif envers son fils qu’il dévalorise sur sa façon de
jouer et au final, sur ce qu’il est. Il ne supporte pas de perdre !
Quand sa fille s’est mariée, il lui a dit : « bon je veux bien que tu
7. ΠDIPE ET N ARCISSE 137

te maries mais je refuse que tu fasses un enfant, je ne veux pas


être grand-père »... Ce sont des personnes très orgueilleuses qui
emploient la dévalorisation pour se survaloriser. Le narcissique
trouve refuge dans le fantasme quand il n’arrive pas à atteindre ses
critères de beauté ou d’intelligence.

• la haine et le désir de vengeance. Le narcissique est hargneux,


rageur, plein de colère, haineux, revanchard, mais vide et
impuissant. Sa haine ne peut s’exprimer directement, par
peur du retour de bâton. Il met donc en place un paravent de
conformité et d’adaptation de surface, un leurre. Il attire vers
lui les personnes qu’il veut détruire : chacun a sa stratégie,
qui est totalement indécelable. Il a des antennes qui lui
permettent de savoir quel comportement avoir en fonction
de la personne qu’il veut séduire : avoir un abord avenant,
manifester de l’intérêt pour la personne, lui montrer qu’il
a besoin d’elle, de sa présence ; lui faire des déclarations
d’amour, d’amitié, etc. Il saura intuitivement ce qu’il faut faire,
dire, quel comportement avoir pour plaire et attirer l’autre.
Et ça marche à tous les coups. Il s’adapte, en fonction des
attentes qu’il décèle chez sa proie. Et là, badaboum, le piège se
referme sur sa victime : la personne est séduite. Il correspond
en tout point à ce qu’elle attend. C’est merveilleux ! Elle
est séduite : soit professionnellement, soit amicalement, soit
pire encore, amoureusement. Il l’entraîne et l’enchaîne à lui.
Ensuite, il joue sur sa culpabilité qu’il perçoit très bien pour le
ou la forcer à rester, pour l’obliger à agir selon sa volonté.
La personne commencera alors à somatiser : elle s’étiole,
s’auto-détruit sans comprendre ce qui lui arrive. Elle est
vidée... parce que pompée. Elle devient triste. Il la coupe
petit à petit de sa famille, de ses amis, l’isole pour pouvoir la
manipuler à sa guise ;
• la dépendance. Il attend que les autres lui apportent ce qui lui
manque, d’où cette dépendance. Il presse les autres comme
des citrons et les jette quand il les a épuisés, mais il ne peut pas
s’en passer puisqu’il se nourrit de leur vie. Quand il n’y a plus
de vie, il cherche une autre proie en meilleure forme mais le
revers pour lui, c’est qu’il a toujours besoin de quelqu’un
à vampiriser. Par contre, horreur, malheur quand c’est lui
138 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

qui se fait jeter ! Là c’est l’incompréhension la plus totale.


Pour récupérer sa proie, il déploiera toute une artillerie de
comportements, du chantage au suicide, en passant par les
pleurs, la séduction. Il lui fait revivre et lui rappelle les bons
moments passés ensemble, et si rien ne marche, il peut devenir
violent ;
• un sentiment de vide et d’ennui. Le narcissique se sent vide,
inutile : il s’ennuie. Il ressent du vertige devant son vide
intérieur, et c’est la faute des autres ;
• le besoin d’un double. Même s’il est entouré, il est solitaire
puisqu’il a besoin des autres pour renouveler son énergie et
dans sa solitude, il choisit un personnage fétiche auquel il
raconte tous ses malheurs et auquel il s’identifie. Ce double,
il l’aime. Il n’aime personne sauf ce double qu’il se choisit.
Ce double, c’est lui : il devient son miroir. Chez l’enfant, ce
peut être son nounours ; chez l’adolescent, ce sera un autre
ado du même sexe, et chez l’adulte, ce sera une personne du
même sexe ou pas, un animal, voire un animal exotique ou
excentrique ;
• la relation à la mère est là non fusionnelle, contrairement à
celle qu’entretient le narcissique de structure. La mère est
une mauvaise mère puisqu’elle ne l’a pas protégé ou si c’est
une mère autoritaire et violente, elle l’a détruit. Il peut établir
avec elle une relation amour/haine. Elle est responsable de son
mal-être, de ses angoisses, de sa solitude, de sa souffrance,
de son anormalité. En effet, il se sent anormal et lui en veut
beaucoup mais en même temps, il a besoin d’elle...
• l’intolérance aux frustrations. La moindre contrariété le rend
malade. Il ne supporte pas quand les choses ne se passent pas
comme il en a envie. Ça peut le conduire à la paranoïa.
Voilà les signes d’un narcissisme. Je rajoute quand même que
j’ai dit « il » mais bien évidemment, on retrouve le narcissisme
chez les femmes et cela fait autant de dégâts, notamment avec
leurs enfants qu’elles cherchent à détruire comme les autres, en
soufflant le chaud et le froid. Ces enfants-là doivent être toujours
vigilants, l’attaque arrive à un moment ou un autre et est violente.
Elle les laisse meurtris, dans l’incompréhension totale de ce qui
7. ΠDIPE ET N ARCISSE 139

se passe et en proie à une forte culpabilité puisqu’elle s’arrange


pour leur faire penser que ce qui arrive est de leur faute.
Vous avez pu noter que je n’ai pas parlé de narcissisme à
l’oralité active, à l’analité expulsive et au phallique.
Pour l’OA et l’AE, il n’y a pas de narcissisme parce que ce
sont des stades où le sentiment de vie est très présent. Les per-
sonnes fixées à ces stades sont par contre de supers proies pour
le narcissique. On voit souvent des couples OA/AE/narcissique.
Par contre, il peut y avoir des phalliques narcissiques. La
pathologie se met en place sur un problème d’ordre sexuel,
comme une forte culpabilisation sexuelle ou une infériorisation
quant au statut et au rôle.

Les types de narcissisme de retrait


Alors pour terminer tout à fait sur le sujet, il faut savoir qu’il
y a, dans le retrait, trois sortes de narcissisme.
Tout d’abord, le narcissique brillant. L’adaptation de surface
est efficace. Le talent, le savoir-faire, l’intellect sont au-dessus
de la moyenne. Ces narcissiques-là sont actifs, efficaces. Ils
obtiennent des succès marquants. On y retrouve pas mal de
fonctions de direction, de managers mais également des artistes,
des comédiens de renom, des écrivains, des politiciens, des
universitaires, etc. ce qui ne veut pas dire, bien entendu, que
pour occuper ces fonctions, il faille être narcissique ! Si on
gratte un peu, on s’aperçoit que derrière l’image, il n’y a que du
vide, que c’est superficiel et que les réalisations sont loin d’être
à la mesure de l’apparence. Quand ces personnes vieillissent,
comme Tamalou dans l’exemple ci-dessus, leurs capacités phy-
siques et intellectuelles s’altèrent : la dépression qu’ils avaient
tenue à distance jusque-là les rattrape. Ils peuvent même en arri-
ver au suicide tant la souffrance est importante quand l’image,
le leurre ne fonctionnent plus et qu’ils se retrouvent face à leur
vide intérieur. Ils peuvent devenir pathétiques en voulant se
raccrocher à un pouvoir, une gloire passée.
Deuxième type : le narcissique ordinaire. C’est la majorité.
Ceux-là, à première vue, rien ne les distingue de la masse.
On les retrouve dans toutes les catégories professionnelles.
140 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

Ils se montrent vigilants : ils ne doivent surtout pas être vus


en état d’infériorité ou de culpabilité comme un névrosé. Ça,
c’est sur le plan social. Sur le plan privé, ils sont hargneux,
déprimés, exigent soins et présence, se comportent en despotes
familiaux : ils font continuellement des reproches aux conjoints
et aux enfants qui ne sont jamais à la hauteur de leurs attentes.
Une dame me disait que son mari se comportait comme un
marteau-piqueur. Vous voyez l’image ! Détenteur de la vérité, le
narcissique ordinaire impose ses principes pour compenser son
impuissance à exprimer son agressivité. Le partenaire est choisi
pour sa docilité et son aptitude à comprendre, à pardonner, à
prendre en charge, à supporter les longs épanchements doulou-
reux et surtout à être discret : rien ne doit se savoir. À l’extérieur,
socialement et amicalement, l’image est bonne mais derrière
l’écran, c’est le ressenti de mort et le chaos. On me rapporte
souvent que les amis ou les collègues disent aux conjoints :
« Mon Dieu, qu’est-ce qu’il est gentil votre mari ! Vous avez de
la chance : c’est quelqu’un de super, on peut compter sur lui ! »
et là, le conjoint fait bonne figure et donne l’impression que le
compliment lui fait plaisir alors qu’à l’intérieur, c’est la révolte
muette. Pour l’homme narcissique, un moyen de détruire sa
femme peut être les problèmes sexuels. Le non désir lui montre
qu’en tant que femme, elle n’est pas intéressante et désirable.
À l’inverse, il pourra avoir avec elle des relations humiliantes,
limite violentes.
Et enfin pour terminer, troisième type : le narcissique plaintif.
Lui expose à la face des autres le malheur et la souffrance qu’il
ressent. La dépression est chez lui chronique. Il n’a goût à rien,
vit en reclus, s’exclut lui-même. Il entraîne son partenaire dans
son retrait en l’empêchant de s’évader par culpabilisation. Il
est capable de ne plus s’alimenter, se laisse dépérir. L’extérieur
est hyper dangereux, ce qui fait que, souvent, il aura du mal à
travailler, à garder un emploi. L’intolérance aux frustrations est
chez lui très basse. Il est convaincu que personne ne peut l’aider
et pour le prouver, il fera échouer toutes les tentatives d’aide.
J’ai bien dit que le narcissisme de retrait était un état limite.
Ce n’est donc pas une psychose. C’est donc réversible, contrai-
rement à la psychose qui est irréversible. Les personnes qui
7. ΠDIPE ET N ARCISSE 141

consultent sont les narcissiques moyens, les brillants le font


quelquefois quand ils n’assurent plus et les plaintifs ne le font
que pour montrer que personne ne peut les aider.
Les narcissiques peuvent très bien s’en sortir mais c’est pour
eux un travail douloureux, car ils sont confrontés à leur vide
et leur non-vie. De plus, il leur faut trouver une personne en
qui ils vont pouvoir avoir confiance et là, ce n’est pas gagné
puisque leur problématique de base, c’est de ne pas donner leur
confiance. Ils vont recourir à tout un tas de stratagèmes pour
mettre leur thérapeute à l’épreuve et s’assurer qu’ils peuvent
compter sur lui. Ils vont souvent en écumer plusieurs avant
de trouver le bon, celui qui ne va pas rentrer dans leur jeu
d’agressivité ou de séduction. Le thérapeute devra faire ses
preuves avant qu’ils ne se lâchent ! Mais quand la confiance
sera établie, ils seront fidèles, ils iront jusqu’au bout parce que
s’ils font cette démarche, c’est pour arrêter cette souffrance
intolérable qui les habite en permanence.

Je reprends le schéma du début, avec les différents stades


d’évolution avec ajout des névroses liées à chaque stade et avec
quelle personne l’enfant est en relation.
142

Tableau 7.1. Tableau récapitulatif post-natal

6-8 mois 2 ans 3,5 ans


0 à 6-8 mois 5 à 7-8 ans
à 2 ans à 3,5 ans à 5 ans
Oralité passive Oralité active Analité expulsive Analité rétentive Stade phallique
OP OA AE AR PH
Découverte du lien Découverte du Découverte des Découverte de la
affectif sentiment de valeur règles et des normes différenciation des
physique sociales sexes, rôles et statuts
Formation du MOI Abandon Hystérie Infériorité, culpabilité, Castration
rejet, échec
Mère Mère Mère, père, famille Mère, père, Mère, père,
éducateurs éducateurs
Relation égocentrée Relation égocentrée Relation égocentrée Relation évaluation Relation d’échange
soi/soi Soi/soi soi/soi soi/autres soi/avec les autres
Principe de plaisir Principe de Plaisir Principe de plaisir Principe de plaisir Principe de plaisir
et principe de réalité et principe de réalité
L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT
Chapitre 8

L’intra-utérin

N OTRE beau voyage humain post-natal est maintenant ter-


miné. Et si je vous proposais d’aller plus loin, plus avant
devrais-je dire, en se concentrant sur ce qui se passe sur le plan
psychologique avant la naissance ?
J’ai évoqué à quelques reprises l’intra-utérin. La vie psycho-
logique commence, en effet, dès la conception. Des théories
récentes en font état. Je vous propose donc de continuer notre
belle histoire de la vie en la prenant au commencement. Vous
allez peut-être penser : « elle est bizarre, pourquoi a-t-elle
démarré par le post-natal ? »
Mon expérience de quelques décennies (non, je ne dirais pas
combien !) m’a montré que cette façon d’aborder la psychologie
était plus facile à assimiler et plus « digeste » en la débutant par
l’enfant à la naissance.
Comme au début de ce livre, j’aborde dans un premier
temps la partie théorique. Viendra ensuite du concret avec les
exemples et les explications. C’est un passage obligé pour la
compréhension de cette nouvelle théorie.
144 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

D’après les travaux et les recherches d’un psychologue amé-


ricain, Stanislas Grof, il apparaît que nous gardons tous, sous
forme inaccessible à l’investigation ordinaire, la mémoire de
notre vie fœtale. À la lecture de ses travaux, Jacques Chaumet,
psychothérapeute et formateur à Toulouse, a eu un déclic immé-
diat en faisant le lien avec les travaux de Freud. J’y viendrai un
peu plus loin.
La théorie intra-utérine de Grof apporte un éclairage com-
plémentaire aux travaux de Freud et de ses successeurs, qui en
étudiant l’individu et son développement à partir de la naissance,
ont minimisé voire ignoré l’importance de son expérience
intra-utérine comme explication de son développement post-
natal. Il est bien évident que les travaux de Grof ne remettent
absolument pas en cause tout ce qui a été découvert et théorisé en
psychologie. Son approche n’est pas révolutionnaire, elle se veut
simplement complémentaire en rajoutant l’aspect « mémoire
cellulaire ».
Que dit cette théorie ? Elle place la mémoire, non pas dans
un coin du cerveau mais bien dans l’ensemble des cellules
qui composent notre corps. Cela revient à dire que la plus
petite cellule, où qu’elle soit dans notre corps, contient toute
la mémoire de notre hérédité et de notre vie intra-utérine.
Comment en est-il arrivé à cette conclusion ? Voilà une bonne
question !
Il s’est servi de la théorie hologrammique. Vous pensez
peut-être : « qu’est-ce que l’hologramme vient faire là ? » et
« c’est quoi un hologramme ? ». L’hologramme est une figure
tridimensionnelle de consistance lumineuse et donc impalpable.
C’est un peu comme une photographie en trois dimensions dont
on pourrait faire le tour tout en découvrant toutes les formes de
la même manière qu’on le ferait en effectuant le tour d’un objet.
On voit actuellement de plus en plus d’hologrammes, ce qui
était plus rare dans les années 1960 au moment des recherches
de Grof.
Le principe de l’hologramme fait appel au laser. À la diffé-
rence du faisceau lumineux traditionnel qui se disperse, le laser
est un faisceau de lumière cohérente. Cela peut vous rappeler
les faisceaux laser que l’on voit au-dessus de la tour Eiffel ou de
8. L’ INTRA - UTÉRIN 145

certaines boîtes de nuit par exemple. Effectivement, la lumière


ne se disperse pas. Donc, par un système de projection de ce
faisceau sur différents miroirs qui permettent l’éclairage d’un
objet à photographier selon tous ses contours, on impressionne
une plaque photosensible. Cette plaque, une fois impressionnée,
ne montre rien puisque l’image qu’elle contient est en quelque
sorte brouillée par la multitude de prises de vue sous les angles
différents qu’elle a reçues. Cependant, le fait d’envoyer sur cette
plaque un rayon laser de même caractéristique, a le don de
projeter dans l’espace les renseignements contenus sur la plaque
et se forme alors cette image tridimensionnelle évoquée plus
haut. Bon d’accord, et alors me direz-vous ?!
Effectivement, cette caractéristique, aussi captivante soit-elle,
ne présente à ce stade qu’un intérêt relatif dans notre démarche
psychologique. C’est une caractéristique secondaire de la plaque
hologrammique qui a permis à Grof d’asseoir l’essentiel de sa
théorie sur la mémoire cellulaire. La plaque contient l’image
entière qui y a été impressionnée, comme un négatif de photo.
Mais si l’on casse cette plaque en deux et que l’on expose chaque
morceau au rayon laser codé qui en permet le décryptage, on
obtient alors deux images complètement identiques reproduisant
fidèlement, quoiqu’en légèrement plus floues, les caractéris-
tiques de l’image contenue sur la plaque originelle. Et ainsi de
suite... Quatre morceaux de la même plaque donneront quatre
images identiques à la première, etc. La seule modification
que l’on puisse observer est une définition de plus en plus
diluée. En poussant l’expérience à l’extrême, on pourrait dire
qu’une infinité de fragments donnerait une infinité d’images
identiques à celles d’origine mais que l’imprécision de leurs
contours en rendrait la lecture quasi impossible. Contrairement
à la plaque hologrammique, si vous déchirez un négatif d’un
appareil argentique en deux par exemple, vous aurez d’un côté
un morceau de la photo et l’autre morceau de l’autre. Vous
voyez où je veux en venir ? La division cellulaire fonctionne sur
le même principe.
Pour Grof, cette constatation est à la base de sa théorie.
Concernant plus spécifiquement l’individu, le même phénomène
se produit qui, partant de la cellule unique fécondée contenant
146 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

toute l’information sur l’individu et sur tout ce qui l’a précédé,


va ancrer dans cette première cellule toute la mémoire sur
ses ancêtres puis sa vie intra-utérine, etc., avec toutefois une
déperdition de netteté au fur et à mesure que les cellules se
multiplient.
À partir de cette fécondation, tout événement (et je vous expli-
querai plus loin par quel moyen), qu’il soit d’ordre physique,
psychologique, émotionnel, va à l’instar de la plaque hologram-
mique, impressionner toutes les cellules du corps embryonnaire
puis fœtal en développement d’une mémoire indélébile. Cela
revient à dire que plus l’événement intra-utérin sera ancien, plus
l’accès à l’information sera difficile, car la division cellulaire
inhérente à la constitution physique fera son œuvre de dilution.
Au contraire, plus l’événement se rapprochera de la naissance et
plus son accès en sera facilité, car sa mémoire aura des contours
encore relativement précis.
Partant de la théorie de la mémoire cellulaire qui imprime
à un niveau somatique dans chaque individu la marque d’un
vécu physique, Grof a recherché dans le déroulement de la
vie intra-utérine des périodes qui se singulariseraient par des
conditions physiquement différentes au niveau du vécu.
L’embryon humain d’abord isolé dans son nid originel se
développe jusqu’à remplir la cavité utérine et donc à en apprécier
les limites. Ensuite, au fur et à mesure de sa maturation, il en
ressent les contraintes sous la forme d’un manque d’espace
et donc de liberté de mouvement. Puis, incité par son horloge
biologique et les messages de la mère, il se place en position de
sortie. Alors la pression utérine va s’accentuer et la dilatation du
col aidant, l’enfant se verra obligé de s’engager dans la filière
pelvo-génitale. Ce processus aboutira à sa naissance.
Au plan purement physique, on peut constater que cet enchaî-
nement montre plusieurs environnements distincts :
• une phase d’expansion sans limite ;
• une phase d’arrêt et de contrainte ;
• une phase d’expulsion sous pression ;
• une délivrance.
8. L’ INTRA - UTÉRIN 147

Cela ne vous rappelle rien, dans la première partie du livre ?


Je continue...
Comme on peut le voir, le fœtus est soumis, après un début de
confort et de liberté, à une pression de plus en plus importante
qui s’achèvera par un arrêt brutal de cette tension coïncidant
avec l’arrivée à la vie.
Ces quatre phases supportent un ressenti physique particulier
matérialisé par une pression différente :
1. La gestation, qui dure d’environ 0 à 8,5 mois et qui est carac-
térisée par la division cellulaire la plus importante qui fait
que l’embryon rassemble peu à peu les éléments constitutifs
de son corps. Pendant cette période, l’embryon devient fœtus,
ses organes apparaissent, son sexe se précise, le corps se
complète et se développe jusqu’à se lover complètement dans
la cavité utérine.
Il s’établit pendant toute cette période un dialogue entre la
mère et l’enfant. Ce dialogue est de deux ordres : d’une part
purement chimique par l’apport de matériaux constructifs
qui sont la base de tout être vivant (fer, silice, calcium
etc.), d’autre part de types hormonaux qui permettent la
construction harmonieuse de chaque système ainsi que la
régulation des interactions entre les systèmes. Par ailleurs,
les hormones servent également de véhicule aux messages
émotionnels de la mère.
La gestation se divise elle-même en deux parties inégales : la
première, telle que décrite ci-dessus, est une phase consti-
tutive. Dans la deuxième partie, le dialogue mère/enfant
est nettement plus important et change de forme. L’horloge
biologique commence à indiquer que les deux partenaires
doivent se préparer à une évolution. Aucune force physique
n’est encore mise en œuvre pour déclencher l’expulsion mais
chacun s’y prépare.
2. La préparation, transitoire et de durée variable pouvant aller
de quelques jours à deux semaines, durant laquelle le fœtus
commence les opérations physiques qui l’amèneront à la vie.
Pendant cette période, il se retourne, se place (normalement)
la tête en bas et avance son crâne vers la filière pelvienne. À
148 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

la fin de cette phase, et faisant une transition avec la phase


suivante, la mère commence à exercer une forte pression qui
pousse l’enfant vers la sortie tout en n’ayant pas elle-même
enclenché la dilatation du col. La porte est fermée ! C’est
une phase de souffrance physique pour le fœtus qui se trouve
comprimé et forcé sans pouvoir se libérer.
3. Le passage, période encore plus courte pendant laquelle
la dilatation du col étant suffisante, l’enfant s’engage dans
la filière pelvo-génitale pour être, par la pression exercée
lors des contractions, expulsé vers la sortie. Durant cette
période, l’enfant est guidé vers une sortie libératrice mais sa
souffrance physique, bien que différente de celle de la phase
précédente, n’en est pas moins intense de par l’étroitesse du
passage, les arrêts, les déformations osseuses, etc. Cependant
se mêle à la souffrance une sensation physique plus agréable
résultant du massage exercé sur tout le corps par les parois.
4. La naissance, phase quasi immédiate qui voit l’expulsion de
l’enfant vers l’extérieur et qui physiquement rassemble deux
sensations opposées, le plaisir de la délivrance qui accom-
pagne l’arrêt de la pression mais aussi la douleur liée à l’effort
immédiat d’adaptation que l’enfant doit mettre en œuvre
pour passer de l’état fœtal liquide à l’état d’enfant aérien
(défroissage des poumons, respiration, choc lumineux, froid
et souvent intervention quelquefois agressive des personnels
médicaux).
Vous vous souvenez que selon la théorie de Freud, tout
événement stressant ou traumatisant provoque une réaction
de l’enfant qui a, dans l’immédiat, la caractéristique de laisser
une question en suspens et à compter de cet instant, de mettre
en œuvre des conduites répétitives destinées à répondre à
la question posée en vue de retourner à l’état d’équilibre
originel.
Sur ce point encore la théorie de Grof rejoint celle de Freud,
à la différence qu’elle place dans la vie intra-utérine la cause
première des problèmes post-nataux.
En ce sens, pour Grof, tout traumatisme (au sens générique
du terme) aura une correspondance automatique dans la vie
post-natale et c’est cet événement post-natal qui déterminera
8. L’ INTRA - UTÉRIN 149

le type des conduites à adopter pour résoudre le problème


posé.
Il y a donc une sorte de caisse de résonance entre un événe-
ment intra-utérin et le post-natal, un peu comme si une corde
invisible avait été tendue entre deux périodes de la vie et que
le fait d’ébranler la corde à un bout transmette une onde qui
répercuterait l’action du départ sur le point d’arrivée.
Freud, lui, situait l’origine des névroses dans le post-natal,
Grof dans l’anténatal et les travaux de Jacques Chaumet dont je
vous parlais plus haut ont mis en évidence la corrélation entre
les quatre étapes intra-utérines décrites par Grof et les stades
d’évolution de Freud. Une correspondance exacte et prévisible
existe quant à sa forme, son intensité et sa date d’apparition entre
tout événement intra-utérin et son correspondant post-natal. Je
m’expliquerai de façon plus concrète plus loin.
La théorie de Grof s’arrête à un retentissement post-natal de
tout événement ou conditionnement intra-utérin (figure 8.1).

I II III IV
Gestation Préparation Passage Naissance

Mémorisation cellulaire

Retentissement post-natal

Vibrations Vibrations Vibrations Vibrations

Figure 8.1. Théorie de Grof

Pour Jacques Chaumet, tout événement confortable ou incon-


fortable vécu pendant la gestation présensibilisera l’enfant en
post-natal au moment de l’OP et de l’OA. Si c’est un problème
vécu près de la fécondation, on retrouvera la correspondance
à l’OP. L’inconfort ressenti à partir de 3 mois de grossesse, au
moment où l’embryon devient fœtus, se retrouvera au moment
de l’OA. La préparation se divise également en deux parties : le
début correspond à l’AE et la fin de la préparation (au moment
150 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

où le travail commence, où les contractions se déclenchent) se


situe à l’AR. Le passage a sa correspondance dans le PH et la
naissance à l’Œdipe (figure 8.2).

I II III IV
Gestation Préparation Passage Naissance

Mémorisation cellulaire

Retentissement post-natal

OED PH AR/AE OA/OP

Figure 8.2. Théorie de Chaumet


OED : œdipe.

C’est cette « révélation » qui est apparue évidente à Jacques


Chaumet à la lecture des travaux de ce psychologue américain.
Pendant nos vacances, il s’est isolé pour réfléchir pendant
plusieurs jours. Quand enfin il est sorti de son mutisme, il
m’a expliqué, très enthousiaste, qu’en lisant la théorie de Grof
sur l’intra-utérin il constatait une similitude avec les stades
d’évolution de Freud. Cela permettait de mieux comprendre
pourquoi deux enfants placés dans la même situation allaient
vivre et ressentir l’événement de façon différente ; pourquoi
un enfant n’aurait, face à un problème, d’autre solution que la
mise en place de la névrose alors qu’un autre face au même
événement arrivera à gérer l’angoisse, la caisse de résonance
faisant son œuvre en positif ou en négatif. Maintenant, il allait
falloir expérimenter cette nouvelle théorie, chose qu’il a faite
avec succès sur des quantités de volontaires, dont moi. J’ai
été la première à bénéficier de ce travail de recherche, il y a
28 ans. Et le résultat a été concluant autant pour moi que pour les
personnes avec qui nous avons travaillé. Cela commençait par
déterminer le stade d’évolution de la personne, définir la ou les
névroses mises en place pendant l’enfance et ensuite, en fonction
de ce diagnostic, vérifier si dans les périodes intra-utérines
correspondantes, il s’était passé un événement pour la mère
8. L’ INTRA - UTÉRIN 151

qui puisse expliquer la présensibilisation. Pour cela, il s’est


servi des mots employés préférentiellement à chaque stade et
a rajouté des mots plus spécifiques de la période intra-utérine.
En fonction des mots et des concepts employés par chacun, sur
un thème donné (le même pour tout le monde), il a pu faire le
film de la personnalité de ces volontaires en faisant ressortir leur
vie intra-utérine, leur problématique post-natale et donc leur
comportement adulte.
Exemple : si on constate un problème pendant la première partie
de la gestation, on peut dire que l’enfant sera présensibilisé à un
problème de formation du MOI pendant les six premiers mois de
sa vie. À l’inverse, si on remarque un problème de formation du
MOI chez un enfant ou un adulte, on peut dire que certainement il
y a eu un souci pendant la première partie de la gestation. Idem
pour chaque phase intra-utérine et chaque stade d’évolution. Une
névrose constatée dans un stade aura sa présensibilisation dans
la phase anténatale correspondante et inversement.

Voilà pour la partie théorique. Je continue de façon concrète


à faire le lien entre l’intra-utérin (en vous expliquant ce qui peut
se passer en positif et négatif pour chaque étape), le post-natal
et donc la répercussion chez l’adulte.
Une petite précision avant de commencer : les mots et les
concepts que nous avons vus à la fin de chaque stade d’évolution
de Freud font partie du travail de recherche fait par Jacques
Chaumet. Je me suis servie de ces mots et de ces concepts pour
vous raconter le voyage en Martinique. Je fais faire cet exercice
à tous mes stagiaires pour bien ancrer et repérer ce qui motive
et intéresse la personne qu’ils écoutent. Je rajoute maintenant à
la fin de chaque étape intra-utérine les mots, expressions qui la
concernent. Pour cela, je n’utilise plus le thème du voyage mais
celui du travail.
Pourquoi ? Vous connaissez la signification du mot travail ?
Il vient du bas latin tripalium qui veut dire machine à trois pieux
et qui était un instrument de torture. Ce mot apparaît en 578.
Jusqu’au XIIe siècle, il signifie tourmenter, peiner. Non mais
vous vous rendez compte ce que signifie travailler ? Cela veut
dire souffrir, « torture ». Vive les vacances ! On parle aussi du
travail de la femme qui accouche. Encore une fois c’est de la
152 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

douleur qui y est associée. C’est donc pour ces raisons que nous
avons choisi ce thème. La façon dont la personne parle de ce
qu’évoque pour elle le mot travail nous donne des indications
importantes sur son développement psychologique.
Allez en route ! Au boulot ! J’espère sans souffrance ni
torture...

LA GESTATION
Première étape
Souvenez-vous que l’oralité passive (OP) est le premier stade
vécu par l’enfant à sa naissance. Vous n’avez pas déjà oublié !
Si on se réfère à la figure 8.2, l’oralité passive est déjà un revécu
du début de la phase anténatale I (gestation). Les cellules de
l’enfant ont imprégné leur mémoire de sensations qui ont établi
les bases de son comportement futur. On le verra, ce phénomène
s’étendra à tout le vécu intra-utérin qui se transposera ainsi
dans les premières années de la vie post-natale. L’origine de
la pathologie de la formation du MOI se trouve, de ce fait,
en correspondance avec les problèmes vécus au début de la
gestation.
La vie de l’enfant est donc pré-orientée au moment de sa
naissance.

ATTENTION
J’ouvre une parenthèse en comparant la notion de pré-orientation
et la notion de déterminisme. On pourrait en effet croire que,
marqué par une source inconsciente profonde et archaïque,
l’enfant d’abord, l’adulte ensuite aurait une sorte de destin tout
tracé, prédéterminé en quelque sorte. Au vu de ce que je vous
explique, nous avons pu constater qu’effectivement nous retrou-
vons en post-natal cette caisse de résonance qui peut orienter les
ressentis et les émotions de l’enfant et donc ensuite de l’adulte
(positifs ou négatifs) dans le sens de ce qui a été vécu en
intra-utérin. Mais comme je l’ai expliqué au début de cet ouvrage,
l’individu a toujours la possibilité de se remettre en question, de
comprendre ce qui se passe en lui et donc de trouver « une porte

8. L’ INTRA - UTÉRIN 153


de sortie »... À partir du moment où les mécanismes sont compris,
où la conscience d’être est atteinte, il est parfaitement possible
de ne plus subir sa vie mais de la gérer. Je ferme la parenthèse.

Allez courage, encore un peu de théorie. Patience, le concret


arrive !
L’imprégnation se fait sous forme chimique puisque c’est
le seul véhicule possible entre la mère et le fœtus, celui-ci
n’étant pas encore accessible à l’état émotionnel qui suppose
une conscience inexistante comme pour l’enfant à l’OP.
La cellule est une unité en soi. Il existe plusieurs types
de cellules (sang, os, muscles, tissus conjonctifs, neurones...)
qui, regroupées suivant leur fonction, forment des systèmes
spécialisés dont la synthèse dynamique donne un organisme
vivant.
Physiologiquement, chaque cellule est constituée par un
noyau, un cytoplasme et une enveloppe sur laquelle sont dis-
posés différents récepteurs qui permettent les échanges entre
celle-ci et son environnement. Ces échanges sont de deux
ordres : assimilation et élimination. En fonctionnement normal,
la cellule absorbe ce dont elle a besoin, l’utilise pour sa vie
et rejette les déchets qui l’encombrent. En fonctionnement
pathologique ces divers mécanismes peuvent être perturbés :
• la fonction d’élimination par exemple, peut être incomplète
ou exagérée. Dans le premier cas, la cellule garde les toxines.
Dans le deuxième cas, elle élimine des éléments vitaux ;
• l’utilisation des éléments absorbés peut aussi être perturbée
par un excès de stockage par exemple ;
• mais c’est surtout la notion d’assimilation qui va nous intéres-
ser ici puisqu’elle représente le premier dialogue mère/enfant.
La cellule possède donc des récepteurs spécialisés (sortes
de portes d’entrée qui ne s’ouvrent que pour laisser passer
certains éléments lorsqu’ils sont identifiés et nécessaires
à la vie cellulaire, tels le calcium, le sodium, le fer, le
magnésium...). Il existe une multitude de ces récepteurs sur
l’enveloppe cellulaire. Cependant, ne sont actifs que ceux qui
sont nécessaires à la vie, à un moment donné. C’est-à-dire que
154 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

certains de ces récepteurs peuvent s’ouvrir puis se fermer


suivant la nécessité du moment. Cette nécessité peut être
vraie ou induite. Elle est vraie lorsqu’elle est indispensable
à la construction ou au développement de la cellule, elle est
induite lorsqu’elle n’est pas indispensable mais est cependant
ressentie comme telle.
Sous cette forme chimique, la mère, en intra-utérin, véhicule
vers les cellules du fœtus trois types de matériaux :
• des matériaux d’ordre physique servant à la construction du
tissu organique ;
• des matériaux d’ordre émotionnel qui, mêlés à l’hérédité,
jetteront les bases de la spécificité psychologique de l’enfant
puis de l’adulte ;
• des matériaux nocifs ou toxiques d’ordre émotionnel ou
physique qui freineront le développement, voire en dirigeront
l’évolution dans un sens pathologique.
Les messages d’amour, d’acceptation, les ressentis heureux
de la mère, ses impatiences à voir naître l’enfant, son anticipa-
tion de bonheur, ses joies ponctuelles, sa vie harmonieuse sont
autant de messages émotionnels constructifs. Dès sa naissance,
donc à l’OP, l’enfant, pour son bien-être, cherchera à retrouver
ces états de grâce qui resteront pour lui sa base de construction
et le havre de protection dans lequel il saura retourner en cas
de vécu difficile. On comprend ici toute l’importance de ces
messages positifs (réellement et non de manière appliquée,
intellectuelle ou artificielle) dans le développement ultérieur
de l’enfant.
Les messages de rejet, d’indifférence, d’hostilité, des peurs
liées à la grossesse, à l’accouchement, la misère morale de la
mère, ses états psychologiques perturbés... sont autant de points
négatifs mémorisés par la cellule. Plus tard, l’enfant, placé dans
des conditions analogues, se retrouvera face à des peurs, à des
inhibitions, à des angoisses qui seront autant de freins à son
développement. Le MOI, conditionné par la mémoire négative,
répugnera ou même parfois sera dans l’incapacité de réagir
8. L’ INTRA - UTÉRIN 155

correctement, entraînant par là des désordres, des fixations ou


des régressions.
Je passerai rapidement sur les intoxications cellulaires phy-
siques liées à des habitudes comportementales de la mère.
Ces habitudes peuvent être voulues : prise de drogues, taba-
gisme, alcoolisme, etc. ou subies : carences ou déséquilibres
alimentaires, déséquilibres physiologiques liés à la maladie par
exemple.
Au-delà de ces considérations purement matérielles, la
mémoire cellulaire ne fonctionne rudimentairement que sur un
type oui/non. Cela se traduit par des notions de confort/inconfort.
La notion de confort sera par la suite associée au plaisir, celle
d’inconfort au déplaisir, aux peurs, au ressenti de danger.
Exemples en cas d’inconfort chez l’embryon avec répercus-
sions chez l’enfant et donc l’adulte :
• une alimentation déséquilibrée ou carencée de la mère pourra
se transformer chez l’enfant en ressenti de manque, générateur
de repli protecteur ou au contraire de recherche boulimique
(cela dit, cet exemple n’est donné qu’à titre indicatif, la
boulimie en particulier peut avoir bien d’autres causes) ;
• un violent sentiment de rejet ou d’inacceptation de l’enfant,
en lui-même ou en son sexe, pourra entraîner par la suite chez
celui-ci des sentiments de rejet, de culpabilité, des difficultés
à trouver sa place dans la famille et plus tard, dans la société. ;
• une mère insatisfaite dans son couple pourra se replier sur
l’enfant qu’elle porte, compensant par-là ses frustrations. Plus
tard, l’enfant aura des difficultés à échapper à la symbiose cap-
tatrice et pourra difficilement établir des relations affectives
normales avec son ou sa partenaire ;
• une tentative d’avortement se traduira certainement par un
ressenti permanent de danger (qui peut-être ira jusqu’à la
paranoïa) et par une hostilité avouée ou latente envers la mère
ou les parents. On me dit souvent que maintenant il n’y a plus
de tentative d’avortement avec l’IVG. Oui, bien sûr. Toutefois,
une stagiaire gynécologue obstétricienne nous a expliqué que
quelquefois – très rarement il faut le dire – l’IVG échoue.
La grossesse continue sans que la personne s’en aperçoive
156 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

au début. De fait, il est trop tard ensuite pour faire quoi que
ce soit. Cela m’a surprise mais c’est pour cette raison que je
maintiens ce problème dans ma liste. Au-delà de ça, l’IVG
n’est pas autorisée dans tous les pays... ;
• des incidents d’ordre corporel (chute de la mère, coup violent
reçu, extrême fatigue) pourront être mémorisés par la cellule
comme autant de messages (interprétés mais cependant bien
implantés) de rejet, de négation, de désir d’élimination qui
se transposeront plus tard en autant de ressentis qui pourront
gêner le développement de la personnalité ;
• des difficultés qui peuvent être inhérentes au fœtus lui-même
(difficultés de nidification et d’accrochement) pourront avoir
les mêmes effets perturbants.
Voilà une liste non exhaustive de problèmes qui peuvent
survenir pendant les trois premiers mois de la grossesse.
La théorie de Jacques Chaumet nous dit que si ces trois
premiers mois se passent correctement, si la grossesse est
désirée, s’il n’y a pas de problème majeur, la mémoire cellulaire
mémorisera du confort. En post-natal, pendant l’oralité passive,
le nourrisson sera présensibilisé à ce confort et à cette sécurité,
ce qui lui permettra de mieux vivre le vide existentiel, le
morcellement spécifiques de ce stade. Il sera dans les meilleures
conditions pour supporter cette étape.
À l’inverse, si l’embryon a été « chahuté » par l’un ou
l’autre des problèmes cités plus haut, il arrivera à la naissance
présensibilisé à l’inconfort, la peur, l’insécurité voire l’angoisse,
qui l’amènera à avoir plus de difficultés à former son MOI.
Si vous avez bien mémorisé la partie OP, vous constatez
que l’on retrouve une cohérence entre le vécu intra-utérin où
l’embryon a besoin de nourritures chimique et hormonale qui
vont lui permettre de se construire, d’acceptation, de confort, de
sécurité, et le stade OP où nous retrouvons les mêmes besoins.
Dans le cas où il y aura problème, donc un inconfort plus ou
moins important, l’enfant aura des difficultés à construire son
MOI et on dira qu’il y a des restes d’OP dans son développement
psychologique.
8. L’ INTRA - UTÉRIN 157

Comment l’adulte parlera-t-il du travail ? Souvenez-vous


des mots qui sont employés par des personnes concernées par
l’OP. Ce qui les intéresse, c’est la sécurité, la construction, la
passivité, la peur, le morcellement, la soumission, etc. Ce sont
des personnes intéressées par des emplois où ils n’auront pas
de décision et d’initiative à prendre. Elles vous diront qu’elles
travaillent pour assurer leur sécurité, celle de leurs enfants, pour
construire leur maison, leur nid, pour avoir un foyer agréable
et une bonne retraite. Ce sera un travail alimentaire qu’elles
feront le plus souvent consciencieusement mais sans envie. Elles
pourront dire également que pour elles, le travail c’est la vie. À
ce sujet, voilà ce qu’a dit une stagiaire sur ce qu’évoque pour
elle le mot travail. Je l’ai retranscrit comme elle l’a exprimé :
Le travail et ben pour moi c’est la vie. Je suis restée 6 mois sans
travail et j’ai perdu tous mes repères, toute ma relation sociale,
j’étais complètement perdue, perdue, perdue. J’ai passé 3 jours
à errer dans le centre-ville à la recherche de relations sociales
justement parce que j’avais plus mes repères, mes activités, mes
horaires de travail, j’étais perdue. Des fois, je dis oh là là j’en ai
ras le bol de travailler, je veux faire ceci ou cela mais quand on
a plus de travail et bé c’est la mort, j’étais morte, intérieurement
démolie. Le travail c’est une structure, et si on perd ça et ben...
on a plus de clôture et puis on est complètement perdue dans la
nature.
Vous pouvez constater qu’il n’y a pas que des mots repré-
sentatifs de l’OP. Elle parle également de repères, de relations
sociales. Ce sont ces concepts qui lui permettaient de supporter
ce fond d’OP. Mais ce qui domine, ce sont les mots de l’OP :
perdue, mort, démolie intérieurement, structure, etc. Elle nous
dit qu’elle a besoin de construction, d’avoir quelque chose
autour d’elle pour exister. Elle a besoin des autres pour vivre.
On peut donc penser que le début de sa gestation ne s’est pas
bien passé et qu’il y a eu une présensibilisation en post-natal
au moment du stade OP. En tant qu’adulte, face au problème
qu’elle a traversé, elle n’a pas eu les outils nécessaires pour
gérer cette situation. La structure qui n’était pas solide n’a pas
résisté et les ressentis de l’OP ont pris le dessus.
158 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

Deuxième étape

Passons maintenant à la deuxième partie de la gestation qui


correspond en post-natal à l’OA.
Jusque-là en état de flottement, le fœtus grandit, prend de la
place et vient se lover dans l’utérus. Il en touche maintenant les
bords et tout son corps établit le contact avec celui de sa mère.
La cellule enregistre cet état nouveau : l’enfant à naître n’est
plus isolé mais bien maintenant porté et soutenu par sa mère.
Il mémorise donc deux choses qu’il associe à cette période :
les nourritures physiques et le contact.
En post-natal non pathologique, cette association se retrou-
vera au plan psychologique : le flux nourricier affectif de la
mère est accompagné d’un contact physique rassurant. Il gar-
dera en mémoire le confort de ce contact avec la mère. En
intra-utérin, cette période devient plus confortable par rapport
à la précédente : sensation d’être porté, prise de conscience
accrue de la part de la mère de la présence de l’enfant en
elle, messages verbaux... La mémoire enregistre cette évolution
comme un mieux-être et, du même coup, négativise la période
précédente, cependant encore si proche. En post-natal, à l’OA, si
cette phase de gestation s’est bien passée, l’enfant gérera mieux
les moments de séparation avec sa mère. Les placements chez
une nounou, des grands-parents ou autres seront certainement
perturbants mais pas angoissants, il gérera plus facilement ces
moments-là qu’un enfant dont la phase de gestation aura pu être
problématique.
Ce qui nous amène à parler de ce qui fâche : si à l’occasion
du vécu intra-utérin, certains événements objectifs ou subjectifs
se produisent, le fœtus en gardera bien sûr la mémoire.
À titre d’exemples chez le fœtus avec répercussions chez
l’enfant et donc l’adulte :
• l’attente d’un enfant de remplacement d’un enfant mort pré-
cédemment pourra induire des ressentis de non-existence et
des problèmes d’identité. L’enfant, dans ce cas, pour éviter la
dilution dans le morcellement, pourra adopter des conduites
d’identification à une personnalité qui n’est pas la sienne mais
8. L’ INTRA - UTÉRIN 159

qu’il sent dans le désir de sa mère. Il aura des difficultés à être


lui-même ;
• les messages de rejet de l’enfant ou de son sexe qui continuent
après trois mois de grossesse pourront faire qu’en post-natal,
le MOI, se sentant non accepté dans ce qu’il est, cherchera,
– vainement d’ailleurs – à interpréter ce que l’on attend de
lui pour que le lien soit conservé. Il pourra s’ensuivre des
conduites de conformité et de passivité anxieuse ou des
réactions agressives et violentes traduisant l’exigence d’un
intérêt pour ce qu’il est ;
• le risque de décrochement favorise, lui, des ressentis d’aban-
don et de retour au morcellement originel ainsi que des
sentiments de rejet. L’enfant, par la suite, pourra avoir des
conduites collantes, cherchant à attirer l’attention mais égale-
ment anxieuses et interrogatives, montrant par là qu’il vérifie
sans cesse la présence et la solidité du lien. Il pourra parfois,
convaincu de n’être pas aimé, se détacher complètement de sa
mère et se montrer froid et distant ;

Une future maman qui avait désiré sa grossesse et était heureuse


d’attendre son enfant, a dû, du fait de sa grossesse, déménager.
Elle était enceinte de 5 mois et a bougé beaucoup de cartons,
remué du poids. Après le déménagement, elle a eu des pertes de
sang qui ont fait craindre une fausse couche. Elle a dû rester alitée
un bon mois pour garder son bébé et a eu très peur de le perdre.
La suite s’est passée normalement et un petit garçon est né. Cet
enfant, sans avoir de maladie grave, était « maladif », le moindre
microbe qui passait était pour lui. En grandissant, il s’accrochait
partout à sa mère aussi, grimpait, escaladait, ne mangeait pas,
bref un enfant adorable mais « à problèmes ». Devenu adolescent,
pouvant se mettre en danger, il a consulté un psychothérapeute
formé par Jacques Chaumet qui lui a permis de découvrir qu’il était
obligé de s’accrocher pour ne pas mourir, qu’il ne mangeait pas
pour « ennuyer » sa mère qui était dangereuse puisqu’elle avait
voulu le tuer (ressenti intra-utérin, vous savez confort/inconfort,
dans ce cas inconfort +++) et qu’il gardait comme présensibilisation
de cette période la peur de mourir, d’être rejeté par la mère, d’où
son besoin de s’accrocher. Le sport pratiqué par cet adolescent
est ? l’escalade... Le soir où il a découvert tout ça en entretien,
il a rêvé qu’il escaladait un mur avec du lierre pour rentrer dans
160 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

une grotte. Quand on sait que symboliquement la grotte c’est la


mère... on comprend mieux. Après cet entretien, les problèmes de
nourriture ont disparu, au point que sa mère disait en plaisantant
qu’il la ruinait ! Vous pouvez constater le quiproquo que ce genre
d’événements peut engendrer. La mère voulait vraiment son enfant
et a tout fait pour le garder alors que le fœtus a mémorisé un danger
venu de la mère et a projeté, en post-natal, un sentiment de danger
sur cette mère qui avait voulu « le tuer » mais à laquelle il était
obligé de s’accrocher.

• les chutes et accidents pourront avoir des effets semblables


mais ces effets seront toujours associés à des événements
ponctuels, violents ou traumatisants ;
• les carences alimentaires ou les fatigues de la mère induiront
chez l’enfant un manque d’énergie, de faiblesse, de réaction
aux traumatismes et le sentiment que la mère n’a pas en elle
suffisamment de forces pour le protéger ou l’aider. Il pourra en
résulter des conduites fusionnelles, l’enfant cherchant toujours
dans la symbiose ce qu’il ressent lui avoir manqué, ou au
contraire, la recherche d’une mère de substitution (grand-
mère, grande sœur, nounou, etc.) susceptible de combler les
lacunes maternelles ;
• une émotion perturbante de la mère (deuil par exemple)
conditionnera la mémoire cellulaire en une sorte d’association
pavlovienne. En post-natal, tout événement du même genre
déclenchera chez l’enfant des peurs incompréhensibles par le
MOI et donc des paniques pouvant entraîner une fixation à
l’OA ;
• des bruits violents venant de l’extérieur associés à des peurs
de la mère (colère, explosion etc.) induiront le même type
de ressentis et de comportements que dans le cas précédent.
L’enfant, conditionné, réagira par la peur lorsque lui-même ou
sa mère se retrouveront exposés à des situations semblables ;

Une femme enceinte recevait régulièrement la visite de son beau-


frère qu’elle n’appréciait pas beaucoup. Elle le décrivait comme
sans-gêne, arrivant à n’importe quelle heure sans se soucier de
savoir s’il dérangeait ou pas. Ce monsieur avait une voix très forte,
il ne parlait pas, m’a-t-elle dit, il criait. Il l’agaçait vraiment. Une fois
8. L’ INTRA - UTÉRIN 161

l’enfant né, chaque fois que cette personne venait, même s’il parlait
moins fort à la demande de la mère, le bébé pleurait et rien ne
pouvait l’arrêter. À plus forte raison si cet homme le prenait dans
les bras. La mère m’a raconté qu’il devenait rouge écarlate et qu’il
hurlait, il était inconsolable. Dès qu’il partait, il se calmait. Personne
ne comprenait ce qui se passait...

• la présence d’autres fœtus (jumeaux par exemple) pourra


induire des sentiments ambivalents : la présence d’un jumeau
est rassurante, il n’est pas isolé, mais également, la place
manque et il faut partager l’espace. En post-natal, le vécu
gémellaire traduira la même ambivalence. La complicité entre
jumeaux permet de pallier les ressentis négatifs associés au
manque éventuel de présence ou de contact avec la mère.
En quelque sorte, les MOI se soutiennent mutuellement. Par
contre, la rivalité favorisant l’abandon peut s’instaurer entre
les jumeaux, surtout si les conditions intra-utérines ont fait
qu’un des jumeaux a pu se développer plus facilement que
l’autre, ce qui est souvent le cas. À plus forte raison, si la mère
semble en préférer un plus que l’autre ;

À l’époque où l’échographie n’existait pas encore, une mère a


accouché chez elle. Un petit garçon est né. Quelques minutes plus
tard, les contractions ont recommencé et à leur grande surprise une
petite fille est arrivée. Elle n’était pas attendue. Symboliquement,
elle n’existait pas. Elle était plus petite que son jumeau. Plus tard,
ses parents lui ont dit qu’ils l’avaient trouvée dans une jolie boîte
et qu’ils n’avaient rien pour l’habiller. Entre huit mois et 2 ans
environ, bien évidemment problème d’abandon, ensuite en tant
qu’adulte, rivalité avec ce frère qui « était mieux qu’elle », infériorité
importante, coupable d’être née. Son métier est... styliste !!!!! La
petite fille trouvée dans la jolie boîte et que les parents ne pouvaient
pas habiller est devenue styliste. Ben voyons, ça ne s’invente pas !

• la perte d’un jumeau pendant la période intra-utérine. Il arrive


quelquefois que la mère perde un des fœtus. Cela aura pour
effet de donner plus de place au survivant. Cependant, la
mère ayant eu connaissance de cette perte, pourra envoyer
à celui qui reste des messages de deuil ou de soulagement.
162 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

Dans le premier cas, l’enfant pourra vivre comme un abandon


culpabilisant toute attitude de reproche de la part de sa mère,
que ce soit objectif ou subjectif. Dans le second, il pourra
avoir le sentiment d’avoir indûment pris la place d’un autre
avec la complicité de sa mère et pourra alors établir avec elle
une relation névrotique fusionnelle. Dans tous les cas, la perte
d’un jumeau pourra être source chez le survivant de sentiment
de culpabilité ;
• les angoisses de la mère à l’approche de l’accouchement sont
autant de messages de peur mémorisés par la cellule. Elles
seront interprétées plus tard, par l’enfant, comme des tenta-
tives de rétention et de captation et rendront plus difficiles les
tentatives d’indépendance tant physique que psychologique et
pourront freiner l’évolution. Cela pourra se traduire également
par des rébellions : le MOI, dans ce cas, n’accepte pas ce qu’il
considère comme un emprisonnement abusif ;
• une naissance prématurée fait qu’objectivement le fœtus a
vu sa phase de formation abrégée. L’enfant naît donc plus
faible, plus démuni, moins prêt psychologiquement qu’un
autre. Ce cas pourra induire des sentiments d’infériorité, de
faiblesse, d’incomplétude qui le rendront fragile et encore
plus dépendant du lien protecteur et bâtisseur de la mère. Il
sera donc sensibilisé, par son anxiété, à tout ce qu’il pourra
interpréter comme un abandon.

Voilà, encore une fois sans que ce soit exhaustif, ce que je


peux dire sur cette deuxième phase de gestation. Comme pour
l’OP, quand on constatera un problème d’abandon, on pourra
dire que certainement il y a eu un souci pendant cette deuxième
partie de la gestation et vice-versa. Un problème pendant la
gestation présensibilisera l’enfant à être fragile quant au lien
affectif avec sa mère. La caisse de résonance jouera son rôle dès
que l’enfant se trouvera en difficulté pendant cette période qui,
je le rappelle, va de 6/8 mois à 2 ans environ.
Attention, surtout pas de panique. Vous vous dites peut-être,
comme les stagiaires « mais c’est long une gestation, il peut
se passer plein de choses, donc à tous les coups il va y avoir
abandon ». Non, n’oublions pas qu’il n’y a pas de déterminisme,
8. L’ INTRA - UTÉRIN 163

c’est une présensibilisation et simplement une présensibilisa-


tion.
Quels mots l’OA peut-il employer pour parler du travail ?
Vous l’avez lu précédemment, on retrouve très souvent ces
personnes dans des métiers en contact avec les enfants, ou
les personnes en difficulté (travailleurs sociaux, psychologues)
enseignants, formateurs, esthétique, coiffure, profession du
tourisme... Vous avez vu également que ce qui les intéresse
c’est le lien affectif, la curiosité, la spontanéité, la gentillesse, le
bonheur simple, etc.
Extrait d’une expression d’une stagiaire :
Le travail pour moi ça représente plusieurs choses. Il est certain
que ça représente le côté financier qui me permet de vivre mais
il y a aussi le rapport que j’ai, du moins dans mon travail, avec
les personnes avec qui je suis en contact, l’amour que je peux
apporter aux enfants que je soigne...
Et réciproquement, l’amour qu’ils m’apportent. C’est le contact
avec les autres, pouvoir échanger des idées, pouvoir dialoguer,
pouvoir connaître les autres et éventuellement leur apporter
dans la mesure du possible... ? C’est un moyen d’exister parce
que sans travail je crois qu’on perd toute identité. C’est aussi en
ce qui me concerne personnellement... la possibilité de m’évader
de la maison pour exister, être reconnue, appréciée dans la
mesure où l’on essaie de faire son travail le mieux possible donc
de recevoir l’amour des autres. D’en donner et d’en recevoir
surtout.
C’est aussi un moyen d’être indépendante financièrement.
Comme vous pouvez le constater, cette dame parle d’amour,
de lien, d’existence tout le long de son discours.
Encore une fois, si on se réfère aux travaux de Jacques
Chaumet, on peut constater qu’il y a chez cette personne un
problème d’OA, donc d’abandon. On peut penser qu’il y a eu
certainement un problème pendant la deuxième partie de la
grossesse, ce qu’elle a m’a confirmé plus tard en privé.
164 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

LA PRÉPARATION
Première étape

Le début de la préparation, comme vous avez pu le voir sur


la figure 8.2, correspond au stade AE. Le fœtus est quasiment
entièrement formé et va finir sa construction corporelle tout en
procédant à des opérations qui vont l’amener à la naissance.
Jusque-là, lové dans la cavité utérine, le fœtus ne se sentant
pas prêt, se laissait porter et nourrir par la mère dans un
contact rassurant, bougeait, prenait sa place hors problème
bien évidemment. Maintenant, il se manifeste énergiquement,
bossuant le ventre de sa mère avec sa tête, ses fesses, ses pieds,
etc. Il indique de cette façon que l’espace est trop étroit pour
lui et qu’il est contenu dans des limites contraignantes dont il
est prêt à s’échapper et qu’il connaît parfaitement pour les avoir
explorées en tous sens, exprimant dynamiquement sa pulsion de
vie. Ça vous rappelle quelque chose ?
L’horloge biologique aidant, le fœtus sait qu’il doit se retour-
ner de façon à se présenter correctement. Il est aidé en cela
par des pressions qui le guident. Ces pressions sont cependant
encore faibles et plus destinées à diriger qu’à expulser. Il a
également à faire sa propre part de travail. C’est donc d’une
véritable collaboration qu’il s’agit.
En post-natal, cette collaboration se retrouvera dans l’aide
que doivent apporter les parents à l’enfant. Ils doivent lui servir
de guide et leur présence à la fois rassurante mais ferme pousse
l’enfant vers sa naissance sociale tout en le préparant, c’est-à-
dire en lui donnant les outils nécessaires que sont le sentiment
de sa valeur, celui de ses possibilités et de ses limites hors
pathologie.
Si à l’occasion du vécu intra-utérin, certains événements
objectifs ou subjectifs se produisent, le fœtus en gardera bien
sûr la mémoire.
Il est bien évident qu’il est rare qu’en post-natal, une seule
névrose soit mobilisée. Tout individu a dû avoir recours à
plusieurs mécanismes névrotiques dont l’un sera cependant
dominant. En ce sens, une hystérie pure sera peu fréquente.
8. L’ INTRA - UTÉRIN 165

Il s’agira plutôt d’un état névrotique dans lequel les mani-


festations hystériques seront dominantes. Si des perturbations
intra-utérines en ce début de phase de préparation vont privilé-
gier l’émergence d’une névrose hystérique, il est exceptionnel
qu’avant ou après, le fœtus n’ait pas mis en mémoire d’autres
éléments de présensibilisation. Cela revient à dire que plus
la grossesse avance, plus la sensibilisation intra-utérine sera
complexe et moins les névroses post-natales seront pures et
simples.
Favorisant l’hystérie, certains incidents peuvent se produire
en phase intra-utérine correspondante.
À titre d’exemples chez le fœtus et répercussions chez l’en-
fant et l’adulte ensuite :
• une mère au bassin trop étroit ou portant des vêtements trop
serrés, la présence de jumeaux, ou plus généralement tout
ce qui gênera le fœtus dans ses mouvements, pourra induire
chez le fœtus des interdits d’expression, le confinant dans des
limites trop étroites qu’il n’osera pas franchir plus tard en post-
natal. Ces limites n’étant pas les siennes mais étant en deçà de
ce qu’elles auraient dû être, l’enfant s’autocensure et s’inhibe.
Au contraire, ce genre de perturbation intra-utérine pourra
amener en post-natal des conduites de révolte, d’expansion
sans limites, des angoisses liées au manque de repères et donc
au refus de ceux imposés. Dans les deux cas, le MOI ne
poursuit pas sa construction et reste flou. Le sentiment de
valeur n’est pas stabilisé ;
• tout ce qui fera que le fœtus ne pourra pas se placer facilement
ou correctement, bien qu’incité à le faire par la mère et par
son propre besoin de naître, présensibilisera l’enfant à des
doutes sur ses possibilités, altérant également le sentiment
de valeur (cordon entouré autour du cou et qui l’étrangle à
chaque tentative de mouvement, fœtus qui ne procède pas à
l’opération de retournement, etc.) ;
• fœtus en danger : naissance prématurée, cerclage de la mère,
relations sexuelles brutales, accident, chute mais aussi peur de
l’accouchement avec rétention du fœtus, etc., induiront chez
lui le besoin d’être continuellement vigilant pour se garder
166 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

en vie et donc de mobiliser sans cesse la pulsion de vie en


procédant plus tard à des vérifications névrotiques.
Dans tous les cas, le fœtus n’ayant pu s’exprimer facilement
dans sa première période d’activité personnelle (puisque main-
tenant il ne subit plus mais mobilise ses propres conduites),
l’enfant sera présensibilisé à un manque et à un vide rendant
floues les limites de son MOI. Ne pouvant de ce fait trouver
en lui-même la sécurité attachée à un MOI stable, il sera forcé
de s’agiter de façon désordonnée, cherchant dans le regard des
autres l’approbation rassurante qui lui accordera un instant de
répit en lui donnant l’illusion d’une vie intérieure, ce qui définit
l’hystérie, névrose de l’AE.
Schématiquement, on pourrait dire que la plupart des êtres
humains adoptent deux comportements préférentiels, l’un intro-
verti, l’autre extraverti. Ces deux comportements sont répartis à
parts à peu près égales dans l’ensemble de l’humanité, certaines
époques, certaines cultures, certaines civilisations forçant plus
ou moins les individus à adopter l’un ou l’autre. Dans nos
civilisations occidentales, les événements intra-utérins vécus
lors du début de la phase de préparation, par le manque d’espace
vécu par le fœtus, ont plutôt tendance à induire en post-natal
des comportements extravertis qui se retrouveront, sans être
pour cela de l’hystérie, dans des tendances à l’ouverture, la
convivialité, l’expansion, l’agressivité, le tout mitigé de doutes
sur le sentiment de valeur. Cette configuration est motivante
(lorsqu’elle n’est pas constituée en névrose) car elle oblige
à progresser dans un sens actif et innovant. Par contre, elle
a tendance à privilégier la superficialité aux racines et à la
réflexion.
Encore une fois, que peut dire une personne AE quand on
lui demande ce qu’évoque le mot travail pour elle ? Vous vous
souvenez que ces personnes sont motivées par le mouvement,
l’action pour l’action, le rejet de la routine et des contraintes, le
refus de la hiérarchie, la liberté...
Exemple d’une stagiaire :
Pour moi mon travail c’est quelque chose qui me permet d’être
en constante ébullition, qui me stimule intellectuellement et
8. L’ INTRA - UTÉRIN 167

humainement puisque j’ai les cours avec les étudiants. Ça


permet beaucoup d’échanges, on est constamment obligé de se
remettre en question... d’être dynamique, de s’améliorer, c’est
un travail qui n’est pas figé et pour moi son grand avantage
c’est d’une part qu’on rencontre des gens nouveaux, soit les
étudiants, soit d’autres chercheurs, que c’est jamais routinier
parce qu’on peut enseigner des choses différentes à des niveaux
différents, on peut faire de la recherche euh... on peut changer
de sujet de recherche, s’intéresser à différents domaines. Voilà
c’est tout.
C’est pratiquement un exemple caricatural de l’AE. Il n’y
a que des mots de ce stade. On peut, là encore, penser que
pendant la première période de la préparation (au moment du
retournement) elle n’a pas dû avoir beaucoup de place pour
bouger et « s’exprimer ».

Deuxième étape

Continuons notre voyage en nous occupant maintenant de la


deuxième partie de la préparation qui aura sa correspondance à
l’AR en post-natal. La naissance du futur petit Être social et la
préparation intra-utérine à la naissance de l’Être physique ont un
point commun : la pression exercée pour faire changer l’enfant
d’état et le pousser de gré ou de force dans un « entonnoir »
formateur duquel il sortira complètement changé : le fœtus
deviendra un bébé, le « petit animal sauvage » deviendra un
être social.
Bien évidemment cette deuxième phase est inconfortable
pour le fœtus. Imaginez des contractions douloureuses avec
une « porte » fermée. Il faut subir. Toutefois, les contractions
sont nécessaires pour aider le fœtus à naître. Si elles sont certes
pénibles, mais restent dans une limite supportable, la mémoire
cellulaire retiendra que quelquefois la souffrance est inévitable
mais qu’elle ne dure pas, qu’elle peut aussi être formatrice
et qu’à un moment donné la porte s’ouvrira et la souffrance
s’arrêtera. Ça c’est l’imprégnation positive de cette phase.
168 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

Par contre, les « incidents » in utero pendant la phase de


préparation sont donc surtout mémorisés par la cellule sous
forme de pression, de contrainte, ou de danger.
À titre d’exemples chez le fœtus et répercussions chez l’en-
fant et l’adulte :
• contractions violentes, fortes pressions sur le fœtus alors que
le col reste fermé. Celui-ci mémorise une pression insoute-
nable sans possibilité de s’y soustraire. Cela se traduira chez
l’enfant AR par des ressentis de blocage, l’impression d’être
devant un mur ou un obstacle infranchissable, d’être envi-
ronné de forces hostiles, d’être pressé à accomplir des actes
impossibles. Selon l’importance de l’événement intra-utérin,
et donc de la mémorisation qui en aura été faite, cela pourra
se traduire, plus tard, par des insuffisances, des renoncements,
des difficultés à prendre des décisions, des sentiments de
persécution, une déficience du sentiment de valeur sociale,
l’impression de n’avoir jamais de chance, d’être défavorisé,
d’être en butte à la malveillance ou à l’hostilité, d’être la cible
de complots... qui seront autant de justifications possibles de
sentiments ou de névrose d’infériorité ;
• contractions tellement violentes qu’elles entraînent une rup-
ture des membranes. Le fœtus peut rester ainsi un certain
temps sans que sa vie soit compromise, mais il y a souf-
france fœtale par manque d’oxygène. La cellule mémorise
non seulement la pression extrême, mais aussi le brusque
épuisement de sa source de vie. Plus tard, l’enfant AR pourra
avoir les mêmes ressentis que ceux du paragraphe précédent,
mais associés à une notion de faiblesse, de manque d’énergie,
d’impossibilité à réagir devant un événement traumatisant. Il
pourra avoir vis-à-vis de sa mère des sentiments de peur, la
considérant comme dangereuse ou incapable de lui apporter,
jusqu’au bout de l’étayage de sa personnalité, l’amour dont il a
besoin et, à l’occasion d’un événement parfois objectivement
anodin se produisant vers 4/5 ans, concevoir un rejet d’ordre
traumatique. Il justifiera alors par une quelconque indignité
l’attitude « rejetante » de sa mère qui le prive, par « punition »,
de l’amour jusque-là dispensé, lui ôtant ainsi ses forces et son
énergie pour pouvoir mener, à partir de cet instant, une vie
8. L’ INTRA - UTÉRIN 169

normale. On peut trouver là les racines de la mise en place du


narcissisme ;
• cordon ombilical pincé, soit par enroulement autour du cou,
soit par torsion lors du retournement. Sans être associée à une
pression intolérable, on retrouve ici une souffrance fœtale par
manque de nourriture et d’oxygène. Cette souffrance arrive
brusquement, alors que la vie fœtale s’était (sauf incident
antérieur) déroulée sans anicroche. La cellule va mémoriser
un soudain affaiblissement associé à la phase de préparation.
L’enfant AR, lui, verra ses quatre premières années se dérouler
sans problème (sauf névrose antérieure), et, sur un ressenti
subjectif ou de peu d’importance objective, il perdra confiance
en sa mère, se sentant rejeté et mal aimé, faible et incapable de
poursuivre son développement dans des conditions semblables
à celles de ses petits copains. Infériorité et rejet pourront alors
prendre les rênes de son MOI ;
• manœuvre de version, consistant à intervenir de l’extérieur
pour forcer l’enfant à se retourner par des manipulations
et des pressions externes. In utero, le fœtus s’étant choisi
une place accepte mal une ingérence externe, associée à la
pression interne, pour le faire bouger contre son gré. La
cellule mémorise alors une soumission forcée à une force
supérieure, ainsi que l’impossibilité de retrouver l’état de
stabilité antérieur. L’enfant AR pourra se sentir manœuvré et
impuissant devant la volonté des adultes, il en éprouvera alors
une frustration qui le mettra en état d’infériorité. Plus tard,
il deviendra un adolescent puis un adulte à la recherche de
stabilité, de confort, de calme, et surtout, anxieux de trouver
une place dans le groupe social qui lui apporte un sentiment
de sécurité. Quelquefois, il aura du mal à accepter les conseils
ou les reproches venant de sa mère. Il le vivra comme une
ingérence ;
• sexualité brutale lors des derniers jours de la grossesse, alors
que le fœtus distend toute la cavité utérine, se trouve placé bas,
donc très près de l’orifice vaginal. Dans ce cas, une sexualité
inconséquente pourra faire mémoriser à la cellule un violent
ressenti d’agression en forme de viol. On verra ensuite, vers
4/5 ans, lors de l’identification, des enfants (garçons ou filles)
170 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

refuser l’image paternelle, lui associant une impression de


danger et de brutalité. S’ensuivra une fixation anale rétentive
en forme de révolte ou de soumission. Pourront apparaître
également des endroits douloureux ponctuels (tête, dos...) qui
n’auront aucun fondement somatique, mais qui représenteront
simplement la mémorisation cellulaire de l’endroit où le
phallus a violemment traumatisé le fœtus.

Une jeune femme vouait une haine à son père sans savoir vraiment
pourquoi. Elle m’expliquait qu’elle le détestait depuis toujours alors
qu’elle n’avait pas grand-chose à lui reprocher. Il était même plutôt
gentil. Elle se sentait culpabilisée mais n’arrivait pas à se contrôler.
On essayait donc de comprendre ce qui se passait. Beaucoup plus
tard, elle me raconta qu’elle en avait ras le bol parce qu’elle habitait
au-dessus d’une discothèque et que le boum boum des basses
était insupportable pour elle, que ça lui donnait des douleurs juste
sur le dessus de la tête à un point bien précis. Ce qui m’a donné
la puce à l’oreille. Bien évidemment, elle ne pouvait pas savoir si
ses parents avaient eu des rapports sexuels à un stade avancé
de la grossesse. Mais je lui en ai parlé quand même. Elle a été
très perturbée par ce que je lui ai dit. Après réflexion, elle me dit
qu’effectivement c’était bizarre cette douleur à la tête. Elle est partie
en se posant beaucoup de questions. Quand je l’ai revue, elle m’a
dit qu’elle avait fait beaucoup de liens entre ce que je lui avais dit
et son histoire avec son père et qu’elle pensait qu’en effet il devait
y avoir quelque chose de cet ordre-là, ce qui lui avait permis de
relativiser les boum boum de la discothèque et donc son mal de
tête, qui d’ailleurs ne se manifestait plus.
Une autre dame qui présentait les mêmes symptômes sur le
haut de la tête, m’a dit que ces douleurs ressemblaient à un
marteau-piqueur... Ça tapait fort et sans arrêt, c’était angoissant et
insupportable.

En route pour les mots sur le travail. Comme je l’ai expliqué


plus haut, le mot travail signifie torture, souffrance, pénibilité...
Nous avons vu que le stade AR est appelé par Freud le stade de la
souffrance et de la violence. Pour la femme qui accouche, cette
étape est source de souffrance. C’est donc ce qui va ressortir
dans le langage des personnes de ce stade en parlant du travail.
En plus des mots que nous avons vus au stade AR, des mots plus
8. L’ INTRA - UTÉRIN 171

spécifiques concernent l’intra-utérin. Ces personnes pourront


dire qu’elles ressentent sans arrêt de la pression, qu’elles ont
l’impression d’être face à un mur, d’être bloquées, que les portes
ne s’ouvrent jamais pour elles, qu’elles n’ont aucune liberté de
mouvement, qu’elles subissent leur sort, que le travail c’est dur,
qu’elles n’ont jamais de chance, etc. Elles le vivront soit en
termes de soumission, soit en termes de pouvoir. Elles acceptent
la hiérarchie. L’aspect financier est important. Elles travaillent
pour avoir un rang dans la société et pour gagner de l’argent.
Cet argent qui peut être dur à gagner.
Souvenez-vous également que ce stade est celui où l’on peut
se fixer sans qu’il y ait névrose. C’est la norme sociale de notre
monde occidental, donc confortable quand on correspond à cette
norme. Les termes employés seront donc positifs mais sinon...
Je ne vais pas vous donner un exemple d’une stagiaire qui
parlerait du travail, mais plutôt d’un rêve sur son travail qu’une
cliente m’a raconté en thérapie. Je trouve qu’il illustre bien
l’intra-utérin.
Elle me dit : Je me sens enfermée dans quelque chose où il y a
des cloisons, j’ai un mur devant, je ne peux pas sortir, je suis
coincée, il n’y a pas d’issue.
Et là, je subis des pressions. Alors dans ces moments-là c’est
insidieux, je m’en rends pas compte parce que ça commence
doucement puis ça augmente, c’est de plus en plus fort, je me
sens en danger, je n’en peux plus. C’est idiot mais je vois un
guerrier devant la porte. Puis je suis tellement fatiguée que j’en
arrive à penser au suicide, là je n’y suis plus, je n’existe plus
mais après ça a été mieux, je sais pas pourquoi mais je ne me
sens plus coincée.
Je confirme qu’elle a rêvé de son travail. Elle vit son travail en
termes de pression, de douleur, d’épuisement, de souffrance puis
ça passe. C’est récurrent. Elle passe des moments de tranquillité
jusqu’au moment où il y a trop de pression pour elle et donc
voilà comme elle le vit. Son rêve reflète tout à fait ce qu’elle vit
dans son travail. Elle revit sa naissance et c’est très inconfortable
pour elle et source de souffrance.
172 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

LE PASSAGE

Cette troisième phase, comme indiqué sur le schéma 8.2,


correspond au stade phallique. La correspondance intra-utérine
de ce stade est bien entendu la phase pendant laquelle le fœtus
– le col s’étant ouvert – s’engage dans la filière pelvo-génitale.
Dans cette filière, il ne subit plus les fortes pressions de la phase
antérieure mais est guidé, accompagné, massé tout le long de
son corps en une sorte d’unification corporelle qui amènera
à la vie un enfant complet tant dans son physique que dans
ses potentialités psychologiques. Ce semi-confort sera ressenti
comme tel si cette étape se passe le mieux possible.
Cette phase est très courte relativement aux précédentes.
Cependant, certains événements peuvent s’y produire qui affec-
teront la mémoire cellulaire et trouveront leur correspondance
post-natale dans des angoisses ou des perturbations dans le vécu
du stade PH, en particulier toute souffrance vécue en termes
d’impuissance trouvera sa correspondance post-natale dans une
névrose de castration.
Exemples chez le fœtus avec répercussions chez l’enfant et
l’adulte :
• en premier lieu bien sûr, la naissance par césarienne. Dans ce
cas, le fœtus n’aura pas vécu le passage formateur et l’enfant
verra son niveau de développement psychologique s’arrêter
avant le stade PH ;
• une souffrance fœtale telle que la mémorisation en a été
impossible et qu’il s’est produit une sorte d’amnésie. Pour
expliquer plus clairement cette notion, on pourrait dire en
accordant au fœtus un sens émotionnel qu’il n’a pas, que le
passage se fait de manière inconsciente. Cette anesthésie de
la mémoire peut avoir plusieurs causes : naissance retardée,
arrêt accidentel des contractions, blocage de la mère dû à son
angoisse de la proximité de l’accouchement, enroulement ou
pincement du cordon, etc., alors que le fœtus est déjà engagé.
En post-natal, cette importante souffrance se traduira par des
difficultés d’identification, de forts ressentis de castration,
une agressivité importante de l’enfant contre la mère, des
8. L’ INTRA - UTÉRIN 173

sentiments d’être impuissant, coincé dans des situations insup-


portables et insurmontables, la mise en œuvre de conduites
stériles accompagnées de ressentis d’angoisse et de peurs
inexplicables, des attaques de panique, des oppressions et
des étouffements. Tout cela pouvant se manifester soit dans
le cadre d’un stade PH atteint et vécu en tant que tel ou
bien non atteint par peur inconsciente de revivre les mêmes
souffrances ;
• anesthésie totale de la mère. Cette anesthésie qui laisse le
fœtus inconscient pour ses opérations de naissance pourra
avoir le même effet que la naissance par césarienne. Cepen-
dant, le moment de l’endormissement pourra être mémorisé
par le fœtus comme une mort. L’enfant, plus tard, aura des
relations difficiles avec sa mère qu’il accusera inconsciem-
ment d’avoir voulu le tuer alors qu’il se sentait prêt à naître.
Il ressentira alors sa mère comme négative et toujours prête à
« l’empêcher de vivre » ;
• naissance par une position telle (siège, pieds, etc.) que le
réflexe respiratoire se déclenche alors que la tête de l’enfant
est encore dans le passage et que les conditions d’accou-
chement font qu’on ne peut pas l’extraire très rapidement
(cyanose). Il faut savoir que dès qu’on touche l’enfant, ça
déclenche le réflexe respiratoire. Bien entendu, un prolon-
gement exagéré de cette situation entraîne la mort physique.
Nous ne parlerons donc ici que du cas où il y a souffrance
et mise en mémoire d’avoir côtoyé la mort de près et d’en
avoir échappé par miracle. Ici, ce sera le sentiment de mort et
renaissance qui prévaudra chez l’enfant de développement
PH. Inconsciemment, il se mettra dans des situations ou
recherchera des actions dangereuses destinées à le faire sans
cesse revenir à ce besoin de frôler la mort pour s’en sortir de
justesse ;
• mémorisation d’un passage sanglant dans le cloaque avec
traversée d’un mélange de sang et d’excréments. La mémoire
du fœtus s’imprègne violemment de sensations d’agression
et de destruction par des moyens méprisables de la part du
sexe féminin. Cela pourra donner par la suite des réactions de
174 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

défiance de l’enfant par rapport à la mère qu’il ressent incons-


ciemment comme dangereuse, machiavélique et destructrice.
Chez l’adulte de développement PH, cette défiance envers le
sexe féminin pourra se traduire par des impuissances ou des
attentats sadiques (viols, violences sexuelles).
Pendant cette phase, même si les pressions exercées sur
lui sont moindres, elle est cependant mémorisée comme
très difficile. L’étroitesse de l’organe sexuel féminin à cet
endroit-là, par rapport à la tête du fœtus ainsi que l’arrêt et la
reprise rythmés des contractions entraînent une mémorisation
de mort/renaissance.
Vous vous souvenez que ce qui intéresse les personnes phal-
liques, c’est la réalisation de soi. C’est ce qu’elles rechercheront
dans le travail. Pour illustrer plus spécifiquement le passage,
elles vous diront : que c’est dur de s’engager, qu’elles ont dû
mal à aller au bout, qu’elles voient ou qu’elles ne voient pas
la fin du tunnel ou qu’elles voient une lueur au bout du tunnel.
Elles vous parleront souvent de passage : elles diront « c’est un
mauvais passage ».
Comme pour la préparation, ce sont deux rêves de clientes
qui vont illustrer le passage qui amène le fœtus à la naissance.
Premier rêve : Elle est dans un ascenseur. Première sensation
désagréable, elle croit qu’elle va monter. Elle appuie sur le
bouton pour monter mais il descend. Elle arrive dans une
espèce de cave. Les portes s’ouvrent. Elle distingue des gens
qui passent. Elle voudrait sortir mais quelque chose la tire en
arrière. Elle ne peut pas, elle s’affole. Elle voit une lueur, elle
sait très bien par où il faut qu’elle passe mais elle ne peut pas,
quelque chose la tire et l’étrangle, elle pousse de toutes ses
forces, elle tire. Les gens lui disent « pousse, mais pousse ».
Elle ne peut pas, pourtant elle sait qu’il faut qu’elle sorte par
ce trou. Enfin, elle y arrive mais après des efforts terribles.
Cette dame me dit qu’elle fait ce rêve régulièrement depuis
des années. Je lui demande si elle sait si elle est née avec le
cordon autour du cou. Elle me répond qu’elle ne sait pas mais
que ce qu’elle sait, c’est qu’elle ne supporte pas les foulards
autour du cou ou les pulls à col roulé. Ça l’étouffe. On a fait
8. L’ INTRA - UTÉRIN 175

le lien avec sa naissance, chose qu’elle n’avait jamais faite. Je


l’ai revue quelques années plus tard, en riant elle m’a dit qu’elle
n’avait plus jamais fait ce rêve et qu’elle supportait mieux les
vêtements qui lui entouraient le cou.
Deuxième rêve : Elle arrive dans un sous-sol où il y a une
piscine. Puis elle voit un mort dans la piscine. En s’approchant,
elle voit qu’il y a plein de morts dans cette piscine. Elle dit aux
filles qui sont autour d’elle qu’il faut sortir de là. Les autres
n’ont pas l’air inquiet. Elle se dirige vers un tuyau, c’est le seul
moyen de sortir. Elle s’engage mais c’est étroit, elle sait que
c’est par là qu’elle doit sortir mais c’est dur parce qu’à certains
endroits ça se resserre, ça lui fait mal. Elle voit la lumière au
fond. Elle rampe, elle crie. Elle voit des agents d’entretien, elle
leur crie : « aidez-moi à sortir de ce tuyau ». Quand elle est
dehors, elle s’aperçoit que les autres filles ne l’ont pas suivie
mais elle sait qu’elle a pris le chemin le plus direct...
Encore un rêve de passage.
Vous vous souvenez que plus haut je vous ai parlé de cette per-
sonne jumelle que les parents n’attendaient pas. Voilà ce qu’elle
a exprimé concernant le travail lors d’un stage. Rappelez-vous,
elle est styliste. Je mets entre parenthèses ce qu’elle exprime
dans le fond :
Pour moi, le travail c’est une valeur vitale (survie, nécessité de
faire quelque chose pour se maintenir en vie). À travers mon
travail, je me réalise, je m’exprime, je vis. Il me nourrit, je suis
dépendante de lui et c’est quelque chose qui me nourrit mais
pas matériellement (par AR), beaucoup plus affectivement (OA
manque affectif), spirituellement. C’est quelque chose qui me
gratifie et je me sens vraiment utile, j’ai l’impression d’apporter
du bonheur aux gens et aussi à moi. C’est quelque chose dont
je ne peux me passer et je ne pourrai m’arrêter que lorsque
vraiment je ne pourrai... je ne serai... ma santé ne me le
permettra plus du tout parce que j’ai l’impression que tant que
je vivrai je voudrais travailler, c’est le travail... c’est vraiment
pour moi une de mes raisons essentielles de vie.
Ce que nous dit cette dame, c’est qu’elle a été ignorée pendant
toute la grossesse. Elle a commencé à exister quand le travail
a commencé pour elle. Elle a été obligée de faire le travail
176 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

toute seule pour pouvoir vivre. Elle est donc devenue esclave du
travail pour vivre...

LA NAISSANCE

Nous nous trouvons ici dans la quatrième et dernière phase de


la vie intra-utérine. C’est la phase la plus courte puisqu’elle se
résume en l’instant très bref de la sortie du fœtus du sein mater-
nel et des premiers instants de sa vie d’enfant, autrement dit de
sa transformation d’être aquatique en être aérien (défroissement
des poumons, mise en place du réflexe respiratoire, nettoyage
des voies respiratoires, coupure du cordon, premiers contacts
avec le monde extérieur et en particulier avec sa mère lorsque
ce geste est accompli).
Il ne faut pas confondre cette courte phase avec la précédente
qui a vu le fœtus cheminer dans la filière pelvo-génitale. Il s’agit
là d’un instant bien particulier, extrêmement intense, fait de
souffrance et de délivrance, qui fait entrer l’enfant en contact
étroit avec le sexe extérieur de sa mère, et qui est toujours vécu
comme un traumatisme, ne serait-ce que par le changement
d’état et la nécessité brutale de devoir s’adapter pour survivre.
Vécue sous la forme d’un stress auquel une solution d’adap-
tation est trouvée, la naissance, même ressentie comme difficile,
est le début d’une construction physique et psychologique
qui aboutira à la mise en place d’une personnalité forcément
névrotique (personne n’y échappe), mais qui ne connaîtra pas le
handicap supplémentaire d’un œdipe mal vécu ou non dépassé.
Par contre et pour la dernière fois (ouf !) si les opérations de
naissance se passent mal, elles trouveront leur correspondance
dans un œdipe perturbé qui laissera ses traces dans la vie
affective de l’adulte.
Par exemple :
• extraction par forceps : le premier contact avec le monde
extérieur est violent. C’est par la force que l’enfant est mis au
monde. La force représentant le père, il pourra s’ensuivre une
ambivalence œdipienne soumission/haine envers le père et un
8. L’ INTRA - UTÉRIN 177

attachement à la mère (qui représente dans ce cas le refuge


douillet duquel on est venu l’arracher violemment).
Chez l’adulte homme on pourra observer des conduites de
soumission ou de non-compétition avec les hommes et la
recherche de la protection maternelle, qui pourra amener à
la non-recherche d’une autre femme, sa mère lui suffisant
amplement.
Chez l’adulte femme, ce cas pourra entraîner un œdipe inversé,
les hommes étant haïs et la mère considérée comme le refuge
duquel il ne faut pas s’éloigner. On constatera alors la consti-
tution d’un « couple » mère-fille, celle-ci ne recherchant pas
de partenaire masculin pour rester indéfiniment auprès de sa
mère ;
• nettoyage brutal des voies respiratoires : l’enfant naissant
n’a pas eu le temps de mettre ses mécanismes vitaux véri-
tablement en fonction qu’il est déjà violemment agressé par
une force extérieure à laquelle il ne peut se soustraire. C’est
quasiment un viol qui se répercutera lors de l’œdipe par une
méfiance instinctive envers le père, ressenti comme brutal et
capable d’une agression sexuelle.
Présensibilisation aidant, le garçon mettra tout en œuvre pour
déclencher la violence paternelle et y trouver un prétexte
de haine. Plus tard, adulte, il aura un a priori de violence
envers les hommes auxquels il se soumettra ou qu’il affrontera
sans merci. Ses préférences iront vers les femmes douces et
rassurantes, maternantes et protectrices.
La fille, elle, attirée et repoussée de façon ambivalente par
l’agression sexuelle de l’homme, vivra son œdipe avec le
père sur le même mode. À la fois fascinée et méfiante,
elle provoquera par ses attitudes séductrices et méprisantes
des comportements paternels qui seront d’autant plus ampli-
fiés que celui-ci vivra en état de détresse sexuelle. Plus
tard, la femme sera provocante mais refusera le véritable
contact affectivo-sexuel avec son partenaire, mettant derrière
ce contact une notion inconsciente de violence insupportable ;
• absence de contact immédiat avec la mère : par la mère, ici,
il faut entendre la mère biologique ou un substitut immédiat
(infirmière par exemple). L’enfant a besoin, dès sa naissance,
178 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

de se sentir rassuré après l’énorme ébranlement de sa


structure qu’il vient de subir. Seule la sensation d’être entouré,
réchauffé (qui le rassure en lui rappelant les conditions
sécurisantes de la gestation) lui permet d’éviter un ressenti de
détresse et de misère dès les premiers instants de sa vie.
Pour le garçon, en phase œdipienne, cela pourra se traduire
par la recherche de la fusion avec la mère et l’impossibilité
de la quitter. Cette attitude pourra dans nombre de cas
favoriser une attitude complémentaire chez une mère en
manque d’affectif dans son couple. L’adulte homme aura
des difficultés à s’extraire de la relation maternelle et à faire
la part entre l’image qu’il a de sa mère et celle qu’il peut
avoir des autres femmes, assimilant toujours celles-ci à un
idéal inaccessible bien sûr, puisque chaque femme a une
personnalité qui n’est obligatoirement pas celle de sa mère. Il
s’ensuivra d’éternels malentendus dans le couple, la femme
ne se montrant jamais à la hauteur des attentes idéalisées de
l’homme.
Concernant la fille, cette présensibilisation de naissance
induira le réflexe inverse et se traduira, lors de l’expérience
œdipienne, par un reproche adressé à sa mère de l’avoir laissée
seule, démunie, misérable et abandonnée. La femme adulte
vivra avec sa mère sur un mode relationnel fait de reproches,
de disputes, d’accusations. Elle lui déniera sa compétence
de mère. Elle recherchera par contre un partenaire gentil et
protecteur qui lui procurera cette sécurité affective qu’elle n’a
jamais su ou pu trouver par la voie naturelle.
Comme vous le savez, l’œdipe n’est pas un stade d’évolution.
Il n’y a donc pas de mots attachés à cette période. On note
simplement que les personnes qui ont un problème œdipien
vous diront en parlant du travail que c’est le moyen pour elles
de sortir de chez elles.
Comme pour les textes sur le voyage, j’ai choisi des exemples
assez caricaturaux qui illustrent chaque période intra-utérine.
C’est vraiment ce qu’ont exprimé les stagiaires les concernant.
Bien évidemment, ce n’est pas la majorité. Il est rare qu’une
personne emploie des mots uniquement d’un stade et donc du
vécu intra-utérin correspondant. C’est la diversité des mots et
8. L’ INTRA - UTÉRIN 179

des concepts employés, la tournure des phrases, si la personne


parle au présent, à l’imparfait, au futur, qui nous permet de repé-
rer ce qu’elle a bien vécu et les difficultés qu’elle a rencontrées
avec les conséquences positives et négatives.
Voilà ce que je peux dire sur toute cette recherche qui a
commencé il y a 28 ans et qui continue encore aujourd’hui dans
le cadre de mon travail de formatrice et de psychothérapeute.
Cela me permet de vérifier, quand les personnes peuvent savoir
comment se sont passées la grossesse de leur mère et leur
naissance, à quel point cette théorie entre Grof et Freud « tape »
juste.

Je dédie cette partie du livre à Jacques Chaumet qui est à


l’origine de cette merveilleuse avancée.
180

Tableau 8.1. Tableau récapitulatif intra-utérin/post-natal

Gestation Préparation Passage Naissance


8 mois 1/2 15 jours environ Quelques heures Instantanée
Construction Préparation Exécution Choc
Rassemblement des éléments Exploration des limites Pressions (la porte s’ouvre) Froid
Établissement du lien avec la mère Positionnement Engagement dans la filière Lumière
Pressions violentes (porte fermée) Massage Défroissement des poumons
face au mur Respiration
Découverte du monde
extérieur
OP OA AE AR PH ŒDIPE
0-6 mois 6 mois-2 ans 2 ans-3 ans 3 ans-5 ans 5 ans-7 ans 6 ans-8 ans
Construction Établissement Recherche Pression de la Découverte de la Rassemblement des pulsions
du Moi du lien affectif des limites, part des parents différence des sexes partielles
Rassemblement avec la mère des repères Stade Engagement vers statuts Répétition générale avec
des morceaux Sentiments de de la violence et rôles parents avant de découvrir
valeur physique Phase coercitive Passage formateur le monde extérieur
Résultats Résultats Résultats Résultats
Problème de la Abandon Hystérie Infériorité Castration Problèmes œdipiens
formation du Moi Culpabilité
Rejet
Échec
L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT
Conclusion

J E SOUHAITE que vous ayez pris du plaisir à partager ce


voyage humain en ma compagnie. Comprendre les besoins,
le fonctionnement de l’enfant aux différents âges, son intra-
utérin, est important – que ce soit à titre professionnel ou privé.
L’aider et le guider lui permettra, non pas d’éviter toutes les
émotions, les difficultés de la vie mais d’acquérir des outils
qui pourront le structurer. On ne peut pas tout éviter. Ce sont
souvent les problèmes qui poussent à agir et à grandir. Des
parents parfaits, ça n’existe pas, des professionnels parfaits non
plus ! L’enfant doit se construire avec du positif mais également
avec les embûches de la vie pour devenir un adulte le mieux
armé possible.
J’ai également largement évoqué le comportement de l’adulte
à chaque stade. On m’a souvent dit : « Mais à quoi ça sert de
savoir tout ça, finalement : est-ce qu’il ne vaut pas mieux ne rien
savoir ? » Certes, cette idée se défend. Quand on ne sait pas,
on vit les choses bien ou mal suivant les circonstances ; on se
dépatouille comme on peut et on dit : « c’est mon caractère,
je suis comme ça, c’est la vie ». Oui, ça fonctionne quand
la personne vit à peu près sereinement avec des hauts et des
bas, mais trouve quand même un certain équilibre. Les choses
se compliquent quand elle va mal, quand elle se retrouve
toujours dans des situations de mal-être, quand elle est coincée
dans des situations impossibles, angoisse et souffre. Pour elle,
comprendre le pourquoi des choses peut être important et
182 L E DÉVELOPPEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ ENFANT

libérateur. Après, c’est un choix. Comprendre, pour certaines


personnes, c’est la curiosité de savoir comment ça se passe.
Pour d’autres, elles en ont besoin professionnellement. D’autres
encore, cherchent des réponses à leurs questions existentielles.
À leurs interrogations, je réponds que oui, il peut être impor-
tant de savoir afin d’éviter de reproduire des situations familiales
douloureuses pour nous-mêmes ou nos enfants ; cela peut nous
libérer d’un fonctionnement récurrent et source d’angoisse. Cela
permet également de comprendre pourquoi certaines personnes
de notre entourage familial ou social se comportent de telle ou
telle façon et de se rendre compte qu’elles ne peuvent pas faire
autrement, qu’elles ne le font pas pour nous ennuyer ou nous
blesser mais qu’elles y sont poussées par leur(s) névrose(s)...
Enfin, on comprend qu’il est inutile et vain d’user notre énergie
à essayer de les changer sachant que c’est l’échec assuré au
bout du chemin. Mais comprendre ne veut pas dire accepter. On
peut comprendre pourquoi une personne agit d’une façon qui
nous perturbe mais dans ce cas, puisqu’on ne peut rien changer,
inutile de se faire abîmer, casser, humilier, etc., simplement
parce qu’on a compris sa souffrance.

Pour terminer, vous connaissez l’histoire du singe philo-


sophe ? Non ? Tant mieux, ça me permet de vous la raconter.
C’est un singe philosophe assis sur une branche au-dessus
d’un ruisseau. Il médite sur l’avenir du monde en regardant l’eau
et la nature. Tout d’un coup, son sang ne fait qu’un tour. Il voit
un poisson qui passe dans l’eau. Il se penche, l’attrape, le tient
dans sa main et lui dit : « Ouf ! Heureusement que j’étais là,
sinon tu allais te noyer ! »
Pauvre poisson ! Avec les meilleures intentions du monde, le
singe peut le tuer...
De la même façon qu’on doit éviter de se faire abîmer, on ne
peut pas non plus aider les gens qui ne demandent rien et qui ne
le souhaitent pas. On ne peut pas les aider malgré eux.
Je conclus sur cette histoire.
Table des matières

Introduction 1

1. Quelques notions pour commencer 3


Le ça 7
Le moi 7
Le surmoi 9
Le trio 9

2. L’oralité passive 11
L’oralité passive chez l’enfant 12
L’oralité passive chez l’adulte 18
Professionnellement, 20 • Exercice, 22

3. L’oralité active 25
L’oralité active chez l’enfant 27
Signes alarmants, 32 • Causes de l’abandon, 33
L’oralité active chez l’adulte 34
Les centres d’intérêt, 38 • Professionnellement, 38 •
Sexuellement, 38 • Mots et concepts, 39 • Exercice, 39

4. L’analité expulsive 41
L’analité expulsive chez l’enfant 42
Causes de la névrose, 48
184 TABLE DES MATIÈRES

L’analité expulsive chez l’adulte 50


Mots et concepts, 66 • Professionnellement, 67 •

Sexuellement, 67

5. L’analité rétentive 71
L’analité rétentive chez l’enfant 74
Les névroses du stade AR, 80 • Signes alarmants, 84
L’analité rétentive chez l’adulte 92
La névrose d’infériorité chez l’adulte, 94 • La névrose
de culpabilité chez l’adulte, 99 • Signes de la
névrose, 101 • Les centres d’intérêt, 106 •
Professionnellement, 107 • Sexuellement, 107 • Les
mots, 108

6. Le stade phallique 113


Le stade phallique chez l’enfant 113
Acquis du stade, 117 • Névrose de castration chez
l’enfant, 118
Le stade phallique chez l’adulte 121
Se réaliser, 123 • Mots et concepts, 124

7. Œdipe et Narcisse 129


Expérience œdipienne 129
Narcissisme 131
Le narcissisme de structure, 132 • Le narcissisme de
retrait, 134

8. L’intra-utérin 143
La gestation 152
Première étape, 152 • Deuxième étape, 158
La préparation 164
Première étape, 164 • Deuxième étape, 167
Le passage 172
La naissance 176

Conclusion 181

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