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Théories et Méthodologies
theories and methodologies
Summary
I. INTRODUCTION
Ainsi, c’est par le travail sur l’acte (analyse de l’activité), examiné au tra-
vers d’un dispositif d’intervention précis que l’hypothèse d’une prévention
de la souffrance au travail se place.
Cet espace-temps particulier est mis en place dans les 15 jours après
chacun des décès. En séance, il propose trois types d’actions :
• Une approche cognitive de l’événement avec une reconstruction
collective de la prise en charge multidisciplinaire, afin de faciliter la
compréhension de l’enchaînement des actes de chacun et des effets
des actes des uns sur ceux des autres. Un des aspects principaux dans
cette approche est de reprendre la complexité de la situation réelle,
notamment de recréer le contexte incertain de la situation relatée et
d’ainsi minimiser les biais rétrospectifs (le fait de juger un acte une
fois l’issue connue). La manière de mener l’entretien collectif permet
de promouvoir le partage d’expérience plutôt que le jugement en vue
d’une amélioration du système.
• Une forme d’autodiagnostic organisationnel, dans une visée construc-
tive, avec l’identification par les participants des problématiques à
améliorer du point de vue des conditions de travail, du matériel, des
ressources disponibles.
• Un espace cadré pour l’expression de la dimension émotionnelle de
la situation. Il propose une forme de contenance dans la mesure où
les émotions sont rattachées à une meilleure compréhension de la
situation, de la prise en charge pluridisciplinaire, replaçant le travail de
chacun et ses répercussions psychologiques dans une dimension collec-
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de métiers chez Mendel), sont plus présents dans les groupes hétérogènes
lors des APE. C’est une des limites du dispositif, mais il reste porteur de
potentialités très intéressantes comme nous le verrons ci-dessous.
C’est au travers de la définition de l’acte selon Mendel (1998), que
nous pouvons saisir les leviers sur lesquels l’institution peut agir pour
soutenir ses équipes. Il a proposé une définition de l’acte en y associant les
éléments d’une lecture anthropologique : L’Homme vit son acte comme
un prolongement de lui-même. Il développe un mouvement d’appropria-
tion de l’acte, cherchant à en être maître. L’acte a donc un impact sur le
développement de la personnalité psychosociale de l’individu, qui se dis-
tingue de la personnalité psycho-familiale, qui se construit sur la base du
vécu des rapports familiaux depuis la naissance. Par conséquent, dans le
cadre des rapports sociaux que le travail offre, certains facteurs sont déter-
minants quant à la possibilité de développer la personnalité psychosociale
des acteurs. En effet, le fait de disposer de moyens de développer le pou-
voir sur son acte aura un effet positif sur la personnalité psychosociale car
l’acte-pouvoir assure une satisfaction psychique profonde, facteur essentiel
du développement de la personnalité psychosociale et de la capacité à éta-
blir des rapports sociaux équilibrés avec les autres, dans le travail et dans
la cité (Mendel, 2003).
Mendel (2003) insiste encore sur le point suivant : la santé psychosociale
du travailleur est artificielle parce qu’elle doit se construire. Elle n’est pas
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Il n’est pas simple de voir clair dans les moyens qui « soignent l’hôpital »,
bien que les institutions disposent aujourd’hui d’une variété d’outils de
soutien lorsque l’on cible une approche psychologique. On peut citer par
exemple les groupes de parole (Rusniewski, 1999) réunissant les équipes
de soin ou les groupes de parole mixtes conviant les équipes et les parents
endeuillés (Fohn & Verday, 2004).
Lorsqu’on ouvre un espace de parole sur l’aspect émotionnel des décès
dans les équipes, il est possible de mesurer le poids. Les souvenirs des
premiers décès évoquent de la douleur, de la souffrance. Cette souffrance
n’a pu s’élaborer depuis, réactivant alors un vécu anachronique, une image
d’impuissance non tant sur le fait de la mort que sur ses conditions de sa
prise en charge professionnelle ou de son accompagnement : « Je me sou-
viens que l’enfant mourait dans la nuit, et on n’appelait les parents qu’au
petit matin. » Vingt ans après, les souvenirs refont surface et l’on comprend
que les aménagements internes que le professionnel s’est imposé ont eu un
coût psychique (Phaneuf, 2014 ; Soubieux, 2012).
Canoui et Maurange (2001) suggèrent d’autres modalités pour
penser le soutien psychologique des équipes. Ils évoquent des soutiens
verticaux (hiérarchiques) et horizontaux (pairs). Pour ces auteurs, les
relations entre pairs seraient plus efficaces dans les moments informels
(les échanges entre deux portes, dans le couloir), car ils apportent un tant
soit peu d’énergie et de soutien relationnel par le possible recul que la
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Robin (2009) établit le constat selon lequel il est parfois plus facile de
faire bouger les pratiques et les organisations à partir d’une action rele-
vant des droits (des patients) plutôt qu’à l’issue d’une réflexion collec-
tive sur les transferts et contre-transferts de situations cliniques. À notre
tour, nous avons constaté que dans le secteur pédiatrique, cette incur-
sion plus consensuelle de la charte des droits de l’enfant hospitalisé est
venue clarifier un discours collectif et rassembler des énergies pour contri-
buer à la modification de l’environnement thérapeutique d’accueil des
enfants générant de nouvelles pratiques d’humanisation des soins (Centre
Hospitalier Catholique, 2002).
L’application des droits de l’enfant hospitalisé, l’aménagement de
l’environnement thérapeutique des enfants et l’amélioration des conditions
de soins ont contribué grandement à l’humanisation des milieux pédia-
triques. La possibilité d’élargir le pouvoir d’agir des équipes soignantes
constituait le second volet de la démarche dans le cadre d’une bientrai-
tance institutionnelle (Minguet, 2009).
Les APE concernent les situations de décès d’enfant que les équipes
rencontrent dans les services suivants :
• Au centre néonatal (ex : Noa est né à 36 semaines, mais il décède d’une
méningite après 4 jours passés au centre avec ses parents),
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Quelle était leur demande ? Qu’est-ce qui a été proposé ? Quelle a été leur
réaction sur le moment ? L’approche chronologique permet alors de replacer
l’incertitude de l’événement dans une compréhension recomposée par la
parole de chaque métier, de chaque membre de l’équipe.
Le rôle de l’animateur dans un premier temps est de tenir le fil chrono-
logique comme point de repère identifiable et objectivable par tous, tout
en replaçant bien dans ce fil toutes les incertitudes du moment relaté. Les
actes relatés s’y déposent progressivement. Le fil « tient » le récit de chacun,
plaçant les actes et leur contexte en avant-plan. Le fait que chacun des
métiers s’exprime et que chacun écoute l’autre alimente une représen-
tation globale de la prise en charge, sans que soit donnée la préséance à
l’interprétation de la situation par l’un ou l’autre participant.
C’est l’objet du second tour : chacun revient sur le tableau recomposé
pour y apporter son point de vue, sa question ou réflexion, une demande
de précision. L’effort d’écoute prolongée, l’exercice de la reconstruction
chronologique prenant 45 minutes, vient combler de nombreuses ques-
tions laissées en suspens dans l’intervalle, du décès à l’APE.
Sur cette base commune d’informations partagées, replacées dans
leur contexte et exprimées par les mots de chacun selon sa formation, son
angle d’approche, les participants prennent la parole, s’ils le souhaitent, et
« avancent » leur(s) question(s), leur(s) proposition(s). Cette étape consti-
tue la seconde partie de l’animation.
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le décès. Il pourra ainsi répondre aux questions que se posent les parents. Le
rapport médical peut être envoyé au médecin traitant également.
Les réflexions d’équipe soulignent tout autant les initiatives qui fonc-
tionnement déjà et qu’il est utile de maintenir, que des points à travailler
en dehors de la séance parce qu’ils requièrent un temps de résolution dif-
férent ou d’autres membres à consulter.
Le compte rendu, composé uniquement des points énoncés ci-dessus
(sans les commentaires de l’animateur), est transmis au cadre de service
et au médecin responsable. Le cadre a pour mission de placer les points
relatifs à l’organisation du travail dans un plan d’actions afin d’agir sur
eux d’ici l’APE suivante. Par exemple, il peut s’agir d’organiser une garde
spécifique pour renforcer l’équipe le jour même du décès. Il prend l’initia-
tive de porter d’autres points dans la compilation des « bonnes pratiques »
à maintenir, consignées dans le document de synthèse que l’équipe a inti-
tulé : « Repères de bonnes pratiques pour l’accompagnement des décès aux
soins intensifs ». Ce document fonctionne comme un texte de référence
dans le service. Il est le fruit de la somme de toutes les APE. Aujourd’hui,
le document est composé d’une dizaine de pages comportant l’ensemble
des propositions, initiatives et points d’attention. Il est important de sou-
ligner que ce document qui génère des conduites collectives dans le travail,
n’est pas un travail prescrit par la hiérarchie (tâche), mais, au plus près du
travail réel analysé (activité), qui est le fruit de l’expertise collective.
En soi, le document de référence comporte les rubriques suivantes :
comment préparer les souvenirs de l’enfant (empreintes, photos) ; comment
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IV. Discussion
1. Il est cependant intéressant de mentionner que les moments qui font suite directement
à décès où l’équipe a besoin de souffler, de parler, de se retrouver ne serait-ce que quelques
instants pour partager l’intensité du moment, est à soutenir dans les équipes. Certains le
nomment défusing, mais si le dispositif ne comporte pas d’intervenant externe, il ne devrait
pas en conséquence porter ce nom.
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Tout au long de nos 15 années d’intervention avec les APE, trois par-
ticularités se sont fait entendre dans la clinique du dispositif.
La notion de cadre n’est jamais acquise définitivement. Même avec le
support validé par la direction médicale et la direction de l’hôpital, la pro-
cédure d’intervention vient toujours quelque peu questionner l’autorité
médicale. Les risques liés au fait de réaliser une APE sans intervenant, de
court-circuiter l’APE par une séance d’information (de réinformation) sur
la situation, ou les risques de remise en question du cadre en séance, ne
sont pas à minimiser.
Le critère de mise en place peut être remis en question à la longue.
Même avec quelques années d’expérience, un service peut être amené à
« juger » qu’une APE ne vaut pas la peine d’être mise en place car le décès
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V. Conclusion
gestion des risques du travail, mais dans une vision managériale qui sus-
cite la créativité au travail et qui mobilise les processus de résilience indi-
viduels et collectifs.
Au départ d’une situation de souffrance au travail, le dispositif a contri-
bué à la production de l’amélioration de pratiques par la méthodologie
spécifique de la mobilisation psychique dans le collectif de travail. Un dis-
cours qui rejoindra l’idée selon laquelle le travail est une ressource à la
souffrance au travail pour autant que le sens y soit « travaillé ».
références
Altinda, A., Ozen, S., & Sir, A. (2005). One-year follow-up of posttraumatic stress
disorder among earthquake survivors in Turkey. Comprehensive Psychiatry,
46(5), 328-333.
Canoui P., & Maurange, A. (2001). Le syndrome d’épuisement professionnel des soi-
gnants. De l’analyse du « burn-out » aux réponses(2e éd.). Paris, France : Masson.
Centre Hospitalier Catholique (2002). Respect de l’enfant hospitalisé.Moins de peur,
moins de mal, parole d’hôpital. Congrès d’humanisation des soins et de prise en
charge de la douleur en pédiatrie, Liège, 12 et 13 décembre.
Centre Hospitalier Catholique (2017). Rapport de communication interne du
Comité de Prévention et Protection du Travail. Liège, Belgique.
Clot, Y. (2015). Le travail à cœur, pour en finir avec les risques psychosociaux. Paris,
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