Vous êtes sur la page 1sur 10

Expliquer, comprendre et interpréter l’expérience

humaine
De l’herméneutique à l’anthropologie phénoménologique
Jeanine Chamond
Dans Psychothérapies 2017/2 (Vol. 37), pages 125 à 133
Éditions Médecine & Hygiène
ISSN 0251-737X
DOI 10.3917/psys.172.0125
© Médecine & Hygiène | Téléchargé le 13/01/2024 sur www.cairn.info (IP: 83.159.191.24)

© Médecine & Hygiène | Téléchargé le 13/01/2024 sur www.cairn.info (IP: 83.159.191.24)

Article disponible en ligne à l’adresse


https://www.cairn.info/revue-psychotherapies-2017-2-page-125.htm

Découvrir le sommaire de ce numéro, suivre la revue par email, s’abonner...


Flashez ce QR Code pour accéder à la page de ce numéro sur Cairn.info.

Distribution électronique Cairn.info pour Médecine & Hygiène.


La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le
cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque
forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est
précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.
Psychothérapies 2017 ; 37 (2) : 125-133

Expliquer, comprendre et interpréter


l’expérience humaine
De l’herméneutique à l’anthropologie
phénoménologique
Jeanine Chamond 1

Résumé Constitutives de l’Herméneutique, c’est-à-dire de l’art de l’interprétation, expliquer, comprendre, inter-


préter sont les opérations mentales, antinomiques ou interdépendantes selon les auteurs, inhérentes
à l’existence et fondatrices du monde dans l’univers partagé du sens. Dans la perspective d’une
anthropologie phénoménologique qui dit les conditions originaires du Vivre, la circularité de la com-
préhension thématisée par Heidegger dévoile le toujours-déjà-là du monde, en partie constitué avant qu’on le comprenne,
qui pré-possibilise l’expérience transformatrice qui confère à l’homme sa légitimité à exister. L’auteur défend la thèse que
la psychose, perte de l’évidence naturelle selon Blankenburg, est une crise de cette pré-possibilité que le schizophrène
s’épuise à tenter de refonder.
© Médecine & Hygiène | Téléchargé le 13/01/2024 sur www.cairn.info (IP: 83.159.191.24)

© Médecine & Hygiène | Téléchargé le 13/01/2024 sur www.cairn.info (IP: 83.159.191.24)


La question encore ouverte est de savoir si, sur le fait de l’évidence du monde, en montrant sa défaillance
comprendre, une science, et surtout une science expéri- dans la schizophrénie. Dans son ouvrage consacré
mentale, peut s’édifier ; ou si le fait de comprendre reste, au cas d’une jeune patiente, La perte de l’évidence
en fin de compte, toujours l’affaire de l’individu singulier
qui l’accomplit à chaque fois.
naturelle (1971), parmi les plus fertiles de la clinique
L. Binswanger phénoménologique, il met en lumière la déperdi-
tion ontologique qui fonde le drame de la condi-
Qu’est-ce que faire une expérience, vivre un évé- tion psychotique : celle d’une crise de l’exister par
nement, accéder à une manifestation du monde ? l’absence d’un ancrage stable dans l’univers du sens
Comment parvenons-nous à concrétiser l’événe- et l’incapacité à se sentir légitimé dans le monde,
ment qui nous arrive, à l’accueillir pour nous y ins- par la défaillance de l’élan processuel de l’être et
crire comme sujet à qui cela arrive, à le traverser l’impossible séjour en confiance avec les autres,
en nous laissant retoucher ou transformer par lui, et finalement par l’impossibilité de laisser-être-les-
à nous retrouver nous-même au décours de l’évé- choses-de-soi et de se laisser-aller.
nement et enfin à le reprendre en le narrativi-
sant dans un récit intérieur ou adressé à un autre
pour l’intégrer comme composant notre histoire
et notre identité ? Comment rendre compte d’une 1
Maitre de Conférences en Psychopathologie clinique,
telle évidence ? Université de Montpellier 3. Psychologue clinicienne, psy-
chothérapeute de formation analytique. Co-présidente de
Le psychiatre phénoménologue W. Blankenburg l’École Française de Daseinsanalyse, Archives Husserl,
donne son plein sens à l’expérience naturelle dans E.N.S., rue d’Ulm, Paris.

125
Psychothérapies

Tels seront, parmi d’autres, les conséquences Charbonneau (1994) : « L’herméneutique explore et
de la perte de l’évidence naturelle dans la schizo- définit les règles par lesquelles nous faisons appa-
phrénie. Mais retenons surtout pour notre propos raître le sens des manifestations humaines, qu’elles
l’impossibilité globale qu’éprouve le psychotique à soient vivantes ou qu’elles aient été déposées par
faire expérience et à maintenir la continuité de soi écrit ou autrement » (p. 14). Expliquer et Comprendre
dans l’aller-retour que l’expérience ouvre dans le est la paire traditionnelle de concepts qui permet
rapport au monde et le rapport à soi. Peut-être alors d’articuler cette problématique. Il conviendrait d’y
pourrons-nous mieux apercevoir comment l’homme ajouter le terme interpréter.
que l’on dira normal réalise son expérience et par En première approximation, la compréhension
quelles procédures il constitue et restitue ce qui, est le préalable de l’explication. Nous expliquons
pense-t-il, de son expérience vive de monde, va de un texte, un fait, une idée, après l’avoir compris. Si
soi. Constituer et restituer l’expérience, c’est pour nous comprenons une personne, nous n’expliquons
lui réaliser spontanément les actes de compré- pas un être humain. Nous nous comprenons nous-
hension, d’interprétation, d’explication au moyen même dans certains de nos agissements. Nous nous
desquels il s’implique, agit et échange dans l’uni- comprenons les uns les autres dans la sphère de
vers partagé du sens. Dans un mouvement réflexif l’intersubjectivité, parce que nous nous entendons
second, il pourra se demander ce qu’il fait préci- et partageons une certaine vision du monde. Mais
sément quand il comprend, explique et interprète est-ce faire la même expérience que de comprendre
son expérience ou celle d’autrui, c’est-à-dire quand un patient, un poème de Mallarmé, une civilisa-
il la recompose. Il pourra alors convoquer dans son tion ancienne ou le signe qu’on nous adresse ?
paysage sémantique l’herméneutique, qui observe Comprendre pourrait-il se résumer à un simple
les règles et les procédés par lesquels les productions exercice cognitif de décodage, comme voudrait
humaines adviennent au sens, la phénoménologie le faire accroire un certain cognitivisme ? Serait-il
qui fait de la compréhension l’acte fondateur de une simple opération reproductible et vérifiable
toute connaissance et de toute genèse intention- selon les critères de la science ? Auquel cas, pour-
nelle du monde, enfin une anthropologie dite phé- rait-il se normer et s’objectiver dans la neutralisa-
noménologique parce qu’elle prend à charge de dire tion de tout vécu ? Et quand pouvons-nous être sûr
les conditions originaires de possibilités du vivre, du d’avoir bien compris ? La question est complexe ;
voir, de l’habiter, de l’être-avec, de l’être-au-monde de elle nécessitera de s’arrêter un peu sur la définition
l’existence humaine. des termes.
© Médecine & Hygiène | Téléchargé le 13/01/2024 sur www.cairn.info (IP: 83.159.191.24)

© Médecine & Hygiène | Téléchargé le 13/01/2024 sur www.cairn.info (IP: 83.159.191.24)


1. La question du sens 2. Expliquer et comprendre :
définition des termes
Avant le XXe siècle, l’herméneutique est l’ars inter-
pretendi, défini comme art d’interpréter les textes, Ex-pliquer, selon son étymologie latine – plicare,
qu’ils soient sacrés, juridiques, historiques. À la plier – c’est dé-plier, déployer les plis. Ainsi le dra-
charnière du XIXe et du XXe, Dilthey élargit l’objet pier flamand qui expliquait sa pièce de toile en
de l’interprétation, le texte, aux manifestations montrait-il la continuité spatiale pour prouver sa
humaines fixées par écrit et établit la distinction parfaite conformité. Devant expliquer un fait, nous
entre expliquer et comprendre. Enfin, l’herméneu- déployons les chaînes causales qui le rendent intel-
tique moderne s’illustre avec Ricœur et Gadamer. ligible. Nous exposons sa causalité pour articuler le
Le premier enrichit le concept d’interprétation en rapport logique et la continuité spatio-temporelle
corrélant l’interprétation du texte à son contexte, entre la cause qui précède et l’effet qui en découle.
au monde de l’action et à l’application concrète qui Selon une procédure logique, nous établissons des
peut en être faite dans le monde humain de l’agir motifs, nous éclairons des mobiles, nous exposons
et du souffrir. Comprendre, selon lui, c’est se com- des raisons. Nous développons des arguments.
prendre devant le texte. Le second donne à l’her- Nous montrons, prouvons et opérons ainsi sur des
méneutique sa définition moderne, comme l’art de régularités et des lois causales et nous produisons
comprendre. Gardons la définition qu’en propose G. une synthèse, sinon nous nous perdrions dans

126
« Expliquer, comprendre et interpréter » l’expérience humaine

l’enchaînement infini des causes, sans parvenir à la soi et dans un monde possible. « Ça n’est pas pos-
vérité explicative que nous visons. sible ! », disons-nous à l’annonce d’un drame et tout
Com-prendre, « prendre avec » selon une éty- événement qui ne trouve pas à s’intégrer dans le
mologie latine qui reste assez approximative, est monde reste littéralement im-monde, c’est-à-dire
un verbe polyvalent et concerne des opérations hors monde. Comprendre est un moment synthé-
de plusieurs niveaux. En fonction de ses complé- tique de l’expérience, un mouvement d’embrasse-
ments d’objets directs, écrit G. Hébert-Morlon ment totalisant, une expérience de totalité. Ainsi,
comprendre peut prendre le sens de décoder un quand nous cherchons à comprendre comment nous
signe, de dévoiler/déchiffrer/interpréter un texte ; avons compris, devons-nous éclaircir la dynamique
ou bien de saisir/sentir une personne ou encore des ensembles englobants que nous avons élaborés
de démontrer/montrer ; enfin, de concevoir/rendre pour y inscrire les événements à comprendre. La
compte d’une idée. Plus profondément, comprendre, compréhension est une saisie en perspective-de, une
c’est saisir et rassembler dans un ensemble : soit perspective impliquée dans l’horizon d’expérience
en intégrant l’objet de la compréhension, en l’as- d’où elle part. À un troisième niveau, comprendre
similant clairement ; soit en s’impliquant à lui, en consistera à mettre à jour les modes d’accord plus ou
s’identifiant à lui. La sympathie, l’intropathie, l’Ein- moins implicites avec autrui, la communauté d’en-
fülhung nous permettent dans une certaine mesure gagement dans l’expérience : nous nous compre-
de comprendre autrui à demi-mot en nous mettant nons parce que nous partageons dans une certaine
à sa place et en ressentant son vécu. Comprendre mesure la même expérience ; mais nous partageons
n’est pas totalement subordonné à la logique qui dans une certaine mesure une même expérience
prévaut dans l’explication. Mais si nous expliquons parce que nous nous comprenons. Le préalable qui
parce que…, nous comprenons aussi parce que… a rendu l’expérience commune possible, c’est l’ac-
Donc, une causalité diffuse semble toujours présente cord intersubjectif que Gadamer appelle l’entente,
dans la compréhension : causalité logique plus ou notion qu’il va considérablement enrichir. En fait,
moins implicite ou causalité de motifs, de désirs, ou deux modèles sembleraient nécessaires pour rendre
d’états mentaux. compte de la compréhension : le modèle cognitif,
qui dirait les opérations cognitives au moyen des-
quelles la compréhension se réalise, et le modèle
3. Comprendre, comme anthropologique, qui étudierait comment l’homme
se situe dans le monde, en instituant, en déposant
mouvement général
© Médecine & Hygiène | Téléchargé le 13/01/2024 sur www.cairn.info (IP: 83.159.191.24)

© Médecine & Hygiène | Téléchargé le 13/01/2024 sur www.cairn.info (IP: 83.159.191.24)


et retrouvant du sens, et comment il effectue l’ex-
du rapport au monde périence en comprenant. Retenons cependant les
points de divergence principaux et irréductibles
Si, à un premier niveau, comprendre est un entre expliquer et comprendre : l’absence, dans l’ex-
dévoilement, à un deuxième niveau, comprendre plication, de propriété constitutive et le défaut du
est le mouvement général du rapport au monde. mouvement de totalisation, de saisie en perspec-
C’est précisément à ce niveau qu’il intéressera tive du tout. Expliquer ne reconsidère pas la tota-
l’anthropologie. Comprendre, selon l’analyse de lité de l’expérience. Expliquer n’est jamais expliquer
Charbonneau, est un mouvement vers une tota- le tout.
lité : mouvement d’une saisie qui accueille, intègre,
inclut un élément dans un ensemble de sens,
dans une dimension synthétique et ensembliste. 4. La question de l’interprétation
Comprendre sera alors constituer les choses dans
les ensembles dans lesquels ces choses prennent Pour ce qui concerne la problématique de l’inter-
sens. On ne comprend un événement qu’à partir prétation, le Peri hermèneias d’Aristote ne rend pas
d’un mouvement de mise en configuration, d’élabo- compte de la pluralité des significations possibles
ration, qui consiste à percevoir l’ensemble préexis- d’un texte et ni de leur variabilité historique. De
tant, à le décomposer, à en recomposer un nouveau ce point de vue, il ne saurait valoir dans la ques-
apte à recevoir l’événement, à l’inscrire dans l’unité tion des conflits d’interprétation, par exemple reli-
de son monde et à l’intégrer dans la continuité de gieux, qui agitent et divisent les exégètes depuis

127
Psychothérapies

l’aube des temps. Mais selon le traité d’Aristote, expliquer l’inconscient, la psychanalyse actuelle
le son émis par la voix et doté d’un sens est déjà se démarque fermement de la démarche causaliste
interprétation, c’est-à-dire une production de sens. à l’œuvre dans l’explication psychologisante. Car
Dire quelque chose de quelque chose, comme le for- elle enfermerait l’analysant dans un enchaînement
mule aujourd’hui Ricœur, c’est déjà interpréter. de raisons et une logique de résistances, là où il y
Historiquement, la Réforme luthérienne ébranla a lieu seulement d’annoncer qu’un sens inouï est
l’édifice de l’église catholique romaine, en mettant en travail dans l’énonciation, que seul le patient
en cause la garantie autoritaire, dogmatique et avec l’aide de son psychanalyste finira par déchif-
hiérarchique de l’interprétation du texte sacré, et frer. Quant à la compréhension qui fonde l’inter-
en mettant en question la transmission contrôlée prétation du thérapeute, bien loin d’autoriser à une
par l’institution de la Révélation du message divin. systématique interprétative, elle garde sa spécificité
Mais si l’interprétation n’est plus soumise à l’auto- de se référer à l’hic et nunc de la cure, à l’analyse
rité d’un savoir et d’un pouvoir, au-delà du religieux des résistances et du transfert, par quoi elle donne
et dans la sphère élargie des sciences de l’homme, à l’interprétation toute sa mesure et sa portée.
elle doit tenir sa légitimité scientifique d’une épis- Mais le travail analytique de déconstruction et de
témologie rationnelle. La révolution épistémolo- reconstruction d’une vérité enchevêtrée dans les
gique aura pour tâche de préserver l’interprétation malheurs du désir et enkystée dans un repli du
de l’erreur, du mensonge et des excès du subjecti- passé ne sera pas sans rencontrer sa limite : celle de
visme. Pourtant, cette problématique de l’erreur et l’altérité radicale qui gît au cœur même de l’intime,
du mensonge, héritée de l’idéalisme platonicien et qui structure le sujet divisé autour d’un morceau
kantien, la révolution psychanalytique en déplace d’étrangeté interne impossible à penser et à dire,
l’accent, quand elle thématise une théorie de l’il- et que la terminologie freudienne définit comme
lusion ou, mieux encore, de l’illusionnement qui butée ultime du roc de la castration. Alors, si toute
reste comme une épine plantée dans la rationa- la démarche herméneutique de l’interprétation
lité herméneutique. En effet, si un sens caché, de vise bien à relier le sens à son contexte symbo-
moi-même ignoré, préside à mes actions, gouverne lique, c’est-à-dire finalement à fabriquer du vivable,
mes passions et organise secrètement mes rêves et la pratique psychanalytique reste bien cette épine
mes symptômes, quelle adhésion puis-je prétendre plantée dans la raison herméneutique, quand elle
avoir au sens que je donne consciemment à ma rencontre l’angoisse vertigineuse d’une altérité
vie ? On le sait, la découverte freudienne d’une radicale ininterprétable et sans contexte.
© Médecine & Hygiène | Téléchargé le 13/01/2024 sur www.cairn.info (IP: 83.159.191.24)

© Médecine & Hygiène | Téléchargé le 13/01/2024 sur www.cairn.info (IP: 83.159.191.24)


Autre Scène, régissant en secret un sujet malade
de son désir, est une humiliation et un démenti à
l’homme du Cogito et jette un soupçon définitif sur 5. Expliquer et comprendre :
la souveraineté de la conscience. C’est aux Maîtres l’arrière-pays sémantique
du Soupçon que le Cogito blessé de la modernité,
selon Ricœur (1990), doit la destitution de sa Pour le rationalisme classique, selon G. Hébert-
conscience, qu’il s’agisse d’une conscience faussée Morlon (1994), expliquer et comprendre constituent
par l’idéologie selon Marx, d’une conscience un doublet sémantique, mais en réalité, la suprématie
conçue par Nietzsche comme une pure surestima- est à l’explication. Cette conception est corrélative
tion de l’instinct, ou de la conscience freudienne, du développement de la science moderne et de sa
absente de l’arrière-scène qui pourtant l’agit dans sécularisation, de l’explication du monde comme
le secret et le conflit. L’interprétation psychana- un livre de mathématique. Le rationalisme illustre
lytique décrypte un rapport de signification entre la tradition explicative : elle conçoit le monde et le
le sens manifeste et le sens latent, dans la parole langage comme indépendants de tout présupposé.
littérale de l’énonciation. Qu’un sens caché soit en Ce monde est accessible par la rationalité. On peut
souffrance dans les replis du désir refoulé permet le décrire à partir de la causalité. Pour le rationa-
à chaque névrosé de réinventer le réel de l’in- liste, le sens d’un texte restera indépendant de celui
conscient, en découvrant l’événement même de qui l’énonce. Le Romantisme allemand va réhabi-
sa division subjective. Si Freud, indifférent à la liter la compréhension, mais au risque d’une perte
dualité de l’expliquer et du comprendre, prétendait de scientificité et de sens critique. Il s’inscrit dans

128
« Expliquer, comprendre et interpréter » l’expérience humaine

la tradition compréhensive. La rupture radicale nécessaire l’herméneutique. L’herméneutique prend


entre rationalisme et romantisme, selon J. Grondin ici la dimension d’une reconstruction : le sens, du
(1993), est due à Kant. La critique kantienne sonne point de vue de l’auteur, est à reconstruire de fond
le glas d’un certain Rationalisme et met fin à l’au- en comble. Cet impératif d’équité envers l’objet à
tarcie de la raison : les choses ne nous apparaissent interpréter amène Schleiermacher à fixer comme
rationnelles qu’après avoir été travaillées par nos tâche à l’herméneutique de comprendre le discours
schèmes de pensées. Si l’accès au monde et au texte d’abord aussi bien et ensuite mieux que son auteur.
ne s’accomplit que par le biais d’une perception ou C’est la thèse intentionnaliste, qui vise à saisir les
d’une interprétation subjective, la réflexion philo- intentions de l’auteur. Pour Schleiermacher, inter-
sophique doit partir du sujet connaissant et poser préter un texte, c’est retrouver l’individualité de
sa visée d’objectivité sur le terrain de la subjecti- celui qui l’a conçu et pénétrer le processus interne
vité. La période romantique, globalement, affirme de création de l’œuvre. Comprendre, c’est finale-
le primat de la non-compréhension et le caractère ment reproduire, recréer l’acte créateur de l’auteur
essentiellement non évident de l’expression lin- du texte. Cette idée de la meilleure compréhension,
guistique. Elle conçoit l’herméneutique comme un qui est une tâche infinie, est à la source du subjecti-
problème et lui assigne pour tâche de dégager les visme moderne. Gadamer et Ricœur ont répliqué à
conditions de possibilités de l’interprétation. la thèse intentionnaliste. L’intention de l’auteur, le
L’ouvrage de D. Thouard Critique et herméneu- sens intenté n’est pas toujours ce qui s’échange dans
tique dans le premier romantisme allemand (1987) la compréhension : il peut s’être perdu en chemin,
permet de poser quelques points de repère utiles avoir manqué son but, s’éclairer a posteriori diffé-
dans le courant romantique. Le critique Schlegel remment de sa visée initiale. Pour Gadamer, la
insiste sur la part de mécompréhension, toujours thèse intentionnaliste ne restitue pas la dimension
présente dans la compréhension. Cependant dynamique de la compréhension, le dialogue entre
il conçoit une non-compréhension positive : le auteur et lecteur.
malentendu, qu’attestent les conflits d’interpréta- Dilthey, dans sa critique de la raison histo-
tion, est producteur d’une vérité relative. En affir- rique (1910), pose le problème de la compré-
mant son scepticisme quant à la compréhensibilité hension de l’homme par l’homme. L’explication
du langage et une rigueur critique qui tient compte causale logique ne saurait rendre compte du fait
des limites de l’entendement et de la particularité humain, des institutions, de l’histoire, comme elle
des points de vue, Schlegel pose le savoir comme explique la nature. Ainsi une démarcation nette
© Médecine & Hygiène | Téléchargé le 13/01/2024 sur www.cairn.info (IP: 83.159.191.24)

© Médecine & Hygiène | Téléchargé le 13/01/2024 sur www.cairn.info (IP: 83.159.191.24)


devant s’élaborer progressivement, à mesure que est posée entre expliquer et comprendre, à partir
le comprendre se partage. Ast, quant à lui, voit la de la distinction entre les sciences de la nature et
condition de possibilité de la compréhension dans les sciences de l’esprit – on dirait aujourd’hui les
le concept d’esprit. L’esprit est l’élément commun sciences humaines – distinction résumée dans sa
à tous les hommes, une sorte d’entité métaphy- formule : Nous expliquons la nature, nous compre-
sique ou un principe d’harmonisation général, une nons la vie psychique. En fait, sa démarche partira
unité supérieure et infinie, le centre de toute vie. d’une antinomie exclusive entre expliquer et com-
Comprendre sera alors retrouver le mouvement de prendre, pour finalement reconnaître entre les deux
l’esprit vers la totalité et faire une somme intégra- termes une nécessaire articulation, une relation de
tive. Ainsi, pour Ast, comprendre l’Antiquité, c’est dépendance réciproque. Car les réalités psychocul-
percevoir l’identité de l’esprit antique à travers la turelles, qui se comprennent, sont dépendantes de
diversité des temps. L’interprétation permettra la nature, des sciences de la nature qui expliquent.
de purifier l’esprit du temporel, du contingent, S. Mesure (1990) dégage chez Dilthey deux théo-
du subjectif, pour atteindre l’esprit de l’humanité ries de la compréhension. La première s’inscrit dans
en soi. Mais, écrit Thouard, « la compréhension l’horizon de la psychologie : comprendre exigerait la
ne sera plus que la reconnaissance par l’esprit coïncidence avec les mobiles des acteurs, une mys-
de ce que l’esprit a connu. L’altérité et la diffi- térieuse participation vécue à l’expérience d’autrui,
culté du comprendre tombent ensemble » (p. 40). une reproduction ou une recréation d’un moment
Schleiermacher va universaliser la dimension de mental étranger. Si l’influence de Schleiermacher
la mécompréhension, toujours possible, et rendre est ici sensible, la première théorie de Dilthey fut

129
Psychothérapies

doublement critiquée par ses contemporains : pour d’appréhender le détail pour lui donner sens. On
son psychologisme, car plus aucune objectivité ne saisit la signification de la partie avec une pré-
peut garantir la compréhension contre la projec- compréhension, une pré-inclusion du tout, avec le
tion de ses états mentaux sur autrui, et pour l’in- pressentiment de la totalité qui anticipe la com-
fondé de l’énigmatique alchimie des consciences préhension. Cette structure circulaire de la com-
qu’elle suppose. Sa seconde théorie de la com- préhension, déjà en germe dans l’herméneutique
préhension, exposée dans L’édification du monde romantique, est thématisée par Heidegger comme
historique (1910), s’inscrit dans l’horizon du sens. cercle herméneutique. Ce qu’il s’agit de comprendre
Trois mots-clefs sont à retenir : l’Erlebnis, le vécu, pour lui, c’est le Dasein, l’existence comme avoir à être
l’Einfülhung, l’intropathie, le partage du vécu, et la (1937). De fait, le cercle herméneutique contient
Zusammenhang, la totalité articulée, l’ensemble, la l’idée du toujours-déjà-là du monde et du donné, de
configuration. La compréhension consiste, en par- la langue, des autres, du mouvement temporel dans
tant des expériences vécues, à construire l’ensemble lesquels nous sommes pris et à la source de quoi
qui les réunit et, sur le modèle de la biographie, à nous ne pouvons pas remonter. L’idée d’une possible
faire émerger une cohésion de vie de ce qui n’était auto-fondation de la compréhension s’y dissout,
qu’une simple succession temporelle. Ainsi, dans comme s’y perd l’illusion d’une tabula rasa de l’in-
la seconde théorie de Dilthey, comprendre, c’est terprétation. À charge pour l’interprète ou le sujet
connecter, rassembler, retrouver une connexion supposé savoir trop naïf de prendre acte qu’il n’y a
de vie, l’ensemble qui fait sens. L’interprétation pas de compréhension et d’interprétation qui soient
est moins affaire de raison que de sens. En fait, la totalement vierges d’attentes de sens, de préconcep-
nature humaine, définie ailleurs en termes d’uni- tions, de préjugés, de grille de lecture ; comme aussi
versalité ou de raison, Dilthey la conçoit comme de préventions ou de résistances contre de l’alté-
unité, continuité, déploiement temporel et dyna- rité radicale de ce qui est à comprendre-. Le tou-
mique de la vie. Se dessine là rien de moins qu’une jours-déjà-là participe de la réinscription constante
anthropologie du rapport au monde. La position de notre continuité de vivre, dans la permanence
moderne du débat est illustrée par Ricœur (1990). de notre identité, selon la thématique de l’ipséité
D’une part, il rétablit une collaboration équilibrée élaborée par Ricœur. Heidegger fait de la compré-
et féconde entre expliquer et comprendre. Pour lui, hension un existential, le Verstehen, c’est-à-dire une
l’interprétation doit articuler la compréhension et structure fondamentale et universelle de l’existence
l’explication, dès qu’il n’y a plus de dialogue possible qui s’inscrit dans la temporalité du Dasein. Cette
© Médecine & Hygiène | Téléchargé le 13/01/2024 sur www.cairn.info (IP: 83.159.191.24)

© Médecine & Hygiène | Téléchargé le 13/01/2024 sur www.cairn.info (IP: 83.159.191.24)


avec l’auteur du texte. L’explication du texte doit structure circulaire de la compréhension relève de
permettre d’en reconstruire la signification. Il faut la constitution ontologique de l’existence, laquelle
expliquer plus pour comprendre mieux. D’autre part, est vouée à devancer les choses par la structure
la compréhension et l’interprétation ne relèvent pas d’anticipation du souci et ses projets d’intelligibilité.
un acte spéculatif, isolé de son application, mais Donc une interprétativité inhérente à notre situa-
s’inscrivent dans le monde de l’action : on inter- tion humaine habite déjà, toujours déjà, la com-
prète et on comprend pour appliquer. La compré- préhension. Comment s’en débrouiller ? Le cercle
hension s’achève dans l’action. herméneutique ne sera pas un cercle vicieux, dit
Heidegger, si l’on commence par expliciter, autant
que faire se peut, les préconceptions, par clari-
6. La structure circulaire fier cette interprétativité latente. Ce n’est rien de
de la compréhension moins que d’interpréter l’interprétation. Pourtant,
Gadamer précise dans Vérité et méthode (1960) que
Le rapport dialectique entre la lettre et l’esprit, le la précompréhension agit comme la condition quasi
renvoi de l’un à l’autre, montrent que la lettre ne transcendantale du comprendre. Elle ressortit à
prend sens que dans son rapport au contexte, à l’en- notre historicité, à notre appartenance à une tradi-
semble, à l’esprit du texte ; esprit du texte qu’elle tion. Aussi Gadamer propose-t-il de ne point tenter
contribue en retour à constituer : la lettre dessine d’éliminer les préjugés, comme les Lumières ont cru
les contours de la totalité. Autrement dit, le détail pouvoir le faire, mais au contraire de les réhabiliter,
compose le contexte, mais seul le contexte permet pour les élucider et s’en servir comme leviers de

130
« Expliquer, comprendre et interpréter » l’expérience humaine

la compréhension – position qui donna lieu à « la liens, réinterroger ses appartenances, configurer et
querelle des préjugés » et au débat avec Habermas. reconfigurer les choses dans la totalité du sens, pour
Entre, d’une part, la naïveté du Positivisme, qui croit s’y inscrire. Dans ce mouvement, il se définit lui-
faire parler les choses d’elles-mêmes par l’auto-effa- même, en s’auto-comprenant et s’auto-interprétant.
cement de l’interprète et l’effacement de toute sub- Par le Comprendre seul, il peut s’apparaître à lui-
jectivité, et d’autre part le relativisme de Nietzsche même. Ce mouvement vers le monde se confond
affirmant qu’il n’y a pas de faits, il n’y a que des inter- avec la notion de sens. Le Comprendre engage
prétations de fait, Gadamer occupe la voie médiane, l’Exister et se confond avec le Vivre. Si chaque expé-
sans doute celle d’une sagesse praticable. Comme rience déconstruit partiellement l’unité formelle du
Heidegger, il se fait le défenseur d’une compréhen- monde et nécessite de se dessaisir au moins pour
sion critique et historiquement réfléchie. Gardons partie du déjà-connu, l’homme expose chaque fois
l’idée que la structure circulaire de la compréhen- son identité à une transaction : transaction entre ce
sion, l’arc herméneutique de Ricœur, montre que qui, de son identité, se maintient et ce qui change ;
l’application, déjà, conditionne la saisie de ce qui est transaction à laquelle, avec Ricœur, nous pou-
à interpréter et à comprendre. « Comprendre, inter- vons donner le nom de dialectique idem/ipse 2. Au
préter, expliquer, appliquer, ne sont pas des séquences décours de l’expérience, il lui échoit de se retrouver
temporelles successives, linéaires et logiques : l’appli- et reconstituer unanimement le pur maintien d’un
cation rétro-conditionne ce qui est à interpréter et à soi a-substantiel, son ipséité et l’identité substantielle
comprendre », écrit G. Charbonneau (1996). de l’idem, celle des rôles, des déterminations phy-
siques et psychiques, ne saurait résumer, comme il
doit recomposer son expérience unitaire dans une
7. Le Comprendre, du point nouvelle configuration de monde.
La dimension de précompréhension que l’her-
de vue de l’anthropologie méneutique permet de circonscrire est ici précieuse
phénoménologique pour tenter de rendre compte du mouvement d’ac-
cueil, d’inclusion et d’intégration de l’expérience
« Le Comprendre », ainsi nominalisé, devient cet dans la totalité. Elle permet, en effet, d’appré-
intransitif qui fait abstraction de ce qu’il produit ou hender comment la totalité toujours-déjà-là est un
de ce qu’il objective. Il n’a plus besoin de complé- dispositif qui pré-possibilise l’expérience, totalité
ments d’objet parce qu’il est l’acte fondamental du qui sera en retour rétroactivement réaménagée à
© Médecine & Hygiène | Téléchargé le 13/01/2024 sur www.cairn.info (IP: 83.159.191.24)

© Médecine & Hygiène | Téléchargé le 13/01/2024 sur www.cairn.info (IP: 83.159.191.24)


rapport au monde. S’ouvre ici une anthropologie partir de l’expérience nouvelle. La psychose en est
qui devient phénoménologique car son objet n’est l’exemple princeps, par défaut : ainsi, l’analyse de
plus seulement l’homme situé dans ses lieux, mais H. Maldiney (1991) sur l’événementialité psycho-
les conditions originaires qui rendent possibles son tique montre comment la schizophrénie est une
expérience et sa situation de monde : la constitution incapacité à accueillir et à intégrer l’événement
de soi, du monde, de l’autre et du corps, et ce dans par l’impossibilité de maintenir sa structure d’ip-
l’arrière-plan temporel de son expérience vive. Ces séité que l’événement a déchirée. Le psychotique
conditions originaires sont celles par quoi l’homme ne parvient pas à se retrouver au décours de l’ex-
constitue les choses en monde, avant leur déposi- périence et s’expose à la double crise du maintien
tion dans les signes. L’anthropologie phénoméno- de soi et du maintien de l’unité de l’expérience.
logique conçoit l’homme comme un être temporel, La clinique phénoménologique abonde de témoi-
dans un constant rapport au monde. Il est pris dans gnages de patients qui disent se sentir autres,
le mouvement du monde, plus exactement dans le selon les lieux, les personnes, les moments, les
mouvement qui le porte vers le monde, par lequel
il se situe, s’oriente, habite, institue et retrouve du 2
Dans son ouvrage Soi-même comme un autre (1990),
sens. Sa relation au monde reste ouverte, jamais Ricœur conçoit l’identité humaine comme une dialec-
définitivement acquise, installée dans le précaire, tique transactionnelle entre deux pôles : l’idem et l’ipse.
l’incertain et l’irrésolu. Ainsi doit-il sans cesse L’idem ressortit aux déterminations substantielles, rôles,
caractères, figurabilités, attributs, prédicats, etc., qui per-
s’impliquer, s’engager et se réengager auprès des mettent de réidentifier un sujet au travers de ses diffé-
choses et auprès du monde. Il lui faut refonder ses rentes occurrences.

131
Psychothérapies

situations. Ou encore comment la perte évidence que réaliser à sa manière la condition humaine, la
naturelle thématisée par Blankenburg est une crise psychose est bien pourtant une manière de l’exister
de la pré-possibilité de l’expérience. Car l’évidence dans la défaillance. La psychose est une expérience
naturelle du monde, sur laquelle l’homme sain ne de choses sans monde, une impossibilité de rassem-
s’interroge jamais, s’inscrit comme une masse ano- bler et de reconstruire les choses en monde, de les
nyme d’évidences, toujours déjà présentes et tou- reconfiguer dans le tout unitaire du sens, comme
jours spontanément oubliées dans nos pratiques. de recomposer au retour de l’expérience l’unité et
Prédonnées à la conscience pensante, antéprédica- le maintien de soi.
tives, elles se constituent dans l’expérience sensible,
à partir d’un maillage implicite de connections et
de renvois. Maillon intermédiaire entre sensible et Conclusion
sens, elles constituent l’infrastructure du symbo-
lique, le creuset du sens potentiel sur lequel le sens Si, comme le voulait Binswanger, c’est dans les
peut s’établir. Elles réalisent ainsi le sol du sens dimensions fondamentales de l’acte d’exister que
commun et assurent spontanément notre vivre les conditions de l’être malade sont à rechercher,
dans le toujours-déjà-là du monde. L’homme sain il reviendra à l’herméneutique et à l’anthropologie
y trouvera son ancrage premier dans un monde phénoménologique de mettre en lumière de quelle
fiable et le fond basal de confiance pour éprouver façon la compréhension et le travail du sens sont
ses vécus et réaliser ses expériences quotidiennes. solidairement liés à cet acte d’exister et participent
L’évidence naturelle constitue, selon Blankenburg de sa constitution originaire. Notre compréhen-
(1971), l’organe de l’expérience par quoi l’homme est sion de l’homme sain, comme nos modélisations
légitimement fondé dans le monde qu’il contribue psychopathologiques d’une part et nos pratiques
en retour à refonder et à instituer par son usage thérapeutiques d’autre part, ont tout à gagner d’une
du monde dans une circularité vertueuse de légi- confrontation avec ces points de vue. D’autant plus
timation3 ; ou à défaut à souffrir d’une illégitimité que dans les modélisations de l’homme que promeut
à exister (Chamond, 1999). La défaillance de l’évi- aujourd’hui la science – l’Homme Neuronal, com-
dence naturelle du monde dans la psychose pourra portemental, l’homme biologique des passions et de
se traduire dans la perplexité que génèrent les plus la raison ou l’homme cognitif, tous ces hommes que
simples choses et par la tentative de refonder en nous sommes, certes, mais pour une partie seule-
vain, artificiellement, des évidences non naturelles ment de notre structuration humaine – ce qui est
© Médecine & Hygiène | Téléchargé le 13/01/2024 sur www.cairn.info (IP: 83.159.191.24)

© Médecine & Hygiène | Téléchargé le 13/01/2024 sur www.cairn.info (IP: 83.159.191.24)


dans le délire ou les rationalisations morbides. oublié, évacué ou occulté n’est rien de moins que
Anne, la patiente schizophrène de Blankenburg, la question du Sens. La science se donnerait-elle
ne comprend pas les choses les plus simples et ne alors comme l’exemple paradigmatique que l’on
dispose pas du s’y entendre à dans le maniement des peut vouloir expliquer et interpréter l’homme sans
objets quotidiens et des rapports humains les plus l’avoir compris ? n
élémentaires. Si selon Sartre, le fou ne fait jamais (Article reçu à la Rédaction le 20.12.2016)

3
L’idem ne dit pourtant rien de la pure ipséité d’un sujet,
laquelle demeure a-substantielle, et assure le maintien
et la continuité du soi, au delà de toutes les identités de
support.

132
« Expliquer, comprendre et interpréter » l’expérience humaine

Summary Constitutive of Hermeneutics, that is to say the art of interpretation: explaining, understanding, inter-
preting are mental operations antinomic or interdependant, depending on the authors, that are
inherant to existence and are founders of the world in a shared universe of meaning. From the per-
spective of phenomenological anthropology which slates the original conditions of living the circu-
larity of understanding is the theme developed by Heidegger revealing the world as having «always already been there».
A world partially constituted before being inderstood, which predisposes us to the possibilities of transformationalexperi-
ences that lend to mankind his existential legitimacy. The author defends the thesis that psychosis, a loss of natural ­evidence
according to Blackenburg, is a crisis of this pre-possibility which the schizophrenic exhaustingly strives to retreive.

Bibliographie
Ast F. (1808) : Eléments de grammaire, d’herméneutique et de Maldiney H. (1991) : De la transpassibilité, in : Penser l’homme et
critique (Landshut, 1808), Préface, in : Critique et herméneu- la folie (pp. 362-425). Grenoble, Millon.
tique dans le premier romantisme allemand (pp. 287-316). Mesure S. (1990) : Dilthey et la fondation des sciences histo-
Paris, Presses Universitaires du Septentrion, 1987. riques. Paris, PUF.
Blankenburg W. (1971) : La perte de l’évidence naturelle. Une Ricœur P. (1990) : Soi-même comme un autre. Paris, Seuil.
contribution à la psychopathologie des schizophrénies pau- Schlegel F. (1800) : De l’impossibilité de comprendre, in : Thouard
ci-symptomatiques. Paris, PUF, 1991. D. : Critique et herméneutique dans le premier romantisme
Chamond J. (1999) : Le temps de l’illégitimité dans la schi- allemand (pp. 263-276). Paris, Presses Universitaires du
zophrénie. Approche phénoménologique. L’Évolution Septentrion, 1987.
Psychiatrique, 64 : 323-335. Schleiermacher F. (1838) : Herméneutique. Genève, Labor et
Charbonneau G. (1994) : Le comprendre. L’Art du Comprendre. Fides, 1999.
Le Cercle Herméneutique, 1 : 14. Thouard D. (1987) : Critique et herméneutique dans le premier
Charbonneau G. (1996) : Entente, interprétations, thérapeutique. romantisme allemand, Paris, Presses Universitaires du
Rencontres d’Eaubonne entre philosophes, médecins, psy- Septentrion.
chiatres et psychologues, 10 octobre 1996. Non publié.
Dilthey W. (1910) : L’édification du monde historique dans les
sciences de l’esprit. Paris, Editions du Cerf, 1988.
Correspondance
Gadamer H.-G. (1960) : Vérité et méthode. Paris, Seuil, 1976. Jeanine Chamond
Grondin J. (1993) : L’universalité de l’herméneutique. Paris, PUF. 18, rue Durand
Hébert-Morlon G. (1994) : Expliquer et comprendre. L’Art du 34000 Montpellier
Comprendre. Le Cercle Herméneutique, 2 : 88-98. France
Heidegger M. (1937) : Être et temps. Paris, Gallimard, 1976. jeanine.chamond@univ-montp3.fr
© Médecine & Hygiène | Téléchargé le 13/01/2024 sur www.cairn.info (IP: 83.159.191.24)

© Médecine & Hygiène | Téléchargé le 13/01/2024 sur www.cairn.info (IP: 83.159.191.24)

133

Vous aimerez peut-être aussi