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La théorie de la récapitulation de Haeckel à Freud

Jacqueline Duvernay Bolens


Dans Topique 2001/2 (no 75), pages 13 à 34
Éditions Association Internationale Interactions de la Psychanalyse (A2IP)
ISSN 0040-9375
ISBN 2913062598
DOI 10.3917/top.075.0013
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La théorie de la récapitulation de
Haeckel à Freud

Jacqueline Duvernay Bolens


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Durant ces dernières années les biographes de Freud ont réévalué l’impor-
tance de la biologie dans la naissance de la psychanalyse en soulignant la
prééminence au XIXe siècle de la théorie de la récapitulation de Haeckel, complè-
tement abandonnée de nos jours1. A cette époque, estime S. Jay Gould, cette
théorie exerçait une puissante influence sur l’ensemble de la psychologie, bien
que cela soit peu connu des historiens, car rares sont ceux qui ont poussé la curio-
sité jusqu’à lire Haeckel et ses contemporains2. Suivant cette voie, j’étudierai ici
le rôle des idées de Haeckel dans le projet freudien d’étendre les mécanismes de
la psyché individuelle à la pensée collective. En passant de l’ontogenèse à la
phylogenèse, Freud fait de la psychologie une science capable de comprendre
non seulement comment se développent les psychonévroses chez l’individu, mais
aussi pourquoi elles sont un caractère spécifique de l’être humain. Remonter à
l’évolution de l’espèce humaine était en effet le moyen pour Freud de généra-

1. La nécessaire distinction méthodologique entre le plan de l’histoire des sciences d’une part
et celui des objectifs actuels de la psychanalyse d’autre part permet de rendre à la biologie le rôle
qui a été le sien aux sources de la pensée freudienne, sans ignorer pour autant l’opposition foncière
qui sépare aujourd’hui la pratique analytique d’une approche biologisante. On trouvera chez Gould
(1977) une analyse scientifique, historique et critique de la théorie de la récapitulation mettant en
évidence ses ramifications dans d’autres champ de la recherche. Voir aussi Sulloway (1998) qui
a, entre autres, souligné le rôle des sexologues darwiniens contemporains, et Ritvo 1992 qui présente
une étude approfondie des rapports de Freud avec le contexte darwinien de son époque.
2. Gould 1977, p. 164. Comme l’auteur le raconte avec humour, il provoqua la perplexité dans
les rangs de ses collègues de Harvard, quand ils apprirent l’objet de son étude. Dans la pensée de
Gould pourtant l’histoire de la récapitulation de Haeckel est un prolégomène à l’étude toujours
actuelle des différentes formes qu’un individu adopte au cours de sa croissance et des changements
évolutifs qu’elles génèrent (Gould, 1988, p. 191).

Topique, 2001, 75, 13-34.


14 TOPIQUE

liser le sens de ses découvertes en leur donnant une portée universelle sans rompre
avec l’évolutionnisme matérialiste de Darwin.
Aujourd’hui le problème se pose de savoir comment remplir le vide laissé
par l’abandon, de la part des biologistes contemporains, de la théorie haeckelienne
de la récapitulation sur laquelle s’appuyait Freud. Que reste-t-il de ses hypothèses
phylogénétiques contre lesquelles se sont élevés tant les anthropologues que les
historiens ? Peuvent-elles survivre et alors à quelles conditions ou faut-il jeter le
bébé avec l’eau du bain ? Enfin pour quelles raisons dans L’homme Moïse et la
religion monothéiste publié en 1939, Freud à la fin de sa vie refusait-il d’aban-
donner les postulats néolamarckiens, inséparables de la théorie de la récapitu-
lation, que cependant la biologie avait condamnés bien avant les années trente
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3. Sur ce point en effet Freud oppose une fin de non recevoir aux biologistes qui

ne veulent « rien savoir de la transmission des caractères acquis aux descendants.


Mais nous avouons en toute modestie que nous ne pouvons malgré tout pas nous
passer de ce facteur dans l’évolution biologique ». Et il donne les raisons de son
attitude : « S’il en est autrement, nous n’avancerons pas d’un pas sur le chemin
où nous nous sommes engagés, ni dans l’analyse ni dans la psychologie des
masses »4.
Pour atteindre l’objectif qu’il s’était fixé, Freud fait du néolamarckisme et
de la récapitulation le lien théorique qui réunit les deux parties de son œuvre, d’une
part les ouvrages consacrés à l’étude du sujet, fondés sur les résultats de ses obser-
vations cliniques, où sont exposées les notions fondamentales de la psychanalyse
– comme par exemple les Trois Essais sur la théorie de la sexualité – et d’autre
part les ouvrages plus théoriques qui relèvent cette fois de l’archéologie de la
psyché collective, comme Totem et Tabou, L’homme Moïse et la religion mono-
théiste ou Malaise dans la civilisation. Or si beaucoup d’auteurs ont insisté sur
le rôle des idées de Lamarck dans cette construction entièrement nouvelle de
Freud, le rôle de la récapitulation est moins connu. Il ne s’agit pas seulement de
remarques faites « en passant » mais bien plutôt de l’armature même de son étude
sur l’histoire de la civilisation5.Dans ces conditions, étant donné la critique radi-
cale à laquelle la théorie de la récapitulation a été soumise de la part des
biologistes, comment alors apprécier le rapport établi par Freud entre psychisme
individuel et psychisme collectif ? Le problème reste ouvert à la discussion,
notamment entre ethnologues et psychanalystes.

3. Le terme néolamarckien, revendiqué au XIXe siècle par une fraction des évolutionnistes,
en particulier les paléontologue américains, désigne ceux qui se refusent à abandonner les idées
de Lamarck concernant l’hérédité des caractères acquis. Ils s’opposent aux néodarwiniens qui adop-
tent une position inverse (Dominique Lecourt, éd., 1999, pp. 558-560).
4. Freud, 1986 [1939], p. 196.
5. On compte plus d’une vingtaine de références à la récapitulation dans l’index thématique
de Delrieu 1997. Gould reconnaît la part qui revient à Sulloway dans cette réévaluation du rôle de
la récapitulation dans la naissance de la psychanalyse (Gould, 1977, p. 156 et note p. 427).
JACQUELINE DUVERNAY BOLENS – LA THÉORIE DE LA RÉCAPITULATION 15
DE HAECKEL À FREUD

LA THÉORIE DE LA RÉCAPITULATION CHEZ ERNST HAECKEL


(1834-1919)

La théorie de la récapitulation est le résultat de la rencontre entre deux


sciences : la théorie évolutionniste de Darwin d’une part et l’embryologie d’autre
part. Pour Darwin il ne fait pas de doute, comme il le dit lui-même dans L’Origine
des Espèces, que l’embryologie est « un des sujets les plus importants de toute
l’histoire naturelle »6. Elle a en effet apporté une contribution inestimable à la
théorie de l’évolution des espèces ou « théorie de la descendance » selon laquelle
toutes les espèces actuelles descendent d’une même espèce ancêtre dont elles se
sont progressivement différenciées au cours du temps en accumulant des carac-
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tères nouveaux. L’embryologie venait confirmer cette théorie de la descendance,
l’étude du développement de l’embryon apportant en effet des informations sur
l’évolution de l’espèce à laquelle il appartient. On était frappé par la ressemblance
qui existe entre les branchies dont est pourvu l’embryon humain à un stade de
son développement et les branchies des poissons. On en concluait que chez les
êtres vivants la succession des stades du développement embryonnaire repro-
duisait fidèlement la série des stades évolutifs qu’avait traversés l’espèce. On
disait alors que le développement de l’embryon « répétait » ou « récapitulait » la
série de ses ancêtres (cf. fig. 1).

6. Darwin, 1985 [rééd. de 1880], pp. 562; voir le schéma de l’évolution, ibid., p. 164-165.
16 TOPIQUE

Les premières observations sur la récapitulation remontent au début du roman-


tisme dans les premières années du XIXe siècle. Les naturalistes de cette époque
s’inspiraient du mouvement d’idées de la Naturphilosophie qui consistait dans
un ensemble de spéculations affirmant que tout est lié dans la nature et qu’une
même loi commande au développement des individus et des espèces. Serres, un
élève d’Étienne Geoffroy Saint Hilaire, traduit l’enthousiasme ressenti par ses
contemporains devant cette preuve évidente de l’unité des êtres vivants : « Je ne
saurais exprimer le sentiment d’admiration que j’éprouvai pour la grandeur de
la création en général et pour celle de l’homme en particulier, quand je vis que
dans un premier temps, le cerveau de l’homme rappelait celui du poisson ; que
dans un second temps, il rappelait celui des reptiles ; dans un troisième, celui de
l’oiseau, et dans un quatrième, celui des mammifères, pour s’élever ensuite à cette
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organisation sublime qui domine toute la nature »7.Acette époque L’Origine des
espèces de Darwin n’avait pas encore paru (elle paraîtra en 1859) et ces premiers
naturalistes n’étaient pas des évolutionnistes. Ils raisonnaient donc en dehors de
la théorie de la descendance. Ils se contentaient de constater l’existence d’un
parallélisme fixe entre d’une part l’ordre d’apparition des formes de l’embryon
et d’autre part la série discontinue des espèces correspondant chacune à une créa-
tion indépendante et immuable conformément à la théorie créationniste de cette
époque. Un peu plus tard, à partir de 1833, Louis Agassiz, le célèbre zoologue
spécialiste des poissons fossiles, fixiste lui aussi, est venu confirmer du poids de
sa grande autorité scientifique les vues récapitulationnistes de ses devanciers.

Dans une deuxième période, ces idées sombrèrent dans l’oubli en même temps
que les spéculations romantiques dont elles étaient issues. Au milieu du siècle,
Darwin les ressuscite sous une forme modifiée et adaptée à la théorie évolu-
tionniste. Dans L’Origine des espèces, il recourt à la récapitulation pour expliquer
le phénomène bien connu des paléontologues qui ont souvent observé que les
caractères morphologiques d’une espèce fossile éteinte survivaient dans les carac-
téristiques de l’embryon de l’espèce actuelle. Pour cette raison « l’embryologie
acquiert un grand intérêt si nous considérons l’embryon comme un portrait plus
ou moins effacé de l’ancêtre commun […] de tous les membres d’une même
classe »8. Cette conservation du portrait de l’ancêtre dans l’embryon s’explique
alors par le fait que généralement l’embryon reste à l’abri des variations adap-
tatives auxquelles l’adulte est exposé dans la lutte pour la survie. Il existe donc
bien pour Darwin « un parallélisme assez exact » entre série paléontologique des
espèces éteintes et développement embryologique des espèces actuelles. Mais
pour les évolutionnistes, contrairement aux créationnistes, ce parallélisme appor-
tait une preuve décisive, parce que directement observable, de la théorie de la
descendance. Et Darwin conclut : « cette manière de voir coïncide admirablement

7. Serres, 1859, pp. 398-399.


8. Darwin, 1985 [1880], p. 575.
JACQUELINE DUVERNAY BOLENS – LA THÉORIE DE LA RÉCAPITULATION 17
DE HAECKEL À FREUD

avec ma théorie [de la descendance]»9. Dans son autobiographie, il se souvient


de cette période féconde où il n’eut pas de plus vive satisfaction que de pouvoir
expliquer pourquoi et comment la forme de l’embryon était différente de celle
de l’adulte. Pourtant c’est à Ernst Haeckel et non à Darwin que cette découverte
fut attribuée. Les historiens parlent d’usurpation, bien que Darwin lui même
admette que nul mieux que Haeckel n’a su mettre en valeur cette loi de la réca-
pitulation et que par conséquent il est naturel que le mérite lui en revienne10.
Le 3 juillet 1874 Flaubert écrivait à George Sand : « Je viens de lire La
Création naturelle de Haeckel. [...] Le darwinisme m’y semble plus clairement
exposé que dans les livres de Darwin même ». Ernst Haeckel était en effet un
admirateur fervent de Darwin et un remarquable vulgarisateur. Il eut en
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Allemagne le même rôle que Huxley enAngleterre, en faisant connaître et triom-
pher l’évolutionnisme, à une époque où la France restait résolument anti-darwi-
nienne. Pour ses contemporains, un ouvrage comme Histoire de la création des
êtres organisés d’après les lois naturelles, paru en 1868 et qui connut plusieurs
rééditions, représentait une mine de données sur le darwinisme11. Haeckel appar-
tient à la génération qui a précédé Freud. Il fait partie, comme Ernst Brücke le
maître de Freud, de l’école du grand physiologiste allemand Helmholtz auquel
Freud dans sa jeunesse vouait une grande admiration. Ce groupe de scientifiques
cherchait à ramener la biologie à des lois physico-chimiques au moyen desquelles
ils pensaient pouvoir découvrir le lien manquant entre monde organique et monde
inorganique. Partant de ces présupposés, Haeckel va développer la version évolu-
tionniste de la théorie de la récapitulation, également nommée loi biogénétique,
en lui attribuant le même statut qu’aux lois des sciences exactes. Le couple de
néologismes ontogénie (ou ontogenèse) et phylogénie (ou phylogenèse) remonte
également à Haeckel qui dissipait ainsi la confusion existant alors avec le mot
évolution employé à la fois pour le développement de l’individu et celui de l’es-
pèce. Haeckel distingue en effet « l’évolution des individus organisés, ce que l’on
appelle habituellement embryologie et qui serait mieux désigné par l’expression
plus juste et plus compréhensive d’ontogénie» et « l’histoire de l’évolution
paléontologique des organismes, que l’on peut appeler histoire des familles orga-
niques ou phylogénie»12.
Haeckel fait enfin partie de cette génération d’évolutionnistes pour qui la
première tâche de la biologie consistait à reconstruire la généalogie de l’ensemble
des êtres vivants en remontant jusqu’à l’origine du monde organique. Il est le

9. Darwin, ibid. pp. 459-460. Il existe cependant des cas où le parallélisme n’est pas respecté,
ainsi quand les larves sont elles-mêmes soumises à des variations qui effacent le portrait de l’an-
cêtre. Pour Darwin, la récapitulation n’a donc pas une portée universelle.
10. Darwin, 1992, p. 109.
11. Paru en français en 1922. Ritvo note qu’en 1873 à l’époque où Freud entre à la faculté de
médecine de Vienne, paraît la quatrième édition de cet ouvrage qui, dans les années suivantes, sera
traduit en huit langues. Sur l’influence de Haeckel à l’époque de Freud : Ritvo, 1992, pp. 53-76.
12. Haeckel, 1922, p. 8.
18 TOPIQUE

premier à figurer l’évolution par un arbre sur les branches duquel sont disposées
toutes les espèces existantes en partant des êtres unicellulaires à son pied pour
remonter jusqu’au sommet où domine l’espèce humaine. S. Jay Gould a mis en
évidence l’idéologie répandue sur les ramifications de cet arbre dont la forme
évasée vers le haut impose l’idée d’une évolution linéaire et progressive. Dans
L’Origine des espèces de Darwin au contraire, le schéma de l’évolution par modi-
fications successives des espèces conserve un caractère purement abstrait.
L’enthousiasme suscité chez Haeckel et ses contemporains par la récapitulation
doit être compris dans le cadre de ce projet grandiose visant à reconstruire l’évo-
lution de tous les êtres vivants et qui semblait désormais réalisable13.
Dans cette atmosphère fiévreuse, poussé par la certitude de toucher au but,
Haeckel fit de la théorie de la récapitulation sa chose. On lit dans l’Histoire de
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la création: « L’ontogenèse est une courte et rapide récapitulation de la phylo-
genèse ou du développement du groupe correspondant, c’est-à-dire de la chaîne
ancestrale de l’individu. [...] Cette connexité intime de l’ontogénie et de la phylo-
génie est l’une des preuves les plus capitales et les plus irréfutables de la théorie
de la descendance », car de l’individu il est désormais possible de remonter à la
chaîne de ses ascendants. Il existe donc entre les deux séries un lien étiologique
qui est le ressort de sa loi biogénétique et consiste dans un rapport de cause à effet
tel que la phylogenèse est la cause de l’ontogenèse. Cette loi est aux yeux de
Haeckel « la loi générale la plus capitale de l’évolution organique » et elle devient
le matériau sur lequel il construit une « échelle du progrès ». Il précise : « Cela
nous explique pourquoi, [...] les groupes animaux et végétaux les plus parfaits
atteignent le plus haut degré de développement dans un temps relativement court,
tandis que les groupes les plus inférieurs, les plus conservateurs, restent immo-
biles à travers la longue série des siècles sur l’échelon inférieur qu’ils occupaient
dans l’origine, ou ne progressent que peu à peu, avec une extrême lenteur ».
Haeckel oppose en effet les espèces inférieures situées dans les premiers stades
de l’évolution aux espèces supérieures situées dans les derniers stades comme
s’opposent, sur le plan ontogénétique, l’enfant à l’adulte qui a terminé sa crois-
sance. De sorte que conformément à la loi de la récapitulation la forme adulte
d’une espèce inférieure correspond à un stade juvénile d’une espèce supérieure.
Ainsi les branchies de l’espèce inférieur des poissons se retrouvent dans l’em-
bryon de l’espèce supérieure des êtres humains14.
Le problème qui occupa toute la fin du XIXe siècle était de comprendre
comment fonctionnait cette loi de la récapitulation dans le cadre de la théorie
évolutionniste, autrement dit, quelle était l’explication du déplacement par lequel

13. Pour une critique de l’arbre généalogique de Haeckel voir Gould, 1982, pp. 283-297; et
1991, pp. 343-347.
14. Haeckel, 1922, pp. 224-226. La notion de progrès est en contradiction avec l’évolution-
nisme de Darwin dont le cours reste imprévisible. Cette vision hiérarchisée des êtres vivants a
constitué le support idéologique des classifications raciales dont Haeckel a été un fervent partisan
(Haeckel, ibid., pp. 508-537 et 557-562); sur la place de Haeckel dans les classifications raciales,
cf. J. Duvernay Bolens, 1995, pp. 291-321.
JACQUELINE DUVERNAY BOLENS – LA THÉORIE DE LA RÉCAPITULATION 19
DE HAECKEL À FREUD

la forme d’un ancêtre adulte (sur l’axe phylogénétique) rétrogradait dans un stade
juvénile des descendants (sur l’axe ontogénétique). Ou encore pour quelles
raisons les caractères de l’espèce des poissons (qui font partie des ancêtres de
l’humanité dans l’évolution des vertébrés) se retrouvent à un stade de dévelop-
pement de l’embryon humain. Il faut alors faire intervenir deux principes
d’explication.
Le premier principe consiste dans un allongement de l’ontogenèse des descen-
dants qui héritent des caractères phylogénétiques acquis par les ancêtres adultes
(comme il en va par exemple de l’accroissement de la fourrure acquis par une
espèce animale en réponse au besoin créé par un refroidissement du climat, et
dont les descendants hériteront). Ces caractères acquis viennent alors s’addi-
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tionner aux stades terminaux de leur ontogenèse. Mais comme l’ontogenèse ne
peut s’allonger indéfiniment sous peine que l’individu ne parvienne jamais à l’âge
adulte, on assiste alors à un mécanisme correcteur qui consiste cette fois dans
un raccourcissement de l’ontogenèse.
Le deuxième principe, dit de condensation, consiste en effet dans un resser-
rement de l’ensemble des stades ontogénétiques de manière à laisser de la place
pour les stades nouvellement acquis. En général ce processus de resserrement
se traduit par une accélération où les descendants traversent plus rapidement les
stades évolutifs de leurs ancêtres. On remarquait ainsi que la robe des jeunes
chenilles d’une espèce arboricole comportait des raies blanches, sans utilité appa-
rente, et qui disparaissaient chez les adultes. En réalité ces raies blanches
constituaient un caractère adaptatif chez leurs ancêtres adultes qui appartenaient
à un espèce terrestre. De l’espèce terrestre primitive à l’espèce arboricole, des
ancêtres à leurs descendants, les raies blanches subissaient alors un refoulement
des stades adultes vers les stades juvéniles15.
Le phénomène d’accélération du développement, consécutif à la récapitula-
tion, était considéré comme le moteur de l’évolution par le grand paléontologue
américain Edward Drinker Cope, qui régnait sur l’évolutionnisme à la fin du XIXe
siècle. Il restait persuadé que l’évolution suivait imperturbablement un mouve-
ment progressiste. Ce qui n’est bien sûr pas le cas. Mais on avait tendance à cette
époque à penser l’évolution sur le modèle de l’échelle du progrès de Haeckel.
Aussi considérait-on comme exceptionnel, voire anormal, les cas où l’on obser-
vait non une accélération, mais un ralentissement du développement ontogéné-
tique. Dans ce cas le développement s’arrête avant d’avoir atteint les stades termi-
naux de l’ontogenèse et tend à se rapprocher des stades embryonnaires primi-
tifs. On parlait alors d’arrêts de développement, en donnant à ce terme une signi-
fication fortement péjorative.

15. Sur le mécanisme de la récapitulation dans sa version évolutionniste, voir Gould 1977,
pp. 74-85. En interprétant les caractères morphologiques non fonctionnels comme des vestiges
ancestraux, la récapitulation permettait d’expliquer la présence de caractères sans valeur adapta-
tive qui semblaient contredire la théorie de la sélection naturelle des variations utiles.
20 TOPIQUE

Enfin l’ensemble du dispositif de la récapitulation fonctionnait sur des postu-


lats néolamarckiens. Car l’ontogenèse ne peut récapituler la phylogenèse qu’à
la condition que les caractères adaptatifs acquis par les adultes au cours de leur
vie soient transmis héréditairement à leurs descendants conformément aux prin-
cipes de Lamarck. Pour cette raison tous les naturalistes du temps, Haeckel y
compris, étaient de fervents néolamarckiens. On expliquait alors le processus
héréditaire des caractères acquis en le comparant au fonctionnement de la
mémoire qui est fortifiée par la répétition. Les caractères phylogénétiques
transmis héréditairement s’imprimaient donc d’autant plus fortement dans le
développement ontogénétique des descendants que le stimulus était rendu plus
intense par la répétition. L’ontogenèse, en récapitulant la phylogenèse, devenait
ainsi rien de moins que la mémoire du passé de l’espèce. La récapitulation a donc
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beaucoup contribué à renforcer la représentation de l’hérédité comme une
mémoire16.

LA RÉCAPITULATION CHEZ FREUD

Lamarck se trouvait devant un problème difficile à résoudre à une époque où


la sélection naturelle n’était pas encore découverte. Comment en effet expliquer
le processus par lequel les variations du milieu font naître de nouveaux carac-
tères adaptatifs chez les êtres vivants, comme par exemple dans le cas déjà cité
où l’apparition, chez les animaux, d’une fourrure plus épaisse répond au besoin
créé par un refroidissement du climat ? Lamarck considérait la volonté et le désir
des animaux comme un facteur déterminant dans l’acquisition de ces nouveaux
caractères évolutifs. Ce qui suscitait les sarcasmes de Darwin : « Le ciel me
préserve des sottes erreurs de Lamarck » écrivait-il à son ami, le botaniste Hooke
17. Freud, quant à lui, n’a pas dédaigné s’arrêter un temps à ces idées. Pendant la

première guerre, il a formé le projet de publier avec Ferenczi une étude sur
Lamarck. Ce projet est resté sans lendemain, mais il a inspiré à Ferenczi la recons-
truction phylogénétique de l’humanité dans son étude sur Thalassa. Psychanalyse
des origines de la vie sexuelle, parue dix ans plus tard en 1924. Auparavant, en
1917, Freud avait écrit àAbraham : « C’est une idée que nous avons eue Ferenczi
et moi […] Notre intention est de fonder entièrement les idées de Lamarck sur
nos propres idées et de montrer que son concept de « besoin » qui crée et modifie
les organes n’est rien d’autre que le pouvoir qu’ont sur le corps les idées incons-
cientes […], bref « la toute puissance des idées ». La finalité s’expliquerait alors
réellement par la psychanalyse ; ce serait l’achèvement de celle-ci »18.
J’ignore si Freud a été conduit à la récapitulation par la lecture de Lamarck.

16. Sur la représentation de l’hérédité comme mémoire voir Gould 1977, pp. 85-96.
17. Cité par Ritvo 1992, p. 79. Sur les rapports de Darwin, Lamarck et Freud voir Ritvo ibid.,
pp. 77-115.
18. Cité par Ritvo, ibid., p. 113.
JACQUELINE DUVERNAY BOLENS – LA THÉORIE DE LA RÉCAPITULATION 21
DE HAECKEL À FREUD

Toujours est-il que dans les Trois Essais sur la théorie de la sexualité, il s’ap-
puiera sur la récapitulation pour approfondir son approche de l’étiologie des
névroses. La loi biogénétique va devenir un instrument avec lequel il s’oppose
au primat incontesté accordé à l’hérédité par ses contemporains19. L’analyse de
ses patients l’avait convaincu au contraire de l’importance des événements vécus.
En 1915, dans la préface de la troisième édition aux Trois Essais, il établit d’em-
blée que dans son étude du comportement sexuel de l’individu, il donne la priorité
à l’ontogenèse sur la phylogenèse, aux facteurs externes du milieu sur les facteurs
héréditaires et à la clinique sur la biologie. Si « l’ontogenèse peut être considérée
comme une récapitulation de la phylogenèse, pour autant que celle-ci n’est pas
modifiée par un vécu plus récent » alors c’est la psychanalyse qui peut fournir
des informations à la biologie et non le contraire20. Partant de l’évolution sexuelle
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de l’individu le psychanalyste aidera le biologiste à reconstruire les étapes de
l’évolution de la libido humaine.
Dans un texte remontant à cette même année 1915, Freud constate cependant
que l’ordre, toujours le même, dans lequel apparaissent les psychonévroses au
cours de la vie, ne coïncide pas avec la succession des stades du développement
libidinal tel que le décrivent les Trois Essais. Il se tourne alors vers la phyloge-
nèse malgré la difficulté, jusque-là restée invincible, qu’il y a à « saisir dans une
vue d’ensemble dans quelle mesure [la question de] la disposition phylogéné-
tique peut contribuer à la compréhension des névroses ». Freud s’engage alors
sur une voie dont il reconnaît qu’elle relève de l’ordre de la « fantaisie ».
Abandonnant momentanément la rigueur scientifique qui lui est habituelle, il
s’inspire de Ferenczi pour établir une relation de cause à effet entre d’une part
l’ordre d’apparition successive des différentes psychonévroses chez les individus,
et d’autre part la série, phylogénétique cette fois, constituée par les étapes
traumatiques qui ont marqué l’évolution de l’humanité depuis les temps préhis-
toriques. On ne peut plus ignorer l’arrière-plan phylogénétique formé par les
expériences acquises par les ancêtres et transmises à leurs descendants au titre
de facteurs constitutionnels. Qu’il s’agisse de l’expérience vécue par l’individu
ou d’une autre expérience, celle vécue par les ancêtres, on ne peut, dans l’étio-
logie des névroses, séparer les facteurs ontogénétiques et phylogénétiques entre
lesquels « il semble plutôt qu’une complémentarité soit indispensable ». Les
névroses sont donc « un témoignage de l’histoire du développement psychique
de l’humanité » au même titre que les tendances du moi ou les tendances sexuelles.
Mais dans ce dernier cas le développement phylogénétique est plus archaïque :
« On a l’impression que l’histoire du développement de la libido répète une

19. Voir les remarques éclairantes de Patrick Lacoste (in Freud 1986 [1915], p. 170-172) sur
la phylogenèse freudienne qui, « aussi surprenant que cela puisse paraître, n’est pas directement
assimilable à la question de l’hérédité ». Chez Freud, la théorie de la libido ramène en effet l’étio-
logie des névroses à des causes psychiques. La notion de constitution sexuelle est alors bâtie sur
le concept de pulsion dont « les destins sont à resituer dans le cadre du destin de l’espèce ».
20. Freud 1987 [1915], p. 29.
22 TOPIQUE

séquence beaucoup plus ancienne du développement [phylogénétique] que ne


le fait l’histoire du développement du moi ; la première répète peut-être les condi-
tions de développement de l’embranchement des vertébrés, tandis que la seconde
est dépendante de l’Histoire de l’espèce humaine ». On retrouve ici le schéma
de la récapitulation avec en abscisse les étapes ontogénétiques du développement
sexuel tel que l’expose les Trois essais, et en ordonnée les stades d’évolution des
vertébrés21.
Cet ensemble de réflexions a amené Freud à développer son œuvre au double
plan du développement psychique de l’individu, de l’enfance jusqu’à l’âge adulte
d’une part, et d’autre part de l’évolution de la psyché collective depuis le début
de l’histoire de la civilisation. Une grande partie de son œuvre se situe au croi-
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sement des deux axes ontogénétique et phylogénétique. Voyons d’abord comment
il établit l’axe ontogénétique.
Partant des traces laissées chez ses patients par les traumatisme de la petite
enfance, Freud commence par établir l’ontogenèse des stades prégénitaux, oral,
anal, puis les stades génitaux en distinguant les deux poussées de la sexualité entre
lesquelles prend place le stade de la période de latence. On découvre dans les Trois
Essais sur la théorie de la sexualité comment s’est faite cette mutation entre son
expérience clinique et la reconstitution de l’axe horizontal ontogénétique du déve-
loppement de l’individu : « Devant le fait, dès lors reconnu, que les penchants
pervers étaient largement répandus, l’idée s’imposa à nous que la prédisposition
aux perversions était la prédisposition originale et universelle de la pulsion
humaine […]. Nous espérions dégager la prédisposition originelle dans l’en-
fance »22. Le développement psychosexuel de l’enfant fournit à Freud un modèle
d’intelligibilité du comportement de ses patients.
Quand à l’axe vertical de la phylogenèse, Freud le construit progressivement
tout au long des ouvrages qu’il consacre à l’histoire de la psyché collective depuis
l’origine de l’humanité. Il fixe la succession des étapes par lesquelles évolue la
psyché collective en se fondant sur leur récapitulation dans le développement
ontogénétique de l’individu. En sens inverse c’est la phylogenèse qui est à l’ori-
gine des stades ontogénétiques comme le prévoit la loi de Haeckel selon laquelle
la phylogenèse est la cause de l’ontogenèse. Freud, dans les dernières pages des
Trois Essais, admet à son tour que « L’ordre dans lequel les différentes motions
pulsionnelles sont activées et le temps pendant lequel elles peuvent se manifester
[…] semble phylogénétiquement établi » même si la succession des pulsions peut
varier23. Dès lors Freud mènera de front ses recherches sur la psyché individuelle
et sur la psyché collective. Tout le versant de l’œuvre de Freud consacré à la
psyché collective se construit en effet sur la connexion étroite qui dans la loi biogé-
nétique de Haeckel, unit l’axe ontogénétique et l’axe phylogénétique. On obtient

21. Freud 1986 [1915], pp. 28-32.


22. Freud 1987 [1905], pp. 179-180.
23. Freud ibid., pp. 193-194.
JACQUELINE DUVERNAY BOLENS – LA THÉORIE DE LA RÉCAPITULATION 23
DE HAECKEL À FREUD

alors un schéma qui aboutit à l’âge adulte sur l’axe ontogénétique et à l’appari-
tion de la civilisation sur l’axe phylogénétique.

LA VERTICALISATION DE L’HOMME

Le premier stade phylogénétique de l’humanité concerne l’acquisition par


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l’homme de la station verticale. Dès le début de sa carrière, et parallèlement à


ses découvertes proprement psychanalytiques, Freud a été amené à s’intéresser
à la phylogenèse. Déjà dans une lettre à Fliess datée de 1897 il décrit le rôle du
refoulement des sensations olfactives dans les névroses, en faisant remonter ce
processus à l’aube de l’humanité, plus précisément à l’époque où en acquérant
la bipédie l’humanité s’est séparée de l’animalité24. Il confie alors à son ami qu’il
ne céderait à personne la priorité de cette idée. Il reviendra à plusieurs reprises
sur ce moment crucial de l’hominisation, entre autres dans les différentes éditions
des Trois Essais et en 1929 dans Malaise dans la civilisation. Freud se montre
convaincu que pour trouver les origines de ce refoulement organique, « il faudrait

24. Freud 1996, pp. 205-206.


24 TOPIQUE

remonter à la préhistoire du genre humain »25. L’acquisition de la bipédie est en


effet une étape phylogénétique décisive. L’adoption de la position verticale en
éloignant l’homme du sol, à la différence des quadrupèdes, entraîne une série de
transformations qui sont à l’origine des particularités de la sexualité humaine.
De l’odorat à la vue, le changement de stimulus sexuel affranchit la sexualité de
son caractère périodique, incite à resserrer les rapports sexuels dans des liens fami-
liaux et en définitive fournit l’explication d’institutions, telles l’isolement
périodique des femmes et le tabou sur les règles féminines, qui vient renforcer
le refoulement de la sexualité bestiale.
Si les intuitions de Freud sur l’importance majeure de l’acquisition de la posi-
tion verticale de l’homme rejoignent les vues actuelles des biologistes, elles
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n’étaient cependant pas courantes à une époque où les contemporains privilé-
giaient l’accroissement de la taille du cerveau pour expliquer le départ de
l’humanité dans l’évolution. En revanche sur ce point Haeckel, et Engels à sa
suite, faisaient partie du petit nombre des précurseurs de Freud26. Celui-ci étaye
ses vues phylogénétiques sur ses découvertes cliniques. La psychanalyse a bien
quelque chose à apprendre à la biologie, comme en témoigne par exemple l’ap-
parition chez le petit enfant des premières manifestations de dégoût, de honte et
de pudeur qui se manifestent spontanément et indépendamment de l’éducation,
en même temps que l’acquisition de la propreté. Auparavant le petit enfant est
insensible à la pudeur. Il faut donc considérer ce nouveau sentiment de dégoût
suscité par les mauvaises odeurs comme un vestige de ce qui dans l’homme est
« organiquement préformé ». Sur ces vestiges vont s’élever, pendant la période
de latence, les digues qui feront obstacle au retour des tendances dépassées de
l’érotisme anal. Ces digues protectrices, qui se développent au dépens des
tendances sexuelles, exerceront plus tard un contrôle sur les pulsions sexuelles.
Modifiant en profondeur le comportement de l’enfant, ces défenses inhibent les
prédispositions perverses polymorphes des premières années27.
Dans Malaise dans la civilisation Freud complète son analyse en en réunis-
sant les deux volets phylogénétique et ontogénétique : d’abord celui de
l’acquisition par l’espèce humaine de la bipédie où l’homme debout sur ses deux
pieds et débarrassé d’une sexualité animale peut se consacrer à sa famille, et
ensuite celui de l’apprentissage par l’individu des premiers rudiments de la mora-
lité qui sont le fondement de la vie sociale. Conformément au modèle de la
récapitulation, les défenses qu’acquiert l’enfant contre les tendances pulsionnelles
du stade anal sont les « sédiments historiques des inhibitions externes auxquelles
la pulsion sexuelle a été soumise au cours de la psychogenèse [phylogenèse] de
l’humanité »28. En 1920, Freud ajoute dans les Trois Essais : « A notre connais-

25. Freud 1987 [1905], p. 184.


26. Sur l’historique de discussions concernant la verticalisation de l’homme, voir Gould 1982,
pp. 143-152.
27. Freud 1987 [1905], p. 99-100, 119-120 ; Freud 1978 [1929], pp. 46-48 et 49-51, 58-59 où
le refoulement olfactif et ses conséquences fait l’objet de deux longues notes.
JACQUELINE DUVERNAY BOLENS – LA THÉORIE DE LA RÉCAPITULATION 25
DE HAECKEL À FREUD

sance, rien d’analogue ne peut être démontré chez les animaux apparentés à
l’homme »29. La barrière qui sépare l’homme de l’animal se situe bien dans cette
organisation, si particulière à l’homme, du développement de la sexualité géni-
tale en deux pics séparés par une période de latence.
Sur le schéma (fig. 2), le stade anal sur l’axe ontogénétique se relie donc par
une ligne oblique au stade de la verticalisation de l’homme préhistorique sur l’axe
phylogénétique. Dans Malaise Freud brosse un rapide panorama des jalons qui
suivent l’époque préhistorique de la verticalisation fondatrice de l’humanisation
de nos ancêtres simiens. Comme l’individu au cours de son développement est
contraint d’inhiber une partie de ses pulsions pour accéder à la honte et à la pudeur,
de même l’histoire de la civilisation se développe au prix d’énormes sacrifices
imposés à la sexualité et à l’agressivité pour ne pas régresser à des stades anté-
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rieurs. Il faut ensuite lire Totem et Tabou pour suivre Freud dans son analyse des
stades suivants de la progression de l’humanité.

TOTEM ET TABOU

Le deuxième stade phylogénétique de l’humanité concerne l’apparition des


premières institutions dans la société totémique. Le problème de la rigueur morale
à laquelle s’astreignent les sauvages est au cœur de Totem et Tabou. De fait, la
chronologie des ouvrages de Freud ne correspondant pas avec la succession des
stades de l’évolution de la civilisation qu’ils décrivent, c’est près de 15 ans avant
Malaise dans la civilisation que paraît Totem et Tabou écrit dans l’enthousiasme.
« C’est la plus osée des entreprises dans lesquelles je me sois jamais lancé », écrit
Freud à Jones le 9 avril 1913. Et le 1er mai 1913, à Ferenczi : « Quelque chose
me dit que j’ai raison. Depuis l’interprétation des rêves je n’ai rien écrit avec plus
de conviction »30. Freud, dans la préface de ce livre, a en effet conscience que le
sujet, explicité dans le sous-titre « Interprétation par la psychanalyse de la vie
sociale des peuples primitifs », est « entièrement neuf » et que c’est bien « la
première tentative d’appliquer les données de la psychanalyse à la psychologie
collective ». On mesure en effet l’originalité du propos si on se rappelle que
l’année précédente, en 1912, Durkheim venait de publier ses Formes élémentaires
de la Vie religieuse, qui soutiennent une thèse radicalement opposée, selon
laquelle la logique de la pensée collective obéissait à des lois spécifiques entiè-
rement étrangères à la finalité de la pensée individuelle. Le divorce était
consommé entre ethnologie et psychanalyse.
Si l’on comprend assez bien les raisons pour lesquelles Freud s’est intéressé
au tabou, qu’il compare à plusieurs reprises au caractère impératif et immotivé
du cérémonial de la névrose obsessionnelle, les raisons de son intérêt pour le toté-

28. Freud 1987 [1905], p. 75 note 1 (ajoutée en 1915).


29. Freud, ibid., p. 184.
30. Jones 1988 [1961] , vol. II, p. 376.
26 TOPIQUE

misme paraissent de prime abord moins claires. Car l’étude des institutions d’une
société primitive semble très éloignée de l’intérêt qu’il portait à l’Antiquité par
exemple. La réponse se trouve dans l’analyse du petit Hans où Freud découvre
la signification des liens étroits qui lient l’être humain et l’animal. La clinique
est le premier pilier sur lequel repose l’explication du totémisme. La mise au jour
des causes psychiques de la phobie du petit Hans à l’égard des chevaux permet
de comprendre les besoins psychiques qui sont à l’origine du totémisme. Le
mélange d’amour et de haine envers l’animal est une projection de l’ambivalence
des sentiments à l’égard du père, qu’il s’agisse de celui du petit Hans ou de l’an-
cêtre totémique considéré comme le père du clan totémique. Là réside
l’explication des deux tabous qui pour Freud représentent le trait caractéristique
du totémisme et qui ont retenu son attention, d’une part le tabou de tuer l’animal
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totem et d’autre part le tabou de l’inceste à l’intérieur du clan. L’extension de l’in-
terdit de l’inceste à l’ensemble du clan totémique représentait pour les
ethnologues du XIXe siècle un véritable casse-tête pour lequel ils n’avaient pas
vraiment de réponse. Dans le schéma œdipien de Freud cette extension témoigne
de l’extrême sévérité de la morale sexuelle des sauvages venant en aide aux
carences d’un refoulement encore insuffisamment développé et demeuré à l’état
infantile. Cette phobie de l’inceste, comme la nomme Freud, est une survivance
de l’état social qui régnait chez les hommes préhistoriques après qu’ils eurent
acquis la bipédie. Ainsi les sauvages actuels marquent un arrêt dans la marche
vers la civilisation, qui correspond au stade œdipien dans le développement de
l’individu.
Mais Freud n’en reste pas là. La lecture enthousiaste qu’il fait de La religion
des anciens Sémites de l’ethnologue Robertson Smith, et tout particulièrement
de la description d’un repas sacrificiel chez les anciens Sémites constitue le second
pilier de sa théorie du totémisme. Freud voit en effet dans ce sacrifice le modèle
du repas totémique où la chair de l’ancêtre est rituellement consommée dans une
cérémonie au cours de laquelle les liens du sang sont réactivés chez les membres
de la tribu. Des manifestations sociales de deuil suivies d’une fête joyeuse confir-
ment le caractère ambivalent des sentiments qui s’attachent à l’ancêtre. Cette
célébration prend alors toute sa signification dans la reconstitution freudienne
de l’humanité primitive dont les sauvages actuels ne présentent que des survi-
vances. Le meurtre de l’ancêtre animal constitue en effet l’acte central de cette
phase cruciale de l’histoire sociale au cours de laquelle la horde primitive recons-
tituée d’après le modèle fourni par Darwin va se transformer dans le premier état
de la société pacifique des frères. On a donc affaire à un second palier drama-
tique de l’histoire de la civilisation qui va laisser des traces ineffaçables parce
que le meurtre du père engendrera un processus d’expiation interminable où la
culpabilité sera constamment alimentée par le retour des sentiments parricides.
Ce traumatisme œdipien a irrémédiablement marqué l’évolution de la société
où il se répète sous des formes différentes : d’abord sous la forme d’un acte réel
perpétré à l’aube préhistorique de l’humanité, ensuite sous forme d’un rite, dans
le sacrifice de l’ancêtre animal, au stade de la société totémique représentée par
JACQUELINE DUVERNAY BOLENS – LA THÉORIE DE LA RÉCAPITULATION 27
DE HAECKEL À FREUD

les sauvages actuels, et enfin, au stade des sociétés antiques, sous la forme
sublimée que lui donne Sophocle dans Œdipe roi. Production transculturelle de
la pensée collective, le stade œdipien correspond, au niveau phylogénétique, à
différents stades d’évolution des sociétés non européennes qui tous renvoient à
l’ontogenèse de l’enfant civilisé. Sur le schéma (fig. 2) une ligne oblique réunit
donc le stade œdipien sur l’axe ontogénétique et le stade totémique sur l’axe
phylogénétique. On retrouve la relation établie par la théorie de la récapitulation
entre un stade du développement de l’enfant et un stade d’évolution de la société.

L’HOMME MOÏSE ET LA RELIGION MONOTHÉISTE


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Le troisième stade phylogénétique de l’humanité est développé en 1939, dans
L’homme Moïse et la religion monothéiste. Il s’inscrit dans la continuité de Totem
et Tabou par delà la ligne de démarcation qui sépare la préhistoire de l’histoire.
Répétition en effet du meurtre du père primitif, le meurtre de Moïse atteste le
caractère ineffaçable du traumatisme subi par l’humanité ancestrale. Moïse repré-
sente en effet une des nombreuses formes substitutives de la figure du père qui
hante toute l’histoire des religions. Le second élément déterminant de cette
histoire consiste dans l’oubli de ce second parricide. L’exemple du mécanisme
de la névrose sert ici de modèle d’intelligibilité aux phénomènes religieux qui
peuvent lui être comparés. Seul le retour du refoulé qui succède à une époque de
latence peut expliquer le caractère impérieux d’un délire chez le névrosé comme
le caractère obsédant avec lequel s’impose une tradition religieuse. Dans l’his-
toire du peuple juif telle que la reconstitue Freud, la religion mosaïque émerge
de la longue époque de refoulement qui a suivi le meurtre de Moïse et fait triom-
pher les idées que l’on avait d’abord si violemment combattues.
On sait que le développement de tout individu est interrompu par une période
de latence intermédiaire entre les deux poussées de la sexualité génitale, l’une
située entre trois et cinq ans et l’autre à la puberté. Ce caractère ternaire du déve-
loppement sexuel, qui est un caractère spécifique de l’homme, serait selon Freud
la récapitulation ontogénétique d’un fait évolutif archaïque. L’être humain serait
en effet descendu d’une espèce qui aurait atteint sa maturité sexuelle à cinq ans.
L’organisation génitale de l’homme qui en est résultée constitue alors une prédis-
position à la névrose, en favorisant l’oubli d’événements traumatisants de la
première phase de la génitalité. Refoulés pendant la période de latence, ils resur-
giront inexorablement dans les déformations des symptômes névrotiques. Le
même mécanisme s’applique par analogie, déclare Freud, à l’origine du mono-
théisme après la période de latence qui a suivi le meurtre de Moïse : « Nous
invitons à présent le lecteur à faire un pas de plus pour admettre que dans la vie
de l’espèce humaine il s’est produit des processus analogues à ceux qui ont lieu
dans la vie des individus. […] Nous croyons pouvoir deviner ces processus et
voulons montrer que leurs conséquences, qui ressemblent à des symptômes, sont
les phénomènes religieux »31. Dans ces conditions, si d’une part le développe-
28 TOPIQUE

ment génital de l’individu récapitule la période infra-humaine où l’homme se


confondait avec une espèce animale sexuellement développée à cinq ans, d’autre
part l’organisation si complexe de la sexualité humaine, seule dans le règne animal
à faire intervenir une période de latence, devient un facteur déterminant commun
aussi bien à l’apparition des phénomènes mentaux pathologiques qu’aux
constructions les plus sublimes de la vie religieuse. Sur le schéma (fig. 2) on peut
donc réunir par une ligne oblique la période du développement de l’enfant corres-
pondant à la période de latence sur l’axe ontogénétique, et l’origine du
monothéisme sur l’axe phylogénétique.
Dans un chapitre intitulé « point épineux » Freud soulève le problème posé
par la transposition de la psychologie individuelle à la psychologie collective.
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En admettant que l’individu hérite du bagage mental constitué par les expériences
acquises par ses ancêtres, la théorie de la récapitulation viendrait légitimer la
notion de mémoire de l’humanité. Car comment, sinon, expliquer la persistance
dans un peuple d’une tradition millénaire qui à travers l’histoire de Moïse remonte
à la préhistoire ? La réponse réside ici encore dans la comparaison avec l’indi-
vidu chez qui existent indéniablement des traces mnésiques inconscientes
d’événements refoulés qui se conservent cependant dans toute leur fraîcheur. Pour
Freud l’existence d’une mémoire phylogénétique fournit une explication aux
comportements spontanés et sans aucun rapport avec les événements vécus qu’on
observe parfois chez les enfants. Que ce sujet soit resté pour lui une source perma-
nente de réflexion, on en trouve encore la preuve dans l’Abrégé de psychanalyse
qui rassemble ses derniers écrits. La catégorie spécifique de rêves, dont les
contenus sont étrangers aussi bien à la vie adulte qu’à l’enfance du rêveur, comme
les légendes et les coutumes les plus anciennes de l’humanité où on découvre des
éléments qui correspondent à ce matériel phylogénétique, font partie de cet « héri-
tage archaïque, résultat de l’expérience des aïeux, que l’enfant apporte en naissant,
avant toute expérience personnelle ». Pour cette raison, le rêve devient chez Freud
« une source appréciable de renseignements sur la préhistoire humaine »32. Ces
traces mnésiques ne se limitent donc pas seulement à des événements trauma-
tiques que l’individu a refoulés au cours de son développement, mais elles se
changent sur le plan phylogénétique de l’histoire des peuples en contenus idéa-
tifs résultant d’expériences faites par les générations antérieures.
Pour Freud, admettre l’existence de ces traces mnésiques dans notre hérédité
archaïque est le seul moyen de jeter « un pont par dessus le fossé qui sépare la
psychologie individuelle de la psychologie des masses », et de traiter les peuples
de la même manière que l’individu névrosé. Partant des analyses de Darwin sur
les instincts des animaux, Freud en déduit que la mémoire archaïque n’a pas une
fonction différente dans l’humanité :
« Si ce qu’on nomme les instincts des animaux, instincts qui leur permettent

31. Freud 1986 [1939], pp. 169-170.


32. Freud 1998 [1938], p. 30-31.
JACQUELINE DUVERNAY BOLENS – LA THÉORIE DE LA RÉCAPITULATION 29
DE HAECKEL À FREUD

de se comporter dès le départ dans une situation de vie nouvelle comme si c’était
une situation ancienne depuis longtemps familière, si cette vie instinctive des ani-
maux admet une explication quelconque, ce ne peut être que celle-ci : qu’ils
apportent dans leur existence nouvelle d’individus les expériences de leur espèce,
donc qu’ils ont conservé en eux de ce qui avait été vécu par leurs ancêtres. Il n’en
n’irait pas autrement de l’animal homme. Son propre héritage archaïque cor-
respond aux instincts des animaux, même s’il diffère par son ampleur et son
contenu »33.
Le vibrant plaidoyer en faveur du néo-lamarckisme que Freud développe dans
L’homme Moïse et la religion monothéiste, a fait couler beaucoup d’encre. Des
psychanalystes en ont donné plusieurs explications. Ainsi I. Grubrich-Simitis
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invoque tout d’abord le témoignage de Freud lui-même qui avoue ne pouvoir
envisager le rôle écrasant qui revient à la violence dans le développement de l’in-
dividu et qui renaît à chaque génération (peur de la castration, culpabilité du
complexe d’Œdipe) sans lui donner un fondement biologique ancré dans « une
trace mnésique phylogénétique », remontant à l’époque de la famille primitive
dominée par un père haïssable. Pour I. Grubrich-Simitis l’expérience traumatique
de la réalité, telle que Freud dans sa jeunesse la conçoit dans l’étiologie de l’hys-
térie, sera plus tard déplacée de l’ontogenèse à la phylogenèse. Ici donc les idées
de Lamarck pourraient constituer un lien entre deux étapes de la pensée de Freud
en jetant un pont par dessus le fossé qui sépare la psychologie individuelle de la
psychologie collective34.
L’homme Moïse et la religion monothéiste est resté une énigme pour les histo-
riens. «Credo quia absurdum» en effet, reprend à son tour Y.H. Yerushalmi en
retournant à Freud les termes que celui-ci applique à la force irrationnelle avec
laquelle s’imposent les croyances religieuses. Dans son livre sur Le Moïse de
Freud. Judaïsme terminable et interminable, Y.H. Yerushalmi consacre le très
beau dernier chapitre à un monologue adressé à celui qu’il nomme « Cher et très
honoré Professeur » dans lequel il propose une solution d’ordre subjectif :
« Le fait même que vous ayez décidé de poser l’existence d’un patrimoine
archaïque inconscient, issu du vécu historique de nos ancêtres et transmis « indé-
pendamment d’une communication directe et de l’influence de l’éducation par
l’exemple », m’apparaît du plus haut intérêt. Je suis convaincu que vous y croyez
vraiment ; ce postulat remonte à votre période Fliess, et on peut en suivre la trace
jusqu’à la fin de votre vie. Mais je suis presque autant persuadé qu’il répond chez
vous à un profond besoin psychologique. En effet, si un « caractère national » (la
formule est de vous) peut vraiment se transmettre « indépendamment d’une com-

33. Freud (1986 [1939], p. 196-197) se réfère à L’expression des émotions chez l’homme et
les animaux de Darwin paru en 1872. Pour Darwin l’instinct est un comportement qui a été d’abord
acquis en raison de son utilité avant que l’habitude ne le transforme en automatisme indépendant
de la volonté. Voir « Raison et sentiment chez Darwin », préface par J. Duvernay Bolens, à l’édi-
tion française (1998).
34. Grubrich-Simitis, in Freud 1986 [1915], p. 140-141.
30 TOPIQUE

munication directe et de l’influence de l’éducation par l’exemple », alors cela


signifie que « la judeïté » peut se transmettre indépendamment du « judaïsme »,
que la première est interminable même si le second est terminé.Ainsi se trouverait
résolue l’énigme de votre identité juive qui vous a si longtemps poursuivi »35.
Y.H. Yerushalmi reconnaît ainsi dans le postulat lamarckien l’explication du
sentiment éprouvé par Freud d’être juif sans savoir pourquoi.

LA CIVILISATION

Conformément aux idées évolutionnistes que Freud partage avec la plupart


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de ses contemporains, la dernière grande étape de l’histoire de l’humanité corres-
pond à la civilisation. Les choses sont cependant plus compliquées chez Freud,
car le progrès social se paye cher et ce que le civilisé gagne d’un côté, il le perd
de l’autre. En effet les lois du développement sont les mêmes pour l’individu et
la société, et elles résident dans le renforcement progressif au cours du temps des
répressions et des refoulements qui sont nécessaires à l’éclosion des différentes
formes de sublimation propres à l’humanité. L’acquisition chez l’enfant de la
pudeur consécutive à l’abandon des zones érogènes animales et de toutes les
formes de perversions, puis le renoncement à ses désirs incestueux, suivi enfin
du refoulement de la première phase de sa sexualité qui est la condition pour
parvenir à une sexualité adulte, exigent que l’enfant récapitule le long et doulou-
reux cortège des renoncements par lesquels a passé l’humanité : d’abord le
refoulement organique d’une sexualité anale qui accompagne l’acquisition de
la bipédie, puis l’instauration des premières lois totémiques, enfin la soumission
à un dieu unique. Le poids des contraintes engendre alors les mêmes effets dans
la civilisation que chez le névrosé menacé d’inhibition ou de régression à un stade
antérieur. Ces deux formes de pathologie se retrouvent dans l’humanité où elles
départagent les sauvages des civilisés. Freud interprète en effet les sociétés
sauvages comme un cas d’arrêt de développement dont il reconnaît dans Totem
et Tabou ne pas pouvoir donner d’explication, tandis que les civilisés sont repré-
sentatifs de la fragilité psychique de l’adulte menacé de régresser à des stades
antérieurs de développement. Sur le schéma (fig. 2) on peut donc relier par une
ligne oblique l’âge de la civilisation dans l’humanité et l’âge adulte chez l’indi-
vidu, du moins chez l’Européen blanc et de sexe masculin36.

35. Yerushalmi 1993, pp. 75 et 169.


36. Dans la théorie de la récapitulation les femmes comme les enfants sont des êtres phylo-
génétiquement plus primitifs et donc plus proches de nos ancêtres simiens que les hommes adultes.
Sur l’axe ontogénétique ils correspondent donc à des stades juvéniles. Freud (1987 [1905] p. 118-
119) établit ainsi un rapprochement entre le petit enfant ignorant encore la pudeur et « la condi-
tion de la moyenne des femmes » qui conserve encore une disposition perverse polymorphe.
JACQUELINE DUVERNAY BOLENS – LA THÉORIE DE LA RÉCAPITULATION 31
DE HAECKEL À FREUD

L’EFFONDREMENT DE LA THÉORIE DE HAECKEL

Comme le fait remarquer S.J. Gould une théorie ne disparaît pas à cause de
l’accumulation des exceptions à la règle, mais bien plutôt parce qu’elle n’a plus
sa place dans le renouvellement du champ théorique. Haeckel n’ignorait pas
l’existence de nombreuses exceptions à sa loi. L’ontogenèse en effet ne récapi-
tulait pas toujours la phylogenèse37. Les problèmes qui restaient sans solution
dans la théorie de la récapitulation ont trouvé une réponse avec la théorie géné-
tique de l’hérédité de Mendel redécouverte en 1900. L’ontogenèse en effet est
placée sous le contrôle de gènes présents dès la conception et qui peuvent se mani-
fester à n’importe quelle phase du développement embryonnaire ou de la crois-
sance ultérieure. Le déplacement des stades ontogénétiques ne constitue pas le
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seul processus évolutif et la loi d’accélération n’est pas universelle. Ainsi les deux
principes de la théorie de la récapitulation étaient une vue de l’esprit. Il n’y a ni
allongement de l’ontogenèse par addition de nouveaux caractères phylogéné-
tiques, ni resserrement ou condensation de la série des stades ontogénétiques.
L’ontogenèse est identique chez l’ancêtre et ses descendants, et les branchies de
l’embryon humain ne correspondent pas à celles d’un poisson adulte, mais à celle
d’un embryon de poisson. Il s’agit de survivance embryonnaire et non d’une réca-
pitulation des stades adultes.
La découverte des lois de Mendel a totalement renouvelé le champ théorique
de la biologie dans laquelle la récapitulation de Haeckel n’a plus de place38. De
cela Freud avait parfaitement conscience quand, dans L’homme Moïse et la reli-
gion monothéiste, il maintenait envers et contre tout ses présupposés lamarckiens.
C’était la seule arme dont il disposait. Seule en effet l’étroite connexité établie
par Haeckel entre l’axe ontogénétique et l’axe phylogénétique permettait à Freud
d’expliquer l’intuition qui s’imposait à lui avec tant de force, suivant laquelle psy-
ché individuelle et pensée collective obéissent aux mêmes lois.

L’histoire des sciences et celle de la pensée de Freud donnent à voir comment


les thèses du fondateur de la psychanalyse se dégagent lentement des courants
de pensée, des idées scientifiques et des préjugés de son époque. En signalant les
continuités aussi bien que les ruptures avec son temps, ces approches historio-
graphiques montrent comment des thèses aujourd’hui caduques ont pourtant été
le point de départ de théories révolutionnaires. Tout en libérant Freud de son aura
mythique, ces approches enrichissent notre compréhension d’une pensée hors du
commun.

37. En particulier dans l’ontogenèse de certains types de larves qui peuvent acquérir des carac-
tères adaptatifs indépendamment de la série des traits phylogénétiques hérités de leurs ancêtres.
D’autres formes d’irrégularités peuvent provenir d’un bouleversement dans l’ordre d’apparition
des stades de développement.
38. On trouvera dans Gould (1977, pp. 202-206 et 1982, pp. 284-286) un exposé circonstancié
et autorisé de l’ensemble de ces transformations.
32 TOPIQUE

Enfin en convoquant les sources biologiques de la psychanalyse, ce regard


historique met fin au débat constamment réactivé qu’ont suscité les étranges
constructions de Freud sur l’origine du monothéisme ou des premières
institutions totémiques. Les historiens plus encore que les ethnologues n’ont
cessé de s’interroger sur les sources de cette œuvre. Mais la clé du caractère
énigmatique de L’homme Moïse et la religion monothéiste ne se trouve ni
dans les archives bibliques, ni chez les Égyptologues39. Il faut la chercher
là où prennent également naissance les idées directrices de Totem et Tabou,
qui elles aussi sont restées irrecevables pour les ethnologues. Cl. Lévi-Strauss
rejette l’illusion qui « ruine la tentative de Freud dans Totem et Tabou» car,
contrairement à ce que pense Freud, les contraintes sociales ne s’expliquent
pas « par l’effet de pulsions ou d’émotions qui réapparaîtraient avec les mêmes
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caractères au cours des siècles »40. Ainsi les raisons qu’avait Freud de lier
ensemble si fortement ces deux institutions dans lesquelles il voyait l’alpha
et l’oméga de la préhistoire de l’humanité ne se trouvent pas non plus dans
la littérature ethnologique connue de Freud, pas même chez Frazer. De fait
le modèle historiographique commun aux deux volets de ce diptyque de
l’histoire de l’humanité que sont L’homme Moïse et la religion monothéiste
pour l’époque historique, et Totem et Tabou pour la préhistoire, est à chercher
dans la biologie de Haeckel. La théorie de la récapitulation constitue en effet
la pierre angulaire qui a tenu ensemble les deux versants de l’œuvre de Freud.
En restituant cette œuvre dans son contexte historique, il devient possible
de la saisir dans toute son unité et de lui rendre pleinement sa cohérence
épistémologique.
Mais il ne suffit pas de s’en tenir à ce seul recul historiographique. Il faut
aussi aborder le problème dans son actualité et se prononcer sur les conséquences
directes de cette remise en question de la récapitulation. Si l’ontogenèse ne réca-
pitule pas la phylogenèse, sur quelles nouvelles hypothèses se fonder aujourd’hui
pour jeter des ponts entre psyché collective et psyché individuelle, entre insti-
tutions sociales et stades de développement, entre mythe et rêve ? Bien qu’elle
n’ait pas été retenue, la biologie de Haeckel a introduit un problème dont l’œuvre
de Freud ne représente qu’une étape. Comme le fait remarquer le psychanalyste
J.P. Valabrega, l’interprétation des phénomènes psychiques ne peut en effet
ignorer toute considération génétique. Car le système symbolique tout constitué
dont est doté le nouveau-né représente bien «à proprement parler un capital
hérité ». Mais il existe d’autres voies que la biologie pour rendre compte du
problème posé par la transmission de comportements spontanés chez l’enfant.
Telle par exemple la voie proposée par cet auteur qui met l’accent sur la « maté-
rialité spécifique du fantasme et du mythe », indépendante de tout support

39. Pour Jan Assmann (1999, pp. 1011-1026) les thèmes de la mémoire, de l’oubli, du trauma-
tisme et du refoulement, sont directement accessibles et explicites dans le texte et la tradition bibliques.
40. Lévi-Strauss 1962, p. 100.
JACQUELINE DUVERNAY BOLENS – LA THÉORIE DE LA RÉCAPITULATION 33
DE HAECKEL À FREUD

biologique, et où ontogenèse et phylogenèse sont à considérer ensemble, dans


leur rapport réciproque41.
« En somme, – et comme l’avait prévu Freud en son temps – nous ne sommes
pas à la fin mais au début d’une compréhension de ce facteur phylogénétique »
42.

Jacqueline DUVERNAY BOLENS


Laboratoire d’Anthropologie Sociale
52 rue du Cardinal-Lemoine
75005 Paris
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34 TOPIQUE

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Jacqueline Duvernay Bolens - La théorie de la récapitulation de Haeckel à Freud

Résumé : Ce travail met en évidence la place qui revient à la théorie de la récapitulation


de Haeckel dans l’extension, à laquelle procède Freud, des mécanismes de la psyché indi-
viduelle à la pensée collective. En passant de l’ontogenèse à la phylogenèse il fait de la
psychologie une science capable de comprendre non seulement comment se développent les
psychonévroses chez l’individu, mais aussi pourquoi elles sont un caractère spécifique de
l’être humain. En remontant à l’évolution de l’espèce humaine Freud pouvait, fidèle à la pensée
évolutionniste et matérialiste du darwinisme, généraliser le sens de ses découvertes et fonder
leur caractère universel. Ainsi en revenant aux sources biologiques de la psychanalyse, ce
regard historique propose une réponse au débat constamment réactivé tant chez les historiens
que chez les ethnologues par les constructions de Freud sur l’origine du monothéisme ou des
premières institutions totémiques.
Mots-clés : Freud - Haeckel - Ontogenèse - Phylogenèse - Récapitulation (théorie de la)

Jacqueline Duvernay Bolens - The Theory of Recapitulation from Haeckel to Freud.

Summary :This article throws new light on the importance of the theory of recapitula-
tion in Haeckel’s work and on in its application, undertaken by Freud, to the workings of the
individual psyche and collective thought. Exploring both ontogenesis and then phylogenesis,
he turns psychology into a science that is capable of understanding not only how psycho-
neuroses develop in the individual, but also why they are a specific characteristic of human
beings. By tracing the human species back to its origins in evolution, Freud could, and he
remains here faithful to Darwin’s materialist thinking on evolution, establish a general basis
for the revelations of his discovery and establish its universal character. Thus, by returning
to the biological sources of psychoanalysis, this historical perspective provides one answer
to the debate which is constantly refuelled by historians or ethnologists through Freud’s ideas
on the origins of monotheism or the first totemic institutions.

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