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© Association de la revue Corps & Psychisme | Téléchargé le 05/02/2024 sur www.cairn.info via Université Toulouse 2 (IP: 193.50.45.191)
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« Avoir un diagnostic permet de comprendre certains éléments,
comme le fait que je n’avais pas les mêmes centres d’intérêt que tout
le monde…
Mais finalement, chaque personne, avec autisme ou pas, est unique.
L
Nous avons toujours nos particularités de pensée, notre caractère. »
Joseph SCHOVANEC
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un jeu corporel (Buder, 1962). La présence du corps est
centrale car le corps à son propre langage, il est une porte
d’entrée vers la relation. La présence est une rencontre intime,
sensorielle, sensible considérant la personne tant autour de la
dimension physique que psychique.
Pour ces personnes si étranges, il est important de conce-
voir la relation thérapeutique dans une dimension ontologique,
d’homme à homme, d’humain à humain, d’être existant à être
existant.
La relation frontale avec ces personnes est souvent compli-
quée, aussi c’est en passant par la stratégie du détours (Klein,
2014) en proposant une médiation qui facilite la relation
(Fardet, 2015), une “matière d’entre” (Durey, 1995) que nous
pouvons révéler une expérience sensorielle et accueillir la
signification des affects de ces personnes (Gimenez, 2004).
«Ce que les autistes nous donnent à voir, ce sont des phéno-
mènes, bizarres à nos yeux, où nous constatons des distorsions
de la communication, de la relation, du sens, ce qui interroge
le monde des sensations» (Durey, 1995, p. 43).
L’art-thérapie prend alors toute sa place. Cette spécificité
évite la position frontale dans la relation, pour construire une
relation non inscrite dans le langage mais autour d’un dialogue
basé sur le lexique de l’art. L’art-thérapie permet de mettre en
place une forme de relation, de communication en lien au
moment présent, à ce qui est en train de naître autour du
sensible, de se créer, par et dans les mains du patient. «L’art-
thérapie vient à point nommé nourrir ce dialogue… l’Art
garde sa fonction qui est unique, celle de donner à l’individu le
pouvoir de rêver, d’espérer, de survivre aux affres de la
douleur inhérente à la vie, aux situations extrêmes…»
(Gaetner, 2004, p. 40). Par conséquent il s’agit de maintenir le
lien les uns entre les autres. L’art-thérapie propose donc une
SoPhIE fARDET • ART-ThÉRAPIE ET AUTISME, UNE PRÉSENCE 129
SINgULIèRE : PRÉSENCE PhySIqUE, PSyChIqUE ET ARTISTIqUE
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balance de droite à gauche dans un mouvement parfaitement
cadencé, ses yeux fixent une même direction. Il ne parle pas.
Cependant Chri sait se faire comprendre par des gestes. Il
exprime sa douleur morale ou physique par des cris ou des
gestes auto-agressifs, il se mord ou se tape sur les oreilles.
Chri est une personne avec un trouble du spectre autistique
sous la forme d’un autisme typique.
Il est très vulnérable et n’a que très peu de défenses. Il
demande parfois à aller à l’extérieur pour s’affairer à ses stéréo-
typies. Il joue avec la terre et les cailloux qu’il fait sauter dans
ses mains pendant de longs moments. Il se déplace et a des
attitudes qui peuvent se révéler gracieuses. Cette attitude corpo-
relle fait aussi partie de son expression, de sa communication.
Son comportement d’isolement, de repli, le ferme à toute
relation, à toute action, à tout élan de vie. Cette protection lui
permet de construire une sécurité face à ses angoisses vis-à-vis
de lui-même et des autres, mais ne lui permet pas de
s’exprimer, d’être, d’exister. Le seul comportement qu’il nous
donne à voir est en lien à ses stéréotypies avec les cailloux et la
terre. Cela peut, alors, être notre point de départ pour imaginer
un accompagnement art-thérapeutique.
C’est en partant du médium terre que nous pouvons
imaginer lui proposer d’être en situation de relation, de
création. Cette matière, qu’il connaît et qu’il manipule avec
redondance, vient faire lien dans la relation art-thérapeutique,
elle est là contenante, sécurisante ce qui peut éventuellement
lui permettre de s’exprimer. On peut alors espérer que ses
conduites autour des gestes stéréotypés puissent se transformer
au travers de gestes créatifs. La dimension artistique, créative,
permet de tenir un cadre défini, une orientation thérapeutique,
proposant un possible relationnel autour d’un regard spécifique
130 CoRPS & PSyChISME
REChERChES EN PSyChANALySE ET SCIENCES hUMAINES
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suggéré de travailler, pour chaque séance, sur une plaque de
terre contenu dans un cadre de bois. Ainsi il peut éventuelle-
ment toucher, manipuler la terre dans un dispositif sécurisant,
laissant un espace de création contenant et contenu.
Parler de la question de la présence et de la relation avec
Chri est très subtil. Le déroulement chronologique de cet
accompagnement est donc présenté à la première personne du
singulier en toute subjectivité. Afin de faire émerger les
concepts théoriques, de percevoir le déroulement de ce que
Chri nous donne à voir et comment l’art thérapeute le remet en
travail tout en ce modifiant.
L’ALLIANCE THÉRAPEUTIQUE
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J’exprime mes émotions du moment et mon contentement à
vivre ce moment avec lui, il rit, joue de son regard avec
malice. quand je lui dis que la séance est terminée et que
nous nous reverrons demain il s’approche de moi et pose
son front sur mon front. Là, surprise, il sort sa main de ses
vêtements et vient déposer son index droit sur la plaque de
terre. Puis cache à nouveau sa main dans ses vêtements et
se remet à balancer sa tête de droite à gauche.
LA JUSTE DISTANCE
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de terre. Il regarde mes gestes puis il vient sentir la plaque
de terre. Il ne se balance plus. À ce moment-là il sort sa
main de son sweat-shirt et prend les boules de terre une à
une pour les coller sur la plaque en appuyant dessus. Très
surprise je le remercie et il recommence à balancer sa tête.
LE DÉSIR DU SOIGNANT
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et avec ses deux mains il sépare la boule de terre en trois
morceaux et va les déposer sur sa plaque de terre. Je le
félicite et lui dis que c’est ainsi qu’on peut commencer à
s’exprimer, à construire, à modeler. Je lui propose à
nouveau un autre morceau de terre, il la repousse. Alors je
lui explique le volume, les trois dimensions de ce qu’il vient
de faire. Il sent mon épaule et se remet dans sa position
favorite sur le fauteuil, sent ses propres mains et balance
sa tête.
LA CONGRUENCE, LA COMPLIANCE
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cette fois un morceau légèrement plus gros et le dépose sur
le bloc, puis attrape le bloc entier, sort son autre main et
découpe en deux gros bouts. Je lui explique la douceur de
la terre et sa malléabilité. Puis il prend des morceaux de la
plaque pour les mettre les uns sur les autres. Je lui explique
qu’il est en train de construire. Il va enfin déposer un
dernier bout de terre sur sa plaque et d’un hochement de
tête signifie qu’il a terminé. Pendant tout ce temps de
création il ne balance pas sa tête, reste concentré sur ses
gestes et sur la terre. Je lui dis « merci… bravo… félicita-
tion ». Il me regarde droit dans les yeux.
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continue le jeu de la lancer. Il tend sa main pour que je
dépose la terre dedans. Il utilise ses deux mains pour
découper le bout de terre en différents petits morceaux qu’il
vient déposer de lui-même sur la plaque avec délicatesse.
Ensuite il commence à relâcher tout son corps en s’étirant
de tout son corps allongé sur le dos, je lui explique que
c’est une bonne chose de s’étirer, de se détendre.
AFFIRMATION DE SOI
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(Tustin, 1989). Une fois en sécurité, ayant une conscience
corporelle contenue dans le cadre de cet accompagnement, il
peut se raconter. Les gestes, l’histoire que raconte Chri sont
importants, incontournables et tissent la rencontre et la
conscientisation de son être profond.
PROCESSUS DE CRÉATION
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CONSTRUCTION SÉPARATION, INDIVIDUATION
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bouche. Je recommence, il répond à nouveau. S’installe
alors une communication sonore entre nous, moi en
tapotant sur la terre, lui avec sa bouche. Il me regarde
profondément puis me propose un nouveau son avec sa
bouche, un nouveau rythme que je tente de reproduire. Je
lui explique que nous sommes dans une communication
sonore, un dialogue. Instantanément il recommence à faire
des bruits de bouche. Je lui dis que j’entends ces bruits
comme de la parole, un langage. Il reprend alors des sons
de respiration, des sons vocaux, des sons de bouche. Je lui
explique que c’est dans le rythme et les sons qu’il
s’exprime, c’est dans cet espace, dans cette forme de
communication sonore qu’il souhaite m’amener. Puis il sort
sa main de son sweat-shirt pour me prendre la main et la
caresser. C’est autour d’une forme de musicalité qu’il
choisi d’orienter notre relation. Il faut dire que ses deux
parents sont chanteurs d’opéra.
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sont mis en scène les deux inconscients qui s’articulent à des
niveaux hétérogènes. « L’objet de relation est ainsi un “révéla-
teur”, un “précipitateur”, un “catalyseur” de la relation
transféro-contretransférentielle. » (Gimenez, 2004, p. 93). Cet
objet peut accueillir la signification des affects du patient que
le thérapeute met en forme, en sens. L’objet de relation, alors,
déclenche, favorise et accompagne le travail d’élaboration et
de transformation. Chri vient là donner une nouvelle forme à la
relation, un nouveau langage, de l’ordre de la communication
sonore. La seule élaboration possible de l’expérience sonore
est sa codification, tissage de l’enveloppe psychique. Qu’elle
soit verbale ou musicale, l’important c’est que cette codifica-
tion existe et qu’elle constitue le lien social. Ainsi le plaisir
musical vient de cette faculté de s’exprimer simultanément, de
s’accorder et de se comprendre ensemble et dans l’instant
même de l’expression (Lecourt, 2010).
Chri, qui s’isole, se camisole de ses habits vient s’ouvrir sur
son possible à être avec l’autre et avec lui-même sans peur, en
toute sécurité. Il parvient à faire, toucher, rencontrer sa propre
sensibilité. Comprenant véritablement la dimension artistique,
il va de lui-même imposer sa propre médiation : le rythme, la
musique, la voix. L’art prend toute sa place relationnelle et
permet à Chri de devenir le maître du jeu, le décideur, l’exis-
tant. Ainsi il est là dans l’expression authentique de ses désirs,
de son être profond, de ses aspirations, de ses émotions.
La présence physique de l’art-thérapeute est dans l’ici et le
maintenant tout près de Chris. Le corps du thérapeute est
comme un « instrument d’accueil » (Mearns, 1994). C’est
également par son propre corps que se fait la première
approche de la personne, avant de lui parler, d’échanger, le
corps se pose, s’impose. « L’être là » corporel, physique, c’est
mettre en éveil tous nos sens. D’emblée le corps dévoile son
140 CoRPS & PSyChISME
REChERChES EN PSyChANALySE ET SCIENCES hUMAINES
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de l’art choisi comme médiateur, de la culture et des mouve-
ments de l’histoire de l’art. C’est cette façon d’être là, de se
tenir à côté de la personne, de choisir des mots simples en lien
à la création, au langage plastique, pour pousser, aider autoriser
la personne à l’exploration de son potentiel créatif. C’est
reconnaître l’émotion esthétique, l’accès au sensible, l’expres-
sion de son esprit, la manifestation de sa subjectivité, le senti-
ment « que la vie vaut la peine d’être vécue » (Winnicott,
1975).
Pour ces personnes avec autisme sévère il est nécessaire de
comprendre ce qu’elles nous donnent à voir dans leurs
symptômes. Sachant que leur trouble principal est une diffi-
culté à entrer en relation, il s’agit justement d’être au plus
proche de leur monde pour leur proposer un espace permettant
l’accueil, le possible à la relation. Pour cela, l’art thérapeute
doit aussi développer : un savoir être dans la relation théra-
peutique, une conscience de lui-même dans son processus
créatif en lien à son processus psychique, une ouverture à
recevoir des gestes, des formes, des mouvements créatifs,
différents des siens. Il pourra, alors, s’émerveiller des petits
pas, des petits progrès et des traces symbolisant la relation
établie autour d’une pratique artistique.
BIBLIOGRAPHIE
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