PSYCHANALYSE ET NEUROSCIENCES

Quel débat aujourd’hui ?

Henri-Pierre Bass, Bernard Golse, Olivier Putois et Alain Vanier

Martin Média | « Le Journal des psychologues »

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Universidad de Valencia - - 147.156.224.154 - 13/02/2019 19h04. © Martin Média
2018/6 n° 358 | pages 54 à 57
ISSN 0752-501X
Article disponible en ligne à l'adresse :
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Universidad de Valencia - - 147.156.224.154 - 13/02/2019 19h04. © Martin Média

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/revue-le-journal-des-psychologues-2018-6-page-54.htm
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour Martin Média.

© Martin Média. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.

Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)

 QUESTIONS À…

Psychanalyse et neurosciences
Quel débat aujourd’hui ?
Le débat entre la psychanalyse et les neurosciences demeure difficile et même
parfois douloureux. Il s’agit de mettre au travail les problèmes épistémologiques
et méthodologiques de la psychiatrie d’aujourd’hui au regard de l’avancée
des neurosciences et de la recherche psychanalytique. Mais aussi de montrer en
quoi la complexité de la clinique contemporaine nécessite de se situer à l’interface
Henri-Pierre Bass de ces disciplines. Sans doute des pistes de réflexion à creuser : Bernard Golse,

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Universidad de Valencia - - 147.156.224.154 - 13/02/2019 19h04. © Martin Média
Psychologue clinicien Olivier Putois et Alain Vanier en font ici la démonstration.
Membre du cr du Journal
des psychologues
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Universidad de Valencia - - 147.156.224.154 - 13/02/2019 19h04. © Martin Média

Henri-PierreBass :Dansledernierouvrage
que vous avez dirigé (Golse, Putois,
Vanier, 2017), vos réflexions tentent
de montrer comment la complexité
de la clinique contemporaine exige
de s’installer à l’interface de plusieurs
disciplines, elles-mêmes régies par des
épistémologies différentes. S’agit-il
de réflexions portant sur diverses
épistémologies et si oui lesquelles ?
Bernard Golse Olivier Putois
Pédopsychiatre Psychologue clinicien
Psychanalyste Psychanalyste
Professeur de psychiatrie Maître de conférences en
de l’enfant et de psychopathologie clinique et
l’adolescent à l’université psychanalyse à l’université
Paris-Descartes de Strasbourg (laboratoire
Chef du service de SuLiSoM ea 3071)
psychiatrie de l’enfant et Membre associé du centre
de l’adolescent de l’hôpital de recherches Psychanalyse,
Necker-Enfants malades médecine et société (ea 3522)
Alain Vanier : Cet ouvrage n’est pas une
réflexion épistémologique au sens propre
du terme. Mais l’enjeu est épistémolo-
gique, dans le sens où il est fait appel à
des savoirs différents, et en particulier à
leurs points d’entrecroisement.
Bernard Golse : L’épistémologie, ce n’est
pas la théorie de la connaissance. Mais
revenons peut-être, pour commencer, sur
Alain Vanier
Psychiatre
Psychanalyste
Professeur de
psychopathologie
clinique à l’université
Paris-Diderot
Ancien directeur du
centre de recherches
Psychanalyse, médecine
et société (ea 3522),
la genèse de ce livre. Avec Alain Vanier,
nous avons un ami commun, Arnold
Munnich, qui est généticien à l’Institut
hospitalo-universitaire Imagine de
l’hôpital Necker-Enfants Malades. Nous
avons souvent été amenés à échanger
ensemble sur la difficulté du débat entre
neurosciences et psychanalyse. Il est
un grand scientifique et, pour autant,
quelque chose semble l’attirer dans la
psychanalyse.
Nous avions donc déjà évoqué la
difficulté de ce débat avec lui, aussi
nous avons décidé un jour d’aller le
rencontrer pour lui demander comment,
selon lui, on pouvait dépasser cette
opposition.
Pour moi, il existe une réelle asymétrie
entre ces deux champs épistémolo-
giques qui est très gênante et difficile à
dépasser : quand nous, psychanalystes,
nous souhaitons nous intéresser à un
point particulier des neurosciences, il est
facile de nous documenter, mais quand
un neuroscientifique, même de haut
niveau, s’intéresse à la psychanalyse, il
ne peut pas lire tout Freud !
C’est dissymétrique, mais il est important
de pouvoir s’entre-interroger et de pouvoir

54 LE JOURNAL DES PSYCHOLOGUES / JUIN 2018 / N°358

54-57_JDP358.indd 54 17/05/2018 14:47

 se poser des questions susceptibles de
nous stimuler mutuellement.
C’est ainsi qu’à partir des discussions
que nous avons eues dans son service,
et grâce à l’organisation d’un séminaire
qu’il nous a suggérée, que l’idée a germé
de montrer que « les psychanalystes
nouveaux sont arrivés » et qu’ils s’inté-
ressent aussi aux sciences naturelles.
Alain Vanier : Si Bernard Golse et moi
avons principalement animé ce séminaire,
nous nous sommes appuyés sur un
comité d’organisation réunissant François
Marty, Didier Dreyfus, Bruno Falissard,
Jean-Christophe Thalabard, avec la
collaboration d’Arnold Munnich.
Ce séminaire a duré cinq ans à Sainte-
Anne ; l’auditoire était fourni et intéressé.
L’idée n’était pas tellement d’essayer de
produire un syncrétisme entre psycha-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Universidad de Valencia - - 147.156.224.154 - 13/02/2019 19h04. © Martin Média
nalyse et neurosciences, mais de repérer
quel type d’articulation était possible
entre les deux. Il y a eu de nombreuses
tentatives, de multiples travaux autour
de cela, soit par analogie entre les deux
champs soit par intersection. Parmi
elles, citons la démarche de François
Ansermet et Pierre Magistretti qui
cherchent à mettre au travail le plus
petit dénominateur commun entre les
deux, ou encore, dans une perspective
de continuité, la neuropsychanalyse qui
serait la superposition des deux champs.
La façon dont les différents auteurs ont
travaillé était un témoignage de cette
articulation plutôt qu’une manière de
faire la police des savoirs, comme le
font parfois les épistémologues pour
décider de ce qui est scientifique et de
ce qui ne l’est pas.
Il convient de souligner ici qu’en tant que
telle, la psychanalyse est une épistémo-
logie. Elle est productrice d’un savoir et
elle interroge les savoirs. Mais ce savoir
est difficilement articulable, car c’est un
savoir de l’inconscient, et il faut l’expé-
rience, la pratique d’une analyse pour
subvertir les savoirs constitués, car elle
les remet à chaque fois en question, tout
54-57_JDP358.indd 55
en remettant elle-même en question ce
qu’elle produit.
Olivier Putois : En effet, je crois qu’il
ne faut pas perdre de vue que nous ne
cherchions pas la caution, mais les points
d’intersection : la psychanalyse n’a pas
besoin d’être vérifiée par un autre savoir,
nous pouvons produire des énoncés à
l’intérieur de notre champ et examiner
leur pertinence clinique – quitte à en
changer, comme le rappelle Sigmund
Freud au début de la Métapsychologie.
La théorie psychanalytique
elle-même est une théorie
qui ne cesse d’emprunter
aux autres champs du
savoir en les détournant.
En revanche, dans la production de
ces énoncés, on a beaucoup à gagner
à prendre en considération ceux que
produisent d’autres approches dans le
cadre des modèles qu’elles proposent
pour comprendre la clinique.
Bernard Golse : Précisons qu’à l’origine
du projet, il n’y avait pas Olivier Putois.
Nous l’avons connu en cours de route
parce qu’il intervenait comme psycho-
logue et représentant des sciences
humaines dans le service d’Arnold
Munnich. Nous lui avons demandé
de rassembler les textes issus des
différentes séances de ce séminaire
et lui-même en a coécrit un chapitre
qui figure à la fin de l’ouvrage.
Nous pensons que c’est lui qui a le mieux
compris ce nous souhaitions faire et dire.
Alain Vanier : Son apport a, en effet, été
très important, parce qu’il vient du champ
de la philosophie et de l’épistémologie.
C’est un domaine dont il s’est détaché
pour devenir psychanalyste.
La théorie psychanalytique elle-même
est une théorie qui ne cesse d’emprunter
aux autres champs du savoir en les
détournant. Certes, il y a des concepts
psychanalytiques, mais tous ces concepts
sont des concepts empruntés et détournés.
Prenez celui de « pulsion sexuelle » chez
Sigmund Freud, ce sont des termes que
l’on trouve chez Arthur Schopenhauer,
comme beaucoup de concepts freudiens
– d’où les critiques qui ont été faites à
Freud, telle celle relative à la découverte
de l’inconscient en renvoyant à des
auteurs tels que Eduard von Hartmann,
Johann J. Bachofen ou encore à Gottfried
W. Leibniz. Mais l’inconscient freudien
n’est pas l’ensemble des phénomènes
échappant à la conscience.
Il n’y a de réinvention de la psychanalyse
que si elle s’articule aux discours contem-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Universidad de Valencia - - 147.156.224.154 - 13/02/2019 19h04. © Martin Média
porains. Le propos de Sigmund Freud,
aujourd’hui, quand les gens le lisent,
peut sembler usé, vieilli. C’est un effet
de la diffusion de la psychanalyse dans
la culture, mais si on le lit à la lumière
de l’expérience...
C’est bien pour cela que Jacques Lacan
souligne que chaque psychanalyste
doit réinventer la psychanalyse pour
son propre compte, avec les discours
de l’époque, ceux que nous parlons et
qui nous constituent ; l’une des voies
de réinvention de la psychanalyse que
l’on peut penser aujourd’hui se trouve
justement dans ce dialogue avec les
neurosciences.
Bernard Golse : Au niveau des idées,
des concepts et de l’articulation entre
eux, je suis d’accord. Mais, pour nous,
ces recherches ont démarré sur le fond
d’une hostilité ambiante intense à l’égard
de la psychanalyse.
Alain Vanier : Ce qui a provoqué, en
retour, dans le milieu analytique, une
réaction de repli et de fermeture sur nos
concepts, sur nos notions, sans que l’on
puisse envisager aucune réinvention
parce qu’on finissait par les fétichiser.
L’aspect positif, c’est que la réarticulation
qu’on pourra faire avec les neurosciences
constitue une ouverture, d’autant que
LE JOURNAL DES PSYCHOLOGUES / JUIN 2018 / N°358 55
17/05/2018 14:47
 QUESTIONS À…
celles-ci se sont appuyées sur une
psychologie qui, à titre de modèle, est
très loin d’être exempte de présupposés.
Henri-Pierre Bass : Vous avez employé
le terme « neuropsychanalyse ». De
quoi s’agit-il précisément ?
Bernard Golse : L’association internatio-
nale de neuropsychanalyse est née en
Angleterre autour de Peter Fonagy. Il a
fondé cette association en lien initial avec
le centre Anna-Freud en pensant que la
psychanalyse risquait de mourir si elle
ne se réarticulait pas au savoir ambiant.
Daniel Widlöcher a été l’un des premiers
à le suivre en souhaitant mettre en place
une section française de neuropsycha-
nalyse, et il a donc travaillé dans ce
sens, c’est-à-dire en tentant de préciser
et de favoriser les curiosités mutuelles
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Universidad de Valencia - - 147.156.224.154 - 13/02/2019 19h04. © Martin Média
« L’un des rares vrais espoirs de réhabilitation
de la psychanalyse et de son épistémologie moderne est,
à mon sens, la causalité épigénétique. »
permettant à chacun de pouvoir amener
l’autre à se poser de nouvelles questions
dans son champ de spécificité à partir des
positions épistémologiques de l’autre.
Soit une sorte d’interfécondation concep-
tuelle réciproque sans amalgame.
Lisa Ouss, Nicolas Georgieff, Alain Braconnier
et moi-même avons tenté de l’accom-
pagner dans cette voie, et cela encore
actuellement. Mais, à vrai dire, cela a
plutôt du mal à démarrer, il continue d’y
avoir des résistances en France.
Olivier Putois : Il s’agit en somme, pour
le dire de manière un peu humoristique,
d’éviter à tout prix la position qui consiste
à dire « mon épistémologie est plus belle
que la tienne » ! Si l’on fait cela, on est
au plus loin du patient – et cela arrive
dans toutes sortes de contextes. Ce type
56 LE JOURNAL DES PSYCHOLOGUES / JUIN 2018 / N°358
54-57_JDP358.indd 56
d’­opposition spécularisante tombe lorsque
l’on a l’habitude de travailler avec des
professionnels qui viennent d’autres
spécialités. En ce qui me concerne, je
travaille avec des médecins depuis
plusieurs années et, par exemple, lorsqu’un
neurologue nous envoie un patient pour
une prise en charge, il s’agit – je caricature
un petit peu, mais c’est quelque chose
auquel chacun doit être sensible – de ne
pas utiliser ce patient pour montrer que
l’on a raison. On essaie de saisir ce que
les autres disent de ce patient-là depuis
leur approche ; et il y a, de facto, si on
n’est pas alors dans des conflits duels,
des points de rencontre qui peuvent être
intéressants, comme nous en parlons dans
notre texte avec Rémy Potier.
Alain Vanier : Il est vrai aussi que cet
ouvrage est également un symptôme
Bernard Golse
du conflit institutionnel entre neuros-
ciences et psychanalyse. Aujourd’hui,
cette opposition se modère, les avancées
scientifiques ne réglant pas le problème
des traitements.
Bernard Golse : L’un des rares vrais espoirs
de réhabilitation de la psychanalyse et de
son épistémologie moderne est, à mon
sens, la causalité épigénétique. Quand
nos collègues neuroscientifiques vont
s’apercevoir que l’environnement dans
toutes ses composantes ainsi que la relation
sont susceptibles de modifier quelque
chose dans l’expression du génome, alors,
j’en suis sûr, ils s’intéresseront à nouveau
à l’analyse de la relation.
Olivier Putois : Et ce qui est intéressant à
ce sujet, c’est qu’une partie des psychiatres
le disent spontanément : il est important
de tenir compte de l’environnement par
principe. Si on ne le fait pas, on ne peut
mettre en lien les facteurs internes à
l’origine d’un symptôme – y compris
biologiques, comme Sigmund Freud
y invitait clairement avec la notion de
« série complémentaire » – et les facteurs
externes, c’est-à-dire l’environnement y
compris passé (c’est-à-dire la façon dont
il a façonné l’inconscient du sujet). Cette
approche poly ou multifactorielle, déjà
clairement ouverte par Sigmund Freud,
Melanie Klein et son école, Jacques Lacan
ou Maud Mannoni, constitue à mon sens
la seule position épistémologique et
éthique tenable vis-à-vis de la clinique.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Universidad de Valencia - - 147.156.224.154 - 13/02/2019 19h04. © Martin Média
Bernard Golse : L’épigenèse ne se réduit
peut-être pas à l’impact de l’environnement
sur l’expression du génome (épigénèse
externe), car il faut savoir prendre égale­
ment en compte l’impact du vécu interne
et de la sensorialité sur cette expression
génomique (épigénèse interne).
Alain Vanier : Pour les médecins de notre
génération, découvrir que les génomes
de deux jumeaux monozygotes sont
devenus différents à l’âge de vingt ans
semblait impensable alors. De même,
toutes ces avancées sur la neuroplasticité
qui subvertissent les premiers modèles
psychologiques des neurosciences.
Citons les travaux de François Ansermet
et Pierre Magistretti, mais aussi des
hypothèses très stimulantes comme
celle de la « participation psychoso-
matique du cerveau » proposée par
Yorgos Dimitriadis.
Henri-Pierre Bass : Vous évoquez d’ail-
leurs le concept de traces mnésiques…
Bernard Golse : Oui, François Ansermet
a beaucoup travaillé sur ce concept de
traces, et il insiste avec Pierre Magistretti
sur le fait que chaque fois que l’on vit une
expérience, on l’enregistre, mais que les
traces engrammées vont se modifier à
17/05/2018 14:47
 chaque réévocation de cette expérience
par le souvenir.
Cela s’accorde très bien avec la théorie
de l’après-coup et avec l’idée que,
finalement, toute remémoration éloigne
de l’expérience initiale.
Alain Vanier : Il convient de noter l’intérêt
renouvelé pour le cas unique, dont l’impor-
tance scientifique a depuis longtemps
été défendue par Daniel Widlöcher. Il
y a là une valeur incontournable de la
singularité.
Bernard Golse : En fait, on pourrait dire que
le clinicien est un chercheur du singulier,
tandis que le chercheur est un clinicien du
général. Dans la mesure où les méthodes
qualitatives d’analyse reviennent à la mode,
le vécu du monde interne peut être référé
au concept de narrativité.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Universidad de Valencia - - 147.156.224.154 - 13/02/2019 19h04. © Martin Média
La question du sujet n’est pas de tout
prévoir, mais d’être prêt à l’imprévu.
C’est un peu le problème du bébé : il n’a
pas une théorie du monde, mais, lorsqu’il
y a quelque chose qui émerge, il doit
être en mesure de s’en saisir.
Henri-Pierre Bass : Pourriez-vous revenir
ici sur la problématique du cadre et des
nouvelles métaphores qui y sont liées ?
Bernard Golse : Sigmund Freud a beaucoup
emprunté à l’hydraulique, mais il est
vrai que les nouvelles métaphores ne
prennent pas aujourd’hui, et ne modifient
pas sensiblement le corpus théorique
de la psychanalyse.
Alain Vanier : La psychopathologie
freudienne reste notre référence, car,
dans ce champ-là, on n’ose guère aller
au-delà de Freud.
Bernard Golse : D’où tout le mal que
l’on a à formuler une troisième topique…
Alain Vanier : On voit bien comment,
pour Jacques Lacan par exemple, la
jouissance ou même le Réel sont des
54-57_JDP358.indd 57
réinterprétations. Mais il y a des trouvailles.
L’objet transitionnel chez Donald W.
Winnicott et sa formulation des deux
paradoxes fondamentaux constituent
une avancée doctrinale ainsi que, bien
sûr, l’objet a chez Lacan. Winnicott dans
un texte paru tardivement donnait une
valeur paradigmatique à deux paradoxes
fondamentaux, le premier comme paradoxe
de l’avoir et l’autre de l’être. Le paradoxe
de l’avoir, c’est l’objet transitionnel ;
l’objet « sein » est à la fois à la mère et
à l’enfant, et à la fois ni à l’un ni à l’autre.
Le deuxième paradoxe, c’est celui de
l’être que Winnicott développe dans
son article sur la capacité d’être seul en
présence de quelqu’un. C’est paradoxal
d’être seul en présence de quelqu’un.
On passe de « I am » à « I am alone »,
avec la dimension de l’Autre. Ce sont
des points qui touchent au Réel.
Bernard Golse : Oui, mais cela s’est
joué en « intra ». Aucun psychanalyste
aujourd’hui en formation à la Spp ou
à l’Apf ou dans d’autres institutions
n’intègre dans sa pensée la théorie des
catastrophes, par exemple.
Alain Vanier : Ce qui doit intéresser les
analystes, c’est la rencontre d’une butée,
c’est de là qu’est partie la lecture de Freud
par Lacan. Dans un monde néolibéral
où la production d’objets vient saturer
le champ du désir, l’intérêt de l’objet a,
c’est justement de rappeler que tous les
objets trouvés sont des ersatz.
Henri-Pierre Bass : Pour finir, qu’entendez-
vousparcetteformulation :« Lesquestions
des restes traumatiques qui échouent à
métaboliser le traumatisme » ?
Bernard Golse : Daniel Widlöcher disait
que le rêve travaille comme le rêveur.
C’est-à-dire que, pour qu’un rêve liquide
un traumatisme, il faut qu’il vienne
s’associer à des traces qui ont quelque
chose à voir avec le contenu du rêve. Le
rêve cherche alors à associer au même
titre que le rêveur lui-même, et tant
que le rêve ne trouve pas de nœuds
associatifs efficaces, il se répète. Quand
on réveille un enfant à chaque phase du
sommeil paradoxal, on s’aperçoit que
c’est le même thème qui insiste toute
la nuit : en début de nuit, il est traité en
processus originaires sous forme plutôt
cauchemardesque (les cauchemars de
début de nuit), et tout au long de la nuit,
il va être traité en processus de plus en
plus secondarisés.
Le cinéaste Akira Kurosawa dans son
film Rêves a utilisé le schéma inverse
en commençant par des visions très
esthétiques se dégradant progressivement
en cauchemars.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Universidad de Valencia - - 147.156.224.154 - 13/02/2019 19h04. © Martin Média
Le concept de « post-traumatic stress
disorders » (ptsd), qui ne prend pas
en compte la théorie de l’après-coup,
échoue à comprendre pourquoi les rêves
se répètent. ◗
Bibliographie
Golse B., Putois O., Vanier A., 2017,
Épistémologie et méthodologie
en psychanalyse et en psychiatrie.
Pour un vrai débat avec
les neurosciences, Toulouse, Érès.
Ansermet F., Magistretti P., 2011,
À chacun son cerveau. Plasticité
neuronale et inconscient,
Paris, Odile Jacob.
Dimitriadi Y., 2013, Psychogénèse
et organogénèse en psychopathologie.
Une hypothèse psychanalytique,
Paris, L’Harmattan.
Golse B., Braconnier A.
(sous la direction de), 2012,
Winnicott et la création humaine,
Toulouse, Le Carnet Psy.
LE JOURNAL DES PSYCHOLOGUES / JUIN 2018 / N°358 57
17/05/2018 14:47