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VIEILLISSEMENT ET RETRAITE : APPROCHES PSYCHANALYTIQUES

Anasthasia Blanché

Martin Média | « Le Journal des psychologues »

2010/9 n° 282 | pages 22 à 27


ISSN 0752-501X
DOI 10.3917/jdp.282.0022
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https://www.cairn.info/revue-le-journal-des-psychologues-2010-9-page-22.htm
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DOSSIER
Le départ en retraite

Vieillissement et retraite :
approches psychanalytiques
Psychanalyste
Anasthasia Blanché
Psychosociologue
clinicienne

Si l’on parle souvent du vieillissement physique, qu’en est-il du vieillissement


psychique ? Comment hommes et femmes l’abordent-ils ? La théorie
psychanalytique s’est penchée sur les bouleversements ou remaniements
psychiques propres au processus de vieillissement et nous éclaire sur l’effraction
que constitue, dans le continuum de la vie, le moment du départ en retraite.

Le vieillissement psychique Le vieillissement psychique anti-âge des industries pharmaceutiques ;


et la finitude vaincre la mort en triomphant du temps.

L
a retraite, qu’elle soit attendue ou Le puissant fantasme d’éternité qui nous
redoutée, constitue le dernier grand Dans quel contexte social vieillit-on invite à nous comporter comme si nous
tournant de la vie : sera-t-elle une aujourd’hui lorsque la retraite arrive ? pouvions vivre éternellement, ne jamais
mort sociale ou un nouveau départ ? Quelques constats : l’évolution démo- mourir, est relayé par de nombreuses
Cette question se situe à l’articulation du graphique d’une population vieillissante religions qui croient en la résurrection, la
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politique, du social et du psychique, et elle qui va tout bouleverser, l’influence des réincarnation ou la vie éternelle. La méga-
comporte des enjeux à la fois collectifs et représentations négatives de la vieillesse, lomanie et la toute-puissance infantile
individuels, un bouleversement sociétal et la modification du cycle de vie (autrefois, inconsciente offrent l’illusion d’une place
un changement notable dans une histoire un modèle uniforme de franchissement à part. La conviction narcissique du Moi
de vie personnelle, puisqu’elle concerne le des âges), la crise de l’âge adulte entraî- en son immortalité, cela n’arrive qu’aux
vieillissement biologique et psychique du nant aujourd’hui soit l’avènement d’une autres, déniant ainsi notre finitude.
sujet. « Toutes les tragédies que l’on peut ima- nouvelle tribu imaginaire des « sans-âge » Sigmund Freud, à cinquante-neuf ans, écri-
giner reviennent à une seule et unique tragé- (la fin des âges) soit une guerre intergé- vait : « Nous manifestons une nette tendance
die : l’écoulement du temps. » (Simone Weil.) nérationnelle (la lutte des âges) (Descha- “à mettre de côté” la mort, à l’éliminer de notre
La difficile transition entre le travail et la vanne, Tavoillot, 2007). vie. Nous essayons d’étouffer l’affaire […]
prise de la retraite coïncide avec l’entrée L’individu hypermoderne, jeune ou vieillis- Personne ne croit à l’éventualité de sa propre
dans la vieillesse. Ce passage critique, sant, est soumis à de nombreux para- mort […]. Dans l’Inconscient, tout le monde est
ce dernier grand tournant de la vie, non doxes : une accélération du temps et un convaincu d’être immortel. » (Freud, 1968.)
exempt de tourments, confronte le sujet à allongement de la durée de vie ; redouter La partie consciente de notre Moi, chargée
des pertes plurielles. Lors de cette période la vieillesse et vouloir vivre longtemps ; le de régler en continu les rapports entre
de déstabilisation narcissique, le sujet doit triomphalisme du jeunisme et la perte de notre réalité psychique et la réalité exté-
se redéfinir seul et relancer ses supports familiarité, voire le rejet total du deuil et de rieure, sait bien que nous sommes mortels.
identificatoires grâce à l’énergie psy- la mort ; le culte de l’urgence, de l’immé- Les mécanismes de défense du Moi sont
chique libérée par le travail pour trouver diate éternité et l’exigence de l’immorta- mis en place pour nous protéger de cette
d’autres issues sublimatoires à travers des lité rendue probable dans la fantasmatique cruelle et presque impensable réalité de
activités suffisamment renarcissisantes. liée au clonage, la cryogénie et les potions notre finitude, pour nous défendre de

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l’angoisse de la mort : refoulement, idéa-
lisation, dévaluation, projection, pulsion
d’emprise, déni, dénégation.
Sigmund Freud précise : « Les processus du
système inconscient sont intemporels, c’est-
à-dire qu’ils ne sont pas ordonnés dans le
temps, ne sont pas modifiés par l’écoulement
du temps, n’ont absolument aucune relation
avec le temps. La relation au temps est liée au
système conscient. » (Freud, 1968.)

L’apparition du vieillissement
psychique
Pour le psychanalyste anglais, Elliott
Jaques, « l’entrée sur la scène psychologique,
de la réalité et de l’inévitabilité de notre propre
mort personnelle à venir constitue le point
crucial et central de cette phase du milieu de la
vie, le facteur qui rend critique cette période. La
mort, du moins au niveau conscient, n’est plus
une idée en général, ou la perte de quelqu’un
d’autre ; elle devient une affaire personnelle, sa
propre mort, le fait d’être soi-même réellement Chaque tournant de la vie passe par des deuils nécessaires, afin d’évoluer vers un autre stade plus accompli et mature.
et vraiment mortel » (Jaques, 1997). Le sen-
timent de notre propre finitude s’insinue
insidieusement, on ne peut plus l’évacuer commence au moment où le fantasme d’éter- Qu’en est-il de l’adulte vieillissant qui
et faire comme si cela ne concernait que nité rencontre une limite jusque-là ignorée par vit un éprouvé du passage du côté de la
les autres ; c’est le début de notre fin. la libido, lorsque ce fantasme est mis à mal par décroissance, du déclin, du fléchissement,
Le psychanalyste suisse Carl Gustav Jung l’apparition d’un fléchissement durable » (Le de la rétractation, du manque à gagner, de
s’inspire de la course du soleil à l’intérieur Gouès, 2000). Et, utilisant la métaphore du la perte irréparable ?
d’une journée pour décrire le cours de la plan de vol d’un avion, il poursuit : « Si nous
vie humaine (Jung, 1973). Le soleil se lève assimilons l’enfance et la jeunesse à la pente de Vivre, c’est survivre à nos pertes
à l’aube, telles l’enfance et l’adolescence, montée, l’âge adulte au vol en palier, la pente
poursuit son parcours jusqu’au zénith, qui de descente pourra représenter le temps qu’il Notre existence humaine est jalonnée
représente la maturité, pour ensuite redes- faut pour rejoindre le sol… Toute la question de ruptures, séparations, pertes, inter-
cendre lentement jusqu’au crépuscule du consiste à savoir quand et dans quel état. » ruptions, déchirures, cassures, brisures,
vieillissement et se coucher dans la noir- Certains événements majeurs de notre crises, passages, transitions, tournants,
ceur de la nuit. Il y a une rupture de sens vie peuvent être précisément datés : deuils, abandons, sacrifices, renonce-
de ce mouvement, à l’endroit même du naissance, mariage, séparations, décès. ments, offrandes, immolations, privations,
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zénith qui départage la courbe ascendante Ils marquent une rupture en ce sens où il abnégations…
du début de la vie, où l’important est de y a « un avant et un après ». Un jour précis, Si vivre, c’est survivre à nos pertes, tel que
s’adapter au monde extérieur et de réussir l’événement advient, qui provoque un Sigmund Freud définit le travail de deuil,
dans la vie, et la courbe descendante de la changement, et le vécu suivant est celui si vivre, c’est perdre, tel qu’André Comte-
seconde moitié de la vie, qui nécessite de du « jamais plus comme avant. » Sponville esquisse une philosophie du
faire place à son être intérieur pour réussir Le début du vieillissement psychique n’est deuil, il est un fait que nous naviguons, du
sa vie. À partir du solstice du milieu de pas un événement comme les autres, début à la fin de notre vie, entre pertes et
la vie s’effectuent un retournement, une repérable à date fixe ; il n’opère pas telle attachements, pertes et nouveaux liens.
réorganisation des forces psychiques et une rupture brutale, mais tel un processus L’écrivain grec Plutarque, plus de vingt
un renversement qui porte sur les valeurs, qui va lentement prendre place dans le siècles auparavant, nous invitait à la
les croyances, les idéaux et les attitudes. psychisme. Ce processus, comme un long réflexion suivante : « La mort peut-elle sym-
L’inconscient est continuellement présent, passage qui va devoir tester et négocier boliser nos transformations dans le temps ?
alors que la conscience émerge progressi- en permanence les nouvelles limites du L’enfant doit mourir pour faire place au
vement lors du processus d’individuation dernier grand tournant de la vie, n’est pas jeune homme, qui décède lui-même afin que
qui permet à l’individu de devenir une sans faire écho au premier tournant de la l’homme soit possible, et l’homme disparaît
unité autonome et intégrée, mais qu’à la vie qu’est l’adolescence. L’adulte est passé à son tour pour que soit accueilli le vieillard.
vieillesse « un inexorable processus intérieur par des pertes successives, mais surtout La vie ne serait-elle qu’un incessant processus
commande la contraction de la vie ». par des gains de croissance et d’expansion de mort ? »
Pour le psychanalyste français Gérard à chaque étape. De ce fait, l’économie Il nous indiquait quatre temps de la vie,
Le Gouès, qui a publié une remarquable psychique peut établir une balance des quatre saisons, séparées chacune par la
étude sur le vieillissement psychique, « il comptes, équilibrée entre pertes et profits. nécessité de mourir à celui que l’on a été,

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DOSSIER
Le départ en retraite

afin que puisse advenir l’étape suivante, Pour Melanie Klein, tout deuil est revivis- Le sujet est invité à redéfinir ses rapports :
sorte d’épigenèse biologique, sociale cence d’un deuil originel lié à la première au temps, à l’espace, au niveau de son
et psychique. Son interrogation évoque séparation maternelle ; cette expérience engagement social, à la place de l’argent
celle de l’énigme que posait la sphinge à de séparation est fondatrice. et du patrimoine, au pouvoir et aux jeux
Œdipe, concernant l’animal qui marchait Pour Donald W. Winnicott, l’espace transi- de pouvoir, aux changements du fait
sur trois pattes le soir. tionnel entre la mère et l’enfant permet de de sa trajectoire et de ses expériences
Comment notre psychisme peut-il ac- créer de nouvelles continuités dans l’es- de vie.
cueillir l’arrivée du vieillard, et comment pace psychique rompu par la séparation. Ces pertes vont impliquer de la renoncia-
s’opère le passage qui nécessite de s’ap- Ces aires transitionnelles sont génératrices tion, et un travail de deuil qui devra, avec le
puyer sur un bâton pour avancer ? de jeux, d’illusions, de créativité et de sym- temps, s’articuler avec le travail psychique
bolisation qui permettent de surmonter les sur les gains qui viennent en contrepartie.
Deuils, angoisses et crises deuils et sur lesquels s’étaye la capacité S’il y a des pertes et de la souffrance, il y
d’être seul, en présence ou en absence de a aussi les gains que peuvent représenter
Approches psychanalytiques l’autre. Exister requiert la coupure du lien, le fait de mûrir, de se préserver, de jouir
du deuil le maintien de bons objets internes et le de la vie, d’être libre (la vieillesse comme
maintien d’un lieu de contenance, avoir un acquisition, progrès et sérénité).
Les travaux psychanalytiques s’intéressent lieu où mettre ce que nous trouvons. « C’est C’est donc une période qui engendre de
aux crises, séparations, deuils, comme par la culture que s’articulent le code psychique l’angoisse : elle signe la fin, le passage,
à des temps nécessaires et incontour- personnel (structure des identifications, des vers un autre temps de vie, la perte de la
nables à la structuration de l’existence et fantasmes et des relations d’objet, des sys- jeunesse, et, derrière tout cela, se profilent
à l’organisation psychique. Notre appareil tèmes défensifs) et le code social (système la réévaluation par le moi de ses désirs et
psychique évolue par crises successives. de pensées, valeurs, rapports de sociabilité, de ses propres limites, ainsi que la peur
Ce sont des mécanismes de développe- mentalités). » (Kaës et al., 1997.) de la mort.
ment et de maturation psychique. Chaque Si un deuil peut en cacher un autre, non Ces angoisses vont fortement mobiliser le
tournant de la vie passe par ces deuils fait, ses étapes incontournables sont tou- psychisme dans leur capacité :
nécessaires, afin de grandir psychique- jours les mêmes : sidération à l’annonce ● de faire le deuil, de faire avec des pertes,
ment et d’évoluer vers un autre stade plus de la nouvelle, déni, révolte, colère, de traverser sans trop de souffrance
accompli et mature. marchandage, dépression et acceptation. l’épisode dépressif qui ne peut manquer
Pour Sigmund Freud, « le deuil est la réaction Elles ne sont pas sans rappeler les étapes d’accompagner toute perte ;
à la perte d’une personne aimée ou d’une abs- du mourir de la personne en fin de vie. ● d’accepter la fin de certains attache-
traction mise à sa place, la patrie, la liberté, un (Kubler-Ross, 1993.) ments qui ont pu compter beaucoup,
idéal, etc. » (Freud, 1968), mais aussi le tra- d’accepter le passage du plein au « vide »
vail intérieur qui nous permet de survivre à La retraite : deuils et angoisses et, surtout, d’accepter ce dernier tournant,
cette situation. Il est l’ensemble des efforts la fin de ce rêve d’éternité qui nous anime
que l’endeuillé doit faire pour se détacher À quels deuils nouveaux le sujet vieillis- depuis l’enfance ;
de l’objet perdu. « Il faut enterrer le mort en sant et retraité doit-il faire face ? L’ombre ● de convertir les intérêts et investisse-
soi-même. » de quel objet perdu va tomber sur le Moi ? ments passés qui se trouvent « libérés » du
Les traversées des deuils tout au long Le nouveau retraité est confronté à des travail et de les redéployer en intérêts nou-
de la vie sont des crises structurales de pertes qui vont entraîner un processus veaux, capacité « de sublimer » dirait-on.
croissance de la psyché qui ne peuvent de deuil à un double niveau, biologique L’énergie qui n’a plus à s’investir dans le
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être surmontées que grâce à la conjonc- et social. Le corps change, moins agile, travail sera dérivée vers d’autres cibles,
tion de l’environnement du sujet et des moins résistant, et le fossé entre l’image vers d’autres objets valorisés par le sujet.
ressources qui lui sont propres. « La mise renvoyée et comment il se sent en lui, la La réactivation des défenses contre la
en crise peut être vécue comme une mise à mémoire moins infaillible, et le statut et les perte et les séparations qui sont toujours
mort, tant le dérèglement, le déséquilibre, dus rôles qui sont modifiés. Il est contraint de là, prêtes à se déployer :
aux expériences de rupture et de discontinuité se séparer de ce qui structurait une partie ● dans la fuite : recommencer sa vie ;
dans l’appareil psychique sont marqués de importante de sa vie antérieure : des sup- ● dans le refoulement : chasser de la
menaces. » (Kaës et al., 1997.) ports d’identification, des facteurs structu- conscience et du moi conscient les repré-
La crise du sujet vieillissant résulte d’un rant la vie psychique et la vie sociale. On sentations intolérables ;
conflit interne entre le déclin biologique et ne quitte pas impunément quarante ans de ● dans la dénégation : comme si le
social qui s’annonce, l’aspiration naturelle vie de travail, véritable colonne vertébrale vieillissement n’existait pas, des risques
à la croissance et le fantasme inconscient psychique, un emploi du temps contraint tels que les accidents somatiques ou les
en l’éternité. et parfois trop rempli, des collègues de somatisations, la dépression ou encore
Pour les psychanalystes, le deuil est un travail, une équipe de collaborateurs, des déstabilisations narcissiques entre
phénomène normal, il signe l’attachement la raison sociale de son employeur qui idéalisation (de la vie d’avant, de l’époque
rompu, même si, à son début, il prend les fonctionne comme référent identitaire d’avant…) et dévaluation (ne plus rien
colorations d’une affection pathologique. ou d’appartenance, une fonction et toute valoir, être un poids mort…) avec les pos-
Le vieillissement psychique va d’abord se l’utilité sociale qu’elle recouvre, un moyen sibles régressions, passivités, replis qui
manifester par un sentiment de perte, de de réalisation, un statut de pouvoir et de l’accompagnent.
deuil de soi, qui vont réveiller les premiers responsabilité, des habitudes, un salaire, C’est une période de transition qui de-
deuils de l’enfance. parfois des engagements syndicaux. mande du temps. Elle doit être traversée :

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personne n’en fait l’économie, même si contraire, à un vécu positif d’allègement « Miroir, mon beau miroir, dis-moi que je
chacun s’arrange comme il peut du fait des rôles socioprofessionnels. Ce qui est suis la plus belle », demande la reine de
de sa structure, de son histoire… mais, en jeu, aussi, ce sont les ressources du Blanche-Neige, et Simone de Beauvoir
avec du temps, car lui seul va permettre moi. La créativité identitaire (Jean-Claude répond : « Au fond du miroir, la vieillesse
le déploiement des processus psychiques Kaufmann, 2004) est étroitement liée au guette ; et c’est fatal, elle m’aura […]. Elle m’a.
et la sortie de crise, avec, au bout du che- niveau et à la diversité des ressources Souvent, je m’arrête éberluée devant cette
min, lorsque cela se déroule bien, plaisir (économiques, sociales, culturelles) dont chose incroyable qui me sert de visage […].
et sérénité. dispose un individu. Rien ne va plus. Je déteste mon visage […].
Mais, moi, je vois mon ancienne tête où une
La retraite : crises et conflits Les femmes vérole s’est mise dont je ne guérirai pas. » (De
psychiques Beauvoir, 1963.)
et le vieillissement psychique La psychanalyste Hélène Deutsch parlait
Le sujet doit exister d’abord sous le signe Un au-delà du miroir qui commence d’« une humiliation narcissique difficile à
de la soustraction. Cette crise de désorga- à la ménopause dépasser » (Deutsch, 1949). On retrouve ici la
nisation identitaire est liée à la nécessité première étape du deuil, celle du choc, de la
de maintenir intact le sentiment de sa Le motif de consultation des patientes sidération lors de l’annonce de la nouvelle.
propre continuité à travers les pertes, de âgées de plus de cinquante ans est sou- Le corps social les lâche aussi. La femme
garder un sentiment d’autonomie alors vent celui de « Je me sens déprimée », termes de trente ans intéresse les publicitaires, la
que les insuffisances créent de nouvelles recouvrant des réalités et des vécus très télévision et le cinéma. La « ménagère de
dépendances à l’environnement. différents. plus de cinquante ans » manque d’intérêt
Cette période est marquée par une double Ces baby-boomeuses ont connu la pilule et et de représentations. Les modèles iden-
crise existentielle : redéfinir les relations l’expérience d’« un enfant si je veux et quand tificatoires promouvant la maturité vieillis-
d’objets significatifs et redéfinir le rapport je veux », permettant, pour la première fois sante comme attractive sont quasi inexis-
à soi. Elle peut être abordée sur deux dans l’histoire des femmes, de dissocier la tants. Pour la presse féminine, la femme
facettes : la facette « opportunité » et la procréation de la sexualité. La ménopause de plus de cinquante ans est l’incarnation
facette « menace ». Si l’on se réfère à l’éty- signifie « je ne peux plus en avoir ». L’arrêt vivante d’une vérité du vieillissement qu’il
mologie du mot crise, « krisis » (en grec) du sang des règles, marquant la perte de vaut mieux dénier et tenir à distance.
signifie à la fois « action de se séparer » la fécondité et d’une issue sublimatoire Pour Sigmund Freud, l’instance psychique
et « choix ». Il n’est donc pas déplacé de majeure dans la maternité, se conjugue de l’Idéal du Moi qui représente le modèle
regarder le passage à la retraite comme avec une coïncidence de gains en rides auquel le sujet cherche à se conformer est
une nouvelle et ultime crise psychique. et en poids. Le corps se transforme, et une notion au carrefour entre le narcis-
À la retraite, on ne repart pas de zéro. Le l’image de soi dans le miroir signifie aussi sisme, les identifications aux parents et les
passage est influencé par les étapes qui la perte de la jeunesse et de la beauté. idéaux collectifs.
l’ont précédé. Les femmes, depuis leur puberté, sont L’injonction sociale tyrannique de rester
● Le rapport aux autres. Lorsque la retraite coutumières des vécus de perte : perte jeune, de gommer l’âge, est introjectée,
commence à poindre, il importe de s’inter- du sang des menstrues, perte de l’enfant surtout par certaines femmes, soumises
roger sur la place qu’occupe le travail dans qui sort du ventre lors de l’accouchement, alors à un redoutable conflit psychique
sa vie. Dans le même temps, ce même perte de leur nom de jeune fille lors du entre le Moi et l’Idéal du Moi hypertro-
nouveau retraité est obligé de faire des mariage. Elles accompagnent les nais- phié. Les femmes vieillissantes se sentent
choix pour organiser autrement sa vie : sances et les morts. Le corps qui parle responsables et coupables de ne pas cor-
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comment occuper son temps libre ? Avec tous les mois et le rythme cyclique féminin respondre aux idéaux collectifs proposés
qui ? Où vivre ? Comment réaménager inscrit dans une continuité subissent, d’un par la société actuelle. L’image qui leur
son lieu de vie, s’approprier différemment coup, une rupture. est renvoyée dans le miroir social oblige
les espaces ? Quelles priorités, quel sens De profondes angoisses d’abandon émer- certaines à mener une guerre sans merci
donner désormais à sa vie ? gent, placées sous le signe du « lâchage » contre le moindre signe de lâchage du
● Le rapport à soi. Il s’agit d’une crise corporel, social et identitaire. Le corps corps ; lutte avec le Moi Idéal, instance
de l’image de soi, de l’amour de soi. qui lâche rompt le serment de l’éternelle archaïque, engendrant un soi grandiose,
Comment garder l’estime de soi, du jeunesse que la génération de « Mai 68 » mégalomane, avec des ambitions per-
narcissisme sain, et continuer à s’aimer avait passé avec son époque. L’ouvrage fectionnistes, mais surtout miroir aux
suffisamment, alors que la société renvoie Elles croyaient qu’elles ne vieilliraient jamais alouettes défiant et déniant la mort à venir,
parfois aux retraités une image de vieux (Weissman, Lemoine-Darthois, 2000) en relayée par les cosmétiques et la chirurgie
inutiles, impuissants, asexués, improduc- fait une excellente analyse. Les femmes esthétique. Se jouent là les étapes sui-
tifs et repoussants. À cet âge, selon Erik parlent de cette peau qui s’affaisse – « tout vantes du deuil, à savoir colère, révolte et,
Erikson, il y a actualisation de toutes les fout le camp » –, rupture et atteinte narcis- surtout, un très long marchandage.
dimensions de la personnalité, désormais siques redoutables de l’image de soi. Se conformer à cette femme idéale sur
intégrées dans un tout original et unique ; papier glacé serait encore et toujours le
s’il regarde en arrière, il peut éprouver de Vieillissement et blessure seul moyen de se croire aimée. Cela serait
la satisfaction ou, au contraire, des regrets, narcissique aussi, encore et toujours, le moyen de
de l’amertume, du désespoir (Erikson, s’aliéner au désir de l’autre.
1982). Le retrait des participations sociales Cette blessure narcissique était déjà poin- Cela serait sûrement le moyen de s’empê-
pouvant conduire à la mort sociale ou, au tée dans les contes et la littérature. cher d’être soi-même et de faire le deuil

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DOSSIER
Le départ en retraite

nécessaire de la jeune fille qui ne sera dit une femme vieillissante. L’anthropolo- L’andropause n’a rien à voir avec la méno-
jamais plus. La dernière phase du deuil gue Françoise Héritier rappelle que, dans pause de la femme, elle est un simple ralen-
passe par l’acceptation du nouvel état. certaines sociétés primitives, les femmes tissement hormonal qui n’entamera en rien
Le temps de la ménopause, que l’on ménopausées sont mises à part et sont leur capacité reproductrice. Ils se savent
appelait aussi « retour d’âge », va ques- vécues soit comme de dangereuses sor- éternellement producteurs du vivant. Le
tionner l’identité féminine, si difficilement cières si elles continuent d’avoir des rela- vieillissement de l’enveloppe corporelle
construite entre le maternel et le féminin tions sexuelles soit comme accédant à un qui change, se rapetisse, se grippe, avec
sexuel. statut de respect et de quasi-masculinité des douleurs dorsales et articulaires, qui
« Je n’ai plus goût à rien, je ne sais plus où j’en (Héritier, 1990). ne répond plus comme avant, récupère
suis. » Ces phrases, si souvent entendues, Se sentir désirable par l’homme et nouer moins vite, les cheveux qui tombent et la
posent la question du désir et de la place une relation d’objet amoureux passe prise de poids… toutes ces atteintes phy-
dans la vie sexuelle. Les enfants sont par- d’abord par le sentiment de se sentir dési- siques du vieillissement sont vécues avec
tis, mais les syndromes du « nid vide » et de rante, de s’aimer suffisamment. Quant au agacement, parfois comme une dégra-
la nidation devenue impossible sont bien désir, il reste intact jusqu’au dernier souffle dation, mais ne sont pas vécues comme
là. Le pouvoir de la beauté, de la fécon- de l’humain. C’est, entre autres, ce que nous une atteinte à l’intégrité psychique, ni un
dité, s’en est allé aussi, ainsi « la voici sans apprennent les personnes en fin de vie. effondrement de leur identité masculine, ni
papiers, sans ce passeport qu’est la jeunesse » Lorsque le désamour ou le dégoût de soi comme un amoindrissement de leur capa-
(Michèle Lachowsky, gynécologue). dominent, il est nécessaire de stopper cité de séduction. La séduction est une
l’hémorragie narcissique, de réénergétiser non-question, elle va de soi, résultat d’un
Hémorragie narcissique d’abord la libido narcissique, afin qu’elle processus d’intériorisation symbolique de
ou créativité dérive ensuite vers une libido objectale, la suprématie masculine. La psychanalyste
permettant de renouer des liens affectifs Jacqueline Schaeffer rappelle que « sexua-
Dans ce moment de vérité du miroir, cer- satisfaisants, afin de passer de la femme lité et réalisation sociale chez les hommes vont
taines femmes s’écroulent dans une sorte séductrice par ses attraits physiques à dans le même sens, celui de la motricité, de la
d’anéantissement, de « chute impensable » la femme séduisante par ses attraits de conquête et de l’accomplissement phallique »
(Winnicott, 1975), dans une sorte de l’esprit, sans renoncement à sa sexualité. (Schaeffer, 2004). Oscar Wilde, dans Le
« désêtre » selon la formule lacanienne de Comment va vieillir toute une génération Portrait de Dorian Gray, met en scène une
délocalisation (« où suis-je ? »), destitution de femmes qui ont pu accéder, en partie, tentative d’évitement de la castration
de l’identité, de ce sentiment de coïnci- au pouvoir ? symbolique pour ne pas se reconnaître
dence avec soi-même. Pour d’autres, cela La créativité devra être au rendez-vous. comme un être limité, périssable, dans
sera vécu comme une épreuve semblable Mais, pour chacune, selon sa manière une finitude définitivement certaine. Le
à la phase dépressive du travail de deuil. singulière d’être au monde, cela dépendra portrait de Dorian est caché dans une
Pour celles qui se sentent coincées entre de la façon dont elle a négocié le manque pièce secrète ; le visage du portrait vieillit
leur fille, jeune et belle, et leur vieille mère, et ses deuils tout au long de sa vie, de se et s’enlaidit à la place de celui du héros.
atteinte de la maladie d’Alzheimer et « n’en sentir moins menacée de l’intérieur par le Est-ce que la société actuelle ne se livre pas
finissant pas de finir » dans une maison de sentiment de ne plus être séduisante, de au même déni de castration symbolique
retraite mouroir, il est alors urgent de trou- sa capacité d’éviter la capture excessive en valorisant à outrance les baby-boomers
ver de nouvelles identifications, car elles dans le champ scopique (ne se sentir sur leurs capacités de séduction. L’ouvrage
se trouvent alors placées dans un rapport exister que dans le regard des autres), de Elles croyaient qu’elles ne vieilliraient jamais a
non médiatisé avec la mort et butent sur se défaire de l’emprise des modèles fémi- son pendant masculin Vieillir, eux ? Jamais !
© Martin Média | Téléchargé le 23/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.75.195.254)

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« le roc du biologique ». nins familiaux et transgénérationnels, de (Weissman, Lemoine-Darthois, 2000.)
Le retour à l’imago archaïque de la mère son aptitude à se dégager des impératifs « Les vieilles peaux et les vieux beaux »
peut alors les entraîner vers une dépres- sociaux surmoïques. n’ont pas le même vécu du vieillissement,
sion mélancolique grave, voire au suicide. comme si l’une vieillissait et l’autre pas.
Accepter de perdre le statut de « fille » de La vision masculine du temps est linéaire,
la mère, de s’en décoller, de faire le deuil
Les hommes
sous-tendue par le fantasme d’intempora-
de cette relation symbiotique rassurante et le vieillissement psychique lité et la croyance en une jeunesse et une
par certains aspects, est alors vraiment Un au-delà du pouvoir beauté éternelles. Le vieux Faust ne vend-il
nécessaire et vital pour relancer la libido, pas son âme au diable pour redevenir jeune
passer au statut de femme et au désir, afin
qui commence à la retraite
et séduire la belle Marguerite ?
qu’adviennent de nouvelles sublimations. Aujourd’hui, des hommes de soixante ans Mais la société propose aux hommes un
Certaines femmes se plaignent d’être et plus prennent timidement le chemin du marché de dupes qui peut rendre fou, car
devenues transparentes dans le regard cabinet du « psy ». Ils sont souvent pous- elle envoie un message paradoxal : vous
des hommes : « Les hommes ne me regardent sés par leur femme. Le motif énoncé est êtes assez jeunes pour séduire, mais trop
plus, je ne suis plus désirable. » le terrible mot « retraite », responsable de vieux pour produire dans l’entreprise.
La psychanalyse nous apprend qu’une fille tous les maux : « Rien ne va plus depuis ma
devient femme en s’identifiant à sa mère, mise en retraite. » Retraite et dépression
puis, grâce au regard que son père porte Pour les hommes, le marqueur psychique
sur elle, sa féminité s’épanouira sous le du vieillissement et de la crise commence L’on assiste à de véritables dépressions
regard et les caresses de son amant. « J’ai plus tard que celui des femmes. Il se narcissiques lors du chômage aujourd’hui
honte de me mettre nue devant mon mari », déclenche au départ en retraite. massif des seniors, en préretraite, ou

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placardisés. La menace d’effondrement il sortira malgré tout vivant. Quelques-uns Tout au long du voyage, il sera conseillé par
psychique vient de l’extérieur, en tou- des épisodes peuvent nous apporter de des femmes, voix intérieures représentant
chant l’identité sociale. La perte du statut précieux enseignements. son « anima », archétype de la partie fémi-
professionnel peut mettre le sujet face Lorsqu’il rencontre le géant Polyphème nine inconsciente de l’homme telle que l’a
à des angoisses archaïques massives (qui signifie « très célèbre », en grec), qui définie Carl Gustav Jung. Il devra compter
d’abandon. La mère symbolique protec- s’apprête à le dévorer, ainsi que ses com- sur la sagesse du sexe opposé et renouer
trice que représentait l’entreprise ne sert pagnons, il se présente sous le nom de avec cette identité féminine inconsciente
plus de contenant ; en perdant les attributs « personne » : renoncer à ne plus s’abriter pour trouver sa route et retrouver sa
sociaux de l’homme au travail, il risque derrière son identité sociale, sa persona, à Pénélope.
de perdre sa puissance virile. L’angoisse ne plus s’appuyer sur les étayages socio- J’accueille dans mon cabinet un certain
de castration jusque-là refoulée peut professionnels qui pouvaient masquer les nombre d’Ulysse, qui souhaitent retrouver
ressurgir violemment, surtout si le sujet a failles narcissiques, on assiste là à un chan- le chemin vers leur Ithaque.
multiplié les stratégies d’évitement. Pour gement de polarité de l’appareil psychique.
redorer son blason narcissique phallique, Puis Ulysse résiste aux chants des sirènes Conclusion
il utilise plusieurs moyens de réassurance qui engloutissent les humains au fond des
contra-phobiques : le changement pour eaux, pouvant symboliser les tentations Le vieillissement psychique invite les
une partenaire plus jeune, augmenter le de suicide et d’autodestruction. L’épisode femmes et les hommes à renégocier leurs
pouvoir de l’argent, de la parole, du statut du fruit du lotus représentant tout ce qui rapports à la spatialité et à la tempora-
social, des titres, honneurs et gloires. nous attire pour nous faire oublier. La lité, aux valeurs, croyances et idéaux. Il
Certaines catégories sociales semblent promesse la plus tentante de toutes est incite à faire le point, à redéfinir ses rôles.
mieux faire face à ces angoisses du fait celle de Calypso : « Reste avec moi et tu ne Puisque je ne peux pas être et avoir été,
que leurs capacités productives, créatives, vieilliras jamais », faisant rejaillir le fantasme puisque je dois négocier la perte et la
sublimatoires, ne sont pas limitées par d’éternité. Enfin, lorsqu’il navigue entre déprise, accepter de renoncer à l’enfant
l’âge ; ce sont les artistes, les intellectuels, Charybde et Scylla, ses compagnons et éternel, tout-puissant, que le temps est
les universitaires, les politiques et aussi les son bateau sont noyés dans un grand tour- désormais compté, je peux réfléchir à
psychanalystes ! billon. Il se retrouve alors seul, accroché à la trace et à l’héritage que je souhaite-
L’appartenance au sexe masculin et la une quille flottante. rais transmettre, pour m’inscrire dans la
permanence de la fonction reproductive Ce héros, ce grand roi, maître d’une flotte chaîne généalogique de l’humanité. Il
impriment dans le psychisme des hommes importante, touche là un moment crucial s’agit d’effectuer un véritable travail de
la certitude d’une puissance immortelle. où le roi est nu. Il doit rassembler toute deuil et d’accepter la castration symbo-
La clinique de l’homme vieillissant montre sa libido créatrice pour continuer la route. lique ; cela ne se fait pas tout à fait sans
à quel point la résistance à tout change- Il ne s’agit ni d’un test de virilité ni d’un douleur !
ment est à l’œuvre dans une dialectique exploit, mais d’une quête pour retrouver Dans les passages critiques, tout peut bas-
entre le Moi et le Ça. Cette instance, du sens et son identité profonde. Le Moi culer. Faisons en sorte qu’Eros l’emporte
indifférente au temps, constituée par l’en- a réussi à faire le deuil de ses ambitions sur Thanatos afin que nous puissions rester
semble des instincts, ne veut rien savoir. précédentes et à réélaborer le complexe jusqu’au bout du voyage, bien vivants, avec
Le principe de plaisir, le désir sans limite de la castration symbolique. le goût de soi, des autres, de la vie. ■
et le fantasme d’éternité se joignent pour
s’opposer farouchement au principe de
réalité qui ne propose que des moyens
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plus limités pour les satisfaire. L’âge de ses
artères oblige le Moi à renégocier avec ses
pulsions et ses idéaux.

Retour à Ithaque
William Bridges (2006) invite à une lecture
originale du mythe d’Ulysse. L’Iliade d’Ho-
mère, épopée presque exclusivement
masculine, nous présente de jeunes héros
partis pour une guerre de Troie qui durera
vingt ans. L’Odyssée raconte le retour du
rusé guerrier Ulysse vers sa terre natale,
Ithaque. Lors de ce voyage, qui durera
dix ans, le héros est confronté à de mul-
tiples épreuves, une odyssée qui pourrait
symboliser ce passage du vieillissement
psychique, lorsque l’on a passé du temps
dans le vacarme et la bataille du monde
du travail. Notre Ulysse est soumis à une
série de pertes et de dépouillements dont

Le Journal des psychologues n ° 2 8 2 – n o v e m b r e 2 0 1 0 27

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