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LE DIALOGUE TONIQUE DANS LA PSYCHOTHéRAPIE ANALYTIQUE

DE RELAXATION

Krzysztof Fortini

Médecine & Hygiène | Psychothérapies

2009/1 - Vol. 29
pages 33 38

ISSN 0251-737X
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Pour citer cet article :


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Fortini Krzysztof, Le dialogue tonique dans la psychothérapie analytique de relaxation,
Psychothérapies, 2009/1 Vol. 29, p. 33-38. DOI : 10.3917/psys.091.0033
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Psychothérapies, Vol. 29, 2009, N° 1, pp. 33-38

LE DIALOGUE TONIQUE DANS LA PSYCHO-


THÉRAPIE ANALYTIQUE DE RELAXATION
Krzysztof FORTINI 1

Résumé Assis sur un banc, ils aperçoivent trois adolescents qui


s’approchent d’eux et demandent l’heure. Marc les
Présentation clinique d’une séance de psychothérapie analytique
informe qu’il est minuit moins le quart. Les jeunes
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de relaxation, séance qui met en évidence l’importance du dialogue
tonique. Il s’agit de l’échange non verbal tonico-émotionnel entre le s’éloignent. Aucune crainte chez le jeune sportif, bien
thérapeute et son patient, un instrument de base dans la pratique de dans son corps, tranquille dans son comportement. Il
cette psychothérapie.
Le concept du dialogue tonique, fondé par J. de Ajuriaguerra, vient de terminer la quatrième année d’études à
est présenté dans la deuxième partie de l’exposé. l’école polytechnique de Lausanne, l’EPFL, prépare
son diplôme et envisage une thèse de doctorat.
Ses loisirs sont majoritairement occupés par le sport,
Summary ceinture noire de karaté, demain matin il doit donner
This is a clinical presentation of a session of psychoanalytic psy- comme chaque semaine le cours d’autodéfense dans
chotherapy relaxation. It points out the importance of tonic dialogue. la maison du quartier.
Il is about tonic-emotional exchanges between the therapist and his Marc est le plus jeune fils de la famille. Son père,
patient, which is the basic technique in this formal practice.
The concept of tonic dialogue, founded by J. de Ajuriaguerra, is artisan de 54 ans, vit de manière harmonieuse depuis
presented in the second part of this paper. 31 ans avec son épouse âgée de 50 ans. Avec ses deux
fils aînés (2 et 4 ans plus âgés que Marc) le couple tra-
vaille dans une entreprise agro-alimentaire familiale et
Mots-clés prospère. Marc, depuis la fin de sa scolarité, s’intéresse
Psychothérapie analytique – Relaxation – Julian de Ajuriaguerra – aux mathématiques, à l’électronique et à l’informatique.
Dialogue tonique. Par conséquent, il est un peu à l’écart de sa famille.
Contrairement à ses frères qui habitent avec les parents
dans une grande maison familiale, qui est en même
Key-words temps le siège de leur entreprise, Marc depuis l’âge de
Analytic psychotherapy – Relaxation – Julian de Ajuriaguerra – 18 ans loue un studio d’étudiant. Autonome financiè-
Tonic dialogue. rement grâce à des petits travaux manuels, il ne profite
pas de l’argent familial, ce qui lui semble normal. Dans
la vie, il ne se pose pas de questions. La vie est simple
CAS CLINIQUE pour lui. Il a beaucoup de facilités tant sur le plan des
études qu’au niveau personnel. Ses souvenirs d’enfance
Marc (prénom fictif) est un jeune homme trauma- sont agréables : « Il me semble que ma vie était très
tisé dans son corps et dans son équilibre psychique. simple jusqu’à mon accident ». Marc accepte d’avoir
D’ailleurs, son traitement psychiatrique est pris en charge tendance à idéaliser le passé dans son récit d’une vie
par une assurance-accident et non par une assurance- sans histoire.
maladie. Revenons sur l’accident. Les trois adolescents revien-
Le 27 avril dernier, le jour de son 24e anniversaire, nent, ivres, et se mettent à agresser le couple. « Donne-
Marc se trouve avec son amie sur une place publique. moi ta montre ! Prête-nous ta copine ! », exigent-ils en
commençant à le frapper. Son amie menacée s’enfuit,
Marc ne bouge pas mais il ne se défend pas non plus,
1
Psychiatre Psychothérapeute en pratique privée, Genève. « comme si j’étais paralysé », dira-t-il. Rétrospective-
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ment, il reconnaît qu’il aurait pu facilement maîtriser • Pourquoi ces différences n’interrogent-elles per-
les agresseurs. Cependant, sur le moment il est para- sonne, même pas lui ?
lysé, il ne se protège même pas, battu violemment il
• Le choix de ses études et de sa future profession le
perd conscience. Les agresseurs s’enfuient, son amie
met à l’écart de sa famille. Il quitte la maison fami-
revient et l’amène, massacré et inconscient, à l’hôpital.
liale après sa maturité 2. Mais quitte-t-il la place du
Il ne reprend conscience qu’après la première interven-
cinquième ou n’y avait-il pas de place pour cinq ?
tion chirurgicale. Il va subir plusieurs opérations pour
son nez et la paroi extérieure du sinus frontal, ainsi que • Que se passe-t-il en lui au moment de l’accident
pour sa clavicule gauche cassée. Après deux mois pour que son réflexe de survie soit si fortement
d’hôpital et l’arrêt des études, le retour à la maison est inhibé ?
compliqué.
• Quel est le mécanisme qui sous-tend cette inhibi-
Marc a peur, il se sent perdu, incapable de prendre
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tion ? Comment l’aider au mieux ?
n’importe quelle décision. Sa mémoire le lâche, il ne
peut pas lire, même avec les chiffres il a des hésitations. • Quelle thérapie proposer ?
Il essaie de rompre avec son amie : « Va-t’en ! Tu dois
trouver quelqu’un de mieux ». Il se néglige du point de Lors de la deuxième séance, je me suis rendu compte
vue vestimentaire et alimentaire. Il devient dépendant combien sa souffrance actuelle inhibe sa pensée et com-
de ses parents tant au niveau financier que par rapport ment et avec quelle force son affectivité est en mesure
aux activités de la vie quotidienne. Il ne se déplace d’inhiber son fonctionnement cognitif. L’inhibition de
qu’accompagné, ne peut plus dormir seul et reste pros- la pensée par la souffrance actuelle me semble de toute
tré dans son appartement. Finalement, sous la pression évidence comparable à la paralysie de son action par
de son entourage, il consulte son médecin interniste sa vie fantasmatique au moment de l’agression. Mais
qui le trouve affaibli, amaigri et dépressif. Il lui propose cette interprétation, tout comme d’autres interventions
un suivi psychiatrique. ou reformulations que j’ai tenté de faire, n’arrive pas à
Marc arrive à ma consultation début septembre, franchir la barrière défensive de la perplexité, ni à dimi-
donc quatre mois après cette agression. Son déplace- nuer sa souffrance.
ment est lent et hésitant. Ses mouvements sont entre- La symptomatologie de Marc me paraissait fonder
coupés par des temps d’arrêt variables. Il met, indécis, l’indication à la psychothérapie analytique de relaxa-
un certain temps pour choisir son siège avant de tion. Cette proposition trouvait sa justification non seu-
s’asseoir, mais il n’évite pas mon regard, au contraire lement dans la symptomatologie clinique de Marc, mais
j’ai l’impression qu’il s’accroche à moi, avec l’espoir également dans le contre-transfert. L’approche verbale
d’être poussé presque physiquement au-delà de son en face à face me paraissait très difficile. Même s’il ne
inhibition. s’agissait pas (la suite du traitement va nous le confir-
A ma question : « Qu’est-ce qui vous amène chez mer) d’une structure narcissique ancienne, d’un état psy-
moi ? », il répond : « J’aimerais comprendre ce qui m’est chotique, mais probablement d’une blessure narcissique
arrivé ! ». Son expression me fait penser qu’il parle de d’une importance à menacer l’intégralité des fonctions
son état psychique actuel et qu’il voudrait comprendre affectives et cognitives, l’inhibition défensive soutenue
sa dépression, ses angoisses et ses difficultés multiples. par une très forte angoisse rendait l’approche verbale
Cependant, Marc précise : « Je ne comprends pas com- pratiquement impossible. Les quelques reformulations
ment j’ai pu me laisser battre sans réagir ». En une phrase que j’ai pu utiliser n’ont pas été concluantes, de plus
la question est posée, grave et précise. D’un coup, le elles ne faisaient qu’augmenter la perplexité de mon
récit sur sa vie sans histoire m’apparaît comme un récit patient, rendant l’intériorisation quasi impossible.
sur l’évitement et le refoulement de l’agressivité. Cette Par contre, j’ai une bonne expérience dans le traite-
première séance fait dégager plusieurs questions : ment de ce type de décompensation par l’approche à
médiation corporelle. Je pense aux packs pratiqués en
• Qu’est-ce qui se passe, dans cette famille si bien
organisée, pour que le troisième fils soit si différent
des autres ? 2
En Suisse, équivalent du baccalauréat.
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Le dialogue tonique dans la psychothérapie analytique de relaxation 35

institution et à la psychothérapie de relaxation égale- difficile de décrire avec des mots le dialogue qui n’est
ment en privé. De plus, j’ai ressenti le besoin de proté- pas verbal. Pour pouvoir le faire, je prendrai une réfé-
ger Marc dans son corps comme une mère qui proté- rence métapsychologique : je pense à la mère qui écoute
gerait son fils blessé. Je me sentais en mesure de lui son nourrisson, pour qu’il s’exprime plus facilement,
proposer la relaxation. Je l’ai fait d’une manière telle plus clairement, elle pense à lui, elle pense pour lui.
que Marc, malgré ses difficultés à choisir, n’a pas Je sens chez Marc le besoin de diminuer la tension
hésité du tout, et il s’est senti rapidement bien protégé anxieuse qui commençait à s’installer dans sa respira-
par le nouveau setting. La thérapie débute avec son tion et je lui propose de porter sa concentration sur les
accord à raison de deux séances par semaine. points d’appui de son corps sur le divan, mais la ten-
sion ne diminue pas pour autant. Il se montre hésitant,
même perplexe.
SÉANCE En continuant à me référer à l’image métapsycho-
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logique de la mère qui tranquillise son enfant en lui
Marc arrive à la séance plus tendu que d’habitude. demandant : « Dis-moi encore une fois de quoi tu
Il s’installe sur le divan avec un soupir de soulagement souffres, où tu as mal », dans la réalité de la séance j’ai
et de satisfaction. Après 2-3 minutes, je romps le silence fait allusion à l’image – sensation d’être dans un
en lui proposant de reprendre la consigne de respira- brouillard – que Marc utilisait pour décrire sa perplexité
tion autour de laquelle nous avons travaillé lors de la et je lui propose : « Le brouillard est une protection,
séance précédente : « Essayez de porter votre concentra- mais aussi un empêchement de voir clair ». Il accepte
tion sur la respiration et dites-nous tout ce qui se passe, ma proposition et revient à la respiration.
ce que vous ressentez et ce que vous pensez ». Marc Quand je le trouve de nouveau bien détendu, je
exprime la sensation de serrement thoracique qu’il reprends ses propos précédents sur le sentiment d’être
associe à la situation actuelle où il se sent oppressé par agressé en disant : « Depuis votre accident (c’est comme
les démarches et les décisions qu’il doit prendre. Je lui cela qu’il a nommé à la première séance son trauma-
fais remarquer que sa respiration se détend progressive- tisme), tout vous agresse, comme si l’agression ne s’arrê-
ment. « Ici c’est facile. Je me sens protégé », dit-il et, tait plus jamais ». Marc ne réagit pas à mon intervention.
comme s’il était gêné par le sentiment qu’il vient d’expri- Je me lève et le touche à nouveau. Il laisse son avant-
mer, il ajoute avec un sourire complice : « Ici, le divan bras se détendre dans mes mains, paisible et confiant.
est confortable ». De retour à mon fauteuil, je me sens également
Je choisis de ne pas intervenir verbalement sur le confiant et détendu et je pense, je souhaite qu’il me
transfert, mais de « remettre le confortable au corps ». parle de sa douleur, mais je n’interviens pas verbale-
Je me lève et lui touche assez longuement le bras ment. Marc parle de son corps actuel, du besoin de
gauche – de mon coté – et plus brièvement le bras reprendre son entraînement sportif, de se soigner.
droit. Je me rassois et je lui propose : « Je vous sens plus Ensuite et finalement, il va reprendre le récit de cette
détendu qu’à l’arrivée au cabinet tout à l’heure ». agression le jour de son anniversaire.
Il accepte cette remarque et m’explique que son Marc parle librement et longuement. Il n’oublie
assurance-maladie a décidé de le convoquer devant le aucun détail. Son discours est imagé, détaillé et précis.
médecin-conseil, et en attendant sa décision le rem- Je l’écoute attentivement et passivement. Avec le temps
boursement de l’assurance est suspendu. « Cela ne vous qui passe, je me sens pris progressivement tant par le
concerne pas, je vous payerai de ma poche. Vous voyez, contenant de son discours que par le contenu de son
il ne me faut pas beaucoup, tout m’agresse, tout sans récit. J’écoute avec une attention flottante dans une
exception ». Je réagis par un « Hum » au mot « sans forme d’excitation dans la passivité. Je me réfère à J.
exception ». Marc se retourne pour me regarder et Guillaumin pour qui l’attention flottante comporte
ajoute : « Vous ne m’agressez pas vraiment, mais quand une sorte d’excitation dans la passivité. Dans Entre
vous me parlez, souvent, je n’enregistre pas… peut- blessure et cicatrice (1987), il propose : « Il s’agit d’ora-
être que cela m’agresse… un peu ». lité, de remplissage de l’écoute, vécus comme un plai-
J’ai choisi de ne pas intervenir verbalement. Nous sir auto-érotique, transitionnel entre dehors et dedans,
nous installons dans un silence « plein ». Il est toujours l’autre et le même. Cet auto-érotisme de l’écoute joue
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un rôle pour conserver les charges pulsionnelles du Aujourd’hui Marc va beaucoup mieux, même si son
patient et en détourner l’impact par transformation en traitement n’est pas terminé. La séance que j’ai présen-
plaisir d’excitation de fonction sans décharge ; une tée était effectivement très importante, presque « un tour-
forme d’énergie narcissique, issue d’une régression nant » dans cette thérapie. Mon intervention « On va s’en
libidinale ». sortir » a le poids d’une interprétation indispensable à
Les images de l’agression me touchent au-delà de sa prise de conscience, ouvrant une voie nouvelle à la
ce que je voudrais bien admettre, elles m’envahissent. psychothérapie.
Je me sens incapable de lutter contre ce mouvement L’indication à la psychothérapie de relaxation était
de l’identification projective. Je flotte, je ne suis pas tout posée en fonction de la symptomatologie de mon patient
à fait dans la séance, je régresse, et d’un coup, suite au et de l’analyse du contre-transfert. Du point de vue
propos de Marc : « Je croyais qu’ils allaient me tuer, que symptomatique, Marc présentait une très forte inhibi-
c’était la fin », un souvenir, un élément pénible et trau- tion de sa cognition par une émergence affective inac-
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matique de ma jeunesse vient à ma conscience. ceptable car destructrice pour le contrôle surmoïque.
Voici mon souvenir : j’ai 22 ans, je suis étudiant et je Ce contrôle lui a permis de refouler systématiquement
sors avec mon amie. Nous passons une soirée agréable, toute forme de conflictualité au bénéfice d’une vie sans
nous sommes sortis pour fêter la réussite de nos exa- histoire. Sa demande par rapport à la thérapie va dans le
mens, pour aller manger et danser jusque tard dans la même sens. Il veut comprendre pour pouvoir contrôler
nuit. Le seul bémol de la soirée vient d’un homme bien comment il a pu se laisser battre sans réagir. Comment
imprégné d’alcool qui n’arrête pas d’inviter mon amie il a fait pour pouvoir se défaire, comment comprendre
à danser, ce qu’elle refuse gentiment mais fermement. ce qui n’est pas compréhensible ?
A la sortie du local, l’homme ivre s’attaque à mon amie, Je lui ai proposé une psychothérapie de relaxation,
l’immobilise dans ses bras et tente de l’embrasser. Sans non pas dans le sens de trouver l’apaisement de son
réfléchir, je le frappe violemment au visage. L’homme angoisse ni de provoquer une explosion cathartique,
s’écroule et moi je vis des minutes infernales. Nous tour- mais dans le sens de s’engager dans le processus psy-
nons à distance autour de cet homme qui ne bouge pas. chothérapeutique. Mais son appareil psychique ne
Je ne vois pas, regardant de loin, s’il respire ou non. répondait pas à l’exigence psychothérapeutique : la
Je me sens dans la peau d’un meurtrier. Quelques fonction d’auto-observation, tout comme la gestion de
longues minutes plus tard mon cauchemar s’arrête. la conflictualité interne ont été supprimées (momenta-
L’homme ivre couché par terre bouge. Je m’approche nément ou durablement) par sa souffrance. Il a fallu pas-
de lui, je l’examine, mais par prudence j’appelle une ser par le travail d’étayage, par la remise en valeur du
ambulance. Mon amie et moi quittons cet endroit. Je narcissisme, par le renforcement de la sécurité de base,
suis soulagé. pour arriver à la séance présentée. Le transfert mater-
Fin de l’épisode, fin du souvenir. Je reviens à la nel indispensable présentait un double intérêt : calmer
séance. l’excitation (de la symptomatologie) et stimuler l’acti-
Je regarde Marc, silencieux après son récit, je le vité mentale (actuellement inhibée).
regarde avec plaisir, soulagé après mon souvenir, Nous arrivons donc au dialogue tonique ; cet échan-
content de revenir à la séance. Je le touche pour la troi- ge, très « prenant » sans doute pour le patient, mais
sième fois durant cette séance. Je le touche longue- également pour son thérapeute, met en évidence une
ment. Il me regarde, soulagé, avec un regard que je double écoute. Les deux protagonistes se trouvent
ressens comme confiant et complice. Et je lui dis d’une confrontés à l’auto-observation et à la présence de
voix qui me surprend par sa force de conviction : « On l’autre. Ils se trouvent dans un champ perceptif commun,
va s’en sortir ». ils échangent des regards, ils se touchent. En même
Les quelques minutes restantes de la séance, nous temps ils sont confrontés aux objets internes.
les passons dans le silence. Son visage détendu, sa res- La difficulté, mais également la qualité du dialogue
piration régulière, Marc donnait l’impression d’aller tonique résident dans la nécessité d’élaborer le contre-
bien. Moi aussi. En sortant, il m’a serré la main avec transfert. L’intérêt est de pouvoir orienter la thérapie en
plus de force et de conviction. « On va s’en sortir » a fonction de cette élaboration. A un moment donné de
été repris dès la séance suivante. la séance, plongé dans mon écoute flottante je régresse,
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agréablement, dans l’évitement, dans l’absence. Cette logue tonique se produit grâce à la mère « suffisam-
régression, cette absence se produit à la suite d’un ment bonne », selon l’expression de Winnicott (1945),
« envahissement » par l’identification projective que je qui peut assumer deux rôles apparemment contradic-
dois subir et que j’ai de la peine à supporter en raison toires : soutenir le nourrisson dans l’illusion d’avoir créé
d’avoir été moi-même dans mon passé impliqué dans l’objet, et le désillusionner progressivement. Soutenir
l’agression insupportable. Le propos de Marc : « Je croyais et désillusionner, valoriser et frustrer, en d’autres termes
qu’ils allaient me tuer, que c’était la fin » me réveille. jouer avec son enfant.
C’est probablement grâce aux mécanismes conjoints de L’objet nourricier a une double fonction pour l’en-
la culpabilité du thérapeute qui, au lieu d’être avec son fant, précise Marie-Lise Roux (1993) : d’une part il apaise
patient, flotte, divague, ne travaille pas, et de la contre- son excitation en calmant les demandes issues de ses
identification projective qu’un remaniement transféren- besoins physiologiques ; d’autre part il stimule son acti-
tiel important se produit. C’est à la suite de ce mouve- vité en lui laissant une place pour son développement
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ment que ma proposition : « On va s’en sortir » peut moteur et psychique.
prendre la force d’une interprétation décisive. C’est la double alternance présence/absence, stimu-
lation/apaisement qui donne au corps ses capacités
langagières ; le rythme corporel va s’inscrire plus tard
CONCEPT DU DIALOGUE TONIQUE comme rythme du langage, mais il est déjà une forme
du langage.
C’est à Julian de Ajuriaguerra que nous devons le L’intégration du dialogue tonique constitue le pro-
concept du dialogue tonique. En 1962, en se référant totype du passage du quantitatif, l’apaisement non spé-
aux travaux de H. Wallon et de R. Spitz, il analyse l’ave- cifique et partiel de la détresse tonico-émotionnelle,
nir de la relation mère-enfant dans la perspective du au qualitatif, satisfaction de la zone érogène grâce à la
développement de la personnalité du nourrisson autour satisfaction spécifique de celle-ci.
de deux axes essentiels, qui sont : l’identification, et la Il se produit le phénomène d’étayage de la pulsion
distanciation sous-tendue par la fonction du corps-à- orale sur les pulsions d’auto-conservation. Souvenons-
corps et par le concept du corps sensorimoteur du nous du rôle déterminant de leur opposition dans le
nourrisson. conflit psychique élaboré par Freud en 1915 dans Pul-
Lorsqu’un nourrisson pleure en exprimant, confu- sions et destin des pulsions.
sément, un malaise, la mère qui le prend dans ses bras Voici comment J. de Ajuriaguerra parle du dialogue
diminue, apaise son état de tension. En d’autres termes, tonique : « Ce dialogue tonique qui jette le sujet tout
l’émergence des pulsions d’auto-conservation se mani- entier dans la communication affective ne peut avoir
feste par une détresse tonico-émotionnelle non spéci- comme instrument à sa mesure qu’un instrument total :
fique et cherche une satisfaction. L’apaisement tonique le corps. Le corps est intégré aussi bien objectivement
que la mère produit chez l’enfant modifie quantitative- que subjectivement en tant que corps en relation et
ment l’importance de la détresse, amenant une certaine non en tant que forme ou masse abstraite considérée
satisfaction corporelle, mais ceci ne permet ni d’iden- en soi. D’autre part, ce corps en relation n’est intégré
tifier la source ni de satisfaire la pulsion. La suite de que par l’intermédiaire du corps d’autrui et dans la
l’échange, la continuation du dialogue à la recherche mesure où le corps propre se projette dans le corps
de la satisfaction devient nécessaire. Lors de cet échange d’autrui et l’assimile, en premier lieu, par le jeu du dia-
les protagonistes mettent en jeu la tonicité et l’expres- logue tonique ».
sivité de chacun dans une forme de « dialogue » entre J. de Ajuriaguerra complète les vues freudiennes sur
la mère et l’enfant, dialogue qui va les orienter progres- la formation de la structure en ajoutant la dimension
sivement vers la désignation de la zone érogène afin corporelle dans le sens de l’inscription d’échanges
de satisfaire l’excitation, donc d’identifier la source du toniques et leur incorporation dans la structure psy-
besoin qui va pouvoir être satisfait. Sa détresse tonico- chique en développement. L’incorporation de la relation
émotionnelle non spécifique, le « ça ne va pas » initial, tonico-émotionnelle, du dialogue tonique, va influen-
l’enfant va pouvoir confusément le préciser en « ça ne cer plusieurs éléments dynamiques et économiques,
va pas ici » ou « ça ne va pas comme cela ». Ce dia- mais également le choix de la structuration. Pour ce
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qui est de cette dernière, cette incorporation va consti- Cette dynamique va favoriser un développement
tuer un but pulsionnel et favoriser un mode de relation dans deux directions : l’une orientée vers l’extérieur de
d’objet par étayage, donc constituer un prototype cor- l’appareil psychique, avec la différenciation du pôle
porel d’introjection et d’identification. actif et du pôle passif au profit de la capacité d’agir, et
Du point de vue dynamique, l’incorporation du l’autre orientée vers l’intérieur de l’appareil psychique
dialogue tonique se propose en tant qu’élément favori- avec l’enrichissement constant de l’objet d’incorpora-
sant la formation des opposés et plus particulièrement tion au service du processus d’identification. Nous
du couple activité/passivité au stade oral, où le couple appelons précoce ce dialogue tonico-émotionnel entre
des opposés ne fonctionne pas encore. Car à ce moment- la mère et son nourrisson, celui qui est inscrit dans le
là, la passivité peut être identifiée soit en tant qu’absence Moi corporel dans l’enfance précoce, pour faire la dif-
de moyens d’agir, soit en tant que moyen expressif férence avec le dialogue tonique thérapeutique de la
aspécifique. psychothérapie analytique de relaxation. Le dialogue
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Du point de vue économique, l’incorporation du tonique, qui est à l’origine de la psychothérapie de
dialogue tonique participe à la différenciation du Moi relaxation, nous sert d’une part de référence concep-
et du Ça corrélative à la distinction entre auto-érotisme tuelle théorique en nous permettant d’affirmer notre
et narcissisme dans la perspective des investissements identité spécifique par rapport aux autres thérapies à
objectaux. médiation corporelle, et d’autre part il est intégré dans
Dans sa leçon inaugurale au Collège de France en la technique thérapeutique nous permettant d’affirmer
1976, Ajuriaguerra insiste sur l’importance du dialogue le mode d’approche, une spécificité de la psychothé-
tonico-émotionnel : « Il faut qu’ils (les éléments internes rapie analytique de relaxation.
et externes) s’organisent d’une manière constructive à
partir d’un certain ordre de relation sujet/objet, afin que
l’objet investi et intériorisé soit à la fois en nous et à dis-
Bibliographie
tance, pour qu’il devienne aussi un interlocuteur ». AJURIAGUERRA J. DE, ANGELERGUES R. (1962) : De la psychomotricité au
Pour Winnicott également, le « stade primaire d’inté- corps dans la relation avec autrui. L’Evol. Psychiat., 27 : 13-25.
gration » se construit à partir des soins maternels et des DECHAUD-FERBUS M. (1994) : Du corps à la psyche, la place de l’objet,
expériences instinctives. Si la rencontre mère-enfant in : Les destins du corps. Psychothérapie de relaxation d’inspira-
tion psychanalytique. Paris, Erès.
échoue, surgissent alors les obstacles dans le dévelop-
DIATKINE G. (1992) : Les limites du conte-transfert et l’éthique. Rev.
pement que Winnicott appelle empiétement ou heurt, Franç. Psychanal., 56 (3) : pp. 807-814.
faisant allusion à la dépersonnalisation psychotique. FORTINI K., AGOLINI O. (1995) : De la passivité au senti du corps, une
Cette expérience relationnelle du dialogue tonique dynamique au sein du dialogue tonique. Psychothérapies, 15 (2) :
intervient au moment particulièrement fécond du déve- 97-101.
loppement. L’appareil psychique est encore d’une part FREUD S. (1915) : Pulsions et destin des pulsions, in. Métapsycholo-
gie. Paris, Gallimard, 1968, pp. 11-44.
soumis à la condition somato-psychique et intrapsy-
GUILLAUMIN J. (1987) : Entre blessure et cicatrice. Seyssel, Champ
chique indifférenciée, et en même temps il doit faire Vallon.
face aux exigences de la différenciation du système et ROUX M.L.(1993) : Le corps dans la psyché. Paris, L’Harmattan.
des instances. En d’autres termes, il est en voie de struc- URTUBEY L. de (1994) : Le travail de contre-transfert. Rev. Franç. Psycha-
turation et à la recherche de la structure. Toute expé- nal., 58(5) : pp. 1271-1372.
rience s’inscrivant à l’intérieur de l’appareil psychique WINNICOTT D.W. (1945) : Primitive emotional development. Int. J. Psy-
va déterminer et être déterminante pour la qualité de choanal., 26 : 137-143.
sa maturation.
Adresse de l’auteur :
Le résultat de ce processus est la formation d’un
lien, la formation de la relation d’objet. Le dialogue Dr Krzysztof Fortini
tonique précoce va former le Moi corporel tout en s’y Psychiatre psychothérapeute FMH
inscrivant. 32, route de Malagnou
Le Moi va reconnaître le corps comme lieu de l’affect 1208 Genève
en provenance du Ça. Le devenir de la structure est en Suisse
jeu. Courriel : Krzysztof.fortini@freesurf.ch

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