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VIOLENCE ARCHÉTYPIQUE ET FIN D'ANALYSE

Brigitte Allain-Dupré

Les Cahiers jungiens de psychanalyse | Cahiers jungiens de psychanalyse

2007/3 - N° 123
pages 17 à 33

ISSN 0984-8207
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Pour citer cet article :


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Allain-Dupré Brigitte, « Violence archétypique et fin d'analyse »,
Cahiers jungiens de psychanalyse, 2007/3 N° 123, p. 17-33. DOI : 10.3917/cjung.123.0017
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CAHIERS JUNGIENS DE PSYCHANALYSE –

Violence archétypique
et fin d’analyse
Brigitte Allain-Dupré* - Paris

Dans ma pratique d’analyste, j’ai toujours été intéressée par le processus


de l’adolescence. Pour quelles raisons ? Entre autres, à cause de sa puissance
de récapitulation du processus primaire au moment du passage vers un nou-
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vel état du développement psychophysiologique. En effet, il s’avère que les
conditions dans lesquelles le moi du sujet s’est constitué – suffisamment ou
insuffisamment – lors des relations précoces se répètent en écho dans la
période de l’adolescence. Répétition ayant valeur de reprise et éventuellement
de relance des composantes psycho-affectives vécues dans la première
enfance, répétition qui permet donc de considérer l’adolescence comme un
champ de réactualisation de la relation archaïque 1 à l’intérieur duquel va se
déployer le remaniement pulsionnel en faveur de l’affirmation de l’identité
sexuée.
Les initiatives actuelles qui soutiennent une recherche transdisciplinaire
entre la psychologie des bébés et celle des adolescents sont le témoignage
vivant de la fécondité de ce couplage épistémologique. De plus, les recherches
conjuguées entre psychanalyse et neurosciences confirment la valeur de ce
couplage, entre autres, les travaux de l’analyste jungienne Margaret Wilkinson.
Celle-ci, dans un ouvrage récent, souligne que « le cerveau adolescent a été
décrit comme un “work in progress”, chantier en cours ; l’adolescence marque
une étape distincte en termes de développement, c’est seulement la seconde
après celle de la période néonatale pour ce qui concerne la rapidité de la crois-
sance bio-psycho-sociale 2 ».

La redonne archétypique de l’adolescence


En 1988, puis en 1991, Denyse Lyard conceptualisait la notion de redonne
archétypique de l’adolescence : « J’entends par là une nouvelle donne dans le jeu de

* B. Allain-Dupré est psychanalyste, membre du collège des didacticiens de la Société Française de Psy-
chologie Analytique.
1. Relation archaïque : relation symbiotique prototypique entre la mère et l’enfant qui permet à l’archétype
de se libérer et de devenir autonome, c’est-à-dire de fonctionner comme organe indépendant, donc d’être à
nouveau projeté.
2. M. Wilkinson, « The adolescent brain », Coming into Mind, London, Routledge, 2005, p. 114.

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la vie, dans la présentation des dynamismes archétypiques, grâce à quoi le moi
peut réviser ses positions. Et ceci me paraît important quant à l’attitude théra-
peutique de l’analyste d’adolescent. La “crise” d’adolescence est un conflit actuel
dans lequel le moi trouve la chance de reconsidérer sa relation aux imagos
parentales. Une libido neuve, d’origine archétypique est responsable du
processus 3. »
Cette notion continue d’ouvrir une voie prospective extrêmement féconde
en ce qui concerne la compréhension de la structuration du moi de l’adolescent,
dans son axe avec le soi, et la mise en place des défenses qui en sont issues.

L’expérience du soi adolescent


La notion de redonne archétypique présente, à mon avis, un aspect encore plus
intéressant : elle ouvre la possibilité de nous approcher cliniquement du pro-
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cessus de croissance psychique ainsi que de sa source précoce, la relation

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archaïque. En effet, lorsque la redonne archétypique se réactualise en se projetant
dans la relation de transfert, elle offre une figuration symbolique aux aspects
du soi qui y sont constellés, y compris bien entendu les aspects négatifs. La
redonne archétypique serait alors comme une chambre d’écho pour l’analyste
à l’écoute de ce que furent les modalités particulières de l’engagement du soi
du patient dans la relation archaïque.
Dans le processus adolescent, l’expérience intime et profonde de la sépara-
tion d’avec un état du passé engendre des mouvements d’organisation et de
différenciation. Sous la poussée du soi, ces mouvements permettent au moi
d’accueillir de nouvelles formes de mise en contact avec l’inconscient. La diffé-
renciation entre le complexe moi et l’ombre s’affine. En effet, la poussée sépa-
ratrice et différenciatrice du mouvement d’individuation entamé dès la nais-
sance active tous les aspects du soi : ceux qui vont permettre que se construise
un moi intégrateur des expériences, mais également ceux qui ne peuvent s’inté-
grer au moi et qui constitueront son versant d’ombre personnelle, ceci sous la
poussée archétypique des expériences de l’ombre collective.
Les aspects négatifs qui s’expriment à travers des affects violents ou encore
dans des mises en actes destructrices vont s’inscrire dans le bon déroulement
du processus adolescent et seront impulsés dans et par ce que nous appelle-
rons désormais le versant négatif du soi. Ils ont une fonction spécifique, qui
est de parachever la construction du moi, en particulier en poursuivant la diffé-
renciation de celui-ci par rapport à son ombre.
Pour le bébé dans des conditions suffisamment bonnes de relation, ces
aspects violents et destructeurs du versant négatif du soi sont en majeure
partie absorbés, transformés et humanisés par et dans la relation maternelle et

3. D. Lyard, « Le corps et la “redonne” archétypique de l’adolescence », Cahiers jungiens de psychanalyse,


no 55, 4e trimestre 1987, p. 59. C’est moi qui souligne.

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parentale. Concernant l’adolescent, ils se présentent à nouveau sous la poussée
différenciatrice du processus de croissance pubertaire et s’expriment large-
ment dans la confrontation à la famille et au collectif. Leur absorption et leur
transformation est moins externe qu’interne, c’est le douloureux travail
d’intégration auquel le moi adolescent est soumis.

Redonne archétypique et séparation


Chez l’adulte, je fais l’hypothèse que les séparations significatives telles que
les deuils, les pertes, mais aussi, ce qui nous intéresse ici, la perspective du
terme de l’analyse, opèrent une poussée séparatrice d’intensité similaire à celle
de la naissance et de l’adolescence. Poussée séparatrice conduite par le soi qui
relance ces mêmes énergies archétypiques, c’est-à-dire de construction comme
de destruction. Ce serait la redonne archétypique qui signerait la perte d’un état du
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passé au terme de l’analyse, perte qui devra être reconnue et intégrée par le moi

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du patient en tant que gain de croissance.
Les paradigmes de nouvelle naissance ou de sevrage qui sont le plus sou-
vent associés au terme de l’analyse prennent à mon avis leur sens symbolique
justement parce qu’ils se réfèrent à ce mouvement de redonne archétypique qui
s’impose avec la séparation annoncée. Chez le patient adulte, la conjugaison
des aspects archétypiques avec les éléments de son histoire personnelle va
colorer de manière spécifique ce que je me représente comme la « crise de
croissance » psychique qu’est le terme de l’analyse. J’ai pu constater que Jung
invoque avec une relative facilité le processus adolescent dans son œuvre. Il le
décrit, quelle que soit d’ailleurs sa butée temporelle, comme la période au
cours de laquelle le moi se dégage de l’inconscient et peut donc assumer en son
nom propre la fonction de miroir structurant qui était portée par la mère dans
les relations précoces.

Redonne archétypique et terminaison de l’analyse


Se dégager de l’influence inconsciente des parents, de leurs puissantes ima-
gos, « s’en délivrer par l’actualisation du fantasme de mort de la mère 4 », nous
renvoie clairement dans sa symbolique et dans ses images, au travail de sépara-
tion de l’analysant – comme de l’analyste, d’ailleurs – quand s’approche le
terme de l’analyse. Autrement dit, le travail de séparation ne s’effectue pas tant
sur la scène consciente de l’adieu ou de la nostalgie, mais bien dans la relance
de ses effets de séparation, sinon de mort symbolique, entre le moi et ses
sources inconscientes.
Si nous avons donc parfois intérêt à construire une réflexion clinique en
termes d’âge, propre à chaque étape de la vie, nous voyons également la

4. C. G. Jung (1923), Child Development and Education, CW (Collected Works) 17, § 222-223 (non traduit en
français).

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richesse de l’étude des « déterminants transtemporels » – l’expression est
d’André Green – de l’organisation psychique, autrement dit, du mode d’ex-
pression de l’énergie archétypique.

Éléments psychotiques, éléments névrotiques


dans la redonne archétypique
Pourquoi m’appuyer sur le processus adolescent ? Dans le très beau livre
qu’il a écrit sur les fins d’analyse 5, Giuseppe Maffei organise son propos selon
deux critères liés à la structure du patient. D’un côté les patients classiquement
décrits comme névrotiques, et d’autre part ceux qui sont porteurs de probléma-
tiques identitaires dans le champ d’expression de la psychose. L’utilisation du
paradigme adolescent me permet de réunir ces deux distinctions nosographi-
ques dans leur même source énergétique et processuelle, à savoir considérer la
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dualité psychique névrose-psychose, mais aussi la progression-régression dans

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la confrontation avec une butée, qu’on appelle celle-ci séparation, différencia-
tion, détachement, peu importe. C’est ici le mouvement séparateur qui compte.
En effet, la fragilité, la transparence psychique induites par le processus
adolescent – versus soi primaire 6, c’est-à-dire destructeur autant que promo-
teur – met le sujet au contact de son noyau psychotique et donc rend possibles
les vécus d’effondrement du jeune moi, et parfois ce qui est plus grave, des
fractures de l’enveloppe psychique : bouffée délirante, entrée dans la schizo-
phrénie, somatisations graves, fréquentes à l’adolescence.
Parallèlement, les propositions de reprise symbolique de ces éléments pri-
mitifs issus du noyau psychotique, tant au plan individuel que collectif, sont
nombreuses dans notre culture occidentale ; elles permettent une figurabilité
des aspects les plus terrorisants de la fantasmatique adolescente par la recon-
naissance même de l’existence de la crise d’adolescence. La culture collective
propose sans cesse aux adolescents des moyens de plus en plus sophistiqués
d’élaborer et d’externaliser les fantasmes identitaires les plus étranges : goths,
alien, punks, hard, heavy metal, etc., les édulcorant par là même de leur charge
destructrice en les ritualisant.
Mais il faut souligner que le processus adolescent est également marqué par
une relance énergétique liée à des aspects constructeurs, prospectifs du soi.
Celle-ci propose au moi une croissance d’abord selon ses composantes pro-
pres, c’est-à-dire sans mesure, en tout ou rien : tant du côté de l’idéalisation,
dans la soif d’absolu et la recherche de beauté, que de son contraire, dans la
destruction, l’annihilation de soi et de l’autre dans la haine. Le combat du
héros avec la mère devra avoir vraiment lieu pour que le sacrifice de son omni-
potence ne reste pas une figure de style. Ainsi se constitue le substrat psy-

5. G. Maffei, Le fini delle cure, Torino, Bollati-Boringhieri, 2002.


6. Notion créée par Michael Fordham et reprise dans une acception un peu différente par Erich Neumann
pour postuler un inconscient préexistant, et non une tabula rasa.

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chique dans lequel le moi adolescent va venir s’amarrer, et au passage cons-
truire et renforcer, dans le meilleur des cas, des défenses adaptées.
Ces éléments fondateurs du processus adolescent ont-ils quelque chose de
commun avec le déroulement du processus archétypique mis en jeu dans l’éla-
boration et l’expérience vécue du terme de l’analyse ? C’est mon hypothèse de
travail, et j’espère en dégager les composantes théoriques qui s’imposent dans
ma clinique quotidienne.

L’aspect initiatique du terme de l’analyse


Un des aspects archétypiques classiquement décrit à propos du processus
adolescent est l’aspect initiatique. En tant que processus universel, il ouvre sur
le champ rituel de la mort, mort de la vieille personnalité infantile ; puis, dans
un second mouvement, sur la phase de renaissance, à une nouvelle identité.
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« Quand il a atteint la puberté, le jeune homme est conduit à “la maison des

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hommes” ou dans tout autre lieu consacré où il est systématiquement détaché
(alienated) de sa famille. [...] L’initiation est souvent obtenue par toutes sortes de
tortures, qui incluent parfois la circoncision 7. »
Le terme de l’analyse, comme l’analyse elle-même, bien sûr, est chargé
d’aspects rituels qui vont scander la marche en avant vers le point fixé de la
dernière séance. Si l’aspect initiatique en est rarement souligné, cependant, les
thématiques de vie et de mort peuvent être des organisateurs centraux de sa
symbolique.

Une crise à vivre


Processus initiatique, processus adolescent, cliniquement, le rapproche-
ment du processus archétypique et pulsionnel de l’adolescence avec l’expé-
rience du terme de l’analyse me paraît non seulement valable sur le plan épisté-
mologique, mais aussi sur le plan étiologique, car, bien souvent, nous sommes
obligés de constater que les défaillances de la relation archaïque chez nos
patients adultes ont eu comme conséquence que leur « crise » d’adolescence a
été escamotée. Cela signifie qu’un moment du processus de croissance psy-
chique est resté suspendu, comme en attente de son déploiement dans la réa-
lité d’une relation. Un des escamotages les plus fréquents est l’absence de par-
tenaires parentaux avec qui partager la crise de manière structurante : j’entends
par là des partenaires permettant à chacun de continuer sa propre maturation
psychique, ce pour les parents comme pour les adolescents.
Or, en cas de difficultés de ces derniers, on voit le plus souvent apparaître
des tableaux de destructivité retournée contre soi-même dans les actings exter-
nalisés au détriment d’une élaboration de l’intrapsychique, ou encore un

7. C. G. Jung, La Structure de l’inconscient, Archives de psychologie, trad. M. Marsen, XVI : 62, 1916, p. 152-
179 (CW 7, § 172).

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effacement pouvant aller jusqu’au retrait de type autistique, qui fixe le moi
dans une impossibilité de s’assumer à la première personne. Pour survivre et
tenter de s’adapter, le recours à ces défenses du soi de nature autistique s’im-
pose. En effet, le moi n’est pas suffisamment construit pour opposer des
défenses névrotiques plus souples. C’est la souffrance relationnelle induite par
ces défenses inadaptées qui conduit de nombreux patients dans nos cabinets.
Entre ces deux extrêmes, on peut aussi observer des positions narcissiques
fragiles voire pathologiques – en particulier obsessionnelles ou phobiques – en
relation avec une adolescence silencieuse. Je pense là aussi bien à l’adolescence
sans paroles et sans images de certains de mes patients adultes qu’au témoi-
gnage de parents d’adolescents qui se trouvent dans l’incapacité de s’y retrou-
ver, c’est-à-dire d’intégrer pour eux-mêmes les éléments archaïques de cette
redonne archétypique que leurs enfants adolescents leur font vivre.
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Spécificité du travail analytique face à la réalité d’une butée
Chez les patients adultes dont le moi n’a pas vécu de processus adolescent
dans la relation à l’autre, c’est-à-dire de crise au sens décisionnel pour le moi, il
faudra donc s’attendre à ce que le terme de l’analyse relance dans la relation,
comme dans le matériel inconscient, et ceci de manière spécifique, les compo-
santes paradoxales du processus archétypique : tendances régressives inces-
tueuses et violentes poussées de désengagement, souvent destructrices.
J’insiste sur la façon spécifique dont se vivent ces éléments inconscients au
terme de l’analyse car jamais, dans le décours de l’analyse, le travail sur les
émergences inconscientes ne s’organise spécifiquement par rapport à une
butée temporelle explicitement posée, même si les angoisses de séparation ou
d’abandon peuvent émailler l’ensemble de l’analyse. En effet, le propre du
décours de l’analyse, tant que son terme n’est pas évoqué, est bien d’avoir le
temps pour soi. Dès qu’elle est formulée explicitement dans l’accord entre
patient et analyste, cette butée temporelle devient alors une instance psychique
différenciée et active dans le travail, au même titre que peut l’être le cadre. On
peut y voir une activation puissante de l’archétype de la séparation qui ren-
contre une butée dans le temps mais aussi dans la relation : l’analyse prendra
fin et la relation aussi, réellement.
En ce qui me concerne, cette butée temporelle devient un critère actif et
objectif d’analyse. Dans mes images intérieures, pour examiner tout matériel
inconscient qui surgit, elle vient s’ajouter au classique plan du sujet, de l’objet et du
transfert. Elle pourrait s’appeler plan du terme de l’analyse. Selon moi, le terme de
l’analyse fait donc partie intégrante d’un processus de développement et s’ins-
crit comme une phase spécifique dans la construction du moi du sujet, donnant
à revivre les séparations imparfaites. Cela à l’intérieur même de l’analyse, et pour
une autre part, dans cette phase post analytique qui échappe à la connaissance
de l’analyste, une fois la porte du cabinet définitivement refermée.
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Adolescence interminable
Adolescence sans fin, adolescence avec fin... Si nous pouvons poser
l’hypothèse que le processus adolescent ne se termine jamais, n’est jamais
complètement liquidé, mais continue d’œuvrer silencieusement, ou bruyam-
ment, en chacun de nous, alors il est possible de spécifier la teneur des violents
mouvements psychiques archétypiques qui émergent lorsque le terme de l’ana-
lyse est envisagé.
À mon avis, deux aspects y dominent : tout d’abord la quête du nouveau et
le désir de se porter en avant dans un avenir impulsé par le soi que le moi est
désormais en mesure de mettre en œuvre. Mais ce mouvement se double de son
contraire : les résurgences d’une quête ancienne qui consiste à chercher, sinon
retrouver le corps perdu, celui prépubère pour l’adolescent, c’est-à-dire celui de
la régression dans la chaleur incestueuse de la Grande Mère pour le puer.
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L’adolescence, ainsi que le terme de l’analyse, tant pour l’analysant que

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pour l’analyste, imposent donc au moi de se confronter radicalement à ce
paradoxe de l’individuation qui consiste à avoir besoin de l’autre pour se cons-
tituer et en même temps à être obligé de s’en différencier, c’est-à-dire opérer le
sacrifice de la perte de sa numinosité. De ces contraires naît le troisième
terme... Le paradoxe réside dans le fait que ces deux termes de la conjonction
doivent être tenus dans le même mouvement quand vient le travail spécifique
sur la terminaison de l’analyse, car deux dangers coexistent : le premier est lié à
la menace fusionnelle incestueuse, le second à une expulsion prématurée du
contenant thérapeutique lorsque le matériel relatif au dénouage n’est pas suffi-
samment analysé.

Redonne archétypique et défenses du soi 8


Le surgissement des énergies archétypiques activées par la perspective de
séparation va porter ces mouvements à leur paroxysme : réactualisation des
défenses du soi qui semblent rigidifier et annuler la souplesse défensive récem-
ment acquise par le moi, sous forme de sabotage du travail de terminaison,
attaques sur le cadre, réaction thérapeutique négative, bref, tout ce qui permet
d’éviter l’élaboration d’un sacrifice, d’autres diraient d’une position dépressive.
Les défenses du soi travaillent alors à la destruction du lien, pour éviter au moi
d’avoir à tenir ensemble le bon de l’analyse et son mauvais actualisé, entre
autre, par sa butée sur le temps. Elles travaillent à réactiver des fantasmes

8. Défenses du soi : « Système de défenses totalitaire que mettent en œuvre les patients dans un transfert
psychotique. Le phénomène est proche de ce qui est souvent nommé “réaction thérapeutique négative” :
aucun progrès ne peut s’inscrire et tout ce que dit l’analyste est annulé, soit dans le silence, la ritualisation
des séances, ou encore dans des attaques verbales explicites en vue d’annuler le processus analytique en
tant que tel » (M. Fordham, « Defences of the self », The Journal of Analytical Psychology, 19, no 2, 1947, p. 192,
traduit par l’auteur). Sur la réaction thérapeutique négative, voir H. Etchegoyen, Fondements de la technique
psychanalytique, Paris, Masson, 2006.

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incestueux qui, s’ils ne sont pas reconnus, incitent à la rupture prématurée de
l’analyse. Elles fonctionnent dans un tout ou rien selon la politique de la terre
brûlée : impossible de quitter l’analyste sans avoir détruit l’analyse, pour ne pas
à avoir en faire le deuil.
Les défenses du soi peuvent aussi travailler à une terminaison d’analyse
menant à une impasse, c’est-à-dire à l’immobilisation généralisée des processus
créatifs qui avaient cours dans l’analyse : il n’est plus possible de penser, on
estime qu’on tourne en rond, et cette absence de mouvement d’élaboration est
parfois interprétée comme un épuisement du processus qui indiquerait le
moment de se séparer. C’est l’analyse sans fin. Qui d’entre nous n’a pas été
effrayé par les formes extrêmement violentes que pouvaient prendre les mou-
vements inconscients dès lors que le terme est annoncé, quitte à nous faire
complètement douter de la justesse de notre jugement ?
Je voudrais maintenant mettre l’accent sur quelques aspects de conflit que
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le moi aura à affronter dans certains champs plus particulièrement activés
lorsque s’annonce le terme de l’analyse, à savoir l’identification, la négativité et
l’homosexualité. Autrement dit, il va s’agir d’explorer, dans le champ trans-
férentiel, les aspects de la redonne archétypique au terme de l’analyse concernant
la persona, le versant négatif du soi et l’union non dialectisée des opposés,
c’est-à-dire le même.

Identification versus persona


Le premier de ces champs est celui de l’identification, à savoir la question
des rapports entre les projections du transfert et la persona de l’analysant
– cette dernière étant considérée ici comme une émergence archétypique
défensive liée à la proximité de la séparation. Il est difficile de différencier clai-
rement cette question de l’identification de celle de la négativité, tant à mon
avis elles sont imbriquées. En effet, l’émergence du vrai moi est la consé-
quence d’une confrontation, parfois brutale, mais toujours dans la relation,
avec l’inquiétante altérité de l’autre. Souvenons-nous que le petit enfant s’érige
en tant que sujet en disant : Non !
Dans le vocabulaire publié par plusieurs de nos collègues, sous la plume de
Suzanne Krakowiak, l’insistance est mise à propos de la notion de persona sur
le rôle qu’elle joue dans la constitution du moi comme organe de l’identifica-
tion : « Lorsque le moi n’est plus identifié à la persona, celle-ci peut jouer son
rôle de fonction de relation avec l’autre, avec le monde externe, et est donc
complémentaire de l’anima et de l’animus lorsqu’ils peuvent être compris
comme une fonction de relation avec le monde interne 9. »
Commençons par l’adolescent : Richard Frankel dans The Adolescent Psyche,
Jungian and Winnicottian Perspectives annonce : « La mise en forme de son identité

9. A. Agnel et al., Le Vocabulaire de C. G. Jung, Paris, Ellipses, 2005, voir entrée « Persona », p. 69.

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est la tâche centrale de l’individuation de l’adolescent 10. » L’une des consé-
quences majeures du processus de croissance psychique est, pour l’adolescent,
la meilleure délimitation de son monde interne, animé par la vie pulsionnelle,
qui se différencie de son monde externe. Cela lui permet une plus grande prise
de conscience de l’organisation de ses identifications. Il repère l’influence de
ses imagos, parentales en particulier, mais pas seulement ; il les affronte, s’en
défend, et peut les utiliser au profit de son narcissisme. Il s’agit de conserver le
bon de l’objet comme image de soi et de rejeter ce qui ne l’est pas, en le proje-
tant sur le monde externe.
Le processus adolescent provoque la quête incessante, souvent douloureu-
sement expérimentale, d’une identification tenable pour le moi compte tenu de
la pression du surmoi et du collectif ; le narcissisme est à la recherche de son
objet, le soi se cherche un moi dans lequel s’inscrire de manière stable.
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Persona défensive
Chez l’adolescent, les aspects mimétiques de la première enfance, activés
dans le miroir de la relation à une mère suffisamment bonne, ont servi
d’étayage narcissique à l’organisation d’un moi. Un sentiment d’identité et une
capacité à reconnaître et à tolérer l’altérité se sont constitués tant bien que mal.
À mon sens, une mère est suffisamment bonne quand elle laisse un espace
d’incertitude dans lequel peut se créer une dimension nouvelle et inattendue
entre elle et son enfant, qu’il soit nourrisson ou adolescent 11.
Mais il peut arriver que la poussée identitaire du bébé ait été contrainte de
soutenir une identification défensive, seulement en miroir, sans relation d’alté-
rité pour l’animer et l’incarner. S’est alors construite une adaptation au monde
externe et à la relation de type persona/faux self, au sein de laquelle le vrai soi
n’a pas pu s’inscrire. Il n’a pu en particulier donner forme ni à sa violence, ni à
ses aspects destructeurs. Le faux moi qui en résulte est une sorte de chimère
narcissique, double adapté aux défenses de la mère.
Les composantes défensives de cette relation en miroir à la mère vont se
retrouver dans la redonne archétypique au moment de la séparation d’avec
l’analyse et l’analyste, et ce, que ce dernier soit un homme ou une femme. Pour
le patient adulte, l’identification en miroir du bébé qu’il a été va se réorganiser
dans la relation de transfert, conscient et inconscient. La puissance archéty-
pique du transfert favorise la recherche de compensation impulsée par un soi
primaire qui n’aurait pas rencontré dans la relation archaïque sa double com-
posante positive et négative.

10. R. Frankel, The Adolescent Psyche, Jungian and Winnicottian Perspectives, London, Bruner-Routledge, 1998,
p. 129 : « The shaping of one’s worldly identity is a central task of adolescent individuation » (traduit par
l’auteur).
11. H. Solomon, « Le soi éthique », Cahiers jungiens de psychanalyse, no 100, printemps 2001, et avec M. Twy-
man, The Ethical Attitude in Analytical Practice, London, Free Association Books, 2003.

25
L’imago de l’analyste
C’est ainsi que, dans la compensation, s’est constellée au cours de l’analyse,
une nouvelle imago dans la psyché du patient : l’imago de l’analyste. Les rêves
de transfert nous informent de la teneur de cette puissante imago. Afin d’abor-
der la question de la destructivité du patient vis-à-vis de l’analyste, je vais m’in-
téresser à la construction de cette imago de l’analyste dans la psyché du patient
et au lent travail de différenciation de cette imago en ses bons et mauvais
aspects.
Ce mouvement de créativité de l’inconscient qui consiste à figurer l’imago
de l’analyste est en relation étroite avec les différents mouvements de transfor-
mation psychique qui ont lieu simultanément dans le transfert : c’est-à-dire une
perception renouvelée de lui-même par le patient, en tant que bébé suffi-
samment bon, adolescent qui ne serait pas éternellement insatisfait et insa-
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tisfaisant, et peut-être analysant préféré de l’analyste, ou même patient mer-
veilleux ! Mélange indéfinissable de composantes psychiques parentales
personnelles et archétypiques, traces inscrites du vécu transférentiel, l’imago
de l’analyste dans la psyché du patient reste nimbée des aspects inconscients de
la personnalité mana. Jung insiste très souvent dans son œuvre sur l’irréductibi-
lité totale de cette projection. Il souligne ses aspects shaman, magiques, de
guérisseur, qu’il faut compléter par les aspects maléfiques, du sorcier, du fri-
pon qui en sont le retournement en son contraire.
« J’ai rêvé de vous en Bob Marley », me disait un adolescent fumeur de
joints et rastafarien, en pouffant de rire... Mais il y eut beaucoup à travailler sur
un Bob Marley sans foi ni loi, incestueux et violent, projeté sur son analyste et
qui le tyrannisait dans son monde interne. L’imago de l’analyste est sujette à la
loi de compensation de l’inconscient, à savoir que l’idéalité archétypique du
patient n’a pas pu être activée en son juste temps par les figures parentales.
Cette idéalité n’a pas subi le processus de déliaison de ses sources archaïques,
réduction nécessaire à la construction du moi, au cours de l’enfance et de l’a-
dolescence. La défaillance ou l’insuffisance parentale a imposé à cette idéalité
de rester en attente d’un objet. N’ayant en effet pu s’humaniser en se déliant de
sa puissance numineuse, l’imago en est restée puissamment imprégnée et, pro-
jetée sur l’analyste, elle va trouver l’objet qui lui correspond et se transforme en
imago d’un analyste idéal, bienveillant et non talionic, comme disent les Anglo-
Saxons. Celle-ci se représente alors dans les figures du registre parental,
père/mère, idéalisés ; son aspect diabolique reste clivé dans une censure sévè-
rement contrôlée par les défenses du soi et elle fonctionne en tout ou rien.
Les composantes négatives des relations précoces vécues fonctionnent en
effet selon la dynamique du soi, c’est-à-dire soit l’un soit l’autre. Si la part
d’idéalité est présente dans les matériaux inconscients, la part de négativité du
soi sera clivée ou encore projetée dans le monde externe pour conserver à la
relation de transfert ce totalitarisme du positif recherché dans et par la relation
26
archaïque. Cette projection latérale de la négativité du soi se fait alors souvent
sur un conjoint, un enfant ou un collègue de travail, les autres patients de
l’analyste, etc.

Persona idéale
L’identification du patient à cette imago idéalisée de l’analyste, à cause de
« ses affects en faim de représentation », pourrait amener à conclure l’analyse
sur la base de cette projection, apparemment rassurante pour tout le monde,
patient et analyste. Pourtant, si elle reste inanalysée elle pourrait mettre le
patient en grand danger par la suite. Il est intéressant de vérifier que le méca-
nisme de projection d’une imago de l’analyste donnant lieu au développement
d’une persona idéale, en clivant ses dimensions destructrices, peut voir son
efficacité défensive s’effondrer à la seule perspective de l’irrévocable terminai-
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son de l’analyse.

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Dans le texte La fonction transcendante, Jung nous rappelle que « le patient
s’attache par le transfert à la personne qui semble lui promettre un changement
d’attitude ; par le transfert il cherche à obtenir ce changement, indispensable
pour lui, même quand il n’en est pas conscient. Le médecin acquiert donc pour
le patient la valeur d’une figure indispensable et donc d’une importance abso-
lument vitale. Si infantile que puisse paraître semblable dépendance, il s’y
manifeste un espoir essentiel qui, s’il est déçu 12, vaudra au médecin une haine
intense 13 ».

La haine nécessaire
Je voudrais répondre à la citation de Jung : à mon avis, cet espoir est for-
cément toujours déçu, aussi bien pour le patient que chez l’analyste. Nous som-
mes en effet tous d’incorrigibles rêveurs ! Cela signifie que le patient éprouvera
l’intensité de la haine envers l’analyste qui lui fait vivre une telle désillusion
– l’analyse ce n’est « que cela » – tandis que l’analyste la reconnaîtra dans les
aspects négatifs de son contre-transfert, du fait de ce patient, qui encore une
fois ne lui permet pas de satisfaire pleinement à son idéal thérapeutique. Mettre
un terme à l’analyse va donc contraindre l’analysant comme l’analyste à se con-
fronter à cette haine qui est l’envers de l’idéal. Il est à noter que Jung parle bien
de « haine », mot qui dans sa terminologie n’est pas fréquent.
L’agressivité du jeune enfant, comme celle de l’adolescent a, entre autres,
pour fonction de vérifier la fiabilité de l’objet : la mère résiste-t-elle quand
« on » la cherche ? Il faut rapprocher le processus de figurabilité de la haine de
celui de l’idéalisation dont elle est le refoulé. Plutôt haïr l’objet que se haïr

12. C’est moi qui souligne.


13. C. G. Jung, « La fonction transcendante », L’Âme et le Soi, Paris, Albin Michel, 1990, p. 157.

27
soi.même pourrait être la devise de l’adolescent. Et on le sait, la limite entre soi
et l’objet est bien mal délimitée à cet âge-là. Une haine de soi fait sans cesse
retour, dans la haine du corps, scarifications, tatouages de dragons, de ser-
pents, de monstres et autres inscriptions effrayantes et ineffaçables.
Au cours de certaines analyses, le travail de séparation peut prendre des
formes extrêmement destructrices, dès lors que le duel avec la mère incestueuse des
Métamorphoses déborde la dimension symbolique et engage la lutte dans la réa-
lité du cadre thérapeutique. Nous rencontrons cette situation dans le processus
adolescent sous la forme d’une destructivité, parfois radicale, qui met au
devant de la scène psychique la nécessaire séparation. Cette même situation
peut être pensée au terme de l’analyse sous la forme élaborée du deuil, deuil de
l’objet, mais surtout de la toute-puissance – tant créatrice que destructrice du
soi, quand il s’est désormais inscrit dans les limites vivantes d’un moi organisé.
Si le clivage et l’expulsion dans le monde externe sont les modalités psy-
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chiques défensives privilégiées à l’adolescence qu’en est-il si on fait une relec-
ture du terme de l’analyse selon ces notions ?

Transfert du négatif
Je souhaite souligner que Jung parle de haine et non de transfert négatif. La
formulation même de « transfert négatif » me semble être un obstacle à sa
pensée : en effet, « le “transfert négatif” désigne à la fois et la valence hostile
ou agressive des sentiments, affects, représentations transférés, et un effet
négatif du transfert, du point de vue de la dynamique de la cure et des effets
qui en sont escomptés 14 ». C’est pourquoi je préfère parler du transfert du négatif.
Haine projetée dans l’analyse, transfert du négatif, il me semble en effet néces-
saire de considérer ce dernier et son analyse comme une condition essentielle
pour pouvoir parler d’une analyse complète conduite à son terme.
Si nous considérons que la relation entre Freud et Jung à travers leur cor-
respondance témoigne d’une forme élémentaire de l’analyse, on voit les effets
ravageurs qu’a eus pour Jung leur séparation non élaborée. La dimension de
négativité du transfert de Jung sur Freud n’a pas pu être analysée en tant que
contenu de l’inconscient. Ensuite, tout au long de son œuvre, les occurrences
du nom de Freud seront l’occasion pour Jung de poursuivre cette auto-analyse
de la désillusion, pour qu’elle fasse la part du bon et du mauvais Freud.

La haine, comme l’amour, a besoin d’un objet


Pour que sa personnalité puisse se constituer sur un mode autonome,
l’adolescent a besoin de sentir que la relation à sa mère, à ses parents, à son
milieu n’est pas totalitaire, sans pour autant être laxiste. Il a besoin d’un espace

14. C. Janin citant M. Bouvet, « Du transfert négatif au transfert du négatif », Revue française de Psychanalyse,
no 2, « Le transfert négatif », 2000.

28
qui lui permette de faire l’expérience de ses propres ressources, c’est-à-dire de
la fiabilité de ses objets internes, qu’il puisse les reconnaître comme lui appar-
tenant, et que cette reconnaissance puisse être en partie partagée. Classique-
ment, dans notre culture, l’adolescent construit et occupe cet espace psychique
et physique avec une certaine brutalité ; celle-ci est liée au conflit entre les
composantes archétypiques et celles de l’inconscient personnel. Le soi pro-
pose des énergies d’intensité extrême qui ont besoin d’être mises en forme par
le moi. Mais, comme lors des relations précoces de la première enfance, la
façon dont les représentants parentaux acceptent d’entrer dans la confronta-
tion inhérente à cette phase importante d’autonomie va venir amplifier ou au
contraire moduler le conflit psychique vécu par l’adolescent. L’autonomie
n’est en effet jamais donnée, elle est toujours conquise.
De même, on va voir se réveiller chez le patient une thématique souvent
restée inconsciente au cours du travail : l’analyste est-il porteur d’une affirma-
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tion et d’une solidité dans le lien transférentiel qui permettent au patient
d’avancer dans l’élaboration d’un vrai travail de différenciation des identifica-
tions de toute-puissance qu’il a projetées sur lui ? Lorsque le moi de l’adoles-
cent a besoin d’une violence qu’on pourrait qualifier de démesurée afin de
constituer cet espace de différenciation parce qu’il ne lui est pas suffisamment
ouvert (parents trop bons, trop présents ou encore trop absents, trop lointains,
pervers, immatures, etc.), on constate souvent que ses capacités d’intégration
sont débordées et que c’est le soi, dans sa dimension archétypique, qui vient
prendre le relais et organiser les défenses : tendance anti-sociale, actes délic-
tueux, auto-agressions, scarifications, comportements ou tentatives suicidaires,
retrait, désinvestissement, dépression, comportements addictifs à l’alcool, aux
stupéfiants, etc. Il va paradoxalement devenir de plus en plus dépendant de
ceux dont il croit être en train de s’affranchir.
Pour l’adolescent aux prises avec cette destructivité on pourrait dire que le
mauvais objet représente une certitude bien supérieure à la permanence que
pourrait offrir le bon objet. En effet, si ce dernier est toujours menacé de dis-
parition, le mauvais objet quant à lui donne l’assurance qu’on va se le garder,
surtout quand il s’agit de sa propre mère. En ce sens, l’objet de la haine ne peut
décevoir, or le moi de l’adolescent a besoin de certitudes. « Je sais ce que je ne
veux pas, mais je ne sais pas ce que je veux. »

L’objet de la haine est idéal


On pourrait dire que l’objet de la haine a toutes les qualités de l’idéal, en
termes de puissance et de stabilité. Donc, si la haine n’est pas reprise dans un
authentique travail de déconstruction, elle pourra avoir des conséquences
désastreuses dans la phase post analytique, car la part narcissique projetée sur
l’analyste et non déliée risque de recréer une nouvelle dépendance addictive à
l’idéal. On pourrait l’illustrer à travers l’exercice narcissique du fils-amant qui,
29
privé de Grande Mère à qui se soumettre, s’en retrouvera vite une autre – le
monde est riche en Grandes Mères – pour assumer son irrépressible besoin de
dépendance infantile. Ce pourra être une compagne, une formation, une pro-
motion, bref toutes choses qui pourraient tromper notre vigilance en soute-
nant l’expression d’une persona défensive, parée des beaux habits d’une matu-
rité en trompe l’œil.
Or, il est difficile pour l’analyste comme pour l’analysant, d’aller explorer
ces profondeurs de l’âme humaine qui se présentent parfois sous un jour fort
plaisant. En témoigne ce rêve d’une femme qui, au cours de son travail sur ce
thème de la haine, rêve qu’elle rencontre une belle jeune femme. Elle la recon-
naît sans pouvoir la nommer, en est très étonnée. À sa grande surprise, la jeune
femme se nomme à plusieurs reprises, énonçant seulement quelque chose qui
ressemble à son nom de famille sans donner son prénom. La rêveuse ne com-
prend toujours pas, l’inconscient insiste : la femme répète ce nom, Hass, pour
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qu’enfin la rêveuse la reconnaisse. La rêveuse réalise seulement au réveil, après
avoir élaboré le contenu de son rêve, que Hass signifie haine en allemand,
langue qu’elle a pratiquée autrefois. Elle avait donc rencontré la haine, qui
demandait à se faire reconnaître, tout simplement !

Identification à l’idéal
Dans la cure, comme durant l’adolescence, s’observera donc le même tra-
vail progressif de deuil de la toute-puissance narcissique, projetée sur l’analyste
sous forme d’une imago parentale idéalisée dans l’amour/haine. Ce travail
n’est bien sûr possible que dans la mesure où l’analyste, comme le parent de
l’adolescent d’ailleurs, n’est pas lui-même identifié à cette figure idéale. Or,
l’expérience clinique avec les parents d’adolescents montre à l’envi combien
leur propre adolescence est frappée d’amnésie quand ils deviennent à leur tour
parents d’adolescents. Mais qu’en est-il pour les analystes que nous sommes ?
Comment l’analyste résiste-t-il à cette identification idéale qui vient soigner
un narcissisme le plus souvent blessé qui l’a fait devenir analyste ? Il n’y a
certes pas de recette magique, mais la confiance, accompagnée du travail de
dénouage des aspects inconscients que nous mettons dans un processus qui
nous dépasse le plus souvent, devrait nous aider à cultiver la modestie...
Sans m’étendre sur la catastrophe clinique que pourrait représenter une
analyse partiellement ou totalement effectuée dans la persona, celle de l’ana-
lyste renforçant celle du patient et vice versa, je voudrais simplement citer ici, au
sujet de cette catastrophe identificatoire dans la persona, une réflexion de
Haydée Faimberg dans la Revue française de Psychanalyse : « Une analyse tout
entière peut en arriver à être un formidable bastion si elle se déroule dans un
accord complaisant entre les deux protagonistes ! Car le souvenir d’une expé-
rience de satisfaction éprouvée lors d’une séance précédente peut inciter tant
le patient que l’analyste à reproduire, inconsciemment ou consciemment, les
30
conditions qui provoquèrent ladite satisfaction. Si le patient ne peut que colla-
borer dans ce sens, il appartient à l’analyste de créer les conditions qui lui per-
mettront d’écouter quelque chose de nouveau. Entendue comme je l’entends,
la formule de Bion implique que l’analyste a besoin de créer activement une
nouvelle capacité psychique, une capacité négative d’écoute 15. »
Autrement dit, éliminer la facilité que représente un travail analytique
fondé sur la certitude. À la désidentification du moi aux idéaux parentaux pour
l’adolescent, correspondraient la reconnaissance et l’évaluation par l’analyste
de ses idéaux thérapeutiques inconscients qui tendraient à rendre le patient pri-
sonnier d’une persona surmoïque dont le rôle consisterait à nourrir l’analyste
de réassurance et d’aconflictualité.

Le fantasme homosexuel du même


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Les problématiques de l’empiétement maternel et de l’idéalisation me

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conduisent naturellement à aborder le dernier point que je voulais souligner
dans la proximité entre processus adolescent et terme de l’analyse. Il s’agit de
la question de l’homosexualité, que j’ai préférée articuler ici sous l’égide de la
figure du même.
Si les problématiques de l’adolescence sont bien dominées par les choix
d’objet narcissiques, la redonne archétypique de l’adolescence va venir relancer la
problématique d’identité sexuée en activant la dynamique psychique de l’inceste
symbolique à la mère. Pour le garçon, comme pour la fille, elle renvoie au
monde indifférencié du même. Cela peut prendre la forme, entre autres, d’ami-
tiés quasi amoureuses pour un/une amie grandiose – qui peut également être un
adulte – paré/e de qualités numineuses. Celles-ci imposent à la relation des
modalités psychiques de permanence, de fidélité, une stabilité sans partage,
s’accompagnant enfin d’une intensité et bien souvent d’un sentiment esthétique
directement corrélés à l’énergie archétypique du soi. Cette homosexualité de
l’adolescence est nécessaire en tant que relance narcissique, mais aussi objectale,
de l’amour de soi et elle ouvrira dans les meilleurs des cas, à un investissement
d’objet hétérosexuel pour la période de développement ultérieur...
Qu’en est-il si nous rapportons cette notion d’homosexualité, si nous la
mettons à l’épreuve des fantasmes homosexuels dans la relation patient/ana-
lyste lorsque se travaille la fin de l’analyse ? Pour l’adulte au terme de l’analyse
se rejoue le conflit psychique de la redonne archétypique entre le soi primaire
– narcissique – et le soi relationnel qui introduit l’altérité de l’objet et ouvre sur
la rencontre avec la différence : le pouvoir séparateur du paternel. Ces dimen-
sions sont particulièrement sensibles aux projections transférentielles. Ce n’est
pas sur cet aspect bien connu que je voudrais m’arrêter. Mais plutôt sur le fait
que ces revécus d’angoisse d’abandon masquent le plus souvent leur opposé

15. H. Faimberg, « Bion », Revue française de Psychanalyse, no 5, « Sans mémoire et sans désir », 1989.

31
dans lequel s’exprime la force violente nécessaire pour résister à l’emprise fas-
cinante de l’archétype du puer. L’analyste comme l’analysant sont inconsciem-
ment sollicités dans ces registres archaïques de l’attachement primitif, addictif
pourrait-on dire, en plein comme en creux : crainte de l’abandon comme de ne
jamais en voir le bout. Dans leur forme en tout ou rien, ces craintes nécessitent
une attention très spécifique lors de la terminaison de l’analyse.
Ces fantasmes homosexuels sont à entendre comme des fantasmes
de développement dont il faudra prendre conscience pour pouvoir s’en
déprendre. Ils entrent dans le travail de différenciation de l’Œdipe. Mais au
terme de l’analyse, il me paraît plus fécond de les rapporter aux tendances
infantiles de la psyché, tendances à retourner au même du fait d’un difficile,
voire impossible arrachement, pourtant nécessaire : « S’arracher à un ordre de
réalité pour qu’un autre s’anime », écrit Élie Humbert 16.
Tout d’abord, de même que les aspects négatifs du soi tendent vers la des-
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truction de l’autre qui impose sa différence, son cadre, la fantasmatique homo-
sexuelle – surtout au terme du travail d’analyse alors qu’elle est activée dans le
transfert – prend cette même coloration négative et omnipotente d’effacement
de l’altérité de l’autre. La reconnaissance de cette altérité passe par le dénouage
de l’homosexualité inconsciente. Mais c’est surtout comme expression de la
toute-puissance du même qu’elle me paraît féconde à analyser. Pour reprendre
les termes de la relation archaïque, l’expression de la fantasmatique homo-
sexuelle exprime la fusion avec l’état du plérôme des origines, dans le sein
d’une Grande Mère indifférenciée. Cette toute-puissance du même trouve dans
l’état de fusion son terrain d’expression privilégié, dont me semble-t-il les
aspects de régression défensive sont à prendre sérieusement en compte. Cette
régression défensive qui peut être vécue dans une angoisse d’abandon, proche
de l’agrippement, va venir toucher l’analyste dans ses zones les plus fragiles.
Nous connaissons bien les questions transférentielles qui se posent quand
vient à son terme le travail analytique : les revécus d’angoisse d’abandon sont au
premier plan, ils réactivent les blessures narcissiques que le moi a eu à endurer
précocement, il faudrait alors fantasmatiquement que la relation à l’analyste ne
s’arrête jamais. La figure de ce fameux puer aeternus, sans temporalité, c’est-à-dire
sans vie ni mort, est activée. James Hillman, dans sa superbe réflexion sur La
Trahison 17, aborde cette question de la fidélité et de la trahison dans le couple
puer-senex. En particulier, il insiste sur la nécessité de l’abandon que représente la
trahison : « Dans la mesure où le travail psychologique dirigé a pour but d’en-
courager les efforts personnels et l’autonomie, à un moment donné et d’une
façon ou d’une autre, l’autre sera ramené ou abandonné à son propre niveau,
c’est-à-dire, obligé de tourner le dos à toute aide humaine, trahi et rendu à lui-
même, là où il est seul. Comme l’écrit Jung dans Psychologie et alchimie : “Je sais par

16. É. Humbert, « Le prix du symbole », Cahiers de psychologie jungienne, no 25, mai 1980.
17. J. Hillman, La Trahison et autres essais, Paris, Payot, 2004.

32
expérience que toute contrainte, depuis l’allusion la plus légère jusqu’à la sug-
gestion, en passant par toutes les méthodes d’influence que l’on voudra, ne
détermine en fin de compte rien d’autre qu’un obstacle à l’expérience la plus
importante et la plus décisive de toutes, qui est la solitude avec soi-même, avec
son soi, quelque nom que l’on choisisse pour désigner l’objectivité de l’âme. Le
patient doit être seul, ne serait-ce que pour trouver et connaître ce qui le porte
quand il n’est plus en état de se porter lui-même. Seule cette expérience peut
donner à son être des fondements indestructibles” 18. »

18. Ibid., p. 38.


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RÉSUMÉ : L’auteur s’appuie sur l’étude du processus adolescent pour décrire le décours intra-
psychique et intersubjectif de l’expérience consciente et inconsciente de la séparation lors du travail de
terminaison de l’analyse. Réactualisation des énergies de la redonne archétypique de l’adolescence, la
fin de l’analyse relance sur la scène intérieure projetée dans le champ transférentiel les aspects d’identifi-
cation, le versant négatif du soi et l’homosexualité.
ABSTRACT : Based on a study of the adolescent process, the author describes a waning phase of the
intra-psychic and inter-subjective, conscious and unconscious separation experience during the terminal
phase of analysis. As a re-actualization of the energies of the archetypal adolescent reshaping, the end
of analysis plays out aspects of identification, the negative side of the self, and homosexuality on the
inner stage, projected into the field of transference.

Mots-clés : Adolescence – Défenses du soi – Destructivité – Fin d’analyse – Homosexualité – Identifi-


cation – Redonne archétypique – Séparation.

33

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