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Catherine Azoulay
2007/1 n° 13 | pages 35 à 56
ISSN 1265-5449
DOI 10.3917/pcp.013.0035
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-psychologie-clinique-et-projective-2007-1-page-35.htm
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déplaisir par son expulsion hors de la psyché sur un objet externe ; l’autre
élaborative, qui permet de négocier les distances relationnelles, en
consolidant la différenciation et les limites entre dedans et dehors. De
l’équilibre entre les aménagements de ces deux fonctions, dépend la nature
pathologique ou non des mouvements projectifs engagés sur le terrain de la
rencontre avec l’objet.
APPROCHE HISTORIQUE
Du côté de la psychiatrie
Au XIXe siècle, dans les débuts de la psychiatrie, le terme de paranoïa ne
possédait pas le même sens selon les pays : en Allemagne, où la nosographie
dominante se référait au Traité de Krafft-Ebing, ce terme correspondait à
toute forme d’expression délirante quelle qu’elle soit. Puis, en 1899,
Kraepelin distingue les délires qui se maintiennent avec une fermeté de
pensée et sans détérioration (paranoïa) de ceux qui se désagrègent dans des
processus démentiels (démence précoce). Il définit alors la paranoïa comme
“ le développement insidieux d’un système délirant permanent et solide,
s’accompagnant d’une parfaite conservation de la pensée qui reste claire et
ordonnée, de même que les actions et la volonté. ” (citation issue de
J.D. Guelfi et coll., 1987, p. 231). Dans le prolongement des travaux de
Kraepelin, Kretschmer décrit en 1918 le délire de relation des sensitifs
(paranoïa sensitive) qui concerne des personnalités sensibles, vulnérables et
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R. Schafer (1954)
R. Schafer, en 1954, publie un ouvrage qui accorde une grande part aux
mécanismes de défense impliqués dans les réponses Rorschach. Cet auteur a
mis en évidence des aspects spécifiques au Rorschach ressortissant de la
projection pathologique chez le paranoïaque.
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détaché combinant un sourire glacé et des yeux vides ou même une attitude
suprêmement assurée, empreinte de dédain et de dégoût. Dans la mesure où
la méfiance et les idées de grandeur coexistent dans les fonctionnements
paranoïaques, les réactions du sujet seront à la fois teintées par le contrôle et
l’expansivité.
À propos des modes d’appréhension
Un G% élevé correspond aux tendances mégalomaniaques, la globalité
étant fréquemment organisée de façon arbitraire en F-.
Un Dd% élevé qui met en avant une hypersensibilité aux détails mineurs
accompagnée par des descriptions minutieuses et compliquées, souvent de
mauvaise qualité formelle, renvoie aux tendances à la suspicion et à la
méfiance. Le caractère méfiant implique aussi une tendance à négliger
l’évidence et même à la nier (les D sont par conséquent moins perçus) pour
privilégier des rapports et des significations cachées. Schafer fait ainsi
référence aux personnes méfiantes qui se montrent particulièrement
inquiètes face aux marques de bonté et d’affection.
Un Dbl% plus important que la norme oriente aussi vers une tendance à
renverser l’évidence perceptive, cette attitude évoquant également la
défiance du sujet face au test.
Concernant les déterminants
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Planche VII : Cela évoque une carte de géographie, un petit peu les îles britanniques,
oui, déchiquetées, un peu comme une île. Ou une vertèbre qui aurait été fracturée.
Le fait qu’elle soit séparée fait penser qu’elle a été fracturée (Gbl).
Epreuve des choix (même sujet que pour l’exemple de la planche VII) : Choix + :
Planches I, IV, VIII : Parce que c’est son côté bien construit, symétrique, bien
ordonné, une impression de solidité ; Choix - : Planche VII : peut-être à cause de
l’éparpillement, un peu comme s’ils se produisait une désorganisation, comme si les
branches allaient s’écarter davantage, de plus en plus, ou les différentes portions se
séparaient aussi.
Au TAT2, nous observons plus volontiers le mouvement de clivage qui
permet au sujet, en projetant le mauvais sur l’objet externe (l’objet-dépotoire
selon Racamier), de se concevoir comme objet-parfait et, ce faisant, de
s’ériger en entité séparée de cet objet dont il craint l’engloutissement dans la
rencontre affective. Le seul moyen de s’en préserver est de le rejeter
massivement et violemment.
Planche 5 : C’est très très laid, tout est hideux, c’est sans doute voulu. Les petits
bouquins pressés entre deux socles, cette table, tout ça c’est affreux. Un manque
d’air qui est gênant. Cela donne une impression de gêne, de misère, d’extrême
pauvreté. La femme aussi donne l’impression de fatigue, de déception. Les bouquins
sont sans doute des romans policiers et les trois petits là-bas qui ne sont
probablement jamais lus qui sont stupidement là pour faire bien. Un éclairage
stupide, la femme qui a l’air de montrer une cuisse à la Marlène. C’est stupide cet
air de mère de famille fatiguée. On peut supposer qu’elle ouvre la porte et qu’elle
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2. Selon la méthode d’analyse de V. Shentoub, la feuille de dépouillement du TAT comprend, depuis 2003
(Brelet-Foulard F., Chabert C.), une série de procédés du discours référés aux émergences des processus
primaires, intitulée : “ Massivité de la projection ”, dans laquelle s’inscrit les procédés de type
paranoïaque : “ Evocation du mauvais objet, thème de persécution, recherche arbitraire de
l’intentionnalité de l’image et/ou des physionomies ou attitudes - idéalisation de type mégalomaniaque ”.
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Au Rorschach
Planche III : Y’a une espèce de menace qui est en train de planer derrière leur tête.
On va extrapoler… c’est la menace de l’homme guerrier qui signifie que si la femme
ne fait pas bien son travail…
Planche V : Je vois un lapin debout recouvert d’une grosse feuille, aussi un gars à
l’affût derrière une partie de terrain.
Planche V : Un papillon, enfin c’est un terme qui recouvre beaucoup de choses…
peut-être pourrait-on enlever la partie gris clair que je verrais maintenant (>) comme
le train arrière d’un animal qui se précipite dans quelque chose.
Planche IX : Et ces espèces de petits yeux sur le milieu, ouverts sur le derrière. C’est
une espèce d’invitation à voir derrière.
Planche IX : Ceci me fait penser à deux yeux, deux lucarnes… alors je me demande
si ce n’est pas quelque chose qui guette.
Au TAT
Planche 16 : C’est difficile mais je suis encore hanté par les cauchemars de cette
nuit. Deux hommes en train d’essayer de m’étrangler sur mon lit. Un barbu avec un
lorgnon affreux à qui j’ai flanqué mon poing dans la bouche. Il m’a mordu et j’ai eu
une douleur atroce au bras. Puis, une écuelle de soupe, ils vont m’empoisonner avec
des pommes de terre pourries, poussières qui sentaient. Un os, un grand tibia que les
gens ramassent et me montrent en disant qu’ils allaient m’empaler avec ça ce soir.
Il se casse en 10 000 petites esquilles.
Pour P.C. Racamier (1990), le paranoïaque engage un combat à la fois
contre l’angoisse paranoïde d’engloutissement par l’objet primaire et contre
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Au TAT
Planche 3 BM (angoisse plus paranoïde) : On se demande d’abord si c’est un homme
ou une femme. C’est une pipe qui est en bas ? A priori c’est une pipe ce qui
indiquerait… Non, c’est une femme de toute façon. Si c’est une pipe ce serait gênant.
(rit) Une femme garçon qui fumerait la pipe. L’impression qu’on a. L’auteur a voulu
indiquer l’apaisement total, l’écroulement des chairs, complètement avachie. En allant
plus loin, une lesbienne lâchée par son amie. Tout au moins le tableau a l’air de vouloir
dire ça. Avec une espèce d’austérité voulue dans ce divan lit presque militaire.
Planche 3 BM (angoisse plus dépressive) : C’est toujours la même chose. Trois de
suite qui se ressemblent. Un gamin ou une gamine, sexe indéterminé, mauvaise
posture, le ou la pauvre. Ce n’est pas la posture de repos normale, tout à fait la
posture de quelqu’un de rejeté. Je trouve ça horriblement triste. Vous ne me montrez
que des choses tristes dont on ne peut rien dire de positif, c’est noir et blanc, plus
noir que blanc.
Pour V. Kapsambelis et N. Gougoulis (op.cité), l’angoisse du paranoïaque,
le contraignant à fortifier sa pensée, est d’être pénétré par les idées d’un
autre, en d’autres termes d’être fécondé par une pensée étrangère qui
pourrait faire germer en lui des idées qu’il ne peut prendre en lui que dans le
but de les réfuter. Ainsi, les défenses du paranoïaque luttent contre un
fantasme de maternité. Ce type d’angoisse évoque le “ fantasme du piège ”
de Chasseguet-Smirgel (1966) renvoyant à l’intentionnalité du matériel dans
la situation projective : “ C’est voulu ! ”
Au Rorschach
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Planche 12BG : Alors y’a un cours d’eau. Tiens c’est bizarre, c’est la première fois
que vous me montrez une image où il n’y a personne dessus. Alors un cours d’eau
avec une barque, un arbre. Tout est tranquille apparemment… apparemment, ça a
l’air d’être l’été ou le printemps…oui, non, j’allais dire une bêtise et j’ai peur que
vous l’écriviez. Ecrire tout ce que je dis, c’est exactement comme s’il y avait un
magnétophone dans la pièce, c’est très désagréable… Un cours d’eau tranquille en
pleine campagne.
EN CONCLUSION
Nul ne devrait avoir besoin de défendre le paranoïaque contre la
dissolution de son identité, car il semble le faire si bien lui-même dans ce
coltinage incessant avec l’autre qui constitue l’assurance même de son
existence. Et pourtant, n’oublions pas, comme le rappelle nos collègues
suisses, que la spécificité de son fonctionnement se confond avec celle du
schizophrène dans certaines classifications psychiatriques. Espérons que la
psychologie projective, aux côtés d’autres collègues psychiatres et
psychanalystes, continuera d’aider le paranoïaque à trouver ses repères dans
le combat qu’il mène avec acharnement contre la confusion.
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