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NÉ ET NON NÉ

Réflexions sur la fratrie empêchée


Brigitte Allain-Dupré

Les Cahiers jungiens de psychanalyse | Cahiers jungiens de psychanalyse

2001/2 - n° 101
pages 32 à 47

ISSN 0984-8207
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http://www.cairn.info/revue-cahiers-jungiens-de-psychanalyse-2001-2-page-32.htm
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Pour citer cet article :


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Allain-Dupré Brigitte, « Né et non né » Réflexions sur la fratrie empêchée,
Cahiers jungiens de psychanalyse, 2001/2 n° 101, p. 32-47. DOI : 10.3917/cjung.101.0032
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Elle. —Je voulais vous dire, elle a parlé le jour de sa mort. Elle a
dit ce jour-là : « Mon enfant, ne te sépare jamais de lui, ce frère que
je te donne. » (temps) Elle a dit aussi : « Un jour il te faudra le lui
dire comme je te le dis maintenant, qu'il ne faut pas qu'il se sépare
d'Agatha. »

Silence.

Elle. — Elle a dit encore : « Vous avez de la chance de vivre un


amour inaltérable et vous aurez un jour celle d'en mourir. »

Marguerite Duras, Agatba,


Les Éditions de Minuit, 1981, p. 66.
CAHIERSJUNGIENS DE PSYCHANALYSE - 101

Né et non né
Réflexions sur la fratrie empêchée

Brigitte Allain-Dupré - Paris

Qui aurait été Carl Gustav Jung, et quelle aurait été son œuvre, s'il était
né... mettons cinquième enfant, d'une fratrie qui en aurait compté... mettons
sept ? Aurait-il été l'homme Jung que nous connaissons ? Certainement pas ! Et
pourtant, comment l'imaginer ? Et si Freud n'avait pas eu cette kyrielle de
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demi-frères plus âgés et si son frère aîné, Julius, n'était pas mort à huit mois,
aurait-il inventé la psychanalyse ?
Quand Jung, dans ses mémoires, nous dit simplement et entre parenthèses1,
« Ma sœur avait neuf ans de moins que moi », pour nous expliquer la solitude de
sa première jeunesse, nous comprenons immédiatement ce qu'il veut nous faire
sentir, que nous ayons été dans la même situation ou non. Inutile de s'expliquer
là-dessus, nous en avons tous une compréhension, sans doute, innée.
Un frère, une sœur, des frères et sœurs, alter ego, partenaires, ennemis, amis,
doubles, rivaux, sans parler des jumeaux, font vivre à l'enfant des confrontations
tout à fait particulières, que rien ni personne ne peut remplacer. On pourrait
dire qu'il en est de même pour l'enfant unique. Aujourd'hui, les « recomposi-
tions » familiales relancent des thèmes qu'on croyait réservés aux contes, quand
une belle-mère arrive chez papa, avec des tas d'enfants qui viennent prendre la
place... du fils du roi !
Pour explorer cette question de la fonction psychique de la fratrie dans le
développement d'un jeune enfant, je me suis servie d'une situation encore très
spéciale aujourd'hui, mais qui ne le restera sans doute pas longtemps, à savoir,
celle d'enfants nés à partir de procréation médicalement assistée, après qu'une
réduction embryonnaire ait eu lieu. À partir des mots d'un enfant que j'ai suivi
pour une psychothérapie, motivée par des angoisses s'exprimant de manière
élective autour de la perte in utero des embryons frères et sœurs, on pourrait réflé-
chir à l'expérience psychique, mais aussi physique, du fraternel, dans ses diffé-
rents aspects archétypiques et imagoïques de jumeau et/ou de double psychique,
dans la constitution du moi.
Il m'a semblé intéressant de montrer que la réflexion sur ces filiations, dont la
transmission se fait par des voies différentes, nous fait avancer dans une écoute et
une compréhension nouvelle de données psychiques liées au thème du fraternel, qui,
jusqu'à présent n'a occupé qu'une place discrète dans la pensée psychanalytique.

1. C. G. Jung, Ma Vie. Souvenirs, rêves et pensées, trad. R. Cahen et Y. Le Lay, Paris, Gallimard, 1969, p. 37.
De plus, si cette thématique ouvre des pistes de réflexion en termes de psy-
chogenèse, il s'agirait alors de se confronter particulièrement à la question
« qu'est-ce qui fait que je suis moi ? », elle renvoie également à une réflexion sur
la place de la mort dans la vie des enfants, ainsi que sur le discours que les
adultes, analystes y compris, tiennent aux enfants sur le sens de la mort.
En effet, chez plusieurs enfants ayant vécu la même situation d'avoir à faire
des deuils remontant à la vie intra-utérine, j'ai retrouvé, exprimée avec la même
clarté, la lancinante question du rescapé : « Pourquoi suis-je en vie, pourquoi
moi ? Qui a choisi de supprimer l'autre, les autres, mon frère ? Où est-il mainte-
nant ? Comment l'oublier, faut-il l'oublier? De quelle part de lui suis-je fait ? En
suis-je dépositaire pour toujours ? Suis-je vraiment moi, ou bien suis-je lui ?

Tout d'abord, pour cadrer la réflexion, il faut revenir sur quelques données
techniques de la médecine de la procréation. Elle induit un paradoxe auquel bien
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des femmes et, a fortiori, des couples sont mal préparés : en effet, traités, et cela
parfois depuis fort longtemps, au prix d'efforts inimaginables, pour qu'une gros-
sesse se produise enfin, ce n'est alors pas un enfant qui s'annonce, mais plusieurs
à la fois, parfois jusqu'à cinq ou six. Le couple aura alors à faire face, non plus à
l'absence, mais plutôt à une surabondance, qui risque de mettre en danger l'issue
de la grossesse; bien au-delà de l'assistance médicale à la procréation, la présence
médicale s'imposera très fortement dans tout le décours de la grossesse.
À peine la vie s'annonce-t-elle, que déjà il faudra affronter, bien concrète-
ment, l'idée de la mort. Il ne s'agira pas seulement, comme pour toute grossesse, de
faire face aux risques d'avortement spontané, de trop grande prématurité ainsi qu'à
tous les accidents de la périnatalité. Il ne s'agira pas non plus d'une confrontation
à la mort, à travers l'expression d'une fantasmatique plus ou moins consciente,
comme on la rencontre fréquemment dans les cures de femmes enceintes.
Bien plus, les parents devront, pour pallier aux risques liés à la grossesse
multiple, répondre à la proposition des médecins de pratiquer ce qu'on appelle
une réduction embryonnaire, c'est-à-dire la suppression des embryons2 superfé-
tatoires, considérés en surnombre, qui sont alors âgés de neuf ou dix semaines.
La destruction de ces embryons se fait in utero ; ils ne sont pas expulsés de
l'utérus de la mère, ils se réduisent naturellement et, sous forme de restes momi-
fiés, ils y demeurent jusqu'à l'accouchement.
Aujourd'hui, la plupart des services hospitaliers qui pratiquent ces tech-
niques sophistiquées de PMA3 se sont adjoints les compétences d'analystes pour
travailler aussi bien avec les équipes qu'avec les mères et les couples. En effet, à
côté des prouesses techniques, il est maintenant acquis que l'intensité des enjeux
inconscients doit être prise en compte. Les remaniements psychiques que
déclenchent de telles pratiques doivent être sérieusement accompagnés pour évi-

2. Aujourd'hui, il devient difficile d'utiliser les mots « fœtus » et « embryons » sans que les ligues qui
militent sur le thème de l'avortement, pour ou contre, n'y lisent le signe d'une opinion partisane.
3. PMA : procréation médicalement assistée.
ter que des passages à l'acte inconscients ne les rendent inopérantes et pour pré-
venir des dégâts psychiques qui pourraient être immenses, pour les femmes
comme pour les couples. De nombreuses et passionnantes recherches sont
menées sur ces questions, mais mon but n'est pas de m'y arrêter.
Par contre, dans le domaine des problématiques infantiles liées à ces nou-
velles modalités de conception, la recherche et les publications ne sont pas
encore très avancées, évidemment par manque de recul. On peut imaginer que
pour beaucoup d'enfants, l'histoire de leur conception s'intégrera assez naturel-
lement dans leur histoire-tout-court. Pour d'autres, le fait d'avoir été conçus
autrement donnera une coloration symbolique particulière aux conflits incons-
cients dont ils sont le sujet ou l'objet. La question des origines, les représenta-
tions de la scène primitive et la fantasmatique matricielle à l'intérieur de la vie
intra-utérine se combineront alors avec la thématique fraternelle qui pourra être
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exprimée de manière très crue et en même temps très violente.

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Si ce n'est toi...
Interrogeant plus avant cette thématique du fraternel, on constate qu'elle est
assez présente dans l'œuvre de Jung. On la trouve d'abord dans ses premiers tra-
vaux4, dans la démonstration qu'il nous donne de l'existence d'une commune
inconscience au sein de la famille. Les expériences d'associations, à l'intérieur
d'une même famille, viennent alors signifier la spécificité et la force inconsciente
du lien qui unit ses membres. Cependant, Jung n'y analyse pas à proprement
parler, la fonction identificatoire de ce lien. La thématique du fraternel sera beau-
coup plus exploitée en tant qu'image archétypique de l'union incestueuse. Dans
l'épilogue des Métamorphoses5, à propos du hierosgamos (les noces symboliques),
Jung décrit « le frère qui pénètre tout entier dans le corps de sa sœur où il dispa-
raît, ce qui veut dire qu'il est enterré en son sein, qu'il y est dissous en atomes et
qu'il se métamorphose ensuite ». Dans la symbolique alchimique, l'image du
frère est encore utilisée pour symboliser l'union des opposés (le frère avec la
sœur) qui représente souvent la conjonction, la complétude, l'achèvement, la
synthèse à laquelle s'opposent les forces antagonistes de dissociation, de démem-
brement, de destruction. Les figures archétypiques d'anima et d'animus ont une
origine également fraternelle. À propos de l'anima, Jung écrit dans Aïon : « Il
existe une imago de la mère, et non pas seulement de celle-ci, mais aussi de la
fille, de la sœur et de la bien-aimée, de la divinité céleste et de la Baubo chtho-
nienne, image intemporelle, universellement présente6. »
Dans la pensée freudienne, la mythologie de la horde sauvage ne laissera que
peu de place à la confrontation des frères entre eux, en vue de conquérir l'espace

4. C. G. Jung, « The family constellation », in Collected Works, vol. 2, London, Routledge and Kegan Paul,
1957.
5. C. G. Jung, Métamorphoses et symboles de la libido, Préface et traduction d'Y. Le Lay, Genève, Georg, 1953,
p. 710.
6. C. G. Jung, Aïon, « La syzygie : Anima-Animus », Paris, Buchet/Chastel, 1976, p. 26.
maternel, occupés que sont les fils du père à rivaliser avec ce dernier pour l'élimi-
ner et lui prendre sa femme.
Mélanie Klein, quant à elle, introduit cette notion clé d'angoisse primitive qui
renvoie à l'intensité des fantasmes destructeurs (détruire et/ou être détruit) dans
le contenant maternel. Un de ces dynamismes inconscients est la rivalité du
bébé-sujet avec des bébés-frères, dans le ventre de la mère, ces derniers étant des
équivalents symboliques d'un pénis destructeur tout puissant. Mais il s'agira là,
à mon sens, plus d'un questionnement épistémologique sur le rapport du sujet
avec l'objet psychique contenant-maternel, que d'une mise en débat de la rela-
tion inconsciente avec l'objet frère stricto sensu.
Enfin, Bion7 est le seul parmi les pionniers à avoir accepté de s'interroger sur
ce qu'il appelle « vie proto-mentale du fœtus », en développant l'intuition
qu'avait eu Freud à propos d'une absence de césure entre la vie intra-utérine et la
vie à partir de la naissance. Cette vie proto-mentale serait profondément reliée à
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la vie psychique de la mère, à sa capacité de rêverie. Nous dirions, en termes jun-
giens, au fonctionnement du soi maternel.
Mais, à côté de ces quelques repères symboliques dans la pensée psychanaly-
tique, on doit également compter avec les aspects fantasmatiques qui s'imposent
à partir de cette nouvelle manière de voir dedans, qu'est l'échographie8. Elle vou-
drait donner à l'enfant en devenir un statut précoce de sujet. Il n'est pas rare, par
exemple, que les échographistes voient débarquer dans leur cabinet la famille au
grand complet, venue saluer le bébé, dont la mère est enceinte.
Il s'agit là d'un regard qui bouleverse les représentations, les mythes,
l'image du corps de la mère comme celle du bébé, en inscrivant une objectiva-
tion extrêmement déroutante sur le monde intérieur9. Ces nouvelles techniques
imposent maintenant de penser la question du regard, du vu et du non vu dans
la vie symbolique, avec une attention redoublée.

Le clair obscur de la grossesse


Quand Martin me consulte, ce sont d'abord les difficultés scolaires qui sont
au premier plan de la demande de ses parents. Martin a bientôt huit ans, il est
fantasque, il ne fait rien à l'école, soi-disant, il ne fait qu'inventer et rêver. Ses
parents ne comprennent pas pourquoi il leur est aussi étranger. « Il est différent
en tout », dit de lui sa mère, « quand on rit, il est triste, quand on est sérieux,
Martin rit ; c'est un enfant à contretemps, à contre-pied ».

7. Voir le numéro de la Revue française de psychanalyse consacré à Bion, t. LIII, Paris, PUF, septembre-
octobre 1989.
8. « D'abord construit sur le même mode que écholalie, le mot échographie signifia à partir de 1906, une
pathologie qui consistait à reproduire correctement une forme sans en comprendre le sens. » Dictionnaire
historique de la langue française. Paris, Le Robert, 1998, sous la direction d'A. Rey. Aujourd'hui, les témoi-
gnages que rapportent certains patients de l'expérience de l'échographie font penser que cette définition
conserve toute son actualité.
9. On lira, par exemple, l'intéressante étude faite par Sylvain Mimoun sur les représentations de l'utérus
dans l'imaginaire des femmes et l'écart qu'il peut y avoir à en recevoir une image échographique :
S. Mimoun et coll., Des maux pour le dire, Paris, Flammarion, 1990.
C'est un enfant contrariant, dois-je comprendre assez vite. Mais que vient-il
donc contrarier d'un ordre familial inconscient et solidement établi ?
Martin est né au sein d'une fratrie de triplés, dans ce contexte de PMA qui a
donné lieu, pour que la grossesse puisse être menée à son terme, à une réduction
embryonnaire. Ses parents parlent avec une apparente sérénité des nombreuses
« tentatives » : il faut entendre là les stimulations hormonales auxquelles fut
soumise la mère et qui n'aboutissaient pas à réaliser le désir d'enfant du couple.
Jusqu'au jour où « on est passé à la vitesse supérieure » et où la mère se trouve
enfin enceinte après une fécondation in vitro réussie, au cours de laquelle on lui
fait un « transfert », c'est-à-dire qu'on lui implante cinq embryons. Le père est le
« donneur », me précise-t-on.
Selon ce que l'on m'explique, le débat avec le corps médical aurait été plutôt
vif, les parents souhaitant une grossesse multiple, des triplés, le médecin leur
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conseillant plutôt de ne conserver qu'un ou deux embryons. Après coup, il

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semble que ce bras de fer ait pu largement occulter le conflit psychique et
éthique provoqué par cette nécessaire réduction embryonnaire, dont la mère dit
qu'elle ne l'a pas oubliée, sans pouvoir en dire plus.
Trois garçons sont nés, dans ce qui est décrit comme une grande euphorie et
une grande agitation. La première enfance de Martin n'est pas évoquée de
manière proprement différente de celle de ses deux frères. Tout de suite on peut
entendre que ce qui a régi la relation entre les parents et chacun des enfants s'est
constitué dans un projet explicite d'uniformité, « pas de différence » étant le
mot clé dans la famille.
La singularité ? la personnalité de chacun aura plus tard à la développer. La
tripléité semblant donc contenir une forte menace fantasmatique de rivalité
entre les enfants, le « pas de différence » tente de la contenir sinon de l'exorciser.
La mère rationalise également qu'elle n'avait pas le temps de s'arrêter aux désirs
de chacun : « il fallait que ça tourne ! »
Les parents ont souhaité partager avec leurs enfants ce qu'ils appellent
« l'épopée » et leur ont raconté les « détails techniques » pour s'assurer qu'ils ne
leur reprocheraient pas un jour de leur avoir caché quelque chose.
Après coup, cette volonté de transparence de la part de parents nous inter-
roge. On pourrait comprendre que les sentiments d'intrusion, de transparence,
voire même de pénétration, auxquels les parents auraient été eux-mêmes soumis,
auraient pu être d'une telle violence qu'il leur était impossible de ne pas les
transmettre, en l'état, à leurs enfants. Ils n'étaient alors pas en mesure d'assurer
une fonction de barrière protectrice, d'enveloppe psychique parentale, de pare-
excitation, à cause de leur difficulté à élaborer symboliquement, eux-mêmes, ce
qui leur était arrivé.
On peut penser que la dimension presque a-symbolique de cette expérience
de PMA était en effet trop intense pour pouvoir être tenue secrète. Comment
construire, ou entretenir, un espace intérieur face aux modalités médicales
d'exposition et d'intrusion dans lesquelles le caché, le mystère et le clair-obscur
du monde de l'intérieur sont constamment soumis à regard, à dosage, à explica-
tions et à examen dans le monde de l'extérieur, celui de l'objectivation médicali-
sée et celui de l'échographie.
Monique Bydlowski10 dans un de ses ouvrages souligne les précautions à
prendre face à ce qu'elle appelle « la transparence psychique » de la mère pen-
dant la grossesse, qui grâce à « un abaissement des barrières du refoulement,
permet à tout un matériel habituellement inconscient d'apparaître dans le
champ de la conscience, donnant lieu, d'une part à un état relationnel particu-
lier » qui est très propice au transfert et « d'autre part à une facilité de liaison
entre la situation de gestation actuelle et un certain nombre de représentations
infantiles ». On imagine sans peine combien cette transparence rend le sujet
psychiquement vulnérable. Dans les circonstances de PMA, cette transparence
va être soumise au difficile travail d'élaboration des multiples interventions
médicales. Elles risquent d'alimenter, en particulier chez la mère, une fantasma-
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tique de toute puissance infantile, dans ses expressions parthénogénétiques ou
incestueuses.

Faut-il être né pour mourir ?


Martin, qu'on pourrait décrire comme « un enfant exposé », dans le décours
de sa thérapie et dans le transfert qui s'institue d'emblée, est au contraire très
désireux de s'assurer du secret de nos échanges11. Très vite, il va ouvrir entre
nous un espace de parole, plus que de dessins ou de jeux, dans lequel il cherchera
d'abord et avant tout à faire partager à sa thérapeute ses questions sur la mort,
puis sur ses « morts à lui ». « Les questions qui viennent dans ma tête sont beau-
coup plus compliquées que ce que mon cerveau peut comprendre ». Martin a le
sentiment d'être dépassé par quelque chose qui « veut toujours revenir » et qui
l'empêche d'écouter, aussi bien ce que dit la maîtresse d'école que sa mère, parce
que personne « ne parle jamais avec (lui) de ce qui l'intéresse vraiment ».
Ce qui l'intéresse est son secret, qu'il pense impossible à partager avec ses
parents, « pour ne pas leur faire de peine », par contre, il se sentira autorisé à le
partager avec sa thérapeute. Ce secret tourne autour des paroles parentales qui le
décrivent comme différent de ses deux frères. À partir de cette différence, il
développe le fantasme « de ne pas être celui qui va bien avec les autres ». Pour
lui, il s'agit d'une évidence : ses deux frères sont jumeaux et lui n'en est pas. En
ce qui le concerne, il ne peut pas, ne veut pas se reconnaître comme faisant partie
de la triplade, selon l'expression familiale. En effet, il constate que ses goûts sont
différents, et il trouve, comme ses parents, qu'il ne ressemble pas à ses deux
autres frères, aussi bien au plan physique qu'au plan psychologique.
Mais surtout, l'explication qu'il donne à ce sentiment de non appartenance à
la fratrie se cache dans un savoir intime, un secret dans le secret : « puisque les

10. M. Bydlowski, La Dette de vie. Itinéraire psychanalytique de la maternité. Paris, PUF, 1997.
11. Pour respecter ce secret, les moments de cure décrits ici ont étés légèrement modifiés mais restent
significatifs.
médecins n'en voulaient que deux », et que ses parents en voulaient trois, ce
troisième, il en est sûr et certain, ne peut être que lui !
Les médecins auraient choisi « les deux plus beaux dans le ventre de
maman », et lui, en quelque sorte, n'aurait été élu que par défaut, si ce n'est par
erreur. Si Martin ne se sent pas reconnu par le désir médical, il ne peut pas se sen-
tir investi du désir parental. Et il va encore plus loin, puisqu'il pense que le
choix de ses parents de le « garder » ne s'est porté sur lui que parce qu'ils l'ont
pris pour une fille. La sélection s'est faite à partir d'une image échographique,
dont il dit que « ça fait de très mauvaises photos, on ne peut pas mettre de flash
dans le ventre des mamans, c'est pour ça qu'ils se sont trompés pour moi ».
Depuis qu'il connaît l'histoire de sa conception, il porte en lui, non seule-
ment l'immense nostalgie d'avoir perdu « les autres », mais aussi celle de n'avoir
pas pu satisfaire ses parents en leur apportant une vraie différence, par rapport à
ses deux frères, nés garçons.
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Au cours de sa thérapie, il évoquera plusieurs rêves dans lesquels il entre en
relation avec celle qu'il pense être sa sœur. Il lui donne une grande présence et
beaucoup d'actualité dans sa vie quotidienne. Elle est pour lui la représentation
qu'il se fait de l'un des embryons réduits, « si on l'avait pas tuée » dit-il triste-
ment.
À d'autres moments, la présence fantasmatique de cette « sœur » se fait plus
vive et Martin se demande s'il ne l'aurait pas mangée, in utero, ou bien si elle ne
se serait pas, en quelque sorte, mélangée à son corps, risquant de faire de lui ce
qui lui fait « le plus peur au monde : un mort vivant ». On pense ici à l'image du
hiérosgamos décrite par Jung et citée précédemment.
Martin n'est pas délirant, il est dissocié au sens jungien du terme, c'est-à-dire
que quelque chose en lui résiste au clivage et cherche une voie pour donner vie et
forme à une dimension inconsciente parentale, qui est, malgré les apparences, in-
terdite de parole, d'images et de sentiments. Le risque est grand qu'à terme, cette
transmission parentale inconsciente s'enkyste sous forme de complexe autonome et
submerge son moi fragile et qu'il en soit totalement prisonnier.
On peut en effet entendre dans les mots de Martin combien le fantasme
d'uniformité, activé dans la psyché parentale, n'a pas pu satisfaire les besoins
d'individualisation et d'individuation du développement psychique. On entend
aussi combien la pulsion épistémophilique vient alimenter, chez cet enfant, une
interrogation constante sur sa différence, c'est-à-dire son existence en tant
qu'être unique, sexué. Enfin, on observe combien le projet d'être soi va coloniser
et habiter les espaces d'un deuil non élaboré par les parents, à savoir, la réduction
embryonnaire, le désir d'avoir une fille, et enfin, celui d'avoir un enfant unique.
Colonisant ce territoire endeuillé de l'inconscient parental, un espace symbo-
lique cherche à se construire, pour protéger le moi de Martin du risque d'être
broyé psychiquement par l'uniformité collective de la fratrie multiple, telle que
sa famille la lui fait vivre.
« Nous naissons dans l'incertitude de nous différencier, car il ne suffit pas
d'exister biologiquement, encore faut-il que l'individualité biologique d'un
être, pour devenir subjectivement viable, soit instituée, c'est-à-dire humanisée
par un marquage qui fasse de cet individu un autre » écrit Pierre Legendre12
dans sa réflexion sur la transmission.

La matrice utérine, premier partenaire


Nous sommes habitués, au cours de l'analyse de femmes enceintes, à tra-
vailler des images de rêves et des fantasmes qui concernent l'intérieur du corps
maternel. De même, avec les enfants, des images de cavité utérine peuvent sur-
gir dans les jeux ou dans les dessins au cours de la thérapie. Elle est alors vécue
symboliquement, soit comme l'abri confortable et régénérant de la régression à
un maternel originaire ou, au contraire, elle est chargée d'une symbolique des-
tructrice, et devient prison persécutante, si ce n'est dévorante.
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Le thème d'une cavité utérine contenante, symbole d'une expérience de soi

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primaire sécurisante, renvoie à la déclinaison des différentes expériences psy-
chiques inconscientes dans la relation à l'archétype du maternel. Au contraire,
lorsque cette cavité est symboliquement remplie d'objets menaçants ou qu'elle
n'est précisément pas suffisamment contenante, alors la représentation de la
nidification psychique dans un soi primaire de sécurité ne peut se déployer. Les
représentations violentes de ce soi, se défendant contre l'anéantissement, vont
alors venir apporter leur charge de destructivité, de rage et de haine désespérée,
ou de dissociation pathologique, ce qui était le risque majeur pour Martin.
Martin pensait se souvenir très précisément de ce qui se passait « quand ils
étaient tous » dans le ventre de sa mère. Ensuite, il y a eu le moment « où les
autres étaient morts, mais ils étaient encore là », après, il ne sait pas pourquoi,
« les morts, on ne les voyait plus », et il pense que c'est parce que « ses frères er
lui étaient devenus trop grands, qu'ils prenaient trop de place et que les morts
étaient restés par en dessous »... Les morts, il pense qu'il y en avait au moins
deux, peut être trois. Il est sûr qu'il y avait au moins une petite fille.
La présence des frères et sœurs morts, cohabitants avec lui dans cette cavité
utérine, la chargeait d'un aspect étrange et inquiétant. Elle se représentait
comme une crypte dont les vivants avaient besoin pour vivre mais où les morts
n'auraient pas dû rester. Il était intéressant de voir qu'il ne s'agissait pas d'un
espace représenté de manière unilatérale, dans lequel soit le « tout bon », soit le
« tout mauvais » auraient dominé, selon les modalités du fonctionnement
archaïque. Au contraire, la possibilité d'élaborer ses fantasmes, à propos du
besoin de sépulture des frères et sœurs morts, semblait indiquer qu'une qualité
d'utérus suffisamment bon pouvait être reconstruite. Au cours de cette thérapie, la
relance d'une dynamique archétypique maternelle différenciée portait, quasi
exclusivement, sur la différenciation de la symbolique utérine ; il lui fallait

12. P. Legendre, L'inestimable objet de la transmission. Étude sur le principe généalogique en Occident, Paris,
Fayard, 1985.
recouvrer les attributs mythiques de l'amnios infini dans lequel tout est possible.
En effet, non seulement Martin n'avait pas été investi comme enfant mer-
veilleux, mais une grossesse magique l'avait été à sa place.

L'observation in utero
Je voudrais poursuivre la réflexion que m'a inspiré la thérapie de Martin
selon deux directions. La première consistera à faire une sorte d'état des lieux sur
les avancées de la recherche actuelle au sujet de la vie intra-utérine et sur ce
qu'elle apporte à la psychanalyse, en particulier sur la notion de « relation » in
utero. La seconde, voudrait ouvrir une réflexion sur la constitution du sentiment
d'identité et la place qu'y prend le fraternel.
Tout d'abord cette remarque faite par le Dalaï Lama à un journaliste qui
l'interrogeait sur son âge : « En Occident vous ne comptez l'âge qu'à partir de la
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naissance, nous autres comptabilisons les neuf premiers mois. »
La psychanalyse nous a d'ores et déjà appris combien l'atmosphère psycholo-
gique dans laquelle se déroule la grossesse est signifiante pour l'enfant à venir.
Mais les questions sur ce que vit l'enfant in utero, quel est son rapport avec son
environnement physique, l'utérus, le cordon, le placenta, l'intérieur du corps de
la mère, les bruits, et d'autre part avec l'environnement psychique : les émotions
et les sentiments de la mère, en passant par les perceptions qu'il peut avoir du
monde externe, toutes ces questions ont toujours agité l'esprit humain.
Aujourd'hui, les travaux d'observation in utero effectués grâce à l'échogra-
phie, permettent, au sujet de la vie intra-utérine, de se faire encore une autre
idée, qui sera à ajouter à toutes celles qu'on avait déjà avant. Le sujet est à tel
point novateur et passionnant qu'en 1992, Michel Soulé publiait13 déjà une
« Introduction à la psychiatrie fœtale ».
Concernant notre sujet de réflexion, je voudrais évoquer quelques conclu-
sions des travaux de la psychanalyste italienne Alessandra Piontelli, à propos de
l'observation de la vie intra-utérine des jumeaux14. Actuellement, elle est sans
doute la chercheuse, en même temps psychanalyste, la plus compétente et la
plus reconnue sur ce terrain. Ces observations concernent celui que Daniel
Stern15 nomme « le nourrisson de l'observation », c'est-à-dire « une construc-
tion particulière, une description d'aptitudes que l'on peut observer directe-
ment : aptitude à se mouvoir, à sourire, à rechercher la nouveauté, à discrimi-
ner... » Il me semble important d'insister sur le fait que ces observations
révèlent peu de chose sur la qualité du ressenti de l'expérience sociale telle
qu'elle est vécue.

13. M. Soulé, Introduction à la psychiatrie fœtale, Paris, ESF, 1992.


14. A. Piontelli, « L'observation du comportement humain à partir des stades les plus précoces. Notes sur
une étude longitudinale », in Journal de psychanalyse de l'enfant, n° 12, Paris, Bayard éditions, 1992.
« Recherche sur les jumeaux avant et après la naissance », in Topique, « Les jumeaux et le double », n° 51,
Paris, Dunod, 1993.
15. D. Stern, Le monde interpersonnel du nourrisson, Paris, PUF, 1985, p. 27 à 31.
Ces travaux d'éthologie humaine portant sur l'observation des compétences
du nourrisson, ne doivent pas être confondus avec la Baby observation instituée
par Esther Bick. Ils sont passionnants, car ils viennent confirmer les intuitions
de la psychanalyse, dans ses dimensions psychogénétiques, en particulier quand
ils décrivent la mise en route extrêmement précoce de comportements et d'atti-
tudes qui donnent une place significative à la reconnaissance de l'autre.
Malgré le fait que les travaux d'Alessandra Piontelli ne marquent pas tou-
jours suffisamment la différence, à mon avis, entre ce qui concerne l'observation
éthologique stricto sensu (le nourrisson de l'observation) et l'interprétation psy-
chologique des faits qu'elle observe (le nourrisson de la clinique), sa recherche
sur les jumeaux in utero nous apporte des éclairages intéressants sur la question
du rapport à l'autre, quand il s'agit d'un frère jumeau.
Pour Alessandra Piontelli, « le fœtus est un être hautement compétent...
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dont le bagage moteur peut être considéré complet quinze semaines avant

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l'accouchement... de même, la sensorialité fœtale a elle-même un développe-
ment très précoce, voire parallèle au développement moteur ».
Au cours de ses observations, elle a été frappée par « la richesse et la variété
des mouvements fœtaux, mais aussi par l'évidente “individualité” de mouve-
ment dont chaque fœtus faisait preuve. Chacun d'entre eux semblait montrer
des attitudes, des postures et des réactions tout à fait particulières et chacun
semblait se comporter de manière différente à l'égard des différents composants
du monde intra-utérin. » Ses questions vis-à-vis des jumeaux in utero nous inté-
ressent, car elles rejoignent celles de Martin : « Le fœtus est-il trop immature
pour percevoir la présence d'un autre être animé, de quelqu'un d'autre-que-lui à
l'intérieur de l'espace intra-utérin exigu ? demande-t-elle. Est-il possible
d'observer déjà un quelconque type de rapports entre les deux jumeaux dans
l'utérus ? » Ou encore : « si on considère que les états d'âme de la mère ont une
influence profonde sur le fœtus, que peut-il se produire dans le cas de jumeaux ?
Sont-ils tous deux influencés de la même manière ? »
Alessandra Piontelli observe qu'in utero « les jumeaux semblent se comporter
comme des frères ordinaires, les différences individuelles trouvent leur expres-
sion dans diverses manifestations somatiques, telles que le choix de postures pré-
férentielles, la répétition de certains patterns comportementaux ». Ce qui frappe
le plus la chercheuse, c'est « la variété de réactions individuelles par rapport aux
stimulations provenant de l'autre membre du couple ». À propos de ce qu'elle
appelle la « naissance psychologique », c'est-à-dire l'acquisition « d'un sens de
son propre soi », selon l'expression de Daniel Stern, Alessandra Piontelli
confirme l'absence de césure entre l'avant et l'après de la naissance. « La naissance
psychologique semblant une affaire hautement individuelle, elle peut se pro-
duire à différentes étapes du développement. » Dans la paire de jumeaux qu'elle
a observée in utero, la petite fille semblait être psychologiquement “consciente”
bien avant la naissance alors que son frère jumeau « semblait refuser toute nais-
sance ou conscience psychologique même longtemps après la césure représentée
par l'événement psychique de la naissance ». Je souligne la prudence de la cher-
cheuse qui nous dit bien qu'il s'agit-là d'une interprétation.
Quant à pouvoir observer le retentissement des états d'âme de la mère sur le
comportement ou l'activité du fœtus, Alessandra Piontelli reste aussi très pru-
dente, les deux observations qu'elle nous livre la font plutôt pencher pour une
relative autonomie des bébés par rapport aux effondrements psychiques observés
chez les mères au cours de leurs grossessesl6.
Toute cette réflexion sur la vie in utero nous amène à penser, avec Martin, que
si le fœtus n'est pas conscient, au sens où nous l'entendons, il n'en est pas moins
actif et réactif dans et sur son environnement utérin, qui fonctionne à la fois
comme une enveloppe contenante, et comme le partenaire d'une pré-relation
objectale17.
Martin a cohabité in utero avec ceux qui auraient pu devenir ses frères, ses
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sœurs, ils étaient morts et lui vivant. Aujourd'hui, puisque c'est à lui que

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l'épreuve de ce deuil semble impartie, en tant qu'enfant-symptôme désigné18,
nous nous devons d'interroger les modalités d'accès à son identité, qui est aussi
marquée par cette figure particulière de l'absence, du n'être-pas, à la fois des
frères morts, mais aussi de la fille-non née...
Si nous poursuivons notre réflexion 19 sur l'acquisition de l'identité, pour
mieux comprendre d'où procède le moi, les observations faites précédemment
sur l'observation in utero des ébauches de relations spéculaires et de relations
d'objet, alors nous devrons sans doute articuler très précocement la place du fra-
ternel en tant que soi-non-soi dans l'identité archaïque.

Le frère, une figure de soi et de l'autre ?


On remarquera qu'on a l'habitude de désigner, ce qui deviendra de manière
prééminente, la figure de l'autre, comme étant la mère, et non le frère. Le soi pri-
maire (Fordham, Neumann), un corps pour deux (Anzieu), la folie à deux (Winni-
cott) sont, entre autres, les métaphores classiquement utilisées pour décrire les
positions psychiques d'extrême interdépendance, consciente et inconsciente

16. P. L. Righetti, dans son article « La vie psychique et émotionnelle du fœtus » in Le carnet Psy, n° 50,
décembre 1999, est plus catégorique : pour lui, au contraire « le processus perceptif est transformé en sen-
timent ».
17. Voir à ce sujet la réflexion sur l'archérype du « être en contact » (being in contact) précurseur, selon David
L. Kay, de l'objet transitionnel, in « Foetal psychology and the analytic process », Journal of Analytical Psy-
chology, vol. 29, n° 4, october 1984.
18. C. Legrand-Sébille, M. F. Morel et F. Zonabend, Le fœtus, le nourrisson et la mort, Paris, L'Harmattan,
1998, posent de manière remarquable le problème de l'humanisation des faits biologiques et étudient en
particulier les représentations de la mort de l'enfant dans nos sociétés.
19. Les réflexions qui vont suivre ont pour origine le travail intitulé « Le double et l'étranger dans la
constitution de l'identité », rédigé en collaboration avec Giuseppe Maffei et présenté au colloque « Identité
Méditerranéenne » qui s'est tenu à Naples en février 1998. La totalité de cette intervention intitulée « Il
doppio e l'estraneo nella costituzione dell'identità » est accessible sur le site internet http://www.psycho-
media.it/pm-mpp/index.html. Un aperçu de ce travail a été publié dans Materia Prima, bulletin internatio-
nal du Workshop de psychologie analytique de l'enfant et de l'adolescent, n° 7, année 2000. Par contre,
l'élargissement au rôle du fraternel n'a pas donné lieu à une élaboration commune.
dans le couple mère/bébé. Notre réflexion sur le fraternel nous oblige à chercher
comment insérer l'autre, à partir de ce pair qu'est le frère jumeau. Toute une
symbolique nous indique que l'autre peut aussi prendre forme dans les images
symboliques sous les traits d'un pair, pensons d'abord à l'usage rituel qui peut
être fait du placenta dans certaines cultures, enterré pour figurer une croissance
souterraine, gémellaire, parallèle à celle de celui qui en est sorti.
Pour la clarté de l'exposé, dans le travail avec Giuseppe Maffei, nous sommes
convenus de considérer qu'il y aurait un « moment » à partir duquel se mettrait
en route une certaine désorganisation du sentiment unitaire mère/bébé, au profit
d'une réorganisation dans l'émergence d'un être deux, soi et non soi, préfigura-
tion de l'autonomie du sujet et de sa différenciation d'avec la psyché maternelle,
mais aussi préfiguration de l'identité et de l'altérité. On pourrait voir là ce que
Jung20 nomme « transformation naturelle », processus de renaissance qui émane
du soi.
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Si le moment de la naissance n'est pas forcément celui de la fameuse césure,
cependant, la naissance psychique pourrait advenir grâce à l'étayage d'objets qui
appartiennent à l'environnement pré et néonatal. Ils ne sont pas exclusivement
constitués par et dans le soi primaire constellé dans la psyché maternelle : l'exis-
tence du ou des frères intra-utérins pourrait être prise en compte comme support
d'un premier compagnonnage, désinstituant d'emblée la prévalence des théories
de la fusion, en même temps que serait interrogée l'organisation des premiers
repères spéculaires de l'identité.
En effet, le corollaire de l'acquisition du sentiment d'être soi réside dans la
capacité du sujet à identifier un non-soi, à l'origine de la reconnaissance de l'alté-
rité, dans le monde externe mais aussi dans celui de la relation d'objet, dans le
monde interne. Dans son observation in utero, Alessandra Piontelli décrit bien
comment l'un des jumeaux joue avec le cordon et utilise le placenta de l'autre
comme une sorte de coussin dans lequel il enfouit son visage, pour s'amuser !
Pour nous, la vie psychique, la vie symbolique, la pensée au sens large du terme,
s'organisent dans cet écart, cet espace, ce décollement qui s'installe entre fusion-
dans-la-mère et différenciarion-d'avec-la-mère. La reconnaissance du fraternel
pourrait y jouer un rôle non négligeable. Certaines mères de jumeaux expriment
bien cette reconnaissance essentielle quand elles disent qu'elles se sentent parfois
moins importantes pour l'enfant, que son frère jumeau...
Aujourd'hui des analystes kleiniens, travaillant sur la périnatalité, rejoignent
les intuitions de Jung à propos des organisateurs inconscients que sont les arché-
types et en particulier, à côté des archétypes du paternel et du maternel, ils donnent
une place significative au fraternel en tant qu'organisation originaire inconsciente.
Anne Aubert-Godard21 écrit : « Je souhaite soutenir l'idée qu'il existe une relation
fraternelle originaire, c'est-à-dire horizontale, chez l'humain, non secondaire mais

20. C. G. Jung, « À propos de la renaissance », L'Âme et le soi, Paris, Albin Michel, 1990.
21. A. Aubert-Godard, « Fraternité et génétique », in Journal de psychanalyse de l'enfant, « Le fraternel »,
n° 27, Bayard éditions, Paris, 2000.
parallèle et articulée à la relation verticale au(x) parent(s)... je suppose un lien fra-
ternel constamment présent, dont le registre organisateur des investissements peut
varier en fonction des besoins narcissiques, en relation avec le jeu des tensions in-
ternes et des événements extérieurs que le sujet a à gérer. »
Les descriptions faites par Michael Fordham des mouvements psychiques de
dé-intégration et re-intégration peuvent être le modèle assez juste pour décrire
comment procèdent ces « moments » de désorganisation de la fusion originaire
et les jeux de tension qui les accompagnent.
La littérature psychanalytique récente a donné toujours plus d'importance
aux modalités à travers lesquelles s'est perdue l'unité supposée entre la mère et
son bébé qui, du dehors peut paraître comme une dyade, mais de l'intérieur, ren-
voie sans doute le bébé à un vécu de Ganzbeit, infinitude indistincte, décrite en
tant que soi primaire. Le passage de l'état unitaire à l'être deux, est fondé sur
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l'expérience de la perte, inévitable, incommensurable pour le bébé, nécessaire et

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vitale pour la mère. En effet, il nous semble que c'est parce qu'elle est vitale pour
la mère (son besoin de retrouver l'ensemble de ses investissements narcissiques,
érotiques, intellectuels et sociaux, bref, ne pas être seulement une mère) qu'elle
saura en faire une expérience vivable pour l'enfant, l'introduisant ainsi à l'élabo-
ration de la perte sous la forme du manque. Mais la question reste entière : qu'en
est-il du passage de cette perte élaborée en manque, quand l'enfant nouveau-né
va retrouver dans la vie celui ou ceux avec qui il a déjà partagé la vie fœtale, et
que l'autre ne lui manque donc quasiment pas ?
Anne Aubert-Godard, dans l'article précédemment cité, fait l'hypothèse que
« ce fraternel originaire tendrait à s'organiser du côté du double, dans la confu-
sion partielle avec le maternel, antérieur à toute organisation de l'espace et du
temps, antérieur à la notion de contenance, d'enveloppe, de limite ».
Je me demande, quant à moi, s'il ne serait pas productif d'interroger ce fra-
ternel originaire, non plus dans son lien avec le maternel, mais plutôt comme
promoteur précoce de différenciation, entre soi et l'autre, non pas seulement
comme objet ouvrant à l'altérité, mais également dans la dimension intrapsy-
chique, entre soi et soi. C'est-à-dire qu'au fil des expériences différenciatrices
ultérieures, ce fraternel, vécu comme semblable-différent, pourrait être le précur-
seur de la partie sombre du moi, qui prendra forme et contenu dans l'expression
des figures archétypiques de l'ombre, dans la psyché adulte.
À la fois incestueusement inséparables comme peuvent l'être des frères, mais
également engagés dans des luttes terribles, qu'on qualifie précisément de fratri-
cides, les membres d'une même fratrie sont en effet renvoyés en permanence à
ces effets de rivalité qui exigent que le moi fasse le sacrifice de la toute puissance,
de la possession exclusive de la mère et de l'autre. De quoi s'agit-il donc là, si ce
n'est de l'épreuve du moi face au nécessaire travail d'intégration de l'ombre ?
L'ombre, à cause de son organisation en contre-position du moi, qui peut être en
effet figurée comme son double inversé, semble correspondre assez bien à ce
qu'évoque ce fraternel originaire.
Pour Martin, on pourrait dire qu'une grande part de sa thérapie a consisté à
récupérer « l'autre du double », selon l'heureuse formulation d'Aimé Agnel22, à
la fois le double négatif qui est trop fragile par rapport au moi idéal pour assumer
ses défaillances, et en même temps celui qui accepte et endosse de vivre, alors que
les autres sont morts. Pour lui, la thérapie a permis de se confronter à son besoin de
fuite devant les épreuves de la vie en fratrie. En effet, quand il a pu exprimer sa
propre terreur, pour partie projetée sur la mère meurtrière, via le corps médical et
pour partie clivée dans cette identification aux frères morts qui représentait « le
double perdu, la partie laissée derrière soi23 », alors il a pu oser vivre sa rivalité avec
les frères vivants. Il est sorti de ce nostos algos, mal du retour, nostalgie, dans laquelle
s'étaient organisées ses défenses. Revivre dans sa fratrie hic et nunc, accepter d'y avoir
sa place évoque encore une fois le parcours du rescapé.
Affronter la culpabilité inhérente au fait d'être soi-même vivant, éprouver la
culpabilité de vouloir prendre la place des frères vivants, devenait représentable
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et accessible au moi de Martin, qui acceptait de sortir de l'unilatéralité toute

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puissante de la grande mère médecine « qui avait tué ses frères ».
Pour cela, Martin avait imaginé une sépulture symbolique dans laquelle il
pouvait ensevelir les frères morts, dans son manteau, comme dans un placenta-
linceul, qu'il acceptait de leur céder, car « il était devenu trop petit » pour lui.
Avec Jung, on pourrait voir dans ces imaginations de l'enfant, le medecine man à
l'œuvre dans la psyché primitive, qui trouve les rituels permettant aux « âmes
perdues » de ne plus errer sans fin et d'animer, dans la psyché, un sens reliant au
collectif. Tant que ces imaginations fonctionnaient comme des complexes auto-
nomes dissociants, Martin ne pouvait que tomber « dans le trou noir d'un deuil
impossible24 ».
Martin nous a parlé clairement du besoin d'histoire ; il nous fait savoir que
même les fœtus fraternels en ont besoin. Et l'histoire médicale n'était pas suffi-
samment nourrissante pour constituer les repères symboliques nécessaires pour
éprouver ses sentiments de haine, d'amour et de rivalité. Martin nous a montré
que le lien horizontal, d'enfant à enfant, constitue, par sa primauté, l'élément
qui organise sans doute une part importante de l'accès à l'identité propre en
même temps qu'un rapport créatif à l'altérité.
Martin, dans sa dissociation, avait cherché à se construire une place qui ait
un sens dans le monde des vivants et qui, pour autant, n'efface pas les morts. « Il
est possible de priver un enfant du contenu des mythes anciens ; on ne peut lui
enlever le besoin de mythologie et encore moins l'aptitude à la créer25. »

22. A. Agnel, « L'autre du double », in Cahiers jungiens de psychanalyse, n° 85, 1996.


23. Ibid.
24. J. Milliez, L'Euthanasie du fœtus, médecine ou eugénisme ? Paris, Odile Jacob, 1999.
25. C. G. Jung, Métamorphoses et symboles de la libido, Préface et traduction d'Y. Le Lay, Genève, Georg,
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verte, 1992.

RÉSUMÉ : À partir de quelques éléments de la thérapie d'un enfant conçu par procréation médicalement
assistée et après qu'une réduction embryonnaire a eu lieu, l'auteur interroge la place symbolique des
frères morts in utero dans la constitution de l'identité et de l'identité sexuée de l'enfant survivant.
L'auteur saisit l'occasion pour faire le point sur les avancées de la recherche dans le domaine de l'obser-
vation des bébés in utero et des hypothèses qui en découlent quant à la naissance à la vie psychique et la
relation d'objet. La constellation de l'archétype du fraternel fournit un substrat psychique d'où se déga-
gera le sentiment d'identité et d'altérité, mais il pourrait également être constitutif de la mise en place de
l'ombre, parallèlement à la constitution du moi.
SUMMARY : Based on some elements from the therapy of a child conceived by an in-vitro fertilization
process which involved embryonic reduction, the author explores the symbolic meaning of the brother who
died before birth in the make-up of the surviving child's identity and gender identity. This is an oppor-
tunity for the author to report on the latest progress made in the field of in utero observation and the
hypotheses emerging as to the birth ofpsychic life and the object relationship. The constellation of the
archetype of the fraternal supplies a psychic substratum from which the feeling of identity and other-ness
will arise. However, according to the author, it may also be conducive to the birth of the shadow, in
parallel with the constitution of the ego.

Mots-clés : Deuil - Double - Fraternel - Ombre - Procréation médicalement assistée - Réduction


embryonnaire - Vie intra-utérine

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