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LE MONDE INTERNE DU TRAUMATISME, À L'ÉPREUVE D'UN

GROUPE DE TRAVAIL

Brigitte Allain-Dupré et al.

Les Cahiers jungiens de psychanalyse | Cahiers jungiens de psychanalyse

2006/1 - n° 117
pages 57 à 83

ISSN 0984-8207
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http://www.cairn.info/revue-cahiers-jungiens-de-psychanalyse-2006-1-page-57.htm
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Pour citer cet article :


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Allain-Dupré Brigitte et al., « Le monde interne du traumatisme, à l'épreuve d'un groupe de travail »,
Cahiers jungiens de psychanalyse, 2006/1 n° 117, p. 57-83. DOI : 10.3917/cjung.117.0057
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CAHIERS JUNGIENS DE PSYCHANALYSE – mms

Le monde interne du traumatisme 1,


à l’épreuve d’un groupe de travail
Souvent, les amplifications psychanalytiques à partir des contes laissent le
clinicien sur sa faim, dans la mesure où les contes sont utilisés pour illustrer
une problématique archétypique généraliste ou généralisante, et l’articulation
clinique avec la réalité du travail dans l’ici-et-maintenant de la séance est for-
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cément manquante. Alors que du point de vue symbolique, ces amplifications

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ouvrent sur un domaine d’une richesse infinie, elles sont rarement exploitées
et exploitables dans le champ spécifique de l’interprétation de la relation
transférentielle.
Le travail de lecture approfondie de l’ouvrage de Donald Kalsched : The
Inner World of Trauma. Archetypal Defenses of the Personal Spirit, répare ce manque,
et c’est la raison pour laquelle nous avons souhaité faire partager les réflexions
d’un groupe de travail qui s’est réuni en 2004-2005, dans le cadre de la forma-
tion des psychanalystes jungiens à l’Institut C. G. Jung. Ce groupe de travail
avait pour objectif de lire et de discuter au cours d’une année un ouvrage de
psychanalyse jungienne écrit en anglais, langue à laquelle certains des partici-
pants n’avaient pas un accès facile.
Nous irons directement à la seconde partie de l’ouvrage, dans laquelle son
auteur, Donald Kalsched, illustre les points de vue théoriques et cliniques
introduits dans la première partie, en s’appuyant sur le conte de Grimm qui
s’intitule Rapunzel – « Raiponce », en français. L’intérêt de cet usage du conte
nous a paru suffisamment original et vivant pour en communiquer ici les gran-
des lignes, ce qui, nous l’espérons, devrait inciter nos lecteurs à lire eux-mêmes
cet ouvrage.

1. D. Kalsched, The Inner World of Trauma. Archetypal Defenses of the Personal Spirit, Hove-London, Brunner-
Routledge, 1996.

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Raiponce, Raiponce, ne vois-tu rien venir ?
Brigitte Allain-Dupré* - Paris

Donald Kalsched attribue une fonction très spécifique au conte de fées et


pour expliciter l’usage qu’il en fait, il nous propose d’abord une introduction
clinique à son usage en psychanalyse. À propos de patients qu’il appelle « schi-
zoïdes », ayant vécu des expériences traumatiques dans leur enfance – ce qui
ne permet pas au moi de se construire un dans le lien au soi –, il note que
« l’émergence de leurs attentes à ressentir le potentiel de leur propre vie et de
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partager ce sentiment avec un être aimé ne parvient pas à s’actualiser dans le
monde ; précisément parce que leur lien au monde – médiatisé par cet autre qui
ait un sens pour soi – a été rompu et que l’espoir est mort ». Il ajoute que, si « la
situation d’origine a été traumatique, l’individu reste pris dans une “faim-d’-
objet” obsédante (une avidité objectale, en termes plus psychanalytiques), dont
le but est de permettre au processus de croissance de se réenclencher 1 ».
Cette notion de « faim-d’-objet » est une image de l’envie que l’on ren-
contre dans de nombreux contes – pensons à l’attitude de Blanche-Neige face
à la pomme de la sorcière – en même temps qu’elle évoque ces insatiables
demandes d’amour qui se disent dans le discours de certains patients ayant
vécu des carences précoces. Pour Donald Kalsched, il est essentiel de saisir les
éléments transpersonnels qui empêchent ce coming into being, ce qui pourrait
transformer ce qui survient (coming) en sentiment d’exister (being), pour per-
mettre à une dimension personnelle de la personnalité d’advenir face au trau-
matisme. À son avis, une psychologie trop exclusivement personnaliste ne le
permet pas. Il faut, dit-il, considérer les éléments transpersonnels non pas
comme une dimension de l’infantile – c’est le reproche fait à Winnicott –, mais
leur donner une place qui inscrive la primauté du numineux dans l’expérience
humaine. « Du point de vue de la psychologie analytique jungienne, le proces-
sus miraculeux qui se déroule à la frontière entre ce qui est potentiel et ce qui
est actuel dans le développement humain doit être considéré sur la toile de
fond du processus archétypique, ce qui signifie sur la toile de fond de la
mythologie 2. »

* B. Allain-Dupré est psychanalyste, membre du Collège des didacticiens de la Société Française de Psy-
chologie Analytique.
1. D. Kalsched, The Inner World of Trauma. Archetypal Defenses of the Personal Spirit, Hove-London, Brunner-
Routledge, 1996, p. 141.
2. Ibid.

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L’incarnation, entre divin et humain
Comment conserver, interroge Donald Kalsched, le lien entre le divin et
l’humain dans la vie psychique et comment ce lien se maintient-il face à la
souffrance humaine ? Pour lui, ce lien passe par le symbole de l’incarnation : le
verbe qui s’est fait chair, un enfant de lumière qui naît dans la période la plus
sombre de l’année, de l’eau se met à couler dans un désert... C’est-à-dire qu’un
monde a été pénétré par un autre monde, comme le verbe et la chair, l’ob-
scurité et la lumière, l’eau et le sable... « Tous ces symboles de libido ont à voir
avec une pénétration miraculeuse d’un monde par un autre, ce qui établit un
lien entre le potentiel spirituel non réalisé, caché au cœur de chaque individu
dans chaque vie individuelle, et l’existence banale d’une histoire dans ce corps,
à cette place et à ce moment-là 3. »
De même, Donald Kalsched considère que, dans la vie comme dans la
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mythologie, « pour une personne en bonne santé, la lutte pour une relation

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équilibrée entre les énergies du moi et celles du soi s’instaure de manière à ce
que les énergies du soi diffusent dans le moi, sans le déborder 4... ». Dans le cas
d’une personnalité ayant subi des traumatismes importants, les choses sont
différentes : en effet, les investissements de la libido rencontrent la résistance
du système de défenses autoprotecteur qui empêche la dévastation trauma-
tique de s’amplifier. On rencontre cette résistance en analyse ; elle protège le
soi du patient d’une nouvelle épreuve traumatique. Si l’analyste cherche à for-
cer ces défenses en allant trop vite, par exemple dans l’interprétation, le risque
est grand que la psyché inconsciente du patient ne se défende encore plus, en
se coulant dans une persona d’analysant, alors qu’une part de la personnalité
inconsciente reste clivée et n’est pas authentiquement engagée dans le travail.
Dans ce système de défenses, ce sont « les énergies du monde numineux
[qui] se substituent à l’estime de soi alors que celle-ci devrait se construire à
partir des gratifications incarnées (embodied, mises en corps) dans le monde
humain. Le transpersonnel est alors placé au service des défenses 5 ». C’est ce
que Michael Fordham a décrit il y a plus de cinquante ans comme étant les
défenses du soi. Ces défenses favorisent la construction d’une estime de soi
sur un socle transpersonnel, qui fait que ces personnes se vivent à la fois en
héros et en victimes, positions tout en même temps défensives et offensives,
pour le monde interne comme pour les autres, mais dont la fonction est de les
protéger des menaces d’un nouvel effondrement traumatique interne. On le
voit, le traumatisme a interrompu le processus transitionnel et empêche donc
toute expérience religieuse, au sens étymologique d’une expérience qui relie le
monde archétypique à celui de l’incarnation personnelle.

3. Ibid., p. 143.
4. Ibid.
5. Ibid.

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Comment relancer ce processus, interroge Donald Kalsched : « À travers
quel processus de développement normal le monde numineux de l’expérience
transpersonnelle est-il relié à une expérience dialectique avec la réalité ordi-
naire, de telle sorte que la vie devienne réellement significative, vivante dans sa
vitalité 6 ? » Question que nous posent sans relâche nos patients quand l’aban-
don, le lâcher-prise d’un certain masochisme leur semble ouvrir la voie à une
médiocrité, à une grisaille de la vie, où il manquerait nécessairement les hautes
et fortes intensités de la jouissance du négatif !

Du numineux à l’ordinaire
Pour Donald Kalsched, Jung n’a pas répondu directement à la question de
la relance du processus, mais, en supposant « l’existence d’une fonction trans-
cendante, dans laquelle la tension des opposés dans la psyché conduit au sym-
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bole, ce tiers vivant, intermédiant entre les mystères de la vie et les combats du

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moi 7 », il nous indique que les forces vives de la psyché sont capables de se
mettre en mouvement, si tant est que les conditions du monde externe ne les
en empêchent pas. Donald Kalsched reconnaît aux contes de fées cette dimen-
sion essentielle trans, qui est présente dans la notion de fonction transcendante,
dans le processus transitionnel de Winnicott et qui se trouve, bien sûr, égale-
ment activée dans le transfert. Cette dimension trans représente pour lui la puis-
sance symbolique qui permet le passage d’un monde à l’autre, et donc cette
pénétration et la fécondation réciproque qui en résulte.
L’exemple de pénétration de deux mondes différents est donné dans Cen-
drillon : le monde de la marraine, du carrosse, des belles robes et celui des cen-
dres dans la souillarde... « Souvent, dit Donald Kalsched, le héros ou l’héroïne
du conte, traumatisé ou naïf, est ensorcelé (bewitched) par le côté “diable” de
l’entité transpersonnelle, et donc le combat se centre sur la façon de délivrer ce
héros ou cette héroïne de l’ensorcellement. Le combat transforme l’état de
l’ensorcelé en ce qu’on pourrait appeler “enchantement”, ce que les contes de
fées veulent dire quand ils se terminent par “et ils furent heureux” 8. »
Le processus qui anime les mouvements du clivage entre l’humain et le divin
se déroule en deux temps. Donald Kalsched décrit « une histoire dramatique
qui évolue entre l’ensorcellement, un combat contre des puissances noires vers
la transformation du moi, et la constellation du côté positif du numineux,
conduisant vers “l’enchantement” [...]. Dans ce processus, le “diable” – mais
aussi l’ange et le démon – est l’agent crucial de ce qui va devenir quelque chose
comme un processus universel en deux étapes 9 ».

6. Ibid., p. 144.
7. Ibid.
8. Ibid., p. 146.
9. Ibid.

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Les deux étapes de l’incarnation du soi
La rupture traumatique dans le processus transitionnel a provoqué le cli-
vage entre l’humain et le divin, entre le moi et le soi ; la réduction de ce clivage
va exiger qu’un processus transitionnel soit relancé. Son premier représentant
peut être le wizard, le sorcier qui apparaît sur une terre stérile, ou bien encore le
génie qui sort de sa bouteille. Dans les contes, le héros tombe dans son piège
et se retrouve enfermé dans un espace « de transformation », dans lequel le
moi est ensorcelé par l’aspect négatif du soi primaire ambivalent.
C’est ce que la psychanalyse jungienne nomme « l’identification inces-
tueuse », état d’union, au sens alchimique du terme, dans lequel la différencia-
tion est insuffisante entre les différentes polarités. Le risque de cet état est
celui de l’addiction, nous dit Donald Kalsched, c’est-à-dire de ne pas réussir à
en sortir, de ne pas savoir y renoncer. « On pourrait dire que ce premier
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“ensorcellement” est une étape de l’être deux en un (twoness in oneness), mais
qu’il n’est pas de l’ordre du trois (threeness). Car il n’est pas encore potentialisé
en tant que processus symbolique ou dialectique 10. » C’est la régression
décrite par Michael Balint qui devient maligne si elle dure trop longtemps car
elle n’est pas au service de la création. Le numineux, on ne le sait pas assez,
peut alors s’activer dans une polarité négative et destructrice. Pour atteindre
le trois, la tiercéité, cette conjunctio du numineux négatif, un sacrifice doit avoir
lieu : c’est ce qui se passe, nous allons le voir, quand Raiponce viole le pacte
qui s’est établi avec la sorcière et que celle-ci la jette hors de la tour après lui
avoir coupé la natte de cheveux qui tissait un début de lien au monde
externe.
Rapidement, rappelons l’histoire de Raiponce 11, telle que nous la content
les frères Grimm :
Un homme et une femme se désolent de ne point avoir d’enfant. Quand la femme est
enfin enceinte, elle est saisie d’une envie incoercible de manger les salades de raiponce qui
poussent dans le jardin de la voisine qui se trouve être une sorcière. À la nuit tombée, son
mari escalade le mur et cueille les précieuses salades dont sa femme se régale ; mais, à
peine mangées, elle en redemande encore et encore. Les soirs suivants, le mari retourne
dévaliser le jardin de la sorcière, jusqu’au moment où celle-ci le surprend et il se doit de
lui expliquer que sa femme est enceinte, etc. Elle lui fait alors promettre de lui remettre
l’enfant à naître en échange de ses salades ! Le mari accepte sans discuter. Dès sa nais-
sance, il remet l’enfant, une petite fille, à la sorcière qui lui donne le nom de Raiponce et
l’emporte avec elle. Quand Raiponce atteint les douze ans, la sorcière enferme la belle fil-
lette en haut d’une tour sans portes ni escaliers. Quand la sorcière doit y monter pour la
nourrir, elle appelle : « Raiponce, Raiponce, descends- moi tes cheveux » et la fillette
déroule ses longues nattes par la fenêtre pour que la sorcière se hisse jusqu’à elle. Rai-

10. Ibid.
11. J. et W. Grimm, Raiponce, illustré par M. Hague, Paris, Grasset, « Monsieur Chat », 1984.

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ponce ne semble pas s’ennuyer dans sa tour, elle est bien nourrie, lisse ses cheveux à lon-
gueur de journée et chante de sa belle voix. Jusqu’au jour où le fils du roi, passant par là,
l’entend chanter. Caché derrière un arbre, il observe le manège de la sorcière et, pour ren-
contrer celle qui chante d’une si belle voix, utilise le même artifice que la sorcière. Rai-
ponce lui envoie sa natte, il monte, mais elle est tout effrayée de voir arriver un homme
dans son refuge. Elle n’en a jamais vu de sa vie ! Il l’approche gentiment et lui propose le
mariage, ce que la jeune fille accepte, le trouvant plus jeune et beau que sa vieille sorcière.
Mais comment descendre ? Ils conviennent qu’à chacune de ses visites il lui apportera un
fil de soie pour en tresser une échelle afin de pouvoir un jour partir ensemble bien loin de
la tour.
Le lendemain, quand la sorcière lui apporte à manger, Raiponce n’arrive pas à gar-
der le secret et demande ingénument à la sorcière comment il se fait qu’elle soit si lourde à
faire monter, alors que le prince, lui, est si leste et si léger. La sorcière est furieuse de
découvrir que Raiponce a trahi le pacte d’isolement dans lequel elle la tenait enfermée.
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Du haut de la tour, la sorcière jette la jeune fille dans le désert environnant, non sans lui
avoir d’abord coupé les cheveux. Quand le prince se présente à nouveau au pied de la tour
pour sa visite quotidienne, la sorcière lui déroule la natte coupée et le malheureux est
obligé de comprendre que sa belle n’est plus là quand il découvre qu’il est face à la sor-
cière. De désespoir, à son tour, il saute au bas de la tour et se crève les yeux dans les épi-
nes. Comme sa chère Raiponce, il va se mettre à errer, vivant dans une solitude misérable
à la recherche de son amour perdu.
Jusqu’au jour où les deux amants se retrouvent : elle en est si heureuse qu’elle lui
saute au cou en pleurant. Ses larmes inondent le visage du prince et lui rendent mira-
culeusement la vue. Le prince peut alors voir les deux jumeaux, un garçon et une fille que
Raiponce portait de lui et qu’elle a mis au monde dans son exil de la tour. Le prince
ramènera sa bien-aimée et leurs enfants au royaume de son père, ou ils vécurent
heureux...

Le projet de Donald Kalsched est d’utiliser l’histoire de Raiponce


enfermée par la sorcière pour illustrer le système de défense archétypique
« autosoignant » des patients traumatisés : comme pour Raiponce, les condi-
tions de leur monde interne sont marquées par l’enfermement et la coupure
du lien avec le moi et le monde externe. Cependant, il faut noter que les murs
enfermant la jeune fille retiennent également la sorcière. Toutes les deux se
développent en symbiose, dans laquelle la protection et la persécution se
confondent. Tout va bien entre elles deux jusqu’au jour où le « monde
externe », sous la forme du prince, pénètre par effraction dans leur bulle. La
sorcière, jusqu’alors protectrice, devient incroyablement destructrice et envoie
Raiponce et le prince en exil, dans un monde inhospitalier qui est en fait le
monde externe auquel on aurait pu croire qu’ils aspiraient grandement tous
les deux. Eh bien, non, ils devront encore découvrir douloureusement ce
monde externe, comme pour une maturation, avant de pouvoir se l’appro-
prier de manière positive. S’ils finissent par se retrouver, c’est bien parce que
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Raiponce chante cette fois-ci sa peine, et son chant oriente les pas du prince
rendu aveugle par sa chute.
Dans les premiers chapitres de l’ouvrage, Donald Kalsched a développé sa
réflexion autour du couple archétypique protecteur-persécuteur dont il fait
l’archétype majeur du système des défenses du soi, dans ce qu’il appelle le self
care system, « système autosoignant ». Pour lui, ce conte est une description des
processus symboliques en jeu dans l’analyse des patients lourdement traumati-
sés. Pour survivre à leurs traumatismes, ces patients ont grandi trop vite, trop
seuls, trop intellectuels ; ils sont vite devenus trop quelque chose, comme il le dit,
« autosuffisants ». C’est-à-dire, selon ses termes, qu’un « système autosoi-
gnant » a pris le dessus sur un environnement défaillant ou des parents absents
ou insuffisants. Mais il ne s’agit pas là de défenses authentiquement autis-
tiques, car, pour eux, le besoin de relation à l’autre existe toujours, sauf que
l’autre qui a abandonné l’enfant est remplacé par un soi omnipotent, magique,
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hallucinatoire – bref, soignant.
La difficulté à travailler en analyse cette « autosuffisance » est que, en tant
que défense archétypique, elle fonctionne généralement bien, faisant vivre au
patient l’assurance de son intelligence, de son autonomie, alors qu’en même
temps un manque absolu de confiance en lui se dégage, apparaît de manière
fugitive. Raiponce est comme ce patient autosuffisant ; elle est dans sa tour,
sans racines, sans parents. Son moi est nourri des fantasmes omnipotents de
la sorcière de la tenir hors du monde, pour toujours : et la sorcière est le
centre de son monde, de son moi. Ceux que Donald Kalsched appelle les
patients Raiponce sont à la fois pris dans ces fantasmes d’omnipotence qui alter-
nent avec un profond désespoir, ce qui peut provoquer des angoisses de
dépersonnalisation, de panique, chez des personnes qui par ailleurs se mon-
trent courageuses pour affronter leurs démons intérieurs. Comme Jung, ils
sont passionnés par leur monde intérieur et intéressent au plus haut point
l’analyste.
Au début du conte, on voit les deux mondes séparés par un mur que le
mari escalade. D’un côté le moi et de l’autre l’inconscient, nous dit Donald
Kalsched. Du côté du moi, le couple dans sa petite vie sans âme qui rêve de ce
qui se passe ailleurs ; les patients nous le disent souvent, combien l’herbe
semble toujours plus verte ailleurs... Mais cet ailleurs n’est pas autre chose
qu’une dimension de l’inconscient collectif dans son énergie numineuse, dans
lequel la conjonction des opposés n’a pas cours. C’est le monde du tout ou
rien : mes salades contre ta fille, dit la sorcière ! Donald Kalsched insiste pour
nous faire partager le côté sombre des défenses archétypiques : « Elles coupent
le moi des ressources de l’inconscient, et de la vitalité de la vie-dans-le-
monde [...] 12. » Il insiste sur l’affaiblissement des capacités à rentrer en contact
avec le monde externe et sur l’intensification de la compensation dans les fan-

12. Ibid., p. 151.

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tasmes collectifs qu’elles provoquent. De façon étonnante, c’est l’affaiblisse-
ment des liens avec le monde externe qui rend le monde interne plus persécu-
toire. Le repli, l’enfermement n’est donc pas un refuge ! Notre histoire va
montrer quelles solutions elle offre à cette situation de dissociation.
Le problème posé par le mur nous indique que le moi ne peut pas accéder
ni disposer des ressources de l’inconscient dans une relation vivante, sans se
mettre en danger, sans s’oublier. Entre les deux, il y a un mur qui se construit
quand le traumatisme touche le monde mouvant et transitionnel de l’enfance.
L’envie qu’a la femme de manger une salade de raiponce est l’image de ce qui
tient lieu de lien, de pont entre les deux mondes. L’envie comme projet de réu-
nion du moi et du soi ne fonctionne pas, comme nous le dit le conte. Nous
sommes donc priés de ne pas confondre l’envie, au sens kleinien du terme,
avec l’attente maturante qui permet d’accéder au désir d’ouverture et à
l’altérité !
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Observons maintenant la sorcière : sans enfant, elle vit dans le monde
enchanteur des salades de raiponce, jusqu’à ce que le mari de sa voisine vienne
les lui voler et qu’elle découvre qu’il lui manque aussi quelque chose : l’enfant.
Chacune des femmes du conte désire ce qu’a l’autre, sans pouvoir ni l’avoir ni
y renoncer. L’enfant sera le lien qui réunira les deux mondes – en cela, il est
porteur d’espoir –, mais sa présence devra, pour que cet espoir se concrétise,
s’activer dans une tension d’opposés, alors que le début du conte nous le
montre disparaissant du monde des parents quand il apparaît dans le monde
de la sorcière.
L’enfant du conte, dans le transfert entre patient et analyste, représente cet
objet qui constelle à la fois le désir et la frustration qui se transforment à
l’intérieur de la relation analytique. Désir de posséder l’omnipotence attribuée
à l’analyste et frustration de devoir prendre conscience qu’elle est illusoire.
Donald Kalsched nous avertit que le danger dans cette période est bien de
perdre la tension entre ces deux aspects du transfert, séparés par le mur du
« système autosoignant » : l’analyste vécu comme un être trop magique à
l’image de la sorcière et de son jardin ensorcelant ou trop frustrant comme la
réalité du couple stérile.
Donald Kalsched examine les implications cliniques de cette première
partie du conte à la lumière des éléments transférentiels. La situation psycha-
nalytique, elle aussi, constelle deux mondes : les fantasmes d’union, soutenus
par les énergies érotiques, sont présents. Le monde de l’inconscient s’ouvre. Le
patient se remet à espérer. Mais, insiste Donald Kalsched, un autre monde est
constellé, celui du cadre analytique qui renvoie à la réalité du monde externe :
horaires, durée, argent, règle d’abstinence, etc., auquel s’ajoute la conscience
pour le patient que l’analyste a aussi une vie personnelle qui lui échappe.
L’analyste « devient à la fois objet de désir et de frustration 13 ». Il devient ce

13. Ibid., p. 153.

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que Christopher Bollas appelle un « objet transformationnel », c’est-à-dire qu’il
incarne à lui tout seul les deux mondes qui existent de part et d’autre du mur
du conte. Comment passer de « l’illusion symbiotique » (la tour) à une capacité
de relation soi-objet qui soit mature ? Pour Donald Kalsched, c’est un par-
cours tempétueux (stormy). Le « système autosoignant » (self care system) va en
effet devoir se déconstruire, d’abord dans le transfert, selon des mouvements
d’avancée et de recul, avec d’un côté l’ensorcellement inconscient et de l’autre
la réalité – d’un côté, l’identification projective ; de l’autre, l’authentique rela-
tion à l’objet (true object-relating).
La description des risques encourus par l’analyste est détaillée par Donald
Kalsched : « L’analyste est paresseux, il se laisse enfermer dans le jardin de la
sorcière et une collusion s’installe. » L’analyste peut être trop actif : « S’il inter-
prète trop, le mur s’effondre et nous nous retrouvons dans le monde stérile du
couple avant la grossesse 14. » Il s’agit donc de maintenir la tension entre ces
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deux mondes, de telle sorte « que le personal spirit porté par la partie Raiponce
du patient puisse émerger peu à peu pour animer la vie dans le monde [...] de
l’ensorcellement à l’enchantement 15 ».

Le sanctuaire du négatif
La suite du conte nous montre le mari rencontrant la sorcière et le don de
l’enfant, puis l’enfermement de Raiponce dans la tour quand elle a atteint ses
douze ans. Plusieurs interprétations sont possibles à propos de la facilité avec
laquelle le père fait don de son enfant, mais on doit aussi souligner l’absence de
protestations de la part de la mère. Si on considère le conte du point de vue du
monde interne, on remarque que l’image de l’enfant « représente cette part
innocente de la psyché qui porte la mémoire du traumatisme et qui a été clivée
de manière à préserver l’ensemble de la personnalité du morcellement ou de
l’effondrement 16 ». Donald Kalsched observe cette part « enfant » de la per-
sonnalité sous l’emprise de l’archétype du « persécuteur-protecteur », dans un
état suspendu, ni vivant ni mort, dans des limbes, en attente d’une restaura-
tion, d’une rédemption : « Je pense que le pouvoir de l’enchantement négatif
est la résistance la plus puissante à laquelle les analystes ont à faire face avec
des patients Raiponce à cause de la part psychique de l’analyste qui s’identifie à
leurs blessures. Dans le travail, cette tension séductrice sous-jacente résulte du
fait que le sanctuaire interne dans lequel le moi assiégé se répare au moment
des crises est aussi un monde qui ouvre sur des énergies transpersonnelles 17. »
Donald Kalsched précise que la retraite de Raiponce dans ce sanctuaire n’est
pas un simple retour vers des objets internes archaïques qui auraient été précé-

14. Ibid., p. 154.


15. Ibid.
16. Ibid., p. 155.
17. Ibid., p. 156.

66
demment introjectés. Non, il s’agit d’une réelle régression dans un monde
d’objets mythiques et archétypiques qui ont leur propre ordre de guérison et
leur propre efficacité. Donald Kalsched souligne que les patients Raiponce ont
cet authentique accès à la psyché collective, en même temps qu’ils sont bouffis
d’orgueil, pleins de suffisance, butés. « Mais les mystères de la survie psychique
qui soutient le personal spirit abandonné dans les tours intérieures de nos
patients traumatisés, viennent d’une profondeur d’être et d’intelligence qui
surpasse les limites étroites du moi. C’est là la signification du système autosoi-
gnant trans-personnel ou archétypique 18. »
La sorcière de notre histoire est le substitut de la mère défaillante quand
elle aurait dû accompagner l’enfant dans l’épreuve maturante de la différencia-
tion entre le monde magique et le monde réel. Donald Kalsched hésite à
l’associer à la figure archétypique de la grande mère terrible, dans la mesure où
il voit aussi dans la sorcière un côté qui est au service de la vie, « life serving »,
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celui qui s’occupe bien de Raiponce, la nourrit et lui permet de se développer,
comme une puella æterna, scellée dans sa bulle. Il est intéressant de considérer
que le rôle de mère de la sorcière consiste à épargner à Raiponce l’épreuve
traumatique du contact avec le monde externe et ceux qui l’habitent. Ce pour-
rait être la représentation de la mère hyperprotectrice qui coupe son enfant de
toute velléité de découverte du monde tel qu’il est ! Un de ses aspects est le
perfectionnisme qui pousse à rejeter tout ce qui ne peut pas rivaliser avec le
brillant intellect dont elle est nantie et qui sait trop bien critiquer tout ce qui ne
lui donnerait pas totale satisfaction.
La suite de l’histoire nous montre l’arrivée du prince, qui vient visiter Rai-
ponce pendant la nuit, alors que la sorcière vient le jour. Ce nouvel élément,
inattendu, porte en lui l’espoir de résolution du clivage traumatique entre les
deux mondes. De même que sa mère se languissait d’avoir un enfant, puis des
salades à manger, désormais Raiponce se languit des visites de son prince. Sur
le plan intrapsychique, on pourrait dire que les deux mondes cohabitent : l’un
n’est pas effacé par l’autre, et le désir peut naître, avec une tension vers une
troisième terme, inconnu celui-là : la sortie. Le prince, qui vient du monde du
dehors, utilise le même rite d’entrée, de pénétration dans le monde du dedans
que la sorcière. En ce sens, il serait comme une figure de Trickster, ce petit
lutin qui dérobe à la sorcière, et à son insu, un savoir dont il a besoin. La cons-
truction de l’échelle avec des fils de soie est une métaphore pour montrer que
la sortie de ce monde de l’enfermement ne peut se faire que peu à peu, comme
le déroulement dans le temps des séances, selon le kairos qui s’impose. « Un
nouveau lien à la réalité est peu à peu construit par les visites nocturnes du
prince 19. »

18. Ibid.
19. Ibid., p. 159.

67
La conjunctio dans le transfert
Ce moment du conte correspondrait à l’instauration du transfert positif.
Un début de confiance s’instaure, dans le lien entre monde interne et monde
réel, externe. Si ce moment est porteur d’espoir, il est aussi chargé de grands
risques : l’aspect soignant (caretaker) du soi du patient installe une dépendance
démesurée à l’analyste, en attribuant la nouvelle tonalité du transfert à la per-
sonne réelle – il devient alors essentiel que l’analyste tienne la position éthique
de relier ce transfert positif au processus réparateur du soi bien plus qu’à ses
propres capacités. Mais si tout se passe normalement, le transfert prend une
allure d’illusion positive et l’analyste devient le support de l’imago du prince,
en vue d’un mariage qui unira le soi divin, ici princier, et le soi humain. « Il peut
y avoir à ce moment-là une attente de totale mutualité, un besoin insatiable de
l’amour de l’analyste. Cet amour est comme une étreinte qui tient les frag-
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ments clivés dans le patient du soi de l’enfant au cœur brisé, exactement

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comme un parent voudrait porter dans ses bras un enfant qui vient de subir un
traumatisme 20. » Mais attention, nous avertit Donald Kalsched toujours atten-
tif à relever les pièges transférentiels tendus par cette situation archétypique :
« L’espoir est contagieux et, à ce stade, l’analyste peut commencer à attendre
impatiemment les séances de son patient 21. » Le prince a été enchanté par la
voix de Raiponce, ne l’oublions pas, et il a laissé le monde de la réalité derrière
lui en se hissant le long de la tresse de Raiponce !
Dans cette lune de miel, patient et analyste rétablissent le lien illusoire qui
s’instaure entre une mère et son bébé, sur le versant de l’omnipotence
magique. Dans le conte, chacun des protagonistes fait croire quelque chose à
l’autre pour construire l’émerveillement du lien : le prince oublie le monde réel
d’où il vient et se présente selon le même rituel que celui utilisé par la sorcière-
nourricière. Raiponce, quant à elle, oublie sa collusion passée avec la sorcière,
qu’elle ne nomme même pas. Une illusion réciproque est créée, en vue de
l’instauration d’une conjunctio. Edward F. Edinger, utilisant le langage alchi-
mique, la qualifie de « moindre conjunctio » pour exprimer le fait que ses compo-
santes ne sont pas suffisamment différenciées : il faudra d’autres procédures
pour parvenir à la grande conjunctio. Autrement dit, entre patient et analyste ce
moment d’illusion réciproque, d’illusion transférentielle, va devoir survivre au
passage dans la noirceur qui s’annonce déjà.
La dernière partie du conte nous rapporte le lapsus de Raiponce qui ne par-
vient pas à tenir son secret face à la sorcière ; son exclusion brutale du monde
de la tour, l’événement quasi symétrique qui survient au prince quand il veut la
visiter nuitamment, selon leurs codes bien établis ; leur errance, chacun de son
côté, puis leurs retrouvailles. La rupture de la membrane symbiotique annonce

20. Ibid.
21. Ibid., p. 160.

68
ce que Melanie Klein appelle la position dépressive. Les deux mondes qui
tenaient dans cette séparation radicale se rencontrent dans un terrible choc,
marqué par une énorme déception. Donald Kalsched amplifie le lapsus de Rai-
ponce en le décrivant comme un effet de Trickster, souvent présent dans les
contes : « Il s’agit d’un équivalent du serpent dans le jardin enchanté de l’Éden,
qui tente Ève pour qu’elle mange la pomme 22. » Raiponce se plaint, elle en veut
plus, elle veut que la sorcière soit moins lourde, et en cela elle trahit l’amour de
sa sorcière chérie qui éclate de rage !

La nécessaire désillusion
Comment lire les implications thérapeutiques de la fin du conte ? Il me
semble, quant à moi, que les hypothèses de travail énoncées par Donald
Kalsched sont extrêmement fécondes en ceci qu’elles se relient d’abord aux
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projections et fantasmes transférentiels du patient. Il s’agit de reconnaître que
de telles demandes surviennent fréquemment en thérapie : demande de pause,
de changement de rythme, de tarif, d’horaires, etc. L’analyste qui travaille dans
un cadre suffisamment éthique refuse de répondre à ces demandes : il en résulte
une désillusion dans le transfert « idéalisant » du patient, et le patient est retrau-
matisé. Cela survient parfois pour le plus grand effroi de l’analyste qui se
demande s’il n’aurait pas dû céder. Il s’aperçoit que toutes ses bonnes intentions
n’ont fait que recréer cette illusion effrayante de codépendance. À cette étape
du travail, les deux protagonistes souffrent de la même désillusion ! Le patient
perd l’illusion que l’analyste est un prince et l’analyste est obligé de renoncer à
voir dans son patient celui qu’il pourrait soigner seulement avec de la réparation
empathique. Les continuelles demandes du patient d’en avoir plus, sa façon de
commencer à critiquer ceci et cela, peuvent irriter l’analyste qui, comme Jung
avec Sabina Spielrein, trouve qu’il a déjà beaucoup donné et qu’il reçoit bien
peu de gratitude en échange ! C’est souvent à ce moment-là que l’analyste fait
un passage à l’acte agressif, alors que ces patients ont au contraire besoin, sou-
ligne Donald Kalsched, de sentir leur analyste à la fois présent et tenant ferme la
règle. Pour eux, il est aussi très difficile d’accepter d’envisager que le lien à leur
analyste se terminera avec les séances. Comment comprendre que la relation
analytique soit à la fois réelle et illusoire ?
« L’approche jungienne nous fournit un élément de compréhension essen-
tiel, écrit Donald Kalsched. Le monde interne du système archétypique auto-
soignant est d’une certaine manière une illusion sans bornes – un système
omnipotent, satisfaisant pour le désir, une fantaisie grandiose, isolée de manière
à éviter la souffrance insupportable d’une réalité contaminée de manière trau-
matique 23. » Mais l’aspect numineux de ses images est une catégorie de la réalité

22. Ibid., p. 161.


23. Ibid., p. 163.

69
au même titre que le monde externe dont la sorcière protège Raiponce. Et ce
monde, qui s’ouvre à travers les abysses de la catastrophe dans le monde
externe, est également un monde à découvrir. Ce monde numineux renferme
un côté clair, les défenses que Raiponce trouve pour se protéger contre
l’abandon dont ses parents la rendent victime, mais aussi un côté obscur, celui
qui s’installe dans la jouissance de sa collusion avec la sorcière.
Quand Raiponce et le prince se retrouvent après leur errance, il apparaît
qu’une « nouvelle conjunctio devient possible. Un des facteurs de guérison dans
l’élaboration de cette période est le fait que, cette fois, le traumatisme “théra-
peutique” est survenu après une période essentielle d’illusion soi-objet, dans
laquelle une prégnance réelle peut advenir dans la relation 24 ». Il s’agit d’une
différence essentielle avec les traumatismes réels vécus précédemment par le
patient : une véritable union est survenue ; de plus, une protestation exprimée
par le patient, de manière pleine et entière, a été entendue : cette protestation
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qui ne pouvait s’exprimer quand il était enfant. À petites doses, c’est un poison
qui soigne, indique Donald Kalsched, soulignant encore une fois, s’il le fallait,
l’importance de l’expression du transfert négatif dans le processus de soin des
patients traumatisés. Donald Kalsched représente ce poison de la retraumati-
sation sous la forme d’une inoculation qui provoque la réaction immunitaire
du vaccin. Le processus est mutuel, car l’analyste peut aussi y reconnaître ses
propres illusions auxquelles – dans le même temps – il est en train de renoncer
à propos du patient, mais aussi les limites de son pouvoir thérapeutique ! C’est
là que l’humanité de l’analyste le différencie du perfectionnisme cruel du
parent traumatisant le monde intérieur du patient. Quand les patients Rai-
ponce vont mieux, il leur faut encore se battre pour supporter ce qu’ils consi-
dèrent être la banalité, la vacuité du monde et accepter de découvrir que des
relations réellement authentiques s’y nouent. Les mots de la conclusion de
Donald Kalsched soulignent qu’il s’agit là « d’une vraie vie à vivre, à propos de
laquelle on peut rêver, et dans laquelle le combat pour réaliser ce rêve peut être
partagé avec d’autres... qui font la même chose 25 ».

24. Ibid., p. 164.


25. Ibid., p. 165.

70
Le traumatisme selon Donald Kalsched :
les deux visages de l’ange gardien
Peter Hill* - Paris

Une mère demande à sa fille de six ou sept ans d’apporter un message à


son père dans la pièce de la maison qui lui sert de bureau. La fillette revient et
dit à sa mère : « Je suis désolée, maman, l’ange ne me laisse pas entrer. » La
mère l’envoie de nouveau au bureau du père, mais la fillette revient avec le
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même propos. Du coup, la mère, exaspérée, y va elle-même et trouve son mari

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mort dans son fauteuil.
Par cet exemple explicite rapporté par Edward F. Edinger, Donald Kals-
ched, analyste jungien américain, illustre la manière dont « les défenses archaï-
ques associées à un traumatisme sont personnifiées en images daïmoniques
archétypiques 1 ». En effet, dans des situations comme celle-ci où le trauma-
tisme est trop intense pour être assimilé, ce sont des défenses du soi telles
qu’elles ont été décrites par Michael Fordham, qui se mettent en action pour
protéger la psyché de l’individu. Ici, la figure de l’ange protecteur permet aussi
d’intégrer la mère à la situation. Des capacités de cette dernière à aider sa fille
pour faire face au traumatisme (malgré sa propre douleur) dépendra la dispari-
tion de l’ange, rendu obsolète, ou son évolution possible en une figure oppres-
sante qui chercherait à tout prix à protéger la fille des expériences potentielle-
ment traumatisantes, la privant à terme de sa vie créative.
Donald Kalsched présente une théorie saisissante du traumatisme et de ses
effets sur l’individu. Rappelant d’entrée que Jung, dès 1910, a découvert la
structure dyadique du système de défense du traumatisme, l’auteur présente
son hypothèse principale selon laquelle « les défenses archaïques associées au
traumatisme sont personnifiées en images daïmoniques archétypiques. Autre-
ment dit, des images de rêves liées au traumatisme représentent l’autoportrait
de ses propres opérations défensives et archaïques 2 ».
De nombreux auteurs, à l’instar de Ferenczi, ont constaté chez l’enfant
confronté à des expériences traumatiques, une dissociation entre une partie
régressée de la psyché, figée et cachée, et une partie « progressée » qui s’adapte
bien au monde et prend soin de la partie régressée. Ainsi, trouvons-nous dans

* P. Hill est en formation à l’Institut C. G. Jung de Paris.


1. D. Kalsched, The Inner World of Trauma. Archetypal Defenses of the Personal Spirit, Hove-London, Brunner-
Routledge, 1996, p. 2.
2. Ibid.

71
des rêves de patients adultes des images d’enfant ou d’animal qui représentent
alors ce que Winnicott appelle le vrai self et que Jung, « cherchant une cons-
truction qui rendrait compte de ses origines transpersonnelles, a nommé le
soi », c’est-à-dire des êtres qui peuvent être bénéfiques ou maléfiques et terri-
fiants. Chez Donald Kalsched, ces deux parties de la psyché régressée et pro-
gressive constituent ensemble ce qu’il appelle « le système archétypique auto-
soignant de la psyché ».
S’inspirant de la notion de relation d’objet de l’école anglaise de psychana-
lyse mais aussi des travaux de Heinz Kohut, et de l’approche mythopoétique 3
de Jung, Donald Kalsched développe une théorie du traumatisme qui met
l’accent sur le domaine spirituel de l’homme en introduisant la notion
d’ « esprit personnel ». Pour lui, l’esprit personnel est ce que l’alchimie nom-
mait « l’esprit ailé animant le processus de transformation, c’est-à-dire Her-
mès/Mercure. [...] C’est l’essence de la personnalité, impérissable 4 », dont la
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violation est impensable. Face au traumatisme insupportable, les défenses
archétypiques se chargent de protéger le soi à tout prix, quitte à annihiler la
personnalité hôte – et parfois même à la tuer par le suicide –, manifestant de
cette manière une face positive et une face négative qui s’expriment dans les
rêves mais aussi dans la mythologie et les contes de fées.

Dans la deuxième partie du livre, Donald Kalsched, se servant de diffé-


rents contes de fées et du mythe d’Éros et Psyché, développe sa contribution
spécifique à la théorie du traumatisme. L’adaptation au traumatisme doit être
perçue non pas seulement dans un contexte personnel comme le fait par
exemple Winnicott, mais comme une sorte de dialogue entre l’humain et le
spirituel. S’inspirant de l’ « espace transitionnel » de Winnicott et de l’idée de
« transmutation » de Heinz Kohut, Donald Kalsched décrit le processus
d’individuation grâce auquel la psyché peut faire face aux effets de trauma-
tisme insupportable par un « processus transitionnel », unifiant les deux mon-
des humain et spirituel, comme le moi et le soi. Ce processus, illustré dans les
contes présentés, se déroule en deux étapes. Au cours de la première étape,
l’individu est confronté à une figure transpersonnelle qui le rend prisonnier :
« Le moi traumatisé est “ensorcelé” par l’aspect négatif et ambivalent du soi
primaire 5. » C’est le cas de Raiponce, héroïne du conte de Grimm Rapunzel,
enfermée, généreusement nourrie et soignée par la sorcière dans une tour sans
porte ni escalier. Pour elle, le danger est grand de rester coincée, dans
l’addiction à un négatif qu’on peut interpréter en tant que substance destruc-
trice, qu’elle soit physique ou psychique.

3. Mythopoétique au sens de Fredéric Myers, c’est-à-dire d’un inconscient créateur de fantasmes mythi-
ques qui se manifestent dans les rêves, le somnambulisme, hypnose, la possession, les états de transe, etc.
Voir. H. Ellenberger, Histoire de la découverte de l’inconscient, Paris, Fayard, 1994.
4. D. Kalsched, op. cit., p. 3.
5. Ibid., p. 146.

72
Passer à la deuxième étape exige le sacrifice de la béatitude inconsciente
qui, malgré les apparences, règne au cours de la première étape, et cela ne peut
advenir que par la réalisation d’un acte violent. Le moi cesse par là même
d’être identifié au soi. Il s’agit là d’une étape périlleuse qui peut avoir des
conséquences aussi bien destructrices que rédemptrices. Si une rédemption
s’opère dans la psyché, une transition de l’état d’ « ensorcellement » à l’état
d’ « enchantement » : « Le daimon subit alors une transformation et il devient
un ange, ou [...] le soi primaire et ambivalent est libéré de son rôle défensif en
tant que “soi-survie” et se met en place sa fonction directrice de principe
interne d’individuation 6. »

6. Ibid., p. 147.
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73
Les deux mondes
Olivier Cametz* - Paris

Les notions de dédoublement ou de séparation des territoires renvoient


dans la clinique au clivage et à la dissociation ; elles apparaissent dans la pensée
de Donald Kalsched profondément orientées vers un but, à la recherche de ce
qui a été préservé par les défenses, en vue d’une possible réunification des
mondes clivés en un monde unitaire. Les éléments qu’il met en valeur dans
Raiponce, le conte de Grimm, et leur analyse interprétative, sont en lien avec ce
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qui se passe dans le travail analytique entre patient et analyste, notamment
dans le déroulement du processus de transfert et ses différentes étapes. C’est
cet aspect du livre qui sera développé ici.
Ce conte rappelle l’insistance de Jung à propos de la coexistence des deux
mondes, notamment dans Ma vie où il évoque « le monde intérieur impéris-
sable qui fait irruption dans le monde transitoire de l’existence individuelle 1 »,
ce qui autorise Donald Kalsched à faire le lien entre les « tours », celle de Rai-
ponce et celle de Jung à Bollingen. Le conte débute en plantant un décor où
sont figurés ces deux mondes. D’un côté le quotidien d’un couple stérile et de
l’autre le monde merveilleux et dangereux du jardin de Dame Gothel que seul
un mur sépare. Donald Kalsched pose la question de l’accès à ce monde à la
fois mythique et originel, à travers celui limité et actuel du moi du patient en
analyse. Il repère des ponts dans le symbolisme du déroulement du conte. Il
s’agit d’abord du symbolisme du désir d’enfant éprouvé par la sorcière au
regard du désir de la mère de s’approprier une plante dans le jardin enchanté, la
fameuse raiponce qu’elle veut absolument manger et qui donnera son nom au
conte. Le symbolisme du masculin apparaît ensuite ; il fait le pont entre le
monde de la femme, de la mère et celui de la sorcière, au moment métapho-
rique où jour et nuit se rejoignent dans le crépuscule comme point de franchis-
sement entre le monde réel et celui de l’enchantement. Enfin, le symbolisme
de l’enfant porte ce qui peut advenir en passant d’un monde à l’autre.
En référence au travail de Jung qui insiste sur l’émergence de la vie symbo-
lique que la situation analytique suscite chez le patient, Donald Kalsched situe
le transfert dans ce champ de l’entre-deux-mondes, où se profilent à la fois le
merveilleux de la rencontre du patient avec son analyste et le cadre banal dans
lequel celle-ci s’opère. L’analyste, en position transitionnelle, permet l’accom-

* O. Cametz est membre associé de la Société Française de Psychologie Analytique.


1. C. G. Jung, Ma vie. Souvenirs rêves et pensées, recueillis par A. Jaffé, Paris, Gallimard, 1973, p. 22.

74
plissement, c’est-à-dire qu’il supporte le passage d’un monde à l’autre, vécu à la
fois comme objet de désir et de frustration par le patient. L’analyste est porteur
de la projection de l’image du prince du conte, c’est-à-dire que sa position
d’analyste vient inconsciemment solliciter l’autre polarité de l’archétype cons-
tellé dans l’énergie psychique du patient.
Le passé traumatique du patient a rendu nécessaire l’édification d’un sys-
tème psychique d’ « autosoin » ou d’autoprotection, système qui – parallèle-
ment à sa fonction protectrice – perturbe le lien avec la réalité externe. Dans
l’activation transférentielle se produisent des aller-retour entre identification
projective et vraie relation d’objet. Ces mouvements sont soutenus par
l’analyste « passeur » et ils ont pour but de déconstruire pas à pas le système
autoprotecteur rigide des défenses du soi. De la même manière que le prince
est touché dans son cœur par le chant de Raiponce dans sa tour, un moment
du transfert met l’analyste et le patient dans une lune de miel, une illusion
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nécessaire d’où sont évacués provisoirement le traumatisme de l’un et les
limites de l’autre ; tout comme le prince met de côté ses responsabilités au
royaume de son père et Raiponce l’ensorcellement dont elle est victime.
À ce stade, la conjonction des deux mondes activée dans le transfert n’est
composée que de parties encore insuffisamment différenciées sur le plan
psychique. C’est la nécessaire désillusion, entraînant détresse et expression
d’agressivité, qui va permettre à cette différenciation de s’effectuer. À l’instar
de la sorcière qui entre dans une rage folle en découvrant l’existence du prince
et son désir pour Raiponce, les mondes externe et interne encore séparés chez
le patient viennent à se rencontrer violemment. La violence est à la mesure de
la numinosité de la polarité négative de l’archétype qui est détruite en tant que
telle – Raiponce est en effet expulsée de sa tour par la sorcière –, pour faire
advenir un nouveau jeu d’opposés, moment crucial pour que le patient trau-
matisé puisse accéder à l’humanisation, dans le monde de la réalité si redouté.
Dans le cadre de l’analyse, ce moment que Donald Kalsched appelle la
« retraumatisation » du patient aboutit à une désillusion, à un réel chagrin lié à
la perte du monde merveilleux dans lequel sa psyché était paradoxalement
tenue prisonnière du négatif. En s’appuyant sur l’humanité simple et modeste
de l’analyste, la capacité du moi du patient à tenir en tension les polarités de la
relation transférentielle (pôle illusoire et pôle réel) va permettre que s’ac-
complisse la « réunification » entre mondes clivés, dissociés. Ainsi pouvons-
nous lire le happy end de ce conte de fées comme la fin du processus transféren-
tiel. Le passage de l’enchantement/ensorcellement de Raiponce à l’union avec
le prince, blessé mais enfin retrouvé, correspond à ce moment où les rapports
du patient à son imaginaire et à sa réalité sont animés et reliés par une authenti-
cité d’où peut émerger la vie dans ses dimensions féconde et créative.

75
De l’ensorcellement à l’enchantement,
l’illusion d’après la chute
Laurence Lacour* - Paris

Partant d’une définition du traumatisme qui s’étend des abus effectifs aux
traumatismes plus cumulatifs découlant des non-réponses de l’environnement
aux besoins de dépendance dans la relation précoce, Donald Kalsched nous
plonge au cœur des représentations liées au traumatisme, c’est-à-dire aux ori-
gines mêmes de la constitution de ce qu’il nomme une seconde ligne de
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défenses. Ces défenses primitives ou dissociatives empêchent les vécus de
l’impensable et assurent la survie psychique du sujet.
Chez les patients traumatisés, la conscience fragmentée s’organise en
dyades archétypiques personnifiées, sortes d’entités doubles formées de figu-
res protectrices, d’une part, et de figures persécutrices – saboteurs internes et
facteurs « traumatogènes » internes –, d’autre part. Cette structure double
constitue ce qu’il nomme le « système d’auto-soin » archétypique ; elle assure
une régulation entre le monde interne et le monde externe et son objectif
ultime est d’éviter tout risque d’exposition à un nouveau traumatisme. Il en
résulte un arrêt du processus de développement et de la créativité, toute
opportunité de vie étant écartée comme potentiellement traumatique.
Ces patients nous arrivent lourds d’un traumatisme qui n’a pas trouvé
d’espace psychique pour se représenter, le matériel refoulé se trouvant relégué
dans le corps (somatisations, addictions) ou dans des fragments psychiques
recouverts d’amnésie. C’est essentiellement à travers les rêves qui révèlent
l’emprise d’une figure interne qui les coupe jalousement du monde extérieur,
tandis qu’elle les attaque de l’intérieur avec une autocritique impitoyable et des
abus d’une violence inouïe, ainsi qu’à travers les représentations suscitées par
le processus transférentiel, que va pouvoir se construire une sorte d’auto-
portrait de ces opérations défensives. De telles reconstructions contribuent
largement au processus de guérison, puisqu’elles permettent à des affects et à
des fragments d’expérience personnelle de se représenter pour la première fois
et d’accéder ainsi à la conscience.
Donald Kalsched voit dans le conte Raiponce comme une métaphore du
processus analytique. Raiponce, capturée-captivée dans sa tour par la sorcière
en mal d’enfant, est une illustration de l’état interne des patients traumatisés,
un état à la fois clivé et emmuré. Raiponce grandit dans ce « sanctuaire inté-

* L. Lacour est membre associé de la Société Française de Psychologie Analytique.

76
rieur », sorte de cocon fantasmatique, ensorcelée, nourrie des illusions prodi-
guées par la sorcière. Tout lui semble aller pour le mieux dans le meilleur des
mondes jusqu’à l’irruption soudaine du monde extérieur en la personne du
Prince-Éros, qui met fin au clivage et engendre un déferlement d’affects : de la
rage de la sorcière à l’amour charnel dont naîtront des jumeaux en passant par
la souffrance et le chagrin inhérents à l’incarnation de Raiponce, condamnée
un temps à l’errance et à la séparation (position dépressive) avant de retrouver
le prince, lui aussi métamorphosé.
Le processus qui consiste à passer de l’illusion symbiotique (la tour) à des
relations d’objet matures est, nous dit Donald Kalsched, un processus particu-
lièrement douloureux et périlleux pour les patients victimes de traumatismes.
Le scénario du conte est caractéristique du système d’autodéfense mis en place
en réponse au traumatisme. Ce cocon est une étape nécessaire chez des
patients ayant précocement mûri sans avoir bénéficié d’un environnement
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porteur, le système d’ « auto-soin » mettant la partie protectrice du moi (celle
qui a mûri précocement) au service de la partie protégée (le moi régressif).
C’est ainsi que, en l’absence d’une transitionnalité assurée par le monde exté-
rieur, se constituent des images-objets internes venant compenser la cata-
strophe provoquée par l’environnement.

Un tel scénario est également représentatif de la situation analytique. En


effet, si celle-ci assure dans un premier temps des fonctions de nourrissage et de
portage, c’est souvent à l’occasion d’une retraumatisation via le transfert – à dose
homéopathique, dans le meilleur des cas, et contenue, autant que faire se peut,
par le cadre thérapeutique et la personne de l’analyste – que s’opère une ouver-
ture vers le monde extérieur. Cela parce que, nous dit l’auteur, le lien transféren-
tiel est intermittence et tension entre une relation réelle et une relation illusoire ;
cette tension est indispensable, car, dans l’histoire de vie de ces patients, les pola-
rités essentielles de la condition humaine ont été évitées par la captation imagi-
naire. C’est l’humanité de l’analyste qui va permettre de faire la différence d’avec
le perfectionnisme cruel de la figure « protectrice » interne. Et c’est à cette condi-
tion que le « sanctuaire interne », qui, à terme, ne peut que générer l’isolement et
la mort psychique, devient une « chambre de transformation ».
Comment retrouver, après la chute, l’illusion à un autre niveau, ou com-
ment l’ensorcellement est-il susceptible de devenir enchantement ? En
d’autres termes, comment imagination et réalité peuvent-elles s’interpénétrer
et rendre la vie digne d’être rêvée, vécue et partagée ? C’est dans une telle aven-
ture que l’auteur s’engage dans sa pratique avec les patients, et c’est à une telle
aventure qu’il nous convie dans cet ouvrage aux retentissements multiples, qui
pousse à s’interroger sur l’intérêt qu’il pourrait y avoir à aborder la vie psy-
chique dans son ensemble sous l’angle du traumatisme.
La clinique de Donald Kalsched se singularise de ce qui l’anime ; ne s’agit-il
pas justement de son propre personal spirit, sorte de noyau vital du soi, allant à la
77
rencontre de celui de ses patients, miraculeusement préservé grâce au système
d’ « auto-soin », dans des circonstances de vie gravement marquées par le trau-
matisme ? Cette dimension que l’on pourrait qualifier de spirituelle traverse
son propos ; elle n’est ni dogmatique ni transcendante mais plutôt une vive
perception de l’énergie qui habite les figurations psychiques, de la formidable
consistance du champ archétypique et de son potentiel créatif.
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78
No trespassing
Dominique Guilbault* - Paris

Comment rendre compte de la richesse de ce livre vivant, animé par un va-


et-vient constant entre la clinique, au plus près de la relation transférentielle, et
la théorie – plus précisément les diverses avancées théoriques sur la question
du traumatisme –, et aussi entre des contes et les implications du travail cli-
nique ? Le titre en lui-même pourrait être une ouverture : The Inner World of
Trauma, le monde interne du traumatisme.
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Il y est question de personnes ayant subi un traumatisme précoce, c’est-à-

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dire soit des abus, soit des carences dans la satisfaction des besoins liés à la
dépendance, soit des privations aiguës – décrites comme des « agonies primi-
tives » par Winnicott ; de ces personnes qui devenues adultes se vivent, se
voient comme victimes de l’agression des autres, se sentent incapables de se
défendre elles-mêmes et restent dans une difficulté à nouer une relation réelle.
Il y est surtout question des effets du traumatisme dans la psyché : comment
réagit-elle et, plus précisément, comment répond-elle intérieurement à des
expériences insupportables ? Que se passe-t-il dans ce monde interne, et ce
longtemps après l’agression venant de l’extérieur ? Ce titre, Inner World, para-
doxalement pourrait nous inviter à un huis clos. Huis clos de rêves où appa-
raissent des meurtres, des menaces diverses envers le « moi du rêve » – dream
ego – qui se retrouve dans un état de désespoir, d’anxiété et d’horreur et qui
perpétue ainsi le traumatisme dans une diabolique autotorture. Comme si des
énergies destructrices étaient dirigées contre le monde psychique et, en dernier
ressort, faisaient les pires dégâts dans une retraumatisation dans le psychisme,
qui provoque l’anxiété de la personne. Huis clos donc, dans le sens où avec ce
titre l’auteur nous invite à un théâtre interne, toutes portes fermées : le monde
interne du traumatisme mènerait sa propre vie ! Huis clos, car il ne s’agit pas
d’un processus passif où des « parts » de la psyché sont déconnectées, mais
d’une « violente affaire », d’une division que l’auteur qualifie d’atomique pour
en signifier la violence du vécu – qu’étrangement Jung a éludée, souligne-t-il.
Huis clos enfin, car toute participation extérieure ou relation avec l’extérieur
semble en être exclue.
Dans ce sens, Donald Kalscheld prend le parti de faire une description de
la phénoménologie de ce champ de bataille interne où certaines figures diabo-
liques, daïmoniques, se révélant particulièrement autonomes et actives, émergent

* D. Guilbault est psychanalyste, membre de la Société Française de Psychologie Analytique.

79
avec violence dans une personnification et une dramatisation. De sorte que les
personnes ayant subi un traumatisme se trouvent dans les « griffes » d’une
figure infernale qui, à la fois, les critique abusivement et « jalousement » les
coupe du monde extérieur. Violence donc qui les isole dans un monde imagi-
naire – véritable « incantation autohypnotique » –, porteur de régression
« maligne », car il n’est pas au service du moi.
Donald Kalsched observe la psyché sur le vif, par l’intermédiaire du rêve,
dans cette aptitude qui est la sienne à la figuration, ce qui lui permet d’avancer
que la psyché fournit « l’autoportrait de ses propres opérations défensives ».
D’où le sous-titre : Archetypal Defenses of the Personal Spirit (Défenses archétypi-
ques de l’esprit personnel). Le titre, le vocabulaire, ainsi que la « forme active »
de l’inconscient placent cet ouvrage dans une lignée jungienne et la question de
fond pourrait se résumer ainsi : comment la psyché essaie-t-elle de « se sau-
ver » face au traumatisme impensable ?
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Les opérations défensives pour les personnes ayant subi un traumatisme,
nous dit le sous-titre, sont archétypiques. Elles surviennent avant même la
constitution d’un moi cohérent et de ses défenses ; primitives, dissociatives,
elles entrent en jeu pour éviter que l’impensable ne soit éprouvé. Autrement dit,
elles agissent quand des expériences causent à l’enfant une douleur psychique
ou une anxiété insupportable amenant une menace d’annihilation totale ou,
selon les termes de l’auteur, de destruction du « personal spirit ». Et si chacun
reconnaît combien ces opérations offensives envers le monde interne, et tout
en même temps défensives – vitales – sont mal adaptées pour la vie future, peu
leur ont accordé le moindre crédit en reconnaissant leur « capacité sophis-
tiquée à sauver la vie », leur nature archétypique, leur « nature miraculeuse ».
C’est en partie ce que fait Donald Kalsched.
Alors, quel en serait le but ? La figure diabolique traumatise le monde inté-
rieur pour empêcher une retraumatisation venant de l’extérieur, mais encore ?
Et comment traduire personal spirit ? Le faut-il ? Donald Kalsched évoque à ce
propos le bonhomme dans le plumier de Jung enfant. Ce dernier, dans ses
mémoires, écrit qu’il s’agissait de « quelque chose que personne ne pouvait
atteindre et que personne ne connaissait. [...] il ne devait jamais être trahi car la
sécurité de (son) existence en dépendait » ; quelques lignes plus loin, il évoque
une sculpture de l’âge adulte et ajoute que l’inconscient lui en suggéra le nom :
« “Atmavictu”, breath of life – souffle de vie. C’est un développement ultérieur
de cet objet quasi sexuel de mon enfance qui plus tard se révéla ainsi être le
“souffle de vie”, l’impulsion créatrice 1 », ce qui signifie « spirit », ajoute Donald
Kalsched 2. C’est-à-dire esprit ; et si ce mot renvoie à un « principe de la vie

1. C. G. Jung, Ma vie. Souvenirs, rêves et pensées, recueillis par A. Jaffé, Paris, Gallimard, 1973, p. 41 et 43. Sou-
ligné par moi.
2. D. Kalsched, The Inner World of Trauma. Archetypal Defenses of the Personal Spirit, Hove-London, Brunner-
Routledge, 1996, p. 144.

80
incorporelle de l’homme », son sens premier est « “souffler”, “respirer”, d’où
“vivre” 3 ».
Quelque chose ! Ce quelque chose me renvoie à une lettre de Jung 4 écrite à la
suite d’un entretien télévisé ( « I don’t need to believe, I know » ). Dans cette lettre,
il termine ainsi : « Je sais ce que je veux, mais je suis dans le doute et l’hésitation
quant à savoir si le Quelque chose a la même opinion que moi ou non. » Le
Quelque chose ou Dieu, puisque nous l’avons toujours appelé ainsi, souligne-t-il !
Et, plus avant dans cette même lettre, il précise que « Dieu » est « une image
mentale dotée d’une “numinosité” naturelle, c’est-à-dire qu’une valeur émo-
tionnelle confère à l’image l’autonomie caractéristique de l’affect ».
Quelque chose. Dieu. Esprit. Souffle de vie. Émotion. Affect.
Derrière ce nom « Atmavictu », ce mot merveilleusement divin porteur de
religieux, il est donc fait appel au corps : corps sexuel – et il est important de le
souligner dans un texte de Jung concernant l’enfant –, corps dans son souffle-
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respiration le plus originaire, le plus fragile, corps émotionnel, corps individuel
dans sa propre histoire. Et c’est aussi là que nous ramène Donald Kalsched :
aux origines des travaux de Jung pour qui la base essentielle de la personnalité
est l’affectivité, l’affect, au plus près du somatique. Aux origines, mais l’affect
est toujours présent dans sa réflexion, comme le montrent ses derniers écrits.
Ajoutons que c’est cet affectif qui permet le personal spirit, c’est-à-dire la dimen-
sion personnelle, individuelle, l’histoire de chacun.
Ainsi, ce but défensif que l’on pouvait penser « pervers » en raison de la
retraumatisation se révèle tout autrement : ce « quelque chose », ce secret vital
si précieux à la survie – de la vie psychique et de celle du corps – doit être sau-
vegardé. Le but serait de garder l’esprit « sauf », même s’il reste non incarné.
Mais alors, comment permettre le retour de l’esprit dans le corps ? Car si la
psyché a, par ailleurs, la capacité d’inventer un tel imaginaire, ce dernier reste
sans vie, non vivant dans un moi incarné. Il emprisonne le moi dans un monde
d’autosuffisance, à l’encontre de toute forme de dépendance. Le huis clos sug-
gère également le secret, dans le secret.

No trespassing – entrée interdite –, nous prévient le film 5 dès la première


image. Puis nous pénétrons dans un somptueux empire jusque dans la
chambre de Kane. Charles Foster Kane et son dernier souffle, son dernier
mot, Rosebud, tandis qu’une boule en verre – boule avec neige – lui échappe des
mains. Grandeur de l’empire et petitesse de cette boule de verre du monde
magique, imaginaire plein de vie de la petite enfance.
Qui est Kane ? Son dernier mot explique-t-il le personnage ? De quoi, de
qui s’agit-il ? D’une femme, d’un cheval, d’une chose perdue ? L’enquête com-

3. Le Grand Robert de la langue française, dirigé par A. Rey, Paris, 2001.


4. C. G. Jung, Correspondance, 1958-1961, Paris, Albin Michel, 1996, p. 139.
5. O. Welles, Citizen Kane, 1941.

81
mence et ne livrera que quelques éléments de réponse. Seul le spectateur
pourra approcher de l’énigme. Je ne conterai pas l’histoire. Mais... Rosebud
sonne à mes oreilles de la même façon que ce personal spirit. Celui de Kane. À
l’écart de toute critique, blessure possible, la toute-puissance du citoyen Kane
œuvre dans ce lieu. Addiction à la possession derrière ce merveilleux imagi-
naire, représenté par ce palais des plus baroques qui peut contenir les trésors
de dix musées, un zoo digne de l’arche de Noé... Fascinant et effroyable imagi-
naire : ensorcelant et sans vie ! Tout se joue dans le réel ou l’imaginaire, l’expé-
rience du symbolique est absente.
En retrait du monde des humains, à l’écart de toute relation affec-
tive – s’imposer et ne jamais laisser l’autre entrer dans le lien –, cet homme va
jusqu’à former l’opinion publique. Ainsi, à sa deuxième femme il clamera :
« Nous serons cantatrice ! » Tout est en place pour nier la gravité du réel trau-
matisme précoce ; mais désillusion et abandon suivront... Cette femme ne per-
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mettra pas la réalisation de la toute-puissance de Kane. Au contraire, des
retraumatisations ont lieu, des affects douloureux émergent et permettent à
Kane de « toucher » – mais seulement physiquement – ce personal spirit -
Rosebud, qui passe par la relation à cette femme. Lors de son dernier souffle, la
boule se casse, laissant s’échapper le mouvement, l’effervescence de l’esprit 6.
No trespassing, nous rappelle la dernière image !

Alors, quand le traumatisme a gelé la fonction transcendante – elle qui per-


met le troisième terme vivant entre le mystère de la vie et les conflits du moi –,
comment le processus qui la met en œuvre peut-il renaître à travers une rela-
tion interpersonnelle ? C’est là la richesse du travail clinique et des interroga-
tions de Donald Kalsched, à la suite des travaux de Jung et de quelques autres.

6. M. Cazenave, Le Vocabulaire de Carl Gustav Jung, ouvrage coordonné par A. Agnel, Paris, Ellipses, 2005,
p. 35.

82
RÉSUMÉ : À partir du livre de D. Kalsched, The Inner World of Trauma. Archetypal Defen-
ses of the Personal Spirit, cinq auteurs, membres d’un groupe de lecture, ont résumé l’ouvrage ou
l’une de ses parties, et développé les points cruciaux. P. Hill insiste sur la personnification des images
archétypiques et étudie les défenses du soi qui œuvrent dans un système autosoignant. L. Lacour
s’attache à étudier la ligne des défenses du soi quand elles se réactualisent dans la relation de transfert
et font vivre au patient la « retraumatisation ». O. Cametz s’intéresse plus particulièrement à l’accent
mis sur la notion de clivage représenté par des mondes séparés : conscient et inconscient, masculin et
féminin... au sein desquels l’analyste endosse un rôle de passeur pour une rencontre archétypique
marquée par la violence. À partir du titre de l’ouvrage, D. Guilbault souligne le huis clos dans lequel
se trouve la personne ayant subi un traumatisme et interroge la notion de personal spirit créée par
D. Kalsched, ainsi que la place de la fonction transcendante. B. Allain-Dupré s’intéresse à
l’utilisation d’un conte de Grimm pour illustrer les stratégies des défenses du soi et montrer comment
protection et fermeture empêchent toute intrusion soignante. Seul, le revécu porté au conscient d’une
retraumatisation dans la relation de transfert, dans laquelle patient comme analyste sont également
désillusionnés, ouvre la possibilité d’animer le personnel et l’archétypique dans un processus transition-
nel œuvrant à la consolidation du moi.
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SUMMARY : Five authors, members of a reading group, studied D. Kalsched’s The Inner World
of Trauma. Archetypal Defenses of the Personal Spirit and then summarized it in part or in
whole, emphasizing certain crucial points. P. Hill points out the personification of the archetypal ima-
ges, and studies the defenses of the self which are at work in what Kalsched calls a « self-care system ».
L. Lacour examines the line of defenses of the self when they are re-actualized in the transference rela-
tionship, causing the patient to experience « retraumatization ». O. Cametz is especially interested in
the emphasis Kalsched places on the concept of splitting-off represented by separate worlds : conscious
and unconscious ; masculine and feminine, etc., within which the analyst assumes the role go-between
in an archetypal encounter marked by violence. Considering the book’s title, D. Guilbault points out
the no-exit surroundings experienced by a person who has undergone trauma, and discusses the Kals-
ched’s concept of personal spirit, as well as the role of the transcendent function. B. Allain-Dupré
focuses on the use of a fairytale by Grimm to illustrate the self’s defense strategies, to show how protec-
tion and armor prevent any care-taking intrusion. Only by consciously re-experiencing a retraumati-
zation in the transference relationship, in which both patient and analyst are equally disillusioned, can
the personal and the archetypal be motivated in a transitional process working towards the consolida-
tion of the ego.

Mots-clés : Addiction – Contes – Daimon – Défenses du soi – Désillusion – Fonction transcendante


– Processus transitionnel – Retraumatisation – Système autosoignant – Traumatisme.

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