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CHAPITRE 24.

LANGAGE ET PAROLE

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Pascal Auzou, Dominique Cardebat, Jany Lambert, Bernard Lechevalier, Jean-Luc
Nespoulous, François Rigalleau, Anne Rohr, Fausto Viader

in Francis Eustache et al., Traité de neuropsychologie clinique


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De Boeck Supérieur | « Neurosciences & cognition »

2008 | pages 439 à 541


ISBN 9782804156787
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/traite-de-neuropsychologie-
clinique--9782804156787-page-439.htm
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Pour citer cet article :


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Pascal Auzou et al., « Chapitre 24. Langage et parole », in Francis Eustache et al.,
Traité de neuropsychologie clinique, De Boeck Supérieur « Neurosciences &
cognition », 2008 (), p. 439-541.
DOI 10.3917/dbu.eusta.2008.01.0439
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CHAPITRE
24

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Langage et parole
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Pascal AUZOU, Dominique CARDEBAT, Jany LAMBERT,


Bernard LECHEVALIER, Jean-Luc NESPOULOUS,
François RIGALLEAU, Anne ROHR et Fausto VIADER

24.1 Introduction générale : de l’aphasiologie


à la neuropsycholinguistique 441

24.2 Symptomatologie de l’expression et de la compréhension orale


dans les troubles du langage acquis 443

24.3 Approche anatomo-clinique des aphasies 473

24.4 Approche cognitive des aphasies 486

24.5 Langage écrit 503

24.6 Les dysarthries 524

Note : Aphasie chez les Japonais ; Aphasie en langue des signes


(B. Lechevalier et I. Miyazawa) 523
440 Grandes fonctions psychologiques et leurs perturbations

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L’étude des perturbations du langage consécutives à des lésions cérébrales foca-


les commence véritablement avec la publication des travaux de Paul Broca
(1865). Elle porte d’emblée sur la caractérisation des troubles qui affectent la pro-
duction du langage oral à la suite d’une lésion de la partie postérieure de la troi-
sième circonvolution frontale gauche, zone où Broca situe donc « le siège de la
faculté du langage articulé ». Depuis lors, une telle forme clinique d’aphasie porte
ordinairement l’appellation d’aphasie de Broca. Une dizaine d’années plus tard
(1874), un deuxième tableau clinique est décrit – par Carl Wernicke, cette fois –
qui se caractérise essentiellement (mais, certes pas, exclusivement !) par d’impor-
tants troubles de la compréhension du langage oral à la suite de lésions affectant,
dans les termes de Wernicke, la région temporale, « siège de la représentation des
sons ». Cette deuxième forme clinique d’aphasie porte depuis lors l’appellation
d’aphasie de Wernicke 1.
1

 Mots clés
• aphasie
• agraphie
• alexie
• système lexical
• dysarthrie
• classification
• évaluation
• rééducation

1. Nous verrons plus loin le caractère souvent insatisfaisant de telles appellations, du fait, en particulier,
de la grande diversité des profils symptomatologiques présentés par les patients, une diversité qui a
conduit à la réhabilitation des études de cas en neuropsychologie au cours des dernières décennies.
Langage et parole 441

24.1 Introduction générale : de l’aphasiologie


à la neuropsycholinguistique

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Jean-Luc Nespoulous

Il n’est pas surprenant de voir que l’histoire de l’aphasiologie commence par


l’identification des troubles de la production orale. À bien des égards, ces troubles
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sont les plus manifestes et ils peuvent, au moins dans un premier temps, être décrits
en des termes empruntés au vocabulaire de la « grammaire traditionnelle » : troubles
articulatoires, manque du mot, troubles de la syntaxe. Il est donc normal que ces per-
turbations aient été les premières à attirer l’attention des neurologues, et ce même
avant Broca, la contribution de ce dernier ayant résidé essentiellement dans l’identi-
fication anatomo-pathologique de la partie du cerveau présumément responsable du
comportement verbal ante mortem du patient connu dans la littérature sous le nom de
« M. Tan ». Une première méthode d’investigation trouve là ses lettres de noblesse.
Son objet : la mise en corrélation de telle ou telle partie du cortex cérébral et de tel ou
tel symptôme verbal. Une telle démarche anatomo-clinique peut être qualifiée, selon
nous, de doublement descriptive : elle identifie les zones anatomiques affectées par
une lésion cérébrale ; elle décrit les manifestations de surface engendrées au plan lin-
guistique par de telles lésions. En revanche, elle ne fait aucune inférence claire quant
aux mécanismes/processus cognitifs sous-jacents perturbés (cf. infra). Pendant des
décennies, elle a constitué la méthode souveraine en neuropsychologie et, dans une
très large mesure, elle est toujours d’actualité. Elle a cependant été considérablement
raffinée, au niveau de la description des symptômes langagiers, par l’avènement de la
linguistique générale dans le premier quart du XXe siècle et l’entrée de cette dernière
à l’hôpital à la fin du deuxième quart (Alajouanine et al., 1939), et au niveau de la
localisation des lésions cérébrales, par la mise au point de plusieurs générations suc-
cessives de scanners, de plus en plus puissants et précis, au cours des trente dernières
années.
Toutefois, si, grâce à la méthode anatomo-clinique, la neuropsychologie par-
vient à décrire de mieux en mieux ce qui se manifeste « en surface » dans le compor-
tement des patients (le « Quoi ? ») ; si, grâce aux nouvelles méthodes d’imagerie
cérébrale, il est possible d’identifier d’une manière de plus en plus précise les sites
cérébraux lésés (le « Où ? »), le bât blesse au niveau de l’interprétation des symptô-
mes et de la caractérisation des processus cognitifs sous-jacents perturbés (le
« Comment ? »).
C’est précisément du fait d’une telle carence explicative que s’est développée
– dans le droit fil des interventions des chercheurs ayant présidé à la naissance des
sciences cognitives lors du Symposium Hixon (1948) mais, comme toujours, avec un
certain décalage dans le temps – la Neuropsychologie cognitive. L’objectif de ce nou-
veau courant, faisant souvent fi des fondements biologiques de la parole et du langage
(Lecours et Joanette, 1985), est de tenter de dépasser le refus d’entrer dans la « boîte
noire » – tel qu’il avait prévalu pendant toute la période béhavioriste – afin de tenter
442 Grandes fonctions psychologiques et leurs perturbations

de rendre compte de l’organisation structurale et du fonctionnement des représenta-


tions mentales que l’esprit humain est censé manipuler dans le cerveau lors de toute
tâche de production et de compréhension du langage. Il s’agit dès lors de proposer une
« architecture fonctionnelle » – à base logique bien plus que biologique – susceptible

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de rendre compte des différents niveaux représentationnels et des différentes étapes
du traitement de l’information (ici) linguistique ; il s’agit ainsi de dépasser la simple
description des manifestations de surface (cf. supra) pour tenter d’en appréhender le
déterminisme sous-jacent (Nespoulous, 1994).
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Au début du XXIe siècle, la neuropsycholinguistique – qu’elle implique cli-


niciens ou chercheurs – ne peut ainsi, selon nous, faire l’économie des différentes
approches mentionnées ci-dessus. S’agissant de l’étude du langage, trois disciplines
se trouvent ainsi inéluctablement convoquées :
• la linguistique, qui est seule à pouvoir garantir la précision dans la caractéri-
sation descriptive des comportements verbaux déviants observés chez tel ou
tel patient ;
• la psycholinguistique cognitive, qui s’assigne pour objectif de caractériser les
niveaux de représentations et les processus à l’origine des différentes activi-
tés langagières, en production et en compréhension, à l’oral comme à l’écrit ;
• la neuro-imagerie fonctionnelle, qui permet, dans les meilleurs cas, d’identi-
fier les structures cérébrales (stables ?) mobilisées de manière cruciale ou
préférentielle lors de la gestion de tel ou tel aspect du comportement verbal
de l’être humain.
Trois remarques additionnelles nous semblent s’imposer :
• Les trois approches ci-dessus, aussi complémentaires soient-elles, entretien-
nent entre elles des relations hiérarchiques. Ainsi, si l’on peut être linguiste
sans être psycholinguiste, il semble clairement impossible d’être psycho-
linguiste sans un solide arrière-plan linguistique. De même, si l’on peut être
psycholinguiste sans s’intéresser au substrat cérébral du langage – certains
neuropsychologues cognitivistes (fonctionnalistes) ne s’en sont pas privés !
–, il semble impossible d’être neuropsycholinguiste sans de solides connais-
sances en psycholinguistique et en linguistique (Nespoulous, 1997).
• Il n’y a pas de rupture brutale entre la démarche anatomo-clinique – fondatrice
en neuropsychologie – et celle qui prévaut aujourd’hui, grâce au renouveau
technologique substantiel des méthodes d’identification des régions céré-
brales impliquées dans telle ou telle activité linguistique, et ce chez le sujet
pathologique comme chez le sujet normal soumis à tel ou tel « test d’acti-
vation ». Gall lui-même trouverait certainement son compte dans ce qu’il faut
bien qualifier de néo-phrénologie !
• Enfin, à travers l’étude de la pathologie du langage, ce n’est pas seulement
cette dernière qui, petit à petit, se trouve mieux appréhendée. Bien plus, à tra-
vers la caractérisation des dysfonctionnements consécutifs aux lésions céré-
brales, c’est l’architecture fonctionnelle du langage dans le cerveau du sujet
sain qui est ainsi progressivement mise en évidence. Ce postulat de
Langage et parole 443

« transparence » constitue là l’un des postulats de base de la neuropsycho-


logie cognitive contemporaine (Seron, 1993). Il conduit, de plus, au renou-
vellement du périmètre scientifique de la notion de « handicap » : l’« état
stable » n’existe tout simplement pas 2 ! Tout être humain, même en

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l’absence de toute lésion cérébrale ou de toute autre pathologie, est, au quo-
tidien, sujet à des errements ou dérapages langagiers, d’où l’importance –
dans la boîte à outils de la compétence linguistique – d’un ensemble de stra-
tégies palliatives (Nespoulous, 1996) qui seront mobilisées, volontairement
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ou non, par le sujet parlant, sujet sain ou patient, dès lors que le besoin s’en
fera sentir et avec plus ou moins de succès selon les cas (Nespoulous et
Virbel, 2004 ; Nespoulous et Virbel, 2007).
Dans le chapitre suivant, nous traiterons successivement de la symptomato-
logie des troubles du langage oral, des approches anatomo-cliniques de l’aphasie, de
l’interprétation cognitive des symptômes aphasiques du langage oral, d’autres chapi-
tres étant consacrés aux pathologies du langage écrit.

24.2 Symptomatologie de l’expression et de la compréhension


orale dans les troubles du langage acquis
Dominique Cardebat, Jean-Luc Nespoulous,
François Rigalleau, Anne Rohr

24.2.1 Introduction
Dans le présent chapitre, nous reprendrons les principaux traits symptomatologiques
caractéristiques de la production et de la compréhension orale des aphasiques. À plu-
sieurs reprises, nous élargirons notre propos à l’examen de certaines perturbations
verbales observées chez les cérébro-lésés droits et chez les déments de type Alzhei-
mer. À chaque fois, nous procèderons d’abord à une description des symptômes et de
leur contexte clinique d’apparition, puis, suivant en cela l’évolution de notre disci-
pline (cf. supra), nous procèderons à une (ou plusieurs) tentative(s) de caractérisation
interprétative des phénomènes pathologiques observés. Nous présenterons les divers
phénomènes retenus dans un ordre qui recoupe assez souvent celui qui prévaut lors
de l’examen linguistique des patients. Seront ainsi successivement présentées les per-
turbations qui affectent divers types d’unités linguistiques, du niveau phonétique et
phonémique au niveau discursif, en passant par le niveau du mot et de la phrase, uni-
tés intermédiaires. Si une telle mise en ordre linéaire de la séméiologie est certaine-

2. Ceci vaut non seulement du comportement verbal des sujets normaux mais également de celui des
patients, lesquels voient fréquemment leurs performances varier, d’une tâche à une autre, d’un moment à
un autre… (Nespoulous, 1997 ; Nespoulous, 2000).
444 Grandes fonctions psychologiques et leurs perturbations

ment inévitable pour les besoins du présent exposé, elle ne doit pas occulter le fait
que, bien souvent, divers types de phénomènes coexistent chez un même patient,
qu’ils soient véritablement solidaires et qu’ils interagissent même dans le contexte
d’un syndrome unitaire ou qu’ils soient simplement co-occurrents du fait de la nature

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du tissu cérébral lésé. C’est d’ailleurs là un des problèmes majeurs du neuropsycho-
logue que de déterminer si divers symptômes présents chez un même patient consti-
tuent différentes facettes d’un seul et même déficit ou s’ils apparaissent en même
temps du seul fait de la seule proximité des structures cérébrales qui les engendrent.
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24.2.2 Expression orale


A. Troubles phonétiques et/ou phonémiques
On entend par perturbations phonétiques dans l’aphasie, des distorsions survenant,
par lésion corticale ou cortico-sous-corticale 3, dans la planification et/ou l’exécution
des gestes moteurs nécessaires à l’articulation de la parole. Ces troubles surviennent
ordinairement soit, de manière isolée, dans le contexte d’une anarthrie pure, soit,
associés à d’autres symptômes, dans le contexte d’une aphasie de Broca provoquée
par une lésion prérolandique gauche (située prototypiquement dans le pied de la fron-
tale ascendante dans le premier cas et dans la partie postérieure de la troisième cir-
convolution frontale gauche, ou aire de Broca, dans le second cas).
On entend par perturbations phonémiques (ou paraphasies phonémiques),
l’omission, l’addition, la substitution et/ou le déplacement de phonèmes dans la
chaîne parlée survenant en l’absence de perturbations de la réalisation motrice de la
parole (cf. supra). Ces troubles surviennent ordinairement dans le contexte de l’apha-
sie de conduction ou de l’aphasie de Wernicke, par lésion rétro-rolandique gauche 4.

 Perturbations phonétiques
Les perturbations phonétiques dans l’aphasie ont constitué un des tout premiers
domaines de recherche de la neurolinguistique naissante, particulièrement en France.
On s’accorde, en effet, à reconnaître comme premier ouvrage de la neurolinguistique
contemporaine le « Syndrome de désintégration phonétique dans l’aphasie », écrit
par Théophile Alajouanine, neurologue, André Ombredane, psychologue, et Margue-
rite Durand, linguiste-phonéticienne (1939). Ces auteurs considèrent trois formes de
troubles moteurs de la parole selon qu’ils sont de nature préférentiellement parétique,
dystonique et dyspraxique. La parésie conduit le patient à un relâchement
(= hypotonie) dans l’articulation des sons de la parole. Elle se traduit souvent par la
sonorisation des consonnes sourdes (ex. : /p/ ➞ /b/, /s/ ➞ /z/...), par la production de
pseudo-diphtongues au niveau des voyelles (dans une langue comme le français qui,
à l’exception du québécois, ne comporte pas de diphtongues), par la production

3. Ce qui exclut ici les dysarthries neurologiques.


4. On ne peut toutefois pas exclure que certains des phénomènes observés dans le contexte de l’aphasie
de Broca soient d’origine phonémique, et non phonétique (cf. infra).
Langage et parole 445

d’affriquées (ex. : /ts/) en lieu et place de consonnes simples). La dystonie, de son


côté, se manifeste à l’inverse par une tendance au renforcement articulatoire (hyper-
tonie) dans l’articulation des consonnes. Elle se traduit donc souvent par l’assourdis-
sement des consonnes sonores (ex. : /b/ ➞ /p/, /z/ ➞ /s/...). Ce deuxième type de

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phénomènes a tendance à apparaître après une première phase, de type parétique.
C’est celui qui a fait l’objet du plus grand nombre d’études. Quant aux manifestations
dyspraxiques, elles peuvent apparaître en l’absence de perturbations parétiques et
dystoniques 5. Elles sont particulièrement évidentes en situation d’activité volontaire
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de parole, d’où la fréquente présence d’une dissociation automatico-volontaire chez


ces patients (Lecours, Lhermitte et al., 1979).
Diverses études approfondies de cas d’anarthrie pure et d’aphasie de Broca ont
permis d’identifier certains traits symptomatologiques caractéristiques de l’un et l’autre
de ces tableaux cliniques. Ainsi, Puel et al. (1980) ont montré que, chez une patiente
anarthrique, c’est le point d’articulation 6 qui est le plus massivement perturbé : la
patiente ayant tendance à produire des dentales en lieu et place d’autres consonnes
d’autres points d’articulation (bilabiales ou vélaires). Sachant que le point d’articulation
est clairement le type de traits le plus sophistiqué et « subdivisé » dans les langues du
monde, on comprend aisément qu’un patient qui souffre d’un problème de planification
et d’exécution des sons de la parole soit particulièrement perturbé à ce niveau, plutôt
qu’au niveau du voisement et de l’oralité – qui sont des traits articulatoires binaires –
ou du mode d’articulation – qui est soit binaire, soit ternaire, selon les langues. Dans le
contexte de l’aphasie de Broca, en revanche, c’est le voisement qui semble le plus fré-
quemment affecté : le patient ayant tendance à remplacer les consonnes sonores (:b/, /
d/, /g/, /v/, /z/,...) par leurs consonnes sourdes équivalentes (/p/ ; /t/, /k/, /f/, /s/...) (Nes-
poulous et al., 1982 ; Nespoulous et al., 1983 ; Nespoulous et al., 1984).
Ces indications symptomatologiques permettent ainsi souvent de différencier
les deux types de patients : anarthriques et aphasiques de Broca, et ce même si une
variabilité non négligeable est susceptible d’apparaître dans le comportement des
patients.

 Perturbations phonémiques
Tel que déjà indiqué, les perturbations phonémiques apparaissent en l’absence de
troubles phonétiques du type de ceux que nous venons de rapporter. Elles apparais-
sent, de plus, chez des patients différents (aphasiques de conduction et aphasiques de
Wernicke) de ceux qui viennent d’être évoqués et dont les lésions sont différentes
(rétro-rolandiques). Selon bon nombre de travaux, particulièrement en langue fran-
çaise, ils présentent, entre autres caractéristiques, deux traits majeurs : les déplace-

5. Elles peuvent alors être parfois difficiles à différencier, à la seule écoute, des paraphasies phonémi-
ques d’autres types cliniques de patients.
6. Les sons de la parole – ici surtout les consonnes – sont ordinairement décrits au moyen de quatre
traits : le mode d’articulation (occlusif vs constrictif), le point d’articulation (bilabial, alvéodental, prépa-
latal, vélaire, uvulaire), le voisement (sonore vs sourd), l’oralité (oral vs nasal). On voit bien ici que seul
le point d’articulation nécessite une subdivision non binaire des consonnes (ici) du français.
446 Grandes fonctions psychologiques et leurs perturbations

ments de phonèmes sont fréquents (ex. : /lavabo/ ➞ /balavo/), comme il est souvent
observé aussi dans les erreurs de performance (contrepèteries) produites ici ou là par
des sujets normaux (Fromkin, 1971, 1973 ; Garrett, 1980) ; on n’observe pas de ten-
dance préférentielle dans les substitutions de phonèmes : par opposition aux phéno-

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mènes rapportés à propos des aphasiques de Broca, ces patients-ci remplacent aussi
bien des consonnes sonores par des consonnes sourdes que l’inverse (Nespoulous et
al., 1987). Ces deux caractéristiques montrent bien que le déficit, dans ce cas, n’est
plus « moteur » mais « pré-moteur » (MacNeilage, 1982), intervenant donc à un
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niveau de planification plus profond, plus abstrait et plus en amont que le déficit pré-
cédent (Valdois et Nespoulous, 1994).

B. Perturbations morphologiques
On entend par paraphasies morphologiques l’omission, la substitution ou l’addition 7
de morphèmes (unités minimales de sens) à l’intérieur d’une unité lexicale, d’un mot.
Si, pendant un certain temps (Goodglass et Mayer, 1958 ; Lecours et Lher-
mitte, 1972 ; Tissot et al., 1973), les troubles morphologiques ont essentiellement été
envisagés dans le cadre des perturbations grammaticales survenant lors d’une aphasie
de Broca, des études menées au cours des deux ou trois dernières décennies tendent
à considérer les perturbations morphologiques comme étant, du moins pour certaines
d’entre elles, indépendantes du traitement syntaxique (Panzeri et al., 1990 ; Bas-
tiaanse, 1995 ; Badecker, 1997).
Ainsi, deux types de perturbations morphologiques peuvent être envisagés :
• des perturbations affectant la morphologie flexionnelle. Il s’agit là d’un trou-
ble se manifestant par des erreurs d’accords de genre, de nombre, de per-
sonne, de temps, de mode et de cas – toutes transformations dépendant du
contexte phrastique ;
• des perturbations concernant la morphologie dérivationnelle. Dans ce cas, la
perturbation morphologique, indépendante du contexte phrastique, relève du
traitement lexical et les erreurs de performance portent sur les bases (racines),
les affixes dérivationnels et/ou les mots composés.
Ce qui rend souvent difficile l’interprétation d’un trouble en termes de déficit
morphologique, proprement dit, c’est la fréquente association des paraphasies mor-
phologiques à d’autres types d’erreurs. On ne trouve en effet aucun cas d’aphasie
dans la littérature présentant uniquement des paraphasies morphologiques (Badecker
et Caramazza, 1991). Ces dernières sont généralement accompagnées d’erreurs com-
portant un lien sémantique et/ou formel avec la cible. Si, par exemple, chez le même
patient, des erreurs telles que « doctrinal » > « endoctriner », « voudrai » >
« pouvoir » ou « régate » > « frégate » sont observées, il est tout à fait possible que
l’origine du premier type d’erreur et celle des deux autres (analysables comme mor-
phologique, sémantique et sémantique et/ou formel) soit la même, puisque dans les
paraphasies morphologiques, il existe toujours un lien sémantique avec la cible.

7. Voire le « déplacement » dans des langues agglutinantes comme le turc.


Langage et parole 447

La même ambiguïté existe pour des erreurs comme « demanda » >


« demandé » et « décide » > « décidre » produites par le même patient. Les deux
erreurs n’impliquant qu’un seul phonème, il serait arbitraire d’interpréter le déficit
sous-jacent comme étant morphologique dans le premier cas et phonologique dans le

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second.
Cependant, certaines études relèvent des patterns de performances dont le(s)
trouble(s) sous-jacent(s) est (sont) sans doute lié(s) à un traitement morphologique
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perturbé par la lésion.


Ceci paraît particulièrement évident dans des cas de compositions morpholo-
giques non attestées dans la langue. Comment en effet rendre compte de productions
telles que « dratier » pour « tablier » ou « accoudeur » pour « accoudoir » dans une
épreuve de dénomination (Pillon et al., 1991) sinon en termes de composition active
de deux morphèmes disponibles de façon distincte dans le lexique ? Étant donné que
ces compositions ne peuvent être listées en tant que telles dans le lexique et qu’elles
contiennent une base combinée avec un morphème dérivationnel, tous deux existant
dans la langue mais n’étant pas attestés dans cette combinaison, il s’avère nécessaire
de postuler l’existence d’un processus de concaténation active entre ces deux mor-
phèmes existants, une concaténation conduisant à l’engendrement d’un mot « non
attesté » dans le lexique de la communauté linguistique de référence.
De telles erreurs portant sur les affixes comme sur les radicaux peuvent aussi
être interprétées comme étant d’origine phonologique, si on trouve aussi, chez le même
patient, des erreurs phonologiques « pures » sur un morphème, c’est-à-dire si ces erreurs
peuvent être reconnues de manière non ambiguë comme n’étant pas morphologiques.
D’autres observations, toutefois, montrent que la morphologie intervient lors
du traitement langagier. Certains patients (Miceli et Caramazza, 1988) présentent, en
plus des compositions morphologiques non attestées, une nette dissociation entre
erreurs flexionnelles et erreurs dérivationnelles : les deux types d’erreurs apparaissent
mais la production de néologismes n’est relevée qu’en morphologie dérivationnelle.
Ceci montre donc qu’il existe une procédure de composition morphologique
dans le lexique, que la morphologie flexionnelle et la morphologie dérivationnelle
sont traitées à des niveaux distincts dans le système langagier et que ces composantes
peuvent être affectées de manière différente (dissociée) lors de troubles du langage
chez les patients cérébro-lésés.
Contrairement aux types d’erreurs relevant des autres composantes linguisti-
ques telles que les perturbations aux niveaux phonétique, lexical, syntaxique ou
sémantique, les paraphasies morphologiques observées en production orale ne sem-
blent pas avoir leur équivalent en compréhension orale. Il n’existe, à notre connais-
sance, pas de cas d’aphasie qui révèle clairement un trouble spécifique de la
compréhension des structures morphologiques en modalité auditive 8. Si on observe
chez certains patients aphasiques des perturbations concernant la compréhension des

8. Pour cette raison, nous ne traiterons pas de cette question dans la partie suivante du présent article,
qui porte sur les troubles de la compréhension orale.
448 Grandes fonctions psychologiques et leurs perturbations

mots polymorphémiques, ces troubles s’inscrivent généralement dans un déficit de


compréhension lexicale, sémantique et/ou syntaxique, ou de réduction des ressources
computationnelles (Jakubowicz et Goldblum, 1995). Ceci soulève à nouveau la ques-
tion du statut de la morphologie lors du traitement langagier : si aucun trouble mor-

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phologique « pur » ne peut être observé chez les patients aphasiques, comment peut-
on conclure à la réalité psycholinguistique du traitement morphologique ? Des tra-
vaux menés en compréhension écrite de mots morphologiquement complexes (voir
Babin, 1998, pour une revue détaillée) semblent clairement indiquer qu’un traitement
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morphologique est nécessaire en compréhension et qu’il peut faire l’objet de pertur-


bations clairement identifiables dans le contexte des troubles du langage consécutifs
à une lésion cérébrale.

C. Perturbations lexicales : le manque du mot


S’il est, dans le cadre du discours aphasique – mais aussi dans d’autres contextes
pathologiques comme celui de la démence de type Alzheimer –, une perturbation
apparemment aspécifique, commune à tous les patients même si elle peut revêtir des
formes différentes, c’est bien le « manque du mot » ou anomie. Il constitue souvent
le premier symptôme d’une aphasie à évolution lente (aphasie d’étiologie tumorale,
démence débutante) ; il constitue aussi fort souvent le dernier élément de handicap
pour les patients dont la récupération – avec ou sans rééducation – a pu être impor-
tante. Le manque du mot est donc un phénomène central dans l’ensemble des pertur-
bations linguistiques des aphasiques et des déments. Comme pour les autres traits
symptomatologiques, il convient d’en bien décrire les diverses manifestations et de
tenter d’en déterminer le déterminisme sous-jacent.
Ordinairement, l’expression « manque du mot » est employée, en clinique
courante, chaque fois que, dans l’encodage de son discours ou en situation de déno-
mination, un locuteur ne peut évoquer le vocable spécifique correspondant à la cible
lexicale attendue.
Cette difficulté d’accès au mot attendu s’exprime de multiples façons – du
mutisme absolu jusqu’aux paraphasies sémantiques, en passant parfois par la mise en
œuvre de stratégies palliatives relativement efficaces (Nespoulous, 1980). Une telle
multiplicité de phénomènes consécutifs à une carence lexicale rend l’analyse du phé-
nomène très complexe. Sans mentionner ici les comportements non verbaux que peut
déclencher parfois l’impossibilité de trouver le mot juste, le mot-cible peut se trouver
remplacé :
– par une forme lexicale « neutre », ex. : « truc », « machin », « chose » ;
– par un pronom, même si l’antécédent de celui-ci n’a pas été antérieurement
prononcé ;
– par un « vocable de prédilection », c’est-à-dire par un mot qui, dans le lexi-
que propre du patient, va assumer la même fonction que celle des vocables
neutres ci-dessus. Ainsi un de nos patients, ancien médecin, qui remplaçait la
grande majorité des substantifs qu’il ne parvenait pas à trouver par le mot
Langage et parole 449

« traitement », de même un autre patient, ancien capitaine dans la marine, qui


remplaçait les mots inaccessibles par « skipper » ;
– par un hyperonyme, vocable générique (ou « superordonné ») incluant cer-

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tains des traits sémantiques du vocable spécifique recherché, ex. : « animal »,
« bête » produits à la place de « loup » dans la narration du Petit Chaperon
Rouge ;
– par un hyponyme erroné, dans ce cas, le patient semble parvenir au niveau du
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lexique spécifique sans pour autant réussir à trouver le mot cible, ex. :
« renard », « chacal » pour « loup », toujours dans le Petit Chaperon Rouge,
c’est dans ce dernier cas que l’on parlera habituellement de paraphasie
sémantique ;
– par un antonyme ;
– par un mot qui ne semble pas entretenir de relations sémantiques avec le mot
cible (cf. les « paraphasies extravagantes » relevées parfois à la suite de
lésions sous-corticales ; Démonet, 1987).
Il est à relever que, dans plusieurs des phénomènes ci-dessus, on retrouve des
comportements fréquemment observables chez le sujet normal. C’est donc clairement
leur surabondance, chez l’aphasique ou le dément qui leur octroie un statut pathologique.
À tous ces phénomènes – qui sont autant de substitutions lexicales –, il
convient d’ajouter encore des tentatives de périphrases, authentiques stratégies pal-
liatives auxquelles les sujets normaux ont également recours quand un mot leur fait
défaut mais qui malheureusement n’aboutissent pas toujours in fine à la production
du mot juste, le patient étant repris par le manque du mot dans sa périphrase ! Enfin,
il convient de prendre en considération le contexte ou la tâche dans lequel/laquelle le
manque du mot est évalué : certains patients sont ainsi meilleurs dans la production
de mots isolés alors que leurs performances dans la production lexicale en contexte
discursif sont fortement perturbées (cf. les patients porteurs de lésions frontales,
Luria, 1966), d’autres patients présentant la dissociation inverse, le contexte pouvant
alors avoir un effet facilitateur sur la lexicalisation.
En face d’une telle diversité de manifestations, une première question se pose
au clinicien et au chercheur : ces manifestations différentes traduisent-elles des défi-
cits sous-jacents différents ou constituent-elles les manifestations différentes d’un
seul et même déficit (avec parfois, en plus, leurs stratégies palliatives) ? C’est là quit-
ter le domaine de la description pour aborder celui de l’interprétation.
Benson (1977) propose la sous-catégorisation suivante de l’anomie s’appuyant
sur les éléments symptomatologiques ci-dessus mais prenant aussi en compte le tableau
clinique global du patient ainsi que la localisation de sa lésion :
• L’anomie de production (« Word production anomia »). Dans ce premier
type d’anomie, le patient ne peut produire spontanément le mot-cible mais le
déficit causal semble être soit moteur (problèmes d’articulation chez les
patients porteurs de lésions frontales), soit paraphasique (problème de pro-
duction de la séquence phonémique attendue en l’absence de tout déficit
450 Grandes fonctions psychologiques et leurs perturbations

moteur, déficit observable chez les aphasiques de conduction, grands produc-


teurs de paraphasies phonémiques et de néologismes). Dans ce premier cas,
aucune perturbation sémantique n’est présente.

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• L’anomie de sélection (« Word selection – word dictionnary – anomia »).
Dans ce deuxième type d’anomie, le patient présente un manque du mot isolé,
souvent compensé par de nombreuses périphrases et par des gestes qui indi-
quent clairement que l’objet (le « référent ») lui-même a bien été reconnu
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mais que son « symbole verbal » demeure inaccessible. Ce type d’anomie


« serait » plus fréquemment associé à des lésions rétro-rolandiques.
• L’anomie sémantique (« Semantic nominal aphasia »). Ce type d’anomie
s’apparente fortement au déficit précédent. Toutefois, dans le cas présent, le
patient éprouve également des difficultés à comprendre le mot lorsque celui-
ci lui est présenté par oral ou par écrit, ce qui est interprété par Benson
comme une incapacité à appréhender la valeur symbolique du mot.
• L’anomie catégorielle (« Category specific anomia »). Dans ce type d’ano-
mie, le patient ne manifeste ses difficultés d’encodage lexical qu’à l’intérieur
de certaines catégories lexico-sémantiques comme la dénomination des cou-
leurs (Geschwind et Fusillo, 1966 ; Oxbury et al., 1969 ; Damasio et al.,
1979) ou la dénomination des parties du corps (Dennis, 1976). D’autres étu-
des peuvent être encore citées à l’appui de la thèse de l’existence de pertur-
bations sélectives, ou catégorielles, de l’encodage lexical (Goodglass et al.,
1966 ; Yamadori et al., 1973 ; Warrington, 1975 ; McKenna et al., 1978 ;
Warrington et Shallice, 1984). Ces études (et d’autres encore) ont ouvert un
débat qui se poursuit encore aujourd’hui et dont l’objet est de tenter de déter-
miner s’il y a, dans le cerveau/esprit humain, une ou plusieurs sémantique(s),
c’est-à-dire une seule sémantique amodale ou deux sémantiques, l’une à base
sémantique et l’autre à base sensorielle, particulièrement visuelle (Silveri et
Gainotti, 1988 ; Caramazza et al., 1990 ; Hillis et al., 1990 ; Shallice, 1993 ;
Hillis et al., 1995).
Bien que non mentionnés dans le texte de synthèse de Benson (et pour cause
compte tenu de sa date !), des travaux récents ont mis en évidence des déficits
catégoriels portant cette fois sur les deux catégories grammaticales majeures
que sont les noms et les verbes. McCarthy et Warrington (1985) présentent le
cas d’un sujet agrammatique dont la dénomination de verbes est massivement
perturbée alors que celle des noms ne l’est point. Zingeser et Berndt (1990),
de leur côté, publient le cas d’un patient, avec aphasie amnésique pure, chez
lequel la production de verbes est préservée alors que celle des noms est for-
tement déficitaire. Il convient toutefois d’être extrêmement prudent dans
l’interprétation d’une telle double dissociation. En effet, les noms testés sont
systématiquement des noms d’objets, quant aux verbes, il s’agit systémati-
quement de verbes d’action. De ce fait, il est actuellement impossible de
savoir si la dissociation a une motivation strictement grammaticale (noms et
verbes) ou s’il s’agit d’une dissociation « localisée » au plan sémantique ou
Langage et parole 451

conceptuel. Cette réserve vaut également pour les quelques études en image-
rie fonctionnelle cérébrale (Damasio et Tranel, 1993) qui ont essayé d’abor-
der la dichotomie noms/verbes et des études complémentaires – mieux

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contrôlées au plan linguistique – sont à l’évidence nécessaires avant que l’on
puisse affirmer que les noms et les verbes sont traités par des réseaux neuro-
naux différents !

• L’anomie sensorielle (« Modality specific anomia »). Dans ce type d’anomie,


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le patient éprouve des difficultés à nommer un objet qui lui est présenté par
une modalité sensorielle spécifique mais il parvient à effectuer correctement
la dénomination dès lors que l’objet lui est présenté par une autre modalité
(Rubens et al., 1971 ; Lhermitte et al., 1973 ; Gardner, 1973).
• Parmi les autres variétés d’anomie, Benson mentionne le manque du mot du
patient atteint de la démence de type Alzheimer en soulignant le fait que, en
phase initiale, ce type de patient ne présente pas de perturbations en dénomi-
nation, le seul déficit résidant alors dans le fait que ces patients – dans le con-
texte d’un « test de fluence verbale » qui consiste en l’énumération aussi
rapide possible d’un maximum d’items lexicaux appartenant à une même
catégorie (noms de fruits, d’animaux...) (Cardebat et al., 1991) – ne parvien-
nent pas à produire autant de vocables que les sujets normaux. Dans cette
variété clinique de patients, les véritables problèmes de dénomination (sur
images, par exemple) ne surviendraient que plus tardivement dans l’évolu-
tion de la maladie, une opinion qui tranche quelque peu par rapport à celle qui
est ordinairement mentionnée dans la littérature traitant des démences et
selon laquelle l’anomie constituerait un des tout premiers symptômes de la
maladie (Seglas, 1892 ; Critchley, 1964 ; Stengel, 1964 ; Irigaray, 1973 ;
Albert, 1980 ; Obler et al., 1981).

La plupart des modèles psycholinguistiques actuels – qu’il s’agisse de tenta-


tives de modélisation de la production de mots isolés (ex. : Lindsley, 1975, 1976) ou
de la production de phrases (Garrett, 1980 ; Levelt, 1989) – s’accordent à considérer
l’existence de deux niveaux cruciaux dans le traitement lexical : l’un centré sur la
représentation lexico-sémantique, l’autre sur la représentation lexico-phonologique.
À grands traits et en laissant de la place à diverses exceptions, lorsque l’on confronte
à de tels modèles les données issues de l’observation des aphasiques et des déments,
force est de constater que, dans la majorité des cas, le déficit dont fait montre l’apha-
sique se situe de manière prédominante dans l’accès aux représentations lexico-
phonologiques (Le Dorze et Nespoulous, 1989) alors que celui qui caractérise le
patient atteint de démence se situe au niveau lexico-sémantique, sauf peut-être en
début d’évolution 9.

9. Pour une synthèse des travaux portant sur les troubles de la dénomination, se reporter à Kremin
(1994).
452 Grandes fonctions psychologiques et leurs perturbations

D. Agrammatisme et paragrammatisme : perturbations syntaxiques ?


Au sein de la littérature aphasiologique classique, on entend par « agrammatisme »
la production, par certains aphasiques de Broca, d’un discours aux structures syntaxi-

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ques simplifiées, émaillé d’omissions de morphèmes grammaticaux et à la morpho-
logie réduite (= verbes à l’infinitif en français, au gérondif en anglais...).
Ex. :« Ah, aujourd’hui, bonne soirée, parler littérature. »
« Salle à manger avec papa manquant ; maman apporter bouillon avec fille ;
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fils mettre table ; la table, chat ; enfin sept heures, travail fini » (Alajouanine, 1968).
Par « paragrammatisme » (ou « dyssyntaxie »), on entend classiquement la
production, par certains aphasiques de Wernicke, de séquences de mots qui, parado-
xalement au regard de la dénomination du trouble, sont généralement bien formées
du point de vue syntaxique mais comportent de nombreuses substitutions de morphè-
mes grammaticaux.
Ex. :« Elle portait une galette sur sa grand-mère. »
« J’étais dans la couturière » (Lecours et Lhermitte, 1979).
En relation avec l’opposition omission et substitution des morphèmes gram-
maticaux, centrale chez Alajouanine parce que permettant de fonder un diagnostic
différentiel entre deux variétés de patients aux symptômes et aux lésions différentes,
on notera toutefois la position plus nuancée de Lecours et Lhermitte (1979), lesquels
définissent l’agrammatisme par les traits suivants :
« Ralentissement du débit, réduction générale du vocabulaire disponible,
réduction du nombre et simplification des structures syntaxiques disponibles,
brièveté des phrases et tendance à la juxtaposition, élisions et substitutions por-
tant spécifiquement sur les monèmes grammaticaux. »

D’un point de vue psycholinguistique et interprétatif, l’agrammatisme est le plus


souvent interprété comme la manifestation d’un déficit syntaxique sous-jacent. D’autres
voies interprétatives sont toutefois explorées dans la littérature spécialisée : déficit
d’accès aux morphèmes grammaticaux, déficit phonologique (Kean, 1977, 1979, 1980),
déficit morphologique (Lapointe, 1985), agrammatisme = manifestation de stratégies
adaptatives et non déficit (Kolk et al., 1985).
Deux questions particulièrement controversées ont fait l’objet de multiples
publications au cours des vingt dernières années : la présence de troubles de la com-
préhension parallèles à ceux qui existent sur le plan de la production et la pertinence
de la différenciation entre agrammatisme et paragrammatisme.
Sur le premier point, à la suite des travaux de Zurif, Caramazza et Myerson
(1972) et de Berndt et Caramazza (1980), l’hypothèse de l’existence d’un déficit syn-
taxique central – affectant directement la composante syntaxique de la grammaire – a
été émise. Si, de fait, certains agrammatiques ont été décrits qui présentaient des diffi-
cultés parallèles sur le versant de la production et sur celui de la compréhension, divers
autres patients, clairement agrammatiques en production, se sont révélés être exempts
de tout problème en compréhension (Miceli et al., 1983 ; Nespoulous et al., 1988).
Langage et parole 453

Sur le deuxième point, la différenciation agrammatisme/paragrammatisme


reposant essentiellement sur la présence d’omissions de morphèmes grammaticaux
dans le premier cas et de substitutions dans le second est sérieusement remise en
question par les travaux qui montrent que la présence d’omissions ou de substitutions

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dépend crucialement des propriétés structurales de la langue du patient : là où le locu-
teur francophone peut omettre un morphème grammatical, un aphasique parlant
l’hébreu ne le peut 10 (Grodzinsky, 1982 ; Baharav, 1990). En effet, l’omission des
infixes vocaliques (à valeur morphématique) dans cette langue condamnerait le
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patient au mutisme absolu puisqu’il ne pourrait produire les matrices lexicales tri-
consonantiques en l’absence de voyelles 11 ! De plus, l’existence chez les agramma-
tiques francophones (mais aussi italianophones) non seulement d’omissions mais
aussi de substitutions de morphèmes grammaticaux semble indiquer que le distinguo
clinique classique : agrammatisme = omissions vs paragrammatisme = substitutions
mérite d’être sérieusement reconsidéré (Heeschen, 1985 ; Nespoulous, 1997) 12.

E. Perturbations discursives et aphasie

Cette partie a pour objectif de mettre en perspective certaines données issues de la lit-
térature concernant l’analyse du discours pathologique.
Ces données concernent surtout l’analyse de discours narratifs (raconter une
histoire) et de discours procéduraux (décrire une procédure telle que changer une
roue, par exemple).
Ces deux types de discours qui représentent, avec le discours spontané,
l’essentiel de l’activité discursive, permettent en effet, en raison de leurs différences,
une caractérisation fine des déficits discursifs pouvant être observés en pathologie du
langage. Ces différences existent tant au niveau de la fonction de communication
(distraire pour le discours narratif et instruire pour le discours procédural) qu’au
niveau du contenu de l’information (personnages et évènements pour le discours nar-
ratif, actions décrites de façon claire et explicite pour le discours procédural). Elles se
reflètent aussi à la surface du discours : la syntaxe du récit est plus complexe que celle
du discours procédural et les liens cohésifs du récit englobent des fragments de texte
plus larges (pouvant aller jusqu’au paragraphe) que les liens cohésifs observés dans
le discours procédural (liens entre énoncés adjacents, la plupart du temps).
Le recensement des travaux dans ce domaine ne sera pas exhaustif, seuls
seront présentés ici certains résultats concernant l’analyse discursive de patients
aphasiques, de patients cérébro-lésés droits et de patients déments de type Alzheimer.

10. Cf. Menn et Obler, 1990 : « Agrammatic aphasia » où des agrammatiques parlant quatorze langues
différentes ont été comparés.
11. En hébreu, une matrice tri-consonantique comme k.t.b renvoie à la notion générale d’écriture ; elle
correspond à un léxème dans une langue comme le français. Selon les infixes vocaliques utilisés, le léxè-
me change d’acception : « katab » veut dire « écrivit », « hiktib » = « il dicta », « miktab » = « lettre »...
12. Pour une synthèse plus complète, cf. Pillon et Nespoulous (1994).
454 Grandes fonctions psychologiques et leurs perturbations

 Forme du discours et aphasie


La grande majorité des travaux dans le domaine de l’analyse des perturbations dis-
cursives de l’aphasique repose sur des données recueillies lors de la production ou de

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la compréhension de discours narratifs sur la base d’images proposées aux patients.
C’est donc l’analyse du discours narratif qui sera l’essentiel de cette section ; cepen-
dant, les capacités des patients à générer des scripts ainsi qu’à produire des discours
procéduraux seront aussi évoqués.
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Si l’on considère les travaux orientés vers l’analyse des troubles du récit chez
l’aphasique, il apparaît clairement que les analyses portent, de façon prépondérante,
sur les déviations syntaxiques et lexicales présentes à la surface du discours, dévia-
tions venant altérer la cohésion du discours.
● Déviations grammaticales et syntaxiques
L’analyse descriptive de la forme des récits produits par des patients aphasiques a
permis de décrire certaines de ses caractéristiques concernant les unités de nature
grammaticale ou syntaxique. On note, entre autres :
• des contrastes verbes/noms entre les différents syndromes aphasiques, les
aphasiques de Wernicke produisant, par exemple, plus de verbes que de noms
dans leurs récits et les aphasiques de Broca plus de noms que de verbes
(Berko-Gleason et al., 1980) ;
• un appauvrissement syntaxique, analyse effectuée, par exemple, à partir
d’une classification des propositions syntaxiques en termes de longueur, de
nombre de propositions enchâssées et d’adéquation grammaticale (Ula-
towska et al., 1981) ;
• une stratégie plus descriptive que narrative, les marques déictiques (pronoms et
adverbes démonstratifs) étant plus nombreuses dans des récits d’aphasiques de
Wernicke que dans des récits d’aphasiques de Broca (Dressler et Pléh, 1988) ;
• une perturbation du système référentiel, système essentiel à la cohésion d’un
récit, avec notamment une difficulté de manipulation des pronoms
anaphoriques ; ce type de perturbations est décrit dans de nombreux travaux
(Berko-Gleason et al., 1980 ; Ulatowska et al., 1981), la majorité des pro-
noms anaphoriques présents dans les récits des aphasiques étant dépourvus
de référent, caractéristique pratiquement absente des récits de sujets contrô-
les. Les anomalies du système de référence chez les aphasiques ont d’ailleurs
fait l’objet d’un travail spécifique de Chapman et al. (1989). Ces auteurs ont
testé, chez des patients aphasiques modérément déficitaires, les capacités à
indiquer les référents de pronoms anaphoriques dans des phrases précédées
de courts textes. La désambiguïsation des référents pouvait s’effectuer sur la
base d’indices linguistiques présents dans les textes ou sur la base de la
connaissance du monde que possèdent les sujets, ces deux types d’indices
pouvant être en contradiction. Les résultats ont montré que les aphasiques se
fondent préférentiellement sur leur connaissance du monde, même si elle est
contradictoire avec les informations textuelles dont ils disposent, pour tenter
de comprendre les relations unissant les référents aux pronoms anaphoriques.
Langage et parole 455

● Déviations lexicales
Si l’on considère maintenant l’analyse des unités lexicales apparaissant à la surface
des récits produits par les patients aphasiques, il est parfois difficile de respecter la

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dichotomie théorique entre surface du discours et contenu sémantique discursif. En
effet, les travaux prenant en compte ce niveau d’analyse ont pour but l’identification
formelle des marqueurs de cohérence textuelle, cohérence faisant directement réfé-
rence au contenu sémantique discursif. Ainsi Berko-Gleason et al. (1980) ont pu met-
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tre en évidence dans des récits d’aphasiques une réduction du nombre des cibles
lexicales nécessaires à l’actualisation en surface des éléments de la macro-structure
et de la micro-structure narrative ; cette réduction respectait une hiérarchie narrative
puisque les aphasiques tendaient à privilégier lexicalement l’épisode le plus saillant
de l’histoire au détriment des autres.
Enfin, l’analyse de la surface lexicale d’un discours ne peut être effectuée
sans l’appréciation, en premier lieu, de l’implication du locuteur. Cette implication,
omniprésente évidemment dans le langage spontané, apparaît aussi dans les récits des
patients aphasiques sous la forme de modalisations exprimant la plupart du temps le
doute du locuteur quant à l’adéquation de sa propre production (Nespoulous, 1980 ;
Nespoulous et al., 1998). Or, si l’analyse lexicale concerne essentiellement les élé-
ments référentiels d’un récit, la prise en compte des fragments modalisateurs présents
n’est pas cependant sans intérêt puisque ceux-ci peuvent porter avec prédilection sur
les éléments essentiels du récit (paraphasies verbales, par exemple, portant exclusi-
vement sur les acteurs principaux de l’histoire et immédiatement suivies d’énoncés
du type « je ne suis pas sûr, c’est peut-être pas ça »). Ces fragments modalisateurs
apportent donc, a contrario, la preuve d’une certaine préservation de la structure nar-
rative (Cardebat, 1987).

 Contenu sémantique et aphasie


Les travaux prenant en compte l’analyse du contenu sémantique discursif chez les
patients aphasiques sont essentiellement ciblés autour d’épreuves de compréhension
de récits.
Ainsi, les travaux de Huber (1990) ont souligné l’importance des processus
de traitement sémantique non spécifiquement linguistique dans la compréhension des
récits, compréhension testée à partir d’arrangements d’images, d’arrangements de
phrases ou de choix de conclusion de récit. En effet, les auteurs établissent une dis-
tinction entre traitement macro-structurel et micro-structurel narratif. Cependant, ces
notions ne recouvrent pas exactement les notions mises en place par Kintsch et van
Dijk (cf. infra). Pour Huber, l’édification des propositions macro-structurelles d’un
récit ne se ferait pas uniquement à partir d’une généralisation ou d’un résumé des
micro-propositions, mais aussi et surtout à partir de la connaissance générale du
monde et les capacités de raisonnement pragmatique du sujet. En conséquence, même
les aphasiques sévèrement déficitaires devraient pouvoir être à même de comprendre
les idées principales d’un récit puisque leurs déficits peuvent épargner leurs capacités
cognitives non linguistiques. Les conclusions des travaux de Huber (1990) semblent
456 Grandes fonctions psychologiques et leurs perturbations

effectivement prouver que les patients aphasiques recourent, pour comprendre des
récits, à des processus macro-structurels « non linguistiques », processus pouvant
cependant être altérés.

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Ces conclusions vont dans le sens de celles exposées par Ulatowska et al.
(1983) dans leur travail concernant la production de discours narratifs dans des grou-
pes d’aphasiques plus ou moins sévèrement atteints. En effet, ces auteurs ont tenté
d’identifier à la surface du discours des patients les éléments de la macro-structure
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des récits, macro-structure comprise au sens « classique » de Kintsch et van Dijk (épi-
sodes correspondant à l’exposition, la complication, et la résolution). Les résultats ont
montré que la macro-structure était pour l’essentiel préservée lorsque l’aphasie est
légère ou modérée alors même que la surface du discours de ces patients est défici-
taire. Il est cependant difficile, d’après les auteurs, d’affirmer que les aphasiques
n’ont pas de déficits narratifs macro-structurels dans la mesure où les histoires-cibles
avaient une structure simple et conventionnelle, les patients pouvant donc s’appuyer
sur leur connaissance du monde extra-linguistique pour édifier la macro-structure de
l’histoire à raconter.

 Script et aphasie
Certains auteurs se sont intéressés à la connaissance des scripts manifestée par les
patients aphasiques soit en analysant la production de discours procéduraux (Ula-
towska et al., 1983), soit dans des tâches de discrimination de scripts écrits ou de
sélection des événements essentiels dans des scripts proposés (Armus et al., 1989).
Bien que ces travaux portent sur des supports différents, les conclusions des auteurs
sont concordantes, la connaissance des scripts paraissant préservée chez les patients
aphasiques dans les cas d’aphasie légère et modérée.
En résumé, l’analyse des troubles discursifs dans l’aphasie met en évidence
des déficits affectant de façon prépondérante la surface du discours alors que le
contenu sémantique paraît relativement préservé, tout au moins dans les cas d’aphasie
légère ou modérée. Cette constatation permet donc de postuler une certaine indépen-
dance entre processus lexicaux et syntaxiques permettant de traiter les mots isolés et
les phrases et processus discursifs qui permettent de traiter la structure sémantique
d’un discours.

F. Perturbations discursives et cérébro-lésés droits


La survenue de troubles de la communication verbale chez les droitiers non aphasi-
ques porteurs d’une lésion acquise à l’hémisphère droit – ou cérébro-lésés droits – n’a
été reconnue que récemment dans l’histoire de la neurolinguistique (Joanette, Goulet
et Hannequin, 1990). On sait aujourd’hui qu’un bon nombre de ces malades (plus de
la moitié) peuvent être porteurs de troubles pouvant affecter les aspects prosodiques,
lexico-sémantiques et discursifs du langage (Joanette, Goulet et Daoust, 1991). Lors-
que de tels troubles sont présents, les cérébro-lésés droits représentent une population
particulièrement intéressante à différents niveaux pour l’étude des dimensions discur-
Langage et parole 457

sives de la communication verbale car cette dernière semble être atteinte de façon pri-
vilégiée par rapport aux autres composantes du langage telles les composantes
phonologique ou syntaxique, puis, contrairement aux malades avec démence,
l’atteinte discursive peut être étudiée en l’absence d’une atteinte majeure du fonction-

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nement cognitif en général et, enfin, le trouble discursif peut ou non être accompagné
de modifications dans les capacités du malade à traiter les dimensions émotionnelles,
permettant ainsi de mieux comprendre les interactions avec les composantes cogniti-
ves non émotionnelles du discours.
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En dépit de ces avantages évidents, la littérature ne contient que très peu


d’études portant sur la composante discursive des troubles de la communication ver-
bale chez les cérébro-lésés droits.

 Traitement discursif et dimension émotionnelles


chez les cérébro-lésés droits
Plusieurs travaux ont suggéré que la survenue d’une lésion à l’hémisphère droit per-
turbe de façon significative la vie émotionnelle (Gainotti, 1994). Certains travaux ont
été consacrés à l’analyse des aptitudes discursives des cérébro-lésés droits soumis à
des textes plus ou moins riches en contenu émotionnel (par exemple, Cicone, Wapner
et Gardner, 1980 ; Wechsler, 1973). Les résultats sont cependant divergents quant à
d’éventuelles difficultés des cérébro-lésés droits pour le traitement des textes à
contenu émotionnel élevé. Pour Cicone et al., la difficulté des cérébro-lésés droits
dépasse largement le contenu émotionnel du matériel langagier, le traitement discur-
sif lui-même serait affecté chez ces malades.

 Sémantique du discours chez les cérébro-lésés droits


L’une des caractéristiques du discours des cérébro-lésés droits qui est probablement
la plus connue des cliniciens est la tendance de ces malades à incorporer des segments
de discours tangentiels dans leurs conversations, leurs narrations (Wapner, Hamby et
Gardner, 1981). Toutefois, cette caractéristique reste difficile à intégrer au sein des
modèles contemporains de la production langagière tel celui de Garrett (1984).
Utilisant une approche plus en accord avec les outils conceptuels disponibles,
Joanette, Goulet, Ska et Nespoulous (1986) ont étudié systématiquement certaines des
caractéristiques du contenu sémantique du discours narratif des cérébro-lésés droits.
Ces auteurs rapportent que les narrations de cérébro-lésés droits, bien que comparables
à celles de sujets témoins en quantité de mots émis, sont inférieures en termes de
contenu informatif, objectivé en nombre de propositions (voir ci-dessus). De plus, les
cérébro-lésés droits auraient recours plus souvent que les sujets témoins à un style nar-
ratif particulier pouvant être qualifié de digressif et détaillé. La survenue d’une lésion
droite n’affecterait donc pas, d’après ces auteurs, les processus cognitifs nécessaires à
l’élaboration discursive, mais placerait plutôt le malade dans une attitude communica-
tionnelle particulière que l’on rencontre quelquefois chez les sujets témoins. Par
ailleurs, les narrations des cérébro-lésés droits ne se distinguent pas de façon manifeste
458 Grandes fonctions psychologiques et leurs perturbations

de celles des sujets témoins quant à leur cohérence et leur cohésion, telles qu’appré-
ciées au travers des règles de Charolles (1986). Finalement, les narrations des cérébro-
lésés droits se comparent à celles des sujets témoins sur un certain nombre de mesures
formelles (par exemple, rapport noms/verbes) (Joanette et Goulet, 1991).

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En somme, les cérébro-lésés droits offrent des aptitudes discursives altérées,
mais essentiellement quant au contenu véhiculé et non quant à la forme de ce dis-
cours. Il reste cependant à savoir si cette altération est primitive, témoignant d’une
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atteinte de processus cognitifs spécifiquement discursifs, ou si elle est secondaire,


reflétant plutôt un changement dans l’attitude communicationnelle.

 Processus inférentiels, pragmatique et cérébro-lésés droits

Un certain nombre d’hypothèses ont été émises pour rendre compte des altérations
discursives chez les cérébro-lésés droits. Ainsi, des explications allant d’un trouble
de la perception visuelle de l’information, dans le cas de discours induits par image,
à un déficit de la planification macro-structurale ont été suggérées dans la littérature
(Joanette, Goulet et Hannequin, 1990). Celle que l’on retiendra ici à titre d’exemple
est la présence supposée d’un déficit du processus inférentiel (par exemple, Brownell,
Potter, Bihrle et Gardner, 1986), l’un des processus cognitifs fondamentaux pour le
niveau descriptif selon Fredericksen et al. (1990). Cette explication a maintes fois été
mise en avant pour rendre compte de performances diminuées chez des cérébro-lésés
droits soumis à des tâches de nature discursive. Cependant, les études qui se sont pen-
chées sur les aptitudes inférentielles pragmatiques (par exemple, reposant entre autres
sur la connaissance du monde) et logiques (par exemple, ne reposant que sur des pré-
misses non connues du sujet, tels les syllogismes) offrent des résultats contradictoi-
res. Pour Joanette, Goulet et Hannequin (1990), l’ensemble de ces faits ne conduit pas
à penser que les altérations discursives des cérébro-lésés droits soient imputables à la
présence de troubles inférentiels.

Une autre explication aux altérations discursives des cérébro-lésés droits en


termes de trouble de l’évaluation de la plausibilité a été proposée, cette hypothèse est
à la fois plus prometteuse mais moins explorée à ce jour, entre autres en raison des
problèmes conceptuels qu’elle soulève. En effet, dans plusieurs des études ayant rap-
porté des performances diminuées chez des cérébro-lésés droits soumis à des tâches
de nature discursive, on a suggéré que le déficit pourrait être expliqué par référence à
un possible trouble de l’évaluation de la plausibilité (« plausibility metrics ») d’évé-
nement linguistique. Ces malades auraient des difficultés particulières à rejeter des
événements linguistiques plausibles, mais dont la probabilité est faible compte tenu
du contexte locutoire ou de la tâche (Joanette, Goulet et Hannequin, 1990). Si la pré-
sence d’une telle difficulté devait être confirmée, elle constituerait un appui supplé-
mentaire à la thèse selon laquelle les principales difficultés des cérébro-lésés droits
ont trait à la prise en compte du contexte lorsqu’ils sont confrontés à un acte de com-
munication verbale.
Langage et parole 459

G. Perturbations discursives et démence de type Alzheimer


Cette partie présente les résultats de deux études de cas multiples menées par l’un de
nous (D.C) et visant à analyser les déficits narratifs spécifiques des patients atteints

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de maladie d’Alzheimer quand leurs productions sont comparées soit à celles de
sujets témoins très âgés, soit à celles de patients présentant une aphasie de type
sémantique.
Plus précisément, la première étude a pour but de vérifier si les déficits nar-
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ratifs des patients déments sont qualitativement différents de ceux observés dans les
récits de sujets normaux très âgés. En effet, si les résultats ne mettent en évidence
qu’une différence quantitative entre productions pathologiques et productions norma-
les, il est possible de faire l’hypothèse que, en ce qui concerne au moins les processus
impliqués dans une activité de narration, les déficits observés dans la pathologie
démentielle ne sont que l’exacerbation de la dégradation psycholinguistique provo-
quée par l’âge. La seconde étude a pour objectif d’analyser les éventuelles différences
entre déficits narratifs de patients déments et déficits narratifs de patients aphasiques
dont la production orale est caractérisée par des perturbations d’origine exclusive-
ment sémantique.
La première étude inclut trois groupes de sujets : un groupe de 25 sujets nor-
maux âgés (de 60 à 74 ans), un groupe de 15 sujets normaux très âgés (de 75 à 89 ans)
et un groupe de 19 patients (de 75 à 89 ans) dont la démence peut être qualifiée de
modérée. Dans la seconde étude, les productions de 5 patients déments (de 56 à
94 ans) ont été comparées à celles de 10 patients aphasiques (de 31 à 72 ans).
La procédure expérimentale, identique pour les deux études, consiste en la
présentation de sept images séquentielles disposées dans l’ordre devant les sujets
durant toute l’épreuve. Ces images extraites des séries d’histoires sur images de
Lebœuf racontent l’histoire d’un chien abandonné recueilli par un petit garçon. L’his-
toire du « chien » peut être résumée selon les constituants de base de sa structure nar-
rative (Van Dijk, 1977). Dans l’« exposition », le petit garçon, ému par le chien
abandonné, l’attire chez lui et, craignant la réaction de ses parents, le cache dans une
penderie. La « complication » met en scène la maman qui découvre le chien et
demande des explications à l’enfant. Enfin, la « résolution » laisse entrevoir une fin
heureuse puisque la maman accepte de garder le chien et entreprend de lui construire
une niche.
Les productions des sujets sont enregistrées et retranscrites et les éléments
principaux de l’histoire sont dénommés soit par l’examinateur soit par le sujet lui-
même avant l’épreuve, afin d’éliminer les déficits majeurs de type gnosique (mau-
vaise identification des éléments iconographiques).
Avant d’exposer la méthodologie d’analyse des productions narratives, il
convient de préciser que les productions des patients déments parfois s’écartent à un
tel point de la norme qu’il a fallu intégrer dans la recherche d’indices d’incohérence
narrative des marqueurs n’appartenant pas directement au champ de la linguistique
ou de la sémantique.
460 Grandes fonctions psychologiques et leurs perturbations

Il est possible de distinguer dans la méthodologie deux niveaux d’analyse : le


niveau de surface faisant référence à l’organisation formelle narrative et le niveau
macro-structurel, faisant référence à l’organisation logique narrative. Parallèlement
aux analyses classiques des niveaux de surface et macro-structurel, ont été pris en

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compte des caractéristiques narratives appartenant à l’aspect pragmatique de la situa-
tion de communication particulière qu’est le récit, telles que la stratégie narrative ou
descriptive adoptée par le sujet ou l’évaluation du sujet face à sa propre production.
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Les éléments pris en compte au niveau de surface peuvent être qualifiés de


syntaxiques ou de lexicaux.
Les phénomènes syntaxiques analysés sont :
• le nombre de mots ;
• le nombre d’énoncés syntaxiquement simples, le nombre d’énoncés circons-
tanciels et non circonstanciels et le nombre de connecteurs ;
• le nombre de perturbations concernant les marques anaphoriques. Dans les
corpus, les marques anaphoriques sont généralement représentées par des
pronoms personnels de la 3e ou de la 6e personne et les perturbations anapho-
riques rencontrées sont de trois types : des pronoms anaphoriques sans réfé-
rent préalablement cité, des pronoms anaphoriques ayant un référent ambigu
et des pronoms anaphoriques syntaxiquement inappropriés.
L’analyse des phénomènes lexicaux concerne les phénomènes anomiques,
les paraphasies verbales et les paragnosies :
• les phénomènes anomiques font référence à une absence de production lexi-
cale soulignée par une pause longue dans le débit ou par la production d’un
terme générique « vague » (ex. : « un truc... ») ;
• les paraphasies verbales englobent les paraphasies verbales morphologiques
(ressemblance formelle entre la cible et le mot produit) et les paraphasies
sémantiques ;
• les paragnosies concernent l’identification perceptive erronée des éléments
des images durant la production narrative.
Au niveau macro-structurel, ont été pris en compte la présence ou l’absence
du nœud dramatique (cf. « complication »), la présence ou l’absence de paraphasie
narrative.
L’analyse de la « complication » de l’histoire, en termes de présence ou
d’absence, constitue une indication indirecte mais essentielle du niveau de compré-
hension narrative des sujets.
La paraphasie narrative consiste en l’intrusion d’éléments étrangers au récit-
cible provoquant des confusions au niveau des propositions narratives et non au
niveau des constituants de base tels que le mot, par exemple (cf. Nespoulous, 1980).
Enfin, au niveau pragmatique, deux aspects ont été pris en compte : la straté-
gie narrative et l’évaluation du locuteur sur sa production durant celle-ci.
Langage et parole 461

La stratégie employée par le sujet en face des images a été analysée par le
dénombrement des marques déictiques qui reflètent une stratégie descriptive s’éloi-
gnant d’une stratégie narrative. Ces marques déictiques apparaissent sous la forme
d’articles définis en début d’histoire, de pronoms et d’adjectifs démonstratifs,

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d’adverbes topographiques et de verbes de description.
L’évaluation du locuteur sur sa production est révélée par les modalisations
énonciatives (Nespoulous, 1980). En effet, le cadre narratif est extrêmement rigide et
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n’autorise pas la présence formelle du narrateur à la surface du récit. Les modalisa-


tions énonciatives, trahissant le jugement du narrateur face au récit parfois défaillant
qu’il produit, viennent donc rompre la macro-structure narrative et conduisent parfois
à une incohérence énonciative (cf. la règle de « non-contradiction énonciative » énon-
cée par Charolles, 1986).
Les résultats de la première étude montrent que les récits de déments, quand
ils sont comparés à ceux de sujets normaux même très âgés, sont perturbés tant au
niveau de la surface qu’au niveau macro-structurel narratifs. Leurs productions
incluent des perturbations allant de l’étape perceptive jusqu’à la lexicalisation comme
le montre la présence de nombreuses déviations gnosiques, sémantiques et syntaxi-
ques. Ces déviations venant altérer la surface du récit interagissent avec des perturba-
tions macro-structurelles qui témoignent d’un déficit de la représentation narrative
globale. De plus, le patient dément semble avoir perdu la distanciation nécessaire (Iri-
garay, 1973) entre narrateur et récit. L’objet « récit » n’a plus de frontières claires
pour le locuteur dément qui s’introduit dans celui-ci au moyen d’anecdotes, le plus
souvent personnelles, brisant ainsi la neutralité énonciative caractéristique de la nar-
ration. À l’inverse, l’âge ne semble pas avoir une influence significative sur les pro-
ductions narratives du sujet normal même si les récits des sujets très âgés présentent
parfois quelques déviations gnosiques et lexicales.
La comparaison des récits de patients aphasiques et de patients déments, si
l’on considère la surface du récit, révèle des déficits plus importants chez les aphasi-
ques que chez les déments. Ces déficits semblent être le résultat de perturbations lexi-
cales et lexico-syntaxiques qui apparaissent aussi dans les productions des patients
aphasiques quand ils sont soumis à des épreuves portant sur les mots isolés. Ce type
de déficit n’est pas prédominant dans les récits de patients déments. Le problème
majeur des productions de patients déments paraît concerner la sélection hiérarchisée
des principaux éléments de l’histoire, hiérarchisation nécessaire à l’élaboration de la
macro-structure narrative. Ces patients peuvent se focaliser sur un élément iconogra-
phique secondaire et développer à partir de ce détail une paraphasie narrative. Le
même type de perturbation s’applique à l’appréhension du contenu de la séquence
complète des images. Chaque image semble représenter un monde clos et les relations
hiérarchisées entre images, nécessaires à la compréhension et donc à la production
narrative, se révèlent impossibles à construire. Toutefois, la relation du patient
dément avec le support iconographique laisse apparaître des contradictions. En effet,
ce support représente pour lui un élément incontournable puisqu’il ne peut dépasser
une analyse primaire des constituants identifiés. Mais, à l’inverse, ce support et les
462 Grandes fonctions psychologiques et leurs perturbations

contraintes engendrées par l’épreuve ne semblent représenter pour les narrateurs


déments que le point de départ de micro-récits parallèles n’ayant que peu de points
communs avec l’histoire proposée. La présence de ces paraphasies narratives dans les
récits de patients déments, alors qu’elles ne sont jamais rencontrées dans les récits de

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sujets normaux ou de patients aphasiques, représenterait donc le marqueur spécifique
de l’incohérence narrative démentielle.
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24.2.3 Compréhension orale


Dissocier, pour des raisons autres que didactiques, les troubles de la production de
ceux de la compréhension n’est pas chose facile.
S’il était ainsi de mise, aux débuts de l’aphasiologie, de différencier les
patients présentant des troubles de la production du langage (à la suite de lésions pré-
rolandiques) de ceux qui présentaient plutôt des troubles de la compréhension (à la
suite de lésions rétro-rolandiques), une telle approche est de plus en plus difficilement
tenable. Certes, il est possible d’observer des patients atteints dans leur production et
peu ou pas perturbés dans leur compréhension : c’est le cas d’un nombre non négli-
geable d’aphasiques de Broca, autrefois appelés « aphasiques moteurs ». En revan-
che, les aphasiques de Wernicke – naguère appelés « aphasiques sensoriels » – ne se
caractérisent pas seulement par des troubles de la compréhension. Paraphasies pho-
némiques, néologismes, paraphasies verbales – formelles ou sémantiques –, voire jar-
gon phonémique ou sémantique, émaillent leur discours et demeurent souvent
présents même après un certain temps d’évolution, alors même que la compréhension
s’améliore quelque peu.
Les pages qui suivent respecteront le même plan que celui qui a prévalu pour
la présentation des troubles de l’expression orale – du niveau phonémique au niveau
discursif –, et ce même si souvent les divers troubles présentés peuvent coexister chez
les mêmes patients et s’accompagner de perturbations parallèles de la production
orale. Comme dans la précédente partie, l’essentiel des phénomènes rapportés pro-
viendra de l’observation des patients aphasiques, mais l’exposé s’élargira aussi à
l’étude des problèmes de compréhension observables chez les cérébro-lésés droits et
chez les déments de type Alzheimer.

A. Perturbations du décodage phonémique : la surdité verbale


La surdité verbale (« word deafness ») aurait été décrite pour la première fois par Bas-
tian dès 1869. Sa définition canonique en ferait une perturbation spécifique de la
reconnaissance des stimuli verbaux (= phonèmes). Quelques questions cruciales se
posent à l’examen d’un tel tableau clinique (Riedel, 1981) :
• Le déficit n’affecte-t-il vraiment que la reconnaissance des phonèmes de la
langue ou vient-il aussi perturber l’identification des bruits de l’environne-
ment (= agnosie auditive) ? Force est de constater que les cas de dissociations
franches et nettes sont très rares dans la littérature (Lhermitte et al., 1971).
Langage et parole 463

• Y a-t-il un lien causal entre le problème de perception phonologique et le


trouble de la compréhension orale que l’on retrouve chez bon nombre
d’aphasiques ? Plusieurs études montrent clairement que la corrélation entre
les deux types de déficits est loin d’être établie (Carpenter et Rutherford,

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1973 ; Miceli et al., 1980 ; Blumstein et al., 1977 ; Jauhiainen et Nuutila,
1977) et il existe même des patients qui, en dépit d’un trouble sévère de dis-
crimination phonémique, ont des performances normales ou quasi normales
dans diverses tâches de compréhension, d’autres patients présentant le profil
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inverse.
• Compte tenu du fait que divers patients présentant une surdité verbale ont été
antérieurement catalogués comme aphasiques de Wernicke (parce qu’ils pré-
sentaient, en début d’évolution, une symptomatologie plus large et diversi-
fiée), y a-t-il une relation étroite entre surdité verbale et aphasie de Wernicke
sur le plan de la compréhension... une question qui rejoint quelque peu la
précédente ? Là encore, plusieurs études montrent que les perturbations pho-
nologiques sur le versant de la perception sont loin de n’affecter que les apha-
siques de Wernicke (Blumstein et al., 1977 ; Gainotti et al., 1976), même si
ces derniers sont souvent plus perturbés que d’autres types de patients à ce
niveau (Baker et al., 1981 ; Gardner et al., 1975). Allant plus loin, certains
auteurs ont tenté de montrer que les perturbations relevées dans le contexte
de la surdité verbale étaient différentes de celles qui sont habituellement
mises en évidence dans l’aphasie de Wernicke (Ziegler, 1952 ; Goldstein,
1974). Saffran et al. (1976) rapportent le cas d’un patient présentant un défi-
cit sélectif de la discrimination phonémique en l’absence de tout problème
d’ordre sémantique, alors que les deux perturbations sont ordinairement asso-
ciées dans l’aphasie de Wernicke.
• Y a-t-il une corrélation entre les problèmes de discrimination phonémique
dont il est ici question et les perturbations phonémiques que l’on peut rencon-
trer chez certains patients sur le versant de la production ? Quelques études
ont, de fait, réussi à mettre en évidence une telle corrélation chez des aphasi-
ques de Broca (Shewan, 1980) chez des patients appartenant aux deux gran-
des catégories cliniques classiques – « fluents » et « non fluents » (Miceli et
al., 1980). Toutefois, dans chacune des deux études, se trouvent des patients
chez lesquels il n’y a aucune relation entre capacités de discrimination, d’une
part, et erreurs phonologiques en production, d’autre part.
Il ressort de ce qui précède que s’il existe bien, et parfois (quoique rarement)
à l’état isolé chez certains patients, une perturbation de la discrimination phonémique,
il ne semble pas possible de rendre celle-ci responsable chez ces mêmes patients tant
de la présence de perturbations de la compréhension orale que de la présence de per-
turbations phonologiques en production orale. Une telle constatation souligne la
grande diversité des profils pathologiques observés dans les types cliniques classi-
ques d’aphasie, lesquels perdent, ici comme dans bon nombre d’autres cas, beaucoup
de leur utilité ! Se trouve ici également soulignée l’existence de nombreuses dissocia-
464 Grandes fonctions psychologiques et leurs perturbations

tions entre fonctions et sous-fonctions que certaines hypothèses avaient essayé de


mettre en (cor)relation. Enfin, l’intégrité, parfois observée, des capacités de compré-
hension orale chez des patients présentant pourtant un déficit de discrimination pho-
némique suggère que des mécanismes de compréhension de plus haut niveau

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(= syntactico-sémantiques) sont certainement à même de venir compenser parfois
une perturbation de plus bas niveau comme celle dont il a été ici question.

B. Perturbations du décodage lexical


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Depuis les débuts de l’aphasiologie, la compréhension du langage oral est tradition-


nellement évaluée à travers deux grands types de tâches correspondant aux deux
types essentiels d’unités linguistiques que sont les mots et les phrases. La première
vise donc à étudier la reconnaissance et le décodage lexical de mots isolés dans des
« tests de désignation » : le patient est ainsi conduit à montrer une image spécifique,
parmi plusieurs autres aux caractéristiques bien contrôlées (cf. infra), après avoir
entendu un mot-stimulus. La seconde vise à étudier la compréhension de phrases,
souvent dans des tâches comparables de désignation d’images.
Ayant observé que la compréhension des mots n’était pas affectée de manière
homogène, les neuropsychologues ont essayé d’identifier les causes d’une telle varia-
bilité. Tout comme dans l’étude de la production lexicale (cf. supra), ils ont ainsi
tenté d’évaluer l’éventuel effet différentiel de paramètres tels que :
• la fréquence lexicale. Schuell et al. (1961), parmi les premiers, documentent
l’existence d’un tel effet dans les performances de sujets aphasiques en situa-
tion de désignation ;
• la catégorie sémantique. Goodglass et al. (1966) identifient ainsi des catégo-
ries sémantiques dont la compréhension (et parfois aussi l’expression) est
plus massivement perturbée que d’autres. La compréhension des noms
d’objets est plus aisée que celle des noms d’actions, de couleurs, de nombres
et de lettres. De tels résultats sont toutefois remis en cause par Poeck et al.,
(1973). Parallèlement, de multiples études ont tenté d’évaluer les capacités de
catégorisation sémantique des aphasiques, tentant ainsi de voir si les problè-
mes relevés en production (ex. : paraphasies sémantiques) et en compré-
hension n’avaient pas pour origine une modification de l’organisation séman-
tique du lexique mental. Goodglass et al. (1976) montrent ainsi que plus les
aphasiques ont un trouble de la compréhension sévère, plus leurs performan-
ces sont faibles dans les tâches de catégorisation retenues et que les patients
qui sont les plus perturbés dans cette tâche sont ceux qui présentent égale-
ment les déficits les plus importants en dénomination, laissant ainsi supposer
que ces patients ont un certain type de déficit sémantique « central ». Toute-
fois, ils ne notent pas, dans cette étude, de corrélations avec tel ou tel type cli-
nique d’aphasie. Sur ce dernier point toutefois, Zurif et al. (1974) relèvent
que les aphasiques de Broca regroupent sémantiquement des items lexicaux
d’une manière analogue à celle qui prévaut chez les sujets normaux alors que
les aphasiques de Wernicke, qui présentent ordinairement de gros troubles de
Langage et parole 465

la compréhension, réalisent des regroupements de mots fort différents de


ceux qu’effectuent les normaux (à l’exception d’un aphasique de Wernicke
qui se comporte comme les aphasiques de Broca !) 13 ;

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• la catégorie grammaticale. À quelques exceptions près (ex. : Goodglass et
al., 1970 ; Luria, 1966), la plupart des opérations de recherche portant sur la
compréhension lexicale ont longtemps limité leur champ d’investigation à
l’étude des noms, une tendance que l’on retrouve identique dans l’étude de la
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dénomination (cf. supra). Il y a plusieurs raisons à ce déséquilibre dans


l’étude de la gestion des noms et des verbes, une d’entre elles, et non des
moindres, étant la difficulté qu’il y a à tester des verbes hors contexte phras-
tique. On peut toutefois relever sous la présente rubrique que certains apha-
siques ont visiblement davantage de difficultés à comprendre les verbes que
les noms (Bastiaanse, 1991 ; Jonkers, 1998) et que certains types de verbes
semblent particulièrement difficiles à traiter : les verbes de mouvement
(Jones, 1984) particulièrement chez les agrammatiques, les verbes à argu-
ments multiples (Breedin et al., 1996), encore et toujours chez les agramma-
tiques mais ce point sera repris plus loin. Dans le même ordre d’idées, les
aphasiques éprouvent fréquemment des difficultés à comprendre les préposi-
tions spatiales (Lenneberg et al., 1978 ; Hier et al., 1980) ou à gérer des mar-
queurs de temporalité (Sasanuma et al., 1976 ; Gardner et al., 1975).

En dépit du nombre important de travaux sur ce thème et de la mise en évi-


dence du rôle de certains paramètres sur la compréhension lexicale, il apparaît que ce
domaine nécessite encore de nouvelles études avant que des conclusions robustes
puissent être avancées. Dans ces nouveaux travaux, devront être particulièrement pré-
cisées avec grande minutie les caractéristiques linguistiques des items lexicaux sou-
mis à expérimentation, tant il est vrai que la grande majorité des travaux antérieurs
reposent sur l’utilisation de stimuli linguistiques très insuffisamment spécifiés au
plan structural. Ici encore, le recours à la linguistique générale s’avère crucial dès le
début du processus de recherche (cf. notre introduction).

C. Perturbations de la compréhension syntaxique


La présence de perturbations syntaxiques dans la compréhension du langage oral des
aphasiques agrammatiques a déjà été évoquée dans le présent chapitre puisque celle-
ci est à la base de la tentative de mise en évidence d’un déficit syntaxique « central »
chez ces patients. Nous ne reviendrons pas sur ce point particulier. Toutefois, il est
d’autres études importantes qui méritent d’être brièvement rapportées, et dont
l’objectif premier est d’évaluer la compréhension des caractéristiques morphosyn-
taxiques de divers types de phrases chez divers types de patients. Reposant le plus
souvent sur des tâches de désignation d’images à partir de phrases émises oralement
par le clinicien, la plupart des études « classiques » mettent en évidence un déficit

13. Cf. aussi Lhermitte et al., (1971).


466 Grandes fonctions psychologiques et leurs perturbations

dans la compréhension des propriétés morphosyntaxiques des phrases, et ce quelle


que soit la catégorie clinique à laquelle appartiennent les patients. Dès les années
1970, Goodglass et ses collaborateurs – qui ont beaucoup contribué à l’étude des per-
turbations syntaxiques chez l’aphasique – tentent de documenter l’existence de pro-

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blèmes syntaxiques spécifiques des aphasiques de Broca, problèmes qui les
différencieraient des aphasiques de Wernicke, lesquels présenteraient donc des trou-
bles de la compréhension d’une autre nature. Leurs travaux et ceux d’autres cher-
cheurs connaissent des fortunes diverses sur ce point :
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• évaluant la gestion de phénomènes morphosyntaxiques comme le temps, le


nombre, l’actif et le passif, Goodglass (1973) retrouve la même difficulté de
traitement chez tous les patients testés, quel que soit leur type clinique
d’appartenance. Dans une étude plus ample du fait du nombre de phénomè-
nes évalués, Parisi et Pizzamiglio (1970) parviennent aux mêmes
conclusions ;
• en revanche, dans le contexte d’expérimentations plus sophistiquées, quel-
ques études semblent indiquer que le déficit dont font montre les aphasiques
de Broca dans des épreuves de compréhension est plus spécifiquement
« morphosyntaxique » que celui qui est à l’origine des troubles de compré-
hension d’autres types de patients. Goodenough et al. (1977) relèvent, chez
ces patients, un déficit spécifique dans la gestion des articles, un résultat que
retrouvent Heilman et Scholes (1976) dans une étude reposant pourtant sur
une méthodologie fort différente. Caramazza et Zurif (1976), utilisant une
tâche de désignation d’images à partir de quatre types de phrases avec propo-
sitions relatives (objet) enchâssées (ex. : « The cat that the dog is chasing is
brown ») dont certaines sont sémantiquement réversibles alors que d’autres
ne le sont pas (ex. : « The apple that the boy is eating is red »), montrent que
les aphasiques de Broca sont nettement meilleurs dans le traitement des phra-
ses non réversibles – aux contraintes sémantico-pragmatiques fortes – que
dans celui des phrases réversibles, qui ne peuvent être traitées adéquatement
que grâce à un traitement syntaxique déficient chez eux 14. Des résultats simi-
laires sont obtenus en français par Deloche et al. (1989) à partir de phrases
exploitant, d’une part, l’homonymie de certains noms et verbes, et, d’autre
part, celle de certains pronoms et articles (ex. : « Il montre la règle » et « Il
règle la montre »). Dans une tâche de désignation d’images, un nombre signi-
ficatif d’aphasiques de Broca avaient tendance à désigner préférentiellement
l’image présentant les deux objets (= « la règle » et « la montre ») au lieu de
désigner une image exemplifiant une relation syntaxique « nom/verbe ». Une
telle étude, comme celle de Caramazza et Zurif, souligne l’adhérence des
aphasiques de Broca à l’information lexico-sémantique et la fuite devant tout
traitement syntaxique.

14. Cf. Schwartz et al. (1980), Caplan (1983) et Grodzinsky (1986) pour une étude critique de l’article
de Caramazza et Zurif ainsi que pour un approfondissement de l’étude des perturbations syntaxiques chez
ces patients.
Langage et parole 467

L’ouvrage le plus complet en matière d’étude des troubles de la compréhen-


sion syntaxique chez les aphasiques est sans conteste celui de Caplan et Hildebrandt
(1988). Sur la base de l’analyse extensive d’un nombre important de propriétés syn-
taxiques de l’anglais et d’un nombre important d’aphasiques de tous types, il conclut,

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entre autres choses (pp. 143-144) :
• que, exception faite des patients ne présentant que des problèmes de produc-
tion de bas niveau, des perturbations de la compréhension syntaxique se
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retrouvent chez 97 % des aphasiques ;


• que les divers types de structures syntaxiques sont inégalement perturbés en
fonction tout à la fois de la longueur des phrases et de leur complexité
structurale ;
• que différents sous-groupes de patients peuvent être identifiés au terme d’une
analyse en composantes principales. Ces « grappes » de patients sont définies
principalement par les performances d’ensemble des patients aux divers
sous-tests syntaxiques et, à un degré moindre mais non négligeable, par les
résultats obtenus à certains sous-tests portant sur certains types de structures
syntaxiques ;
• que les erreurs de compréhension observées traduisent en partie l’utilisation
de stratégies heuristiques de traitement linéaire (et donc non hiérarchique)
des mots appartenant aux catégories lexicales majeures.
Selon les auteurs, les profils d’erreurs observés chez leurs patients traduisent,
d’une part, la présence d’un déficit primaire du traitement syntaxique et, d’autre part, la
mise en œuvre de stratégies heuristiques destinées à interpréter les structures syntaxi-
ques qu’ils ne peuvent plus traiter normalement. Le déficit primaire se caractériserait
par une double atteinte : l’atteinte de certains processus d’analyse et/ou de certaines
représentations syntaxiques et la réduction des ressources computationnelles disponi-
bles pour un patient donné dans une tâche de compréhension syntaxique.
En conclusion, depuis des travaux de Caramazza et Zurif (1976) qui ont, pour
la première fois, mis en évidence l’existence d’un trouble spécifique de la compréhen-
sion des phrases, on voit à quel point se sont multipliées les approches différentes du
déficit responsable de la compréhension asyntaxique (cf. pour une synthèse : Rigalleau,
Nespoulous et Gaonac’h, 1997). Dans leur évolution, ces travaux ont suivi l’évolution
que décrit Shallice pour l’ensemble de neuropsychologie (1988). D’une approche
modulaire qui attribue la perturbation à l’existence d’un déficit qui affecte les représen-
tations de certaines structures syntaxiques (Grodzinsky, 1990 ; Rigalleau, Baudiffier et
Caplan, 2004), on a plus récemment évolué vers une nouvelle approche selon laquelle
les perturbations de ces patients seraient la conséquence d’une limitation des capacités
en mémoire de travail (Caplan et Hildebrandt, 1988 15 ; Miyake et al., 1994 16) ou d’une
réduction des « ressources cognitives » disponibles (Haarman et Kolk, 1991 ; Frazier et

15. Voir toutefois le distinguo qu’introduisent ces auteurs entre la mémoire de travail à la Baddeley et la
notion de « work space » qu’ils développent dans cet ouvrage.
16. Critiqué par Caplan et Waters, 1995.
468 Grandes fonctions psychologiques et leurs perturbations

Friederici, 1991 ; Hagoort, 1990). D’un point de vue neuropsychologique, l’enjeu est
de taille : il s’agit de savoir si une lésion cérébrale peut entraîner une perte de représen-
tations, un déficit des processus qui construisent ces représentations, ou une limitation
des ressources cognitives nécessaires à l’exécution de ces processus. Le domaine de la

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compréhension syntaxique est un lieu d’élection pour ce débat car, d’une part, les
travaux de Chomsky (1981) ont permis de définir de manière très précise les représen-
tations syntaxiques, et, d’autre part, certains modèles des processus de compréhension
de phrases font appel à la notion de « ressources cognitives » (Just et Carpenter, 1992).
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D. Perturbations de la compréhension discursive


 Compréhension discursive et aphasie
Compte tenu des nombreuses perturbations – tant phonémiques que lexicales et/ou syn-
taxiques – qui sont susceptibles d’affecter la compréhension du langage chez les aphasi-
ques (cf. supra), on ne s’étonnera guère de constater que fort peu d’études aient été
consacrées aux difficultés de compréhension du discours continu que présentent ces
patients. Dans un tel contexte, la présence de dysfonctionnements au niveau lexical et/ou
phrastique sera le plus souvent considérée comme étant à l’origine des difficultés de com-
préhension discursive de ces patients (Caplan et Evans, 1990). Si une telle interprétation
s’impose dans certains cas, il en est d’autres où l’aphasique témoigne toutefois de la pré-
servation de certaines capacités discursives en dépit des perturbations mentionnées ci-
dessus. Stachowiak et al. (1977), Brookshire et Nicholas (1984), Wegner et al. (1984) et
Huber et Gleber (1982), par exemple, ne mettent en évidence aucune corrélation entre
l’existence de problèmes de compréhension au niveau lexical et syntaxique et celle
d’éventuels problèmes dans le traitement d’informations de niveau typiquement discursif.
Au contraire, ils mettent en lumière chez leurs patients l’intégrité des capacités suivantes :
appréhension du contenu synthétique, voire de la « morale » d’une histoire, capacité
d’identifier – dans une épreuve à choix multiple – la proposition synthétique résumant
correctement le contenu d’une histoire, différenciation entre discours cohérent et discours
incohérent, compréhension des idées principales contenues dans un discours continu,
accès à des « scripts » (Armus et al., 1989), reconstitution de la chronologie des événe-
ments à partir d’un matériel verbal et iconographique. Le fait que l’extraction de telles
informations soit possible (au moins) chez certains aphasiques montre bien qu’il est indis-
pensable de ne pas limiter les observations aux niveaux lexical et syntaxique. De plus, la
préservation de certaines capacités de niveau discursif (ici en compréhension) est capitale
pour l’éventuelle amélioration de la communication entre le patient et son environnement.
 Compréhension discursive et cérébro-lésés droits
À la différence des aphasiques, les cérébro-lésés droits ne présentent ordinairement pas
de perturbations au niveau des constituants fondamentaux de la structure des langues
naturelles que sont la phonologie, le lexique et la syntaxe. De ce fait, il semble plus aisé
d’aborder l’étude du niveau proprement discursif, et ce tant en production (cf. supra)
qu’en compréhension. Sur ce dernier plan, les études commencent à être relativement
nombreuses qui montrent que ces patients présentent une dissociation fort intéressante
Langage et parole 469

entre le traitement de l’information littérale – qui est préservé – et celui de l’information


non littérale, figurée ou inférée – qui serait perturbé. Ainsi, certaines difficultés sont rele-
vées chez les cérébro-lésés droits :

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– comprendre les métaphores (Winner et Gardner, 1977 ; Van Lancker et Kem-
pler, 1987 ; Brownell et al., 1990 ; Pakzad, 1997) ;
– effectuer des inférences et gérer les aspects « implicites » du discours
(Brownell et al., 1986 ; McDonald et al., 1986 ; Molloy et al., 1990 ; Bee-
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man, 1993 ; Blum et al., 1993 ; Duchêne, 1997) ;


– comprendre les actes de parole indirects tels que définis par Searle et la théo-
rie des Actes de Parole (Hirst et al., 1984 ; Foldi, 1987 ; Weylman et al.,
1989 ; Stemmer et al., 1994) ;
– détecter de l’humour ou de l’ironie (Brownell et al., 1983 ; Bihrle et al.,
1986 ; Kaplan et al., 1990).
De telles perturbations, en dépit de leur diversité, semblent avoir pour déno-
minateur commun une altération des aspects pragmatiques du langage, qui semble-
raient donc requérir l’intégrité de l’hémisphère droit, dit « non dominant » pour le
langage (cf. infra : conclusion) ! La question se pose alors de déterminer si l’hémis-
phère droit possède des capacités pragmatiques spécifiques ou si son implication
serait simplement rendue nécessaire du fait de la « complexité » du matériau verbal à
traiter, une complexité liée à la non-littéralité des phénomènes vus ci-dessus (Eisen-
son, 1973 ; Caramazza et al., 1976 ; Gardner et al.,1983 ; Leonard et al., 1997).
 Compréhension discursive et démence de type Alzheimer (DTA)
Tel qu’évoqué précédemment, et particulièrement depuis les travaux de Caplan et
Hildebrandt (1988), l’étude des perturbations de la compréhension orale – dès lors
qu’elle se situe, au minimum, au plan phrastique – se développe autour de l’interro-
gation suivante : quelle est la part que sont susceptibles de prendre, dans la caractéri-
sation de ces déficits, d’éventuelles difficultés d’analyse syntaxique (« parsing ») et
quelle est la part que peuvent également prendre d’éventuelles réductions de capaci-
tés en mémoire de travail ?
S’agissant à présent de perturbations observées au niveau discursif et chez
des patients connus pour leurs perturbations mnésiques (en particulier au niveau de
la mémoire de travail), on comprend l’importance que revêt l’interface « langage/
mémoire » dans la caractérisation des perturbations de la compréhension discursive
des déments de type Alzheimer.
À partir du modèle de représentation de textes mis au point par Kintsch (1974) 17
et s’appuyant sur le modèle de traitement mis au point par Kintsch et Van Dijk (1978)

17. Selon un tel modèle représentationnel, tout texte comprend deux niveaux d’organisation structurale :
au premier niveau d’organisation (dite « locale ») se situe la « microstructure » ou ensemble de proposi-
tions cohérentes, reliées et hiérarchisées (= avec des propositions de rang supérieur, contenant les événe-
ments cruciaux, et des propositions de rang inférieur, contenant des « détails ») ; au deuxième niveau
d’organisation (dite « globale ») se situe la « macrostructure » ou ensemble de macropropositions cohé-
rentes, reliées et hiérarchisées issues de la microstructure mais transformées par des règles de réduction
de l’information. Pour plus de détails, voir Denhière (1984) ; Denhière et Baudet (1992).
470 Grandes fonctions psychologiques et leurs perturbations

pour rendre compte de la compréhension/mémorisation de textes, l’objectif de toute une


série de travaux a résidé dans la tentative de mise à jour du déterminisme sous-jacent des
troubles de la compréhension discursive (transphrastique) chez des sujets dont les capa-
cités représentationnelles et de traitement sont considérées comme intactes au plan (sim-

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plement) phrastique. Compte tenu des perturbations en mémoire de travail relevées
fréquemment chez ce type de patients, ces derniers ne parviendraient pas à édifier – a for-
tiori en temps réel – les divers types de représentations requis par une structure textuelle
donnée ; toutefois, ils devraient être sensibles – dans leur compréhension/mémorisation
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d’un discours continu – à certains de ses contrastes hiérarchiques et, de ce fait, mieux
traiter et mémoriser certains constituants (plus centraux) que d’autres (plus marginaux).
Avec M.-C. Gély-Nargeot, Cl. Cadilhac, J. Virbel, nous avons mis au point
plusieurs outils successifs d’évaluation de la mémoire de textes (Gély-Nargeot et al.,
1997) dans lesquels l’architecture textuelle – particulièrement dans le dernier d’entre
eux (Cadilhac, 1997 ; Cadilhac et al., 1997) – est aussi strictement contrôlée que pos-
sible 18 et nous l’avons soumis à des patients DTA. Les principaux résultats peuvent
être résumés de la manière suivante :
• Les déments de type Alzheimer ont des performances systématiquement plus
mauvaises que les sujets âgés témoins, et ce même si ces derniers ne restituent
grosso modo que la moitié des informations contenues dans les textes propo-
sés. Toutefois, le déterminisme sous-jacent des performances réduites obser-
vées dans les deux types de population pourrait bien être de nature différente.
Selon certains auteurs (Cohen et Faulkner, 1984 ; Light et Anderson, 1985),
chez les sujets âgés, « c’est la faculté d’entreprendre concurremment plusieurs
opérations mentales qui serait déficitaire » (Gély-Nargeot et al., 1997). Chez
les sujets déments, en revanche, le « trouble se situerait au niveau des proces-
sus de sélection des contenus. Les informations seraient traitées de façon anar-
chique dans la mémoire de travail sans que ne soit prise en compte leur
importance thématique. » (Gély-Nargeot et al., 1997 ; Spilich, 1983).
• Les performances des patients et des sujets témoins sont globalement
meilleures dans le rappel de la macrostructure que lors de celui de la micro-
structure (Cadilhac, 1997).
• Tant les déments de type Alzheimer que les sujets âgés témoins présentent
des performances plus déficitaires dans la restitution du discours descriptif
que dans celle du discours narratif. Une telle dissociation – que ne pouvaient
mettre en évidence les travaux antérieurs qui ne contrôlaient point l’architec-
ture structurale des textes soumis à compréhension/mémorisation (cf. supra)
– montre bien que le fait que le récit ait une macrostructure narrative et une
cohérence sémantique intrinsèque forte aide à sa compréhension/mémorisa-
tion. Le discours descriptif, plus éclaté, se trouvant dépourvu d’une telle
macrostructure serait donc plus vulnérable lors d’atteintes mnésiques. Il res-

18. Auparavant, la seule variable prise en compte dans la plupart des travaux sur la mémoire discursive
chez les déments était la longueur, évaluée en nombre de mots et/ou de propositions, du texte de surface.
Langage et parole 471

sort de cette observation que la mémorisation d’un discours descriptif peut


s’avérer déjà déficitaire – chez le dément en début de maladie – alors même
que le discours narratif peut encore être géré adéquatement par ce même
patient. Dès lors, la confrontation des performances obtenues dans les deux

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tâches (discours descriptif et discours narratif) s’avère une bonne voie métho-
dologique en vue du diagnostic précoce d’une démence présumée.
• En termes généraux, l’ajout de « détails » sémantiques au discours nuit à la com-
préhension/mémorisation de celui-ci. Toutefois, un tel résultat mérite d’être
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nuancé, surtout si on tente d’évaluer le rôle, positif ou négatif, des détails dans
le rappel des structures propositionnelles de chaque type de texte. Chez les sujets
témoins, l’ajout de détails réduit la performance dans le rappel des propositions
du discours descriptif mais pas dans celui des propositions du discours narratif,
un résultat tout à fait en accord avec ceux rapportés au paragraphe précédent : le
discours narratif structure hiérarchiquement les éléments d’information conte-
nus dans un texte, y compris les détails, alors que ces derniers viennent saturer
les capacités mnésiques du sujet lorsqu’il s’agit d’un discours descriptif, lequel
se caractérise par un empilement d’éléments d’informations peu reliés entre eux
au plan sémantique. Chez les sujets pathologiques, toutefois, la présence de
détails (même non apparemment pertinents) dans la narration « aident au rappel
des propositions principales chez les malades et non chez les témoins » (Gély-
Nargeot et al., 1997). Ainsi, la présence de détails dans le discours narratif sem-
blerait aider les patients à édifier la macrostructure des récits. En quelque sorte,
le traitement de ces détails – par la mobilisation d’un engagement attentionnel
plus important (Gély-Nargeot, 1997) – aiderait les patients à mieux hiérarchiser
les divers éléments d’information contenus dans le texte.
Cette première volée de résultats a été partiellement rédupliquée par les tra-
vaux de Cadilhac et al., 1997). De nombreuses nuances toutefois ressortent de ce der-
nier travail, particulièrement en ce qui concerne le traitement des informations
subsidiaires (= les détails). Le présent chapitre ne permet pas de les présenter de
manière complète (cf. Cadilhac, 1997).

24.2.4 Conclusion
Au terme d’un si long, et pourtant encore incomplet, chapitre, nous souhaiterions atti-
rer l’attention du lecteur sur quelques points cruciaux qui nous semblent au centre des
débats actuels en neuropsychologie. Sans nul doute, ils constitueront les assises sur
lesquelles pourra être édifiée la neuropsychologie du troisième millénaire.

A. Déficits et stratégies
En premier lieu, les manifestations verbales observées chez les patients ne doivent
pas être considérées comme la conséquence unique et directe du ou des déficit(s)
sous-jacent(s). Ainsi, bon nombre de phénomènes linguistiques observés « en
surface » peuvent relever aussi de l’entrée en jeu de stratégies de compensation mobi-
472 Grandes fonctions psychologiques et leurs perturbations

lisées (parfois) par le patient pour tenter de pallier les carences de son fonctionnement
verbal (Nespoulous, 1994). Quelle que soit l’efficacité – parfois très limitée – de tel-
les stratégies, celles-ci viennent se fondre, au niveau des manifestations de surface,
aux symptômes directement issus du déficit causal. Elles rendent alors souvent diffi-

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cile le travail du neuropsychologue qui doit tenter de les différencier clairement des
effets directs du dommage cérébral. Elles montrent aussi clairement que – comme
Luria le soulignait naguère – les comportements observés chez les sujets cérébro-
lésés traduisent ce que parvient encore à faire le cerveau en dépit des atteintes dont il
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est l’objet tout autant (plus ?) que ce que la lésion elle-même perturbe directement.

B. Vers une approche « multi-couches » du comportement verbal


Même si, particulièrement du fait de l’évolution de cadres théoriques distincts à cha-
cun des niveaux d’organisation structurale du langage, nous avons pris l’habitude de
présenter de manière séparée les perturbations phonétiques, phonémiques, morpholo-
giques, syntaxiques, sémantiques, pragmatiques, il convient de prendre conscience,
plus que jamais, de l’interactivité existant entre ces différents niveaux : d’où l’exis-
tence de termes tels que morphophonologie, morphosyntaxique, lexico-phonologique,
lexico-sémantique, syntactico-sémantique, sémantico-pragmatique... montrant bien
que les différentes composantes de l’architecture structurale des langues naturelles ne
sont pas aussi cloisonnées, voire encapsulées, que d’aucuns auraient voulu le croire.
L’ensemble de ces composantes (ou « couches ») sont toutes nécessaires au fonction-
nement harmonieux du langage chez l’être humain. Toute perturbation affectant pré-
férentiellement une composante du langage est susceptible d’avoir des conséquences
à d’autres niveaux dans l’architecture fonctionnelle du langage. La prise de cons-
cience d’une telle complémentarité des différents niveaux structuraux du langage
humain est non seulement cruciale pour le chercheur qui souhaite rendre compte de
manière approfondie des modifications apportées au comportement verbal de tel ou
tel patient, mais elle est également importante pour le clinicien (orthophoniste, par
exemple) qui veut voir jusqu’à quel point la perturbation de telle composante peut, au
moins partiellement, être compensée par l’utilisation de telle ou telle autre.

C. Vers une neuropsychologie d’interfaces


Il n’est pas loin le temps où l’étude des troubles du langage dans l’aphasie excluait
toute caractérisation parallèle d’éventuelles perturbations affectant d’autres
« fonctions mentales supérieures ». Ainsi, on étudiait les troubles du langage chez les
aphasiques, les troubles de la mémoire chez les déments. L’époque actuelle a fort heu-
reusement fait éclater cette approche sectorielle et se développent ainsi de plus en plus
des travaux sur « langage et mémoire », « espace et langage », « praxies et langage »,
« compréhension verbale et mémoire » (cf. supra), « attention et langage ». L’enjeu
de tels travaux, situés aux interfaces, est de taille car il conduit à une véritable redéfi-
nition des divers types de troubles du langage, désormais perçus, du moins parfois,
comme la conséquence de perturbations primitives situées en dehors de lui, au niveau
de ressources cognitives indispensables à son bon fonctionnement.
Langage et parole 473

D. Si la sphère neuropsychologique s’est élargie, la définition


du langage aussi
La neuropsychologie du langage, depuis sa création, a reposé sur une vision pour le

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moins restrictive du langage de l’homme. Dans un premier temps, les neurologues
(aphasiologies pour l’essentiel) se sont appuyés sur une caractérisation très superficielle
de la structure des langues naturelles. Comme à l’école primaire ou comme le contexte
de l’apprentissage de langues étrangères, ils ont différencié trois domaines essentiels –
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la phonétique, le lexique et la grammaire –, chacun susceptible d’être perturbé sélecti-


vement chez les patients cérébro-lésés d’où les termes de désintégration phonétique, de
manque du mot ou d’agrammatisme. Si l’entrée de la linguistique à l’hôpital permit de
rajouter quelques niveaux d’analyse à ceux que nous venons de mentionner (ex. : pho-
nologie, morphologie...), elle ne changea pas fondamentalement la démarche : seuls
étaient identifiés les niveaux les plus formalisés de l’architecture fonctionnelle du lan-
gage humain, c’est-à-dire les niveaux et composantes qui constituent l’ossature for-
melle des langues naturelles : la grammaire, en d’autres termes empruntés aux
linguistes contemporains tels Chomsky. Demeuraient négligés (ou sous-spécifiés) dans
une telle approche les niveaux les plus centraux du système linguistique : la sémantique
et la pragmatique. S’agissant de cette dernière, il était même fréquent d’entendre dire
qu’elle était extra-linguistique et qu’elle dépendait de l’hémisphère droit, celui-là même
dont la lésion ne donne point d’aphasie stricto sensu.
Une telle confusion entre grammaire et langage n’est guère plus possible
aujourd’hui. Si le langage en tant que fonction mentale supérieure nécessite bien le
recours à une grammaire – celle(s) de l’environnement dans lequel évolue tel ou tel
individu –, il ne saurait être ramené à celle-ci. Dès lors, il n’y a plus objection à qualifier
d’aphasie toute perturbation du langage quel que soit le niveau préférentiellement per-
turbé ou quel que soit le site cérébral lésé – vocalement ou non, dans l’hémisphère gau-
che ou dans l’hémisphère droit. L’intégrité des facultés de communication de l’être
humain requiert l’intégrité des deux hémisphères cérébraux. Si la compétence gramma-
ticale est plutôt localisée dans l’hémisphère gauche et la compétence pragmatique plu-
tôt localisée dans l’hémisphère droit, les deux compétences n’ont de sens et ne trouvent
leur efficacité que dans la synergie et la fusion. Ce n’est qu’ensemble qu’elles sont à
même de garantir l’unité de l’homme face à la communication avec ses semblables.

24.3 Approche anatomo-clinique des aphasies


Bernard Lechevalier, Fausto Viader

24.3.1 Petite histoire des aphasies


Les premières observations médicales relatant des troubles du langage en rapport
avec des lésions cérébrales sont dues à Émile Littré (1828), interne à l’hôpital de la
474 Grandes fonctions psychologiques et leurs perturbations

Charité à Paris, alors âgé de 27 ans, et à Marc Dax, médecin à Sommières (Gard), qui
établit un lien entre la perte des signes de la pensée et des lésions traumatiques de la
moitié gauche de l’encéphale ; sa découverte ne fut publiée qu’en 1865, par son fils,
dix ans après qu’il l’eut signalée.

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A. La découverte de Paul Broca (1861)
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Le 18 avril 1861, Paul Broca présenta devant la société d’anthropologie de Paris le


cerveau du patient Leborgne, décédé la veille à l’hospice de Bicêtre où il séjournait
depuis vingt ans à la suite d’une perte presque complète du langage qui était réduit à
la syllabe Tan, alors que la compréhension était conservée. Broca mit en évidence un
soi-disant ramollissement fronto-pariéto-temporal de l’hémisphère gauche, mais il
assigna le trouble du langage à la seule partie centrale de cette lésion pensant qu’il
s’agissait du point de départ d’un processus inflammatoire expansif et progressif. En
1868, ayant observé d’autres cas identiques, il écrit que « l’exercice de la faculté du
langage articulé était subordonné à l’intégrité de la moitié postérieure, peut-être
même le tiers postérieur seulement de la troisième circonvolution frontale » de
l’hémisphère gauche. Une polémique d’une rare violence s’en suivit, alimentée sur-
tout par Pierre Marie qui intitula sa monographie, parue en 1906 : « la troisième cir-
convolution frontale gauche ne joue aucun rôle spécial dans la fonction du langage ».
La soi-disant aphasie de Broca, qu’il ne nie pas, devient pour lui l’addition d’une
aphasie de Wernicke et d’une anarthrie ; il localise celle-ci dans un quadrilatère englo-
bant capsule interne et noyaux gris centraux. Cette polémique ne manquait toutefois
pas de fondements, en effet comme le montrait François Moutier dans sa thèse, les
corrélations anatomo-cliniques chez les aphasiques étaient la plupart du temps dérou-
tantes, en particulier, souvent elles ne montraient aucune lésion frontale gauche chez
des patients décédés ayant présenté un tableau clinique identique à celui décrit par
Broca, mais à l’époque on ne procédait pas à la coupe systématique du cerveau, seules
les faces étaient examinées. En fait Broca avait dit la vérité mais il avait fait une erreur
d’interprétation, en 1861 on ignorait la nature ischémique du ramollissement, on pen-
sait qu’il s’agissait d’un processus inflammatoire progressif et centrifuge. La lésion
décrite par Broca a dû se constituer en totalité au moment de sa traduction clinique,
mais Broca pensait qu’elle avait été progressive et que la seule partie responsable de
la perte du langage c’était le centre, le pied de F3. En 1984, Signoret et al. soumirent
au scanner X le cerveau de Leborgne, jamais coupé, qui montra, outre la lésion décrite
par Broca, une vaste cavité profonde creusée dans le noyau caudé et la partie anté-
rieure du noyau lenticulaire gauches. L’aire de Wernicke, les gyri supra marginalis et
angulaire étaient respectés ce qui infirmait la conception de Marie. Cette découverte
a permis de concilier la description de Broca et la conception actuelle de l’aphasie qui
porte son nom (voir formes anatomo-cliniques des aphasies). Quant au terme aphasie,
il remplaça à la demande de Trousseau et pour des raisons étymologiques celui
d’aphémie employé par Broca. Houtteville et al. pensent que la lésion cérébrale du
patient Leborgne (dit « Tan-Tan ») est un kyste arachnoïdien de la vallée sylvienne
fistulisé dans la corne frontale du ventricule latéral adjacent.
Langage et parole 475

B. Wernicke, les syndromes aphasiques (1874)


Dans sa monographie princeps de 1874, Carl Wernicke (1848-1905), interne à l’hôpi-
tal de Tous les Saints à Breslau décrit deux types d’aphasie corticale. Il ne conteste

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pas l’aphasie de Broca qu’il appelle corticale motrice mais dont la lésion causale
déborde largement l’aire de Broca. Il y ajoute un second type : l’aphasie corticale sen-
sorielle (qui allait porter son nom) qui s’oppose point par point à la corticale motrice
et qu’il attribue à une lésion de la première circonvolution temporale gauche. Disciple
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de Meynert, le champion des images mentales, il pense que la première altère le cen-
tre des images motrices des mots et la seconde le centre des images sensorielles de
mots. Il ajoute trois autres types d’aphasie par interruption de voies nerveuses repré-
sentant des afférences ou des efférences de ces centres. Il les nomme aphasies de
« conductibilité ». Pour lui, l’aphasie de conductibilité motrice, c’est la dysarthrie,
celle qu’il appelle de conductibilité auditive : c’est la surdi-mutité de l’enfant. Il
appelle aphasie commissurale celle qui est due à l’interruption des voies associatives
entre les centres corticaux moteurs et sensorielles, interruption qu’il localise dans le
lobe de l’insula. Il n’en a pas observé de cas mais il a l’intuition de son existence et
l’avenir lui a donné raison : c’est l’aphasie de conduction. À l’appui de sa théorie,
Wernicke rapporte ici dix observations cliniques détaillées dont trois seulement ont
fait l’objet d’un examen du cerveau, d’après lesquels il propose un schéma de l’apha-
sie. Malgré le petit effectif de patients rapportés (ce qui a été reproché au jeune neu-
rologue allemand), le travail de Wernicke témoigne d’une capacité d’analyse aussi
bien que de synthèse remarquable, il est navrant qu’un texte d’un tel intérêt n’ait
jamais été traduit en français. C’est dire le mérite de Gombault qui l’a résumé et fait
connaître.

C. Lichtheim et l’imbroglio nosologique (1885)


Ludwig Lichtheim (1845-1928) dans son article en allemand paru en janvier 1885,
traduit dans Brain la même année, fait preuve de perspicacité et d’un esprit de syn-
thèse admirable. S’inspirant de Wernicke, et de la dichotomie entre aphasies motrices
et sensorielles, il commence par construire un schéma du langage qui deviendra « la
petite maison » universellement célèbre. Il envisage sept emplacements lésionnels
sur son schéma, correspondant à sept types cliniques, dont il donne les caractéristi-
ques basées sur un examen standard de dix items. La nouveauté est que, sans pouvoir
s’appuyer sur l’anatomie pathologique (il rapporte cinq observations dont une seule
a fait l’objet d’une autopsie très sommaire), l’auteur ajoute une notion nouvelle : la
prise en compte de voies reliant un hypothétique centre de l’idéation aux centres cor-
ticaux des images motrices et sensorielles de Wernicke, ce qui l’amène à décrire sept
types d’aphasie. Son erreur a été de réserver le nom d’aphasie aux seules formes
motrices et d’appeler « surdités verbales » les formes sensorielles, ce qui l’amena à
créer des termes nouveaux de « surdités verbales de conductibilité centrale et
périphérique ». En 1885 et 1886, Wernicke publie en deux articles sa seconde grande
contribution à l’aphasie, très peu connue en France. Il critique sans ambages la
nomenclature de Lichtheim qu’il trouve « infondée et trop compliquée » et propose
476 Grandes fonctions psychologiques et leurs perturbations

de reprendre sa propre classification en généralisant le terme d’aphasie et en revenant


aux qualificatifs « sous-corticale et trans-corticale » qu’il a lui-même employés jadis.
Selon Kreutz (1973), « la désignation adoptée [par Lichtheim] n’ayant jamais été
adoptée, Lichtheim lui-même n’en pratiquait plus l’usage ».

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D. Dejerine et l’alexie
Les auteurs précédents niaient l’existence d’un centre cérébral du langage écrit, ils
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pensaient que cette fonction était dévolue aux centres corticaux moteurs et sensoriels.
Dejerine (1892) sépare, d’une part, l’alexie pure sans agraphie ni autre trouble du lan-
gage due à un infarctus du splenium du corps calleux et du lobe occipital gauche réa-
lisant un syndrome de déconnexion interhémisphérique entre le champ visuel gauche
(seul perçu) et les centres du langage situés dans l’hémisphère gauche, et, d’autre
part, l’alexie-agraphie due à une lésion du gyrus angulaire (aire 39). Benson a décrit
un troisième type d’alexie d’origine frontale qui accompagne l’aphasie de Broca, plus
marquée pour les lettres que pour les mots. Quant au centre de l’agraphie pure situé
dans le cortex de F2 pour Exner, il demeure conjectural.

E. Alajouanine et l’analyse neurolinguistique


En 1939, Théophile Alajouanine inaugura l’aire clinique (plus que neurophysiologi-
que) de l’aphasie avec son ouvrage, fruit de ses observations : la désintégration pho-
nétique dans l’aphasie. Son approche de l’aphasie est essentiellement sémiologique,
tournée vers la rééducation. Avec Blanche Ducarne, il fonda le premier centre de réé-
ducation du langage au monde. François Lhermitte, qui prit la relève, introduisit la
neurolinguistique dans l’aphasiologie surtout grâce à l’étude des jargons.
Depuis 1970, un nouveau courant, celui de la neuropsychologie cognitive,
dont les pionniers sont Elisabeth Warrington et Tim Shallice, se développe, renouve-
lant le domaine de la rééducation des aphasiques. L’apparition des méthodes d’ima-
gerie fonctionnelle cérébrale se sont révélées utiles pour évaluer l’éventuelle
participation de régions demeurées saines dans la récupération fonctionnelle.

24.3.2 Formes anatomo-cliniques des aphasies


A. Introduction
L’histoire des aphasies a montré qu’au cours des ans, les observations publiées ont
contribué à dresser une classification anatomo-clinique des différents types d’aphasie
qui, malgré quelques variantes et synonymies, est à peu près identique dans tous les
pays occidentaux. Cette classification, prenant ses racines dans les travaux de Wer-
nicke et de Lichtheim, prévaut encore actuellement.
Elle est fondée sur la distinction anatomo-clinique d’aphasies corticales,
transcorticales et sous-corticales auxquelles il faut ajouter quelques autres formes
comme l’aphasie de conduction et l’aphasie amnésique.
Langage et parole 477

Les aphasies corticales sont dues à des lésions du cortex irrigué par l’artère
sylvienne et ses branches. Elles comprennent l’aphasie corticale motrice, ou aphasie
de Broca, due à une lésion de la troisième circonvolution frontale gauche, supposée
être le centre de l’image motrice des mots et l’aphasie corticale sensorielle dite de

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Wernicke, due à une lésion située dans le centre des images auditives des mots qui
occupe les lobes temporal (aire 22) et pariétal inférieur (gyrus angulaire ou aire 39,
gyrus supra marginalis ou aire 40), ces deux aires étant concernées par le langage
écrit. L’interruption des voies unissant les aires de Broca et de Wernicke produit un
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troisième type d’aphasie : l’aphasie de conduction.


Les lésions responsables des aphasies transcorticales, terme proposé par
Wernicke, siègent autour et donc en dehors du territoire sylvien, dans une couronne
périsylvienne de transition avec le cortex des autres territoires vasculaires dont celui
de l’artère cérébrale antérieure en haut et en avant et cérébrale postérieure en arrière.
Quant aux aphasies sous-corticales, nous verrons que leur signification s’est
profondément modifiée depuis leur description initiale.

B. Aphasie de Broca ou motrice corticale


Synonymes : aphasie d’expression (Dejerine, 1914) ; aphasie motrice efférente
(Luria, 1978) ; aphasie motrice périphérique (Goldstein, 1948).

 Description clinique
Son diagnostic exige deux signes : la réduction de l’expression orale, c’est une apha-
sie non fluente, et des troubles de l’articulation. L’élocution est lente et difficile, sou-
vent syllabique, dysprosodique. Les transformations phonétiques masquent des
paraphasies phonémiques apparaissant plus nettement lors de la récupération. La
réduction de l’expression orale peut aller jusqu’au mutisme ou bien se limiter à des
stéréotypies de mots ou de phrases (comme chez le malade Leborgne appelé pour
cette raison « Monsieur Tan-tan »). Une dissociation automatico-volontaire est fré-
quente qui se fait jour dans la conservation de formules automatiques, l’énumération
des mois ou des jours, dans les épreuves de compléments de proverbes, ou lors du
chant avec paroles. La répétition est difficile mais meilleure que l’expression orale
spontanée, la dénomination est améliorée par l’ébauche orale. Le manque du mot est
constant. La compréhension n’est jamais parfaite. Lecture à haute voix et compréhen-
sion écrite sont déficientes, davantage pour les phrases que pour les mots isolés. La
difficulté de l’écriture est plus nette dans l’écriture spontanée ou dictée qu’en copie.
Elle consiste en une réduction de la production, des troubles du graphisme, des para-
graphies et un agrammatisme. Cet agrammatisme fait de phrases courtes de style
« télégraphique » avec disparition des petits mots s’observe bien dans la période de
récupération.
L’aphasie de Broca est presque toujours associée à une hémiplégie ou une
hémiparésie brachio-faciale droite, et à une apraxie (voir ce mot) idéomotrice de la
478 Grandes fonctions psychologiques et leurs perturbations

main gauche et dans 90 % des cas une apraxie bucco-faciale. La conscience du trou-
ble est entière suscitant parfois des réactions violentes du patient.
L’anarthrie pure (synonymes : aphasie motrice pure de Dejerine ; désintégra-

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tion phonétique d’Alajouanine) peut constituer l’étape ultime d’une aphasie de
Broca, elle survient exceptionnellement d’emblée. Elle se limite à un trouble articu-
latoire isolé fait de transformations phonétiques observables dans la répétition ou la
conversation mais absentes dans le langage automatique.
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 Étiologies
Les infarctus sylviens superficiels et profonds en sont les étiologies habituelles, en
revanche, les tumeurs cérébrales ne constituent pas une cause de l’aphasie de Broca.

 Siège des lésions


L’aphasie de Broca durable est due à une large lésion fronto-pariétale gauche débor-
dant l’aire de Broca avec extension sous-corticale affectant la substance blanche et la
partie antérieure des noyaux gris centraux et de la capsule interne. Les lésions pure-
ment sous-corticales donneraient plutôt des anarthries pures. Une lésion de la seule
aire de Broca donnerait une légère aphasie motrice transitoire guérissant rapidement.

 Application
L’aire de Broca occupe les aires 44 et 45 de Brodmann situées dans le pied (ou pars
triangularis) de la troisième circonvolution frontale gauche (voir Neurobiologie des
aphasies).

C. Aphasie de Wernicke ou sensorielle corticale


Synonymes : aphasie syntaxique (Head, 1926) ; aphasie réceptive, aphasie senso-
rielle centrale (Goldstein, 1948).

 Description clinique
L’opposition à l’aphasie de Broca est bien réelle puisque la fluence verbale est nor-
male ou même exagérée et que manquent les troubles articulatoires ; quant à la com-
préhension orale elle est très défectueuse voire nulle. La production orale est
incompréhensible quoique souvent abondante, elle peut aller jusqu’à un jargon dans
lequel on reconnaît des paraphasies surtout verbales et sémantiques mais aussi pho-
némiques et des néologismes. Le patient ne peut exprimer ni sa pensée ni ses senti-
ments. Bien qu’il soit incapable de se faire comprendre, il n’a qu’une conscience
partielle de son trouble. Répétition, désignation et dénomination sont mauvaises. La
lecture est constamment perturbée avec en général un parallélisme avec le niveau de
compréhension du langage parlé. La production écrite est parallèle à la production
orale, on peut observer des paragraphies verbales et littérales et des néologismes.
Langage et parole 479

Les troubles neurologiques associés sont peu importants : quelques troubles


de la sensibilité de l’hémicorps droit chez le droitier, une discrète amputation du
champ visuel droit. L’aphasie de Wernicke ne doit pas être confondue avec un état
confusionnel ou psychotique, ou une agnosie auditive, risque d’autant plus réel que

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les patients sont anosognosiques de leur trouble du langage.

 Étiologies
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Nombreuses sont les causes de ce type d’aphasie. Les formes progressives doivent
évoquer un processus occupant de l’espace : tumeurs cérébrales primitives ou secon-
daires, hématome intracérébral ; les formes à développement lent et progressif peu-
vent être dues à une atrophie dégénérative, en revanche les lésions vasculaires –
infarctus temporal postérieur et inférieur gauche, certains hématomes spontanés,
lésions post-traumatiques – donnent des aphasies de constitution rapide.

 Siège des lésions, formes cliniques


La lésion causale touche toujours l’aire 22, située dans la partie postérieure des pre-
mières et secondes circonvolutions temporales gauches chez le droitier, en arrière et
au dessous des aires auditives 41 et 42. L’existence d’une alexie et d’une agraphie,
associées aux autres signes de l’aphasie ou survenant isolément, signe l’atteinte du
gyrus angulaire ou pli courbe (aire 39) et du gyrus supra marginalis (aire 40). Si
l’atteinte concerne seulement la perception du langage oral, on parle de surdité ver-
bale, la lésion est alors limitée aux premières et secondes circonvolutions temporales.
Les formes totales affectent aussi bien le langage oral que le langage écrit avec parfois
une prédominance de l’une ou l’autre atteinte.

D. Aphasie de conduction
Synonymes : aphasie commissurale de Wernicke (1874) ; aphasie centrale (Golds-
tein, 1948) ; aphasie de conduction afférente et efférente (Luria, 1978).
Wernicke, bien qu’il n’en ait pas observé personnellement, fit l’hypothèse
que l’interruption dans l’insula de la voie d’association reliant le centre auditif des
mots (aire de Wernicke) au centre des images motrices des mots (aire de Broca)
devait entraîner un type particulier d’aphasie (qu’il appela initialement aphasie com-
missurale) dominée par l’impossibilité de répéter. Cette conception fut battue en brè-
che par E. Warrington qui fit de l’aphasie de conduction un trouble de la mémoire à
court terme. En revanche, Geshwind, partisan de Wernicke, interpréta ce type d’apha-
sie comme un syndrome de dysconnexion et situa la lésion responsable dans le fais-
ceau arqué qui relie les aires de Wernicke et de Broca, et qui n’est autre qu’une partie
du faisceau d’association du faisceau longitudinal supérieur.
Aujourd’hui, on admet que la lésion responsable peut interrompre le faisceau
arqué (support de la boucle audi-phonatoire) à son origine (partie postérieure du cor-
tex auditif ou aire 22) ou dans la profondeur du gyrus supra marginalis (aire 40) où
chemine ce faisceau.
480 Grandes fonctions psychologiques et leurs perturbations

Le langage spontané est relativement fluent mais il est riche en paraphasies


phonémiques plus rarement sémantiques. La compréhension est bonne ce qui
contraste avec l’impossibilité de répéter. La lecture à haute voix est difficile à cause
de nombreuses paraphasies phonémiques alors que la compréhension du texte lu est

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bonne, l’agraphie est constante du fait de paragraphies.
Ce type d’aphasie peut survenir d’emblée ou succéder à une aphasie de Wer-
nicke. Les symptômes neurologiques associés sont variables, plus souvent modestes
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ou absents que sévères. Un infarctus sylvien postérieur (souvent embolique) en est la


principale cause. Le pronostic est favorable.

E. Les aphasies transcorticales


Cliniquement, les aphasies transcorticales ont en commun la normalité des capacités
de répétition alors que les troubles portent sur le langage spontané. Les centres de
Broca et Wernicke sont indemnes puisque les lésions sont périsylviennes.

 L’aphasie transcorticale motrice


Synonymes : aphasie dynamique de Luria (1978) ; aspontanéité.
Elle est caractérisée par une réduction de l’expression spontanée aussi bien
dans le domaine oral qu’écrit, sans paraphasies ni phonétiques ni phonémiques, sans
troubles de la répétition toujours excellente. L’ébauche orale et les incitations amé-
liorent le langage spontané. Les capacités de complétion de phrases, de proverbes, de
poèmes sont souvent excellentes. La compréhension est bonne ou légèrement altérée.
Un déficit neurologique sévère et une apraxie idéomotrice accompagnent souvent ce
type d’aphasie qui peut constituer une forme évolutive d’aphasie de Broca ou bien
être autonome.
L’aphasie transcorticale motrice peut être due soit à des lésions du cortex pré-
frontal et prémoteur (aires 6 et 8 ; aires 9, 10, 11 ; aires 44, 45, 46) soit à des lésions
de l’aire motrice supplémentaire, qui a un rôle majeur dans l’incitation du mouvement.

 L’aphasie transcorticale sensorielle


Synonymes : aphasie nominale de Head (1926).
Elle est due à des lésions périsylviennes postérieures situées à la convexité de
l’hémisphère gauche (aires 37 et 39) pouvant s’étendre aux aires voisines 21 en avant,
18 et 19 en arrière, ou parfois siègeant en profondeur dans le territoire vasculaire de
l’artère cérébrale postérieure.
Cliniquement, cette aphasie se présente comme une aphasie de Wernicke qui
peut répéter ; en effet, la répétition même des non-mots est conservée. En revanche le
langage est fluent, souvent incompréhensible, même quand il a l’air assez bien struc-
turé. Il existe des paraphasies de tous types et des néologismes. Parfois le langage
automatique est possible (proverbes, poèmes) et la compréhension est nulle. Le
Langage et parole 481

patient ne peut pas lire ; même si une ébauche de lecture est possible, le patient ne
comprend pas ce qu’il lit.
Les signes neurologiques associés sont fréquents : hémianopsie, déficit sensitif.

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 L’aphasie transcorticale mixte
Synonyme : syndrome d’isolement des aires du langage.
Elle est due soit à une lésion siégeant dans les aires périsylviennes en cou-
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ronne, comme dans les ischémies des territoires de jonction (sylvien-cérébral anté-
rieur ou sylvien-cérébrale postérieur), soit à une lésion profonde de la substance
blanche ou du thalamus. L’infarctus de jonction uni- ou bilatéral (par hypoxie, hypo-
tension, arrêt cardiaque) en est la principale cause.
L’écholalie résume l’ensemble de la production linguistique, en effet la répé-
tition est remarquablement conservée même pour les non-mots sans que le patient
comprenne ce qu’il répète. Les déficits neurologiques associés sont souvent sévères.

F. Aphasie sous-corticale (voir plus bas « Conceptions actuelles »)

G. Autres dénominations
Quelques dénominations ne figurent pas dans la classification de Wernicke-
Lichtheim :
• L’aphasie globale succède généralement à une période de mutisme initial,
c’est une altération de toutes les fonctions du langage. Elle est en rapport avec
des lésions hémisphériques très étendues et des signes neurologiques
sévères ; quand ce n’est pas le cas, il est bon de rechercher s’il ne s’agit pas
d’une lésion limitée aux territoires de jonction, en avant de l’aire de Broca ou
en arrière de l’aire de Wernicke.
• L’aphasie amnésique (ou aphasie anomique) n’a qu’un symptôme : le man-
que isolé du mot entraînant des définitions par l’usage compensatrices malgré
lesquelles la dénomination est défectueuse. L’ébauche orale est sans effet.
Parfois, ce manque du mot ne survient que dans une seule catégorie sémanti-
que, les épreuves de mémoire verbales sont altérées. La répétition est nor-
male. L’aphasie amnésique constitue fréquemment le stade initial d’un état
démentiel.

H. Conceptions actuelles des aphasies sous-corticales


Pour les auteurs anciens, les centres du langage étaient corticaux, et les aphasies sous-
corticales considérées comme des troubles « purs » (on dirait aujourd’hui unimo-
daux) résultant d’une déconnexion entre ces centres et l’effecteur (aphasie motrice
pure) ou le récepteur (surdité verbale pure) périphérique. On comprend pourquoi, par
la suite, Luria (1978), Elghozi et al. (1978) et ceux qui, à leur suite, entreprirent d’étu-
dier la sémiologie aphasiologique des lésions sous-corticales, commencèrent par
482 Grandes fonctions psychologiques et leurs perturbations

nommer prudemment « quasi-aphasie » les troubles qu’ils avaient constatés. L’ima-


gerie morphologique couplée à la neuropsychologie clinique a prouvé depuis lors que
de telles lésions peuvent être responsables d’authentiques syndromes aphasiques
(Cambier, 1993 ; Naeser et al., 1982).

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 Aphasie et lésions des noyaux gris centraux
Les aphasies par lésion du thalamus sont celles qui ont donné lieu au concept actuel
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d’aphasie sous-corticale. L’aphasie thalamique a trois caractéristiques principales


(Verstichel, 2003) :
• réduction de l’autonomie d’expression : faible incitation verbale, faible dis-
ponibilité lexicale (diminution de la fluence catégorielle ou sémantique) ;
• trouble du discours et appauvrissement sémantique (paraphasies sémanti-
ques, persévérations, perte du fil du discours, langage « creux » voire inco-
hérence sémantique) ;
• trouble de la réalisation motrice de la parole avec hypophonie, alors que
l’articulation est généralement normale.
La répétition, la compréhension lexicale et la lecture sont intactes ; la produc-
tion écrite est équivalente à l’expression orale ; la mémoire verbale est altérée dans
toutes ses modalités, et la compréhension syntaxique est affectée par l’atteinte de la
mémoire de travail.
Les lésions affectent le plus souvent les noyaux antéro-latéral, ventro-latéral,
ou intra-laminaires ; les observations d’aphasie thalamique par lésion du pulvinar
sont plus rares et parfois sujettes à caution car dues à des hémorragies dont l’effet de
masse peut s’exercer sur les structures avoisinantes. L’évolution est réputée favorable
mais les patients peuvent garder un trouble de la mémoire verbale qui constitue un
handicap considérable et une réduction de l’initiative verbale.
En fait, la spécificité topographique de ce syndrome est relative. Puel et al.
(1984) ont décrit 25 patients droitiers ayant un trouble du langage ou de la parole et
une lésion vasculaire sous-corticale de l’hémisphère dominant définie par le scanner :
4 d’entre eux présentaient une dysarthrie isolée, 9 une aphasie de type « classique »
(2 aphasies globales, 3 aphasies de Broca, 3 aphasies de Wernicke et 1 aphasie de
conduction) et 12 une sémiologie qualifiée par les auteurs de « dissidente » : défaut
d’incitation verbale, altérations de la parole avec hypophonie et parfois dysarthrie,
anomie « dissociée » (plus marquée en langage spontané qu’en dénomination), para-
phasies verbales étranges ou bizarres, prédominant également dans le langage spon-
tané, et incohérence du discours. La compréhension était imparfaite, meilleure pour
les mots que pour les phrases. La répétition et le langage automatique étaient préser-
vés. Il faut ajouter à ces symptômes proprement aphasiques un trouble des apprentis-
sages et de la mémoire verbale. Parmi ces 12 cas, 3 avaient une lésion du thalamus, 1
une lésion de la substance blanche latéro-ventriculaire antérieure et les 8 autres
avaient une combinaison variable d’atteinte striatale et de la substance blanche avoi-
sinante. L’aphasie thalamique n’est donc qu’une forme prototypique d’un syndrome
Langage et parole 483

aphasiologique avant tout expressif, associant une perte de l’autonomie et de l’initia-


tive verbale, un trouble de la réalisation de la parole et une incohérence sémantique
due à une instabilité du discours et à des choix lexicaux approximatifs, et qui peut sur-
venir également après une lésion du striatum et plus rarement de la substance blanche.

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Cambier et al. ont rapporté en 1979 un cas d’hématome strictement localisé à la tête
du noyau caudé gauche, ayant généré une aphasie marquée par une incohérence ver-
bale et graphique et des persévérations. Viader et al. (1987) ont observé un patient
atteint d’un infarctus affectant le putamen, le noyau caudé et le bras antérieur de la
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capsule interne gauches, affecté d’un trouble majeur du discours, d’incohérence


sémantique avec des paraphasies verbales étranges et inhabituelles donnant à son
expression un caractère parfois quasi poétique. Le trouble a régressé en 3 mois. Dans
les deux cas qui précèdent, l’expression écrite était strictement parallèle à l’expres-
sion orale. Ce type d’aphasie, qui laisse intactes les capacités de répétition, se rattache
au groupe des aphasies transcorticales, mais sa sémiologie particulière justifie son
individualisation, admise par la plupart des auteurs actuels, sous le terme d’aphasie
sous-corticale. On peut résumer, selon Cambier (1993), les perturbations du langage
au cours de ce type d’aphasie sous trois rubriques : dynamique attentionnelle et inten-
tionnelle de la communication, choix lexical et cohérence sémantique et exécution
motrice de la parole.
Plus d’un tiers des patients décrits par Puel et al. (1984) avaient une aphasie
de type « classique » (Broca, Wernicke, aphasie globale). L’imagerie fonctionnelle a
souvent révélé, dans des cas analogues, l’existence d’un hypo-métabolisme cortical à
distance (diaschisis inter- et intra-hémisphérique), affectant les aires du langage pour-
tant épargnées par la lésion (Metter et al., 1983 ; Baron et al., 1986). Le parallélisme
parfois observé entre la régression du diaschisis et la récupération accrédite l’idée que
l’aphasie, liée avant tout à une déconnexion, n’est alors « sous-corticale » qu’en
apparence (Hillis et al., 2002). Ce fait illustre l’évolutivité des syndromes aphasiques
après lésions sous-corticales, et l’importance de la période d’examen pour l’interpré-
tation des résultats. Il est préférable de se fonder sur les constatations faites entre la
période aiguë initiale, de l’ordre de 2 à 3 semaines, et la période tardive (2 à 3 mois
plus tard) qui fait intervenir les réorganisations (de Boissezon et al., 2005), pour
déterminer ce qui revient en propre aux lésions sous-corticales et en tirer des hypo-
thèses anatomo-cliniques (Alexander, 1989).

 Aphasie et lésions de la substance blanche


Par contraste avec les noyaux gris centraux, dont les limites anatomiques sont aisé-
ment repérables, la substance blanche hémisphérique apparaît comme une zone indif-
férenciée, dans laquelle les différents faisceaux qui la composent ne peuvent être
individualisés par l’imagerie morphologique classique. Elle joue cependant un rôle
essentiel comme lieu de passage des voies de projection corticale et de connexion
intra- et inter-hémisphérique. Naeser et al. (1982) puis Alexander (1989) en ont pro-
posé un découpage topographique en secteurs, repérables sur des coupes de scanner,
pour définir ensuite des correspondances anatomo-cliniques entre ces secteurs et des
484 Grandes fonctions psychologiques et leurs perturbations

symptômes aphasiques de base, jugés plus pertinents par ces auteurs pour cette dis-
cussion que les syndromes empruntés à la taxonomie traditionnelle des aphasies :
– la substance blanche périventriculaire, comprenant un secteur antérolatéral situé

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autour des cornes frontales (qui inclut notamment le faisceau sous-calleux) et un
secteur supérieur divisé en trois parties (tiers antérieur, moyen et postérieur) ;
– la substance blanche immédiatement sous-jacente au cortex ;
– les isthmes frontal et temporal situés respectivement entre les extrémités
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antérieure et postérieure du cortex insulaire et les ventricules latéraux ;


– la capsule interne (bras antérieur, bras postérieur et genou).
Une lésion de la substance blanche périventriculaire antérolatérale entraîne
un mutisme transitoire suivi d’une réduction plus durable du langage spontané. Il peut
exister également un manque du mot et parfois des paraphasies sémantiques, mais le
défaut d’initiation de la parole et de l’écriture est le trouble essentiel. Ces symptômes
résulteraient d’une interruption des voies issues de l’aire motrice supplémentaire et
du cortex moteur associatif. Une lésion de la substance blanche périventriculaire
supéro-antérieure donne des symptômes identiques avec en outre une dysarthrie, une
hémiparésie et une apraxie de la main gauche, dus à une déconnexion à la fois intra-
hémisphérique (entre le lobe pariétal et le cortex moteur associatif) et inter-hémisphé-
rique entre les cortex moteurs associatifs droit et gauche. Une lésion de la substance
blanche supéro-postérieure est pratiquement sans effet sur le langage. Une lésion
combinée de la substance blanche antérolatérale et supérieure (tiers antérieur et
moyen) suffit, en coupant à la fois la voie motrice et le faisceau sous-calleux, à entraî-
ner une suspension durable de l’expression orale ou une production réduite à quel-
ques stéréotypies. Ces lésions multiples de la substance blanche périventriculaire
joueraient un rôle primordial dans les formes persistantes d’aphasie de Broca. Une
lésion de la partie antérieure de l’isthme temporal donnerait un trouble modéré de la
compréhension du langage oral en interrompant les connexions entre le corps
genouillé médian et le cortex auditif, déficit encore majoré en cas de lésion périven-
triculaire supéro-postérieure associée. Une lésion postérieure de l’isthme temporal
serait responsable d’un tableau proche de l’aphasie transcorticale sensorielle. Les
atteintes de la substance blanche sous-jacente à l’opercule frontal ou au cortex central
inférieur sont associées à des paraphasies phonémiques. La déconnexion ainsi réali-
sée entre l’aire de Wernicke et l’opercule frontal serait une des causes possibles des
substitutions phonémiques particulièrement fréquentes dans l’aphasie de conduction.
Certaines de ces hypothèses s’accordent bien aux données fournies récemment par la
stimulation per-opératoire : la stimulation du faisceau sous-calleux provoque un trou-
ble de l’initiation de la parole, celle de la substance blanche latéro-ventriculaire une
dysarthrie, celle du faisceau arqué une anomie (Duffau et al., 2002).

 Physiopathologie : le réseau cortico-sous-cortical du langage


La multiplicité, les faibles dimensions et l’étroite imbrication des structures, ainsi que
la variété des lésions observées, rendent délicate toute modélisation anatomo-clinique
en matière d’aphasie sous-corticale. Le modèle proposé par Crosson (1999) accorde
Langage et parole 485

au thalamus un rôle central. Les noyaux thalamiques appelés à jouer un rôle dans le
langage seraient le ventral antérieur, le noyau réticulaire, le centre médian et le pul-
vinar. L’hypophonie et la dysarthrie s’expliqueraient par une atteinte du noyau ven-
trolatéral, celle du noyau antérieur et des faisceaux mamillo-thalamique et amygdalo-

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dorso-médian expliquant les troubles de la mémoire verbale. Pour rendre compte des
particularités sémiologiques des aphasies sous-corticales, Crosson fait l’hypothèse
d’un « engagement sélectif » de l’attention en vue de la sélection lexicale, engage-
ment dans lequel le thalamus jouerait un rôle essentiel. En effet, en langage spontané
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ou même en dénomination, le choix lexical est une opération beaucoup moins


contrainte, parce que moins automatisée, que ne le sont par exemple la lecture ou la
répétition. Il mobilise de ce fait une charge attentionnelle élevée, et représente pour
cette raison le maillon faible de la chaîne de production verbale. La défaillance de cet
engagement sélectif provoque une instabilité de l’interface lexico-sémantique, d’où
une sélection approximative dans un stock lexical par ailleurs intact. Cette interpré-
tation vise à expliquer l’extravagance de certaines paraphasies et la fréquence des
glissements sémantiques, parfois favorisés par un certain degré de désinhibition où
interviennent les connexions thalamo-frontales. Les cas d’aphasie thalamique avec
déficits lexico-sémantiques catégoriels (anomie pour les noms propres ou pour les
termes médicaux, Moreaud et al., 1995) sont des arguments supplémentaires en
faveur de l’implication du thalamus dans les processus sémantiques. Le rôle du stria-
tum est sans doute complexe. L’observation de patients atteints de maladies dégéné-
ratives suggère qu’il pourrait fonctionner comme un filtre sémantique, jouant un rôle
inhibiteur en cas d’alternatives non pertinentes (Copland, 2003 ; Longworth et al.,
2005) mais le noyau caudé et le putamen occupent une place probablement différente.
Il paraît établi que le putamen ne joue qu’un rôle moteur, dans la réalisation et peut-
être l’initiation de la parole. Des observations de bégaiement sans aphasie après
lésion du putamen et de la substance blanche environnante ont été rapportées (Cia-
barra et al., 2000). Par des stimulations per-opératoires de ces deux structures au
cours de la chirurgie des tumeurs gliales, Gil-Robles et al. (2005) ont observé, en cas
de stimulation putaminale, un arrêt pur et simple de la vocalisation, tandis que la sti-
mulation de la tête du noyau caudé provoquait des persévérations verbales en déno-
mination (comme chez la patiente décrite par Cambier et al. en 1979, atteinte d’un
hématome localisé à ce niveau).
Devant la difficulté, selon lui, d’isoler un authentique syndrome d’aphasie
sous-corticale, Alexander (1997) adopte une approche plus analytique, et propose les
correspondances suivantes entre les structures de l’hémisphère cérébral gauche et le
langage envisagé comme un ensemble de systèmes fonctionnels complémentaires :
– un système d’initiation impliquant l’aire motrice supplémentaire et peut-être
le cingulum antérieur ; ces structures projettent sur le cortex frontal dorso-
latéral via la substance blanche périventriculaire antéro-latérale ;
– un système de production de la parole assurant la qualité de l’articulation et du
volume vocal incluant l’opercule frontal et le cortex moteur inférieur, qui pro-
jettent sur les noyaux gris centraux (putamen et noyau caudé) via la substance
486 Grandes fonctions psychologiques et leurs perturbations

blanche périventriculaire supérieure antérieure et moyenne, le genou de la cap-


sule interne et la partie postérieure du bras antérieur de la capsule interne ;
– un système d’organisation phonémique impliquant l’opercule frontal, le cortex

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moteur inférieur et leurs efférences (substance blanche périventriculaire supé-
rieure, antérieure et moyenne), ainsi que l’aire de Wernicke et ses connexions
vers l’opercule frontal qui cheminent dans la substance blanche sous-corticale ;
– un système de compréhension auditive comprenant le cortex auditif, l’aire de
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Wernicke, le cortex associatif temporo-pariétal et les projections du thalamus


sur le cortex d’association auditif via l’isthme temporal ;
– un système sémantique qui impliquerait le thalamus antérieur et latéral, la
jonction temporo-occipito-pariétale ainsi que leurs connexions empruntant
l’isthme temporal postérieur et la substance blanche périventriculaire posté-
rieure et supérieure.

 Conclusion
Le mérite des observations d’« aphasie sous-corticale » est d’avoir permis d’établir,
qu’au-delà du cortex, de multiples formations anatomiques sous-corticales sont
impliquées dans le langage. Cependant, le modèle physiopathologique est loin d’en
être achevé. À l’imagerie morphologique et fonctionnelle s’ajoutent aujourd’hui des
techniques prometteuses. Nous avons vu quelques exemples de ce que peut apporter
la stimulation cérébrale profonde per-opératoire. Les techniques d’IRM en tenseur de
diffusion, réalisant in vivo une véritable dissection des faisceaux de substance blan-
che, devraient permettre de mieux connaître l’anatomie de la substance blanche et
donc de mieux identifier les déconnexions et donc les régions dont le dysfonctionne-
ment est à l’origine des troubles observés. Catani et al. (2005) ont ainsi décrit une
voie temporo-pariétale apparemment inconnue jusque-là, parallèle au faisceau arqué,
et reliant comme lui l’aire de Wernicke à l’aire de Broca mais de façon indirecte, en
faisant un relais dans le cortex pariétal inférieur. Le repérage en tenseur de diffusion
des voies de substance blanche afférentes ou efférentes à des aires corticales préala-
blement stimulées (Henry et al., 2004) ajoutera des éléments utiles à la compréhen-
sion des réseaux cortico-sous-corticaux sur lesquels repose le langage.

24.4 Approche cognitive des aphasies


Jany Lambert

24.4.1 Introduction
Depuis les années 1980, le rapprochement de la neuropsychologie et de la psycholo-
gie cognitive (ou de la psycholinguistique) a donné une orientation scientifique qui a
considérablement modifié la pratique clinique et thérapeutique en aphasiologie. Rap-
pelons que l’objectif de la psycholinguistique est d’élaborer une modélisation du lan-
Langage et parole 487

gage rendant compte des opérations mentales mises en jeu lors d’activités
linguistiques et des variables influant leur déroulement. Ses travaux s’appuient prin-
cipalement sur la chronométrie (enregistrement des temps de latence entre un stimu-
lus et une réponse mettant en évidence des effets d’amorçage, des effets de familiarité

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et de fréquence lexicale ou encore de variables propres à la structure des mots…) et
sur l’analyse des difficultés et erreurs relevées chez des sujets sains (mot sur le bout
de la langue, lapsus, substitutions, interférences entre mots…).
Comme l’a souligné J.-L. Nespoulous, si la neuropsychologie « classique »
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s’est principalement intéressée à la sémiologie, c’est-à-dire à la description des trou-


bles – manifestations de surface –, la neuropsychologie cognitive s’est, elle, focalisée
sur leur interprétation. Rechercher la nature du trouble implique de se tourner d’abord
vers les modélisations de la psycholinguistique et dans un second temps d’identifier
la ou les perturbations présentées par un patient cérébro-lésé. Les apports entre ces
deux disciplines sont réciproques ; la pathologie peut être l’occasion de mettre à
l’épreuve les modèles de traitement du langage issus de données de sujets sains en les
confrontant aux données recueillies chez des patients cérébro-lésés. L’hypothèse
théorique de l’indépendance fonctionnelle de deux systèmes de traitement se verra
renforcée par l’observation en pathologie de doubles dissociations : perturbation d’un
processus A mais préservation d’un processus B chez un patient et possibilité d’un
déficit fonctionnel inverse chez un autre.
Plusieurs types de modélisation sont distingués. Les modèles cognitifs sériels
rendent compte d’un traitement de l’information suivant un axe unidirectionnel : le
passage à une étape suivante suppose que le traitement de l’étape précédente soit ter-
miné. Les modèles « en cascade » soutiennent l’idée d’un recouvrement temporel
possible entre deux étapes de traitement. Les modèles connexionnistes répondent à
deux caractéristiques principales : traitement en parallèle, de type activateur ou inhi-
biteur, qui signifie que plusieurs ou toutes les unités de base peuvent être concernées
en même temps ; une représentation n’est pas localisée mais distribuée sur un ensem-
ble d’unités du réseau, tel un patron d’activation (Lemaire, 1999).
Notre propos consacré à l’interprétation de l’aphasie du point de vue de la
neuropsychologie cognitive sera restreint aux troubles du traitement des mots. Nous
renvoyons le lecteur à d’autres publications pour les troubles de la syntaxe (Schwartz,
Fink et Saffran, 1995 ; Pillon, 2001) et pour les troubles du discours (Kintsch et Van
Dijk, 1978 ; Nespoulous et al., dans ce volume). Nous prendrons l’exemple de la
dénomination, de la répétition et de la compréhension d’un mot entendu en essayant
de montrer pour chacune de ces tâches quelles opérations mentales sont mises en jeu
et quelles sont les conséquences cliniques de leur perturbation.

24.4.2 Système lexical


La production et la reconnaissance des mots isolés sont représentées par un modèle,
le système lexical (figure 24.1, p. 488). Son architecture fonctionnelle postule l’exis-
tence de différents composants dédiés à des traitements spécifiques et rend compte de
leurs liens. Aussi est-il possible de suivre sur le modèle les différents étapes mises en
488 Grandes fonctions psychologiques et leurs perturbations

jeu au cours de tâches verbales telles que répétition, dénomination, évocation lexi-
cale, compréhension que ce soit orale ou écrite, lecture à haute voix, copie, etc. La
description des composants principaux prendra appui de façon prioritaire sur le
modèle de l’équipe de Caramazza (Caramazza, Hillis, Rapp et Romani, 1990 ; Rapp

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et Caramazza, 1991 ; Hillis et Caramazza, 1994 ; Hillis et Caramazza, 1995 ; Cara-
mazza et Shelton, 1998) considéré comme un modèle en cascade.
On peut décrire ainsi le système lexical :
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• Des représentations ou connaissances sont stockées à long terme, de diffé-


rente nature – sémantique, phonologique et orthographique – schématisées
sous la forme de systèmes ou de lexiques.
• Le système sémantique ou mémoire sémantique est la composante centrale du
système lexical. Si, à l’origine, le concept de mémoire sémantique (Tulving,
1972) faisait référence surtout aux connaissances lexico-sémantiques, relati-
ves aux mots, il admet actuellement l’ensemble des connaissances que nous
avons sur le monde issues de notre perception ou véhiculées par le langage

Mot entendu Mot écrit

Lexique Système Lexique


phonologique de descriptions orthographique
d’entrée structurales d’entrée

Conversion Conversion
acoustico- Système sémantique graphème-
phonologique phonème

Lexique Lexique
phonologique orthographique
de sortie de sortie

Mémoire tampon Conversion Mémoire tampon


phonologique phonème-graphème graphémique

Expression orale Écriture

Figure 24.1
Modèle simplifié du système lexical d’après Caramazza et Hillis (1990) et Hillis et Caramazza
(1995). Les voies lexicales sont en traits pleins et les voies phonologiques en pointillés.
Langage et parole 489

(Cordier et Gaonac’h, 2006). La mémoire sémantique est impliquée dans les


activités de compréhension et de production de langage (extraction du sens
des mots et formulation conceptuelle), mais aussi de façon plus générale dans
l’interprétation de nos perceptions et de nos réactions à des stimuli non ver-

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baux. Un certain nombre de postulats concernant la mémoire sémantique sont
actuellement admis (Samson, 2003 ; Cordier et Gaonac’h, 2006).
• Un concept (mot, objet, événement, action, personnage, qualités…) est une
représentation symbolique décomposable en traits, chacun renvoyant à une
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propriété conceptuelle. Divers types de propriétés sont représentés : catégo-


rielle, sensorielles, fonctionnelles, associatives… 19. Ainsi, la signification du
concept « cerise » résulterait de l’activation conjointe des traits : « végétal »,
« fruit », « rouge », « sucré », « rond », « se mange en été », « pousse sur un
arbre »… Il est à souligner que les entités biologiques telles que les fruits et
légumes sont principalement représentées par des caractéristiques visuelles
alors que les outils sont mieux représentés par des caractéristiques fonction-
nelles. Certains traits sont communs à plusieurs autres entités conceptuelles
(« animal », « mammifère », « domestique », « 4 pattes »), d’autres sont plus
spécifiques permettant la distinction de concepts proches (chat # chien :
« miaule », « a des griffes », « a des moustaches »). Il s’ensuit l’hypothèse
d’une organisation de la mémoire sémantique sous la forme d’un vaste réseau
liant entre eux les concepts et les traits (Garrard et Hodges, 1999). À ces
conceptions sont attachées plusieurs notions qui sont confortées en partie par
les données de psychologie expérimentale ou de la pathologie :
• L’activation d’un concept lors, par exemple, de la présentation d’un référent
visuel ou de l’élaboration d’un message verbal se traduit par l’activation des
propriétés qui le caractérisent et se propage à des concepts « non cibles » liés
par des propriétés communes. Ce point important est conforté par le phéno-
mène d’amorçage sémantique observable en psychologie expérimentale : des
expériences de décision lexicale (dire si un item présenté est un mot ou non)
montrent que le temps de décision, mesuré en millisecondes, est réduit si on a
présenté au préalable un mot appartenant à la même catégorie sémantique que
le mot cible (temps de décision inférieur pour commode dans armoire – com-
mode que pour citron – commode).
• La fréquence d’exposition à un concept (familiarité) et la fréquence d’activa-
tion d’une propriété sémantique (propriétés générales plus souvent activées
que propriétés spécifiques en raison de leur attachement à plusieurs concepts)
influencent l’accessibilité au réseau sémantique. Les traits les plus fréquem-
ment activés se trouvent renforcés et sont moins vulnérables en pathologie. Il
persiste cependant de nombreux points de débats, notamment au sujet de
l’organisation des propriétés sémantiques (voir Samson 2001 et 2003 pour
revue de question) : conception d’un système sémantique unique amodal au

19. Selon certains auteurs, les propriétés visuelles ne seraient représentées qu’au niveau du système de
représentations perceptives structurales et non pas en mémoire sémantique (voir Samson, 2003).
490 Grandes fonctions psychologiques et leurs perturbations

sein duquel tous les types de propriétés et domaines de connaissances sont


représentés, versus conception d’un système sémantique multiple faisant
l’hypothèse de sous-systèmes dédiés à différents types de propriétés (visuel-
les, fonctionnelles). La pratique neuropsychologique courante s’appuie géné-

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ralement sur la première conception (soutenue par Caramazza et al. par
exemple) : système sémantique amodal avec un seul niveau de représentation
pour les connaissances lexico-sémantiques et conceptuelles commun aux dif-
férentes modalités d’entrée et de sortie (compréhension d’un mot entendu ou
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lu, production orale ou écrite) et commun à différents types de stimuli (mots


lus et entendus ou objets). Toutefois, l’équipe de Caramazza introduit la
notion d’un accès sémantique privilégié à partir d’une image ou d’un objet vs
l’accès sémantique à partir d’un mot. En effet, si les liens entre matériel verbal
et propriétés sémantiques sont totalement arbitraires, les liens entre représen-
tation visuelle d’un objet et propriétés sémantiques sont en revanche plus
directs.
• Le lexique phonologique est une représentation phonologique qui correspond
à la forme sonore abstraite d’une unité lexicale et code des informations sur
l’identité des phonèmes, sur la structure syllabique, sur le nombre de phonè-
mes et de syllabes et sur l’accent ou « stress » (voir Béland, Peretz, Baum et
Valdois, 2000 pour une description détaillée des différents paliers de la repré-
sentation phonologique). Le lexique phonologique de sortie est impliqué
dans toute tâche faisant appel à la production orale d’un mot. Il regroupe
l’ensemble des formes phonologiques des mots qui seront nécessairement
activées lors de tout essai de verbalisation. Le lexique phonologique d’entrée
intervient dans l’identification des mots entendus. Il possède des entrées pour
tous les mots connus et suffit à décider si un item entendu est un mot de la
langue ou non. Ainsi, lorsqu’on entend la forme sonore « brupa », aucune
entrée dans le lexique phonologique ne correspond véritablement à cette sti-
mulation. Toutefois, il est plausible que ce non-mot active des entrées lexica-
les proches sur le plan formel telles que « brutal », « buta » qui seront
réfutées en vue de la décision lexicale.
• Le lexique orthographique est une représentation orthographique qui
concerne la séquence de lettres ou de graphèmes spécifiques à chaque mot.
Le lexique orthographique de sortie intervient lors de l’expression écrite. La
production écrite d’un mot de la langue et notamment sa spécificité orthogra-
phique n’est possible que si l’information est disponible dans le lexique
orthographique de sortie. Le lexique orthographique d’entrée est lié aux pro-
cessus de reconnaissance d’un mot écrit dans des tâches de lecture ou d’iden-
tification des mots écrits. De même que le lexique phonologique, il permet
d’effectuer des tâches de décision lexicale à partir de mots et de non-mots lus.
Une suite de graphèmes telle que « rinalou » n’a pas d’entrée lexicale corres-
pondante dans le lexique orthographique. Si la plupart des modèles distin-
guent les lexiques d’entrée recrutés dans la reconnaissance et les lexiques de
sortie impliqués dans la production, cette différenciation est parfois contro-
Langage et parole 491

versée (Valdois et de Partz 2000 ; Tainturier, 1996 ; pour revue). Il est pos-
tulé que chaque unité lexicale a un niveau d’activation de base (déterminant
l’accessibilité) fonction d’un certain nombre de variables psycholinguisti-
ques telles que la fréquence lexicale, la familiarité, l’âge d’acquisition, l’ima-

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geabilité, ou encore la classe des mots. Un mot rare, de basse fréquence
lexicale, est moins rapidement récupéré qu’un mot fréquent. Ce niveau de
base peut se trouver modifié temporairement par les expositions répétées –
temps de latence diminué pour dénommer un stimulus déjà présenté. La
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pathologie cérébrale pourrait avoir pour conséquence soit une dégradation


des représentations, soit une élévation anormale des seuils qui rendrait les
unités lexicales difficilement accessibles.
• Les mécanismes de conversion opèrent sur des unités sous-lexicales (phonè-
mes, graphèmes, syllabes). Ils mettent en correspondance et transforment
des informations acoustico-phonologiques en informations phonologiques
(conversion phonème-phonème en répétition), des informations acoustico-
phonologiques en informations graphémiques (correspondance phonème-
graphème en écriture sous dictée) ou des informations graphémiques en
informations phonologiques (correspondance graphème-phonème en lecture
à haute voix).
• Les mémoires tampon (buffers) assurent le maintien à court terme d’informa-
tions phonologiques ou graphémiques (représentations lexicales ou informa-
tions issues de procédures de conversion). La mémoire tampon phonologique :
le caractère séquentiel de la production orale nécessite des opérations de plani-
fication correspondant à la reconstruction de la représentation phonologique
avec prise en compte des diverses informations segmentales, syllabiques ou
relatives à l’accent en vue de la récupération du geste articulatoire. Les diffé-
rentes étapes de cette planification phonologique ont été plus particulièrement
spécifiées dans les modèles de Shattuck-Hufnagel (1987), Butterworth (1992)
ou Levelt et Wheeldom (1994) (voir Béland et al., 2000 pour revue). La
mémoire tampon phonologique se trouve impliquée dans toute tâche de pro-
duction orale, y compris la répétition et la lecture à haute voix, que ce soit des
mots ou des non-mots. La mémoire tampon graphémique est assimilée à une
mémoire de travail spécifique du langage écrit qui stocke temporairement (ou
maintient active) la suite de graphèmes durant le temps nécessité par les opéra-
tions périphériques conduisant à la réalisation graphique.
• Des composants « plus périphériques » sont également décrits : mécanismes
perceptifs visuels et auditifs ainsi que des mécanismes impliqués dans la pro-
duction orale (activation des programmes articulatoires et exécution neuro-
musculaire) et dans la production écrite (conversion allographique, activation
des patrons moteurs graphiques, exécution neuro-musculaire), ou encore des
représentations non linguistiques telles que les représentations structurales
perceptives visuelles qui interviennent dans la reconnaissance d’un stimulus
visuel : image ou objet connu vs non-objet ou chimère.
492 Grandes fonctions psychologiques et leurs perturbations

24.4.3 Production orale


A. Dénomination d’images ou d’objets

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 Modélisation
Six étapes peuvent être distinguées au cours de la dénomination d’images ou d’objets :
– analyse visuelle incluant une analyse perceptive élémentaire : forme, groupe-
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ments de traits, couleur... ;


– activation de la représentation structurale perceptive visuelle : identification
du percept comme objet réel ;
– activation des propriétés sémantiques, comme par exemple : « cerise » =
[végétal] + [fruit] + [rouge] + [sucré] ;
– activation de la représentation phonologique adéquate dans le lexique phono-
logique de sortie /seriz/ ;
– maintien de cette représentation dans la mémoire tampon phonologique qui a
aussi un rôle de planification phonologique par sélection et sériation des pho-
nèmes constitutifs du mot ;
– conversion des unités phonologiques en patrons articulatoires dans des sys-
tèmes de programmation et exécution articulatoire liées à la commande et la
coordination neuromusculaire des mouvements bucco-pharyngo-laryngés.
Bock et Levelt (1994) ont suggéré l’existence d’un niveau lexical intermé-
diaire entre système sémantique et lexique phonologique de sortie. Cette étape des
lemmas coderait l’item lexical cible sur le plan sémantique mais aussi sur le plan de
ses propriétés syntaxiques (catégorie grammaticale, genre). Caramazza (1997) a
développé un certain nombre d’arguments allant plutôt à l’encontre de cette distinc-
tion lemmas / lexèmes.

 Pathologie et interprétation cognitive


La publication d’observations bien documentées a conduit à l’émergence d’un certain
nombre de « syndromes cognitifs » purs, résultant de la perturbation de chacun des com-
posants décrits (Hillis et Caramazza, 1994).

● Perturbations au niveau du système sémantique


Plusieurs types de troubles sont décrits :
• Dégradation des concepts : cette dégradation par perte plus ou moins étendue
des traits sémantiques affecte le savoir concernant les mots, les objets, les per-
sonnes, les événements… Cette atteinte a un retentissement important sur le
langage et la communication en général, voire le comportement. Il s’ensuit des
perturbations dans toutes les tâches verbales et non verbales nécessitant un trai-
tement sémantique : expression spontanée, dénomination et compréhension,
orale ou écrite, épreuves d’appariement fonctionnel (marteau-clou). Le patient
ne pourra pas non plus dessiner sur ordre un objet ou produira le dessin d’un
Langage et parole 493

objet appartenant à la même catégorie sémantique (représente une taupe quand


on lui demande de dessiner une tortue) et ne saura plus comment utiliser un
objet. Le trouble de dénomination est sévère. Le patient ne donne pas le mot
cible, mais souvent sa catégorie (« c’est un animal ») ; il commet des erreurs

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sémantiques par activation d’un mot partageant une partie des traits de l’item
cible (poire-pomme). La récupération partielle des propriétés sémantiques est
insuffisante à activer une représentation lexicale qu’elle soit phonologique ou
orthographique. Le manque du mot ne cède pas en général à une aide par la clef
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phonémique. Toutefois, il a été rapporté des cas particuliers. Une patiente


(JCU) observée par Howard et Orchard-Lisle (1984) était facilitée par l’ébau-
che orale du mot cible et dénommait correctement mais elle acceptait égale-
ment les clefs induisant un item de la même catégorie. Par exemple, si face à
l’image d’un tigre, on lui proposait le son « 1 », elle produisait le mot « lion ».
De la même façon, elle acceptait plus facilement (56 %) les propositions de
dénomination très proches sur le plan sémantique (devant une image d’un tigre,
on lui demandait : « c’est un lion ? ») que les propositions sans lien (2 %), ce
qui était en faveur d’une représentation sémantique incomplète. Les épreuves
de définition ou de connaissances sémantiques montrent que la dégradation
sémantique touche plus les attributs spécifiques des concepts (caractéristiques
physiques ou fonctionnelles) que les informations génériques catégorielles
(« un hibou ? c’est un animal – est-ce qu’un hibou vole ? je ne sais pas »). La
dégradation peut être globale et affecter n’importe quel concept. À l’opposé,
des dissociations sont rapportées dans la littérature : atteinte spécifique à une
classe conceptuelle (déficit plus fréquemment observé pour les entités biologi-
ques que pour les entités « objets »), atteinte spécifique à un type de propriétés
conceptuelles (visuelles versus fonctionnelles).
• Déficit d’accès aux représentations sémantiques : Warrington et Shallice
(1979) ou Shallice (1988) ont proposé un certain nombre de critères opposant
trouble d’accès et déficit sémantique. Le déficit d’accès ou « état réfractaire »
correspondrait à une impossibilité temporaire à utiliser le système. Il serait
caractérisé par la non-constance des erreurs à différents temps d’examen, une
absence d’effet de la fréquence lexicale, la persistance d’un effet d’amorçage
sémantique, une amélioration des performances lors du ralentissement du
rythme de présentation des stimuli. Un déficit des représentations sémantiques
répondrait à des effets inverses. La pertinence de ces critères a été très contes-
tée (Rapp et Caramazza, 1993) mais reste soutenue par des travaux plus
récents. Sur un plan étiologique, s’il est admis que la dégradation progressive
des propriétés sémantiques constitue LA caractéristique de la démence séman-
tique (Hodges et al., 1992 ; Hodges, 2001 ; Belliard, 2006 ; Lambert, 2007),
la nature exacte du déficit sémantique des aphasies par lésions vasculaires
cérébrales focales est beaucoup moins connue : atteinte des représentations
elles-mêmes, état réfractaire (Warrington et Cipolotti., 1996) ou encore défaut
de contrôle sémantique comme il l’a été suggéré récemment (Jefferies et Lam-
bon Ralph, 2006 ; Jefferies et al., 2007) ?
494 Grandes fonctions psychologiques et leurs perturbations

• Déficit d’accès sémantique spécifique à une modalité d’entrée : dans le cadre


théorique d’un système sémantique amodal, l’hypothèse d’un déficit d’accès
aux représentations sémantiques peut être posée lorsque le traitement séman-
tique est perturbé à partir d’une modalité d’entrée mais conservé à partir des

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autres modalités. Le patient décrit par Hillis et Caramazza (1995) est un
exemple de déficit d’accès sémantique spécifique à la modalité visuelle. Il
commettait de fréquentes erreurs sémantiques en dénomination d’images
alors que ses performances en dénomination à partir d’une description orale
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ou d’une exploration tactile étaient correctes. Les investigations montraient


par ailleurs une préservation des représentations structurales perceptives
visuelles. Le syndrome de surdité au sens des mots (Patterson et al., 1996)
traduit également un déficit d’accès mais spécifique à la modalité auditive
(cf. infra, troubles de compréhension).
● Perturbation du lexique phonologique de sortie
Un déficit à ce niveau laisse intact le traitement sémantique et n’engendre donc pas
de trouble de compréhension. Les patients comprennent les mots qu’ils n’arrivent pas
à produire.
• Lors de difficultés d’accès au lexique ou de transmission des informations
entre le système sémantique et le lexique phonologique de sortie, la représen-
tation phonologique est inaccessible. Ce dysfonctionnement a été expliqué en
termes d’élévation anormale des seuils d’activation correspondant aux unités
lexicales. Les troubles se manifestent principalement par un manque du mot
qui cède facilement avec l’ébauche orale (premiers phonèmes ou première
syllabe du mot cible). L’effet de fréquence est très marqué. Un patient cor-
respondant à ce tableau (EST) décrit par Ellis et Young (1988) employait des
circonlocutions et beaucoup de substitutions par des termes passe-partout :
« truc », « machin ». Son expression orale ne comportait que des mots de
haute fréquence. Des erreurs sémantiques peuvent également être observées
(Miceli et al., 1996) et sont expliquées de la façon suivante : lorsque la repré-
sentation phonologique de l’item cible n’est pas disponible, une autre repré-
sentation phonologique partageant des traits sémantiques communs serait
activée par défaut. Le manque du mot pourrait être global ou restreint à cer-
taines catégories lexicales (Ellis et al., 1992). Des dissociations ont été
rapportées : noms propres versus noms communs ou noms versus verbes.
• Un déficit d’accès au lexique phonologique de sortie n’affecte pas (ou peu) la
répétition ni la lecture à haute voix (Lambon Ralph, Cipolotti et Patterson,
1999). Le mot entendu en vue de sa répétition apporte une source directe
d’activation (lexique phonologique d’entrée vers le lexique phonologique de
sortie). La lecture à haute voix bénéficie également d’une activation supplé-
mentaire directe à partir du lexique orthographique d’entrée. De plus, la répé-
tition et la lecture à haute voix peuvent être réalisées par le biais de procédures
de conversion acoustico-phonologique. Il ne devrait pas être observé de
répercussion sur la dénomination écrite et cette hypothèse est confortée par
Langage et parole 495

un certain nombre de cas qui montrent une dissociation entre la perturbation


de la dénomination orale mais la relative préservation de la dénomination
écrite. En pratique clinique, l’observation d’un trouble de dénomination
affectant de façon concomitante la modalité orale et la modalité écrite peut

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être interprétée en termes de co-occurrence de deux déficits : trouble d’accès
au lexique phonologique de sortie + trouble d’accès au lexique orthographi-
que de sortie (Miceli et al., 1991). Une solution est suggérée par Raymer et
al. (1997), il pourrait s’agir de la perturbation d’un seul mécanisme relatif au
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transfert des informations du système sémantique vers une composante lexi-


cale, qu’elle soit de nature phonologique ou orthographique.
• La dégradation des représentations phonologiques elles-mêmes ou une récu-
pération partielle pourrait se traduire selon Butterworth (1992), par la pro-
duction de néologismes ou de paraphasies phonémiques. Ces erreurs se
caractériseraient alors par une grande constance d’occurrence : mêmes
erreurs observées à différents temps sur les mêmes items. D’autres types
d’erreurs telles les paraphasies verbales formelles (Blanken, 1990) ont égale-
ment été rapportées.
• Enfin, la notion de « blocage de réponse » (Kremin, 1994) fait référence à la
situation où le stimulus a été correctement adressé dans le lexique phonologi-
que de sortie mais la sortie serait impossible. Ce cas de figure est illustré par le
comportement d’un patient (Hénaff-Gonon, Bruckert et Michel, 1989) qui, en
cas d’absence de réponse, pouvait décrire le lien d’homophonie de deux items.
Ainsi lors de la présentation d’une image représentant un outil : une fraise, il
disait : « je ne peux pas trouver le mot mais cela a à voir avec un fruit ».

● Perturbation de la mémoire tampon phonologique


On accorde à cette structure une fonction de mémoire à court terme assurant le main-
tien temporaire de la représentation phonologique durant les étapes subséquentes de
conversion des segments phonologiques en patrons articulatoires. Elle se trouve
directement impliquée dans des opérations de planification phonologique. La repré-
sentation phonologique dans le lexique phonologique de sortie est conçue comme une
forme abstraite. Elle nécessiterait une reconstruction en vue de la production à travers
des processus de sélection et sériation des segments phonologiques constitutifs du
mot. La perturbation des étapes de mémoire tampon et de planification phonologique
entraîne des paraphasies phonémiques qui surviennent dans toute tâche de production
orale (dénomination, répétition et lecture à haute voix) de mots et de non-mots. Cer-
tains travaux ont tenté de différencier les erreurs phonémiques suivant l’origine de la
perturbation : dégradation des représentations dans le lexique phonologique de sortie
versus défaut de planification (Nickels, 1997, pour revue). Les conduites d’approches
successives et devenant correctes sont le signe que les représentations phonologiques
ne sont pas dégradées et qu’elles sont utilisées lors des autocorrections. La possibilité
de réaliser correctement des tâches de jugements de rimes ou d’homophonie reposant
sur une phonologie « silencieuse » est un argument en faveur de la préservation des
représentations lexicales phonologiques. En revanche, une réalisation défectueuse ne
496 Grandes fonctions psychologiques et leurs perturbations

constitue pas un élément d’interprétation fiable dans la mesure où la difficulté peut


également être liée à une impossibilité à maintenir l’information à court terme en vue
de la traiter. Alors que des performances similaires sont attendues aux tâches de déno-
mination, de répétition et de lecture à haute voix dans le cas d’un problème de plani-

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fication, la dénomination devrait être plus perturbée que les autres tâches dans le cas
d’un déficit lexical. Un effet de longueur est classiquement et souvent évoqué pour
un déficit post-lexical. Dans la mesure où la mémoire tampon phonologique est très
liée au mécanisme de planification, plus un item cible est long, plus la demande en
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maintien à court terme va être importante et plus le risque d’erreurs s’accroît. Ceci est
particulièrement manifeste pour les non-mots. Les mots peuvent être moins touchés
car ils offrent la possibilité de procédures de rafraîchissement par le biais des repré-
sentations phonologiques (intactes dans ce cas de déficit post-lexical). Toutefois les
propositions de distinction suivant des effets de fréquence (présents dans un déficit
lexical) et de longueur (présents dans un déficit post-lexical) semblent insuffisam-
ment justifiées selon Nickels (1997) ou Kohn et Smith (1994). D’autres prédictions
ont également été formulées par Butterworth (1992) et Kohn et Smith (1994). Les
liens entre mémoire phonologique à court terme et processus linguistiques ont été
plus particulièrement abordés par Romani (1992), Shallice et al. (2000).

B. Répétition

 Modélisation
La répétition unit à la fois des mécanismes de perception auditive et de production
orale. À partir d’une première étape d’analyse auditive des stimuli verbaux dans leurs
composants acoustiques et phonétiques (cf. compréhension), trois voies sont envisa-
gées pour rendre compte des diverses possibilités de répétition.

● Voie phonologique (non lexicale)


Elle suppose une conversion des informations phonologiques auditives dans leurs
correspondants phonologiques et articulatoires en vue de la production. Cette opéra-
tion est aussi appelée conversion acoustico-phonologique ou conversion phonème-
phonème. Elle traite des unités sous-lexicales (phonèmes, syllabes). Le stockage tem-
poraire des unités phonologiques avant l’implémentation des patrons articulatoires
interviendrait au niveau de la mémoire tampon phonologique.

● Voies lexicales
La répétition suivant un traitement lexical suppose l’activation de représentations
lexicales stockées. Deux possibilités sont envisagées :
• Voie lexicale sémantique : l’information issue de l’analyse auditive
active une représentation phonologique cible au niveau du lexique phonolo-
gique d’entrée, la représentation sémantique correspondante dans le système
sémantique, la représentation phonologique dans le lexique phonologique de
Langage et parole 497

sortie, les mécanismes de production orale (mémoire tampon phonologique


et mécanismes articulatoires).
• Voie lexicale non sémantique : dans ce cas, le lexique phonologique d’entrée

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est connecté directement au lexique phonologique de sortie, sans médiation
sémantique.
La première voie, phonologique, permettrait donc de répéter des mots non
inscrits dans le lexique comme des mots étrangers ou encore des non-mots. À
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l’opposé, les deux autres voies, lexicales, ne seraient impliquées que dans le traite-
ment des mots pour lesquels nous possédons une représentation phonologique.

 Pathologie
La répercussion du dysfonctionnement des différents composants sur les performan-
ces de répétition a déjà été partiellement évoquée ci-dessus lors de l’interprétation
cognitive des troubles de la dénomination.
La perturbation de la voie phonologique au niveau de la conversion acous-
tico-phonologique entraîne un effet de lexicalité important (mots > non-mots) dans la
mesure où la répétition des mots peut être partiellement effectuée par l’utilisation des
voies lexicales.
La perturbation des voies lexicales au niveau du lexique phonologique
d’entrée ou au niveau sémantique peut être compensée par l’utilisation de la voie pho-
nologique pour la répétition des mots et des non-mots.
L’atteinte de l’analyse auditive affecte la capacité à répéter des mots et des
non-mots et est toujours associée à des troubles de la compréhension orale (cf. surdité
au son des mots). En revanche si le déficit est situé au niveau de la planification pho-
nologique, la compréhension reste préservée mais les perturbations notées en répéti-
tion sont aussi observées dans d’autres tâches de production orale (lecture à haute
voix, expression spontanée, dénomination orale…).
Deux syndromes ont été particulièrement étudiés :
• L’aphasie de conduction est caractérisée, selon Wernicke, par un trouble de
répétition avec paraphasies phonémiques. Ce syndrome a été révisé par
Shallice et Warrington (1977) qui distinguent deux tableaux. L’aphasie de
conduction de type « répétition » concerne des patients qui présentent des
difficultés de répétition, sans production d’erreurs phonémiques, lors de lis-
tes de mots mais pas lors de mots isolés. Ce tableau est attribué à un déficit
de mémoire à court terme. L’aphasie de conduction de type « reproduction »,
considérée comme la « vraie » aphasie de conduction regroupe des patients
qui ont du mal à répéter des mots isolés. Cette difficulté se traduit par des
erreurs phonologiques et est aggravée pour les mots longs. Elle est observée
non seulement en répétition, mais également en expression orale spontanée,
en dénomination orale ou en lecture à haute voix. Cette forme peut cependant
être associée à un trouble de mémoire à court terme. Les patients gardent sou-
vent des informations sur le mot cible : première lettre, nombre de syllabes.
498 Grandes fonctions psychologiques et leurs perturbations

Cette connaissance partielle et les conduites d’approche phonémique suggè-


rent que la représentation phonologique a été correctement adressée dans le
lexique phonologique de sortie. Ainsi, l’aphasie de conduction résulterait de
difficultés post-lexicales, localisées au niveau des mécanismes de planifica-

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tion des unités phonologiques en vue de leur implémentation articulatoire et
de la mémoire tampon phonologique.
• La dysphasie profonde est un tableau clinique qui a également donné lieu à
une interprétation cognitive. La principale caractéristique en est un trouble de
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répétition (erreurs sémantiques, effet de concrétude lors de la répétition de


mots et effet de lexicalité – quasi-impossibilité à répéter des non-mots)
auquel sont souvent associés des perturbations en production orale (erreurs
phonémiques et erreurs sémantiques) ainsi qu’un déficit de la mémoire à
court terme verbale. Ainsi, le patient décrit par Michel et Andreewsky (1983)
répétait « divan » pour « buffet », « bébé » pour « jumeau ». Le patient avait
tout à fait conscience de ses erreurs qui étaient involontaires et non imputa-
bles à une stratégie de compensation. Ces paraphasies sémantiques surve-
naient lors de la répétition mais aussi lors de l’écriture sous dictée. Ce tableau
résulterait de plusieurs déficits cognitifs associés : déficit d’accès aux infor-
mations sémantiques à partir du lexique phonologique d’entrée, déficit de la
répétition en rapport avec une perturbation de la voie acoustico-phonémique
et déficit de la mémoire à court terme verbale.

24.4.4 Compréhension orale


A. Modélisation
La modélisation de la compréhension d’un mot entendu peut être illustrée par le
modèle d’Ellis, Franklin et Crerar (1994) qui décrit différents niveaux de traitement
(voir également Lambert et Nespoulous, 1997 ; Lechevalier et al., 1999).
• Traitements perceptifs de bas niveau, impliqués dans le matériel verbal et
non verbal, qui traitent les sons dans leurs dimensions acoustiques : analyse
spectrale, fréquence, durée, intensité.
• Analyse phonologique, traitement phonétique de nature catégorielle qui filtre
les variations acoustiques, met en correspondance les indices acoustiques
avec les traits phonétiques constitutifs des phonèmes (point d’articulation,
voisement, mode d’articulation...) et conduit à l’identification des sons de la
langue (les phonèmes).
• Accès au lexique phonologique d’entrée : contact des représentations phono-
logiques abstraites des mots lors de la situation d’écoute. Cet accès permet de
décider si la forme sonore entendue est familière et correspond à un mot ou
non (décision lexicale mots/non-mots entendus).
• Traitement sémantique (cf. supra) qui assure la compréhension du signal
entendu par la mise en correspondance de la forme phonologique et des traits
sémantiques qui lui sont associés.
Langage et parole 499

B. Pathologie et interprétation cognitive


La description des troubles de la perception du langage spécifique à la modalité audi-
tive a longtemps été restreinte au syndrome de surdité verbale pure décrit par

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Lichtheim en 1885. L’approche cognitive, faisant référence au modèle à 3 étapes
exposé ci-dessus, a montré que l’atteinte de la compréhension n’était pas unitaire et
pouvait occasionner trois syndromes cognitifs distincts (Ellis et al., 1994 ; Ellis et
Young, 1996).
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• Perturbation du système d’analyse auditive des sons verbaux : la surdité aux


sons des mots correspond dans la terminologie classique au syndrome de sur-
dité verbale pure décrit par Lichtheim (1885). Les perturbations attendues
concernent un défaut de discrimination et d’identification phonémique qui va
être plus important pour les phonèmes brefs tels que les occlusives, que pour
les constrictives et les sons vocaliques. Le tableau a pour caractéristique prin-
cipale des difficultés dans toutes les tâches mettant en jeu la perception audi-
tive (répétition, écriture sous dictée, compréhension). Elles se manifestent
par des erreurs ou substitutions de mots phonémiquement proches (mou-
choir-un couloir). Le traitement des non-mots est quasi impossible. La com-
préhension est très perturbée mais peut être améliorée par la lecture labiale
ou la connaissance du thème de la conversation. Le patient a une très bonne
conscience de son trouble, « j’entends mais je ne comprends pas ».
• Déficit au niveau du lexique phonologique d’entrée : la surdité à la forme des
mots résulte d’un trouble d’activation de la représentation phonologique
d’entrée. Les épreuves de discrimination de phonèmes sont correctes en rai-
son de la fonctionnalité du système d’analyse auditive. Le patient échoue à
des épreuves de décision lexicale en modalité auditive alors qu’il réussit en
modalité écrite. Des erreurs entre mots phonologiquement proches sont
observées lors des tentatives de répétition. Ce syndrome cognitif n’a toutefois
jamais été observé de façon pure et suffisamment démonstrative chez un
patient et n’a pas été repris dans la classification d’Ellis et Young. (1996).
• Déficit d’accès au système sémantique : la surdité au sens des mots est un
tableau clinique qui avait été décrit par Bramwell (1897, 1984) et plus récem-
ment par Kohn et Friedman (1986), Franklin, Howard et Patterson (1994) et
Franklin, Turner, Lambon Ralph, Morris et Bailey (1996). Ce syndrome
montre que les deux premiers niveaux sont fonctionnels : le patient réussit
des épreuves de discrimination phonémique et de décision lexicale. La com-
préhension des mots entendus est altérée alors que la répétition est possible.
L’exclusion d’une atteinte des représentations sémantiques peut être argu-
mentée par la préservation de la compréhension écrite ou encore de bonnes
performances en dénomination. Le déficit d’accès sémantique peut affecter
plus spécifiquement les mots abstraits.
• L’atteinte du système sémantique, comme nous l’avons vu plus haut (partie
consacrée aux troubles de production orale), correspond à une dégradation
des représentations sémantiques. Ce dernier syndrome ne constitue pas un
500 Grandes fonctions psychologiques et leurs perturbations

trouble de compréhension spécifique à la modalité auditive car la compréhen-


sion est défectueuse quelle que soit la modalité de présentation. Des troubles
sont également présents en production orale ou écrite.

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Les propositions de l’équipe d’Ellis répondent à une organisation séquen-
tielle unidirectionnelle (de bas en haut) très hiérarchisée qui suppose que l’accès à un
niveau supérieur nécessite l’intégrité du niveau immédiatement inférieur. Ainsi, une
perturbation d’un stade précoce de traitement aura des répercussions sur les stades
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ultérieurs et une perturbation d’un stade tardif de traitement n’aurait pas d’influence
sur les stades antérieurs. Dans une version ultérieure (Ellis et Young, 1996), les
auteurs incluent l’existence de relations bidirectionnelles entre lexique phonologique
et système sémantique.

C. Pathologie et approche connexionniste


Les modèles connexionnistes (ou modèles en réseaux distribués) sont des modèles
qui ont été implémentés sur ordinateur et qui ont été formalisés d’un point de vue
mathématique. Leur architecture est conçue comme un réseau de connexions qui relie
différents niveaux de traitement (couches d’unités). À la différence des modèles
cognitifs sériels, les connexions sont ici multidirectionnelles ou dites « en cascade ».
Chaque unité est dotée d’un niveau d’activation de base et reçoit elle-même une acti-
vation à partir d’un stimulus qui va se propager à d’autres unités à l’intérieur d’une
même couche ou à des couches de différents niveaux. Ainsi plusieurs unités peuvent
être activées en parallèle, le traitement de niveaux supérieurs peut commencer avant
même que celui des niveaux inférieurs soit terminé. La force des activations se trouve
modifiée au cours du traitement : elle se stabilise sur le stimulus cible et décroît pour
les stimuli non cibles (voir Lemaire, 1999, pour une description plus détaillée).
Dans le domaine de la production orale, le modèle interactif de Dell et
O’Seaghdha (1992) sert de référence. Il comporte plusieurs couches d’unités corres-
pondantes aux nœuds sémantiques, aux nœuds lexicaux et aux segments phonologi-
ques. Les activations de ces étapes se recouvrent partiellement sur le plan temporel
ou s’effectuent de façon simultanée et s’influencent mutuellement. Les processus
forward propagent l’activation aux items cibles ainsi qu’aux items proches (candidats
entrant en compétition avec l’item cible) alors que les processus backward servent à
stabiliser l’activation des items cibles.
La compréhension orale a été plus particulièrement abordée par le modèle
Trace de McClelland et Elman (1986) et celui de Martin et Saffran (1992) que nous
décrivons ci-dessous. Martin et Saffran ont adapté le modèle de production orale de
Dell (1986) à la reconnaissance des mots entendus. L’architecture globale comporte
plusieurs niveaux de représentation (phonologique, lexical, sémantique) qui sont
connectés par le biais de processus d’activation feed-forward et feed-back. Ainsi de
la perception auditive d’un mot à sa compréhension les étapes suivantes sont
décrites :
Langage et parole 501

• Le signal entendu est transmis au niveau phonologique où sont activés les


segments phonologiques potentiellement cibles.
• L’activation se propage du premier niveau (phonologique) au deuxième
(lexical) et touche non seulement l’item potentiellement cible, mais aussi de

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façon plus faible des voisins phonologiquement proches. L’activation des
segments phonologiques initialement sollicités décroît progressivement.
• L’information s’étend au niveau sémantique. Pendant ce temps, une activa-
tion de type feed-back, issue du niveau lexical est renvoyée vers le niveau
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phonologique afin de stabiliser l’activation sur l’item cible.


• Le niveau d’activation de la cible lexicale qui, elle aussi, décroît se trouve sta-
bilisée par deux sources d’information : indices (feed-back) issus du niveau
sémantique et indices (feed-forward) issus du niveau phonologique. Les indi-
ces sémantiques activent des items lexicaux partageant des traits sémantiques
avec la cible ; les indices phonologiques favorisent le déclin d’activation des
éléments lexicaux non-cibles activés lors de la deuxième étape.
• L’élément lexical le plus sollicité est finalement activé parallèlement aux
nœuds sémantiques et phonologiques correspondants. Une réponse peut alors
être produite. Une notion importante développée par Martin et Saffran est que
la mémoire à court terme verbale n’est pas un processus externe qui opère sur
les différentes représentations du langage mais que ses propriétés sont inhé-
rentes au fonctionnement du langage lui-même : « La propagation de l’acti-
vation et le déclin de l’activation sont les processus qui permettent le
maintien de l’information en mémoire à court terme. » (p. 268)
Cette modélisation conduit à des interprétations de la pathologie différentes
de celles proposées dans le cadre de modèles sériels.
Ainsi, pour Martin et Saffran (1992), la dysphasie profonde (cf. supra, la par-
tie concernant les troubles de répétition) s’explique en termes de déclin anormale-
ment rapide de l’activation phonologique. L’occurrence d’erreurs sémantiques en
répétition (colline-une montagne ?) suggère que le niveau des représentations séman-
tiques a été activé et qu’il ne s’agit pas d’un trouble de propagation d’activation.
L’effacement pathologique des indices phonologiques empêche la poursuite des acti-
vations en boucle unissant cibles phonologiques et sémantiques et ne permet plus de
guider le choix entre les représentations sémantiques activées (cible et candidats
potentiels).

24.4.5 Conclusion
La démarche de la neuropsychologie contemporaine consiste à interpréter un com-
portement linguistique pathologique en recherchant quel mécanisme est devenu fonc-
tionnellement déficitaire suite à une atteinte cérébrale. Nous avons voulu l’illustrer
en exposant dans ce chapitre l’architecture générale des processus mentaux requis
502 Grandes fonctions psychologiques et leurs perturbations

dans la production et la reconnaissance des mots et les dysfonctionnements corres-


pondants. Son apport original est de montrer que des aspects sémiologiques similaires
peuvent avoir des origines différentes, c’est le cas du manque du mot, des erreurs
sémantiques ou phonémiques. Cette démarche est fondamentalement différente de

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celle de la neuropsychologie dite « classique » qui était principalement descriptive.
Alors que le clinicien faisait l’inventaire des signes déficitaires et tentait, le plus sou-
vent avec difficulté, de relier cet ensemble à un des syndromes de la taxinomie apha-
siologique, le nouvel orthophoniste mène l’enquête des déficits cognitifs à l’aide
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d’outils plus spécifiques élaborés à partir des hypothèses théoriques (Mazaux et al.,
2007). La tâche se trouve quelquefois peu aisée en raison de la pluralité des déficits
fonctionnels qui peuvent être associés chez un même patient ou simplement en raison
de l’instabilité des troubles.

Si l’on est tenté de faire la lecture des syndromes aphasiologiques classiques


à la lumière de la neuropsychologie cognitive, on parvient à extraire pour chacun un
faisceau de déficits cognitifs qui pourrait représenter le noyau dur du tableau. Chez
l’aphasique de Broca par exemple, il est probable que la réduction de la production
orale résulte de plusieurs perturbations – déficit d’accès au lexique phonologique de
sortie, processus morphologiques et syntaxiques, mécanismes de programmation arti-
culatoire –, que les troubles du langage écrit puissent être le plus souvent interprétés
en termes de perturbation phonologique affectant les mécanismes de conversion pho-
nème-graphème pour l’écriture et les mécanismes de conversion graphème-phonème
pour la lecture. Mais il serait tout à fait hors de propos de chercher à établir des cor-
respondances strictes dans la mesure où chacun des syndromes « classiques »
regroupe des sémiologies très disparates, ce qui constitue le point faible de la classi-
fication. L’exemple de l’aphasie anomique est à cet égard assez démonstratif. Cette
étiquette syndromique est attribuée à la fois pour des patients qui présentent un man-
que du mot isolé et pour des patients qui souffrent d’un manque du mot avec perte de
la signification de ces mots. Ainsi peut-on faire pour le premier cas l’hypothèse d’un
déficit d’accès au lexique phonologique de sortie et pour le second l’hypothèse d’un
déficit sémantique. Avec la neuropsychologie cognitive, la richesse sémiologique
propre à chaque individu est mieux prise en compte et conduit à des projets thérapeu-
tiques plus ciblés (Lambert, 2004, pour revue).

L’aphasie d’aujourd’hui est orientée vers l’identification des déficits fonc-


tionnels. Nous avons cependant vu qu’elle recèle plusieurs types de modélisation
conduisant à des interprétations différentes (exemple de la dysphasie profonde).
L’aphasie de demain saura probablement mieux intégrer les données des différents
domaines de la cognition (langage, mémoire et attention par exemple) ainsi que les
approches d’autres domaines scientifiques.
Langage et parole 503

24.5 Langage écrit


Jany Lambert

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24.5.1 Introduction
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Le français écrit, comme la plupart des langues occidentales, peut être défini comme
un système alphabétique, phonographique qui dans l’absolu repose sur la mise en cor-
respondance d’un symbole graphique, le graphème, avec un phonème de la langue
orale. Cette relation étroite n’est que relative puisqu’un même son peut être traduit
par des graphèmes différents (/o/ ➞ o, os, ot, au, eau... ; /f/ ➞ f, ff, ph) ou qu’un même
graphème 20 peut correspondre à différents phonèmes suivant le contexte (en ➞ /ã/
dans entendre, mais / ∼ ε / dans examen). Le français écrit comporte en fait moins de
mots réguliers que de mots ambigus. La régularité est calculée sur la base de la fré-
quence des associations phonème-graphème (Catach, 1980). Il est classique en neu-
ropsychologie (Beauvois et Derouesné, 1981 ; Croisile et al., 1995) de distinguer les
mots réguliers dont chaque phonème peut être traduit sans ambiguïté par un seul gra-
phème ou qui correspondent à la transcription la plus fréquente (/tu/➞ tour, /moto/
➞ moto), des mots ambigus ou à orthographe inconsistante qui comportent un (ou
plusieurs) phonème(s) pouvant avoir plusieurs transcriptions possibles (/m ∼ ε /➞
main, /səiz/ ➞ cerise) ou encore des mots irréguliers qui correspondent à des trans-
criptions exceptionnelles (/fam/➞ femme, /ut/ ➞ août, /otɔn/ ➞ automne). Le lec-
teur peut consulter l’ouvrage de Roch Lecours (1996) pour une classification quelque
peu différente. Il faut rappeler que la notion d’ambiguïté ou d’irrégularité n’est pas
identique dans la situation d’écriture et dans celle de lecture. Ainsi, les mots
« chapeau », « mégot », ou « sirop » seront considérés comme ambigus en écriture
mais non en lecture dans la mesure ou les graphèmes « eau », « ot », et « op » ne peu-
vent donner lieu qu’à la seule correspondance graphophonémique /o/.
Après avoir présenté les traits symptomatiques des agraphies et des alexies,
nous ne ferons qu’évoquer quelques données historiques de la neuropsychologie du
langage écrit afin de mieux comprendre l’état de nos connaissances actuelles et ren-
voyons le lecteur aux ouvrages de Morin, Viader, Eustache et Lambert (1990), ou
Roch-Lecours (1996). Nous décrirons ensuite la modélisation de la production et de
la reconnaissance orthographique puis leur application à l’interprétation des troubles.

20. La lettre désigne les 26 unités graphiques utilisées dans la langue écrite alors que le graphème fait
référence à la correspondance écrite du phonème. Le graphème peut donc être constitué d’une ou plu-
sieurs lettres : p, au, ch, an…
504 Grandes fonctions psychologiques et leurs perturbations

24.5.2 Traits symptomatiques des erreurs en écriture et en lecture


La classification des types d’erreurs présentée ci-dessous se veut avant tout descrip-
tive sans inférence sur le mécanisme lésé. Des erreurs de même type peuvent en effet

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résulter de différents niveaux de perturbation (voir infra l’exemple des erreurs non
phonologiquement plausibles). Le terme de paragraphie est un nom générique qui
désigne les erreurs relevées lors de la production écrite d’un mot et celui de paralexie
celles observées lors de la lecture à haute voix. Les erreurs de lettres ou erreurs non
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phonologiquement plausibles (ou phonologiquement incorrectes) correspondent à


des productions déviantes par rapport à l’item cible qui ne respectent ni sa forme
orthographique ni sa phonologie. Il peut s’agir de substitutions, d’omissions, d’addi-
tions ou de déplacements de lettres. Caramazza, Miceli, Villa et Romani (1987) pro-
posent une classification en termes d’erreurs simples, multiples ou mixtes :
• erreurs simples pour l’occurrence d’une seule erreur (une substitution :
paquet ➞ puquet) ;
• erreurs multiples pour l’occurrence de plusieurs erreurs du même type (deux
omissions : cartable ➞ catabe) ;
• erreurs mixtes quand plusieurs types d’erreurs sont observées dans un même
mot (déplacement + addition : carton ➞ cration).
Le terme de néologisme est utilisé lorsque les erreurs sont telles que le mot
cible n’est plus identifiable (port ➞ caputapre).
• Les erreurs phonologiquement plausibles (ou phonologiquement correctes,
ou encore erreurs de régularisation) respectent la phonologie du mot alors
que l’orthographe est perturbée. Les erreurs consistent en la substitution de
graphèmes ayant même valeur phonologique (cadeau ➞ cadot, femme ➞
fame, en écriture ; fusil ➞ /fyzil/, gars ➞ /a/, femme ➞ /fεm/, en lecture).
• Des erreurs lexicales sont notées. Il s’agit de substitutions du mot cible par
un mot du lexique qui sont différenciées de la façon suivante :
– Les erreurs verbales n’ont aucun lien de forme ni de sens avec le mot cible
(tasse ➞ crayon).
– Les erreurs verbales formelles ont un lien de forme (bandit ➞ bandeau).
– Les erreurs sémantiques ont un lien sémantique (râteau ➞ pelle).
• Les erreurs de lexicalisation désignent la production d’un mot de la langue
alors que la cible est un non-mot (brupa ➞ buta, padent ➞ parents).
• Les erreurs morphologiques dérivationnelles ou flexionnelles montrent
l’omission, l’addition de morphèmes à l’intérieur d’une unité lexicale (rêveur
➞ rêverie ; nous chantions ➞ nous chantez).
• La jargonagraphie désigne des productions graphiques fluentes mais très
déviantes. Le terme de jargonaphasie est employé pour ce type de perturba-
tions en lecture.
• Les erreurs de réalisation graphique montrent une perturbation de la forme
de la lettre dans la réalisation ou l’agencement des traits constitutifs. Elles
aboutissent à un signe graphique non légal. Suivant la sévérité du trouble, la
Langage et parole 505

cible sera ou non reconnaissable. Une erreur graphique peut éventuellement


conduire à la production d’une lettre proche comportant des traits communs.
• Les erreurs de casse ou erreurs allographiques correspondent à la produc-

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tion du graphème cible dans un répertoire différent de celui qui est approprié
ou demandé (F ➞ f, h ➞ H). Les allographes constituent les différentes for-
mes possibles d’une lettre et varient suivant le type d’écriture utilisé ou sui-
vant des variations individuelles. On distingue classiquement quatre grands
répertoires de caractères : majuscules et minuscules en cursive ou script.
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• Les erreurs visuelles désignent en lecture les substitutions qui sont liées au
mot cible par une importante proximité visuelle et qui résultent par la substi-
tution, l’ajout ou l’omission d’une ou plusieurs lettres ou même de la partie
initiale ou finale d’un mot (tâche ➞ bâche, cousin ➞ coussin, verrue ➞ rue,
verre ➞ ver).

24.5.3 Les agraphies


A. Histoire et classification
La description des troubles de l’écriture a été contemporaine de celle du langage oral
et si le terme d’agraphie a été donné dès 1865 par Benedikt, c’est Marce (1856) qui
le premier souligne que l’oral et l’écrit peuvent être différemment touchés. Ogle
(1867) apporte une contribution importante à l’étude des agraphies : il montre que le
parallélisme entre le langage oral et le langage écrit n’est pas toujours observé ce qui
suggère l’existence de localisations anatomiques distinctes et il décrit deux types
d’agraphie, l’un dans lequel la composante linguistique est touchée, « l’agraphie
amnémonique » et l’autre dans lequel la composante apraxique est atteinte,
« l’agraphie ataxique ». Le premier sujet de polémique dans l’histoire de l’agraphie
concerne cette question de l’indépendance du langage écrit, défendue par exemple
par Exner (1881), mais qui est rejetée par de nombreux auteurs (Wernicke, 1874 ;
Lichtheim, 1885 ; Jackson, 1878 ; Dejerine, 1914) soutenant au contraire que le lan-
gage écrit ne peut être que la traduction des « images sonores » des mots. Cette thèse
est également appuyée par un argument faisant référence à l’ontogenèse : selon Pierre
Marie (1926), l’activité d’écriture serait trop récente dans le développement de
l’humanité pour que cette fonction ait une représentation spécifique dans le cerveau
humain. Le second débat (très lié au premier) concerne la localisation du support ana-
tomique de l’écriture qui va justifier l’intérêt des cliniciens pour les observations ana-
tomo-cliniques d’agraphie pure. Le concept d’agraphie pure (dont la rareté a été
montrée par Dubois, Hécaen et Marcie, 1969) fait référence à une atteinte de l’écri-
ture sans association d’aphasie ou d’apraxie gestuelle. Ainsi Exner (1881) soutient-il
l’idée d’un centre frontal de l’écriture situé au pied de F2 intervenant au niveau des
« images motrices » des lettres. Parallèlement, un large consensus acceptait l’hypo-
thèse de la participation de la région pariétale (gyrus angulaire) gauche, servant de
support aux composantes linguistiques, images visuelles des mots devant guider les
mouvements d’écriture. Les classifications d’agraphie montreront une grande diver-
506 Grandes fonctions psychologiques et leurs perturbations

sité (Morin et al., 1990). Elles se calquent sur les classifications des aphasies et s’arti-
culent autour de données lésionnelles et/ou de critères sémiologiques qui mettent
principalement en exergue la présence ou non de troubles associés de nature aphasi-
que, alexique, apraxique. À titre d’exemple, Marcie et Hécaen (1979) proposent cinq

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sous-groupes d’agraphies : agraphies associées aux aphasies, agraphie pure, agraphie
apraxique, agraphie avec alexie et agraphie liée à des troubles spatiaux lors de lésion
de l’hémisphère mineur. Cette classification n’est pas sans critique dans la mesure où
elle comporte plusieurs recouvrements, l’agraphie apraxique pouvant par exemple
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être observée dans les formes d’agraphies associées aux aphasies de Broca. Elle est
par ailleurs insuffisamment précise dans sa description sémiologique pour pouvoir
rendre compte de la spécificité du trouble graphique. Peu à peu l’agraphie se dote
d’une terminologie sémiologique qui lui est propre. C’est l’ère de la neurolinguisti-
que (Lecours et Lhermitte, 1979) qui s’inspire largement des méthodologies descrip-
tives de la linguistique fonctionnelle. Il faudra attendre la décennie 1980-1990 pour
que l’étude du langage écrit fasse l’objet d’une analyse plus « autocentrée » dépassant
la dichotomie apraxique/linguistique. Cet abord a été réalisé dans le cadre des travaux
de neuropsycholinguistique cognitive (initialement appliqués aux troubles de la lec-
ture, Marshall et Newcombe, 1973) qui ont conduit à la description d’une diversité
syndromique plus large.

B. Approche cognitive
 Modélisation
L’ensemble des mécanismes mis en jeu par l’acte de production orthographique s’ins-
crit dans le cadre plus général du système lexical dont l’ambition est de représenter
toutes les opérations mentales concourant à une activité linguistique orale ou écrite.
Le modèle d’Ellis (1982) a été un des premiers modèles de référence en neuropsycho-
logie. Il a été suivi par d’autres propositions très proches sur lesquelles nous nous
appuierons (Margolin 1984 ; Patterson, 1986 ; Caramazza et Miceli 1989 ; Margolin
et Goodman-Schulman, 1992 ; voir aussi pour revues de question, Lambert, 1993 ;
Lambert, 1996 ; Shallice, 1988 ; Tainturier, 1996 ; Valdois et de Partz, 2000 ; Zesi-
ger, 1995). Tous les modèles distinguent des processus centraux et des processus
périphériques. Il s’agit de modèles cognitifs de type sériel. Le développement de
modélisations connexionnistes est très restreint en écriture (voir par exemple le
modèle NETspell d’Oison et Caramazza, 1994), contrairement à la lecture où de
nombreuses propositions ont déjà été effectuées.
● Processus centraux
Les processus centraux (figure 24.2, p. 507) correspondent aux processus orthogra-
phiques (spelling) mis en jeu dans toute production orthographique quelle que soit la
modalité d’écriture utilisée : l’écriture manuscrite, dactylographiée ou l’épellation
orale. Ils s’articulent autour d’un système à double voie (phonologique et lexicale) et
comportent également une mémoire temporaire spécialisée dans le maintien d’unités
graphémiques (mémoire tampon graphémique).
Langage et parole 507

non-mots / mots entendus Figure 24.2


Représentation schématique
Analyse phonologique des processus impliqués en écriture.

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Lexique phonologique d’entrée
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Conversion Système sémantique


phonème-graphème

Lexique orthographique de sortie

Mémoire tampon graphémique

Écriture manuscrite
Eppellation
orale

LA VOIE LEXICALE

La voie lexicale rend compte de la capacité à écrire des mots connus (réguliers, ambi-
gus ou irréguliers). Son fonctionnement postule l’existence de représentations ortho-
graphiques stockées à long terme et dont l’ensemble constitue le lexique
orthographique de sortie. Il s’agit des connaissances orthographiques spécifiques de
chaque mot qui ont été mémorisées au cours de l’acquisition du langage écrit et de sa
pratique. Ce postulat est nécessaire dans des langues comme le français pour lesquel-
les l’orthographe d’un mot ne peut que rarement être déduite de sa phonologie.
L’activation des représentations orthographiques dans le lexique orthographique est
fonction de leur fréquence dans la langue : l’orthographe d’un mot fréquent va être
plus rapidement et plus sûrement restituée que celle d’un mot rare. Elle est également
liée à la classe des mots. Il a en effet été montré qu’un morphème lexical (nom, adjec-
tif, verbe) était mieux restitué qu’un morphème grammatical (libre ou lié) lors d’une
perturbation de la voie phonologique, c’est-à-dire lors du fonctionnement hypothéti-
que de la seule voie lexicale. Plus que le mot, l’unité de base du lexique orthographi-
que semble bien être le morphème. Cette notion est confortée par Badecker, Hillis et
Caramazza (1990) qui suggèrent qu’un mot bimorphémique peut être représenté en
deux unités correspondant à chacun des morphèmes. Enfin, une question posée est de
savoir dans le cas d’homographes homophones (ex : le page ; la page), c’est-à-dire
des mots ne différant que du point de vue du sens, s’ils correspondent à une seule ou
plusieurs représentations orthographiques (de Partz, Gracefa, Seron, Pillon, 1999).
L’hypothèse de deux lexiques orthographiques distincts en écriture et en lecture (lexi-
que orthographique de sortie et lexique orthographique d’entrée) prédomine dans la
508 Grandes fonctions psychologiques et leurs perturbations

littérature neuropsychologique. Elle repose sur l’observation de dissociations mon-


trant une perturbation de la voie lexicale en écriture mais pas en lecture et inverse-
ment. Des revues critiques (Tainturier, 1996 ; de Partz et al., 1999) montrent
cependant que ces dissociations – notamment dans le sens déficit lexical en écriture

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et pas en lecture – pourraient être observées dans l’hypothèse d’un déficit modéré
d’un lexique unique (conception alternative soutenue déjà par Allport et Funnel,
1981 ; Behrmann et Bub, 1992). Une perturbation aurait en effet plus de répercussion
en production orthographique qui nécessite le rappel exhaustif de toutes les propriétés
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orthographiques du stimulus cible qu’en lecture nécessitant un niveau d’activation


moindre.
Écrire un mot entendu suppose la mise en jeu de plusieurs opérations. Il s’agit
de l’activation de la représentation phonologique correspondante dans le lexique pho-
nologique d’entrée (confrontation du signal acoustique et d’un pattern connu), de
l’identification du sens du stimulus entendu dans le système sémantique (qui repré-
sente l’ensemble des propriétés ou traits sémantiques des concepts), puis de l’activa-
tion de la représentation orthographique dans le lexique orthographique de sortie.
Cette représentation est ensuite maintenue dans le tampon graphémique (sous la
forme d’une suite de graphèmes abstraits, voir infra) durant les opérations périphéri-
ques nécessaires à sa réalisation concrète.
La voie lexicale comprend une voie lexico-sémantique, telle que décrite ci-
dessus et une voie lexicale non sémantique ou voie lexicale directe. L’hypothèse
d’une voie non sémantique fait suite à l’observation de confusions affectant des mots
homophones mais hétérographes (ex. : vain ➞ vingt) chez des sujets sains (Ellis,
1988) et chez des patients (Patterson, 1986). Ces types d’erreurs montrent que l’ambi-
guïté n’a pas été gérée par le système sémantique et suggèrent en conséquence la
possibilité d’une activation directe entre lexique phonologique et lexique orthogra-
phique, sans médiation sémantique.
LA VOIE PHONOLOGIQUE

La voie phonologique est utilisable pour les mots n’ayant pas de représentation ortho-
graphique stockée, c’est-à-dire pour des mots nouveaux, des syllabes, des non-mots
sans signification ou encore des mots réguliers. Cette procédure repose sur les deux
opérations principales suivantes : segmentation phonologique et correspondance
phonème-graphème. Le stimulus sonore est segmenté en ses constituants phonémi-
ques (éventuellement syllabiques : la taille des unités sur lesquelles opèrent les cor-
respondances est encore mal connue ou trop souvent restreinte au phonème,
Tainturier, 1996). Chaque unité phonémique est convertie en unité graphémique. La
séquence des unités graphémiques correspondant au stimulus entendu est ensuite
maintenue dans le tampon graphémique. L’écriture suivant la voie phonologique
nécessiterait à la fois un maintien de la séquence phonologique au niveau du tampon
phonologique durant les opérations de correspondance phonème-graphème (Cara-
mazza, Miceli et Villa, 1986) et un maintien de la séquence graphémique au niveau
du tampon graphémique.
Langage et parole 509

Certains auteurs (Campbell, 1983) s’opposant à une architecture en deux


voies distinctes (phonologique et lexicale) ont suggéré que l’écriture de non-mots
pouvait être effectuée par analogie lexicale plutôt que par l’application de règles de

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correspondance phonème-graphème. L’écriture de non-mots par des sujets sains mon-
tre en effet que le choix « orthographique » de non-mots est influencé par l’orthogra-
phe d’un mot dicté auparavant (ex. : /tein/ est écrit plutôt « tane » s’il est précédé du
mot « lane » et plutôt « tain » s’il est précédé du mot « brain » (voir Shallice, 1988
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pour discussion). D’autres travaux montrent également un effet du voisinage ortho-


graphique lors de l’écriture de non-mots (Tainturier, 1996).

LA MÉMOIRE TAMPON GRAPHÉMIQUE

La mémoire tampon graphémique est une structure relais entre les processus centraux
et les processus phonologiques ou lexicaux. Elle est assimilée à une mémoire de tra-
vail spécifique du langage écrit qui stocke temporairement (ou maintient active) la
suite de graphèmes issue d’une procédure lexicale ou phonologique, durant le temps
nécessité par les opérations périphériques conduisant à la réalisation graphique.

Les représentations stockées à ce niveau sont de nature abstraite car l’infor-


mation peut être produite sous différentes formes : lettres en différents répertoires et
de taille variable, nom de lettre, etc. Wing et Baddeley (1980) ont suggéré que les uni-
tés graphémiques étaient agencées de façon linéaire et que toutes les lettres n’étaient
pas accessibles de la même façon : les lettres de milieu de mot étant plus sensibles à
des effets d’interférence. Ces hypothèses résultent de l’observation chez des sujets
normaux d’erreurs de lettres qui prédominent en milieu de mot et dont le nombre aug-
mente avec la longueur du mot. Caramazza et Miceli (1990) ont depuis proposé que
ces représentations graphémiques avaient une structure multidimensionnelle codant
l’identité du graphème, la catégorie consonne / voyelle, un indice de gémination et la
structure graphosyllabique (voir aussi Venneri, Cubelli et Caffarra, 1994 ; Badecker,
1996). L’argument en faveur d’une représentation structurée suivant les frontières syl-
labiques provient de l’observation d’un patient (L.B.) qui commettait, à nombre égal
de lettres, moins d’erreurs pour les mots à structure syllabique simple, régulière
(cvcvcv : tavolo) que pour les mots à structure syllabique complexe (ccvcvv : premio).
De plus il s’agissait bien d’un effet de la structure syllabique orthographique et non
phonologique dans la mesure où ce n’est pas le nombre de phonèmes par syllabe qui
influençait le taux d’erreurs, mais le nombre de graphèmes (Caramazza et Miceli,
1990). Toutefois cet effet n’a pas été observé dans d’autres langues que l’italien (Jons-
dottir, Shallice et Wise, l996).

Selon Caramazza, Capasso et Miceli (1996) la mémoire tampon graphémique


jouerait un rôle non seulement dans la production orthographique mais aussi en
reconnaissance visuelle en assurant le maintien de la séquence graphémique avant
l’accès au lexique orthographique d’entrée, ce maintien serait particulièrement néces-
saire lors de la lecture de non-mots.
510 Grandes fonctions psychologiques et leurs perturbations

La conception d’une mémoire tampon graphémique commune à l’écriture


manuscrite et à l’épellation orale a été remise en cause par plusieurs auteurs (Lesser,
1990 ; Hodges et Marshall, 1992 ; Pound, 1996). L’argumentation s’appuie sur
l’observation de patients qui ne présentent pas les mêmes effets de lexicalité et

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d’ambiguïté orthographique en écriture et en épellation, ce qui suggère une participa-
tion plus importante du tampon phonologique en épellation. Peu de travaux ont été
effectués chez des sujets normaux et ils montrent des résultats non concordants. Croi-
sile et al. (1996) n’ont pas relevé de différence entre les deux modalités de sortie
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quant au nombre d’erreurs non phonologiquement plausibles. Lambert et al. (1996),


dans un échantillon de population beaucoup plus grand, ont relevé un plus grand
nombre d’erreurs non phonologiquement plausibles en épellation orale. L’interpréta-
tion de ce résultat met en avant une mobilisation des capacités de mémoire de travail
plus importante dans cette modalité qu’en écriture manuscrite en raison du manque
de familiarité de la tâche et de l’absence de feed-back visuel.

● Processus périphériques
Les processus périphériques (figure 24.3) participent à la transformation des unités
graphémiques abstraites en productions concrètes : écriture de lettres pour l’écriture
manuscrite, nom de lettre en épellation orale ou choix des touches en dactylographie.
Trois types de processus sont décrits pour l’écriture manuscrite : le système allogra-
phique, le système des programmes moteurs graphiques et le code graphique (Ellis,
1982, 1988 ; Margolin et Goodman-Schulman, 1992 ; Goodman et Caramazza,
1986 ; voir aussi pour revues de question Lambert 1996 ; Eustache et al., 2004 ; Zesi-

Mot entendu

Voie phonologique Voies lexicales

Buffer graphémique

Eppellation orale Système allographique

MAJUSCULE MAJUSCULE
casse

Lettres mobiles minuscule minuscule

imprimerie style cursive

Figure 24.3
Programmes moteurs graphiques
Représentation
schématique des processus
périphériques de l’écriture Code graphique
d’après Margolin
et Goodman-Schulman
Écriture
(1992).
Langage et parole 511

ger, 1995). Toutefois la conception d’un système de conversion allographique indé-


pendant est fragile et soumise à controverse.
LE SYSTÈME ALLOGRAPHIQUE

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Le système allographique est la première étape des mécanismes périphériques. Il a
pour fonction la sélection de l’allographe, c’est-à-dire le choix de la forme générale de
la lettre en fonction du type de répertoire requis. Quatre possibilités sont offertes sui-
vant le style (cursive vs script) et la casse (minuscule vs majuscule). Selon Ellis (1982),
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ces représentations allographiques, stockées à long terme sont assimilées à une des-
cription spatiale qui spécifie la forme générale de la lettre mais non sa taille absolue
dans la mesure où des réalisations différentes peuvent encore être effectuées. Pour
Margolin (1984), cette étape interviendrait non seulement dans l’écriture manuscrite
mais dans toute forme de production orthographique ayant un support visuel, telle que
la dactylographie ou l’écriture avec des lettres mobiles. Cette notion est toutefois
controversée par certains auteurs (Black et al., 1989 ; Ellis, 1988 ; Rapcsak, 1997) qui
proposent que les mécanismes périphériques de la dactylographie ou de l’écriture avec
des anagrammes divergent de ceux de l’écriture manuscrite avant le système allogra-
phique. Ainsi le système allographique ne serait pas impliqué dans des tâches de
reconnaissance de lettres qui mettent plutôt en jeu des mécanismes d’analyse ortho-
graphique propres au système de lecture (Rapp et Caramazza, 1997). Les répertoires
étudiés se limitent le plus fréquemment à l’opposition majuscule scripte vs minuscule
cursive qui représentent les modes d’écriture les plus familiers. L’observation en neu-
ropsychologie d’une double dissociation suggère l’existence de représentations indé-
pendantes entre majuscules et minuscules. Enfin, l’accès aux représentations
allographiques pourrait être influencé par la similarité spatiale ou visuelle (Goodman
et Caramazza, 1986 ; Zesiger, Martory et Mayer, 1997).
LE SYSTÈME DES PROGRAMMES MOTEURS GRAPHIQUES
Les programmes moteurs graphiques représentent des informations spatio-temporel-
les qui spécifient la séquence, la direction et la taille relative des traits constitutifs
d’un allographe mais pas la taille absolue ni la durée de réalisation de la lettre. Ils per-
mettent la réalisation rapide et automatique du scripteur entraîné. Le programme
moteur est encore de nature abstraite (Van Galen, 1980) dans la mesure où il est indé-
pendant des effecteurs utilisés (muscles distaux ou proximaux suivant le support
utilisé : feuille ou tableau par exemple). Les études en psychologie expérimentale
attestent effectivement de constantes temporelles et spatiales entre productions effec-
tuées avec différents effecteurs (Zesiger, 1995, pour revue). L’étude des agraphies
suggère là aussi l’existence de répertoires distincts pour les majuscules et les minus-
cules. La fréquence, la similarité spatiale et/ou grapho-motrice sont des variables
pouvant influencer l’accès aux programmes moteurs et conditionner les erreurs.
CODE GRAPHIQUE
Le code graphique fait référence à la traduction des programmes moteurs en informa-
tions neuro-musculaires commandant les muscles du système effecteur mis en jeu.
512 Grandes fonctions psychologiques et leurs perturbations

Trois composantes contribuent à la paramétrisation de ces informations : la taille


absolue des traits, leur durée et la force musculaire.
L’existence de deux étapes successives – sélection allographique puis activa-

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tion des programmes moteurs graphiques – a été remise en question (Shallice, 1988 ;
Van Galen 1991). Van Galen propose une étape de sélection allographique qui se dif-
férencie de la définition proposée plus haut par Ellis (1982) ou Margolin (1984). Il
envisage la sélection de l’allographe comme l’activation de programmes moteurs
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répondant, d’une part, au mode d’écriture exigé par le contexte (minuscules, majus-
cules, cursives, script) et, d’autre part, à la représentation graphémique activée (main-
tenue au niveau du buffer graphémique). Lors de l’analyse d’erreurs de substitutions
de lettres, Rapp et Caramazza (1997) ont récemment donné des arguments ne soute-
nant pas l’hypothèse d’une représentation de la forme des lettres dont la nature serait
uniquement visuo-spatiale. Ils postulent l’existence d’une représentation de la forme
des lettres de nature abstraite, indépendante des effecteurs utilisés, qui reposerait sur
les caractéristiques des traits constitutifs d’une lettre. Le choix du répertoire d’écri-
ture, c’est-à-dire de la casse, pourrait s’effectuer indépendamment de la forme de la
lettre.
LES MÉCANISMES DE LA COPIE
Margolin (1984) distingue deux stratégies possibles pour la copie. La première, de
type « lexical », emprunte les mécanismes d’écriture manuscrite décrits ci-dessus.
Dans la seconde, de type pictural, le mot est traité comme un dessin ou une forme sans
signification et fait alors appel non plus aux programmes moteurs graphiques mais à
des capacités visuo-constructives. La stratégie picturale serait ineffective lors de dif-
ficultés constructives associées (Cipolotti et Denes, 1989). Confortant cette notion de
stratégie picturale, Zesiger, Martory et Mayer (1997) ont montré que lors d’une per-
turbation des programmes moteurs, la production de lettres spatialement correctes,
bien que lentement formées, était possible. Cette réalisation serait assurée par un sys-
tème générant des trajectoires en deux dimensions et guidée par le système allogra-
phique dans l’exemple de lettres ou par une composante de mémoire visuelle dans le
cas de dessins ou de symboles graphiques non fréquents.

 Pathologie

● Déficit des processus centraux


AGRAPHIE LEXICALE
Ce syndrome résulte de l’atteinte de la voie lexicale d’écriture. Le premier cas d’agra-
phie lexicale a été publié par Beauvois et Derouesné (1981). La caractéristique prin-
cipale est un effet de régularité orthographique qui révèle plus d’erreurs pour les
mots ambigus ou irréguliers que pour les mots réguliers. Les patients produisent des
erreurs phonologiquement plausibles montrant qu’ils s’appuient sur une procédure
d’écriture de type phonologique (râteau ➞ rato, femme ➞ fame). Les règles de cor-
respondance phonème-graphème les plus communes dans la langue semblent plus
Langage et parole 513

souvent utilisées par les patients. Un effet de fréquence des mots fait également partie
du tableau. Ces difficultés suggèrent que les patients ne connaissent plus ou n’ont
plus accès à la représentation orthographique des mots. Quelquefois, un accès partiel
à cette représentation orthographique peut conduire à des erreurs non phonologique-

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ment plausibles (printemps ➞ prinpemt). Un tableau d’agraphie lexicale peut égale-
ment résulter d’une perturbation au niveau du système sémantique (Tainturier, 1996),
mais dans ce cas l’écriture sous dictée serait préservée (vs dénomination écrite et écri-
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ture spontanée perturbées) dans la mesure où les représentations orthographiques


peuvent être accessibles à partir de la voie lexicale directe (lexique phonologique ➞
lexique orthographique). L’écriture des homophones non homographes (ex : mets –
mai ; vin – vingt) serait, elle, perturbée quelle que soit la tâche dans la mesure où leur
production nécessite une levée d’ambiguïté au niveau du système sémantique. Ce
dernier tableau est aussi appelé « écriture asémantique ».

AGRAPHIE PHONOLOGIQUE

L’agraphie phonologique a été décrite pour la première fois par Shallice (1981). Ce
syndrome résulte d’une perturbation de la voie phonologique qui affecte toujours les
capacités de correspondance phonème-graphème et, de façon moins constante, les
capacités de segmentation d’un mot en ses constituants phonologiques. Il se mani-
feste par une difficulté à écrire des non-mots qui suscite soit des absences de réponse,
soit des erreurs non phonologiquement plausibles, soit des erreurs de lexicalisation
(production d’un mot de la langue ayant le plus souvent une similarité phonologique
avec le stimulus : drito ➞ râteau). Les mots sont mieux préservés mais révèlent un
effet de classe : les noms sont mieux écrits que les adjectifs, les verbes et les mots
grammaticaux. Des absences de réponse, des substitutions intra classe et parfois des
erreurs dérivationnelles (ex : chanteur ➞ chanson) sont notées. Un effet d’imageabi-
lité est souvent rapporté. Il montre de meilleures performances pour les noms d’une
valence d’imagerie élevée (ex. : eau) que pour les noms abstraits non imageables
(ex. : morale). Il est important de s’assurer que les difficultés notées lors de la dictée
ne résultent pas d’un déficit de compréhension ou d’analyse auditive. L’écriture de
phrases révèle un aspect « agrammatique » avec la préservation des mots lexicaux et
de fréquentes omissions ou erreurs touchant les mots grammaticaux (garçon… esca-
beau… attraper les gâteaux).

AGRAPHIE PROFONDE

L’agraphie profonde montre les caractéristiques de l’agraphie phonologique plus des


erreurs sémantiques qui surviennent en dictée ou en dénomination écrite (crayon ➞
devient stylo). Ce tableau a été interprété comme la résultante d’un déficit de la voie
phonologique associé à la perturbation partielle de la voie lexicale. La préservation
de la compréhension constitue un argument en faveur de l’atteinte des représentations
orthographiques elles-mêmes ou de leur accès plutôt qu’en faveur d’un trouble
sémantique.
514 Grandes fonctions psychologiques et leurs perturbations

AGRAPHIE PAR ATTEINTE DE LA MÉMOIRE TAMPON GRAPHÉMIQUE


Une atteinte de la mémoire tampon graphémique correspond à une réduction des
capacités de maintien temporaire des informations graphémiques. La première obser-

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vation illustrant ce syndrome est celle de L.B. (Caramazza et al., 1987). La caracté-
ristique principale de ce syndrome est l’occurrence d’erreurs non phonologiquement
plausibles (substitutions, omissions ou transpositions de lettres) avec un effet de lon-
gueur du mot, c’est-à-dire une probabilité d’erreurs plus grande pour les mots longs
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(nombre de lettres élevé) que pour les mots courts. Elles affectent aussi bien les mots
que les non-mots et sont observées quelle que soit la tâche d’écriture (dénomination,
dictée). Leur distribution montre une courbe en U renversé avec une prédominance
des erreurs en milieu de mot. Cette distribution peut être modifiée lorsque le patient
présente des troubles hémi-attentionnels associés. Ainsi le patient M.L., qui souffrait
d’un déficit attentionnel gauche produisait plus d’erreurs en début de mot, alors que
DH qui présentait une négligence droite commettait plus d’erreurs vers la fin des mots
(Hillis et Caramazza, 1989). De plus, Badecker, Hillis et Caramazza (1990) ont mon-
tré qu’à nombre de lettres égal, les mots comportant plusieurs morphèmes (para/
pluie) suscitaient moins d’erreurs que les mots monomorphémiques (moustache).
● Déficit des processus périphériques
Alors que les syndromes « centraux » décrits ci-dessus montrent un profil de pertur-
bation équivalent en écriture et en épellation orale, l’atteinte des mécanismes périphé-
riques affecte principalement l’écriture manuscrite sans retentir sur l’épellation orale.
PERTURBATION DU SYSTÈME ALLOGRAPHIQUE
Une perturbation du système allographique est supposée retentir sur le choix de la
forme générale de la lettre et du répertoire utilisé. Le nombre restreint d’observations
publiées et la disparité des sémiologies attachées à cette même étiquette oblige à une
certaine prudence dans la définition de ce syndrome.
Plusieurs types d’erreurs ont été relevés :
– mélange à l’intérieur d’un même mot de lettres appartenant à différents réper-
toires (SiMBOlA, StAtO, Bol VA, De Bastiani et Barry, 1989) ;
– difficulté à produire une lettre dans un répertoire donné (prédominant pour
les minuscules, Patterson et Wing, 1989 et pour les majuscules, observation
de Barry 1985, rapportée par Patterson et Wing, 1989) ;
– substitutions de lettres montrant des similarités spatiales ou visuelles (Good-
man et Caramazza, 1986).
Le trouble peut également se manifester par un temps de préparation à l’écri-
ture anormalement long en présence d’un temps d’exécution normal (Patterson et
Wing, 1989), cet allongement suggérant un processus de recherche de la forme de la
lettre. Les erreurs surviennent lors de l’écriture de mots ou de lettres isolées (dictée
ou épreuve de transcodage demandant la production d’une lettre dans un autre réper-
toire, A ➞ a ou a ➞ A). Bien que la perturbation de l’imagerie interne relative à la
connaissance de la forme des lettres constitue un argument en faveur d’une atteinte
allographique, elle n’a été que rarement recherchée.
Langage et parole 515

Cette atteinte allographique a été également rapportée chez des patients souf-
frant d’une démence de type Alzheimer (Eustache et al., 2004, pour revue ; Hughes,
Graham, Patterson et Hodges, 1997 ; Lambert et al., 2007) ou d’une dysgraphie pro-
gressive (Graham, Patterson et Hodges, 1997).

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PERTURBATION DES PROGRAMMES MOTEURS GRAPHIQUES
Deux tableaux ont été distingués.
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Dans le cas de difficultés d’accès aux patrons moteurs graphiques – agraphie


transitionnelle selon la terminologie de Margolin (1984), les lettres sont en général
bien formées mais le patient commet des erreurs de substitution pour lesquelles des
effets de similarité spatiale et/ou grapho-motrice (Lambert, Viader, Eustache et
Morin, 1994) ou encore des effets de fréquence des lettres (Black et al., 1989) ont été
relevés. La perturbation des programmes moteurs forme le tableau classique d’agra-
phie apraxique. La réalisation des lettres est lente et difficile, conduisant à des distor-
sions dans la production ou l’agencement des traits (Kartsounis, 1991 ; Anderson et
al., 1990) et ce en l’absence de trouble sensori-moteur. Les patients gardent une
bonne connaissance de la forme des lettres (testée par description orale ou en réponse
oui/non à des questions). Une dissociation entre la préservation de majuscules et la
perturbation de minuscules a été rapportée (Kartsounis, 1992). De plus, Anderson et
al. 1990 ont montré que l’écriture des lettres pouvait être affectée indépendamment
de celle des nombres. Enfin, la difficulté à réaliser correctement les lettres peut
s’observer en dehors de toute apraxie gestuelle ou constructive. Mais leur association
est possible et la présence de troubles visuo-constructifs va alors perturber la possibi-
lité de copie par une voie picturale.
La lecture attentive et détaillée des cas publiés montre que certains tableaux
cliniques très similaires donnent parfois lieu à des interprétations différentes quant à
la localisation du déficit lésionnel. Ces différends attestent de la fragilité du modèle
à trois étapes, comme nous l’avons déjà souligné plus haut. Afin de guider le prati-
cien, nous rappellerons que, dans le cadre théorique d’un modèle à deux étapes dis-
tinctes (système allographique et système des patrons moteurs graphiques), les
hypothèses suivantes peuvent être posées :
• Un déficit allographique devrait se manifester dans toutes les tâches où la
forme de la lettre est demandée au patient, c’est-à-dire écriture sous dictée,
imagerie, transcodage, mais pas en copie où la forme de la lettre lui est pré-
sentée. De plus, selon Rapp et Caramazza (1997), les erreurs de substitution
provoquées par un tel dysfonctionnement devraient montrer des similarités
visuo-spatiales avec la lettre cible. Un déficit des patrons moteurs graphiques
(y compris déficit d’accès) devrait apparaître dans toutes les tâches nécessi-
tant la réalisation concrète de la lettre, c’est-à-dire la dictée, le transcodage,
mais pas l’imagerie. La copie pourrait être nettement améliorée dans le cas
de l’utilisation possible d’une stratégie de type picturale.
• Lors d’atteintes périphériques, les dissociations rapportées entre les différents
répertoires d’écriture vont beaucoup plus fréquemment dans le sens d’une
516 Grandes fonctions psychologiques et leurs perturbations

atteinte des minuscules cursives. Plusieurs interprétations ont été proposées :


les minuscules seraient moins distinctes sur le plan visuel et demanderaient des
habiletés de planification motrice plus complexes que les majuscules (Labarge
et al., 1992 ; Graham et al., 1997) ; les majuscules pourraient être plus résistan-

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tes parce que souvent apprises les premières (Hughes et al., 1997).
PERTURBATION DU CODE GRAPHIQUE
Cette perturbation, appelée encore trouble d’exécution motrice (Ellis, 1988) est la
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conséquence d’un déficit de commande musculaire dans ses composantes de paramé-


trisation et/ou d’initiation. Ces déficits sont observés par exemple dans la micro-
graphie de la maladie de Parkinson, la macrographie de la maladie de Huntington ou
encore dans les désordres cérébelleux. L’étude des paramètres de force, vitesse, taille
a bénéficié ces dernières années du développement d’outils d’une grande précision
comme les tablettes graphiques digitalisées.

24.5.4 Les alexies


A. Historique et classification
À la fin du XIXe siècle, Dejerine décrivit deux types d’alexies : l’alexie avec agraphie
(Dejerine, 1891) et l’alexie pure (Dejerine 1892).
L’alexie pure représente un trouble isolé de la lecture des lettres et des mots
qui évolue souvent vers une lecture de type lettre à lettre. Ce trouble est limité au canal
visuel et les patients peuvent identifier par le toucher des lettres en relief et réussissent
à reconstituer des mots à partir de lettres épelées par l’examinateur. Ils peuvent écrire
mais ne peuvent se relire. D’autres troubles visuels sont fréquemment observés : une
hémianopsie latérale homonyme droite complète ou non, un trouble de la vision des
couleurs, beaucoup plus rarement une agnosie visuelle pour les objets et les images.
Les lésions responsables siègent toujours dans le lobe occipital dominant. Il s’agit le
plus souvent d’un infarctus du territoire de la cérébrale postérieure ou de lésions tumo-
rales détruisant la région calcarine et le splenium du corps calleux, réalisant ainsi une
dysconnexion entre informations visuelles et aires du langage de l’hémisphère gauche.
L’alexie pure a reçu différents noms, notamment celui d’alexie agnosique.
L’alexie-agraphie est assimilée à un « illettrisme acquis ». Le patient pré-
sente une alexie verbale et littérale et une quasi-impossibilité à écrire des lettres ou
des mots alors que les chiffres sont préservés. Il s’agit selon Dejerine de la perte des
images optiques des lettres en rapport avec une lésion du gyrus angulaire de l’hémis-
phère dominant. Cette atteinte centrale du langage écrit explique qu’elle touche ses
deux modalités : réceptive et expressive. L’histoire montre que sous cette étiquette
sont regroupés des troubles assez hétérogènes : altération ou préservation du gra-
phisme (Benson et Cummings, 1985), jargonnagraphie (Lecours et Lhermitte, 1979),
altération minime montrant seulement une dysorthographie et une dyssyntaxie. Ce
tableau peut être isolé ou associé à des signes d’aphasie amnésique ou d’aphasie de
Langage et parole 517

Wernicke. Il est fréquent d’observer d’autres signes d’atteinte pariétale, tels que
apraxie constructive et idéomotrice, syndrome de Gerstmann.
Un troisième type d’alexie (« troisième alexie » ou alexie frontale) a été

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décrit par Benson (1977). Il résulte de lésions antérieures et se trouve souvent associé
à une aphasie de Broca. La lecture des lettres est très déficitaire alors qu’un certain
nombre de mots, notamment concrets, sont lus globalement. La lecture et la compré-
hension sont meilleures pour les mots que pour les phrases. Ce syndrome aurait en
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fait été décrit auparavant en 1892 par Freud (Morin et al., 1990).

B. Approche cognitive
 Modélisation
Les modèles cognitifs sériels à deux voies représentent le support théorique le plus
répandu en neuropsychologie en vue de l’évaluation et de l’interprétation des trou-
bles. Les modélisations connexionnistes sont plus présentes que pour l’expression
écrite et nous en donnerons un exemple.
La modélisation des mécanismes de lecture à haute voix s’articule autour
d’un module d’analyse visuelle et de deux procédures de lecture : lexicale et phono-
logique (Coltheart, Patterson et Marshall, 1980, 1987 ; Ellis et Young, 1996 ; voir
aussi Carbonnel, 1996 ; Valdois et de Partz, 2000, pour revues de question) qui
convergent vers la mémoire tampon phonologique et la mise en jeu des programmes
moteurs articulatoires (figure 24.4). Cette distinction repose sur l’hypothèse que les
mots et les non-mots ne font pas appel aux mêmes mécanismes. Cette conception

non-mots
mots

Analyse visuelle

Lexique orthographique d’entrée

Conversion Système sémantique


graphème-phonème

Lexique phonologique de sortie

Mémoire tampon phonologique

Figure 24.4
Mécanismes articulatoires Représen-tation schématique des
Production orale
processus impliqués en lecture.
518 Grandes fonctions psychologiques et leurs perturbations

s’oppose à d’autres propositions qui suggèrent que les non-mots peuvent être traités
comme des parties de mots par analogie lexicale (voir infra et plus particulièrement
l’ouvrage de Shallice, 1988).

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● Processus périphériques
L’analyse visuelle regroupe différentes opérations, qui assurent l’identification des
lettres et leur position dans un mot. Il s’agit du traitement des propriétés visuelles
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suite à une analyse rétino-centrée en traits et de l’identification des lettres suite à une
analyse de regroupement des traits, centrée sur le stimulus. Ces processus visuels pré-
coces conduisent à une représentation graphémique (Caramazza et Hillis, 1990),
maintenue en mémoire – mémoire tampon graphémique suivant une dimension abs-
traite indépendamment des propriétés physiques visuelles initiales du stimulus perçu.
Selon Caramazza, Capasso et Miceli (1996), ce processus serait commun à la lecture
et à l’écriture. Par ailleurs, ces différentes opérations seraient sous l’étroite dépen-
dance de processus attentionnels : positionnement d’une fenêtre de traitement et fil-
trage de l’information non pertinente (Siéroff, 1996, 1998).

● Processus centraux
La voie phonologique (ou procédure d’assemblage phonologique) repose sur la
notion que la lecture peut s’effectuer à partir de procédures de conversion des graphè-
mes en phonèmes. Ainsi, à partir du module d’analyse visuelle, les informations écri-
tes (graphème, c’est-à-dire lettre ou groupe de lettres correspondant à un phonème)
seraient converties en phonèmes, lesquels seraient assemblés en vue de la prononcia-
tion. Il est possible, suivant cette procédure, de lire efficacement des mots réguliers
et des non-mots mais pas des mots irréguliers. Selon Alegria et Morais (1996), si ce
déchiffrage laborieux, graphème par graphème, correspond au comportement du lec-
teur débutant, il semble que le lecteur habile opère sur des unités sous-lexicales plus
larges : ensemble de lettres et séquences phonologiques correspondantes qui permet
de tenir compte du contexte (c ➞ devant e, i mais c ➞ k devant a, o, ou). De plus,
chez le lecteur habile, l’utilisation d’une procédure par assemblage phonologique
serait totalement automatisée.
La voie lexicale (ou procédure d’adressage), à partir du module d’analyse
visuelle, suppose l’activation d’une représentation orthographique dans le lexique
orthographique d’entrée et celle de la représentation sémantique correspondante dans
le système sémantique qui, à ce stade seulement, va permettre d’extraire la significa-
tion du stimulus. Ces étapes de traitement sont suffisantes pour une lecture de type
silencieuse. La lecture à haute voix nécessite l’implication de mécanismes communs
à la production orale en général. Il s’agit de l’activation de la forme phonologique
correspondante dans le lexique phonologique de sortie et de l’implication de la
mémoire tampon phonologique, relais obligé de toute expression orale et des méca-
nismes articulatoires.
Cette voie lexicale dite « lexico-sémantique » a été décrite initialement par
Marshall et Newcombe (1973). Les modèles suggèrent, depuis, l’adjonction d’une
Langage et parole 519

voie lexicale directe reliant le lexique orthographique d’entrée au lexique phonologi-


que de sortie sans activation sémantique (Newcombe et Marshall, 1980 ; Morton et
Patterson, 1980). Elle semble confirmée par l’observation de patients qui peuvent lire
correctement à haute voix des mots irréguliers sans pouvoir en saisir la signification

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(Schwartz, Saffran, Marin, 1980).
Les voies lexicales (lexico-sémantique et directe) seraient impliquées dans la
lecture des mots, réguliers ou irréguliers pour lesquels le lecteur a construit des repré-
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sentations, mais non pour les mots nouveaux ou les non-mots.


Des auteurs (Kay et Marcel, 1981) réfutent l’hypothèse d’une procédure de
conversion graphème-phonème autonome et proposent un système d’analogie lexi-
cale montrant une indication des procédures de lecture infra-lexicale avec le traite-
ment d’un mot entier (voie lexicale non sémantique). L’argument principal est
l’influence des mots sur la lecture de non-mots parmi lesquels ils sont présentés
(« nouch » est prononcé différemment s’il a été précédé de « touch » ou de
« couch »).
Le lexique orthographique d’entrée représente l’ensemble des représenta-
tions orthographiques stockées en mémoire et acquises suite à la confrontation mille
fois répétée du lecteur à la présentation et à l’identification des mots. Ces représenta-
tions concernent uniquement des mots mais pas les non-mots qui constituent des sti-
muli visuels nouveaux, jamais vus auparavant. Le lexique orthographique a donc une
fonction de reconnaissance des mots qui sont connus ou familiers, indépendamment
de leur signification et il joue un rôle essentiel dans des épreuves de décision lexicale
en réfutant les non-mots n’ayant pas de représentation stockée. On attribue aux repré-
sentations orthographiques une structure multidimensionnelle codant le niveau sylla-
bique, le niveau squelettique (statut consonne/voyelle), le niveau graphémique
(identité des graphèmes) et la notion de graphèmes géminées ou non. La procédure
d’accès lexical opère au niveau du mot entier et également de ses constituants mor-
phémiques (décomposable, dé+compos+able ; Hillis et Caramazza, 1992). L’activa-
tion des représentations serait fonction de la fréquence lexicale (seuil d’activation de
base plus élevé pour des mots de haute que de basse fréquence) et également de la
récence d’une présentation préalable. La présentation d’un stimulus visuel ne se limi-
terait pas à l’activation d’une unité lexicale mais induirait un réseau d’activations dis-
tribué aux items orthographiques proches. Les mots différant du stimulus par une
seule lettre sont les voisins orthographiques les plus proches. L’étendue du
« voisinage orthographique » exercerait également une influence sur la procédure
d’activation lexicale. Ainsi, Grainger et al. (1989) ont montré qu’un nombre impor-
tant de voisins orthographiques pouvait provoquer un effet facilitateur en réduisant le
temps de reconnaissance d’un mot, ou à l’opposé un effet inhibiteur provoquant une
augmentation du temps de reconnaissance dans la situation où le mot cible possède
de nombreux voisins orthographiques de fréquence plus élevée que la sienne.
L’hypothèse de deux lexiques orthographiques distincts, « d’entrée » pour la lecture
et « de sortie » pour l’écriture est fondée principalement sur l’observation en patho-
logie de dissociations chez un même patient cérébro-lésé révélant une agraphie de
520 Grandes fonctions psychologiques et leurs perturbations

surface sans dyslexie de surface ou une dysgraphie profonde sans dyslexie profonde.
Ces dissociations peuvent cependant être compatibles avec l’hypothèse d’un seul
lexique orthographique si les perturbations sont interprétées en termes de déficits

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d’accès spécifiques à chaque tâche (reconnaissance en lecture et production en écri-
ture) plutôt qu’en termes de dégradation des représentations orthographiques elles-
mêmes (Tainturier, 1996).
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 Pathologie

● Alexies périphériques
Plusieurs tableaux sont attribués à un déficit de l’analyse visuelle.

« L’alexie lettre à lettre » se traduit par une incapacité à lire des séquences de
lettres constituant des mots ou des non-mots. Certains patients présentent des difficultés
importantes à lire des lettres isolées. Un retard dans l’identification des lettres, des subs-
titutions entre lettres physiquement proches est observé ainsi qu’une augmentation des
difficultés lors de la présentation de mots longs. La nature perceptive des troubles est
particulièrement manifeste chez des patients qui indiquent une impression de chevau-
chement des lettres et qui sont améliorés par un espacement plus grand entre les lettres.
Dans certains cas, les patients parviennent à lire les lettres et ne réussissent que labo-
rieusement à lire les mots suite à un déchiffrage lettre après lettre, très coûteux en temps
et qui est révélé par un effet de longueur des mots. L’alexie lettre à lettre pourrait ainsi
résulter d’une perturbation soit de la composante d’identification des lettres, soit du
groupement des lettres, c’est-à-dire du traitement en parallèle des différentes lettres
constitutives d’un mot conduisant à une impossibilité à activer le lexique orthographi-
que d’entrée. Cette perturbation retentit sur la copie mais laisse intacte la capacité à épe-
ler, ou à reconnaître des items présentés dans d’autres modalités perceptives (lecture
auditive, reconnaissance par le toucher de lettres en relief).

Un déficit de la composante attentionnelle se manifeste sous plusieurs formes


(Ellis et Young, 1996, pour revue). La « dyslexie par négligence » est toujours asso-
ciée à une hémi-négligence spatiale unilatérale. Les patients font des erreurs respec-
tivement sur le début ou sur la fin des mots en cas de lésion hémisphérique droite ou
gauche. Il s’agit le plus souvent d’omission de lettres ou de substitutions. Ce trouble
est expliqué par un défaut d’encodage de l’identité des lettres en début ou en fin de
mots (Ellis et Young, 1996). La « dyslexie attentionnelle » rapportée par Shallice et
Warrington (1977) a pour caractéristique l’occurrence d’erreurs induites par des
migrations de lettres entre plusieurs mots (« win » et « fed » sont lus « fin » et
« fed »). Ce déficit apparaît surtout lors de la lecture de textes. Ce tableau peut
s’expliquer par une difficulté à traiter en parallèle les différentes lettres d’un mot, des
omissions de lettres au début ou à la fin de mots suivant la latéralisation lésionnelle.
Langage et parole 521

● Alexies centrales
ALEXIE PHONOLOGIQUE

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Sa principale caractéristique est une impossibilité à lire les non-mots (absences de
réponse, lexicalisations avec substitutions par des mots visuellement proches ou pro-
ductions de non-mots incorrects) et les mots non familiers alors que la lecture des mots
qu’ils soient d’orthographe régulière ou irrégulière est relativement bien préservée.
Beauvois et Derouesné (1979) l’ont attribué à une atteinte isolée de la procédure
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d’assemblage phonologique et les capacités du patient reposent essentiellement sur la


procédure d’adressage (voies lexico-sémantique et lexicale directe). Le déficit peut
être localisé au niveau de la segmentation graphémique, au niveau de la traduction des
graphèmes en phonèmes ou au niveau de l’étape d’assemblage. Un effet de classe des
mots avec de meilleures performances pour les noms que pour les mots grammaticaux
fait également partie du tableau (Shallice et Warrington, 1980 ; Patterson, 1982).
ALEXIE PROFONDE
Elle montre le patron d’erreurs de l’alexie phonologique et s’en différencie principa-
lement par la présence d’erreurs sémantiques. Ce tableau comporte également des
erreurs dérivationnelles (le morphème central est conservé mais l’affixe est erroné :
« chanteur » lu « chanson »), des erreurs visuelles ainsi qu’un effet d’imageabilité
(mots concrets mieux lus que mots abstraits non imageables) (Coltheart, 1980).
L’alexie profonde résulterait de la perturbation de la voie phonologique et d’une
atteinte partielle de la procédure lexicale (au niveau du système sémantique ou de ses
connexions). Plus précisément, il a été suggéré que la perturbation pourrait toucher la
voie lexicale directe et que les capacités de lecture du dyslexique profond refléte-
raient le fonctionnement de la voie lexicale sémantique, isolée de tout traitement pho-
nologique. Cette interprétation est par ailleurs compatible avec celle, issue d’une
toute autre approche, qui suggère que ces performances reposent sur les capacités de
l’hémisphère droit.
ALEXIE LEXICALE OU DE SURFACE
Elle se traduit par une incapacité à lire les mots à orthographe irrégulière ou inconsis-
tante alors que les mots réguliers et les non-mots sont préservés (Shallice, Warrington
et Mc Carthy, 1983). Les erreurs consistent en des régularisations résultant de l’appli-
cation des règles de correspondance graphème-phonème les plus usuelles (second ➞
/səkɔ̃ /, croc ➞ /kɔk/). Des erreurs visuelles peuvent être observées. L’alexique de
surface utiliserait principalement la voie d’assemblage phonologique. Toutefois, la
procédure lexicale est rarement totalement inopérante et un net effet de fréquence des
mots est noté. Plusieurs localisations du déficit au sein de la voie lexicale peuvent être
envisagées. En effet, deux tableaux sont distingués. Dans le premier, la compréhen-
sion est perturbée parallèlement à la lecture (gars est lu /a/ et le patient signifie que
ce mot a un rapport avec les trains ; les homophones sont particulièrement mal inter-
prétés. Le mécanisme lésé est alors localisé au niveau du lexique orthographique et
de ses connexions. Dans le second, la compréhension est préservée malgré une lec-
522 Grandes fonctions psychologiques et leurs perturbations

ture erronée. Le déficit interviendrait ici au niveau de l’accès au lexique phonologi-


que des sorties, à partir du système sémantique et du lexique orthographique d’entrée.
L’alexie phonologique et l’agraphie de même nom sont presque toujours

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associées mais il existe des exceptions, notamment un cas d’agraphie phonologique
sans alexie et un autre où l’alexie est de type lexical. L’association habituelle de
l’atteinte des deux modalités s’explique par la probable proximité de leurs supports
anatomiques (Roeltgen, 1985). L’agraphie lexicale est, elle aussi, habituellement
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associée à une alexie mais celle-ci est de type variable : lexicale, phonologique ou
sans spécificité. Les associations entre les deux grands types d’alexie ou d’agraphie et
les autres troubles des fonctions supérieures sont assez bien tranchées. Les troubles
phonologiques sont presque toujours associés à une aphasie, de type variable avec une
prédominance des aphasies de Broca. Les troubles lexicaux sont moins souvent en
liaison avec une aphasie mais davantage avec des symptômes évocateurs d’une lésion
pariétale : apraxie idéomotrice ou constructive, syndrome de Gerstmann. Un siège
plus pariétal des lésions, aux alentours du gyrus angulaire, peut être ainsi supposé.
● Approche connexionniste
Le principe général des modèles connexionnistes est fondé sur la notion que le traite-
ment de l’information relève d’une multitude d’unités élémentaires interconnectées.
Les principes de fonctionnement en sont les suivants (Content, 1996) :
– chaque unité est caractérisée par un niveau d’activation dont l’intensité
résulte de l’amplitude des signaux provenant des autres unités ;
– toutes les unités sont activées en parallèle ;
– les connexions sont de nature excitatrice ou inhibitrice ;
– la réponse à une stimulation dépend de la nature des connexions.
Une des premières modélisations connexionnistes des mécanismes de lecture
à haute voix a été conçue par Seidenberg et McClelland (1989). La structure générale
en est la suivante : trois couches d’unités connectées entre elles, codant chacune pour
des informations spécifiques (visuo-orthographique, phonologique ou sémantique).
Dans ce modèle, la prononciation d’un mot écrit peut s’effectuer soit par un réseau qui
connecte directement l’orthographe à la phonologie, soit par un réseau qui fait inter-
venir la couche sémantique. Seule la mise en application sur ordinateur d’un appren-
tissage résultant de connexions entre orthographe et phonologie avait été réalisée. Plus
récemment, un modèle connexionniste alternatif a été proposé par Ans, Carbonnel, et
Valdois (1998). Il repose sur une base d’apprentissage qui comporte à la fois des mots
entiers et les segments syllabiques de ces mots et permet d’obtenir des performances
de lecture tout à fait comparables à celles de sujets normaux en montrant notamment
les mêmes effets de fréquence et de régularité. De plus, deux lésions distinctes du sys-
tème aboutissent à des profils de lecture tout à fait proches des tableaux d’alexie de
surface et d’alexie phonologique rencontrés chez des patients. Ces résultats sont d’un
grand intérêt car ils confortent la double dissociation (relative à l’atteinte phonologi-
que vs lexicale de la lecture) mise en évidence en pathologie neuropsychologique qui
a parfois été remise en question (Carbonnel, 1996).
Langage et parole 523

24.5.5 Conclusion
L’approche cognitive de l’écriture et de la lecture montre au moins pour les processus
centraux une architecture générale très similaire basée sur des traitements, soit de

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type phonologique, soit de type lexical. L’indépendance des processus reste
discutée : est-il nécessaire de dissocier des lexiques d’entrée et de sortie ? Le buffer
graphémique intervient-il pour les deux types de tâches ?
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Note :
Aphasie chez les Japonais
B. Lechevalier et I. Miyazawa
Le langage des Japonais utilise trois sortes de symboles graphiques : les idéogram-
mes ou kanji (ji signifie langage), d’origine chinoise pour la plupart, dont le nombre
dépasse 2000, basés sur une représentation iconique, chacun a sa prononciation pro-
pre, différente dans la langue chinoise et dans la langue japonaise ; des symboles syl-
labaires ou kana dont il existe plusieurs types, qui permettent de représenter 51
syllabes, théoriquement on pourrait tout écrire en kana mais l’abondance des homo-
nymies fait qu’on ne peut se passer du kanji ; l’alphabet européen ou romanji qui
compte 26 lettres.
L’hémisphère cérébral droit intervient sans doute pour un part dans le kanji qui est
d’ailleurs mieux préservé que les kana au cours des lésions de l’hémisphère gauche
néanmoins, il n’existe pas d’observation connue d’aphasie spécialisée pour le kanji
en rapport avec une lésion de l’hémisphère droit tout au plus une certaine difficulté
d’ordre apraxique dans la réalisation des idéogrammes. A part cette discrète particu-
larité, au Japon, les mêmes types d’aphasies qu’en Europe sont décrits (Broca & Wer-
nicke) avec les mêmes localisations lésionnelles. Soulignons que l’apprentissage de
l’écriture est longue et difficile et se poursuit pendant les trois années de collège qui
suivent le primaire.

Aphasie en langue des signes


La langue des signes utilisée par les sourds n’est pas alphabétique, c’est un code ges-
tuel très élaboré. La langue des signes française (ou LSF) possède sa grammaire, sa
syntaxe, son dictionnaire et même sa poésie mais, même si elle peut être représentée
graphiquement, elle n’est pas une langue écrite, la lecture et l’écriture utilisent, au
prix d’une difficulté, le graphisme de la langue française. Hickok G., Kirk K., Bellugi
U. (1998) ont montré que chez le droitier, l’hémisphère cérébral gauche était dévolu à
la langue des signes. Ses lésions peuvent entraîner une aphasie en langue des signes à
distinguer d’une apraxie gestuelle ou d’un déficit visuo-spatial qui n’existent généra-
lement pas chez ces cérébro-lésés gauches chez le droitier.
524 Grandes fonctions psychologiques et leurs perturbations

24.6 Les dysarthries


Pascal Auzou

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24.6.1 Définition
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La dysarthrie est définie comme un trouble de la réalisation motrice de la parole, secon-


daire à des lésions du système nerveux central ou périphérique (Darley et al., 1975).
Ce terme englobe toute perturbation dans le contrôle neuromusculaire res-
ponsable d’un dysfonctionnement dans l’exécution de la parole. Il ne se limite donc
pas au seul trouble de l’articulation. Brain (1965) appelait dysarthrie les troubles de
l’articulation. Mais il définissait l’articulation comme la fonction motrice par laquelle
les mots étaient convertis en sons par l’action des lèvres, de la langue, du palais, des
cordes vocales et des muscles respiratoires. L’intégration de la respiration, de la pho-
nation et de la résonance dans l’analyse des dysarthries est maintenant largement
admise. Grewel (1957) a proposé le terme de dysarthro-pneumo-phonie pour rendre
compte de l’atteinte des différents niveaux de production de la parole. Si ce terme
décrit plus complètement les troubles observés au cours de la plupart des pathologies
neurologiques, il n’est cependant pas répandu dans la pratique courante.
Le terme de dysarthrie est actuellement utilisé pour nommer les troubles
moteurs de la parole d’origine neurologique à l’exclusion de l’apraxie de la parole.
Les perturbations qui en résultent retentissent sur la respiration, la phonation, l’arti-
culation, la résonance et la prosodie. Cette définition intègre les atteintes limitées à
un seul processus de la parole, telle qu’une altération de l’articulation isolée par
atteinte du XII, une atteinte palato-pharyngée isolée d’origine neurogène ou une dys-
phonie par atteinte nerveuse unilatérale d’une corde vocale.
Cette définition est par contre limitée aux troubles d’origine neurogène et ne
prend pas en compte les troubles mécaniques (fractures mandibulaires, fente pala-
tine…) retentissant sur la parole. Par ailleurs, elle considère habituellement les trou-
bles neurologiques acquis et non les troubles développementaux.

24.6.2 Classification des dysarthries


A. Historique des classifications
Les classifications peuvent a priori reposer sur des considérations neurologiques (étio-
logiques ou topographiques), physiopathologiques ou cliniques, voire combiner ces
différents points de vue. Il n’existe pas de classification qui repose sur une approche
purement sémiologique, opposant par exemple les dysarthries à débit normal et à débit
lent ou les dysarthries à voix rauque et à voix normale. Les principales classifications
proposées reposaient essentiellement sur une approche neurologique. Ainsi, les
dysarthries ont été classées selon l’âge de début (congénitales, acquises), selon l’étio-
Langage et parole 525

logie (vasculaire, néoplasique, traumatique, inflammatoire, toxique, métabolique,


dégénérative), selon les structures neuro-anatomiques atteintes (cérébrale, cérébel-
leuse, tronc cérébral, moelle, ou central versus périphérique), selon les nerfs crâniens
impliqués (V, VII, IX-XI, XII), ou la pathologie en cause (parkinsonisme, myasthénie,

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sclérose latérale amyotrophique…).
La classification la plus répandue actuellement est dite physiopathologique.
Elle provient des travaux de Darley et al. (1969 ; 1975). À partir d’une analyse per-
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ceptive, elle propose une description des anomalies selon les différents niveaux phy-
siologiques perturbés (respiration, phonation, résonance, articulation, prosodie).

B. Classification de Darley, Brown et Aronson


 Le système de cotation
Les travaux sur la classification ont été publiés dans deux articles par Darley et Aron-
son et Brown en 1969 (Darley et al., 1969) et repris dans l’ouvrage Motor Speech
Disorders en 1975. La classification provient d’une description perceptive des
anomalies. Ces anomalies ont ensuite été regroupées pour construire des hypothèses
physiopathologiques.
Les auteurs ont étudié sept groupes de patients (tableau 24.1). Chaque groupe
était constitué de 30 patients, à l’exception du groupe parkinsonisme qui en compor-
tait 32. Six types de dysarthries ont été définis :
• la dysarthrie spastique par atteinte bilatérale du motoneurone central, repré-
sentée par le groupe des atteintes pseudobulbaires, s’observe par exemple
dans les accidents vasculaires cérébraux ;
• la dysarthrie flasque par atteinte de la voie finale commune qui comprend les
nerfs périphériques, la jonction neuromusculaire et les muscles effecteurs de
la parole (exemple : myasthénie, myopathies) ;

Tableau 24.1
Groupe de patients étudiés (à gauche) et terminologie de la dysarthrie selon Darley et al. (1975).

Groupe pathologique Type de dysarthrie

Bulbaire Flasque

Pseudobulbaire Spastique

Lésions cérébelleuses Ataxique

Parkinsonisme Hypokinétique

Dystonie Hyperkinétique

Choréo-athétose Hyperkinétique

Sclérose latérale amyotrophique Mixte


526 Grandes fonctions psychologiques et leurs perturbations

• la dysarthrie ataxique par atteinte du cervelet ou des voies cérébelleuses ;


• la dysarthrie hypokinétique par atteinte des noyaux gris centraux avec la pré-
dominance d’une akinésie, comme dans la maladie de Parkinson ;

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• la dysarthrie hyperkinétique résultant d’un dysfonctionnement des noyaux
gris centraux avec la prédominance de mouvements anormaux comme dans
les dystonies ou la maladie de Huntington ;
• enfin, les dysarthries mixtes comprenant les troubles de la parole par atteinte
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de plusieurs systèmes neurologiques, représentées par le groupe de patients


atteints de sclérose latérale amyotrophique, s’observent aussi dans des patho-
logies telles que la sclérose en plaques ou les traumatismes crâniens.
Ultérieurement, l’équipe de la Mayo Clinic ajoutera deux catégories supplé-
mentaires (Duffy, 2005) :
• les dysarthries par atteinte unilatérale du premier neurone moteur ;
• les dysarthries d’étiologie indéterminée.

 Les principales anomalies perceptives


Les auteurs ont réalisé, pour chacun des patients, l’écoute d’un texte « Grand father
passage » et ont coté 38 paramètres regroupés en 7 catégories : hauteur, intensité,
qualité vocale, respiration, prosodie, articulation et une catégorie globale comprenant
les critères intelligibilité et bizarrerie de la parole. La cotation était effectuée selon
une échelle allant de 1 (normal) à 7 (perturbation maximale). Pour chaque groupe
pathologique, les paramètres les plus déviants étaient rapportés avec les scores
moyens obtenus. À titre d’illustration, le tableau 24.2 présente les paramètres ayant
obtenu une note moyenne supérieure à 1.5 dans le groupe hypokinétique.

Tableau 24.2
Principaux paramètres perturbés dans la dysarthrie hypokinétique. Les notes moyennes sont indi-
quée à droite (0 : normale ; 7 : perturbation maximale). Seuls les paramètres dont le score moyen
est supérieur à 1.5 sont rapportés.

Dysarthrie hypokinétique
Monotonie 4.64
Diminution accentuation 4.46
Mono-intensité 4.26
Imprécision consonnes 3.59
Silences inappropriés 2.40
Accélérations paroxystiques 2.22
Voix rauque 2.08
Voix soufflée (continue) 2.04
Hauteur 1.76
Débit variable 1.74
Langage et parole 527

La répartition de ces anomalies dans chacun des groupes est à la base de la


description classique des dysarthries. Ainsi, la dysarthrie parkinsonienne comporte
des troubles prosodiques (monotonie, mono-intensité, diminution de l’accentua-
tion…), des troubles de la voix (rauque, soufflée) et des troubles articulatoires

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(imprécision des consonnes). De nombreux critères déviants sont communs aux dif-
férents groupes.

 L’approche physiopathologique
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Une des originalités du travail de Darley et al. (1969) est d’avoir étudié les relations
entre les critères les plus déviants pour dégager des hypothèses physiopathologiques.
Au sein de chacun des groupes les auteurs ont repris les critères les plus déviants. Ils
ont étudié les corrélations deux à deux entre chacun de ces critères. Lorsque les scores
de deux critères étaient significativement corrélés et que cette liaison paraissait
physiologiquement pertinente, les auteurs regroupaient ces critères dans un même
ensemble, nommé « cluster ». Ainsi, chaque groupe pathologique se définissait non
seulement par un ensemble de critères, mais par un nombre plus restreint de clusters.
Au total 8 clusters différents ont pu être identifiés pour l’ensemble des groupes
(figure 24.5, voir cahier couleur). L’exemple du regroupement des critères en cluster
pour la dysarthrie hypokinétique est décrit dans la figure 24.6 (voir cahier couleur).

24.6.3 Description clinique des dysarthries


Quel que soit le type de dysarthrie, il existe un grand nombre de perturbations com-
munes. Ces perturbations concernent le fonctionnement des effecteurs et le retentis-
sement sur la production de la parole. Dans la majorité des cas, l’atteinte concerne la
plupart des effecteurs (étage respiratoire, larynx et cavités supra-laryngées). Le reten-
tissement sur la parole concerne la phonation, la résonance, l’articulation et la proso-
die. Les conséquences sur l’intelligibilité et le caractère naturel de la parole sont
variables.

A. La dysarthrie spastique
La dysarthrie spastique est due à une atteinte bilatérale des voies du premier moto-
neurone destinées aux noyaux du tronc cérébral. Les perturbations résultent des effets
combinés de la faiblesse et de la spasticité. Cette atteinte diffuse explique la sévérité
potentielle du trouble et la réduction fréquente de l’intelligibilité. Ceci conduit à des
mouvements lents avec une réduction de leur force et de leur amplitude.
La dysarthrie spastique est fréquemment d’origine vasculaire. Selon Duffy
(2005), « bien que la dysarthrie spastique ne puisse être associée à une étiologie uni-
que, l’origine vasculaire est plus fréquemment associée à la dysarthrie spastique qu’à
tout autre type de dysarthrie ». Elle fait alors volontiers partie du syndrome pseudo-
bulbaire qui associe des troubles de la déglutition et une libération de la mimique.
528 Grandes fonctions psychologiques et leurs perturbations

Dans les travaux de Darley et al. (1969), les principales anomalies percepti-
ves concernant les patients avec un syndrome pseudo-bulbaire étaient l’imprécision
des consonnes, la distorsion de voyelles, la monotonie, la diminution de l’accentua-
tion (dans les langues accentuées), la voix rauque, forcée ou étranglée, soufflée, la

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mono-intensité, l’aggravation de la hauteur, la lenteur du débit, le trouble de la réso-
nance nasale, les phrases courtes, les ruptures de phonation. Ces caractéristiques ont
été confirmées chez des patients avec un AVC associé ou non à un syndrome pseudo-
bulbaire. Les tâches de mouvements alternatifs rapides (répétitions de syllabes ou
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diadococinésies) ont été étudiées par des méthodes perceptives ou acoustiques chez
des patients avec une dysarthrie spastique. Ces mouvements sont ralentis par rapport
à ceux des sujets contrôles.

B. La dysarthrie par atteinte unilatérale du premier motoneurone


Ce type de dysarthrie est dû à l’atteinte unilatérale des premiers motoneurones à des-
tination des nerfs crâniens et spinaux qui contrôlent les muscles des effecteurs de la
parole. Cette atteinte peut toucher soit la voie directe (cortico-bulbaire ou cortico-spi-
nale), soit la voie indirecte. Les accidents vasculaires cérébraux (AVC) en constituent
la cause la plus fréquente. Elle peut constituer le trouble de la communication verbale
le plus marqué voire la seule manifestation de l’AVC. En cas de lésion unilatérale, la
dysarthrie est habituellement peu sévère et temporaire (Darley et al., 1975). Elle
n’avait donc pas fait l’objet d’un intérêt marqué ni d’une description systématique.
Son introduction dans la classification des dysarthries a été faite dans un second
temps.
La description clinique est habituellement limitée à quelques termes vagues
tels que « dysarthrie lente », « trouble d’articulation », « articulation inintelligible »…
La description la plus précise est rapportée dans l’ouvrage de Duffy (2005). Dans cette
étude, la cause de la dysarthrie était un AVC dans 91 % des cas. Le trouble était géné-
ralement peu sévère. Seule la moitié des sujets avait fait l’objet d’une rééducation et
92 % avaient présenté une amélioration au cours de la période de rééducation. La prin-
cipale anomalie perceptive était un trouble articulatoire (98 %). La phonation n’était
altérée que dans 57 % des cas, avec principalement une raucité. Le débit et la prosodie
étaient altérés chez 23 % des patients.
Cette dysarthrie a été plus fréquemment étudiée dans les cas d’infarctus de
petite taille et de lacunes. Elle appartient à certains des syndromes lacunaires classi-
ques comme l’hémiparésie motrice pure, l’hémiparésie ataxique et le syndrome
dysarthrie main malhabile. Les lésions sont principalement situées au niveau de la
capsule interne, du pont et de la couronne rayonnante. Ces syndromes sont probable-
ment dus à l’atteinte partielle des fibres constitutives du faisceau géniculé.

C. La dysarthrie flasque
La dysarthrie flasque correspond à une atteinte du nerf périphérique, de la jonction
neuromusculaire ou des muscles impliqués dans la production de la parole. La prin-
Langage et parole 529

cipale caractéristique physiopathologique est la paralysie et l’hypotonie des effec-


teurs. Ce groupe est hétérogène tant sur le plan étiologique que du site lésionnel. Il
est donc important de préciser le niveau lésionnel puisque les caractéristiques de la
parole en dépendent.

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Ces lésions peuvent être uniques comme, par exemple, dans les atteintes iso-
lées du nerf facial ou du nerf hypoglosse. Ainsi, une paralysie faciale unilatérale pro-
voque une distorsion des consonnes s’articulant principalement au niveau des lèvres
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(comme le /p/ ou le /b/). Lors d’une diplégie faciale, la difficulté à arrondir ou étirer
les lèvres aboutit également à une distorsion des voyelles. Les lésions peuvent tou-
cher plusieurs nerfs crâniens (V, VII, IX, X, XI et XII) ou rachidiens. La sévérité est
donc variable. On rattache également à ce type de dysarthrie les atteintes de la jonc-
tion neuromusculaire (comme dans la myasthénie) ou les atteintes des muscles effec-
teurs (par exemple dans la myopathie oculo-pharyngée).
L’atteinte multiple des nerfs crâniens, de la jonction neuromusculaire ou des
muscles effecteurs porte parfois le nom, anatomiquement impropre, de paralysie bul-
baire. Ce terme est plus utilisé pour décrire la gravité clinique que pour désigner le
niveau de dysfonctionnement. Dans ces cas, le larynx, la langue, les lèvres, la
mâchoire et le voile du palais peuvent être déficitaires. La dysarthrie est massive avec
une hypernasalité, un souffle nasal, une voix soufflée, rauque et hypophone. Les ins-
pirations peuvent devenir audibles. La parole est monotone et peu modulée en inten-
sité. La déperdition d’air se manifeste également par la brièveté des phrases. La
réalisation phonétique est altérée et concerne les consonnes et les voyelles. L’altéra-
tion primitive responsable de ces troubles phonétiques peut porter sur chacun des
effecteurs en cause (lèvres, langue, voile du palais, mandibule, pharyngo-larynx).

D. La dysarthrie ataxique (cérébelleuse)


La dysarthrie ataxique est due à une atteinte du cervelet ou des circuits cérébelleux.
Elle est la conséquence d’une altération du système d’organisation et du contrôle du
geste, plutôt qu’un trouble de l’exécution tel que l’on peut l’observer dans les autres
types de dysarthrie. Lorsque l’on écoute des patients avec une dysarthrie ataxique,
l’impression n’est pas celle d’une faiblesse musculaire, d’une résistance au mouve-
ment, ou d’une perte d’amplitude du mouvement, mais bien d’un geste insuffisam-
ment contrôlé ou coordonné (Duffy, 2005).
Les principales caractéristiques sont l’imprécision des consonnes, la dégra-
dation brusque de l’articulation, la distorsion des voyelles, la raucité de la voix,
l’allongement des phonèmes, l’allongement des pauses et la lenteur du débit (Darley
et al., 1975). Ces caractéristiques reflètent l’imprécision du contrôle gestuel articula-
toire et le trouble de la gestion du rythme notamment dans les mouvements répétitifs.
Il existe une altération de la prosodie. Certains locuteurs présentent une mau-
vaise gestion de l’intensité vocale conduisant à une parole explosive et une mauvaise
modulation des variations de hauteur et d’intensité. Ces anomalies, quand elles sont
présentes, sont tout à fait évocatrices d’une origine cérébelleuse du trouble. Un trem-
530 Grandes fonctions psychologiques et leurs perturbations

blement vocal à environ 3 Hz peut être observé. Il est causé par le tremblement des
muscles laryngés et respiratoires (Ackerman et Ziegler, 1991).
Un trouble de la résonance nasale peut également être observé. Il peut s’agir

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d’une hypo- ou d’une hypernasalité intermittente. Elle reflète probablement un défaut
de coordination du voile du palais au sein du geste articulatoire pour les consonnes
nasales.
Le mutisme d’origine cérébelleuse est une complication principalement
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décrite après chirurgie de la fosse postérieure. Il est le plus souvent observé chez les
enfants après résection d’une masse cérébelleuse. Cependant, des cas ont aussi été rap-
portés chez l’adulte ou après des lésions de nature vasculaire (Nishikawa et al., 1998).

E. La dysarthrie hypokinétique
La dysarthrie hypokinétique est la dysarthrie observée dans la maladie de Parkinson.
C’est le type de dysarthrie qui a été le plus étudié. Dans deux études portant sur
200 patients parkinsoniens chacune, un trouble de la parole a été observé respective-
ment dans 74 % (Ho et al., 1998) et 89 % des cas (Logemann et al., 1978). Les trou-
bles prédominaient au niveau laryngé. La fréquence des troubles articulatoires était
de moins de 45 % (Logemann et al., 1978). Au stade précoce de la maladie, les ano-
malies concernent essentiellement la qualité vocale et la prosodie, affectant le carac-
tère naturel de la parole mais avec préservation de l’intelligibilité. La progression de
la maladie s’exprime ensuite davantage par des troubles de l’articulation et du débit,
lesquels perturbent l’intelligibilité de façon plus nette.
Dans les travaux de Darley et al. (1969), les 10 caractéristiques les plus
déviantes étaient par ordre décroissant de sévérité : la monotonie, la réduction de
l’accentuation, la réduction de variation de l’intensité, l’imprécision des consonnes,
les pauses inappropriées, la présence d’accélérations paroxystiques du débit, la rau-
cité de la voix, la voix soufflée, une hauteur anormalement basse et un débit variable
avec une tendance à l’accélération.
La dysprosodie est souvent le premier signe de la dysarthrie parkinsonienne
et semble résister aux traitements médicamenteux. Les modulations de l’intensité et
la hauteur sont réduites. Il existe également des troubles du déroulement temporel de
la parole. Le débit peut être normal voire ralenti (Metter et Hanson, 1986). Il est rap-
porté comme typiquement « variable » (Darley et al., 1969 ; Metter et Hanson, 1986).
Sur une série de 67 patients, Dordain et al. (1978) rapportaient 35 % de débit accéléré,
3 % de débit très accéléré, et 62 % de débit normal ou diminué. Certains parkinso-
niens parlent plus vite que des sujets témoins (Metter et Hanson, 1986). Cette tachy-
phémie est rare mais caractéristique. Elle oppose en effet ces locuteurs à tous les
autres types de dysarthries dans lesquels le trouble du débit s’exprime sous la forme
d’un ralentissement.
La voix peut être altérée dans ses caractéristiques physiques primaires (hau-
teur, intensité) et dans sa qualité (timbre). La voix parkinsonienne est rapportée
comme plus aiguë ou plus grave selon les auteurs. L’hypophonie peut être perma-
Langage et parole 531

nente ou s’aggraver progressivement au cours de la parole. La qualité de la voix est


également altérée : elle devient éraillée et soufflée. Dans l’étude de Logemann et al.
(1978) sur 200 patients, 89 % ont une anomalie de la qualité vocale (74 % voix
éraillée, 15 % voix soufflée). Un tremblement vocal est parfois rapporté.

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Les problèmes articulatoires sont parfois au premier plan de la symptomato-
logie (Darley et al., 1975 ; Logemann et al., 1978 ; Logemann et Fisher, 1981). Il
s’agit essentiellement d’une imprécision lors de la production des consonnes.
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L’erreur la plus fréquente est la transformation des consonnes occlusives en un pho-


nème mal articulé qui se rapproche d’une fricative. Ainsi, le /p/ et le /b/ se rappro-
chent respectivement du /f/ et du /v/. Le /t/ ou le /d/ se rapprochent du /s/ et du /z/.
Ceci est lié à l’occlusion incomplète du conduit vocal qui aboutit à un échappement
continu du flux aérien avec un bruit de friction surajouté. L’existence d’une hyperna-
salité est controversée.

F. La dysarthrie hyperkinétique
Les dysarthries hyperkinétiques résultent d’un dysfonctionnement des noyaux gris
centraux. Elles sont caractérisées par la présence de mouvements anormaux divers
(chorée, dystonie, dyskinésie, tremblement) qui interrompent l’exécution normale de
la parole. Ce groupe rassemble un ensemble hétérogène tant sur le plan étiologique
que sémiologique.
Un exemple classiquement décrit de dysarthrie hyperkinétique est celui de la
dysarthrie observée dans la maladie de Huntington où il existe des mouvements cho-
réiques. Tous les étages de la parole sont affectés. Les mouvements choréiques sont
présents au repos et lors de la parole. La particularité essentielle de la dysarthrie cho-
réique est sa variabilité dans le temps, liée à l’imprévisibilité du siège et du moment
de survenue des mouvements anormaux. En effet, lorsque l’on demande au patient de
répéter la même phrase à plusieurs reprises, les anomalies observées ne sont pas les
mêmes. Les critères déviants les plus spécifiques sont des inspirations ou expirations
soudaines, des variations excessives d’intensité, des arrêts vocaux brutaux et une voix
soufflée de façon intermittente. Les autres anomalies fréquentes sont une voix étran-
glée et forcée, des silences inappropriés ainsi qu’une accentuation excessive ou insuf-
fisante. Les troubles prosodiques sont majeurs et constituent l’anomalie perceptive la
plus fréquente. Le débit est variable, parfois lent, luttant contre les mouvements anor-
maux, parfois accéléré comme si le patient essayait de parler le plus vite possible
avant la survenue du prochain mouvement choréique.

G. Les dysarthries mixtes


Les différents types de dysarthrie précédents postulent l’existence d’un dysfonction-
nement physiopathologique précis ou supposé. Les dysarthries mixtes par définition
altèrent plusieurs des composantes du système nerveux qui concourent au contrôle de
la parole. Selon les situations cliniques rencontrées, les perturbations sont différentes.
Il n’y a donc pas de description type de la dysarthrie mixte. Nous décrirons quelques-
532 Grandes fonctions psychologiques et leurs perturbations

unes des situations cliniques où le processus pathologique est diffus et conduit donc
à une dysarthrie mixte.

 La sclérose latérale amyotrophique

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Les troubles de la parole sont quasi constants au cours de l’évolution de la sclérose
latérale amyotrophique (SLA). Ils sont la conséquence d’une atteinte pseudo-bulbaire
et d’une atteinte bulbaire. Le syndrome pseudo-bulbaire correspond à la lésion du
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premier motoneurone (voie cortico-bulbaire). Il est défini cliniquement par l’associa-


tion d’une dysarthrie, d’une dysphagie et d’une libération de la mimique (rire et pleu-
rer spasmodiques). Il s’y associe une vivacité des réflexes médio-faciaux. L’atteinte
bulbaire est due à l’atteinte périphérique des nerfs crâniens qui contrôlent la région
oro-faciale (V, VII, IX, X, XI, XII) (Bianco-Blache et Robert, 2002).
Au cours de la SLA, il existe une localisation des symptômes au niveau des
membres et du tronc (atteinte spinale) et une atteinte au niveau de la sphère oro-
faciale. Lorsque la sphère oro-faciale est impliquée, on parle couramment d’une
forme avec atteinte bulbaire. Ce terme recouvre en fait à la fois ce que nous avons
décrit avec les termes de pseudo-bulbaire et bulbaire. La plupart du temps la locali-
sation spinale précède la localisation bulbaire. Dans presque un tiers des cas, la loca-
lisation est initialement bulbaire.
Dans la classification de Darley, la dysarthrie de la SLA est donc considérée
comme mixte : spastique et flasque. Du point de vue perceptif, les anomalies prédo-
minantes sont une imprécision des consonnes, une hypernasalité, une raucité de la
voix, une lenteur, une monotonie, des phrases courtes et une distorsion des voyelles
(Carrow, 1974 ; Darley et al., 1969 ; 1975).

 La sclérose en plaques
La dysarthrie est fréquente au cours de la sclérose en plaques (SEP), présente chez 40
à 45 % des patients. Pour 4 % d’entre eux, la dysarthrie est tellement sévère qu’ils
deviennent inintelligibles pour les personnes non familières (Beukelman et al., 1985).
Bien qu’elle fasse partie des dysarthries mixtes, la dysarthrie de la SEP comporte sou-
vent une composante ataxique fréquemment prédominante.
Les principales caractéristiques perceptives sont un trouble du contrôle de
l’intensité, une voix rauque, des troubles articulatoires, un déficit de la modulation et
du contrôle de la hauteur, et une hypernasalité.
Lorsqu’elle est présente, une dysarthrie paroxystique est très évocatrice de
SEP et survient dans 2 à 4 % des cas. Elle est caractérisée par des accès fréquents
(toutes les demi-heures ou davantage) de durée brève (vingt secondes ou moins).

 Les traumatismes crâniens


La dysarthrie fait partie des troubles de la communication orale après un traumatisme
crânien et en constitue une des séquelles les plus persistantes alors même que les trou-
bles du langage ont pu s’améliorer. La sévérité et les types de dysarthrie sont souvent
Langage et parole 533

hétérogènes d’un patient à l’autre, allant du plus modéré des troubles articulatoires
jusqu’à une totale inintelligibilité de la parole. Ces signes reflètent des atteintes mul-
tiples et la majorité des études décrivent des formes mixtes présentées comme une
combinaison de composantes ataxique et spastique ou spastique, ataxique et flasque.

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Sur une série de 20 patients avec un traumatisme crânien sévère, tous présen-
taient des éléments dysprosodiques (Theodoros et al., 1994) : 70 % d’entre eux avaient
un débit trop lent. La voix présentait peu de variations d’intensité et de hauteur ;
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l’accentuation était trop faible ou exagérée avec des phrases de courte durée et des pau-
ses trop allongées. Des troubles phonétiques étaient décrits avec une hypernasalité
pour 95 % des patients. Dans la même proportion on retrouvait une articulation impré-
cise, des voyelles déformées ou trop allongées. Chez 85 % des dysarthriques, le mau-
vais contrôle respiratoire provoquait des mouvements thoraciques amplifiés et bruités,
des troubles phonatoires donnant une voix rauque ou soufflée.

24.6.4 Évaluation de la dysarthrie


L’acte de parole permet le transfert du message d’un locuteur (ici le patient dysarth-
rique) vers l’auditeur. Après l’élaboration linguistique et la programmation motrice,
les différents effecteurs vont conduire à la mise en vibration de l’air ambiant. Cette
vibration sera perçue et analysée par l’auditeur à plusieurs niveaux (sémantique, syn-
taxique, phonétique, prosodique, émotionnel…).
L’évaluation clinique de la dysarthrie comprend six approches distinctes
mais dépendantes les unes des autres :
• L’auditeur perçoit globalement les anomalies de parole du locuteur dysarth-
rique. La parole peut apparaître trop lente ou trop faible. Repérer de telles
anomalies constitue l’analyse perceptive de la parole.
• La parole peut être plus ou moins sévèrement perturbée, déviante, comprise
par l’auditeur. Cette sévérité du trouble de la parole recouvre plusieurs
aspects, dont l’intelligibilité n’est que l’un d’entre eux.
• La plupart des dysarthries entraînent des altérations dans la production des
consonnes (articulation) ou des voyelles (résonance) ; leur description cons-
titue l’analyse phonétique.
• La production de la parole nécessite la mise en jeu de différents effecteurs
(étage respiratoire, larynx, langue, lèvre, voile du palais, pharynx, mandi-
bule). L’examen sensori-moteur des effecteurs s’effectue par des outils clini-
ques ou instrumentaux.
• La perception que le patient a de son trouble définit le domaine de l’auto-
évaluation.
• La mise en vibration de l’air situé entre le locuteur et l’auditeur peut faire
l’objet d’une analyse acoustique instrumentale. Longtemps limité au
domaine de la recherche, ce type d’analyse est de plus en plus accessible à la
pratique clinique.
534 Grandes fonctions psychologiques et leurs perturbations

Avant la description analytique de la parole dysarthrique, il faut déterminer


si le trouble de la communication verbale du patient correspond effectivement à une
dysarthrie. Lors de l’analyse du trouble, la multiplication des approches et des outils
ne doit pas faire perdre de vue les 4 questions essentielles auxquelles il faut répondre :

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– Quelle est la sévérité de la dysarthrie ?
– Quelles sont les principales anomalies perceptives qui permettent de la
décrire (et donc de communiquer entre les différents thérapeutes) ?
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– Quelle est l’altération motrice sous-jacente au trouble observé ?


– Quelle perception le patient a-t-il de sa parole et quelle est sa plainte ?
À l’issue du bilan, une synthèse doit être effectuée qui intègre le contexte
pathologique du patient et détermine la prise en charge. L’objectif du bilan est de
décrire les anomalies et de formuler des hypothèses pour guider la prise en charge. Il
doit également fournir des données quantitatives pour le suivi évolutif du malade.

A. L’analyse perceptive
L’évaluation perceptive représente la méthode de référence (« Gold Standard ») de
l’analyse de la dysarthrie (Duffy, 2005), c’est-à-dire l’élément prépondérant du dia-
gnostic. Un patient est dysarthrique parce qu’il est perceptivement reconnu comme
tel. L’évaluation perceptive peut être effectuée de façon globale ou analytique.
L’analyse globale permet de recueillir des informations perceptives dès le
premier contact avec le patient. Certaines caractéristiques de la parole paraissent pré-
dominantes. Nous pouvons par exemple être frappés par la raucité d’une voix, la len-
teur d’un débit, ou encore un nasonnement important. Ces impressions, analysées par
rapport à une consultation antérieure, peuvent ainsi donner la sensation que la parole
du patient s’est améliorée ou détériorée. L’approche perceptive globale constitue
donc une première démarche dans l’analyse clinique de la dysarthrie et permet d’iso-
ler de façon rapide les caractéristiques essentielles de la parole.
L’évaluation perceptive peut aussi reposer sur des études plus systématiques,
grâce à des grilles d’évaluation standardisées. Ces grilles comportent un nombre
défini de critères et quantifient le degré de perturbation. La plupart de ces grilles
reprennent l’ensemble des caractéristiques de la parole : hauteur, intensité, respira-
tion, articulation, résonance et prosodie. Elles sont généralement inspirées des tra-
vaux de Darley et al. (1969 ; 1975) qui ont mis au point une grille d’évaluation
perceptive comprenant 38 critères regroupés en 7 catégories : les caractéristiques de
la hauteur, d’intensité, la qualité de la voix (incluant le fonctionnement laryngé et la
résonance), la respiration, la prosodie, l’articulation et une catégorie regroupant
l’intelligibilité et le « caractère naturel » de la parole. Chaque critère était coté selon
une échelle à intervalles en 7 points : le score 1 était donné quand il n’y avait pas
d’altération ; le score 7 était donné pour une altération sévère. Cette grille de Darley
et al. (1969) a été à l’origine de la classification physiopathologique des dysarthries
(Darley et al., 1975). On voit donc que si l’analyse perceptive permet de décrire les
Langage et parole 535

anomalies par un choix de termes précis, elle permet également de quantifier la sévé-
rité de la déviance.

La tâche servant de support à l’analyse perceptive varie selon les outils. Il

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peut s’agir de phonation soutenue, de répétition rapide de syllabes, d’épreuves
conversationnelles, de discours narratif. Beaucoup d’études utilisent de préférence la
lecture ou la parole spontanée. Les échelles de cotations sont également variables
selon les outils. Elles comportent le plus souvent des échelles en 4, 5 ou 7 points.
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B. La sévérité de la dysarthrie

La dysarthrie perturbe la transmission du message oral. Cette perturbation peut altérer


le contenu. On distingue alors l’altération de l’intelligibilité, de la compréhensibilité
et de l’efficacité de la parole. La perturbation peut respecter les notions précédentes
tout en étant responsable d’une parole anormale. Nous définirons alors la notion de
sévérité perceptive.

 L’intelligibilité et la compréhensibilité

L’intelligibilité est définie comme « le degré de précision avec lequel le message est
compris par l’auditeur ». Elle se définit en comptant le nombre d’unités de parole
reconnu par l’auditeur.

La réduction de l’intelligibilité est un des critères principaux de l’évaluation


clinique des dysarthries. Elle représente souvent la plainte essentielle des patients et
de leurs proches. C’est une cause de handicap et elle constitue, à ce titre, un indice de
sévérité qu’il faut quantifier avant toute prise en charge thérapeutique.

L’intelligibilité est un phénomène complexe dont l’altération peut être obser-


vée de façon variable sur différents éléments du discours. De nombreuses variables
interviennent dans sa mesure : choix du matériel (mots, phrases, textes), familiarité
de l’auditeur avec le matériel, avec le patient, sévérité de la dysarthrie…

Pour rendre compte de ces difficultés de mesure, Yorkston et al. (1999) pro-
posent de distinguer les notions d’intelligibilité et de compréhensibilité. L’estimation
de l’intelligibilité reflète à la fois la réalisation acoustique produite par un système
altéré et les stratégies utilisées par le locuteur pour améliorer sa production de parole.
La compréhensibilité désigne le degré avec lequel un auditeur comprend la parole à
partir du signal acoustique (intelligibilité) et des autres informations qui contribuent
à la compréhension de ce qui vient d’être produit. Elle intègre donc des données sup-
plémentaires par rapport au signal acoustique telles que des connaissances sur le sujet
traité, le contexte sémantique ou syntaxique, les gestes et d’autres indices. En situa-
tion de communication, c’est donc le plus souvent la compréhensibilité qui est appré-
ciée. Le terme le plus utilisé reste cependant celui d’intelligibilité.
536 Grandes fonctions psychologiques et leurs perturbations

 L’efficacité
L’efficacité désigne la quantité de message intelligible ou compréhensible transmise
par unité de temps. Elle peut donc être dégradée, par exemple, par une altération de

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l’intelligibilité ou du débit.

 La sévérité perceptive
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Les trois notions précédentes décrivent surtout l’altération du contenu du message


véhiculé. Cependant, il est fréquent qu’une parole soit intelligible, compréhensible et
efficace pour transmettre des informations, mais apparaisse très déviante pour l’audi-
teur. Ceci est par exemple le cas lorsque l’atteinte vocale est prédominante ou qu’il
existe un trouble prosodique isolé. La production s’éloigne alors d’une parole nor-
male, naturelle pour paraître bizarre voire désagréable. Cette déviance peut être
source de handicap et mérite d’être décrite dans le bilan. Bunton et al., (2000) consi-
dèrent que la sévérité doit être décrite selon deux axes : une mesure d’intelligibilité
et une mesure du trouble prosodique. Auzou et Rolland-Monnoury (2006) ont pro-
posé un score perceptif qui intègre cinq critères perceptifs (qualité vocale, réalisation
phonétique, prosodie, intelligibilité, caractère naturel) pour rendre compte de
l’ensemble des perturbations de la parole.

C. L’analyse phonétique
L’analyse phonétique étudie les conséquences de la dysarthrie sur la production des
phonèmes. Elle s’intéresse donc aux troubles portant sur les voyelles (résonance) et
sur les consonnes (articulation). Les perturbations phonétiques sont fréquentes dans
tous les types de dysarthries et interviennent pour une part importante dans la réduc-
tion de l’intelligibilité.
Habituellement, les troubles articulatoires se distinguent en deux types : des
distorsions, dans lesquelles le phonème cible est reconnaissable mais déformé ; des
substitutions dans lesquelles un phonème est remplacé par un autre. Chez les patients
dysarthriques, les anomalies sont essentiellement des distorsions. Dans certains cas,
le phonème produit peut être identifié. Dans d’autres, la distorsion peut conduire à
une confusion avec un autre phonème.
La transcription peut être phonémique ou phonétique. Dans le cas d’une
transcription phonémique, seuls les symboles de l’alphabet phonétique international
(API) sont utilisés. Cette transcription est alors qualifiée de « large » (« broad
transcription »). Son but est d’identifier les phonèmes produits, qu’ils soient distor-
dus ou non. Cette forme de transcription entraîne une perte de l’information phonéti-
que (Zeplin et Kent, 1996).
La transcription phonétique utilise non seulement l’API mais aussi son exten-
sion. Elle donne lieu à une transcription dite « étroite » (« narrow transcription ») qui
représente « la transformation d’un message acoustique en unités discrètes de parole
que sont les caractères phonétiques » (Cucchiarini, 1996). Beaucoup plus précise que
Langage et parole 537

la précédente, elle cherche à donner toutes les caractéristiques articulatoires du pho-


nème produit.
Dans le cas de la dysarthrie, où la majorité des anomalies correspondent à des

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distorsions, la transcription phonémique est insuffisante ; il faudrait donc lui préférer
une transcription phonétique. Cependant, son apprentissage ainsi que son utilisation
nécessitent un investissement en temps considérable. Comme il n’est pas possible de
saisir « en direct » toutes les perturbations, la notation doit se faire à partir d’enregis-
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trements. Elle est, par ailleurs, très subjective et sa fiabilité peut ainsi être contestée
(Kent, 1996). La familiarité avec le patient (Yorkston et al., 1988) ou l’anticipation
de la perception (Kent, 1996) peuvent fausser la transcription du corpus.
La transcription phonétique reste une méthode riche en informations. Une
analyse phonétique partielle des erreurs des patients peut se faire à partir de tests en
choix multiple de mots (Kent et al., 1989 ; Auzou et Rolland-Monnoury, 2006).

D. L’évaluation de la motricité des effecteurs

L’évaluation de la motricité des effecteurs de la parole fournit une première analyse


physiopathologique des dysfonctionnements en cause dans la dysarthrie. Elle peut se
faire avec des outils cliniques ou de façon instrumentale.
En clinique, ce ne sont plus des critères perceptifs comme l’imprécision des
consonnes ou la distorsion des voyelles qui sont analysés mais la qualité fonctionnelle
des étages respiratoire, laryngé et supra-glottique. Si la conversation avec le patient
permet déjà de suspecter des niveaux de dysfonctionnements (raucité de la voix en
rapport avec une atteinte laryngée, trouble de la résonance nasale traduisant un dys-
fonctionnement vélaire), il est nécessaire d’évaluer de façon systématique les diffé-
rents effecteurs impliqués dans la parole et, si possible, de hiérarchiser les
perturbations (par exemple : atteinte à prédominance respiratoire et phonatoire avec
respect des articulateurs). Cette analyse est d’autant plus importante que les effec-
teurs seront une des cibles de la rééducation. Les grilles d’évaluation motrice permet-
tent donc de mettre en évidence les dysfonctionnements des effecteurs mais peuvent
également servir à visée comparative après rééducation.
Plusieurs grilles d’évaluation sensori-motrice ont été proposées (Enderby,
1983 ; Robertson, 1982 ; Hartelius et al., 1993). Elles comportent plusieurs catégo-
ries comme les activités réflexes, la respiration, la phonation et l’articulation. Il s’agit
d’une approche analytique quantifiée où chaque épreuve fait l’objet d’un score. Ces
grilles analytiques sont intéressantes à plusieurs titres. Elles permettent de décrire
précisément les dysfonctionnements des effecteurs. Elles permettent également de
rechercher des relations entre les anomalies cliniques, par exemple respiratoires, et
des études paracliniques, acoustiques ou aérodynamiques. Cette approche doit per-
mettre, pour un patient donné, d’aboutir à une meilleure compréhension physiopatho-
logique de la maladie neurologique sous-jacente. Ces grilles analytiques peuvent
guider les orthophonistes dans l’établissement de leur projet de rééducation. Elles
538 Grandes fonctions psychologiques et leurs perturbations

sont simples mais néanmoins sensibles aux changements, ce qui permet leur usage
lors d’un suivi évolutif. Enfin, elles pourraient mettre en évidence des profils particu-
liers permettant de différencier les types de dysarthrie entre eux (Auzou et al., 2000).

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Les données neurophysiologiques actuelles plaident pour une distinction
entre la motricité oro-faciale selon qu’elle implique le domaine verbal (geste dans son
contexte fonctionnel) et un autre type de motricité (geste analytique hors fonction de
parole) (Ziegler, 2002). Ce point probablement déterminant pour le choix des exerci-
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ces à utiliser au cours de la rééducation, justifie la nécessité de distinguer à l’étape du


bilan ces deux types de gestes.

E. L’auto-évaluation
L’auto-évaluation consiste à recueillir le ressenti du patient par rapport à son trouble
de la communication. Complémentaire des évaluations précédentes, elle vise donc à
évaluer au plus près le handicap et le retentissement sur la qualité de vie. Pour des
troubles de sévérité égale, selon les paramètres de mesure de l’auditeur, le handicap
ressenti ne sera pas le même chez une personne ayant une activité professionnelle au
contact des autres (enseignant, guide, vendeur) que chez une personne retraitée ayant
peu d’activités sociales.
Elle se fait le plus souvent de façon informelle pour juger le degré de handicap
ressenti par le sujet avant de débuter une prise en charge ou pour quantifier l’améliora-
tion obtenue au terme de cette dernière. Elle peut se concevoir comme un outil de prise
en charge afin de permettre, par le biais des questions posées, la prise de conscience par
le patient de ses difficultés et amorcer la relation thérapeutique entre l’orthophoniste et
son patient. La longueur de l’échelle variera en fonction de l’objectif recherché.
L’efficacité d’une prise en charge évaluée par l’amélioration d’un paramètre
objectif ne prend toute sa valeur que si cette efficacité est également ressentie par le
patient. L’auto-évaluation est donc complémentaire des bilans combinant les élé-
ments cliniques et instrumentaux.
L’auto-évaluation de la dysarthrie est un domaine négligé. Les seules don-
nées de la littérature concernent la dysarthrie parkinsonienne (Hartelius et Svensson,
1994 ; Fox et Ramig, 1997 ; Jimenez-Jimenez et al., 1997). Elle confirme la cons-
cience du trouble par le patient.

F. L’analyse acoustique
Le transfert de l’information entre le locuteur et l’auditeur passant par le milieu
aérien, l’enregistrement de l’onde transmise fournit un outil privilégié d’étude de la
parole. L’analyse acoustique de la parole normale ou pathologique a bénéficié de
l’apport de la micro-informatique qui la rend techniquement disponible en pratique
clinique. Les paramètres recueillis peuvent concerner la voix (fréquence fondamen-
tale, stabilité), le timbre (formants), les données temporelles (durée de phonèmes, de
segments de parole) ou la prosodie (contour mélodique). Les paramètres disponibles
Langage et parole 539

sont donc nombreux. Kent et al. (1989) proposent des relations entre anomalies pho-
nétiques et acoustiques qui doivent encore être validées paramètre par paramètre.
Leur validité en pratique clinique est probable mais rarement établie de façon

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définitive.

24.6.5 Prise en charge


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La prise en charge rééducative des dysarthries a longtemps été négligée car considé-
rée comme inefficace (Auzou et Rolland-Monnoury, 2004). Après les études qui ont
permis de décrire et de comprendre les dysarthries, un certain nombre de travaux
récents ont montré une amélioration de la parole après rééducations. Depuis une
dizaine d’années, des stratégies de prise en charge émergent et il existe un consensus
actuellement pour dire que les troubles moteurs de la parole peuvent bénéficier d’une
rééducation (Duffy, 2005).
Selon la pathologie concernée, le degré de sévérité de la dysarthrie, le type
d’atteintes, les besoins de communication, les axes thérapeutiques seront à détermi-
ner pour chaque cas. L’objectif essentiel sera l’amélioration de l’efficacité de la com-
munication (Yorkston, 1999). Le domaine d’intervention s’étendra donc des
rééducations orientées vers l’amélioration des composantes de la parole par un travail
analytique, à la prise en charge de la communication au sens large par une approche
globale du patient et de son entourage.
Les prises en charge rééducatives s’articulent autour de principes essentiels
issus de l’expérience (« Evidence-based practice ») :
– précocité de la rééducation dans la plupart des cas,
– nécessité d’une évaluation précise,
– prise en charge intensive et limitée dans le temps,
– prise en charge basée sur la physiopathologique,
– production volontaire de la parole et autocontrôle,
– importance de l’entraînement avec une pratique des exercices systématique,
progressive et répétée,
– utilisation de feed-back.
Les données disponibles sur l’efficacité concernent essentiellement la
dysarthrie au cours de la maladie de Parkinson.
Selon Deane et al. (2001), trois études (Robertson et Thomson, 1984 ; John-
son et Pring, 1990 ; Ramig et al., 2001) évaluant l’effet de la rééducation orthopho-
nique versus placebo chez les patients parkinsoniens remplissent les critères
méthodologiques de la Cochrane Review. La rééducation par la méthode Lee Silver-
man (Lee Silverman Voice Treatment ou LSVT) est actuellement la méthode la mieux
évaluée et celle ayant objectivé une amélioration chez le plus grand nombre de
patients parkinsoniens.
540 Grandes fonctions psychologiques et leurs perturbations

La méthode Lee Silverman Voice Treatment a été mise au point aux États-
Unis à la fin des années 80 pour la prise en charge de la dysarthrie parkinsonienne et
diffusée en France depuis 2000.

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Elle est centrée sur les troubles de la phonation et repose sur cinq principes
essentiels : se focaliser sur l’intensité de la voix (avec une consigne unique : « parler
fort »), fournir un effort intense, suivre un programme intensif, améliorer la percep-
tion sensorielle de l’effort (calibrer l’énergie à mettre en place pour atteindre l’objec-
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tif), quantifier les performances (pour développer et maintenir la motivation par des
données précises). Le but de la LSVT est d’améliorer la communication fonctionnelle
des patients dans leur vie quotidienne et d’inscrire les progrès dans le temps.
Les sessions de LSVT s’étalent sur quatre semaines, avec quatre séances
d’une heure par semaine et des exercices réalisés par le patient à domicile pour que
la rééducation soit abordée deux fois par jour. La méthode comporte un programme
établi qui permet d’assurer une progression et qui n’exclut pas une personnalisation
selon chaque patient. Cette méthode, qui permet des progrès rapides et qui est cogni-
tivement aisée, remporte l’adhésion des patients.
Dans les autres pathologies neurologiques, il n’existe pas actuellement
d’étude démontrant l’efficacité de la prise en charge.
Langage et parole 541

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