CONSÉQUENCES DANS LA VIE QUOTIDIENNE DES TROUBLES

DE LA REPRÉSENTATION CORPORELLE
Pascale Pradat-Diehl, Frédérique Poncet, Hélène Migeot, Chantal Taillefer

John Libbey Eurotext | « Revue de neuropsychologie »

2010/3 Volume 2 | pages 231 à 234

ISSN 2101-6739

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Pascale Pradat-Diehl et al., « Conséquences dans la vie quotidienne des troubles
de la représentation corporelle », Revue de neuropsychologie 2010/3 (Volume 2), p. 231-234.
DOI 10.3917/rne.023.0231
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 Dossier
Rev Neuropsychol

2010 ; 2 (3) : 231-4 Conséquences dans la vie quotidienne

des troubles de la représentation
corporelle
Body representation disorders
and disability in daily life

Les troubles des représentations corporelles ont un reten-

Pascale Pradat-Diehl,
Frédérique Poncet, Hélène Migeot,
Chantal Taillefer
Service de médecine physique
et de réadaptation,
UPMC ER 06,
Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière,
Résumé
tissement invalidant sur la vie quotidienne. L’anosogno-
sie et la négligence spatiale unilatérale peuvent être la cause de chutes ou de retard à
l’acquisition de l’autonomie, ce qui est montré par l’augmentation des durées de séjours
hospitaliers. La négligence corporelle se manifeste par l’oubli de l’hémicorps gauche en
situation de toilette et de l’habillage. Elle prend aussi la forme très particulière de la négligence
buccale, avec une stagnation des aliments dans une moitié gauche de la bouche. Les consé-

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Paris,
France quences en vie quotidienne des troubles praxiques pour l’utilisation des objets sont montrées,
<pascale.pradat@psl.aphp.fr> alors que les conséquences des troubles de l’imitation sont plus difficiles à retrouver. L’apraxie
de l’habillage est plus rarement étudiée, mais secondaire à une lésion hémisphérique droite,
elle entraîne des gênes importantes.
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Mots clés : anosognosie • apraxie • négligence

Abstract Patients with disorders of body representation may

have disabilities in daily life activities. After right
hemispheric stroke, anosognosia and neglect have predictive value on poor functional
outcome and on discharge to home. A right hemispheric stroke is a significant risk factor
for falling, and anosognosia and neglect can be associated to this risk. In daily life, body
neglect is frequent with neglect of left limbs, neglect in dressing, but also buccal hemine-
glect. Apraxia for tool use after left hemispheric stroke and dressing apraxia, after right
hemispheric stroke, cause disability in daily life activities.

Key words: anosognosia • apraxia • neglect

L
e domaine des représentations corporelles est riche dans ses approches neurologiques
et cognitives. Dans l’approche centrée sur le handicap de la médecine physique et de
réadaptation, la question posée est celle des conséquences de ces troubles dans la vie
quotidienne des patients. Ces troubles polymorphes de la représentation corporelle peuvent
en effet retentir sur l’autonomie des patients en réduisant leurs activités et leur participation
sociale.

Anosognosie pour l’hémiplégie :

doi: 10.1684/nrp.2010.0088

risque de chute, facteur de pronostic de la rééducation

L’anosognosie est définie par une absence de conscience et de reconnaissance du déficit
Correspondance : neurologique et en particulier du déficit moteur ou sensoriel du côté opposé à la lésion
P. Pradat-Diehl cérébrale [1]. L’anosognosie de l’hémiplégie se manifeste dans le discours spontané des

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NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES
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 Dossier
patients avec leur famille ou les soignants, elle est retrou-
vée lors de l’entretien avec le médecin ou le psychologue.
Cette méconnaissance de l’hémiplégie, qui fait dire au
patient qu’il peut marcher, peut-elle l’amener à se lever
malgré le déficit moteur de l’hémiplégie et à tomber ?
Au-delà de rencontres cliniques avec un patient qui, un
an après une hémiplégie gauche, s’est levé « parce qu’il
avait oublié son hémiplégie », est tombé et s’est fracturé le
col du fémur, il n’y a pas d’étude spécifique visant à éva-
luer le risque de chute des patients anosognosiques. Deux
études ont porté sur les chutes après accident vasculaire
cérébral (AVC). Elles ont comparé l’influence du côté de
la lésion cérébrale et ont montré un nombre plus élevé de
chutes chez les patients cérébrolésés droits. Ugur et al. [2]
ont étudié les chutes après AVC. Sur 293 patients, 144
avaient chuté : les patients cérébrolésés droits (55 %) pré-
sentaient significativement plus de chutes (p : 0,05) que
les patients cérébrolésés gauches (40 %), mais le lien avec
l’anosognosie ou la négligence n’a pas été recherché. Dans
l’étude de Foucault et al. [3] portant sur 44 patients dont 20
avaient présenté une chute, 57 % des patients cérébrolésés
droits avaient chuté contre 34 % des patients cérébrolésés
gauches, mais cette différence n’était pas statistiquement
significative. Les auteurs ont observé un nombre de chutes
important (8) chez les 12 patients anosognosiques. L’effet
était significatif pour la négligence avec 13 chutes sur 18
patients négligents.
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L’anosognosie de l’hémiplégie est un facteur limitant
pour la rééducation et la récupération d’une autonomie, le
patient participant plus difficilement à une rééducation
dont il ne voit pas bien l’intérêt, puisqu’il ne ressent pas
l’hémiplégie. Plusieurs études ont porté sur l’influence de
l’anosognosie de l’hémiplégie sur le devenir fonctionnel
[4]. Les résultats ne sont pas univoques du fait de méthodo-
logies différentes. Pour Pedersen et al., dans la Copenhague
Stroke Study [5, 6], il existe un effet de l’anosognosie sur
l’autonomie en vie quotidienne mesurée par l’échelle de
Barthel à la sortie de l’hôpital et sur la durée du séjour hos-
pitalier. Il ne retrouve pas d’effet de la négligence. Pour
Gialanella et al. [7], cet effet est retrouvé associé à l’anoso-
gnosie et à la négligence, et les auteurs proposent qu’il
s’agisse d’un signe de gravité de l’AVC. Jehkonen et al. [8]
ont recherché les facteurs pronostiques du retour au domi-
cile après un AVC hémisphérique droit. Quarante-neuf
patients ont été examinés à la phase aiguë : 30 % des
patients présentaient une hémiplégie, 14 % présentaient
une anosognosie pour l’hémiplégie (sept patients) et 27 %
une anosognosie pour la négligence. Dans le sous-groupe
des patients hémiplégiques, il n’y avait pas d’effet de l’ano-
sognosie de la négligence, mais l’anosognosie de l’hémi-
plégie était corrélée à une augmentation de la durée de
séjour. Pour l’ensemble des patients, les facteurs prédictifs
essentiels de la durée de séjour étaient l’hémiplégie, l’ano-
sognosie de l’hémiplégie et la présence d’un proche au
domicile.
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Négligence corporelle
et vie quotidienne
La négligence est définie par un déficit d’orientation,
de réponse et de détection d’un stimulus qui est situé du
côté opposé à une lésion cérébrale [9]. Les conséquences
en vie quotidienne de la négligence spatiale unilatérale
sont manifestes quand on observe un patient lors de la
toilette, de l’habillage ou des déplacements. L’évaluation
systématique de ces conséquences dans la vie quotidienne
par l’échelle Catherine Bergego (ECB) [10] avait montré la
fréquence de ces conséquences dans la vie quotidienne,
puisque plus des trois quarts (76,8 %) des patients avaient
des difficultés dans au moins une situation de la vie quoti-
dienne parmi les dix évaluées. Les trois situations les plus
sensibles à la présence d’une négligence spatiale étaient
l’oubli de l’hémicorps gauche, les collisions lors des dépla-
cements et la négligence lors de l’habillage. Le score global
était significativement corrélé à l’indépendance fonction-
nelle évaluée par l’index de Barthel, confirmant ainsi les
limitations d’activités simples de la vie quotidienne.
La négligence n’est certainement pas un phénomène
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unique et elle doit plutôt être envisagée comme la manifes-
tation de déficits différents avec des mécanismes physiopa-
thologiques qui peuvent être multiples [11]. La négligence
personnelle (ou corporelle) est un défaut d’exploration de la
moitié du corps controlatéral à la lésion. Le patient semble
oublier son hémicorps lors d’activités élémentaires (toilette,
habillage) ou n’arrive pas à désigner certaines parties de
l’hémicorps négligé. La négligence corporelle serait en
rapport avec un trouble de la représentation de la moitié gau-
che du schéma corporel. La dissociation entre négligence
corporelle et négligence de l’espace extracorporel a été mon-
trée par Zoccolotti et Judica en 1992 [12] en ayant recours à
des tâches simulant la vie quotidienne telles qu’utiliser un
rasoir, mettre de la crème sur le visage et mettre des lunettes.
Chez les 75 patients cérébrolésés droits étudiés, 30 présen-
taient une négligence dans l’espace corporel avec un score
pathologique aux épreuves de vie quotidienne et 55 une
négligence se manifestant dans l’espace extracorporel
(épreuves papier-crayon de barrage). Ces auteurs ont
suggéré que la rééducation, habituellement dirigée dans
l’espace extracorporel, pourrait ne pas entraîner de générali-
sation fonctionnelle à l’espace corporel. Dans l’ECB, plu-
sieurs items correspondent à l’évaluation de l’espace corpo-
rel ; ceux-ci sont parmi les plus sensibles à la négligence : la
négligence de l’hémicorps gauche était observée chez 68 %
des patients et les oublis lors de l’habillage chez 58 % [10].
L’équipe de Nancy, enfin, s’est intéressée à un aspect
très particulier de la négligence corporelle : la négligence
buccale. Ces auteurs ont mis en évidence chez 10 patients
sur 12 présentant des lésions hémisphériques droites, des
stases alimentaires dans la partie gauche de la cavité
buccale [13]. Ce trouble a persisté chez quelques patients
18 mois après l’AVC, pouvant être à l’origine de problèmes
d’hygiène, de risque d’inhalation et de pneumopathies.

Apraxie gestuelle
L’apraxie gestuelle est définie [14] comme un « trouble
de la réalisation des gestes en l’absence ou ne pouvant pas
être expliquée par un trouble moteur (une paralysie), un
trouble sensitif ou des mouvements anormaux ». Au-delà
de la classification entre apraxie gestuelle idéomotrice et
idéatoire, les approches cognitives de Rothi et al. [15] et
de Goldenberg et Hagmann [16] ont proposé un modèle
de la réalisation des gestes. Ces modèles distinguent le sys-
tème sémantique des connaissances sur l’objet, le lexique
ou répertoire des gestes connus, commun pour la réalisa-
tion de pantomimes, l’utilisation des objets et pour l’imita-
tion des gestes connus, et une voie non lexicale permettant
l’imitation des gestes non connus et comportant un traite-
ment spatial et un accès aux représentations corporelles.
Même si la classique dissociation automaticovolontaire
existe, elle ne protège pas les patients apraxiques des
conséquences des troubles du geste pour l’utilisation des
objets en vie quotidienne. Chez 25 patients cérébrolésés
gauches hémiplégiques et aphasiques, Goldenberg et Hag-
mann, en 1998 [17], ont montré un lien statistique entre des
tests formels d’apraxie et trois épreuves de vie quotidienne
(se brosser les dents, enfiler un T-shirt, beurrer une tartine).
Hannah-Plady [18] de l’équipe d’Heilman a trouvé une
corrélation entre la sévérité de l’apraxie mesurée par la réa-
lisation des pantomimes et une évaluation des incapacités
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en vie quotidienne (toilette, habillage).
Si l’utilisation des objets est manifeste dans la vie quoti-
dienne, avec la manipulation des objets de la toilette, et des
repas, cette composante ne représente qu’un aspect des
troubles praxiques. Dans l’apraxie gestuelle, c’est la com-
posante d’imitation de gestes sans signification qui est le
plus directement rapportée à la représentation corporelle.
Cette situation est peu fréquente en vie quotidienne. Elle
peut rendre compte de difficultés rencontrées en rééduca-
tion des patients hémiplégiques pour reproduire les exerci-
ces de kinésithérapie. Un seul épisode dans la vie des
patients nous a été rapporté comme signe révélant l’apraxie
et la pathologie neurologique. Une patiente rapportait
qu’une des premières difficultés qu’elle avait observée
était, lors des cours de gymnastique, l’incapacité à repro-
duire les exercices montrés par le professeur, alors qu’elle
pouvait faire ce qu’il disait de faire. Associés à des troubles
neurovisuels et à une apraxie de l’habillage, ces troubles de
l’imitation ont conduit au diagnostic d’atrophie corticale
postérieure [19, 20].
Apraxie de l’habillage/troubles
de l’habillage
Les troubles de l’habillage, essentiellement observés
dans les lésions hémisphériques droites sont à individuali-
ser des apraxies gestuelles, plutôt hémisphériques gauches.
L’apraxie de l’habillage n’a pas fait l’objet de nombreuses
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NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES
Dossier
publications. La description est faite par Haecan [21] dans
l’Introduction à la neuropsychologie (1972) qui rapporte
que « le sujet a les plus grandes difficultés à orienter et à
disposer correctement ses vêtements. Il les manipule, les
retourne, les prend au hasard. Il ne peut organiser les gestes
nécessaires pour établir, entre son corps et les vêtements,
l’adéquation voulue ». Il y a une « désautomatisation des
gestes de l’habillage » et « une impossibilité à mettre en
rapport l’espace corporel et l’extracorporel ». L’apraxie de
l’habillage correspond au « même complexe symptoma-
tique que les troubles visuoconstructifs dus aux lésions
hémisphériques postérieures droites ».
Dans la pratique clinique, ces troubles de l’habillage ont
un retentissement potentiel très important dans les possibi-
lités d’autonomie des patients, et en particulier des patients
cérébrolésés droits, nécessitant l’assistance d’un tiers dans
cette activité quotidienne incontournable. Walker et al. et
Sunderland et al. [22, 23] ont étudié 30 patients (11 céré-
brolésés droits hémiplégiques gauches et 19 cérébrolésés
gauches-hémiplégiques droites) avec des tests d’habillage
ou d’enfilage d’un T-shirt (test identique à celui utilisé
dans l’étude de Goldenberg et Hagman sur l’apraxie [17]).
Ils les ont comparés aux performances à des tests cognitifs
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et à la motricité du membre supérieur. Douze patients sur
30 échouaient dans le test d’habillage, et les performances
étaient corrélées, d’une part, au déficit du membre supé-
rieur et, d’autre part, aux performances aux tests cognitifs
visuospatiaux ou praxiques. Dans le cas des lésions hémis-
phériques droites, les difficultés observées étaient de mettre
le bras dans la bonne manche, ou l’oubli de couvrir
l’épaule gauche. Dans le cas des lésions cérébrales gau-
ches, les erreurs qualitatives observées lors de l’enfilage du
T-shirt étaient en lien avec la désorganisation de la stratégie
et associées à une apraxie. Lors du suivi à trois mois,
11 patients restaient dépendants pour l’habillage dans les
actes de la vie quotidienne mais réussissaient le test du
T-shirt. L’amélioration était retrouvée malgré le déficit du
membre supérieur persistant. Les troubles de l’habillage
étaient en lien avec les troubles cognitifs.
Conclusion
Les conséquences, dans la vie quotidienne, des troubles
de la représentation corporelle peuvent être mises en
évidence dans plusieurs situations cliniques, depuis l’ano-
sognosie et la négligence jusqu’à l’apraxie gestuelle et aux
troubles de l’habillage. Plusieurs de ces troubles justifie-
raient des études plus systématiques et approfondies, en
particulier les troubles de l’habillage, particulièrement
invalidants et mal explorés. ■
Conflit d’intérêts
Aucun.
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 Dossier
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