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DE LA RÉPÉTITION SUICIDAIRE
2014/1 - Vol. 57
pages 85 à 155
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ISSN 0079-726X
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Tentatives de suicide
Répétition
Élaboration fantasmatique
Perte
Traumatisme
Processus « réactionnel »
Processus
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« compulsionnel »
Entre « rÉactionnel »
et « compulsionnel » : dynamiques
de la rÉpÉtition suicidaire
Loïc Boissière1
Catherine Chabert2
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9 suicidal subjects who have made multiple attempts on their lives, we
study the dynamic and economic underpinnings of suicidal repetition at
adolescence. Discussing the hypothesis of a failure in the fantasmatic
elaboration of aggressive instinctual drive movements, in relation to the
specific and persistant difficulties encountered in treating loss, we dif-
ferentiate between processes of « reactional » and « compulsive » suicidal
repetition. The « reactional » processes are part of the traumatic reso-
nance of external losses after the fact, or in conjunction with pre-morbid
internal reality. In this way, they determine these random repetitions.
The « compulsive » processes stem from a depressive pain which cannot
be elaborated and which fuels a continuous currant of destructive instinc-
tual demands. The masochistic/melancholic reversal constitutes the main
path of deviation. As a result, an autonomous cycle of suicidal repetition
is established which is likely to increase in frequency as a function of an
instinctive defusion and a correlative disobjectalisation.
Keywords: Suicide attempts – Repetition – Fantasmatic elaboration –
Loss – Traumatism – « Reactional » process – « Compulsive » process.
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daire, en pointant les liens de corrélation avec tel ou tel fac-
teur, rares sont, en revanche, les travaux qui ont pu établir
la dynamique intrapsychique susceptible de le sous-tendre.
De même, si l’étude princeps de Philippe Jeammet et de
son équipe (1994) s’est attachée à restituer les ressorts dyna-
miques des tentatives de suicide à l’adolescence, la récidive
n’y est, quant à elle, pas spécifiquement étudiée. Quand bien
même l’auteur, dans la perspective qu’il énonce d’un conflit
narcissico-objectal à l’adolescence, suggère ici l’installation,
à travers le geste suicidaire répété, d’une néo-relation sous
emprise et d’une modalité d’aménagement pervers, sur le
modèle de l’addiction (Jeammet et al., 1994, p. 131).
Il rejoint là, pour une part, les considérations de Jean-
Luc Vénisse (1991), Daniel Bailly et Philippe-Jean Parquet
(1991), envisageant également la tentative de suicide répé-
tée comme une conduite addictive, tout comme Jean-Louis
Pedinielli, Georges Rouan et Pascale Bertagne (1997,
p. 109). Où la répétition semble se nourrir d’une reproduc-
tion de l’identique (conception synchronique : retour des
facteurs à l’origine du geste) ou d’une recherche de l’iden-
tique (conception diachronique : recherche de l’état et des
impressions ressenties durant les tentatives précédentes).
Notre clinique, non sans une certaine parenté avec cer-
tains des constats énoncés, et notamment quant à l’existence,
pour quelques-uns de nos patients, d’un cycle de répétition
suicidaire, nous a conduit, dans ses spécificités et notamment
la primauté du facteur synchronique sur le facteur diachro-
nique, plus difficilement objectivable ici, à interroger l’hypo-
thèse générale, et relativement classique, d’une défaillance
de l’élaboration fantasmatique chez ces sujets suicidaires
réitérants. Défaillance envisagée, d’une part, comme pro-
cédant de la résonance traumatique à la survenue réitérée
d’évènements externes déclencheurs et, d’autre part, comme
modalité de traitement, par voie d’inhibition, d’une excita-
tion d’origine interne, compulsionnelle. Hypothèse que, sur
le plan dynamique, nous avons référée à une difficulté spéci-
fique et persistante dans le traitement de la perte.
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perte et défaillances de l’élaboration fantasmatique. À par-
tir de la distinction freudienne, fort heuristique pour notre
construction, entre angoisse automatique et angoisse signal
d’alarme, telle qu’elle nous est notamment restituée dans le
texte de 1926, Inhibition, symptôme et angoisse.
L’angoisse automatique peut se définir dans la référence
à une situation traumatique : « Réaction du sujet chaque fois
qu’il se trouve dans une situation traumatique, c’est-à-dire
soumis à un afflux d’excitation d’origine externe ou interne,
qu’il est incapable de maîtriser. » (Laplanche et Pontalis,
1967, p. 28). Une situation traumatique que suscite, comme
nous le verrons, l’actualisation d’une situation de perte,
advenue, et dont nous essaierons d’argumenter les prolon-
gements dans le raptus suicidaire.
Quant au signal d’angoisse, à l’angoisse signal d’alarme,
c’est, selon la seconde conception freudienne, la répétition
atténuée et intentionnelle – par le moi – de la situation éco-
nomique traumatique qui doit alors être entendue. Un signal
d’angoisse que le moi active chaque fois qu’une perte d’objet
menace, afin de prévenir la situation de désaide qui pourrait
s’ensuivre, situation en son terme traumatique. Par quoi se
déclenche le refoulement, l’inhibition face au danger pul-
sionnel porteur de perte interne. Ce dont nous pouvons déjà,
pour nous-mêmes, imaginer les suites, dans une inflexion
fantasmatique mortifère dirigée contre soi.
Trame ainsi constituée, entre difficultés originelles du
traitement de la perte, angoisse automatique ou signal
d’alarme subséquentes, générant à leur tour, dans l’implo-
sion ou l’inhibition et l’inflexion mortifère, les défaillances
fantasmatiques conduisant au passage à l’acte. Tels semblent
devoir ici se concevoir les ressorts dynamiques de la répéti-
tion suicidaire, pour laquelle nous avons cru pouvoir distin-
guer entre deux types de processus, l’un réactionnel, l’autre
compulsionnel.
C’est à partir de cette distinction que nous articulerons
notre propos, reprenant pour une large part l’étude casuis-
tique élaborée au cours de notre travail de thèse (Boissière,
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modalités variées et une gravité toujours avérée pour une
ou plusieurs d’entre elles, va de moins d’une dizaine à plus
d’une soixantaine.
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« coup » et l’ « après-coup ».
a) Le « coup »
Le « coup », c’est le premier coup, la première scène, le
premier évènement, effractant, auquel le sujet ne peut don-
ner sens, qui ne peut être ni élaboré, ni abréagi et voit alors
sa représentation psychique refoulée, isolée de la personna-
lité consciente pour former un « “groupe psychique séparé”
qui se trouve isolé du reste du contenu de pensée et par là
même soustrait au conscient et à une élaboration ultérieure.
[…] noyau signifiant [qui] se trouve isolé, prêt à former le
point de départ d’une symptomatologie » (Laplanche, 1980,
p. 40). Constituant un « souvenir refoulé ».
Ainsi que le souligne Jacques André, revenant sur diverses
occurrences du texte freudien, le traumatisme y est envisagé
à travers le prisme d’un excès sexuel effractant : « Emma
chez l’épicier, le petit Hans dans le lit de sa mère ou l’enfant
russe séduit par ses parents à l’heure de la sieste, c’est tou-
jours par l’excès sexuel que l’adulte fait effraction dans le
monde freudien de l’enfance » (André, 2009, p. 1321). Or,
pour l’auteur, il est d’autres situations traumatiques où, à
l’opposé, « […] le sexuel déserte la scène, au moins manifes-
tement... » Ainsi, ce n’est plus dans une « tempête d’affects »
qu’est plongé l’enfant, mais dans un « vide abyssal ». Et
Jacques André d’ajouter : « Toutes les premières frappes ne
sont pas de même nature, ici excitation, là… blanc, trou,
absence, perte, destruction, rage » (Ibid., p. 1323).
Assertion que nous reprenons à notre propre compte
tant il nous apparaît qu’elle pourrait légitimement s’appli-
quer à notre clinique. Dans un registre de perte, comme
pour Sidonie où le processus suicidaire procède en son
origine d’une perte impensable, non intégrable, trop mas-
sive pour être éprouvée, perte du frère aimé, par suicide,
intervenue au décours de l’adolescence. Ailleurs, chez
Leïla, dans ce que nous avons pu référer à la constitution
d’une « constellation pathogène ». Une « constellation
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mier évènement effractant – un accident de la circulation
à l’âge de 5 ans, suivi d’une longue période de coma, sorte
de « noyau » originel –, dans la résonance avec divers évè-
nements ultérieurs, ainsi que nous pouvons en trouver la
suggestion dans la référence freudienne aux Etudes sur
l’hystérie (1895b) : « Une représentation refoulée constitue
elle-même un premier “noyau de cristallisation” capable
d’attirer d’autres représentations insupportables sans
qu’une intention consciente ait à intervenir » (Laplanche
et Pontalis, 1967, p.395). Constellation ramassant ainsi, en
son giron protéiforme, à la faveur de remaniements suc-
cessifs et dans la condensation, l’accident, la séparation
consécutive et la maltraitance subie, comme autant de faits
s’alimentant les uns les autres pour constituer, ainsi que
nous le dit Jean Laplanche reprenant Freud, un « “corps
étranger interne” et qui va devenir dans le sujet, comme
épine irritative dans le moi, source future de pulsions »
(Laplanche, 1980, p. 60).
Illustration 1 : La « constellation pathogène » : Leïla (pre-
mière tentative de suicide à 15 ans)
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persécution est discrètement perceptible.
– Fragmentation d’une unité originelle, séparation
Planche I : elle sollicite une double mobilisation : narcissique,
de la représentation de soi ; objectale, dans l’évocation des rela-
tions à l’image maternelle.
– « On dirait un espèce de papillon. On dirait une petite ville,
ça fait comme une petite carte, quoi, ça fait comme un village
avec quatre rivières au milieu. C’est tout » (sourire). [Enquête :
« Comme un petit crabe. Ça fait comme une ville avec quatre
rivières au milieu, des villages quoi (noir = ville ; Dbl = rivières).
Après ça fait des petites villes en dehors, au milieu de la mer (Dd
dans le blanc extra-maculaire) (Le papillon ?) Un papillon, le
milieu avec deux côtés. »]
– La catastrophe, la séparation
Planche II : elle sollicite représentation de soi et de relations,
dans un registre archaïque (image de soi comme un tout éclaté et
relations symbiotiques, fusionnelles/destructrices) ou de castra-
tion (image de soi incomplète et scénarii relationnels libidinaux/
agressifs).
– « Waouh ! Alors là ! (sourire) Je sais pas. Ça fait comme un
avion, un avion de chasse, comment on dit ça, l’avion de chasse de
la guerre, comme il a envie de se poser, parce que ça fait comme le
feu derrière, rouge. On dirait deux pays qui sont séparés avec la
mer. Après, en haut, là en rouge, ça fait deux visages face à face
quoi. C’est tout. (sourire) (le clinicien indique qu’on peut retour-
ner le matériel). Après, ça me dit rien du tout (rire, sourire) Ça me
dit rien du tout. »
– Séparation et dimension inquiétante, dangereuse, persé-
cutrice et d’emprise
Planche IV : elle sollicite la reconnaissance d’une dimension
de puissance phallique (plutôt que d’emblée la représentation du
corps) et rend généralement compte des positions prises vis-à-vis
des images de puissance.
– « Un ours. [>] Après ça fait une sorte, une jungle, avec
une sorte de petite rivière au milieu. [V] C’est tout » (rire).
[Enquête : « Alors là, qu’est-ce que je vous ai dit ? On dirait
un pays qui a trois rivières, quatre rivières au milieu mais tout
en bas (G avec Dbl = rivière). Quatre rivières séparées, deux
à droite, deux à gauche. [V] Après ça fait comme une crabe.
Après, quand je tourne la carte, y en a encore deux tout en haut.
( ?) Là, c’est comme si ça formait des rivières. J’ai l’impression
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b) L’ « après-coup »
Implantation, ainsi donc, au plus profond de la psyché,
d’une perte chez Sidonie ou d’une « constellation pathogène »
dans le cas de Leïla, dont le potentiel traumatique nous appa-
raît dans la formule freudienne : « Un souvenir est refoulé,
qui n’est devenu traumatisme qu’après-coup » (Freud,
1895a).
Comment cela ? Probablement par le procès d’une
connexion, de l’actualisation du souvenir refoulé par
une seconde scène « […] qui évoque la première par quelque
circonstance associative éventuellement extrinsèque, par
quelque lien de contiguïté ou de ressemblance (un accord
de “longueur d’onde”) et qui vient (l’image de l’électrode
dans l’hypothalamus est évocatrice) activer la première »
(Laplanche, 1980, p. 60).
Avec, attenant, et dans la simultanéité, un remaniement,
une mise en sens du souvenir resté jusque-là inélaboré : « Le
remaniement après-coup est précipité par la survenue d’évè-
nements et de situations, ou par une maturation organique,
qui vont permettre au sujet d’accéder à un nouveau type de
significations et de réélaborer ses expériences antérieures »
(Laplanche et Pontalis, 1967, p. 34).
Par quoi le souvenir ou la « constellation » vont se voir
conférer leur effet pathogène. Où l’incident, l’acte ano-
din, ou bien une perte dans l’« après-coup » actualise, par
association, contiguïté ou ressemblance, la représentation
refoulée d’un premier évènement effractant, qui n’avait
pu être ni abréagi, ni élaboré, et qui fait alors retour à la
conscience, plein de tout son sens, par l’intercession d’une
élaboration ou, plutôt, de manière plus restrictive, d’une
ouverture au sens soudainement rendue possible. Où ce qui
avait pu être dénié, massivement refoulé, comme un deuil
s’arrêtant à sa première phase, revient maintenant, profi-
tant d’une brèche, dans toute sa signification, avec toute son
intensité.
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de divers évènements ou « contrariétés » dont on peut pen-
ser qu’ils entrent en résonance avec ce premier évènement
impensable. Ou bien encore de Leïla pour qui la perte d’une
éducatrice très investie vient activer la constellation patho-
gène (cf. supra et infra, illustrations 1 et 2).
Où le « corps étranger interne », souvenir refoulé d’une
première scène, d’une perte, ou « constellation pathogène »,
prend dans l’« après-coup » sa valence traumatique, déclen-
chant, un afflux d’excitation pulsionnelle propre à déborder
l’appareil psychique : « C’est le souvenir de la première scène
qui déclenche un afflux d’excitations sexuelles débordant
les défenses du moi. Si Freud nomme traumatique la pre-
mière scène, on voit que du strict point de vue économique,
ce n’est qu’après-coup que cette valeur lui est conférée ; ou
encore : c’est seulement comme souvenir que la première
scène devient après-coup pathogène, dans la mesure où elle
provoque un afflux d’excitations internes » (Laplanche et
Pontalis, 1967, p.502).
Illustration 2 : L’actualisation traumatique de la constel-
lation pathogène dans l’ « après-coup » : Leïla, première ten-
tative de suicide à 15 ans (ingestion de dissolvant) (entretien
clinique)
Leïla décrit ce qui, en de nombreux points, ressemble à ce que
l’on pourrait qualifier de raptus traumatique, un passage à l’acte
marqué d’une forte composante impulsive, hors de tout contrôle
et dans la réaction directe à l’annonce de la mort de son éduca-
trice. Où il nous semble retrouver dans l’afflux d’émotions qui ont
précédé l’acte, la « rage », le sentiment de « vide », d’abandon, les
composantes de la constellation pathogène que nous évoquions un
peu plus haut, et ce qu’elle peut alors susciter de réaction. Ainsi,
la perte du bon objet – « la seule personne que je m’entendais avec
elle » –, semble-t-elle actualiser, dans le traumatisme, « après-
coup », cette constellation pathogène.
– « […] J’ai vraiment perdu la tête en fait. Le jour que je l’ai…
Comme ils l’ont dit, fallait s’asseoir tout le monde pour qu’ils
l’annoncent… Bah, j’ai pas… en fait j’ai pas réfléchi, j’ai juste
perdu la tête. En fait c’est la seule chose… En pleurant, je me suis
levée, j’étais la seule personne qui quittait la table et j’étais tel-
lement en rage… c’était la seule personne que je m’entendais avec
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moi. C’est la seule chose comme je suis arrivée dans ma chambre.
Au moment que je voulais me laver le visage c’est comme y avait
que du dissolvant devant ma tête… »
Dynamique de l’« après-coup » ainsi donc, procédant
de la conjonction traumatique entre deux évènements, deux
scènes éloignées dans le temps, telle semble devoir être la
première occurrence par laquelle se noue la répétition sui-
cidaire, dans la réitération aléatoire des « après-coups ».
Ailleurs, c’est plus probablement, comme tend à le suggérer
notre clinique, dans un processus de coalescence interne/
externe, dans la conjonction cette fois entre une organi-
sation pré-morbide et quelque accumulation d’évènements
externes, que la résonance interne/externe, traumatique et
mortifère, trouve à se soutenir.
– Coalescence interne/externe
La seconde occurrence envisagée est donc celle d’une
coalescence interne/externe, coalition traumatique du
dedans et du dehors – deux réalités qui, ici, « s’articulent et
se renforcent » selon François Ladame (1981). Conjonction
isolément et aléatoirement réalisée entre une organisation
pré-morbide et quelque évènement externe déclencheur
– ou la sommation de telles incidences extérieures –, dont,
ainsi que nous le proposons, la réitération, à l’identique ou
dans la proximité, conditionnerait par suite la répétition
des passages à l’acte.
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adulte, ce qui s’est inscrit, en amont, du rapport à ces objets
mauvais, conditionnera, selon l’auteur, l’advenue d’un pro-
cessus suicidaire (Ibid., p. 45).
Une installation massive d’objets mauvais que nous
retrouvons chez Flore, 17 ans, aux projectifs, et plus par-
ticulièrement au Rorschach, qui frappe par l’importance de
l’envahissement fantasmatique et de l’activité projective.
Envahissement par les mauvais objets persécutants aux-
quels s’associe immédiatement l’expression d’une souffrance
dépressive aigüe, par quoi se dévoile l’impact traumatique
de la rencontre avec le matériel, réceptacle des projections
massives. Cela dans une singulière parenté, voire identité,
avec ce que Flore a pu relater des moments traumatiques de
passage à l’acte, où les mêmes émotions se font alors tout
aussi envahissantes.
Illustration 3 : Envahissement par les mauvais objets et
souffrance dépressive : Flore, 17 ans (Rorschach)
Planche I : « Ça me fait penser à la noirceur, la souffrance,
comme si on attrapait quelqu’un. La colère aussi, et le renferme-
ment sur soi. C’est tout. » [Enquête : « Parce que c’est, enfin, c’est
noir, et pour moi le noir c’est la souffrance. Et attraper quelqu’un,
c’est parce qu’il y a des mains là. On dirait un démon (rires). Parce
qu’il y a une ligne. Ça veut dire que ça va se refermer et les ailes
aussi qui peuvent se refermer. Enfin, je vous montrerai après. Là,
y a la ligne (ligne médiane), enfin je sais pas, peut-être une ouver-
ture en fait, et elle se referme, et le point blanc là, ça fait penser à
moi. Et les ailes et la fermeture, enfin tout se referme en fait. (elle
joue à tourner la planche sur le bureau) C’est tout (yeux mouillés).
Le démon, c’est le tout, autour de moi (pleurs)]. Ça me fait penser
à la poisse aussi, excusez-moi. Il veut pas me lâcher (rapproche-
ment vers le bureau, coudes posés dessus). C’est tout. »
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apparaît, dans l’association là encore avec un vécu persé-
cutif itératif. Une vulnérabilité narcissique que l’on retrouve
encore au Rorschach dans les failles de la représentation de
soi et qui fait demeurer le suicidant, selon Ladame, « pres-
que exclusivement tributaire des autres pour la confirma-
tion de son sentiment de valeur de soi » (1981, p. 18). De
même, le TAT se fait largement l’écho de ces mouvements
d’angoisse persécutrice et d’angoisse dépressive quelquefois
plus ou moins mêlées. Une problématique dépressive qui
infiltre nombre de récits alors que la perte ne peut souvent
pas être évoquée et que le manque ou l’atteinte peuvent
être ponctuellement déniés, quand ailleurs, tout comme au
Rorschach, c’est une souffrance dépressive, dans toute son
acuité, entraînant le débordement jusque dans l’éprouvé
subjectif sensoriel, qui se donne à voir.
Oscillations ainsi dans la confrontation à la perte qui
se montrent aux projectifs comme dans le cours de l’entre-
tien et en marquent les modalités variables d’aménage-
ment – mais sans possibilité de dégagement – comme les
fluctuations du ressenti, d’une presque mise en sommeil
jusqu’aux moments de reviviscence exacerbée, en lien avec
les retours du refoulé pourtant activement combattus.
Refoulé dont la plus ou moins grande proximité détermine
ainsi les variations d’intensité d’une dépressivité au long
cours – à distinguer d’une efflorescence dépressive telle que
nous pourrons la caractériser dans les processus compul-
sionnels – signant par ailleurs, ainsi que nous invite à le
considérer Ladame, l’impasse du travail d’élaboration de
la séparation – de réélaboration de la position dépressive,
pourrions-nous ajouter, au vu de nos résultats – propre
à l’adolescence, fond même sur lequel, selon l’auteur,
s’appuie le processus conduisant aux passages à l’acte et à
partir de quoi s’origine toute occurrence de coalescence :
« […] la maladie dépressive fait bien le lit dans lequel se
prépare la tentative de suicide et l’aliénation apporte la
confirmation de la totale identité du dehors et du dedans
[…] » (Ibid., p. 74).
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dement subjectif
Planche 10 : Cette planche montre un couple qui se tient
embrassé (pas de différence de générations, flou et ambiguïté
dans la différence des sexes) et met à l’épreuve, dans un contexte
œdipien, la possibilité ou non de liaison entre tendresse et désir
sexuel, avec une référence incestueuse plus ou moins présente.
Au-delà, c’est un registre de séparation qui peut plus ou moins
affleurer.
– « Un grand-père et une grand-mère qui se font des câlins
comme si ils se disaient adieu, comme si ils allaient mourir. C’est
tout » (pleurs).
Intrication entre souffrance dépressive difficilement élabo-
rable et angoisse persécutrice
Planche 3BM : Cette planche montre une personne affalée,
appuyée au pied d’une banquette (sexe et âge indéterminés, objet
à terre flou). Dans un contexte œdipien, c’est la culpabilité dans sa
valence dépressive qui est mobilisée. Dans le contexte de la position
dépressive, sont mises à l’épreuve les capacités de travail du deuil,
la réversibilité des affects dépressifs et l’étayage de désirs à venir.
De même, peut être mise en évidence la capacité du sujet à lier
affects dépressifs et représentation de perte.
– « Une femme qui se fait battre. Elle est tellement battue
qu’elle est… à mon avis, elle se sent ++ malheureuse et elle… elle
sait pas trop quoi faire. C’est tout. »
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Les associations à connotation de persécution, colorées
d’emprise, se sous-tendent d’une dimension d’identification pro-
jective, dans le maintien d’une relation entre le sujet qui projette
et la partie projetée de lui-même : « […] et le renfermement sur
soi ».
– « Parce qu’il y a une ligne. Ça veut dire que ça va se refermer
et les ailes aussi qui peuvent se refermer. Enfin, je vous montrerai
après. Là, y a la ligne, enfin je sais pas, peut-être une ouverture
en fait, et elle se referme, et le point blanc là, ça fait penser à moi.
Et les ailes et la fermeture, enfin tout se referme en fait (elle joue
à tourner la planche sur le bureau) C’est tout (yeux mouillés). Le
démon, c’est le tout, autour de moi (pleurs). »
– Et encore, à la réponse suivante, additionnelle : « Ça me fait
penser à la poisse aussi, excusez-moi. Il veut pas me lâcher » (rap-
prochement vers le bureau, coudes posés dessus).
– De même, à l’épreuve des choix, dans une référence très
directe au vécu propre et la perte de distance au matériel, se
montre la confusion entre réel et imaginaire (choix négatif, pl. I :
« Celle-ci, c’est parce que j’ai l’impression d’être poursuivie
(pleurs). Ce dessin-là, j’ai l’impression que c’est ça qui me pour-
suit depuis quatre ans. Je la déteste cette image. »)
Projection d’une réalité interne menaçante et envahis-
sante sur le matériel à l’instar de ce que nous laisse devi-
ner l’entretien, où ce pourrait bien être par l’entremise de
tels mouvements, massifs, d’identification projective, que
l’autre externe tend à devenir et incarner l’objet frustrant
et abandonnant. Des mouvements d’identification projec-
tive qui, visant à dénier la séparation et à protéger le nar-
cissisme, conduisent à l’expulsion, la projection des objets
internes abandonnants et persécutants, parties du soi, et
à les localiser, pour ainsi dire, dans cet autre, externe, en
faisant l’objet frustrant et abandonnant. Au-delà de ses
caractéristiques et au-delà de ce qu’il peut en être de sa
part propre dans la réalité des conflits interpersonnels.
Processus au terme duquel, ainsi que nous le dit Ladame,
l’autre ne peut être autrement que ce qu’on pense qu’il est,
où les mouvements d’identification projective, comme dans
une soumission à la compulsion de répétition, font de l’autre
externe cet objet abandonnant et persécutant, enclenchant
une dynamique relationnelle éminemment conflictuelle,
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(Ladame, 1981, p. 29). Comme les vicissitudes malheureuses
d’un processus adolescent de séparation-individuation en
impasse.
Ce que montre bien l’entretien où les difficultés rela-
tionnelles permanentes avec l’entourage, et notamment
la mère, s’associent au ressenti persécutif et au vécu
d’abandon.
Illustration 6 : L’autre externe comme objet abandonnant et
persécutant : Flore, 17 ans (entretien)
– « Alors, la première question que je voulais vous poser, c’est :
dans quel contexte, en fait, s’est passée votre première tentative de
suicide ? » – « … Euh, j’allais déjà pas avec ma mère et avec ma
famille, euh… si vous voulez, j’en avais marre, j’en avais marre,
j’en avais marre, puis après avec ma meilleure amie qui me tour-
nait le dos. Donc là, ça a fait déborder le vase. Ma sœur me…
saoule tous les jours et… […] » – « Est-ce qu’il y a des choses qui
là-dedans vous motiveraient à… à passer à l’acte ? » – « Oui. Mes
deux sœurs. » – « C’est-à-dire ? » – « C’est-à-dire, mes deux sœurs
me délaissent beaucoup et moi je me sens… je me sens seule, seule,
seule, seule. Elles s’intéressent pas à moi… Voilà. Ça me pousse
beaucoup. »
d) Coalescence interne/externe
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a déjà tant imprégné ce dehors et contre le retour duquel
le sujet lutte de toutes ses forces. Le plus souvent au terme
d’un processus cumulatif, d’« une accumulation » comme le
dit Flore, érodant patiemment les barrières du refoulement.
Et dans la réalisation, au-delà d’une simple résonance, d’une
véritable coalescence, du dedans et du dehors, l’évènement
œuvrant – moyennant un délai plus ou moins bref dans l’épui-
sement probable des dernières défenses –comme à leur ultime
rapprochement, jusqu’à la jonction et, au-delà, l’identité.
Que la moindre contrariété, que le conflit le plus banal,
que la plus anodine séparation adviennent et ce peut être
ainsi l’actualisation du dedans par le dehors, et le retour
tant redouté des mauvais objets jusque-là plus ou moins
heureusement refoulés et tenus à distance de la conscience,
cela dans la « […] fulgurante fusion du dedans et du dehors
[…] » (Ibid., p. 52-53).
Ce qui se dit alors ainsi, c’est l’avènement d’une situa-
tion effrayante, dans la mise en échec d’un refoulement,
pourtant drastique, devenu, par la force cumulée de l’acti-
vation externe, inopérant. Ou, pour reprendre Ladame :
« C’est l’effondrement de toute l’organisation défensive, non
plus redouté mais advenu […] » (Ibid., p. 51) et, ainsi que
nous allons maintenant le discuter, la montée irrépressible
de l’excitation jusqu’à l’état traumatique, et le passage à
l’acte.
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à l’acte.
– De l’activation du refoulé à son actualisation
consciente
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ment, dans le passage progressif d’un état affectif de dépres-
sivité chronique à « la hantise du retour des objets mauvais
refoulés » (Ibid., p. 50), et comme conséquence immédiate de
sa résonance abandonnique et persécutrice, l’expression, à
vocation résolutoire, d’une revendication pulsionnelle par-
tageant ses effets entre une production fantasmatique plus
ou moins élaborée mais insuffisante et, consécutivement, une
montée plus ou moins linéaire – et non encore sous forme
d’accès – de l’angoisse.
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qui, si l’on en croit Ladame, se découvrent progressivement
en cours de traitement, dévoilant plus profondément encore
la nature masochique de la relation à l’objet d’amour origi-
naire (1981, p. 23).
Agressivité à l’endroit des objets internes qui ne peut se
figurer comme telle de par l’intensité de la charge pulsion-
nelle et les insuffisances d’élaboration de la position dépres-
sive. Où le sujet se voit placé dans la situation paradoxale de
détruire un objet, certes mauvais, mais dont il demeure tout
autant dépendant.
De là une revendication pulsionnelle agressive/destruc-
trice qui ne peut probablement qu’insuffisamment se jouer
et s’étancher sur la scène interne et qui, au gré d’une sur-
enchère probable de refoulements secondaires à quoi
s’articule l’élaboration fantasmatique, finit par émerger à
la conscience, mais alors dirigée contre le sujet (cf. infra,
illustration 7). Formation substitutive qui, comme telle, au
plan économique, apporte, ce faisant, « une satisfaction de
remplacement au désir inconscient » (Laplanche et Pontalis,
1967, p. 171), mais dont on peut penser, à mesure que l’acti-
vation externe du refoulé primaire se fera plus forte et que
s’épuiseront les mesures défensives visant à sa contention,
qu’elle se révèlera insuffisante à l’écoulement/étanchement
d’une excitation pulsionnelle alors croissante et outrepassant
les capacités d’« absorption » fantasmatique.
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à l’acte, les prodromes annonciateurs : Flore, 17 ans (entretien)
Recrudescence de la souffrance dépressive vécue sur un mode
narcissique
– « Je me sens faible, c’est-à-dire que j’arrive pas à… à surmon-
ter la vie. Euh… j’ai du mal euh… ouais, je me sens incapable, je me
sens, oui j’ai l’impression que je vais rien faire de ma vie quoi. En
fait, en gros dans ma tête, je me disais, ça sert à rien… de vivre. »
Concomitance des sentiments de tristesse, de l’angoisse et
d’une fantasmatique morbide
– « … Et euh… j’ai des images, oui, qui passent. Des images
de ma famille. Bah… c’est-à-dire euh… que je m’imagine dans le
coma et ma famille autour de moi en train de pleurer quoi… […]
– « C’est-à-dire que ces sentiments-là, vous les avez déjà, enfin
ces sentiments et ces images-là, vous les avez déjà dans les heures
et les jours qui précèdent ou… » – « J’ai, j’ai déjà, j’y pense en
fait. J’y pense, j’y pense, j’y pense, jusqu’au jour où je le fais. »
– « D’accord et toujours ces mêmes images et toujours ce même… »
– « Surtout, surtout le même sentiment… »
Sur le plan fantasmatique, on peut deviner tout le travail de
transformation et de déguisement pour parvenir jusqu’à cette for-
mation substitutive.
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soudaine et brutale. Phase extrêmement rapide alors, suivant
à plus ou moins brève échéance le terme d’une accumulation
évènementielle et dont l’issue, presqu’immédiate, est l’acte
suicidaire. Phase que l’on retrouve isolée, sans prodromes
annonciateurs, dans une dynamique de l’ « après-coup », et
cette fois quasi-instantanément, dans la suite directe d’un
évènement déclencheur.
Si la montée paroxystique de l’angoisse – ou seulement
parfois d’une tension qui ne semble même pas pouvoir par-
venir à cette qualification affective – est alors au devant
du tableau, c’est encore une émergence d’affects – ou leur
accentuation –, tristesse et colère, « violence », mêlées, qui
se donne à entendre. Tandis que sur le plan fantasmatique,
il semble que l’on assiste à une quasi-disparition ou intermit-
tence des productions conscientes (cf. infra, illustration 8).
En quoi nous pensons reconnaître, au-delà de ce qui n’était
jusqu’à maintenant – dans le cas de la conjonction entre une
organisation prémorbide et la réalité externe – qu’une activa-
tion plus ou moins forte, l’actualisation consciente du refoulé
originaire. Un refoulé qui fait soudainement et brutalement
irruption dans la conscience, déclenchant l’orage pulsion-
nel paroxystique, dans l’impréparation et la « prise du moi
à revers » et, comme on va le discuter, le « débordement »,
l’« effroi », dans une « prise de panique » (Laplanche, 1980,
p. 60).
Cela à la faveur « […] d’un véritable paradoxe : l’effroi
continue à se produire, alors que, un certain nombre d’expé-
riences s’étant passées, on pourrait penser que le sujet est
préparé » (Ibid., p. 58) et qu’« […] un montage défensif plus
ou moins rationnel, plus ou moins maîtrisé, […] » (Ibid.,
p. 60) aurait pu se constituer. Ouvrant à la mise en œuvre de
défenses adaptatives dont l’occurrence pourrait notamment
se signer à travers une production fantasmatique consciente
telle qu’elle apparaît dans les situations de type conjonction
organisation prémorbide/réalité externe.
Dans ce dernier cas, pour autant, si quelque chose a pu
s’enregistrer dans la psyché de la répétition des situations
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qu’elles ont pu engendrer ne pèsent rien face à l’irruption
pulsionnelle que provoque un retour à la conscience du
refoulé originaire, retour contre lequel rien ne peut d’ailleurs
ici être opposé, ou préparé, face à l’activation externe.
Alors, le sujet, véritablement, « […] tombe dans une
situation dangereuse sans y être préparé […] » (Freud,
1920) avec pour effet consécutif – au-delà de ce qui se limi-
tait avant à une simple revendication pulsionnelle d’intensité
encore modérée – le déclenchement, cette fois, d’un puissant
afflux d’excitation pulsionnelle. Conformément à l’idée, fond
commun de ces processus suicidaires réactionnels trauma-
tiques, que « les évènements extérieurs tirent leur efficacité
des fantasmes qu’ils activent et de l’afflux d’excitation pul-
sionnelle qu’ils déclenchent » (Laplanche et Pontalis, 1967,
p. 502). Recherche ainsi donc d’une issue pulsionnelle face
au brusque accroissement de tension que génère la confron-
tation soudaine, par surprise, à la situation dangereuse et
effrayante, qui autrefois avait suscité le refoulement.
– Modalités primaires de refoulement, angoisse
automatique, effroi traumatique
Quelles issues dès lors pour le sujet face à cet afflux pul-
sionnel qu’il ne peut maîtriser et qui le plonge dans ce qu’il
convient bien alors d’appeler une situation traumatique ?
Pour Le Guen, distinguant entre modalités primaires et
modalités secondaires de refoulement, les premières pou-
vant persister, selon lui, même après le développement des
secondes, et être activées face à une menace de déborde-
ment pulsionnel : « Le moi et le narcissisme secondaire ne
peuvent alors trouver à se maintenir que grâce à la liaison
des défenses archaïques par le refoulement. Nous avons ainsi
un refoulement primaire qui travaille en créant un conflit là
où apparaît un risque traumatique. […] (les refoulements
secondaires, […], gérant les conflits en les articulant et les
enchaînant les uns aux autres) » (1992, p. 63). Et l’auteur
de préciser : « Le moi menacé ne peut […] [comme dans les
refoulements secondaires] investir puis désinvestir, générant
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secteurs ; dans ce cas, c’est la première théorie de l’angoisse
(celle de 1914) qui s’applique » (Ibid., p. 64).
Par quoi, empruntant à nouveau à Laplanche, nous pou-
vons alors comprendre l’accès d’angoisse, paroxystique, tel
qu’il apparaît juste avant le passage à l’acte : « C’est une
libido non pas non-élaborée mais détachée de ses repré-
sentations, notamment par le processus du refoulement,
libérée, et se déchargeant à nouveau sous forme d’angoisse
[…] » (1980, p. 50). Accès d’angoisse qui, ce faisant, offre
une voie d’évacuation et permet de massivement décharger
l’excitation pulsionnelle, à la faveur de quoi l’on peut peut-
être supposer, dans la discontinuité, au gré de reflux mineurs
de l’excitation, une reprise des modalités secondaires du
refoulement et de l’élaboration fantasmatique dont l’issue
consciente, ainsi que nous le rapporte Flore (cf. infra, illus-
tration 8), se signale également et consécutivement par inter-
mittence. La tristesse, la colère et la « violence » également
alors en accès pouvant apparaître comme les traces affec-
tives des représentations qui, en première instance, ont été
massivement refoulées.
Pour autant, si des voies d’écoulement de l’excitation
peuvent ainsi être trouvées, elles sont probablement insuf-
fisantes à endiguer le flot pulsionnel qui continue d’enfler
– tout cela se déroulant sur un laps de temps court, voire très
court, rappelons-le – à la faveur de quoi ce qui ne correspon-
dait qu’à une hantise, plus ou moins intense, avant le retour
du refoulé originaire et qui est devenu frayeur, d’intensité
croissante, par l’irruption de ce dernier dans la conscience,
devient alors effroi, « […] triomphe de l’économique, de la
force, du facteur quantitatif » (Ibid., p. 56).
Aussi bien, et à la suite de Ladame, ne devons-nous pas
entendre par là un phénomène se limitant à l’expression
d’une angoisse psychique atteignant son acmé – qualifi-
cation que l’on ne retrouve d’ailleurs pas forcément dans
notre clinique et dont Laplanche, de manière congruente,
nous dit qu’elle peut tout à fait passer au second plan, tant
elle est parfois « véritablement liée dans une sensation
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niveau purement somatique » (Ibid., p. 15). On se situe là
en deçà de l’angoisse psychique, au niveau de l’excitation
somatique.
Ce dont il est alors question, c’est bien d’un débordement
de l’appareil psychique, pris par surprise, dans une « situa-
tion traumatique », « […] l’état générateur du sentiment
de détresse. » (Laplanche et Pontalis, 1967, p. 123), « […]
face à la revendication pulsionnelle constamment croissante
[…] » (Freud, 1926, p. 70), et de laquelle naît l’effroi. Notion
de traumatisme que l’on peut, en suivant François Ladame,
Jérôme Ottino, Paula Wagner (2000), remettre au travail
pour en dégager ce qui, selon les auteurs, ressortit alors à sa
forme extrême, l’« état traumatique », marquant, au-delà
d’insuffisances plus ou moins marquées, le point de cessation
de toute activité de liaison, de production des images men-
tales (Ladame, Ottino, Wagner, 2000, p. 126).
Illustration 8 : juste avant l’acte
Montée irrépressible de l’angoisse : Sidonie, première tenta-
tive de suicide à 17 ans (entretien)
– « En fait, j’étais mal, j’ai essayé d’écouter de la musique
pour me détendre, j’ai essayé de parler avec mes amis, j’ai essayé
de, de faire des choses qui me détendaient, ça montait, ça montait,
plus ça montait plus je savais pas quoi faire et là j’ai pris un bout
de verre, et je me suis coupé la veine. »
Émergence et recrudescence des affects, intermittence de
l’imagerie mentale (fantasmatique consciente) : (cf. illustration 7)
Flore, 17 ans (entretien)
– « […] pendant le passage à l’acte, si vous préférez, toutes ces
émotions sont plus fortes, les images par contre elles disparaissent,
enfin elles viennent, elles disparaissent, elles viennent, elles dis-
paraissent […] »
– Régression fantasmatique
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passage à l’acte se livre ici à notre regard. En quoi nous rejoi-
gnons Ladame, Ottino et Wagner pour qui le passage à l’acte
suicidaire, au-delà d’une condition nécessaire mais non suf-
fisante de dépression, semble « relever davantage du raptus
anxieux et s’apparenter ainsi à la catégorie du traumatique »
(Ibid., p. 124). Avec une fonction, plus avant, d’évacuation
d’une anxiété et d’une excitation somatique en excès dont on
a vu, avec Ladame, qu’elle faisait retour en dernier ressort,
justifiant pour une part, selon l’auteur, l’« attaque destruc-
trice du corps » (1981, pp. 15-20).
Aussi bien, et si nous voulons résumer notre position
avant que d’aller un peu plus loin et notamment dans le
développement de considérations dynamiques, ce que nous
soutenons ici, c’est l’idée d’une mise en échec, d’un débor-
dement des mesures de refoulement primaire d’« urgence »,
pour reprendre Le Guen, par l’entremise desquelles l’afflux
pulsionnel avait pu trouver dans la décharge sous forme
d’angoisse une issue transitoire, retardant quelque peu
l’advenue de l’« état traumatique ». Une dérivation aussi-
tôt insuffisante, nous l’avons dit, tant l’angoisse – qualifiée
ou non en affect – atteint quasi-immédiatement son acmé.
Dès lors, et c’est tout du moins ainsi que nous le compre-
nons, la motion pulsionnelle se voit suffisamment renforcée
pour ne plus pouvoir – en son versant représentationnel –
être refoulée et trouve une issue jusqu’à la motricité dans
le passage à l’acte. Comme une ultime mesure défensive de
l’appareil psychique contre l’« état traumatique » : « Et
quel est le danger intérieur sinon la revendication pulsion-
nelle susceptible de laisser le moi impuissant, sans autre
défense qu’une réorganisation pathologique de dernier
recours (le passage à l’acte suicidaire) » (Ladame, Ottino,
Wagner, 2000, p. 130).
Mais si nous trouvons ici, en quelque façon, le « mobile »
économique du passage à l’acte, il nous reste à nous poser
la question de la téléologie fantasmatique qui, selon Roger
Perron et Michèle Perron-Borelli, en constitue la nécessaire
précession, le soubassement dynamique, et en détermine le
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vail d’élaboration des fantasmes (1987, p. 582).
Travail du fantasme qui est, selon Michèle Perron-
Borelli, celui d’une mise en représentation des émergences
pulsionnelles et de leurs aménagements défensifs, de diffé-
rents niveaux : « Ces derniers peuvent aller de la dynamique
la plus fondamentale qui définit le refoulement primaire,
jusqu’à la mise en forme défensive la plus secondarisée du
fantasme liée à sa mise en forme verbale, en passant par
les transformations et reliaisons permises par le travail du
préconscient en prise directe avec le jeu des processus pri-
maires » (1997, p. 53).
Nul n’est alors besoin de préciser que, dans les passages
à l’acte, l’on se situe bien en deçà de ces mises en forme
secondarisées, dans la proximité avec « la dynamique la plus
fondamentale qui définit le refoulement primaire », tant ils
constituent, selon l’auteure, « comme une forme de régres-
sion du fantasme à l’action, ou encore comme une déméta-
phorisation de l’action » (Ibid., p. 93). Heureuse expression
pour évoquer alors la régression formelle du fantasme,
régression vers une « préforme du fantasme » « et aux moda-
lités de fonctionnement qui prévalent dans ce type archaïque
d’organisation psychique », sous la pression du facteur éco-
nomique (Ibid., p. 62 et p. 138).
Régression formelle qui se caractérise par le fait que la
représentation d’objet tend à disparaître, ou que l’objet tend
à se dédifférencier, voire à être réduit à un statut archaïque
de « pré-objet », la pulsion ne trouvant alors d’autre repré-
sentance que dans la représentation d’action (Ibid., p. 59).
Tendance à la disparition de la représentation de l’objet et
surinvestissement subséquent de la représentation d’action,
perdant ce faisant sa fonction de liaison intrapsychique, par
quoi se fraie la voie vers le passage à l’acte (Ibid., p. 60).
Passage à l’acte, « régression à des modes d’expression
pulsionnelle très archaïques qui restent plus ou moins cli-
vés de l’ensemble de la personnalité » (Ibid., p. 138), alors
porteur de toute la violence du fantasme archaïque, niveau
auquel « […] les actions représentées dans l’inconscient sont
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– Intrication défensive
À ce stade, et pour restituer dans sa totalité la téléologie
fantasmatique de laquelle se soutient le passage à l’acte sui-
cidaire, il ne nous reste plus qu’à rendre compte de l’intri-
cation défensive qui, selon Ladame, et dans une vection
autodestructrice, le rend possible.
Avec en première occurrence ce qui relèverait d’une
union de la représentation du corps et de celle des objets pri-
maires hostiles, constellation ensuite attaquée.
Où l’attaque du corps pourrait, ainsi que semble le confir-
mer le Rorschach, se soutenir d’un défaut de différenciation
de la représentation du self d’avec les mauvais objets per-
sécutants et d’une confusion de ces derniers avec la repré-
sentation du corps (Ladame, 1981, p. 21). Une confusion
des représentations facilitée par l’image d’un corps le plus
souvent haïssable chez l’adolescent à quoi il convient d’ajou-
ter la place et le statut particulier qui sont les siens à cette
période « […] au carrefour des dimensions interne et externe
du sujet. […] statut paradoxal d’appropriation et d’extra-
territorialité, [par quoi] il appartient de fait et de droit aux
deux catégories à la fois et constitue la cible privilégiée des
attaques meurtrières et des projections. » (Ladame, Ottino,
Wagner, 2000, p. 131).
Un nouage fantasmatique dont nous savons, avec
Michèle Perron-Borelli, qu’il s’opère en deçà de toute éla-
boration consciente et selon des modalités de fonctionne-
ment archaïques, dans ce qui ressortit à une « préforme »
du fantasme, s’actualisant, en empruntant une voie courte
– telle qu’elle peut s’induire de la lecture du chapitre VII de
L’interprétation des rêves (1900) – dans le passage à l’acte.
D’où probablement ce vécu de passivation dans l’émergence
impulsive et « d’une dissolution plus ou moins profonde de
la conscience » (Ladame, Ottino, Wagner, 2000, p. 125) tel
que le rapportent ces patientes lorsqu’elles évoquent la sen-
sation d’être « contrôlées », de n’être plus elles-mêmes ou
bien encore de perdre la tête. Cela qui nous renvoie, alors
que tout fantasme conscient paraît, dans ces moments, dis-
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cifie, et par le fait, dans sa fonction de décision, décision
d’agir ou de ne pas agir.
Où, à travers ces sensations, le sujet semble bien plutôt
comme agi par un en-deçà de la conscience, que viennent
par ailleurs marquer des rémanences affectives, la colère,
la tristesse ou le sentiment de vide affluant alors comme les
stigmates d’un retour du refoulé primaire et de ses inciden-
ces subséquentes. Où seule la fonction de perception semble
persister, emportée parfois qu’elle est au service de la dyna-
mique mortifère (cf. infra, illustration 9). Dissolution plus
ou moins profonde de la conscience ainsi donc, à quoi l’on
peut également rapporter le sentiment d’être un robot, une
marionnette, ce que Ladame, rapproche quant à lui de la
sensation alors éprouvée, dans le raptus, de vivre son corps
comme séparé, voire de ne plus avoir de corps.
Seconde occurrence de l’intrication défensive et que
nécessite, pour être effective, l’attaque de la constellation
fantasmatique formée du corps et des objets mauvais, c’est
alors ici un clivage de l’image du corps de celle du self dans
son ensemble, suivi d’un désinvestissement libidinal narcis-
sique du soi corporel, dernière « […] condition nécessaire au
passage à l’acte, [et] phénomène instantané, correspondant
au raptus […] » (Ladame, 1981, p. 21), qu’il faut également
entendre.
Un désinvestissement libidinal du soi corporel qui peut
être déduit, par suite de l’afflux pulsionnel, d’un processus
de déliaisons en chaîne et, en son terme, de déliaison pul-
sionnelle, de retrait des tendances libidinales, comme nous
invite à le penser André Green, évoquant l’advenue d’« états
d’angoisses traumatiques où la désintrication est patente »
(2000, p. 171).
Ainsi, ce qui sous-tend la tentative de suicide, « c’est la
brisure du self : une partie doit être sacrifiée pour “sauver”
l’autre » (Ladame, 1981, p. 89) faisant alors que « […]
c’est le corps propre qui est attaqué comme un étranger,
un robot, une marionnette […] » (Ibid., p. 21). Aussi bien,
l’acte suicidaire pourrait-il se comprendre comme « […] une
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Illustration 9 : le passage à l’acte
Leïla, première tentative de suicide à 15 ans (ingestion de dis-
solvant) (entretien)
– « [...] J’avais une éducatrice que j’aimais bien. C’était la
seule que je m’entendais bien. Bah, en fait ça fait trois jours on
se demandait pourquoi elle vient pas, pourquoi elle est absente.
Mais en fait, elle s’est… elle est morte chez elle. […] Et depuis là,
bah j’ai vraiment perdu la tête en fait. Le jour que je l’ai…[…]
Bah, j’ai pas… en fait j’ai pas réfléchi, j’ai juste perdu la tête. En
fait c’est la seule chose… En pleurant, je me suis levée, j’étais la
seule personne qui quittait la table et j’étais tellement en rage…
c’était la seule personne que je m’entendais avec elle… Et je suis
arrivée dans ma chambre, la seule chose que j’ai vue, du dissol-
vant en fait… […] En fait, c’est comme c’était vide. Je pleurais
mais c’est comme y avait plus personne autour de moi en fait.
J’étais mal, j’ai l’impression y a plus personne autour de moi.
C’est la seule chose comme je suis arrivée dans ma chambre. Au
moment que je voulais me laver le visage c’est comme y avait que
du dissolvant devant ma tête […] » – « Et au foyer de l’enfance,
la première tentative, avant que vous appreniez la mauvaise nou-
velle, jamais vous aviez pensé à vous suicider ? » – « Non. […]
D’un seul coup… C’est pas quelque chose que j’avais préparé à
le faire… »
Où l’on retrouve les dimensions sus évoquées du moment du
passage à l’acte : une émergence impulsive, raptus anxieux qui
semble s’accompagner d’une dissolution plus ou moins profonde
de la conscience. Le sujet « perd la tête », paraît agi par des forces
incontrôlées, avec une fixation de la perception sur le moyen létal
alors que l’expression affective intense (vide, tristesse, rage) semble
comme remonter des profondeurs, signalant probablement
le retour brutal du refoulé originaire et ses incidences sub-
séquentes
Flore, première tentative de suicide à 17 ans (ingestion de
médicaments) (entretien)
– « Ça, ça revient… Ca, ça revient… Et justement ça me fait
faire des choses que… enfin je suis un petit peu… comme si j’étais
contrôlée en fait, voilà… […] « Euh… alors, pendant le passage
à l’acte, j’ai plutôt les émotions… » – « C’est-à-dire ? » – « Euh…
bon de la colère, de la tristesse, tout ça et avant de passer à l’acte
j’ai les images et la tristesse. »
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Nous l’avons dit, c’est ici – à la suite de Ladame dont les
positions trouvent dans notre clinique une évidente réso-
nance – l’hypothèse d’une constellation formée de l’union
fantasmatique du corps et des objets mauvais vers laquelle se
dirigeraient les motions agressives/destructrices, qui est privi-
légiée. Hypothèse dont on peut encore présumer de la validité
pour les cas dont nous avons rapporté qu’ils s’inscrivaient
dans une dynamique de l’« après-coup », cas pour lesquels la
dimension abandonnante et persécutrice des objets internes
– par ailleurs peu différenciés du soi – peut également être
invoquée. Pour autant, le caractère nécessairement limité de
nos investigations et de notre méthodologie, et notamment pour
ce qui concerne le moment plus spécifique du passage à l’acte,
nous invitent à considérer d’autres possibles, qui pourraient
expliquer la vection autodestructrice du passage à l’acte. Ainsi
d’un recours au mécanisme du retournement contre soi d’une
agressivité initialement adressée aux objets internes – et dont
la trace affective apparaît à travers le sentiment de colère, de
violence, qui accompagne toujours ces passages à l’acte. C’est
là une voie que nous retrouvons davantage, et qu’accréditent
les projectifs, dans les processus compulsionnels de répétition
suicidaire. Nous allons y venir.
Quoi qu’il en soit, ce qui nous apparaît en revanche comme
caractéristique des processus réactionnels que nous venons
de décrire, c’est la dimension d’annulation d’un « état trau-
matique » advenu qui, chaque fois, les sous-tend. Annulation
de l’« état traumatique » advenu qui semble emprunter les
chemins d’une téléologie fantasmatique renvoyant, quant à
elle, à une vocation d’annulation de la situation de danger,
situation de perte, que constitue le retour du refoulé origi-
naire. Où il est ainsi question de se débarrasser des mauvais
objets abandonnants et persécutants pour revenir à la situa-
tion antérieure. Moyennant quoi le passage à l’acte trouve sa
vection autodestructrice.
Une téléologie fantasmatique dont nous pouvons toutefois
à bon droit interroger le caractère d’exclusivité et à laquelle
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traumatique d’une chute dans le néant que le geste suici-
daire devrait magiquement enrayer, mais aussi et surtout
une cessation de l’activité de liaison de l’appareil psychique
qui laisse les coudées franches à une pulsionnalité libre dont
l’indice est l’autodestruction » (Ladame, Ottino, Wagner,
2000, p. 129).
Processus qui pourrait trouver dans la configuration psy-
chique et les remaniements identificatoires propres à l’ado-
lescence et aux désinvestissements corrélatifs des figures
parentales, un allié de fait, tant ce « désinvestissement doit
porter sur le pôle érotique de cet investissement […] créant
ainsi une déliaison des éléments antagonistes de la vie pul-
sionnelle, duelle, avec comme conséquence la mise en circula-
tion de charges pulsionnelles libres agressives, destructrices,
précédemment liées par la coparticipation d’Eros. » (Ibid.,
p. 130). Etant supposée, par surcroît, et comme condition
du processus, une qualité précaire des liaisons préexistantes,
caractéristique de l’organisation prémorbide.
Ce sont là des occurrences dont les critères d’une éva-
luation clinique restent à définir et qui réclament des investi-
gations plus approfondies.
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une condition essentielle. De même, et selon Ladame repre-
nant William Fairbairn, il ne peut ici être question d’une répé-
tition compulsive de situations traumatiques dont on pourrait
soupçonner les fins de maîtrise et d’élaboration : « […] Les
situations traumatiques joueraient un rôle en tant que facteur
précipitant, mais il n’y aurait pas, à proprement parler, répé-
tition compulsive de situations traumatiques. Le sujet serait
plutôt hanté par les mauvais objets, contre le retour desquels
toutes les défenses se sont effondrées, ne laissant plus d’échap-
patoire possible, excepté dans la mort » (1981, p. 50).
Et l’auteur d’opposer ces situations à celles qui obéissent à
une compulsion de répétition, notion dégagée de l’observation
clinique de « […] patients qui re-agissent sans cesse une situa-
tion prototypique et, confondant présent et passé, la prennent
à tort pour une situation actuelle et réelle » (Ibid.).
De même, cette part de l’externe, activateur du pro-
cessus, nous apparaît-elle tout aussi décisive, voire plus
encore, dans les cas que nous avons pu référer à une dyna-
mique de l’« après-coup », où toute dimension de répétition
compulsive peut, ce disant, s’exclure d’emblée. Aussi bien,
pouvons-nous affirmer la spécificité de tels processus suici-
daires, réactionnels, à savoir leur étroite dépendance à une
activation externe et, par suite, leur caractère de répétition
aléatoire. Ce qui, par essence, les distingue des processus
compulsionnels que nous allons maintenant discuter.
– De la douleur à la destructivité
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sion, probablement imputables alors à des modalités défen-
sives momentanément plus massives et, par suite, davantage
effectives pour contrecarrer la douleur. Tourment quotidien
qui, ce faisant, et pour faire le pont avec les considérations
précédentes, les différencie des sujets qui sont périodique-
ment, mais réaffirmons-le, aléatoirement, en proie à une
émergence suicidaire, dans la réaction à quelque évènement
déclencheur. Ceux-là même pour qui la souffrance dépres-
sive, ordinairement absente, ou dépressivité plus ou moins
bien aménagée et à plus ou moins bas bruit, ne trouve à suffi-
samment s’exacerber, davantage alors dans l’angoisse, que
par l’activation externe du refoulé primaire. Un refoulé qui
paraît, dans les lendemains du passage à l’acte, retourner à
ses abysses, attendant qu’une nouvelle activation n’en sus-
cite le réveil dramatique.
En quoi nous trouvons d’ailleurs à comprendre qu’un
processus compulsionnel puisse, a contrario, constituer
une modalité d’évolution d’une répétition suicidaire, en une
première période, réactionnelle. Lorsque les retours aléa-
toires du refoulé et de l’angoisse traumatique débouchent,
in fine, dans une conscientisation progressive de la perte
jusque-là soigneusement refoulée, sur l’efflorescence d’une
intense souffrance dépressive s’installant dans la chronicité,
à une période, l’adolescence, où la réactivation conflictuelle
y prend probablement toute sa part. Autrement dit, quand
les modalités défensives engagées deviennent si insuffisam-
ment efficaces qu’il n’est alors plus besoin d’une activation
externe pour que le refoulé fasse retour et produise ses effets
en termes d’excitation et de douleur.
En termes statistiques, passage d’un processus discret
à un processus continu où la douleur constante se substitue à
l’angoisse en accès, avant qu’au terme cette dernière ne fasse
retour pour s’y mélanger.
Ailleurs, pourtant, nul besoin d’une activation externe
originelle de quelque noyau dépressif rejeté dans les pro-
fondeurs de la psyché. Mais une douleur qui apparaît d’elle-
même, à l’entrée ou au décours de l’adolescence, et comme la
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cence, la nouveauté du corps sexué génital mettant un terme
définitif au temps de l’enfance, tend à se parachever l’iden-
tité du sujet. Deux perspectives explicatives peuvent ici
être appelées entre point de vue dynamique et point de vue
développemental.
La première, dans une filiation freudienne, insiste sur la
reviviscence des conflits et fixations de l’enfance, emprun-
tant au modèle de l’hystérie. Autrement dit, l’adolescent
souffrirait de « réminiscences » tant le processus adolescent
favoriserait une levée du refoulement infantile, ouvrant la
voie au retour des désirs refoulés. Ainsi, les investissements
adolescents sont-ils susceptibles, de par leur proximité avec
les fantasmes œdipiens incestueux et parricidaires – du fait
de leur réalisation devenue possible – de receler une portée
traumatique.
À côté, et cette fois dans une perspective développemen-
tale centrée sur l’adolescence, telle qu’ont pu notamment
l’inaugurer Anna Freud (1958) et Margaret Mahler (1963),
l’adolescence est envisagée comme un deuxième processus
de séparation-individuation et met notamment au travail
l’intégration d’un nouveau corps, pubère, l’achèvement
des identifications sexuées et l’autonomisation par rap-
port aux objets parentaux. Peter Blos (1967) insistera
sur l’importance de la résolution de la phase négative de
l’œdipe. De même, pour Raymond Cahn (1998), l’adoles-
cence doit avant tout s’entendre comme un travail de sub-
jectivation, processus de différenciation qui, à partir de
l’exigence d’une pensée propre, pourra ouvrir sur l’appro-
priation du corps sexué et l’utilisation des capacités créa-
trices du sujet.
Aussi bien, le processus d’adolescence confronte-t-il à la
nécessité de remaniements psychiques majeurs. C’est alors
un ensemble de problématiques (narcissique, œdipienne, de
séparation-individuation) plus ou moins enfouies, atténuées
durant la période de latence, qui font retour et peuvent,
dans une alchimie singulière, s’entremêler, s’intriquer, dans
ce que l’on pourrait, à bon droit, qualifier d’« après-coup »
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illustration 10).
Illustration 10 : Figures de la souffrance dépressive
Efflorescence d’une intense souffrance dépressive devenant
chronique : Sidonie, première tentative de suicide à 17 ans
(entretien)
À l’origine du processus suicidaire, chez Sidonie, la perte.
Une perte traumatique, celle de son frère alors qu’elle en était
aux premières années de son adolescence. Un deuil indépas-
sable, qui ne peut se faire, une perte qui ne peut se penser, massi-
vement refoulée, et qui fait brusquement retour, à trois années
de distance, l’installant alors dans une souffrance dépressive
chronique :
– « Ce mal être, il date depuis l’âge de 14 ans, depuis le suicide
de mon frère, et en fait je crois que j’ai accumulé, j’ai gardé, ça
m’a fait souffrir quand j’avais 14 ans, et tous les matins de 14 à
l’âge de 17 ans, tous les matins, je me réveillais, je pensais que mon
frère était encore vivant, je voulais pas affronter et je crois que
c’est le jour où j’ai réussi à voir vraiment qu’il était mort que tout
est remonté à la surface et que ça m’a détruit […] Parce que j’ai
eu le déclic de la mort de mon frère. »
Dépréciation narcissique, haine de soi, dangerosité et faim de
l’objet : Amalia, première tentative de suicide à 17 ans (entretien)
Chez Amalia, la tentative de suicide est rapportée à un désir
de transformation qui se nourrit d’un sentiment de dépréciation
narcissique, voire peut-être d’une haine de soi :
– « Qu’est-ce qui fait que ça vous apaise ? » – « Bah parce
que j’aime pas… je me supporte pas comme je suis, donc je me
dis bah dans quelque temps tu ne seras plus comme ça, tu seras
autrement… »
Haine de soi, sentiment de dépréciation, première modalité de
traduction d’allure mélancolique d’une souffrance dépressive qui
peine à s’élaborer, et derrière lesquels se déclare bientôt la faim
de l’objet autant probablement que la dangerosité de son contact,
et notamment si l’on remonte aux origines du processus :
– « J’ai toujours cru… parce que j’ai commencé à boire
et à prendre des médicaments parce que… je me sentais tou-
jours, toujours très mal et tout le monde me disait que j’étais
pas… que j’étais trop sérieuse et que je faisais jamais la fête,
des choses comme ça… donc j’ai commencé… puis j’étais mal
dans ma peau donc j’ai commencé à prendre de l’alcool pour ça
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les autres… »
La souffrance dépressive, l’angoisse de perdre l’amour de
la part de l’objet, apparaissent plus clairement encore dans
le rêve qu’Amalia nous livre et qui résonne avec les propos ci-
dessus :
– « Et, est-ce que vous pourriez aussi me raconter un rêve que
vous avez fait ? » – « Petite, ou non ?... » – « Ce qui vous vient… »
– « Ce qui me vient… bah oui, j’ai repensé à tous les amis que
j’avais autrefois, et j’ai rêvé que je faisais une fête chez moi, un
genre de barbecue… personne me disait bonjour, tout le monde
me faisait la tête, c’était… c’était difficile… » – « D’accord, vous
vous sentiez un petit peu rejetée… » – « Oui. » – « Rejetée, aban-
donnée ? » – « Abandonnée. »
Souffrance narcissique et identitaire : Paul, première tenta-
tive de suicide à 12 ans (entretien)
L’entrée dans l’adolescence et la sortie de l’enfance semblent
avoir laissé Paul comme démuni, sans repères, aux prises avec la
morosité et l’ennui, un vécu d’impuissance, dans le dévoilement
probable des failles identitaires, à la recherche de nouvelles figures
identificatoires l’amenant à commettre des actes transgressifs qui
en retour et dans leur conséquences, notamment l’atteinte de la
figure maternelle, ont pu contribuer à installer le vécu dépressif et
sa réponse suicidaire, comme une fuite :
– « Et à ce moment-là, c’est une période que vous qualifieriez
comment ? » – « Malheureuse, parce que pour moi c’était la sco-
larité, j’allais en cours, j’étais triste, je rentrais, je m’ennuyais,
je m’ennuyais, je m’ennuyais… mon père n’avait pas de travail, il
était tout le temps à la maison, moi j’avais pas d’argent de poche,
je pouvais rien faire, donc voilà… […] Ouais, puis y avait aussi un
problème de religion. J’étais catholique… et à 12 ans, je me suis
dit, je suis plus catholique quoi, j’ai renié ma religion et euh…
bah voilà… J’ai réfléchi et je me suis dit, je suis plus catholique…
[…] Tout est rentré en ligne de compte, surtout les vols, ça a fait
pleurer ma mère, en plus je séchais les cours, je sentais que j’arri-
vais à rien… donc j’ai fait une tentative de suicide… […] Euh,
j’avais volé un scooter, j’avais volé de l’argent à mon oncle, son
portable, j’avais volé pas mal de choses… […] Bah, j’étais avec
une autre personne et cette personne qui était assez spéciale… Et
donc on faisait des bêtises… […] Une fuite… de tout ce qui allait
mal. Tous les jours, j’étais triste, je m’ennuyais… et puis aussi les
problèmes… le fait que j’ai volé des choses et que j’ai dû rendre
après… »
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que je suis nul, parce que je m’aime pas. Je m’aime pas donc
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je veux mourir. Mais pour moi, j’aime bien mon corps, mais
j’aime pas ma tête, mon esprit. J’aime pas mon esprit mais j’aime
bien mon corps. Enfin, mon corps me gêne pas, il est pas moche
spécialement… »
Souffrance dépressive au long cours, manque d’amour :
Tatiana, première tentative de suicide à 6 ans (entretien clinique)
Se dévoile ici toute l’acuité d’une souffrance dépressive que
Tatiana met au compte du manque, voire de cette absence d’amour
qu’elle dit avoir ressenti depuis toujours de la part de ses parents,
et notamment en regard de celui qui était témoigné à son frère,
selon elle. De même, les coups reçus, les scènes de violence intrafa-
miliale entre les parents, paraissent l’avoir amenée, selon ses dires,
à effectuer une première tentative de suicide dès l’âge de 6 ans, par
ingestion médicamenteuse :
– « Oui, je pensais à la mort. J’en avais marre de me faire taper
dessus, de voir des scènes de violence entre mes parents, de voir
qu’avec mon petit frère, c’était pas pareil, mon père l’aimait. Moi je
me sentais pas du tout aimée. J’ai jamais été aimée par mes parents,
et ça j’en pouvais plus… […] Ah, je voulais mourir… mais bon, à
6 ans on s’y connaît pas trop en médicaments… […] Ça m’est arrivé
et vous allez peut-être pas le croire, j’étais enfant, j’avais 6 ans, donc
déjà là j’avais avalé beaucoup de Dafalgan et puis j’avais une copine
qui avait été dire à ma mère, mais après j’y avais pas repensé quoi…
Pourtant jusqu’à 12 ans j’étais pas bien, j’étais dépressive… »
Si le sentiment dépressif paraît, d’après elle, remonter à la
prime enfance, il a pu par la suite se nourrir des vicissitudes d’une
existence malheureuse et heurtée, du désamour récurrent, de la
violence qu’elle a subie de la part de ses objets privilégiés. Ainsi,
lorsqu’elle entre dans la période adolescente, Tatiana est familière
depuis de longues années du sentiment dépressif, une souffrance
qui va, à ce moment, se trouver majorée et dans laquelle elle va
s’enfermer :
– « Et vous me disiez qu’entre 12 ans et 16 ans vous étiez dépres-
sive, vous me disiez que ça s’est majoré le sentiment dépressif… »
– « Oui, parce que je me suis complètement renfermée sur moi-
même. Je restais toujours la tête dans les bouquins, toujours la tête
dans les cours, je sortais jamais. Et puis à l’âge de 14 ans, y avait
une prof, elle a dit à ma mère : “Ecoutez Madame, il faut faire
quelque chose, Tatiana se renferme sur elle-même ; elle veut plus
participer en cours, elle se met toujours toute seule à une table”.
Et là, ma mère m’a dit : “Pourquoi tu réagis comme ça ?” Je lui ai
dit : “Elle se fait des films”… »
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coup d’autres :
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– « Alors, la première, en fait, je l’ai faite, je n’y avais jamais
pensé, et puis, bon j’ai fait une grosse dépression à l’âge de 16 ans
et j’ai été hospitalisée pour me mettre sous antidépresseur sous
perfusion, et c’est seulement à ce moment-là que j’ai avalé des
médicaments sans me dire que c’était une tentative de suicide. »
Acuité d’une souffrance dépressive ainsi donc chez ces
patients, d’une douleur constante – nonobstant les périodes
transitoires de rémission – qu’il nous faut bien, suivant en cela
Freud, distinguer des effractions angoissantes traumatiques
précédemment évoquées : « Il nous viendra aussi à l’esprit
que les affects par lesquels nous réagissons à une séparation
nous sont familiers et que nous les ressentons comme douleur
et deuil, non comme angoisse » (Freud, 1926, p. 54). Une
réaction de douleur à la perte advenue que l’auteur différen-
cie de l’angoisse, renvoyant, de manière ultime, au danger
de la perte (Ibid., p.100). Intensité d’une souffrance dépres-
sive, qui plus est au long cours, qui pose alors la question
d’un achoppement du travail de réélaboration de la position
dépressive, propre à l’adolescence.
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la représentation dépressive peut être évoquée, elle est rare-
ment associée à un affect et il est bien rare qu’un quelconque
dégagement, dans la présence attendue de quelque proces-
sus de réparation fantasmatique, puisse s’entrevoir. Enfin,
si globalement on ne peut parler de déni du manque ou de
l’atteinte, ceux-ci s’observent néanmoins ponctuellement
dans nombre de protocoles.
Illustration 11 : Difficultés d’élaboration de la perte au TAT
Déni du manque et de l’atteinte
Au TAT, et de manière encore plus fréquente qu’au Rorschach
(7 protocoles sur 9), la confrontation à la perte aboutit ponctuel-
lement (à quelques planches) au déni du manque et de l’atteinte
(point 8 de l’échelle d’élaboration de la position dépressive au
TAT ; Emmanuelli, 1991).
Ainsi, à la planche 12BG, l’absence de l’objet peut quelquefois
ne pas être reconnue et susciter diverses modalités défensives, dont
le repli narcissique :
– « [24”] C’est une personne qui… qui est venue se réfugier
dans un endroit qui est tranquille et qu’elle aime. [8”] C’est un
endroit, isolé… calme et difficile d’accès ( ?) Pour réfléchir au
calme » [pl. 12BG, Blanche]
Un déni du manque que l’on peut retrouver de manière fla-
grante dans quelques récits à la planche 13B :
– « Ça me fait penser à un fils de bûcheron qui est en train
de bronzer au soleil et qui attend son père. C’est tout » [pl. 13B,
Paul]
Pour autant, tout comme au Rorschach, bien que plus récur-
rent, le recours au déni demeure ponctuel et l’expression d’une
sensibilité dépressive apparaît dans d’autres récits d’un même
protocole.
Sentiment de déperdition narcissique (massive)
Très souvent, il s’agit de l’évocation d’un sentiment de déper-
dition narcissique (ce que l’on retrouve dans 7 protocoles sur 9),
sentiment de déperdition narcissique qui ne peut alors s’associer
à l’absence ou la perte d’un objet (points 6 et 7 de l’échelle TAT).
Et dans 5 protocoles, soit plus de la moitié, c’est un sentiment de
déperdition narcissique massive qui apparaît :
– « C’est un pistolet ? » (me montre la planche) ++ « C’est l’his-
toire d’une dame qui est désespérée et elle s’écroule de chagrin car
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de fin car elle reste +++ Si, à la fin elle finit par se relever au bout
de quelques heures et range le pistolet et fait comme si de rien
n’était » [pl. 3BM, Jeanne]
Ici, les ressentis dépressifs ne trouvent donc pas à se lier à une
représentation de perte objectale. Les modalités d’expression de
l’affect apparaissent variables. À côté d’affects intériorisés plus
ou moins massifs, il s’agit de comportements traduisant l’affect ou
de postures signifiantes d’affect. Quelquefois, l’éprouvé subjectif
vient même signifier l’impact de la planche (soupirs).
Représentation de perte massive et fantasme d’impossible
survie
La représentation d’une perte objectale demeure néanmoins
possible dans tous les protocoles, apparaissant dans d’autres récits.
Mais quand cela est le cas, c’est très fréquemment une perte mas-
sive qui est figurée, souvent la mort d’un proche, une perte massive
également dans ses effets, et c’est bien souvent le débordement
qui se dit, en lieu et place d’un affect intériorisé – ou alors très
intense –, via les postures ou les comportements traduisant l’affect,
quand ce n’est pas un éprouvé subjectif, dans la confusion :
– « Alors là c’est une dame qui est morte avec son mari qui est
à côté, qui est en pleurs, ou un médecin qui a essayé de la sauver
et qui n’a pas pu et qui est désemparé face à son incompétence,
enfin pas son incompétence, mais qu’il a pas pu réussir à la sauver
quoi, il a l’air désemparé. Je voulais vous dire, c’est intéressant ces
tests. Par contre des fois ça remue, on croit que c’est un test sain
qui est bénin, ça remue. C’est pas des images banales. Sinon dans
cette photo, y a beaucoup de tristesse, y a beaucoup de désem-
parage… ( ?) Elle est très désemparée et c’est tout. C’est déjà pas
mal. (Photo ou dessin ?) Bah, ils sont doués parce que même moi
j’arrive pas à dessiner comme ça. » [pl. 13 MF ; Sidonie]
Quelquefois, ce peut même être le fantasme d’une impossible
survie, d’une perte indépassable qui surgit :
– « Ça représente une personne triste. [28”] Parce qu’elle a
perdu quelqu’un donc elle veut le rejoindre. ( ?) Bah, elle veut le
rejoindre » [pl. 3BM, Blanche]
Dans ce dernier cas, l’affect pourrait même apparaître mini-
misé en regard du fantasme de vouloir rejoindre l’autre dans la
mort.
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cela apparaît aux projectifs, la représentation de la perte
pour ces sujets est soit effractante, soit évitée, voire déniée,
suscitant une mobilisation défensive qui s’articule essen-
tiellement autour du repli narcissique, de l’inhibition et de
l’investissement du cadre descriptif. En quoi, par ailleurs, il
nous semble pouvoir trouver là motif à comprendre ce que
nous évoquions un peu plus haut, à savoir, chez ces patients,
un vécu de souffrance dépressive chronique et intense
qui trouve transitoirement à s’amender durant certaines
périodes, l’humeur pouvant même aller jusqu’à s’inverser
comme nous le suggère Tatiana :
– « Bah des fois je vais être euphorique, pendant plusieurs
jours, plusieurs semaines et d’un seul coup, je vais être dépressive.
Et, à ce moment-là, bon bah des fois, j’y pense à l’avance, et puis
arrivé un moment j’en peux plus donc je passe à l’acte… »
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de la pulsion de mort sur un alliage pulsionnel déjà for-
tement imprégné des visées de Thanatos, chez ces patients
limites, comme y insiste Catherine Chabert (1999a, 1999b).
Revendication croissante de la pulsion de mort à la mesure
de cette intensité douloureuse (Green, 2000) et de la faillite
des objets, aussi bien internes qu’externes, à se substituer
à l’objet perdu, à investir et nourrir libidinalement le sujet
(Pasche, 1969) comme à lui offrir le support intriquant
d’un possible investissement, ainsi que nous le suggère
Denys Ribas (2002, p. 1743). Flux pulsionnel agressif/des-
tructeur, se nourrissant ainsi de l’insuffisance des tendan-
ces libidinales comme probablement encore d’un réveil du
vécu persécutif, absence d’investissements internes substi-
tutifs réalisables et réparateurs – en quoi nous retrouvons
le défaut d’élaboration de la position dépressive –, autant
d’éléments qui obèrent grandement les chances d’aboutis-
sement d’un alors très hypothétique travail de deuil, s’opé-
rant, en son procès habituel, à partir du refoulement, dans
le nécessaire redéploiement des investissements, ainsi que
l’affirme Le Guen (1992, p. 80).
Au contraire, loin de déboucher sur un remaniement, il
nous semble plutôt que le processus ici à l’œuvre se caracté-
rise, à l’opposé, par la fixité et la circularité où, en lieu et
place d’un « […] renforcement […] [trophique] des refoule-
ments – et donc des contre-investissements […] », sans lequel
« le travail de deuil ne pourra aboutir » (Ibid.), nous avons
affaire à un refoulement drastique de motions pulsionnelles
enkystées dans des modalités agressives/destructrices et à
une inhibition fantasmatique massive, avec pour seule issue
consécutive une inflexion mortifère, pour le sujet lui-même.
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patients l’insuffisante élaboration de la position dépressive,
pour en envisager cette fois les incidences sous le rapport
d’une inhibition subséquente de la conflictualité intrapsy-
chique. Où les suites de la perte externe subie et/ou de la
réactivation conflictuelle adolescente et du nécessaire travail
de séparation qui l’accompagne, doivent alors s’envisager
sous l’angle de la crainte qu’elles ravivent nécessairement
quant à la pérennité des objets internes.
Car, ainsi que le suggère Melanie Klein, les pertes, les
nécessaires séparations, ont pour effet de faire se rejouer,
d’activer, cette fois dans la durée, la position dépressive et
toutes les traces qu’ont pu laisser, au plus profond de la psy-
ché, les situations dépressiogènes rencontrées tout au long
du développement psychosexuel (1940, p. 351).
Aussi bien, pour ces adolescents chez qui la souffrance
dépressive apparaît dans toute son acuité au devant du tableau,
l’on peut légitimement interroger l’occurrence d’une intense
crainte quant à la pérennité des objets internes, suivant en cela
Melanie Klein : « Le moi se sent constamment menacé dans sa
possession de bons objets internalisés. Il est plein d’angoisse
que ces objets ne meurent. Chez les enfants comme chez les
adultes souffrant de dépression, j’ai mis au jour le sentiment
d’épouvante d’abriter en eux des objets mourants ou morts (et
en particulier les parents) » (1934, p. 316).
Intense crainte quant à la pérennité des objets internes
que, par surcroît, vient redoubler et à quoi s’articule une fra-
gilité narcissique importante chez ces patients. Notamment
en ce que, par contrecoup et en miroir, c’est une fragilité de
l’objet interne qui peut s’en induire. Crainte d’autant plus
intense – et c’est par là que nous en arrivons à comprendre
comment se scelle leur destin – que le sujet, par les processus
que nous avons décrit un peu plus haut, voit les motions pul-
sionnelles destructrices affluer et viser ces objets internes,
dans l’impossible accès à l’ambivalence, dans l’impossible
liaison par les motions libidinales.
Ainsi, sur la scène interne, le sujet se trouve-t-il aux
prises avec un paradoxe : il est porté à attaquer/détruire
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narcissiquement fragile, fragilité qu’il attribue en miroir,
par projection, à cet objet interne.
Par quoi, et pour retrouver la perspective freudienne de
1926, le sujet, dans la confluence de ces différents facteurs,
est alors face à la situation de danger renvoyant, quelles
qu’en soient ses variations et son élaboration, à un registre
de perte. Situation de danger vers laquelle toute l’attention
du moi s’est tournée, à la faveur de déplacements succes-
sifs, comme vers la vigie annonçant l’assaut à venir, dans
une visée anticipatoire et mobilisatrice. Situation de danger
dont il convient par la mobilisation défensive de prévenir
les conditions d’advenue, tant cette dernière, réalisée, fait
craindre dans son sillage l’état traumatique, synonyme
de submersion du moi, et contre la survenue duquel, par
conséquent, toute action de prévention est dirigée en der-
nière instance.
Aussi bien, pouvons-nous ainsi envisager, face au flux
pulsionnel agressif/destructeur qui abonde à jet continu la
scène interne, tout dirigé qu’il est contre l’objet, le déclen-
chement de quelque signal d’angoisse par l’entremise duquel
toute velléité agressive/destructrice va se trouver refoulée.
b) Inhibition fantasmatique
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– au clivage des objets (extrêmement rarement cependant)
permettant l’attaque fantasmatique d’un mauvais objet
sur lequel une part de cette agressivité a été projetée – le
versant libidinal étant bien plus facilement figuré ; ce
qui prépare et aboutit, dans la réalité externe, à des pas-
sages à l’actes hétéro-agressifs, résolutoires de la tension
interne, une fois encore extrêmement rares, étant donnés
la répression et le refus dont ils font l’objet (vection des-
tructrice de l’objet) ;
– à l’inhibition de la figuration/scénarisation interne
des mouvements agressifs/destructeurs, drastiquement
refoulés, de manière prévalente.
Où la dynamique conflictuelle et sa mise en scène interne
le cèdent alors à la préservation d’un narcissisme fragile et
de l’objet, au surinvestissement des limites, à l’inhibition.
Illustration 12 : Inhibition de la conflictualité intra-
psychique
Absence d’interactions, relations spéculaires
Au Rorschach, c’est la plupart du temps l’absence d’interac-
tions qui prévaut ou bien alors la relation, humaine ou animale, se
cantonne à une registre spéculaire a-conflictuel, au mieux dans le
flou et l’indétermination quant à l’action projetée.
Planche III : dans une configuration tripartite et une figuration
de représentations humaines plus affirmées, elle sollicite surtout
les choix identificatoires et les scénarii relationnels libidinaux ou
agressifs, les tâches rouges suscitant l’émergence des mouvements
pulsionnels. Quelques exemples :
– « Bah je vois deux personnes. Euh, je sais pas ce que ça
pourrait… Ils tiendraient quelque chose mais je vois pas quoi
… Hum. » [Enquête : « Donc là, c’était deux personnages
(D lat. noirs), donc de chaque côté et qui tiennent quelque chose
(D inf.) ») [Blanche]
– « Des gens sur une balançoire avec un papillon qui vole
autour d’eux, entre eux plutôt, pas autour d’eux, plutôt sur un
tourniquet qu’une balançoire parce que… C’est tout. » (Enquête :
« Alors là des gens qui jouent au tourniquet avec un papillon qui
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vole entre eux. Il me semble pas que j’avais vu autre chose [V]
comme ça oui, ça ?? non. ») [Sidonie]
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l’agressivité
Au Rorschach, le traitement des motions pulsionnelles affec-
tives en termes d’ambivalence demeure hors de portée, la pré-
sence simultanée, à une même planche, de motions agressives et
libidinales ne constituant qu’une seule occurrence sur l’ensemble
des protocoles. Seuls des scénarii relationnels libidinaux peuvent
être figurés – et encore demeurent-ils l’exception (deux occur-
rences sur l’ensemble des protocoles) –, le versant agressif res-
tant, quant à lui, spontanément inexprimable dans la relation.
À cet égard, l’exemple d’Amalia à la planche III nous apparaît
caractéristique de la surenchère défensive que suscite toute vel-
léité agressive.
– [10”] (pose la planche sur la table ; se gratte le bras) « Bah,
ça me fait pas penser à grand-chose. Non, je vois pas. » [Enquête :
(Deux personnages ?) « Si là et là. Mais ça m’a… j’ai, plutôt,
enfin… oui, non, ça m’a pas sauté aux yeux. C’est tout. ( ?). Parler,
se regarder, plutôt être en conflit parce qu’il y a une tache rouge
au milieu. Voilà. »]
Après un refus au spontané, les personnages, dont il nous faut
par une question solliciter la reconnaissance à l’enquête – alors
que, rappelons-le, il s’agit ici d’une réponse banale, fréquemment
donnée –, ne sont pas nommés, mais seulement localisés et désignés
(« si là et là »), tandis que l’expression (« ça ne m’a pas sauté aux
yeux »), au terme d’un propos hésitant (« mais ça m’a… j’ai, plu-
tôt, enfin… oui, non, ça m’a pas sauté aux yeux »), de même que
l’expression finale (« c’est tout ») indiquant le blocage associatif,
viennent signifier l’expression probable d’un refoulement mas-
sif, dans un contexte de stimulation des mouvements pulsionnels,
s’agissant d’une planche « rouge » et en configuration bilatérale.
La suite de l’enquête nous livre le mobile de cette répression
de la dynamique relationnelle. Il faut en effet de nouvelles sollici-
tations de notre part pour que puisse se dire, au gré d’une levée
toute progressive et inachevée de l’inhibition, l’incidence projec-
tive et l’agressivité qui la sous-tend, malgré l’endiguement défensif
dont elle fait l’objet (« Parler, se regarder, plutôt être en conflit
parce qu’il y a une tache rouge au milieu. Voilà »).
Ainsi, à rebours du refus initial, réapparaît peu à peu l’objet
puis, à la suite d’une nouvelle et indispensable stimulation,
c’est la mise en relation qui se fait jour, d’abord spéculaire et a-
conflictuelle, de facture impersonnelle et privilégiant l’infinitif
(« parler » ; « se regarder »), dans ce qui relève probablement
d’une tentative de désinvestissement, voire de gel pulsionnel. Puis
progressivement, les désirs agressifs, probablement portés par le
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alors que la couleur, si elle paraît bien déterminer la réponse, n’y
est toutefois pas véritablement intégrée, servant davantage de jus-
tification à l’expression a minima du mouvement agressif, agressi-
vité que la patiente semble par là livrer presque malgré elle, comme
en dehors de tout ressenti propre.
Au TAT, dans la plupart des protocoles, c’est le défaut de
scénarisation qui se donne à voir. Si la figuration des personnages
représentés sur le matériel favorise leur mise en relation, c’est
rarement dans une facture dramatisée que cela s’effectue. Et,
lorsqu’il s’agit de motions agressives, prévaut rapidement l’évi-
tement d’un conflit qui ne parvient pas à se nouer. Seuls quatre
récits – sur l’ensemble des protocoles – s’inscrivent dans une
tentative de traitement scénarisé de l’agressivité, oscillant entre
une expression a minima ou, par contraste, massive, dans le cli-
vage de l’objet. L’accès à l’ambivalence, hormis cinq exceptions,
demeure hors de portée. Aussi bien, fréquemment, les récits se
trouvent la plupart du temps enserrés dans un carcan où pré-
domine l’inhibition, très souvent dans une restriction drastique,
l’anonymat des personnages ou l’imprécision quant au motif du
conflit s’il est suggéré. À quoi s’articule, de manière secondaire,
les défenses factuelles et narcissiques (repli et relations spé-
culaires), l’accrochage au descriptif, tandis que les procédés
rigides exprimant le doute, à travers les précautions verbales
itératives, loin de servir de tremplin vers le conflit, participent
davantage de sa mise à distance.
Planche 9 GF : Cette planche, qui figure deux jeunes femmes,
renvoie à la rivalité féminine dans un contexte œdipien, alors
qu’au-delà peut se mobiliser une agressivité plus violente, éven-
tuellement mortifère. Quelques exemples :
– « Là, avec le blanc (montre le centre de la planche), je
n’arrive pas à voir si c’est la même pièce. Je ne sais pas si elle est
cachée derrière un arbre. ++ Elle regarde la jeune fille qui s’en va.
++ On dirait qu’il y a un torrent, là » (montre le bas de la planche)
[Laëtitia].
– « C’est une femme qui aperçoit une autre femme qui s’enfuit
en courant. [13”] Elle est déterminée à… retrouver quelqu’un »
[Blanche].
– « Alors là, je comprends rien au dessin. [10”] (observe beau-
coup) Je vois pas comment… je vois pas comment la femme peut
voir l’autre femme, d’où elle est, enfin je vois même pas où elle est,
ça m’évoque rien du tout. C’est possible de rien dire dessus ? »
[Amalia].
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vement refoulée qui, par la suite, fait retour et montre alors
sa connotation destructrice, dans une inflexion mortifère,
toute dirigée qu’elle est contre le sujet lui-même.
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lité œdipienne ; mélancolique également, dans la mesure où
les tendances sadiques visant originellement l’objet déceptif,
et que la déception vient renforcer, sont alors dirigées contre
le moi identifié à l’objet, permettant au sujet de l’attaquer
sans mettre en scène cette attaque, le préservant ainsi de
l’angoisse de perdre son amour. Par surcroît, dans le ren-
versement d’une passivité par rapport à l’objet en une acti-
vité sur le corps, le retournement autodestructeur, l’objet
n’est pas « perdu » (passivement) mais « abandonné » (acti-
vement), préservant encore le sujet de l’angoisse de perdre
son amour.
Enfin, dernière pièce de la construction, le retournement
autodestructeur, actif, pourrait aussi signifier un renverse-
ment de la passivité que constitue « l’être excité par l’autre »,
si l’on se réfère à une version névrotique du fantasme de
séduction, telle qu’elle semble prévaloir dans une majorité
des protocoles. Ailleurs, comme nous le constatons pour cer-
taines patientes ayant eu à subir dans leur enfance ou dans
le décours de leur adolescence une « séduction forcée », bien
souvent de la part du proche entourage dans une confron-
tation traumatique, déstructurante et probablement culpa-
bilisante, à la fantasmatique incestueuse, dans le « coup »
ou l’« après-coup », l’acte pourrait encore prendre le sens
d’une expiation. Dans ce qui renvoie alors, selon la concep-
tion de Catherine Chabert, à une version mélancolique des
fantasmes originaires.
Illustration 13 : Inflexion fantasmatique mortifère et dyna-
mique masochiste/mélancolique prévalente
Rorschach
– « Là, ça me fait penser à un chat écrasé. On voit la tête apla-
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tie avec les moustaches et les oreilles et les bas-joues et puis le corps
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tout aplati aussi. Voilà. » [Enquête : « Un chat écrasé. Surtout la
tête qui m’a fait penser à ça. Voilà ») [Amalia, pl. VI]. (cf. supra,
illustration 12, dans la continuité associative : l’agressivité qui ne
peut être mise en scène au spontané, notamment à la planche III,
fait retour ici, dirigé contre la personne propre).
– « Si, peut-être une épée qui serait enfoncée dans un rocher,
mais c’est tout. Elle serait prisonnière du rocher. » [Enquête :
« On dirait juste une épée, là (montre l’axe central) qui est plan-
tée dans quelque chose. ++ Comme une épée qu’on ne pourra
pas retirer car elle est coincée dans le rocher » [Laëtitia,
pl. VI].
– « […] Et les deux tâches qui sont ici et ici, ça me fait penser à
la tête, c’est comme la tête du Christ baissée, c’est comme si c’était
le Christ sur la croix vu de cet angle là, c’est ça que ça m’inspire »
[Paul, pl. III].
TAT
– « C’est un pistolet ? » (me montre la planche) ++ « C’est l’his-
toire d’une dame qui est désespérée et elle s’écroule de chagrin car
elle voulait se suicider avec le pistolet mais, en fait, en se regardant
dans la glace et en pointant le pistolet sur elle, elle s’est rendue
compte qu’elle avait peur de la mort et elle s’est écroulée car elle
se dit qu’elle arrivera à rien, même pas à mourir. Et, il n’y a pas
de fin car elle reste +++ Si, à la fin elle finit par se relever au bout
de quelques heures et range le pistolet et fait comme si de rien
n’était » [pl. 3BM, Jeanne].
– « Là, on dirait que la femme dans le lit est morte. Elle est
toute nue et elle est morte. L’homme devant pleure. On dirait
qu’elle vient tout de suite de mourir et l’homme pleure. ++ Cela se
passe dans une petite chambre. Il y a une table […] On peut penser
que c’est sa femme » [pl. 13 MF, Laëtitia].
– « Ça représente une personne triste. [28”] Parce qu’elle a
perdu quelqu’un donc elle veut le rejoindre. ( ?) Bah, elle veut le
rejoindre. »
Entretien : Coloration masochiste/mélancolique que l’on
retrouve également aux entretiens :
– Dans ses racines, à travers la séquence agressivité – angoisse
de perte – auto-agressivité
– « J’ai toujours voulu mourir euh… avant les membres de ma
famille […] Je sais pas… je pense que c’est la peur de voir un
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– « Et est-ce que vous pensez à votre propre mort à vous ? » – « Non.
Enfin, j’y pense quand j’ai envie de me la donner mais sinon… À
chaque fois, je vois que c’est ma famille qui est morte sauf moi. »
– « Souvent ? » – « Oui, comme je vous ai dit par exemple quand
je monte dans une voiture, j’imagine qu’on a un accident, eux ils
meurent tous sauf moi » [Blanche].
– Dans la haine de soi
– « Qu’est-ce qui fait que ça vous apaise ? [les tentatives de sui-
cide] » – « Bah parce que j’aime pas… je me supporte pas comme
je suis, donc je me dis bah dans quelque temps tu ne seras plus
comme ça, tu seras autrement… » [Amalia].
– « Mais pourquoi cette recherche de la mort ? » – « Parce que
je suis nul, parce que je m’aime pas. Je m’aime pas donc je veux
mourir. Mais pour moi, j’aime bien mon corps, mais j’aime pas
ma tête, mon esprit. J’aime pas mon esprit mais j’aime bien mon
corps. Enfin, mon corps me gêne pas, il est pas moche spécialement
[…] Oui toujours, c’était toujours ce sentiment dépressif, de me
dire que j’étais nul, que je servais à rien… » [Paul].
– Dans l’érotisation de la destructivité et la « férocité ani-
male » avec laquelle est envisagé le passage à l’acte
– « C’est-à-dire, je me tuerai pas tout de suite, je me ferai
saigner beaucoup, beaucoup, beaucoup, je prendrai des médi-
caments, je vomirai, je… et…, et après je mourrai » [Sidonie].
– « Je me suis scarifiée, et j’ai avalé des objets tranchants […]
Bah, j’ai avalé des punaises, des lames de rasoir […] C’était… bah
ça aussi en fait, c’était… c’est parce que je voulais bah… que ça
coupe à l’intérieur, je voulais faire une hémorragie interne comme
ça bah… » [Blanche].
– Dans la connotation incestueuse
– que peut laisser supposer la convocation réitérée, et proba-
blement polysémique, condensée, de la figure œdipienne : « Mon
père avait dit : “si la carotide est touchée, on meurt en deux
minutes” […] Même que mon père, à chaque fois, il me faisait
des compressions manuelles pour essayer d’arrêter que le sang il
coule… » [Laëtitia].
– qu’on peut entendre derrière la visée de purification du pas-
sage à l’acte : – « Vous avez toujours utilisé le même mode opé-
ratoire pour ces tentatives de suicide ? C’est-à-dire toujours par
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9 avril 2014 11:01 - La psychiatrie de l’enfant 1/2014 - Collectif - La psychiatrie de l’enfant - 135 x 215 - page 137 / 350
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nelle que laisse entendre le passage à l’acte
– « J’étais déterminée à en finir, vraiment… j’étais détermi-
née et je culpabilisais plus euh… par rapport à ma mère, parce
qu’avant euh… enfin je savais que… enfin me tuer, ce serait la
tuer quand même… mais là euh… j’étais tellement en souffrance
que… que je culpabilisais plus et… enfin je sais qu’en faisant une
tentative de suicide… […] » – « Est-ce que dans les heures ou les
jours qui ont suivi vous avez ressenti des choses particulières ? »
– « Oui… J’en voulais un peu à la terre entière, euh… Et puis ma
mère m’avait envoyé aux urgences, donc j’étais hospitalisée… j’en
voulais vraiment à la terre entière, je voulais qu’on me laisse mou-
rir euh… c’est tout ce que je voulais… »
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d’une tentative d’élaboration du traumatisme subi et tout
ensemble, de l’instauration d’une néo-relation sous emprise
au terme de laquelle ce dernier sert le contre-investissement
du vide interne, substituant ce faisant à une dépendance à
l’autre, une dépendance au geste suicidaire, dans un pro-
cessus anti-introjectif. Tandis que chez Blanche, la tenta-
tive de suicide s’apparente plus ou moins à une sorte d’objet
contraphobique. Autant d’éléments plaçant la tentative de
suicide au cœur de l’économie du sujet et risquant, ce fai-
sant, de l’enfermer un peu plus dans un cercle de répétition.
Une dynamique du geste autodestructeur qui paraît encore
se renforcer d’une dimension d’abrasion des mouvements
pulsionnels, de la souffrance dépressive comme chez Jeanne
et Sidonie, alors qu’à l’inverse il peut encore se sous-tendre
d’une dimension de figuration de cette souffrance indicible et
du conflit, dans l’appel au regard de l’autre.
Nous ne pouvons ici que livrer une évocation par trop
lacunaire de ces différentes composantes dynamiques. Une
pleine et authentique restitution, dans leurs différentes arti-
culations, nous obligerait en effet à reprendre chacun des
cas explorés et à rendre compte d’un matériel trop impor-
tant pour le format qui est aujourd’hui le nôtre. Aussi bien,
renvoyons-nous le lecteur, pour davantage d’exhaustivité, à
notre travail de thèse (Boissière, 2011).
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périodes de rémission transitoire. Par où il nous semble pou-
voir trouver une explication au caractère bimodal des proces-
sus de passage à l’acte que nous constatons au plan clinique,
deux types cohabitant quelquefois chez un même sujet.
– Le premier type, « prémédité », tel que le dénomment
les patients, peut selon nous être référé à ce fond constant,
croissant et primordial d’une tension interne intense, ne
trouvant pas toujours à se qualifier en souffrance dépres-
sive et suscitant une revendication pulsionnelle agressive/
destructrice qui ne sait que très insuffisamment se jouer
sur la scène interne et n’a d’autre issue fantasmatique que
dans l’attaque de soi. D’où les idées suicidaires que nous
retrouvons au niveau conscient. Idées suicidaires dont
nous pensons qu’elles peuvent, d’un point de vue écono-
mique, jouer comme satisfaction substitutive et permettre
une certaine liaison de l’excitation. Mais, encore une fois,
bien trop peu en regard d’une revendication pulsionnelle
intense dont nous supposons, par suite, qu’elle aboutit à un
phénomène de stase libidinale, une stase qui grossit peu à peu.
Où il n’est alors que de reprendre les considérations
que nous avons développées dans la première partie de cet
article, postulant que par un phénomène de dérivation éner-
gétique, le surplus d’excitation pulsionnelle pouvait trouver
une décharge sous la forme d’un développement d’angoisse
psychique. Qualification que nous ne retrouvons pas tou-
jours dans la clinique où il s’agit parfois davantage d’une
excitation, si l’on peut dire, à l’état brut.
Aussi bien, dans la situation qui nous occupe, ce qui se
dessine alors, c’est l’impasse de la solution pulsionnelle à une
douleur réclamant son évacuation. Où le moi se voit progressi-
vement ramené à l’« […] état de détresse face à la revendica-
tion pulsionnelle constamment croissante […] » (Freud, 1926,
p. 70), ayant en quelque façon comme échangé « […] une dou-
leur qui ne veut pas cesser […] » contre « […] une accumula-
tion de besoins qui ne peuvent trouver aucune satisfaction […],
situation [qui] est la même du point de vue économique […]. »
(Ibid., p. 97-98). Par quoi, dans un nouveau renversement,
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sageables, que la clinique nous induit à considérer :
– La combinaison d’une angoisse ou d’une excitation
brute et/ou d’une douleur dépressive de niveau suffi-
samment élevé et insupportable, pour que l’idée du sui-
cide – qui probablement à mesure des répétitions s’est
ancrée comme solution pérenne –, loin alors d’assumer
un rôle de liaison, constitue une invite à décharger l’exci-
tation dans le passage à l’acte. Dans une anticipation, en
quelque sorte, – et vraisemblablement encore une fois
via la pérennisation de la solution suicidaire par la répé-
tition – de l’état traumatique à venir. Ou peut-être encore
par le sentiment vécu d’une impasse, situation de détresse,
de désaide, non pleinement ressentie économiquement
mais davantage envisagée sur un plan représentationnel.
Passage à l’acte non traumatique autrement dit ;
– Ou bien, une forme traumatique de passage à l’acte,
lorsque l’excitation monte jusqu’à atteindre un niveau
paroxystique. Nous retrouvons alors les processus que
nous avons décrit dans notre première partie, notamment
la mise en œuvre « en urgence » de modalités primaires
de refoulement (Le Guen, 1992) suivis d’une régression
fantasmatique (Perron-Borelli, 1997) ouvrant au pas-
sage à l’acte. De même pour les processus de déliaison
en chaîne et d’intrication défensive – où le retournement
contre la personne propre se substitue ici à la fusion mau-
vais objet-corps propre – par lesquels l’attaque du corps
est alors rendue possible.
Premier type de passage à l’acte que nous donne à repérer
la clinique, et qui procède fondamentalement d’une montée
progressive, d’une accumulation de la tension interne – ou
d’un mélange : souffrance dépressive, angoisse psychique,
excitation à l’état brut – à laquelle se surajoute parfois un
surcroît d’excitation, en fonction des vicissitudes existen-
tielles qui contribuent à l’amplifier – et non à la déclencher
comme dans les processus réactionnels. Premier type de pas-
sage à l’acte, traumatique ou non.
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n’intervenait pas à l’issue d’une période de rémission rela-
tive, où la tension interne s’est amendée quelquefois jusque
dans une inversion de l’humeur (l’« euphorie » de Tatiana).
Un accès traumatique dans lequel se mêlent, selon des combi-
naisons chaque fois singulières, affects divers (souffrance,
tristesse, colère, révolte, violence, frustration… cf. infra,
illustration 14), angoisse psychique paroxystique, à son acmé,
et/ou excitation à l’état brut. S’accompagnant parfois, dans
les tout derniers moments, d’une fantasmatique d’abandon.
Processus qui ressemble donc fortement à ce que l’on avait pu
repérer pour les processus réactionnels. À ceci près qu’il ne
s’agit pas ici d’une activation externe du refoulé, comme en
atteste la clinique, mais plus probablement d’un fléchissement
des défenses face à la poussée qu’une surenchère avait, pour
une période transitoire, réussi à contenir. Raptus impulsif
traumatique, surgissant tout à coup, dans une dissolution plus
ou moins marquée de la conscience et hors de tout contrôle,
sans prodromes annonciateurs, comme un coup de tonnerre
dans un ciel, qu’indûment l’on croyait plus serein. Où l’on
peut encore supposer retrouver les processus de refoulement
primaire, de régression fantasmatique, de déliaison en chaîne
et d’intrication défensive – moyennant les modifications que
nous avons introduites ici au niveau dynamique –, tels que
nous les avions décrits pour les répétitions réactionnelles.
Illustration 14 : Caractère bimodal des passages à l’acte :
Amalia (entretien)
Premier type de passage à l’acte : « prémédité »
La préméditation est sous-tendue par une dimension de maî-
trise active et d’une fantasmatique de transformation, rassurante
et apaisante, contrecarrant la haine de soi, le sentiment de dépré-
ciation narcissique, dépressif…
– « Bah oui, parce que quand c’est prémédité, je me fais plus
euh… enfin oui entre guillemets une joie de le faire, enfin je me
prépare et ça m’enchante de faire ça… c’est pas que ça m’enchante
mais… ça me… ça me calme… ça m’apaise… ça me rassure en fait
de me dire… oui… je vais être comme ça dans pas… dans quelque
temps, ça va se passer de telle façon, de telle façon… […] J’ai envie
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dis bah dans quelque temps tu ne seras plus comme ça, tu seras
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autrement… »
… si aucune angoisse psychique – si ce n’est en lien avec
une culpabilité – comme accès paroxystique n’est véritablement
notable :
– « Juste avant, y a un peu d’angoisse parce que je me dis que
je fais quelque chose de pas normal et de pas bien, parce qu’on m’a
dit que c’était pas bien, pas parce que moi je le pense comme pas
bien mais parce qu’on m’a dit que c’était pas bien… » – « Et y a
pas d’angoisse par rapport à un danger ? » – « Y a de l’appréhen-
sion parce que je me dis que je risque toujours de me retrouver à
l’hôpital… enfin j’ai peur de me retrouver à l’hôpital parce que je
sais que je vais être hospitalisée après, mais y a pas de… j’appré-
hende pas ça en me disant “je risque ma vie” » – « C’est le fait
d’être obligée d’être à l’hôpital qui vous ennuie… C’est pas par
rapport à un danger qui peut être vital ? » – « Non. »
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du conflit en effet, par soi, comme produit d’une élaboration
défensive qui, si restreinte soit-elle, n’en demeure pas moins
toujours présente, ainsi que l’affirme Michèle Perron-Borelli
(1997). Geste suicidaire qui se donne ainsi à voir comme
expression/figuration du compromis entre le désir agressif
visant l’objet et la défense.
Et probablement est-ce là que son caractère traumatique,
ou non, doit, encore, être pris en considération. Par où nous
pourrions alors distinguer entre une figuration du conflit
qu’on pourrait dire, ou non, objectalisée, selon que prévaut
la douleur ou l’effroi. Dans la mesure où, non traumatique,
le passage à l’acte porte probablement, en sus, une dimen-
sion d’appel à l’autre, ce qui semble beaucoup plus douteux
dans le cas d’un raptus traumatique, soudain et brutal. En
quoi il trouve vraisemblablement encore un renforcement de
la dynamique à l’œuvre autant que, sur le plan économique,
un nouveau motif de satisfaction.
Ainsi, Catherine Chabert (2000), supposant une pro-
jection de la morale et du surmoi « sur le regard de l’autre
à partir de sa sollicitation exhibitionniste » en vient-elle à
affirmer : « C’est en ce sens que nous pouvons parler d’une
tentative de figuration du conflit à travers les mises en actes
itératives de ce type de symptôme : figuration qui s’étaye
sur la perception dans l’appel au regard de l’autre et qui
peut offrir une base tangible à un processus d’intériori-
sation à venir » Et plus loin d’ajouter : « Ainsi, peuvent
se déployer les significations défensives de ces recours
aux actes, mais aussi l’adresse qui les sous-tend, l’appel,
la sollicitation qui les déterminent et qui en exigent la
répétition. »
Figuration du conflit dans l’appel au regard de l’autre,
mais également de la souffrance dépressive, quelquefois
indicible, comme de son produit immédiat, la haine, alors
dans la monstration, l’exhibition complaisante, hystéri-
sante, de la cruauté. Moyen d’attaquer l’objet, de lui
« jeter à la face », sous couvert du compromis masochiste,
toute cette haine et cette souffrance que, parfois, il paraît
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souffrance et de la haine : Sidonie (entretien)
– « Mais j’ai tellement une souffrance à l’intérieur que moi je
veux pas mourir en me jetant d’un pont sans rien sentir, je veux
mourir en souffrant pour leur prouver que… que j’ai tellement
souffert, que la souffrance c’est rien quoi […] Mais si je me retiens
pas, c’est ce que j’ai dit, je serais capable de faire n’importe quoi,
je serais capable de prendre un couteau, de me tailler la gorge, […]
j’ai tellement mal à l’intérieur, que ce que j’ai à l’intérieur, si je le
laisse éclater, y aura beaucoup de sang, beaucoup de sang… »
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freudienne de 1914, et dans une répétition du besoin, pour
emprunter à Daniel Lagache3.
Autonomisation du processus de répétition suicidaire
donc, désormais hors de toute nécessité d’occurrence déclen-
cheuse, et qui, plus loin encore, semble pouvoir tendre vers
l’emballement et l’automatisation.
Illustration 16 : Cycle d’angoisse et boucle de répétition sui-
cidaire : Laëtitia (entretien)
Chez Laëtitia, se dévoile, de façon manifeste, l’existence d’un cycle
d’angoisse se caractérisant par une montée progressive dans les jours
ou les heures qui précèdent l’acte, atteignant son acmé au moment du
passage à l’acte, et régressant immédiatement après. Mais revenant
inexorablement un peu plus tard… dans les jours qui suivent.
Avant le passage à l’acte
– « Et ce que vous avez ressenti dans ces moments qui ont pré-
cédé, pas juste avant mais dans les heures ou les jours qui
ont précédé, c’était plutôt quoi ? De l’angoisse, de… » – « Oui,
j’étais angoissée… » – « D’accord… c’est quelque chose d’assez
diffus… » – « Oui… » – « Toujours pareil… et toujours selon le
même mode, c’est-à-dire une angoisse qui… finalement qui est
revenue après le premier passage à l’acte, qui est montée de plus
en plus… » – « Oui… »
Juste avant et au moment du passage à l’acte
– « … et qui se termine par une crise d’angoisse ? » – « Oui […]
Oui, je suis en crise d’angoisse, quand je vais le faire… » – « Juste
avant ? » – « Je faisais des grosses crises d’angoisse… j’étais en
crise d’angoisse… » – « Donc, d’un seul coup, quelque chose de…
de momentané, juste avant le passage à l’acte… » – « Oui… »
Juste après le passage à l’acte
– « Bah dès que… j’avais fait l’acte après… la crise d’angoisse,
elle était passée… » – « Est-ce que justement au moment de ce pas-
sage à l’acte, ça, ça s’arrête ? Cette angoisse… » – « Oui. » – « Oui.
Après ou au moment où vous le faites ? » – « Juste après… »
– « Comment est-ce que vous qualifieriez l’état juste après ? »
– « Bah… je suis soulagée… »
Plus tard
– « Là, elle était passée et après, dans les jours qui suivent,
ça revient rapidement ou… » – « Oui… » – « Oui, ça revient rapi-
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– De la répétition du besoin au besoin de répétition4
Répétition du besoin et, quelquefois, en effet, intensi-
fication, comme nous le montre la clinique. Intensification
alors dans le rapport direct avec une souffrance dépressive
elle-même croissante, d’une exigence pulsionnelle sans issue
élaborative interne, et dont l’intensité, partant, s’accroît au
fil des ans, dans la quête réitérée de liaison, mais là encore
sans issue, aussi bien interne qu’externe. Quête réitérée sans
issue, à laquelle vient répondre, comme son écho déformé,
la répétition – étymologiquement re-demande, en l’occur-
rence pulsionnelle – du geste suicidaire, voie ultime de soula-
gement, dans l’évacuation, de la tension pulsionnelle.
À ce stade, il nous semble devoir revenir, à l’instar de
Lagache et reprenant sa formule, sur la distinction qu’il
opère entre « répétition du besoin » et « besoin de répéti-
tion » (Laplanche et Pontalis, 1967).
C’est bien ici, en première analyse, en termes de répé-
tition du besoin que nous pouvons interpréter la tendance
à répéter le geste suicidaire. Répétition du besoin, réitération
sous le primat du principe de plaisir, compulsion de répé-
tition renvoyant à l’hypothèse fondamentale d’accomplis-
sement d’un désir refoulé, sous forme de compromis, sous la
souffrance apparente du symptôme – et telle qu’introduite
par Freud en 1914. En l’occurrence, les tentatives de sui-
cide, dont on peut penser qu’elles expriment, moyennant
une déflexion sur la personne propre, les désirs agressifs du
sujet, autrement inexprimables.
Aussi bien, à la proposition freudienne relatant du pro-
cessus analytique : « Plus la résistance sera grande, plus la
mise en actes [la répétition] se substituera au souvenir. […]
l’analysé répète au lieu de se souvenir et cela par l’action de
la résistance », pourrions-nous répondre, comme en écho,
4. Pour une discussion plus exhaustive, voir notre article référencé en biblio-
graphie (Boissière, 2012).
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À quoi, il convient encore d’ajouter – et ce n’est pas
la moindre dimension du processus – que plus s’intensifie
la souffrance plus la revendication pulsionnelle se fait pres-
sante, dépassant d’autant les capacités d’absorption et de
diffraction psychique. Plus, alors, la conduite symptoma-
tique tendra, partant, à s’intensifier, à se répéter.
Aussi, la faillite de l’objet, tant interne qu’externe,
à assurer son rôle de liaison nous apparaît ici comme tout à
fait fondamentale, tant elle pourrait bien, à un autre niveau,
alimenter la répétition. Avec comme principal viatique ce
que nous avons cru pouvoir référer à l’action insidieuse d’un
processus de désunion pulsionnelle au long cours – Ribas voit
ainsi « dans la pulsion de mort désintriquée la force déliante
du temps » (1989, p. 678) –, à mesure que s’ajoutent, au fil
des ans, à la douleur incoercible et sans issue élaborative,
le désespoir et la perte de sens, ce qui l’alimente encore en
retour.
Reflux, ainsi, des tendances libidinales à l’investissement,
déliant alors les tendances au désinvestissement désobjectali-
sant, les tendances autodestructrices, seule véritable – même
si radicale – solution à la souffrance, dans ce qui s’initie d’un
processus involutif et, tout ensemble, de l’émergence d’une
contrainte de répétition irréductible à quelque réalisation de
désir que ce soit, « au-delà du principe de plaisir », conformé-
ment alors à la conception de 1920. Ce que Lagache subsume
en un « besoin de répétition » de plus en plus envahissant
et bientôt permanent, comme ce qui semble s’initier chez
Sidonie où l’idéation suicidaire devient obsédante, les tenta-
tives de suicide ne pouvant être contenues qu’au prix d’une
surveillance stricte de l’entourage (cf. infra, illustration 17).
Revendication croissante de la pulsion de mort devant une
douleur et une tension pulsionnelle en irrépressible inflation
qui se repère encore chez Sidonie, notamment à travers le dis-
cours, à maints égards éclaté, dans la répétition compulsive,
la crudité, la massivité, la destructivité des fantasmes qui
nous sont livrés, ici par le détour du rêve : « […], c’est que
la nuit je fais des cauchemars sanglants. La dernière fois, j’ai
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celle de la fonction désobjectalisante : « […] la symbolisation
s’y trouve mise à profit au service de la destructivité par trans-
formation de la référence à la dramatisation en incitation à
l’actualisation […] » (1995, p. 248).
Procès attenant de désobjectalisation encore préhen-
sible dans la déqualification de la souffrance subjective, de
laquelle toute représentation de perte tend peu à peu à se
retirer. Ainsi, aux éprouvés de souffrance dépressive et de
haine – objectalisées –, paraissent se substituer plus avant
ceux de vide et de destruction internes, d’une excitation
sans véritable vectorisation possible – désobjectalisée –, où,
comme Sidonie le verbalise, la « haine », la « colère », la
« rancœur » semblent peu à peu céder le pas à l’« acidité »,
à « tout ce qui peut être nocif », au « sang », comme la lave
d’un « volcan », en « bouillonnement » perpétuel, prêt à
exploser, image d’un monde interne qui lui fait finalement
dire : « À l’intérieur, je suis en miettes, je suis morte »
(cf. infra, illustration 17).
Sentiments ainsi rapportés dévoilant les mouvements
régrédients d’une angoisse protéiforme, de la perte à
l’anéantissement, comme ils se signent par ailleurs aux pro-
jectifs dans les risques de fragmentation ou d’envahissement
interne mortifère. Conséquence probable de dynamiques
autodestructrices émergentes – et non plus seulement de
dynamiques destructrices de l’objet retournées contre soi
ou destructrices du moi identifié à l’objet –, fournissant un
nouveau soubassement au geste suicidaire, dans l’enfer-
mement régressif et l’automatisation délétères.
Dynamiques autodestructrices dont le corrélat peut
être, si l’on suit Green, « […] une véritable action auto-
mutilatrice quant au travail de la pensée [...] » qui « […]
s’accompagne de manière régulière de compulsions à la
répétition d’un caractère indubitablement stérilisant,
sinon mortifère […] », reflétant « […] les effets du travail
du négatif et de la répétition au-delà du principe de plaisir
[…] » (2000, pp. 183-184). Où « […] le travail désobjec-
talisant paraît conduire la psyché à céder de plus en plus
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Envahissement de l’excitation appelant alors, comme
ultime secours, une néantisation dont on peut penser par
surcroît qu’elle est à elle-même son propre ressort, suscitant
l’épouvante… s’appelant ainsi d’elle-même, dans une dyna-
mique devenue folle. Où l’on retrouve alors la « situation
traumatique » tel que la définit Freud dans le texte de 1926.
Mais alors, effroi permanent, dans un au-delà de la douleur.
Illustration 17 : État traumatique permanent et besoin de
répétition : Sidonie (entretien)
La souffrance semble de moins en moins dans le rapport à
l’objet et à sa perte – premier signe d’un processus naissant de
désobjectalisation ?
– « Non, je sais pas d’où ça vient, avant je savais pourquoi
je souffrais, maintenant je sais pas, parce qu’avant c’était le sui-
cide de mon frère, je savais la cause, mais là, je sais pas d’où
ça vient ce mal être et comme m’a dit un médecin, Mme D, ta
souffrance a évolué en autre chose, faut apprendre à gérer autre
chose et… ça va faire ça continuellement, elle a évolué vers autre
chose. »
Une déqualification de la souffrance consciente qui paraît lais-
ser place à un sentiment de vide interne
– « Mais moi les soucis que j’ai maintenant, j’ai tellement mal
à l’intérieur que si je m’ouvrais de haut en bas, y a rien qui sor-
tirait puisque c’est vide. J’ai plus rien […]. Je suis inhibé de tout
quoi. »
Où l’on peut alors à bon droit s’interroger en plus sur les
vertus et la valence défensives de ce vide qui s’installe – défense
par le vide, en quelque sorte ? Ainsi la souffrance intenable, liée
à la perte de l’objet, semble se muer en « souffrance-vide », pro-
bablement comme par effet de retour et à la mesure des progrès
de son produit immédiat : la destructivité. Une destructivité de
plus en plus envahissante, rabattue sur le moi et que Sidonie ne
sait jamais trop dire, tant elle l’emplit, en même temps qu’elle
la vide vraisemblablement. « Violence », « colère », « haine »,
« rancœur » qui paraissent ainsi progressivement perdre leur
visée objectale, apparaissant de manière régrédiente, et par
intermittence, sous les figures plus indéterminées, et dans une
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rancœur, de mal être, de souffrance, […] Je me fais peur à moi-
même, et pour se faire peur à soi-même, il en faut beaucoup, et
moi, je me fais peur dans ce que je ressens, les sentiments que je
ressens, de violence, de colère, de haine, de sang, d’acide de…
enfin tout ce qui peut être nocif, je le ressens […] »
Par quoi nous pouvons peut-être alors entendre et à travers
les sentiments rapportés d’émiettement, de destruction interne, de
mort psychique, les mouvements à rebours de l’angoisse devant
cette destructivité se rabattant sur le moi, une angoisse quittant
alors le registre originel de la perte pour confiner à une peur de
l’anéantissement :
– « À l’intérieur, je suis en miette, je suis détruite, je suis morte. »
Dans ce contexte, l’idéation suicidaire devient obsédante,
dans un emballement et un envahissement par la compulsion de
répétition :
– « C’est obsessionnel. J’y pense tous les jours, dès que je
me lève le matin. J’essaie de trouver un moyen de la faire…
Avec quels médicaments, comment je pourrais me les pro-
curer. J’ai beau parler d’autre chose, je l’ai toujours en tête. »
– « Et ça c’est comme ça depuis le début, depuis vos 17 ans ? »
– « Non, ça s’est aggravé, depuis quatre ou cinq mois, c’est
obsessionnel… Y a pas eu d’évènement déclencheur… » – « Et
comment vous arrivez à l’aménager pour pas passer à l’acte ? »
– « Bah, c’est parce qu’il y a du monde autour de moi…
Mais quand je suis toute seule, je passe direct à l’acte. […]
Mais maintenant c’est pas des contrariétés, c’est que c’est
tellement perpétuel, c’est permanent, que… que j’arrive pas à
canaliser quoi, j’arrive plus. […] Ça me vient dès le matin, ça
continue, c’est continuel, c’est le jour comme la nuit, y a pas
d’arrêt, même dans les bons moments, j’y pense. »
Pour conclure
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de coalescence interne/externe – et modalité compulsion-
nelle – se nouant principalement, quant à elle, autour
d’une dynamique masochiste/mélancolique. Différences
qui peuvent parfois apparaître ténues au plan clinique, si
l’on considère la dimension commune d’émergence impul-
sive traumatique qui caractérise nombre de ces passages à
l’acte, réactionnels ou compulsionnels, et les processus qui
y aboutissent, dans la régression fantasmatique – à l’excep-
tion des actes compulsionnels procédant de la conjugaison
d’une inhibition/inflexion fantasmatique mortifère et d’une
stase.
Pourtant, il nous semble que nous avons bien là affaire
à deux modalités radicalement distinctes dans leur essence,
cela alors que des possibilités de glissement demeurent, de
l’une à l’autre.
Nécessité d’une activation externe d’un refoulé « en pro-
fondeur » et, par suite, caractère aléatoire de la répétition
dans le premier cas ; impossible ou transitoire refoulement,
et partant, compulsion à répéter dans le second, tel est en
effet selon nous ce qui différencie fondamentalement ces pro-
cessus et ce par quoi peut s’ordonner, en première analyse,
la compréhension de cette clinique, à tout le moins comme
elle nous est apparue ici.
Ce disant, il nous semble, évoquant les destins et vicis-
situdes du refoulé, que nous touchons là à ce qui constitue
le fond commun des processus en question et, en quelque
sorte, leur originel. À savoir l’existence singulière, chez ces
patients, ou d’un noyau pathogène enkysté, ou de positions
insuffisamment élaborées, ayant chaque fois à voir avec un
registre de perte. Là, véritable « “groupe psychique séparé ”
qui se trouve isolé du reste du contenu de pensée et par là
même soustrait au conscient et à une élaboration ultérieure.
[…] noyau signifiant […], prêt à former le point de départ
d’une symptomatologie » (Laplanche, 1980, p. 40) dans
l’« après-coup » ; ailleurs, fixation à des positions plus ou
moins archaïques sans possibilité réelle de reprise élabora-
tive au moment de l’adolescence, et s’articulant parfois à
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lescente et/ou l’irruption de quelque occurrence évènemen-
tielle, se déverse, avec plus ou moins de soudaineté et de
force, selon les modalités d’aménagement à l’œuvre – le
sujet oscillant entre déni/refoulement massif de la perte et
effraction –, la souffrance dépressive et ses dérivés, reven-
dication pulsionnelle et angoisse. Ici, simple suintement
dans une dépressivité annonciatrice à plus ou moins bas
bruit, grossissant en filet à certains moments ; ailleurs, flux
permanent et croissant, et/ou afflux subit, effroi soudain et
brutal, c’est toujours à cette source, semblant parfois, de
manière trompeuse et par l’effet d’une surenchère défen-
sive, momentanément tarie, que s’alimente le processus de
répétition suicidaire, quelles qu’en soient ses déclinaisons
singulières.
Aussi bien, et si, encore une fois, nous avons privilégié
ici une approche différenciatrice, est-ce là peut-être le point
vers lequel peuvent converger, en dernière instance, nos
constructions, dans la prééminence, conformément au para-
digme psychanalytique, des inscriptions internes, quelque
poids que l’on puisse attribuer aux trop évidentes incidences
évènementielles ultérieures.
Ainsi au principe d’une répétition suicidaire que nous
avons tenté d’appréhender dans la variabilité de ses pro-
cessus, quand bien même il ne s’agissait là que d’une pre-
mière approche, essai dont nous avons bien conscience
qu’il est encore loin d’épuiser la compréhension de dyna-
miques extrêmement complexes, chacune des articulations
que nous avons évoquées pouvant assurément nourrir de
nouveaux développements. Nous avons privilégié ici une
restitution des processus dans leur globalité et l’articula-
tion des points de vue économique et dynamique. Laissant
de côté et remettant à plus tard les approfondissements
qu’un abord phénoménologique plus serré, une clinique
plus étendue et, partant, la remise au travail de nos hypo-
thèses, pourront davantage asseoir. De multiples ques-
tions demeurent et notamment celle que nous n’avons pas
abordée ici – nous renvoyons à notre thèse (Boissière,
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d’autres perspectives méthodologiques pourraient se révéler
plus fécondes encore pour la compréhension du phénomène
étudié. Notamment un abord longitudinal, dans la compa-
raison des évolutions interindividuelles. Une démarche
comparative qui pourrait ailleurs s’envisager dans le repé-
rage d’invariants constituant, ainsi qu’on peut l’escomp-
ter, le fond commun des conduites auto-agressives ou, sur
un autre plan, des conduites compulsives. De même, mais
alors dans une démarche différenciatrice, un regard croisé
avec les comportements hétéro-agressifs, serait certainement
fructueux.
Autant de voies et d’approches pouvant contribuer à
éclairer un phénomène qui, sur bien des aspects, garde sa
part de mystère. C’est là une nécessité impérieuse, tant la
souffrance et le désespoir de ces patients paraissent quelque-
fois immenses et hors de toute limite.
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