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L'ALIMENTATION DU NOURRISSON : UNE HISTOIRE DE SENS

Thomas Cascales et al.

Presses Universitaires de France | La psychiatrie de l'enfant

2014/2 - Vol. 57
pages 491 à 532

ISSN 0079-726X
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Pour citer cet article :


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Cascales Thomas et al.,« L'alimentation du nourrisson : une histoire de sens »,
La psychiatrie de l'enfant, 2014/2 Vol. 57, p. 491-532. DOI : 10.3917/psye.572.0491
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Nourrisson
Sensorialité
Alimentation
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L’ALIMENTATION
DU NOURRISSON :
UNE HISTOIRE DE SENS
Thomas Cascales1
Gérard Pirlot2
Jean-Pierre Olives3

L’ALIMENTATION DU NOURRISSON : UNE HISTOIRE DE SENS

Compte tenu de l’importance de l’oralité dans le champ de la cli-


nique périnatale, les auteurs proposent une réflexion autour des liens
entre l’organisation sensorielle précoce et l’installation de la fonction
d’alimentation chez le nourrisson. Après avoir présenté les principaux
concepts théorico-cliniques dont Sigmund Freud et sa fille Anna ont la
paternité, les auteurs déclinent le rôle joué par chacun des cinq sens
dans le fonctionnement précoce de l’alimentation. Les réflexions propo-
sées dans l’article permettent de conclure à la contribution majeure de
l’environnement humain dans les acquisitions sensorielles qui jalonnent
le développement du nourrisson. Ainsi, si la fonction de l’alimentation
est acquise dans les temps intra-utérins, elle devient pérenne, pour le
nourrisson, à partir de l’organisation de ses compétences sensorielles
initiales et des ajustements parentaux qui enrichissent son patrimoine
développemental.

1. Psychologue clinicien, Docteur en psychologie, Equipe Mobile de Psychiatrie


de Liaison, SUPEA, Hôpital des Enfants, Toulouse. Laboratoire Clinique
Psychopathologique et Interculturelle (LCPI)-EA 4591, université Toulouse II.
Psychanalyste (IPP/SPP).
2. Professeur de psychopathologie clinique, Directeur du Laboratoire Clinique
Psychopathologique et Interculturelle (LCPI)-EA 4591, université Toulouse II.
Psychiatre. Psychanalyste membre de la SPP.
3. Pédiatre, Professeur des universités. Service Gastroentérologie et
Nutrition. Département Médico-chirurgical de Pédiatrie. Hôpital des Enfants,
CHU de Toulouse.
Psychiatrie de l’enfant, LVII, 2, 2014, p. 491 à 532
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492 Thomas Cascales et al.

FEEDING THE INFANT: A STORY OF MEANING

Given the importance of orality in the field of perinatal care, the


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authors propose a reflection about the links between early sensory organi-
zation and the installation of the feeding function in the newborn child.
After having presented the principal theoretico-clinical concepts intro-
duced by Anna Freud, Sigmund Freud’s daughter, the authors delineate
the role played by each of the five senses in early feeding functioning.
These reflections clearly show the major contribution of the human envi-
ronment in sensory acquisitions which rhythm the baby’s development.
Thus, whereas the feeding function is acquired while the baby is in utero,
it becomes established on the basis of the organisation of his initial sensory
capabilities and the parental adjustments which enrich his developmental
inheritance.
Keywords : Newborn – Sensoriality – Feeding.

LA ALIMENTACIÓN DEL BEBÉ: UNA CUESTIÓN DE SENTIDO

Dada la importancia de la oralidad en el campo de la clínica peri-


natal, los autores proponen una reflexión sobre los vínculos que se
establecen entre la organización sensorial precoz y la instalación de
la función de la alimentación del bebé. Después de exponer los princi-
pales conceptos teórico-clínicos de Sigmund Freud y de su hija Anna,
los autores destacan el papel que juegan cada uno de los cinco sentidos
en el funcionamiento precoz de la alimentación. Las reflexiones pro-
puestas en este artículo destacan la importancia del entorno humano
en las adquisiciones sensoriales que puntúan el desarrollo del bebé. Una
vez adquirida durante el periodo intra-uterino, la función de la ali-
mentación se perenniza en el bebé a partir de la organización de sus
competencias iniciales y de los ajustes de los padres que contribuyen a
enriquecer el patrimonio de su desarrollo.
Palabras clave: Bebé - Aparato sensorial – Alimentación.

Compte tenu de la nécessité physiologique de s’alimen-


ter, la nourriture prend chez le nourrisson une dimension
incontournable. Pour autant, en tant que professionnels
du soin de la petite enfance, nous savons que le rythme
faim/satiété peut mettre du temps pour s’installer et ren-
contrer dans sa mise en place des perturbations significa-
tives (Cascales, 2013). Au-delà des questions étiologiques qui
concernent les perturbations des conduites alimentaires chez
le nourrisson (Cascales & Olives, 2012), il est important de
présenter les caractéristiques sensorielles qui sous-tendent
l’installation précoce de la fonction alimentaire. Avant de
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L’alimentation du nourrisson 493

découvrir l’impact singulier de chaque sens sur l’alimen-


tation du nourrisson, il est nécessaire d’entreprendre une
traversée des principaux concepts psychanalytiques qui trai-
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tent de la question de l’oralité. Bien que beaucoup d’auteurs
aient étudié la question de l’oralité (Abraham, Klein, Spitz,
Winnicott, Grumberger…), nous centrerons notre présen-
tation sur les œuvres de Sigmund Freud et d’Anna Freud
qui nous paraissent, par leur application clinique actuelle,
avoir amener les contenus les plus intemporels. En quelque
sorte, les auteurs cités précédemment se situent dans le
prolongement des concepts présentés par Sigmund et Anna
Freud. C’est pourquoi nous choisirons de nous intéresser
directement aux originaux. De plus, au-delà de la primauté
chronologique, leurs concepts théorico-cliniques ont encore
aujourd’hui une application concrète, que ce soit dans la
clinique ou dans la recherche sur les troubles des condui-
tes alimentaires du nourrisson. Plus précisément, nous
nous intéresserons aux arguments de Sigmund Freud sur
la valence théorie/recherche et Anna Freud sur la valence
clinique/pratique.

L’ORALITÉ UN CONCEPT PSYCHANALYTIQUE

Sigmund Freud

– Présentation succincte
À l’encontre des idées reçues de son époque, Freud
inscrit la sexualité précoce comme un des éléments fon-
dateurs du développement psychoaffectif du nourrisson.
Il précise dans son texte sur les théories sexuelles infan-
tiles que les germes des motions sexuelles « biologiques »
du nourrisson perdurent dans le temps selon les avatars
du développement précoce (Freud, 1905). Cette sexualité
précoce passe par des stades développementaux différents
allant de l’oralité à la génitalité. Ainsi, en raison de son
lien étroit avec la question de l’alimentation, le premier
stade de développement de l’organisation de la libido est le
stade de l’oralité.
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– La théorie de l’étayage
Freud développe l’idée d’un étayage de la pulsion
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sexuelle sur la pulsion d’autoconservation. Il conçoit le
plaisir de succion comme une sensation qui est héritée des
premières tétés maternelles. La zone érogène labiale étant
activée par les stimulations suscitées par la succion nutri-
tive du sein maternel. Une zone érogène est « un endroit de
la peau ou des muqueuses dans lequel des stimulations d’un
certain type suscitent une sensation de plaisir d’une qualité
déterminée », cependant « n’importe quel autre endroit de
la peau ou des muqueuses peut servir de zone érogène et
doit par conséquent posséder une certaine aptitude à cela »
(Freud, 1905, p. 107). Une oralité opérante repose donc sur
une activation progressive de cette zone érogène. « Au début,
la satisfaction de la zone érogène était sans doute associée
à la satisfaction du besoin alimentaire. L’activité sexuelle
s’étaye tout d’abord sur une des fonctions servant à la
conservation de la vie et ne s’affranchit que plus tard »
(Ibid., p. 105). Dans la continuité du développement, « le
besoin de répétition de la satisfaction sexuelle se sépare du
besoin de nutrition, séparation qui est inévitable au moment
où les dents font leur apparition et où la nourriture n’est plus
exclusivement tétée, mais mâchée » (Ibid., p. 105). À partir
de là, des procédés auto-érotiques dont la succion du pouce
ou de la tétine se mettent en place afin de permettre à l’enfant
de découvrir des leviers d’auto-apaisement de son excitation
interne. Pour Freud, « le suçotement, qui apparaît déjà chez
le nourrisson et qui peut se poursuivre jusqu’à la maturité
ou se maintenir durant toute la vie, consiste en une répétition
rythmique avec la bouche (les lèvres) d’un contact de suc-
cion, dont la finalité alimentaire est exclue » (Ibid., p. 102).
Ce qu’il nomme la « succion voluptueuse s’accompagne d’une
distraction totale de l’attention et conduit, soit à l’endormis-
sement, soit même à une réaction motrice dans une sorte
d’orgasme » (Ibid., p. 103). Parce que le principe d’étayage
des pulsions sexuelles sur les pulsions d’autoconservation
relève aussi bien d’un modèle d’organisation que de confu-
sion du développement du nourrisson, le principal enjeu de
cette acquisition sera d’organiser la concomitance entre les
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L’alimentation du nourrisson 495

succions nutritives et les succions plaisir. Une alimentation


cohérente dépend donc des caractéristiques du nourrisson
et de la manière dont l’environnement facilite l’ajustement
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entre les valences sexuelle et nutritive. Ainsi, l’expérience
orale primaire est-elle incontournable parce qu’elle enracine
la dialectique de l’objet érotique et de l’objet perdu. Le stade
oral est génétiquement le premier stade de l’évolution libidi-
nale de l’enfant. Ce stade est fondateur pour le psychisme du
sujet parce qu’il permet l’installation de la volupté suscitée
par le remplissage de l’estomac et l’activation érotique de
la succion. Mais comment est-ce que cela fonctionne ? Pour
essayer de répondre à cette question, faisons un détour par
le concept de libido.

– Le concept de libido
Pour Freud, le concept de libido se définit « comme une
force quantitativement variable permettant de mesurer les
processus et les transpositions dans le domaine de l’exci-
tation sexuelle » (Ibid., p. 158). La libido est à l’origine des
processus psychiques les plus divers. Elle s’origine dans
le moi et varie quantitativement par la nature qualitative
de ses investissements. C’est-à-dire que la libido du moi ne
devient active que par ses investissements d’objets sexuels.
Ainsi, quand elle est devenue libido d’objet, « nous la voyons
se concentrer sur des objets, s’y fixer ou au contraire aban-
donner ces objets, passer de ces objets à d’autres et, de
ces positions, diriger l’activité sexuelle de l’individu, qui
conduit à la satisfaction, c’est-à-dire à l’extinction par-
tielle et temporaire de la libido » (Ibid., p. 158). Lorsque
la libido est retirée des objets, elle se retranche dans le moi
pour redevenir libido du moi ou libido narcissique. Dans
cette logique, à partir de l’étayage des pulsions, le tout pre-
mier objet libidinalement investi est l’objet maternel. La
transformation de la libido d’objet en libido narcissique
entraîne une mise entre parenthèses du processus objectal
d’investissement maternel et un développement des autoé-
rotismes. Pour ainsi dire, le retour de la libido dans l’objet
maternel est un après-coup de l’investissement qui fera
dire à Freud que « la découverte de l’objet est à vrai dire
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une redécouverte » (Ibid., p. 164). Ainsi, le développement


libidinal de l’enfant passe par le découplage de la pulsion
sexuelle et de la pulsion d’autoconservation, la traversée des
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stades prégénitaux (oral, anal) et l’installation des autoé-
rotismes, l’accession à la génitalité, la mise en latence du
processus psychosexuel et l’entrée dans la puberté. Toutes
ces étapes du développement de l’enfant ne sont possibles
qu’en raison de la proximité affective et de la réciprocité de
l’investissement maternel. D’une certaine manière, l’inves-
tissement objectal du nourrisson n’est rendu possible que
par l’investissement objectal de la mère.

– La relation d’objet
Cependant, à l’instar de l’investissement libidinal du
nourrisson, l’investissement libidinal maternel ne va pas
sans point d’achoppement. Freud a longuement développé
l’influence externe de la séduction sur les perturbations
du développement de l’enfant, il en donne une illustration
qui concerne spécifiquement le nourrisson. « Le commerce
de l’enfant avec la personne qui le soigne est pour lui une
source continuelle d’excitation sexuelle et de satisfaction
partant des zones érogènes, d’autant plus que cette dernière
– qui en définitive, est en régle générale la mère – fait don
à l’enfant de sentiments issus de sa propre vie sexuelle, le
caresse, l’embrasse et le berce, et le prend tout à fait clai-
rement comme substitut d’un objet sexuel à part entière »
(Ibid., p. 166). La tendresse prend donc une place singulière
dans l’économie libidinale du nourrisson. Par exemple, une
tendresse excessive peut perturber sa maturation libidinale
en empêchant la liaison de l’excitation. Les conséquences
peuvent être diverses, allant d’état anxieux à des troubles
fonctionnels qui se chronicisent. La tendresse peut donc être
inductrice d’excitation sexuelle non liée. Un des moyens dont
dispose le nourrisson est le refoulement. En effet, lorsque
les stimulations externes induisent une excitation sexuelle
qui dépasse la quantité gérable par le moi, « les excitations
concernées continuent d’être produites comme auparavant,
mais sont tenues éloignées de la réalisation de leur but par
empêchement psychique et poussées vers de nombreuses
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L’alimentation du nourrisson 497

autres voies, jusqu’à ce qu’elles viennent à s’exprimer sous


forme de symptômes » (Ibid., p. 189).
Ainsi, le développement psychoaffectif du nourrisson est
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conditionné par la relation première à la mère qui garantit
les prémices d’une relation d’objet à travers laquelle sucer,
mordre et avaler l’objet se succèdent afin de contribuer au
développement du nourrisson. « L’induction de la sensation
de plaisir dépend donc davantage de la qualité du stimulus
que des propriétés de l’endroit du corps concerné » (Ibid.,
p. 108). Le terme de « qualité » est employé pour définir la
nature et la qualité de l’investissement maternel. Finalement,
ce n’est pas la constitution de la zone érogène qui est décisive
dans le développement du nourrisson mais la manière dont
elle est traitée par l’environnement humain qui procure les
soins. L’érogénéisation du corps du nourrisson dépend donc
de la qualité de l’investissement libidinal parental. Les pre-
miers soins donnés aux nourrissons sont donc déterminants
pour son organisation libidinale.

– De l’excitation à la pulsion
Au-delà des qualités de l’environnement, le nourrisson
freudien a-t-il les outils psychiques pour autoréguler son
excitation interne ? Pour Freud, le refoulement originaire
apparaît à travers la concomitance du plaisir et de la satis-
faction du besoin vital. Le refoulement a pour fonction
principale de maintenir l’excitation des zones érogènes à un
niveau tolérable par le moi. Dans le cas où le niveau d’exci-
tation de la zone érogène déborde les capacités maternelles
de par-excitation, « le refoulement se portera sur la pulsion
alimentaire » (Ibid., p. 106). Les conséquences du refou-
lement peuvent être d’ordre différent. Freud envisage les
troubles de l’alimentation, les sensations d’étranglement
et les vomissements comme les conséquences possibles de
la mise en place du refoulement. Pour lui, le processus
érogène peut être compris comme « un sentiment singulier
de tension, qui a plutôt un caractère de déplaisir, et par
une sensation de démangeaison ou de stimulation d’origine
centrale et projetée dans la zone érogène périphérique »
(Ibid., p. 109). Ainsi, la transformation de l’excitation en
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pulsionnalité nécessite la participation d’un tiers subjec-


tivant. Freud explique en des termes quantitatifs ce pro-
cessus qualitatif de transformation subjectif. Le passage
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de l’excitation à la pulsion se produit à travers les organi-
sations prégénitales de la vie sexuelle. En tant que stade
inaugural, l’organisation orale valorise l’incorporation
de l’objet en vue de préparer les identifications futures.
La mère contribue à la transformation de l’excitation
en pulsion durant ce parcours vers la génitalité. Elle est en
même temps à l’origine de la pulsion et paradoxalement
la première protectrice du psychisme du nourrisson en
occupant le rôle de par-excitation. Par défaut de système
par-excitant, c’est la mère qui fait fonction de barrière
protectrice face aux stimuli de l’environnement (externe)
et aux sensations corporelles et psychiques (interne). En
relevant la similitude entre satisfaction sexuelle et satiété,
Freud souligne la concomitance des deux satisfactions pul-
sionnelles (autoconservation et sexuelle) : « Lorsque l’on
voit un enfant rassasié quitter le sein en se laissant choir
en arrière et s’endormir, les joues rouges, avec un sourire
bienheureux, on ne peut manquer de se dire que cette image
reste le prototype de l’expression de la satisfaction sexuelle
dans l’existence ultérieure » (Ibid., p. 105). Cependant,
est-ce que le nourrisson qui arrive à satiété exprime par son
endormissement la chute de l’excitation ou la satisfaction
de la pulsion ? Précisons maintenant les termes d’excitation
sexuelle et de pulsion pour Freud.
Tout d’abord l’excitation sexuelle. L’excitation sexuelle
du nourrisson provient de multiples sources. « Les excita-
tions provenant de toutes ces sources ne s’assemblent pas
encore, mais poursuivent chacune isolément leur but, qui
n’est autre que le gain d’un certain plaisir. Il en résulte
que pendant l’enfance, la pulsion sexuelle n’est pas cen-
trée et qu’elle est d’abord sans objet, autoérotique » (Ibid.,
p. 182). Ainsi, l’excitation sexuelle naît : 1) « de la repro-
duction d’une satisfaction éprouvée en connexion avec
d’autres processus organiques » ; 2) « sous l’effet d’une
stimulation périphérique adéquate des zones érogènes » ;
3) « en tant qu’expression de certaines pulsions […] telles
que la pulsion scopique et la pulsion de cruauté » (Ibid.,
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L’alimentation du nourrisson 499

p. 132). Le premier point faisant référence à l’étayage du


sexuel sur l’autoconservation, le second point à la succion
du pouce par exemple et le troisième point à la vision et à
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la cruauté. Il distingue plus loin trois productions d’exci-
tation sexuelle qui agissent en tant que stimulations sur :
1) « l’appareil sensoriel des nerfs vestibulaires » ; 2) « la
peau » et, 3) « sur les parties profondes (muscles, arti-
culations) » (Ibid., p. 133). Le premier point fait référence
aux situations stressantes, émotion intense et douleur pou-
vant susciter de l’excitation, le deuxième est explicite et le
troisième point évoque les stimulations liées aux contacts
entre deux corps qui s’affrontent. Finalement, la source
de l’excitation sexuelle est déterminée par « la qualité des
stimulations bien que le facteur constitué par l’intensité »
(Ibid., p. 139) soit aussi important.
À présent, abordons la satisfaction de la pulsion. Dans
« Pulsions et destins des pulsions », Freud (1915, p. 18)
précise les éléments qui composent la pulsion. Selon lui,
la pulsion est un processus dynamique consistant dans une
poussée qui fait tendre l’organisme vers un but. Quatre
éléments composent la pulsion : 1) La poussée qui est
la force, le facteur moteur de la pulsion. Par exemple,
concernant la pulsion sexuelle, la poussée sera désignée
sous le terme de libido ; 2) le but : « Le but d’une pulsion
est toujours la satisfaction, qui ne peut être obtenue qu’en
supprimant l’état d’excitation à la source de la pulsion » ;
3) l’objet de la pulsion « est ce en quoi ou par quoi la pul-
sion peut atteindre son but », c’est l’objet d’investissement
de la pulsion, un objet étranger ou bien faisant partie du
corps propre ; 4) la source de la pulsion est « le processus
dynamique qui est localisé dans un organe ou une partie
du corps et dont l’excitation est représentée dans la vie
psychique par la pulsion ». Ainsi, deux registres sont-ils
en jeu dans le parcours de la pulsion. La satisfaction de
la pulsion passe par l’investissement de l’objet maternel
(registre qualitatif) qui entraîne la chute de l’excitation
(registre quantitatif). Cependant, si la mère par ses défail-
lances n’incarne pas sa fonction de source de la pulsion,
l’excitation pousse sans trouver son but, en quelque sorte
dans le vide.
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500 Thomas Cascales et al.

– L’alimentation, un temps d’organisation pour la pulsion


Ainsi, durant l’alimentation, la mère – objet des investis-
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sements précoces du nourrisson – en tant que source pul-
sionnelle oriente la poussée d’excitation somatique vers la
satisfaction du besoin. La mère est donc à la fois objet et
source de la pulsion. Par défaut ou par excès d’investis-
sement objectal, « si, par exemple, l’occupation de la zone
labiale par les deux fonctions est la raison pour laquelle
l’ingestion d’aliments engendre une satisfaction sexuelle, le
même facteur nous permet aussi de comprendre les troubles
de l’alimentation qui s’installent lorsque les fonctions éro-
gènes de la zone commune sont perturbées » (Freud, 1905,
p. 140). L’alimentation comme but à atteindre doit devenir
indépendante de la satisfaction sexuelle pour que la pous-
sée au départ indifférenciée d’excitation somatique puisse
se transformer et se séparer en pulsion sexuelle et pulsion
d’autoconservation. Dans ce cas, l’alimentation d’un côté et
la succion du pouce de l’autre peuvent représenter un modèle
d’organisation constructif pour le développement prégé-
nital du nourrisson. L’étayage pulsionnel étant une étape de
l’organisation prégénitale du nourrisson en relation.

– L’alimentation un temps de liaison des éléments


sen­soriels
D’une autre manière, nous pouvons concevoir l’allaitement
comme une expérience de satisfaction (réplétion de l’estomac
et stimulation érogène de la tétée) qui laisse une trace percep-
tive ayant pour fonction de lier l’excitation physiologique et
l’objet qui procure la satisfaction. Au moment où le besoin
se répète, l’image de l’objet et le souvenir de l’excitation sont
réinvestis afin d’actualiser la perception. Ainsi, avant même
que l’expérience de nourrissage se répète, le nourrisson est en
capacité d’halluciner la satisfaction à partir des traces per-
ceptives et du renouvellement du besoin. Freud parle d’une
« identité de perception » (Freud, 1900). La perception au
sens de Freud est donc une activité de liaison psychique qui
garantit une marge d’autonomie pour le nourrisson. C’est
parce qu’il peut halluciner l’expérience de satisfaction que le
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L’alimentation du nourrisson 501

nourrisson peut tolérer (dans une certaine mesure) l’attente


du nourrissage et la poussée de l’excitation liée à la faim.
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Anna Freud

– Présentation succincte
Dans les années soixante, Anna Freud, fille de Sigmund,
a poursuivi l’œuvre de son père en se spécialisant dans la
prise en charge des enfants. Sans rien renier de son héritage,
elle entreprend un remaniement de la pratique psychanaly-
tique en valorisant le versant développemental des troubles
chez l’enfant. Sous son influence, la terminologie psycha-
nalytique a évolué. Elle est une des rares psychanalystes
de l’époque à s’intéresser directement à l’alimentation des
tout-petits. Après avoir parlé de « perturbation de l’alimen-
tation » (A. Freud, 1948), elle utilisera le terme de « trouble
du comportement alimentaire » pour préciser la sympto-
matologie alimentaire des nourrissons. Dans son opposition
devenue célèbre avec Melanie Klein, toutes deux expatriées
sur le sol britannique, elles ont pris chacune position pour
une orientation. Pendant qu’Anna Freud préconise un sou-
tien à la parentalité dans un but préventif et parle « d’éduca-
tion psychanalytique », sa rivale priorise le travail en séance
avec l’enfant et l’élaboration précoce par le thérapeute des
fantasmes infantiles.

– Alimentation et développement
Pour Anna Freud, les troubles de l’alimentation appar-
tiennent aux « différents stades de la ligne de développement
qui mène à la capacité de manger seul » (1965, p. 128). Elle
entend par cette assertion que les troubles de l’alimenta-
tion suivent une ligne chronologique du développement et
se construisent progressivement selon l’accumulation et la
répétition de défauts d’ajustements parentaux la plupart
du temps liés à des prédispositions organiques, accidentelles
et de tempérament du nourrisson. Elle conçoit par exemple
le début des difficultés au moment des prémices de l’allai-
tement. Elle parle « d’étiologie mixte ». D’un côté, la mère,
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502 Thomas Cascales et al.

pour des raisons physiques (quantité de lait, douleur liée à


des crevasses au mamelon…) ou psychologiques (anxiété,
ambivalence…), peut rencontrer des difficultés importantes
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pour investir l’allaitement ; d’un autre côté, le nourrisson,
pour des raisons organiques (trouble de la déglutition, tétée
affaiblie, petit mangeur…) ou psychologiques (réaction néga-
tive aux hésitations ou à l’angoisse maternelle…), peut expri-
mer une succion laborieuse ou très compliquée. Par la suite,
le sevrage devient le moment des premiers refus. Malgré les
précautions maternelles d’usage et le respect des conseils
de puériculture censés prévenir les complications alimen-
taires par un sevrage prudent et progressif, le nourrisson
peut exprimer ses difficultés sous forme de « colère devant
la nourriture, d’un dégoût envers les nouvelles saveurs ou
les nouvelles consistances, d’un manque d’esprit de décou-
verte sur le plan alimentaire, d’un manque de plaisir de la
zone orale » (Ibid.). Elle signale l’importance des conflits
durant l’alimentation qu’elle attribue à la relation ambiva-
lente qu’entretient l’enfant vis-à-vis de sa mère. Elle relève
« des luttes à propos de la quantité de nourriture alternées
avec des luttes à propos du type d’aliment que l’enfant pré-
fère ou rejette : manies alimentaires, manière de manger, de
se conduire à table » (Ibid.). Pour elle, l’évitement alimen-
taire, les manifestations de dégoût, le rejet de certains ali-
ments pour des questions de forme, d’odeur, de couleur ou
de consistance sont l’expression d’un symptôme d’évitement
« issu d’une lutte contre les tendances anales » (Ibid.). Pour
finir, elle distingue – ce qui sera repris ultérieurement par
Léon Kreisler, Michel Fain et Michel Soulé (1974) – l’aspect
transitoire des troubles alimentaires « légers » comme la
sélectivité alimentaire et la gravité des troubles alimentaires
« excessifs » comme le refus prolongé d’aliment. Le refus pro-
longé d’aliment « laisse des traces qui, plus tard, augmentent
et compliquent les troubles » (Ibid., p. 129).

– Alimentation et indépendance du nourrisson


Pour Anna Freud, la survenue des troubles est favorisée
par l’état de dépendance physiologique du nourrisson et par
les contraintes extérieures liées à son développement. Dans
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L’alimentation du nourrisson 503

sa logique, il y a contradiction pathogène entre « les incli-


nations naturelles de l’enfant » et les habitudes culturelles
et sociales dont les parents sont porteurs dans l’éducation
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prodiguée. Premièrement, parce que le choix n’est pas laissé
à l’enfant sur les horaires de repas, le choix des aliments et
la quantité de nourriture, celui-ci n’est pas alimenté dans
les conditions de son inclination naturelle. Il en résulte une
attente incompatible avec son désir d’indépendance et son
désir de s’alimenter qui provoque des oppositions alimen-
taires et la contrainte de son besoin. Deuxièmement, quand
les premiers symptômes apparaissent leurs conséquences ne
peuvent être supprimées, les frustrations et déplaisirs res-
tent associés à cet échec. Par imitation ou identification, « à
mesure qu’il progresse vers l’indépendance et l’autonomie,
l’enfant accepte l’attitude gratifiante ou frustrante initiale de
la mère comme un modèle qu’il imite et reproduit dans son
propre moi » (A. Freud, 1965, p. 126). Troisièmement, par
ses difficultés d’alimentation l’enfant déstabilise sa mère qui
en retour « inflige une souffrance au mangeur récalcitrant en
le grondant, le réprimant et le forçant à manger » (A. Freud,
1951, p. 99). Ainsi, pour Anna Freud, le besoin d’autono-
mie du nourrisson entraîne des comportements parentaux
inadaptés qui génèrent de l’agressivité dans la dyade. Cette
inadaptation peut être majorée par des difficultés organiques
inaugurales du côté du nourrisson et/ou du côté maternel.
Anna Freud traite donc de la pulsion d’emprise parentale
sans forcément utiliser ce terme dans ses écrits.
Ainsi, que ce soit pour Sigmund Freud ou pour Anna
Freud, l’organisation de la sensorialité est placée au centre
de la compréhension des troubles des conduites alimentaires
précoces. Que ce soit en termes d’excitation et de pulsion
pour Sigmund Freud ou bien en termes de prédisposition
sensorielle inaugurale pour Anna Freud, ces deux auteurs
considèrent que les acquisitions sensorielles précoces condi-
tionnent l’efficience de la prise alimentaire du nourrisson.
Évidemment, ces acquisitions sont médiatisées et rendues
possibles par l’intervention adéquate de l’environnement
humain du nourrisson dont la mère est la principale repré-
sentante. Avant de découvrir comment les cinq sens parti-
cipent à l’installation de la fonction d’alimentation, il est
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504 Thomas Cascales et al.

important de décliner brièvement les différentes étapes de la


vie fœtale qui servent de préparation au développement de
la sensorialité extra-utérine, ainsi que la capacité de liaison
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sensorielle dont l’appareil perceptif est doté.

LES PRÉMICES DE L’ORALITÉ CHEZ LE FŒTUS

Les recherches scientifiques actuelles qui s’intéressent


à l’oralité du fœtus soulignent la rapidité des acquisitions
sensorimotrices pendant la période de gestation materno-
fœtale. Nous savons tout d’abord que les voies nerveuses
du toucher débutent leur développement à partir de la hui-
tième semaine. Les « récepteurs du tact se mettent en place
autour de la bouche dès ce moment puisqu’il est possible
d’observer une réponse motrice à une stimulation tactile
de cette zone » (Golse, 2006, p. 9). À la douzième semaine,
le fœtus peut ouvrir et fermer la bouche en rythme. Des
« bourgeons gustatifs » apparaissent sur la langue en rai-
son des mouvements respiratoires. À partir de la vingtième
semaine, les variations du rythme cardiaque et les mouve-
ments de son corps montrent que le fœtus devient sensible
et peut s’habituer au bruit qui lui parvient de l’extérieur. À
la vingt-deuxième semaine, le fœtus goûte le liquide amnio-
tique. Certaines expériences ont montré une prédétermi-
nation des préférences alimentaires des nourrissons en
fonction du type de nourriture ingéré par la mère durant la
grossesse (Schaal & al., 2000). Le fœtus suce son pouce et
active un réflexe de succion dans la même période de gesta-
tion. Un « jeu de flux et de reflux du liquide amniotique au
niveau de la bouche et du tractus digestif supérieur » (Golse,
2006, p. 9) est repérable grâce au progrès de l’échographie.
Les travaux sur la vie fœtale soulignent la continuité entre
la période intra-utérine et la période extra-utérine (Busnel,
1997). Les compétences sensorielles s’affinent et se perfec-
tionnent sans interruption malgré l’étape de la naissance.
Les hypothèses sur le traumatisme de la naissance (Rank,
1924) sont donc dorénavant battues en brèche par l’avancée
des connaissances sur la périnatalité. Dès le développement
anténatal s’installent, toujours dans le même ordre, les
cinq sens qui composeront la sensorialité future : d’abord
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L’alimentation du nourrisson 505

le toucher, puis l’odorat et le goût, puis l’audition et enfin


la vue. Qu’en est-il après la naissance ?
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TRAVAIL DE L’APPAREIL SENSORIEL :
TRANSMODALITÉ, MANTÈLEMENT ET SEGMENTATION

Fonction transmodale
Nous savons maintenant que la sensorialité est partout et
que les fonctions réceptives sont diverses, non synthétiques
et dépendantes de la constitution anatomique des organes
des sens (l’œil pour la vue, la peau pour le toucher, l’oreille
pour l’ouïe, l’intérieur de la bouche pour le goût et le nez
pour l’odorat). Il n’est pas possible de sentir avec l’oreille,
ou de goûter avec la peau. À la limite, on pourrait entendre
avec le nez compte tenu de la proximité anatomique des
conduits et la porosité des tympans, mais, à part cette excep-
tion, à chaque organe correspond une fonction propre. En
revanche, nous savons aujourd’hui, grâce aux progrès des
expériences en psychologie du développement, que le bébé
semble doué d’une compétence de « transmodalité » qui lui
permet de transférer des perceptions par un canal sensitivo-
sensoriel à un autre canal. L’expérience d’Andrew Meltzoff
et M. Keith Moore (1979) permet d’illustrer cette compétence
déterminante pour la fonction de liaison sensorielle. On pré-
sente à un nourrisson une tétine avec une forme particulière
(sans qu’il voit la tétine), puis on lui présente une série de
dessins ou des formes différentes de tétines. Spontanément,
le nourrisson regarde avec insistance le dessin ou la tétine qui
correspond à celle qui lui a été mise en bouche. À partir de
ces compétences sensorielles de liaison perceptive, le nour-
risson est capable de s’accorder affectivement avec l’adulte
selon des modalités d’accordage qui sont également soumises
à cette transmodalité (Stern, 1985). Du côté de l’adulte, le
processus d’accordage affectif est aussi soumis à cette fonc-
tion transmodale. Si le nourrisson pousse des cris pour être
alimenté, la mère peut répondre selon un accordage uni-
modal (par la voix) ou bien par accordage transmodal (par
le toucher par exemple). Cette « harmonisation des affects
consiste en un système de signaux et de réponses en écho, les
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506 Thomas Cascales et al.

réponses se devant, en effet, d’avoir une structure isomorphe


à celle des signaux » (Golse, 2006, p. 30). Les représentations
d’interaction généralisée chères à Daniel Stern (Stern, 1985)
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sont aussi issues de cette capacité pré-structurée chez le
nourrisson à isoler (ou transférer) les différentes modalités
sensorielles afin de repérer les invariants des situations rou-
tinières auxquelles il se confronte. À partir de ses représen-
tations d’interaction généralisée, le nourrisson synthétise,
pour mieux reconnaître, les expériences relationnelles répé-
titives initiées par les adultes qui l’entourent. Nous avons vu
que chaque sens pouvait se compléter ou se superposer afin
de répondre aux exigences de développement de la relation à
l’autre. Les avancées des neurosciences permettent de valider
cette hypothèse. En effet, l’imagerie fonctionnelle cérébrale
a permis de souligner les zones du cerveau activées par la
perception du rythme, la familiarité, le timbre, la perception
des hauteurs du son qui composent la musique (Platel & al.,
1997). En termes de résultats, ces chercheurs ont constaté
que les changements de hauteur de son activaient les zones
de la vision, ce qui conduit à supposer une association entre
une représentation visuelle des hauteurs de notes et une
représentation auditive (Lechevalier & Lechevalier, 2007).
Le son serait donc corrélé à l’image et permettrait la syn-
thèse des stimulations adressées au nourrisson. Finalement,
« la communication par le son et la voix tisse dans l’espace le
lien de l’absence visuelle et est liée à la musique, aux mots, à
la musique des mots » (Harrus-Révidi, 1994, p. 45).

Fonctions de mantèlement/démantèlement
Dans le même ordre d’idée, Donald Meltzer (Meltzer
& al., 1980) a proposé les concepts de mantèlement et déman-
tèlement pour traiter de cette activité de liaison sensorielle.
Pour lui, le démantèlement est une compétence psychique qui
permet au nourrisson de séparer les éléments de sensorialité
dont il est la cible afin d’éviter la massivité des stimuli. Cette
fonction de clivage sensoriel est une défense contre l’enva-
hissement de stimuli intéroceptifs et extéroceptifs. La fonc-
tion de mantèlement rend possible la gestion proprioceptive
par le nourrisson lui-même. Au contraire, le mantèlement
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L’alimentation du nourrisson 507

permet un travail de liaison et non de séparation afin que le


nourrisson puisse percevoir et identifier la source extérieure
de ses différentes sensations. L’articulation entre ces deux
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fonctions ouvre la voie à la reconnaissance de l’objet et aux
premières expériences de gestion sensorielle.

Fonction de segmentation
Au contraire du couple mantèlement/démantèlement,
la segmentation est un mécanisme qui permet, soit à partir
d’un sphincter sensoriel dont l’organe est doté (la paupière
pour l’œil), soit à partir de comportements compensatoires
(tapotage pour le toucher, léchage pour le goût ou flairage
pour l’odorat), de réguler intentionnellement le flux senso-
riel issu de l’environnement ou de son monde interne. Nous
savons par les expériences de Edward Tronick et Jeffrey
Cohn (1989) que seulement un quart des interactions entre
un nourrisson et ses parents produisent des contacts et de la
communication. Ainsi, trois quart des interactions sont des
interactions d’ajustement dans lesquelles les ratages sont
réguliers. Compte tenu de l’importance de la fonction de seg-
mentation, nous pouvons faire l’hypothèse que la majorité
de ces ajustements ou ratages sont en fait l’expression d’une
segmentation sensorielle à l’initiative du nourrisson ou des
parents.
Le nourrisson est donc capable de gérer les stimuli exté-
roceptifs et intéroceptifs qui composent son quotidien. Dans
la gamme des processus d’attention, la fonction de trans-
modalité, les fonctions de mantèlement/démantèlement et
la fonction de segmentation sont nécessaires au nourrisson
pour discriminer les stimuli de l’environnement. L’équilibre
entre ces trois fonctions garantit la pérennité du fonction-
nement perceptif. Ainsi, « seule une segmentation des dif-
férents flux sensoriels selon des rythmes compatibles permet
le mantèlement des sensations » (Golse & Roussillon, 2010,
p. 167) et le transfert des éléments sensoriels d’un canal à un
autre (transmodalité). L’alimentation, par son aspect rou-
tinier et obligatoire, devient une expérience proprioceptive
répétitive qui caractérise la vie psychique du nourrisson.
Nous supposons que ces trois mécanismes psychiques sont
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508 Thomas Cascales et al.

à chaque fois sollicités pour organiser les éléments senso-


riels qui sont impliqués dans la pérennisation de la fonction
d’alimentation.
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LE NOURRISSON, SA SENSORIALITÉ ET L’ALIMENTATION

En raison du progrès des neurosciences dans l’évalua-


tion des capacités de communication chez le nourrisson, on
sait aujourd’hui que, dès les premiers jours, le nourrisson
peut suivre un objet et stopper ses activités en particulier
si « la cible présentée est structurée comme un visage »
(Manzano, 2007, p. 333). Plusieurs protocoles expérimen-
taux qui s’appuient sur l’expérience de succion non nutri-
tive ont permis d’évaluer le développement des capacités
de discrimination sensorielle du nourrisson. Par exemple,
quand « une stimulation sonore intervient, il suce davan-
tage, pour diminuer nettement si la stimulation se répète de
façon identique. Dès que la stimulation change, il suce à nou-
veau davantage, ce qui permet d’observer ce qu’il considère
comme différent » (Golse, 2006, p. 9). Ces résultats ont per-
mis d’observer que le nourrisson pouvait traiter rapidement
les informations visuelles de son environnement et être actif
dans l’organisation de ses perceptions visuelles. Ses compor-
tements peuvent être différents en fonction de son état de
vigilance et de l’intensité du bruit. Il peut discriminer la voix
de sa mère, les voix d’homme, de femme et d’enfant, les tons
aigus et graves et même reconnaître les consonnes « b » et
« p ». À partir de deux jours de vie, le nourrisson peut diffé-
rencier l’odeur de sa mère et celles d’autres femmes. Il est
également en capacité de reconnaître des goûts différents et
d’être sélectif très précocement. Ainsi, le cerveau du nour-
risson est « programmé pour se développer lorsqu’il entre
en relation avec la personne qu’il s’attend à trouver et par
la suite avec d’autres personnes » de son environnement.
Il arrive donc « programmé » pour être « reprogrammé »
en fonction de la relation. Le développement est donc ici
conçu comme « la modification adaptative, en contact avec
l’autre et son environnement, du programme inné de vivre,
qui implique le maintien de l’unité de l’organisme, la mise en
relation et la reproduction » (Manzano, 2007, p. 334). Chez
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L’alimentation du nourrisson 509

le nourrisson, un certain nombre de caractéristiques telles


que « la succion, l’impression tactile du mamelon, la déglu-
tition, la vue du visage de la mère, des sensations d’équili-
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bration dues au changement de position par la mère et la
perception kinesthésique des mouvements de préhension
des mains » (Kreisler & al., 1974, p. 150) sont actualisées à
chaque prise alimentaire. Tous les sens sont donc sollicités.
Décrivons plus précisément comment la sensorialité du nour-
risson se pérennise progressivement en mutualisant sa senso-
rialité pour perfectionner la fonction d’alimentation.

L’ouïe

– Le son et l’imitation
Parce que la sensorialité du nourrisson est issue d’une
pré-structuration qui s’avère être fonctionnelle dès la vie
intra-utérine, les parents, notamment la mère, permettront
l’activation et la transformation en milieu extra-utérin de
ces proto-expériences auditives et spatio-temporelles en élé-
ments organisés (Maiello, 2000). Il est maintenant reconnu
que « dès la naissance la voix de la mère serait un stimulus
intermédiaire, en provenance à la fois de l’intérieur et de
l’extérieur, situation assurant une continuité entre le vécu
intra- et extra-utérin » (Alvarez & al., 2012, p. 6). Dès 1895,
Freud précise le rôle de « l’image verbale » chez le nourris-
son qui crie. Pour lui, l’image verbale motrice correspond
à l’imitation des bruits maternels censés activer chez lui la
sensation d’exécution de ses propres mouvements. Le bébé
reproduit les mouvements labiaux maternels qui, en réponse
à son imitation, émettent des sons à son égard. Il cherche
donc très précocement à imiter les mouvements des lèvres de
sa mère afin d’intérioriser cette expérience identificatoire.
Dès douze jours, le nourrisson peut imiter la protusion de
la langue et l’ouverture de la bouche ; à six semaines, il peut
différer son imitation au lendemain afin de solliciter à nou-
veau la personne à l’origine du comportement imité ; à trois
mois, il imite le rythme de son partenaire en coordonnant
des vocalises ou des mouvements de mains aux déplacements des
yeux ou de la bouche observés (Trevarthen & Aïtken, 2003).
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510 Thomas Cascales et al.

Une des conséquences de ces imitations est l’association des


sons à un complexe de sensations. Les bruits sont donc la pre-
mière musique signifiante pour le nourrisson. C’est à partir
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de ses propres mouvements « labiaux, phonatoires et respi-
ratoires, en identification avec un objet en accordage, que
parole, langage, pensée symbolique et conscience pourront
émerger » (Lechevalier & Lechevalier, 2007, p. 447). La syn-
thèse de ces imitations et leurs effets sur sa proprioception
sont très précocement intégrés à la coordination d’une senso-
rialité harmonieuse.

– Les stimuli sonores parentaux


La voix, par son incarnation physique parentale, est un
élément incontournable de l’environnement du nourrisson.
Ainsi, « le comportement moteur du bébé paraît modulé par
la parole, comme si celle-ci rythmait, initiait et synchroni-
sait les mouvements » (Alvarez & al., 2012, p. 6). La mère
peut ritualiser les prémices de l’allaitement en signalant par
une ritournelle toujours identique la mise au sein du nour-
risson. La préférence pour la voix de la mère est activée dès
les premiers jours. Par exemple, « en réponse à des sons se
situant dans la gamme de fréquence de la voix humaine, le
nouveau-né suspend son activité, présente une bradycardie
et oriente sa tête vers la source avec une attention soutenue »
(Golse, 2006, p. 24). Ainsi, parce qu’il est capable de seg-
menter le flux sensoriel auditif, le nourrisson peut, à partir
de son état d’attention, faire varier l’implication de la voix
de la mère dans la prise alimentaire. Il n’est pas rare de voir
des nourrissons être particulièrement attentifs aux bruits
extérieurs au moment de la prise du biberon. Donc être par-
ticulièrement distraits par rapport au biberon et aux sollici-
tations verbales de celui qui leur donne. Certains parents
interprètent ce comportement comme une attitude d’oppo-
sition, d’autres s’inquiètent des capacités d’attention de leur
nourrisson et sollicitent les soignants à la recherche d’un
diagnostic d’hyperactivité ou de surdité. Dans la plupart
des cas, cette distractibilité sélective (au moment des repas)
doit être comprise comme un comportement de segmentation
des stimuli sonores qui proviennent de l’environnement.
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L’alimentation du nourrisson 511

C’est pourquoi la majorité des praticiens aguerris à ce type


de prise en charge conseillent aux parents d’être vigilants à
l’intensité, au rythme et à l’intonation des voix parentales.
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Assez souvent, l’état émotionnel des parents (niveau d’exci-
tation) peut être évalué par le niveau sonore durant les repas.
L’ajustement de la voix maternelle à la vulnérabilité du nour-
risson est un paramètre incontournable de la problématique
anorectique précoce. Une deuxième option de segmentation
peut profiter au nourrisson : cette fois-ci du côté parental.
La mère peut moduler et faire varier la musique des mots,
sa prosodie, son timbre, l’intensité, le débit, le rythme de sa
voix pour jouer sur l’attention de son nourrisson afin qu’il
s’alimente.

– Les stimuli sonores extérieurs aux parents


Nous savons également que d’autres stimulations de la
sphère auditive venant de l’environnement sont associées à
la voix de la mère afin de préparer l’enfant en bas âge à son
alimentation : « Certains des bruits que vous faites ont trait
à la préparation du repas et le bébé les connaît » (Winnicott,
1957, p. 37). Le ronronnement du micro-onde, par exemple,
peut signaler au nourrisson l’approche imminente du bibe-
ron. Le gong venant confirmer le début de l’alimentation.
Sur le modèle des représentations d’interactions généra-
lisé de Daniel Stern (Stern, 1985), nous pouvons simuler
une situation de prise alimentaire chez un nouveau-né dans
laquelle l’ouïe est particulièrement sollicitée : tout d’abord
le gong retentit, puis la mère prévient son nourrisson d’une
ritournelle amusée, puis elle le love dans le creux de son
bras, puis elle fait tomber une goutte de lait sur le dos de sa
main ou bien elle met à la bouche le biberon afin de vérifier
la température du lait et enfin elle présente avec délicatesse
le biberon à la bouche de son enfant en tapotant l’extrémité
de la tétine sur le bout des lèvres de celui-ci en attente d’être
alimenté.
À partir de cet exemple, l’épisode généralisé du nourris-
sage au sein n’est plus, en soi, un souvenir isolé, mais une
abstraction à partir de nombreux souvenirs spécifiques,
tous légèrement différents, qui produisent une structure
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512 Thomas Cascales et al.

unique de mémoire généralisée. Ainsi, une représentation


d’interaction généralisée de nourrissage se construit à partir
de la moyenne des expériences de nourrissage. Finalement,
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que ce soit l’allaitement ou le biberon, c’est l’appareil
auditif qui est sollicité pour préparer le nourrisson au
protocole à venir. Cette étape préliminaire déclenche des
mécanismes d’anticipation et active les postures proprio-
ceptives adéquates à la réception de l’alimentation. Sans
la voix ou les stimulations sonores liées à la préparation de
l’alimentation, le nourrisson peut être pris au dépourvu et
se retrouver embarrassé dans la gestion de son excitation
interne (Freud, 1905).

– L’ensemble des stimuli sonores de l’environnement


La faim est une poussée d’excitation allant de l’intérieur
du corps vers l’expression comportementale de la demande
dont le cri et les pleurs sont les principales caractéristiques
(Freud, 1905). Ainsi, l’ouïe de la mère est à son tour sollici-
tée par les cris et les pleurs du nourrisson. Supposons main-
tenant qu’une expérience de nourrissage se passe mal. Par
exemple, le nez est bloqué par le sein de la mère au moment
de la tétée. Le bébé ne peut respirer, gesticule, éprouve de la
détresse et finalement détourne la tête pour retrouver sa res-
piration. Soit la mère ne s’en aperçoit pas, soit elle panique
face à la détresse exprimée par son nourrisson. Dans les deux
cas, elle ne trouve pas les mots pour qualifier l’événement
pour son nourrisson, elle en reste sans voix. Ce nouvel épi-
sode spécifique « d’étouffement par le sein » est proche mais
diffère de façon significative de l’épisode généralisé de nour-
rissage par le sein. Cet épisode n’est pas oublié, il devient un
épisode spécifique. Par son déroulement, il est suffisamment
significatif pour être différencié du prototype mais pourtant
se mémorise « comme faisant parti d’un tout généralisé »
(Stern, 1985, p. 129).
À partir de la voix de la mère et des stimuli sonores
extérieurs, le nourrisson peut construire des scénarios
qui contribuent à l’anticipation des événements routiniers
de l’environnement. Ces exemples permettent d’entre-
voir le rôle joué par l’audition dans la mise en place de
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L’alimentation du nourrisson 513

l’alimentation chez le nourrisson. Présentons maintenant la


participation du toucher dans ce travail de discrimination
sensorielle. Comme le dit Bernard Golse, les perceptions,
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notamment auditives, sont actives dans leur fonctionnement
« par exemple, les travaux sur les auto-émissions provo-
quées qui montrent bien que le stimulus auditif traité par le
cerveau n’est en rien le son externe directement, mais bien
le signal sonore homothétique au signal sonore externe et
reconstruit, comme en miniature, par la cochlée » (Golse
& Roussillon, 2010, p. 164). Le son, comme l’ensemble des
éléments sensoriels, est donc une construction non-fidèle à
son émission d’origine. On comprend que les sollicitations
verbales parentales liées à l’alimentation soient sensibles
pour le nourrisson. Les ajustements vocaux parentaux sont
donc nécessaires pour que l’accordage affectif soit profi-
table au nourrisson en train de s’alimenter. Par exemple,
en raison d’une dépression maternelle, les modulations
d’énonciation peuvent être inexistantes (monotonie dans la
voix) et impacter négativement la pérennisation de l’alimen­-
tation.

Le toucher

– Alimentation et peau-à-peau
À partir de la septième semaine de vie prénatale, le toucher
devient un canal sensitif majeur, « faisant des perceptions
cutanées une des composantes majeures de l’expérience pré-
coce » (Alvarez, 2012, p. 5). Par ailleurs, les neurosciences
nous disent que le cerveau s’est formé par la construction
progressive de réseaux cérébraux uniques. Cette construc-
tion singulière est possible grâce aux acquisitions progres-
sives obtenues au contact des parents. Dans ces contacts, les
événements relationnels périnataux méritent une attention
particulière, notamment la qualité des interactions physiques
entre le nourrisson et ses parents. Après la voix, le toucher
représente un des canaux de médiation nécessaire au déve-
loppement et à l’acquisition des grandes fonctions du nour-
risson. Logiquement, l’alimentation dépendra aussi de la
qualité de cet investissement parental spécifique. Le contact
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514 Thomas Cascales et al.

peau-à-peau entre un nourrisson et ses parents représente


un des paramètres essentiels de préparation à la situation
d’alimentation. Si la voix permet d’envelopper le nourris-
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son d’une musique protectrice et répétitive (donc connue),
le toucher permet d’installer physiquement l’enfant dans les
meilleures conditions pour qu’il soit alimenté. La continuité
mère-nourrisson et son sentiment d’existence (Winnicott,
1971) passe obligatoirement par des moments transitoires
de portage maternel. Le toucher conditionne l’installation
d’une peau psychique indispensable au passage de l’indif-
férenciation primitive à l’intersubjectivité primaire (Golse
& Roussillon, 2010). Il est donc logique de concevoir l’opé-
rationnalité de l’alimentation comme une des conséquences
d’un holding réussi. L’inverse est vrai. Un robot pourrait-il
donner à manger à un nourrisson ? Il paraît évident que le
contact peau-à-peau manquera à la faisabilité d’une telle
opération. Pour quelle raison ? En suivant Winnicott, nous
pouvons avancer l’hypothèse d’un travail d’intégration
sensorielle en construction (Winnicott, 1969). Au départ,
le nourrisson est animé à la fois par les manifestations iso-
lées et non-synthétiques de sa sensorialité mais aussi par
l’activation progressive et saccadée de sa motricité. Son
état au repos peut être qualifié d’état de non-intégration
sensorielle. Son état au réveil actualise cette intégration et
place le nourrisson dans les dispositions motrices de maî-
trise de sa sensorialité. Ainsi, lors des phases de sommeil
synonyme de non-intégration, les parents ont la tâche diffi-
cile de lui assurer un sentiment de sécurité afin d’éviter les
réactions d’angoisse liées à cet état. Le portage est un des
moyens principaux utilisés par les parents pour garantir au
nourrisson cet état d’intégration. En effet, « c’est à la fois
physiquement et par des moyens plus subtils que la mère
et l’entourage maintiennent le nourrisson en un tout, et la
non-intégration peut exister parallèlement à la réintégration
sans que l’angoisse se développe » (Winnicott, 1969, p. 194).
Par exemple, le degré d’acquisition de cet état d’intégration
est variable à l’âge de un an, certainement en raison des
caractéristiques de tempérament du nourrisson, mais aussi
parce que les capacités de holding parental sont variables et
plus ou moins efficaces.
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L’alimentation du nourrisson 515

– Le peau-à-peau et le risque du fantasme


Dans un autre registre, le plaisir de succion est généra-
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lement commenté du côté du plaisir du bébé. Certainement
en raison du refoulement, le plaisir de la mère n’est pas
commenté. Pour autant, le mamelon en tant que zone érogène
est sollicité par l’allaitement. La douleur est généralement
évoquée dans les témoignages des mères, le plaisir jamais. Le
sexuel maternel est systématiquement refoulé, les mères ne
« tolèrent en aucun cas l’évocation de la statistique médicale
selon laquelle elles gardent au sein un temps significativement
plus long leur fils que leur fille. Le plaisir de la succion se doit
de n’être qu’unilatéral, la partenaire maternelle ne s’auto-
rise à bénéficier que d’un surcroît de sensations dont toute
connotation sexuelle est refoulée » (Harrus-Révidi, 1994,
p. 151). Le contact avec la mère permet l’inscription dans le
corps du nourrisson de l’investissement libidinal maternel.
D’une certaine manière, chacun des protagonistes du couple
mère/enfant est jouisseur dans la relation. L’érotisme qui
prend forme dans la rencontre des corps ne permet pas de
différencier « ce qui est propre à l’enfant (auto-érotisme)
et ce qui vient de la mère dont la participation sensuelle à
cette rencontre avec l’enfant est indispensable à sa pleine
réussite » (Barbier, 2007, p. 54). L’allaitement autorise la
volupté interdite mais peut aussi susciter, chez les mères qui
manquent d’expérience gratifiante, un effroi susceptible de
prise de distance. Le frottement des deux corps, mais par-
ticulièrement le plaisir érogène partagé entraîne jubilation
et fascination au risque d’évoquer pour certaines mères
les fantasmes incestueux les plus archaïques. La qualité du
refoulement maternel garantit assez souvent le bon fonction-
nement de l’allaitement maternel. Différemment, dans la
prise du biberon les enjeux psychiques sont moins impor-
tants. Cependant, la proximité physique du nourrisson peut
être inductrice d’un trouble substantiel chez les parents.
Finalement, la peau en tant que zone érogène (Anzieu, 1985)
prend fonction de zone de contact préférentiel pour que
soient possibles les investissements libidinaux parentaux.
Il y a des zones érogènes spécifiques qui correspondent à la
périphérie des orifices et à l’affleurement des muqueuses,
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516 Thomas Cascales et al.

cependant « n’importe quel autre endroit du corps peut,


exactement comme dans le suçotement, être doté de l’excita-
bilité des parties génitales et élevé au rang de zone érogène »
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(Freud, 1905, p. 108). Si le peau-à-peau est conseillé aujour-
d’hui dans les maternités, c’est pour encourager ces inves-
tissements. Malgré tout, le risque de « mauvaise rencontre »
fantasmatique est toujours possible dans le cas d’un refoule-
ment défaillant qui ne garantit plus la tranquillité psychique
permettant un maternage « suffisamment bon ».

– Les premiers soins, une histoire de père… aussi


Le contact maternel peau-à-peau attire particuliè-
rement l’attention, cependant celui initié par le père est
tout aussi important, que ce soit pour ses qualités pro-
pres, mais aussi parce qu’il introduit de la différenciation
mère/enfant. Une étude israélienne a étudié le lien entre
l’implication des pères dans les soins des nourrissons et les
troubles des conduites alimentaires précoces (Atzaba-Poria
& al., 2010). Les pères du groupe clinique (nourrisson avec
un trouble des conduites alimentaires) s’impliquent dans
les soins du nourrisson de manière significative, alors que
les pères du groupe contrôle (sans TCA) s’impliquent fai-
blement dans les soins du nourrisson y compris en termes
de toucher. À l’intérieur du groupe clinique, les pères qui
participent au soin du nourrisson font preuve de moins de
sensibilité parentale que les mères. Ils sont plus frustres,
parlent moins et rentrent moins en contact avec le nour-
risson que les mères du groupe clinique. Les résultats de
cette étude confirment les hypothèses psychanalytiques et
font évoquer l’importance d’un concept comme celui de la
« censure de l’amante » (Fain, 1971). En effet, en l’absence
du père, ou en raison de son manque d’implication dans
les premiers soins, la dyade mère-enfant se trouve isolée
et tournée sur elle-même pour le meilleur… comme pour
le pire. C’est la présence du père qui inscrit le nourrisson
dans la lignée des deux parents et « décolle » psychique-
ment l’enfant et sa mère afin de contribuer à sa construc-
tion identitaire et subjective. Ainsi, le contact peau-à-peau
au moment du biberon donné par le père est un temps de
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L’alimentation du nourrisson 517

prédilection pour l’expression des prémices subjectives


du nourrisson. Ce temps « autre » permet d’enrichir le
patrimoine langagier et symbolique du nourrisson qui
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se voit qualifié autrement par son père et sa subjectivité
paternelle (Lebovici, 1991). C’est dans la différence que
le nourrisson construira sa mosaïque identitaire à partir
de ces deux modèles. Le contact avec le père induit une
confrontation des points de vue. Chacun a son opinion sur
l’éducation, les soins, les modèles de préoccupations. Le
père donnera le biberon en marchant, la mère préférera
le fauteuil confortable du salon. La mère demandera à sa
mère comment confectionner les premières purées. Le père
préférera demander au pédiatre. Un portage différent, des
points de vue qui parfois s’opposent, d’autres fois tombent
d’accord, permettent une riche élaboration des représenta-
tions parentales sur le nourrisson. Le holding à quatre bras
nourrit d’affection le bébé et tempère les confusions iden-
titaires trop intenses entre la mère et l’enfant. D’une cer-
taine manière, quand Winnicott nous rappelle que « dans
son environnement, c’est peu à peu que des parcelles de
la technique des soins, des visages vus, des sons entendus
et des odeurs senties seront juxtaposés pour composer
un seul être qu’on appellera la mère » (Winnicott, 1969,
p. 39), il s’appuie sur la réalité socio-économique d’une
époque qui s’est transformée. Son analyse est juste d’un
point de vue développemental mais doit être révisée en rai-
son de la restructuration progressive des modèles modernes
de parentalité. Aujourd’hui, dans beaucoup de familles,
la mère n’est plus seule pour donner les premiers soins à
l’enfant. Le père peut être particulièrement impliqué dans
le maternage (nous n’osons pas « paternage ») et se substi-
tuer à la mère (ou faire avec elle) pour les tâches précoces
du « prendre soin ». C’est pourquoi les stimuli tactiles mais
aussi olfactifs, auditifs et visuels proviennent, à des degrés
différents pour chaque nourrisson, à la fois d’une source
maternelle et d’une source paternelle. Ainsi, la mère winni-
cottienne doit être comprise comme conceptuelle, les deux
parents étant a priori mélangés, avec, tout de même, un
cran d’avance pour la mère en raison de l’ancrage mater-
nofœtal. Finalement, peu importe la hiérarchie parentale ;
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518 Thomas Cascales et al.

en fonction de son investissement, le père peut apporter


un soutien moral, faire fonction « d’étayage, mais aussi
de confirmation narcissique de la mère » (Ciccone, 2011,
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p. 156) en s’imposant dans le discours maternel. En revan-
che, il doit exister aussi dans la réalité. Une absence trop
importante fait perdre de l’intensité à sa fonction tierci-
sante. Être dans la tête de la mère ne suffit pas. À partir
d’expériences en commun, il est nécessaire que l’enfant
éprouve le sentiment de sa réalité.

– Les premiers soins : les deux parents concernés


D’autre part, le père et la mère sont une unité en tant que
parents. Cette association regroupée sous le vocable « paren-
tal » fournit au nourrisson un point d’appui solide. « L’union
du père et de la mère fournit un fait, un fait solide autour
duquel l’enfant peut construire un fantasme, un rocher
auquel il peut s’accrocher et contre lequel il peut donner des
coups » (Winnicott, 1957, p. 119). Le père et la mère sont un
couple opérant psychiquement pour l’enfant, du moment où
la distinction entre eux est validée par la mère. Être « deux »
pour s’occuper « d’un » ouvre des horizons insoupçonnés en
termes de parentalité. Le partage génère du plaisir et de la
complexité, entre les parents pour l’enfant et de l’enfant pour
les parents (Ciccone, 2011). Cependant, partager demande
de la connivence, du respect et une grande confiance dans
l’autre, ce qui n’est pas toujours le cas au quotidien dans la
vie conjugale.

– La muqueuse buccale une peau interne


Il est aussi important d’inclure dans le toucher les
contacts internes de l’aliment sur la muqueuse buccale.
Les sensations désagréables liées à la texture des aliments
sont très largement répandues chez les enfants avec des diffi-
cultés d’alimentation. En effet, pour des raisons de qualité
formelle certains aliments peuvent être refusés par le nour-
risson. L’exemple le plus commun est l’appréhension liée à
la mastication des morceaux dans les purées ou la compote.
Le simple contact du morceau sur la muqueuse buccale, la
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L’alimentation du nourrisson 519

langue et les lèvres (face interne et externe) peut générer


chez certains nourrissons un réflexe nauséeux pouvant aller
jusqu’au vomissement. L’acquisition de la déglutition se
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fait précocement mais progressivement. Dans certains cas,
le morceau peut devenir synonyme de rejet et modifier les
préférences alimentaires du nourrisson. D’une confection
artisanale maternelle avec des morceaux, le nourrisson peut
s’orienter vers une nourriture lisse et sans aspérité qui cor-
respond à la constitution des petits pots manufacturés. Nous
savons depuis les travaux d’Anna Freud (1965) que les habi-
tudes alimentaires précoces sont orientées par la rencontre
entre les prédispositions sensorielles innées du nourrisson et
la manière dont l’environnement présente et valorise les ali-
ments ; dans ce cas, pouvons-nous supposer que cette alliage
développemental est rendu possible et médiatisé par la qualité
du portage parental ? Justement, une recherche israélienne
conclut au lien entre les conduites maternelles de toucher et
les troubles alimentaires chez le nourrisson (Feldman & al.,
2004). En effet, dans cette étude, chez les enfants avec des
troubles du comportement alimentaire (refus alimentaire et
sélectivité alimentaire), les mères témoignent significative-
ment de moins de manifestations d’affection et sont significa-
tivement moins entreprenantes dans le contact peau-à-peau
avec leurs nourrissons que les mères des enfants du groupe
témoin (enfant avec des conduites alimentaires ordinaires).
Découvrons maintenant la fonction du goût dans cette senso-
rialité en cours d’organisation.

Le goût

– Le goût : une construction ?


La bouche et ses composantes anatomiques princi-
pales (le palais, la langue, l’intérieur des joues, le larynx
et le pharynx) sont organisées de sorte à permettre que le
goût des aliments soit possible. On sait aujourd’hui qu’à
la douzième semaine de gestation, le système gustatif du
fœtus est fonctionnel. Dès la naissance, « le bébé discri-
mine les quatre saveurs primaires, chacune induisant une
mimique caractéristique ou réflexe gustofacial. Un enfant à
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520 Thomas Cascales et al.

forte discrimination gustative montrerait un comportement


alimentaire qualifié de “capricieux”, alors qu’un autre
peu sensible aurait tendance à accepter plus volontiers
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des nourritures plus variées » (Alvarez & al., 2012, p. 5).
Ainsi, puisqu’il existe une sensibilité initiale de la muqueuse
buccale, on peut logiquement faire l’hypothèse que cette
sensibilité soit façonnée progressivement par l’éducation
parentale. Nous pouvons donc faire l’hypothèse que le goût
est une construction qui s’élabore au cours des repas à par-
tir des prédispositions éducatives parentales. Ainsi, le goût
se construit dans la relation avec l’adulte par le biais d’inte-
ractions centrées sur la question de l’alimentation. Les mots
posés par les parents seront déterminants : « Il n’aime pas la
purée de carottes », nous disent certains parents ; « Il adore
les huîtres », nous commentent d’autres avec fierté. Le goût
s’apprend, « se travaille, se pense, s’oblige par moment, se
forge ; dans ce domaine aussi le spontanéisme recouvre un
leurre, car l’enfant va au même, à l’identique » (Harrus-
Révidi, 1994, p. 88). La construction du jugement chez le
nourrisson décrite par Freud peut nous permettre d’aller
plus loin. Pour lui, l’alimentation (entre autres) est jugée
psychiquement par le nourrisson comme bonne ou mauvaise,
utile ou nuisible. « Exprimé dans le langage des motions
pulsionnelles les plus anciennes, les motions orales : cela je
veux le manger ou bien je veux le cracher, et en poussant
plus avant le transfert (de sens), cela je veux l’introduire
en moi et cela l’exclure hors de moi. Le moi plaisir originel
[…] veut s’introjecter tout le bon et jeter hors de lui tout le
mauvais. Le mauvais, l’étranger au moi, ce qui se trouve au-
dehors est pour lui tout d’abord identique » (Freud, 1925,
p. 137). Ainsi, le nourrisson « marque les différences par le
goût : il garde à l’intérieur de sa bouche les saveurs bonnes,
comme le sucré qu’il désire en lui, il recrache les saveurs
mauvaises, comme le salé, l’acide et l’amer, qu’il refuse
d’incorporer. Puis un tri plus fin, plus nuancé, apparaîtra,
les différents goûts de base se fondront plus harmonieu-
sement, mais néanmoins, toute la vie, des saveurs vécues
comme désagréables, pour des raisons incommunicables de
jugement subjectif, seront rejetées dehors, à l’extérieur »
(Harrus-Révidi, 1994, p. 80).
- © PUF -
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L’alimentation du nourrisson 521

– Les préférences alimentaires


La nourriture rentre dans le corps et devient une partie
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de soi. Compte tenu des enjeux de cette incorporation, les
appréhensions du nourrisson sont multiples. Les saveurs,
les textures, les couleurs peuvent changer et n’ont de cesse
de se modifier malgré les efforts des parents pour reproduire
des repas similaires. Les confections parentales sont par
essence imprévisibles. Ce qui est différent pour le nourrisson
devient mauvais. En revanche, la nourriture industrielle et
celle des fast-foods uniformise et réduit la variabilité. Ainsi,
le nourrisson, certainement par souci d’économie et par ten-
dance naturelle à la répétition, se dirige généralement vers
ce qui est invariable. Le succès des fast-foods s’appuie sur
cette composante principale. L’incorporation mobilise des
appréhensions, les goûts se succèdent et ne se ressemblent
pas, les fast-foods produisent du « même » à la chaine. Pour
les nourrissons, la production des petits pots industriels
relève d’une logique similaire. Lisse et salé, voilà les deux
paramètres principaux de ce type de nourriture. Le goût est
secondaire, la priorité est donnée à l’uniformisation du goût
et de la texture. Accepter ce qui est différent correspond à
une prise de risque pour le nourrisson. Son jugement d’attri-
bution oriente ses goûts du côté du connu. C’est pourquoi,
pour permettre au nourrisson d’accéder à la diversification
dans de bonnes conditions, il est nécessaire que les « bons »
mots soient utilisés par les parents pour qualifier la nourri-
ture qui est donnée.

– Refus alimentaire et sélectivité


Quelquefois, les mots ne suffisent pas et l’appréhension
est trop forte. Le retranchement du nourrisson du côté des
petits pots industriels oblige les parents à renoncer à confec-
tionner des purées et des compotes de façon artisanale. Pour
beaucoup de mères, c’est une blessure narcissique de plus
que l’enfant leur inflige. Les marques industrielles prennent
l’ascendant sur les productions maternelles qui sont reléguées
au second plan. Ce que produit la mère est mauvais parce
que refusé par le nourrisson, ce qui vient de l’extérieur par
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522 Thomas Cascales et al.

son uniformisation est toléré et introduit dans les habitudes


alimentaires. La confusion des valeurs est presque systéma-
tique. Ce qui est accepté par le nourrisson est qualifié de bon
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par la mère, ce qui est refusé est considéré comme mauvais.
Cependant, le nourrisson mange parce qu’il a faim et non
en raison de la « bonne » qualité attribuée à la nourriture.
Si le goût est un apprentissage (à l’exception du doux et de
l’amer qui sont certainement innés), le bon est secondaire
par rapport à la faim. Si la mère confond sa propre identité
et les qualificatifs donnés à la nourriture, la relation entre
« le mauvais » et « le refusé » peut compliquer considérable-
ment la relation en ébauche qui se construit par le biais de
la situation d’alimentation. Il est banal et conceptuellement
imprécis de dire que les productions maternelles sont une
partie d’elle-même, néanmoins l’expérience du nourrissage
confirme cet adage populaire. Un allaitement chaotique,
une purée refusée, un biberon repoussé à moitié sont autant
d’attaques narcissiques pour la mère. Le goût et le dégoût
sont donc acquis par le biais d’expériences répétées de pré-
sentation de nouveaux aliments. Ces expériences prennent
du temps, les acquisitions sont nombreuses. La nourriture
proposée par les parents est forcément bonne, le nourrisson
doit acquérir la même conviction. « Si on lui laisse le temps
et si on le manie avec calme, l’enfant finira par découvrir ce
qu’il appelle bon et ce qu’il appelle mauvais » (Winnicott,
1957, p. 147). Si ce temps n’est pas respecté, le timing des
acquisitions peut être bousculé et des perturbations de tous
ordres apparaître dans la mise en place de la fonction d’ali-
mentation. Ainsi, le goût et la texture sont des paramètres
importants dans la sélectivité alimentaire du nourrisson,
mais l’odeur et la vision également.

L’odorat

– La carte d’identité chimique maternelle


Le réflexe de fouissement du nourrisson a pour fonction
principale la recherche archaïque du mamelon maternel. Le
contact peau-à-peau est un moyen essentiel dans la quête du
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L’alimentation du nourrisson 523

sein. De la même manière, l’odorat du nourrisson permet


l’orientation et la construction d’une sensorialité « tête cher-
cheuse ». C’est par l’odeur que le nourrisson construit ses
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premiers repères. Lorsqu’il tète, le nourrisson « sent le sein
et l’aisselle, alors que lorsqu’il est porté et consolé il sent le
cou, stimuli qui, par la suite, conservent leur effet d’apaise-
ment en dehors du contexte interactif initial » (Alvarez & al.,
2012, p. 6). La place de l’odorat dans les premiers jours de
vie permet au nourrisson de rentrer en contact avec l’objet
dont il dépend. Le nourrisson est capable dès le troisième
jour de « discriminer l’odeur du cou et du sein maternels, et
il construit ainsi une sorte de carte d’identité chimique de sa
mère » (Golse, 2006, p. 24).

– Les bases de l’odorat sont-elles innées ?


Les autres sens, notamment la vision, étant en ébauche,
l’odorat assure les premières certitudes sur l’environ-
nement. Les expériences pédiatriques de reconnaissance
précoce des odeurs montrent de quelle manière, dès les
premiers jours de vie, le nourrisson peut discriminer net-
tement un coton-tige imbibé de vanille d’un coton-tige
imbibé d’ammoniac (Soussignan & al., 2012). Le coton-tige
imbibé de vanille déclenche un rictus que nous qualifierons
de plaisir et le coton-tige d’ammoniac déclenche une gri-
mace qui fait évoquer un premier dégoût. Compte tenu de
la construction précoce de cette sensorialité, le nourrisson
compense son déficit visuel par l’utilisation intensive de
son odorat. Premièrement, il devient évident que l’odeur
maternelle, l’odeur du lait, l’odeur des habits sont discri-
minés et reconnus dès la naissance. Le goût de la mère se
transmet in-utéro au fœtus, l’odorat également (Nicklaus
& al., 2005). Le goût et l’odeur sont les deux faces d’une
même pièce. Deuxièmement, si la rencontre avec l’objet
est facilitée par la maîtrise de l’odorat, il est possible de
supposer que les affects principaux dont le nourrisson est
porteur « utilisent l’olfaction comme base ou même étayage
primitif ; c’est sur un fond odorant que s’inscrit souvent
l’attraction ou la répulsion d’un sujet pour un autre »
(Harrus-Révidi, 1994, p. 44).
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524 Thomas Cascales et al.

– L’odorat et les parents


La relation objectale primitive a donc pour fondement
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l’odeur de la mère. Les modèles animaux des éthologues ne
font que confirmer cette analyse. Par moment, des odeurs
peuvent perturber le nourrisson dans son travail d’identifi-
cation et de discrimination de l’environnement, à d’autres
moments l’odorat facilite la rencontre avec l’objet. Pour évi-
ter les possibles confusions, les mots posés sur les odeurs sen-
ties par la mère peuvent améliorer la pertinence de l’odorat
chez le nourrisson. Par la suite, durant le développement,
l’odorat sera relégué au second plan par le perfectionnement
de la vision, mais gardera néanmoins les caractéristiques
infra-sensorielles qui permettront au nourrisson de pour-
suivre implicitement son travail d’organisation de l’environ-
nement premier.

La vue

– Voir et choisir
Nous savons actuellement que le « nouveau-né est capable
de stratégie et paraît sensible à la différenciation figure/fond :
il fixe préférentiellement les contours des objets, les zones de
frontières. Le premier objet répondant à toutes ces carac-
téristiques est le visage de la mère » (Alvarez & al., 2012,
p. 6). Le nourrisson fait d’abord un portrait abstrait de sa
mère avant d’en faire un portrait figuratif, « il la reconnaît
par le biais de ses spécificités dynamiques, c’est-à-dire par
le biais du style et de ses interactions » (Golse & Roussillon,
2010, p. 158). Dès la naissance, les nourrissons sont à l’affut
du biberon quand ils ont faim. Les plus affamés peuvent
pleurer intensément (débordement d’excitation) quand la
mère leur présente le biberon, d’autres au contraire, qui
ont pris en aversion le biberon de lait, peuvent exprimer
une grande détresse et un refus ostensible à l’approche de
l’objet. L’acuité visuelle du nourrisson étant au départ d’une
distance maximale de « 20 à 30 cm, distance qui correspond
approximativement à celle qui sépare son visage de celui
de sa mère lors des tétées » (Golse, 2006, p. 24), il est donc
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L’alimentation du nourrisson 525

nécessaire que le biberon soit suffisamment proche du nour-


risson pour qu’il rentre dans son champ perceptif. Ainsi,
au départ, le nourrisson ressent plus qu’il ne voit sa mère.
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Il est sensible à la rapidité des réponses, aux signaux sen-
soriels, à son style de réponse (unimodale ou transmodale)
et à son état affectif plutôt qu’aux signes physiques et ves-
timentaires. Pour les nourrissons plus âgés, la composition
de la table sera déterminante. Compte tenu de ces capacités
précoces, beaucoup de nourrissons sont extrêmement sen-
sibles à l’aspect, la couleur et à la forme des aliments qui
leur sont présentés. Les aliments sont donc automatique-
ment reconnus par le nourrisson. Une couleur ou une forme
peuvent suffire pour reconnaître un aliment qui n’est pas
toléré. Le nourrisson peut retirer de son assiette l’aliment
en question, mais encore plus, peut aller jusqu’au plat pour
éliminer de son champ de vision l’aliment qui l’indispose.
Certains nourrissons refusent tous les aliments qui sont en
contact avec l’aliment concerné. La sélectivité peut se faire
sur des critères aussi primaires que la vision du contact entre
deux aliments dans le plat principal. D’autres nourrissons
pleurent afin d’obliger les parents à intervenir. Ils finissent
par retirer l’aliment de leur propre assiette afin de calmer le
nourrisson. Dans ce type de cas, on parle de phobie alimen-
taire ou de néophobie alimentaire (Chatoor, 2009).

– Le refus alimentaire une question de regard


L’importance de la vision dans la sélectivité alimentaire
est particulièrement notable dans les situations de rejet d’ali-
ment, mais elle est aussi présente chez les nourrissons qui
jubilent devant les aliments ou les préparations qu’ils affec-
tionnent. La simple présentation de l’aliment provoque une
excitation et un débordement émotionnel qui peut entraver
le processus de déglutition et mettre le nourrisson en danger.
Il n’est pas rare de voir des nourrissons s’étouffer par excès
d’excitation à l’ingestion de morceaux trop importants de
leur met favori. Évidemment, le nourrisson reconnaît tout ou
partie de l’aliment qui lui est présenté, cependant l’aliment ne
peut être découplé de celui qui le sert et de la manière dont il
lui est présenté. Le visage du parent qui tend le biberon, qui
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526 Thomas Cascales et al.

pose le plat sur la table ou qui remplit l’assiette est un point


d’attraction dont le nourrisson ne peut se défaire compte
tenu de la puissance de son attrait pour lui. « La poussée du
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regard se loge dans l’œil qu’elle prend en otage », nous disent
Nicole Catheline et Daniel Marcelli (2011, p. 93). Lorsque
l’alimentation est devenue un « enfer », quand les regards se
croisent pour mieux juger de la réaction de l’autre, la ten-
sion est à son paroxysme, les appréhensions aussi, la peur
de l’intrusion pour le nourrisson répond à la peur du rejet
du côté des parents. Le regard de l’adulte est un stimulateur
efficace pour le nourrisson, mais dans certains contextes il
peut devenir persécuteur. Le partage du regard peut « faire
vivre des angoisses persécutrices, terrifiantes, et si celles-ci
ne sont pas contenues, reconnues, traitées, le détournement
ou l’évitement du regard se constituera comme mesure
défensive chez le bébé » (Ciccone, 2011, p. 97). Chacun des
acteurs se défend comme il peut, le regard peut devenir un
moyen d’emprise dont le nourrisson use pour se défendre du
contrôle parental.

– Le regard comme co-emprise


Quand la satisfaction est entravée, quand la pulsion ne
peut se satisfaire et s’assouvir dans la rencontre avec l’objet,
le recourt à l’emprise conduit le visage de la mère à se char-
ger d’affects aussi négatifs que la crainte et l’inquiétude
(Denis, 1997). La réciproque est vraie. Le regard du nour-
risson porte en lui la peur d’être « intrusé ». Les conduites
alimentaires proposées par la mère sont refusées. L’emprise
du nourrisson s’accroît à mesure des carences affectives.
Moins le nourrisson peut se satisfaire dans la relation, plus le
besoin d’emprise le pousse à maîtriser son objet par le regard
– un adage populaire dirait : « Il l’a à l’œil ». Par ailleurs,
la pulsion peut se satisfaire dans la haine de l’autre, entre
contrainte des normes parentales et frustration du besoin
d’emprise, l’agressivité peut naître du rapport de force :
les yeux dans les yeux. Parce que, pour le nourrisson, per-
cevoir et ressentir sont simultanés, les affects de la relation
aux parents ne peuvent être pensés de façon distincte par
rapport aux perceptions de l’objet aliment (Pinol-Douriez,
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L’alimentation du nourrisson 527

1984). Ainsi, au même titre que l’activité fantasmatique du


nourrisson, l’anticipation de l’alimentation se construit à
partir de « proto-représentations » issues de mécanismes
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perceptifs initiaux (Lebovici, 1987). Quand voir et sentir se
confondent, le nourrisson trouve dans l’empathie parentale
(Missonnier, 2004) les signaux qui servent de guide à la cons-
truction de ses préférences alimentaires.

– Le regard, une histoire d’intention


Si jamais l’empathie fait défaut, l’emprise du regard
prendra le pas sur le plaisir de manger ou dans un autre cas,
l’agressivité pourra envahir la relation est colorer les inter-
actions parents-nourrisson lors de l’alimentation. « Ce bébé
ne regarde pas le sein. Il ne regarde le sein, ni quand sa mère
s’approche, ni quand elle le lui offre, ni quand il tète. Il fixe
de façon soutenue le visage maternel, du début de la tétée
jusqu’à la fin » (Spitz, 1959, p. 209). Parce que le nourrisson
est habitué dès le départ à fixer le visage maternel, en un regard
chacun des protagonistes de la relation parent-nourrisson peut
connaître les intentions de l’autre et chercher l’état affectif
du partenaire (Marcelli, 2006). Le nourrisson est doté préco-
cement d’une capacité de décodage des intentions parentales
(Stern, 1985) que les parents sous-estiment ordinairement,
hormis dans les périodes de conflits et particulièrement dans
ceux qui concernent l’alimentation. Le regard du nourrisson
qui maîtrise son objet pour ne pas être soumis à lui est une
expérience dont les parents se souviennent des années après
le déclin du symptôme anorectique.

– Le regard et la réparation psychique


À partir des travaux d’Albert Ciccone (Ciccone, 2011),
nous pouvons concevoir le regard comme un moyen, mis en
œuvre par le nourrisson, pour réparer les expériences per-
ceptives de discontinuité propres à la situation d’alimenta-
tion. Par exemple, lors d’un repas, un nourrisson débordé
par l’excitation manifeste une grande agitation qui perturbe
fortement les possibilités d’ajustements maternels. Dans ce
cercle vicieux, la mère n’est plus en capacité de calmer le
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528 Thomas Cascales et al.

nourrisson par le regard ou par d’autres modalités d’apaise-


ment (voix, toucher…). À ce moment là, le nourrisson trouve
dans le regard du père un accrochage perceptif qui permet
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la réparation de l’expérience de discontinuité sensorielle.
Quand le nourrisson est apaisé, il peut retrouver le regard
maternel et proposer un échange apaisé et ludique à sa mère.
Si la mère n’est pas calmée, il doit redoubler d’effort pour
lui permettre de s’apaiser à son contact. Si la situation dure
trop longtemps, l’excitation peut envahir le nourrisson et la
situation d’alimentation peut à nouveau se dégrader.

CONCLUSION

Après avoir listé et commenté, à partir des travaux de


Sigmund et d’Anna Freud, le rôle des cinq sens dans la mise
en place de la fonction d’alimentation, laissons maintenant
à Winnicott le soin de la conclusion. Parce qu’il a réussi à
réaliser la synthèse de la métapsychologie freudienne et de
la position « psycho-éducative » anna-freudienne (Ribas,
2003) et compte tenu de l’importance de ces deux courants
dans la clinique périnatale spécialisée dans les troubles des
conduites alimentaires (Keren & Feldman, 2002), son point
de vue ne pouvait échapper à ce travail sur la sensorialité
précoce. L’exemple de l’oignon de jonquille est particulière-
ment évocateur de son positionnement clinique et humain. Il
s’adresse aux parents directement : « Le bébé ne dépend pas
de vous pour ce qui est de sa croissance et de son dévelop-
pement […] Si vous venez, par exemple, de mettre un oignon
de jonquille dans un pot, vous savez parfaitement bien que ce
n’est pas vous qui ferez pousser l’oignon pour qu’il devienne
jonquille. Vous fournirez la terre qui convient et vous l’arro-
serez juste comme il faut. Le reste viendra naturellement,
parce que l’oignon porte la vie en lui […] chez l’oignon et
chez le bébé il se passe quelque chose qui n’est pas du ressort
de votre responsabilité » (Winnicott, 1957, p. 26). À travers
cette métaphore, Winnicott encourage les parents à ne pas
intervenir de façon normative sur le développement de leur
nourrisson. La terre et l’eau sont l’alimentation et l’amour.
Pour lui, le développement est naturel et ne doit pas être
contrarié par les interventions des parents. L’allaitement est
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L’alimentation du nourrisson 529

une illustration concrète de sa métaphore. Pour lui, « c’est


la mise en pratique d’une relation d’amour entre deux êtres
humains » (Winnicott, 1957, p. 29). Sans amour, l’allaitement
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devient impossible, la satisfaction entravée et le bonheur de
donner est rendu caduque par l’aspect opératoire de la ren-
contre. La spontanéité doit donc être privilégiée. Cependant,
Winnicott n’est pas dupe de sa métaphore : la jonquille n’a
pas accès au langage. Et chacun sait que trouver la quantité
d’eau nécessaire à la croissance d’une plante n’est pas chose
aisée. Un excès de générosité hydraulique ou au contraire
un oubli d’arrosage est possible, les expériences jardi-
nières de tout un chacun en sont remplies. Heureusement,
le nourrisson a plus de ressources que la jonquille. Mais
ses ressources, notamment les pleurs pour les plus petits
ou le langage pour les plus âgés, sont aussi des brouilleurs
de pistes. Les pleurs doivent être interprétés et le langage
également. Les incompréhensions sont donc nombreuses et
les parents, certaines fois, ne sont pas plus avancés malgré les
acquisitions langagières nouvelles qui devaient révolutionner
la relation entre eux et leur bébé. L’exemple de l’allaitement
est assez illustratif. Winnicott conseille de nourrir le bébé à
la demande, selon ses désirs. Ainsi, lorsqu’il est en capacité
de tolérer la mise en place d’un intervalle d’attente entre les
tétées, le nourrisson envoie des signaux que la mère décode
avec attention. Si jamais l’intervalle de trois heures environ
n’est pas supporté, la mère s’adapte et revient à un allai-
tement à la demande. L’intervalle est donc trouvé par une
adaptation maternelle en essai/erreur. Cependant, le déco-
dage n’est pas des plus faciles. Plusieurs paramètres sont
en jeux : le temps disponible pour le nourrisson doit être
important, la préoccupation maternelle optimale et le père
doit soutenir la mère pour qu’elle soit dans les meilleures
conditions pour allaiter son bébé. L’alimentation précoce
dépend donc des capacités parentales à s’adapter au dévelop-
pement sensoriel singulier du nourrisson. À partir des ajus-
tements nécessaires, les parents se mettent à la hauteur de
leur enfant et portent le monde au niveau de ses compétences
sensorielles. Il n’est pas nécessaire d’être pressé, chaque
nourrisson va à sa vitesse, l’empressement des parents au
contraire peut devenir délétère et entraver le développement
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530 Thomas Cascales et al.

sensoriel des nourrissons. La disponibilité doit être impor-


tante, les temps d’observation également. Le fonctionnement
de chaque nourrisson est conditionné par la bienveillance
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et la patience de son environnement. Les parents sont en
empathie, au sens de Winnicott, quand ils supposent à leur
nourrisson un affect qu’ils peuvent ressentir en eux (Rabain,
2004). De la même manière, quand ils deviennent capables
de ressentir et de tolérer les acquisitions sensorielles des
nourrissons, les parents peuvent les accompagner dans leur
développement en leur permettant d’intégrer progressive-
ment la complexité du monde dans lequel ils vivent. Certains
parents possèdent initialement cette capacité d’empathie,
d’autres vont l’acquérir et se perfectionner progressivement
au cours des interactions et des péripéties relationnelles.
Afin d’éviter que les difficultés d’accordage aient des réper-
cussions préjudiciables sur les acquisitions sensorielles et
l’alimentation du nourrisson et, réciproquement, que les dif-
ficultés alimentaires et les défaillances sensorielles précoces
aient des répercussions sur la qualité de l’accordage parent-
nourrisson (Ammaniti & al., 2004), il est souhaitable que la
détection précoce soit efficace et permette la mise en place de
prises en charge parent-nourrisson adaptées aux singularités
de chaque triade (Knauer & Palacio-Espasa, 2002).

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Automne 2012
Thomas Cascales
Equipe Mobile de Psychiatrie de Liaison
SUPEA
Hôpital des Enfants
330, avenue de Grande-Bretagne
31059 Toulouse cedex 9
cascales.t@chu-toulouse.fr

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