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Martine Jey
ISSN 0035-2411
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Le canon aux agrégations du xixe siècle
Martine Jey*
* Université Paris-Sorbonne/Espé.
1. Ces couplages entre un auteur latin ou grec et un auteur français sont une constante dans la
première moitié du xixe et un principe de sélection : Démosthène/Bossuet ; Horace/Boileau ;
Virgile/Voltaire (La Henriade)… Les auteurs français sont d’abord conçus comme des imitateurs,
voire des traducteurs. D’où l’importance accordée à la comparaison, à l’imitation dans les sujets.
RHLF, 2014, n° 1, pp. 143-156
144 revue d’histoire littéraire de la france
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celles transmises aux élèves de l’enseignement secondaire, quels rapports
entre le canon à l’agrégation et celui du secondaire ? Sujets et programmes
permettent de définir les attentes institutionnelles, concernant en particulier
le statut de la littérature française, les listes d’auteurs sélectionnés, la norme
esthétique diffusée. Les « classiques », les auteurs étudiés dans les classes,
sont le fruit d’une sélection particulièrement étroite.
2. En 1890, les épreuves de langues anciennes sont les suivantes : versions latine et grecque,
thèmes latin et grec, composition latine.
3. Cette histoire a été faite dans l’ouvrage de référence que constitue L’Histoire de l’agréga-
tion d’André Chervel, Paris, INRP. Éditions Kimé, 1993. Voir aussi Yves Verneuil, Les Agrégés.
Histoire d’une exception française, Paris, Belin, 2005. Deux articles également : Anne-Marie
Thiesse et Hélène Mathieu, « Déclin de l’âge classique et naissance des classiques. L’évolution des
programmes scolaires depuis 1890 », Littérature, n° 42, 1981, pp. 89-108 ; Pierre Albertini, « Le
cursus studiorum des professeurs de lettres », Histoire de l’éducation, n° 45, janvier 1990,
pp. 43-69.
4. On ne parlera pas de l’agrégation de l’Ancien Régime qui a un autre fonctionnement. À
partir de 1821, certains sujets sont du domaine de l’histoire ou de la philosophie, les agrégations
dans ces disciplines n’existant pas encore.
5. Il faut attendre 1830 pour qu’une agrégation de philosophie soit effectivement organisée.
6. Pour que soit donnée l’autorisation de se présenter au concours (les candidats faisaient l’ob-
jet d’une présélection), étaient prises en compte les années d’enseignement ; ainsi sous le ministère
Fortoul, on impose une ancienneté de cinq ans.
le canon aux agrégations du xixe siècle 145
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tenue pour une agrégation de second ordre, parce que ce concours recrutait
les professeurs destinés aux classes de « grammaire », de la sixième à la
quatrième ; les sujets de « composition française » qui ont d’abord concerné
la langue ont, à partir de 1885, porté sur la littérature. L’agrégation secon-
daire spéciale et l’agrégation pour les jeunes filles, plus récentes, n’avaient
pas le prestige de leurs aînées pour des raisons qui tenaient à leurs finalités
et à leur public : la première porte la tache originelle d’une finalité profes-
sionnelle, pour la seconde, la prétendue infériorité du sexe dit faible rend
moins légitime un concours qui lui est destiné. Pas d’épreuves de langues
anciennes à ces deux agrégations : la littérature française trouve donc
« naturellement » sa place, elle n’a pas à la conquérir face aux littératures
latine et grecque.
À l’origine, en 1821, aux agrégations des lettres et de grammaire, seules
les épreuves d’explications orales (elles portaient sur les langues anciennes)
ont un programme d’auteurs défini, programme d’auteurs latins et grecs. Une
explication d’auteurs français est ajoutée aux épreuves orales en 1844 pour
l’agrégation de grammaire et en 1849 pour celle des lettres, le programme
d’auteurs s’augmente alors d’une liste d’auteurs français. En 1904, le règle-
ment précise que la « composition française » se fera désormais « sur un pro-
gramme d’auteurs indiqué à l’avance ». C’est le début du programme d’auteurs
7. Cette épreuve fait l’objet d’abondants commentaires dans les rapports : « 1° Correction
d’un devoir. Cette épreuve est très délicate et met les candidats dans des conditions inégales. On a
une demi-heure pour la préparer : ceux qui tombent sur un thème latin ou sur une version latine
peuvent s’en tirer ; mais ceux qui tombent sur un discours latin, sur une version grecque ou même
sur un discours français n’ont pas toujours assez de temps pour étudier le texte et pour juger la
copie. Il y aurait peut-être à faire là quelque modification au règlement. Du reste, cette fois encore,
l’épreuve a été médiocre. Les candidats jugent très sévèrement les devoirs ; ils ne cherchent qu’à
critiquer ; ils ne voyent [sic] pas le bien ; ils ne justifient pas assez le blâme qu’ils infligent et ne
montrent pas assez ce qu’il faudrait mettre pour bien faire » (Archives nationales, F/17/7097, rap-
port du concours de 1867). Cette épreuve est supprimée en 1885 à toutes les agrégations.
8. Pour l’agrégation des lettres, les sujets analysés ont été donnés de 1821 à 1899, pour celle
de grammaire de 1886 à 1899.
9. Par l’agrégation secondaire spéciale, on recrutait les professeurs de l’enseignement secon-
daire spécial, qui, lorsqu’il fut créé par V. Duruy, avait une finalité professionnelle. Créée en 1866,
cette agrégation est supprimée en 1893.
10. L’enseignement secondaire féminin est fondé en 1881, par Camille Sée, l’agrégation en
1883.
146 revue d’histoire littéraire de la france
pour l’écrit. Dans la pratique des concours, dès 1874, le sujet de composition
française à l’écrit était fondé sur le programme de l’oral11. Le règlement de
1904 entérine une pratique trentenaire des jurys. À partir de 1914, se met en
place le système actuel avec un auteur par siècle au programme. La manière
d’envisager l’élaboration du canon diffère donc en fonction de ces dates :
1874, 1904, 1914. Pour avoir un corpus homogène, nous nous en tiendrons
d’abord aux sujets12 effectivement donnés et suivrons les étapes d’une évolu-
tion qui conduit à la dissertation sur un auteur français ; nous envisagerons
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ensuite les programmes des dernières années du siècle.
Dans une première période (de 1821 à 1832), les sujets portent sur des
domaines assez larges, variés, sans ancrages disciplinaires précis ; ils ren-
voient à une conception élargie de la littérature, celle des Belles-lettres. La
rhétorique domine encore, ainsi que les langues anciennes, dans l’enseigne-
ment secondaire et aux concours. On peut déterminer trois principaux
domaines :
– l’histoire :
« Pierre le Grand à son Conseil au retour de ses voyages » (1823).
« Guillaume, duc de Normandie, déclare aux seigneurs normands le projet
qu’il a formé de conquérir l’Angleterre » (1826).
– la morale :
« Peut-on exciter l’émulation dans les jeunes gens sans porter atteinte au
développement des sentiments généreux et désintéressés ? » (1830)
– la pédagogie, l’enseignement :
« De quelle manière l’enseignement des langues classiques développe l’intel-
ligence, l’imagination et le cœur de la jeunesse » (1821).
« On a défini le bon orateur : vir bonus dicendi peritus. On peut définir le
bon professeur : vir bonus docendi peritus. Tracer, d’après cette dernière
définition, le portrait du bon professeur » (1826).
« De l’influence morale du professeur sur ses élèves » (1827).
11. Cela permet au jury de donner des sujets comme celui-ci : « Des mérites originaux
d’Apollonius de Rhodes. Qu’a-t-il prétendu faire ? En quoi a-t-il réussi et échoué ? » (1882).
12. Voir aux Archives nationales les séries F/17/7060-7110, AJ/16/377-380. Voir André
Chervel, La Composition française au xixe siècle, Vuibert/INRP, 1999.
le canon aux agrégations du xixe siècle 147
À partir de 1832 s’ouvre une deuxième période que l’on peut faire aller
jusqu’en 1874 : les sujets, à quelques exceptions près, ont pour objet la lit-
térature, envisagée toutefois diversement.
Traces encore vivantes des sujets de rhétorique, deux libellés demandent
aux candidats d’imaginer un dialogue sur un sujet littéraire. Ainsi le premier
sujet dans lequel on fait référence à des œuvres littéraires est donné en 1836 :
« Entretien entre Condé, Balzac, et Scudéry sur les premières tragédies de
Corneille. »
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Corneille est le premier auteur dont on ait à commenter l’œuvre dans un
sujet d’agrégation. Si ce sujet peut faire naître des éléments d’analyse, des
bribes de commentaire à propos des premières tragédies de Corneille, il
prend la forme d’un genre établi depuis l’Antiquité, celui du dialogue, genre
que les lycéens étaient amenés à pratiquer couramment. Il en est de même
pour le sujet suivant, donné en 1837 :
« Dialogue entre Montaigne et Charron sur la méthode dans les compositions
littéraires. »
Les sujets, tout d’abord, restent généraux13, sans faire mention d’un
auteur particulier : le plus fréquemment deux axes d’études dominent, celui
des genres littéraires et celui de l’influence, celle-ci pouvant être entendue
aussi bien dans le sens politique que dans le sens littéraire :
« Apprécier l’influence de l’esprit et du gouvernement de Richelieu sur la langue
et la littérature françaises du xviie siècle » (1840).
« Apprécier l’influence de Louis XIV sur les lettres françaises au xviie siècle. Sur
quels genres de littérature s’est-elle particulièrement fait sentir ? » (1841).
L’évolution est nette entre les deux sujets suivants que séparent vingt
ans. Évolution terminologique d’abord puisqu’on parle dorénavant d’in-
fluence et non d’imitation mais aussi prise en compte des littératures
modernes étrangères. Car cette manière de passer de l’imitation de l’Anti-
quité à l’influence de la littérature anglaise est aussi une façon de recon
naître l’existence de littératures modernes et leur importance :
« Quel caractère les grands écrivains français du xviie siècle ont-ils donné à
l’imitation de l’Antiquité ? » (1832).
« Exposer et apprécier l’influence de la littérature anglaise sur la littérature fran-
çaise au xviiie siècle » (1853).
La majorité des sujets concerne la poésie lyrique et dramatique, confor-
mément aux hiérarchies scolaires des genres ; la poésie est envisagée selon
les problématiques de la décadence, des manques, ou du perfectionnement,
caractéristiques d’une approche normative :
« Quelles sont les causes de l’infériorité de la France dans l’épopée ? » (1843).
« Rechercher et exposer les causes de la décadence de la poésie au xviiie siècle » (1845).
13. « Dans quel esprit doivent être étudiés de nos jours les grands écrivains du xviie ? » (1844)
148 revue d’histoire littéraire de la france
« Y a-t-il, dans la vie des peuples, des époques plus particulièrement favorables
à l’essor de la poésie lyrique ? » (1846)
« Pourquoi la tragédie moderne, et la tragédie française en particulier n’a-t-elle
pas admis l’emploi du chœur ? Les essais tentés en ce genre ont-ils été heureux et
pourraient-ils amener un véritable perfectionnement de notre système dramatique ? »
(1850).
Dans cette deuxième période, deux autres sujets seulement portent sur
des auteurs et plus précisément sur des œuvres :
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« Du caractère de l’éloquence religieuse dans les sermons de Massillon » (1856).
« Apprécier la correspondance entre Racine et Boileau » (1857).
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nommerait aujourd’hui intertextualité), tel est l’angle sous lequel la plupart
des sujets proposent d’examiner les auteurs et les œuvres littéraires16.
On peut élaborer une liste d’auteurs canoniques, par un calcul d’occur
rences, à partir des sujets donnés à l’agrégation des lettres de 1836 à 1899 :
Racine : 8, Corneille : 8 ; Malherbe : 3 ; Régnier : 2 ; Molière : 2 ;
La Fontaine : 2 ; Voltaire : 2 ; Boileau : 2 ; La Rochefoucauld : 1 ; Du Bellay :
1 ; Rotrou : 1, Lamartine : 1 ; Victor Hugo : 1 ; Chénier : 1 ; Michelet 1.
15. La littérature du Moyen âge entre en 1880 dans les programmes de la classe de seconde.
16. Voir aussi ce sujet : « Des emprunts faits à Tacite par Racine dans Britannicus » (1876).
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langue, alors que la lecture des auteurs du xviie siècle est là pour conforter
le bien fondé du modèle et son efficacité :
Dans la composition française, qui chez plusieurs pèche par l’ordre et le plan, il est
un mérite que nous tenons à constater, c’est la correction, le naturel, la simplicité de la
diction. Sauf deux ou trois exceptions qui retracent encore la tradition de faux goût et
de déclamation ambitieuse d’une certaine littérature, nous avons reconnu l’influence
d’un sérieux commerce avec les grands et sobres écrivains du xviie siècle […]18.
17. Rapport de Burnouf à l’agrégation de grammaire (1841) : « Si une branche d’études paraît
aller en s’affaiblissant, […] c’est l’étude de la langue française. On l’écrit mal et on l’entend
médiocrement. Beaucoup des fautes qui déparent les thèmes viennent de ce que les composants
n’ont pas compris le sens du texte français ; et dans les versions, les contre-sens viennent surtout
de ce qu’ils ignorent la valeur des expressions françaises dont ils se servent. Cette ignorance de
notre belle langue tient à plusieurs causes. La première c’est qu’on ne lit plus nos bons auteurs, et
qu’on lit une foule d’écrits propres à gâter le goût et corrompre le style ; la seconde, c’est que dans
la plupart des classes, en province, on ne songe pas que les versions dictées ont pour objet princi-
pal d’exercer les élèves à écrire en français. Il en résulte qu’on ne corrige les versions que sous le
rapport du sens, et que l’on ne donne aucune attention au style. […] Des versions bien corrigées,
avec l’explication spéciale des auteurs français prescrite par le Conseil royal, peuvent seules arrê-
ter les progrès du néologisme et de la barbarie » (A.N. F/17/7060).
18. Rapport de 1851 : « Les épreuves orales ont été la partie supérieure du concours, et jamais
peut-être il ne s’est rencontré une si heureuse réunion de talents divers, d’esprits brillants ou sages,
tous se renfermant avec justesse dans la mesure et le ton convenables aux diverses questions d’éru-
dition, de goût, ou d’histoire littéraire qui ont fait la matière des leçons. Les qualités que nous
avions tant de fois regrettées dans d’autres concours, la méthode, l’ordre, la sobriété, l’absence de
prétention déclamatoire et de fausse éloquence écrite et apprise, se sont rencontrées ici dans
presque tous les candidats » (A. N. F/17/7071).
le canon aux agrégations du xixe siècle 151
Dans quelle mesure convient-il de faire lire et apprendre aux élèves les morceaux
choisis des classiques français du xixe siècle, inscrits désormais dans les programmes
de toutes les classes ? Quels sont les avantages, quels pourraient être les inconvé-
nients de cette étude ? (1890, agrégation de grammaire).
Depuis quelques années, on a fait la part toujours plus large dans les programmes
classiques aux auteurs du xixe siècle. Quelles sont les causes de cette innovation ?
Quels avantages pouvons-nous y trouver pour nos élèves ? D’autre part, quelles dif-
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ficultés peut-on rencontrer dans le choix et l’explication des textes ? N’y a-t-il pas là
des précautions à prendre, des dangers à éviter ? (1896, agrégation des jeunes
filles).
1886 1888 1888 1889 1890 1891 1892 1893 1894 1895 1896 1897 1898
Moyen âge x x x x x x x x x
Rabelais x
Henri Estienne x
Du Bellay x x
Régnier x x
Ronsard x x x
Marot x x
Montaigne x x x x x
Buffon x
Malebranche x
Voltaire x x x x
Montesquieu x x x
Rousseau x x x
A. Chénier x
Chateaubriand21 x x
22. Les Destinées (« La Maison du berger ». – « La Mort du loup ». – « La Bouteille à la mer ».)
Lamartine23 x
23. Harmonies poétiques (« Pensées des morts ». – « L’Infini dans les cieux ». – « Milly ou la
Hugo x
Michelet x
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Agrégation de grammaire
1886 1887 1888 1889 1890 1891 1892 1893 1894 1895 1896 1897 1898
Moyen âge xx xx xx xx xxx xxx x x x x xxx x xx
Rabelais x
Henri Estienne x x
Du Bellay x x
Régnier x
Ronsard x
D’Aubigné x
Montaigne x x
La Boétie x
Malherbe x
Corneille x x x x x x x x x x x
Racine x x x x x x x x
Bossuet x x x x x x x x x x
Boileau x x x
La Fontaine x x x x x x
Molière x x x x x x x x
Pascal x x x
Vaugelas x
Bourdaloue x
Fénelon x
La Bruyère x x x x x
Saint-Simon x
Voltaire x x x
Montesquieu x x
le canon aux agrégations du xixe siècle
Rousseau x x
A. Chénier x
Rivarol x
Chateaubriand x
24. Arsène Darmesteter, La Vie des mots étudiée dans leurs significations, 1887.
Vigny x
Lamartine x x
Hugo x x x x
Sainte-Beuve x
Taine x
153
Darmesteter24 x
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154 revue d’histoire littéraire de la france
Sur ces treize années, les auteurs retenus, en nombre réduit25, sont en
grande majorité du xviie siècle. Peu d’auteurs, avec peu d’œuvres, repré
sentent les autres siècles, et cela de manière épisodique : aucun écrivain ne
se détache. Aux programmes de ces deux agrégations, outre cette présence
imposante du xviie siècle26, plus concentrée peut-être à l’agrégation des
lettres autour des trois auteurs, Racine, Corneille, Bossuet, la faible représen-
tation du xviiie siècle peut surprendre. Voltaire n’est au programme de
l’agrégation des lettres que quatre fois (avec Zaïre, des extraits de sa corres-
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pondance et du Siècle). On retrouve le canon de l’enseignement secondaire,
centré sur les auteurs qu’on rattache au modèle louis-quatorzien, retenant
comme critères symétrie, ordre, mesure, clarté.
Le sort réservé au Moyen âge diffère nettement de l’agrégation des
lettres à celle de grammaire. Dans cette dernière, son étude apparaît tôt sous
l’influence d’Egger, président du jury, qui souhaitait que la grammaire histo-
rique et la grammaire comparée fissent partie des connaissances des profes-
seurs du secondaire. Ce sont des arguments du même ordre qui prévalent
pour justifier à l’agrégation de grammaire la présence au programme
d’œuvres du Moyen âge ou du xvie siècle27.
Chateaubriand, Vigny, Lamartine, Hugo, ces auteurs entrent dans cet
ordre dans les programmes, plus tardivement à l’agrégation des lettres qu’à
celle de grammaire, et de manière concomitante avec leur entrée dans les
programmes du secondaire28. Occupent dans cette ouverture une place
majeure les poètes romantiques qu’on hésite pourtant à considérer comme
classiques ; ainsi dans le sujet suivant donné à l’agrégation féminine :
« Pensez-vous que nos grands poètes lyriques, Lamartine et Victor Hugo,
puissent être considérés comme classiques ? – Dans quel sens et dans quelle mesure
pourrait-on les considérer ainsi ? » (1893).
25. Trente-quatre en lettres, trente-trois en grammaire. À quoi il faut ajouter le Moyen âge,
sous la forme de morceaux choisis.
26. Le xviie siècle domine largement en lettres : 13 auteurs sur 34 et les sept premiers sont
Corneille, Racine, Bossuet, Molière, La Fontaine, La Bruyère, Pascal.
27. Extrait du rapport de l’agrégation de grammaire de 1874 : « L’enseignement de notre
langue maternelle est devenu de plus en plus historique. Des textes français, comme ceux de
Montaigne, d’Amyot, d’Henri Estienne, et surtout comme ceux de Joinville, ne peuvent être
convenablement interprétés que si on y applique les sévères procédés de la philologie romane,
science qui a fait sous nos yeux de si notables progrès. »
28. Lamartine et Hugo entrent aux programmes des trois classes de lettres en 1895, sous la
rubrique « chefs-d’œuvre poétiques », Chateaubriand et Michelet en troisième seulement ; Vigny
et Musset devant attendre 1923 et 1925.
le canon aux agrégations du xixe siècle 155
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sée par des œuvres de littératures étrangères en traduction (Goethe, Leopardi,
Schiller, Dickens). Le roman trouve également sa place (Eugénie Grandet
en 1888 ; La Mare au diable en 1889, Le Père Goriot) ainsi que l’essai (en
1887, De la démocratie en Amérique, l’introduction). L’agrégation pour les
jeunes filles semble présenter la même ouverture, (Eugénie Grandet29 en
1897, La Princesse de Clèves30 en 1898), il s’agit en réalité d’extraits courts,
réduits à quelques pages, à une scène.
Moins l’agrégation est légitime, plus les programmes s’ouvrent, ouver-
ture au demeurant réduite. À l’agrégation des lettres, la plus légitime, desti-
née à ceux qui enseignent dans les classes supérieures, le programme est
centré sur le noyau dur du canon. Hugo, par exemple, n’y est présent qu’une
seule année et tardivement (189831).
29. « Depuis le commencement jusqu’à “Nanon hésitait, elle connaissait son maître. – Mais va
donc, Nanon, puisque c’est ma fête. ”» « La mort de Grandet. Depuis : “C’est dit, c’est dit, s’écria
Grandet en prenant la main de sa fille”, jusqu’à “Eugénie Grandet se trouva donc seule au monde
dans cette maison.” »
30. IIIe partie, depuis « Après qu’on eut envoyé la lettre à Madame la Dauphine… » jusqu’à
« Cependant M. de Nemours… » – IVe partie, depuis « Madame de Clèves demeura dans une
affliction si violente » jusqu’à la fin.
31. Les Rayons et les Ombres : « Tristesse d’Olympio ». – Les Contemplations :
« À. Villequier », « Paroles », « Les Malheureux ». – Légende des siècles : « Le Petit roi de
Galice ».
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« spécialistes » de l’analyse littéraire.
Ce canon des agrégations est identique à celui de l’enseignement secon-
daire, liaison forte, qui marque la fonction de ce concours. Il est comme lui
ramassé autour de ce qui semble incarner les valeurs nationales, l’esprit
français, une poignée d’auteurs du xviie siècle. Il faut avoir conscience de la
force de ce canon pour réaliser à quel point la « jeune littérature » s’est en
partie construite contre l’institution scolaire.
En dépit des mutations, demeurent au centre, et durablement, Corneille,
Racine, Bossuet. Force du canon, force des classiques.