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Figure 8 : Principales villes dans lesquelles résident les Français.

Les Colonies Françaises


de Cuba
(1887-1914)

Nathalie BELROSE

Master II de Recherche

Sous la direction d’Annick Lempérière.

Centre de Recherches sur l’Amérique Latine et les Mondes Ibériques.

Université Paris I Panthéon-Sorbonne.

2010

1
Photo de couverture :

Louise Lacroix, institutrice née dans les Landes, immatriculée à La Havane en novembre 1917. Re-
gistre d’immatriculation des Français de La Havane du 5 avril 1914 au 19 mars 1918, Archives des
Postes, La Havane, Carton N°37, Centre des Archives Diplomatiques de Nantes, 17 rue de Casterneau,
44000 Nantes.

2
LISTE DES ABREVIATIONS

 CADN : Centre des Archives Diplomatiques de Nantes.


 CADLC : Centre des Archives Diplomatiques de La Courneuve.
 M.A.E. : Ministère des Affaires Étrangères.
 C.P. & C. : Correspondance Politique et Commerciale.
 C.C. & C. : Correspondance Consulaire et Commerciale.

3
INTRODUCTION

La présence française dans l’île de Cuba n’est pas un fait récent.

Comme nous l’avons vu dans les conclusions tirées sur la question dans le mémoire de M1,
les premières arrivées significatives ont eu lieu au tournant du XIXe siècle, et concernaient
principalement les colons de l’île voisine de Saint-Domingue. L’île de Cuba était alors une
colonie espagnole, encore vierge de toute tentation indépendantiste, et l’arrivée massive des
Français répondait à ce moment, à une logique particulière puisqu’il était question de fuir les
massacres perpétrés par les esclaves en révolte puis par les hommes de Toussaint Louverture.

Le contexte dans lequel vivent et arrivent les Français auxquels nous nous intéressons, près
d’un siècle plus tard, est très différent de celui connu par les planteurs français débarquant en
toute hâte à Santiago de Cuba, ville la plus orientale de l’île et donc la plus proche de Saint-
Domingue. Le contexte politique et social cubain est fort agité de la deuxième moitié du XIXe
siècle jusqu’aux prémisses du siècle suivant. Entre 1868 et 1878, l’île connaît un important
conflit, la Guerre des Dix Ans1, première tentative pour accéder à l’indépendance, qui se sol-
dera par un demi-échec du côté cubain. En effet, si le nombre de décès chez les Mambises2 est
considérable et que l’île sort complètement ravagée du conflit, la signature du pacte de Zanjón
en février 1878 est porteuse d’un certain nombre d’espoirs quant à l’autonomie cubaine et est
garante d’améliorations sur le plan social. Le pacte de Zanjón prévoit en effet, en 1880,
l’abolition de l’esclavage, une abolition qui ne sera mise en pratique qu’en 1886, de même
que l’égalité sur le plan juridique entre Noirs et Blancs et accorde aux Cubains le droit de se
réunir en partis politiques.

Les espoirs déçus du Pacte de Zanjón, l’implication politique toujours plus forte des intellec-
tuels cubains, entraînés par un certain José Marti, débouchent au début des années 1890 sur de

1
Abad, Diana; Barcia, María del Carmen; Óscar, Loyola, Historia de Cuba II. La Guerra de los Diez Años:
La Tregua Fecunda, ENPES, La Havane, 1989.
2
Nom d’origine bantou donné aux soldats de l’Armée Indépendantiste Cubaine.
Voir Moreno Fraginals, Manuel, Cuba-España, España-Cuba, Historia común, Mondadori, Barcelone, 1998.
4
nouveaux soulèvements populaires. Des soulèvements qui, en Janvier 1895, laissent place à la
Guerre d’Indépendance cubaine3, autrement appelée Guerre Hispano-américaine en raison du
parti pris américain dans ce conflit. Si au cours des évènements dont il a été question précé-
demment, la Couronne d’Espagne et les natifs cubains ont été des acteurs de premier plan, il
ne faut surtout oublier la présence américaine qui plane d’une façon ou d’une autre sur la vie
cubaine, et ce dès la seconde moitié du XIXe siècle. Cette présence américaine, qui au fil des
évènements deviendra une véritable mainmise, constitue l’un des principaux changements que
connaît l’île puisqu’elle influencera tous les évènements de tout ordre qui s’y dérouleront, à
commencer par les conflits armés (Guerre de Dix Ans, Guerre d’Indépendance).

La Guerre d’Indépendance s’achève le 10 décembre 18984 avec la signature du Traité de Paris


qui ratifie la défaite de l’Espagne et l’indépendance de Cuba. Une indépendance tout à fait
relative puisque, jusqu’en 1902, un gouvernement d’occupation militaire est mis en place par
les États-Unis. Au mois de mai de cette même année, sur ordre de Washington, le gros des
troupes américaines s’en va, permettant enfin la naissance de la République de Cuba. L’île
devient autonome, crée son propre gouvernement mais ne se libère pas pour autant de
l’influence, voire de l’emprise très forte, de son voisin américain qui interviendra à de nom-
breuses reprises dans la vie politique locale à la demande des dirigeants cubains (en 1906,
1909, 1917 et 1909). Le poids des États-Unis se fait surtout sentir dans le domaine des
échanges (échanges de biens, d’hommes et surtout de capitaux), favorisant ainsi l’ouverture
du marché cubain aux investissements étrangers tout en se réservant la part la plus importante
du gâteau cubain. Une véritable situation de dépendance économique s’instaure entre l’île et
les États-Unis, favorisée par l’orientation de Cuba vers la monoculture de la canne à sucre et
la production de sucre, principalement à destination du marché américain.

C’est donc dans cette île de Cuba, tiraillée entre les volontés indépendantistes et les impéria-
lismes successivement espagnols et américains, qu’arrivent, vivent et parfois meurent les
Français auxquels nous nous intéresserons. Si notre volonté première était de s’intéresser aux
Français ayant vécu ou séjourné dans l’île entre 1868, début de la Guerre de Dix Ans mais

3
Elorza, Antonio; Hernández Sandoica, Helena, La Guerra de Cuba (1895-1898). Historia de una derrota
colonial, Alianza Editorial, Madrid, 1998.
4
Guicharnaud-Tollis, Michèle, Joachim, Jean-Louis, Cuba: de l’indépendance à nos jours, Paris, Coll. Les
Essentiels de la civilisation latino-américaine, Ellipses, 2007.

5
également date à laquelle se sont arrêtés les rares travaux, même les plus récents, sur la ques-
tion5, et 1914, début de la Première Guerre Mondiale, les sources en notre possession ne nous
ont pas permis de nous aventurer aussi loin dans le XIXe siècle. Ces dernières nous ont pous-
sés à fixer des bornes chronologiques, certes plus étroites que celles prévues mais tout de
même plus importantes que celles fixées pour le M1, allant des années 1880 aux prémisses de
la Première Guerre. Si les bornes temporelles changent, l’espace et la population étudiés res-
tent les mêmes, de même que les interrogations que nous nous sommes posées précédemment.
Le mémoire de M1 nous a principalement permis de faire un bilan du point de vue historio-
graphique et du côté des sources sur la question qui nous préoccupe. Il ne s’agira donc pas ici
de revenir aussi longuement sur la quasi absence constatée de travaux sur la question, ni
d’énumérer à nouveau tous les documents disponibles en France sur le sujet dans la mesure où
peu de changements sont intervenus sur ces deux points au cours des recherches effectuées
cette année. Il s’agira d’entrer ou d’essayer d’entrer de plein pied dans la réalité de cette pré-
sence française à Cuba. Pour ce faire, nous reprendrons les problématiques posées dans le
mémoire précédent dans la mesure où ce travail prétend s’inscrire dans la continuité du pre-
mier, des problématiques auxquelles nous n’avions pu répondre que très succinctement à tra-
vers « l’esquisse »6 réalisée à la fin de ce premier mémoire.

Il s’agit de savoir qui étaient les Français présents à Cuba ? Où vivaient-ils ? De quoi vi-
vaient-ils ? Et comment vivaient-il dans une île où tout (la langue, le climat, les mœurs, le
mode de vie) leur était étranger ?

On pourrait ici reprendre l’expression déjà citée, et inspirée des travaux d’Annick Foucrier7,
et se demander en fin de compte : Qu’est-ce qu’un Français de Cuba ?

Ou plus précisément : Qu’est-ce qu’un Français de Cuba à l’aube du XXe siècle ? En quoi se
différencie t-il de ses prédécesseurs, en particuliers ceux venus de Saint-Domingue ?

5
Cruz Ríos, Laura, Flujos inmigratorios franceses a Santiago de Cuba (1800-1868), Editorial Oriente, Santia-
go de Cuba, 2006; Duharte, Rafael, La présence française à Santiago de Cuba (1800-1868), (trad. Jean La-
more), Paris, Edition L’Harmattan, 1988.
6
Mémoire de M1, III. Les Français à Cuba : esquisse d’une communauté d’expatriés, p.42.
7
Foucrier, Annick, Le rêve californien, migrants français sur la côte pacifique, XVIIIe- XXe siècles, Paris,
Belin 1999.
6
L’approche communautaire de la question que laisse transparaître l’intitulé de ce travail pose
le problème de la qualification de la présence française. Le terme de colonie est pris ici dans
son acception la plus simple à savoir, selon l’une des définitions du mot proposées par le dic-
tionnaire Larousse en ligne, celle d’un « ensemble de personnes d’un même pays, d’une
même région résidant dans un pays étranger, dans une autre région »8. Cette définition semble
être préférable à toute autre définition dans la mesure où elle n’inclut pas la notion
d’occupation d’un pays au sens fort du terme ou de politique de peuplement, des conceptions
qui ne sont absolument pas applicables au cas français. Elle souligne simplement
l’appartenance nationale comme principal trait commun à un ensemble d’individus résidant à
l’étranger, ce qui nous permet de faire figurer dans ce travail les Français de tous horizons :
ceux nés sur le sol français (métropole et colonies), ceux nés à Cuba de parents français, les
époux et épouses des immigrés français, en enfin ceux qui bénéficient de la protection de la
France ou qui ont un jour résidé sur le sol français9. La simplicité de la définition choisie du
terme de colonie nous permettra donc de mettre en lumière l’hétérogénéité des colonies fran-
çaises. Le pluriel du terme quant à lui n’est pas non plus anodin : il a été choisi afin de souli-
gner la pluralité géographique de ces ensembles de Français éparpillés sur le territoire cubain.
La présence française se manifeste en effet dans toutes les provinces cubaines, avec semble t-
il une prédilection pour l’Ouest et la capitale de l’île, une répartition des Français qui s’avère
nettement différente de celle connue à la fin du XVIIIe siècle. L’évolution des lieux de rési-
dence choisis par les Français, son caractère supposément plus urbain, introduit l’idée d’une
corrélation entre ces lieux de vie, l’origine de ces migrants et les activités exercées par ces
derniers, aussi bien à Cuba que dans leur localité de départ. L’arrivée de ressortissants fran-
çais, que l’on pourrait qualifier de plus cosmopolite et de plus éclectique, change radicalement
le portrait de la colonie, loin de celui de la communauté française de l’orient cubain dans les
années 1800 dressé par des historiens tels qu’Alain Yacou10. Si les profils des Français chan-

8
http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/colonie, consulté le 30/08/2010.
9
Patrick Weil, Qu’est-ce qu’un Français ? Histoire de la nationalité française depuis la Révolution, Paris, Gal-
limard, Folio Histoire, 2002.
10
Yacou, Alain, L’émigration à Cuba des colons français de Saint-Domingue 1789-1815, Thèse de 3e cycle,
Bordeaux, Université de Bordeaux, 1975.
« Les Français du Sud-ouest dans la Vuelta Abajo de Cuba au lendemain de la Révolution de St-
Domingue », in Lavallée, Bernard (Dir.), L’Emigration aquitaine en Amérique Latine au XIXe siècle, Bordeaux,
Maison des Pays Ibériques, 1995.

7
gent en cette fin de siècle, leurs pratiques et leurs comportements individuels, en tant
qu’immigrés, semblent changer aussi et se diversifier. Les rapports avec la France, la question
du retour et/ou de l’émigration définitive se posent et trouvent diverses réponses, qui parais-
sent toutes être évidemment conditionnées par le niveau de vie et l’appartenance sociale du
migrant. Étant presque tous partis pour « faire l’Amérique »11, c'est-à-dire pour faire fortune
dans un monde nouveau rempli de promesses d’avenir ou, plus simplement, pour chercher
leur pain quotidien, la question de la réussite ou de l’échec semble être devenue l’un des fac-
teurs déterminants de la relation entre les Français en exil et la France.

Avant d’entrer de plain-pied dans le quotidien des Français de Cuba, il nous paraît évident ici
que le principal outil ayant permis de construire ce travail doit être lui aussi introduit.

L’étude des colonies françaises de Cuba que nous nous proposons de faire s’effectuera princi-
palement à partir d’une base de données intitulée « Registres d’immatriculation ». Cette base
de données est la colonne vertébrale de ce travail. Nous avons choisi de mettre de côté la base
de données présentée dans le cadre du mémoire de master 1, jugée trop superficielle à cause
de ses trois maigres champs, ne permettant guère d’entrer plus en avant dans le cœur des
Français de Cuba. Cette nouvelle base de données a été constituée grâce à plusieurs centaines
de photos prises des registres tenus par les agences consulaires françaises de Cuba, et mise en
forme à l’aide du logiciel Microsoft Office Access. Seuls quelques registres des agences de La
Havane, Santiago de Cuba et Guantanamo, allant de 1887 à 1914 ont pu être consultés. Ces
documents sont pour la plupart des duplicata des registres primata, envoyés par les agences de
Cuba à l’administration centrale, et conservés au Centre des Archives Diplomatiques de
Nantes12.

Cette base de données contient les 29 champs suivants :

11
Maire, Camille, En route pour l’Amérique, l’odyssée des émigrants en France au XIXe siècle, Université de
Nancy, 1993.
12
Centre des Archives Diplomatiques de Nantes, 17 rue de Casterneau, 44 000 Nantes.
8
 N° : présente les numéros attribués automatiquement à chaque nouvelle entrée par le
logiciel. Cette numérotation permet le décompte des Français enregistrés dans tous les
registres.
 N° d’immatriculation : champs dans lequel le numéro d’immatriculation attribué à
chaque personne immatriculée a été reporté. Ce numéro permet parfois de retrouver
dans un registre précédent un Français déjà immatriculé.
 Date de l’immatriculation : il s’agit de la date à laquelle l’immatriculation a été procé-
dée. Cette date, croisée avec la date d’arrivée du migrant et/ou avec sa date de nais-
sance, nous permet de connaître respectivement le laps de temps écoulé entre l’arrivée
et l’enregistrement ainsi que l’âge du migrant.
 Agence consulaire : ce champ permet d’indiquer dans quelle agence a été effectué
l’enregistrement du migrant. Elle nous permettra ainsi de recenser le nombre de mi-
grants enregistrés dans chaque ville.
 Nom : champ relevant le nom de la personne immatriculée. Dans le cas des veuves,
leur nom de jeune fille et leur nom de femme mariée figurent tous les deux lorsque les
deux informations sont comprises dans les registres.
 Prénoms : champs comprenant tous les prénoms de l’individu immatriculé présentés
dans les registres. Le report de tous les prénoms (usuels et de baptême) a été volontai-
rement choisi afin d’identifier plus clairement les doublons (deux ou plusieurs enregis-
trements d’une même personne). Il permet également d’identifier un migrant dans le
cadre d’un croisement des sources : d’une source à l’autre le(s) prénom(s) usuel(s) ou
le(s) prénom(s) de baptême peuvent être utilisés pour parler de la même personne.
 Sexe : champ indiquant le sexe du migrant immatriculé.
 Ville de naissance : permet de préciser la ville dans laquelle est né le migrant. Ce
champ nous permettra d’élaborer une géographie (mondiale, cubaine et française) des
lieux de naissance des Français.
 Département/colonie/pays de naissance (étranger) : comme le champ précédent celui
permet d’identifier l’origine des migrants.
 Date de naissance : champ regroupant les dates de naissance des migrants lorsqu’elles
figurent sur les registres.
 Âge : l’âge de la personne venue se faire immatriculée est rarement précisé dans les
registres. Il donc été calculé en faisant la différence entre la date de naissance et la
date d’immatriculation du migrant.
9
 Profession : précise la profession exercée et déclarée par le migrant lors de son imma-
triculation.
 État civil : champ déterminant le statut matrimonial de l’immatriculé. Présenté sous
forme de liste déroulante, il donne le choix entre : « Marié(e) », « Veuf(ve) », « Céli-
bataire », « Divorcé(e) » et « Inconnu ».
 Nom et Prénom du conjoint : y figurent les noms et prénoms de l’époux de
l’immatriculé lorsque le registre le précise.
 Nationalité française : ce champ indique le moyen par lequel le migrant est devenu
français. Une liste déroulante donne le choix entre « Naissance en France », « Pa-
rent(s) français », « Protégé français », « Mariage », « Naturalisation » et »Inconnu ».
 Nom du père : contient le nom du père de la personne enregistrée lorsque
l’information figure dans le registre.
 Nom de la mère : contient le nom de la mère de la personne enregistrée lorsque
l’information figure dans le registre. Les champs « Nom du père » et « Nom de la
mère » permettent d’identifier des liens de parenté entre des migrants ou de supputer
l’existence de mariages exogames.
 Adresse à Cuba : ce champ présente, lorsque cela est possible, l’adresse exacte (rue et
N°) du lieu où vit la personne immatriculée. Il nous permettra principalement de dres-
ser une cartographie de l’habitat français à La Havane.
 Ville de résidence à Cuba : ce champ complète le précédent en spécifiant la ville où
habite l’immatriculé. Il est mieux renseigné et couvre tout le territoire cubain.
 Parent : ce champ « Oui/Non » nous permet de savoir si le Français venu s’inscrire au
registre est un chef de famille. Si aucun champ n’a été créé pour recenser le nombre
d’enfants (qui ne figure pas systématiquement dans l’immatriculation), ces derniers
ont été recensés de façon plus officieuse dans le champ nommé « Nombre de per-
sonnes comprises ».
 Pièces justificatives : il s’agit d’une très longue liste déroulante construite au fur et à
mesure de l’évolution de la base de données. Elle présente tous les types de pièces
d’identité ou autres documents présentés par les Français lors de leur enregistrement et
justifiant leur nationalité.
 Infos complémentaires : ce champ est à contenu libre. Il nous a permis de noter des in-
formations particulières ayant retenu notre attention au sujet du Français immatriculé

10
mais ne pouvant rentrer dans aucun des champs prédéfinis. Ces informations peuvent
compléter l’un de ces champs ou apporter une information autre.
 Date d’arrivée à Cuba : les dates d’arrivée des migrants dans l’île ont été retranscrites
dans ce champ. Il nous permet, comme il a déjà été dit, de connaître le laps de temps
écoulé entre l’arrivée dans l’île et le moment de l’enregistrement.
 Date connue : ce champ « Oui/Non » associé au précédent champ aide à établir une
distinction rapide entre les migrants dont la date d’arrivée est connue et ceux dont on
ne sait rien.
 Provenance : lorsque l’information est mentionnée par les registres, ce champ précise
le lieu d’où proviennent les migrants ou, pour le dire autrement, il nous indique où ils
étaient, vivaient avant de débarquer à Cuba.
 Dernier domicile en France : cette entrée indique, lorsque cela est le cas et lorsque cela
est précisé, dans quelle partie de la France vivaient les migrants.
 Nombre de personnes comprises : ce champ est le plus officieux, le plus approximatif
de tous. À l’inverse de tous les autres champs (mis à part celui concernant l’âge), les
indications contenues dans celui-ci ne figurent que de façon indirecte dans les registres
(prénom des enfants, mention d’un époux, mention de l’existence d’une famille).
Toutes ces bribes d’informations ont été récoltées et regroupées afin de tenter de
compter toutes les personnes immatriculées directement, mais surtout indirectement
via l’enregistrement le plus souvent d’un père, d’un frère, d’un époux.
 Décès à Cuba : avec cette question fermée (champs « Oui/Non ») il s’agit de savoir si
certains Français immatriculés finissent leur vie dans l’île de Cuba. Quand la date du
décès est connue, croisée avec celle de l’arrivée de la personne, on parvient à con-
naître la durée de son séjour à Cuba.
 Durée minimum du séjour : ce champ indique le nombre d’années minimum passées à
Cuba. Cette durée est soit précisée directement par le registre, soit calculée en fonction
de la date de décès ou de départ précisée par l’agent en charge des immatriculations.

L’élaboration de la base de données « Registres d’immatriculation » comprenant près de 1257


Français a pris plusieurs mois et a nécessité de nombreuses ébauches avant de parvenir au
résultat présenté et exploité tout au long de cette étude.

11
I. L’OMNIPRESENCE FRANÇAISE A CUBA.

« Le problème de la « statistique » est le problème numéro un des historiens de l’émigration française


car il n’existe pas de sources continues et fiables susceptibles de donner une excellente approche chif-
frée du phénomène. »13

C’est ainsi que Nicole Fouché, dans l’avant-propos de l’ouvrage intitulé L’émigration fran-
çaise, Études de cas, Algérie-Canada-États-Unis, parvient à résumer on ne peut plus claire-
ment le problème auquel nous devons faire face : celui des données chiffrées inexistantes ou
inexactes rencontrées dans les diverses sources disponibles sur le sujet de l’émigration fran-
çaise à destination de Cuba. Malgré cet handicap dès le départ, il nous faut tenter une estima-
tion de la population française afin d’évaluer son importance et la place qu’elle occupe dans
l’ensemble de la population cubaine et par rapport aux autres courants migratoires à Cuba.

A. La population f rançaise, une composante mineure de la pop u-

lation cubaine.

La localisation des groupes de français dans l’île, que nous nous proposons d’effectuer ici,
doit être précédée d’une étape fondamentale pour le travail que nous effectuons : il convient
de se lancer d’abord dans une opération de décompte des ressortissants français. La tâche,
rendue ardue par l’absence de données claires et systématiques, ne pourra s’effectuer que de
façon non exhaustive, s’apparentant plus à une approximation qu’à un véritable recensement
de la population française.

13
L’émigration française, Études de cas, Algérie-Canada-États-Unis, Centre de recherches d’histoire nord-
américaine, Université de Paris 1, Paris, Publications de la Sorbonne, 1985, p.7.
12
1. Décomptes, évaluations, recensements : la présence
française en chiffres.

Parvenir à savoir combien de Français résident à Cuba entre la fin du XIXe siècle et le début
du XXe siècle est l’un des objectifs principaux de ce travail, mais aussi l’opération la plus
difficile à réaliser en raison des données incomplètes et vagues en notre possession sur la
question. Pour tenter d’évaluer le nombre de Français présents dans l’île, nous nous sommes
basés sur la confrontation de plusieurs données telles que :

- les évaluations « à vue de nez » auxquelles se sont livrés les agents consulaires,

- les chiffres des statistiques effectuées par le gouvernement cubain et retranscrits par ces
mêmes agents consulaires à destination de l’administration centrale,

- et enfin, les estimations que nous permettent les registres d’immatriculations des agences
consulaires de La Havane, de Santiago de Cuba et de Guantanamo.

a. Les chiffres de la correspondance consulaire.

L’étude de la correspondance consulaire nous a permis d’extraire des échanges entres les dif-
férents postes et le Ministère des Affaires Étrangères à Paris un certain nombre d’informations
indiquant soit le nombre, même très approximatif, de français résidant dans la région où se
situe l’agence en question, soit simplement l’existence d’une présence française. Ces informa-
tions sont données, non pas pour véritablement transmettre des informations au sujet du
nombre d’expatriés présents dans la juridiction de telle ou telle agence au Ministère, mais
elles figurent généralement dans des portraits des villes où sont implantées les agences, et
dans lesquels l’élément humain, si ce n’est à titre individuel, n’est, finalement, que très peu
pris en compte.

Grâce à ses correspondances entre les postes et le Ministère des Affaires Étrangères, on ap-
prend que :

13
- en ce qui concerne la ville de Matanzas, les Français auraient été en 1885 et 1894, respecti-
vement plusieurs centaines puis plus de 50014.

- dans la ville Guantanamo, ils auraient été « nombreux » en 188615 et environ 500 en 189416.

- à Manzanillo, il a été question de 14 personnes en 1888 et une vingtaine en 189417.

- à Baracoa, ils auraient été une centaine en 1889 et 120 en 189418. En 1904, il n’y avait plus
aucun Français dans la ville d’après les sources consulaires19.

- à Sagua la Grande, on comptait une vingtaine d’individus en 1894 et « un grand nombre » en


190120.

- à Cienfuegos en 1901 le nombre de Français était compris antre 250 et 500 personnes21.

- dans les villes de Holguín et Gibara, en 1894, se seraient trouvées respectivement une di-
zaine et une vingtaine de familles françaises22.

- et enfin, en 1901, La Havane et sa province auraient regroupé un total de 1573 Français dont
569 dans la capitale23.

14
Courriers des 8 juillet 1885 et 13 mai 1894, Carton n°40, « Correspondance antérieure à 1920 », Personnel et
Agences consulaires, Santiago de Cuba, CADN.
15
Courrier du 8 juillet 1887 rédigé par l’agent consulaire de Santiago de Cuba, Idem.
16
Courrier du 16 juin 1894, Idem.
17
Courriers des 8 juin 1888 et 16 juin 1894, Idem.
18
Courriers des 13 septembre 1889 et 16 juin 1894, Idem.
19
Courrier du 25 juin 1904 rédigé par l’agent consulaire de Santiago de Cuba, Idem.
20
Courriers des 13 mai 1894 et 16 février 1901, Carton n°15, « Agences consulaires supprimées avant 1920 »,
Sagua la Grande, Gibara et Puerto-Principe, Personnel et Agences consulaires, CADN.
21
Courrier du 13 mai 1894, Carton n°40, « Correspondance antérieure à 1920 », Personnel et Agences consu-
laires, Santiago de Cuba, CADN.
22
Courrier du 12 juin 1894, Carton n°15, « Agences consulaires supprimées avant 1920 », Sagua la Grande,
Gibara et Puerto-Principe, Personnel et Agences consulaires, CADN.
23
Bilan du poste de La Havane pour l’année 1901, carton n°222, “Correspondance et rapports annuels des
postes”, La Havane, Personnel et Agences consulaires, CADN.
14
Comme le montre le tableau ci-dessous, chargé de récapituler les chiffres de la population
française que présente la correspondance consulaire pour la période qui nous concerne, on
remarque que l’irrégularité de telles données, de même que leur manque de précision, ne nous
permettent pas de tirer un premier bilan concret de la présence française à Cuba. Seule l’année
1894 présente des chiffres assez nombreux pour tenter une évaluation minimum de la popula-
tion française, qui, d’après les dires des agents consulaires s’élèverait à au moins 1410 indivi-
dus répartis sur tout le territoire cubain, auxquels viendrait s’ajouter la trentaine de familles de
Holguín et Gibara. Une évaluation qui semble être loin de la réalité puisque l’on note
l’absence de chiffre pour La Havane, principale ville de l’île et par conséquent point autour
duquel se cristalliseraient en premier lieu les arrivées de migrants à Cuba. La comparaison,
peut-être peu pertinente, entre ce minimum de 1410 personnes et le recensement de la popula-
tion française dans la province havanaise en 1901, atteignant les 1573 individus, montre bien
le poids que représente la ville de La Havane dans toute tentative de dénombrement des res-
sortissants français.

Figure 1 : RÉCAPITULATIF DES CHIFFRES DE LA POPULATION FRANÇAISE FOURNIS PAR LA


CORRESPONDANCE CONSULAIRE.
1885 1886 1888 1889 1894 1901 1904
Holguín 10 familles
La Havane 1573*
Baracoa 100 120 0
Manzanillo 14 20
Matanzas Plusieurs +500
100 aines*
Gibara 20
familles
Guantanamo Nombreux +/-500
Sagua la 20 Un
grande grand
nombre
Cienfuegos 250 à 500
Total 1410(min.)

* Données concernant la province éponyme.

15
b. Les chiffres des registres d’immatriculation (La Havane, Santiago de Cuba, Guanta-
namo).

Ces données extrêmement lacunaires contenues dans la correspondance consulaire peuvent


être remplacées, nuancées ou complétées par celles que renferment les registres
d’immatriculation remplis par les agences de l’île. Mais, là encore, l’usage de ces chiffres ne
peut être que limité dans la mesure où l’enregistrement des migrants auprès du consulat
n’était pas systématique, et surtout pas obligatoire. Par ailleurs, la disponibilité de seulement
quelques exemplaires de ces registres (ceux de La Havane pour toute la période qui nous oc-
cupe, celui de Santiago de Cuba (1912-1914) et celui de Guantanamo pour l’année 1887), et
de fait l’indisponibilité des autres registres de ces mêmes agences et des autres postes consu-
laires français de l’île, en raison de leur état de conservation ou tout simplement leur inexis-
tence du CADN (absence du duplicata envoyé aux services centraux, perte, détérioration) sont
autant d’handicaps dans la tentative d’un recensement exhaustif de la population française.
Par ailleurs, une pratique est très courante lors de ces enregistrements : nous avons constaté
que dans de nombreux cas, en ce qui concerne les familles, seul le chef de famille (le père)
était immatriculé, ou dans d’autres cas, on n’enregistrait que les hommes de la famille. Cette
pratique, discriminatoire pour les femmes et les enfants, contribue à fausser les tentatives de
recensement de la population. Pour mieux évaluer les conséquences de ces pratiques, un
champ intitulé « Nombre de personnes comprises dans l’immatriculation » a été rajouté à la
base de données : ce champ permet de prendre en compte les laissés pour compte des imma-
triculations, et par conséquent, de faire passer la population française immatriculée entre 1887
et 1914 de 1257 à 1830 personnes soit une augmentation de plus de 45,5%. Les 573 oubliés
des registres ne peuvent cependant pas être inclus dans notre étude d ans la mesure où
cette dernière se base sur les déclarations et les données fournies par un individu à son sujet,
sous peine de voir les résultats et les conclusions tirés des registres d’immatriculation totale-
ment faussés.

Les chiffres fournis par les registres ne seront donc absolument pas représentatifs du véritable
nombre d’individus qui composent la population française de Cuba, mais ils ont au moins
l’avantage d’être plus réguliers que les premiers, en plus de témoigner comme on le verra par
la suite de la relation entre les colonies et les représentants de la métropole.

16
Figure 2: NOMBRE DE FRANÇAIS IMMATRICULÉS ENTRE 1887 ET 1914.

1914 29
1913 46
1912 113
1911 51
1910 83
1909 47
1908 44
1907 37
1906 35
1905 39
1904 30
1903 24
1902 27
1901 46
1900 39
1899 66
1898 47
1897 90
1896 241
1895 61
1894 31
1887 17
? 14
0 50 100 150 200 250 300

L’histogramme ci-dessus regroupe par année l’ensemble des 1257 Français enregistrés par les
autorités consulaires entre 1887 et 1914 à La Havane, Santiago de Cuba et Guantanamo (dont
14 immatriculations dont on ignore la date). On note dans ce graphique l’irrégularité des im-
matriculations avec un minimum de 17 personnes en 1887 et un maximum de 241 personnes
en 1896, le chiffre moyen des enregistrement tournant autour de 54 personnes par an. Les pics
d’enregistrement que connaissent les agences consulaires (en 1896-1897, 1910 et 1912), dont
les causes probables seront abordées ultérieurement, témoignent certainement d’une sorte de
sursaut de la part de la communauté française face à des évènements locaux, voire internatio-
naux, plutôt que d’un surcroît d’immigrants arrivés de fraîche date. Ces sursauts nous intéres-
sent dans la mesure où ils sont très certainement les chiffres les plus vraisemblables, les plus
représentatifs en ce qui concerne le nombre de Français présents dans l’île. Ces chiffres sem-

17
blent certes êtres plus réalistes que les autres, mais une sérieuse nuance doit leur être apportée.
En effet, le diagramme à bâtons précédent ne doit en aucun cas être lu comme un bilan par an
du nombre de Français vivant à Cuba dans la mesure où seules les données de trois agences y
figurent, des données dont la provenance est extrêmement inégale comme le montre le détail
des chiffres qui suit.

Figure 3: NOMBRE D'IMMATRICULATIONS EFFECTUÉES PAR CHAQUE AGENCE CONSULAIRE


FRANÇAISE.

1914 29
1913 12
34
1912 78
35
1911 51
1910 83
1909 47
1908 44
1907 37
1906 35
1905 39
1904 30 Guantanamo
1903 24 Santiago de Cuba
1902 27 La Havane
1901 46
1900 39
1899 66
1898 47
1897 90
1896 241
1895 61
1894 31
1887 17

? 9
5
0 50 100 150 200 250 300

L’étude de la répartition très inégale des données entre les trois agences met en lumière
l’importance des registres consulaires de La Havane qui fournissent le gros des informations
concernant notre sujet. On note la très faible contribution de l’agence de Guantanamo dont
seules les premières feuilles d’un registre sont encore disponibles pour la consultation au
18
CADN, malgré leur état de délabrement avancé24 ; ainsi que celle du poste de Santiago de
Cuba et son registre du 5 juillet 1912 au 6 février 191325, l’un des deux registres en posses-
sion du Ministère des Affaires Étrangères, l’autre n’étant pas consultable en raison de son état
matériel.

Le fait que la quasi-totalité des Français, comme le montrent les immatriculations effectuées
par chaque agence consulaire, aient été enregistrés à La Havane signifie t-il que toutes ces
personnes résident à La Havane et ses alentours ? Ou, autrement dit, doit-on considérer les
diagrammes précédents comme des recensements de la population française de La Havane ?

Admettons dans un premier temps l’hypothèse selon laquelle les immatriculations faites à La
Havane ne correspondent qu’aux Français habitant la capitale et sa province. Les observations
précédentes concernant les pics d’immatriculations s’appliqueraient donc à La Havane, dont
le maximum d’habitants français aurait été 241 individus en 1896. Les chiffres dont il est ici
question nous permettraient alors de trouver une solution quant au problème posé précédem-
ment par la quasi absence, dans les évaluations sommaires auxquelles se sont livrés les agents
consulaires français, d’informations chiffrées concernant La Havane, et ce plus particulière-
ment pour l’année 1894 au cours de laquelle on ne compterait pas moins de 1441 Français.
Mais pouvons-nous réellement nous satisfaire de cette hypothèse et de sa conclusion ? Pou-
vons-nous vraiment accepter de croire qu’en 1894 La Havane, capitale de la « Perle des An-
tilles », lieu de résidence principale de la représentation française à Cuba, ne comptait que 31
Français alors que des villes de second ordre comme Matanzas en Guantanamo en comptaient
près de 500 ? Par ailleurs, il ne faudrait pas négliger la seule donnée précise en notre posses-
sion, et plutôt fiable dans la mesure où elle provient des comptes même de la Légation26, et
qui concerne les Français résidant dans la province de La Havane : rappelons que selon le
Ministre de France en poste à La Havane, ils étaient 569 dans la capitale et 1 004 dans le reste

24
Registre d’immatriculation du 1er août 1887 au 29 août 1913, Archives des Postes, « Guantanamo », Carton
n°1, CADN. Voir Annexes.
25
Registre du 5 juillet 1912 au 6 février 1913, Archives des Postes, « Santiago de Cuba », Carton n°1, CADN.
Voir Annexes.
26
Annexe au rapport du 14 mai 1902, Bilan du poste de La Havane pour l’année 1901, Cadre IX « Dénombre-
ment », Carton n°222, « Correspondance et rapports annuels des postes », La Havane, Personnel et Agences
consulaires, CADN. Voir Annexes.
19
de la province soit 1 573 au total. Or, les diagrammes tirés des registres d’immatriculation ne
présentent que 46 individus pour la même année soit près de 12 fois moins de Français. Les
chiffres que présentent les registres de doivent donc pas être considérés comme des évalua-
tions de la population française de la capitale cubaine. D’ailleurs, l’étude des villes dans les-
quelles les 1141 personnes de nationalité française immatriculées à La Havane ont déclaré
vivre nous montre que si la plupart de ces Français vivent effectivement dans la capitale (65%
soit 746 personnes), il n’en reste pas moins que 32% d’entre elles (358 personnes) résident
ailleurs comme le montre le tableau suivant présentant les principales villes dans lesquels vi-
vent les Français immatriculés à La Havane.

Figure 4: VILLE DE RÉSIDENCE DES FRANÇAIS IMMATRICULÉS À LA HAVANE ENTRE 1894 ET


1914.
Ville Nombre de Français
La Havane 746
Pinar del Rio 78
Matanzas 43
Inconnu 37
Cardenas 29
Nuevitas 17
Sancti Spiritus 15
Caibarien 12
Jovellanos 12
Santa Clara 10
Rancho Veloz 8
Remedios 8
Guanabacoa 7

Face à cette valse des chiffres, difficile de dresser le bilan, en termes de chiffre, de la présence
française à Cuba. Les informations lacunaires et peu précises contenues dans les missives
consulaires ne nous sont pas d’une grande aide. Elles ne permettent que de faire un bilan ap-
proximatif de la population française dans certaines villes de l’île et de façon extrêmement
ponctuelle. Les registres d’immatriculation consulaires ne sont, quant à eux, pas les meilleures
sources pour tenter un recensement sérieux et représentatif de la communauté française de
l’île. Heureusement, les sources consulaires recèlent des retranscriptions des recensements et
des données statistiques effectués par le gouvernement cubain.

20
c. Les chiffres du Gouvernement cubain.

On retrouve en effet dans quelques courriers de la Correspondance Politique et Commerciale


entre 1896 et 1918 des copies des renseignements statistiques concernant le « mouvement de
l’immigration » dans l’île de Cuba fournis par la « Secrétairerie des Finances » cubaine27. Ce
sont les seuls vrais chiffres de la population française à Cuba mais ils ne couvrent malheureu-
sement pas la totalité de la période étudiée puisqu’ils concernent les années entre 1905 et
1909, ainsi que les années 1912 et 1913. La figure qui suit associe les données de registres
français et celles des statistiques cubaines.

27
Courriers des 3 mars 1910, 29 décembre 1913 et 25 septembre 1914, carton n°4 (1910 – 1913), Politique inté-
rieure, T.II, Correspondance politique & commerciale 1896-1918. Nouvelle Série, Cuba, CADLC.
21
Figure 5: INDICATEURS DE LA PRÉSENCE FRANÇAISE À CUBA : STATISTIQUES ET REGISTRES.

1914 29
1913 46 454
1912 113 257
1911 51
1910 83
1909 47 240
1908 44 272
1907 37 291 Statistiques
1906 320 cubaines.
35
A 350
1905 39
n
1904 30
n
1903 24
é
1902 27
e Registres
1901 46
s d'immatricu
1900 39
lation
1899 66
1898 47
1897 90
1896 241
1895 61
1894 31
1887 17
? 14
0 100 200 300 400 500
Nombre de personnes

La comparaison des deux séries de chiffres est sans appel.

Elle permet de bien prendre la mesure du manque absolu de pertinence, voire de


l’insignifiance, des comptes tirés des registres consulaires en ce qui concerne le décompte de
la population française de l’île. Sur un total de vingt-deux années, les registres ne comptent
que 1257 personnes avec en moyenne 55 immatriculations par an, alors que pour seulement
sept ans on arrive à un total de 2184 personnes ayant immigré à Cuba soit 312 personnes en
moyenne chaque année. Soulignons ici, au sujet des chiffres du Ministère des Finances cu-
bains, qu’il n’est question que du nombre d’immigrés par an, c'est-à-dire des nouveaux arri-
vants venus grossir les rangs d’une population française déjà installées, et en aucun cas de la
totalité de cette population. Comment évaluer alors le nombre de Français présents à Cuba ?

22
Et comment juger de l’importance ou de la faiblesse de la présence française au sein de la
population locale ?

Les sources diplomatiques disponibles nous montrent là leurs limites. Sans évaluations autres
que celles fournies par les documents consulaires français on ne parvient pas à déterminer
clairement le nombre de ressortissants français vivant à Cuba. Pour ce faire il aurait fallu
avoir accès à l’ensemble des statistiques cubaines, ou éventuellement américaines, pour la
période qui nous occupe. L’impossibilité de circonscrire la population face à laquelle nous
nous trouvons n’a d’égale que celle qu’ont probablement connue les agents consulaires fran-
çais, sans doute incapables de connaître réellement l’étendue du groupe de gens dont ils de-
vaient assurer la protection. Une étendue dont fait par la « Chronique Géographique » du Bul-
letin de la Société de Géographie de Lyon de 1913.

« La statistique officielle du 30 septembre 1907 comptait à Cuba 2 048 980 âmes, dont 81% de Cu-
bains (la plupart métissés), 4,19% de Chinois, 3,5% de nègres récemment immigrés, 2,9%
d’Américains du Nord, et 0,6% de Français. En effet, parmi ces derniers, on ne compte que les 1 436
Français de nationalité française, mais on ne fait point état des 25 000 à 35 000 descendants des émi-
grés français de Haïti et de la Louisiane qui vivent surtout dans l’est de l’île et que l’on compte comme
Cubains. »28

Plusieurs éléments sont à prendre en compte dans cette brève description de la population de
Cuba. En premier lieu, le nombre de « Français de nationalité française » qui s’élèverait à
1 436 en 1907, un chiffre qui nous semble être très discutable, voire faux. Si la part de Fran-
çais représente effectivement 0,6% de la population totale de Cuba en 1907, ils devraient être
environ 12 294 individus au lieu des 1 436 dont il est question. La comparaison entre ces pré-
tendus 1 436 Français recensés dans toute l’île et les 1 573 nationaux résidant en 1901 dans la
seule province de La Havane vient conforter notre idée selon laquelle les données du Bulletin
de la Société de Géographie de Lyon semblent être erronées. En revanche, l’estimation con-
cernant le nombre de descendants des premiers immigrants est de loin l’information la plus
intéressante. À l’inverse de notre propos, la Société de Géographie n’intègre pas la plupart des

28
« La Population de Cuba», Chronique Géographique, Bulletin de la Société Géographique de Lyon, 2ème se-
mestre 1913, Société de Géographie, Lyon, 1914, p. 161. Consulté le 23 janvier 2010 sur
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5477730m.
23
« Jus sanguinis »29 dans son décompte, puisqu’elle considère qu’on les compte « comme Cu-
bains », ce qui comme, on le verra ailleurs, n’est pas toujours vrai dans la mesure où nombre
de ces descendants, malgré leur naissance sur le sol cubain ou le mariage d’un de leur parent
en dehors de la communauté française, continuent à se faire immatriculer en tant que français
auprès des agences consulaires. Mais le nombre de ces descendants (« 25 000 à 35 000 »)
nous interpelle, loin des quelques centaines ou du millier d’individus dont il a été jusque là
question et bien plus proche des 0,6% de la population totale. Il semble que ces chiffres soient
bien plus proches de la réalité qu’aucune autre donnée citée jusqu’ici. Cependant, on ne pour-
ra pas se permettre de les exploiter en tant que tels, en tant que recensement global de la popu-
lation française de Cuba, étant donnée l’impossibilité de déterminer la part de ces descendants
portant ou non la nationalité française. Néanmoins, nous pouvons nous baser sur les 0,6% que
représenterait la communauté française au sein de la population cubaine pour nous faire une
idée de l’ampleur du groupe que nous sommes chargés d’étudier.

2. Importance relative de cette présence .

Force est de constater, à la vue des 0,6% de Français compris dans l’ensemble de la popula-
tion cubaine, que la population française est véritablement une composante très mineure de
cet ensemble cubain. Il en va de même pour le mouvement migratoire français qui lui aussi
atteint à peine 1% de l’immigration totale à Cuba.

a. Les Français dans le mouvement migratoire cubain.

Lorsque l’on compare les statistiques cubaines du Ministère des Finances concernant les cou-
rants migratoires à destination de l’île, on note la faiblesse du courant français. Comme on
peut s’en apercevoir, la France est loin d’être une source importante d’émigrés comme peu-
vent l’être les pays proches de Cuba ou encore l’ancienne métropole espagnole en 1909, 1912
et 1913. Plus surprenante est la part très active de l’Empire Ottoman, dont les ressortissants

29
« Jus sanguinis » : Français ayant acquis la nationalité française par le sang, c'est-à-dire nés de parents fran-
çais ; opposés aux « Jus soli » c'est-à-dire ceux qui sont nés sur le sol français.
Voir Patrick Weil, Qu’est-ce qu’un Français ? Histoire de la nationalité française depuis la Révolution, Paris,
Gallimard, Folio Histoire, 2002.
24
sont connus pour avoir implanté leurs activités commerciales partout dans le monde, qui dé-
passe de loin celle de la France, alors que certains Ottomans, compris dans le contingent de
migrants français, débarquent à Cuba en tant que protégés français.

Figure 6: LES FRANÇAIS DANS LE MOUVEMENT MIGRATOIRE À CUBA.

1905 1906 1907 1908 1909 1912 1913

Nombre total
d’immigrants 54 319 34 556 33 436 27 999 31 386 30 296 43 507

Nombre de
Français 350 320 291 272 240 257 454
(% par rap- (0,65%) (0,93%) (0,87%) (0,97%) (0,76%) (0,85%) (1,04%)
port au total)
1ère nationali- Espagne Espagne Espagne

(% par rap- 14 662 20 660 32 140
port au total) (46,7%) (68,2%) (73,8%)

2ème nationa- États-Unis États- États-


lité Unis Unis
(% par rap- 9 335 2 884 2 763
port au total) (29,7%) (9,5%) (6,4%)
3ème nationa- Angleterre Jamaïque Jamaïque
lité
(% par rap- 1 560 1 269 2 716
port au total) (4,9%) (4,2%) (6,2%)

4ème nationa- Empire


lité Ottoman
(% par rap-
port au total) 643
(2,04%)

Les colonies françaises, aussi nombreuses qu’elles peuvent être, n’ont donc pas été consti-
tuées par une immigration massive. Il est de notoriété commune que la France n’a jamais été
un acteur majeur dans les vagues de migrations au départ de l’Europe et à destination du
Nouveau Monde entre le XIXe et le XXe siècle : sur les 52 millions d’européens ayant traversé

25
l’Atlantique entre 1815 et 1930, la part de la France se serait élevée à seulement 0,4 millions
d’individus soit 0,8% des 52 millions30. La plupart de ces émigrés français ont choisi
l’Amérique continentale comme terre d’arrivée, préférant les États-Unis, l’Uruguay,
l’Argentine, Mexique ou encore le Chili à l’île de Cuba31. L’immigration française n’est en
rien comparable aux afflux massifs de colons qu’ont connus, entre autres, les États-Unis, et la
comparaison ne serait pas non plus utile dans la mesure où elle ne ferait que confirmer
l’insignifiance des arrivées à Cuba. En revanche, il nous serait plus profitable de savoir si la
présence française a toujours été un fait aussi minime à Cuba. Il nous faut pour cela nous
tourner vers l’historiographie en charge de la question. En ce qui concerne la part de la France
dans le mouvement migratoire cubain avant les années 1880, peu d’éléments nous sont four-
nis. On apprend cependant qu’en 1841, sur les 18 977 étrangers ayant débarqué à La Havane,
on dénombre 623 Français (soit 3,28%), la France se positionnant comme second pays
d’émigration, après la péninsule et les îles ibériques, loin devant l’Angleterre et le reste de
l’Europe32. Le nombre d’arrivants étant bien plus important au début du XIXe que pour la pé-
riode qui nous concerne, il semblerait qu’il en soit de même pour le nombre de résidants fran-
çais dans l’île. Sonia Rodríguez Hernández dans son article « Presencia y uso de galicismos en
el Español hablado en Cuba »33 nous donne une première évaluation de la population fran-
çaise de l’île entre le XVIIIe siècle et les premières années du XIXe siècle.

“(…) Los historiadores nos hablan hasta de cerca de 30 000 franceses asentados en cuba, muestra
fehaciente de la influencia francesa en cuba.

30
Dudley Baines, Emigration from Europe, 1815-1930, Londres, Cambridge University Press, 1995.
31
Voir : Green, Nancy, Et ils peuplèrent l’Amérique, L’Odyssée des émigrants, Paris, Gallimard La Décou-
verte, 1994 ; - Phénomènes migratoires et mutations culturelles : Europe-Amériques, XIX-XXe siècles,
Journée d’études organisée par l’École doctorale Études romanes et latino-américaines à Paris le 5 Avril 1996,
contributions réunies par Jean-Charles Vegliante, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 1998 ; - Abenon,
Lucien René, Français en Amérique, histoire d’une colonisation, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1993 ; -
Campario, Jean-François, La colonie de Jicaltepec-San Rafael (état de Veracruz), indice d’un rêve tourmenté :
la présence française au Mexique (1833-2008), Mémoire de Master 2 sous la direction de François Weil, Paris,
EHESS, 2008 ; - Maire, Camille, En route pour l’Amérique, l’odyssée des émigrants en France au XIXe siècle,
Université de Nancy, 1993.
32
Alvarez Estévez, Rolando, Huelles francesas en el Occidente de Cuba (siglos XVI-XIX), La Havane, Edicio-
nes Boloña, Editorial José Martí, 2001, p.50.
33
Rodríguez Hernández, Sonia, « Presencia y uso de galicismos en el Español hablado en Cuba. » in Cuba et
la France, Francia y Cuba, Actes du colloque de Bordeaux (Décembre 1982) organisé par le Centre universitai-
re d’études cubaines, Presses universitaires de Bordeaux, sous la direction de Jean Lamore, 1983.
26
A partir del siglo XVIII fueron llegando a cuba oleadas de inmigrantes, este flujo fue incesante hasta
el primer tercio del siglo XIX.

Un dato interesante en nuestra historia, y en esta fuerte migración francesa, lo fue la llamada “Política
de Blanqueamiento”, acogida con beneplácito por los pobladores de la Isla, dado el medio existente
entre la población blanca debido a la gran cantidad de negros importados.”

La présence de 30 000 colons français, comptant très certainement parmi eux les fameux co-
lons de l’île de Saint-Domingue dont il a déjà été question, mais également un certain nombre
d’aventuriers venant d’autres régions, nous montrent que les colonies françaises que nous
nous proposons d’étudier ont connu, depuis la moitié du XIXe siècle, un réel déclin.

b. Âge d’or et déclin de la présence française.

Il semble que ces arrivées aient correspondu à ce que l’on peut qualifier d’âge d’or de la pré-
sence française, puisqu’elles s’élèvent à plus du double du nombre de ressortissants présents
en 1907, encouragée par cette politique de « blanchissement » d’une population, encore aux
prises avec l’esclavage, menée par la gouvernement cubain. Ces colons, exception faite de
ceux de l’ancienne colonie française de Saint-Domingue, ont donc été sollicités, encouragés,
par les autorités locales par le biais de facilités au voyage et à l’installation. D’autres auteurs,
comme Nicole Simon ou le spécialiste de la question Alain Yacou, nous fournissent une autre
approche, plus géographique et économique, du phénomène.

«La colonie française à Cuba atteignait vers 1820 environ 10 000 familles.

L’implantation assez particulière des Français dans la partie orientale de l’île a été bien étudiée par
Juan Perez de la Riva (…) ; la population française totale dans cette région a pu être estimée alors à
près de 10 000 personnes. Beaucoup d’entre elles s’implantèrent dans la sierra, y créant des « cafe-
tales » (…).

L’immigration française ne se poursuivit pas à ce rythme exceptionnel. Le consul Mollien signale


qu’en 1836, sur 8061 étrangers arrivés à La Havane, (…) 170 seulement [étaient] français. »34

34
Simon, Nicole, « Francis Lavallée (1800-1864), vice-consul de France à Trinidad et correspondant de la So-
ciété de Géographie », in Cuba et la France, Francia y Cuba, Op. Cit., p.127-154.
Voir Pérez de la Riva, Juan, “La implantación francesa en la cuenca superior del canto”, in El Barracón y otros
ensayos, La Habana, Editorial de ciencias sociales, 1975.
27
Le déclin progressif de la population française de Cuba que nous avons postulé semble se
confirmer : la part qu’occupe cette dernière dans le mouvement migratoire vers Cuba montre
une nette diminution. Elle atteint, d’après les chiffres de Nicole Simon, 2,1% des migrants
pour l’année 1836, contre 0,93% en 1906, soixante-dix ans après. Comment expliquer
l’amenuisement de cette population ? Il semble que le déclin démographique dont il question
ait accompagné un autre déclin, celui des grandes plantations françaises installées à la fin du
XVIIIe siècle dans l’Est de l’île. Comme nous l’avons déjà dit, l’Orient cubain, et surtout la
ville de Santiago de Cuba ont été les fleurons de l’économie et de l’agriculture cubaine grâce
à l’implantation dans ces zones des nombreux colons français dont parlent Nicole Simon et
Sonia Rodríguez Hernández dans leurs travaux, et en particulier grâce à ceux de l’île voisine.

Chaque étape de cette phase de l’immigration française à Cuba a été étudiée par Alain Yacou
au cours de ces nombreux travaux sur la question35, en particulier l’impact qu’ont eu ces arri-
vées sur l’économie cubaine. Grâce aux travaux de l’historien, on parvient à savoir que les
premières arrivées significatives se sont faites entre 1795 et 1797 et ont donné naissance au
premier embryon de colonie française à Cuba. Un recensement faisait état à cet instant de 693
colons et de 225 corsaires résidant dans les environs de Santiago de Cuba. Après cette pre-
mière vague, les immigrés ont continué d’arriver de Saint-Domingue et ce jusque dans les
premiers mois du XIXe siècle. Des arrivées massives ont eu lieu entre 1802 et 1804, suite à
« l’évacuation de Saint-Domingue » : en 1803, il a été fait état d’un contingent de 18 213 dé-
barquées dans le port de Santiago de Cuba en à peine deux mois. C’est à partir de cette
époque, et grâce à cette véritable hémorragie française, que vont se multiplier les plantations
sucrières et caféières françaises dans l’île, surtout autour de Santiago de Cuba, où une véri-
table « ceinture de caféières » va s’installer, dont plus de 200 de ces caféières seront aux
mains de propriétaires français. Ces retours en arrière dans l’histoire de la présence française à
Cuba nous permettent de conclure que les colonies françaises de Cuba que nous tentons
d’étudier ne sont, bien évidemment, pas les premières, mais ils nous permettent également de
constater qu’il semblerait qu’elles aient perdu de leur superbe. Le déclin à la fois démogra-
phique, et apparemment économique, des colonies françaises peut nous fournir une explica-

35
Yacou, Alain, « Francophobie et francophilie à Cuba au temps des révolutions française et haïtienne. », in
Cuba et la France, Francia y Cuba, Actes du colloque de Bordeaux (Déc. 1982) organisé par le Centre Interuni-
versitaire d’Études cubaines, sous la direction de Jean Lamore, 1983, p.57.
28
tion quant au délaissement connu par ce sujet dans l’historiographie cubaine et française cons-
taté précédemment36.

La chute de la caféiculture française dans l’est cubain a précipité la diminution spectaculaire


du nombre de ressortissants français dans la région orientale. Santiago de Cuba n’est plus la
tête de pont de la communauté française qui a déplacé son centre bien plus à l’ouest, en direc-
tion de la capitale havanaise.

B. Géographie des colonies françaises de Cu ba.

« Mon but est de vous présenter un aperçu du séjour de six mois que je viens de faire à Cuba, (…),
mais je vais parler d’abord de ses parages les moins connus, les plus intéressants : la partie orientale.
Cette dernière a été très délaissée jusqu’à ce jour, mise en culture au dernier siècle par plusieurs mil-
liers de réfugiés des révolutions d’Haïti et de Saint-Domingue, mais appauvrie par deux insurrec-
tions.»37

Telle que nous la présente Charles Berchon, membre de la Société de Géographie de Paris, la
présence française à Cuba fait déjà, au cours des années qui nous intéressent, et en 1910 plus
particulièrement, figure de fait ancien. La province orientale de l’île, et son chef-lieu épo-
nyme, ont longtemps été les bastions français de Cuba, occupés par les anciens colons de
Saint-Domingue s’étant chargés de la mise en valeur des terres santiagueras, donnant ainsi
naissance à la « Civilización del Café »38. Près d’un siècle plus tard, les conflits armés sont
passés par là, le café ne fait plus recette dans l’île, supplanté par le « Sucre Roi », les caféières
françaises laissant place aux champs de cannes et aux usines à sucre39. L’évolution que con-
naît l’économie de l’île, qui se développe, se modernise et s’urbanise, s’accompagne de

36
Mémoire de M1, I. État de la recherche, A. « La question de l’immigration française dans l’historiographie »,
p.6.
37
Berchon, Charles, Conférence sur l’île de Cuba faite par Charles Berchon, membre de la Société de Géogra-
phie de Paris, Bordeaux, Imprimerie Y. Cadoret, 1909.
38
Pérez de la Riva, Francisco, El Café, Historia de su cultivo y explotación en cuba, La Habana, Jesús Montero
Ed., Biblioteca de historia, filosofía y sociología, 1944.
39
Guicharnaud-Tollis, Michèle (dir.), Le sucre dans l’espace caraïbe hispanophone, XIXe et XXe siècle, Actes
du colloque organisé à Pau les 14 et 15 Mars 1997, paris, L’Harmattan, 1998.
29
l’évolution des lieux de vie choisis par les Français. La suprématie orientale n’a plus lieu
d’être : le Français est partout dans l’île, attiré de plus en plus vers l’ouest, vers la grande
ville, vers La Havane.

1. Leurs implantations dans l’île.

Les champs que regroupent les registres d’immatriculation permettent, notamment par le biais
des bases de données, de pouvoir connaître nombre de détails au sujet des quelques Français
venus s’enregistrer. Au nombre de ces détails, il faut compter lieu de résidence (la ville et
parfois l’adresse exacte). Ces précisions vont nous autoriser à dresser une véritable cartogra-
phie de la présence française à l’échelle de l’île de Cuba, mais également à plus grande
échelle, dans les rues de La Havane, nouveau chef-lieu des colonies françaises.

a. Répartition générale dans l’île.

Les requêtes effectuées dans la base de données constituée à partir des registres consulaires
nous ont permis de regrouper les Français en fonction de la ville de résidence qu’ils ont décla-
ré habiter. Ces requêtes nous montrent la répartition suivante :

30
Figure 7: LES PRINCIPALES VILLES DANS LESQUELLES SE RÉPARTISSENT LES FRANÇAIS.
Santa Clara
Rancho Veloz
Jovellanos 10 8
Nuevitas Caibarien 12 Songo
17 10 Remedios
12
8
Sancti
Guantanamo
Spiritus Guanabacoa
17
15 7
Banes
17
Cardenas
29
Santiago de
Cuba
37 Matanzas
43
Inconnu
61

La Havane
Pinar del Rio 746
78

Le diagramme circulaire confirme le parti pris qu’ont les Français pour La Havane puisque la
capitale représente 59,3% des 1257 Français immatriculés entre 1887 et 1914. En seconde
position, on retrouve la ville de Pinard del Rio avec 6,2% des Français, puis Matanzas (3,4%)
et enfin la fameuse Santiago de Cuba (2,9%) du total. On remarque également que l’on ignore
la ville de résidence de 4,8% de ces Français. Si la plupart des grandes villes cubaines sont,
même de façon très inégale, présentes dans la liste des villes de résidence des Français figu-
rant dans le diagramme ci-dessus, on constate surtout que nombre de ces ressortissants décla-
rent habiter dans de très petites villes, méconnues, et situées la plupart du temps dans la cam-
pagne profonde de l’île comme le montre la carte qui suit.

31
Figure 8 : Principales villes dans lesquelles résident les Français.

Les Bahamas
Golfe du Mexique Guanabacoa
Matanzas Rancho Veloz
La Havane Cardenas
Marianao Alto Songo
Pinar Del Rio Colon
Caibarien
Remedios
Jovellanos
Union de Reyes Santa Clara
Guanajay Yaguajay
Consolacion del Sur
Nuevitas
Cienfuegos
Sancti Spiritus

Banes
Camaguey

Manzanillo
N Mer des Caraïbes Guantanamo
Santiago de Cuba

LEGENDE :

+ De 700 De 60 à 80 De 30 à 50 De 10 à 30 - De 10
français français français français français 32
Des petites villes, voire peut-être des villages, comme Alto Songo (ou Songo), Colón, Rancho
Veloz, Jovellanos, Yaguajay ou Santiago de Las Vegas sont nombreuses à regrouper des pe-
tites colonies, souvent de moins de dix personnes, mais participent néanmoins au maillage de
la présence française sur tout le territoire cubain. Ces petites villes, absentes pour la plupart de
la carte, qui sont au total 61, regroupent à elles seules près de 13% des Français immatriculés.
Elles comptent en moyenne 2 à 3 habitants déclarés comme étant de nationalité française.
L’existence de ces mini-colonies de Français, la fragmentation à l’extrême de la communauté
française rurale laisse supposer l’isolement géographique, mais aussi culturel, de leurs
membres ; et pourrait par conséquent favoriser les mariages exogames et l’intégration, voire
la disparition, du Français dans la population locale. C’est certainement cette atomisation des
groupes français qui a permis au rédacteur de la « Chronique Géographique » du Bulletin de
la Société de Géographie de Paris de parler en 1913 de ces « 25 000 à 35 000 descendants des
émigrés français (…) que l’on compte comme Cubains »40, nombreux et épars dans la cam-
pagne cubaine. Pour éclairer cette relation étroite qui existe entre le lieu de vie du migrant et
sa culture, la distance vis-à-vis de cette dernière étant proportionnel à son isolement, on peut
reprendre la formulation qu’utilise Annick Foucrier dans son introduction au sujet de
l’expérience migratoire :

« Il faut surtout tenir compte de la dimension psychologique et culturelle de cette identité française :
être français, c’est se déclarer tel, c’est manifester son attachement à un territoire, à une histoire, à une
langue, à des valeurs, à une culture. L’identité commune se construit dans une proximité dont la
langue est le premier signe, et dans la différence par rapport aux autres. »41

Difficile alors pour les agriculteurs ou éleveurs français éloignés de leurs compatriotes de
nourrir leur identité française à travers des échanges et de l’entretenir lorsqu’ils sont entourés
de, confrontés, et parfois mariés, à des gens dont le français n’est pas la langue natale et qui
ne partagent pas leur tendresse ou leur nostalgie d’une France que souvent ils ne connaissent
pas. L’isolement de ces petits villages permet également de mieux comprendre la difficulté
que pourrait représenter toute tentative de recensement de ces isolats français.

40
« La Population de Cuba», Chronique Géographique, Bulletin de la Société Géographique de Lyon, Op. Cit.
41
Foucrier, Annick, Le rêve californien, migrants français sur la côte pacifique, XVIIIe- XXe siècles, Paris,
Belin 1999, p.14.

33
Outre le morcèlement de la population française sur l’ensemble du territoire cubain, la carto-
graphie de la présence française à Cuba permet de souligner un autre aspect essentiel de cette
trame démographique : le passage à l’ouest de l’essentiel de la population française.

b. De l’orient à l’occident cubain.

L’étude globale de la carte recensant les lieux de vie des Français montre une nette domina-
tion de la partie occidentale de l’île, bien plus peuplée, grâce à La Havane, que la partie orien-
tale, traditionnel foyer du peuplement français. Cette opposition est/ouest, en faveur de
l’occident, semble être un fait nouveau, représentatif d’un changement apparent qui s’est opé-
ré dans les profils migratoires français. En réalité, cette mutation est, entre autres, le fruit des
évènements qui ont frappé l’orient cubain et sur lesquels nous nous devons de revenir.

Au cours de ses séjours dans les Antilles, dans les années 1880, Eugène Aubin, grand voya-
geur, diplomate, membre de la Société de Géographie de Paris et, paraît-il, espion français,
témoigne de ce passage en direction de l’ouest entrepris dès le milieu du XIXe siècle42.

« Un voyage dans les grandes Antilles permet de retrouver, en maint endroit, la descendance des émi-
grés de Saint-Domingue, chassés par la Révolution. Cuba étant l’île la plus proche, ceux-ci se répandi-
rent dans toute la partie orientale, alors à peu près déserte : une colonie nombreuse se groupa au pied
de la Sierre Maestra et dans la région montagneuse qui borde la côte, depuis Santiago de Cuba –
« Saint-Yague-de-Cube », disaient nos créoles – jusqu’au-delà de Guantanamo. (…) L’expansion de
ces émigrés avait été telle, que tout l’Est de Cuba se trouva naturellement francisé ; Hérédia, né Cu-
bain, écrivit des vers français. Certains, s’écartant du gros de nos colons, s’avancèrent davantage
vers l’Ouest. Mme Frédérique Bremer et R.-H. Dana racontent, qu’au cours de leurs voyages, en 1851
et 1859, ils furent les hôtes d’un émigré de Saint-Domingue, devenu l’un des principaux planteurs de
la province de Matanzas. »

Les témoignages des deux membres de la Société de Géographie de Paris, Charles Berchon43
et Eugène Aubin, contemporains de l’époque étudiée, nous offrent deux panoramas différents
de l’orient nous permettant de vérifier les changements importants qui ont transformé la pro-
vince santiaguera. On passe en effet d’un orient cubain « naturellement francisé » par « une

42
Aubin, Eugène, En Haïti, planteurs d’autrefois, nègres d’aujourd’hui, Paris, Librairie Armand Colin, 1910,
Préface, p. XXX-XXXI.
43
Berchon, Charles, Conférence sur l’île de Cuba…, Op. Cit.

34
colonie nombreuse »44 venue de Saint-Domingue à une région « très délaissée » et « appau-
vrie par deux insurrections »45 en 1910. Notre propos n’est ici de revenir longuement sur
l’histoire de la présence française dans la province orientale, dans la mesure où l’époque de
l’âge d’or de cette présence est de loin antérieure à celle étudiée et que cette période a fait
l’objet de nombreux travaux déjà cités. Cependant, il convient de passer en revue les boule-
versements connus par les Français à Santiago de Cuba, pouvant nous aider à comprendre la
migration interne du foyer de peuplement français.

Les arrivées massives de Français dans la province de Santiago de Cuba à partir de la Révolu-
tion Française, mais surtout entre 1803 et 1804, encouragées par l’aristocratie terrienne, re-
nommée « plantocratie » par Alain Yacou46, vont, en raison des évènements européens, laisser
place en 1808 à un rejet des Français, à une « francophobie ». À partir du soulèvement de Ma-
drid du 2 Mai 1808, des listes des étrangers présents à Cuba sont dressées, avec pour consé-
quence l’expulsion de ces derniers s’ils ne prêtent pas serment de fidélité à la Couronne
d’Espagne. Nombre de Français auront recours à la naturalisation, réduisant de fait le nombre
de la population française. Ces procédés ne vont cependant pas empêcher la montée de
l’animosité à l’égard des Français puisque le 12 mars 1809, le Capitaine général de l’île, dans
sa Proclamation aux très fidèles habitants de Cuba décide la création d’une junte de vigilance
ayant pour but de précipiter le départ des Français les plus dérangeants. L’année 1809 ne sera
pas propice aux Français installés à Cuba : des soulèvements anti-français éclatent dans l’île,
des esclaves pillent les caféières, leurs biens seront confisqués, précipitant la fuite des colons
dont le souvenir des évènements de Saint-Domingue était encore vivace. Cette fuite se fait
principalement en direction de La Havane et des ports de l’île. Bon nombre de ces anciens
colons de l’est resteront dans la capitale. D’autres vont quitter Cuba pour quelques temps, et à
partir de 1815-1816, une fois le conflit franco-espagnol achevé, l’île verra le retour des Fran-
çais47. S’ouvre alors une autre ère de la colonisation française à Cuba qui s’étend grosso modo

44
Aubin, Eugène, En Haïti, planteurs d’autrefois, nègres d’aujourd’hui, Op. Cit.
45
Berchon, Charles, Conférence sur l’île de Cuba…, Op. Cit.
46
Yacou, Alain, « Francophobie et francophilie à Cuba au temps des révolutions française et haïtienne. », in
Cuba et la France, Francia y Cuba, Op. Cit.
47
Alain Yacou, « Les Français du Sud-ouest dans la Vuelta Abajo de Cuba au lendemain de la Révolution de St-
Domingue », in Lavallée, Bernard (Dir.), L’Emigration aquitaine en Amérique Latine au XIXe siècle, Op. Cit.
35
des années 1810 jusqu’à la moitié du siècle. Cette nouvelle ère correspond à ce que Laura
Cruz Ríos a identifié comme étant le second flux migratoire français à destination de Cuba,
différent du premier par la provenance des migrants, venus pour la plupart directement depuis
la France48. L’auteur souligne que le retour de l’immigration française à Cuba se fait à la fa-
veur de l’amélioration de relations franco-espagnoles, en même poussée par la restauration de
la monarchie entre 1815 et 1830. Ce nouveau flux d’immigrants français est, comme les pré-
cédents, à destination de Santiago de Cuba. Si au début du siècle, l’immigration française ré-
pondait aux besoins des planteurs cubains, cette fois, elle correspond à la volonté du gouver-
nement, soucieux de favoriser une colonisation blanche pour contrer le fameux « Péril
Noir »49 qui menace l’île. Une autre différence est à souligner entre ces deux vagues migra-
toires françaises : si les premiers flux de migrants se caractérisent d’un point de vue écono-
mique par leur appartenance aux métiers de la terre (« hacendados, agricultores »), du com-
merce et de la mer, les migrants venus de France apportent à Cuba des métiers beaucoup plus
variés et plus rares sur l’île ( ils sont modistes, cuisiniers, médecins, tailleurs, boulangers, pâ-
tissiers, arpenteurs, bijoutiers, obstétriciens, infirmières, pharmaciens, ingénieurs, enseignants,
de moniteurs sportifs, architectes, forgerons, charpentiers, maçons, ...). L’éclectisme des mé-
tiers exercés par les nouveaux venus, ainsi que leur caractère très urbain, s’opposent radica-
lement aux professions exercés par les premiers colons et au profil très rural de la province de
Santiago de Cuba. Malgré les conséquences désastreuses qu’ont eues les guerres napoléo-
niennes pour la population française de Cuba, il apparaît nettement que la première moitié du
XIXe siècle a sans doute la période la période plus favorable pour les Français à Cuba. A con-
trario, la deuxième moitié du siècle, a vu s’entamer le long déclin de l’orient et de sa popula-
tion française, une décadence qui s’amorce avec celle de la culture du café dans la région. La
disparition progressive des « cafetales » de l’orient cubain semble avoir motivé un certain
nombre de départs français dans la région, qui, dans plusieurs cas, ont pris la forme de retours
vers la France. Dans son article « Del sur de Francia a Santiago de Cuba », Catherine Verdon-

48
Cruz Ríos, Laura, Flujos inmigratorios franceses a Santiago de Cuba (1800-1868), Editorial Oriente, San-
tiago de Cuba, 2006, p.86.
49
Voir Clough Corbitt, Duvon, « Immigration in Cuba », in The Hispanic American Historical Review, Vol.
22, N°2, Duke University Press, Mai 1942; A study, The Chinese in Cuba, 1847-1947, Wilmore, Asbury Col-
lege, 1971.

36
neaud50 retrace le parcours de ces quelques migrants et de leurs familles venues depuis la
France à Cuba, via l’île de Saint-Domingue. Elle cite, entre autres, le cas de Paul Lafargue,
issus d’une famille bordelaise, dont le grand-père a émigré à Saint-Domingue où il est devenu
un petit propriétaire. Ce dernier décède lors de la Révolution haïtienne, ce qui pousse la
grand-mère et le père de Lafargue à fuir, non pas à Cuba, mais à la Nouvelle-Orléans, où le
père rencontre sa femme. Toute la famille quitte le continent américain pour Santiago de Cuba
où naîtra Paul Lafargue en 1842. La famille Lafargue s’installe à la tête d’une exploitation
caféière. Malheureusement pour elle, la famille se voit obligée de quitter Cuba pour Bordeaux
en 1851 en raison de ce fameux déclin des plantations françaises de café, lourdement concur-
rencées par les productions brésiliennes. La trajectoire migratoire de la famille Lafargue est,
selon l’auteur, très représentative du parcours suivi par de nombreux migrants français à Cu-
ba, à chaque fois poussés à se déplacer ou à partir par les évènements qui surviennent dans
l’île, et plus particulièrement dans sa partie orientale. Les évènements les plus dramatiques
pour les Français de l’orient cubain, et qui parachèveront la désertion de cette partie de l’île,
sont les « deux insurrections » mentionnées par Charles Berchon, qui, en réalité, sont deux
véritables guerres : la Guerre des Dix ans (1868-1878) et la Guerre d’Indépendance (1895-
1898). Selon Rafael Duharte51, ces deux guerres ont véritablement signé l’arrêt de mort de la
caféiculture dans l’est dans la mesure où, suite au conflit de 1868 à 1878, la majorité des plan-
tations françaises de la région orientale ont été détruites ; et les quelques unes qui avaient sub-
sisté ont été réduites à néant par la Guerre Hispano-américaine. Il semblerait que ce dernier
conflit ait été, en plus des raisons économiques, l’une des principales causes du départ massif
des Français. En effet, l’insurrection des rebelles cubains démarre en 1895 dans la province de
Santiago de Cuba, qui restera un important théâtre d’opérations. Emilio Bacardí Moreau, Al-
calde de Santiago de Cuba au moment de la Guerre d’Indépendance, a été le témoin de la fuite
des Français, menée par le Consul de France en charge de l’agence santiaguera. Dans les
chroniques qu’il rédige au sujet de sa ville (voir Annexe n°4), il relate le vent de panique qui
souffle dans la communauté française en juillet 1898, trois mois après l’entrée en guerre des
États-Unis et qui pousse Edmond Hippeau, consul à Santiago de Cuba, face à l’absence

50
Verdonneaud, Catherine, “Del sur de Francia a Santiago de Cuba” in Cuba et la France, Francia y Cuba,
Op. Cit.
51
Duharte, Rafael, La présence française à Santiago de Cuba (1800-1868), (trad. Jean Lamore), Paris, Edition
L’Harmattan, 1988.
37
d’informations concernant les mouvements des troupes espagnoles et leurs intentions, et face
à la menace croissante que représente la présence américaine, à fuir la province en direction
de l’ouest :

« El cónsul y la colonia francesa abandonaron la plaza, cerca del mediodía, precedidos de la bandera
de su nación colocada el extremo de una larga vara. Llegaron a Cuabita, y de allí, ese mismo día si-
guieron por la vereda de San Miguel, acampando cer del fuerte del mismo nombre. Luego continuaron
al Caney. Con la colonia francesa y al amparo de su bandera, partieron muchas personas que no perte-
necían a ella. »52

La fuite précipitée des Français, entraînant d’autres habitants de Santiago sur leur passage, les a con-
duits à traverser en peu de temps pas moins de trois provinces cubaines (Santiago de Cuba, Granma,
Las Tunas, (voir Annexe n°2) pour débarquer à El Caney, situé dans la province de Camaguey. Emilio
Bacardí Moreau, dans la suite de ses annales, rapporte le retour de la délégation consulaire française à
Santiago de Cuba, mais il ne mentionne pas celui de la colonie. Il serait mal avisé de croire que la
dépopulation brutale de la ville à cause du conflit ait été définitive. Cependant, on peut sans doute
avancer l’hypothèse selon laquelle le conflit, venant s’ajouter aux évènements précédents, a apporté un
point final à la prépondérance de la ville de Santiago de Cuba comme chef-lieu de la communauté
française, au profit de la capitale havanaise. Dans un courrier qu’il adresse, le 8 mars 1910 à M.
Pichon, Ministre des Affaires Étrangères, le Ministre de France à La Havane, M. Souhart,
confirme la ruine des Français de Santiago de Cuba, causée par la guerre :

« Pendant longtemps, la région de Santiago était habitée par un certain nombre de Français venus de
nos Antilles, et qui y avaient importé la culture du café. Mais aujourd’hui, tout cela a changé, nos
compatriotes qui, en droit et en fait, ne sont pas devenus Cubains y sont peu nombreux et la dernière
insurrection qui s’est terminée par l’indépendance de Cuba a détruit beaucoup de plantations de café
appartenant à nos nationaux qui, n’ayant, jusqu’à présent, obtenu aucune indemnité du Gouvernement
cubain se sont trouvé ainsi tout à fait ruinés. (…)»53

52
Bacardí Moreau, Emilio, Cronicas de Santiago de Cuba, 10 tomes, 1919, T.10, p.29.
53
Courrier du 8 mars 1910, carton N°253 « Correspondance des postes – Dépêches – Minutes, Santiago de Cuba
et La Havane », Sous-série « Agences consulaires et correspondances », Série « Fonds personnels », Fonds
« Personnels et Agences consulaires », CADN.
38
2. La Havane, nouveau bastion français.

Suite à la déchéance santiaguera, La Havane s’impose naturellement comme lieu de résidence


privilégié de l’émigration française. Son statut de capitale politique, économique et démogra-
phique de l’île, son port où accostent les navires des compagnies transatlantiques pour débar-
quer leurs flots de passagers font, de fait, de La Havane le premier endroit où les migrants
fraîchement arrivés déposent leurs valises. La ville les attire d’autant plus qu’elle est, dans
l’imaginaire aventurier des nouveaux venus, bien plus que sa campagne sous-peuplée, le lieu
de tous les possibles, le lieu d’un dépaysement garanti, auréolé d’une atmosphère mythique ou
mythologique abondamment nourrie par le romantisme du XIXème siècle.

L’image sensuelle, romantique, et romancée, dont jouit la capitale cubaine au XIXe siècle et
qui ne s’estompera pas au début du siècle suivant, n’a cessé d’être alimentée par les récits de
voyage laissés par des hommes de lettres ou des scientifiques ayant visité Cuba54. Des récits
de voyage qui ont sans doute marqué les esprits des migrants français lettrés avant même leur
départ pour l’île.

L’état d’esprit dans lequel débarquent ces voyageurs européens semble être déjà conditionné
par des mythes, par des préjugés et des représentations fantasmées faites de soleil, de mers
chaudes et de douceurs de vivre construits par l’Europe depuis le XVème siècle à propos du
Nouveau monde, et plus particulièrement à propos des Antilles. Dans l’imaginaire comme
dans les faits, La Havane, en plus d’être un lieu d’échanges de toutes sortes, est également le
chef-lieu des plaisirs et des divertissements cubains. Cette dimension festive constitutive de la
réputation exotique de l’île est d’ailleurs un des éléments permettant d’expliquer l’attrait de
nombre de voyageurs pour Cuba. Les promenades ou paseos cubains les plus courus, les
théâtres, concerts et autres bals qui font la réputation de l’île amènent naturellement le voya-
geur à fréquenter toutes les couches de la société, et pourvu qu’il soit quelque peu fortuné, la
bonne société havanaise. Les descriptions de La Havane font mention de la prospérité et des

54
Voir Berchon, Charles, « Six mois à Cuba : La Havane » in Le Tour du Monde, Paris, 1907 ;
- Barré, Paul, « Cuba hier & aujourd'hui », in Revue de géographie, Paris, Société de Géographie de Paris,
1903/07-1903/12. - Ampère, Jean-Jacques, Promenade en Amérique : États-Unis, Cuba, Mexique, Paris, 1856.
- Guerlac, Othon, « Cuba sous l’administration américaine » in Le Tour du monde, Paris, 1903. - L'Épine,
Ernest, « La Havane. Matanzas », in L'Épine, Ernest ; Simond, Charles ; Van Cleemputte, Paul Adolphe, L'Ave-
nir des Antilles espagnoles, Paris, 1897-99.
39
richesses de l’île ; des richesses, issues du commerce et de l’agriculture, principalement déte-
nues par la société blanche constituée des Créoles, c'est-à-dire les blancs nés à Cuba, et les
péninsulaires, c'est-à-dire les Espagnols. La troisième composante de cette société étant les
étrangers, parmi lesquels figurent les Français, dont il très peu question dans les récits de
voyage. En revanche, ces récits présentent quelques descriptions de la ville, en particulier de
ses rues. La base de données consacrée aux Français immatriculés à Cuba nous permet
d’identifier les rues de La Havane où ont choisi de résider les 746 Français enregistrés vivant
dans la capitale. Si l’on se base sur ces 746 personnes, on peut cependant signaler qu’en réali-
té il serait plutôt question de 1046 personnes, au vu de l’estimation du nombre de personnes
comprises dans les immatriculations. Avant de localiser ces ressortissants, il convient de don-
ner quelques précisions à leur sujet : sur les 746 mentionnés, on note que seuls 152 d’entre
eux sont des natifs de l’île (dont 86 à La Havane) contre 541 nés en France, ce qui nous per-
met d’affirmer que La Havane est essentiellement peuplée de migrants « de fraîche date »
plutôt que de descendants de Français. Ces migrants sont assez jeunes, leur moyenne d’âge
s’élevant à 31 ans, contre 38 ans pour ceux de Guantanamo et de Santiago de Cuba. Les
hommes sont majoritaires dans cette population franco-havanaise puisqu’ils sont 592 contre
154 femmes. Une nuance de taille doit être cependant apportée en ce qui concerne la réparti-
tion par sexe des Français immatriculés : comme nous l’avons déjà dit, les registres
d’immatriculation, du fait de l’enregistrement parfois des seuls pères de famille, écartent très
souvent la gent féminine, conduisant ainsi à des conclusions de fait erronées concernant cette
partie de la population. La colonie franco-havanaise se compose de 134 célibataires majeurs
(plus de 21 ans) dont 103 hommes et 31 femmes ; 129 personnes mariées (121 hommes et 8
femmes) ; 4 divorcés (3 femmes et un homme) et enfin 298 personnes (283 hommes et 60
femmes) dont le statut matrimonial n’est pas précisé.

Les 746 Français de La Havane se répartissent sur l’ensemble du territoire de la capitale, de-
puis les quartiers centraux jusqu’aux confins des banlieues havanaises. L’essentiel de la colo-
nie se concentre cependant dans quelques rues centrales de la ville. L’histogramme qui suit
regroupe ces principales rues havanaises peuplées par des Français.

40
Figure 8: RUES HAVANAISES HABITÉES PAR DES FRANÇAIS
40 38

35
30
30 27
25 23
19 18 18
20
16 15
15 13 12 11 10 9 8
10 7 6 5
5

Chacon;Dragones;Empedrado;Muralla;…
O'Reilly

San Rafael

Prado

Neptuno
Cuba

San Lazaro

Reina; Villegas

San Miguel; Sol


Habana

Vedado
Teniente Rey

San ignacio
Obispo

Aguila; Amistad; Consulado; Monte;


Carlos Tercero; Galiano
Aguiar; Compostella; Oficios

Concordia; Industria; Lamparilla; Luz;


Obrapia

Aguacate;
Le plan de La Havane qui suit nous permet de constater que le gros des colons français réside
dans les quartiers situés au nord-est de la vieille Havane, les rues les plus prisées étant les rues
Obispo, Teniente Rey, San Rafael et O’Reilly. On note que plus l’on s’éloigne vers l’ouest et
le sud, plus le nombre de Français diminue. Si la colonie française reste une minorité au sein
de la population locale, on peut supposer que la concentration de ses membres dans les rues
de la vieille ville leur confère une certaine visibilité. La répartition des colons français dans
toute la ville, y compris dans des quartiers moins centraux et non représentés sur la carte, nous
permet de penser qu’il n’existerait de « quartier français » à proprement parler à La Havane
comme il a pu en exister ailleurs55. Les institutions et autres possessions françaises de La Ha-
vane sont également dispersées dans la ville. La Légation est installée sur le Paseo del Prado,

55
Voir Bacardí Moreau, Emilio, Cronicas de Santiago de Cuba, Op. Cit. au sujet du quartier français de San-
tiago de Cuba bâti autour de la rue Gallo (ou rue du Coq) et du café-concert Le Tivoli.

41
grande artère allant du centre de la Vieille Havane jusqu’au front de mer. À ce sujet, Edmond
Bruwaert nommé Ministre de France à La Havane, témoigne dans un courrier, daté du 1er août
1902, adressé au Ministère des Affaires Étrangères et relatant sa prise de fonction dans l’île,
de son agréable surprise à la vue des « bureaux de la légation installés au Prado, l’avenue re-
cherchée de la ville »56. D’autres sources consulaires nous permettent de localiser certains
établissements français tels que les écoles créées par des Françaises :

« Une école française de jeunes filles dirigées par des Dominicaines de Montpellier s’est ouverte, hier,
à La Havane, 131 rue Campanario, sous le nom de Notre Dame du Rosaire. Elle s’est heurtée à
quelques difficultés par suite de l’existence d’établissements anciens ayant le même but : le couvent,
fort à la mode, des Dames du Sacré Cœur (…) dans le quartier élégant du Cerro ; l’institut de Mlle
Dolz, sœur d’un sénateur des plus influents, institut fondé au Prado, dans le quartier riche de la ville ;
le collège français de Mme Laviolette, dans le quartier d’affaires. »57

Ces quelques lignes nous fournissent des premiers renseignements quant aux quartiers choisis
par les institutions françaises. On constate en premier lieu que les endroits cités par le Mi-
nistre de France à La Havane sont tous des lieux prisés par la bonne société : le Prado, « quar-
tier riche » où se situe la Légation, le quartier bourgeois périphérique du Cerro situé au sud-
ouest du centre de La Havane, le Quartier d’affaires élevé à la fin du XIXe siècle autour des
rues Neptuno et Galiano (près de la rue Concordia)58.

56
Courrier du 1er août 1902, Carton n°2 « Établissement de l’indépendance », T.II, mai-décembre 1902, Cuba, C.
P. & C. Nouvelle Série, Affaires Politiques, CADLC.
57
Courrier du 13 janvier 1903, Carton n°3 « Politique Intérieure » T.I, 1903-1909, Cuba, C. P. & C. Nouvelle
Série, Affaires Politiques, CADLC.
58
Chaline, Claude, « La Havane : urbanisme de rupture ou de rattrapage ? », in: Annales de Géographie. 1987,
T.96,n°534.pp.171-185. Consul-
té le 26 septembre 2010 sur : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/geo_0003-
4010_1987_num_96_534_2059.
42
Figure 9: PLAN DE LA HAVANE ET RÉPARTITION DES FRANÇAIS.

43
On constate deuxièmement, en ce qui concerne les quartiers centraux, que les écoles fran-
çaises s’installent dans des rues déjà occupées par des ressortissants français. Les correspon-
dances consulaires mentionnent également l’existence, dans la rue San Rafael, de la « Maison
de santé de Saint-Raphaël » créée et dirigée par un médecin français, le docteur Belot59. Cet
hôpital était chargé, entre autre, de soigner les ressortissants français, en particulier les marins
travaillant sur les transatlantiques et les malades atteints de fièvre jaune et du « vomito ne-
gro », deux maladies sévissant à Cuba avant les grandes mesures d’hygiène prises au début du
XXe siècle sous la coupe des Américains60.

Les références et les détails concernant les rues où vivent les Français restent rares dans les
documents consulaires. En revanche, les récits de voyage, en particulier celui tiré du long sé-
jour de Charles Berchon61 dans l’île, nous fournissent quelques informations permettant de
mieux situer le cadre dans lequel évoluent les Français.

« On arrive à la rue d’O’Reilly, plus propre et suffisamment spacieuse. Le regard du passant plonge
(…) dans d’élégantes vitrines de magasins, dans de jolies salles de restaurants (…). La rue Obispo,
bien entretenue, à la chaussée asphaltée, aux trottoirs cimentés, est considérée comme une des plus
belles de La Havane. En tout cas, c’est là que se trouvent les plus superbes magasins de la ville, qui
exposent dans leurs vitrines les inappréciables objets de nos industries françaises. La lumière tropicale,
filtrée par des stores, en rehausse encore l’élégance et le bon goût. D’ailleurs nous les retrouvons dans
d’autres rues encore, comme celles de San Rafael, de Neptuno, de Galiano, et tant d’autres qui font
le commerce de détail (…). »

La présence de commerces français, visiblement destinés à la vente de produits de luxe ou de


très grande qualité venant de France, explique certainement, ou s’explique par, l’existence
d’un grand nombre de Français vivant dans ces rues. Le choix de beaucoup de nationaux se
porte donc sur des artères commerçantes, bien entretenue et assez richement pourvu. Cela
nous permet de supposer que ces Français appartiennent à une classe sociale relativement éle-
vée dans la mesure où la vie à La Havane, et à Cuba de façon générale, étant réputée chère, la
location ou l’achat de résidence dans ces artères prisées de la capitale doivent l’être autant.
Une supposition renforcée par l’énumération des rues « bourgeoises » à laquelle se livre le

59
Administration Centrale, Affaires économiques & commerciales, Correspondance consulaire & commerciale
(1793-1901), La Havane, Tomes 20 à 26 = 1868 à 1901. Microfilms, CADLC.
60
Guerlac, Othon, « Cuba sous l’administration américaine » in Le Tour du monde, Paris, 1903.
61
Berchon, Charles, « Six mois à Cuba : La Havane » in Le Tour du Monde, Paris, 1907.
44
membre de la Société de Géographie de Paris, des rues situées dans le nord de la capitale, près
du front de mer, et comprenant entre 5 et 10 Français chacune.

« La place de San Juan de Dios est un centre très fréquenté ; c’est une sorte de terrasse plantée
d’aulnes, d’où partent les tramways se dirigeant vers les rues bourgeoises : Cuba, Habana, Aguiar,
Concordia, Consulado, San Lazaro, Manrique, Reina et les rues populaires : Belazcoaïn, Dra-
gones, (…), aux curieuses impasses remplies de réduits ouvriers, ou enfin vers une voie à milles co-
lonnes peintes en bleu, mauve, rose ou vert : la Calzada del Monte (…) une des plus originales de la
ville. »

On note aussi la mention des rues Belazcoaïn (ou Belascoain) et Dragones, qualifiées de
« populaires », elles aussi habitées par quelques Français, sans doute moins aisée que les rési-
dents de la rue Obispo ou du Prado. En ce qui concerne la Calzada del Monte, située au sud-
sud-ouest de la Vieille Havane, elle abrite une petite dizaine de ressortissants français. Elle
amène au faubourg de Jesus del Monte où vivent un petit nombre de ressortissants.

« Un faubourg extrêmement joli par sa nouveauté est le Vedado, longue suite d’avenues somptueuses
et de riches villas exposées à l’air salin. (…) D’autres points attirent une assez nombreuse population :
le Cerro, long faubourg tortueux, dont les maisons confortables sont séparées çà et là par d’agréables
palmiers ; Jesus del Monte, faubourg étendu où les maisons offrent une succession de vérandas
pittoresques à colonnes de bois ; et Regla, faubourg irrégulier, composé de maisons ouvrières. »

Ce panorama des faubourgs de la capitale nous permet de mettre en lumière les petits groupes
de Français qui vivent dans ces quartiers périphériques de la Vieille Havane, un peu en marge
de l’effervescence de la capitale. Le Vedado, situé à l’ouest, le long du Malecón, (front de
mer) compte une quinzaine de résidents français auxquels viennent s’ajouter les membres de
la congrégation des Frères des écoles chrétiennes. Ces derniers ont fondé de nombreuses insti-
tutions dont la plus célèbre, en 1905 au Vedado, le Collège De La Salle, chargé de l’éducation
des garçons. Le Cerro, plus à l’intérieur des terres, héberge, comme on le sait déjà, « le cou-
vent, fort à la mode, des Dames du Sacré Cœur », de même que 5 ou 6 ressortissants français.
Ces derniers sont aussi peu nombreux dans le quartier du Cerro qu’à Jesus del Monte, plus
proche du centre, ou qu’à Regla, quartier portuaire où arrivent navires et migrants, et où se
situe le centre de Triscornia62.

62
Il s’agit d’un centre de réception des immigrants, construit par le général américain Wood en 1900 pendant
l’occupation américaine, sur le modèle d’Ellis Island à New-York, dans le port de La Havane. Il restera là
jusqu’en 1959. Les nouveaux venus y étaient mis en quarantaine, pour une période plus ou moins longue en
fonction de leur provenance et leur niveau d’hygiène, afin d’éviter la propagation de maladies dans l’île. Voir
Gott, Richard, Cuba, A New History, New Haven and London, Yale University Press, 2004.
45
Ce centre, point stratégique pour le Gouvernement cubain et sa « Comisión de Inmigración »,
permet de surveiller et de contrôler l’entrée à Cuba des migrants.

Triscornia est donc la porte d’entrée de l’île, empruntée par tous les migrants français, quelle
que soit leur provenance.

C. Des Français de tous horizons.

Les travaux, cités précédemment, qui s’intéressent à la question de l’immigration française à


Cuba font état des principales sources d’où proviennent ces migrants63. Ces sources sont gé-
néralement au nombre de trois : il s’agit de la France, bien entendu, de l’île de Saint-
Domingue, largement évoquée, et enfin de la Nouvelle-Orléans. On pourrait établir ici une
distinction, entre départ forcé par les évènements et immigration « classique », quant aux mo-
tivations ayant poussé ces Français à choisir Cuba. Les révoltes domingoises et la cession de
la Nouvelle-Orléans par la France au début du XIXe ont certainement poussé les Français ha-
bitant ces régions à trouver refuge dans leur voisinage immédiat, préférant l’île de Cuba à un
retour sans doute onéreux vers la France. Quant aux migrants venus directement de France,
ceux du « second flux migratoire »64 étudié par Laura Cruz Ríos, ils s’inscrivent, tout comme
ceux de Saint-Domingue et de la Nouvelle-Orléans, dans la lignée des premiers aventuriers
venus chercher fortune en Amérique, sauf qu’ils choisissent, parfois dès le départ, de débar-
quer à Cuba. À la fin du siècle, les sources de l’immigration française se diversifient : les mi-
grants français arrivent pratiquement des quatre coins du globe. Ils sont souvent nés à
l’étranger, de parents français, sans doute une des preuves les plus tangibles de la grande mo-
bilité des Français tout au long du XIXe siècle.

63
Cruz Ríos, Laura, Flujos inmigratorios franceses a Santiago de Cuba (1800-1868), Editorial Oriente, Santia-
go de Cuba, 2006; Duharte, Rafael, La présence française à Santiago de Cuba (1800-1868), (trad. Jean La-
more), Paris, Edition L’Harmattan, 1988, …etc.
64
Cruz Ríos, Laura, Ibid., p.86.
46
1. Origines géographiques et provenance des migrants.

L’étude des origines géographiques des migrants français s’articule, comme l’ensemble de ce
travail, autour de la base de données regroupant les 1257 Français immatriculés à Santiago de
Cuba, à La Havane et à Guantanamo, avec la nette prédominance déjà mentionnées des re-
gistres havanais. Deux types de champs ont été utilisés ici pour définir d’une part les pays
d’origine des migrants, et d’autre part pour identifier les pays dont ils proviennent. Les
champs concernant les lieux de naissance (ville et pays/département/colonie) des migrants ont
été utilisés pour procéder au regroupement des Français par pays d’origine ou pays de nais-
sance. Le champ intitulé « Provenance » nous a permis quant à lui regrouper les Français en
fonction du pays dans lequel ils sont partis avant de débarquer dans l’île de Cuba. Ce regrou-
pement pourra éventuellement nous permettre d’identifier les trajectoires suivies par nos mi-
grants.

a. Jus sanguinis ou jus soli ? Les pays de naissance des Français de Cuba.

Savoir où sont nés les Français résidant à Cuba entre les années 1880 et les premières décen-
nies du XXe siècle nous permettra de distinguer les migrants, c'est-à-dire ceux qui ont fait le
voyage jusqu’à Cuba, des descendants des migrants, c'est-à-dire des fils et filles de Français
issus de vagues migratoires plus anciennes. Cela nous permettra également d’identifier, au
sein des migrants, la part de ceux qui proviennent déjà de famille d’immigrés français, perpé-
tuant ainsi une tradition migratoire familiale, à l’instar de ce Paul Lafargue dont le parcours
familial a été retracé par Laura Cruz Ríos65.

D’après les données tirées des registres d’immatriculation, 63% des Français enregistrés se-
raient nés sur le sol français. Qu’ils soient originaires des départements métropolitains ou des
colonies ultramarines de la France, ils sont 786 (sur les 1257 personnes consignés) à avoir
déclaré être né en France. La France arrive donc assez largement en tête des pays de nais-
sance. Cuba se situe, très logiquement, en deuxième position avec 28% des ressortissants

65
Cruz Ríos, Laura, Ibid.
47
français nés sur son territoire, soit 354 personnes. Sur ces 354 personnes, 67% d’entre elles
sont nées dans les principales villes de l’île, en particulier à La Havane qui comptent deux fois
plus de naissances françaises que Santiago de Cuba.

Figure 10: NAISSANCES FRANÇAISES À CUBA.


Villes cubaines Nombre de Pourcentage
naissances (par rapport au
total)
La Havane 104 30%
Pinar del Rio 50 14%
Santiago de Cuba 30 8%
Jovellanos 16 5%
Matanzas 14 4%
Guantanamo 11 3%
Cardenas 10 3%

L’Empire Ottoman représente le troisième lieu de naissance des Français de Cuba avec 34
naissances (3%). Les Ottomans enregistrés dans les diverses agences consulaires ne sont pas
des fils d’immigrés français. Ils sont à 95% des protégés français (les 5% restant n’ayant pas
précisé la nature de leur nationalité), nés pour la plupart (plus de 70%) au Mont-Liban, une
région montagneuse située dans l’actuel Liban. Les Français (ou protégés français) nés dans
l’Empire Ottoman ont fait l’objet d’un traitement particulier : ils n’ont pas été inclus dans le
groupe « France » comme l’ont été les Français nés dans des colonies françaises comme
l’Algérie dans la mesure où la partie de l’Empire qui nous intéresse (le Liban) n’a jamais été
une colonie française et ne sera sous protectorat qu’à partir de 1920.

48
Figure 11: OÙ SONT NÉS LES FRANÇAIS DE CUBA ?

Etats-Unis Suisse
7 3

Porto
Espagne Rico
25 5
Autre
Empire 19
Ottoman Inconnu
34 24

Cuba
354

France
786

L’Espagne, les États-Unis, Porto-Rico et la Suisse ferme le bal avec respectivement 25, 7, 5 et
3 Français nés sur leurs territoires (soit 2% et moins du total). Les 19 des 1257 Français res-
tant sont, quant à eux, nés dans d’autres pays comme l’Argentine, Haïti, l’Italie, l’Allemagne,
l’Autriche, le Brésil, le Chili, les Indes Orientales, Le Pérou, La Prusse, L’Uruguay, l’île de
Trinidad et le Venezuela, auxquels viennent s’ajouter les 24 Français dont le lieu de naissance
n’est pas connu.

L’éventail des origines des migrants français semble donc s’être élargi au fil du temps, ou-
vrant la voie de l’émigration à Cuba à des ressortissants nés loin des rivages de l’île et de ceux
de la France. Il n’empêche que la grande majorité de ces Français proviennent de pays de la
façade Atlantique ou tournés vers cet Atlantique. Le poids écrasant de la France, que l’on re-
marque au vu de ces données, confirme l’idée d’une immigration directe, en droite ligne de-
puis la France. Une idée selon laquelle la grande majorité des Français présents sur le sol cu-
bain entre 1887 et 1914 sont ce que l’on peut appeler des « migrants de première génération »
c'est-à-dire des personnes étant nées et ayant vécu en France, et ayant décidé de venir
s’installer à Cuba, seules ou en famille. Leur appartenance à la nation française étant indubi-
table du fait de leur naissance sur le sol français métropolitain ou ultra-marin.
49
À l’inverse, les 354 Français nés à Cuba (enfants mais aussi époux des migrants) sont autant
de preuves d’une part de l’ancienneté relative de la présence française, puisqu’ils incarnent la
deuxième, voire la troisième génération de Français, et d’autre part, d’un certain enracinement
de ces migrants dans l’île, puisque les naissances, et les mariages, exogames en particulier,
sont le signe d’une solide implantation dans un lieu et d’une intégration dans la population
locale. Une recherche poussée dans les registres des agences consulaires nous démontre que
près de 94% des Franco-cubains ont hérité de la nationalité puisque ces 332 personnes sont
issues d’un ou de deux parents français. On dénombre parmi ces franco-cubains 12 attribu-
tions de la nationalité française par le biais du mariage, 10 personnes dont le mode
d’acquisition de la nationalité française reste inconnu et, assez logiquement, aucune naturali-
sation, dans la mesure où les cas de natifs cubains vivant à Cuba et souhaitant devenir français
ont dû être extrêmement rares.

Le cas des 59 Français nés à l’étranger (les protégés ottomans mis à part) n’est pas à négliger.
Lorsque l’on se penche dans le détail sur les immatriculations de ces derniers, on constate
qu’ils sont peu nombreux à être véritablement étrangers, c'est-à-dire à avoir abandonné une
nationalité autre que française au profit de la nationalité française. Ils ne sont que trois : un
Italien et un Prussien naturalisés français, et une Espagnole devenue française par son ma-
riage. On compte également un bijoutier, né en Espagne, présenté dans les registres comme
étant un protégé français ou plutôt comme « protégé andorran », un certificat lui ayant été
délivré par le Consulat de France à Barcelone. Les 55 personnes restant se sont toutes présen-
tées comme nées à l’étranger de parents Français. Ils sont, à l’instar des migrants français nés
à Cuba, des migrants de seconde génération, des Français ayant acquis leur nationalité par le
sang. Si la naissance de Français sur le sol de Cuba atteste, de façon indéniable, de l’existence
d’une tradition, ou plutôt d’une habitude, migratoire française à destination de l’île, le nombre
de Français nés à l’étranger, même s’il ne représente qu’environ 4% des 1257 Français imma-
triculés, fait état, à l’inverse de ce qui a longtemps été dit par l’historiographie, de pratiques
migratoires, d’expatriations, de mobilités françaises mêmes réduites.

b. Flux directs et flux indirects : les trajectoires migratoires françaises en question.

La comparaison entre les lieux de naissance des migrants, points de départs incontestables de
leurs trajectoires migratoires, et les lieux dont ils disent provenir au moment de leur immatri-
50
culation à Cuba illustre autant, sinon mieux, la complexité de ces mobilités et de ces pratiques
migratoires françaises.

Lorsque l’on jette un œil sur le champ intitulé « Provenances » recensant tous les pays d’où
sont partis les Français pour débarquer à Cuba, on constate que ces pays sont plus nombreux
que les pays de naissance de ces Français. Les pays du continent sud-américain, en particulier,
sont beaucoup plus représentés, même si la France et Cuba conservent leurs monopôles. Ain-
si, on constate que sur les 1257 Français immatriculés entre 1887 et 1914, 516 déclarent venir
directement de France. Nous ne possédons que très peu d’éléments concernant le dernier do-
micile en France de ces migrants. Certains, lors de leur immatriculation ont fourni leurs an-
ciennes adresses mais il s’agit d’informations trop marginales pour figurer dans une étude
sérieuse des régions de départ des migrants. Nous pouvons tout de même donner les grandes
régions françaises qui reviennent le plus souvent dans ces adresses et qui sont : la région pari-
sienne, la région bordelaise, le sud-ouest de la France et les Antilles françaises. Les Français
provenant de Cuba sont 327. Cela peut paraître étrange de répertorier les personnes provenant
de l’île où elles sont déjà mais cette opération a été effectuée dans le but de distinguer les per-
sonnes de nationalité française nées à Cuba ayant quitté l’île avant d’y revenir. 44 Français
viennent des États-Unis, 28 d’Espagne, 23 du Mexique, 18 de Porto Rico, 15 de l’Empire Ot-
toman, 9 du Venezuela et 33 Français viennent d’autres pays (Costa Rica, Argentine, Canada,
Panama, etc.). Tous ces pays sont représentés sur le planisphère qui suit.

51
Figure 13 : ORIGINES DES FRANÇAIS IMMATRICULÉS À CUBA.

France Belgique
Canada
Suisse Légende :

Espagne
États-Unis Italie
Empire
Maroc + 500
Cuba Haïti Ottoman
Algérie
Mexique Saint-Domingue
Porto Rico
Égypte
300 à 400
Costa Rica
Panama Venezuela
Colombie
Océan Atlantique 40 à 50
Équateur
Océan Indien
Pérou 20 à 30
Paraguay
Océan Pacifique
5 à 20
Chili
N -5

Argentine

Fonds de carte :
http://histgeo.ac-aix-marseille.fr/webphp/pays.php?num_pay=106&lang=fr.

52
La confrontation entre le nombre de Français nés dans un pays donné et le nombre de Fran-
çais qui disent provenir de ce même pays nous permet d’évaluer la mobilité de ce groupe de
Français. Par exemple, dans le cas de Cuba, alors que 354 Français sont nés dans l’île, seuls
327 en proviennent. Or, si l’on recense les Français nés et provenant de Cuba, on arrive à 311
individus. Cela signifie donc que plus de 87% des Français de Cuba n’ont pas quitté l’île,
contre 1,9% (7 individus) ayant quitté Cuba pour la France, 1,4% (5 personnes) aux États-
Unis et 8,7% (31 Français) dont on ne connaît pas la provenance. On peut donc conclure que
les Français de Cuba, étant de fait des migrants n’ont pas poussé plus en avant leur expérience
migratoire. Fils d’immigrés français nés à Cuba, il semblerait qu’ils n’ont que peu d’attache
avec la France puisque seuls 7 d’entre eux sortent de France au moment de leur immatricula-
tion. Ces conclusions que nous formulons au vue de la confrontation entre pays de naissance
et pays de provenance ne s’attachent qu’à cette confrontation. Elles ne peuvent être générali-
sées dans la mesure où nous manquons d’informations et de sources nous permettant
d’affirmer clairement l’absence de liens forts entre fils d’immigrés et mère patrie. Du côté de
la France, les chiffres changent également. Alors que les Français nés en France (colonies
comprises) étaient 786, ils ne sont plus que 516 à déclarer qu’ils viennent de France. Le
nombre d’immatriculés nés et venant de France s’élève à 489 soit 62,2% des Français nés en
France. Ils sont 12 (1,5%) à avoir inscrit l’île de Cuba comme lieu de provenance, 125 (16%)
à venir d’ailleurs (États-Unis, Espagne, canada, Mexique, Pérou, Chili, etc…), et on ignore
d’où viennent 160 (20,3%) de ces français nés en France. Cuba et la France ont été pris à titre
d’exemples, en tant que pôles autour desquels se cristallise l’histoire des colonies françaises
de Cuba. Mais les conclusions que nous venons de tirer de ces exemples peuvent s’appliquer à
tous les pays mentionnés précédemment. Le jeu d’écarts entre le nombre de Français vivant à
Cuba nés dans un pays, quel qu’il soit, et le nombre de Français déclarant venir de ce pays se
vérifie dans tous les cas. Des écarts qui vérifient le caractère relativement mobile de la popu-
lation de migrants dont nous nous occupons : si peu de Français ont quitté la France entre la
fin du XIXe siècle et le début du siècle suivant, ceux qui ont franchi le pas n’ont pas hésité à
circuler, principalement à l’intérieur du bassin atlantique. Pour se faire une idée, nous pou-
vons consulter le tableau dans lequel se confronte naissances et provenances placés en dans
l’annexe n°5. Ce tableau, en ce qui concerne les naissances en France, décline ces naissances
par départements ou par colonies, l’occasion pour nous de nous attarder sur le cas des Fran-

53
çais de Cuba né sur le sol français, de ces migrants venus directement des quatre coins de la
mère patrie ou plutôt de l’empire colonial français.

2. La France, principal point de départ.

Comme nous l’avons constaté en traitant les données apportées par les registres
d’immatriculation, la grande majorité (63%) des Français présents sur le sol cubain entre 1887
et 1914, sont des migrants venus directement de France. Il nous faut donc nous intéresser de
plus près à cette majorité : découvrir de quelles parties de la France viennent ces migrants ?
S’il s’agit d’hommes et de femmes issus du milieu rural, ou plutôt du milieu urbain ? Quels
rapports existent entre ces lieux et l’immigration à Cuba ? Etc.… Grâce au champ de la base
de données « Registres d’immatriculation » intitulé « Départements/colonies/pays de nais-
sance », nous avons réussi à identifier les régions françaises, au sens géographique du terme,
où sont nés ces Français immatriculés à La Havane et à les cartographier.

a. Ils arrivent des quatre coins de la France…

Un axe nord-ouest/sud-est se dessine très clairement sur la carte des départements de nais-
sance des Français immatriculés à Cuba, avec une répartition plus ou moins égale des mi-
grants de part et d’autre de cette ligne. On note cependant le poids écrasant des régions du
Grand Sud-ouest de la France qui représente, toutes régions confondues (Gironde, Landes,
Hautes et Basses Pyrénées, Haute Garonne, etc.) près de la moitié des migrants nés en France.
Le département des Basses Pyrénées (ou Pyrénées Atlantiques) regroupe à lui seul 219 per-
sonnes soit près de 28% des 786 Français de Cuba nés en France. Viennent ensuite la Haute
Garonne avec 89 personnes (11,3%) et la Seine, c'est-à-dire Paris et les départements limi-
trophes que sont les Hauts-de-Seine, le Val-de-Marne et la Seine-Saint-Denis, avec 86 imma-
triculés (10,9%). On remarque que les autres départements de l’Île-de-France, en particulier
les Yvelines, ne sont pas comprise dans la dénomination Seine. Il convient de rappeler ici que
les noms des régions françaises utilisés dans le cadre de ce travail ne sont que des reprises des
termes utilisés dans les registres (Basses Pyrénées, Alsace pour le Haut et le Bas Rhin, Seine,
etc.). La Martinique, alors colonie française, est la quatrième région en terme de naissance des
Français de Cuba avec 3,3% soit 26 personnes, suivie de près par la Gironde avec 23 per-

54
sonnes (2,9%) et par la Guadeloupe qui compte 2,2% de naissance, soit 18 Français.
L’Algérie, qui n’est pas représentée sur la carte, et la Corse arrivent respectivement

55
Figure14 : CARTE DES DÉPARTEMENTS OU COLONIES (ANTILLES) OÙ SONT NÉS LES FRANÇAIS.

Royaume-Uni
Royaume-Uni Belgique
Pas-de- Légende :(nombre
Manche
Manche Calais Luxembourg de personnes) : Plus de 200
Nor
Seine Ma-
d Allemagne
ritime Oi
Cal- Meu
Manc
se Meurthe
vados Eur Seine se
he et Mo- 80 à 100
Finis- Sein et
Orne Yve- selleAlsace*
Ille et e Marn Aub
tère Guade-
e lines e e Haute
Vilaine Loir et loupe
Mor- Yon Saône
Loi- Côte d’Or 20 à 30
Cher
bihan ne
Loire Atlan- Main ret
e et Ind Nièv Doub Suisse
tique Loire re Creu re Saôn Marti-
Marti-
Ven- s
Deux e et nique
nique 15 à 30
dée se Loire Haute Sa-
Charente Sèvres
Cha- Rhôn voie
rente Cor- 10 à 15
Océan
Océan Maritime Loir e
Dor- rèze
Sa- Italie
Atlantique e
Atlantique Gi- voie
dogne Lot Can 5 à 10
rondeLot et Ar- Drôm Hautes
tal
Ga- Tarn et Alpes 2à5
Land ronne Ga- Avey- dèche e Alpes Mari-
Gar Vau-
es ronne
Haute ron
Ger d cluse times 1
Ga- Au Hé- Bouch
Basses es du
s ronne Va
Pyré- de rault N
Hautes Rhône
nées r
Pyré- Arièg Pyré- Méditerranée
nées nées Mer Méditer- Corse
Espagne e
Orien- ranée
tales

Fonds de carte : http://histgeo.ac-aix-marseille.fr/webphp/pays.php?num_pay=240&lang=fr

56
aux 7e et 8e rangs des régions françaises ayant fourni des migrants avec 17 et 16 personnes
(2,1% et 2% du total). Les autres départements (Rhône, Ariège, Pyrénées Orientales, Landes,
Charente, etc.) et colonies (Saint-Pierre et Miquelon par exemple, absent de la carte) ne sont
pas en reste, même s’ils ont fourni beaucoup de moins de migrants que les premiers cités.

Si une diagonale du vide se dessine sur la carte de France des régions de naissance des Fran-
çais enregistrés à Cuba, faisant du nord-ouest, du centre et de l’est-sud-est du pays des lieux
de faible émigration, il n’en va pas de même pour les régions situées sur les façades maritimes
tournées vers le sud. En effet, ce que l’on peut qualifier de « ceinture d’émigration » se des-
sine le long des pourtours atlantiques et méditerranéens allant du Morbihan aux Bouches-du-
Rhône, voir jusqu’à la Corse, le tout mené par le département des Basses Pyrénées. La posi-
tion de ces régions sur le territoire français, leurs relations étroites et anciennes avec la mer
en font des régions naturelles de départ. La proximité des grands ports de la façade atlantique
(Bordeaux, Nantes, La Rochelle, Saint-Malo, etc.), l’habitude de la mer pour certains, ont
certainement facilité et/ou encouragé l’émigration dans ces régions. Hormis cette ceinture
d’émigration littorale, il ne semble pas avoir d’autres ensembles logiques de régions de départ
des migrants français, le nord-est ayant moyennement contribué à l’envoi de ces migrants.

Mais il convient cependant de revenir sur la Seine, qui se place de tout de même parmi les
principaux lieux de naissance des Français de Cuba. Le chiffre de 86 Français nés dans cette
zone s’explique par le fait que sous le nom de Seine se cachent en réalité les quatre départe-
ments déjà cités (Paris, Hauts-de-Seine, etc.) et aussi par le fait que la région parisienne, en
raison de sa forte concentration de population, apparaît de fait comme un important lieu de
départ. Au-delà de ces évidences, on pourrait se demander si la population parisienne, à une
époque où le chic parisien est de mise presque partout dans le monde, et particulièrement à
Cuba, n’est pas sollicitée pour subvenir aux envies de chic parisien de ces ailleurs. Quoi qu’il
en soit, seul le département de la Seine nous permet d’affirmer clairement qu’une part des
Français émigrés à Cuba entre 1887 et 1914 était d’origine urbaine. Lorsque l’on observe la
carte dressée par nos soins, on note une participation assez faible des grandes villes françaises
à l’émigration vers Cuba : les départements du Rhône (Lyon), des Bouches-du-Rhône (Mar-
seille), la Loire Atlantique (Nantes), l’Alsace (Strasbourg) n’ont pas fourni plus de quinze
migrants. Seules la Gironde (Bordeaux) et la Haute Garonne (Toulouse) se distinguent avec
des chiffres allant de 20 à 100 migrants partis pour Cuba. On ne peut donc pas affirmer que la
population française ayant quitté la France pour Cuba était majoritairement une population
faite de citadins. Bien au contraire, la prépondérance des régions pyrénéennes nous pousserait

57
à dire qu’il était bien plus question d’une migration de ruraux, reléguant les habitants des
villes au second plan.

Avant de nous pencher un peu plus sur le cas de migrants originaires du sud-ouest, intéres-
sons nous quelque peu aux Français nés dans les colonies ultra-marines que sont la Marti-
nique, La Guadeloupe mais également l’Algérie et Saint-Pierre et Miquelon. Cette dernière,
située à proximité du Canada, n’a fourni qu’un seul migrant qui, assez étrangement, a déclaré
être venu à Cuba depuis l’Espagne. Comme la Guadeloupe et la Martinique, la participation
de cette colonie au mouvement migratoire français à destination de Cuba s’explique certaine-
ment par sa relative proximité avec l’île. Les deux autres colonies, beaucoup plus proches que
la première, ont donc participé beaucoup plus activement aux migrations françaises
puisqu’entre 15 et 30 personnes y sont nées. Si ces chiffres figurent parmi les plus importants
comme on peut le voir sur la carte, il n’empêche que, étant donnée la courte distance qui sé-
pare ces îles, leurs climats assez similaires, leurs économies et leurs agricultures basées sur les
mêmes principes, le rôle des Antilles françaises dans l’immigration française à Cuba semble
avoir été très dérisoire. L’absence d’informations au sujet des circulations intra-caribéennes et
les limites dont font preuve les registres en terme de représentativité de la population fran-
çaise de Cuba nous empêchent d’en savoir plus, et d’émettre des hypothèses quant aux rôles
forts qu’auraient pu jouer ces possessions ultra-marines dans l’immigration française à Cuba.
Peu d’indices dans les immatriculations de ces Français ultra-marins nous permettent de les
identifier clairement : on ne sait pas s’ils sont originaires de l’aristocratie coloniale, si se sont
des membres de la première génération d’hommes libres, descendants des esclaves (rappelons
que l’abolition dans les Antilles françaises a eu lieu en 1848), même si leurs professions nous
laissent deviner à quel monde ils appartiennent. Seul un membre de la famille Pellerin de la
Touche, famille de colons français arrivés plusieurs centaines d’années auparavant, a pu être
identifié. La question de l’identification des migrants, si elle ne revêt que peu d’importance
dans le cas de la Guadeloupe et de la Martinique, est en revanche plus importante dans le cas
de l’Algérie. Rappelons qu’en 1887, la colonisation de l’Algérie par la France n’est vieille
que d’une cinquantaine d’année (contre plus de deux siècles pour les Antilles) et qu’une
guerre de conquête meurtrière vient de s’achever (1830-1875) 66. La liberté de circuler en de-

66
Guillaume, Pierre, Le Monde colonial XIXe-XXe siècle, Paris, Armand Colin, 1999.
58
hors de la colonie, pour une partie de la population, devait, de fait, être bien plus difficile en
Algérie qu’aux Antilles, une difficulté conditionnée par la question du statut des Français
d’Algérie (colons, indigènes, Juifs). Si le Code de l’Indigénat (1881) ne prévoit aucune diffé-
rence entre Antillais et indigènes algériens, tous sujets, et pas citoyens, français, on peut ai-
sément supposer que face à la question de la migration à Cuba, ils n’étaient pas égaux. En
l’absence d’informations relatives au statut de ces migrants venus d’Algérie, seuls une étude,
peut-être hasardeuse, de leurs patronymes, voire de leurs prénoms, peut nous fournir quelques
explications. Parmi ces noms de famille et ces prénoms, on en note plusieurs à consonance
juive : les familles Cohen, Sebah, Vidal mais surtout des prénoms comme Israël, Simon, Ja-
cob ou encore Joseph. Sur 17 Français venus d’Algérie, environ la moitié pourrait être de re-
ligion juive. Seul deux personnes possèdent des prénoms aux consonances arabes (Ramdane,
Rabah), tous les autres ayant des noms très français. On peut donc, à partir de ces observa-
tions, conclure que parmi les Français nés en Algérie et ayant émigré à Cuba on retrouve une
majorité de citoyens français et très peu de sujets, dans la mesure où les Juifs bénéficiaient du
premier statut.

b. …mais surtout du Sud-ouest.

Dans un article intitulé « Les Français à l’étranger. D’un ‘‘modèle colonial’’ à la circulation
des élites », Béatrice Verquin67 présente une carte des départements (métropolitains) d’origine
des Français émigrés à la fin du XIXe siècle, similaire à la notre. Cependant, si dans le cas des
migrants des Français à Cuba, les départements pourvoyeurs d’émigrés étaient ceux des fa-
çades maritimes, il semble qu’à l’inverse, les départements orientaux de la France aient été les
principaux fournisseurs de migrants, toutes destinations confondues. Les deux cartes sont
donc sensiblement différentes à un détail près : le poids incontestable du sud-ouest, en parti-
culier des Pyrénées Atlantiques ou Basses Pyrénées comme on les appelait à l’époque. Il
semble que la prépondérance des individus originaires de ces régions soit une donnée com-

67
Verquin, Béatrice, (Docteur en géographie, membre de Migrinter, Université de Poitiers), « Les Français à
l’étranger. D’un "modèle colonial" à la circulation des élites », Revue Hommes et Migrations.,
N°1233, septembre-octobre 2001 : Nouvelles mobilités. Mis à jour le : 05/03/2008, http://www.hommes-et-
migrations.fr/index.php?id=861.

59
mune à toutes les vagues migratoires françaises vers les Amériques, au point de faire l’objet
de nombreuses études68. Ainsi, par le biais des travaux de Bernard Lavallée sur l’émigration
aquitaine en Amérique Latine, on apprend que les départements du sud-ouest (Gironde et
Basses Pyrénées) font partie des cinq principaux points de départs des migrants Français vers
le Venezuela en 1858, derrière les Haut-Rhin, les Bouches-du-Rhône et la Seine69. Lavallée
n’est pas le seul à souligner le rôle important de ces deux départements, et de ceux du sud-
ouest en général, dans les migrations transatlantiques françaises. Pascal Riviale, dans son ar-
ticle consacré au négociant Félix Dibos70, remarque également que :

« Les départements de la Gironde et de ce que l’on appelait alors les Basses-Pyrénées furent les pre-
miers à envoyer de gros contingents d’émigrants vers les jeunes républiques sud-américaines (…)
points de départ pour tenter une vie nouvelle. (…) Entre 1835 et 1842 l’Uruguay aurait ainsi attiré 13
765 immigrants français, en majorité originaires des Pyrénées-Atlantiques, tandis qu’en 1860 on
comptait déjà 40 000 Basques et Béarnais en Argentine. Le Chili devait également attirer plusieurs
milliers d’individus dont un nombre considérable de Girondins et de Basques qui, pour certains d’entre
eux, firent souche sur place ».

La présence en grand nombre de Basques, Béarnais et autres Girondins n’est donc pas une
exception propre à Cuba. Au contraire, leur présence montre que l’immigration française à
Cuba obéit à une logique d’ensemble, spécifique à la population du sud-ouest français. Le
travail de Riviale nous intéresse à plus d’un titre dans la mesure où la population qu’il étudie
brièvement, les Français ayant migré au Pérou, pourrait s’apparenter aux Français de Cuba,
mais surtout parce que l’auteur base son travail sur l’étude des registres d’immatriculation du
Consulat général de France à Lima.

« Bien que plus marginale encore, l’émigration française au Pérou illustre cette même importance du
Sud-Ouest au sein de ce mouvement migratoire. Les registres d’immatriculation du consulat général
de France à Lima8, que nous avons consultés pour la période s’étendant de 1840 à 1895, fournissent
une liste assez conséquente d’inscrits (plus de 3000 noms), pour lesquels on dispose généralement du
lieu d’origine et de la profession des individus au moment de leur inscription. Ces indications, que

68
Voir : De Charnisay, Henry, L’Émigration basco-béarnaise en Amérique, Biarritz, J&D éditions, 1996
(1947) ; Roudié, Philippe, « Bordeaux port d’émigration lointaine (1865-1918) », in Occupation du sol, n°7,
Université de Bordeaux III, 1982 ; Lavallée, Bernard (Dir.), L’émigration aquitaine en Amérique Latine au
XIXe, Bordeaux, Maison des Pays Ibériques, 1995.
69
Lavallée, Bernard (Dir.), « Bordeaux et l’émigration au Venezuela 1850-1900, contribution à l’étude des
relations franco-vénézuéliennes au XIXe siècle », in L’émigration aquitaine en Amérique Latine au XIXe, Ibid.
70
Riviale, Pascal, "Un négociant français au Pérou au XIXe siècle : splendeur et décadence de Félix Dibos
(1831-1898)", HISTOIRE(S) de l'Amérique latine, Volume 1, 2005 [En ligne 17 novembre 2004].
http://hisal.org/index.php?journal=revue&page=article&op=view&path%5B%5D=2005-3&path%5B%5D=0
60
nous avons relevées systématiquement, permettent d’avoir une vision assez précise de la répartition
géographique de départ des émigrants. Pour la période concernée par ces registres
d’immatriculation, on constate une très large prépondérance des individus originaires du sud-
ouest de la France (…): l’Aquitaine représentant 24,1% du total des Français inscrits au consulat
durant plus d’un demi-siècle et la région Midi-Pyrénées 13,4%, soit 37,5% pour l’ensemble Aqui-
taine-Midi-Pyrénées. »

La colonie française du Pérou, bien plus semblable à celle de Cuba par sa relative modestie
que les autres communautés françaises disséminées en Amérique Latine, nous permet de les
comparer entre elles : tout comme dans le cas cubain, les départements du sud-ouest de la
France sont les principaux points de départ des migrants. À l’échelle des Français nés à Cuba,
l’Aquitaine (Gironde, Landes, Basses Pyrénées, Lot et Garonne, Dordogne) représente 33,2%
et la région Midi-Pyrénées (Hautes Pyrénées, Ariège, Haute Garonne, Gers, Lot, Tarn et Ga-
ronne, Tarn, Aveyron), 15,1% de ce total. Les deux régions recensent donc près de la moitié
des Français de Cuba nés en France (48,3%). Mais à l’échelle de l’ensemble des colonies
françaises de Cuba, ces deux mêmes régions ont fourni 31,2% des migrants soit un pourcen-
tage proche de celui que représentent ces régions dans la population française du Pérou. Un
département en particulier imprime la marque du sud-ouest sur les vagues migratoires à desti-
nation de Cuba : le seul département des Basses Pyrénées (le plus représenté en termes de
migrants) a fourni plus de 17% des 1257 Français de Cuba. Une empreinte d’autant plus im-
portante que la Gironde, elle aussi représentative des régions méridio-occidentales, 2ème au
palmarès des régions d’origine, n’affiche qu’à peine plus de 7% du total.

Peu d’éléments, dans les registres d’immatriculation, nous permettent d’expliquer la forte
présence des Basques, Girondins ou autres Béarnais dans les contingents de migrants se ren-
dant à Cuba, et les travaux qui s’attachent à étudier ces migrations régionales n’en disent pas
plus. Comme dans le cas des migrants français au Pérou, on pourrait dire que « la récurrence
de certaines localités »71 dans les immatriculations, associée à la présence des mêmes noms de
famille, laisse supposer l’existence de formes d’organisations de l’émigration plus ou moins
informelles, de réseaux ponctuels et très localisés dans ces régions. Il semblerait par ailleurs
que la présence de ressortissants du sud-ouest à Cuba entre la fin du XIXe siècle et le début du

71
Riviale, Pascal, « Reconstituer l’histoire de l’émigration française au Pérou au XIXème siècle : les sources en
question. », article présenté lors d’une journée d’études intitulée Les Français et l’Amérique Latine : le XIXème
siècle, organisée par l’EHESS à Paris le 3 juin 2005, 18 p. Article disponible en ligne sur le site de JStor, consul-
té le 21/11/2008.
61
XXe siècle ne soit pas un fait nouveau. Pour Beñat Çuburu-Ithorotz72, spécialiste de
l’émigration basque en Amérique Latine, l’émigration des habitants du sud-ouest français, et
des Basques en particulier, a constitué « un apport fondamental pour la constitution de la so-
ciété cubaine actuelle ». Il semblerait que les Basques aient fait partie des premiers colons de
Cuba, mais aussi, selon l’auteur, des plus grandes familles cubaines :

« De nombreuses familles de la saccharocratie cubaine étaient issues d’émigrants basques installés à


Cuba. Elles amassèrent des fortunes colossales qui furent en partie rapatriées lors de l’indépendance
de Cuba et qui permirent l’injection de capitaux importants dans l’industrie au Pays Basque Sud. Au
XXème siècle, le mouvement d’émigration vers Cuba atteint des chiffres très élevés sans que les
Basques ne figurent parmi les régions les plus pourvoyeuses d’émigrants.»73

Les affirmations de Beñat Çuburu-Ithorotz au sujet des Basques de Cuba nous sont difficile-
ment vérifiables dans la mesure où nous sources ne concernent pas la même période (celle du
développement d’une élite sucrière). De plus, les études déjà citées, relatives aux mouvements
migratoires français précédents, ne semblent pas s’intéresser de façon aussi poussée à l’aspect
régionale, voire clanique, des origines de l’immigration française. En ce qui concerne un
éventuel tarissement des flux migratoires basques au XXe, nous manquons également
d’éléments de comparaisons nous permettant d’infirmer ou de confirmer les dires de l’auteur.

Il n’empêche que la présence des gens du sud-ouest dans les cohortes de migrants français se
voit clairement dans les lieux d’où sont originaires les migrants et s’étend dans la sonorité des
patronymes tels que Mendilahatsou, Harinisquiry, Londaitzbéhère ou Etcheverry. En plus de
constituer le gros des troupes françaises débarquées à Cuba, les migrants du sud-ouest, et par-
ticulièrement ceux des Basses Pyrénées, possèdent d’autres caractéristiques qui n’expliquent
certes pas leur recrudescence dans l’île, mais qui font d’eux des gens à part. Ils possèdent des
profils sensiblement différents de ceux des autres migrants : ils sont jeunes, de sexe masculin
et viennent gagner leur pain.

72
Professeur à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour.
73
Çuburu-Ithorotz, Beñat, « Des tanneurs basques d’Iparralde dans l’orient cubain », article en ligne sur le site
Euskosare :
http://www.euskosare.org/komunitateak/ikertzaileak/ehmg/2/txostenak/des_tanneurs_basques_diparralde_dans_l
orient_cubain/. Consulté le 03/03/2010.
62
II. FAIRE SOUCHE A CUBA ? ENTRE INTEGRATION ET PRE-

SERVATION DE L’IDENTITE FRANÇAISE.

Connaître les colonies françaises de Cuba, suppose, certes qu’on parvienne à les localiser,
mais cela suppose surtout que l’on étudie de façon plus intime les individus qui la composent.
Les profils sociologiques des Français ayant choisi de migrer à Cuba, dans les travaux qui
leurs sont consacrés, ont généralement été assez succincts : des colons/planteurs venus de
Saint-Domingue par exemple, on a souvent retenu le caractère familial de l’émigration, des
travailleurs venus de France par la suite, on s’est contenté de dire que c’était des hommes,
jeunes, venus chercher fortune, l’aspect économique de ces vagues migratoires ayant pris le
dessus dans ces analyses. Il n’est pas question pour nous de nier l’importance de l’activité
professionnelle et/ou de la réussite financière dans le processus migratoires des Français aux-
quels nous nous intéressons. Mais il convient de s’arrêter plus longuement sur la structure
sociale des groupes de Français présente dans l’île, sur les composantes humaines de ces
groupes, l’occasion pour nous d’essayer de mettre en lumière, entre autres, ces migrants de
l’ombre que sont les femmes et les enfants. Malgré leurs absences relatives dans les sources
traitant de leur immigration, ce sont deux éléments clés pour comprendre les processus
d’implantation, d’établissement, qui se mettent en place dès l’arrivée du migrant, quel qu’il
soit et quel que soit son sexe. Mariages et naissances l’enracinent plus ou moins durablement
sur le sol cubain. Et lorsque ces derniers s’effectuent en dehors du cercle culturel et géogra-
phique français, se pose alors la question de maintien, ou à l’inverse, de l’étiolement des liens
avec la France

A. Profils sociologiques des Français .

Les données recueillies dans les registres d’immatriculation des agences consulaires de La
Havane, de Santiago de Cuba et de Guantanamo permettent l’élaboration d’une véritable
grille de lecture des colonies françaises de Cuba. Grâce à divers champs de la base de données
63
« Registres d’immatriculation » (sexe, âge, état civil, nationalité française, etc..) on parvient à
catégoriser les membres de ces colonies et à faire émerger la façon dont elles sont structurées.

1. Étude des genres .

La catégorisation la plus évidente consiste à distinguer la part de la gent masculine de celle de


la gent féminine. Sur les 1257 Français immatriculés entre 1887 et 1914, la répartition par
sexes s’effectue ainsi : 1030 hommes enregistrés contre seulement 225 femmes. En procédant
à une distinction entre enfants et adultes, on obtient la répartition suivante :

Figure 12: RÉPARTITION DES SEXES DANS LA POPULATION FRANÇAISE.


Sexes Nombre
Hommes 799
→ Mineurs74 222
Âge inconnu 0
Sous-total Hommes 1030

Femmes 162
→Mineures 45
Âge inconnu 18
Sous-total Femmes 225

Âge et sexe incon-


nus 2
Total 1257

Les registres d’immatriculation nous donnent à voir une population au sein de laquelle
l’élément masculin domine puisqu’il représente 81,94% des Français immatriculés, contre
17,89% de femmes ; mais également une population majoritairement composée d’adultes
avec 76,45% de personnes majeures (961 individus) contre 21,24% de mineurs.

74
Sont décrits comme mineurs les migrants âgés de moins de 21 ans, âge légal de la majorité à l’époque.
64
Chez les 799 hommes majeurs, la moyenne d’âge est de 356ans, le plus vieil homme immatri-
culé étant âge de 85ans. Seuls 66 hommes majeurs sont sans emploi, ou n’en ont pas déclaré,
soit 8, 3% ; à l’inverse, 91,7% des hommes sont actifs.

Chez les 162 femmes majeures, la moyenne d’âge est plus élevée : elle atteint les 38 ans et
demi, la plus vieille immatriculée ayant 74 ans. Les taux de non-emploi chez les femmes at-
teint les 38,3% dans la mesure où 62 d’entre elles n’ont déclaré aucune profession, ou se sont
déclarées sans profession, ce qui place à 61,7% le taux de femmes actives dans les colonies
françaises de Cuba.

Du côté des mineurs, 11 jeunes hommes (deux de 20 ans, six de 18 ans, un de 19 ans, un de
17 ans et un de 16ans) sont employés ainsi que 4 jeunes femmes (trois de 20 ans et une de
16ans). En ce qui concerne leur âge, la moyenne d’âge chez les filles est d’environ 12 ans
contre 15 et demi chez les garçons. De façon plus globale, l’âge moyen des mineurs apparte-
nant aux colonies françaises est d’environ 15 ans et celui des adultes tourne autour des 36 ans
et demi.

Tous ces chiffres nous permettent de tirer de nombre de conclusions au sujet de nos migrants.
Tout d’abord, comme il a déjà été dit, on remarque très clairement que l’élément masculin
prédomine quelle que soit la catégorie d’âge : chez les adultes comme chez les jeunes, on
compte presque cinq fois plus d’hommes que de membres dudit sexe faible. En se basant sur
l’âge moyen des migrants, on constate que, de façon générale, la population française de Cuba
est jeune (32 ans en moyenne pour les 1257 migrants enregistrés). Mais le détail de ces
moyennes apporte quelques nuances à notre propos et nous autorise à dire que la gent fémi-
nine, en plus d’être sous représentée, est nettement plus âgée que les hommes dans le camp
des adultes. À l’inverse, les jeunes filles, encore moins nombreuses que leurs aînées, sont
beaucoup plus jeunes que leurs acolytes masculins. Les inégalités hommes/femmes se pour-
suivent dans les taux d’emploi et de non-emploi qui voient, là encore, se manifester la pré-
pondérance masculine. Laissons momentanément de côté la guerre de sexes, et penchons-
nous sur ce que nous disent les moyennes d’âge de nos migrants : si dans la catégorie des ma-
jeurs, ces moyennes font de la population française un ensemble jeune, l’âge moyen des mi-
neurs (15 ans) témoigne d’une relative vieillesse de ces jeunes. En effet, lorsque l’on sait que
l’âge des jeunes migrants va de 0 à 20 ans, cette moyenne élevée, plus proche des 20 ans dé-
montre l’absence d’un nombre important d’enfants en bas âge. L’exact inverse est valable

65
pour le groupe des majeurs : sachant que les migrants appartenant à ce groupe ont entre 21 et
85 ans, une moyenne d’âge de 36 ans et demi est une preuve formelle de la jeunesse de ce
groupe. Avec des enfants âgés d’une part, et des adultes jeunes de l’autre, il apparaît claire-
ment que les Français de Cuba n’occupent que très peu les extrémités de l’éventail des âges. Il
nous semble difficile d’expliquer totalement ce profil si tranché de la population française de
Cuba que nous offrent les registres. Néanmoins quelques éléments d’explication peuvent être
fournis. Il convient avant tout de rappeler que, d’une certaine façon, les registres
d’immatriculation consulaires ne nous permettent d’observer les communautés françaises que
par « le petit bout de la lorgnette » c'est-à-dire ici qu’ils nous empêchent, non pas de voir les
choses essentielles, mais qu’ils occultent une assez large part de la population. Ainsi
l’absence significative des femmes peut être imputée au manque d’exhaustivité des registres.
Pascal Riviale75, dans le cadre de son travail consacré à la population française au Pérou, a
utilisé les mêmes registres d’immatriculation et a, lui aussi, fait l’expérience des limites de ces
registres.

« Il convient de souligner une autre cause de lacune dans ces registres d’immatriculation. Générale-
ment seuls les hommes adultes viennent s’inscrire au consulat, soit des hommes seuls, soit des chefs
de famille. Les femmes n’apparaissent que rarement, de même que les enfants. »

Le contenu des registres, déterminé par les pratiques que l’on peut qualifier de phallocra-
tiques, exclut de fait les femmes et tendent à passer sous silence leurs éventuels rôles dans les
processus migratoires et dans la vie des colonies. Le fort taux de non-emploi des femmes affi-
ché en est la preuve : en accord avec François Battagliola76, on peut affirmer que le nombre
important de femmes enregistrées et considérées comme « sans emploi » s’explique par le fait
que le travail féminin était peu ou pas reconnu. Ainsi, les femmes, de même que les enfants,
étaient souvent classés sous la profession du chef de famille, en particulier lorsqu’elles exer-
çaient le même métier que leur mari. Cette pratique était courante dans les familles
d’agriculteurs, où l’aide apportée par la femme ne comptait pas comme un métier. Il était

75
Riviale, Pascal, « Reconstituer l’histoire de l’émigration française au Pérou au XIXème siècle : les sources en
question. », article présenté lors d’une journée d’études intitulée Les Français et l’Amérique Latine : le XIXème
siècle, organisée par l’EHESS à Paris le 3 juin 2005, 18 p. Article disponible en ligne sur
http://www.ehess.fr/cena/colloques/2005/francais/riviale.pdf. Consulté le 21/11/2008.
76
Battagliola, Françoise, Histoire du travail des femmes, Paris, La Découverte, Collection Repères, 2004.
66
donc impossible de déterminer si « la part qu’elles prennent à l’exploitation est notable ou
insignifiante ». De plus, jusqu’à la fin du XIXe siècle, les domestiques et les mères ou foyer
était classées dans la même catégorie, celle de la domesticité, bien que les domestiques soient
rémunérés. Même lorsque les femmes travaillent, il reste difficile de les catégoriser : les
femmes ont souvent, à cette époque, plusieurs activités, loin de la traditionnelle notion de
profession, propre au travail masculin. Les activités des femmes, loin de se réduire à celles du
foyer, s’ajoutent aux métiers qu’elles exercent, participant, selon l’auteur à la séparation entre
le foyer et le travail, et sont devenues, par extension, génératrices de différences entre homme
et femmes. L’absence relative des femmes dans les registres consulaires n’a d’égale que celle
des enfants et des personnes âgées dont le petit nombre a déjà été remarqué. On peut supposer
que, dans le cas des enfants, considérés souvent, au même titre que les femmes, comme quan-
tité négligeable, les chefs de famille n’aient pas jugé utile de les enregistrer systématique-
ment. L’immatriculation étant parfois payante77, l’inscription aux registres de toute une fa-
mille pouvait s’avérer assez onéreuse, en particulier pour les petites bourses d’où certaine-
ment l’absence dans ces registres des membres moins importants de la famille. Dans le cas
des personnes âgées, d’autres raisons peuvent motiver leur absence. On peut supposer, en ce
qui concerne les migrants de longue date, peut-être devenus plus cubains que français, la
question de l’inscription ne se pose plus avec la même intensité que pour le jeune aventurier
fraîchement débarqué et encore tout imprégné de la France.

2. Classes d’âges

Une étude par classe d’âge de la population enregistrée auprès des autorités consulaires fran-
çaises, et donnant les grandes caractéristiques de ces classes d’âge, nous permettra de con-
naître dans les détails la structure de cette population française. Neuf groupes d’une décennie
chacun ont été constitués allant de 0 à 90 ans (les Français immatriculés étant âgés de 0 à 85
ans), des groupes auxquels s’ajoutent celui des migrants dont on ne connaît pas l’âge (âge non

77
L’immatriculation dans les registres consulaires coûtait entre 5 Francs et 6,25 Francs soit 18 €uros et 22,5
€uros (conversion basée sur la valeur du franc en 1909 : 1 franc = 3,60 euros d’après l’indicateur de l’Insee -
http://www.insee.fr/fr/themes/indicateur.asp?id=29&type=1&page=achatfranc.htm ).

67
reporté et/ou absence de date de naissance). Ces classes d’âge, réunissant la totalité des 1257
personnes immatriculées dont 1228 dont l’âge est connu, ont été regroupées dans le tableau
récapitulatif ci-dessous. Ce tableau présente en premier lieu le nombre de personnes apparte-
nant à chaque classe d’âge, puis la répartition par sexes de ces personnes. Viennent ensuite le
pays de naissance et la ville de résidence de la majorité des Français compris dans chaque
tranche d’âge. Enfin nous avons procédé à une catégorisation des individus relevant de
chaque tranche d’âge en fonction de leur statut matrimonial, renseigné grâce au champ « État
civil » de la base de données « Registres d’immatriculation ». La grille de lecture des colonies
françaises de Cuba que représente ce tableau récapitulatif s’achève par une colonne et une
ligne de totaux, dont la première n’est qu’une réplique du nombre de migrants par classe
d’âge, mais dont la seconde (la ligne des totaux) permet de retracer brièvement l’essentiel des
grands traits de la population française.

68
Figure 13 : RÉPARTITION DES MIGRANTS PAR TRANCHES D’ÂGE ET CARACTÉRISTIQUES DE
CES ÂGES.78

Principal Principale
Nombre
H*79 F* pays de ville de rési- M**80 C** V** D** I** TOTAUX
d'immatriculés
naissance dence
0-10
56 40 16 Cuba La Havane 0 56 0 0 0 56
ans
11-20
211 182 29 France La Havane 3 148 0 0 60 211
ans
21-30
378 313 65 France La Havane 45 81 3 0 249 378
ans
31-40
288 257 31 France La Havane 93 64 7 3 121 288
ans
41-50
158 131 27 France La Havane 53 37 9 1 58 158
ans
51-60
98 72 26 France La Havane 36 13 13 0 36 98
ans
61-70
24 15 9 France La Havane 7 3 8 0 6 24
ans
71-80
14 10 4 France La Havane 6 0 6 0 2 14
ans
81-90
1 1 0 France Pinar del Rio 0 0 1 0 0 1
ans
Âge
29 9 18 Cuba Guantanamo 6 0 4 0 19 29
inconnu

TOTAUX 1257 1030 225 249 402 51 4 551 1257

La distribution des Français immatriculés par tranches d’âge vient confirmer nos propos au
sujet de leur répartition sur l’éventail des âges : les deux catégories les moins représentées

78
Les couleurs chaudes (rouge, orange) signalent les chiffres les plus importants et les couleurs froides (verts)
les chiffres les plus bas.
79
*Répartition des migrants en fonction de leur sexe : H = Homme, F = Femme.
80
** Statut matrimonial des migrants : M = Marié(e), C = Célibataire, V = Veuf(ve), D = Divorcé(e), I = Incon-
nu.

69
étant celle des plus de 60 ans (ils ne sont que 39) et celle des enfants de 10 ans et moins. Ces
deux groupes qui réunissent pourtant quatre tranches d’âge sur dix ne représentent même pas
8% de la population française de Cuba. À titre de comparaison, un article au sujet du recen-
sement de 1907 à Cuba publié dans la revue de la Société royale belge de géographie, fait état
d’observations suivantes au sujet de la population cubaine.

« Les enfants en-dessous d’un an forment 3,2% de la population totale (…) ; ceux de moins de cinq
ans, 16,8% (…). D’autre part, le nombre des personnes d’un âge avancé est minime. Celles de plus de
cinquante ans n’interviennent que pour 10% (…). Le nombre des enfants en âge d’école, de cinq à dix-
sept ans, [forme] 26,4% de la population totale (…). Les personnes âgées, surtout dans les classes
ignorantes ont tendance à exagérer leur âge. À Cuba, 0,2% des blanc se donnent quatre-vingt ans et
plus. »81

Si l’on compare ces chiffres à ceux de la population française, on note qu’il existe certaines
similitudes entre les deux populations, toutes les deux relativement dépourvues d’enfants et
de personnes âgées, les données étant cependant moins importantes du côté français, compo-
sante mineure de la population cubaine. Chez les Français comme à Cuba, d’une façon géné-
rale, les enfants sont peu nombreux : 1,6% d’enfants âgés d’un an et moins, 5% d’enfants 5
ans et moins et 8,7% de jeunes âgés de 5 à 17 ans. Les enfants français sont donc encore
moins nombreux que les enfants cubains. Si les registres peuvent être incriminés en ce qui
concerne l’absence significative de jeunes français, Pasteyns considère, en revanche, que le
peu de jeunes enfants dans l’île est « la conséquence de la guerre [d’indépendance] et du sys-
tème de reconcentration qui firent tant de victimes parmi les enfants en bas-âge ». Il semble-
rait que la guerre hispano-américaine ait eu des conséquences sur le nombre de personnes
âgées cubaines qui avoisine celui des Français, les migrants français de plus de 50 ans repré-
sentant environ 11% de la population totale et le seul octogénaire 0,08%. Aucune donnée sur
les pertes humaines françaises au cours de la guerre ne nous est parvenue, mais il nous semble
fort peu probable que les Français aient eu à pâtir, sur le plan humain, de cette guerre, renfor-
çant par là notre hypothèse, déjà validé par Riviale, que les registres d’immatriculation ne
donnent à voir qu’une partie de la population française dont ne font pas partie les plus jeunes
et les plus âgés. Une hypothèse qui s’illustre également, en ce qui concerne les femmes, dans
la colonne du tableau qui leur est réservée : la prépondérance masculine s’exprime clairement

81
Pasteyns, Fr., « Cuba – Les résultats du recensement de 1907 », in « Chronique Géographique » du Bulletin
de la Société royale belge de géographie, n°1 janvier-février, 33e année, Bruxelles, 1909, p.79-82. Publié à
l’origine dans The Scottish geographical magazine (Avril 1908). Consulté le 26 avril 2010 sur
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1077055.image.r=Cuba.f82.langFR.hl.
70
dans ces chiffres qui montrent que les hommes sont entre deux et huit fois plus nombreux
dans chaque classe d’âge que les femmes. Cela se vérifie particulièrement chez les catégories
de jeunes actifs c'est-à-dire entre 21 et 40 ans. Il semble que cette hégémonie des hommes
chez les migrants, même si elle est accentuée par les pratiques liées aux immatriculations, est
significative des populations migrantes à Cuba puisque Pasteyns indique que « pour la popu-
lation indigène, les sexes s’équilibrent à peu près, tandis que l’élément masculin forme les
quatre cinquièmes de la population étrangère »82. En plus d’être essentiellement masculine, la
population française de Cuba est également assez jeune puisque plus de la moitié (53%) de la
population appartient aux 21-30 ans (30%) et aux 31-40 ans (23%). Ces deux tranches d’âge
regroupent le plus grand nombre de migrants hommes et femmes, ainsi que le plus grand
nombre de migrants dont le statut matrimonial est inconnu.

La mention « inconnu » dans le champ « État Civil » a été retenue afin de catégoriser tous les
migrants dont le statut matrimonial n’avait pas été clairement spécifié dans les registres : si la
mention d’un mariage ou d’un veuvage est clairement faite dans les registres (par le biais d’un
nom du conjoint, des pièces présentées lors de l’immatriculation ou tout simplement dans la
case réservée à cet effet), cela n’est pas systématiquement le cas du célibat. En effet, et le
nombre de célibataires, en particulier chez les 21-30 ans, en atteste, la précision du célibat
(c'est-à-dire absence totale de mariage, de divorce et/ou de veuvage) d’un migrant a été assez
rarement, à notre avis, reporté dans les registres. De ce fait, la case « inconnu » recèle un
nombre très certainement important de migrants arrivés à Cuba en tant que célibataires mais
dont la case réservée au statut marital n’a jamais été remplie. Si l’on part du principe que
presque tous les migrants dont la situation maritale n’est pas connue sont en réalité céliba-
taires (c'est-à-dire jamais mariés, excluant par là les veufs et les divorcés), on parvient à l’idée
que le célibat des migrants est une caractéristique majeure de la population française de Cuba,
en particulier chez les jeunes âgés de 20 à 30 ans. La répartition des migrants en fonction de
leurs statuts et des classes d’âge auxquelles ils appartiennent semble obéir à une logique ex-
trêmement simple qui correspond à l’évolution de ce statut avec l’âge. Ainsi, les plus jeunes
(11-30 ans) sont majoritairement célibataires, les hommes et femmes d’âge moyen (31-50
ans) sont en général mariés ou divorcés, et les veufs se retrouvent chez les personnes d’un âge

82
Pasteyns, Fr., « Cuba – Les résultats du recensement de 1907 », Ibid.

71
avancé (41-70 ans). On note cependant quelques exceptions à ce schéma comme les trois
jeunes migrants (deux jeunes hommes de 16 et 20 ans, une jeune fille de 18 ans) mariés et les
10 jeunes veufs (4 hommes et 6 femmes) âgés entre 25 et 39 ans. Les profils matrimoniaux
français ne semblent pas différer beaucoup de ceux en vigueur dans l’île au début du XX e
siècle, si ce n’est peut-être sur la question du divorce :

« Il n’y a point de personnes divorcées à Cuba, l’église catholique ne tolérant pas le divorce. En
revanche, les unions consensuelles ou mariages consensuels sont très nombreux. Ces termes dési-
gnent l’homme et la femme vivant ensemble sans avoir passé par la cérémonie du mariage, dont le
prix, fixé par l’église, est trop élevé pour les classes pauvres. (…) Les personnes mariées légalement
comptent pour 20,7% de la population. (…) Les célibataires forment 66,8% de la population, les
veufs seulement 3,9% seulement. En classant les célibataires suivants l’âge, on remarque que ceux
d’un âge moyen sont les moins nombreux, avec l’âge le nombre s’accroît. C’est la conséquence des
unions consensuelles. Quand un des contractants meurt, le survivant est rangé parmi les célibataires et
non parmi les veufs. »83

Les données concernant la population française correspondent pratiquement à la réalité insu-


laire si l’on se fie aux chiffres de la Société royale belge de géographie, basés sur le recense-
ment de 1907. On constate en effet que les personnes mariées forment 20% de la population
française et les veufs comptent pour 4%. En ce qui concerne les célibataires, les chiffres va-
rient entre 32% et 75%, en fonction de la prise en compte ou non de la part de migrants dont
le statut est inconnu. Partant du principe que nombre d’entre eux étaient certainement céliba-
taires, le pourcentage de célibataires français se rapprocherait alors davantage de celui de la
population cubaine. Concernant les 4 français divorcés (0,3% de la population), l’affirmation
de l’auteur clamant l’inexistence de personnes divorcées dans l’île, sans doute fondée, fait de
nos migrants des figures d’exception. Le divorce, encore très rare en France puisque rétabli en
1884, interdit à Cuba par l’Église et par les articles du Code Civil espagnol de 1889 en vi-
gueur réglementant la vie conjugale jusqu’en 191784, est effectivement un fait absolument
rare dans l’île. À l’inverse, les « unions consensuelles » dont parle l’auteur attirent notre at-
tention. Aucune donnée en notre possession ne nous permet d’affirmer que l’union consen-
suelle (c'est-à-dire en dehors de tout cadre légal ou religieux) était un fait très répandu en

83
Pasteyns, Fr., « Cuba – Les résultats du recensement de 1907 », Ibid.
84
Menendez, E., « La capacité civile de la femme mariée à Cuba », Revue internationale de droit comparé,
1952, vol. 4, n°2, pp.310-312. Consulté le 3 septembre 2010.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ridc_0035-3337_1952_num_4_2_8815.
72
France, ni qu’il en était question dans les colonies françaises de Cuba. Cependant, la part éle-
vée des célibataires, particulièrement lorsque l’on prend en compte celle des « inconnu »,
laisse supposer l’existence de telles pratiques en particulier dans les classes d’âge où se si-
tuent les jeunes et les adultes actifs (21-30 ans et 31-40 ans).

La présence marquée de ces adultes et jeunes adultes correspond à l’idée que l’on se fait tradi-
tionnellement du migrant jeune, célibataire (en général) et travailleur, venu gagner sa vie aux
Amériques. Pour cause, on note que ces deux classes d’âge regroupent à elles seules plus de la
moitié des migrants (52%) mais surtout qu’elles concentrent plus de la moitié des personnes
ayant déclaré une activité : les actifs âgés de 21 à 40 représentent 60% des 993 migrants dotés
d’une profession. À l’intérieur de ces classes d’âge, ils sont 88% à travailler sur un total de
666 personnes. À titre de comparaison, dans les tranches allant de 0 à 20 ans, sur 267 per-
sonnes 155 travaillent soit 6% de ces classes d’âge et 15% des actifs français. Chez les mi-
grants âgés de 41 à 60 ans, 218 sont des hommes et des femmes actifs sur un total de 256 per-
sonnes, soit 85% de cette tranche d’âge et 22% de la population française. Les plus âgés
(entre 61 et 90 ans) participent aussi puisque sur 39 personnes, 29 affirment exercer une pro-
fession, soit 74% de ces catégories, ce qui représente 3% des tous les actifs français.

Concernant les actifs, une donnée est commune à toutes les classes d’âge : comme nous
l’avons maintes fois souligné, les femmes sont toujours sous-représentées dans ces données.
Dans les tranches d’âge les plus actives, elles ne comptent que pour 10% des actifs (seules 60
femmes travaillent chez les 21-40 ans). Dans les autres tranches (0-20 ans, 41-60 ans et 61-90
ans) elles forment respectivement 2,5%, 15,5% et 17% des actifs. Rapportés au total de 993
personnes ayant déclaré une activité, elles comptent pour 6% (21-40 ans) ; 0,4% (0-20 ans) ;
3,4% (41-60 ans) et 0,5% (61-90 ans) de leurs catégories soit environ 10,5% de tous les actifs.

Si les 17,89% de femmes que comptent les colonies françaises, ne représentant que 10,5% des
Français travaillant à Cuba, sont pour nous autant de preuves de la sous représentation, dans
les données consulaires, dont elles sont victimes, pour Pascal Riviale, plus optimiste que
nous, les 22,09% de Françaises comprises dans la population française du Pérou 85 (un peu
plus nombreuses qu’à Cuba) sont la « preuve que cette immigration n’est plus seulement mascu-

85
Ils sont, selon Riviale, 2693 Français dont 595.
73
line, mais que des familles entières émigraient. Se trouvent également parmi cette population fé-
minine des femmes seules (veuves ou célibataires) venues chercher une vie meilleure ».

B. La famille française en exil : mariages, naissances et imm i-

gration.

En va t-il de même pour les Français à Cuba que pour les migrants au Pérou ? Les vagues
migratoires françaises qui arrivent à Cuba étant essentiellement composées d’hommes, les
femmes étant sous-représentées, une question se pose à nous : celle de la place de la famille
dans le processus migratoire. Il nous faut savoir, lorsque la construction de la famille du mi-
grant est antérieure au départ, quelle place lui est réservée ? À l’inverse, lorsque le migrant
arrive seul à Cuba, qu’elle attitude adopte t-il dans la mesure où, dans le cadre de la migra-
tion, se pose la question de la sédentarisation dans le pays d’accueil ? Les choix matrimoniaux
des migrants français à Cuba, entre endogamie et exogamie, impliquent à la fois leurs préoc-
cupations en matière d’intégration et leurs volontés de préserver leurs spécificités c'est-à-dire
leur identité nationale ou régionale.

1. Statuts matrimoniaux et familles.

En ce qui concerne l’immigration familiale, les colonies françaises de Cuba ne sont pas en
reste, même si les migrants arrivés dans l’île avec époux et enfants ne pas très nombreux. Lors
de l’élaboration de la base de données sur laquelle s’appuie ce travail, nous avons pris la déci-
sion d’intégrer un champ binaire (Oui/Non) nommé « Parent » à cocher si le migrant, lors de
son immatriculation se présentait en tant que chef de famille (identifié en tant que tel par les
prénoms des enfants et/ou de l’épouse retranscrits, voire leurs dates de naissances ou de ma-
riage, le livret de famille présenté ou les certificats de naissance des enfants, etc..). La rareté
des femmes en tant que migrantes sujettes à une immatriculation individuelle que nous
n’avons eue de cesse de décrier, tend, dans le cadre de la migration en famille à s’estomper
dans la mesure où les femmes, si elles sont absentes individuellement, figurent dans la collec-
74
tivité puisqu’elles apparaissent en tant qu’épouses. Partant de ce fait, on pourra revoir à la
hausse le nombre de femmes faisant partie de la population française de Cuba en y ajoutant
ces épouses immatriculées indirectement en même temps que leurs maris et dont la présence à
Cuba est avérée. Cette présence effective est importante dans la mesure où il est parfois fait
mention dans les registres d’épouses mais qui sont restées en France ou dans le pays d’où
provient le migrant avec une partie ou la totalité des enfants. Ainsi, si ces femmes présentes
aux côtés de leurs époux à Cuba n’ont pas fait l’objet d’une immatriculation individuelle, on
pourra dire qu’il y a autant de femmes françaises (par la naissance ou le mariage) qu’il y a
d’hommes mariés et/ou pères de famille puisqu’en effet, le mariage n’est pas le seul indica-
teur de la présence éventuelle d’une femme, l’existence d’enfants étant elle aussi une preuve
assez sûre.

Les registres des agences consulaires de La Havane, de Santiago de Cuba et de Guantanamo


présentent 191 personnes identifiées comme étant des chefs de famille soit seulement 15,2%
des membres de la population française. Les champs « Nombre de personnes comprises »
chargé officieusement de compter tous les migrants contenus dans les registres, qu’ils aient
fait l’objet d’un enregistrement à leur nom ou d’un enregistrement collectif (c'est-à-dire d’une
immatriculation de la famille sous un seul nom), nous indique que nos 191 familles représen-
tent un total de 699 personnes (38,2% des 1830 personnes immatriculées officieusement) por-
tant à 3,7 le nombre moyen de personnes par famille.

Figure 14: RÉPARTITION DES FAMILLES DE MIGRANTS EN FONCTION DU NOMBRE DE LEURS


MEMBRES.
Nombre de membres dans
Nombre de familles TOTAL
la famille

1 26 26
2 33 66
3 44 132
4 37 148
5 18 90
6 11 66
7 10 70
8 7 56
9 5 45
Total 191 699

75
Le tableau précédent présente les familles françaises réparties en fonction du nombre de per-
sonnes qui composent ces familles. On constate que la structure familiale la plus courante se
compose de trois migrants qui sont, très certainement, les deux parents et un enfant. Viennent
ensuite les familles de 2 et 4 personnes c'est-à-dire des couples sans enfants et des couples
avec 2 enfants. La taille modeste de ces familles (qui représentent à elle seules près de la moi-
tié des familles de migrants) fait écho au l’absence assez significative de jeunes enfants rele-
vée précédemment : le fait que les migrants Français aient pour la plupart peu ou pas
d’enfants se répercute sur la morphologie de la population française. Cette absence de jeunes
personnes dans les colonies peut s’expliquer également par un autre phénomène déjà men-
tionné et qui apparaît assez nettement dans le tableau : l’immigration d’un parent en tant que
chef de famille mais dont la famille n’a pas pris part au voyage. L’existence de familles com-
posées d’une seule personne peut surprendre mais s’explique, entre autre, par la présence de
ces migrants à la tête d’une famille mais venu seuls à l’occasion d’un séjour plus ou moins
long dans l’île. Jean Bernard Aurignac, migrant français immatriculé à La Havane le 4 août
1896 est l’un de ces chefs de famille venus seuls dans l’île. Ce lithographe toulousain de 40
ans, arrivé à Cuba un an avant son immatriculation, est marié et père de famille mais il est
mentionné dans le registre que femme et enfants sont restés en France. Beaucoup de ces mi-
grants présentés comme seuls membres d’une même famille sont en réalité apparentés. Il peut
être question d’une famille dont les membres ont été enregistrés individuellement et/ ou à une
époque différente mais dont la parenté à été signalée en remplissant le champ « Parent ».
Parmi ces personnes, on trouve des veuves, inscrites précédemment avec leurs époux, des
mères et des filles, comme Victoria Taret (55 ans, couturière originaire des Basses Pyrénées)
et sa fille Jeanne Henriette Lavergne (27 ans, née à Bordeaux), arrivées ensemble à Cuba le11
mars 1910. La mère a été signalée comme parent, mais la fille étant enregistrée à part et
n’ayant pas le même nom, Victoria Taret est considérée, à tort, comme seul membre de la
famille. Il s’agit dans quelques cas d’époux immatriculés individuellement mais dont le nom
et le nombre des enfants ne figurent pas (ou ne figurent plus) sur les registres, comme dans le
cas de Cécilio Foudin et de sa femme Aurélie Foudin Savon, immatriculés individuellement
mais sous le même numéro (N°9 Registre de Guantanamo) dont la progéniture n’a pu être
prise en compte86. On trouve également le cas de la famille Trocmé de Guantanamo : le père,

86
La vétusté du registre et ses lacunes sont ici responsables de la corruption des données.
76
la mère et le fils ont fait l’objet de trois immatriculations distinctes, les parents ont chacun été
signalés comme chef de famille (constituant à eux seuls deux familles monoparentales) alors
qu’en réalité nous n’avons affaire qu’à une seule famille de trois membres. Les errances de ce
genre dans la base de données sont assez rares, mais elles doivent être soulignées. Elles sont
peut-être dues à un défaut de conception de la base, mais elles peuvent également être impu-
tées aux lacunes des registres, et au caractère très ponctuel des enregistrements qui participe à
leur donner un aspect figé que l’extrême plasticité de la base de données ne parvient pas tou-
jours à surmonter.

Les familles nombreuses présentes dans le bas du tableau, si leur nombre est moins important,
représentent tout de même plus de 34% des familles françaises. Peu de choses distinguent ces
familles des autres si ce n’est que sur les 33 chefs des familles les plus nombreuses (de 6 à 9
enfants) on compte une large part d’individus mariés : ils sont 26, contre 4 veufs et 3 per-
sonnes dont le statut matrimonial est inconnu. Peu d’éléments en notre possession nous per-
mettent de mesurer la rareté, ou au contraire la fréquence, de telles structures familiales, si ce
n’est un chiffre : d’après les publications de l’Institut National de la Statistique et des Études
Économiques (INSEE)87 et de l’Institut National d’Études Démographiques88 sur la fécondité
des femmes françaises, dans les années 1900, le nombre moyen d’enfants par femmes oscillait
entre 2 et 2,5 enfants. Il semblerait, si l’on mesure les naissances au sein de la population
française à l’aune de ce chiffre, que les Français de Cuba, malgré le faible nombre de familles
enregistrées, soient plus productifs que la moyenne puisqu’il a été question de 3,7 enfants par
famille. La prudence nous impose de ne pas aller plus loin dans nos supputations faute de
connaissances et d’éléments de référence sur le sujet. Il serait bon, en revanche, de se pencher
un peu plus sur la question du statut matrimonial.

87
Daguet, Fabienne, « La Fécondité au cours du XXe siècle », Insee Première, n°873, Division Enquêtes et
Études Démographiques, Insee, Décembre 2002. http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/ip873.pdf , Consulté le 18
août 2010.
88
Toulemon, Laurent, « Combien d’enfants ? Combien de frères et sœurs depuis cent ans ? », Populations &
Sociétés, Bulletin mensuel d’information de l’Ined, n°374, Décembre 2001.
http://www.ined.fr/fichier/t_telechargement/25513/telechargement_fichier_fr_publi_pdf1_pop_et_soc_francais_
374.1.pdf , Consulté le 18 août 2010.
77
Chez nos 191 chefs de famille, on trouve 38 femmes et 153 hommes. Le nombre bien plus
important d’hommes n’est plus une surprise puisque, comme nous l’avons dit précédemment,
beaucoup d’immatriculations ont été faites au nom du ou des hommes de la famille.

Sur les 38 femmes immatriculées en tant que mères de famille, seules 6 d’entre elles sont
mariées : elles font presque toutes partie de ces femmes immatriculées seules mais arrivées à
Cuba avec leur époux et leur progéniture. Sur ces 6 femmes, les époux de 5 d’entre elles sont
présents dans la base de données, et pour certaine tous leurs enfants. Tel est le cas de la fa-
mille Borghi dont les parents Ange et Angèle, arrivés de Corse certainement ensemble, ont
pris la décision d’immatriculer tous les membres en septembre 1895. Les parents Borghi, en-
registrés de façon individuelle, ont tous les deux été classés dans la case « Parent » du fait de
la présence de leurs 5 fils dans les registres, et par conséquent, ils comptent, tout comme les
quatre autres femmes et leurs époux respectifs, pour deux chefs de famille. En ce qui con-
cerne la sixième femme mariée, le nom de son époux n’étant pas fourni, il ne nous est pas
permis de savoirs si elle s’inscrit dans la même logique que ses consœurs.

À ces mères de famille mariée s’ajoutent 5 femmes dont le statut matrimonial est inconnu, 2
mères divorcées, 2 célibataires et 23 veuves. Les 2 migrantes divorcées sont âgées de 44 et 38
ans, se sont des femmes actives (une ménagère et une couturière) arrivées en 1901 et 1910 de
Paris. Elles ont chacune un enfant et résident à La Havane (rue Aguila et rue Chacon). Les
mères célibataires sont plus jeunes (28 et 26 ans), elles travaillent toutes deux dans le textile
(modiste et couturière). L’une vient de France et l’autre et la fille d’un migrant français inscrit
sur les registres de l’agence consulaire de Matanzas depuis 1858. Elles vivent également à La
Havane (rues O’Reilly et Corrales) et ont chacune un enfant.

Les 23 mères de famille veuves sont nettement plus âgées que les autres : elles affichent une
moyenne d’âge de près de 53 ans, la plus jeune ayant 29 ans et la plus vieille 74 ans. Elles ont
en moyenne 2,7 enfants même si deux d’entre elle en possèdent 6 et une autre 9. Plus de la
moitié de ces femmes travaillent (modistes, commerçantes, couturières, pharmaciennes, et
pour certaines propriétaires voire rentières). Elles sont 17 à vivre à La Havane et ce dans tous
les types de quartiers, allant du Prado pour les plus fortunées aux faubourgs ouvriers de Cal-
zada del Monte. Elles ne sont que 9 à être nées en France, les autres étant française par le sang
ou par le mariage. Les 5 femmes dont le statut matrimonial reste inconnu ont des profils simi-
laires aux précédentes : elles travaillent presque toutes dans le monde du textile et de la mode

78
et résident dans la vieille Havane (rue Industria, Compostella, Obrapia, Villegas, etc.). Elles
sont toutes nées en France et ont en moyenne 2 enfants chacune.

Aux 38 mères de famille s’ajoutent donc les 153 pères de famille dont la moyenne d’âge est
d’environ 42 ans, contre 47 ans pour les femmes. Une très large majorité de ces hommes
(85,6% soit 131 individus) sont mariés : les immatriculations de 117 mentionnent les noms et
prénoms de leurs épouses. Ces chefs de famille sont 34 à être nés à Cuba contre 77 en France.
Ils sont 69 à résider à La Havane (principalement dans la vieille ville), 9 à Santiago de Cuba
et 7 à Banes et Pinar del Rio. 116 de ces hommes mariés sont également des hommes actifs,
issus de toutes sortes de professions. 11 d’entre eux sont des protégés français venus de
l’Empire Ottoman. Ils ont en moyenne 41 ans et plus de 4 enfants.

Les autres chefs de famille sont des veufs (9 personnes) auxquels s’ajoutent un célibataire et
12 hommes dont le statut matrimonial n’est pas connu. Ces hommes veufs affichent une
moyenne de presque 53 ans (ils ont entre 27 et 74 ans) et 3 enfants. Ils sont pour la plupart nés
en France et résidents havanais. Ils proviennent essentiellement de pays latino-américains et
sont 6 à avoir déclaré une profession. Le seul père célibataire est un tailleur de l’Ariège, Fran-
çois Rives, débarqué à La Havane, où il réside au 38 de la rue Amargura. M. Rives est arrivée
dans l’île avec ses deux enfants naturels. Les 12 pères dont on ne connaît pas le statut marital
présentent des profils similaires aux autres : ce sont des hommes actifs, originaires de France
et vivant à La Havane pour la plupart. Ils ont environ 46 ans et moins de 4 enfants.

Ces chefs de famille nous montrent donc des profils assez peu semblables. Seuls les veufs
offrent des caractéristiques communes : même âge et même nombre d’enfants en moyenne.
D’une façon générale, et contrairement aux conclusions tirées au sujet de l’ensemble des
communautés, les femmes, dans le cadre de la famille, sont plus jeunes que leurs homologues
masculins, en particulier lorsqu’elles sont célibataires. Si on note un nombre d’enfants plus
élevé chez les hommes, il reste difficile d’établir une comparaison constructive entre les
chiffres puisque le nombre d’enfants chez les femmes mariées est d’emblé faussé par le fait
que leur prise en compte en tant que chefs de famille est presque factice comme nous l’avons
déjà vu. Restent alors les célibataires et ceux dont le statut matrimonial est inconnu, trop peu
nombreux pour aboutir des conclusions fondées.

79
Figure 15: FRANÇAIS CHEFS DE FAMILLE : SEXE, ÂGE MOYEN ET NOMBRE DE D’ENFANTS.
Nombre
Statut Mari- Nombre de Age
d’enfants en
tal personnes moyen
moyenne
Hommes Mariés 131 41 4
Veufs 9 53 3
Célibataires 1 62 2
Inconnu 12 46 3
153 42 4

Femmes Mariées 5 35,5 2


Veuves 23 53 3
Célibataires 2 27 1
Divorcées 2 41 1
Inconnu 5 42,2 2
38 47 2

Comme le montrent les profils des hommes et des femmes dont il vient d’être question, la
majorité de ces familles vivent à La Havane (110 familles au total), les autres se répartissent
petits groupes dans l’île : elles sont 11 à Santiago de Cuba, 8 à Pinar del Rio et Matanzas pour
les villes les plus importantes. Une vingtaine de ces familles vivent isolées dans des petites
villes ou des villages de campagne. Ces familles de migrants sont arrivées dans l’île entre
1854 et 1910, et elles proviennent, comme le montre le tableau ci-dessous de partout, mais
surtout de la France.

Figure 16: PROVENANCE DES FAMILLES FRANÇAISES DE CUBA.


Provenance Nombre de familles
France 70
Cuba 49
Inconnu 40
États-Unis 7
Empire Ottoman 6
Espagne 5
Porto Rico 5
Mexique 1
Venezuela 1
Pérou 1
Saint Domingue 1
Costa Rica 1
Colombie 1
Canaries 1
Équateur 1
Total 191

80
L’existence de famille d’immigrés est donc un fait avéré en ce qui concerne la population
française de Cuba. Elle n’est absolument pas majoritaire puisque sur 1257 personnes immatri-
culées, 1066 (près de 85%) ne sont pas identifiées comme étant à la tête d’une famille. Ce-
pendant, très peu d’éléments nous permettent de faire la distinction entre les familles émigrées
et les familles d’immigrants, les premières ayant vécues la migration et les secondes étant le
fruit de cette migration.

2. Endogamie et exogamie chez les Français de Cuba.

Difficile pour nous d’identifier clairement nos deux types de famille de migrants lorsque les
sources, les registres d’immatriculation en l’occurrence, sont peu prolixes à ce sujet et mon-
trent, une fois de plus, leurs limites. D’autres sources, telles que les registres d’État Civil te-
nus par les agents consulaires en charge de cette fonction, pourrait parfaire nos connaissance
et alimenter davantage notre base de données. Faute d’avoir pu faire ce travail colossal, nous
tenterons pour ce faire d’exploiter au maximum le contenu des registres afin d’identifier les
familles françaises nées sur le territoire cubain de celles venues faire leur vie à Cuba.

Établir une distinction entre les mariages endogames et les mariages exogames avec des Cu-
bains peut-être un premier indicateur assez fiable de la nature des familles, en particulier les
unions contractées avec des natifs de Cuba, impliquant de fait l’antériorité de la migration. En
revanche, rien ne nous permet de considérer tous les mariages endogames, s’il en existe,
comme des unions antérieures à la migration dans la mesure où les dates et les lieux de ces
mariages ne sont que très occasionnellement retranscrits dans les registres, n’ayant de ce fait
pas fait l’objet d’une catégorisation. Pour tenter de distinguer les mariages hors de la commu-
nauté française contractés par nos migrants, en l’absence de données dans les registres sur ces
unions et/ou sur les conjoints, nous avons procédé de façon très empirique en nous basant,
comme nous l’avons fait précédemment, sur les consonances patronymiques espagnoles des
époux cubains. Nous avons choisi de rassembler tous les mariages contractés par les Français
immatriculés, et dont le nom et le prénom de l’époux figurent au registre consulaire, dans un
immense tableau situé en Annexe n°6 et dans lequel figure en sus le sexe du migrant marié.
Nous avons choisi de ne pas nous limiter aux seuls mariages, et d’inclure dans nos comptes

81
les veufs français dont les noms et prénoms des conjoints ont été fournis par les registres ainsi
que les parents des Français immatriculés et nés à Cuba, migrants issus de la première généra-
tion. Ces données ont subi le même traitement que les mariages, mais ont fait l’objet de deux
autres tableaux (Annexe n°6). Le choix d’inclure les veufs dans cette tentative d’identification
des unions exogames et endogames peut être remis en cause puisque ni la date, ni le lieu de
décès du conjoint du migrant immatriculé ne sont présents dans les registres : nous n’avons
donc aucune certitude que le mariage ait un quelconque rapport avec la migration du conjoint
survivant. Face à cette incertitude, nous avons cependant refusé d’écarter les veufs de notre
étude dans la mesure où elle ne se limite pas à l’analyse de la provenance des compagnons
des Français, mais concerne les Français eux-mêmes. En effet, il nous importe de savoir si
nos migrants ne sont pas eux-mêmes les fruits de précédentes unions franco-cubaines, voire
de mariages endogames, et nés dans l’île. C’est pour cette raison que nous nous sommes tour-
nés vers les migrants nés dans l’île dont les noms et prénoms des parents étaient présents dans
les registres. Nous avons utilisé pour les parents des migrants le même procédé empirique
appliqué aux Français (veufs et mariés) immatriculés : tenter de reconnaître les noms des
époux à consonance espagnole.

a. Les unions extracommunautaires.

Les noms et prénoms des époux (vivants ou défunts au moment de l’immatriculation) que
nous avons identifiés de façon absolument expérimentale comme étant cubains ont été signa-
lés par la couleur rouge.

206 migrants français mariés et dont le nom de l’époux est connu ont été identifiés. Comme le
montre la Figure 17 en page 84, près de 30% de ces 206 mariages ont été reconnus comme
étant des unions entre natifs français et Cubains (61 unions). Le nombre d’hommes mariés
enregistrés étant plus important que celui des migrantes immatriculées, la plupart des con-
joints étrangers identifiés sont donc des femmes. En effet, sur les 61 mariages franco-cubains
que nous avons relevé, seule une femme née en France faisait partie des contractants français,
tous les autres étant des hommes. En revanche, deux des femmes mariées et enregistrées (El-
vira Piedra y Martinez, épouse de Jean Ernest Latour et Barbara Valdivia, épouse d’Auguste
Cachau) sont en réalité des Cubaines (l’une née à Güira de Melena et l’autre à Sancti Spiritus)
devenues françaises par le biais de leur mariage avec des Français. Au nombre des mariages
82
extracommunautaires on doit ajouter ceux contractés entre des protégés français et des
femmes identifiées comme étant cubaines. Ces unions, qui figure sur le tableau récapitulatif
page 84, sont au nombre de 9 et comptent pour un peu plus de 4% de toutes les unions exo-
games. En regroupant les mariages extracommunautaires établis entre Cubains et Français de
tous horizons (nés en France, à Cuba ou ailleurs, protégés, etc.), ils arrivent à atteindre envi-
ron 34% des mariages enregistrés.

Du côté des veuvages, sur les 37 Français dont les noms des conjoints défunts sont mention-
nés, seuls 2 hommes immatriculés semblent avoir contracté des mariages avec des femmes
cubaines décédées depuis (représentant ainsi 5,4% des veuvages). A l’inverse, on compte 11
Cubaines immatriculées dans les registres consulaires en tant qu’épouses de Français défunts.
Ces veuves, presque toutes nées à Cuba (l’une d’elles vient des Canaries), ont acquis la natio-
nalité française par le biais de leurs mariages. Pour différencier ces femmes immatriculées en
tant que Françaises mais d’origine étrangère, nous avons choisi la couleur orange vive. Elles
comptent pour 29,6% des veuvages. Les unions exogames chez les veufs français présents
dans les registres représentent donc un total de près de 35% des unions.

Chez les migrants de première génération, parents de nos Français nés sur le sol cubain, les
calculs deviennent plus approximatifs dans la mesure où seuls les migrants nés à Cuba et dont
les noms du père et de la mère figurent sur les registres ont été sélectionnés, excluant par là
les 63 Français nés dans l’île dont les renseignements concernant leurs parents ne figurent
pas. Notre étude des unions parentales devra donc se baser sur un panel de 138 unions ayant
donné naissance à 269 de nos immatriculés tous statuts matrimoniaux confondus. Dans les
unions parentales, les couples ayant donné naissance à un ou plusieurs enfants immatriculés et
compris dans notre étude des pratiques matrimoniales ont été encadrés en bleu dans notre ta-
bleau, dans l’Annexe n°6, consacré aux parents des migrants. Comme pour les veuvages et les
mariages, les noms des parents qui nous semblaient être étrangers, et cubains plus particuliè-
rement ont été mis en rouge. La part des unions (formelles ou consensuelles) exogames chez
les parents des migrants nés à Cuba s’élève à 43%.

83
Figure 17: EXOGAMIE ET ENDOGAMIE CHEZ LES FRANÇAIS DE CUBA.

Mariages exogames T Mariages endogames T TOTAUX


O O
T Avec un Entre T
A Entre na- Autres A
Franco- des con- Français
Autres L tifs fran- ou In- L
cubains joints né nés à
çais connu
à Cuba Cuba

Veufs 13 0 13 15 7 0 2 24 37

Mariés 61 9 70 98 28 1 9 136 206


74 9 113 35 1 11
Sous total 243
83 160

Parents
des mi- 60 0 60 0 0 0 79 79 139
grants
Sous total 134 9 113 35 1 90
382
TOTAUX 143 239

Les unions exogames représentent donc 34% des unions (actuelles ou passées au moment de
l’immatriculation) pour lesquels les noms et prénoms des conjoints sont connus et 25% de
tous les types d’unions, que l’identité des deux contractants soit connue ou non (300 Français
au total). Lorsque l’on rajoute les unions contractées par les parents des migrants nés à Cuba,
on arrive à 37,5% d’unions considérées comme exogames sur les 382 identifiées. Le taux le
plus important d’unions (formelles ou consensuelles) contractées avec des étrangers se trouve
chez les migrants de la première génération et le plus faible chez les Français mariés venus se
faire enregistrés. Difficile pour nous d’évaluer la portée de ces conclusions, de même que
l’importance, ou au contraire l’insignifiance, de ces chiffres. Les parents ayant contracté à
Cuba une union exogame et dont les enfants ont, eux aussi opté pour des unions en dehors de
la communauté française, ont été signalés dans le tableau qui leur est consacré (Annexe n°6)
par un astérisque à la fin de leurs noms. Sur les 16 parents identifiés dont les enfants figurent
soit dans le tableau des mariages, soit dans celui des veuvages, les enfants de 10 d’entre eux
sont, ou ont été, à leur tour mariés à des étrangers (cubains plus vraisemblablement). On peut
donc parler dans ces quelques cas de reproduction d’un modèle parental, mais le panel étudié

84
étant extrêmement réduit, il paraît difficile de pouvoir explorer plus en avant cette hypothèse.
Les pourcentages que représentent ces unions internationales, peu importants puisque près des
75% des unions (parents exclus) n’ont pas été identifiés comme exogames, nous laissent sup-
poser cependant qu’il ne s’agit pas là d’une pratique extrêmement répandue dans les colonies
si l’on se base sur les seules données fournies par les registres. En revanche, on peut se de-
mander pours quelle(s) raison(s) le nombre d’hommes ayant contracté des unions avec des
Cubaines est aussi important ? Et à l’inverse pourquoi si peu de femmes françaises semblent
avoirs contracté ce type d’union ?

Une réponse à cette dernière question nous est très largement soufflée par les conclusions de
Patrick Weil sur les discriminations causées par la législation sur la nationalité française :

« À partir de 1803, les femmes françaises qui épousent un étranger prennent la nationalité de leur ma-
ri, perdent leur nationalité française et sont immédiatement soumises au statut de l’étranger en France.
Le phénomène touche quelques centaines de femmes chaque année au cours du 19e siècle. Mais [aussi]
au début du 20e siècle, quand l’immigration masculine devient plus importante (…). »89

La perte de l’identité française consécutive à un mariage avec un étranger est probablement à


l’origine du fait que peu de femmes françaises mariés à un Cubain ont été immatriculées sous
une nationalité qu’elles ne possédaient plus. Si tel était le cas on peut alors se demander pour-
quoi Maria Teofila Aguerre, migrante française immatriculée en 1894, figure, ainsi que son
époux Pedro Palomino, sur les registres d’immatriculation ? L’un des explications plausibles
serait que Pedro soit lui-même de nationalité française, chose impossible à vérifier puisque
seuls les noms et prénoms des conjoints sont mentionnés. En revanche, en croisant les don-
nées de la base « Registres d’immatriculation », on constate que notre migrante a un jeune
frère, Jean Michel, qui s’enregistre en 1896, deux ans après sa sœur : tous les deux procèdent
à leur immatriculation en présentant un acte de reconnaissance d’un parent (posthume dans le
cas Jean Michel). Il s’agit très certainement d’un acte établi par leur père Jean Aguerre dont
ils sont les enfants naturels. Maria Teofila Aguerre s’étant faite immatriculée alors qu’elle
était déjà mariée à Pedro Palomino, on peut se demander si cette reconnaissance a posteriori

89
Weil, Patrick, « Histoire et mémoire des discriminations en matière de nationalité française », in 20e Siècle,
n°84, octobre-décembre 2004, pp.5-22. Consulté le 12 septembre 2010. http://www.patrick-weil.com/.
85
explique sa présence dans les registres en tant que Française, outrepassant le fait qu’elle soit
éventuellement mariée à un étranger.

En ce qui concerne la prépondérance des unions exogames masculines, les sources en notre
possession n’éclairent ou ne mettent nullement en évidence ce fait. Cependant, les pratiques
matrimoniales d’autres migrants contemporains de nos Français à Cuba peuvent nous aider à
comprendre les finalités de ces unions hors de la communauté. Dans un article consacré aux
migrantes grecques à Paris, Despina Papadopoulou90 s’intéresse à la question des pratiques
matrimoniales de ces femmes, mais également à celles de leurs confrères grecs.

L’étude la communauté grecque effectuée par l’auteur montre que les mariages exogames
sont fréquents à l’intérieur de ce groupe, en particulier chez les hommes : cette exogamie
s’explique selon elle par une volonté de la part des Grecs de « faire souche » en France. Elle a
également été favorisée par le fait que les mariages endogames grecs nécessitent des arran-
gements beaucoup plus contraignants avec la famille de la fiancée, alors qu’épouser une Fran-
çaise s’avère plus facile. Le caractère masculin de l’exogamie grecque est intimement lié aux
exigences sociales : le critère de la position sociale du conjoint n’est pas valable chez les
hommes grecs, alors que chez les femmes il prédomine. Ainsi, elles épousent un étranger fai-
sant partie de l’élite française ou étrangère. La part des unions extracommunautaires chez les
migrants appartenant à l’élite grecque est bien plus importante que chez les Français de Cu-
ba : le nombre d’unions exogames masculines grecques entre 1896 et 1918 s’élève à 45,10%
contre 20,45% chez les femmes. Nous sommes donc loin des 21% d’unions mixtes françaises.
On peut se demander dans quelle mesure les conclusions tirées par Despina Papadopoulou
sont applicables aux cas français et si ces pratiques qu’elle décrit comme étant celle d’un
groupe social précis sont conditionnées par cette appartenance sociale ? La volonté de la part
des migrants de « faire souche » par le biais de mariages exogames semble être un procédé
universellement applicable à tous processus migratoires, le mariage avec un autochtone favo-
risant l’intégration dans le pays. On peut supposer qu’il en va de même pour les questions
relatives à l’homogamie : loin du groupe social auquel il appartient, le migrant, dont le célibat

90
Papadopoulou, Despina, « Les femmes des élites grecques à Paris à la fin du XIXe et au début du XXe
siècle. Rapports de genre et engagement dans la vie publique », in Lillo, Natacha ; Rygiel, Philippe (dir.),
Images et représentations du genre en migration, Paris, Centre d'Histoire Sociale du XXe siècle (Paris I/CNRS),
Publibook Universités, 2007, p.119 à 126.
86
est évidemment une condition sine qua non, a sans doute plus de facilité à s’affranchir de
cette appartenance sociale, lui permettant ainsi de contracter plus librement une union extra-
communautaire.

« Bien que beaucoup d'émigrants choisissaient le célibat, certains émigraient en famille ou se [ma-
riaient] dans le milieu d'accueil. Ceux qui quittaient le village en famille observaient des pratiques
matrimoniales endogames, choisissant des conjoints originaires de leur village ou d'un village voisin et
issus de familles de cultivateurs ou de cultivateurs-artisans. Les émigrants célibataires qui ensuite se
mariaient choisissaient des conjoints d'origines sociales et professionnelles parfois très diffé-
rentes et avaient des pratiques matrimoniales exogames. »91

Dans son étude de la communauté basque, Marie-Pierre Arrizabalaga parvient à la même con-
clusion : certains migrants, célibataires et souvent libérés de toutes contraintes familiales
telles que celles liées aux processus successoraux chez les Basques92, une fois arrivés à desti-
nation sont plus à même d’épouser un étranger.

La complexité de la population française immatriculée, faite de migrants débarquant dans l’île


mais aussi de migrants anciennement installés à Cuba, et des descendants de ces derniers,
introduit quelques nuances au schéma des unions exogames décrit. Dans les tableaux situés en
Annexe n°6 constitués à partir des mariages et des veuvages français, les modes d’acquisition
de la nationalité française (naissance sur le sol français, parents français, naturalisation, ma-
riage, etc.) des migrants mariés ou veuf ont été mis en lumière. Les Français nés à Cuba d’un
ou de parents français ont été identifiés par la couleur verte ; les noms des Français identifiés
de façon empirique comme étant nés d’une union extracommunautaire entre Français et Cu-
bains ont été colorés en jaune ; les migrants nés à l’étranger sont signalés par du beige ; les
naturalisés français sont en violet ; les protégés français en gris et les personnes devenues
françaises par le mariage sont en orange. 4 personnes dont le mode d’obtention de la nationa-
lité française nous est inconnu ont été signalées par la retranscription de leurs noms et pré-

91
Arrizabalaga, Marie-Pierre, «Structures familiales et destins migratoires à Sare au XIXe siècle», Lapurdum,
1997, n° II, pp. 237-255. Consulté le 5 septembre 2010 sur http://lapurdum.revues.org/index1817.html.

92
Les pratiques successorales dans certaines régions françaises, en particulier dans le Pays Basque, étaient en-
core régies par le droit d’aînesse ou par l’héritage intégral: la maison familiale, les terres, toutes les possessions
allait à l’aîné, ou à l’unique héritier (cadet, fille, …), laissant les autres enfants avec peu de ressources et peu de
perspectives d’avenir. Ces derniers composaient le gros des vagues migratoires depuis ces départements. Voir :
De Charnisay, Henry, L’Émigration basco-béarnaise en Amérique, Op. Cit.
87
noms en italique gris. Tous les autres migrants présents dans ces tableaux dont les noms n’ont
subi aucune mise en couleur, ni aucune modification, sont des Français nés sur le sol français
(métropole et colonies comprises).

Sur les 63 unions (incluant les veuvages) considérées par nous comme étant exogames, les
modes d’obtention de la nationalité des conjoints français se répartissent ainsi :

- 29 des conjoints français sont nés en France,


- 19 sont nés à Cuba de parents français,
- 10 sont nés à Cuba d’un père français et d’une mère cubaine (le contraire n’existant pas),
- 3 sont des Français nés à l’étranger (Espagne et Louisiane),
- et enfin, 2 sont des protégés français (né dans l’Empire Ottoman et en France).
Les unions exogames contractées par des Français venant de France (46%) sont donc à égalité
avec celles des Français natifs de Cuba (46% dont 16% nés d’une mère cubaine). Les autres
Français, nés à l’étranger et les protégés français représentent respectivement 5% et 3%. On
peut supposer que les Français arrivés à Cuba (provenant de France ou d’ailleurs) correspon-
dent de façon générale au schéma migratoire décrit par Marie-Pierre Arrizabalaga, arrivés
seuls et ayant choisi de s’unir à une Cubaine, témoignant par là de leur volonté de s’installer
de façon permanente dans l’île. Mais cette nécessité d’intégration n’existe pas, car inutile,
chez les Français natifs de Cuba : les hommes venant se faire immatriculés nés à Cuba et ma-
riés à des Cubaines ne se posent pas la question de l’intégration dans un pays qui est le leur.
Dans le cas des migrants nés d’une mère cubaine et d’un père français, les mariages hors de la
communauté française peuvent être perçus comme la reproduction d’un schéma matrimonial
familial instauré par leur père. Par ailleurs, le fait que ces hommes mariés soient eux-mêmes
les fruits de mariages franco-cubains prouve l’existence assez ancienne de pratiques exo-
games chez les migrants les plus vieux des colonies françaises. Chez les autres migrants de la
deuxième génération nés de parents français, on peut tout simplement invoquer la proximité
d’avec les Cubains, l’absence de barrières culturelles dues à leur naissance dans l’île favori-
sant l’exogamie. Quelles que soient les raisons qui poussent les Français à contracter des
unions en dehors du cercle français, nous ne pouvons pas nier que ces mariages existent et
qu’ils sont très minoritaires puisque près de 80% des unions relevées dans les registres sont
des mariages entre Français.

88
b. Les unions intracommunautaires.

« L’émigration basco-béarnaise en Amérique est caractérisée par l’esprit de retour qui animait les par-
tants. Si beaucoup d’entre eux, pour diverses raisons, se sont fixés à l’étranger, ils se sont efforcés de
ne pas rompre avec la mère patrie. Ceux qui ne revenaient pas, après fortune faite, finir leur jour dans
les Pyrénées, retournaient quand même au pays natal soit pour se marier, soit pour y rechercher
des parents et les ramener avec eux, soit pour y faire des séjours. De toute façon, ils restaient en rela-
tion avec la France, envoyant régulièrement de l’argent à leur famille. »93

Si, comme nous l’avons vu, la recherche d’un conjoint en dehors de la communauté effectuée
par un migrant peut être interprétée comme l’expression d’une volonté de faire souche dans le
pays qui l’accueille ou encore comme la reproduction de pratiques familiales, les pratiques
endogames peuvent être lues, à l’inverse, comme une affirmation d’une identité ou un moyen
de sauvegarde de cette identité. Les propos d’Henry de Charnisay au sujet des Basques et de
Béarnais partis faire l’Amérique le prouvent : la question de l’émigration en famille et du ma-
riage intracommunautaire est intimement liée à ce souci de préservation d’une identité natio-
nale, mais surtout régionale, dans le cas des Basques et des Béarnais.

Pour Marie-Pierre Arrizabalaga94, spécialiste de la communauté basque, c’est à la femme


française (basque en l’occurrence) qu’incombe la tâche ou le devoir de maintenir ce lien iden-
titaire. Pour l’auteur, la femme joue un rôle prépondérant dans le développement de liens
communautaires dans la mesure où le mariage, endogame en particulier, devient dans le pro-
cessus migratoire un élément identitaire fondamental. Il semble également que la présence de
la femme soit déterminante pour l’installation définitive des migrants dans leur pays
d’accueil: lorsque la femme est mariée à un migrant avant le départ, son immigration est une
immigration familiale, et lorsqu’elle est célibataire, le fait de fonder une famille dans le pays
qui l’accueille modifie et réduit considérablement les possibilités de retour vers le pays
d’origine. D’après Marie-Pierre Arrizabalaga, pour satisfaire les préférences des hommes

93
De Charnisay, Henry, L’Émigration basco-béarnaise en Amérique, Introduction, p.13, Op. Cit.
94
Arrizabalaga, Marie-Pierre, « Les femmes pyrénéennes et l’émigration transatlantique aux XIXe et XXe
siècles : une réalité mal connue », in Lillo, Natacha ; Rygiel, Philippe, Rapports sociaux de sexe et immigra-
tion, Mondes atlantiques XIXe-XXe siècles, Paris, Actes de l’histoire de l’immigration, Ed. Publibook Université,
2006, p.59 à 70.
89
basques en matière d’épouse, dans le cas des populations basques en Amérique, l’arrivée de
jeunes femmes célibataires en provenance du pays basque est stimulée par la mise en place de
véritables réseaux matrimoniaux : on fait venir sa fille ou sa sœur pour la marier avec un ami
basque et on épouse soi-même la fille ou la sœur d’un immigré basque. Cette mise en œuvre
informelle de moyens permettant de maintenir le lien entre la France, entre leurs origines, et
le pays où ils se trouvent n’est pas le seul fait Basques. Pour Annick Foucrier, la mise en
place de ces réseaux, qu’elle qualifie de « chaînes migratoires », est la garantie du renouvel-
lement des vagues migratoires françaises à destination d’un même pays.

« Comme pour d’autres nationalités, l’immigration des Français à la fin du siècle n’est nouvelle qu’en
partie. Elle est le prolongement des migrations précédentes. Les expatriés entretiennent des relations
personnelles avec leurs familles et leurs amis restés en France. De part et d’autre de l’Atlantique et du
continent américain, les lettres, les voyages maintiennent les contacts. (…) Ce sont ces réseaux fami-
liaux ou de connaissances qui font vivre les chaînes migratoires par lesquelles la population française
(…) se renouvelle. »95

L’existence supposée de tels réseaux entre la communauté française de Cuba et les diverses
régions d’origines des migrants est difficile à prouver compte tenu des limites que nous impo-
sent les sources. Cependant, sur nos 1257 Français immatriculés, deux d’entre eux, à travers
leur mobilité et ce maintien des contacts dont parle Annick Foucrier, nous permettent
d’affirmer, peut-être pas l’existence de réseaux de ce genre, mais la pratique de mariages en-
dogames avec des femmes de leurs régions d’origine.

Le plus âgé de ces deux migrants est un certain Jean Pierre Barès, né à Izaut-de-l'Hôtel en
Haute Garonne. Lors de son immatriculation en 1901, il avait 49 ans et exerçait à La Havane
en tant que chaudronnier. Arrivé pour la première fois à Cuba à l’âge de 29 ans, en 1872, il
effectue de nombreux voyages entre la France et Cuba (comme en témoigne par exemple le
renouvellement de son passeport fait à Saint-Gaudens en septembre 1900). Au cours de l’un
de ses voyages, il épouse Baptistine Eucausse, qu’il ramène à Cuba et avec qui il aura trois
enfants.

95
Foucrier, Annick, Le rêve californien, migrants français sur la côte pacifique, XVIIIe- XXe siècles, Sous-
chapitre « Le renouvellement », p.279, Op. Cit.

90
Le plus jeune des deux migrants s’appelle Pierre Vidal. Il est né à Rivesaltes dans les Pyré-
nées Orientales et est âgé de 23. Il exerce en tant que maçon et habite au n°86 de la rue Ville-
gas à La Havane. Arrivé à Cuba le 8 février 1900, il repart aussitôt pour la France pour aller
chercher une femme dans la région de Perpignan. Il revient dans l’île en 1901, avec et marié à
Joséphine Thérèse Françoise Olive.

Ces deux cas sont de véritables exemples de mariages profondément endogames : il n’est plus
question ici d’épouser uniquement une française, mais de se rapprocher le plus possible, pour
le migrant, de ses origines régionales, d’un mode de vie et de valeurs identitaires particulières.
Ces exemples sont rares et difficiles à trouver compte tenu de la nature des informations con-
tenues dans les registres.

Des mariages endogames plus classiques, contractés entre Français et ce quelle que soit leur
région d’origine, sont beaucoup plus fréquents dans les registres. Au vu des tableaux placés
en Annexe n°6 et des chiffres présentés dans la Figure 17, on note que ces mariages franco-
français sont, en général, majoritaires et concernent aussi bien des Français nés en métropole
qu’à Cuba, ou ailleurs sur le globe. Les unions endogames comptent au total pour 62,5% de
tous types d’unions chez les Français immatriculés et leurs parents. Chez les veufs et les
couples mariés 65,8% des unions sont faites au sein de la communauté française, et chez les
parents des migrants, on compte 56,8% d’unions endogames.

Sur les 37 veuvages enregistrés, 24 étaient des unions endogames, représentant près de 65%
de ces veuvages. Parmi ces unions endogames contractées par les veufs, on compte 40,5%
d’unions entre Français nés en France (15 veufs), 18,5% d’unions ayant lié un Français né en
France et Français né à Cuba, et enfin 5,4% de ces unions endogames concernaient des
couples dont l’un ou les deux époux étaient soit né(s) à l’étranger, soit un protégé ou un natu-
ralisé français.

Chez les couples mariés immatriculés, on dénombre 136 mariages entre Français sur 206
unions soit 66% des mariages endogames. L’endogamie chez les couples mariés immatricu-
lés, comme le montre la Figure 17 située page 84, se répartit comme suit : 47,5% de ces
unions se sont fait entre personnes nées sur le sol français (98 des mariages), 13,5% concer-
nent des couples dont un des contractants est né dans l’île, 0,48% (soit un seul mariage) des
unions intra-communautaires concernent deux Français nés à Cuba et 4,36% de ces mariages
ont été conclus entre un ou des Français nés à l’étranger et/ou des protégés français, ces der-
91
niers ayant été, tout comme les parents des migrants, rangés dans la colonne « Autre ou In-
connu » du tableau récapitulatif. Les parents de nos migrants apparaissent dans cette colonne
dans la mesure où les registres n’apportent aucune précision quant à leurs lieux de naissance,
les identités des parents ne figurant qu’à titre informatif, le plus souvent, dans les immatricu-
lations de leurs descendants.

Malgré l’absence de données nous permettant d’affirmer l’existence de réseaux, entre la


France et Cuba, favorisant les pratiques matrimoniales endogames, les analyses que nous ont
permis de faire les contenus des registres, même si elles sont loin d’être exhaustives et peut-
être assez peu représentatives des procédés matrimoniaux auxquels se sont livrés les Français
à Cuba, nous permettent, au vu des chiffres, d’affirmer la préférence des immigrés français
pour les unions intra-communautaires puisque ces dernières comptent pour 62,5% des unions
contractées par les migrants immatriculés contre 37,5% d’unions exogames. Au sein des al-
liances endogames, on note également la prépondérance des unions (veuvages ou mariages)
contractées entre les « jus soli » c'est-à-dire entre les migrants nés en France qui représentent
46,5% des unions endogames. Viennent ensuite les couples dont l’un des contractants est né à
Cuba (14,4%), puis les unions établies par des Français nés à l’étranger (parmi lesquels se
trouvent les protégés, les naturalisés, etc.) avec 4,52% et enfin, la seule union présente dans
les registres dont les deux contractants sont des fils et fille de primo-arrivants français à Cuba.
Des primo-arrivants dont les pratiques matrimoniales semblent bien moins tranchées que
celles de leurs enfants, ayant beaucoup plus eu recours que ces derniers aux unions extra-
communautaires. Alors que chez les parents des migrants la répartition des unions entre endo-
gamie et exogamie se fait de façon plutôt égale (respectivement 43,2% et 56,8%), chez leurs
enfants, l’endogamie est en moyenne deux fois plus importante que l’exogamie (respective-
ment 65,8% contre 34,1%).

A l’instar de Marie-Pierre Arrizabalaga, d’Annick Foucrier et d’Henry de Charnisay, on peut


sans risques interpréter cette préférence pour l’endogamie comme une volonté, consciente ou
non, de la part des migrants français de chercher à perpétuer une identité, une tradition, une
culture française loin de la France : si le mariage du migrant est lu comme une manifestation
de son envie de faire souche dans son lieu d’accueil, le choix de sa femme, lorsque cette der-
nière est française, peut être vu comme une affirmation identitaire et une volonté de maintenir
sa francité, son exception culturelle, dans une société étrangère.

92
C. Représentants et représentations de la France à Cuba.

Le mariage endogame n’est pas le seul garant, dans les colonies, de l’identité française. La
France se donne à voir, à Cuba, à travers différents supports : la représentation diplomatique,
les associations et les organismes, et surtout à travers les individualités, les membres des co-
lonies qui, dans leurs pratiques individuelles, dans leurs actions dressent un portrait très con-
trasté de ce que peut être un Français à Cuba.

À la fin du XIXe siècle, la France bénéficie dans le monde entier de l’image d’une grande
nation, d’une terre de culture et de bon goût, une image que s’efforcent d’entretenir, à grands
frais, les membres de la Légation de France à La Havane et des divers postes consulaires dans
l’île. Le caractère humaniste de la France est souligné par les actions sociales et éducatives
que mènent à Cuba quelques associations et institutions entièrement dévouées à la cause de la
France. La perpétuation de ces actions visant à promouvoir l’image de la France, aussi bien en
direction des Cubains que des Français, contribue à la pérennité des liens entre l’île et
l’hexagone. On constate néanmoins, lorsque l’on se penche plus en avant sur les individuali-
tés françaises à Cuba, que leurs rapports à la France et à ceux qui se charge de la représenter
diffèrent en fonction de critères aussi bien géographiques que socio-économiques.

1. Le personnel consulaire : représentants officiels de la


France.

L’étude des colonies françaises de Cuba que nous tentons d’effectuer se base principalement
sur des sources d’origine consulaire telles que les registres d’immatriculation, dont il a déjà
été longuement question, mais aussi sur les courriers échangés généralement entre les agences
consulaires françaises de Cuba et le Ministère des Affaires Étrangères à Paris. Ces échanges
épistolaires, à l’instar des registres, ne nous permettent d’observer nos colonies que par le
petit bout de la lorgnette et ne nous révèlent que ce que les personnels des agences ont bien
voulu transmettre comme information sur les colonies à leur hiérarchie. Aucun indice ne nous
93
permet de déceler d’éventuels partis pris dans ces lettres, puisqu’elles tendent à être généra-
lement des descriptions claires et concises des situations et des faits auxquels sont confrontés
les agents, même si l’écriture reste forcément très subjective. Il n’en demeure pas moins
qu’elles sont d’excellents témoignages de la via quotidienne des colonies et des efforts très
patriotiques faits par le personnel chargé de représenter la France à Cuba.

a. Composition du corps consulaire.

Avant d’entrer dans les détails des missions dont ont la charge les représentants de la France,
il convient d’abord de dresser un bref portrait, non exhaustif, de ces hommes. Dans les cour-
riers étudiés, peu d’informations personnelles nous sont parvenues au sujet des différents
« Ministres de France » à La Havane ou à Santiago de Cuba, titulaires des postes de Consul
Général de France dans la capitale et l’ancien bastion français. Dans la mesure où ces grands
fonctionnaires étaient nommés par le Ministère des Affaires Étrangères à leur poste, les in-
formations relatives à leurs situations personnelles étant déjà connues du Ministère, elles
n’avaient donc aucune raison de figurer dans la correspondance, officielle en particulier. Nous
ne savons donc que très peu de choses sur ces représentants officiels de la France, si ce n’est
qu’ils ne restent que très peu de temps en poste : comme nous le montre la Figure 18 ci-
dessous, la mobilité semble être une des caractéristiques principales de ces hauts fonction-
naires puisque d’après les dates qui y figurent, ils ne restent, en moyenne, pas plus de deux
ans à leur poste. Les dates mentionnées dans le tableau ne sont que des indications nous per-
mettant d’évaluer le temps passé dans l’île par chaque consul. Elles ont été relevées sur
chaque missive écrite ou dictée par le consul général en poste à ce moment : les signatures des
consuls à la fin de ces courriers nous permettent d’une part de les identifier et d’autre part de
connaître la durée de leur séjour à La Havane ou à Santiago de Cuba.

Ces dates indicatives ne témoignent en rien de la réalité de l’exercice des hommes en charge
du Consulat Général de La Havane et du Vice-consulat de Santiago de Cuba, et les courriers
ne permettent guère d’en dire plus. Nous savons tout de même, grâce aux rapports annuels des
postes remplis par les consuls que les conditions de vie auxquelles ils devaient faire face dans
les deux villes étaient loin de les satisfaire, expliquant peut-être ce changement perpétuel à la
tête des consulats observé dans le tableau ci-dessous.

94
Figure 18: CONSULS GÉNÉRAUX AYANT EXCERCÉ À CUBA ENTRE 1870 ET 1919.96

Nom Agence Année(s)


Marquis de Forbin
La Havane 1870
Janson
Camille de Cour-
La Havane 1881-1883
thial
E. Crampon La Havane 1885-1887

M. de Monclar La Havane 1889-1890

Bonhenry La Havane 1900

S. de Magny La Havane 1901-1902


François-Edmond
La Havane 1902
Bruwaert
Paul Lefaivre La Havane 1905
Fernand-Arthur
La Havane 1909-1910
Souhart
Jules de Clercq La Havane 1911-1913
Ernest Adolphe
La Havane 1918
Roussin
Georges de Pina de
Santiago de Cuba 1880
St Didier
A. Mancini Santiago de Cuba 1882

Versini Santiago de Cuba 1882

A. Garrus Santiago de Cuba 1883-1885

G. de Bérard Santiago de Cuba 1886-1888

J. Chausson Santiago de Cuba 1894

Waguet Santiago de Cuba 1909

J.P. Brillouin Santiago de Cuba 1918-1919

96
Les noms encadrés correspondent aux consuls généraux en exercice au cours de la période qui nous concerne.
Les dates extrêmes ont été mises en rouge.
95
Ces rapports des postes nous indiquent, entre autres, les difficultés que rencontrent les con-
suls, de même que leur personnel, liées au climat et à la cherté de la vie dans l’île. On sait
ainsi que vers 1880, le « traitement fixe » (annuel probablement) d’un consul s’élevait à
19 000 francs (soit 68 400 €97), celui d’un chancelier à 12 000 francs (43 200 €), la paye d’un
élève-chancelier était de 6 000 francs (21 600 €) et celle d’un chancelier non titulaire de 3 000
francs 10 800 €). En raison du coût de la vie, les traitements des fonctionnaires vont atteindre
en 1910 à La Havane98, 22 000 francs (79 200 €) pour les consuls, 9 000 francs (32 400 €)
pour un vice-consul et 1 800 francs (6 480 €) pour un commis auxiliaire. Aux dires des rédac-
teurs des missives consulaires ou des rapports des postes, ces traitements n’étaient pas suffi-
sants pour vivre, en particulier à Santiago de Cuba, ville dans laquelle, selon l’opinion de
tous, la vie était bien plus chère qu’ailleurs, bien plus qu’à La Havane. Dans plusieurs rap-
ports sur le personnel du poste de Santiago de Cuba, à la rubrique « Observations », concer-
nant le consul plus particulièrement que le « traitement [est] faible pour un poste où la vie est
sensiblement plus chère qu’à La Havane »99. Dans une série de propositions rédigées par le
consul général de Santiago de Cuba100, qui apparaissent sous la forme d’un brouillon dans les
archives du poste au CADN et dont la date ne figure pas, on trouve une explication à cette
flambée des prix dans l’île.

97
Conversion basée sur la valeur du franc en 1909 : 1 franc = 3,60 euros d’après l’indicateur de l’Insee -
http://www.insee.fr/fr/themes/indicateur.asp?id=29&type=1&page=achatfranc.htm ).
98
Courrier du 8 mars 1910 écrit par Fernand-Arthur Souhart, Ministre de France à La Havane, Carton n°297 «
Correspondance des postes – Dépêches – Minutes, La Havane », Sous-série « Agences consulaires et correspon-
dances », Série « Fonds personnels », Fonds « Personnels et Agences consulaires », CADN.
99
Courrier du 20 juin 1878, Carton n°253, « Correspondance des postes – Dépêches – Minutes, Santiago de
Cuba et La Havane », Sous-série « Agences consulaires et correspondances », Série « Fonds personnels », Fonds
« Personnels et Agences consulaires », CADN.
100
Propositions du Consulat de Santiago de Cuba, Carton n°307, « Correspondance des postes – Dépêches –
Minutes », Santiago de Cuba, Sous-série « Agences consulaires et correspondances », Série « Fonds person-
nels », Fonds « Personnels et Agences consulaires », CADN.

96
« 6° Personnel du poste

L’unité monétaire est devenue le dollar or au lieu de la piastre argent : ainsi la cherté de la vie a aug-
menté du double, et dépasse de beaucoup les conditions d’existence aux États-Unis d’où viennent
toutes les denrées de consommation, grevées de taxes d’entrée. Le traitement du Consul serait porté à
30 000F et celui du chancelier à 10 000.

L’abonnement comprendrait les appointements d’un commis auxiliaire à 1200F et, à partir de 1900, un
fond de secours permanant d’environ 2000F. Les frais de loyer de la chancellerie s’élèveraient à 100F
par mois – sur justification – on ne peut trouver à moins aucun local convenable. »

Au vu des faits relatés par ce document, on suppose que la situation décrite concerne les pré-
misses de la République cubaine, accompagnée lors de sa naissance par le gouvernement, et
surtout les investisseurs, américains. L’impérialisme américain et la situation de dépendance
de l’île vis-à-vis des États-Unis qu’il suppose, tant sur le plan économique que politique, sont,
selon le consul en poste à Santiago de Cuba les principales causes de cette inflation à Cuba.
Le coût de la vie plus élevé à Santiago qu’à La Havane peut certainement s’expliquer par la
distance entre les deux villes que doivent franchir, par la mer où par le rail, les biens de con-
sommations, en particulier les moins courants et les plus recherchés. Il semblerait également
que la cherté de la vie, à laquelle s’ajoutent les dépenses conséquentes que doivent affronter
les consulats, soient les conséquences des conflits qui ont ravagé l’île à la fin du XIXe siècle :
on apprend ainsi que dès 1880, après la Guerre des Dix Ans (1868-1878), « l’indemnité pour
loyer de la chancellerie [avait] été supprimée au moment où l’insurrection [avait] fait renché-
rir les loyers »101. On peut donc supposer qu’à l’instar de ce conflit, la Guerre d’Indépendance
(1895-1898) a eu de sévères conséquences sur les prix dans l’île, en particulier dans les ré-
gions les plus touchées comme la province de Santiago de Cuba.

Les consuls des deux principaux postes se plaignent également des conditions dans lesquelles
ils exercent leur profession. Concernant les revenus des subalternes (chanceliers, commis,
etc.), c’est la pénibilité de leur travail qui est mis en cause par les consuls:

101
Courrier du 9 avril 1880, Carton n°253, « Correspondance des postes – Dépêches – Minutes, Santiago de
Cuba et La Havane », Ibid.
97
« Observations [sur le poste de chancelier] : traitement beaucoup trop faible pour un employé obligé
de travailler de 5 à 6 heures par jour, avec une chaleur constante de 30 à 34 degrés centigrades. »102

L’aversion de nombre des fonctionnaires pour le climat cubain est une antienne, et souvent la
raison de la fréquente désertion de leur poste ; un climat qui leur cause bien des maux, aux-
quels s’ajoutent les risques liés aux diverses maladies qui sévissent dans l’île. Le consul de
Santiago de Cuba en 1880 fera les frais de des températures tropicales. Dans le rapport annuel
de son poste, on apprend que « la santé de M. de Pina âgé de 55 ans et venant de passer plus
de 20 années dans le nord de l’Europe supporte très péniblement les rigueurs du climat des
Antilles.»103

Ce sont là toutes les informations en notre possession au sujet des consuls de France à La Ha-
vane et à Santiago de Cuba. En revanche, des données plus fournies concernant les agents
consulaires choisis pour gérer les agences en province nous sont parvenues par le biais de la
correspondance consulaire. Il convient ici de souligner les différences hiérarchiques existant
entre ces agents et le reste du personnel consulaire : si les consuls et autres vice-consuls,
chanceliers, élèves-consuls ou élèves-chanceliers titulaires sont des fonctionnaires nommés à
leurs postes par le Ministère des Affaires Étrangères, les agents, les commis et toutes les per-
sonnes non titulaires d’un poste de fonctionnaire sont en général recrutés sur place afin
d’occuper une fonction au sein d’un consulat ou d’une agence dans l’île. Entre 1887 et 1914,
la France dispose de 8 agences consulaires réparties sur le territoire cubain (voir carte en an-
nexe n°2) qui dépendent du consulat de La Havane (Matanzas, Cienfuegos & Trinidad, Sagua
la Grande) ou du consulat de Santiago de Cuba (Guantanamo, Baracoa, Gibara, Manzanillo,
Camagüey). Du fait de leur recrutement local, les consuls sont dans l’obligation, semble t-il,
de faire part leur hiérarchie de la situation personnelle de chaque agent recruté.

102
Courrier du 20 juin 1878, Carton n°253, « Correspondance des postes – Dépêches – Minutes, Santiago de
Cuba et La Havane », Ibid.
103
Courrier du 9 avril 1880, Ibid.

98
Figure 19: LE PERSONNEL DES AGENCES CONSULAIRES FRANÇAISE À CUBA.
ANNÉE DE
AGENCE LA PRISE
NOM ÂGE NATIONALITÉ PROFESSION
CONSULAIRE DE FONC-
TION
Félix Bégué 53 Française Propriétaire Guantanamo 1908
Théodore
36 Française Commerçant Guantanamo 1904
Jouanneau
René Charles
Propriétaire
Marie Le Fé- 28 Française Guantanamo 1897
agriculteur
bure
Michel Labar-
39 Française Négociant Guantanamo 1889
raque
Jean René Docteur en mé-
28 Française Guantanamo 1886
James Dupont decine
Gaudens Pa-
54 Française Commerçant Matanzas 1888
tient Vignolle
Enrique Crespo Négociant Pro-
41 Espagnole Matanzas 1885
y Visiedo priétaire
Médecin chirur-
Philippe Al-
gien, licencié ès- Cienfuegos et
phonse Laÿ y 25 Française 1889
sciences natu- Trinidad
Manceau
relles
Employé de
l’administration
Gustave Sagua la
35 Française du chemin de fer 1903
Hautrive Grande
« Cuban Cen-
tral »
Joachim Représentant
Sagua la
Edouard Ra- 47 Cubaine pour Cies de va- 1901
Grande
delat peurs
Guillaume Ra- Comptable négo- Sagua la
44 Française 1883
phaël Frias ciant Grande
Gérant d’une
importante mai- Cienfuegos et
Schweep ? ? 1882
son de com- Trinidad
merce
Négociant en Sagua la
Benito Almeida ? ? 1882
gros Grande
Négociant en
Arostéguy ? ? Matanzas 1882
gros
Joseph Edouard
38 Française Commerçant Gibara 1895
Latour
Enrique Roca
26 Cubaine Commerçant Manzanillo 1903
Matas
José R. Solis y
38 Espagnole Commerçant Manzanillo 1889
Varguez
Pierre Lafont 59 Française Négociant Baracoa 1889

99
Tous les agents recrutés à Cuba aux environs de la période qui nous occupe, et dont les bre-
vets de nomination en tant qu’agents consulaires (voir en Annexe n°3) nous sont parvenus,
ont été regroupés dans le tableau qui précède. Les fiches nominatives placées en annexe, et
attestant de la désignation d’un agent par le Consul général pour occuper un poste, étaient
transmises au Ministère des Affaires Étrangères comme documents officiels, et souvent ac-
compagnées de missives dans lesquels le consul se chargeait de rapporter quelques informa-
tions au sujet du candidat choisi. Le consul est dans l’obligation «d’adresser (…) des notes
confidentielles (…), relatives au personnel placé sous [ses] ordres »104. Ainsi, en 1908, le
Consul de Santiago de Cuba, après avoir procédé à la nomination de son nouvel agent en
charge de l’agence de Guantanamo, écrit au Ministre des Affaires Étrangères pour lui dire
que :

« M. Félix Bégué est français, agriculteur et dans une excellente position de fortune. Il est très ho-
norablement connu et apprécié de tout le monde ; et je me suis assuré que sa nomination serait très
favorablement accueillie tant par ses compatriotes que par l’élément officiel et étranger de Guantana-
mo. (…) »105

Ces quelques mots au sujet de M. Bégué nous fournissent pratiquement tous les critères que
recherchent les consuls chez leurs futurs agents : il faut être d’un niveau social assez élevé,
avoir une certaine notoriété, ou à défaut une bonne réputation, en particulier auprès des no-
tables de la région, qu’ils soient français ou non. Le niveau de fortune, les revenus que per-
çoivent les agents consulaires grâce à leurs professions respectives font l’objet de la plus
grande attention de la part du consul dans la mesure où il semble que le titre d’agent consu-
laire ne soit pas synonyme de rémunération. Il s’agit le plus souvent d’une condition sine qua
non pour les consuls comme le prouve le courrier écrit le 8 juillet 1885 par E. Crampon, alors
Ministre de France à La Havane, dans lequel il déplore l’absence de candidats susceptibles de
gérer l’agence de Matanzas.

104
Courrier du 3 janvier 1896 du Consul de France à Santiago de Cuba, adressé au Ministère des Affaires Étran-
gères, Carton N°40 « Correspondance antérieure à 1920 », Sous-série « Agences consulaires et correspon-
dances », Série « Fonds personnels », Fonds « Personnels et Agences consulaires », CADN.
105
Courrier du 19 avril 1908 du Consul de France à Santiago de Cuba, adressé au Ministère des Affaires Étran-
gères, Carton N°40, « Correspondance antérieure à 1920 », Sous-série « Agences consulaires et correspon-
dances », Série « Fonds personnels », Fonds « Personnels et Agences consulaires », CADN.

100
« (…) L’agence de Matanzas est la plus importante de la circonscription : si, à la vérité, il y a peu de
Français habitant la ville, il y en a beaucoup (plusieurs centaines) dans la province106, où ils sont em-
ployés principalement dans des sucreries, ingénieurs, mécaniciens, quelque uns même propriétaires.

(…) J’ai eu le regret de constater que parmi nos nationaux habitant la ville, il n’y en avait, en effet,
aucun qui eût assez de surface pour remplir des fonctions honorifiques et gratuites qui exigent,
chez celui qui en est chargé, une certaine indépendance de fortune, une certaine position sociale. »

Le manque d’envergure, mais surtout le manque de moyen, des Français de Matanzas auront
pour conséquence, suite à la recherche infructueuse de Crampon, la nomination au poste
d’agent consulaire français d’un certain Enrique Crespo y Visiedo (voir Figure 19), négociant
et propriétaire, mais surtout de nationalité espagnole. Le cas de Crespo n’est pas une excep-
tion dans la représentation consulaire française, comme on peut le voir dans le tableau ci-
dessus, puisque les agents Radelat, Matas et Solis étaient soit Espagnols, soit cubains.

L’appartenance à une certaine élite, ou plutôt à la bourgeoisie locale, est le dénominateur


commun de tous les agents consulaires recrutés sur place, comme nous le montrent les por-
traits que dressent d’eux les consuls généraux :

« M. Jouanneau (Théodore) est né le 19 novembre 1868 à Santiago de Cuba, il est de nationalité fran-
çaise et exerce la profession de commerçant. Il appartient à une famille française très bien connu dans
la région et jouit lui-même de la meilleure réputation. » 107

« M. Michel Labarraque, agent consulaire, est né le 26 novembre 1850 à Artix, canton d’Orthez, dans
le département des Basses-Pyrénées. Il possède à Guantanamo une pharmacie bien achalandée, et,
dans les environs de cette dernière ville, de grandes plantations de cannes. Sa fortune est évaluée à
cinq cent mille francs ; elle lui assure une situation pécuniairement indépendante, condition fort ap-
préciable dans un agent consulaire. (…)

M. J. Solis, agent consulaire à Manzanillo, est de nationalité espagnole. Il s’occupe du commerce des
bois et possède une grande scierie à vapeur. »108

106
Province de Matanzas, voir carte des provinces et des agences consulaires (Annexe n°2).
107
Notes sur M. Jouanneau du 29 août 1904 rédigée par le Ministère des Affaires Étrangères et adressées à M e
Achille Voillaume, Docteur en droit à la Cour de Paris, Carton N°40, Ibid.
108
Courrier du 3 janvier 1896 du Consul de France à Santiago de Cuba, adressé au Ministère des Affaires Étran-
gères, Carton N°40, Op. Cit..
101
On note que les agents choisis par les consuls généraux exercent tous un métier en rapport
avec le commerce ou la médecine, et que nombres d’entre eux sont propriétaires de leurs ou-
tils de travail (officines, plantations, usines, etc.). Quelques exceptions à ces profils sem-
blables d’agents consulaires existent cependant. S’ils ne sont pas fortunés, certains des repré-
sentants de la France à Cuba ont été recrutés pour leur savoir faire et pour leur dévouement à
la tâche, à l’instar de Pierre Lafont, agent consulaire à Baracoa en 1889.

« M. Pierre Lafont, agent consulaire, est né à Orthez, Basses Pyrénées, le 4 octobre 1830. Il est, à Ba-
racoa, teneur de livres de la maison française Vidaillet, qui s’occupe d’un commerce en gros de fruits
et d’huiles. C’est un agent consciencieux et de bonne volonté. »109

Mentionné comme « négociant » dans le rapport dressé par le consul de Santiago de Cuba, on
apprend qu’en réalité il n’est que « teneur de livres », c'est-à-dire gestionnaire, d’une maison
de commerce. C’est son amour du travail bien fait qui a motivé le consul de la province orien-
tale à lui confier le poste de Baracoa. Les qualités personnelles, morales en particulier, du
futur agent, ses capacités à exercer en tant que représentant de la France et à accomplir les
tâches que suppose cette fonction, sont, bien plus que la fortune, des critères recherchés par
les consuls. La nomination d’un nouvel agent est donc souvent précédée d’une véritable en-
quête auprès des Français, futurs administrés de cet agent, qui vivent dans la ville, voire dans
la région, où se situe l’agence consulaire, auprès parfois des autorités locales, etc. La re-
cherche d’un nouveau représentant passe également par une sélection rigoureuse et
l’évincement progressif des candidats au poste, jusqu’à ce qu’il ne reste qu’un, quitte à ce
qu’il ne soit pas de nationalité française. Dans un courrier daté du 20 juin 1887110, le consul
de La Havane relate au Ministre des Affaires Étrangères la procédure rigoureuse qu’il a suivi
dans le cadre de la nomination d’Alfred Hautrive en tant qu’agent à Trinidad et Cienfuegos.
Obligé de justifier son choix en raison de plaintes et d’une pétition adressées au Ministère des
Affaires Étrangères concernant la nomination de M. Hautrive (Annexe n°8), le consul de La
Havane fait part des qualités qui chez le candidat ont motivé sa décision.

109
Courrier du 3 janvier 1896, Ibid.
110
Courrier du 20 juin 1887, Carton N°40, Sous-série « Agences consulaires et correspondances », Série « Fonds
personnels », Fonds « Personnels et Agences consulaires », CADN.

102
« La nomination de M. Alfred Hautrive en qualité d’agent consulaire de France à Trinidad et Cienfue-
gos, (…) est une mesure à laquelle il a été procédé, par moi, avec tout le soin et toute l’attention
qu’elle réclamait. (…) Je m’étais rendu exprès à Cienfuegos pour y étudier, par moi-même, les res-
sources que pouvait offrir le personnel de notre colonie, et que le résultat de mon enquête m’avait
conduit à reconnaitre que M. Hautrive était le seul français à qui (…) il fût possible et d’ailleurs, très
convenable, de confier cette charge. (…)

M. Hautrive n’a pas de fortune et n’est pas chef d’établissement, cela est vrai. Il n’est qu’employé
et n’a d’autres revenus que ceux qu’il retire de sa place d’abord et ensuite de leçons qu’il donne et
d’expériences chimiques qu’il fait sur les sucres, ce qu’on appelle des polarisations 111, où il est passé
maître et que sa probité, autant que son savoir, fait tenir à très haut prix par les industriels et négo-
ciants qui l’emploient. Tous ces profits réunis lui permettent d’élever une nombreuse famille de sept
enfants. Sa conduite et sa tenue sont irréprochables. (…)

M. Hautrive est un bon français, dont le patriotisme, pour ne pas se produire bruyamment au caba-
ret, m’a paru être de bon aloi. M. Hautrive, qui est né à Lille, en 1835, et qui a rempli ses obligations
militaires (ce qui est un mérite assez rare parmi les français qui résident à l’étranger) se rattache par
ses origines à la famille du pacificateur de la Vendée112 (…). »

Les qualités personnelles du futur agent prévalent donc sur ses possessions : il est estimé et
reconnu par tous, il fait preuve de sérieux et d’ardeur à la tâche, et, s’il n’est pas fortuné, à
l’instar d’Alfred Hautrive, il doit connaître, et être connu des notables de la région. Ainsi, les
expériences auxquelles se livre Hautrive sur les sucres, si elles paraissent anecdotiques dans le
courrier, sont la preuve d’une certaine intimité entre l’agent désigné et les industriels, déten-
teurs d’un pouvoir économique fort, autant d’atouts pour un agent consulaire dont les pou-
voirs restent limités. La possibilité de pouvoir bénéficier d’appuis, tant dans la communauté
française que chez les Cubains ou les Espagnols, est donc un critère très recherché par les
consuls. Cette volonté explique notamment le fait que le choix de ces derniers se porte sou-
vent sur des hommes (Français ou non) nés dans l’île. Sur la vingtaine d’agents consulaires
identifiés grâce aux archives des postes, environ la moitié est née à Cuba, l’autre moitié étant
généralement composée d’hommes installés depuis de longues années dans les villes où leurs
ont été attribués des postes d’agents. La nécessité pour les consuls généraux de travailler avec

111
Procédé mis en place au XIXe siècle permettant de déterminer, par le biais de la polarisation de la lumière
(c'est-à-dire de la propagation dissymétrique des rayons lumineux), la pureté et la qualité du sucre.
112
Référence au général Lazare Hoche, ayant mis un terme en 1795 aux guerres de Vendée en repoussant un
débarquement royaliste.

103
des hommes de terrain, c'est-à-dire connaissant les membres de la communauté française lo-
cale, leurs us et coutumes à Cuba, maîtrisant aussi bien le français que l’espagnol, etc., est
énoncée de façon claire dans « l’État du personnel du Consulat de Santiago » que dresse, le 18
avril 1880, le consul général de la province orientale. Il y décrit les qualités dont fait preuve
Théodore Bouchereau qui, s’il n’est pas agent consulaire, a été embauché sur place tout
comme les agents.

« Chancelier substitué : M. Bouchereau Théodore, 37 ans. Parle et écrit le français, l’espagnol et


l’anglais.

M. Bouchereau est un excellent employé d’une probité à toute épreuve et possédant des dehors ex-
trêmement convenables. Il a été un collaborateur précieux pour le chef actuel de ce consulat : la co-
lonie française du département oriental de l’Ile de Cuba se composant en grande partie de descendants
d’émigrés de Saint-Domingue. Il est nécessaire que le chef de ce poste ait près de lui un employé né
dans le pays, et qui soit en mesure de lui fournir sans délai des indications précises sur les diffé-
rents membres de cette colonie dans les questions de liquidation de succession, d’état civil,
d’immatriculation, ainsi que pour répondre aux simples demandes de renseignements sur les per-
sonnes. M. Bouchereau, français né à Santiago de Cuba remplit toutes les conditions désirables pour
les fonctions de chancelier de ce poste. Il est chancelier substitué depuis le mois d’octobre 1875. »113

Si les agents consulaires ne bénéficient pas de la même aura de prestige que les consuls géné-
raux et autres fonctionnaires envoyés par la France à Cuba pour la représenter, il n’empêche
qu’ils sont de précieux atouts. Pour ces fonctionnaires missionnés par la France, dont le séjour
en poste à Cuba reste très court et assez éprouvant, les agents, nommés dans les agences con-
sulaires de second ordre ou au sein même des consulats, sont d’importants rouages de la ma-
chine consulaire française. Ils ont pour avantage une meilleure connaissance de l’île, de ses
habitants et des pratiques qui y ont cours. L’efficacité et le rôle clé des personnels consulaires,
quels qu’ils soient, sont reconnus et plébiscités par les membres des colonies françaises à tra-
vers les réclamations transmises directement ou par la voie consulaire au Ministère des Af-
faires Étrangères, en particulier au sujet de l’insuffisance chronique de personnel dont souffre
la représentation française à Cuba. Dans son travail sur les Français en Californie, Annick
Foucrier s’attache à décrire le rôle important que joue le consul en particulier dans le quoti-
dien de la communauté d’expatriés français :

113
Courrier du 20 juin 1878, Carton n°253, « Correspondance des postes – Dépêches – Minutes, Santiago de
Cuba et La Havane », Op. Cit.
104
« La mission du consul est triple. En premier lieu il fournit des informations au ministère sur le
mouvement du commerce local et des navires français en particulier, pour éclairer les décisions des
armateurs en France. (…) le consul est aussi un officier d’état-civil, qui a qualité pour enregistrer les
mariages, baptêmes, décès, ainsi que les actes notariés. Il rédige des rapports sur la situation des Fran-
çais vivant ou voyageant en Californie, l’évolution de leurs affaires, leurs perspectives économiques,
et les aides qu’il leur dispense. Il engage des actions pour défendre leurs intérêts et même parfois
leurs vies. (…) Le consul s’attache à entretenir de bons rapports avec les autorités locales, ce qui est à
la fois un moyen de défendre les intérêts des Français et de renforcer le prestige de la France et de
son gouvernement. »114

Nous retrouvons, d’une façon ou d’une autre, dans l’étude de la communauté française que
nous tentons de mener tous les aspects du travail mené par les consuls dans la mesure où ce
travail repose majoritairement sur des sources d’origine consulaire. Si les registres d’état-civil
nous font défaut, les registres d’immatriculation, même s’ils ne sont pas mentionnées par
Foucrier, et les échanges épistolaires de toutes natures nous permettent d’affirmer que les
missions menées par les consuls à Cuba sont en tous points semblables à celles décrites par
l’auteur.

b. Les missions du personnel consulaire : la représentation.

La mission première du corps consulaire, en particulier celle des consuls généraux, est de re-
présenter, d’incarner la France et ses valeurs, sur le sol cubain. Ils ont la charge, comme le dit
Annick Foucrier, d’ « entretenir de bons rapports avec les autorités locales et de renforcer le
prestige de la France et de son gouvernement ». Ils sont l’image de la France, et à ce titre, ils
se doivent d’être à la hauteur de la réputation dont bénéficie leur pays dans le monde, et en
particulier à Cuba. En effet, à la veille de la Première Guerre mondiale, la France est l’une des
plus grandes puissances mondiales. Elle doit son hégémonie aux valeurs, telles que le droit
des peuples à disposer d’eux-mêmes, qu’elle incarne depuis la Révolution et qui trouveront
des échos dans le monde Atlantique ; elle représente surtout, aux yeux beaucoup, la matrice
des idées de progrès, chères aux pays latino-américains. Mais son rôle mondial, la France l’a
également acquis grâce à sa puissance économique et financière : aidée par « une diplomatie

114
Foucrier, Annick, Le rêve californien, migrants français sur la côte pacifique, XVIIIe- XXe siècles, Op. Cit.,
Chap. 7 « La formation de la communauté française de San Francisco », Sous-chapitre : « Les institutions extra-
centrées », p. 182-183.
105
offensive »115, la France parvient, avant la guerre, à conquérir de nombreux marchés en y im-
portant ses produits, favorisant par là l’accroissement de son influence dans les pays concer-
nés. Cette infiltration des marchés étrangers est stimulée par la richesse financière de la
France, qui, au cours du XIXe siècle n’a eu de cesse d’accumuler des capitaux. Ces capitaux
seront pour beaucoup investis dans l’essor industriel des pays en cours de développement tels
que Cuba, où les profits à tirer sont beaucoup plus importants qu’en Europe, ou prêtés à ces
états naissants avec des taux de rendement plus intéressants qu’en France. On peut donc dire,
en accord avec Berstein et Milza, qu’à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, qu’on
voit se développer « un impérialisme français à base financière »116 qui n’épargne pas Cuba,
même si la forte présence américaine tempère énormément les avancées françaises dans l’île.
C’est donc l’image de cette France grandiose, quasi omnipotente et omniprésente, que doivent
montrer et défendre les personnels consulaire.

La première de ces missions est donc de donner à voir la grandeur de la France, de se faire
bien voir dans le paysage cubain et international, ce qui peut se traduire, dans les faits et dans
la réalité cubaine, par l’existence d’une compétition pour la meilleure représentation comme
celle à laquelle s’est livré en 1887 M. de Bérard, consul général en poste à Santiago de Cuba.

« Ainsi que j’ai l’honneur d’informer Votre Excellence, (…) le Contre-Amiral Vignes, commandant la
Division navale de l’Atlantique nord, est arrivé à Santiago le 26 janvier dernier, sur la Frégate la Mi-
nerve, et s’est dirigé vers l’île de Porto-Rico le 3 février courant.

Le Gouverneur de la Province, le Général Francisco de Acosta, a reçu nos officiers avec des démons-
trations de la plus vive sympathie à l’égard de la France et des Français.

Il s’est efforcé de leur faire visiter les endroits curieux des environs : les mines de fer, le chemin de
fer, une des principales usines, les casernes, etc.

Le Consul d’Allemagne, qui est directeur des mines, avait organisé un déjeuner à mi-chemin de
l’exploitation.

Le directeur du chemin de fer à agi de même, ainsi que le propriétaire de l’usine.

Nos officiers de marine ayant ainsi été fêtés par des Etrangers il n’était pas possible au représentant
de la France de rester en arrière, et j’ai réuni tous ces messieurs dans un dîner chez moi le 2 Février,

115
Berstein, Serge ; Milza, Pierre, Histoire du XXe siècle, La fin du « monde européen », T.1, Paris, Hatier,
1996, Chap. 3 « L’état de la France », p. 46.
116
Ibid., p.47.
106
(…). Cette réception m’a coûté environ quatorze cents francs, sommes qui paraîtra élevée à Votre
Excellence ; mais dans ce pays il est impossible de se procurer tous les objets en dehors de la vie ordi-
naire sans les payer des prix exhorbitants (sic) qui ne garantissent même pas leur bonne qualité.»117

L’aveu du consul, qui reconnaît sa volonté d’égaler les « étrangers » et de ne pas en faire
moins qu’eux, témoigne de ce souci constant de la part des consuls de vouloir montrer la
France sous son meilleur jour. Il semble que le dîner organisé à grand frais par le consulat de
Santiago de Cuba ne vise pas tant à célébrer la présence des marins français dans l’île qu’à
montrer aux autres représentations diplomatiques que la France n’est pas en reste et qu’elle
sait, elle aussi, recevoir en grande pompe. L’instance du consul au sujet du coût de cette opé-
ration, en rapport sans doute avec la qualité des mets servis, et sa volonté, plus loin dans le
courrier de se faire rembourser, montrent bien qu’il était avant tout question de valoriser le
traitement que la France réserve à ses dignitaires plutôt que les dignitaires eux-mêmes. Il
s’agit également d’entretenir les relations et les réseaux qui se créent entre diplomates étran-
gers, représentants officiels et notables cubains. L’accueil réservé aux marins français par le
représentant allemand, par le gouverneur santiaguero et par le directeur du chemin de fer té-
moigne de la bonté des relations entre ces trois parties et la France ; la réception en retour de
tout ce monde apparaît comme un signal des bonnes dispositions de la France à l’égard de ces
mêmes parties. La culture de ces sociabilités entre représentants étrangers à Cuba, mais sur-
tout avec le pouvoir local (espagnol ou cubain) n’est pas anodine : elle garantie aux consuls
une plus grande facilité dans les tâches qu’ils doivent accomplir au nom de la France ou de
l’un de ses ressortissants. Ainsi, la moindre opportunité est saisie par le consul pour acquérir à
sa cause un gouverneur, un autre consul ou un ministre. La nomination par le Président Estra-
da Palma118, en 1904, dans la République naissante, d’un nouveau membre du gouvernement
d’origine française aiguise l’intérêt d’Edmond Bruwaert, ministre de France à La Havane

117
Courrier du 6 février 1887, Carton n°253, « Correspondance des postes – Dépêches – Minutes, Santiago de
Cuba & La Havane », Fonds « Personnels et Agences consulaires », Série « Fonds personnels », Sous-série
« Agences consulaires et correspondances », CADN.
118
Tomas Estrada Palma (1832-1908), premier président de Cuba (1902-1906) soutenu par les États-Unis aux-
quels il aura recours à deux reprises afin qu’ils interviennent militairement dans l’île. Le gouvernement
d’Estrada Palma est connu pour avoir ouvert la voie à la corruption, aux malversations, aux révoltes armées, etc.
Voir Guicharnaud-Tollis, Michèle, Joachim, Jean-Louis, Cuba: de l’indépendance à nos jours, Op. Cit.

107
(c'est-à-dire consul général), qui fait part de ses desiderata à M. Delcassé, Ministre des Af-
faires Étrangères.

« Par décret du 16 de ce mois, le Président de la République a nommé Secrétaire d’État et de Jus-


tice le Dr Charles Eugène Ortiz et Coffigny […]

En ce qui nous concerne, M. Ortiz est fils d’une française, née Coffigny ; il parle assez bien notre
langue ; sa famille a été élevée en France ; il y a toutes raison de croire qu’il nous sera sympathique.
Il m’a assuré qu’il veillerait à la prompte ratification par le Sénat cubain de nos deux conventions ré-
centes pour la protection de la propriété artistique et industrielle [...]. »119

Le docteur Ortiz et Coffigny semble être un cible de choix pour le consul dans sa mission de
défense et de protection de la France, et en particulier des productions artistiques et indus-
trielles, deux domaines dans lesquels les Français excellent à Cuba. Le partage d’une identité
ou de valeurs communes, permettant le rapprochement entre les deux hommes, favorise la
mise en place d’accords tacites, officiels ou non, et facilite la tâche des consuls particulière-
ment face aux lenteurs administratives ou aux réticences cubaines. Il semblerait qu’Edmond
Bruwaert ait été particulièrement doué pour nouer des relations avec les plus hauts représen-
tants du gouvernement cubain. Dès les prémisses de sa prise de fonction à La Havane, il solli-
citait la fibre francophile des élites cubaines, en particulier de ceux qui entretenaient des rap-
ports plus qu’intimes avec la France. Ainsi, dans la lettre qu’il écrit le 1er août 1902, relative à
son arrivée et à sa prise en charge du consulat général, le nouveau consul fait part de la récep-
tion donnée en son honneur, et des membres du gouvernement de fraîche date qu’il a pu ren-
contrer à cette occasion parmi lesquels se trouve un certain Émile Terry.

« Le Ministre de l’agriculture, du commerce et de l’industrie est une des physionomies qui doivent
nous être le plus sympathique. Il habite 144 Avenue des Champs-Élysées, il possède le château de
Chenonceaux (sic) qu’il a acheté de Madame Pelouza ; une de ses nièces est depuis quelques jours
princesse de Lucinge, entrée ainsi dans la famille irrégulière de nos rois ; une autre nièce a épousé le
compte Stanislas de Castellane. C’est dire que M. Émile Terry est français dans l’âme. Il est en effet
fort enthousiasme en ce qui nous touche et pourtant c’est vers New York qu’il croit devoir s’orienter
pour l’amélioration des intérêts matériels de Cuba

[…]Il reconnaît, toutefois, que la seconde influence prédominante à Cuba, l’influence intellec-
tuelle, doit être celle de la France : il a, lui aussi, l’idée de créer des bourses d’éducation dont nos
écoles françaises bénéficieraient, de fonder ici des chaires d’enseignement qui seraient confiées à de
nos professeurs. »

119
Courrier du 18 août 1904, Carton n°3 « Politique Intérieure » T.I, 1903-1909, Cuba, C. P. & C. Nouvelle
Série, Affaires Politiques, CADLC.
108
Ce ministre de l’agriculture n’est mentionné que dans ce premier courrier qu’adresse Bru-
waert au Ministère des Affaires Étrangères. Nous ne sommes donc pas en mesure de savoir si
les idées partagées par Émile Terry et le consul général se sont réalisée. Mais il est clair que le
représentant français joue sur l’appartenance française du ministre de l’agriculture. La réfé-
rence faite aux États-Unis vers qui va la préférence (forcée pourrait-on dire) de Cuba, si elle
est brève, témoigne du rôle subalterne que joue la France à Cuba et des tentatives de la part
des consuls d’inverser la vapeur. En effet, les domaines artistiques et culturels sont en
quelques sortes les prés carrés de la France dans l’île, dans lesquels elle fini par se retrouver
cloisonnée. La présence américaine qui limite de façon significative les possibilités
d’investissements à Cuba, tend à reléguer la France au second plan. De ce fait, les conni-
vences entre consuls et gouvernement cubain, comme le montre le courrier de Bruwaert, con-
cernent elles aussi des domaines de second plan tels que l’éducation, ou les investissements
français, assez marginaux par rapport à l’afflux massif de capitaux américains.

La représentation de la France, si elle passe par l’entretien d’un réseau de connaissances de


toutes natures, consiste également en l’organisation, par les représentants de la France, de
manifestations (bals, réceptions, banquets, et autres évènements) mettant la France et sa cul-
ture à l’honneur. Par ces actions, les consuls mettent en scène, et ce de façon assez surpre-
nante parfois, leur pays. Les manifestations de ce type les plus souvent relatées dans la cor-
respondance consulaire sont les fêtes organisées par les consulats à l’occasion de la Fête Na-
tionale. Tous les extraits retranscrits de ces courriers ont été placés en annexe (n°10, p. 246).
Chaque 14 juillet est l’occasion pour les consuls, à la fois de raviver la flamme patriotique des
nationaux en exil, et de rappeler à tous la grandeur de la France. Le déroulement de la Fête
Nationale démarre traditionnellement par une levée du drapeau français « arboré au Consulat
de 6 heures du matin à minuit » et consiste généralement en un banquet, souvent payant, réu-
nissant les Français assez riches pour y avoir accès, et qui a «lieu comme d’habitude dans le
local du « Cercle Français » et de la « Société de Secours Mutuels »120 en ce qui concerne les

120
Carton n°253, « Correspondance des postes – Dépêches – Minutes, Santiago de Cuba & La Havane », Fonds
« Personnels et Agences consulaires », Série « Fonds personnels », Sous-série « Agences consulaires et corres-
pondances », CADN.

109
festivités havanaises. À Santiago, le principe reste le même, les festivités ayant généralement
lieu au consulat de la province. Les sociétés de bienfaisance (Société de Secours Mutuels et
Société française de Bienfaisance à La Havane) avaient pour habitude de mettre en place, à
l’occasion de la fête, un système de souscription dont les recettes (appelées « secours »)
étaient reversées aux membres les plus démunis de la colonie.

La missive relatant les festivités du 14 juillet à Cuba la plus intéressante est celle écrite le 16
du même mois, en 1900, par le consul de La Havane, M. Bonhenry, et adressée comme tou-
jours à sa hiérarchie à Paris121. Elle témoigne du double objectif mentionné précédemment à
savoir entretenir l’image de la France dans le cœur des nationaux et dans l’imaginaire des
étrangers. Ce jour de fête nationale, M. Bonhenry l’a voulu grandiose afin de marquer les es-
prits des ressortissants français et des notabilités étrangères et cubaines invitées. Il convient de
rappeler que l’année 1900, en plus d’être le tournant du siècle, est synonyme pour Cuba de
retour progressif à la vie et aux affaires après les coups durs de la Guerre d’Indépendance, et
pour la France, de rayonnement international grâce à l’Exposition Universelle, emblématique
d’une époque, qui assoit un peu plus le prestige et l’influence française dans le monde.
L’année 1900 est donc l’occasion rêvée pour rendre un hommage appuyé à la France, ce que
ne manquera pas de faire le consul de La Havane. M. Bonhenry commence par changer le
cadre habituel de la fête, qui quitte les locaux de la Société de Secours Mutuels pour ceux du
consulat, qui rappelons-le, se situe sur l’Avenue du Prado dans la Vieille Havane122,
« l’avenue recherchée de la ville »123.

« (…) j’ai tenu à ce que la fête du 14 juillet fut célébrée officiellement au Consulat Général, à
l’exemple de ce qui se passe partout ailleurs, et ne se réduisît pas, comme jusqu’alors à un simple
banquet où le représentant de la France ne figurait qu’a être l’invité et à une distribution de secours
faite par l’intermédiaire de la Société française de Bienfaisance. Pour ces raisons et pour celles que
j’exposerai dans la suite, j’ai voulu donner à la fête nationale française à La Havane, que l’état de
désolation du pays n’avait pas permis de célébrer dignement depuis longtemps, un caractère excep-
tionnellement solennel et patriotique, et bien que j’ai dû faire un sacrifice pécuniaire personnel assez
élevé à cette occasion, je n’ai voulu épargner aucune peine et aucun effort pour réussir. La fête s’est
composée d’une réception officielle, suivie d’une matinée enfantine et d’une fête de charité au

121
Intégralité de la retranscription dans l’annexe 10, 149.
122
Voir Figure 8: RUES HAVANAISES HABITÉES PAR DES FRANÇAIS, page 42.
123
Courrier du 1er août 1902, Carton n°2 « Établissement de l’indépendance », T.II, mai-décembre 1902, Cuba,
C. P. & C. Nouvelle Série, Affaires Politiques, CADLC.

110
Consulat Général, du banquet traditionnel et d’une représentation théâtrale au profit des français
pauvres de La Havane. (…) »

L’objectif du consul général est de faire sortir la célébration du 14 juillet du cercle restreint de
la colonie française, en se chargeant de l’organisation d’un évènement auquel il n’était jusque
là que l’invité. L’officialisation de cette manifestation, puisqu’elle est mise en place par le
représentant officiel de la France, lui permet d’égaler ce qui se fait ailleurs, chez les autres
représentants étrangers qui eux, ont toujours eu la charge de ce type d’évènement. La mention
du coût de la fête, qui n’est pas sans rappeler celle de la réception offerte aux marins de pas-
sage par le consul de Santiago de Cuba, démontre le degré d’investissement de M. Bonhenry
dans la préparation de cette fête, n’ayant pas hésité à se sacrifier (financièrement) pour
l’honneur de la patrie. Le choix des mots de M. Bonhenry témoigne de l’envergure qu’il a
souhaité donner à sa fête et de la dichotomie qu’il trace entre ce qui a été fait et ce qu’il a
fait. Il n’hésite pas à opposer d’une part sa fête nouvelle, moderne, « célébré officiellement »
et dotée d’ « un caractère exceptionnellement solennel patriotique » ; et d’autre part l’ancien
« simple banquet » où il ne faisait que de la figuration auquel se rattache l’image de
l’ancienne Havane dévastée par la guerre. Le caractère emphatique de cette nouvelle célébra-
tion s’exprime particulièrement dans le déroulement nouveau de la journée et des nombreuses
manifestations prévues : on passe d’un repas et d’une distribution de « secours » à une jour-
née contenant pas moins de cinq temps forts au cours desquels un public extrêmement varié
doit rendre hommage à la France.

« Grâce aux bonnes relations que j’ai pu conserver avec les autorités américaines et le gouverne-
ment du Général Wood, relations qui datent du siège de Santiago de Cuba et des premiers temps de
l’intervention américaine dans la Province Orientale où le Général et moi nous nous trouvions alors,
j’ai été assez heureux pour associer à notre fête nationale la majeure partie du monde officiel de
La Havane. (…)

J’ai eu la bonne fortune de retrouver également dans les hauts services administratifs de la Capitale,
bon nombre de notabilités cubaines que j’avais précédemment connues à Santiago. Plusieurs autres
qui nous ont visités, connaissaient la France pour avoir fait leurs études de médecin, d’avocat ou
d’ingénieur à Paris. Enfin, certains anciens chefs de la Révolution sont venus nous voir en curieux,
pour s’assurer si leur pavillon figurait au même titre que celui des autres nations au Consulat Général
de France et ils n’ont pu s’empêcher de manifester publiquement leurs satisfactions à cette occa-
sion (…).

111
Au cours de l’allocution que j’ai eu à prononcer je n’ai pas manqué de constater l’amitié ancienne des
deux républiques sœurs, en faisant allusion aux grandes fêtes franco-américaines qui ont eu lieu à
Paris le 4 juillet pour l’inauguration des monuments de Washington et de Lafayette124 ; d’un autre côté
j’ai rappelé l’intervention amicale de la France125 dans la dernière guerre empéchant une plus grande
effusion de sang de part et d’autre et donnant ainsi plus tôt au jeune peuple de Cuba l’occasion de
s’essayer au régime de la liberté ; j’ai aussi exprimé les remerciements de la colonie au corps consu-
laire étranger qui avait tenu à venir en entier saluer les Français et leur représentant (…). »

Outre les membres de la colonie française de La Havane, premier public concerné par la célé-
bration de la fête nationale, plusieurs invités de marque ont été conviés : les Américains, ré-
cent vainqueurs de la guerre hispano-américaine et « patrons » de l’île, les « notabilités cu-
baines » francophiles, et le « corps consulaire étranger ». Toutes ces parties ont pour dénomi-
nateur commun d’appartenir au réseau de connaissance du seul consul, et participent au carac-
tère hautement officiel de l’évènement. Ce sont majoritairement à ces trois catégories
d’invités que s’adressent les fastes de cette fête. La présence des « anciens chefs de la Révolu-
tion » apparaît comme une intrusion anecdotique dont le consul ne fait part qu’en dernier lieu.
Si la présence des anciens insurgés est minorée, les références à la venue des Américains et
aux excellentes relations entretenues entre les « deux républiques sœurs », à savoir la France
et les États-Unis, occupent une place importante dans la missive. Les États-Unis sont mis en
avant, à l’inverse des Cubains, puisque se sont eux qui, en 1900, dirigent le pays : le consul
n’hésite pas à rappeler au souvenir des Américains le passé commun de leurs deux pays, et le
rôle de la France dans la signature du traité ayant ratifié la victoire américaine. Les vainqueurs
font figures d’invités prestigieux, bien plus que les notables cubains ou que les représentants
des autres nations à Cuba. Nous verrons ultérieurement que, par la suite, au fur et mesure de
l’émergence d’un gouvernement cubain autonome, la présence américaine ne sera pas autant
encensée qu’elle l’est par le consul Bonhenry.

124
L’exposition universelle de 1900 a été l’occasion de prouver l’amitié Franco-américaine : le 3 juillet, une
statue de Washington, est inaugurée, Place d’Iéna, et le 4 juillet une statue équestre de Lafayette est installée
dans la cour du Carrousel au Louvre d’où elle sera délogée en 1984. Voir Trocmé, Hélène, « 1900 : les Améri-
cains à l’Exposition Universelle de Paris », in Bulletin de l’Institut Pierre Renouvin, N°3, printemps 1997, en
ligne sur http://ipr.univ-paris1.fr/spip.php?article22.
125
Référence au rôle joué par la France, en particulier par Jules Cambon, ambassadeur de France à Washington
(1897-1902), dans les négociations entre l’Espagne et les États-Unis, et dans la rédaction du Traité de Paris (dé-
cembre 1898) qui met fin à la guerre hispano-américaine.

112
La fête nationale est donc l’occasion pour le consul de France à La Havane de raviver des
amitiés au sein des élites cubaines à l’égard de la France et de faire renaître le sentiment pa-
triotique chez ses compatriotes, et ce par le biais des temps forts de la journée organisée par le
consul (une réception et un banquet officiels, une matinée dédiée aux enfants, une distribution
en faveur des pauvres et une représentation théâtrale). Les deux premiers ont été placés par
M. Bonhenry sous le signe de la célébration de l’Exposition Universelle de Paris pour laquelle
le consul a « convié tous les invités : Compatriotes, Américains, Cubains et étrangers à lever
leur verre (…) et à porter la santé du Président de la République126 qui l’a ouverte ».
L’évènement certainement le plus singulier de cette journée reste tout de même celui réservé
aux enfants, descendants des primo-migrants, n’ayant pour la plupart jamais vu la France.

« (…) Avant de les conduire à l’assaut de la Bastille en nougat qui les attendait, j’ai expliqué aux
petits français de La Havane ce qu’est leur fête nationale, quel symbole représente la prise de la Bas-
tille, et je crois avoir réussi à éveiller en eux de véritables sentiments de patriotisme. Aussi est-ce
avec un réel enthousiasme qu’ils ont crié tous, pour la première fois sans doute : Vive la France ! Vive
la République ! et aussi : Vive M. le Consul ! »

Le procédé cocasse qu’utilise Bonhenry souligne une fois de plus le caractère quelque peu
démagogue de l’entreprise du consul, la France ne pouvant paraître que grandiose aux petits
français puisqu’elle leur offre un édifice entier en bonbon à l’assaut duquel il faut se lancer.
Mais l’effet escompté par le représentant de la France ne se fait pas attendre puisqu’il par-
vient, peut-être pas à leur insuffler de véritables valeurs patriotiques, mais à obtenir les vivats
de rigueur. La distribution des bienfaits de la France se poursuit, après les enfants, avec les
plus nécessiteux de la colonie qui « ont eux aussi pris part à la fête et reçu des friandises et
quelques secours en espèces ». Traditionnellement, la distribution de ces secours « était con-
fiée les années précédentes à la Société de Bienfaisance », mais la volonté nouvelle du consul
ayant changé la donne, ce dernier a tenu « à ce qu’elle eût lieu cette fois au Consulat Général
afin que l’objet et l’origine de ces secours fussent bien connus et appréciés de tous les intéres-
sés ». La complaisance de M. Bonhenry à l’égard des pauvres de la colonie si elle n’est pas
feinte, n’est pas non plus entièrement gratuite. La publicité qu’il souhaite donner à son entre-
prise participe de sa volonté de faire voir la France sous son meilleur jour, aussi bien aux yeux

126
Émile Loubet, Président de la République française de 1899 à 1906.
113
des nationaux qu’aux yeux des invités assistant au don de ces secours. Après avoir rendu
hommage à la dimension internationale de la France, avoir apprécié le caractère généreux de
la France envers ses enfants, les invités de choix de M. Bonhenry ont eu l’occasion de voir la
France du progrès et de la modernité.

« Quant à la représentation donnée au premier théâtre de La Havane, après le banquet, elle consistait
simplement en projections du Cinématographe : « Lumière » ; Exposition universelle, défilés mili-
taires, cérémonies patriotiques, etc, toutes vues françaises ; elle n’a duré qu’une heure et demie
mais a couronné dignement la célébration de la Fête Nationale. »

Après l’emphase des débuts, le ministre de France à La Havane aborde la fin grandiose de
cette journée de célébration par une déclaration pour le moins surprenante quant à la simplici-
té de la projection à laquelle ont eu droit les convives. Il convient de rappeler ici que le ciné-
matographe dont il parle n’a été inventé que cinq ans auparavant (en 1895) par les frères Lu-
mière. Si peu d’informations au sujet de la diffusion dans le monde de ce nouveau procédé et
de son arrivée à Cuba nous sont parvenues, il ne nous semble pas aberrant d’affirmer ici que
les invités du consulat de France aient eu droit à une véritable exclusivité, ou dans tous les cas
à une rareté dans une île telle que Cuba. Les sujets franco-français sur lesquels ont porté les
projections, certainement choisis pour l’occasion, on ne peut plus patriotiques, ont permis
d’achever le travail de quasi propagande en faveur de la France entamé par le consul. Le rôle
de promoteur de la France à l’égard du reste du monde que joue le personnel consulaire fait
entièrement partie de sa mission. Mais cette promotion ne se fait pas à titre gratuit : il s’agit
certes de promouvoir l’image d’un pays, de ses valeurs, de son degré de technologie, etc.,
mais tout cela s’effectue dans le but de se créer un réseau au sein duquel le personnel consu-
laire fait jouer un système d’alliances lui permettant de mener à bien une autre de ses mis-
sions, la protection des expatriés et des intérêts français à Cuba.

c. Les missions du personnel consulaire : la protection.

En tant que représentants de la France, les membres du personnel consulaire ont la charge de
gérer les problèmes quotidiens auxquels doivent faire face les gens de la colonie. Les consuls
servent de référents en matière de justice, d’aides sociales, etc. Ils font office d’officier d’état-
114
civil accompagnant le migrant dès son arrivée, lorsque ce dernier procède à son inscription
aux les registres, lors de la reconnaissance de ses enfants nés sur le sol Cuba, lors de
l’enregistrement de son mariage et parfois pour l’établissement du certificat de décès d’un
migrant. La défense et la protection de ces migrants et de leurs biens contre le gouvernement
(espagnol ou cubain), contre des attaques individuelles de même que l’entente au sein même
de la communauté occupent une place importante dans la mission du consul. L’âpreté des
tâches auxquels doivent faire face les consuls est illustrée par la lettre adressée le 12 no-
vembre 1897, en pleine guerre hispano-américaine, par le consul général de France à La Ha-
vane.

« Le Consulat Général a l’habitude de faire connaître à Votre Excellence, uniquement sous ce timbre,
les réclamations de nos compatriotes dont il ne peut obtenir règlement sans l’intervention diploma-
tique (…)

Votre Excellence sait qu’il s’agit, tantôt de pertes infligées volontairement ou involontairement à nos
compatriotes, tantôt de sommes qui leur sont dues par l’administration, tantôt des lenteurs de la justice
sinon de dénis de justice, tantôt de mauvais traitements, de réquisitions forcées, de service militaire
indûment exigé, etc., etc., et, souvent enfin, soit de la liberté, soit de la vie de français établis ici.

De là des visites, des démarches, des courses à toute heure de la journée sous un soleil ardent ou sous
une averse tropicale, au milieu d’une boue nauséabonde et d’émanations pestilentielles. Il faut aller en
toute hâte, chez le gouverneur général, l’intendant général, le gouverneur civil, le gouverneur de la
place, le Maire, à la Douane, au Port, dans les états majors, dans les tribunaux, les études, les greffes,
les prisons, les bagnes, les forteresses, dans des taudis, auprès de malades ou de mourants, pour sollici-
ter, discuter ou interroger, encourager, rassurer, consoler, ou encore chercher des preuves, repousser
des allégations, « protéger » en un mot, des centaines de français frappés ou menacés par les mesures
inhumaines, barbares que l’état insurrectionnel a fait adopter dans l’île (…). »127

La situation que connaît l’île au moment où écrit le consul favorise la multiplicité des situa-
tions auxquelles il doit faire face et nous donne un condensé des capacités dont il doit faire
preuve. Peu d’indications au sujet des pertes infligées aux Français lors de la guerre
d’indépendance nous sont parvenues. Il semblerait que les principales victimes du conflit
aient été les planteurs dont les champs et les récoltes, en particulière les caféières, ont été dé-
truits. Nombre de ces Français devenus presque indigents ont dû avoir recours à la solidarité
communautaire, par la voie du consulat, pour survivre. Les agences consulaires ont dû faire

127
Courrier du 12 novembre 1897, Carton n°222, « Correspondance et rapports annuels des postes, La Havane »,
Fonds « Personnels et Agences consulaires », Série « Fonds personnels », Sous-série « Agences consulaires et
correspondances », CADN.

115
face à des afflux toujours plus nombreux de colons français venant déposer des demandes de
dédommagement à l’égard du gouvernement pour les pertes infligées. Il semble que ce soient
ces mêmes demandes de dédommagement, que le consul qualifie de « réclamations », qui
soient à l’origine de sa tourmente, montrant par là l’étendue de la tâche à accomplir par
quelques hommes toujours assez peu nombreux. La protection des hommes et des biens fran-
çais par le consul s’illustre dans d’autres correspondances, postérieures à 1897. En effet, en
1906, au cours d’une période tout aussi critique dans l’île, le consul de La Havane se voit
dans l’obligation de réunir quelques notables de la colonie afin de faire le point sur les élé-
ments français nécessitant la protection du consulat. La fin du mandat du Président Estrada
Palma en 1906 et sa volonté de se faire réélire réveillent une série de révoltes menées par les
opposants à l’ancien président. Ce dernier résoudra la question en sollicitant auprès du Prési-
dent Roosevelt une nouvelle intervention des forces armées américaines. Les pertes sévères
qui leurs ont été infligées lors du premier conflit ayant sûrement laissé un goût amer chez les
Français, ces derniers se sont très rapidement mobilisés, dès les prémisses des révoltes, afin
de débattre de la marche à suivre. Il en résulte le courrier adressé le 2 octobre 1906 au Minis-
tère des Affaires Étrangères (intégralité en annexe n°9 page 242).

« Cette situation inquiétante […] explique l’émotion de nos nationaux qui s’est manifestée par de
nombreuses plaintes, par des demandes de conseil et de protection. En même temps, notre com-
merce et notre industrie souffraient de la crise et ils se demandaient si la solution politique qui inter-
viendrait leur permettrait de continuer leurs entreprises.

Dans ces conditions, pour connaître la nature exacte des intérêts de notre colonie et pour trans-
mettre à votre Excellence une formule qui englobe ses desiderata, j’ai réuni, avec l’aide de M. Bou-
langer, Vice-Président de la Chambre de commerce, les français notables de cette ville.

Ils sont venus en grand nombre à la Légation, le 27 septembre, au moment le plus aigu de la révolution
et ont trouvé dans ce simple rapprochement un premier réconfort. […]

L’activité des français en ce pays peut se ramener à cinq groupes : les planteurs, les commerçants, les
industriels, les entreprises financières, les intérêts intellectuels et artistiques. »128

Il ne s’agit pas là d’une simple anticipation des notables français face à la menace qui se pré-
cise, mais d’une véritable réunion de crise au cours de laquelle il est question de formuler les

128
Courrier du 2 octobre 1906, Carton n°3 « Politique Intérieure » T.I, 1903-1909, Cuba, C. P. & C. Nouvelle
Série, Affaires Politiques, CADLC.

116
vœux de la colonie, par le biais de son élite économique (les participants sont tous de riches
propriétaires avec des fortunes chiffrées en millions de francs129). Ces vœux exprimés concer-
nent, non pas les mesures individuelles à prendre en cas d’attaque, mais bel et bien le type de
gouvernement dans l’île qui siérait le mieux à l’entreprise française : en clair, il s’agit de dire
au Ministère des Affaires Étrangères quelle administration (cubaine ou américaine) aurait la
faveur des Français, en fonction des opportunités et des facilités qu’elle aurait à leur offrir. La
connivence entre les notables français et le consulat souligne l’importance pour la France et
ses entrepreneurs de bénéficier d’une représentation efficace à l’étranger. Le consul ayant
pour mission de protéger les biens et les investissements, il est un véritable appui pour les
ressortissants français, en particulier pour ceux venu faire fortune à Cuba. Ce système de ré-
seaux et d’appuis entre les composantes majeures de la société à Cuba, faites d’étrangers, des
pouvoirs en place (cubain, américain, espagnol), des membres des colonies et des membres du
personnel consulaire, fonctionne pour ainsi dire de façon multilatérale. En effet, si les consuls
dans le cadre leur mission viennent en aide aux ressortissants français, lorsque les acquis de
ces derniers à Cuba souffrent du déclin de la représentation officielle, ils n’hésitent pas, là
aussi, à se réunir afin de faire part de leurs desiderata au Ministère des Affaires Étrangères. Si
l’on dépasse quelque peu le cadre temporel de notre étude, la correspondance consulaire nous
offre un exemple de cette mobilisation des notables français en faveur du consulat de La Ha-
vane : le manque cruel de personnel auquel doit faire face la Légation en 1919, véritable an-
tienne dans les correspondances des consuls, aurait été préjudiciable à la colonie.

« Nous avons l’honneur d’attirer votre bienveillante attention sur une situation qui est faite à la Colo-
nie Française de La Havane du fait du défaut de personnel à la Légation de France. (…) Conséquence
facheuse pour la Colonie, nos affaires sont traitées avec une lenteur qui n’est pas sans nuire à nos
intérêts.

Cet état de choses présente d’autres inconvénients. A cette heure, le commerce français est destiné et
nous le souhaitons vivement – à s’intensifier dans ce pays et à prendre sur le marché la place du com-
merce allemand. Le moment est favorable. L’état d’esprit du Cubain si bien disposé envers la France,
permet même toutes les espérances. Encore faut-il que nous trouvions un appui sérieux à la Léga-
tion, appui rendu possible, nous le répétons, par l’existence d’un personnel assez nombreux.

Et nous ne parlons pas de l’effet facheux que peut produire sur les habitants de La Havane, la vue
d’une Légation, quasi désertique, quand les gouvernements étrangers s’efforcent d’agir en sens con-
traire et de donner à leurs représentants tous les moyens d’augmenter leur situation morale.

129
Voir retranscription du courrier en annexe n°9.
117
Veuillez, Monsieur le Ministre, excuser notre demande. Elle est dictée uniquement par le souci de
voir la France occuper dans cette île si sympathique la place qui lui revient dans le monde, de
part la vaillance de ses armées, la valeur de ses chefs, et la sagesse de son gouvernement (…) » 130

Cette missive collective exaltant les grandeurs de la France et des bienfaits prodigués par le
personnel consulaire à la communauté française a été rédigée et signée par des noms qui, au
fur et à mesure de notre étude, nous sont devenus familiers car récurrents. La récurrence de
ces noms et les fonctions qui leurs sont associées nous permettent d’affirmer qu’ils font partie
des membres les plus éminents de la colonie française de La Havane, voire de l’ensemble des
colonies de l’île. Parmi ces signataires figurent :

- J. Loustalot, Président de la Société Française de Secours Mutuels ;


- Régis du Repaire de Truffin*131, Ex-président de la Chambre de Commerce Française de La
Havane ;
- Pierre Prosper Montané*, Président de l’Alliance Française ;
- Ernest Gaye*, Agent général de la Cie Générale Transatlantique Française,
- Edgard D, Président de la Société française de Bienfaisance
- Jacques Grujon*, Vice président de la Société française de Bienfaisance, Secrétaire général
administratif de la Chambre de Commerce Française de La Havane
- Marcel Le Mat*, Président de la Chambre de Commerce Française de La Havane.
La diatribe patriotique de ces messieurs, témoignant certainement d’un véritable attachement
à la France où nombre d’entre eux sont nés, semble être avant tout destinée à émouvoir le
Ministère des Affaires Étrangères. Les arguments avancés, au sujet de la santé économique
française à Cuba et des potentialités que lui offre la défaite allemande, sont d’une logique
implacable et donnent un poids conséquent à leur demande de personnel supplémentaire.
Cette alliance visiblement inédite des élites économiques et intellectuelles françaises de Cuba
souligne une fois de plus les liens forts existant entre les représentants de la France sur place
et les membres de la communauté. Il serait vain de croire que le personnel consulaire ne prête

130
Courrier du 27 janvier 1919, Carton n°297, « Correspondance des postes – Dépêches – Minutes, La Ha-
vane », Fonds « Personnels et Agences consulaires », Série « Fonds personnels », Sous-série « Agences consu-
laires et correspondances », CADN.
131
L’astérisque * désigne les personnes identifiées grâce aux registres d’immatriculations consulaires.
118
l’oreille qu’aux Français les plus fortunés. Comme nous l’avons remarqué dans nombre de
courriers mentionnés précédemment, la mission de protection des consuls s’adresse aussi aux
indigents et aux malades français. Les fonds annuels alloués aux consulats par le Ministère
des Affaires Étrangères, auxquels peuvent s’ajouter des fonds exceptionnels, doivent, entre
autres, servir au rapatriement des plus pauvres sur le territoire national, à l’achat de médica-
ments ou à l’enterrement de ceux qui n’ont pas survécu. Ils doivent également faire office de
secours attribués de façon ponctuelle ou régulière aux familles françaises dans le besoin (fa-
milles nombreuses, veuves avec enfants, etc.). Les consulats français à Cuba ont, dans ce do-
maine, eu fort à faire en raison des épidémies meurtrières qui sévissaient dans l’île à la fin du
XIXe siècle132. En 1887, le consul de Santiago de Cuba fait part au ministère des efforts pro-
digués dans l’ensemble de la province, en particulier par d’autres représentants officiels, pour
venir en aide aux malades :

« En présence de l’épidémie croissante de variole – sans compter le vomito negro133 – qui a déjà
frappé plus d’un vingtième de la population de Santiago (…) on a organisé des secours et de tous côtés
les souscriptions sont ouvertes en faveur des malheureux sans ressources.

J’ai l’honneur de prier votre excellence de vouloir bien m’autoriser à contribuer à cette œuvre de
charité en mettant à ma disposition une allocation extraordinaire sur les frais de service de ce poste.

Le Consul d’Allemagne a souscrit une somme de cent piastres, et les autorités des quantités plus ou
moins élevées.

La colonie française, assez considérable dans cette cité et ses environs, participera certainement à la
répartition des fonds que l’on recueillera, et il me paraît opportun que le Consulat de France ne
reste pas en arrière, notre pays étant celui dont les nationaux sont les plus nombreux dans toutes la
province de Santiago (…). »

132
Voir sur le sujet les récits hauts en couleurs des voyageurs français : Berchon, Charles, « Six mois à Cuba :
La Havane » in Le Tour du Monde, Paris, 1907 ; Ampère, Jean-Jacques, Promenade en Amérique : États-Unis,
Cuba, Mexique, Paris, 1856 ; L'Épine, Ernest, « La Havane. Matanzas », in L'Épine, Ernest ; Simond, Charles ;
Van Cleemputte, Paul Adolphe, L'Avenir des Antilles espagnoles, Paris, 1897-99.
La situation sanitaire de Cuba, et de La Havane en particulier, se serait améliorée grâce à l’occupation améri-
caine, les militaires ayant effectué des travaux de voierie, des constructions de systèmes d’évacuation. Ils au-
raient été à l’origine de la vulgarisation de différents procédés sanitaires ayant favorisé la diminution de la pro-
pagation des maladies. Lire à ce sujet l’éloge fait à la présence américaine par Guerlac, Othon, « Cuba sous
l’administration américaine » in Le Tour du monde, Paris, 1903.
133
Le « vomito negro » ou vomi noir est un autre nom donné à la fièvre jaune.

119
La charité dont doit faire preuve le personnel consulaire ne se limite donc pas aux petits ca-
deaux remis aux plus pauvres lors de la célébration de la Fête Nationale. Le consul général est
responsable, en tant que représentant officiel, des hommes et des femmes sur qui il est chargé
de veillé. Il doit assurer leur protection et leur garantir le même accès aux soins que s’ils
étaient sur le sol français. Le consul fait figure de tête de pont de la colonie vers qui tous sont
sensés se tourner en cas de problème. Il semblerait d’ailleurs que le recours à l’aide ou à la
médiation consulaire ne se fasse, pour la plupart des Français à Cuba, que lorsqu’ils rencon-
trent des difficultés. Nombre d’entre eux arrivent à Cuba et peuvent y vivre, se marier, avoir
des enfants, et ce pendant des années, sans être connus de la légation. Mais lorsque le sort
s’acharne sur eux, sous la forme d’un litige, d’une injustice, d’une catastrophe ou, dans le cas
le plus évident, une guerre, ils n’hésitent pas à se tourner vers le personnel envoyé par la
France. Des éléments déjà en notre possession témoignaient de la situation de crise dans la-
quelle la Guerre d’Indépendance avait certainement plongé les consulats français. En effet, les
diagrammes à bâtons basés sur les immatriculations présentés lors de notre tentative
d’évaluation de la population française à Cuba134, malgré l’irrégularité de leurs données, des-
sinaient des pics d’enregistrements significatifs au cours de la guerre hispano-américaine. Ces
chiffres nous montre que le nombre annuel des immatriculations a pratiquement été multiplié
par huit entre l’année ayant précédé la guerre (en 1894) et le pic d’enregistrement connu par
les consulats en 1896, passant de 31 à 241 personnes enregistrées.

La mise en place d’œuvres de charité, la distribution de secours, sont des actions chapeautées
par le consul général mais dans les faits, leurs application est généralement déléguée aux or-
ganisations dédiées à ces questions telles que, à La Havane, la Société de Secours Mutuels et
la Société française de Bienfaisance.

2. Les institutions françaises : éducations et bienfaisance.

Les liens entre les sociétés de secours françaises et les consulats généraux sont très étroits,
dans la mesure où, si la création d’une société de ce genre peut être une entreprise indivi-

134
Voir la Figure 5, page 23.
120
duelle comme cela a été le cas à Cuba135, les sociétés de bienfaisance fonctionnent avec l’aide
de financements versés par le Ministère des Affaires Étrangères, en plus des sommes versées
par les adhérents. Il en va de même pour tous les organismes qui touchent à la culture, à
l’éducation française qu’ils soient laïcs ou religieux. Même s’ils ne dépendent pas du consu-
lat, les consuls généraux n’ont de cesse de se préoccuper de leurs évolutions, de leur devenir
comme en témoignent les références faites à ces structures dans la correspondance consulaire,
qui rappelons-le, reste l’angle à partir duquel nous abordons les colonies françaises de Cuba.

a. L’éducation à la française.

Au début du XIXe siècle, l’Église catholique renoue avec une longue tradition missionnaire,
coordonnée par Rome. À partir du pontificat de Grégoire XVI (1831-1846), la papauté re-
prend un rôle déterminant dans la direction du mouvement missionnaire qui s’amplifie consi-
dérablement dans l’Église et notamment en France. L’action missionnaire repose principale-
ment sur les activités des ordres enseignants et des ordres féminins devenus indispensables. Et
cette action missionnaire n’épargnera pas l’île de Cuba puisque plusieurs congrégations y
seront dénombrées. Mais les décisions du Vatican en matière de renouveau missionnaire ne
seront pas les seules raisons motivant la présence de religieux, versés dans l’enseignement, à
Cuba.

La correspondance consulaire n’a été que très peu prolixe au sujet des structures
d’enseignement mises en place par les Français à Cuba. On n’apprend l’existence de tels or-
ganismes qu’au détour par exemple d’une lettre adressée au Ministère des Affaires Étrangères
par Edmond Bruwaert, consul général de France à La Havane en 1903 136. Ce courrier a pour
objectif de départ de faire part au ministre de la création par une congrégation de Domini-
caines d’une nouvelle école française à La Havane.

135
La Société de Secours Mutuels de La Havane aurait été créée par un migrant français, Georges-Henri Chai-
gneau, arrivé dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Voir Verdonneaud, Catherine, “Del sur de Francia a
Santiago de Cuba” in Cuba et la France, Francia y Cuba, Op. Cit.
136
Courrier du 13 janvier 1903, Carton n°3 « Politique Intérieure » T.I, 1903-1909, Cuba, C. P. & C. Nouvelle
Série, Affaires Politiques, CADLC. Voir retranscription en annexe 11, page 163.

121
« Une école française de jeunes filles dirigées par des Dominicaines de Montpellier s’est ouverte,
hier, à La Havane, 131 rue Campanario, sous le nom de N. D. du Rosaire. L’école comprend un
asile137, un cours primaire, un cours supérieur et se propose, vu le prix d’admission, de recevoir les
enfants des meilleures familles de la ville, soit comme externes, soit comme internes.

La Supérieure (…) est venue ici se vouer à l’œuvre de l’éducation des filles d’après nos méthodes
religieuses de France. »

Cette nouvelle école française ouverte en 1903 n’est pas la première du genre dans l’île. Il
semblerait en effet que les Français a été assez nombreux à venir à Cuba pour enseigner leur
langue, leur culture et transmettre leurs connaissances dans divers domaines. À l’instar des
Dominicaines installée rue Campanario, une rue déjà habitée par des Français comme nous
l’avons constaté138, les structures éducatives mises en place à Cuba, et particulièrement à La
Havane, sont des structures régies par des ordres religieux et dédiées à un public particulier.
Dans le cas de l’école de la rue Campanario, se sont donc des religieuses de l’ordre domini-
cain qui, sous l’égide, et grâce à la fortune, de la mère supérieure, originaire d’une famille
française de Cuba, ont ouvert leurs portes aux jeunes filles des élites locales. Il semblerait que
les structures éducatives françaises à Cuba, se soient, pour la majorité, spécialisées dans
l’éducation des enfants des classes sociales les plus élevées de l’île, et ce quelle que soit la
nationalité des élèves. Cette impression se renforce lorsque l’on se penche sur les matières
enseignées dans certaines de ces écoles (arts plastiques, musique, etc.). Les Dominicaines
arrivées en 1903 ne sont pas les seules françaises à s’être lancées dans l’éducation d’une part
des jeunes filles, et d’autre part des enfants des familles aisées de Cuba. Il semble qu’au début
du XXe siècle, la concurrence faisait rage entre les institutions créées par des Françaises,
comme le montre la suite du courrier d’Edmond Bruwaert.

« Elle s’est heurtée à quelques difficultés par suite de l’existence d’établissements anciens ayant le
même but : le couvent, fort à la mode, des Dames du Sacré Cœur, relevant de la rue de Varenne139,
dans le quartier élégant du Cerro ; l’institut de Mlle Dolz, (…) fondé au Prado, dans le quartier riche

137
Il doit s’agir d’un internat.
138
Voir Figure 8 : RUES HAVANAISES HABITÉES PAR DES FRANÇAIS, page 42.
139
Référence à l’Hôtel Biron situé au 77 de la rue de Varenne, occupé de 1820 à 1904 par la congrégation fémi-
nine des Dames (ou sœurs) du Sacré-Cœur. Voir le site du Diocèse de Paris, www.paris.catholique.fr.

122
de la ville ; le collège français de Mme Laviolette, dans le quartier d’affaires, auquel le gérant du
diocèse, Mgr Barnada, Archevêque de Santiago, donne beaucoup d’encouragements.»140

L’éducation des jeunes filles à La Havane est donc le fait de pas moins d’une demi-douzaine
d’établissements aussi bien laïques que catholiques. Le public visé par ces établissements, et
les pratiques qui y ont cours, ne sont nullement décrits dans la correspondance consulaire.
Mais l’on peut se douter qu’à l’exemple du couvent des Dominicaines, ce ne sont que les
jeunes personnes des familles riches qui y sont acceptées. Au caractère élitiste des admissions
vient s’ajouter le niveau élevé de l’enseignement prodigué par ces femmes. Il semblerait que
l’éducation française à Cuba ait été un synonyme de qualité. En effet, la France, à travers les
congrégations religieuses présentes dans l’île, forte de sa réputation, mise beaucoup sur la
qualité et le raffinement de son éducation : pour le consul Bruwaert, « l’œuvre rencontre
beaucoup de sympathies locales, à cause (…) du bon renom de notre enseignement reli-
gieux ». Le rôle des ordres religieux français dans l’enseignement à Cuba a été des plus im-
portants. Les Dominicaines et les Sœurs du Sacré-Cœur n’ont pas été les seules à se consacrer
à l’éducation des petits cubains, et certainement des enfants des migrants.

« Les pères Dominicains français sont établis dans l’île, à Cienfuegos, où ils ont été attirés par Mgr
Chapelle, archevêque de la Nouvelle-Orléans, délégué apostolique à Cuba141. Mgr Barnada me dit
qu’ils se heurtent à des difficultés financières assez sérieuses dans l’œuvre d’enseignement gratuit
qu’ils ont fondée : d’une part les loyers sont élevés et le diocèse ne peut rien leur donner, ou seulement
une somme insuffisante ; d’autre part, les Supérieurs ecclésiastiques pensent que les pères devraient,
de préférence, se vouer à la prédication et renoncer à l’enseignement. Je regretterais beaucoup cet
échec, car le professeur français, quel qu’il soit, est toujours des plus utiles à notre influence.[…]

Mgr Chapelle s’était montré favorable à l’introduction à La Havane des Petits frères Maristes de
Lyon qui s’occupent d’enseignement moderne. Il rentre de Rome et m’apprend que, faute de sujets, la
maison mère n’a pu seconder les aspirations du Frère Directeur de l’École Ste-Anne de new York, qui
avait grand désir de venir travailler ici. Mgr Chapelle s’est tourné du côté des Frères de la Doctrine
chrétienne et dit avoir rencontré plus d’espérance dans cette direction. »142

140
Courrier du 13 janvier 1903, Op. Cit.
141
Le « délégué apostolique » est, selon la définition du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales,
un « Représentant du Saint-Siège [Vatican] sans caractère diplomatique ».
http://www.cnrtl.fr/definition/apostolique.
142
Courrier du 13 janvier 1903, Op. Cit.

123
Il convient de souligner ici l’évidente ségrégation existant dans l’enseignement de l’époque
entre hommes et femmes, l’éducation des jeunes hommes étant majoritairement réservée aux
premiers, et celle des jeunes femmes étant à la charge de leurs aînées. Contrairement à leurs
consœurs, les Dominicains « attirés » à Cienfuegos par l’archevêque Chapelle ne se sont pas
intéressés aux filles de bonnes familles havanaises, mais plutôt à l’éducation des plus pauvres
puisqu’ils prodiguent un enseignement gratuit. Les deux établissements pourtant dirigés par
des religieux appartenant à l’ordre de Saint-Dominique, sont différents en tous points : le
premier enseigne uniquement aux filles, alors que le second semble être versé dans
l’éducation des garçons ; le couvent des Sœurs, situé dans la capitale est payant, voire cher,
alors que les Frères officient gratuitement ; l’ouverture de l’école havanaise promet d’être un
franc succès alors que l’école cienfueguera est menacée de fermeture. Il convient de rappeler
que l’Ordre des Dominicains est un ordre mendiant, basé sur le renoncement aux biens maté-
riels et vivant de ce fait grâce aux dons de toutes sortes. Si les frais d’admission, auxquels
doivent certainement s’ajouter les donations des familles des pensionnaires havanaises, favo-
risent le bon fonctionnement du couvent, la faible participation de l’église catholique et la
gratuité des cours jouent en défaveur des Frères. Elles vont surtout à l’encontre des attentes de
la France, et de celles du consul Bruwaert qui voit d’un mauvais œil la perte d’alliés de
l’entreprise, quasi impérialiste, de la France d’autant plus que les ordres religieux français,
parce que catholiques, bénéficient d’un appui des plus haut placés : celui de Tomas Estrada
Palma en personne.

« Le Président de la République ne voit pas d’un mauvais œil ces efforts : tout au contraire. […] il a
déclaré à notre vénérable compatriote qu’il préférait maintenir l’unité catholique de l’île et voir éli-
minées toutes les tentatives du protestantisme en matière de propagande ou d’éducation. »143

La position d’Estrada Palma en faveur de l’enseignement religieux catholique, religion pro-


fondément ancrée à Cuba par des siècles de colonisation espagnole, et qu’il oppose à
l’évangélisation protestante principalement introduite dans l’île par les Américains, s’oppose
aux évènements qui ont lieu à la même époque en France. En effet, le tournant du siècle a été
un moment de rupture nette entre l’Église et la République française, entre l’expulsion des

143
Ibid.

124
Jésuites en 1880, et la loi de séparation des Églises et de l’État en 1905, le moment le plus
important pour nous étant l’exode des congrégations religieuses. La loi de juillet 1901, pro-
mulguée par le gouvernement Waldeck-Rousseau, président du Conseil des ministres, au sujet
des statuts des associations, devient un outil au service de la politique anti congréganiste de la
IIIe République. Cette politique sera poursuivie par le gouvernement de son successeur, Émile
Combes, qui en 1904, la parachèvera avec la promulgation au mois de juillet d’une loi interdi-
sant aux membres des congrégations religieuses de pratiquer l’enseignement, entraînant de ce
fait la fermeture de centaines d’établissements. Des ordres, qualifiés d’ « empires parfois sé-
culaires »144 comme celui des Frères des écoles chrétiennes, par exemple, sont « soufflés » en
quelques mois, voire en quelques semaines. Il semblerait que l’exil a été l’objet d’un libre
choix de la part des congrégations religieuses et qu’il n’ait été ni imposé, ni interdit par le
gouvernement de la République. Plusieurs ordres religieux (Dominicains, Dames du Sacré-
Cœur, Jésuites, Maristes, etc.), des couvents entiers se sont vidés : les congréganistes n’ont
pas attendu d’être expulsés, ni d’être autorisés à rester, pour quitter la France, et ce dès 1901.
Les ordres religieux français vont se disperser partout dans le monde, mais surtout en Europe
et aux Amériques.

On ne sait si les ordres religieux français en exil se sont implantés en masse à Cuba à partir du
début du XXe siècle. Il semblerait qu’il n’y ait eu dans l’île qu’environ une demi-douzaine de
congrégations représentées : les Dominicains (hommes et femmes), les Dames du Sacré-
Cœur, les Frères des Écoles chrétiennes, des Ursulines auxquels s’ajoutent quelques prêtres.
Les sources dont nous disposons, mise à part cette lettre du consul Bruwaert, ne mentionnent
que très rarement l’existence des institutions tenues par ces religieux. En revanche, les re-
gistres d’immatriculation nous livrent quelques renseignements sur la présence dans l’île de
plusieurs de ces personnes.

144
Cabanel, Patrick ; Durand, Jean-Dominique (Dir.), Le grand exil des congrégations religieuses françaises,
1901-1914, Paris, Éditions du Cerf, 2005, 489p, Chap. II, « Le moment de l’expulsion et les choix des congréga-
nistes », p.113.

125
Figure 20 : LES RELIGIEUX IMMATRICULÉS À CUBA.

Dominicaines
Date
Nom et Prénom Âge Adresse Ville
d’immatriculation
Barthe Marie Louise 35
Pillot Juliette 51
Thiers Elisa 56 Couvent des
Gral Augustine 50 Dominicaines La Ha-
07-févr-1906 Morel Elisa 60 Carlos Terce- vane
Belloir Marie-Louise 54 ro, n°14.
Gaston Marie 43
Dumont Marie 49
Azaïs Marie 62
Dames du Sacré-Cœur
Auboyet Pierrette Collège « Sa-
48
Marie grado Cora-
La Ha-
22-mars-1909 zon » Tejadillo
vane
Thevenon Louise 55 n°2,

Ursulines
Selo
Couvent des La Ha-
12-mai-1911 Marie Josèphe, sœur 43
Ursulines vane
St Aubin
Prêtres
Gineston
Santa
06-nov-1900 Philippe Joseph Louis 28 Inconnu
Clara
Thomas
Paradan Léon fortu- « Colegio de La Ha-
02-août-1904 19
né Belen » vane
Dupont Auguste Cienfue-
Inconnu 28 Inconnu
Louis Gabriel gos
La Ha-
19-oct-1906 Trocellier Odilon 19 Luz 62
vane

Par le biais des registres d’immatriculations, nous pouvons dresser une géographie de
quelques unes des institutions religieuses dans l’île. Du fait du poids de la capitale dans les
données fournies par les registres, la majorité des religieux ont été identifiés comme résidant à
La Havane, à l’exception des deux « prêtres » de Santa Clara et de Cienfuegos. Les hommes
immatriculés en tant que « prêtres » n’appartiennent pas forcément au clergé séculier dans la
mesure où la distinction entre les deux types de clergé n’est pas effective dans les registres.
Mises à part les villes de La Havane et de Santiago de Cuba, aucune information supplémen-
taire ne nous est parvenue au sujet des ordres religieux français présents dans les villes et les
126
provinces cubaines, si ce n’est la trace de l’existence de ces deux hommes. En revanche, une
meilleure connaissance de la géographie havanaise145 nous permet de situer les établissements
gérés par les Dominicaines (rue Carlos Tercero pour le couvent) et les Dames du Sacré-Cœur
(rue Tejadillo), se trouvant respectivement dans le Centre et dans la Vieille ville, dans des
lieux déjà peuplés de Français. Le couvent des Dominicaines se situe à quelques rues de leur
école pour filles située à la rue Campanario, et celui des Sœurs du Sacré-Cœur est placé en
plein cœur de la Vieja Habana. Il semblerait que le « Colegio de Belen », vieille institution
jésuite, se soit située à quelques rues du couvent de ces dernières, vers la rue Compostela,
mais rien ne nous indique l’emplacement du couvent des Ursulines. Outre ces détails d’ordre
géographique, les dates auxquelles arrivent les religieux immatriculés viennent conforter
l’idée selon laquelle la rupture opérée entre les institutions religieuses et l’État français a joué
un rôle décisif dans l’arrivée ou dans l’agrandissement et l’expansion des ces ordres à Cuba,
puisque le premier des religieux enregistrés n’arrive qu’en 1900. La taille de chacune de ces
congrégations, leur organisation interne, le contenu de leurs enseignements, le public auquel
elles prodiguent ces enseignements, etc., sont autant d’éléments faisant défaut à cette étude,
une lacune due à l’absence de sources à ces sujets dans les archives consultées. Nous ne pou-
vons que nous contenter de quelques observations superficielles au sujet de ces religieux à
Cuba. On note ainsi que l’arrivée chez les femmes se fait de façon groupée, et qu’elle inter-
vient chez les Dominicaines, comme chez les Dames du Sacré-Cœur, qu’après l’ouverture
quelques années auparavant des écoles de leur congrégation respective. Les religieuses imma-
triculées ne font donc figure que de renforts à des institutions préétablies.

D’autres informations en notre possession nous éclairent sur la présence à Cuba d’une autre
congrégation, dont le nom n’a, jusqu’ici, été que brièvement mentionné : les Frères des Écoles
chrétiennes. Absents des registres d’immatriculation, ils font en revanche, de façon indirecte,
l’objet de plusieurs échanges épistolaires entre Jules de Clercq, le Ministre de France à La
Havane, et Raymond Poincaré, Ministre des Affaires Étrangères, entre 1912 et 1913146.

145
Voir la Figure 9: PLAN DE LA HAVANE ET RÉPARTITION DES FRANÇAIS. Page 44.
146
Carton n°136 « Service des Œuvres Françaises à L’étranger - Allocations & subventions Matériel Scolaire »,
Dossier 7 (Sociétés françaises en Amérique, La Havane), Série B « sous-direction d’Amérique », Série « Direc-
tion des affaires politiques et commerciales », Fonds « Services des Œuvres Françaises à l’étranger », CADN.

127
« J’ai l’honneur (…) que le Collège libre français de La Salle vient d’obtenir du Gouvernement cu-
bain le grand honneur d’être « incorporé », c'est-à-dire d’être assimilé aux établissements
d’enseignement primaire et secondaire de l’État. (…) Ce résultat fait honneur à nos compatriotes,
dont il démontre à la fois les bonnes méthodes d’instruction et l’estime où les tient
l’administration cubaine. »147

Le projet de Mgr Chapelle, archevêque de la Nouvelle-Orléans, de faire venir à Cuba un nou-


vel ordre religieux masculin, projet mentionné dans le courrier relatif à l’installation des Do-
minicaines, semble avoir été réalisé peu de temps après. En effet, le collège des Frères des
Écoles chrétiennes, ou Lassaliens, a été construit à Cuba vers 1905, pratiquement à la même
époque que l’internat des Dominicaines. Il s’agit d’un collège dédié à l’éducation de jeunes
garçons de la capitale. Tout comme leurs consœurs, les Lassaliens prodiguent un enseigne-
ment en faveur des plus aisés et bénéficient de l’estime de nombre de ces familles nanties,
participant ainsi à l’effort patriotique mené par les Français à Cuba. Les Lassaliens semblent,
quelques années après leur arrivée, avoir connu un franc succès dans leur entreprise puisqu’à
la rentrée scolaire de l’année 1912, ils comptent parmi leurs 4 000 nouveaux élèves les deux
fils du Général Ménocal148, ainsi que « les propres neveux du Ministre de l’Instruction pu-
blique et les enfants de nombreux hommes politiques de tous les partis ».

Il semblerait que, de façon générale, l’éducation française se soit principalement tournée vers
la formation des enfants de bonne famille. Pour Pierre Guillaume149, la formation des élites
politiques et sociales à laquelle se sont dédiés les missionnaires présents dans le monde colo-
nial, ait été faite afin de plaider en faveur de la cause religieuse. Pour l’auteur, lorsque les
missions ont eu à œuvrer à nouveau dans des sociétés déjà colonisées comme Cuba, leur poli-
tique d’enseignement a été à la fois plus simple, et beaucoup plus ambitieuse : à côté de
l’enseignement populaire, elles se sont efforcées de développer un enseignement élitiste des-
tiné à les lier aux catégories supérieures de la société. Même si au début du XXe siècle, Cuba
ne fait plus officiellement partie du « monde colonial », certaines des conclusions que tire

147
Courrier du 3 avril 1912, Ibid.
148
Mario García Menocal, président (conservateur) de Cuba de 1912 à 1920.
149
Guillaume, Pierre, Le Monde colonial XIXe-XXe siècle, Paris, Armand Colin, 1999, Chap. II « Christianisme
et colonisation », Œuvres et ordres missionnaires, p.63.

128
l’auteur sur la présence des missionnaires et leurs pratiques semblent s’accorder à la réalité
cubaine. Elles nous permettent surtout de mieux comprendre des phénomènes tels que l’usage
important de la langue française dans les institutions vouées à l’enseignement des jeunes Cu-
bains. Pour P. Guillaume, en règle générale, l’usage du français au détriment de la langue
nationale est une spécificité catholique, un choix effectué en faveur de l’assimilation ou
l’influence culturelle. Les courriers consulaires abondent largement en ce sens, n’hésitant pas
à souligner et à encourager « l’œuvre de patriotisme »150 que réalisent les ordres religieux, les
Lassaliens en particulier, à Cuba : le travail de ces derniers se voit récompensé par l’envoi à
Cuba de livres, achetés par le Ministère des Affaires Étrangères et le Ministère de
l’Instruction Publique français, destinés à être offerts au cours d’une remise de prix aux meil-
leurs élèves du Collège de La Salle.

« Les prix de français (…) ont été remis aux élèves de l’école de La Salle le 2 de ce mois. La direc-
tion de l’école a fait coïncider cette distribution avec la remise des diplômes mensuels et une véritable
cérémonie, avec intermèdes de récitation de poésie française, a été organisée sous ma présidence. La
presse avait annoncé cette manifestation en mettant en relief la généreuse pensée du gouvernement
français et l’initiative de la légation, et cette innovation a été très appréciée par l’opinion publique
cubaine. (…) Ce serait donc faire, pour le développement de notre influence intellectuelle, œuvre
très utile que de continuer, si l’état des crédits le permet, cette distribution de prix chaque année, au
nom du Gouvernement de la République (…) »151

Si peu d’éléments sur le quotidien de ces congrégations et leurs rôles effectifs au sein des co-
lonies françaises et de la population cubaine ne nous sont parvenus, force est de constater que
ces ordres poursuivent un but commun à nombre de Français présents dans l’île : assurer la
promotion de la France, même lorsque celle-ci ne veut plus d’eux. Dans sa lettre de remer-
ciement, le directeur du Collège de La Salle fait part à Jules de Clercq de ses « sentiments
d’admiration et d’amour pour une patrie que 8 ans d’éloignement forcé [lui] ont rendue plus
chère encore si possible »152. En accord avec Pierre Guillaume, on peut affirmer que le reli-
gieux est, avec le consul et le marchand, le représentant de la France à Cuba. Cette représenta-

150
Courrier de 22 Juillet 1912, lettre de remerciement du directeur du collège de La Salle au ministre de France
de La Havane, Carton n °136, Ibid.
151
Courrier du 4 octobre 1912, Ibid.
152
Courrier de 22 Juillet 1912, lettre de remerciement du directeur du collège de La Salle au ministre de France
de La Havane, Ibid.

129
tion est pour eux un terrain d’entente, et ce malgré les rapports existant entre l’Église et l’État
en France.

Si les courriers échangés entre la Légation et le Ministère des Affaires Étrangères ne suffisent
pas à nous renseigner sur la nature des enseignements dans les écoles françaises de Cuba, ca-
tholiques ou laïques, le récit de voyage de Charles Berchon153, ayant séjourné six mois dans
l’île, nous éclaire quelque peu. Il fait mention de deux établissements privés de La Havane.

« On dit beaucoup de bien d’une Mme Maria Luisa Dolz, qui dirige selon les méthodes modernes
une institution pédagogique datant de vingt-cinq ans. (…)

Tout aussi estimée est Mlle Ollivier, qui fait prospérer depuis douze ans une autre institution impor-
tante. C’est un véritable collège français où l’on enseigne notre langue, la diction, la littérature,
l’histoire, la géographie. Des élèves savent impeccablement leur chronologie historique, les noms des
rois de France, nos batailles, nos sous-préfectures, nos villes coloniales, nos conquêtes en Indo-Chine,
Soudan, Madagascar. Cet enseignement fait aimer notre patrie, et toutes ces petites Cubaines n’ont
qu’un rêve, celui de voir Paris.

Tout ce zèle en faveur du français n’est pas de trop pour lutter contre la récente immigration améri-
caine qui favorise les progrès de l’anglais, et l’invasion teutonne qui a créé à La Havane une institu-
tion allemande. Devant cet état de choses, le collège français a dû être moins exclusif à n’enseigner
que notre langue. On y joint l’espagnol et un art d’agrément castillan la mandoline154. »

La référence faite à Léonie Ollivier est des plus intéressantes. Aucune de nos sources ne nous
permet de confirmer l’appartenance de Maria Luisa Dolz155 à la communauté française. En
revanche, si Mlle Ollivier ne figure pas dans la correspondance consulaire, elle apparait dans
les registres d’immatriculation de La Havane au numéro 7463. Elle a été immatriculée le 30
juillet 1896 mais est arrivée dans l’île huit ans auparavant, en septembre 1888. Elle est née en
Dordogne, âgée de 27 ans au moment de son immatriculation, elle s’est présentée au consulat
général comme étant institutrice156. Elle est célibataire et vit au n°56 de la rue Obispo à La
Havane. Il semblerait que son établissement, même s’il ne figure pas dans la courte liste dres-
sée par le consul, ait été très apprécié. La nature des enseignements, très diversifiés, prodigués

153
Berchon, Charles, « Six mois à Cuba : La Havane », Op. Cit., p.387.
154
Voir la photo de classe placée en annexe n°13, page 169.
155
Voir Courrier du 13 janvier 1903, Carton n°3 « Politique Intérieure » T.I, 1903-1909, Cuba, C. P. & C. Nou-
velle Série, Affaires Politiques, CADLC.
156
Voir la Figure 21: ENSEIGNANTS IMMATRICULÉS À CUBA.127.
130
dans l’école de Mlle Ollivier peut intriguer du fait de l’usage exclusif du français et du carac-
tère très patriotique qu’ils prennent. En effet, on peut s’étonner de voir à Cuba un enseigne-
ment uniquement francophone destiné à un public dont l’Espagnol est la langue maternelle.
Le caractère privé de cette école, l’engouement de certaines couches de la population cubaine
pour tout ce qui est français, peuvent expliquer l’existence de ces écoles étrangères. Tout
comme les représentants officiels de la France, comme les entreprises françaises, les institu-
tions vouées à l’enseignement, qu’elles soient laïques ou catholiques, participent à la promo-
tion nationale et à l’avancée de la culture, pour ne pas dire de l’influence, française sur le ter-
ritoire cubain. D’après les dires de Charles Berchon, il semblerait que les écoles françaises,
tout comme les autres organes représentant la France, ne soient pas les seules à tenter
d’imposer leur culture et leurs idées à Cuba puisqu’il fait référence aux Américains déjà soli-
dement implantés dans l’île, ainsi qu’aux Allemands dont l’influence progresse. Cette concur-
rence à laquelle se livrent les écoles paraît être représentative de la situation que connaît Cu-
ba, en particulier à partir de son indépendance : l’île semble avoir été livrée en pâture aux
étrangers, quelle que soit la raison de leur présence. Et dans cette concurrence acharnée pour
imposer sa culture, ses opinions, son modèle économique, les armes dont disposent les na-
tions présentes ne sont pas les mêmes : la puissance économique du voisin américain ne laisse
que peu de place aux autres, à la France en particulier.

131
Figure 21: ENSEIGNANTS IMMATRICULÉS À CUBA.

Date de Ville de
Nom et
l'immatricu- Sexe Age Profession Adresse à Cuba résidence à
Prénom
lation Cuba
22-janv- Claire Fortunée Jeanne Professeur
F 44 Crespo 11 La Havane
1895 Bonnell de chant
11-mai-1895 Marie Louise Gendreau F 24 Instituteur Alcantarilla n°38 La Havane
08-juil-1895 Clémentine Ravier F 32 Instituteur Prado 88 La Havane
San Ignacio 46,
C% M. Hierro
07-nov-1895 Marie Bense F 27 Instituteur La Havane
Obispo 56, C%
Mme Laviolette
C% la famille
23-juil-1896 Victorine Berthe Capmann F 38 Instituteur Herrera, Marianao
6 calle campo
30-juil-1896 Jeanne Émilie Léonie Olivier F 27 Instituteur Obispo 56 La Havane
Berthe Marguerite José- Amistad 94,
19-déc-1907 F 24 Instituteur La Havane
phine Lecoq C% M. Solas
Robert Marie Félicien Kar-
13-nov-1899 H 22 Précepteur Inconnu La Havane
man
Anne Marie Françoise Mar- Professeur Teniente Rey 15,
29-avr-1901 F 39 La Havane
cet Fayet de coiffure Hôtel de France
San Ignacio 46,
11-nov-1901 Jeanne Noélly Simounet F 40 Instituteur La Havane
C% M. Hierro
19-janv-
Lucien Marius Dumail H 39 Instituteur Obispo 121 La Havane
1903
Professeur
10-déc-1909 Pierre Depasse H 45 Aguacate 116 La Havane
de français
22-févr- Hospital 18,
Carmen Salvador F 24 Instituteur La Havane
1909 C% M. Del Valle
15-mars- Alphonse Philippe Armand Instituteur Sancti Spiri-
H 21 Collège Libre
1911 Martel libre tus
15-mars- Instituteur
Paul Marius Jean Pontier H 20 Luz 62 La Havane
1911 libre
Georges William Albert
04-juil-1911 H 31 Professeur Concordia 89 La Havane
Dauphin
23-avr-1898 Marthe Baugabel F 22 Instituteur Inconnu La Havane
30-juin-1898 Joséphine Trégent F 51 Instituteur Cuba 29 La Havane
Colegio del
Professeur Sagua La
18-nov-1914 Gaston Jean Baptiste Engel H 51 Sagrado Cora-
libre Grande
zon
15-janv-
Augustin Arnaud H 21 Instituteur Linea 60 La Havane
1905
15-févr-
AnnetFrançois Rossignol H 23 Instituteur Luz 62 La Havane
1906

132
La correspondance consulaire ne s’est attachée à décrire que les institutions françaises les plus
connues de La Havane et de Santiago de Cuba. Elle ne mentionne pas la cohorte
d’enseignants de toutes sortes débarqués à Cuba entre 1887 et 1914. Les registres
d’immatriculation, de part les enregistrements nominatifs, nous permettent de nous approcher
un plus de ces individualités. Plus d’une vingtaine d’enseignants (instituteur, précepteur, pro-
fesseur, etc.) sont recensés dans les registres. Ces éducateurs sont généralement jeunes
puisqu’ils affichent une moyenne d’âge de 31 ans environ. On compte parmi eux une majorité
de femmes (une douzaine) et presque tous déclarent vivre à La Havane, sauf trois qui vivent à
Marianao (dans la province de La Havane), à Sagua La Grande (dans la province de Villa
Clara) et à Sancti Spiritus (dans la province éponyme)157. Sur les 21 enseignants qui se sont
présentés dans les consulats, seuls deux d’entre eux ont fourni des documents justifiant leur
habilité à enseigner : Marie Louise Gendreau arrive munie de son Brevet d’études supé-
rieures, et Jeanne Noélly Simounet présente, lors de son enregistrement, son Brevet de capaci-
té de l’instruction primaire. Les autres éducateurs présentent des justificatifs plus ordinaires
(passeports, extraits de naissance, etc.). Les adresses déclarées par les enseignants vivant à La
Havane ne nous sont pas inconnues : il s’agit dans la plupart des cas d’adresses situées dans la
vieille ville de La Havane, dans des rues où vivent des membres de la colonie française de la
capitale158. La mention de lieux de résidence des professeurs ne nous serait que très peu utile
si ces derniers se contentaient de déclarer uniquement leur lieu de résidence. Notre étude des
registres nous a montré que plusieurs de ces enseignants déclarait non pas l’adresse de leur
domicile, mais celui de leur employeur. Il se pourrait même que les deux adresses (domicile
et travail) ne fassent en réalité qu’un, le professeur, en particulier dans le cas d’un engage-
ment sur contrat, étant logé dans ou à proximité de l’école. La récurrence, dans les registres,
de certaines adresses abondent dans notre sens : les adresses déclarée par les enseignants simi-
laires ont été dans la Figure 21, située à la page précédente, colorées de la même couleur.
Deux instituteurs, Annet François Rossignol et Paul Marius Jean Pontier habitent au n°62 de
la rue Luz ; deux autres institutrices, Jeanne Noélly Simounet et Marie Bense déclarent vivre
au n°46 de la rue San Ignacio chez M. Hierro. Marie Bense, lors de son enregistrement à La
Havane le 7 novembre 1895, fournit deux adresses différentes : celle de M. Hierro et celle

157
Voir Carte des provinces et des principales villes cubaines, Annexe n°2.
158
Voir Figure 9: PLAN DE LA HAVANE ET RÉPARTITION DES FRANÇAIS. Page 44.
133
d’une certaine Mme Laviolette, au n°56 de la rue Obispo. Cette dernière adresse est la même
que celle donnée en 1896 par Léonie Ollivier dont il a été question précédemment. Cette Mme
Laviolette ne nous est pas totalement inconnue : précédemment, nous avions appris que « le
collège français de Mme Laviolette, [situé] dans le quartier d’affaires » était l’un des établis-
sements d’enseignement français « auquel le gérant du diocèse, Mgr Barnada, Archevèque de
Santiago, donne beaucoup d’encouragements »159. Mme Laviolette était citée par E. Bruwaert
comme l’une des principales concurrentes auxquelles de faire face le nouvel établissement
dominicain. Cette femme ne figure pas dans les registres des consulats que nous avons étu-
diés, mais le fait que Léonie Ollivier, en 1896, ait pu faire partie du personnel enseignant de
l’école de Mme Laviolette, avant de créer sa propre école, nous laisse supposer l’ancienneté
de l’institution de cette dame et donc l’ancienneté de sa présence à Cuba. Les liens ayant exis-
té entre ces femmes, la récurrence des adresses, nous laisse croire que des réseaux aient pu se
créer, comme dans le cas des mariages endogames que nous avons abordé, entre enseignants
français et directeurs d’établissement à Cuba. La quasi totalité des professeurs immatriculés
vient de la France ou de ses colonies, et seulement trois se présentent comme étant « libres »
c'est-à-dire comme des enseignants ambulants. On pourrait alors penser, qu’à l’exemple des
travailleurs embauchés sous contrats depuis l’Europe, ils aient été recrutés par les écoles cu-
baines avant leur départ, même si aucun élément tangible ne vient accréditer nos dires. On
note, parmi les professeurs, que deux d’entre eux ont donné comme adresse de domiciliation
les noms de deux établissements scolaires : le « Collège libre » pour Alphonse Philippe Ar-
mand Martel et le « Colegio del Sagrado Corazón » pour Gaston Jean Baptiste Engel. Bien
qu’aucune information ne nous soit parvenue au sujet de ces établissements, il semblerait
qu’ils soient gérés respectivement par les Frères des Écoles chrétienne et par les Jésuites de
Cuba. Autre particularité de ces enseignants : trois d’entre eux ont, lors de leur enregistre-
ment, précisé la nature de leur enseignement. Pierre Depasse est professeur de français, Anne
Marie Françoise Marcet Fayet est professeur de coiffure, et enfin, Claire Fortunée Jeanne
Bonnell se présente comme étant professeur de chant. L’enseignement de ces différentes ma-
tières n’est pas en soit un fait exceptionnel, mais replacé dans le contexte de la migration à
Cuba, il nous semble prendre une nouvelle saveur puisque ces matières appartiennent aux

159
Courrier du 13 janvier 1903, Carton n°3 « Politique Intérieure » T.I, 1903-1909, Cuba, C. P. & C. Nouvelle
Série, Affaires Politiques, CADLC.

134
domaines qui font, et ont fait, à Cuba la renommée de la France et du savoir-faire français,
que sont la culture, la mode et les arts. Comme nous l’avons déjà dit, le personnel enseignant,
au même titre que les consuls et agents consulaires, a à charge de représenter la France,
d’autant plus qu’il incarne les valeurs phares que cherchent à imposer les Français dans l’île.
Il bénéficie, comme les commerçants, les propriétaires et autres détenteurs de capitaux fran-
çais, de l’appui des consuls dans la mesure où il fait partie de la machine de propagande fran-
çaise comme le montrent les écrits de Jarousse de Sillac, chargé d’affaires de la France à Cu-
ba en 1906, face à la menace américaine grandissante :

« Nos intérêts intellectuels et artistiques ont une importance qui n’échappe pas aux groupes précé-
dents [commerçants, industriels et financiers français à Cuba] : maintenir le prestige de l’esprit
français, c’est assurer à Paris son contingent de propagande pour nos articles nationaux. L’attraction
de notre littérature, de notre art, de notre capitale apparait, au point de vue commercial, comme la
meilleure réclame, comme le pavillon plein de prestige dont nous devons couvrir nos marchan-
dises.»160

Pour le représentant de la France, la santé bonne des arts et des lettres français à Cuba est un
gage de santé de l’économie et de l’implantation française dans l’île. Son objectif n’est pas
tant la promotion de la culture française en elle-même, mais l’envie qu’elle peur susciter chez
les Cubains de consommer français. Les partis pris des représentants de la France, défendant
bec et ongles les richesses et les productions françaises pourraient laisser penser que les colo-
nies françaises de Cuba ne connaissent que félicité et prospérité dans l’île. Loin de là,
l’aventure de l’émigration n’est pas, comme dans le cas des instituteurs par exemple, syno-
nyme de possibilités d’emploi. Tous les migrants français qui arrivent à Cuba n’ont pas le
même niveau de culture, la même formation, et tous n’auront pas l’occasion de faire fortune.
Loin de leur terre natale, ils peuvent néanmoins compter sur la solidarité communautaire, en
particulier celle mise en place par les sociétés de bienfaisance, actrices supplémentaires et très
importantes dans la vie et l’organisation des colonies françaises.

160
Courrier du 2 octobre 1906, Carton n°3 « Politique Intérieure » T.I, 1903-1909, Ibid.

135
b. Les sociétés de bienfaisance et de secours mutuels.

« Les migrants ont perdu la solidarité de proximité qui était, en France, celle de leur famille, de leur
village, de leur profession, de l’Église ou des municipalités. Il n’existe pas d’équivalent institutionnel
aux États-Unis, ce qui pousse à la création de réseaux d’entraide entre migrants. Les sociétés de
secours fournissent de l’aide pour un emploi, un logement, des soins. Elles donnent des nouvelles des
parents, éventuellement une aide financière pour retourner en France. Elles offrent un soutien maté-
riel et psychologique. »161

C’est ainsi qu’Annick Foucrier résume les rôles qu’ont joués les sociétés de bienfaisance dans
la vie des migrants français en Californie. Leurs actions ont été les mêmes à Cuba auprès des
membres les plus démunis de la communauté. Entre 1887 et 1914, les archives consulaires en
notre possession ne révèlent l’existence que de deux véritables organisations de ce genre : la
Société de Secours Mutuels et la Société française de Bienfaisance de La Havane. Elles œu-
vrent toutes les deux auprès des nécessiteux de La Havane. Une troisième organisation de ce
type a vu le jour dans la province de Cienfuegos, mais il semblerait qu’elle ait été beaucoup
moins crédible que ses consœurs havanaises. Arrêtons brièvement d’abord au cas de cette
pseudo société de bienfaisance avant d’aborder le travail effectué par les deux autres à La
Havane.

Dans un courrier daté du 20 juin 1887162, que rédige le consul de La Havane, au sujet d’une
pétition signée contre la nomination d’Alfred Hautrive comme agent consulaire de Trinidad et
Cienfuegos (dont il a été question précédemment) on apprend que l’un des signataires et ins-
tigateur de la pétition, un certain M. Houillon, s’était lancé dans la création d’une société de
bienfaisance. Le consul de La Havane abordait le cas Houillon en ces termes :

« Le Sr Houillon (Émile Marcel), français, non immatriculé, et qui a déclaré, lors du dernier recense-
ment quinquennal, être dans l’habitude de ne jamais se faire inscrire au Consulat français de ses
diverses résidences, n’habite Cienfuegos que depuis trois ou quatre ans. Âgé de trente et quelques
années, il parait être venu depuis longtemps en Amérique où il se donne comme ayant été tour à tour
professeur, épicier, maître de pension. (…) [Il] s’est établi à Cienfuegos, où n’ayant aucun métier et
se croyant propre à tout faire, il a acheté à crédit pour environ 1 500 piastres, une petite boutique
d’horloger, dans laquelle un ouvrier à ses gages rhabille les montres et raccommode des bijoux. La

161
Foucrier, Annick, Le rêve californien, migrants français sur la côte pacifique, XVIIIe- XXe siècles, Paris,
Belin, 1999, Sous-chap. « Les associations d’initiative locale et d’utilité publique », p.193.
162
Carton n°40, « Correspondance antérieure à 1920 », Fonds « Personnels et Agences consulaires », Série
« Fonds personnels », Sous-série « Agences consulaires et correspondances », CADN. Retranscription en annexe
n°12.
136
branche la plus lucrative de son commerce (…) consiste dans la vente de ces petits ex-voto, en argent
repoussé, figurant les diverses infirmités humaines (…) que les gens du peuple achètent pour les dé-
dier au Saint à l’intercession duquel ils ont demandé leur guérison.

Imbu de doctrines philosophiques et sociales très avancées, le Sr Houillon s’est mis à la tête d’un petit
groupe de gens échoués comme lui à Cienfuegos. »

Le Sieur Houillon fait donc partie de la masse de ces Français qui ont beaucoup circulé en
Amérique, véritable aventurier presque sans foi ni loi. Ayant épousé une Cubaine fortunée de
Sagua La Grande à la Nouvelle-Orléans en 1878, du temps de la Guerre des Dix ans, il revient
dans l’île après s’être séparé d’elle. Émile Houillon est mentionné dans la correspondance
consulaire à cause de la prétention de ses actions. Outre la pétition signée, selon les mots du
consul, par « une demi-douzaine d’aventuriers ou de mendiants », sensée demander la révoca-
tion d’Alfred Hautrive du poste d’agent consulaire de Trinidad et Cienfuegos au profit de
Houillon, ce dernier a brillé par la création de la société de bienfaisance dont il est question.

« Le Sr Houillon est bien vice-président d’une Société de Secours mutuels (…). Mais il faut savoir
que cette société dite « l’Union fraternelle française de Cienfuegos », fondée au mois d’août dernier
pour les besoins de la circonstance, mélange incohérent de bienfaisance et de mutualité, et dont les
statuts rédigés par Houillon dans un français si étrange qu’il en devient parfois incompréhensible,
n’est autre chose que l’organisation même du petit groupe à la tête duquel il manœuvre ; et auquel
il a pu rattacher une vingtaine de ces personnes qui ne refusent pas leur concours à une œuvre de
bienfaisance, quels qu’en soient les initiateurs. C’est ainsi que M. Taillacq, flatté dans son amour-
propre d’ouvrier parvenu, a accepté d’en être le Président. Mais, en réalité, cette œuvre « aussi su-
blime que généreuse », et parfaitement déplacée dans un aussi petit centre que Cienfuegos, n’a eu
d’autre but que de donner à M. Houillon (…) un faux vernis de considération (…). »

Les statuts de cette association créée en l’occasion de la compagne de Marcel Houillon pour
devenir agent consulaire, et qui n’a sans doute jamais aidé quiconque, sont, comme le dit le
consul, remplis de fautes et rédigés dans un charabia inintelligible et confus. L’introduction
du recueil contenant ces statuts, également signée de la main de Houillon, et placé en annexe
n°14, illustre le manque totale de crédit de cette association et de ces membres.

À la vacuité et à la vanité de l’entreprise d’Émile Houillon, s’opposent la pérennité et l’utilité


de véritables associations comme celle de Georges-Henri Chaigneau, migrant français ayant

137
créé la Société française de Bienfaisance en 1833163 et comme la Société de Secours Mutuels
de La Havane. Nicole Simon, dans son travail consacré à Francis Lavallée, membre de la So-
ciété de Géographie de Paris, relate les circonstances qui ont poussé les Français comme G.-
H. Chaigneau à mettre en place un système d’aide aux plus démunis.

« Un (…) moyen d’aider les Français résidant dans l’île était les subsides de l’ « Association fran-
çaise de bienfaisance de La Havane ». Créée en 1833, à l’occasion de la terrible épidémie de choléra
qui sévit cette année-là à Cuba, elle avait pour but de départ, « d’assurer des secours de toutes espèces
aux malades, […] de pourvoir à la subsistance des indigents. Les 113 adhérents du départ étaient 275
en 1849. Les comptes rendus annuels de cette association ainsi que la liste des adhérents étaient
envoyés régulièrement par les consuls de La Havane au ministère des Affaires Étrangères. » 164

Quelques uns de ces comptes rendus annuels de la Société française de Bienfaisance et de la


Société de Secours Mutuels de La Havane envoyés à Paris par le personnel consulaire nous
sont parvenus. Ils font partie du fonds d’archives consacrés aux « Services des Œuvres fran-
çaises à l’étranger » conservé au Centre des Archives Diplomatiques de Nantes. Pour la So-
ciété de Secours Mutuels, association la plus récente de deux, fondée en 1870, seuls 2
comptes rendus (pour les années 1912 et 1917) sont disponibles à la consultation à Nantes. En
ce qui concerne la Société française de Bienfaisance, les bilans annuels sont plus nombreux et
vont de 1911 à 1917. Dans la mesure où certains de ces comptes rendus dépassent quelque
peu les bornes chronologiques de notre étude, ils ne seront utilisés qu’à titre indicatif, ou s’ils
présentent des spécificités particulières, car au fil des années peu de choses changent dans la
composition et le mode de fonctionnement déjà ancien de ces deux institutions. Si la Société
française de Bienfaisance, et certainement la Société de Secours Mutuels, de La Havane ont
été créées au départ pour répondre à aux besoins des Français en matière de soins médicaux,
au fur et à mesure du temps, ces deux organisations sont devenus bien plus : avec d’autres
institutions comme le consulat, la Chambre de Commerce, l’Alliance Française dont les exis-
tences ont été révélées par la correspondance, les sociétés de bienfaisance et de secours sont
devenus des piliers de la colonie française de La Havane. Leurs rôles au sein de la commu-
nauté se sont étoffés, développés, jusqu’à dépassé le cadre de la seule communauté des Fran-

163
Verdonneaud, Catherine, “Del sur de Francia a Santiago de Cuba”, Op. Cit.
164
Simon, Nicole, « Francis Lavallée (1800-1864), vice-consul de France à Trinidad et correspondant de la
Société de Géographie », in Cuba et la France, Francia y Cuba, Op. Cit., p.127-154.

138
çais résidant à La Havane. Le rôle social fort des sociétés d’entraide et l’évolution de leur
composition interne ont été abordés par Annick Foucrier dans sont travail sur la communauté
française de Californie. Les conclusions qu’elle en tire, de part la ressemblance entre les
mouvements migratoires qu’elle a étudiés et les nôtres, concordent avec la réalité de ces so-
ciétés dans l’île.

« Le but premier est l’assistance aux nécessiteux. (…) Les services fournis peuvent faire la différence
entre la possibilité de traverser un passage difficile et la déchéance. C’est une intégration des travail-
leurs dans une organisation fondée sur une appartenance linguistique et nationale (ethnique), hors
de toute position politique. La Société ne règle pas le problème de l’indigence, mais elle contribue à
cimenter la population française et d’origine française autour d’une association unique à fonction de
solidarité, qui accepte de prendre en charge les aléas de la maladie et de la mort. »165

Le fonctionnement des sociétés de bienfaisance, mais également des sociétés mutualistes,


repose sur trois piliers qui sont : les donateurs, les sociétaires et bien sur les bénéficiaires, les
deux premiers rôles étant souvent joués par les mêmes personnes ; avec la charge, pour les
sociétaires (administrateurs et membres) d’équilibrer la balance entre les deux autres piliers,
c'est-à-dire entre les recettes tirées des dons et les dépenses en faveur des indigents. Pour
mieux comprendre le rôle de gestionnaire de fonds que jouent les sociétés, penchons-nous sur
le bilan annuel de la Société française de Bienfaisance pour l’année 1912 :

« Le capital de la Société est de 31 200 francs166 (…), ce capital est placé pour les 2/3 en hypothèque
er pour 1/3 déposé dans une des principales banques de la villa.

Les recettes de la Société comprennent normalement les cotisations et donations des membres, sous-
scripteurs ou donateurs, la subvention du Ministère des Affaires Étrangères, ainsi que les intérêts
des fonds placés en banque et sur hypothèque ; en 1912 sont venus s’y ajouter quelques rembourse-
ments et le solde de la caisse au 1er janvier. Le tout a représenté une somme de 6 442,64 francs (…).
Les plus fortes dépenses concernent les pensions annuelles et les allocations temporaires qui, à elles

165
Foucrier, Annick, Le rêve californien, migrants français sur la côte pacifique, XVIIIe- XXe siècles, Op. Cit.,
p.198-199.
166
Soit 112 320 € (conversion basée sur la valeur du franc en 1909 : 1 franc = 3,60 euros d’après l’indicateur de
l’Insee).

139
seules, ont absorbé 5 053 francs environ ; viennent ensuite les frais de voyage, de pharmacie et
d’enterrements. »167

L’extrait du bilan de la Société française de Bienfaisance pour 1912 contient des informations
sur les recettes et les dépensent que l’on retrouve dans la majorité des comptes rendus expé-
diés par La Havane au Ministère des Affaires Étrangères. Les fonds permettant
l’approvisionnement des comptes de la Société française de Bienfaisance, mais également
ceux de la Société de Secours Mutuels, proviennent de trois sources : les dons de toutes
sortes, les cotisations annuelles des membres et les subventions officielles. Au cours de la
période qui nous occupe, les cotisations versées par les membres de la Société française de
Bienfaisance tournaient autour de 4,24 $ (Or) par mois, soit un total de 50,88$ (Or) par an. Il
semblerait que ces quatre dollars mensuels correspondent aux versements effectués par
l’ensemble des membres de la société. Les comptes de la société de bienfaisance, dont l’un
d’entre eux figure en annexe n°3, sont extrêmement compliqués à comprendre dans la mesure
où, jusqu’en 1914, ils sont présentés et convertis en plusieurs monnaies en cours à l’époque.
Dans le courrier accompagnant les exemplaires (7 en moyenne) du bilan de la Société fran-
çaise de Bienfaisance pour l’année 1912, le consul de La Havane mentionne que « les
comptes sont établis en monnaies américaine et espagnole (or et argent), qui sont celles qui
circulent dans l’île avec force libératoire. » Le recours aux conversions et à diverses devises
pourrait s’expliquer par la condition économique et politique dans laquelle se trouve l’île au
début du XXe siècle. Le passage du régime colonial espagnol au protectorat américain a con-
tribué au mélange des devises, et peut-être aussi à la perte des repères basés l’ancien système
monétaire. Il ne nous a pas été permis de parvenir à définir clairement ce que représentaient
ces devises pour l’époque, ni leur équivalent actuel en euros168. Les dons proviennent des
membres de la société, mais également de personnes qui lui sont étrangères. Ils sont souvent
effectués par des entreprises, par des notables français ou étrangers (cubains ou autres). En

167
Courrier du 10 février 1913, Compte rendu Société française de Bienfaisance pour l’année 1912, Carton
n°133 « Service des Œuvres Françaises à L’étranger », Fonds « Personnels et Agences consulaires », Série
« Fonds personnels », Sous-série « Agences consulaires et correspondances », CADN.
168
Une note manuscrite (au crayon à papier) dont l’auteur nous est inconnu (personnel consulaire ? archiviste ?)
figure sur le compte rendu de la Société française de Bienfaisance pour l’année 1911, précisant les conversions
suivantes : « 1$ CY= $1,10 ¼ argent » et « 99 ¼ or esp. = $1 argent ».

140
1912, on trouve au rang des donateurs pas moins de sept entreprises (MM. Bock et Cie ; MM.
Calixto Lopez et Cie ; MM. Carvajal et Cie ; MM. Cifuentes Fdez et Cie ; MM. Rabel, Costa,
Val. et Cie ; MM. Villamil (Havana Commercial Cie); MM. H. Upmann et Cie) ; et huit dona-
teurs parmi lesquels on trouve cinq personnes qui ne nous sont pas connues (MM. Fernando
Fdez, Hos; MM. Gener; MM. Bon. Levesque d’Avril ; MM. Manuel López ; MM. J. Mancini)
et deux anciens Ministres de France à La Havane (MM. P. Lefaivre, Mtre de France ; E. Bru-
waert, Mtre de France) et le Ministre en exercice (MM. J. de Clercq, Mtre de France). Les mon-
tants de ces dons ne sont pas fixés, mais ils offrent aux donateurs le privilège figurer, parfois à
vie, sur l’une des pages du compte rendu publié à la fin de l’exercice de chaque année. Ainsi,
au dos du bilan pour l’année 1912169, on pouvait lire un extrait de l’article 4 des Statuts de la
Société française de Bienfaisance disant :

« La Société accepte avec reconnaissance les dons qui lui sont adressés par les Étrangers, qui acquiè-
rent, par ce fait, le titre de membres donateurs.

Le compte rendu annuel contiendra la liste des personnes qui auront fait des dons pendant le cou-
rant de l’année ; et lorsqu’un don atteindra la somme de 100 francs, le nom du donateur restera à per-
pétuité sur cette liste. »170

La Société française de Bienfaisance de La Havane bénéficie d’autres sources de revenus :


des dividendes réguliers, provenant d’opérations et placements en banque, remboursements,
etc., et d’autres recettes provenant d’opérations plus ponctuelles comme, en 1912, un rem-
boursement d’un certain Louis Durrive ou un legs d’une personne nommée Lesieur. Des re-
venus auxquels s’ajoutent les subventions de la part du gouvernement français qui, pour
l’année qui nous occupent, ce sont élevées à 400 francs171. Ce versement de la part du gou-
vernement fait systématiquement l’objet d’une demande d’augmentation, souhait émis par la
Société française de Bienfaisance, et transmis via la correspondance consulaire. Et il semble-
rait qu’à chaque fois le Ministère des Affaires Étrangères soit resté sourd à ces demandes.
D’après le consul de Clercq, dans son courrier du 10 février 1913, la subvention gouverne-

169
Voir les photos des pages du compte rendu pour l’année 1912 en annexe n°2.
170
Courrier du 10 février 1913, Compte rendu Société française de Bienfaisance pour l’année 1912, Ibid.
171
Soit une subvention de 1440 €.

141
mentale, du fait de son insignifiance, ne permettrait pas à la Société française de Bienfaisance
de venir en aide efficacement aux nécessiteux.

« J’ai cru devoir insister sur l’intérêt qu’il y avait, dans l’opinion du Gouvernement, pour les sociétés
de Bienfaisance à secourir d’abord les Français nécessiteux dans leur circonscription et à faciliter
leur retour en France. Si dans le bilan ci-joint, ne figurent aucuns rapatriements, c’est à raison des
frais élevés qu’ils entraînent et qui, avec la réduction accordée par la Compagnie Transatlantique,
se chiffrent à 150 francs172 par personne ; la Société préfère donc, quand elle le peut et que les intéres-
sés y consentent, leur payer le voyage à un pays plus rapproché, États-Unis ou Mexique, lorsqu’ils
ont chance d’y gagner leur vie plus aisément qu’à Cuba. Mais nos compatriotes sont tout disposés à
consacrer à des rapatriements la subvention gouvernementale (…) si cette subvention est augmentée
dans des proportions en rapport avec la cherté du rapatriement. (…) Il ne m’a pas semblé davantage
utile de proposer l’attribution exclusive des secours aux Français résidant à La Havane, l’expérience
ayant prouvé l’utilité d’allocations à des voyageurs pour leur permettre de rejoindre une destination
définitive.»173

L’un des principaux objectifs d’une telle société est, certes, d’aider les plus nécessiteux en
leur versant des aides, mais il est surtout question de leur permettre de rentrer en France en
cas de revers de fortune ou de déconvenue à Cuba. Pour ce faire, la société s’appuie sur les
fonds dont elle dispose et que nous venons d’énumérer. Des fonds qui semblent être extrê-
mement insuffisants face à la cherté de la vie dont se plaignent les Français, et en particulier
les consuls. La subvention de la République est encore plus dérisoire dans la mesure où,
comme le souligne le consul, elle ne permet pas à la Société française de Bienfaisance
d’apporter correctement son aide et d’agir au mieux pour aider les Français dans le besoin.
Ainsi, pour les ressortissants français en situation d’échec à Cuba, il est particulièrement dif-
ficile de rentrer en France car, malgré la réduction offerte par la Cie Transatlantique à la So-
ciété française de Bienfaisance, cette dernière n’est en mesure d’offrir aux indigents que deux
rapatriements par ans grâce à cette subvention gouvernementale. Des voyages en direction de
pays plus proches de Cuba leur étaient payés afin qu’ils tentent à nouveau leur chance là-bas,
ou pour leur servir d’étape intermédiaire dans leur processus de rapatriement, rendant le re-
tour au pays d’autant plus compliqué. L’étude des bilans de la Société française de Bienfai-
sance en notre possession (entre 1911 et 1917) confirme la relative rareté des rapatriements

172
Le prix du voyage, avec la réduction offerte par la compagnie de vapeurs transatlantiques, s’élevait donc à
540€ par personne.
173
Courrier du 10 février 1913, Compte rendu Société française de Bienfaisance pour l’année 1912, Ibid.
142
dans les dépenses de la société. Comme le montre le tableau récapitulant les principales re-
cettes et les postes de dépense de la Société française de Bienfaisance, les frais dits de
« voyage » sont plus fréquents que les rapatriements. Il peut s’agir, comme en 1914174, de
« billets de chemin de fer dans l’île », de « passage pour Veracruz » ou de « remboursement
(…) pour le passage d’une famille embarquée pour New York ». Il convient cependant de
souligner qu’à partir de 1914, il semblerait que le nombre de rapatriements augmente sensi-
blement : au cours de cette année, la Société française de Bienfaisance financera le retour en
France de 6 familles françaises, en 1915, se seront 4 passages pour la France qui seront pris
en charge. Il en sera de même jusqu’en 1917. Le recours, dans les bilans de la société, aux
diverses monnaies en cours dans l’île nous empêche de déterminer l’augmentation ou au con-
traire la diminution des dépenses concernant les rapatriements. La situation de la France n’est
peut-être pas sans rapport avec ces retours vers la patrie dans la mesure où, grâce aux bilans
de la Société française de Bienfaisance et de la Société de Secours Mutuels, nous avons, en-
fin, la confirmation de la participation financière et humaine des colonies françaises de Cuba
à l’effort de guerre.

Les bilans des deux sociétés, ainsi que les courriers en provenance du Consulat général de La
Havane qui les accompagnent à Paris, font mention des efforts fait par les sociétés en faveur
des soldats, mais ne nous informent que très brièvement sur le départ des hommes français de
La Havane pour le front. Dans un courrier datant du 15 février 1915, le consul de La Havane
fait part au Ministère des Affaires Étrangères des premières dispositions prises par le consulat
et la Société française de Bienfaisance pour venir en aide à la patrie.

« Depuis l’ouverture des hostilités la Société de Bienfaisance s’est, en effet, acquis de nouveaux titres
à la bienveillance du Département. Son président et son trésorier occupent les mêmes fonctions dans le
Comité de Secours Patriotique [que] j’ai constitué dès les premiers jours d’août, comité aux efforts
duquel nous avons du de recueillir, tant pour la Croix Rouge que pour les familles des mobilisés et
les vêtements d’hiver de nos soldats, des sommes atteignant déjà soixante dix mille francs, sans
compter les envois de sucre, tabac, &. »175

174
Courrier du 15 février 1915, Carton n°133 « Service des Œuvres Françaises à L’étranger », Fonds « Person-
nels et Agences consulaires », Série « Fonds personnels », Sous-série « Agences consulaires et correspon-
dances », CADN.
175
Ibid.

143
La participation des deux sociétés est aussi bien pécuniaire que matérielle, et elles font transi-
ter leurs aides jusqu’en France « par l’entremise de la Légation à la Croix Rouge française ».
Les dons en faveur de cette dernière atteignent chaque année des milliers de francs : en 1915,
par exemple, la seule Société de Secours Mutuels parvient à débloquer « mille francs pour les
blessés ». L’effort patriotique se tourne également vers les forces armées françaises puisqu’en
1917, le consul de La Havane informe le Ministère des Affaires Étrangères que la Société de
Secours Mutuels a réuni plus de 3 000 francs dans le but de « contribuer largement à diverses
œuvres de guerre en faveur des armées de terre et de mer » car, dans les circonstances dans
lesquelles se trouvait la France, il lui était « impossible de se désintéresser [des] combattants
et [des] blessés ». L’implication de la Société de Secours Mutuels dans l’effort de guerre ira
jusqu’à ce que cette dernière fasse « acte de patriotisme en souscrivant au 3ème emprunt de
guerre français»176 lancé par le gouvernement en novembre 1917. Les aides financières ne
sont pas seulement adressées à la Croix Rouge et aux armées françaises, elles vont également
à destination des soldats (à titre individuel) et de leurs familles, et plus particulièrement aux
membres des sociétés partis se battre pour la France. Ainsi, la Société de Secours Mutuels,
dont les finances sont en 1915 en très bonne santé, décide de prolonger son action d’aide aux
Français de Cuba en faisant parvenir des subsides à ses membres partis pour le front :

«La prospérité de la Société dont témoigne ce don important s’étant maintenue, la Société a décidé
dans sa réunion d’hier d’en profiter pour faire à ceux de ses membres qui sont actuellement mobili-
sés en France un envoi personnel en argent et en nature. »177

Peu d’informations au sujet des Français mobilisés nous parvenues. Seuls les quelques mots à
ce sujet, compris dans la correspondance consulaire accompagnant les bilans, et parfois les
bilans annuels eux-mêmes, nous informent de l’existence des conscrits français à Cuba. Sur
les bilans de la Société de Secours Mutuels, dans la partie réservée à l’énumération des divers
membres de la société, figure un cadre dédié aux hommes « partis pour la défense de la pa-
trie » dans lequel sont cités leurs noms. Ces hommes sont près d’une quinzaine : Georges Ré-

176
Courrier du 4 mars 1918, Bilan de la Société de Secours Mutuels pour 1917, Carton n°133 « Service des
Œuvres Françaises à L’étranger », Ibid.
177
Courrier du 24 janvier 1916, Bilan de la Société de Secours Mutuels pour 1915, Carton n°133 « Service des
Œuvres Françaises à L’étranger », Fonds « Personnels et Agences consulaires », Série « Fonds personnels »,
Sous-série « Agences consulaires et correspondances », CADN.
144
gnier, Thimothée Touzet, Célestin Ibarra, Honoré Laplume, François Mondru, Paul Laxague,
Léon Nelson, Léon Cazalis, J.B. Gouars, Jules Loustalot, Joseph Barthe, Maurice Bienvenu,
Jean Dulon en 1915. Les mêmes figurent dans le cadre des « partis pour la défense de la pa-
trie » du bilan pour l’année 1917, sauf Jules Loustalot, auxquels vient se joindre F. Loustau.
Presque tous ces hommes ont été enregistrés dans les registres d’immatriculation du consulat
de La Havane. Comme nous pouvons le constater, grâce à la figure 24 ci-dessous, ce sont
pour la plupart des hommes nés sur le sol français, originaires du sud-ouest, et dont l’arrivée à
Cuba date d’une dizaine d’années et plus. Enregistrés lorsqu’ils étaient âgés entre 16 et 42
ans, lorsqu’ils partent pour le front, ils ont entre 21 et 46 ans. Ils sont tous célibataires et sans
enfants au moment de leur immatriculation, sauf Jean François Timothée Touzet qui est marié
et père d’un enfant.

Figure 22 : MEMBRES DE LA SOCIÉTÉ DE SECOURS MUTUELS DE LA HAVANE IMMATRICULÉS


ET PARTIS À LA GUERRE.
Départe- Ville de Date
Date de
ment/Pays Profes- État rési- d'arri-
N° l'immatri- Nom Prénoms Age
de nais- sion Civil dence à vée à
culation
sance Cuba Cuba
Commis-
Jean
26-août- Haute Ga- sionnaire La Ha- 01-nov-
8085 Touzet François 27 Marié
07 ronne en mar- vane 06
Timothée
chandise
Georges Dessina- Céliba- La Ha- 01-sept-
7370 02-janv-96 Régnier Nièvre 21
Albert teur taire vane 95
Basses Commer- Incon- La Ha- 20-fév-
9037 11-janv-09 Laxague Paul 35
Pyrénées çant nu vane 99
Marie Employé
Céliba- La Ha- 31-
9105 22-avr-10 Nelson Léon Ber- Haïti 17 de bu-
taire vane mars-10
nard reau
Casalis-
Céliba- Rancho 04-déc-
8053 05-déc-06 Lous- Léon Inconnu 17 Forgeron
taire Veloz 06
taunau
Jean Bap- Basses Céliba- La Ha- 05-déc-
8019 13-janv-06 Gouars 18 Charron
tiste Pyrénées taire vane 05
Lousta- Basses Maître Incon- La Ha- 02-oct-
36 06-oct-10 Jules 31
lot Pyrénées d'armes nu vane 10
Jean Bar-
Haute Ga- Céliba- La Ha- 02-nov-
8013 12-déc-05 Dulon thélémy 16 Coutelier
ronne taire vane 05
Léon
Loueur
18-août- Loustau Basses Céliba- La Ha-
29 François 42 de voi- Inconnu
10 Cousté Pyrénées taire vane
ture

145
Toutes professions confondues, ces hommes partis défendre leur pays, malgré l’exil qu’ils
avaient choisi, abandonnent à La Havane leur vie, leur emploi, leur famille, mais aussi leurs
fonctions au sein des sociétés. En effet, par le biais des bilans de la Société de Secours Mu-
tuels, on apprend que même le président et le secrétaire de la société (Jules Loustalot et Jo-
seph Barthe) font partis des conscrits. Les membres de la Société française de Bienfaisance ne
sont pas épargnés par la guerre : le courrier chargé de faire parvenir au Ministère des Affaires
Étrangères le bilan de la société pour l’année 1916, fait état des pertes qu’ont connu au cours
de cette année les effectifs de la société. On apprend ainsi que « pendant l’année qui vient de
s’écouler [c'est-à-dire en 1916] la Société a perdu une douzaine de membres donateurs ou
souscripteurs par suite de rentrée en France, décès ou morts au champ d’honneur ».178 La
perte de ses membres et de ses donateurs, en particulier, sera un coup rude pour la Société
française de Bienfaisance, qui, malgré la situation en Europe continue à œuvrer auprès des
nécessiteux français à Cuba. Les évènements mondiaux, aussi lointain qu’ils soient de Cuba,
vont tout de même interférer dans les actions des sociétés, qui pour faire face aux dépenses à
venir se verront dans l’obligation, pendant les années de guerre, de doubler le montant de
leurs cotisations.

En effet, outre les dons en faveur de la guerre, il leur faut continuer à apporter leur aide loca-
lement. Un certain nombre de précisions manquent à notre propos concernant les sociétés
dont n’avons eu de cesse de parler. Il ne faudrait pas oublier de préciser que si les actions et
les fonctions de la Société de Secours Mutuels et de la Société française de Bienfaisance se
ressemblent, et souvent se rejoignent comme dans le cas des dons en faveur de l’effort de
guerre, les statuts et les objectifs des deux organisations ne sont pas les mêmes. La Société
française de Bienfaisance dont nous avons déjà abordé le fonctionnement par le menu, a pour
fonction, comme nous l’avons déjà dit, de faire œuvre de charité envers les plus démunis. La
Société de Secours Mutuels est une association de prévoyance qui, en échange de la cotisation
versée par ses membres, leur assure des aides en cas de maladie, de naissance, ou de décès.
Les deux sociétés ont un principe commun : ce sont des Français réunis afin d’aider d’autres
Français, mais avec d’un côté de bénéficiaires pauvres et de l’autre des sociétaires bien mieux

178
Courrier du 5 mars 1917, Bilan de la Société française de Bienfaisance pour 1916, Carton n°133 « Service
des Œuvres Françaises à L’étranger », Fonds « Personnels et Agences consulaires », Série « Fonds personnels »,
Sous-série « Agences consulaires et correspondances », CADN.

146
nantis. La nature des aides que proposent les deux sociétés témoignent de ces différences.
L’essentiel des actions de la Société française de Bienfaisance consiste, chaque année, en des
dons aux plus pauvres, comme dans le cas de l’aide apportée aux Sœurs des Vieillards aban-
donnés ou dans le cas des secours et autres pensions versées pour subvenir aux besoins des
Français démunis179. Du côté de la Société de Secours Mutuels, les dépenses en faveur des
sociétaires sont, elles, en faveur de leur santé. Les plus gros postes de dépenses concernent
des remboursements de frais engagés chez des médecins, des pharmaciens, des sages-femmes,
dans des maisons de santé, pour des opérations chirurgicales, etc. Si la Société de Secours
Mutuels et la Société française de Bienfaisance de La Havane sont deux organisations dis-
tinctes, il n’empêche qu’elles possèdent des éléments en commun. Outre le fait que leurs exis-
tences soient placées sous le patronat honorifique du Ministre de France à La Havane et du
Ministère des Affaires Étrangères dont elles bénéficient de subventions, elles partagent un
certain nombre de leurs sociétaires. En effet, 19 des adhérents de la Société de Secours Mu-
tuels font aussi partie de la Société française de Bienfaisance.

Dans son travail sur les sociétés de bienfaisance et les sociétés mutualistes créées par les mi-
grants français de Californie, Annick Foucrier, relève deux caractéristiques importantes de
l’organisation interne de ces sociétés : la présence des femmes en tant que sociétaires, et sur-
tout, celle des notables à la tête de ces structures.

« Une autre nouveauté est la possibilité pour les femmes et les enfants d’adhérer pour leur propre
compte. Enfin, si ce sont les notables, surtout des marchands, qui gèrent la Société, ils le font sous
le contrôle des sociétaires (hommes) qui les élisent. »180

La place des femmes dans la Société française de Bienfaisance et dans la Société de Secours
Mutuels de La Havane reste très mineure par rapport à celle des hommes. Si elles entrent pro-
gressivement dans ce type d’organisation, elles n’occupent jamais de poste à responsabilité,
mais font toujours partie de la masse des sociétaires. Lorsque l’on se penche sur la composi-
tion des deux sociétés havanaises présentée dans la figure ci-dessous, on note un réel déséqui-

179
Voir tableau en annexe n°15.
180
Foucrier, Annick, Le rêve californien, migrants français sur la côte pacifique, XVIIIe- XXe siècles, Op. Cit.,
p.198-199.

147
libre entre les sexes, en particulier à la Société française de Bienfaisance. Les femmes ne re-
présentent qu’une infime partie de l’organisation puisqu’en moyenne, elles dépassent à peine
les 5% face à près de 89% d’hommes. Cette proportion peut étonner dans la mesure où le do-
maine de la bienfaisance et de la charité bénéficient traditionnellement d’une image féminine,
à l’instar du symbole de la société181 (une femme allaitant un enfant) placé sur la première
page des bilans annuels. À l’inverse, les femmes sont beaucoup plus présentes au sein de la
Société de Secours Mutuels. Elles font partie du personnel au service de la société, mais elles
comptent également parmi les professionnels de la santé à qui la Société de Secours Mutuels
adresse ses sociétaires (sages-femmes).

Figure 23 : MEMBRES DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE DE BIENFAISANCE ET DE LA SOCIÉTÉ DE


SECOURS MUTUELS DE LA HAVANE.

Société française de Bienfaisance Société de Secours Mutuels


Années

Hommes Femmes Entreprises Famille Total Hommes Femmes Entreprises Autre Total

1911 60 2 2 1 65
1912 60 3 2 1 66
1913 75 4 4 1 84
1914 78 4 4 1 87
1915 75 5 6 1 87 79 32 5 14 125
1916 60 6 5 1 72
1917 65 5 5 1 71 93 40 5 138

La gente féminine représente en moyenne plus de 27% des actifs de la Société de Secours
Mutuels, et les hommes comptent pour plus de 65%.

À la tête de ces deux sociétés cubaines, on ne trouve que des hommes. La Société de Secours
Mutuels se compose, en plus des sociétaires, d’un conseil d’administration et d’un comité de
propagande. Le conseil d’administration se compose de 12 personnes dont un président, un
vice-président, un secrétaire, un 1er vice-secrétaire, un 2nd vice-secrétaire, un trésorier et six

181
Voir photo en annexe n°2.
148
commissaires. Le comité de propagande, dont les fonctions au sein de l’organisation restent
obscures, même si l’on suppose qu’il en charge de rendre publiques les actions de la Société
de Secours Mutuels et peut-être de récolter des fonds, est constitué de 4 sociétaires. Outre ces
deux départements, le caractère mutualiste de la société explique également, la présence de 8
médecins, 3 chirurgiens, 1 dentiste, 1 oculiste, 2 « spécialistes des accouchements », 4 sages-
femmes, et 5 pharmacies (comptées comme « entreprises » dans le tableau de la Figure 25).
La formation de la Société française de Bienfaisance ne diffère guère de celle de la Société de
Secours Mutuels : elle comporte également un conseil d’administration constitué d’un prési-
dent, d’un vice-président, d’un trésorier, d’un secrétaire et de 7 à 8 commissaires. Elle pos-
sède elle aussi une équipe médicale, bien moins importante que celle de sa consœur, faite de 3
médecins et 2 pharmaciens. Toutes ces fonctions, que l’on suppose être assez prestigieuses,
sont occupées par des hommes, mises à part les quelques sages-femmes de la Société de Se-
cours Mutuels. Les dirigeants des deux sociétés font partie, comme dans le cas de la commu-
nauté française de Californie dont il question précédemment, des notables de la communauté
française de La Havane. Leurs noms nous sont d’ailleurs familiers dans la mesure où nous les
avons déjà croisés dans la correspondance consulaire. À la tête de la Société française de
Bienfaisance, on trouve entre autres Edgard Descamps, Jacques Grujon (Secrétaire général
administratif de la Chambre de Commerce Française de La Havane), Ernest Gaye (Agent gé-
néral de la Cie Générale Transatlantique Française), Pierre Prosper Montané (Président de
l’Alliance Française), Régis du Repaire de Truffin (ex-président de la Chambre de Commerce
Française de La Havane) etc. Des hommes influents au sein de la communauté puisque signa-
taires d’un courrier réclamant du personnel consulaire afin de défendre leurs acquis dans l’île
en 1919182, et chargés de représenter la communauté lors de la réunion de crise organisée en
1906 par la Légation au sujet de l’avenir des intérêts français dans l’île183.

La proximité entre les deux sociétés, dans leur mode de fonctionnement, dans l’attribution
d’aides aux Français de Cuba, se renforce par le biais de leurs sociétaires. Il n’est pas rare de

182
Courrier du 27 janvier 1919, Carton n°297, « Correspondance des postes – Dépêches – Minutes, La Ha-
vane », Fonds « Personnels et Agences consulaires », Série « Fonds personnels », Sous-série « Agences consu-
laires et correspondances », CADN.
183
Courrier du 2 octobre 1906, Carton n°3 « Politique Intérieure » T.I, 1903-1909, Cuba, C. P. & C. Nouvelle
Série, Affaires Politiques, CADLC.
Voir retranscription du courrier en annexe n°9.
149
voir certaines personnes être membre à la fois de la Société française de Bienfaisance et de la
Société de Secours Mutuels. Dans le tableau placé en annexe n°16, regroupant les membres
des deux sociétés immatriculés, on constate que 6 personnes immatriculées appartiennent aux
deux structures. Ce chiffre peut sembler insignifiant dans la mesure où le tableau recense pas
moins de 71 sociétaires (d’une ou des deux organisations) enregistrés auprès du consulat de
La Havane. Mais il ne faut pas prendre ces 71 personnes comme références puisqu’elles ne
représentent elles mêmes qu’une part infime des adhérents. Les bilans annuels de sociétés de
La Havane illustre l’un de nos propos antérieur, à savoir le manque de représentativité des
registres d’immatriculation. Ces bilans qui, chaque année mentionnent des centaines de noms
de migrants français installés à Cuba et membres de l’une des sociétés, montrent à quel point
ces migrants n’ont pas le souci de se faire enregistrer auprès du consulat puisque seules 71
personnes ont été identifiées pour une période de 6 ans (1911-1917). On peut ainsi supposer
que dans l’écrasante majorité des membres non immatriculés, en particulier chez les femmes,
il se trouve d’autres personnes faisant partie à la fois de la Société de Secours Mutuels et de la
Société française de Bienfaisance.

Les renseignements dont nous disposons sur la Société française de Bienfaisance et sur la
Société de Secours Mutuels sont importants pour notre étude. Même s’ils ne disent pas tout de
ce qu’a pu représenter l’action de ces sociétés dans le quotidien des Français en exil, ils lais-
sent supposer bien des choses. En effet, ils témoignent quelque peu des conditions parfois
dramatiques dans lesquelles ont pu vivre certains expatriés, nécessitant le recours aux aides
fournies par la Société française de Bienfaisance en particulier. Ces informations nous rap-
prochent un peu plus de la réalité de l’expérience cubaine des migrants, en nous éloignant
quelque peu de l’image d’Épinal des migrants partis faire fortune, et la rencontrant, en Amé-
rique. À travers les bilans des deux sociétés et de la correspondance consulaire, on note ce-
pendant la forte présence des notables, à savoir tous ceux qui bénéficient d’une position so-
ciale élevée, ceux qui sont « en vue ». Ils constituent la plus visible d’une communauté : leurs
noms reviennent très souvent, mis en lumière en particulier par le croisement des informations
en notre possession.

150
III. LE SAVOIR-FAIRE FRANÇAIS A L’EPREUVE DE LA REALITE

CUBAINE.

Pour compléter le portrait des colonies françaises de Cuba, que n’avons eu de cesse
d’essayer de tracer tout au long de notre étude, il nous reste à aborder une question cruciale,
celle des activités exercées dans l’île par nos migrants. Comme nous l’avons souvent évoqué
dans ce propos, les Français ayant choisi l’exil dans la grande île sont souvent poussés par la
quête de la fortune, la recherche d’une vie meilleure, dans une terre d’accueil où de nom-
breuses choses sont à faire, où leurs savoirs et leur maîtrise seront sollicités, où de nombreux
défis sont à relever. Les Français de Cuba proviennent de toutes parts, présentent des profils
variés et se placent à tous les niveaux de l’échelle sociale, allant du millionnaire à la dé-
chéance. Entre ces deux extrêmes, existe une très grande variété d’hommes et de femmes, de
métiers, de pratiques, d’intérêts, que nous tenterons de mettre en lumière. L’étude des colo-
nies françaises du point de vue économique, bien plus que tout autre angle d’attaque, permet
d’apporter des nuances, de mettre en évidence des contrastes qui se dessinent à l’intérieur des
colonies, de mettre en relief les différences pouvant exister entre les migrants.

A. Gagner son pain à Cuba : les professions exerc ées par les

Français.

L’échange de savoirs, de savoir-faire, est constitutif de tout processus migratoire. Dans le cas
des Français de Cuba, si l’île incarne à leurs yeux de nouvelles perspectives économiques, ils
incarnent à l’inverse une main d’œuvre, des connaissances mais surtout des capitaux dont à
besoin Cuba alors en plein essor. Les vagues migratoires françaises qui atteignent Cuba entre
1887 et 1914, peut être plus que les précédents mouvements migratoires, déversent des flots
de travailleurs de toutes sortes, des employés de tout acabit, des patrons, des investisseurs, des
151
artisans, des spécialistes dans de nombreux domaines, des artistes, etc. Tous venus profiter
des possibilités et des promesses que leur offre le sol cubain.

Les registres d’immatriculation consulaires en notre possession (ceux de La Havane, de San-


tiago de Cuba et de Guantanamo), ainsi que la correspondance consulaire, sont assez prolixes
sur les activités des Français installés à Cuba, et en particulier à La Havane. L’élaboration de
notre base de données « Registres d’immatriculation » à partir des enregistrements individuels
de 1257 Français auprès des services consulaires nous a permis d’extraire de nombreuses
données en rapport avec les professions exercées dans l’île par les migrants.

Afin de faciliter l’analyse des emplois occupés par les migrants et de souligner les grandes
tendances qui s’en dégagent, nous avons choisi de répartir les activités déclarées ou non par
les Français en cinq grande catégories tentant d’allier à la fois le secteur d’activité dont dé-
pende la profession de migrant (secteur primaire, secondaire et tertiaire), le niveau de qualifi-
cation de l’emploi et la position sur l’échelle sociale qu’il confère au travailleur. Ces catégo-
ries relèvent donc à la fois de la catégorisation classique des professions et d’un procédé per-
sonnel bien plus empirique. Ces cinq catégories, somme toute discutables, allant de 0 à 4 que
nous avons choisie sont les suivantes :

 0 : Personnes sans professions (en particulier des femmes, les enfants, ou les chô-
meurs) ou dont la profession, si elle existe, n’a pas été renseignée.
 1 : Professions en rapport avec le travail de la terre et de certaines transformations
agroalimentaires.
 2 : Migrants exerçant une profession appartenant au monde la transformation et de
l’artisanat (travail des métaux, du bois, des matières premières brutes).
 3 : Métiers du secteur tertiaire, des services à la personne, de l’échange au sens stricte
du terme.
 4 : Professions très qualifiées, intellectuelles et artistiques, sportives.

Ces catégories sont regroupées dans la figure 26 qui suit.

152
Figure 24 : PRINCIPAUX SECTEURS D'ACTIVITÉ DES FRANÇAIS DE CUBA.

4:
Artistes/Emplois
0 : Sans
très qualifiés
profession/
195
Inconnu
264

1:
3: Agriculteurs/Indus
Commerçants/Ser trie
agroalimentaire
vices aux
personnes 121
400 2 : Artisans (bois,
fer, peaux, etc.)
277

 0 : Personnes sans professions/profession inconnue.

La part du diagramme ci-dessus réservée aux français s’étant enregistrés comme sans emploi
ou dont la profession n’est pas connue est très importante puisqu’elle se place, si l’on classe
les cinq groupes par ordre de grandeur, à la troisième place. Les personnes sans emploi repré-
sentent, d’après les chiffres des registres environ 21% des Français immatriculés soit 264 per-
sonnes. Sur ce total de 264 individus, 118 sont des femmes contre 144 hommes (et 2 per-
sonnes dont le sexe n’est pas renseigné). La moyenne d’âge de ce groupe est de 25 ans : cette
moyenne assez basse s’explique par le fait que 112 de ces personnes sont mineures (moins de
21 ans). 148 des personnes déclarées sans emploi sont des natifs de l’île contre seulement 84
personnes nées France (colonies comprises). Il apparaît clairement que ce groupe est essen-
tiellement constitué de femmes, mais aussi d’enfants ou de jeunes nés à Cuba de parents fran-
çais. En effet, 145 de ces sans emploi déclarent être nés de parents français. Ce sont donc des
migrants de seconde génération, encore trop jeunes pour travailler et de jeunes femmes (27
ans en moyenne) aux statuts matrimoniaux variés (mariées, célibataires, etc.).

153
 1 : Le travail de la terre et les transformations agroalimentaires.

Ce groupe, le moins important de tous, rassemble 121 des Français immatriculés à Cuba entre
1887 et 1914, soit 10% des migrants. Les principales professions qui le composent sont re-
groupées dans la figure 27 ci-dessous. Il s’agit d’agriculteurs, de fabricants de sucre, de distil-
lateurs, de laboureurs, etc.

Figure 25 : AGRICULTEURS/INDUSTRIE AGROALIMENTAIRE.

80 75
70
60
50
40
30 22
20
10 4 3 5
1 1 2 1 1
0

Laboureur
Meunier

Journalier
Cuiseur de sucre

Sucrier/Fabricant de sucre

Grainetier
Administrateur de sucrerie

Distillateur

Tabaquero
Agriculteur/Cultivateur/Planteur

On remarque les agriculteurs sont très largement représentés puisqu’ils comptent pour 64% de
ce premier groupe. La différence entre les métiers de planteurs, cultivateurs et celui de labou-
reur est certes ténue mais nous avons choisi de séparer les deux exercices dans la mesure où,
généralement, les agriculteurs et autres planteurs sont propriétaires des terres qu’ils cultivent,
alors que le laboureur peut n’être qu’un employé, au service des premiers. Les laboureurs
comptent pour 19% de ce premier groupe. Viennent ensuite les travailleurs de la canne à sucre

154
(sucrier, distillateurs, etc.), fleuron de l’économie cubaine, qui représentent, toutes professions
confondues 9% du total ; les travailleurs journaliers (6%) ; les métiers plus rares à Cuba (grai-
netier) et chez les Français (tabaquero c'est-à-dire fabricant de cigares) représentant à peine
2% des travailleurs du monde agricole. Sur ces 119 Français travaillant la terre à Cuba, on ne
compte que 5 femmes, parmi lesquelles se trouvent les 4 filles de la famille Bidondo (Marie,
Isabelle, Marie-Louise et Josefa, âgées de 20 à 32 ans) nées et résidant à Jovellanos184, dans la
province de Matanzas. La cinquième femme, Anna Maria Hiriart, née et résidant à Nuevitas,
dans la province de Camagüey, est comme les précédentes la fille de migrant français et d’une
cubaine. À ces 5 femmes, s’opposent donc 114 hommes dont la moyenne d’âge s’élève à 38
ans. 54% de ces hommes sont nés en France (colonies comprises) contre 43% de natifs dans
l’île.

Du côté des statuts matrimoniaux, on note un certain équilibre par rapport aux chiffres men-
tionnés lors de l’étude des profils sociologiques des migrants soulignant l’importance des cé-
libataires et de ceux dont le statut restait une donnée inconnue. Chez les travailleurs du monde
agricole, les célibataires comptent pour 23% (26 hommes), les veufs pour moins de 2% (2
individus), les hommes mariés sont 35% (40 personnes) et enfin, ceux dont ne connaît pas le
statut sont 46 soit 40%. Ces agriculteurs vivent principalement à La Havane et aux alentours
(23%), à Pinar del Rio (15%), à Santiago de Cuba (16%) et dans la petite bourgade de Songo,
appelée aussi Alto Songo, (8%). Les hommes et femmes travaillant la terre habitent au total
dans 27 villes et villages cubains disséminés dans toute l’île.

Ils ne sont que 27 à avoir des enfants, mais le travail agricole chez les Français de Cuba est
souvent une activité familiale. En effet, les registres mettent en lumière l’existence de familles
de migrants occupées par les travaux dans les champs. Les sœurs Bidondo mentionnées pré-
cédemment font partie de l’une de ces familles puisque leurs trois frères (Pierre, Jean et Phi-
lippe) sont eux aussi immatriculés en tant que cultivateurs, ce qui nous laisse supposer que
leur père, Jean Bidondo, ainsi que leur mère, Maria Lazcano, s’adonnaient eux aussi aux tra-
vaux des champs. Les Bidondo ne sont pas les seuls : on note la présence de Joseph Arnouill
venu de Haute Garonne et de ses deux fils, François et Siméon, nés à Cuba, cultivateurs à
Pinar del Rio ; celle des Frère Dumois (Alfred, Jean-Baptiste et Firmin) à Santiago de Cuba, à

184
Voir cartes des villes dans lesquelles résident les français p32.
155
la tête d’une des entreprises françaises les plus florissantes de l’île dont il sera question ulté-
rieurement ; celle de la famille Dupeyron (6 hommes sans doute cousins) dont les noms et
prénoms des parents laissent supposer un lien de parenté. On peut également citer les deux
frères d’Anna Maria Hiriart, Graciano et Jean Leopold, et enfin, les quatre frères Rieumont
(Antoine, Jean, Simon et François) de Consolación del Sur185, immatriculés en tant que labou-
reurs.

 2 : L’artisanat (travail des métaux, du bois, des peaux, etc.)

Cette catégorie est le deuxième groupe le plus important : elle concentre 270 migrants, soit
21% de la population immatriculées. Les professions concernées sont présentées ci-dessous.

Figure 26 : ARTISANS (BOIS, FER, PEAUX, ETC.)

90
80
80
70
60 57

50
40
30 23 23
16 18
20
11
7 7 8
10 5 5 4
2 1 1 1 1 1 1 1 1 1 2 1 1 1
0

185
Voir carte p.32
156
Divers corps de métiers sont présentés dans la figure n°28 allant de l’automobile au bâtiment.
Le secteur le plus représenté est celui du travail du cuir. Les registres ne comptent pas moins
de 99 personnes travaillant le cuir (soit 36%) parmi lesquels on trouve un nombre très impor-
tant de tanneurs (80 hommes), 18 fabricants de chaussures et un fabricant de selles. 70 per-
sonnes (25% des travailleurs de cette catégorie) occupent des emplois en lien avec
l’automobile (carrossiers, mécaniciens, charrons186,etc.). Les mécaniciens sont les plus nom-
breux. La plupart d’entre eux déclarent deux activités : ils sont mécaniciens/chauffeur, méca-
niciens/commerçants. Viennent ensuite les professions travaillant les métaux : les chaudron-
niers, maréchaux-ferrants, forgerons, rémouleur et autres comptent pour 20% de ce groupe.
Les plus nombreux sont les forgerons, dont certains affichent des spécialités : forgeron en
voiture, ou forgeron/mécanicien. On trouve également 13% d’ouvriers du bâtiment (maçons,
plâtriers, terrassiers, charpentiers,…) soit un total de 40 personnes. Le panorama des métiers
de ce groupe s’achève avec les travailleurs du bois (ébénistes, tonneliers, menuisiers) comp-
tant pour moins de 2%, et avec la cohorte de petits métiers dont nous n’avons pas parlé (tour-
neurs, ajusteurs, apprentis, etc).

Comme on peut le supposer, en raison de la nature des métiers cités, les 277 personnes pré-
sentes dans cette catégorie sont toutes des hommes. 220 d’entre eux sont nés en France (colo-
nies comprises) soit près de 80% des 277 hommes, et seuls 39 sont nés dans l’île (14%). Ils
sont assez jeunes puisque leur moyenne d’âge tourne autour des 31 ans, même si le plus
vieux, Jean-Baptiste Perrotin, chaudronnier parisien, est âgé de 72 ans et le plus jeune, Jean
Daffos, déclaré comme charpentier, n’affiche que 14 ans. Près de la moitié de ces hommes
n’ont pas fourni de précision quant à leur statut matrimonial : ils sont 47% soit 126 personnes.
En revanche, on sait grâce aux registres que 36% sont célibataires (soit 97 hommes), 16%
sont mariés (43%) et moins de 2% sont veufs (3 hommes). Ils sont 29 à s’être présentés
comme chefs de famille. Comme pour le groupe précédent, les travailleurs artisans cités vi-
vent pour la plupart dans la capitale (128 personnes, soit 48%) contre 21 à Matanzas (8%), 15
à Pinar del Rio (5,5%), 11 à Cardenas (4%), 9 à Caibarien (3%) et 7 à Rancho Veloz (2,6%).
Au total, les Français travaillant dans les secteurs d’activités cités se répartissent dans pas
moins de 31 localités dans l’île.

186
Fabricant de charriots, de charrettes et/ou de roues.
157
Comme dans le cas des emplois dans le domaine de l’agriculture, l’artisanat, le travail des
matières premières à l’état brut est également une activité de famille. Nous avons relevé un
certain nombre de noms récurrents et des liens de parenté entre les migrants rassemblés dans
cette catégorie. Ainsi, la famille Aguerre, est représentée par les frères Jean-Michel et Joseph,
nés à Guanajay d’un père français (Jean Aguerre), dont l’un est cordonnier et l’autre apprenti
dans la taille de la pierre. Les frères Pierre et Etienne Amestoy venus ensemble dans l’île, sont
tous deux originaires d’Hasparren dans les Basses Pyrénées et sont arrivés dans l’île pour
exercer leur métier de tanneur dans la ville de Remedios, dans la province de Villa Clara187.
On peut citer les frères Chanquet (Pierre, Jean et Grégoire) dont deux sont mécaniciens et le
troisième tourneur, ils vivent à La Havane et à Cardenas ; il y a aussi les quatre frères Paban
venus de Bâton-Rouge pour travailler le cuir (cordonnier et tanneurs) à Cuba ; ainsi que les
trois demi-frères Weiss mécaniciens et charpentier à Sancti Spiritus.

 3 : Métiers du secteur tertiaire, des services à la personne, de l’échange.

Le groupe n°3 est le plus important de tous : il regroupe 400 migrants soit 32% des Français
immatriculés. Quatre principaux secteurs des métiers du tertiaire y sont représentés : les mé-
tiers du commerce, les métiers de la mode, les métiers de bouche et ce que nous appelons les
services à la personne. Ils sont tous présentés dans la figure n°29 ci-dessous.

Les commerçants tiennent le haut du pavé avec 149 Français immatriculés (37%). Au sein de
ce groupe, on retrouve les migrants qui ont déclaré être de simples commerçants (120 per-
sonnes, 30% des migrants), mais aussi les quelques colporteurs, des représentants de com-
merce, de négociants, loueurs de voitures, quincailliers, etc. Au sein des colonies françaises
de Cuba, les métiers du commerce sont, tous secteurs et toutes catégories confondus, les plus
représentés avec plus d’un quart des migrants immatriculés. Le second domaine le plus im-
portant dans cette catégorie est celui des métiers de la mode. On ne compte pas moins de 58
Français exerçant des professions en rapport avec l’industrie vestimentaire entre autres, soit
14,5% des migrants. Les plus nombreux sont les couturiers, costumiers et tailleurs avec 10%

187
Voir cartes p.32 et annexe n°2.
158
des migrants. Viennent ensuite les coiffeurs (2%), les blanchisseuses et les chapeliers (moins
de 2%).

Figure 27 : COMMERÇANTS/SERVICES AUX PERSONNES.

140
120
120
104
100

80

60
40
40
24
14 17
20 11
9 9
2 5 5 2 1 4 1 1 2 1 4 1 4 1 2 4 1 5 2 1 1 1
0
Couturière/Costumier/Corsetière/Tailleur/…
Blanchisseur/Lingère
Boucher

Commis
Cocher
Coiffeur

Masseur

Perruquier
Boulanger/Pâtissier

Employé

Quincailler
Commerçant/Négociant

Jardinier
Limonadier
Chapelier
Chauffeur

Courtier en bijouterie

Dame de Compagnie

Gouvernante

Maître d'hôtel

Plombier
Cuisinier
Colporteur

Ménagère
Domestique

Garçon de laboratoire
Garçon d'Hôtel/de café

Ouvrier d'art

Représentant de Commerce
Entrepreneur

Loueur de voiture

Le troisième domaine présenté dans cette catégorie est celui des métiers de bouche, ayant fait
la renommée de la France dans le monde. Ils ne sont cependant que 36 migrants (9%) à exer-
cer ces métiers à Cuba : 24 cuisiniers (6%), 5 boulangers/pâtissiers (moins de 2%), 2 bou-
chers, auxquels s’ajoutent les serveurs et des professions plus rares comme celle de limona-
dier. Pour finir notre tour d’horizon des secteurs d’activité que couvre notre avant-dernière

159
catégorie, il convient d’aborder les services à la personne c'est-à-dire les emplois en liens avec
l’économie domestique. Parmi ces emplois on trouve : les chauffeurs (3,5%), les domestiques
(2,75%), les cochers, les ménagères, les dames de compagnie, etc. Dans les registres, 34 per-
sonnes (8,5%) ont déclaré exercer ces professions à Cuba. Hors des quatre domaines que nous
venons de citer se situe la masse imposante des employés, dont le nombre, si on y ajoute les
commis, s’élève à 108 personnes (27% des Français enregistrés). Ce sont surtout des em-
ployés de commerce, des employés de bureau, dont le lieu de travail n’est presque jamais
mentionné. Dans cette grande catégorie des métiers du secteur tertiaire, on ne compte que 59
femmes (14,75%) contre une majorité de 341 hommes (85,25%). Sur ces 400 personnes,
69,75% sont nées en France (279 migrants) contre 66% de natifs cubains (16,5%).

En ce qui concerne la situation maritale des commerçants et autres domestiques dirons-nous,


elle reste une donnée inconnue par la moitié de ces gens. En revanche, on sait que 25%
d’entre eux sont célibataires (soit 100 personnes), 22% sont mariés (88 migrants), 2% sont
veufs (8 personnes) et 1% sont divorcés (4 personnes). Les Français exerçant ces professions
à caractère urbain se trouvent donc pour la plupart en ville, et particulièrement dans la grande
ville. En effet, pas moins de 317 travailleurs appartenant à cette catégorie vivent à La Havane,
représentant 79,25% des professions du tertiaire. Les autres villes dans lesquels s’installent et
vivent sont Banes avec 3,75% des Français de cette catégorie, Santiago de Cuba (2,25%) et
Matanzas (2%). Si La Havane est le principal point de chute des commerçants français, ces
derniers participent eux aussi au maillage économique français du territoire cubain puisqu’ils
sont présents dans 32 autres villes.

Comme pour les catégories précédentes, nous avons cherché à savoir si les activités exercées
par les Français immatriculés comme étant commerçants pouvaient être des activités fami-
liales. Certains noms sont en effet récurrents dans ce groupe comme ceux les familles Achkar
ou Batule, en provenance de l’Empire Ottoman ; celui de la famille Armand dont les quatre
fils (José, Arturo, Armando et Alfredo) sont tous enregistrés en tant que commerçants à La
Havane ; ou encore les sœurs Maria et Joséphine Bouvier toutes deux installées comme cou-
turières au n°54 de la rue Amargura à La Havane.

160
 4 : Professions très qualifiées, intellectuelles, artistiques et sportives.

Cette dernière catégorie qui rassemble 195 migrants, soit 16% des Français enregistrés, con-
tient à la fois les professions artistiques et sportives, les métiers ou activités en rapport avec la
culture et la lecture, les professions médicales ainsi que quelques professions qualifiées diffi-
ciles à catégoriser. Toutes ces professions sont regroupées dans la figure N°30 ci-dessous. Le
sous-groupe le plus important, qui compte pour 33% de la catégorie 4, est celui au sein duquel
se côtoient les enseignants et les étudiants (représentant respectivement 11%), les religieux
(8%), dans la mesure où ces derniers assurent une large part de l’éducation dans l’île, ainsi
que tous les journalistes, hommes de lettres, imprimeurs, etc.

Figure 28 : ARTISTES/EMPLOIS TRÈS QUALIFIÉS.

35
32

30

25
22 22
21
20
16
15
11
10
7 7 7
6
5 5
5 4 4
3 3
2 2
1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1
0
Chef de station à la Cie française des câbles…

Directeur de la société d'incandescence de…

Horloger
Bijoutier

Chimiste

Comptable

Industriel
Ingénieur

Lithographe

Religieux
Agronome
Artiste

Maître d'armes

Opticien

Peintre/Dessinateur
Passementier
Décorateur

Etudiant

Gymnaste

Rentier
Journaliste

Médecin
Dentiste

Géomètre

Pharmacien

Professeur
Chirurgien dentiste

Imprimeur

Joaillier

Propriétaire

Sténographe
Photographe
Correspondant de journal

Homme de Letrres
Graveur, estampeur sur métaux

161
Viennent ensuite les emplois à responsabilité ou témoignant de la qualification du migrant. Il
s’agit des comptables (5,5%), des ingénieurs (11%), des chimistes (2%) et autres agronomes,
géomètres, etc. Parmi les fonctions les plus importantes, on compte les industriels (2,5%), les
nombreux propriétaires (17%) auxquels on peut rajouter les quelques rentiers (3,5%) immatri-
culés. Les métiers des arts et du sport comptent pour 15%. Ce groupe se compose de 7 artistes
et 7 peintres/dessinateur (7% des migrants français), de 3 bijoutiers, 3 photographes et 3 gra-
veurs/estampeurs (chaque métier représentant 1,5%). On compte aussi 4 lithographes (2%) et
un décorateur. Les professions médicales représentent 7% de cette dernière catégorie. On y
trouve 6 pharmaciens (3%), 5 médecins (2,5%), un chirurgien-dentiste, un opticien, etc.

Parmi les Français immatriculés exerçant une profession très qualifiée, intellectuelle, artis-
tique ou sportive, on trouve 32 femmes (21,5%) et 153 hommes (78,5%). Sur ces 195 per-
sonne, 131 sont nées en France (67%) et seulement 45 (23%) sont nées de parents français sur
le sol cubain. Du côté de statuts matrimoniaux, on note que, dans cette catégorie, les céliba-
taires sont majoritaires (33%), suivis de 21% de personnes mariées, de 9% de veufs et 37% de
migrants dont le statut marital reste inconnu. Les migrants exerçant les professions comprises
dans notre dernier groupe se répartissent dans 28 villes cubaines. Ils sont cependant une large
majorité à préférer la vie à La Havane puisque 70% d’entre eux y vivent contre 3% dans des
villes comme Matanzas, Sancti Spiritus ou Pinar del Rio.

L’exercice de telles professions est, comme dans les cas précédents, parfois une histoire de
famille. Chez les frères Cordier, c’est la médecine qui prime puisqu’Alexandre est médecin et
son frère Isidore pharmacien à Santa Clara. Chez les frères Couret de Pinar del Rio, on est
propriétaires, alors que chez Marie et Léonie, les sœurs Schemba, nées en Algérie, on est plu-
tôt artistes. Ce travail en famille peut également être constaté dans la famille Weiss dont trois
frères figuraient déjà dans le groupe des travailleurs agricoles. Parmi les quatre autres frères
on trouve ainsi 2 exerçant dans le domaine médical, deux encore étudiants et le dernier ayant
déclaré être faïencier lors de leurs immatriculations en 1896.

Ce panorama des professions exercées dans l’île par les Français nous permet de dégager les
grandes lignes de la composition des colonies du point de vue professionnel. Il nous permet
de constater l’évolution des profils économiques des migrants, loin des grands cultivateurs de
canne à sucre et de café ayant fait la gloire de l’île et de la présence française au début du
XIXe siècle. On s’éloigne également de l’idée de la population française essentiellement faite

162
d’artistes et d’hommes de lettres, dont la présence dans l’île n’est pas majoritaire. Le portrait
des colonies par groupes d’appartenance quasi socio-économiques permet de constater que le
gros des troupes françaises à Cuba est constitué de petits artisans, de commerçants,
d’employés plutôt versés dans de rudes travaux. Si les informations extraites des registres
d’immatriculation nous amènent à ces conclusions au sujet de la composition des colonies, ils
ne nous disent rien de la santé économique des sociétés françaises créées ou implantées dans
l’île, et par conséquent de la réussite, ou de l’échec, de l’entreprise française à Cuba.

B. Les intérêts français à Cuba.

Au cours de notre étude, nous nous sommes aperçus que la question de la présence française à
Cuba, en particulier dans la correspondance consulaire, s’accompagnait toujours de celle de la
défense des intérêts matériels, financiers, ou culturels de la France dans l’île. Nous avons pu
constater le rôle actif du personnel consulaire dans cette entreprise de défense, nous avons
relevé la participation des enseignants et des sociétés mutualistes et de bienfaisance dans ce
sens, etc. Il nous reste alors à voir quelle est la véritable nature de ces intérêts que défendent
becs et ongles les Français dans l’île. La réunion de crise mise en place par le consul de
France à La Havane en octobre 1906 à la veille de l’intervention américaine et la missive ré-
sumant cette réunion, expédiée à Léon Bourgeois, Ministre des Affaires Étrangères, sont
l’occasion de faire le point sur les investissements français dans l’île.

« (…) Pour connaître la nature exacte des intérêts de notre colonie (…) j’ai réuni, avec l’aide de M.
Boulanger, Vice-président de la Chambre de commerce, les français notables de cette ville. Ils sont
venus en grand nombre à la Légation (…) L’activité des français en ce pays peut se ramener à cinq
groupes : les planteurs, les commerçants, les industriels, les entreprises financières, les intérêts intel-
lectuels et artistiques. »188

188
Courrier du 2 octobre 1906, Carton n°3 « Politique Intérieure » T.I, 1903-1909, Cuba, C. P. & C. Nouvelle
Série, Affaires Politiques, CADLC.
163
Nous avons choisi de réduire à 3 le nombre de groupes auxquels peuvent être ramenées les
activités françaises à Cuba : les propriétés agricoles, le commerce (qualifié de culturel en rai-
son de l’interaction évidente entre ces deux domaines) et enfin l’Industrie et les finances.

1. Les propriétés agricoles .

Les terres où étaient cultivés principalement le café et la canne à sucre de l’Oriente cubain ont
été les premières possessions françaises dans l’île. Ces grandes exploitations ont été créées
par les colons ayant échappé aux massacres de Saint-Domingue et ont participé à l’essor de
ces cultures dans l’île comme le montre Nicole Simon dans l’avant-propos de sa biographie
de Francis Lavallée189.

« Ce sont les gestionnaires de ces propriétés, techniciens hautement qualifiés qui se réfugièrent pour la
plupart à Cuba (…), apportant leur savoir faire dans les plantations de café et de canne à sucre, et
pas seulement dans la partie orientale de l’île (…) ; on doit à ces techniciens l’introduction de nom-
breuses améliorations dans les sucreries, la constitution du réseau des voies de communication de la
zone occidentale, indispensable au développement de l’industrie sucrière.(…) Beaucoup d’entre [eux]
s’implantèrent dans la sierra190, y créant des « cafetales »

Le début du XIXe siècle cubain, en particulier du point de vue économique, a donc été pro-
fondément marqué par cette présence française. Mais, comme l’avons déjà vu, le tournant du
siècle se caractérise par une évolution de la présence française dans l’île. Une évolution qui
voit la nette diminution du nombre de propriétés françaises, en raison du déclin de la produc-
tion caféière, et une relative désertion de la partie ouest de l’île. La propriété agricole fran-
çaise se recentre alors autour des plantations de canne à sucre, fleuron de l’agriculture cubaine
puisqu’à partir de la chute de Saint-Domingue, principal producteur de sucre dans l’espace

189
Simon, Nicole, « Francis Lavallée (1800-1864), vice-consul de France à Trinidad et correspondant de la
Société de Géographie », Op. Cit. p.7-8.
190
Dans la province orientale, voir Pérez de la Riva, Juan, “La implantación francesa en la cuenca superior del
canto”, in El Barracón y otros ensayos, La Habana, Editorial de ciencias sociales, 1975.

164
Atlantique au XVIIIe siècle191, l’île se donne pour objectif de supplanter sur le marché mon-
dial l’ancienne colonie française dans la production et la commercialisation du sucre. Les
producteurs de sucre français n’ont cependant pas le monopole de la production sucrière dans
la mesure où ils ont été très largement affaiblis par la mainmise espagnole, mais surtout par
l’arrivée des capitaux nord-américains dans l’agriculture cubaine, et cela bien avant
l’indépendance de l’île. Ainsi, dès 1887, le consul de Santiago de Cuba, dans un courrier
dressant le portrait de la province orientale faisait les constatations suivantes :

« Guantanamo ou Sainte Catherine est située à vingt cinq lieues de Santiago. La ville est peu considé-
rable. Autour d’elle sont disséminées toutes les sucreries les plus florissantes de la province de San-
tiago qui aujourd’hui ne sont plus, en grande partie, aux mains de Français. La culture de la canne
à sucre y est prospère. Nos compatriotes ne se rendent plus en aussi grand nombre qu’autrefois
dans les environs de cette ville.»192

Les Français, malgré les revers de fortune connus par certains, ne se désengagent pas pour
autant des activités agricoles à Cuba puisqu’en 1906, un télégramme provenant de Santiago
de Cuba affirme que de « nombreuses exploitations agricoles françaises [existent] aux envi-
rons de Santiago de Cuba»193. Les agriculteurs ne disparaissent donc pas. Ils vont diversifier,
et surtout moderniser leurs cultures. Si on peut parler de déclin de la présence française dans
le domaine de l’agriculture à Cuba, il faut en réalité y associer la notion d’évolution voire de
mutation. On passe en effet, d’une multitude de plantations (de café, de cannes à sucre) dis-
séminées dans les campagnes et dans les montagnes de l’île et de tailles variables, à des do-
maines agricoles beaucoup moins nombreux (d’où l’idée de déclin) mais de taille colossale et
connaissant pour certains une grande réussite. Deux exemples français de réussite dans le
monde de l’agriculture cubaine sont cités dans un courrier du consul de Santiago de Cuba
datant de 1894. Ceux de la Société des terrains de la baie de Nipe194 et du domaine agricole

191
Butel, Paul, Histoire de l’Atlantique de l’Antiquité à nos jours, Paris, Perrin, 1997.
192
Courrier de Santiago de Cuba en date du 13 septembre 1887, Carton N°40, « Correspondance antérieure à
1920», Sous-série « Agences consulaires et correspondances », Série « Fonds personnels », Fonds « Personnels
et Agences consulaires », CADN.
193
Extrait d’un télégramme du 29 août 1906, Carton n°3 « Politique Intérieure » T.I, 1903-1909, Cuba, C. P. &
C. Nouvelle Série, Affaires Politiques, CADLC.
194
Voir carte annexe n°2
165
des trois frères Dumois (Alfred, Jean-Baptiste et Firmin), dont il a déjà été question précé-
demment.

« La partie Nord du Département Oriental de l’île de Cuba dont Santiago est le chef-lieu comprend les
arrondissements de las Tunas, d’Holguin et de Baracoa195. (…) Un certain nombre de français vivent
sur ces territoires et il y existe également deux grandes entreprises françaises.

La Société des terrains de la baie de Nipe dont le siège est à Paris et l’exploitation des frères Du-
mois qui ont établi à Banes une grande exploitation de bananiers.

La première de ces entreprises est appelée, si elle est bien conduite à prendre une énorme extension
(…). La seconde entreprise, fondée depuis 8 ans par les frères Dumois, s’étend sur 13 000 hectares et
produit 1 000 000 de régimes de bananes exportés aux États-Unis et représentant un revenu brut de
1 500 000 francs. Autour d’elle se sont groupés un certain nombre de français qui ont également
entrepris des plantations sur une plus modeste échelle.»196

Le courrier ne nous offre aucun renseignement au sujet de la Sociétés des terrains de la baie
de Nipe. Ses activités, sa taille, ses propriétaires, sont autant de données que nous n’avons pas
pu nous procurer. En revanche, les informations fournies par le consul concernant l’entreprise
des frères Dumois sont plus conséquentes. François, Alfred et Jean-Baptiste Dumois, qui,
d’après le courrier de 1894, ont créé leur entreprise en 1886, n’apparaissent dans les registres
d’immatriculation à notre disposition qu’en 1912 pour Alfred et Jean-Baptiste, et 1913 pour
François. Lors de leurs immatriculations respectives, ce dernier est âgé de 56 ans et ses grands
frères de 73 ans (Alfred) et de 75 ans (Jean-Baptiste). Ils sont tous les trois nés, et vivent en-
core en 1912/1913 dans la province de Santiago de Cuba où ils se sont été enregistrés en tant
qu’agriculteurs. Ils sont mariés : François et Jean-Baptiste avec des Françaises, et Alfred avec
une Cubaine. Ils sont donc à la tête de cette immense bananeraie dans la province dont parle
le consul, et dont les productions s’élèveraient en 1894 à près de 5 400 000 €197. La prospéri-
té des frères Dumois, citée comme exemple de réussite, semble avoir entraîné dans la région
certains migrants, attirés par la possibilité de faire fortune comme les trois frères. François,
Alfred et Jean-Baptiste Dumois ont même croisé le chemin de Charles Berchon, envoyé dans

195
Voir carte annexe n°2.
196
Courrier du 12 juin 1894, Carton n°15, « Agences consulaires supprimées avant 1920 - Sagua la Grande,
Gibara et Puerto-Principe », Sous-série « Agences consulaires et correspondances », Série « Fonds personnels »,
Fonds « Personnels et Agences consulaires », CADN.
197
Conversion basée sur la valeur du franc en 1909 : 1 franc = 3,60 euros d’après l’indicateur de l’Insee.

166
l’île par le Société de Géographie de Paris, alors qu’il effectuait une visite des provinces
orientales de l’île afin d’évaluer les potentialités qu’elle avait à offrir aux Français.

« Une visite s’impose à des propriétés admirables de bananiers, d’ananas, et de cannes à sucre ; une
d’elles appartient à des sympathiques Français de la Louisiane, MM. Dumois frères (…) »198

Il convient cependant de souligner que le succès rencontré par l’entreprise Dumois ne s’est
fait que par l’entremise américaine, les États-Unis, et non la France, étant les principaux des-
tinataires des productions agricoles françaises. En effet, l’économie française à Cuba ne se
base pas sur un système colonial c'est-à-dire sur un système d’échanges quasi exclusif entre
métropole et colonie, comme cela est le cas dans les colonies françaises d’outre-mer par
exemple. Les entreprises françaises dans l’île semblent plutôt faire figure de soit média à tra-
vers lequel sont diffusées les productions françaises sur le marché cubain, voire américain,
soit de réceptacles des capitaux français, quel que soit le domaine dans lequel elles travaillent,
avec pour objectif de faire prospérer ces capitaux. Quoiqu’il en soit, si les entreprises fran-
çaises réussissent à Cuba c’est surtout parce qu’elles bénéficient des dollars du voisin améri-
cain. L’attitude des français à l’égard de ce dernier, entre désir et répulsion, témoigne de la
conscience qu’ont ces derniers du rôle des États-Unis dans l’évolution de leur business. La
missive d’octobre 1906, dont il était question dans l’introduction de notre propos sur les pro-
priétés françaises à Cuba, illustre en partie cette dualité. Alors que les chefs d’entreprises
français n’ont eu de cesse de se plaindre de l’invasion économique américaine, certains arri-
vent, face à la menace d’une révolte populaire, à souhaiter un changement politique favorable
aux États-Unis, pour peu qu’il le soit aussi pour eux.

« Le Comte de Beaumont, MM. Truffin, Loumiet, Labarrère et Dufau* représentaient nos compa-
triotes PROPRIETAIRES dans l’île dont les terres vaudraient 21 millions de francs (sucre, tabac,
café).

Leur avis est unanime : ils ne souhaitent qu’une chose mais ils la souhaitent avec force, c’est que la
crise cesse immédiatement et ne se renouvelle plus. Elle les expose : 1° à ne pouvoir faire leur récolte
cette année. 2° à voir leurs fermes, leurs sucreries et leurs champs détruits. Tout régime qui leur don-
nera la sécurité sera le bienvenu et quelques planteurs seraient pour l’annexion américaine.

(…) Voici les chiffres qui m’ont été donnés à la réunion (sous toutes réserves) : il y aurait de 800 à
1 000 français [agriculteurs] épars dans l’île. Parmi eux les plus importants planteurs sont :

198
Berchon, Charles, « Six mois à Cuba : La Havane », Op. Cit., p.10.
167
Noms : Valeur en francs :

Truffin*……………………………..….. 10 millions.
Redort………………………………...… 3
Labarrère……………………………...... 2
Kurz*………………………………..….. 1,5
Laborde…………………………………. 1
Labaraque………………………………. 1
Loumiet*….……………………………. 0,8
Beaumont*..……………………………. 0,3
Divers……………………………………2

21,6 »199

Les planteurs français redoutent ce nouveau soulèvement en raison du tort qu’il pourrait infli-
ger à leurs cultures. Leurs peurs ne sont pas infondées : elles se basent sur les pertes sévères
qu’ils ont subies au cours de la Guerre d’Indépendance. Des pertes qui seraient peut-être en-
core plus grandes si l’on se base sur la valeur des terres et des récoltes mentionnée par le con-
sul. À titre de comparaison, les 21 millions de francs que représente le seul secteur agricole
équivaudraient à près 75,6 millions d’euros200. Les précisions qu’apporte le consul au sujet
des plus gros propriétaires terriens français dans l’île nous permettent de relier leurs noms,
lorsque cela est possible, à nos propos précédents afin souligner l’appartenance de nombre de
ces hommes au groupe de notables français. Les propriétaires dont le nom nous est familier,
en raison de leur présence dans les registres d’immatriculation, ont été signalés par un asté-
risque.

Le premier des ces hommes, le plus riche, s’appelle Régis du Repaire de Truffin. C’est
l’ancien président de la Chambre de Commerce Française de La Havane201 et un membre im-

199
Courrier du 2 octobre 1906, Carton n°3 « Politique Intérieure » T.I, 1903-1909, Cuba, C. P. & C. Nouvelle
Série, Affaires Politiques, CADLC.
200
Conversion basée sur la valeur du franc en 1909 : 1 franc = 3,60 euros d’après l’indicateur de l’Insee.
201
Voir Courrier du 27 janvier 1919, Carton n°297, « Correspondance des postes – Dépêches – Minutes, La
Havane », p.118.

168
portant de la Société française de Bienfaisance, dont le nom figure sur chaque bilan annuel en
notre possession. Il se fait immatriculer à La Havane en 1911, à l’âge de 53ans mais l’on sait
qu’il a été inscrit auparavant dans les registres. Il est né dans la petite ville de Coralillo, dans
la province de Villa Clara d’un père français et d’une mère certainement cubaine. Il est marié
à Nueves Maria Perez Chaumont avec qui il a trois enfants. Étrangement, lors de son imma-
triculation, Truffin ne déclare aucune profession mais donne « Banco Nacional » comme
adresse de résidence à La Havane. Il est à la tête de plantations de canne à sucre dans lesquels
sont implantées les usines chargées de la transformation des cannes en sucre, rhum et mé-
lasses202, d’une valeur de près de 36 millions d’euros203.

Le second homme est Édouard Auguste Charles Kurz. Nous ne savons que très peu de choses
à son sujet. Immatriculé en 1912 à La Havane à l’âge de 44 ans, il a déclaré être né à Barce-
lone, de parents français. Il n’a fourni aucune information au sujet de ses parents, de son statut
maritale ou de sa vie dans l’île. On ne parvient à savoir que l’essentiel : il est propriétaire de
l’ « Ingenio204 San Pablo » à Zulueta dans la province de Villa Clara dont la valeur s’élèverait
à près de 3,6 millions d’euros.

Le troisième homme est Jean-Pierre (ou Jean) Loumiet, natif d’Oloron-Sainte-Marie dans les
Basses Pyrénées. Il est enregistré en 1903, à l’âge de 25ans. Il déclare lors de son immatricu-
lation à La Havane être « Ingénieur des Arts et Manufactures » c'est-à-dire de l’École Cen-
trale de Paris. Il réside à la « Finca205 d’Agosta » dans la bourgade de Quiebra Hacha située à
l’ouest de La Havane. Comme justificatif au moment de son immatriculation, Jean-Pierre
Loumiet s’entour de témoins, comme cela se faisait souvent, parmi lesquels figurent Marcel
Le Mat, président de la Chambre de Commerce française à La Havane. Moins fortuné que les
précédents, il détient tout de même 2,88 millions d’euros.

Le quatrième homme dont le nom ne nous est pas inconnu est Marie Gabriel Joffray, Comte
de Beaumont, enregistré en novembre 1900 à La Havane à l’âge de 36 ans. De ce natif de

202
Portrait de “Regis du Repaire de Truffin, Business man; club man” in Parker Belmont, William, Cubans of
to-day, The Hispanic Society of America, New-York and London, G. P. Putnam’s sons, 1919.
203
Conversion basée sur la valeur du franc en 1909 : 1 franc = 3,60 euros d’après l’indicateur de l’Insee.
204
Désigne la plantation sucrière avec son usine à sucre ou sa distillerie.
205
Désigne, en français, une ferme.
169
Saint-Hilaire de Talmont en Vendée nous ne savons rien, sinon qu’il se présente à la légation
en tant que propriétaire et qu’il est à la tête d’une affaire de 1,08 millions d’euros à Cuba.

Le dernier homme dont il sera question ici, ne figurant pas dans la liste du consul, mais fai-
sant partie des représentants des propriétaires lors de la réunion d’octobre 1906, est Charles
Clément Dufau. Nous ne savons, là aussi, que très peu de choses à son sujet. C’est un membre
éminent de la Société française de Bienfaisance de La Havane. Immatriculé en 1910 et 1913,
il déclare être né dans la capitale cubaine. Il est marié puis veuf de Mercedes Mejer, mais il ne
fourni aucune donnée quant à sa profession, et, comme Régis du Repaire de Truffin se con-
tente de mentionner la « Banco nacional » comme adresse à La Havane.

Après avoir fait le tour des possessions françaises dans le domaine de l’agriculture, le consul
de La Havane poursuit son exposé adressé au Ministère des Affaires Étrangères par
l’énumération des produits commercialisés par les maisons de commerces françaises à Cuba.

2. Le commerce « culturel » français.

Tout au long de notre étude nous avons pu constater l’existence d’interactions, de collabora-
tions, de proximités entres les diverses composantes des colonies françaises (consuls, mi-
grants, religieux, sociétés de toutes natures, etc.). Il en va de même pour les activités profes-
sionnelles des français qui se croisent, se complètent et se servent les unes des autres. Le tra-
vail des consuls par exemple va dans ce sens, permettant de centraliser toutes les données
économiques françaises de l’île. En effet, les consuls doivent fournir à la France des rensei-
gnements de type économique sur l’île, comparer le développement du commerce français
avec celui des autres nations, etc. Régulièrement sont envoyés des documents officiels cu-
bains, comme la balance commerciale, l’état de la navigation du port de La Havane, ainsi
d’une analyse des courants commerciaux. Cet enchevêtrement, signe peut-être de l’existence
réelle d’une communauté française au sens fort du terme, s’illustre parfaitement dans le lien
tangible existant entre le développement du commerce français dans l’île et l’expansion cultu-
relle française.

Le consul de La Havane, dans sa missive sur la défense des intérêts français, va même jusqu’à
considérer que le maintient du « prestige de l’esprit français, [permettra d’] assurer à Paris son
170
contingent de propagande pour [les] articles nationaux ». L’attraction et les fantasmes que
suscitent la grande ville et sa culture sur les Cubains apparaissent aux yeux du consul, au
point de vue commercial, « comme la meilleure réclame, comme le pavillon plein de pres-
tige » 206 que doivent revêtir les marchandises françaises. C’est donc pour cela que nous par-
lons ici de commerce culturel français au sens où l’un s’appuie sur l’autre, la culture devant
être surtout au service de l’expansion commerciale française. Comme pour les propriétés ter-
riennes françaises, le consul de La Havane fait état de la santé du commerce français, ainsi
que des intérêts culturels dans l’île. Il énumère également les secteurs commerciaux dans les-
quels prospèrent les entreprises françaises, ainsi les noms de ces dernières et de leurs proprié-
taires ou représentants à Cuba.

« NOTRE COMMERCE, qui représente un chiffre d’affaires de 25 millions de francs en voie de


croissance, vend des produits de luxe, des vivres et objets bon marché, des machines. –Les premiers
(parfumerie, modes, liqueurs, automobiles) seraient peu affectés par un changement de tarif, ils pour-
raient « se défendre » et l’on cite l’exemple des maisons similaires aux États-Unis qui sont très pros-
pères (…).

MM. Blattner, au nom de l’importante maison Fould*, Briol (cuirs, sellerie), Tihista*, Brandière
(commission), Charavay* (Japy de Beaucourt207) ont prouvé que leurs articles ne pourraient lutter
contre des articles américains (…).»

Le commerce français à Cuba, tous secteurs confondus, s’élèverait donc en 1906 à 90 millions
d’euros soit près de 15 millions d’euros (4 millions de francs) de plus que l’agriculture 208. La
brève description des domaines phares du commerce à laquelle se livre le consul ne nous
permet pas d’évaluer de façon considérable la place de ce commerce dans l’île. L’existence
d’un marché des produits de luxe, en particulier dans la capitale, nous avait déjà été révélée
grâce à la description des rues de La Havane par Charles Berchon, l’envoyé à Cuba de la So-
ciété de Géographie de Paris en 1907. Il y faisait mention des « élégantes vitrines de maga-

206
Courrier du 2 octobre 1906, Carton n°3 « Politique Intérieure » T.I, 1903-1909, Ibid.
207
Entreprise du Doubs créée en 1806 par les frères Japy dans la ville de Beaucourt, fleuron de l’industrie mo-
derne au XIXe siècle, spécialisée dans la fabrication de pièces d’horlogerie, de machine à écrire, de matériel
électrique, de moteurs. Description d’un fonds d’archives consacré à l’entreprise sur :
http://daf.archivesdefrance.culture.gouv.fr/sdx-222-daf-bora-ap/ap/fiche.xsp?id=AD09000AP_000000007.
208
Conversions basées sur la valeur du franc en 1909 : 1 franc = 3,60 euros d’après l’indicateur de l’Insee.

171
sins » de la rue O’Reilly209, des boutiques de la rue Obispo qu’il considérait comme « les plus
superbes magasins de la ville, qui exposent dans leurs vitrines les inappréciables objets [des]
industries françaises » dont la « lumière tropicale (…) en rehausse encore l’élégance et le bon
goût », et des divers magasins français que l’on retrouvait dans d’autres rues « comme celles
de San Rafael, de Neptuno, de Galiano, et tant d’autres qui font le commerce de détail»210
français. Ces produits de luxes, chers et rares, sont importés depuis la France et semblent bé-
néficier à Cuba d’un marché extrêmement favorable à l’entrée de ces produits. Dans son tra-
vail sur Francis Lavallée, et qui concerne la première moitié du XIXe siècle, Nicole Simon
constate que dès le milieu du siècle les commerçants français impotent des biens de consom-
mations de toutes sortes depuis la France afin de les écouler sur le marché cubain. Elle relève
la présence des objets de luxe comme le parfum, les montres et les bijoux, mais également
celle des « objets bon marché » dont parle le consul de La Havane.

« Ce qui est importé de France en 1844 : ‘ gants, éventails, montres, pendules, bijoux, sellerie,
parce que les horlogers, les bijoutiers, les parfumeurs et les selliers étant presque tous français, font
des demandes en France (…) ; plus il y a de Français dans un endroit, plus on y débite une foule de
petits objets de Paris dont l’usage leur est précieux, c’est ce qui a lieu à Santiago de Cuba, où ils sont
en grand nombre ; mais dans toute l’île, à eux la chapellerie et une grande partie de la papeterie’. »211

Les professions citées par Nicole Simon, même si au cours de la période qui nous occupe,
leurs représentants sont peut-être moins nombreux qu’en 1844, font écho aux métiers déclarés
par les Français lors de leur immatriculation entre 1887 et 1914. Seuls deux chapeliers et un
imprimeur ont été immatriculés au cours de cette période. En revanche, les professionnels de
la mode (couturières, modistes, corsetières, et même perruquier) sont nombreux puisqu’ils
sont un peu moins d’une cinquantaine à avoir émigré dans l’île. L’auteur relève elle aussi la
relation qui lie la culture et la présence française à l’écoulement des produits manufacturés en
provenance de la France, à destination des expatriés résidant dans l’île mais également à des-
tination des classes sociales les plus élevées.

209
Voir le plan de La Havane, page 43.
210
Berchon, Charles, « Six mois à Cuba : La Havane » in Le Tour du Monde, Paris, 1907.
211
Simon, Nicole, « Francis Lavallée (1800-1864), vice-consul de France à Trinidad et correspondant de la
Société de Géographie », Op. Cit.

172
« L’influence de la culture française se faisait sentir dans le domaine artistique, la peinture par
exemple, mais aussi dans la mode vestimentaire. En effet, la classe créole cubaine la plus raffinée
mettait un point d’honneur à s’habiller en s’inspirant, les femmes, du goût parisien, les hommes, du
style anglais. Le journal La Moda o Recreo Semanal del Bello Sexo fondé par Domingo del Monte, en
reproduisant les modèles les plus en vogue à Paris à cette époque, servait à guider les dames hava-
naises dans le choix de leur toilette. Les maisons de mode havanaises de la rue Obispo et les bou-
tiques de vêtements ou de chapeaux étaient tenues par des Françaises comme mesdames Boves, Pi-
taux, Barber, etc. »212

La rue Obispo, comme la rue O’Reilly citée par Charles Berchon, semble être une artère im-
portante du commerce français, en particulier en ce qui concerne le domaine de la mode. En
croisant les informations au sujet des professions exercées par les migrants et leurs lieux de
résidence, on parvient à obtenir une confirmation de l’existence d’une géographie du com-
merce français à La Havane. Ainsi, une vingtaine de Français, employés de commerce, coutu-
rières, perruquier, négociants, coiffeurs déclarent résider dans la rue Obispo. Lorsque l’on
affine nos critères de sélection, en ne gardant que les travailleurs du secteur de la mode (coif-
fure et textile), on obtient un certain nombre d’adresses, voire des noms, sans doute incon-
tournables pour les dames havanaises. Ainsi, en remontant la rue Obispo, on trouve :

- au n°13, Lucien Terlaud, coiffeur de 30 ans venant de Bourges ayant déclaré travail-
ler chez « Doria y Milhau ».

- au n°63, Henri Victor Houlès, coiffeur de 32 ans né dans l’Héraut.

- au n°84 l’établissement de Michel Pucheu, 52 ans, né dans les Hautes Pyrénées et


enregistré comme négociant. Trois autres migrants déclarent, lors de leur immatriculation,
vivre chez M. Pucheu. Il s’agit très certainement des employés de ce dernier, ou peut-être de
ses locataires : deux employés de commerce, Armand Budand (19 ans, né à Trinidad) et Mar-
cel Adrien Guttin (27 ans, né à Grenoble), auxquels s’ajoute Marie Thérèse Virginie Gaugois,
une modiste parisienne fraîchement divorcée et venant de débarquer dans l’île.

- au n°103, la maison Dubié très certainement spécialisée dans la coiffure puisque


deux coiffeurs et le seul perruquier immatriculé affirment y vivre. Les coiffeurs sont Félix

212
Simon, Nicole, Le fonds cubain de la Société de Géographie, Paris, Bibliothèque Nationale, Études, Guides
et Inventaires N°3, 1985, p.7-8.
173
Chrétien, 29 ans et né dans les Vosges, et Maurice Joseph Alphonse Voussure, parisien de 40
ans. Le perruquier est Adrien Reddé, originaire de Côte d’Or et âgé de 26 ans.

- et enfin, au n°121, se trouve un véritable établissement de mode français, malgré son


nom, intitulé « La Fashionable ». Cette entreprise serait aux mains d’une certaine Mme
Vopié. Quatre Français immatriculés ont déclaré l’adresse de cet établissement comme lieu de
résidence : un négociant et trois modistes. Le premier s’appelle Jean François Mesmin Aba-
die, il a 44 ans et vient de la Haute-Garonne. Les modistes sont Marie Roche (originaire de
Roanne dans la Loire), Marie Labrousse (27 ans, de Lavelanet en Ariège) et Marie Engaigne
(20 ans, de Bergerac en Dordogne).

Il ne s’agit que des établissements en lien avec la coiffure ou le vêtement dont nous connais-
sons les activités car les registres renferment de nombreuses autres adresses de commerces
localisés dans la rue Obispo. On peut en faire autant pour les autres rues de La Havane,
comme la rue O’Reilly (au n°20 on y trouve un tailleur, une couturière au n°38, une modiste
au n°70 et la maison de couture de Mme Laurent au n°81 de la rue), et continuer ainsi à des-
siner cette géographie humaine du commerce français à La Havane. Pour cela il nous faudrait
avoir de plus amples renseignements sur la nature de chaque commerce détenu par un Fran-
çais dans la ville, ce qui reste difficilement envisageable en raison des limites que nous impo-
sent les sources. Elles nous permettent tout de même de mettre en lumière l’existence de
quelques migrants, de les faire sortir de l’anonymat afin de mieux comprendre qui ils sont et
ce qu’il représente au sein de la communauté en particulier lorsqu’ils sont cités comme faisant
partie des notables français dans l’île. Tel à été le cas, dans le courrier du 6 octobre 1906 qui
nous sert de fil rouge, de quelques hommes au sujet desquels les registres d’immatriculations
nous proposent quelques informations, mais également le cas d’une entreprise. « L’importante
maison Fould » dont parle le consul, représentée lors de la réunion de crise par M. Blattner,
dont nous ne savons quasiment rien, fait néanmoins figure de donateur régulier et de membre
de la Société française de Bienfaisance.

On sait également que Pierre Tihista, nommé aux côté de MM. Blattner, Briol, Brandière et
Charavay, est un commissionnaire, c'est-à-dire un agent de commerce, âgé de 52 ans, né à
Aldudes dans les Pyrénées Orientales et résidant, comme un autre commissionnaire (Pierre

174
Labourdette) et deux employés de commerce (les frères Louis Gaston et Joseph Michel Boye-
Bigné, au n°30 de la rue Teniente Rey213. Le sieur Charavay est lui aussi connu de la Légation
puisqu’il a été immatriculé deux fois (en 1910 et 1913). Lors de sa première immatriculation
il a 43 ans. Il est né à Lyon et se présente à Cuba en tant que négociant. Il est marié à une Cu-
baine, Josefa Dominga Daniela Peña y Suarez, et vit au n°79 de la rue O’Reilly. Il se trouve
qu’il est, avec Pierre Tihista et Pierre Labourdette, membre de la Société française de Bienfai-
sance.

Dans les déclarations de ces hommes au sujet de la lutte inégale, voire perdue d’avance, qui
risque d’avoir lieu entre leurs produits et les articles américains en cas d’annexion, on re-
trouve l’entre-deux dans lequel se situent les commerçants français, entre leur volonté d’une
part de bénéficier de la présence américaine, gage de sécurité et d’afflux financiers, et d’autre
part la peur de se voir détrônés d’une place qu’ils ont déjà du mal à tenir. Nicole Simon cons-
tate, comme nous l’avons déjà fait, que dès la moitié du XIXe siècle, « et tout au long de ces
années, c’est la même antienne, la décadence du commerce français avec l’île », et qu’en re-
vanche, « ce que soulignent tous les consuls français, c’est la part sans cesse croissante prise
par le commerce nord-américain, dans la vie économique de l’île »214.

3. L’industrie, les finances et la technique françaises.

Les derniers secteurs dont il est question dans le courrier du 2 octobre 1906 sont l’industrie et
les placements financiers français dans l’île. De tous les domaines d’investissements français,
l’industrie est celui au sujet duquel nous avons le moins d’informations, si ce n’est ce qu’a à
nous offrir le bilan dressé par le consul général de La Havane.

« L’INDUSTRIE FRANCAISE est représentée d’une façon brillante à Cuba. La fabrique de ciment
d’Almendares* (MM. Violet et Descamps) ; le trust des mélasses de M. Truffin qui est la plus jolie
démonstration de l’envergure toute américaine qu’une tête française sait donner aux grandes affaires,
la maison « Dussaq* et Gohier* » fondée en 1875, actuellement la plus importante maison françaises,
spécialisée surtout dans la fabrication des liqueurs ; la société mi-industrielle, mi-agricole de l’île de

213
Voir plan de La Havane, p. 43.
214
Simon, Nicole, Le fonds cubain de la Société de Géographie, Op. Cit.

175
Cayo-romano215 (125 km de long, salines, hennequin, bananes, MM. Le Vte d’Hauteroche - Bridat –
Loumiet*, etc.) ; la station du câble français à Santiago ; l’agence de la Compagnie Transatlantique
représentant l’industrie des transports (M. Gaye*) ; des entreprises de travaux publics, de voitures (M.
Lousteau*) et de tanneries (MM. Delguy, Daguerre*, Sondon etc..) forment un groupe très varié et
prospère.»216

L’industrie française, comme on le voit dans la brève description du consul, est très diversi-
fiée à Cuba. Elle est très présente dans le domaine de l’agroalimentaire (avec la fabrication du
sucre, de rhum, mais aussi de sel et d’autres types d’alcools), mais également dans l’industrie
lourde (métallurgie, chimie) et manufacturière (cuirs, transports, etc.). Le développement de
ces activités dans l’île s’explique, entre autres, par l’apport de connaissances et de savoir-faire
arrivés d’Europe en même temps que les migrants Français. En effet, il semblerait que les
ressortissants français se soient particulièrement illustrés, et ce dès le début du XIX e siècle,
par leur maîtrise de la technique et des avancées scientifiques que connaît le monde au tour-
nant du siècle. Cette maîtrise de la technologie permet d’expliquer la présence et surtout la
réussite, des Français dans les domaines de l’activité industrielle. En effet, à la fin du XIXe
siècle et au début du XXe siècle, l’influence et la prépondérance de la France, comme celle de
l’ensemble des pays européens, s’expliquent par son avance scientifique et technique et par sa
domination commerciale et financière. La France exporte dans le monde entier les fruits de sa
science et de sa technique. Les hommes d’affaires, les commerçants, introduisent à Cuba des
produits nouveaux, des procédés nouveaux nés des avancées scientifiques et techniques fran-
çaises. Pour Nicole Simon, la présence française à Cuba est, avant toutes choses, liée l’arrivée
dans l’île de scientifiques, de techniciens, de spécialistes ayant favorisé son développement.

« Aux côtés des gestionnaires et des techniciens, tous hautement spécialisés dans l’exploitation
rationnelle des grandes propriétés de l’île, nombre de médecins, de chimistes, de naturalistes, de
botanistes, d’ingénieurs et de mathématiciens s’installèrent et travaillèrent, selon le cas, sur les ma-
ladies des régions spécifiques des régions tropicales (…), les propriétés de la canne à sucre, les es-
pèces animales et végétales de l’île, les vertus curatives de certaines plantes, etc. »217

215
Voir carte annexe n°2
216
Courrier du 2 octobre 1906, Op. Cit.
217
Simon, Nicole, Le fonds cubain de la Société de Géographie, Op. Cit.

176
L’implantation et le développement de l’industrie française à Cuba, quel que soit le domaine,
s’est donc effectué en rapport avec la technicisation de l’île. Le nombre de ces spécialistes en
tout genre enregistrés auprès des services consulaires abonde en ce sens : environ 22 ingé-
nieurs sont immatriculés, 4 chimistes, 2 agronomes et du côté des professions médicales, on
retrouve 5 médecins et 6 pharmaciens.

Certains de scientifiques sont spécialisés dans des domaines très recherchés à Cuba, comme la
fabrication du sucre. On trouve ainsi dans les registres des chimistes sucriers comme Paul
Louis de la Calle, 20 ans, né à Paris et employé par l’ « Ingenio ‘El Pilar’ » à Artemisa, dans
la province de La Havane. D’autres chimistes comme Louis Émile Lengrand (26 ans, du
Nord) ou des ingénieurs comme Jean Pierre Loumiet, (ingénieur des Arts et Manufactures
dont il a déjà été question) exercent également au sein de fermes comme la « Finca
d’Angosta » pour ce dernier, ou l’ « Ingenio San Antonio » déclarée comme lieu d’habitation
du premier. Les spécialistes (ingénieurs, chimistes, etc.) ne sont pas les seuls français à se
lancer à Cuba dans le développement de techniques nouvelles, particulièrement en ce qui con-
cerne l’amélioration des sucres. Rappelons-nous de cet agent de Trinidad et Cienfuegos, M.
Hautrive, simple employé pourtant reconnu par le monde de l’industrie sucrière pour ses con-
naissances en chimie et son savoir- faire.

« M. Hautrive (…) n’est qu’employé et n’a d’autres revenus que ceux qu’il retire de sa place d’abord
et ensuite de leçons qu’il donne et d’expériences chimiques qu’il fait sur les sucres, ce qu’on ap-
pelle des polarisations218, où il est passé maître et que sa probité, autant que son savoir, fait tenir à
très haut prix par les industriels et négociants qui l’emploient. »219

Les lieux de transformation agroalimentaire implantés dans les fermes et les plantations ne
sont pas les seuls à avoir recours à ces techniciens qualifiés. L’usine de ciment l’Almendares
citée par le consul de La Havane semble être un des fleurons de l’industrie française à Cuba,
et un employeur important dans la communauté. Le nom de cette entreprise ne nous est pas
inconnu : elle fait partie, comme d’autres entreprises françaises déjà citées, des membres et

218
Procédé mis en place au XIXe siècle permettant de déterminer, par le biais de la polarisation de la lumière
(c'est-à-dire de la propagation dissymétrique des rayons lumineux), la pureté et la qualité du sucre.
219
Courrier du 20 juin 1887, Carton N°40 « Correspondance antérieure à 1920 », Sous-série « Agences consu-
laires et correspondances », Série « Fonds personnels », Fonds « Personnels et Agences consulaires », CADN.

177
généreux donateurs de la Société française de Bienfaisance. Elle est également l’employeur,
et certainement le lieu de résidence, de 6 migrants immatriculés. On y trouve deux ingé-
nieurs : Jean Marie Viélajus, 37 ans, originaire de Haute Garonne ; et Joseph Jacques Clot, un
natif de l’Hérault âgé de 28 ans. Ils ont pour collègues à l’Almendares deux employés : Marie
Léon Nelson, jeune employé de commerce de 17 ans, membre de la Société française de
Bienfaisance et parti pour le front en 1914220 ; et François Eugène Franceschi, 38 ans, natif de
Luri en Corse et membre de la Société française de Bienfaisance et de la Société de Secours
Mutuels de La Havane221. Le dernier employé de l’usine de ciment s’appelle Jean Vernet.
C’est un forgeron de 39 ans, originaire de Castelsarrasin en Haute Garonne, qui vit sans doute
sur place puisque lors de son immatriculation, il en profite pour inscrire également ses en-
fants, Aimée et Policarpe, âgés de 2 et 3 ans, indiquant pour tous les trois (ainsi que pour son
épouse cubaine) l’adresse de l’usine comme lieu de résidence à La Havane. Des précisions
qui nous permettent de localiser l’usine, située à l’ouest du centre de La Havane, dans le quar-
tier du Vedado. Elle tient sans doute son nom du cours d’eau éponyme situé dans le quartier.
En revanche rien ne nous permet d’identifier MM. Violet et Descamps les éventuels proprié-
taires de l’Almendares, même si l’on sait que ce dernier est, lui aussi, un membre de la Socié-
té française de Bienfaisance.

À l’inverse, nous en savons un peu plus sur les fondateurs de la maison « Dussaq et Gohier »
spécialisée dans la fabrication de liqueurs. Elle a certainement été fondée par deux paires de
frères : Émile Maurice et René Camille Dussaq, et Louis Marie et Georges François Gohier.
Les deux premiers sont originaires de Marianao dans la banlieue havanaise. Lors de leur im-
matriculation respective, ils ont 21 ans pour Émile (en 1903) et 19 ans pour René (en 1895).
Ils sont nés de parents français et résident dans la vieille Havane, un à la rue Oficios, l’autre
au Vedado, chez un certain Marcel Le Mat (président de la Chambre de commerce française).
Ils ont tous les deux été enregistrés en tant que négociants. Comme beaucoup des chefs
d’entreprise, des hommes en vue déjà cités, René Camille Dussaq est membre de la Société
française de Bienfaisance222. Les frères Gohier, enregistrés comme commerçant et employé

220
Voir figure 25, p.144.
221
Voir annexe 16.
222
Ibid.
178
de commerce, sont Bretons âgés de 53 et 32 ans. Leur arrivée à Cuba semble être assez ré-
cente dans la mesure où le premier n’est arrivé qu’en 1899. Quelques informations à leur sujet
sont absentes des registres, mais l’on sait que l’un d’entre eux réside à la rue San Ignacio.

Les communications et les transports font également partie des domaines dans lesquels
s’engagent les Français à Cuba. Le câble télégraphique, dont le développement dans
l’Atlantique (d’abord entre l’Europe et l’Amérique du Nord), fait partie des contributions
françaises au développement de l’île, permettant, entre autres, de relier plus facilement les
chefs-lieux, La Havane et Santiago de Cuba, situés aux extrémités de l’île. La station cubaine
de la société des Câbles Français se situe à Santiago de Cuba. Le consul de la province orien-
tale en parle dans l’une de ses correspondances, datée du 8 mars 1910, au sujet de
l’insuffisance du personnel dans son consulat. Dans de telles conditions, il s’est vu obligé de
recruter au sein du personnel de la station.

« Le commis auxiliaire qu’il est facile de trouver dans le personnel de la station télégraphique de la
Compagnie françaises des Câbles, devrait il est vrai, voir son traitement porté au double (…)

N.B. : Les employés de la Compagnie française des Câbles ne peuvent il est vrai, d’après les règle-
ments de la Compagnie se livrer à d’autres occupations, mais il est probable que cette société fran-
çaise n’a pas entendu interdire à ses employés de prêter le cas échéant leurs concours, en dehors de
leurs heures de service à un Agent Consulaire comme cela a existé jusqu’à présent à Santiago de
Cuba. »223

L’interaction entre les composantes de la communauté française que nous mentionnions pré-
cédemment s’illustre une fois de plus dans l’échange de bons procédés entre les membres des
deux structures. La station télégraphique française est dirigée en 1895 par Ferdinand Bruno
Jallabert, nommé chef de la station, âgé de 33 ans et originaire de Mailhac dans l’Aude.
L’autre grande compagnie française présente à Cuba, emblématique de la période et du sujet
que nous étudions, est la Compagnie Générale Transatlantique. La société de transport mari-
time, associée à la Société française de Bienfaisance, dont les lignes ont été empruntées par
nombre de migrants français débarqués dans l’île, possède un agent résidant dans l’île. Il

223
Courrier du 8 mars 1910 écrit par Fernand-Arthur Souhart, Ministre de France à La Havane, Carton n°297 «
Correspondance des postes – Dépêches – Minutes, La Havane », Sous-série « Agences consulaires et correspon-
dances », Série « Fonds personnels », Fonds « Personnels et Agences consulaires », CADN.

179
s’agit d’Ernest Gaye, enregistré à La Havane en octobre 1910. Il est né à Pau et est âgé de 31
ans lors de son immatriculation. Il se présente à la Légation en tant que commerçant et agent
de la Cie Générale Transatlantique. Il fournit deux adresses : l’une à la rue San Ignacio et à la
rue Oficios, l’une des deux étant très certainement celle de l’agence dont il est responsable.
Ernest Gaye est également un des commissaires de la Société française de Bienfaisance, il est
aussi membre de la Société de Secours Mutuels.

Le dernier secteur de l’industrie mentionné par le consul de La Havane au sujet duquel nous
sommes en mesure d’apporter des informations, et dans lequel les Français sont nombreux à
avoir investi, est celui du cuir. Comme nous l’avons vu avec la répartition des professions
exercées par les migrants immatriculés à Cuba, les tanneurs font partie des métiers les plus
représentés dans l’île, et pour cause l’île compte de nombreuses tanneries. Elles sont disper-
sées un peu partout sur le territoire, en particulier dans les zones côtières, en raison de la
proximité des cours d’eau se jetant dans la mer, nécessaires aux procédés de tannage des
peaux. La Havane est évidemment la ville dans laquelle se situe le plus grand nombre de tan-
neries. 17 tanneurs immatriculés exercent dans la capitale, mais deux adresses sont récur-
rentes : le N°305 de la rue San Lazaro, en plein cœur de la Vieille Havane et celle de « La
Chorrera » au Vedado. Il semble peu probable qu’il y ait eu une tannerie à la première
adresse, en raison de sa situation géographique et des probables désagréments qu’elle aurait
engendré en pleine ville. En revanche, la seconde est bel et bien une grande tannerie française
qui tient son nom de l’embouchure de l’Almendarès, le Torreón de la Chorrera, situé à proxi-
mité, à l’ouest de La Havane. La Chorrera semble être, comme l’usine voisine de
l’Almendarès, un lieu important pour la communauté française, à tel point que le 14 juillet
1891, « le soir à 6 heures un dîner concert (…) a eu lieu à la Chorrera [auquel] soixante dix
compatriotes environ ont assisté »224. Trois tanneurs enregistrés y travaillent : Dominique et
Jean Barnetche, sans doute frères, et Guillaume Etcheverry. Ils viennent tous les trois des
Basses Pyrénées et ont entre 18 et 25 ans. Ils ont fourni l’adresse de la tannerie comme lieu de
résidence, ainsi que le nom de son propriétaire, Pedro Legañoa.

224
Courrier du 19 juillet 1891, Carton n°253, « Correspondance des postes – Dépêches – Minutes, Santiago de
Cuba & La Havane », Fonds « Personnels et Agences consulaires », Série « Fonds personnels », Sous-série
« Agences consulaires et correspondances », CADN.
180
D’autres villes cubaines ont également été des lieux d’installation privilégiés pour les tanne-
ries. À Caibarien, les noms de 4 établissements reviennent : la tannerie de Caibarien, la tanne-
rie Génin, la tannerie de Regla et l’établissement Delguy & Cie. Neuf des tanneurs immatricu-
lés y travaillent. On trouve la tannerie de Pierre Hiribarne à Esperanza, dans la province de
Villa Clara où travaillent deux migrants français. À Guanajay, ce sont les établissements In-
chaurrondo y Cia et celui de M. Elissalde ; à Matanzas, seul le nom de la tannerie « La Jaiba »
revient ; à Rancho Veloz c’est la tannerie Mirasson, à Remedios la tannerie Huicy & C ie et
enfin à Santa Clara l’établissement de M. Héguy. Ce ne sont là que les fabriques de cuir dont
le nom (ou celui du propriétaire) ont été cités dans les registres, car un bon nombre de villes
cubaines ont vu débarquer des tanneurs français.

L’ultime domaine abordé lors de la réunion de crise sur la démarche à adopter par la commu-
nauté afin défendre au mieux ses intérêts est celui des finances, le moins bien renseigné et le
plus obscur pour nous. Dans son exposé, le consul de La Havane ne mentionne que les
quelques placements français effectués auprès de la banque de la capitale.

« Dans les FINANCES, nous rencontrons la Banque de La Havane qui comprend 7 ½ millions de
capitaux français sur 12 et qui le jour de son ouverture (1er octobre) a reçu 2 ½ millions de dépôts,
des porteurs de titres possédant une partie des actions de tramways, chemins de fer et bons cu-
bains. »225

D’après les dires du consul, les Français feraient partie des principaux pourvoyeurs de le
jeune banque de La Havane puisqu’ils détiennent près de 60% des moyens dont elle dispose.
La présence de capitaux français dans les nouvelles institutions bancaires cubaines, ainsi que
dans des secteurs d’investissement porteurs comme les transports n’est pas une exception
dans le monde Atlantique, et particulièrement en Amérique Latine. En effet, avant la Première
Guerre Mondiale, les capitaux français sont partout dans le monde. Entre 1860 et 1914, la
France est au quatrième rang des puissances, derrière les États-Unis, l’Angleterre et
l’Allemagne, même si la mobilité de ses capitaux reste moindre par rapport aux flux finan-
ciers des autres puissances européennes et américaines. Le rôle mondial de la France est donc
dû à sa puissance économique. Cette puissance lui a permis de conquérir bon nombre de mar-

225
Courrier du 2 octobre 1906, Op. Cit.

181
chés, mais il semble que le poids de la richesse financière de la France ait été encore plus dé-
terminant pour la position qu’elle occupe au tournant du siècle. La France a, cours du XIXe
siècle, accumulé d’importants capitaux, qui, par la suite, on été très largement investis dans le
développement de pays en voie d’équipement comme Cuba. La preuve de ces investissements
français est apportée dans l’annexe que contient le rapport du consul dans laquelle il men-
tionne la présence d’un certain Rabinel, missionné par les banques françaises.

« Le groupe financier comprend la naissante et importante banque de La Havane ainsi que de nom-
breux actionnaires d’entreprises fondées à Cuba, sans parler de la mission de M. Rabinel qui était
venu apporter à cette île les capitaux des banques parisiennes. »226

Les nouveaux marchés que représentent les pays latino-américains, parmi lesquels figure Cu-
ba, représentent pour les puissances telles que la France des zones d’investissement dans les-
quelles les profits à réaliser sont plus élevés, en raison de leurs besoins de développement.
Ces besoins conduisent également au développement d’emprunts de la part des jeunes États
comme Cuba auprès des banques françaises, des avances de fonds à l’étranger dont les rem-
boursements s’avèrent bien plus rentables que dans le cadre de prêts à l’intérieur du territoire
national. La France met donc en place dans le reste du monde une véritable politique de pla-
cements financiers, en direction des pays, comme Cuba, dans lesquels elle possède un certain
nombre d’intérêts à la fois politiques et/ou économiques. Il faut cependant relativiser la place
de la France dans l’île pour deux raisons. La première est celle que nous n’avons eu de cesse
de répéter : la mainmise américaine qui, au tournant du siècle, en raison des évènements poli-
tiques, n’a cessé de se renforcer à Cuba, empêchant la formidable expansion économique dont
rêvaient les Français. La seconde raison est dans la monde Atlantique, tant au niveau des
échanges humains que des échanges de biens et de capitaux, Cuba n’a jamais été un partenaire
privilégié de la France. La place mineure qu’occupe l’île dans le commerce extérieure fran-
çais se vérifie dans une enquête sur la « fortune française à l’étranger » en 1902. Cuba arrive
au dixième rang des pays américains dans lesquels sont investis des capitaux français, à hau-
teur de 126 millions de francs (soit 453,6 millions d’euros), loin derrière des pays comme

226
Annexe au courrier du 2 octobre 1906, Ibid.
182
l’Argentine et le Brésil dans lesquels la fortune française estimée est entre 5 et 8 fois plus
importante227 qu’à Cuba.

C. Destins communs et trajectoires individuelles de migrants

français à Cuba.

Nous avons voulu ici souligner la présence, dans les colonies françaises de Cuba, de migrants,
ou de groupes de migrants, qui confèrent aux colonies des caractéristiques particulières, qui
apportent des nuances ou des précisions à notre propos. Nous avons choisi d’aborder ces ca-
ractéristiques sous deux angles. Le premier s’attache à ce que nous avons qualifié de « destin
commun » partagé par tout un groupe de migrant, destin étroitement lié à leurs origines et aux
professions qu’ils sont venus exercer à Cuba. Le second angle, celui des « trajectoires indivi-
duelles », s’intéresse à la question de la réussite, sociale et économique, qui se pose à tout
migrant souhaitant s’établir dans l’île.

1. Les spécificités régionales et la migration .

Le croisement des sources, mais aussi de l’historiographie, nous a permis de mettre en


exergue un certain nombre de groupes de migrants partageant deux caractéristiques com-
munes : l’origine et le métier exercé à Cuba. Le premier de ces groupes est celui formé par les
ressortissants de l’Empire Ottoman, immatriculés auprès des services consulaires en tant que
protégés français. La correspondance consulaire ne les mentionne presque jamais, leur statut
particulier au sein de la communauté n’est pas précisé. Seuls les registres gardent des traces
de leur passage. Pourtant, dans une missive du 30 mars 1910 écrite par le consul de La Ha-
vane au Ministère des Affaires Étrangères, il est fait mention des « recensements statistiques

227
Source : R. Poidevin, cité dans Olivesi, Antoine ; Nouschi, André, La France de 1848 à 1914, Paris, Na-
than, 1997, p.351.
183
recueillis par la Secrétairerie des Finances [sur] le nombre des émigrants venus à Cuba en
1909 »228. On sait grâce à ses recensements que « 643 ottomans (la plupart Syriens du Li-
ban) » sont arrivés à Cuba au cours de l’année 1909, alors que le nombre de Français arrivés
dans l’île n’était que de 240. À l’occasion de la Fête Nationale française en 1915229, annulée
pour cause de conflit mondial, les Syriens français de Cuba se manifestent auprès du consul
de La Havane pour lui exprimer sans doute leurs sentiments à l’égard de la France ; mais dans
le compte rendu de la journée envoyé par le consul au Ministère des Affaires Étrangères, il
n’en reste qu’une phrase laconique :

« J’ai reçu d’autre part divers télégramme de protégés syriens résidant dans les différentes pro-
vinces. »230

Les ressortissants syriens inscrits auprès des consulats français à Cuba sont pourtant 34, enre-
gistrés à partir 1899 jusqu’en 1914. Ils sont 14 à s’être enregistré à La Havane et 20 à Santia-
go de Cuba. Ils résident dans plusieurs villes de l’île et principalement à Banes et à La Ha-
vane. Les 15 Syriens vivent à Banes sont, à une exception près, tous originaire du Mont Li-
ban, une chaîne de montagne située dans l’actuel Liban. Comme le montre la figure 31 ci-
dessous, ils sont tous commerçant et, étrangement, sont 14 à avoir la même adresse (Apartado
71) à Banes. La communauté syro-libanaise de Cuba apparaît comme un ensemble assez fer-
mé. Lorsque l’on se penche sur les statuts matrimoniaux de ces hommes, on constate la récur-
rence de certains noms de famille. Ainsi, Manuel Batule, 31 ans, est l’époux de Marie Geage
que l’on suppose être la sœur, ou tous cas être apparentée, à Joseph Geage. Il en va de même
pour Michel Jacob, époux de Rafka Geage. Trois autres commerçants syriens, Charles et Félix
Achkar (certainement frères) et Jean Gosn sont les époux de trois femmes au patronyme iden-
tique : respectivement Sofie, Anne et Marte Jacob, que l’on suppose être de la famille de Mi-
chel Jacob cité précédemment.

228
Courrier du 30 mars 1910, Carton N°4 « Politique intérieure » T.II, 1910 – 1913, Cuba, C. P. & C. Nouvelle
Série, Affaires Politiques, CADLC.
229
Voir annexe n°10.
230
Courrier du 15 juillet 1915, Carton n°297, « Correspondance des postes – Dépêches – Minutes, La Havane»,
Fonds « Personnels et Agences consulaires », Série « Fonds personnels », Sous-série « Agences consulaires et
correspondances », CADN.
184
Figure 29 : LES SYRIENS PROTÉGÉS FRANÇAIS DE CUBA.

Ville de nais-
Nom Prénoms Profession Ville de résidence
sance
Achkar Félix Mont Liban Commerçant Banes
Achkar Charles Beyrouth Commerçant Banes
Jacob Michel Mont Liban Commerçant Banes
Gosn Jean Mont Liban Commerçant Banes
Abalan Joseph Mont Liban Commerçant Banes
Bahara Asan Mont Liban Commerçant Banes
Dib Salim Mont Liban Commerçant Banes
Neime Karim Mont Liban Commerçant Banes
Baz Nicolas Mont Liban Commerçant Banes
Djage (Geage) Joseph Mont Liban Commerçant Banes
Batule Manuel Mont Liban Commerçant Banes
Batule Abdalah Mont Liban Commerçant Banes
Batule François Mont Liban Commerçant Banes
Baz Joseph Mont Liban Commerçant Banes
Bairam Carlos Mont Liban Commerçant Banes
Elias José Azzi Mont Liban Commerçant Holguín
Kalil Seba Mereib Asroun Inconnu Inconnu
Autun Ramon Mont Liban Colporteur La Havane
Noemi Mateo Mont Liban Missionnaire La Havane
Noemi Alexandre Mont Liban Commerçant La Havane
Chedid Isa Joseph Beyrouth Commerçant La Havane
Shaker Houry Joseph Mont Liban Négociant La Havane
Négociant en
Coustantin Nini Tripoli La Havane
éponges
Dacash Salum Gazir Vendeur ambulant La Havane
Bagos Georges Gazir Commerçant La Havane
Constanti- Voyageur de com-
Ohan Ohamian La Havane
nople merce
Assad Jorge Chehin Mont Liban Inconnu Matanzas
Farah Alejandro Mont Liban Commerçant Puerto Padre
Betista Julian Mont Liban Inconnu Puerto Padre
Goré Simon Mont Liban Inconnu Puerto Padre
Pablo José Raphael Mont Liban Inconnu Sagua La Grande

185
Haddad Abraham Jacob Damas Commerçant Santiago de Cuba
Haddad Georges Mansour Damas Commerçant Santiago de Cuba
Elias Miguel Tripoli Commerçant Santiago de Cuba

Autre fait singulier : tous les commerçants syriens de Banes ont été immatriculés le même
jour, le 5 juillet 1912. Ce sont là presque toutes les informations que proposent les registres à
leur sujet, ce qui est bien peu par rapport aux enregistrements des autres français. Ils viennent
directement de l’Empire Ottoman ou des États-Unis pour la plupart.

Du côté des Syriens de La Havane, les choses sont différentes. Ils sont 9, on y trouve 2 com-
merçants ambulants, un voyageur de commerce, deux négociants dont un spécialisé dans les
éponges, trois commerçants et un missionnaire de l’ordre de Saint-Antoine. Ils vivent dans
des lieux différents et aucun lien de parenté ne semble exister entre eux, sauf dans le cas des
frères Mateo et Alexandre Noemi, religieux et commerçant, qui résident tous les deux au n°88
de la rue Muralla. Mais lorsque l’on se penche sur les observations notées par l’employé du
consulat chargé des immatriculations, on constate qu’il existe néanmoins des liens entre ces
hommes. Sur les 9 hommes, 5 ont été immatriculés grâce à l’attestation des mêmes témoins :
un certain Selim El Cazin et le père Mateo Noemi qui servi trois fois de témoin ou de garant.

Les immatriculations des autres Syriens de Cuba, ceux de Santiago, de Puerto Padre, de Sa-
gua la Grande, ressemblent beaucoup aux enregistrements de leurs confrères de Banes : peu
d’informations sont fournies à leur sujet, ils viennent s’immatriculer en groupe le même jour
(le 6 mai 1914 pour ceux de Puerto Padre et de Sagua la Grande, le 19 juin 1912 pour ceux de
Santiago). On ne sait pas grand-chose d’eux et on ne peut qu’émettre des suppositions comme
le lien de parenté entre deux migrants de même nom, comme Georges et Abraham Haddad.
D’après Guillaume Pierre231, l’émigration syro-libanaise qui a débarqué à la fin du XIXe
siècle dans le bassin méditerranéen, en Afrique et en Amérique, a été poussée au départ par la
situation de l’Empire en 1860 et la multiplication des persécutions turques à l’encontre des
chrétiens. Les Syriens en exil sont presque tous devenus des commerçants, connus en particu-
lier pour leur commerce itinérant. Ils forment une véritable ligue, un clan connu pour sa

231
Guillaume, Pierre, Le Monde colonial XIXe-XXe siècle, Op. Cit.

186
« toute-puissante solidarité »232 qui fit son succès. Il nous est difficile de savoir s’ils ont ren-
contré un franc succès dans l’île, mais on peut supposer, par leur nombre important à Cuba
(643 pour la seule année 1909), et par l’existence évidente de liens entre les migrants, laissant
supposer la présence de réseaux migratoires, que l’île leur a plutôt bien réussi.

L’autre groupe français, arrivé en nombre important et ayant eu des trajectoires migratoires
similaires à celles des migrants syriens, est celui formé par les tanneurs et autres travailleurs
du cuir originaires du sud-ouest français. Les cordonniers, tanneurs, selliers et autres sanda-
liers sont 98 à s’être fait immatriculer dans l’île entre 1887 et 1914. 4 sont nés à Cuba, 4 aux
États-Unis, 1 en Martinique, 1 dans le Nord, etc., mais ils sont 82 à venir des Basses Pyré-
nées. L’émigration à Cuba, et en Amérique Latine de façon générale, n’est pas un fait nou-
veau, comme en témoigne l’historiographie à ce sujet233. Les Basques et Béarnais constituent
une large part de la population française à Cuba comme nous l’avons déjà vu234, mais il nous
faut expliquer l’importance des travailleurs du cuir au sein de cette population en migration.

Ils viennent tous d’une trentaine de villages et de quelques villes du pays basque français et
du Béarn : les principaux villages ayant fourni des migrants travaillant le cuir sont Hasparren
(17 migrants), Montfort (6 hommes), Itxassou, Araujuzon, Cambo, Souraïde (4 hommes cha-
cun), Urugne, Ustaritz, etc. Ils ne sont que 4 sur les 82 à être mariés, tous les autres étant céli-
bataires ou n’ayant pas précisé leur statut marital. Comme chez les Syriens, bon nombre de
patronymes, aux consonances basques et béarnaises, sont récurrents dans les registres comme
nous pouvons le constater dans la liste des noms des travailleurs du cuir présentée dans
l’annexe n°17. On trouve souvent deux, trois ou quatre représentants de la même famille (les
Etcheverry, les Ospital, les Tellechéa, Hiriart, Amestoy, etc.). Leurs adresses à Cuba, lors-

232
Ibid, p.228.
233
Voir à ce sujet Arrizabalaga, Marie-Pierre, « Les femmes pyrénéennes et l’émigration transatlantique aux
XIXe et XXe siècles : une réalité mal connue », in Lillo, Natacha ; Rygiel, Philippe, Rapports sociaux de sexe
et immigration, Mondes atlantiques XIXe-XXe siècles, Paris, Actes de l’histoire de l’immigration, Ed. Publibook
Université, 2006 ; Arrizabalaga, Marie-Pierre, «Structures familiales et destins migratoires à Sare au XIXe
siècle», Lapurdum, 1997, n° II, pp. 237-255. http://lapurdum.revues.org/index1817.html.; Cauna, Jacques de,
L’Eldorade des Aquitains, Gascons, Basques et Béarnais aux îles d’Amérique (XVIIe-XVIIIe siècles), Biarritz,
Atlantica, 1998 ; Charnisay, Henry de, L’Émigration basco-béarnaise en Amérique, Biarritz, J&D éditions,
1996 (1947) ; Lavallé, Bernard (Dir.), L’émigration aquitaine en Amérique Latine au XIXe, Bordeaux, Maison
des Pays Ibériques, 1995 ; Roudié, Philippe, « Bordeaux port d’émigration lointaine (1865-1918) », in Occupa-
tion du sol, n°7, Université de Bordeaux III, 1982.
234
Voir figure 55.
187
qu’elles sont mentionnées dans les registres sont souvent les mêmes : ce sont celles des nom-
breuses tanneries présentes dans l’île dont avons parlé précédemment (les tanneries de Cai-
barien, Génin, Regla, Delguy & Cie, Pierre Hiribarne, Inchaurrondo y Cia, Elissalde, « La Jai-
ba », Mirasson, Huicy & Cie, Héguy, etc.).

Comme pour les Syriens, lorsque l’on se penche sur les observations notées dans les registres
au sujet de leurs immatriculations, on constate que plusieurs de ces tanneurs on bénéficié de
l’attestation de témoins leur ayant servi en quelque sorte de garant lors de leur enregistrement.
Les témoins présentés au consulat sont souvent les mêmes : il s’agit d’Adolphe Mendy (dont
le nom est cité 1 fois), de J. Noguès (cité 1 fois), de Gratien Hiribarne (cité 1 fois), d’Auguste
Briol (cité 2 fois), de M. Bajac (cité 1 fois), de Baptiste Larralde (cité 2 fois), de Jean Récalt
(cité 4 fois), d’Etienne Amespil (cité 7 fois) et enfin de M. Tihista (cité 3 fois). L’arrivée à
Cuba de ces migrants possédant dans l’île les mêmes relations, la récurrence des patronymes
et la proximité des activités exercées abondent dans le sens de l’existence dans la communau-
té française de réseaux organisant la migration comme le laissait entendre Annick Foucrier
dans son chapitre sur le renouvellement des vagues migratoire :

« Ce sont ces réseaux familiaux ou de connaissances qui font vivre les chaînes migratoires par les-
quelles la population française (…) se renouvelle. »235

Les travaux permettant d’expliquer la recrudescence de tanneurs du sud-ouest à Cuba sont


extrêmement rares dans la mesure où, comme nous l’avions remarqué dans notre précédent
travail sur le sujet, l’immigration française à destination de la Perle des Antilles au tournant
du siècle n’a fait l’objet d’aucune étude précise. Nos recherches nous tout de même permis de
prendre connaissance de l’article de Beñat Çuburu-Ithorotz236, chercheur à l’université de Pau
et des Pays de l’Adour, sur les tanneurs basques originaire d’Iparralde (c'est-à-dire du Pays
Basque français) ayant émigré dans la partie orientale de Cuba. Dans son article, l’auteur tente

235
Foucrier, Annick, Le rêve californien, migrants français sur la côte pacifique, XVIIIe- XXe siècles, Sous-
chapitre « Le renouvellement », p.279, Op. Cit.
236
Çuburu-Ithorotz, Beñat, « Des tanneurs basques d’Iparralde dans l’orient cubain », article en ligne sur le
site Euskosare
http://www.euskosare.org/komunitateak/ikertzaileak/ehmg/2/txostenak/des_tanneurs_basques_diparralde_dans_l
orient_cubain/. Consulté le 03/03/2010.
188
de montrer comment, en apportant avec eux leur savoir faire en matière de traitement des
peaux, certains Basques ont réussi à Cuba. Pour cela, il se propose de suivre les trajectoires
des jeunes tanneurs issus du village d’Hasparren, village d’où proviennent beaucoup de nos
migrants. D’après l’auteur, le nombre considérable de professions en lien avec le travail du
cuir déclarées par les Basques à Cuba s’explique par la spécialisation de nombreux villages
des Basses Pyrénées, dès le XVIIIe siècle, dans le travail des peaux. Par conséquent, les mé-
tiers de tanneurs, de cordonniers, des selliers, sandaliers et autres mégissiers237 ont été les
principales professions dans ces villages, au point qu’en 1831, le seul village d’Hasparren
comptait, d’après l’auteur 51 tanneries. Il semblerait que les questions de succession, comme
le maintien du droit d’aînesse dont il a déjà été question, mais aussi la dégradation de la situa-
tion économique dans la région et les refus de se soumettre à la conscription aient favorisé les
départs des tanneurs basques. Des départs aidés par les réseaux mis en place par les primo-
migrants. Beñat Çuburu-Ithorotz confirme le rôle joué par ces derniers dans
l’approvisionnement du Nouveau Monde en travailleurs basques.

« De véritables filières existaient, les exilés des générations antérieures appelant ceux des suivantes [et
qu’il] faut rappeler également le rôle des agents d’émigration (ou rabatteurs) qui battaient les cam-
pagnes du Pays Basque, faisant miroiter une vie meilleure à nombre de jeunes désœuvrés ou promis à
un avenir peu reluisant dans leurs villages.»238

Ces anciens et nouveaux basques ont, d’après l’auteur, participé au développement de la tan-
nerie à Cuba, devenant propriétaires de nombre d’établissements, en particulier dans l’ouest
de l’île. Dans ces recherches, et dans les sources qu’il exploite comme celle de la bibliothèque
de l’Université d’Oriente à Santiago de Cuba, l’auteur croise la route de plusieurs des tanne-
ries que nous avons citées comme celle de Gibara possédée par Gratien (ou Graciano) Da-
guerre cité dans le courrier de crise du consul de La Havane en 1906 239. D’après l’auteur, la
tannerie de Daguerre est l’une de plus importante et des plus prospères de l’île avec celle de
Pedro Sondón, également mentionné dans le courrier du consul de La Havane. Si Sondón est

237
Nom des ceux qui travaillent les petites peaux comme celle des moutons.
238
Çuburu-Ithorotz, Beñat, « Des tanneurs basques d’Iparralde dans l’orient cubain », Op. Cit.
239
Courrier du 2 octobre 1906, Op. Cit.

189
absent des registres d’immatriculation, Gratien Daguerre y figure. Il est immatriculé en 1896,
à l’âge de 22 ans. Natif d’Hasparren, il est enregistré en tant que tanneur et déclare vivre à
Nuevitas. On ne sait que peu de choses de lui. Il a bénéficié du témoignage d’Etienne Amespil
lors de son immatriculation. Pour Beñat Çuburu-Ithorotz, Gratien Daguerre est « à l’origine
de l’arrivée de ces tanneurs d’Hasparren qui se succéderont jusque dans les années cin-
quante ».

Il nous semble, au contraire, que Gratien Daguerre n’est qu’un des nombreux tanneurs ayant
suivi l’exemple d’autres prédécesseurs dans la mesure où, lorsque l’on classe les immatricula-
tions des tanneurs dans un ordre chronologique, on s’aperçoit qu’une trentaine de tanneurs
basques ont débarqués dans l’île bien avant l’arrivée de Daguerre, en provenance entre autres
d’Hasparren.

Les colonies françaises se révèlent donc être composées de plusieurs pièces, de sous-groupes
divers et variés qui mériteraient d’être étudiés plus en profondeur, révélant des aspects diffé-
rents de la communauté.

2. Aux antipodes de l’échelle sociale : échecs et succès à


Cuba.

Nous avons souhaité, toujours dans le but d’apporter quelques nuances à ce travail, mettre en
lumière la présence française sous deux aspects différents, la réussite et l’échec de certains
migrants vus par les yeux d’observateurs intérieurs et extérieurs à la communauté.

L’échec est celui de quelques migrants mentionnés dans le courrier de 1887 au sujet de la
nomination d’Alfred Hautrive au poste d’agent de Trinidad et Cienfuegos240. Ces migrants en
situation d’échec dans l’île, qualifiés « d’aventuriers ou de mendiants » par le consul de San-
tiago de Cuba, sont à l’origine d’une pétition visant à faire perdre à M. Hautrive son poste au
profit du meneur de cette bande de migrants. Ces Français vivent à Cuba presque comme des

240
Carton n°40, « Correspondance antérieure à 1920 », Personnel et Agences consulaires, Santiago de Cuba,
CADN, voir retranscription en annexe n°8.
190
hors-la-loi, en dehors de tout cadre qu’il soit communautaire, professionnel voire social. Pour
le consul ce sont « des individualités peu intéressantes, (…) des gens sans papiers, sans aveu,
qui circulent et se promènent à l’étranger en exploitant la commisération de leurs compa-
triotes (…) ». Cette bande de Français à moitié errants se compose de six ou sept, parmi les-
quels on trouve des chefs de familles. Le consul de Santiago, à qui ils n’inspirent rien d’autre
que le dégoût, les décrits par le menu au Ministère des Affaires Étrangères.

Il commence par Boyer, « ancien chauffeur, sans travail, et à sa femme », aidés par Hautrive
qui a financé leur frais de transport vers Santiago afin qu’ « ils pussent recevoir les secours
permanents d’une société de Bienfaisance française ». S’en suit le cas de Lasplaignes, « aven-
turier sans ressources, venant on ne sait d’où et vivant on ne sait comment, avec une femme et
deux filles », lui aussi aidé par M. Hautrive. Parmi ceux que le consul appelle « les gens
échoués (…) à Cienfuegos » on trouve donc :

« Un cabaretier logeur, Antonio Rossi, sans papiers, corse probablement, non immatriculé.
L’aventurier Louis Esperon de Lasplaignes, déjà nommé, sans ressources et sans profession. Boyer,
l’ancien chauffeur (…) tombé avec sa femme dans l’indigence. Un forgeron, Jean Paris, non imma-
triculé, jeune encore, probablement réfractaire ou insoumis. Un mulâtre de la Guadeloupe, Miau-
lard, garçon de cuisine.

Sur ces huit pétitionnaires, Boyer, évacué sur Santiago de Cuba, n’en fait plus partie, Larralde habite
une province voisine, Guizard est inconnu. Restent donc quatre signataires dont pas un n’est immatri-
culé, Lasplaignes, Rossi, Paris et Miaulard, ce cuisinier mulâtre que j’ai vu, pendant que j’étais à
Cienfuegos, grièvement blessé, dans une rixe de cabaret, par une bouteille que son adversaire lui
avait cassée sur la tête et que M. Hautrive a fait entrer à l’hôpital.

Voilà à quoi se réduit le personnel de cette pétition.»

Les profils de ces quelques Français de l’ouest cubain montrent bien que la réussite n’est pas
au rendez-vous pour tous à Cuba, les déconvenues étant certainement plus fréquentes qu’on
ne le croit. Les départs des migrants pour l’Amérique sont facilités par le développement des
transports maritimes, ainsi que les mobilités à l’intérieur de l’espace américain. Les déplace-
ments des migrants peuvent être plus fréquents, ce qui tend à les mettre en rupture avec les
sociétés qu’ils traversent. Cette mobilité qui se fait dans l’anonymat, presque dans l’illégalité,
a été expérimentée par l’instigateur de la pétition contre Hautrive, Émile Houillon dont il a
déjà été question précédemment.

« Le Sr Houillon (Émile Marcel), français, non immatriculé, et qui a déclaré, lors du dernier recense-
ment quinquennal, être dans l’habitude de ne jamais se faire inscrire au Consulat français de ses
191
diverses résidences, n’habite Cienfuegos que depuis trois ou quatre ans. Âgé de trente et quelques
années, il parait être venu depuis longtemps en Amérique où il se donne comme ayant été tour à
tour professeur, épicier, maître de pension. (…) Établi à Cienfuegos, où n’ayant aucun métier et
se croyant propre à tout faire, il a acheté (…) une petite boutique d’horloger (…). La branche la plus
lucrative de son commerce (…) consiste dans la vente de ces petits ex-voto, en argent repoussé, figu-
rant les diverses infirmités humaines (…) que les gens du peuple achètent pour les dédier au Saint à
l’intercession duquel ils ont demandé leur guérison. »

Émile Houillon est donc la parfaite figure de l’aventurier, moitié-escroc, moitié-honnête


homme, sans aucune profession mais polyvalent, qui semble traîner de pays en pays, de petits
métiers en petits métiers. Ses hommes et lui donnent une image des Français plus vivante, ils
incarnent les difficultés de la migration, la part d’aventure à laquelle doivent se confronter
tous les migrants au cours de leur trajectoire.

À l’opposé de Houillon et de ses hommes se situent quelques figures emblématiques de la


communauté française, qui elles, brillent par le succès qu’elles ont connu, dans différents do-
maines, à Cuba. Preuve de leur succès : ces migrants font partie des « cubains » dont les noms
doivent être connus, en particulier dans les pays anglo-saxons. Cette distinction, cet honneur,
leur sont offerts par William Parker Belmont241 en 1919 dans un ouvrage consacré aux bio-
graphies des éminents habitants de Cuba. Le but de Belmont est de présenter aux lecteurs an-
glais les portraits de quelques Cubains vivant s’étant distingués par leurs actions dans l’île.
Les portraits qu’il dresse sont ceux d’hommes et de femmes appartenant aux divers champs
de la vie publique cubaine (la politique, les arts, la représentation diplomatique, le commerce,
l’enseignement, etc.). Trois français figurent parmi ces cubains « en vogue » en 1919 : Régis
du Repaire de Truffin, Louis Montané et Jules Brouwer.

Régis du Repaire de Truffin, qualifié de « Business man » et de « Club man » par l’auteur
n’est pas un inconnu pour nous. C’est l’ancien président de la Chambre de Commerce Fran-
çaise de La Havane242 et un membre important de la Société française de Bienfaisance. Wil-
liam Parker Belmont nous apprend qu’il est né dans la province de Santa Clara, mais qu’il a

241
Parker Belmont, William, Cubans of to-day, The Hispanic Society of America, New-York and London, G.
P. Putnam’s sons, 1919.
242
Voir Courrier du 27 janvier 1919, Carton n°297, « Correspondance des postes – Dépêches – Minutes, La
Havane », p.118.

192
fait ses études à Paris au collège « Sainte Barbe », dans le 5ème arrondissement de Paris où il a
obtenu son bac. On apprend également, comme nous l’avions supposé, que Truffin n’est fran-
çais que par son père dont il choisi de conserver la nationalité. À la fin de ses études, et de
retour à Cuba, il se lance dans les affaires en créant la « R. Truffin & Cía », spécialisée dans
le commerce et l’exportation de mélasses et de sucre brut. Selon Belmont, l’entreprise prospé-
ra et resta aux mains de Truffin pendant 22 ans, avant d’être vendue à la « Cuba Distilling
Compagny ». Régis du Repaire de Truffin a été un des pontes de l’agriculture sucrière cu-
baine. Il a créé deux énormes plantations de cannes à sucre du nom de « Mercedes » et « San
Juan Bautista ». Au cours d’une pause dans ses activités économiques, il aurait même été con-
sul de la République cubaine en Russie vers 1892, le gouvernement russe lui ayant attribué,
selon Belmont, deux décorations (la Croix de Sainte Anne et l’Ordre de Saint Stanislas). À
son retour à Cuba, Truffin aurait été nommé à la tête de plusieurs entreprises sucrières : vice –
président de la « Cuba Cane Sugar Corporation », président de la « Manatí Sugar Co. », et
président de la « Companía Cubana de Jarcia ». En plus de toutes ces fonctions sur le plan
professionnel, il a également été à la tête de deux clubs : l’« Union Club » et le «Yacht Club »
de La Havane.

Le second portrait est celui de Louis Montané, médecin membre de la Société française de
Bienfaisance et de la Société de Secours Mutuels. Comme Truffin, le docteur Montané est un
natif de Cuba et a poursuivi ses études à Paris, où il décroche en 1874 son doctorat de méde-
cine consacré à l’étude des crânes des personnes atteintes de microcéphalie. Il étudie égale-
ment l’anthropologie, et devient membre de la Société d’Anthropologie de Paris. Il retourne à
Cuba après ses études où il devient un scientifique reconnu, en particulier grâce à ses re-
cherches dans le domaine de l’anthropologie. Il enseigne la médecine et l’anthropologie à la
faculté de Sciences et Lettres de l’Université de La Havane, devient membre de l’Académie
des Sciences et créé, avec d’autres confrères, la « Société d’Anthropologie de l’île de Cuba »
et la « Société d’Études Cliniques de La Havane ».

Le troisième homme présenté est Jules (Julio) E. Brouwer et Etchecopar, vétérinaire, chirur-
gien et scientifique, né à Matanzas mais éduqué en France. Il commence ses études au collège
Saint Bernard de Bayonne, tenu par des Lassalliens, où il a certainement ses origines comme
le suggère son patronyme. Il poursuit sa formation au lycée de Bordeaux où il obtient un di-
plôme en Lettres, puis à l’Université dont il sort avec un diplôme en sciences en 1899. Dans
la même année il intègre « l’École Vétérinaire d’Alfort » avant de poursuivre sa formation à
193
Toulouse où il obtient son diplôme de vétérinaire en 1905. Il retourne ensuite à Cuba et oc-
cupe le poste de vétérinaire du « Conseil général de la santé » et s’occupe en même temps du
« Laboratoire de l’épizootie243 ». En 1907, il est nommé « lieutenant vétérinaire » dans la po-
lice rurale et en 1908, il devient professeur en pathologie, chirurgie, chirurgie clinique ; il
enseigne la théorie et la pratique de la maréchalerie et de la pose de fers pour les chevaux.

Ces hommes ont réussi dans des secteurs porteurs à Cuba : l’industrie agro-alimentaire et les
sciences, deux domaines dont la proximité, dans le développement des intérêts français à Cu-
ba, a joué un rôle fort.

243
Épidémie qui touche les animaux.
194
CONCLUSION

Au cours du XIXe, et jusqu’au début du siècle suivant, l’île de Cuba fait figure de « nouvelle
Europe »244 de part les populations issues du Vieux Continent qu’elle accueille. Parmi ces
populations d’émigrés se trouvent quelque Français. Ils sont bien moins nombreux que leurs
voisins Espagnols ou Italiens dans l’île, mais leur présence ne passe pas inaperçue.

Être un Français de Cuba entre 1887 et 1914, c’est être avant tout, d’après les informations
que nous ont livré les registres d’immatriculations, un homme, jeune et actif. C’est vouloir
réussir dans un pays dans lequel on appartient à une minorité tant au niveau de nombre
d’individus présents dans l’île que sur le plan culturel, que sur le plan économique. Les colo-
nies françaises s’illustre dons par une répartition démographique originale en raison du désé-
quilibre des âges et des sexes. Elles se caractérisent par des migrants qui appartiennent en
général aux classes économiques actives, facteur favorable à l’évolution économique et à
l’élévation du niveau de vie des colonies qui n’ont pas à supporter, ou très peu, le poids que
représente les enfants et les vieillards.

Être Français à Cuba entre 1887 et 1914, c’est être avant tout un citadin, préférant tout parti-
culièrement La Havane et ses quartiers centraux, ou résider dans des villes secondaires
comme Matanzas, Santiago de Cuba, etc.

Être Français à Cuba entre 1887 et 1914, c’est travailler essentiellement dans le commerce, ou
exercer une profession recherchée, reconnue, qualifiée ou pour laquelle on embauche volon-
tiers. Avec les révolutions industrielles connues par l’Europe, l’apport de nouvelles tech-
niques et de nouvelles pratiques dans l’île, le Français travaille moins dans les champs que
son compatriote du début du siècle, et plus dans un bureau, dans un atelier ou dans une fa-
brique.

Être Français à Cuba entre 1887 et 1914, c’est certes venir de France, mais c’est aussi être
originaire des quatre coins du globe. C’est venir des colonies françaises, même les plus loin-

244
Guillaume, Pierre, Le Monde colonial XIXe-XXe siècle, Op. Cit.
195
taines, c’est d’être né en Bretagne ou dans le Tarn, c’est être un « jus solis » mais aussi un
« jus sanguinis », c’est être né à Cuba de parents français ou être le fruit d’un métissage fran-
co-cubain déjà bien avancé. C’est également choisir de continuer dans la vois du métissage,
garant d’une bonne intégration dans la société cubaine, ou au contraire choisir de protéger son
identité française par le mariage endogame.

Nous pourrions continuer à énumérer ce qu’est ou peut-être un Français à Cuba encore lon-
guement. L’étude d’une telle communauté, intéressante, passionnante et passionnée, semble
pouvoir être une étude sans fin tant il nous semble, arrivés au bout de notre propos, que nous
n’en avons rien dit, que nous n’en avons pas dit assez alors qu’il reste tant de choses à dire.
Les colonies françaises de Cuba recèlent encore bien d’autres trésors cachés, de nombreuses
informations, une multitude de visages, de noms, de fonctions, de portraits à tracer. Nom-
breuses également sont les sources dont nous connaissons ou supposons l’existence, aussi
bien en France qu’ailleurs dans le monde, et en particulier à Cuba, qui ne pourraient que satis-
faire le désir de parfaire le travail commencé. Les seuls registres d’État Civil français consti-
tué à Cuba pendant la période qui nous intéresse, disponibles au Centre des Archives du Mi-
nistère des Affaires Étrangères à La Courneuve, que nous avons eu l’occasion de consulter
apportent des éléments supplémentaires. Mais leur taille et le volume de travail qu’ils suppo-
sent, en particulier en termes de temps, ont interdit toute exploitation de ces sources pour
notre seule année de master II. Ils constituent donc un excellent point de départ à une pour-
suite éventuelle de l’écriture de l’histoire de nos colonies françaises de Cuba.

196
197
ANNEXES

198
199
200
201
202
203
204
205
206
207
2. Carte des provinces et principales villes cubaines

Les Bahamas
MATANZAS
Golfe du Mexique LA HAVANE
La Havane
Marianao VILLA CLARA
Matanzas Sagua La Cayo Romano
Guines
Grande Caibarien
Pinar del Rio Santa Clara CIEGO DE AVILLA

Morón
Cienfuegos Sancti Spiritus
CAMAGUEY
PINAR DEL RIO CIENFUEGOS
SANCTI SPIRITUS Camagüey
ILE DE LA JEUNESSE Gibara
Las Tunas Banes HOLGUIN
Holguín Baracoa
LAS TUNAS
Baie de Nipe
Manzanillo Bayamo
Guantanamo
Santiago de Cuba
Mer des Caraïbes GRANMA
GUANTANAMO
SANTIAGO DE CUBA

Légende :

- La Havane : Consulats généraux de France à Cuba.


- Cienfuegos : Villes cubaines dans lesquelles se trouvent les agences consulaires françaises.

208
3. Photos des Archives.

Fiche nominatives des agents consulaires.

209
Registre d’immatriculation de Guantanamo.

210
Extrait d’un des registres d’immatriculation.

211
Compte rendu de la Société française de Bienfaisance pour l’année 1912.
212
213
214
Emblèmes de la Société française de Bienfaisance et de la Société de Secours Mu-
tuels.

215
Compte rendu de la Société de Secours Mutuels pour l’année 1917.

216
4. Extraits des Crónicas de Santiago de Cuba d’Emilio
Bacardí Moreau.
1er de Julio 1898, Pánico

“(…) Por ello fue que M. Hippeau, cónsul de Francia, dirigió al almirante Cervera [chef d’une des
sections de la police gouvernementale] la nota siguiente:

‘Consulat de France à Santiago de Cuba. – Monsieur Edmond Hippeau, consul de France, a S. Exc.
Mr. L’amiral Cervera commandant de la 1ère division navale, en rade de Santiago de Cuba.

Santiago de Cuba, 1er juillet 1898. –Monsieur l’amiral : les forces ennemies entourent Santiago de
Cuba, et les dispositions que pourrait prendre l’escadre espagnole m’étant inconnues, je serais recon-
naissant à votre Excellence de vouloir bien, en cas de mesures d’hostilité prises de sa part contre la
ville, donner avis préalable aux non combattants neutres, et, en particulier, au Consul de France et à
ses ressortissants, conformément aux usages internationaux. Veuillez agréer, Monsieur l’amiral, les
assurances de ma haute considération. – Le Consul de France, (signé) Edmond Hippeau.’

La anterior nota consular fue redactada por la mañana, en una reunión, a la que asistieron algunos se-
ñores del cuerpo consular acreditado en esta ciudad y varios miembros prominentes de la colonia fran-
cesa, celebrada en la casa número 5 de la calle baja de San Félix, morada del apreciable caballero y
reputado cirujano-dentista don Eugenio Clemente Flamand.

Más tarde se celebró otra reunión por los mismos señores en la casa núm. 1 de la calle baja de San
Pedro, en donde estaba establecida la Comisaría Francesa para el despacho de raciones a los ciudada-
nos de esa nacionalidad, y aunque se aguardó la respuesta del almirante español, fue en vano, pues en
todo el día no se recibió”.

2 de Julio 1898, La escuadra de Cervera:

“El almirante Cervera contestó a M. Hippeau, cónsul de Francia, la nota que éste le dirigió ayer. He
aquí el texto:

‘(…) Muy señor mío: - contestando su respetable comunicación de ayer, tengo el honor de manifestar-
le que si la Plaza de Cuba fuese ocupada por las fuerzas norteamericanas, esta Escuadra la hostilizaría
inmediatamente, en cuyo concepto puede darse V. S., por notificado como interesa a su atenta comu-
nicación. (…) A bordo del acorazado “Infanta María Teresa”, Santiago de cuba, 2 de julio de 1898. –
Pascual Cervera.- Sor. Cónsul de Francia en Santiago de cuba.’’

El cónsul francés, comunicó en seguida el texto del oficio de Cervera al decano del cuerpo consular
(…) y pidió autorización al comandante general Toral para atravesar las líneas españolas y dirigirse
fuera de la Plaza con su colonia; a lo cual accedió Toral (…)

El cónsul y la colonia francesa abandonaron la plaza, cerca del mediodía, precedidos de la bandera de
su nación colocada el extremo de una larga vara. Llegaron a Cuabita, y de allí, ese mismo día siguie-
ron por la vereda de San Miguel, acampando cer del fuerte del mismo nombre. Luego continuaron al
Caney. Con la colonia francesa y al amparo de su bandera, partieron muchas personas que no pertene-
cían a ella.”

217
5. Confrontation entre pays de naissance et provenance :
la France.
Département/Colonie/Pays Nombre de personnes Provenance
de naissance
Ain 3 France
Aisne 2 France
Algérie 1 Algérie
Algérie 2 Espagne
Algérie 3 États-Unis
Algérie 5 France
Algérie 5 Inconnu
Algérie 1 Mexique
Alpes Maritimes 1 États-Unis
Alpes Maritimes 1 France
Alsace 1 États-Unis
Alsace 3 France
Alsace 1 Inconnu
Ardèche 2 France
Ardèche 1 Inconnu
Ariège 1 Canada
Ariège 1 États-Unis
Ariège 5 France
Ariège 3 Inconnu
Aube 3 France
Aude 3 France
Aveyron 1 Costa Rica
Basses Alpes 1 France
Basses Pyrénées 2 Cuba
Basses Pyrénées 8 Espagne
Basses Pyrénées 1 États-Unis
Basses Pyrénées 2 Europe
Basses Pyrénées 159 France
Basses Pyrénées 45 Inconnu
Basses Pyrénées 1 Mexique
Bouches du Rhône 1 États-Unis
Bouches du Rhône 4 France
Bouches du Rhône 1 Inconnu
Bouches du Rhône 1 Italie
Bouches du Rhône 1 Mexique
Bouches du Rhône 1 Venezuela
Calvados 2 France
Calvados 1 Inconnu
Cantal 1 Espagne
Cantal 1 États-Unis
Cantal 2 France
Charente 1 Cuba

218
Charente 1 États-Unis
Charente 3 Inconnu
Charente Maritime 1 France
Cher 1 États-Unis
Cher 1 France
Corrèze 1 France
Corrèze 1 Mexique
Corrèze 1 Panama
Corse 6 France
Corse 7 Inconnu
Corse 1 Porto Rico
Corse 2 Venezuela
Côte d'Or 4 France
Côte d'Or 1 Inconnu
Côtes du nord 2 France
Deux Sèvres 1 Saint Domingue
Dordogne 1 États-Unis
Dordogne 4 France
Doubs 1 France
Drôme 1 France
Drôme 2 Inconnu
Drôme 1 Mexique
Eure 1 États-Unis
Eure 2 France
Eure 1 Inconnu
Finistère 1 États-Unis
Finistère 2 France
Gard 4 France
Gard 1 Inconnu
Gard 1 Mexique
Gers 1 Panama
Gironde 1 Cuba
Gironde 1 Équateur
Gironde 15 France
Gironde 5 Inconnu
Gironde 1 Venezuela
Guadeloupe 9 France
Guadeloupe 6 Inconnu
Guadeloupe 3 Porto Rico
Haute Garonne 2 Cuba
Haute Garonne 1 Équateur
Haute Garonne 2 États-Unis
Haute Garonne 64 France
Haute Garonne 17 Inconnu
Haute Garonne 3 Mexique
Haute Garonne 1 Paraguay
Haute Loire 2 France

219
Haute Loire 1 Inconnu
Haute Saône 2 France
Haute Saône 1 Maroc
Haute Savoie 1 Suisse
Hautes Alpes 2 Inconnu
Hautes Pyrénées 1 États-Unis
Hautes Pyrénées 5 France
Hautes Pyrénées 3 Inconnu
Haut-Rhin 1 Inconnu
Hauts-de-Seine 1 Espagne
Hérault 1 Espagne
Hérault 1 États-Unis
Hérault 5 France
Hérault 1 Inconnu
Ille et Vilaine 1 France
Ille et Vilaine 1 Inconnu
Ille et Vilaine 1 Mexique
Indre 1 France
Indre et Loire 1 France
Isère 2 France
Isère 2 Mexique
Jura 1 France
Jura 1 Inconnu
Landes 1 États-Unis
Landes 6 France
Landes 2 Inconnu
Loir et Cher 1 États-Unis
Loir et Cher 2 France
Loir et Cher 1 Inconnu
Loire 1 États-Unis
Loire 3 France
Loire 1 Inconnu
Loire Atlantique 4 France
Loire Atlantique 1 Inconnu
Loiret 4 France
Lot 1 Canada
Lot 1 France
Lot 1 Inconnu
Lot 1 Mexique
Lot 1 Venezuela
Lot et Garonne 3 France
Lot et Garonne 1 Inconnu
Lot et Garonne 1 Mexique
Lozère 1 Espagne
Lozère 1 France
Maine et Loire 5 France
Manche 1 France

220
Manche 2 Inconnu
Marie Galante 1 France
Marne 3 France
Marne 1 Saint Domingue
Martinique 1 Costa Rica
Martinique 12 France
Martinique 2 Inconnu
Martinique 2 Mexique
Martinique 5 Porto Rico
Martinique 4 Venezuela
Meurthe et Moselle 1 États-Unis
Meuse 1 Inconnu
Morbihan 5 France
Morbihan 1 Mexique
Moselle 2 France
Nièvre 1 Cuba
Nièvre 3 France
Nièvre 1 Inconnu
Nièvre 1 Pérou
Nièvre 1 Porto Rico
Nord 1 Canada
Nord 2 Espagne
Nord 3 France
Nord 1 Inconnu
Oise 1 France
Orne 1 France
Pas de Calais 1 États-Unis
Pas de Calais 2 France
Puy de Dôme 1 France
Puy de Dôme 1 Inconnu
Pyrénées Orientales 1 Belgique
Pyrénées Orientales 1 Espagne
Pyrénées Orientales 10 France
Pyrénées Orientales 1 Inconnu
Pyrénées Orientales 1 Porto Rico
Rhône 1 États-Unis
Rhône 4 France
Rhône 6 Inconnu
Saône et Loire 3 France
Saône et Loire 2 Inconnu
Sarthe 1 France
Sarthe 1 Panama
Savoie 4 France
Seine 2 Argentine
Seine 1 Colombie
Seine 1 Costa Rica
Seine 2 Cuba

221
Seine 1 Égypte
Seine 7 États-Unis
Seine 50 France
Seine 18 Inconnu
Seine 4 Mexique
Seine et Marne 3 Cuba
Seine et Marne 1 États-Unis
Seine et Marne 2 France
Seine et Marne 1 Inconnu
Seine Maritime 2 États-Unis
Seine Maritime 4 France
Seine Maritime 1 Inconnu
Somme 2 France
St-Pierre et Miquelon 1 Espagne
Tarn 2 France
Tarn et Garonne 1 France
Val d’Oise 1 États-Unis
Var 1 États-Unis
Var 1 France
Var 1 Inconnu
Vaucluse 1 France
Vaucluse 5 Inconnu
Vendée 1 France
Vienne 2 France
Vosges 1 Costa Rica
Vosges 2 France
Vosges 1 Haïti
Yonne 3 France
Yonne 1 Pérou
Yvelines 1 Mexique
Total 786

222
Département/Colonie/Pays étranger Nombre de per- Provenance
de naissance sonnes
Allemagne 1 Inconnu
Argentine 1 Algérie
Argentine 1 Inconnu
Autriche 1 Inconnu
Brésil 1 France
Canaries 1 Canaries
Canaries 1 Cuba
Chili 1 Inconnu
Cuba 1 Aucun
Cuba 311 Cuba
Cuba 1 Espagne
Cuba 2 États-Unis
Cuba 7 France
Cuba 30 Inconnu
Cuba 1 Mexique
Cuba 1 Porto Rico
Empire Ottoman 1 Argentine
Empire Ottoman 15 Empire Ottoman
Empire Ottoman 4 États-Unis
Empire Ottoman 2 France
Empire Ottoman 10 Inconnu
Empire Ottoman 1 Porto Rico
Empire Ottoman 1 Saint Domingue
Espagne 1 Cuba
Espagne 9 Espagne
Espagne 6 France
Espagne 9 Inconnu
États-Unis 1 États-Unis
États-Unis 1 France
États-Unis 5 Inconnu
Haïti 1 France
Haïti 1 Porto Rico
Indes Orientales 1 Inconnu
Italie 2 France
Louisiane 1 États-Unis
Pérou 1 Inconnu
Porto Rico 1 Inconnu
Porto Rico 4 Porto Rico
Prusse 1 France
Suisse 1 France
Suisse 2 Inconnu
Trinidad 1 France
Uruguay 1 France
Venezuela 1 Inconnu
Total 447

223
6. Mariages et nationalité chez les Français de Cuba :
LEGENDE:
Nés à Cuba de parents
Epoux(se) cubain(e) : 61
français : 38
Naturalisation : 1 Protégé(e) français(e) : 9
Nés à Cuba d'un parent
Mode d'obtention de la nationalité
français et d'un parent
inconnu : 4
cubain : 11
Nés en France : Français(e) par le mariage : 2
TOTAL: 206 (16 Femmes & 190
Hommes)

Nom Prénom Sexe Nom et prénom de l'époux

Achkar Charles H Sofie Jacob


Aguerre Maria Teofila F Pedro Palomino
Araud Marie-Thérèse F Louis Adolphe Ducoureau
Armand José Antonio H Isabel Ruiz
Armand Armando H Blanca Paez
Armbuster Edouard H Micaela Bandera
Aznar Jeanne Joséphine Adèle F Iglésias
Bagaleiague Jean H Maria Carlota Triana y Mendez
Bairam Carlos H Sabine Saïda
Bajac Joseph H Josèphe Lajuzan-Laffon
Barès Jean Pierre H Baptistine Eucausse
Barthe Pierre Dominique H Maria Mulet
Batule Manuel H Marie Geage
Batule François H Amali Batule
Bauby Laurent H Léocadie Meyler
Bec Joseph Augustin H Elie Couret
Béguigné Charles Eugène H Charlotte Clémentine Davous
Bellocq Jean H Marie-Thérèse Guerra y Diaz
Bérail Louis H Louise cazaux
Berhouet Pierre H Catalina Salleda
Bernabé Joseph Jean H Aurélia Alcarazo
Bernavon Martin Armand Marcelin H Elisa Cyriana Villar
Bertrand José Manuel H Luisa Valdes
Betista Julian H Inconnu
Dominique Pierre Ber-
Bidegain H Aimée Suberbie
trand
Blanc Ferdinand H Laurenza Corbin
Bola Charles Ernest Marie H Mlle Zharani
224
Borde camille Joseph Gaston H Henriette Bellevue
Bordelvis Marguerite F Gusta Despaigne
Bordelvis Sixta F Ramon Bizet
Bordes Jean Marc Philippe H Jeanne Toulet
Borghi Ange François H Angèle Marie Caraffa
Borghi Caraffa Angèle Marie F Ange François Borghi
Marie Josèphe Amédée Mathilde Laba-
Bossière Claude H
lestrier
Boué Guillaume Célestin H Maria Sanchez y Sanchez
Bouigue Jean Bertrand H Dolorès Dubié
Braudière Dominique Jules Albert H Edmée de Lacretelle
Brègre René Bernard H Adrienne Brègre
Bucheton Alphonse H Clémence Picot
Budan Jacques Auguste Even H Marie Desbonne
Caillon Félix François Marie H Marie Elizabeth Julie Icard
AlphonseThéodore Fer-
Campistrous H Joséphine Sorzano
nand
Candebat Emile H Augustine Bizet
Cape Raymond H Maria Teresa Rumbia Riras
Cardonne Blaise Augustin Pierre H Célia del Castillo y Jimenez
Carnus Antoine H Marceline Lopez
Castelnau Julien H Manuela Pochet
Castex Jacques H Rosa Cabrera
Cazan Hourcade Pierre H America Gonzalez del valle
Cazaux François H Bernadine Blaisine Grangé
Cazes Louis Emmanuel H Herminie Ursule Verges
Cazès Jean Gabriel H Marie Thuers Rimas
Cervoni Ange François H J. Perretti

Charavay J. H Josefa Dominga Daniela Peña y Suarez

Chardiet Jean H Angela Sagaldin


Claude Jules Léon Valère H Hortense joséphine
Clauzel Eugène Paul H Blanche St Germés
Clément Auguste Charles H Dolorès Miliany ramos
Conrrech Frederic H Valentine Favarel
Couret Joseph H Pauline Caubère
Courraze Jean H Venceslas Eustaguia Berestein
Crombet François Adolphe H Felicita Gomez
Cyrus Louis Augustin H Eulogia Cabania y Sojo
Daudinot Epiphane H Eleanor Vernhes
Dauphin Georges William Albert H Gloria Sanchez Villalba
De Boyrie Eugène H Augusta Julia Peineke

225
Henri Joseph Louis Fran-
De Fréville H Marie Frejes y Valdes
çois
De la Ferté Alfred H Hortensia Goicouria
de Vignier Louis Guillaume thomas H Elisa Fernandez
Delcros Michel Pierre H Carmen Vives
Désir Vitoline Adeline F Denis Valmy Delage
Doniès Pierre Alphonse Marius H Carina Caledonia Valladares
Doniès Alphonse Pierre Marius H Carmen Doniès
Doulon Pierre Jean H Inès Samerano
Druon Eladio H Julia Irigoyen y Toledo
Du Repaire de Truf-
François Régis H Nueves Maria Perez Chaumont
fin
Ducourau Louis Adolphe H Marie-Thérèse Araud
Dufau Clément Charles H Mercedes Mejer
Duhart Jean H Hélène Duhart
Dumail Lucien Marius H Alexandrine Tapie
Dumois Alfred Firmin H Marie Conception Ruthil
Dumois Jean Baptiste Hippolyte H Marie Françoise Mitchell
Dumois François Antoine H Marie Guibert
Dumouchel Aristide François H Clara Teodora Rodriguez Alegre
Dupeyron Paul H Irène Lescano
Dupuy Paul H Marie Latour
Duraud Eugène César H Marie Dufour
Elias Miguel H Maria Caridad Fiat
Elissalt Mathieu Manuel H Clotilde Nelson
Elizalde Martin Marie H Marie Camino
Etcheberry Anne F Armand Dahetz
Falguère Asside Etienne H Rose Léocadie Marie Vial
Ferran Joseph H Inconnu
Ferran . F Joseph Ferran
Foudin Cecilio H Aurélie Foudin
Foudin Savon Aurélie F Cecilio Foudin
Franceschi François Eugène H Antoinette Vecchini
Fré Fidèle H Joséphine Espitalier
Gazel Louis Olympe H Marie Dupont
Gazel Jean Georges Oreste H Louise Dansot
Gendreau Marie Louise F D. Moas (1898)
Giraud Ernest Manuel H Marceline de Castro Palomino
Giroud Philippe H Belen Lorenza J. de Lamar
Giroud Henri Vincent François H Anna Landerman
Gosn Jean H Marte Jacob
Gouacide Jacques H Louise Anin

226
Gracia y Harriquillie Pierre H Françoise Guerra y Diaz

Grau Joseph H Catherine Rosalie Marie Fonsagrive


Grinaire François Henri H Marie Louise Scheirmann
Grujon Jacques Raoul H Mercedes Puig
Guttin Marcel Adrien H Suzanne Marie Joséphine Fitte
Haddad Abraham Jacob H Zanem Arpud
Hautefeuille Léon Louis Ernest H Adolphine Léopoldine Lasnier
Heimbourger Charles Pierre H Eugénie Vuillemard
Higué Pierre H Marie Madeleine Bordenave
Humbert Emile H Eugénie Pirlot
Sébastien Raymond An- Adeline Augustine de la Caridas Mon-
Inglès H
toine tadas Rivero
Jacob Michel H Rafka Geage
Jammet François H Rosalie Lutard
Maria de la Soledad Florencia de la
Marie Charles Bertrand
Johanet H Caridad de la Santissima Trinidad Gallol
Edmond
y millet de Bonneval
Karman Robert Marie Félicien H Angélica Barrié
Kreff Joseph Désiré H Marguerite Raymond
Labrit Léon H Margarita Salas
Laffitte Joseph H Catherine Bernié
Lahargoue Pierre H Bibianne Etchebest
Lahullier Largio H Juana Leiba
Lainé Jules Honoré H Marie P. di Borgo
Lambert Joseph H Felipa Cordonis
Lambert Joseph Valérien H Maria Gomez
Lambert Pierre H Benuta Alcantara
Lamerens Charles Alfred H Dolorès Emeteria
Lamsfus Henri Edouard H Eugénie Germaine Depasse
Landeau Alfred H Apolonia Ducasse
Lardoiyt Pierre H S. Perez
Joseph Marie Henri Eu-
Larroudé H Eloïse Séverine Théophile Casteret
gène
Lascano Jean Baptiste H Isabel Gonzalo
Lasserre Faurie Jean H Marie Madeleine Echecopar
Laurent Gabriel Henri H Margarita Dauru
Laurent Ambroise H Thérèse Capdevila
Marie Mercedes Pedra Julia Joséphine
Le Bienvenu Henri Jean H
Johanet
Le Bœuf Lucien Adolphe H Maria Amada Franchi Alfaro
Le Fébure Marie Charles René H Jeanne Antoinette Grujon
Le Mat Marcel H Marie Dufau

227
Lebrun Henri Georges Désiré H Eugénie Ida Verdy
Leroy Félix Jacques H E. Sicard
Lorenceau Mathurin H Louise Clotilde Barbe Rhaesa
Louhau Pierre Victor H Irma Vernhes
Loustalot Jules H Carmen Cayado
Loustau Jean Baptiste H Eulalie Jeanne Bilhère
Lousteau Jean H Madeleine Hernandez
Magnan Emile Maurice H Célestine Derré
Maurisset Louis Parfait oscar H Heloïsa Guevara
Medley Edouard H Aurora Alvarez
Amalia Crespina de la Caridad Louhau y
Monpribat Jean Faustin H
Vernhes
Mugabure Dominique H Marie Marthe Dartiguenave
Murat Louis Paul H Jeanne Catherine Baqué
Corentin Constant
Naud H Gabrielle de Fonterman
Edouard
Niquet Albert Jean H Baudoux Léonora
Ohan Ohamian H Nevarte Fringhian
Orabona Santiago Marcelo H Jeanne Albino
Orsini Félix Etienne H Blanche Garraïta
Orsini J. L. H Joséphine Bayle
Ospital Bernard Salvat H Marie Hirigoyen
Otondo Arnaud H Casilde Amestoy
Paban Alfred H Antonine Tecla baldes
Petrovitsch Georges Iovan H Carolina Marco y Marco
Piedra y Martinez,
Elvira F Jean Ernest Latour
Latour
Planchette Louis Pierre H Rose Foray
Plancq Fernand Maurice H Marie-Louise Blanc
Posso Raphaël H Amalia Alvaro
Pucheu Michel H Marie Clémentine Zuffal
Puyada Victor Meliton de Jesus H Matilde Martinez
Puyada Augustin H Mariana Duque
Puyada Mathieu H Anne Marie Arenos
Puyou Alexandre H Marnia Morales
Raoul Jean-Bernard H Jeanne Marie Barès
Rayjal, Dubernard Julie F Baptiste Dubernard
Récalt Jean H Mathilde Sonaillard
Rey Charles Antoine H Marie Catherine Sauthier
Frédéric Séraphin de la
Roure H Marie Recordier
Croix Marie
Rousseau Emile H Alice de Mendive
Roux Louis Georges H Amelia Inès Pelayo

228
Saldaquy Bernard H Mercedes Labourdette
Savournin Eleutère Oscar H Manuela Puyou
Sharp Labrousse Inconnu F Howard Sharp
St-Martin Jean Marie Isidore H Catherine Casaux
Léopold Louis Herme-
Supervielle H Clara Louise Knowles
negildo
Tarride Bertrand H Marie Ribis
Telot Georges Auguste H Joséphine Tasis
Terré Jean Bertrand H Jeanne Anne Pointès
Thaureaux Ernest H Noemie Heredia y Fernandez Mora
Tissier François H Jeanne Labrousse
Touzet Jean François Timothée H Marie Louise Montané
Maria de los Dolores de Figueroa y
Triolet Ernest Victor H
Marty
Trocmé Charles Dominique H Rosalie Cutié y Garcia
Trocmé Cutié y
Rosalie F Charles Dominique Trocmé
Garcia
Tussau Jules H Eugénie Ortet
Valdivia, Cachau Barbara F Auguste Cachau
Vallice Joseph Maximilien H Blanca Aurora Beatriz Valera y Valera
Valmy Delage Denis H Vitoline Adeline Désir
Vernet Jean H Aquilina Rodriguez
Vidal Pierre H Joséphine Thérèse Françoise Olive
Viélajus Jean Marie Paul H Julie Viélajus

Voussure Maurice Joseph Alphonse H Marie-Thérèse Gaugois

Weiss Gaspard Raphaël H Josefina Sanchez Iquel


Yches Camille Jean Baptiste H Gabrielle Bondel

229
Nom et prénom du conjoint
Nom Prénoms Sexe
défunt
Barbastre, Truet Marie Alphonsine F Gaston Truet
Borras, Desplat Rosalie F M. Desplat
Dufau, Ferrier Aimée félicie F M. Dufau
Ginret, Pradère Jeanne Marie F M. Pradère
Larqué-Lavigne, Dufau Anne Virginie F Etienne (Pierre) Dufau
Loubière Hugues Michel H Marie Joséphine Pingaud
Loumiet Jean Pierre H Blanche Lacoste
Martinon, Hum-Sentouré Francine Félicie F Martin Martinon
Medan, Tapie Catherine F Guillaume Tapie
Monela Jean H Maria Lopez
Philibert, Dupuis Marie F M. Dupuis
Placé, Loustalot Victoire F Pierre Loustalot
Ponts, Toulet Marie F Georges Toulet
Recolin Dediot Marguerite Louise Eugénie F Léon Franklin Dediot
Tieche Justi Marie Louise F Thomas Justi
Vignes, Boulet Nathalie F M. Boulet
Betancourt, Supervielle Maria Josefa F Jean Baptiste Supervielle
Bethart Manuela F Dominique Bethart
Cabrera, Bajac Angéla F Denis Bajac
De Figueroa y Marty,
Maria Dolores F Victor Ernest Triolet
Triolet
Dufau Clément Charles H Mercedes Mejer
Duval Bartet Juana F M. Bartet
Etchebarne, Lazcano Maria Valeriana F Pierre Etchebarne
Guerra, Pucheux Filomena F J.B. Pucheux
Hiriart, Rodriguez Adelaïda Leonarda F Baptiste Hiriart
Junquet Charles Philippe H Emilie Cartaya
Marcet, Fayet Anne Marie françoise F Martin Fayet
Ménard, Prieto Clara Maria Polonia F M. Ménard
M. Edouard Montmart de Mon-
Rapp Marie Augustine Conception F
tel
Richelme, Castelnau Estephanie F Jean baptiste Castelnau
Romulus, Tarride Adèle F M. Tarride
Rousselot, Royer Inès F Royer Jean Baptiste
Rovira, Cazaurang Domitila F Jean Cazaurang
Sansaricq, Canes Aurora F Pierre edouard Sansaricq
Marie Charité des neiges,
Santa Ana, Garrus Raymonde, Dominique des F M. Garrus
Douleurs
Thimon, Valdès y Diaz Joaquina F Eugène Thimon
Ufort, Leprince Maria Del Rosario F Denis Michel Leprince
230
Nom du père du migrant né Nom de la mère du migrant Nombre d'enfants eu par les
à Cuba né à Cuba parents
Maria Del Rosario Fernan-
A. Lefort dez de Cordoba 1
Aguste Bec Rosario Dupeyron 1
Alexandre Lainé Geneviève Léonard 1
Alexis Aroix Etchandy Inès Maria Aroix Etchandy 1
Alexis Eugène Rustoy Marie Salles 2
Ange François Borghi Angèle Marie Caraffa 5
Antoine Lucien Pujol Marie Trilla 1
Marie Louise Monterre y
Armand Récalt Marechale 2
Arnaud Laplume Marie Etchécopar 1
Arnaud Recalt Luisina Gomez 1
Arthur Nayrac Clotilde Nelson 3
Annette Anna Joséphine
Auguste Bertrand Romulus Esquerré 2
Auguste Marie Lacoste Elmire Lacoste 1
Baptiste Bidart Gracieuse Arrosarena 1
Baptiste Hiriart Adélaïde Rodriguez 3
Blaize Boé Prudencia Darnes 1
Casimir Giscard Catherine Bello 1
Cecilio Foudin Aurélie Foudin 5
Célien Théodore Ribet Jacinta Lopez 10
Charles Dominique Trocmé Rosalie Cutié y Garcia 1
Charles Rousselot Mercedes Cruz 1
Constant Hayet Anne Gonzales 1
Denis Cousin Zoé Chevalier 1
Denis Michel Leprince Maria Del Rosario Ufort 1
Dominique Bataille Rafaela Rodriguez Rivero 2
Dominique Daffos Grégoire Boué 2
Dominique Dupeyron Josephe Lescano 2
Dominique Sibel Dolores Corbea 1
Edouard Montmart de Mon- Marie Augustine Conception
tel Rapp 1
Edouard Sansaricq Maria Chavez 1
Edouard Sansaricq Aurora Canes 3
Emile Couritillier Manuela pernez 2
Emile Déchard Marie Agard 1

231
Emile Weiss Maria Natividad verson 3
Emile Weiss Eulogia Gramatges 7
Anne Virginie Dufau Larqué-
Etienne Dufau Lavigne 1
Eugène Hippolyte Déchard Rose Suas 2
Eugène Latour Angela Marguerite Zuitier 2
Eugène Rousseau Maria Juana de la Cruz 1
Eugène Thimon Joaquina Valdès 2
Félix François Benoist Dus- Panchita Verdereau y Casa-
sac major 1
Ferdinand Poli Léocadia Arredondo 3

François Joseph Louis Roure Marie Marguerite Gonzales 1


François Leblanc Regimbal Telei 1
François Louis Edouard Bou-
clair Marie Louise Miltz 2
François Maray Mathilde Denigé 2
François Rieumont Marie Alvarez 4
François Tian Carlota Fernandez Trevejo 2
Georges Toulet Marie Pout 1
Georges Trégent Célestine Fauché 1
Gustave Molas Françoise Solaberrieta 1
Henry Bertrand Dolores Risses 1
Hippolyte Hagerman Léonor Fori 1
Isidore Cordier Manuela Leoncia Alonso 2
Jacques Castex Rose Rodriguez 5
Jacques Gouacide Louise Anin 1
Jacques Rouig Maria Eulogia Lopez 10
Jean Aguerre Micaela scull 3
Jean Alicot Marie Raymond 6
Jean Baptiste Baylac Natividad Hernandez 1
Jean Baptiste Brouwer Anne etchécopar 1
Jean Baptiste Brouwer Jeanne Borda 1
Jean Baptiste Castex Marie Castex 1
Jean Baptiste Loustau Eulalie Jeanne Bilhère 1
Jean Baptiste Placé Marie Avila 1
Maria Josefa (Joséphine)
Jean Baptiste Supervielle Bétancourt 2
Jean Bataille Salomé Ordax 2
Jean Bidondo Maria Lazcano 7

232
Jean Cazan Hourcade Philiberte Catalan 2
Jean Dominique Stable Adélaïde Collaço 1
Jean Duval Pauline Duon 1
Jean Elissalt Narcissa Simone Martinez 1
Jean François Timothée Marie Louise Lucienne Mon-
Touzet tané 3
Jean Gaspard Giraud Felina Aydely 3
Jean Julien de la Ferté Teresa Goitia 1
Jean Louis Loustau Marie Louise Oxeby 1
Jean Marfaing Brigida Cortes 2
Jean Marie Marcucci Maria de la Paz Beltran 2
Jean Pedro François Baylac Teresa Felipa Prim 1
Jean Pierre Abadens Maria de la Luz Guera 1
Jean Pradère Angèle Gonzalez 3
Jean Récalt Mathilde Souaillard 1
Jean Soubié Catherine Boué 1
Jean Soubié Laureana Boué 1
Jean Valdès Dolores Diaz 1
Jean Vernet Aquilina Rodriguez 2
Joaquin Doyharçabal Marie Antoinette vidal 1
José Antonio Armand Josefa Otero 4
José Boué Gregoria Linares 1
José Juan Bernabé Maria de Jesus Rodriguez 1
Joseph Arnouill Victorine Estrade 7
Joseph Bernabé Catalina Rousseau 1
Joseph Boué Hilaria Colsolacion Sanchez 1
Joseph Cape Maria Aponte 1
Joseph Giroud Vincenta Zapari 2
Joseph Lissarrague Amélie Latour 1
Joseph Martinez Léonie Raburesan 1
Juan Doulon Mercedes Zorre 1
Jules Honoré Lainé Marie P. di Borgo 1
Jules Joseph Dehogues Amélia Paéz y Sanchez 3
Julien Puyada Nieves Dias 3
Laurent Hourcq Juana Dolores Quiñones 2
Léon Junquet Marie Félicité Fritot 1
Louis Boniface de Vignier Ramona Cert 2

233
Lucien Amédée Raphel Julia de Carricarte 2
Martin Armand Marcelin
Bernavon Elisa Cyriana Villar 1
Martin Borda Maria del Carmen Valdes 1
Martin Deschapelles Agueda Himely 2
Martin Hiriart Asuncion Cespedes 1
Francine Félicie Hum-
Martin Martinon Sentouré 1
Maurice Dussaq Marie Louise Fischer 2
Oscar Héron Anita Crombet 1
Paul Dupeyron Irène Lescano 3
Paul Facio Bathilde Fouguère 1
Petronilo Dupeyron Antonia Izquierdo 6
Philippe Joseph Dehogues Gertrude Micheline 2
Catherine Françoise Aba-
Pierre Aimé Larcade dens 1
Pierre Biscay Mathilde Schreiner 2
Pierre Bouvier Joséphine Dufour 1
Pierre Cabanius Maria Antonia Gallardo 3
Pierre Esquerré Jacquette Barres 1
Pierre Jean Cazes Bertrande Rumèbe 1
Pierre Jean Lousteau Elisabeth Capdegui 1

Pierre Lacoste Narcisse Caroline Laviolette 1


Pierre Lahirigoyen Marie Isabelle Mena 1
Pierre Larroudé Eugénie Bonnet 1
Pierre Loustalot Victoire Placé 1
Pierre Narcisse de la Coux
des Roseaux Pauline Salva 1
Pierre Prosper Montané Jeanne Martine Seguin 5
Pierre Sautié Rosa Gasparra 4
Pierre Séraphin Olivier Angèle Marthe Moal 1
Richard Jean Sanchez Carmen Caucio 1
Robert Karman Angelica Barrié 1
Roch Teillagorry Anna Lascaray 5
Santos Larralde Ana Maria Capote 1
Simon Dubié Maria del Rosario Ferro 2
Timoléon Couret Aurore Rivera 1
Toussaint Orsini Anne Verson 2
TOTAL 269

234
7. Courrier en date du 16 juillet 1900, rédigé par M. Bon-
henry, Ministre de France à La Havane, à l’adresse du M i-
nistre des Affaires Étrangères. 245

« (…) Cette année, en effet, remettant en vigueur une tradition qui sem-
blait perdue depuis de longues années à La Havane, j’ai tenu à ce que la
fête du 14 juillet fut célébrée officiellement au Consulat Général, à
l’exemple de ce qui se passe partout ailleurs, et ne se réduisît pas,
comme jusqu’alors à un simple banquet où le représentant de la France
ne figurait qu’ a être l’invité et à une distribution de secours faite par
l’intermédiaire de la Société française de Bienfaisance. Pour ces raisons
et pour celles que j’exposerai dans la suite, j’ai voulu donner à la fête
nationale française à La Havane, que l’état de désolation du pays
n’avait pas permis de célébrer dignement depuis longtemps, un caractère
exceptionnellement solennel et patriotique, et bien que j’aie dû faire un
sacrifice pécuniaire personnel assez élevé à cette occasion, je n’ai voulu
épargner aucune peine et aucun effort pour réussie. J’ose affirmer que
ma tentative a été couronnée d’un succès complet, comme je vais le
montrer ; la journée, elle-même, du reste a été favorisée par un temps
splendide, chose rare en cette saison. La fête s’est composée d’une ré-
ception officielle, suivie d’une matinée enfantine et d’une fête de charité
au Consulat Général, du banquet traditionnel et d’une représentation
théâtrale au profit des français pauvres de La Havane.

Grâce aux bonnes relations que j’ai pu conserver avec les autorités amé-
ricaines et le gouvernement du Général Wood, relations qui datent du
siège de Santiago de Cuba et des premiers temps de l’intervention amé-
ricaine dans la Province Orientale où le Général et moi nous nous trou-
vions alors, j’ai été assez heureux pour associer à notre fête nationale la
majeure partie du monde officiel de La Havane. J’avais même obtenu
du Général Lee le concours gracieux de la musique du 2e Régiment
d’Artillerie malheureusement les cas de fièvre jaune étant devenus tout à
coup plus nombreux ces jours derniers, les troupes ont été consignées
dans leurs campement hors de la ville et j’ai du improviser une musique
quelconque au dernier moment. J’ai eu la bonne fortune de retrouver
également dans les hauts services administratifs de la Capitale, bon
nombre de notabilités cubaines que j’avais précédemment connues à
Santiago. Plusieurs autres qui nous ont visités, connaissaient la France
pour avoir fait leurs études de médecin, d’avocat ou d’ingénieur à Paris.
Enfin, certains anciens chefs de la Révolution sont venus nous voir en

245
Carton n°253, « Correspondance des postes – Dépêches – Minutes, Santiago de Cuba & La Havane », Fonds
« Personnels et Agences consulaires », Série « Fonds personnels », Sous-série « Agences consulaires et corres-
pondances », CADN.
235
curieux, pour s’assurer si leur pavillon figurait au même titre que celui
des autres nations au Consulat Général de France et ils n’ont pu
s’empêcher de manifester publiquement leurs satisfactions à cette occa-
sion : j’ai cru en effet dans cette circonstance, la première peut-être à
La Havane où une puissance étrangère ait officiellement admis les cou-
leurs cubaines, m’inspirer de l’exemple donné par le gouvernement de
l’île lui-même, le 4 juillet dernier lors de la fête nationale des États-Unis
et aussi de celui donné par le directeur de l’Exposition Universelle de
Paris, qui a laissé arborer le drapeau uni-étoilé sur le pavillon de l’île de
Cuba au Trocadéro.

Au cours de l’allocution que j’ai eu à prononcer je n’ai pas manqué de


constater l’amitié ancienne des deux républiques sœurs, en faisant allu-
sion aux grandes fêtes franco-américaines qui ont eu lieu à Paris le 4
juillet pour l’inauguration des monuments de Washington et de La-
fayette ; d’un autre côté j’ai rappelé l’intervention amicale de la France
dans la dernière guerre empéchant une plus grande effusion de sang de
part et d’autre et donnant ainsi plus tôt au jeune peuple de Cuba
l’occasion de s’essayer au régime de la liberté ; j’ai aussi exprimé les
remerciements de la colonie au corps consulaire étranger qui avait tenu
à venir en entier saluer les Français et leur représentant ; enfin j’ai
convié tous les invités : Compatriotes, Américains, Cubains et étrangers
à lever leur verre en l’honneur de l’exposition Universelle de Paris et à
porter la santé du Président de la République qui l’a ouverte. La matinée
enfantine qui a suivi était également une innovation. Avant de les con-
duire à l’assaut de la Bastille en nougat qui les attendait, j’ai expliqué
aux petits français de La Havane ce qu’est leur fête nationale, quel sym-
bole représente la prise de la Bastille, et je crois avoir réussi à éveiller en
eux de véritables sentiments de patriotisme. Aussi est-ce avec un réel en-
thousiasme qu’ils ont crié tous, pour la première fois sans doute : Vive
la France ! Vive la République ! et aussi : Vive M. le Consul !

Les pauvres ont eux aussi pris part à la fête et reçu des friandises et
quelques secours en espèces ; la distribution en était confiée les années
précédentes à la Société de Bienfaisance j’ai tenu à ce qu’elle eût lui
cette fois au Consulat Général afin que l’objet et l’origine de ces secours
fussent bien connus et appréciés de tous les intéressés. Le Banquet a ré-
uni plusieurs notabilités autour de la Colonie. Le Président du Comité
d’organisation, M. le docteur Montané, a bien voulu exprimer les re-
merciements de nos compatriotes pour le succès de nos fêtes et a porté la
santé du Consul Général intérimaire.

Quant à la représentation donnée au premier théâtre de La Havane,


après le banquet, elle consistait simplement en projections du Cinémato-
graphe : « Lumière » ; Exposition universelle, défilés militaires, céré-
monies patriotiques, etc, toutes vues françaises ; elle n’a duré qu’une
heure et demie mais a couronné dignement la célébration de la Fête Na-
tionale. De plus ainsi que je l’ai dit tout d’abord, elle avait un but de
charité : ses résultats sous ce rapport ont dépassé toutes les prévisions.
236
Grâce aux excellentes relations auxquelles j’ai fait allusion tout à
l’heure, et au concours empressé des nombreux amis que compte la
France à La Havane, j’ai été assez heureux – et si je parle de moi seul,
c’est parce qu’en réalité c’est le Consulat seul qui a eu l’initiative et
s’est occupé de l’œuvre en question, en dehors de toute action de la So-
ciété française de Bienfaisance elle-même – j’ai été assez heureux dis-je,
pour réunir dans les deux jours qui ont précédé la fête la somme
d’environ six cent dollars ($ 600) soit trois mille francs (3 000F), au pro-
fit de nos compatriotes pauvres. C’était un succès – quelques uns ont dit
un dévouement – sans précédent à La Havane ; aussi me prodigue- t-on
aujourd’hui compliments et remerciements ; je ne me permettrai pas de
faire lire à Votre Excellence, ni de traduire les adresses trop flatteuses
pour moi que publièrent le lendemain les journaux locaux, articles ins-
pirés par des Américains, des Cubains, des Espagnols et aussi, bien en-
tendu, des Français.

(…) Car sans vouloir exagérer mes mérites personnels, je suis heureux
d’avoir pu, à l’occasion du 14 juillet, créer une réaction favorable et qui
s’est dessinée tout de suite dans l’esprit de la Colonie ; celle-ci n’a pas
tardé en effet à se rendre compte de la haute portée et du succès réel,
tout à son profit, d’abord de la célébration officielle de la fête nationale
au Consulat Général et non ailleurs, et j’ai montré combien la réception
a été particulièrement brillante et flatteuse pour nous tous Français – et
en second lieu, de la représentation théâtrale dont le caractère patrio-
tique et charitable a été si heureusement compris et applaudi par le
monde officiel et par le monde des affaires de La Havane tout entière ;
nos compatriotes ont su bien vite aussi à qui reporter le mérite et la
gloire de ces quelques heures de réjouissances patriotiques qu’ils ve-
naient de partager ils le l’ont bien vite montré. (…)

En résumé, j’ai voulu que la fête Nationale du 14 juillet fut ouverte à


tous au lieu de la laisser réduite à un festin où seuls ceux qui pouvaient
disposer de 25 ou cinquante francs pouvaient prendre part, et j’ai appelé
tout le monde en conciliation sur le terrain de la charité. (…). »

237
8. Courrier du 20 juin 1887, au sujet de la pétition signée
contre la nomination d’Alfred Hautrive comme agent cons u-
laire de Trinidad et Cienfuegos 246.

« Monsieur le Ministre, à la date du 25 septembre dernier, votre Dépar-


tement m’a envoyé en copie :

1° une pétition signée par quelques résidents français de Trinidad et


Cienfuegos, tendante à la révocation de notre agent consulaire dans
cette ville ;

2° une lettre de M. Armez (…) Député des côtes du Nord exprime le dé-
sir que M. Hautrive, le titulaire actuel de l’agence de Cienfuegos, soit
remplacé par le Sr Houillon, l’un des signataires de la susdite pétition.

Votre département m’a prié (..) de lui faire connaître les observations
que pourrait me suggérer la lecture de ces deux pièces. Ces observations
(…) se résument en ceci :

1° que la pétition n’a absolument aucune valeur, et n’est qu’une ma-


nœuvre de bas étage indigne de l’attention de votre Département ;

2° que la démarche de M. Armez est le fait d’un homme (…) qui inter-
vient, de la manière la plus inconsidérée, dans des affaires qu’il ne con-
nait pas.

La nomination de M. Alfred Hautrive en qualité d’agent consulaire de


France à Trinidad et Cienfuegos, (…) est une mesure à laquelle il a été
procédé, par moi, avec tout le soin et toute l’attention qu’elle réclamait.
(…) Je m’étais rendu exprès à Cienfuegos pour y étudier, par moi-
même, les ressources que pouvait offrir le personnel de notre colonie, et
que le résultat de mon enquête m’avait conduit à reconnaitre que M.
Hautrive était le seul français à qui (…) il fût possible et d’ailleurs, très
convenable, de confier cette charge. (…)

Il n’y a à Cienfuegos (…) que trois français qui, à des titres divers, pou-
vaient être considérés comme des candidats possibles. Ce sont MM. Til-
let, Taillacq et Hautrive.

M. Jean Tillet, propriétaire, dont un proche parent, de son nom, a long-


temps occupé le poste, (…) est aujourd’hui le chef de la famille Tillet,
qui est la principale famille française de Cienfuegos. Il était donc natu-

246
Carton n°40, « Correspondance antérieure à 1920 », Personnel et Agences consulaires, Santiago de Cuba,
CADN.
238
rellement indiqué, car il remplit toutes les conditions requises : considé-
ration sociale, parfaite honorabilité, fortune indépendante et assise, ins-
truction très suffisante. Il est on peut le dire, l’agent né de la France
dans cette ville de Cienfuegos que sa famille a contribué à fonder, en
1828, avec un groupe de colons français de Bordeaux (…).

J’aurais certainement nommé M. Tillet si je l’avais pu. Malheureuse-


ment, M. Tillet, (…) est atteint d’une grave infirmité. (…) En outre, il
habite une villa assez éloignée de la banlieue et n’a pas de bureau en
ville. (…)

M. Taillacq est un ancien ouvrier tonnelier, venu à Cuba à l’époque où


ce pays étant en pleine prospérité, l’on y gagnait assez vite, en travail-
lant, beaucoup d’argent. Il est aujourd’hui chef de famille et proprié-
taire de pâturages où il élève des bœufs. Il jouit de cette sorte de considé-
ration qu’on accorde toujours aux gens qui ont su faire leurs affaires, ce
qui suppose le plus ordinairement de l’ordre, de la conduite, une morali-
té relative. (…) Mais [M. Taillacq] ne réside pas non plus à la ville, il est
peu lettré et n’a pas l’usage du monde et les manières indispensables à
un agent (…). Il n’est préparé en rien à l’exercice de fonctions qui sup-
posent une certaine culture (…).

Restait M. Hautrive, (…) un fort bon sujet, un excellent choix.

M. Hautrive n’a pas de fortune et n’est pas chef d’établissement, cela est
vrai. Il n’est qu’employé et n’a d’autres revenus que ceux qu’il retire de
sa place d’abord et ensuite de leçons qu’il donne et d’expériences chi-
miques qu’il fait sur les sucres, ce qu’on appelle des polarisations, où il
est passé maître et que sa probité, autant que son savoir, fait tenir à très
haut prix par les industriels et négociants qui l’emploient. Tous ces pro-
fits réunis lui permettent d’élever une nombreuse famille de sept en-
fants. Sa conduite et sa tenue sont irréprochables. (…)

M. Hautrive est un bon français, dont le patriotisme, pour ne pas se pro-


duire bruyamment au cabaret, m’a paru être de bon aloi. M. Hautrive,
qui est né à Lille, en 1835, et qui a rempli ses obligations militaires (ce
qui est un mérite assez rare parmi les français qui résident à l’étranger)
se rattache par ses origines à la famille du pacificateur de la Vendée
(…).

La pétition que m’a transmise votre département, signée par une demi-
douzaine d’aventuriers ou de mendiants auxquels il a fait l’aumône, re-
proche à M. Hautrive d’avoir « à peine de quoi vivre ». J’ai expliqué
plus haut que cet agent, (…) s’il n’est pas riche, a au moins de quoi
vivre puisqu’il élève une nombreuse famille. Le seul reproche que j’ai à
faire, si ç’en est un, à M. Hautrive c’est précisément d’être trop porté à
se croire obligé de venir en aide, de sa bourse, à des individualités peu
intéressantes, à des gens sans papiers, sans aveu, qui circulent et se
promènent à l’étranger en exploitant la commisération de leurs compa-
239
triotes (…). Votre excellence n’apprendra pas sans surprise, ni sans dé-
goût, que les sieurs Esperon de Lasplaignes et Boyer, signataires de la
pétition qui demande qu’on le révoque, sont précisément de ceux qu’il a
le plus obligés. À Boyer, ancien chauffeur, sans travail, et à sa femme, le
trop généreux M. Hautrive a payé l’année dernière leur passage de
Cienfuegos à Santiago de Cuba, soit 170 francs, pour les faire aller dans
une ville où ils pussent recevoir les secours permanents d’une société de
Bienfaisance française. À de Lasplaignes, aventurier sans ressources,
venant on ne sait d’où et vivant on ne sait comment, avec une femme et
deux filles, M. Hautrive a fait plusieurs fois l’aumône (…).

Mais il faut en venir au Sr Houillon, « l’ami » de M. Armez, (…) et son


candidat à l’agence consulaire de Cienfuegos (…) j’ai déjà eu l’occasion
de vous faire connaître ce personnage.

Le Sr Houillon (Émile Marcel), français, non immatriculé, et qui a dé-


claré, lors du dernier recensement quinquennal, être dans l’habitude de
ne jamais se faire inscrire au Consulat français de ses diverses rési-
dences, n’habite Cienfuegos que depuis trois ou quatre ans. Âgé de
trente et quelques années, il parait être venu depuis longtemps en Amé-
rique où il se donne comme ayant été tour à tour professeur, épicier,
maître de pension. (…)

Se trouvant à la Nouvelle-Orléans, vers 1878, à l’époque où la guerre


Civile de Cuba obligeait beaucoup de familles à se réfugier sur le conti-
nent, il y a fait la rencontre d’une cubaine de Sagua la Grande, qui avait
parait-il, quelque fortune, qu’il a épousée, et dont il est maintenant sé-
paré. La femme est retournée à Sagua, dans sa famille. Le mari s’est
établi à Cienfuegos, où n’ayant aucun métier et se croyant propre à tout
faire, il a acheté à crédit pour environ 1 500 piastres, une petite boutique
d’horloger, dans laquelle un ouvrier à ses gages rhabille les montres et
raccommode des bijoux. La branche la plus lucrative de son commerce
(…) consiste dans la vente de ces petits ex-voto, en argent repoussé, fi-
gurant les diverses infirmités humaines (…) que les gens du peuple
achètent pour les dédier au Saint à l’intercession duquel ils ont demandé
leur guérison.

Imbu de doctrines philosophiques et sociales très avancées, le Sr Houil-


lon s’est mis à la tête d’un petit groupe de gens échoués comme lui à
Cienfuegos,

Un cabaretier logeur, Antonio Rossi, sans papiers, corse probablement,


non immatriculé,

L’aventurier Louis Esperon de Lasplaignes, déjà nommé, sans res-


sources et sans profession

Boyer, l’ancien chauffeur (…) tombé avec sa femme dans l’indigence

240
un forgeron, Jean Paris, non immatriculé, jeune encore, probablement
réfractaire ou insoumis

un mulâtre de la Guadeloupe, Miaulard, garçon de cuisine, et brigue,


avec leur appui, le Vice-consulat de France.

(…) il leur a fait signer une pétition à mon adresse, rédigée et écrite par
lui en mauvais français, par laquelle ces quelques individus (…) me fai-
saient connaître qu’ils avaient « élu à (sic) M. Houillon », « maître de
l’établissement de bijouterie titulé (sic) l’Etoile d’or », « comme capable
de représenter le gouvernement » (…).

Je n’ai (…) pas (…) considéré leur pétition comme nulle (…). Je l’eusse
considérée comme telle si j’avais su alors quelle était la valeur person-
nelle de ces cinq ou six « citoyens » élevant la voix au nom d’une pro-
vince où le recensement de l’année dernière a constaté la présence de
229 français et où il y en a bien davantage.

Le Sr Houillon (…) ne jouit à Cienfuegos d’aucune considération.

(…) Le Sr Houillon est bien vice-président d’une Société de Secours mu-


tuels (…). Mais il faut savoir que cette société dite « l’Union fraternelle
française de Cienfuegos », fondée au mois d’août dernier pour les be-
soins de la circonstance, mélange incohérent de bienfaisance et de mu-
tualité, et dont les statuts rédigés par Houillon dans un français si
étrange qu’il en devient parfois incompréhensible, n’est autre chose que
l’organisation même du petit groupe à la tête duquel il manœuvre ; et
auquel il a pu rattacher une vingtaine de ces personnes qui ne refusent
pas leur concours à une œuvre de bienfaisance, quels qu’en soient les
initiateurs. C’est ainsi que M. Taillacq, flatté dans son amour-propre
d’ouvrier parvenu, a accepté d’en être le Président. Mais, en réalité,
cette œuvre « aussi sublime que généreuse », et parfaitement déplacée
dans un aussi petit centre que Cienfuegos, n’a eu d’autre but que de
donner à M. Houillon (…) un faux vernis de considération (…).

En résumé, Monsieur le Ministre, la pétition appuyée par M. Armez et


qui n’est signée que de huit noms, y compris celui du candidat, ne repré-
sente nullement la colonie française de la province de Cienfuegos. Et
encore, sur ces huit pétitionnaires, Boyer, évacué sur Santiago de Cuba,
n’en fait plus partie, Larralde habite une province voisine, Guizard est
inconnu. Restent donc quatre signataires dont pas un n’est immatriculé,
Lasplaignes, Rossi, Paris et Miaulard, ce cuisinier mulâtre que j’ai vu,
pendant que j’étais à Cienfuegos, grièvement blessé, dans une rixe de
cabaret, par une bouteille que son adversaire lui avait cassée sur la tête
et que M. Hautrive a fait entrer à l’hôpital.»

241
9. Courrier du 2 octobre 1906 écrit par le consul de La
Havane à Léon Bourgeois, Ministre des Affaires Étrangères,
au sujet des menaces qui pèsent sur les Français et leur s
possessions à Cuba. 247

Dans le courant de septembre dernier, nos compatriotes éta-


blis ici ont eu des moments d’angoisse. Douze à quinze mille rebelles en-
tourant La Havane ; cinq mille réguliers munis de mitrailleuses pou-
vaient faire une sanglante résistance ; la commission américaine n’avait
pas encore pris position, sinon en gorgeant la rade de cuirassés248. On
avait tout à craindre, mais surtout la prise de la capitale par les rebelles
et des incendies dans les campagnes ruinant les récoltes et les bâtiments.

Cette situation inquiétante […] explique l’émotion de nos


nationaux qui s’est manifestée par de nombreuses plaintes, par des de-
mandes de conseil et de protection. En même temps, notre commerce et
notre industrie souffraient de la crise et se demandaient si la solution
politique qui interviendrait leur permettrait de continuer leurs entre-
prises.

Dans ces conditions, pour connaître la nature exacte des in-


térêts de notre colonie et pour transmettre à votre Excellence une for-
mule qui englobe ses desiderata, j’ai réuni, avec l’aide de M. Boulanger,
Vice-Président de la Chambre de commerce, les français notables de
cette ville.

Ils sont venus en grand nombre à la Légation, le 27 sep-


tembre, au moment le plus aigu de la révolution et ont trouvé dans ce
simple rapprochement un premier réconfort. […]

L’activité des français en ce pays peut se ramener à cinq


groupes : les planteurs, les commerçants, les industriels, les entreprises
financières, les intérêts intellectuels et artistiques.

Le Comte de Beaumont, MM. Truffin, Loumiet, Labarrère


et Dufau représentaient nos compatriotes PROPRIETAIRES dans l’île

247
Carton n°3 « Politique Intérieure » T.I, 1903-1909, Cuba, C. P. & C. Nouvelle Série, Affaires Politiques,
CADLC.
248
En 1906, à la fin de son mandat, lorsque le Président Estrada Palma tente de se faire réélire, ses opposants se
révoltent et prennent les armes contre le gouvernement. Face à cette situation, Estrada Palma fera appel au Prési-
dent Rooselvelt. Ce dernier envoie ses troupes sur l’île et fait mettre en place un protectorat jusqu’en 1909.
242
dont les terres vaudraient 21 millions de francs (sucre, tabac, café) (1).
Leur avis est unanime : ils ne souhaitent qu’une chose mais ils la sou-
haitent avec force, c’est que la crise cesse immédiatement et ne se re-
nouvelle plus. Elle les expose : 1° à ne pouvoir faire leur récolte cette
année. 2° à voir leurs fermes, leurs sucreries et leurs champs détruits.
Tout régime qui leur donnera la sécurité sera le bienvenu et quelques
planteurs seraient pour l’annexion américaine […]

Voici les chiffres qui m’ont été donnés à la réunion (sous toutes ré-
serves) : il y aurait de 800 à 1 000 français épars dans l’île. Parmi eux
les plus importants planteurs sont :

Noms : Valeur en francs :

Truffin…………………………………..10 millions.

Redort……………………………………3 /

Labarrère…………………………….....2 /

Kurz……………………………………1,5 /

Laborde………………………………….1 /

Labaraque………………………………1 /

Loumiet……………………………….0,8 /

Beaumont…………………………….0,3 /

Divers………………………………….2 /

21,6

NOTRE COMMERCE, qui représente un chiffre d’affaires


de 25 millions de francs en voie de croissance, vend des produits de luxe,
des vivres et objets bon marché, des machines. –Les premiers (parfume-
rie, modes, liqueurs, automobiles) seraient peu affectés par un change-
ment de tarif, ils pourraient « se défendre » et l’on cite l’exemple des
maisons similaires aux Etats-Unis qui sont très prospères.

[…] MM. Blattner, au nom de l’importante maison Fould, Briol (cuirs,


sellerie) Tihista249, Brandière (commission), Charavay250 (Japy de Beau-

249
Immat. 40 la havane
250
N° 68 et 4 La Havane.
243
court) ont prouvé que leurs articles ne pourraient lutter contre des ar-
ticles américains […]

L’INDUSTRIE FRANCAISE est représentée d’une façon brillante à


Cuba. La fabrique de ciment d’Almendares (MM. Violet et Descamps) ;
le trust des mélasses de M. Truffin qui est la plus jolie démonstration de
l’envergure toute américaine qu’une tête française sait donner aux
grandes affaires, la maison « Dussaq251 et Gohier252 » fondée en 1875,
actuellement la plus importante maison françaises, spécialisée surtout
dans la fabrication des liqueurs ; la société mi-industrielle, mi-agricole
de l’île de Cayo-romano (125 km de long, salines, hennequin, bananes,
MM. Le Vte d’Hauteroche - Bridat – Loumiet etc…) ; la station du
câble français à Santiago ; l’agence de la Compagnie Transatlantique
représentant l’industrie des transports (M. Gaye) ; des entreprises de
travaux publics, de voitures (M. Lousteau) et de tanneries (MM. Delguy,
Daguerre253, Sondon etc..) forment un groupe très varié et prospère. […]

Dans les FINANCES, nous rencontrons la Banque de La Havane qui


comprend 7 ½ millions de capitaux français sur 12 et qui le jour de son
ouverture (1er octobre) a reçu 2 ½ millions de dépôts, des porteurs de
titres possédant une partie des actions de tramways, chemins de fer et
bons cubains. […]

NOS INTERETS INTELLECTUELS ET ARTISTIQUES ont une im-


portance qui n’échappe pas aux groupes précédents : maintenir le pres-
tige de l’esprit français, c’est assurer à Paris son contingent de propa-
gande pour nos articles nationaux. L’attraction de notre littérature, de
notre art, de notre capitale apparait, au point de vue commercial, comme
la meilleure réclame, comme le pavillon plein de prestige dont nous de-
vons couvrir nos marchandises. L’ « Alliance française » qui fonc-
tionne brillamment ici (MM. Montané, Le Mat, Dussaq, Labarrère,
Truffin) la vente de nos livres, de nos tableaux qui sera développée par
l’exposition artistique organisée par M. Lefaivre pour 1907, l’exode des
jeunes gens vers notre quartier latin seraient compromis par une an-
nexion […]

En annexe, retranscription des mots prononcés lors de la « Réunion des intérêts français » :

251
Fils immat. ?
252
N° 8098 La Havane.
253
N° 7542
244
[…] Il a été impossible de réunir les 1 000 ou 1 500 français épars dans
la campagne : mais les planteurs, les tanneurs, les ouvriers agricoles
trouveront parmi vous quelques amis qui voudront bien nous faire con-
naître leur point de vue.

Ce sont donc surtout les français notables de La Havane qui ont été ap-
pelés ici.

Vous représentez d’abord, Messieurs, un commerce de 25 millions de


francs en voie de croissance et qui serait destiné à se développer encore

[…] L’industrie française est représentée par des fabriques de ciment, de


liqueurs, de sel, de cuir et surtout par l’ingénieux trust des mélasses.

Le groupe financier comprend la naissante et importante banque de La


Havane ainsi que de nombreux actionnaires d’entreprises fondées à Cu-
ba, sans parler de la mission de M. Rabinel qui était venu apporter à
cette île les capitaux des banques parisiennes.

Enfin, Messieurs, un groupe qu’il faut se garder d’omettre et qu’on


pourrait placer à la tête de tous les autres puisque c’est lui qui fait notre
prestige, c’est le groupe des intérêts intellectuels et artistiques de la
France à Cuba. Nous possédons ici une « Alliance française » prospère,
nous devons avoir une exposition d’art en 1907, enfin notre langue et
notre production littéraire sont particulièrement appréciées de la race
cubaine pour laquelle Paris est encore un pôle d’attraction. […]

245
10. Extraits des correspondances consulaires relatives aux
célébrations du 14 juillet à Cuba.

Le 15 juillet 1885, Santiago de Cuba.254

« J’ai l’honneur d’informer Votre Excellence qu’hier 14 juillet, jour de


la Fête Nationale, le drapeau a été arboré au Consulat de 6 heures du
matin à minuit.

La célébration de cette année s’est bornée à cette démonstration que


quelques français et Consuls étrangers ont imitée. Plusieurs de nos
compatriotes dans cette ville m’avaient parlé d’organiser un banquet à
cette occasion ; mais l’idée n’a pas rencontré assez d‘adhérents. La si-
tuation du pays est trop critique en ce moment plus que jamais ; et cha-
cun hésite à faire des dépenses extraordinaires. D’autre part beaucoup
parmi les nationaux français sont nés dans le pays et parlent à peine
notre langue ; ceux-là en général ont le sentiment patriotique assez peu
développé jusqu’au jour où l’appui du Consulat peut leur être utile.

C’est ainsi, Monsieur le Ministre, qu’un certain nombre d’Espagnols de


Santiago ont pris l’initiative d’une fête littéraire en l’honneur de Victor
Hugo. Elle a eu lieu dans la soirée du 12 courant ; mais assez mal orga-
nisée, et le succès n’a pas couronné les efforts des admirateurs de
l’illustre poète (…). »

Le 15 juillet 1887, Santiago de Cuba.255

« J’ai l’honneur de porter à la connaissance de votre Excellence que le


14 juillet s’est passé comme tous les ans, avec le plus grand calme, et
d’autant plus cette année que les épidémies qui sévissent à Santiago ac-
tuellement ont apporté un arrêt dans la célébration des fêtes locales.

Je dois cependant ajouter que quelques-uns de nos nationaux ont orga-


nisé un banquet auquel j’ai été invité ainsi que le Chancelier du Consu-
lat, et que cette réunion, loin de la patrie, dans le moment critique que
nous traversons à Santiago, a été des plus cordiales.

254
Carton n°253, « Correspondance des postes – Dépêches – Minutes, Santiago de Cuba & La Havane », Fonds
« Personnels et Agences consulaires », Série « Fonds personnels », Sous-série « Agences consulaires et corres-
pondances », CADN.
255
Idem.
246
De nombreux toasts ont été portés à la prospérité de la République et à
la santé du Président. »

Le 15 juillet 1887, La Havane.256

« La fête nationale du 14 juillet a été célébrée cette année-ci à La Ha-


vane, comme les années précédentes, par un banquet (…) auquel une
cinquantaine de personnes ont assisté. La réunion a eu lieu comme
d’habitude dans le local du « Cercle Français » et de la « Société de Se-
cours Mutuels », dont la façade avait été illuminée et décorée de dra-
peaux français et espagnols.

Les manifestations dont M. le Général Boulanger devait être l’objet


avaient appelé mon attention, et, tout en admettant qu’il fût donné cours
aux sympathies que l’ancien Ministre de la Guerre s’est acquises parmi
nous, j’ai dû veiller à ce qu’elles ne se produisissent qu’avec réserve et
d’une façon qui ne portât aucune atteinte aux convenances et au respect
dû, avant tout, aux principes de notre Constitution.

Quelques souscripteurs prétendaient que le portrait de M. le général


Boulanger (un portrait en pied et de grandeur naturelle) fût seul placé
dans le salon du Banquet ; mais les membres du Bureau du Cercle,
mieux inspirés, ont voulu que celui de Monsieur Grévy le fût d’abord.
(…) le portrait de M. le Président a occupé, sous le buste de la Répu-
blique, au centre de la salle, la place d’honneur qui lui appartenait de
fait et de droit. (…)

Les portraits de M. Thiers, de Gambetta, du général Chanzy, de Victor


Hugo, qui décoraient la salle lors des banquets précédents, avaient dis-
paru. (…)

C’est ainsi que le citoyen Chabry, ayant, avant d’entonner la Marseil-


laise porté un toast « au général Boulanger, le sauveur de la France »,
un interrupteur l’a repris en disant : « l’espoir de la France » ; et quand
le citoyen Bernavon, faux-bonhomme et faux jacobin, patriote dont le
fils n’a pas rempli ses obligations militaires, après avoir lu quelques
lignes, préparées dans le silence de sa distillerie, où il disait, avec pro-
fondeur « ignorer quels sont les fauteurs de la chute du général qui ne
peut être, il l’espère, que momentanément éloigné du pouvoir », a pro-
noncé son toast de nuances variées et très étudié : « à la France ! à la
République ! au Président de la République ! au général Boulanger, le

256
Idem.
247
successeur de M. Gévy ! » _ quelqu’un lui a dit : « Dites futur succes-
seur ; la succession n’est pas ouverte. »

Le 18 juillet 1889, La Havane.257

« (…) Depuis quelques années la colonie organisait au Cercle français,


le 14 juillet un punch ou un diner. L’an passé, la division était au
comble, et il s’était formé au contraire plusieurs petits banquets de cote-
rie. Puis le cercle avait sombré, faute d’entente ; et là encore il y avait
une œuvre de rapprochement à tenter. Sans tenter de m’en faire le pro-
moteur en titre, j’ai encouragé quelques compatriotes à ressusciter la
coutume antérieure à la fondation du Cercle, d’un banquet général par
souscription. (…) Là encore l’évènement m’a donné raison. Bien que
lancé le 11 juillet par un Comité formé dans les deux sections oppo-
santes de la Colonie, des individualités les plus conciliantes et les plus
sympathiques à la masse, il est vrai, la souscription a atteint un nombre
considérable d’adhérents, et le banquet, si redouté tout d’abord, a eu
lieu dans l’ordre le plus parfait. (…) »

Le 16 juillet 1900, La Havane.258

« (…) Cette année, en effet, remettant en vigueur une tradition qui sem-
blait perdue depuis de longues années à La Havane, j’ai tenu à ce que la
fête du 14 juillet fut célébrée officiellement au Consulat Général, à
l’exemple de ce qui se passe partout ailleurs, et ne se réduisît pas,
comme jusqu’alors à un simple banquet où le représentant de la France
ne figurait qu’ a être l’invité et à une distribution de secours faite par
l’intermédiaire de la Société française de Bienfaisance. Pour ces raisons
et pour celles que j’exposerai dans la suite, j’ai voulu donner à la fête
nationale française à La Havane, que l’état de désolation du pays
n’avait pas permis de célébrer dignement depuis longtemps, un caractère
exceptionnellement solennel et patriotique, et bien que j’aie dû faire un
sacrifice pécuniaire personnel assez élevé à cette occasion, je n’ai voulu
épargner aucune peine et aucun effort pour réussie. J’ose affirmer que
ma tentative a été couronnée d’un succès complet, comme je vais le
montrer ; la journée, elle-même, du reste a été favorisée par un temps
splendide, chose rare en cette saison. La fête s’est composée d’une ré-

257
Idem.
258
Idem.
248
ception officielle, suivie d’une matinée enfantine et d’une fête de charité
au Consulat Général, du banquet traditionnel et d’une représentation
théâtrale au profit des français pauvres de La Havane.

Grâce aux bonnes relations que j’ai pu conserver avec les autorités amé-
ricaines et le gouvernement du Général Wood, relations qui datent du
siège de Santiago de Cuba et des premiers temps de l’intervention amé-
ricaine dans la Province Orientale où le Général et moi nous nous trou-
vions alors, j’ai été assez heureux pour associer à notre fête nationale la
majeure partie du monde officiel de La Havane. J’avais même obtenu
du Général Lee le concours gracieux de la musique du 2e Régiment
d’Artillerie malheureusement les cas de fièvre jaune étant devenus tout à
coup plus nombreux ces jours derniers, les troupes ont été consignées
dans leurs campement hors de la ville et j’ai du improviser une musique
quelconque au dernier moment. J’ai eu la bonne fortune de retrouver
également dans les hauts services administratifs de la Capitale, bon
nombre de notabilités cubaines que j’avais précédemment connues à
Santiago. Plusieurs autres qui nous ont visités, connaissaient la France
pour avoir fait leurs études de médecin, d’avocat ou d’ingénieur à Paris.
Enfin, certains anciens chefs de la Révolution sont venus nous voir en
curieux, pour s’assurer si leur pavillon figurait au même titre que celui
des autres nations au Consulat Général de France et ils n’ont pu
s’empêcher de manifester publiquement leurs satisfactions à cette occa-
sion : j’ai cru en effet dans cette circonstance, la première peut-être à
La Havane où une puissance étrangère ait officiellement admis les cou-
leurs cubaines, m’inspirer de l’exemple donné par le gouvernement de
l’île lui-même, le 4 juillet dernier lors de la fête nationale des États-Unis
et aussi de celui donné par le directeur de l’Exposition Universelle de
Paris, qui a laissé arborer le drapeau uni-étoilé sur le pavillon de l’île de
Cuba au Trocadéro.

Au cours de l’allocution que j’ai eu à prononcer je n’ai pas manqué de


constater l’amitié ancienne des deux républiques sœurs, en faisant allu-
sion aux grandes fêtes franco-américaines qui ont eu lieu à Paris le 4
juillet pour l’inauguration des monuments de Washington et de La-
fayette ; d’un autre côté j’ai rappelé l’intervention amicale de la France
dans la dernière guerre empéchant une plus grande effusion de sang de
part et d’autre et donnant ainsi plus tôt au jeune peuple de Cuba
l’occasion de s’essayer au régime de la liberté ; j’ai aussi exprimé les
remerciements de la colonie au corps consulaire étranger qui avait tenu
à venir en entier saluer les Français et leur représentant ; enfin j’ai
convié tous les invités : Compatriotes, Américains, Cubains et étrangers
à lever leur verre en l’honneur de l’exposition Universelle de Paris et à
porter la santé du Président de la République qui l’a ouverte. La matinée
enfantine qui a suivi était également une innovation. Avant de les con-
duire à l’assaut de la Bastille en nougat qui les attendait, j’ai expliqué
aux petits français de La Havane ce qu’est leur fête nationale, quel sym-
bole représente la prise de la Bastille, et je crois avoir réussi à éveiller en
eux de véritables sentiments de patriotisme. Aussi est-ce avec un réel en-
249
thousiasme qu’ils ont crié tous, pour la première fois sans doute : Vive
la France ! Vive la République ! et aussi : Vive M. le Consul !

Les pauvres ont eux aussi pris part à la fête et reçu des friandises et
quelques secours en espèces ; la distribution en était confiée les années
précédentes à la Société de Bienfaisance j’ai tenu à ce qu’elle eût lieu
cette fois au Consulat Général afin que l’objet et l’origine de ces secours
fussent bien connus et appréciés de tous les intéressés. Le Banquet a ré-
uni plusieurs notabilités autour de la Colonie. Le Président du Comité
d’organisation, M. le docteur Montané, a bien voulu exprimer les re-
merciements de nos compatriotes pour le succès de nos fêtes et a porté la
santé du Consul Général intérimaire.

Quant à la représentation donnée au premier théâtre de La Havane,


après le banquet, elle consistait simplement en projections du Cinémato-
graphe : « Lumière » ; Exposition universelle, défilés militaires, céré-
monies patriotiques, etc, toutes vues françaises ; elle n’a duré qu’une
heure et demie mais a couronné dignement la célébration de la Fête Na-
tionale. De plus ainsi que je l’ai dit tout d’abord, elle avait un but de
charité : ses résultats sous ce rapport ont dépassé toutes les prévisions.
Grâce aux excellentes relations auxquelles j’ai fait allusion tout à
l’heure, et au concours empressé des nombreux amis que compte la
France à La Havane, j’ai été assez heureux – et si je parle de moi seul,
c’est parce qu’en réalité c’est le Consulat seul qui a eu l’initiative et
s’est occupé de l’œuvre en question, en dehors de toute action de la So-
ciété française de Bienfaisance elle-même – j’ai été assez heureux dis-je,
pour réunir dans les deux jours qui ont précédé la fête la somme
d’environ six cent dollars ($ 600) soit trois mille francs (3 000F), au pro-
fit de nos compatriotes pauvres. C’était un succès – quelques uns ont dit
un dévouement – sans précédent à La Havane ; aussi me prodigue- t-on
aujourd’hui compliments et remerciements ; je ne me permettrai pas de
faire lire à Votre Excellence, ni de traduire les adresses trop flatteuses
pour moi que publièrent le lendemain les journaux locaux, articles ins-
pirés par des Américains, des Cubains, des Espagnols et aussi, bien en-
tendu, des Français.

(…) Car sans vouloir exagérer mes mérites personnels, je suis heureux
d’avoir pu, à l’occasion du 14 juillet, créer une réaction favorable et qui
s’est dessinée tout de suite dans l’esprit de la Colonie ; celle-ci n’a pas
tardé en effet à se rendre compte de la haute portée et du succès réel,
tout à son profit, d’abord de la célébration officielle de la fête nationale
au Consulat Général et non ailleurs, et j’ai montré combien la réception
a été particulièrement brillante et flatteuse pour nous tous Français – et
en second lieu, de la représentation théâtrale dont le caractère patrio-
tique et charitable a été si heureusement compris et applaudi par le
monde officiel et par le monde des affaires de La Havane tout entière ;
nos compatriotes ont su bien vite aussi à qui reporter le mérite et la
gloire de ces quelques heures de réjouissances patriotiques qu’ils ve-
naient de partager ils le l’ont bien vite montré. (…)
250
En résumé, j’ai voulu que la fête Nationale du 14 juillet fut ouverte à
tous au lieu de la laisser réduite à un festin où seuls ceux qui pouvaient
disposer de 25 ou cinquante francs pouvaient prendre part, et j’ai appelé
tout le monde en conciliation sur le terrain de la charité. (…). »

Le 19 juillet 1891, La Havane.259

« Je suis très heureux de rendre compte à Votre Excellence de la façon


patriotique et enthousiaste avec laquelle a été célébrée notre Fête natio-
nale.

La journée de 14 juillet s’est passée au milieu de la cordialité la plus


parfaite, témoignage évident de la bonne harmonie qui règne dans la
Colonie de La Havane, et des rapports agréables et fréquents maintenus
entre elle et le Consulat Général.

Dès la première heure la maison Consulaire était pavoisée aux couleurs


nationales.

Dans l’après midi, suivant l’habitude, j’ai reçu en uniforme les bureaux
de la Chambre de Commerce et des Sociétés de bienfaisance et les
membres de la Colonie qui ont pu quitter un moment leur travail pour
assister à la réunion qui avait lieu en honneur de la Fête de leur pays.

De 2 heures à cinq heures, une cinquantaine de compatriotes sont resté


réunis au Consulat Général, répandus dans les divers salons du vaste
logement où l’a établi M. le Mis de Monclar et que j’ai conservé. Ma
salle à manger était transformée à un buffet permanent.

La plus sincère franchise régnait dans cette réunion (…).

Le soir à 6 heures un dîner concert, dont la présidence m’avait été of-


ferte, a eu lieu à la Chorrera. Soixante dix compatriotes environ ont as-
sisté à ce banquet on ne peut plus fraternel. Comme dans l’après-midi,
une sincère cordialité présidait à cette fête toute patriotique. Au dessert,
j’ai levé mon verre pour boire à notre patrie, à la République Française
et à la santé de son Président.

Des vivats unanimes ont répondu à mon toast qui a été immédiatement
suivi de la Marseillaise jouée par l’orchestre dirigé par M. Patin, un de
nos compatriotes, et chanté avec enthousiasme par tous les convives.

259
Idem.
251
Vers 10 heures et demie, la Colonie rentrait à La Havane, très satisfaite
de sa journée patriotique et conservant le meilleur souvenir de cette tou-
chante fête (…). »

Le 15 juillet 1915, La Havane.260

« Dans les circonstances actuelles il m’a paru préférable de célébrer la


fête nationale française dans le recueillement. C’est au fond de nos
cœurs que nous exaltons la Gloire de la République et que nous formons
de vœux pour la victoire de nos armées.

Au moment où, en France, nos enfants et nos frères sont exposés à ver-
ser leur sang pour la patrie, il n’y a pas lieu à vider des coupes de cham-
pagne dans les réunions plus ou moins bruyantes et dissipées.

J’ai donc supprimé les deux réceptions que j’offre habituellement le 14


juillet, le matin à ma Colonie et dans l’après-midi aux autorités cu-
baines et à mes collègues du Corps Diplomatique. J’ai versé entre les
mains du Comité de la Croix Rouge et de la Souscription patriotique
l’équivalent de ce que m’auraient coûté ces réceptions. Sur mon conseil
également, ma colonie a supprimé le banquet traditionnel qui clôture le
soir la fête nationale et a décidé de consacrer à la bienfaisance le mon-
tant de la souscription au banquet. Cette somme sera répartie entre nos
compatriotes les plus nécessiteux et les familles des mobilités actuelle-
ment en France. Nous avons déjà recueilli de ce chef près de cent cin-
quante dollars et la souscription n’est pas close. Il m’a paru que c’était
la meilleure façon d’honorer notre cher pays et j’ai rencontré près de
mes administrés une unanimité absolue de sentiments. (…)

J’ai reçu d’autre part divers télégramme de protégés syriens résidant


dans les différentes provinces. »

260
Carton n°297, « Correspondance des postes – Dépêches – Minutes, La Havane», Fonds « Personnels et
Agences consulaires », Série « Fonds personnels », Sous-série « Agences consulaires et correspondances »,
CADN.
252
11. Extrait d’une lettre 261 d’E. Bruwaert, consul général de
La Havane au sujet des écoles françaises à Cuba.

Monsieur le Ministre,

Une école française de jeunes filles dirigées par des Dominicaines de


Montpellier s’est ouverte, hier, à La Havane, 131 rue Campanario, sous
le nom de N. D. du Rosaire. L’école comprend un asile, un cours pri-
maire, un cours supérieur et se propose, vu le prix d’admission, de rece-
voir les enfants des meilleures familles de la ville, soit comme externes,
soit comme internes.

La Supérieure, qui est entrée il y a plus de vingt ans dans l’ordre, à la


mort de son mari et de sa jeune fillette, appartient à une famille fran-
çaise de La Havane, la famille Marquette. Son frère, qui représente la
maison de Cognac Robin, est assez connu de la sous-direction du Con-
tentieux en raison de réclamations nombreuses qu’il nous charge volon-
tiers de soutenir à Madrid. Elle possédait une assez belle fortune qu’elle
a donnée au couvent de Montpellier et elle est venue ici se vouer à
l’œuvre de l’éducation des filles d’après nos méthodes religieuses de
France.

Elle s’est heurtée à quelques difficultés par suite de l’existence


d’établissements anciens ayant le même but : le couvent, fort à la mode,
des Dames du Sacré Cœur, relevant de la rue de Varenne, dans le quar-
tier élégant du Cerro ; l’institut de Mlle Dolz, sœur d’un sénateur des
plus influents, institut fondé au Prado, dans le quartier riche de la ville ;
le collège français de Mme Laviolette, dans le quartier d’affaires, auquel
le gérant du diocèse, Mgr Barnada, Archevèque de Santiago, donne
beaucoup d’encouragements. Pour concilier ces divers intérêts, Mme
Marquette a dû s’établir dans un quartier assez peu recherché, mais où
il lui sera possible de réussir, vu la facilité des communications, si son
système d’éducation répond, comme les autorités ecclésiastiques me
l’assurent, à un réel besoin.

La bénédiction de l’école a eu lieu hier, Dimanche, sous la présidence de


Mgr Barnada et avec le concours du clergé séculier et régulier de La
Havane, car l’œuvre rencontre beaucoup de sympathies locales, à cause
de la personnalité de la Directrice autant que du bon renom de notre en-
seignement religieux. […]

261
Courrier du 13 janvier 1903, Carton n°3 « Politique Intérieure » T.I, 1903-1909, Cuba, C. P. & C. Nouvelle
Série, Affaires Politiques, CADLC.
253
Les pères Dominicains français sont établis dans l’île, à Cienfuegos, où
ils ont été attirés par Mgr Chapelle, archevêque de la Nouvelle-Orléans,
délégué apostolique à Cuba. Mgr Barnada me dit qu’ils se heurtent à
des difficultés financières assez sérieuses dans l’œuvre d’enseignement
gratuit qu’ils ont fondée : d’une part les loyers sont élevés et le diocèse
ne peut rien leur donner, ou seulement une somme insuffisante ; d’autre
part, les Supérieurs ecclésiastiques pensent que les pères devraient, de
préférence, se vouer à la prédication et renoncer à l’enseignement. Je
regretterais beaucoup cet échec, car le professeur français, quel qu’il
soit, est toujours des plus utiles à notre influence.[…]

Mgr Chapelle s’était montré favorable à l’introduction à La Havane des


Petits frères Maristes de Lyon qui s’occupent d’enseignement moderne.
Il rentre de Rome et m’apprend que, faute de sujets, la maison mère n’a
pu seconder les aspirations du Frère Directeur de l’École Ste-Anne de
new York, qui avait grand désir de venir travailler ici. Mgr Chapelle
s’est tourné du côté des Frères de la Doctrine chrétienne et dit avoir
rencontré plus d’espérance dans cette direction. Le Président de la Ré-
publique ne voit pas d’un mauvais œil ces efforts : tout au contraire.
[…] il a déclaré à notre vénérable compatriote qu’il préférait maintenir
l’unité catholique de l’île et voir éliminées toutes les tentatives du protes-
tantisme en matière de propagande ou d’éducation. […]

254
12. Extraits des courriers échangés au sujet des collèges
français de La Havane et de Santiago de Cuba 262.

M. de Clercq à M. Poincaré, le 3 Avril 1912 :

« J’ai l’honneur (…) que le Collège libre français de La Salle vient


d’obtenir du Gouvernement cubain le grand honneur d’être « incorpo-
ré », c'est-à-dire d’être assimilé aux établissements d’enseignement pri-
maire et secondaire de l’État. (…) Ce résultat fait honneur à nos compa-
triotes, dont il démontre à la fois les bonnes méthodes d’instruction et
l’estime où les tient l’administration cubaine. (…) je me permets
d’insister (…) afin d’obtenir, si possible, (…) quelques livres de prix
(nos classiques, par exemple) à distribuer chaque année (…) au nom du
gouvernement de la République, en faveur des meilleurs élèves des
classes de français de cet établissement.»

M. de Clercq à M. Poincaré, M.A.E., le 22 Juillet 1912 :

« (…) la cérémonie (celle de la remise des diplômes du collège) s’est ou-


verte par l’audition de la Marseillaise exécutée par le petit orchestre du
collège, et par un compliment au Ministre de France. (…) nous donne-
rons à cette distribution (celle des prix du ministère) une certaine solen-
nité pour qu’elle se grave mieux dans le souvenir des enfants. A cet ef-
fet, je serais particulièrement reconnaissant à Votre Excellence si elle
voulait bien demander à son collègue de l’Instruction Publique de me
faire parvenir des étiquettes destinées à être collées dans ces prix et por-
tant la mention :

‘Prix offert au nom de M. le Ministre de l’Instruction Publique de la


République Françaises, par M. le Ministre de France à La Havane, à
m.’(…) »

262
Carton n°136 « Service des Œuvres Françaises à L’étranger - Allocations & subventions Matériel Scolaire »,
Dossier 7 (Sociétés françaises en Amérique, La Havane), Série B « sous-direction d’Amérique », Série « Direc-
tion des affaires politiques et commerciales », Fonds « Services des Œuvres Françaises à l’étranger », CADN.
255
En annexes, lettre de remerciement du directeur du collège de La Salle au ministre de France
de La Havane (1) et discours adressé au Ministre de France à La Havane lors de la distribution
des prix au collège (2).

(1) « (…) Nous savons apprécier, M. le ministre, l’intérêt que vous por-
tez à l’œuvre de patriotisme que nous réalisons à Cuba (…) je me fais
un devoir de vous offrir la Présidence de la réunion dont l’objet sera la
distribution des prix offerts par le ministère des Affaires Étrangères (…)
Je suis heureux d’avoir l’occasion de vous réitérer les sentiments qu’un
de nos élèves vous exprimait il y a quelques semaines : sentiments
d’admiration et d’amour pour une patrie que 8 ans d’éloignement forcé
nous ont rendue plus chère encore si possible. (…) »

(2) « Mus par un sentiment de cordiale sympathie pour notre chère Pa-
trie, en ce jour si éprouvée, nos dévoués maîtres n’ont pas voulu donner
à cette fête l’éclat accoutumé. (…) La France ! Vous ne sauriez croire,
Monsieur le Ministre, combien ce mot nous fait tressaillir d’une admira-
tion enthousiaste.

Le génie français fait de noblesse, de loyauté et d’initiative généreuse


ne nous est point étranger.

Les gloires militaires, scientifiques et artistiques de votre nation (…)


sont l’objet de nos études et de notre juvénile admiration ; de même que
nous sont familiers les faits et gestes de cette France, si grande par la
renommée, si puissante par l’influence, si hospitalière et si généreuse
par caractère.

La France, Monsieur le Ministre, mais elle est ici : le nom même de ce


collège rappelle une de ses gloires : Saint Jean-Baptiste de la Salle, le
grand Pédagogue chrétien du XVIIe siècle. Françaises aussi sont les
méthodes qu’à notre avantage on emploie dans cet établissement. Et la
belle langue française, symbole de culture, de paix, de dévouement et
d’héroïsme, n’est point étrangère en ce collège : beaucoup d’entre nous
se font un point d’honneur à pouvoir la balbutier(…).

Que Dieu garde la France ! Qu’il la conserve grande, chrétienne et


prospère, qu’il la protège et la maintienne au rang élevé qu’elle occupe
parmi les premières nations du monde (…). »

256
M. de Clercq à M. Poincaré, le 4 Octobre 1912 :

« Les prix de français (…) ont été remis aux élèves de l’école de La Salle
le 2 de ce mois. La direction de l’école a fait coïncider cette distribution
avec la remise des diplômes mensuels et une véritable cérémonie, avec
intermèdes de récitation de poésie française, a été organisée sous ma
présidence. La presse avait annoncé cette manifestation en mettant en
relief la généreuse pensée du gouvernement français et l’initiative de la
légation, et cette innovation a été très appréciée par l’opinion publique
cubaine. Il m’est agréable de noter, à cette occasion, que la rentrée s’est
effectuée dans des conditions très favorables pour l’École : près de cent
élèves nouveaux se sont fait inscrire et, parmi eux, les deux jeunes fils
du général Ménocal, candidat présidentiel. Le collège La Salle compte
maintenant plus de 400 élèves et, ce qui donne une idée de l’estime où le
tient l’opinion cubaine, c’est que les propres neveux du Ministre de
l’Instruction publique et les enfants de nombreux hommes politiques de
tous les partis y font leur éducation. Ce serait donc faire, pour le déve-
loppement de notre influence intellectuelle, œuvre très utile que de con-
tinuer, si l’état des crédits le permet, cette distribution de prix chaque
année, au nom du Gouvernement de la République (…) »

En annexe à cette lettre, l’adresse des élèves au Ministre de la France à Cuba (1) et la réponse
du ministre de France (2) :

(1) «(…) Nous sommes très touchés, M. le ministre, de la bienveillance


et de la générosité de votre gouvernement. (…) Cette pensée que la
France elle-même s’intéresse à mos progrès sera un puissant stimulant
pour nous livrer à l’étude avec une nouvelle ardeur. A l’envi nous nous
mettrons à travailler afin de mériter la gloire de conquérir un prix dé-
cerné par la République Française. Naguère nous vous avons dit, M. le
ministre, quelles étaient notre admiration et notre sympathie pour la
grande et noble nation qui a donné tant d’hommes illustres à la science,
aux lettres et surtout aux progrès modernes : ces sentiments, nous vous
les réitérons aujourd’hui et ces volumes que vous nous décernez ne fe-
ront que les enraciner plus profondément dans nos jeunes cœurs(…)
Vive Cuba. Vive la France. »

(2) « (…) Ces vacances, quelques uns d’entre vous sont peut-être allés
les passer en Europe, en France même, le grand et noble pays que j’ai
l’honneur de représenter à Cuba et qui est celui de vos excellents
maîtres dont l’éloge n’est plus à faire. Mais tous n’ont pas pu faire ce
grand voyage et c’est pourquoi la France est venue à vous. (…) le col-
lège de La Salle constituait à La Havane un foyer rayonnant de culture
française (…) Le ministre français de l’instruction publique m’a donc
chargé de remettre en son nom quelques prix aux élèves les plus méri-
tants des cours de Français, pour les encourager dans l’étude de notre
langue. Lisez ces livres, étudiez-les, pénétrez-vous de leur substance et

257
vous apprendrez à connaître la France. La connaissant, vous l’aimerez
et, sentant vos cœurs battre à l’unisson des cœurs français, vous com-
prendrez la vérité de cette parole du poète :

Tout homme a deux pays, le sien et puis la France.

Puissiez-vous ne jamais l’oublier et vous sentir fiers d’être les fils intel-
lectuels de la France ; souvenez-vous que c’est dans cette maison que
vous l’êtes devenus et, à votre cri d’amour patriotique de « Vive Cuba »,
joignez toujours un reconnaissant « Vive le Collège de La Salle », et, par
là, vous reconnaîtrez la maternité de la France et rendrez hommage à
ses vertus éducatrices. »

M. de Clercq à M. Pichon, le 23 Avril 1913 :

« Le gérant du consulat de Santiago de Cuba m’a fait parvenir les livres,


énumérés au bordereau ci-joint, offerts en prix par le Ministre de
l’Instruction publique au Collège La Salle de La Havane, et qui lui
avaient été adressés (…) en même temps que les prix destinés au collège
des frères de Santiago de Cuba. (…) Les ouvrages en question seront so-
lennellement remis aux élèves du Collège de La Salle lors de la pro-
chaine distribution de prix (…) Les livres offerts ont été très intelligem-
ment choisis et maîtres et élèves les apprécient vivement. »

Ouvrages envoyés au Collège de garçons de Lasalle à La Havane (direc-


teur : hermano Carlos) mentionnés sur le bordereau:

Vidal Lablache, La France

Berget, La route de l’air

Vollone, Les derniers barbares 2ex.

Niedieck, Mes croisières 2ex.

Boissonnas, Marseille et son vieux port 2ex.

Les races humaines 2ex.

Courrier de M. de Clercq à M. Pichon, M.A.E. du 6 Mai 1913 :

258
« Le gérant du Consulat de France de Santiago a remis au directeur du
Collège des frères de cette ville les livres de prix que vous avez bien vou-
lu attribuer à cette institution. M. Garouste-Astier a prié notre agent de
vous faire transmettre l’expression de la profonde gratitude du person-
nel enseignant et des élèves du Collège de Nuestra Señora de la Caridad
(…) »

259
13. Photo d’une classe du Collège français créé par Mlle
Ollivier à La Havane 263.

263
Berchon, Charles, « Six mois à Cuba : La Havane », Op. Cit., p.390.
260
14. La société de bienfaisance du sieur Houillon.

261
15. Principales recettes et dépenses de la Société française
de Bienfaisance entre 1912 et 1917.
Recettes Dépenses
Cotisa- Subventions Dons Autres Pensions et Frais Dons
tions Secours
1912 4,24$ par Gouver- Rem- legs pensions et Voyage (48$)
mois nement bourse- Lesieur secours (55$ or Pharmacie (68$
400F (84$ ment (42$ esp.) argent esp.)
or esp.) Louis esp.)  Enterrements
Ministre Durrive (66$ argent esp.)
de France (8$ or
(31$ esp.) amér.)
1913 4,24$ par  Gouv. Nou- legs pensions et  Voyage (137$),
mois 400F (84$ veaux Lesieur secours (8$)  Pharmacie
or esp.) membre (43$ (85$ or esp.)
Ministre s dona- esp.)  Enterrements
de France teurs (23$ or esp.)
(33$ esp.) (entre 20
et 25$)
1914 entre 183F  Gouv. Gouver- Ban- Secours  Rapatriements aux
et 937F (400F) nement quet mensuels don- pour 6 familles Sœurs des
Ministre belge du 14 nés à entre 17 (1 286F), Vieillards
de France (100F) juillet et 23 per- Voyage sans sou-
(169F) (168F) sonnes (de 3 billets de che- tien (120F)
344F à 479F, min de fer dans au
soit un total de l’île (235F), 1 pas- « fonds de
5 268F) Pen- sage pour Vera- Secours
sions à divers cruz (75F), en Belges »
(34 jours, 153F) remboursement à (100F),
l’agent consulaire étrennes
à Cienfuegos pour à 16 per-
le passage d’une sonnes
famille embar- (346F)
quée pour New
York (250F) ;
Pharmacie
(540F)
Enterrement
(60F)
1915 entre 360F Ministre de Ano- Sous- Pensions Subsistance aux
et 1 362F France nymes crip- mensuelles 21 pour 30 jours Sœurs des
(165F) (30F) tion personnes (120F) Vieillards
fête (5 390F) Voyage4 pas- sans sou-
natio- Secours à 18 sages pour la tien (120F)

262
nale personnes France (406F), aux vic-
(2 273F (1 211F) 2 billets de che- times de la
) min de fer (68F), guerre
Pharmacie (1 000F)
(703F),
1916 entre 58$ Gouverne- Fête Pensions Rapatriements aux
et 240$ ment : 800 Natio- mensuelles (103$) Enter- Sœurs des
francs nale pour 19 per- rements (157$) Vieillards
(1915 & (713F) sonnes Pharmacie abandon-
1916) (1 060$) (122$) nés (24$)
Secours Mutilés
(212$) des armées
de terre et
de mer
(356$)
Œuvre
d’Assistanc
e aux Ma-
rins (171$)
Invalides
de la
Guerre
(100$)
Réfugiés
de la
Somme
(50$).

1917 entre 332F  Gouver- Particu- sous- Pensions Rapatriements Vieil-


et 1 329F nement liers crip- mensuelles (725F) lards
(500 F) (31F) tion pour 20 per- Enterrements abandon-
Ministre Fête sonnes (397F) Pharma- nés (136F)
de France Natio- (6 505F) cie Sarrá (549F) Œuvre
(170 F) nale Secours Clinique (162F) du souve-
(5 375F (579F) nir de la
). France à
ses marins
(500F)

263
16. Membres de la Société française de Bienfaisance et de
la Société de Secours Mutuels immatriculés.

Memb Memb
Ville de
Adresse à re de re de
Nom Prénoms Sexe Age Profession État Civil résidence à
Cuba la la
Cuba
S.F.B. S.S.M.
Paul Commerçant, Céliba- San Igna-
Boulanger H 33 La Havane  
Charles ingénieur taire cio 34
Représentant
Vogel Isidore H 41 Inconnu Aguiar 92 La Havane  
de Commerce
Robert
O'Reilly
Karman Marie H 35 Commerçant Marié(e) La Havane  
85
Félicien
Robert
Karman Marie H 22 Précepteur Inconnu Inconnu La Havane  
Félicien
Concordia
Laplume Martin H 58 Propriétaire Inconnu La Havane  
126
Lucien Céliba-
Moura H 52 Cordonnier Obispo 73 La Havane  
François taire
Jean Céliba-
Barrieu H 29 Comptable Inconnu Jovellanos  
Baptiste taire
Commerçant,
Agent de la San Igna-
Ernest Céliba-
Gaye H 31 Cie Générale cio 55; La Havane  
Léon taire
Transatlan- Oficios 88
tique
Jean
Céliba- Industria
Beller Pierre H 42 Charron La Havane  
taire 131
Edmond
Louis
Joseph Céliba-
Montané H 3 s.p. Obispo 73 La Havane  
Hippo- taire
lyte
Principe
Bajac Joseph H 57 Inconnu Marié(e) de Astu- Vibora  
rias 15
François
Vincent Céliba- Aguiar
Bernavon H 20 Industriel La Havane  
Marcelin taire 135
Armand
Jean
Bouigue H 41 Chaudronnier Marié(e) Pocito 11 La Havane  
Bertrand
René
Brègre H 32 Commerçant Marié(e) Cuba 13 La Havane  
Bernard
Brun- Louis H 52 Commerçant, Marié(e) O'Reilly La Havane  
264
schwig négociant 37
Céliba-
Charavay J. H 43 Négociant O'Reilly La Havane  
taire
Calzada
Edmond
Employé de del
Demont Richard H 46 Inconnu La Havane  
postes Monte
Joseph
109
Clément Calle 9,
Dufau H 35 Inconnu Veuf(ve) La Havane  
Charles 20/22
René Céliba-
Dussaq H 19 Négociant Oficios 30 La Havane  
Camille taire
François Employé de Calle 23,
Franceschi H 33 Inconnu La Havane  
Eugène commerce Vedado
Jacques
Grujon H 32 Commerçant Inconnu Oficios 18 La Havane  
Raoul
Labour- Commission- Céliba- Teniente
Pierre H 14 La Havane  
dette naire taire Rey 30
Tejadillo
Laxague Paul H 35 Commerçant Inconnu La Havane  
21
Le Bien- Henri Compos-
H 33 Commerçant Marié(e) La Havane  
venu Jean tela 3
Marie Calle 17,
Le Fébure Charles H 36 Propriétaire Marié(e) 55, Veda- La Havane  
René do
Henri
Industriel, Tejadillo
Lebrun Georges H 48 Marié(e) La Havane  
négociant 8
Désiré
Le Mat Marcel H 49 Négociant Marié(e) Oficios 18 La Havane  
Trocadero
Félix 32,
Leroy H 41 s.p. Marié(e) La Havane  
Jacques apartado
1198
Négociant
Jean Neptuno
Loustau H 40 loueur de Marié(e) La Havane  
Baptiste 205
voitures
Georges Employé de
Morlan H 25 Inconnu Inconnu Inconnu  
Victor Commerce
Lucien Céliba-
Moura H 52 Cordonnier Obispo 73 La Havane  
François taire
Orsini François H 39 Commerçant Inconnu Oficios La Havane  
Louis
Employé de Céliba-
Raspaud Joseph H 29 Monte 87 La Havane  
commerce taire
Giles
Récalt Jean H 43 Inconnu Marié(e) Obispo 4 La Havane  
Léonie Céliba-
Tapie F 16 s.p. Cuba 39 La Havane  
Cécile taire
Ber-
trande
Tapie F 28 s.p. Inconnu Inconnu La Havane  
Louise
Léontine
265
Commission- Teniente
Tihista Pierre H 52 Inconnu La Havane  
naire rey 30
Place de
Tissier François H 27 Mécanicien Inconnu la Cathé- La Havane  
drale
Lucien
Céliba-
Touzet Auguste H 1 s.p. Linea 138 La Havane  
taire
Séraphin
Louis Habana
Zurich H 38 Ingénieur Inconnu La Havane  
Prosper 113
Du Re-
François Banco
paire de H 53 Inconnu Marié(e) La Havane  
Régis Nacional
Truffin
Pierre Céliba-
Bataille H 15 Charpentier Inconnu La Havane  
Joseph taire
Dame de
Blard Louise F 41 Inconnu Prado 62, La Havane  
Compagnie
Céliba- San José
Bordes Joseph H 14 Apprenti La Havane  
taire 119 c
Jean San Juan
Brouwer H 20 Etudiant Inconnu La Havane  
Baptiste de Dios 8
San rafael
Castex Jean H 30 Maçon Inconnu La Havane  
152
Pierre
François
Castex H 25 Forgeron Inconnu Inconnu Inconnu  
Domi-
nique
Eugène
Clauzel H 29 Cuisinier Marié(e) Prado 27 La Havane  
Paul
Jean
Dabadie H 51 Mécanicien Inconnu Obispo 22 La Havane  
Baptiste
Michel
Delcros H 46 Masseur Marié(e) Inconnu Inconnu  
Pierre
Pierre
Doniès Alphonse H 33 Boucher Marié(e) Zanja La Havane  
Marius
Auguste
Céliba-
Dupont Louis H 28 Ecclésiastique Inconnu Cienfuegos  
taire
Gabriel
Employé de San Laza-
Elissalt Raymond H 33 Inconnu La Havane  
commerce ro 99
Distillateur et
San Nico-
Facio Paul H 57 fabricant de Veuf(ve) La Havane  
las 170
sucre
Asside Aguacate
Falguère H 38 Typographe Marié(e) La Havane  
Etienne 65
San Laza-
Jean Céliba- ro 305,
Gouars H 18 Charron La Havane  
Baptiste taire C% M.
Loustau
266
Ingenio
Lafour- Employé de Céliba-
Jean H 17 "El Feliz" Bolondron  
cade commerce taire
Matanzas
Céliba- San Ra-
Lannes Félix H 17 Charron La Havane  
taire fael 143,
Jean
Concordia
Laplume Baptiste H 19 Sellier Inconnu La Havane  
124
François
Jean San Ra-
Laulhé H 20 Charron Inconnu La Havane  
Baptiste fael 141
Jean Céliba- San Ra-
Laulhé H 15 Inconnu La Havane  
Louis taire fael 141
Maître
Loustalot Jules H 31 Inconnu Hornos 5 La Havane  
d'armes
Loustau Jean Céliba-
H 25 Forgeron Inconnu La Havane  
Cousté Louis taire
Loustau Loueur de Céliba- Concordia
François H 42 La Havane  
Cousté voiture taire 196
Louis
Joseph Céliba- Obispo
Montané H 3 s.p. La Havane  
Hippo- taire 73,
lyte
Fabrique
Marie
Employé de Céliba- de ciment
Nelson Léon H 17 La Havane  
bureau taire El Almen-
Bernard
dares,
Jeanne
Céliba-
Olivier Emilie F 27 Instituteur Obispo 56 La Havane  
taire
Léonie
Saint Commis épi- Céliba-
Récalt H 31 Salud 163 La Havane  
Jean cier taire
Georges Céliba- St Igna-
Régnier H 21 Dessinateur La Havane  
Albert taire cio, n°17
Jean Commission-
Touzet François H 27 naire en mar- Marié(e) Linea 138 La Havane  
Timothée chandise

267
17. Les travailleurs du cuir Basques et Béarnais.

Ville de résidence
Nom Prénoms Profession
à Cuba

Aguerre Armand Tanneur Matanzas


Amestoy Etienne Tanneur Remedios
Amestoy Pierre Tanneur Remedios
Audebaye Lucien Henri Tanneur Matanzas
Dominique Tanneur La Havane
Barnetche
Marquessemia
Barnetche Jean Marliessemia Tanneur La Havane
Bellocq Jean Tanneur Matanzas
Bellocq Jean Baptiste Cordonnier Matanzas
Berhondo Michel Tanneur Nuevitas
Berhondo Martin Tanneur Matanzas
Berhonet Jean Tanneur La Havane
Berhouet Pierre Tanneur Cardenas
Bidegorry Martin Tanneur Cardenas
Bordenave Sylvain Tanneur Matanzas
Bordenave Sylvain Tanneur Matanzas
Bourdieu Jean Tanneur Rancho Veloz
Bourdieu Jean Tanneur Rancho Veloz
Boye Bigné Joseph Cordonnier Matanzas
Boye-Bigné Paul Albert Tanneur Manzanillo
Burguete Jean Sandalier La Havane
Cabillon Gratian Tanneur Santa Clara
Casalis Henri Tanneur Rancho Veloz
Casenave Jean Tanneur Matanzas
Castel Jean-Baptiste Tanneur Matanzas
Chardiet Jean Tanneur Güines
Couturejuzon Casimir Tanneur Matanzas
Daguerre Gratien Tanneur Nuevitas
Duhart Jean Pierre Tanneur Remedios
Durruty Bertrand Cordonnier Esperanza
Eliart Jean Tanneur Nuevitas
Elissalde Pierre Tanneur Guanajay
Elissetche Léon Tanneur Remedios
Etcheberry Saint Martin Tanneur Nuevitas
Etcheverry Guillaume Tanneur La Havane
Etcheverry Pierre Tanneur Caibarien
Etcheverry Jean Tanneur Caibarien
Etcheverry Jean Baptiste Cordonnier Remedios
Garacotche Pierre Tanneur Nuevitas
Génin jean Tanneur Guanajay

268
Génin Pierre Tanneur Caibarien
Harinisquiry Etienne Tanneur Caibarien
Héguy Pierre Tanneur Santa Clara
Hiriart Pierre Léon Tanneur Cardenas
Hiriart Jean Tanneur Gibara
Hiribarne Jean Cordonnier Esperanza
Hontas Charles Tanneur Manzanillo
Hourcade Jean Sandalier Matanzas
Hribarne Dominique Cordonnier Esperanza
Ilharragorry Pierre Tanneur Nuevitas
Inthamoussou Pierre Tanneur Nuevitas
Labat Pierre Auguste Tanneur Matanzas
Labourdette Jean Tanneur La Havane
Lafon François Tanneur Matanzas
Lagouarde Pierre Tanneur Matanzas
Larralde Pierre Tanneur Remedios
Larronde St Martin Tanneur Caibarien
Lassalle Jean Joseph Tanneur Manzanillo
Lassalle Joseph Tanneur Manzanillo
Londaitzbéhère Antoine Tanneur Nuevitas
Loustau Pierre Tanneur Matanzas
Loustau Jean Baptiste Tanneur Rancho Veloz
Loustau Jean Tanneur Rancho Veloz
Maubayon Jean Tanneur Santa Clara
Maubayon Pierre Tanneur Santa Clara
Mehaca Jean Tanneur Caibarien
Mendilahatsou Dominique Tanneur Sagua La Grande
Tanneur Santa Isabel de las
Mendilahatzou Jean Baptiste
Lajas
Mora Clément Victor Tanneur Colon
Moureu Auguste Tanneur La Havane
Ospital Bernard Salvat Cordonnier La Havane
Ospital Jean Cordonnier La Havane
Ospital Armand Cordonnier La Havane
Otondo Arnaud Tanneur Remedios
Peyré-Poutou Jean Tanneur La Havane
Peyré-Poutou Jean Baptiste Tanneur La Havane
Puyet Jean Louis Tanneur Rancho Veloz
Soubelet Jean Baptiste Tanneur Remedios
Tellechea Martin Philippe Tanneur Caibarien
Tellechéa Louis Tanneur Caibarien
Tellechéa Martin Tanneur Caibarien
Trébucq Jacques Eugène Tanneur Matanzas
Trébucq Jacques Eugène Tanneur Matanzas

269
BIBLIOGRAPHIE

 Sources.

 Référence : FR CADN
 Intitulé : Fonds « Services des Œuvres Françaises à l’étranger », Série Direction des
affaires politiques et commerciales, sous-direction d’Amérique, Série B, Dossier 7 (So-
ciétés françaises en Amérique, La Havane).
 Lieu de conservation : Centre des Archives Diplomatiques de Nantes, 17 rue de Cas-
terneau, 44000 Nantes, France.
 Niveau de description : Dossier.
 Importance matérielle : 2 cartons
N°133 « Service des Œuvres Françaises à L’étranger »
N°136 « Service des Œuvres Françaises à L’étranger - Allocations & subventions Ma-
tériel Scolaire ».
 Nom du producteur : Consuls de France à La Havane.
 Présentation du contenu : Correspondance entre la Légation française à Cuba et le
Bureau des Écoles et des Œuvres françaises à l'étranger. Correspondances entre le con-
sul de France à Cuba et le ministre des affaires étrangères, avec en annexes les comptes
rendus annuels de la Société française de Bienfaisance de La Havane de 1911 à 1914 ;
et celui de la Société Française de Secours Mutuels pour l’année 1915. Don de livres de
prix au Collège La Salle de La Havane et autres écoles de Cuba n°136.
 Langue et écriture des documents : Français.
 Règles ou conventions : Notice descriptive conforme à la norme IsadG.
 Date de la description : Septembre 2010.
 Sources complémentaires :
Archives nationales
Fonds divers, Série AQ Archives d’entreprises, sous-série 65 AQ Documentation im-
primée sur des sociétés.
Fonds « Correspondance consulaire et commerciale », Série F Versements des minis-
tères et des administrations qui en dépendent, sous-série F12 Commerce et Industrie et
sous-série F30 Finances, administration centrale.

270
 Référence : FR CADN
 Intitulé : Fonds « Personnels et Agences consulaires », Série « Fonds personnels »,
Sous-série « Agences consulaires et correspondances ».
 Lieu de conservation : Centre des Archives Diplomatiques de Nantes, 17 rue de Cas-
terneau, 44000 Nantes, France.
 Dates : antérieur à 1921.
 Niveau de description : sous-série.
 Importance matérielle : 7 cartons
N°15 « Agences consulaires supprimées avant 1920, Sagua la Grande, Gibara et Puer-
to-Principe ».
N°29 « Agences consulaires supprimées après 1921, Baracoa et Manzanillo ».
N°40 « Correspondance antérieure à 1920 ».
N°222 « Correspondance et rapports annuels des postes, La Havane ».
N°253 « Correspondance des postes – Dépêches – Minutes, Santiago de Cuba et La
Havane ».
N°297 « Correspondance des postes – Dépêches – Minutes, La Havane ».
N°307 « Correspondance des postes – Dépêches – Minutes, Santiago de Cuba ».
Nom du producteur : Agences consulaires françaises de Cuba (La Havane, Santiago
de Cuba, Guantanamo, Sagua la Grande, Gibara, Puerto-Principe, Baracoa et Manza-
nillo).
 Présentation du contenu : Le carton n°15 concentre des échanges au sujet des
agences des provinces et des changements au sein du personnel.
Le carton n°29 regroupe des correspondances entre les agences et la France au sujet du
renouvellement du personnel consulaire.
Le carton n°40 conserve les courriers en provenance des agences consulaires de Ma-
tanzas, Camagüey, Guantanamo, et celle de Trinidad et Cienfuegos au sujet des chan-
gements au sein du personnel et des Français résidant dans ces villes.
Le carton n°222 contient un rapport du poste de La Havane.
Le carton n°253 renferme des rapports sur le quotidien des principales agences (La
Havane et Santiago de Cuba).
Le carton n°297 présente des échanges épistolaires et télégraphiques entre le consul de
France à Cuba et le Ministère des Affaires étrangères. En annexe à un courrier rédigé
par le Ministre de France à La Havane en 1915, se trouve « le Bulletin des fonction-
naires et agents de la Secrétairerie d’État de Cuba (rédigé par le Ministère cubain des
affaires étrangères) ».
Le carton n°307 conserve des rapports sur le poste de Santiago de Cuba et les affaires
courantes de la colonie.
 Langue et écriture des documents : Français (et « le Bulletin des fonctionnaires et
agents de la Secrétairerie d’État de Cuba » en Espagnol).
 Règles ou conventions : Notice descriptive conforme à la norme IsadG.
271
 Date de la description : Septembre 2010.

 Référence : FR CADN
 Intitulé : Fonds« Archives des Postes », Série « Section Consulaire ».
 Lieu de conservation : Centre des Archives Diplomatiques de Nantes, 17 rue de Cas-
terneau, 44000 Nantes, France.
 Dates : 1887-1918.
 Niveau de description : sous-fonds.
 Importance matérielle : 8 cartons (La Havane : 33-37 ; Santiago de Cuba : 1-2 ;
Guantanamo : 1).
 Nom du producteur : Agences consulaires françaises de Cuba (La Havane, Santiago
de Cuba et Guantanamo).
 Présentation du contenu : Tous les cartons contiennent des registres
d’immatriculation de la population française de passage ou vivant à Cuba (ou à défaut
dans les localités où se trouvent les agences).
Agence de La Havane :
- Carton 33 : registre d’immatriculation du 26/02/1894 au 28/03/1907.
- Carton 34 : registre d’immatriculation du 04/04/1907 au 17/06/1915.
- Carton 35 : registre d’immatriculation du 05/07/1910 au 06/06/1911.
- Carton 36 : registre d’immatriculation du 06/06/1911 au 09/02/1914.
- Carton 37 : registre d’immatriculation du 07/04/1914 au 19/03/1918.
Agence de Santiago de cuba:
- Carton 1 : registre d’immatriculation du 05/07/1912 au 06/02/1913.
Agence de Guantanamo :
- Carton 1 : registre d’immatriculation du 01/08/1887 au 29/08/1913.

 Conditions d’accès : Archives publiques, accès libre soumis à conditions : inscription


des lecteurs et présentation d’une pièce d’identité. La communication des documents
s’effectue selon les dispositions du Code du Patrimoine.
 Conditions de reproduction : La reproduction est soumise à une autorisation préa-
lable. Un service de photocopies est assuré par l’Association des Amis des Archives
diplomatiques. La duplication de microfilms est possible. Les lecteurs peuvent utiliser
leurs appareils photographiques sur autorisation.
 Langue et écriture des documents : Français.
 Instruments de recherche : Inventaire imprimé par le CADN. Consultable sur place :
Favier, J., Guide des sources de l’histoire de l’Amérique Latine et des Antilles dans les
archives françaises, Paris, Archives Nationales, 1984.
 Notes : Registres d’immatriculation lacunaires, en particulier celui de l’agence de
Guantanamo. Le carton n°2 de l’Agence de Santiago de Cuba est indisponible pour le
prêt en raison de son très mauvais état. Le carton n°1 de Guantanamo est très abîmé et
inexploitable. Les cartons 35 et 36 de l’agence de La Havane viennent en complément
des deux premiers, et contiennent parfois des répétitions.
 Règles ou conventions : Notice descriptive conforme à la norme IsadG.
272
 Date de la description : Septembre 2010.
 Sources complémentaires : Fonds « État Civil Duplicata », Série « Cuba ».
 Référence : FR CADN
 Intitulé : Fonds « Correspondance politique & commerciale », Série « Nouvelle Série,
1896-1918 », Sous-série « Cuba ».
 Lieu de conservation : Centre des Archives du Ministère des Affaires Étrangères et
Européennes, 3 rue Suzanne Masson, 93126 La Courneuve, France.
 Dates : 1901-1918.
 Niveau de description : sous-série.
 Importance matérielle : 5 cartons
N°1 Établissement de l’Indépendance, Janvier 1901-Avril 1902.
N°2 Établissement de l’Indépendance, Avril 1902.
N°3 Politique Intérieure T.I., 1903-1909.
N°4 Politique Intérieure T.II., 1910-1913.
N°5 Politique Intérieure T.III., 1914-1918.
 Nom du producteur : Ministre de France à La Havane, Légation de France à Cuba.
 Présentation du contenu : Les cartons contiennent la traduction du projet de base de
la Constitution cubaine, la description du nouveau gouvernement, des comptes-rendus
des affaires de politique cubaine, leur rapport avec la communauté française et ses inté-
rêts, des renseignements statistiques sur les mouvements migratoires à Cuba et les con-
ditions d’immigration.
 Langue et écriture des documents : Français.
 Règles ou conventions : Notice descriptive conforme à la norme IsadG.
 Date de la description : Septembre 2010.
 Sources complémentaires :
Fonds « Correspondance politique et commerciale », Série Affaires diverses commer-
ciales, cartons 305 et 306 (Amérique Centrale) ; Série commerciale A1.
Fonds « Mémoires et Documents », volumes 51 à 71 sur l’Amérique.
Fonds 9 AQ (Archives de la Cie Générale Transatlantique) et fonds 65 QQ (Documen-
tation sur les sociétés françaises à l’étranger).

273
 Livres.

A. Les sources.

1. Récits historiques.

- Aubin, Eugène, En Haïti, planteurs d’autrefois, nègres d’aujourd’hui, Paris, Librairie


Armand Colin, 1910, Préface, p. XXX-XXXI.
- Bacardí Moreau, Emilio, Crónicas de Santiago de Cuba, Madrid, Ed. Playor, 1972,
segunda edición (1919), 10 tomos.
- Callejas, José María, Historia de Santiago de Cuba, Compuesta y redactada en vista
de los manuscritos originales é inéditos, de 1823, y precedida de un prologo, La Ha-
bana, imp. La Universal, 1911.
- Cuba, General descriptive data prepared in June 1909, International bureau of Amer-
ican Republics, John Barrett (dir.), Washington government printing office, 1909.
- Parker Belmont, William, Cubans of to-day, The Hispanic Society of America, New-
York and London, G. P. Putnam’s sons, 1919.
- Pasteyns, Fr., « Cuba – Les résultats du recensement de 1907 », in « Chronique Géo-
graphique » du Bulletin de la Société royale belge de géographie, n°1 janvier-février,
33e année, Bruxelles, 1909, p.79-82. Publié à l’origine dans The Scottish geographical
magazine (Avril 1908). Consulté le 26 avril 2010 sur
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1077055.image.r=Cuba.f82.langFR.hl.
- Pezuela, Jacobo de la, Historia de la Isla de Cuba, Madrid, Ed. Carlos Bailly-
Baillière, 1868.

2. Récits de voyage.

- Ampère, Jean-Jacques, Promenade en Amérique : États-Unis, Cuba, Mexique, Paris,


1856.
- Barré, Paul, « Cuba hier & aujourd'hui », in Revue de géographie, Paris, Société de
Géographie de Paris, 1903/07-1903/12.
- Berchon, Charles, « Six mois à Cuba : La Havane » in Le Tour du Monde, Paris,
1907.

274
- Berchon, Charles, Conférence sur l’île de Cuba faite par Charles Berchon, membre
de la Société de Géographie de Paris, Bordeaux, Imprimerie Y. Cadoret, 1909.
- Guerlac, Othon, « Cuba sous l’administration américaine » in Le Tour du monde, Pa-
ris, 1903.
- « La Population de Cuba», Chronique Géographique, Bulletin de la Société Géogra-
phique de Lyon, 2ème semestre 1913, Société de Géographie, Lyon, 1914, p. 161. Con-
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284
TABLE DES ILLUSTRATIONS

Figure 1 : RÉCAPITULATIF DES CHIFFRES DE LA POPULATION FRANÇAISE


FOURNIS PAR LA CORRESPONDANCE CONSULAIRE. ................................................ 15
Figure 2: NOMBRE DE FRANÇAIS IMMATRICULÉS ENTRE 1887 ET 1914. ................ 17
Figure 3: NOMBRE D'IMMATRICULATIONS EFFECTUÉES PAR CHAQUE AGENCE
CONSULAIRE FRANÇAISE. ................................................................................................ 18
Figure 4: VILLE DE RÉSIDENCE DES FRANÇAIS IMMATRICULÉS À LA HAVANE
ENTRE 1894 ET 1914. ............................................................................................................ 20
Figure 5: INDICATEURS DE LA PRÉSENCE FRANÇAISE À CUBA : STATISTIQUES
ET REGISTRES. ...................................................................................................................... 22
Figure 6: LES FRANÇAIS DANS LE MOUVEMENT MIGRATOIRE À CUBA. ............... 25
Figure 7: LES PRINCIPALES VILLES DANS LESQUELLES SE RÉPARTISSENT LES
FRANÇAIS. ............................................................................................................................. 31
Figure 8 : PRINCIPALES VILLES DANS LESQUELLES RÉSIDENT LES FRANÇAIS.
......................................................................................................... Erreur ! Signet non défini.
Figure 9: RUES HAVANAISES HABITÉES PAR DES FRANÇAIS ................................... 41
Figure 10: PLAN DE LA HAVANE ET RÉPARTITION DES FRANÇAIS. ........................ 43
Figure 11: NAISSANCES FRANÇAISES À CUBA. ............................................................. 48
Figure 12: OÙ SONT NÉS LES FRANÇAIS DE CUBA ? .................................................... 49
Figure 13 : ORIGINES DES FRANÇAIS IMMATRICULÉS À CUBA.Erreur ! Signet non
défini.
Figure 14: CARTE DES DÉPARTEMENTS ET COLONIES (ANTILLES) OÙ SONT NÉS
LES FRANÇAIS. ............................................................................ Erreur ! Signet non défini.
Figure 15: RÉPARTITION DES SEXES DANS LA POPULATION FRANÇAISE. ............ 64
Figure 16 : RÉPARTITION DES MIGRANTS PAR TRANCHES D’ÂGE ET
CARACTÉRISTIQUES DE CES ÂGES. ................................................................................ 69
Figure 17: RÉPARTITION DES FAMILLES DE MIGRANTS EN FONCTION DU
NOMBRE DE LEURS MEMBRES. ....................................................................................... 75
Figure 18: FRANÇAIS CHEFS DE FAMILLE : SEXE, ÂGE MOYEN ET NOMBRE DE
D’ENFANTS. ........................................................................................................................... 80
Figure 19: PROVENANCE DES FAMILLES FRANÇAISES DE CUBA. ........................... 80
285
Figure 20: EXOGAMIE ET ENDOGAMIE CHEZ LES FRANÇAIS DE CUBA. ................ 84
Figure 21: CONSULS GÉNÉRAUX AYANT EXCERCÉ À CUBA ENTRE 1870 ET 1919.
.................................................................................................................................................. 95
Figure 22: LE PERSONNEL DES AGENCES CONSULAIRES FRANÇAISE À CUBA. ... 99
Figure 23 : LES RELIGIEUX IMMATRICULÉS À CUBA. ............................................... 126
Figure 24: ENSEIGNANTS IMMATRICULÉS À CUBA. .................................................. 132
Figure 25 : MEMBRES DE LA SOCIÉTÉ DE SECOURS MUTUELS DE LA HAVANE
IMMATRICULÉS ET PARTIS À LA GUERRE. ................................................................. 145
Figure 26 : MEMBRES DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE DE BIENFAISANCE ET DE LA
SOCIÉTÉ DE SECOURS MUTUELS DE LA HAVANE. ................................................... 148
Figure 27 : PRINCIPAUX SECTEURS D'ACTIVITÉ DES FRANÇAIS DE CUBA.......... 153
Figure 28 : AGRICULTEURS/INDUSTRIE AGROALIMENTAIRE. ................................ 154
Figure 29 : ARTISANS (BOIS, FER, PEAUX, ETC.) .......................................................... 156
Figure 30 : COMMERÇANTS/SERVICES AUX PERSONNES. ........................................ 159
Figure 31 : ARTISTES/EMPLOIS TRÈS QUALIFIÉS. ....................................................... 161
Figure 32 : LES SYRIENS PROTÉGÉS FRANÇAIS DE CUBA. ....................................... 185

286
TABLE DES MATIERES

LISTE DES ABREVIATIONS .................................................................................................. 3

INTRODUCTION ................................................................................................................ 4

I. L’OMNIPRESENCE FRANÇAISE A CUBA. .....................................................................12

A. LA POPULATION FRANÇAISE, UNE COMPOSANTE MINEURE DE LA POPULATION CUBAINE. ............................................ 12


1. Décomptes, évaluations, recensements : la présence française en chiffres. ...................................... 13
2. Importance relative de cette présence. .............................................................................................. 24
B. GEOGRAPHIE DES COLONIES FRANÇAISES DE CUBA. ............................................................................................. 29
1. Leurs implantations dans l’île............................................................................................................. 30
2. La Havane, nouveau bastion français. ............................................................................................... 39
C. DES FRANÇAIS DE TOUS HORIZONS. ................................................................................................................. 46
1. Origines géographiques et provenance des migrants. ....................................................................... 47
2. La France, principal point de départ. ................................................................................................. 54

II. FAIRE SOUCHE A CUBA ? ENTRE INTEGRATION ET PRESERVATION DE L’IDENTITE


FRANÇAISE. .....................................................................................................................63

A. PROFILS SOCIOLOGIQUES DES FRANÇAIS. .......................................................................................................... 63


1. Étude des genres. ............................................................................................................................... 64
2. Classes d’âges .................................................................................................................................... 67
B. LA FAMILLE FRANÇAISE EN EXIL : MARIAGES, NAISSANCES ET IMMIGRATION. ............................................................ 74
1. Statuts matrimoniaux et familles. ...................................................................................................... 74
2. Endogamie et exogamie chez les Français de Cuba. .......................................................................... 81
C. REPRESENTANTS ET REPRESENTATIONS DE LA FRANCE A CUBA. ............................................................................. 93
1. Le personnel consulaire : représentants officiels de la France. .......................................................... 93
2. Les institutions françaises : éducations et bienfaisance. .................................................................. 120

III. LE SAVOIR-FAIRE FRANÇAIS A L’EPREUVE DE LA REALITE CUBAINE. ..................... 151

A. GAGNER SON PAIN A CUBA : LES PROFESSIONS EXERCEES PAR LES FRANÇAIS. ......................................................... 151
B. LES INTERETS FRANÇAIS A CUBA. ................................................................................................................... 163
1. Les propriétés agricoles. ................................................................................................................... 164
2. Le commerce « culturel » français.................................................................................................... 170
3. L’industrie, les finances et la technique françaises. ......................................................................... 175
C. DESTINS COMMUNS ET TRAJECTOIRES INDIVIDUELLES DE MIGRANTS FRANÇAIS A CUBA. ........................................... 183
287
1. Les spécificités régionales et la migration. ....................................................................................... 183
2. Aux antipodes de l’échelle sociale : échecs et succès à Cuba. .......................................................... 190

CONCLUSION ................................................................................................................. 195

ANNEXES ....................................................................................................................... 198

1. Extraits de la base de données « Registres d’immatriculation. .................... Erreur ! Signet non défini.
2. Carte des provinces cubaines. ...................................................................... Erreur ! Signet non défini.
3. Photos des Archives. ......................................................................................................................... 209
4. Extraits des Crónicas de Santiago de Cuba d’Emilio Bacardí Moreau. ............................................. 217
5. Confrontation entre pays de naissance et provenance : la France. ................................................. 218
6. Mariages et nationalité chez les Français de Cuba : ........................................................................ 224
7. Courrier en date du 16 juillet 1900, rédigé par M. Bonhenry, Ministre de France à La Havane, à
l’adresse du Ministre des Affaires Étrangères. .......................................................................................... 235
8. Courrier du 20 juin 1887, au sujet de la pétition signée contre la nomination d’Alfred Hautrive
comme agent consulaire de Trinidad et Cienfuegos. ................................................................................. 238
9. Courrier du 2 octobre 1906 écrit par le consul de La Havane à Léon Bourgeois, Ministre des Affaires
Étrangères, au sujet des menaces qui pèsent sur les Français et leurs possessions à Cuba. ..................... 242
10. Extraits des correspondances consulaires relatives aux célébrations du 14 juillet à Cuba. ............. 246
11. Extrait d’une lettre d’E. Bruwaert, consul général de La Havane au sujet des écoles françaises à
Cuba. 253
12. Extraits des courriers échangés au sujet des collèges français de La Havane et de Santiago de Cuba.
255
13. Photo d’une classe du Collège français créé par Mlle Ollivier à La Havane. .................................... 260
14. La société de bienfaisance du sieur Houillon. ................................................................................... 261
15. Principales recettes et dépenses de la Société française de Bienfaisance entre 1912 et 1917. ....... 262
16. Membres de la Société française de Bienfaisance et de la Société de Secours Mutuels immatriculés.
264
17. Les travailleurs du cuir Basques et Béarnais. ................................................................................... 268

BIBLIOGRAPHIE.............................................................................................................. 270

A. LES SOURCES. ................................................................................................................................................. 274


1. Récits historiques. ............................................................................................................................ 274
2. Récits de voyage............................................................................................................................... 274
B. OUVRAGES SUR L’AMERIQUE LATINE ET LA CARAIBE. ........................................................................................ 275
C. OUVRAGES SUR LES MIGRATIONS. ................................................................................................................. 276
1. Généralités ....................................................................................................................................... 276
2. Vers Cuba ......................................................................................................................................... 277
288
3. Depuis la France. .............................................................................................................................. 279
D. OUVRAGES SUR CUBA. ..................................................................................................................................... 280
1. Généralités. ...................................................................................................................................... 280
2. Politique. .......................................................................................................................................... 281
3. Économie. ......................................................................................................................................... 282
4. Société. ............................................................................................................................................. 282
E. OUVRAGES SUR LA FRANCE. ............................................................................................................................... 283
1. Histoire ............................................................................................................................................. 283
2. Relations transatlantiques. .............................................................................................................. 284

TABLE DES ILLUSTRATIONS............................................................................................. 285

TABLE DES MATIERES ..................................................................................................... 287

289

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