Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=CORP&ID_NUMPUBLIE=CORP_004&ID_ARTICLE=CORP_004_0071
| Dilecta | Corps
2008/1 - N° 4
ISSN 1954-1228 | pages 71 à 78
jeunesse et de bonne santé. Dans la même logique, on trouverait belles aujourd’hui les
femmes minces, voire maigres, car ces caractères physiques seraient perçus comme des
72 Lire
Les méchantes fées, les sorciers et sorcières, les vilains nains, qui sont tous vieux et
laids, possèdent le pouvoir de falsifier la vérité : par un mauvais sort, ils rendent laides des
personnes pourtant gentilles. Le sort peut être parfois levé par un amour qui saura voir
la beauté intérieure au-delà de la laideur apparente, ou bien par de bonnes actions qui
rendront impossible la persistance de cette anomalie : une personne bonne dans un corps
laid. Inversement les bonnes fées, ou bien Dieu, ont ce pouvoir de remettre en conformité
la nature profonde des êtres et leur apparence. Les personnes bonnes et justes sont alors
belles, tandis que la noirceur intérieure des personnes méchantes devient visible aux yeux
de tous. La bonne santé est à comprendre de la même façon : elle signifie une âme pure,
du côté de Dieu. À l’inverse, la maladie traduit une faute qui peut relever d’une noirceur de
l’âme, d’un mode de vie antinaturel ou bien, dans une vision psychologisante, de mauvaises
pensées refoulées.
Le monde post-moderne
ou la quête de l’harmonie revisitée
Ce monde moderne, dans lequel la vie se réussit en accumulant du capital sous toutes
les formes possibles, où il convient de multiplier les expériences et les activités de toutes
sortes, d’avoir une vie « bien remplie », correspond à un idéal boulimique. Cette forme de
gavage, où l’on consomme sans avoir eu la possibilité de désirer, produit principalement de
la déception. Aussi certains en viennent-ils à remettre en question cette conception consu-
74 Lire
Faut-il s’étonner de cette violence qui surgit ? Non, puisque la richesse corporelle, ou à
défaut la richesse financière, servent justement à instaurer une relation de séduction. Or la
séduction est tout entière une affaire de pouvoir, de violence exercée sur ses semblables.
Si on en croit les clichés, les femmes recourent à la magie, la sorcellerie. Elles usent de leurs
charmes, ensorcellent, mettent en scène leurs appâts pour enivrer, attirer, fasciner, persua-
der, et en définitive, instaurer un ascendant et attacher, réduire leur proie à merci. Quant
aux hommes, selon les mêmes clichés, ils paradent, font les fiers-à-bras afin de capter l’at-
tention et obliger la belle à les considérer. Puis ils multiplient les assauts, font le siège de leur
dulcinée, font étalage de leur flamme, de leur désir, jusqu’à ce que leur conquête, captivée,
succombe et se rende.
Si l’exercice de la violence séduit, comme l’exemple du syndrome de Stockholm6 ou
pour être plus classique, l’enlèvement des Sabines par les premiers Romains7 le mettent en
évidence, on use la plupart du temps de la violence sur le mode du simulacre, en mettant
en place un leurre que l’autre nimbe de ses désirs. Ce leurre est constitué de son apparence
physique mise en scène, de mimiques et de postures, de belles histoires envoûtantes qu’on
raconte, de danses ou de chansons, si bien qu’il y faut un certain savoir-faire. Il s’agit de
détourner d’elle-même la personne à séduire. Ce n’est pas si difficile, car être débarrassé de
soi, être enchanté, procure de la jouissance (Cyrulnik, 1997).
Le problème aujourd’hui n’est pas qu’on séduise, car ce mode relationnel, ludique, fonde
le désir et permet les relations sexuelles. De quoi se plaindrait-on ? Non, le problème est
que la relation de séduction devient le mode relationnel prédominant, ne laissant que peu
de place à cette autre forme de communication, plus élaborée, propre à l’espèce humaine et
à quelques autres mammifères supérieurs, qu’on nommera la relation empathique. L’empa-
thie permet de comprendre les sentiments et les points de vue de l’autre. Elle fonde l’amitié,
la compréhension et le respect mutuels. C’est parce qu’on est capable de voir en l’autre un
semblable qu’on peut lui donner, et qu’on comprend que, ce faisant, on l’oblige, si bien qu’il
nous donnera lui aussi à son tour. C’est sur ce schéma du don et de la dette que peuvent
s’instaurer des relations durables, ce que la relation de séduction, relation instantanée, ne
permet pas (Apfeldorfer, 2004). Nous voilà donc dans ce monde dans lequel l’empathie est
en berne et où tout est de plus en plus affaire de séduction. Dès lors, comment demander
à quelqu’un de voir au-delà des apparences, au-delà de ce corps faisant office de leurre,
afin de comprendre et découvrir la personne que nous sommes ? Au-delà des apparences
corporelles, au-delà de l’emprise qu’on manifeste, il n’y a rien à voir. Communiquant sur le
mode de la séduction à toute heure du jour et de la nuit, la réalité des individus finit par
résider tout entière dans leur apparence. L’apparence corporelle se fait icône de l’individu,
elle renseigne sur la totalité de l’être, représente la personne aux yeux des autres, à ses
propres yeux, par là même, la fait exister. Les gens sont ce dont ils ont l’air, ni plus ni moins
(Apfeldorfer, 2001).
76 Lire
notre corps n’est pas autre chose que nous-même, nos conduites alimentaires nous sont
dictées par des mécanismes biologiques, psychologiques et sociaux complexes que nous ne
pouvons pas contrarier sans dommages. Ce n’est pas en entrant en lutte contre soi-même
qu’on sortira de cette ornière. Au contraire, c’est en étant à l’écoute de soi-même qu’on
pourra être à son mieux.
1. D’après Eugénie Peyrat 1865, À travers le Moyen Âge, num. BNF de l’éd. de Paris, Grassart.
2. Voir Femme fatale, écrit et réalisé par Brian de Palma, avec Antonio Banderas et Rebecca Romijn-Stamos, 2002.
3. Voir les frères Grimm 1990, Contes, Paris, coll. « Folio bilingue », Gallimard.
4. Houellebecq M. 1994, Extension du domaine de la lutte, Maurice Nadeau.
5. Houellebecq M., op. cit.
6. Voir Crocq L. 1989, « Pour une nouvelle définition du syndrome de Stockholm », dans Études épidémiologiques, vol.
ou no 1 : 165-179.
7. Tite-Live 1860, « L’Enlèvement des Sabines », dans Histoire romaine, chap. IX, livre I, trad. Liez et Corpet.
78 Lire