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Khalil Gibran ; Neil Douglas-Klotz

Les petits livres de Khalil Gibran


L'amour
Collection : Aventure secrète
Maison d’édition : J’ai Lu

© Neil Douglas-Klotz, 2018


© Éditions J’ai lu, 2020, pour la traduction française
Dépôt légal : Avril 2020

ISBN numérique : 9782290200780


ISBN du pdf web : 9782290200803

Le livre a été imprimé sous les références :


ISBN : 9782290200810
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo.
Présentation de l’éditeur :

Dans la série Les petits livres de Khalil Gibran, ses récits et ses poèmes sur le thème de
l’amour demeurent parmi les plus connus.
Pour Khalil Gibran, l’amour englobe la passion, le désir, l’amour idéalisé, la justice, l’amitié
mais aussi le défi d’aimer l’étranger, le voisin ou l’ennemi.
Voici, dans cette compilation réalisée par Neil Douglas-Klotz, plus de cent fables, aphorismes,
paraboles, récits et poèmes par cette voix visionnaire du réconfort, de l’amour et de la
tolérance.

Couverture : Création Studio J’ai lu d’après © Shutterstock / Almix

Biographie de l’auteur :

Khalil Gibran est né au Liban en 1883. Le prophète, qu’il publie en 1923, connaît aussitôt un
retentissement mondial. À la mort de l’auteur, en 1931, l’ouvrage est déjà considéré comme
un classique de la pensée humaniste.
Neil Douglas-Klotz est un chercheur de renommée mondiale dans les domaines de la
religion, de la spiritualité et de la psychologie.

Titre original
khalil gibran’s little book of love

Éditeur original
Hampton Roads Publishing Company, Inc, USA, 2018

© Neil Douglas-Klotz, 2018

Pour la traduction française


© Éditions J’ai lu, 2020
Du même auteur
aux Éditions J’ai lu

LE PROPHÈTE
N° 4053

LES PETITS LIVRES DE KHALIL GIBRAN


La Vie
N° 12625

L’ESSENTIEL DE KHALIL GIBRAN


Introduction

Les aphorismes de Khalil Gibran, ses récits et ses poèmes sur


l’amour demeurent parmi les plus connus pour les lecteurs
occidentaux. Le regard de l’écrivain libano-américain s’étend toutefois
au-delà des dictons les plus cités sur les cartes de vœux, recouvrant
un domaine très vaste des relations humaines : la passion, le désir,
l’amour idéalisé, la justice, l’amitié et les défis de la relation avec
l’étranger, le voisin ou l’ennemi.
Cette nouvelle collection de « petits livres » jette un regard
nouveau sur les mots et la sagesse de Gibran en prenant en compte
ses influences majeures : sa culture du Moyen-Orient, son mysticisme
de la nature et sa spiritualité. On pourrait facilement avancer que ce
que le commun des lecteurs trouvait d’exotique chez Gibran dans les
années 1920, c’était la façon dont il reflétait clairement une région
souvent considérée comme une énigme. Près de cent ans plus tard,
comprendre cette énigme – surtout concernant les relations humaines
et le traitement de « l’autre » – est passé d’un problème philosophique
à une question pratique de survie quotidienne.
Le livre que vous avez entre les mains rassemble les paroles de
Gibran sur l’amour et les relations. Le premier livre de la série
regroupait ses écrits sur la vie et la nature. Le prochain livre portera
sur les paradoxes de la vie et les mystères de la voie intérieure, et le
dernier sur la sagesse de la vie quotidienne, qu’elle soit solitaire ou
communautaire.
À première vue, Gibran peut ressembler à un romantique, à un
poète de l’amour idéalisé. Pourtant, il n’était pas un sentimentaliste. Il
a appréhendé par sa propre expérience le côté le plus sombre des
relations humaines – le désir, le chagrin, la perte, l’envie et la
passion – et l’importance de celles-ci pour faciliter les tribulations de
l’âme à travers la vie. Loin de défendre un amour platonique « au-
delà de la chair », il ne privilégie ni l’âme ni le corps dans ses écrits.
On constate à ce propos plusieurs influences. Premièrement, les
relations amoureuses personnelles de Gibran ont été tendues tout au
long de sa courte vie. Comme le relatent ses divers biographes, aucun
témoignage personnel, surtout le sien, ne peut être interprété comme
un fait réel (voir « À propos de l’auteur » à la fin de ce livre). Même
dans le récit de Gibran sur son premier amour dans Les Ailes brisées,
nous trouvons de longs dialogues ou monologues qui rendent peu
crédible ce qui est censé être un reportage factuel. Pour sa défense,
nous pouvons dire que Gibran était conscient que les souvenirs de
conversations ou d’incidents importants varient fortement d’une
personne à l’autre, notamment quand il s’agit d’amour. Ces
événements ont une incidence émotionnelle sur la mémoire qui nous
influence tellement que nous ne pouvons souvent nous l’expliquer
que bien plus tard ou même pas du tout.
Deuxièmement, la langue et la culture moyen-orientale de Gibran
offrent une version très nuancée de l’amour, qui révèle le champ
émotionnel étroit dans lequel nous nous sommes cantonnés à cause
des contenus sur-sexualisés que l’on retrouve aujourd’hui sur
Internet, dans les films populaires et dans la publicité.
Comme beaucoup de langues, l’arabe natif de Gibran contient
plusieurs mots différents qui peuvent être traduits littéralement par
« amour ».
L’un concerne le désir et la passion de l’amour (le mot ishq), que
nous pourrions décrire comme le magnétisme qui rapproche les
individus (comme la force de gravité) et les attache les uns aux autres
comme de la colle. Cette « colle de l’univers » opère au-dessus, au-
dessous et au-delà de nos intentions logiques et humaines. La phrase
« Je n’ai pas pu me retenir » est ici à-propos. Le Cantique des
cantiques, dans les Écritures juives, décrit cette force de la passion en
hébreu comme « étincelante comme un éclair et brûlante comme la
peste ». En même temps, certains des premiers poètes soufis
identifient cette force implacable de l’amour et de la passion à Dieu et
à la Réalité elle-même.
Un autre mot sémitique ancien pour « amour » (ahaba en hébreu,
ahebw en araméen – la langue de Jésus –, muhabbah en arabe)
renvoie à la variété des relations humaines, qui germent comme une
graine de respect ou de tolérance, puis poussent vers l’amitié et
fleurissent comme une relation intime, qui rend l’amour durable. Une
autre image qu’évoquent les racines des langues est celle d’une
flamme allumée dans du petit bois et qui devient progressivement un
grand feu, utile pour la cuisson et pour se réchauffer.
Encore un autre mot pour « amour » (rahm en hébreu, rahme en
araméen, rahman et rahim 1 en arabe) dérive de « utérus ». Les
racines du mot indiquent que la naissance physique a pour origine un
rayonnement qui vient de l’intérieur. Ce même rayonnement créatif
se développe en ce que nous appelons compassion, miséricorde ou
amour inconditionnel.
Le mot pour « cœur » est également très ancien dans la culture.
Leba en hébreu et lebha en araméen renvoient tous les deux à une
force créatrice qui est l’essence ou le centre de la vie. Les mots arabes
lubb et qalb dérivent des mots précédents ; qalb révèle que le cœur
peut avoir une surface changeante ainsi qu’une profondeur stable.
Alors qu’aujourd’hui nous considérons le cerveau comme l’organe
essentiel de la conscience, les anciens du Moyen-Orient accordaient
beaucoup plus d’importance au cœur. C’est peut-être pour cela que
les anciens Égyptiens préservaient le cœur des personnages
importants après la momification et jetaient le cerveau. Ils
pressentaient que les pharaons auraient besoin du cœur dans l’au-
delà, mais pas du cerveau.
Comme je l’ai noté dans le recueil précédent, La Vie, la poésie et
les récits soufis avaient une influence importante sur Gibran. Voici en
exemple l’une de ses paroles sur l’amour, tirée du livre Le Sable et
l’Écume :

L’amour est le voile entre aimé et amant.

Comparez-la avec celle du poète soufi du XIIe siècle Roumi :

La Bien-aimée est tout, l’amant n’est qu’un voile au-dessus


d’elle.

L’idée de l’amour révélant et couvrant, telle une véritable maison


de miroirs qui influence nos relations, a été évoquée très tôt dans la
poésie soufie, mais elle n’a été remarquée que récemment dans le
langage psychologique occidental de projection et de transfert.
Encore de Gibran :

Les amoureux embrassent


ce qui se trouve entre eux
plutôt qu’ils ne s’embrassent l’un l’autre.
En même temps, Gibran reflète remarquablement la vision du
Moyen-Orient selon laquelle l’amour, qu’il soit exprimé par le plaisir
ou par la douleur, par une étreinte passionnée ou par un désir ardent
insatisfait, peut offrir à l’individu un sens de la vie beaucoup plus
large. Ici, cette collection s’inspire du dernier livre de Gibran sur
Jésus, intitulé Jésus, Fils de l’Homme. De manière très moderne,
Gibran raconte l’histoire du prophète par le prisme de personnes
différentes qui le connaissaient, certaines mentionnées dans la Bible,
mais pas les autres. Dans ce petit livre sur l’amour, on évoque
plusieurs fois Marie Madeleine, Salomé (qui a dansé pour Jean le
Baptiste puis a demandé sa tête sur un plat), une voisine de la mère
de Jésus, et les apôtres Pierre et Jean.
Comme je l’ai indiqué dans le recueil précédent, Gibran a été
élevé selon la tradition chrétienne maronite, une Église orientale unie
à l’Église catholique romaine, mais qui jusqu’au XVIIIe siècle parlait et
utilisait dans la liturgie la langue syriaque, apparentée à l’araméen
natif de Jésus. Les Églises de langue araméenne ont historiquement
considéré Jésus, le prophète de Nazareth, comme un être humain, un
petit « fils » de Dieu, qui a accompli sa destinée de manière unique et
a exprimé la vie divine d’une manière qui soit ouverte à tous. En ce
sens, nous pouvons tous devenir « des enfants » de Dieu, c’est-à-dire
des enfants de « l’unité sacrée » (la traduction littérale du mot
araméen pour « Dieu », Alaha).
En accord avec cela, vers la fin de Jésus, Fils de l’Homme, Gibran a
fait dire à Marie Madeleine :

Il y a un gouffre entre ceux qui l’aiment et ceux qui le


haïssent, entre ceux qui croient et ceux qui ne croient pas.
Mais quand les années auront comblé ce gouffre, vous
saurez que celui qui a vécu en nous est immortel, qu’il était
le fils de Dieu de même que nous sommes les enfants de
Dieu. Qu’il est né d’une vierge comme nous qui naissons
d’une terre sans époux.

Pourtant, en écrivant à propos de l’amour, Gibran franchit les


frontières de la religion conventionnelle sous toutes ses formes. Dans
l’une de ses œuvres les plus audacieuses, un cycle poétique intitulé
Les Dieux de la Terre, Gibran déplore la prévisibilité de la vie et sa
routine ennuyeuse. Les anciens dieux de la Terre se morfondent dans
une dépression profonde quand l’un d’eux remarque un amant et sa
bien-aimée chanter et danser, puis s’embrasser et faire l’amour au
milieu de la forêt. Cela change tout et les anciens dieux sont à la fois
déconcertés et ravis par le pouvoir imprévisible de la passion
amoureuse. Dans ce recueil, je n’ai reporté de ce texte que les extraits
sur l’amour, mais le poème entier mérite l’attention du lecteur.

Dans tous ses écrits, l’amour de Gibran pour son pays natal et son
peuple transparaît. Quand il le quitta avec sa famille en 1895, le
Liban faisait toujours partie de l’Empire ottoman. Gibran se voyait
culturellement « syrien » (ni la Syrie ni le Liban n’existaient avant la
Première Guerre mondiale), et toute sa vie, il s’engagea pour la
libération de son peuple des régimes oppressifs. Il fut déçu de la
façon dont les puissances occidentales se sont partagé le Moyen-
Orient en divers pays et en plusieurs sphères d’influence, après la
guerre. Il a considéré cela comme une trahison de l’amitié. Dans son
essai « La Voix d’un poète » du livre Larme et sourire, il déplore :

Vous êtes mes frères et sœurs, mais pourquoi nous


disputons-nous ? Pourquoi envahissez-vous mon pays et
tentez de me subjuguer pour le plaisir de ceux qui
recherchent la gloire et le pouvoir ?

J’ai inclus dans ce recueil un certain nombre d’extraits de cet essai


et j’invite le lecteur à écouter la voix de Gibran en gardant à l’esprit la
situation conflictuelle actuelle au Moyen-Orient.

En ce qui concerne cette édition : il est évident que Gibran a été


aidé pour sa grammaire et sa ponctuation par diverses personnes, en
particulier par sa muse et rédactrice de longue date, Mary Haskell.
Comme, au cours des cent dernières années, notre façon de lire, aussi
bien que la grammaire, a changé, j’ai modifié la ponctuation et
redéfini plusieurs parties afin de faire ressortir le rythme de la voix de
Gibran pour le lecteur moderne.
Quant à l’utilisation inclusive ou exclusive du genre par Gibran,
j’ai adopté une approche non interventionniste. Tout au long de ses
écrits, Gibran désigne souvent Dieu comme « lui » ; il désigne
également la vie comme « elle » et fait souvent référence aux
« déesses ». Dans l’ensemble, les choses s’équilibrent, c’est ce que l’on
retrouve en lisant des langues avec genre comme l’hébreu ancien ou
l’arabe classique, où le soleil, la lune et divers êtres vivants de la
nature ont un genre. Un bon exemple dans ce recueil est Chant
d’amour de la vague, dans lequel la mer (ici féminin) embrasse le
rivage (masculin). Au lieu d’adhérer aux idées stéréotypées sur le
genre, Gibran nous demande d’aller au-delà de l’humain.
Dans une exception à cette règle d’édition, j’ai substitué
« humanité » par « genre humain ». Cela ne perturbe pas le rythme de
Gibran, et est plus fidèle au mot arabe sous-jacent (et neutre du point
de vue du genre) auquel il pensait, et est une façon plus précise de
l’inclure. De même, j’ai fait de la neutralité de genre dans une des
parties de La Voix du poète de Gibran inclus ici. Vu les événements
actuels au Moyen-Orient, peu différents de ce qui se passait à
l’époque de Gibran, je crois que ce petit changement souligne
l’immédiateté de ses mots.
Pour réaliser ce livre, j’ai placé des citations connues de Gibran à
côté de celles moins connues, organisées en fonction des différents
visages et étapes de l’amour que porte son écriture. Nous
commençons par l’initiation à l’amour – beauté, passion et désir.
Viennent ensuite les nombreuses complexités et défis de l’amour, ses
voiles. Ensuite, nous explorons les différentes facettes des relations
humaines, dans lesquelles l’amour joue à cache-cache avec nous.
Enfin, nous sommes conduits plus loin sur le chemin de l’amour, qui
point au-delà de notre vie humaine.
Comme le recommande Roumi :

Que vous aimiez Dieu ou bien un être humain,


Si vous aimez assez, vous côtoierez l’amour même.

Et comme le dit Gibran avec nostalgie vers la fin du Prophète :

Un petit moment,
et mon désir rassemblera
poussière et écume
pour un autre corps.

Un petit moment,
un moment de repos au vent,
et une autre femme me portera.
Neil DOUGLAS-KLOTZ
Fife, Écosse
Octobre 2017

1. Rahman et rahim signifient respectivement « clément » et « miséricordieux ». La


racine sémitique trilitère commune à ces deux mots désigne plutôt l’empathie ou la pitié
plutôt que l’amour, à moins que ce soit l’amour de son prochain. (N.d.T.)
1

Le début de l’amour

Le printemps de l’amour nous initie à la beauté, au désir


et à la passion. Quel rôle la « fumée » de l’amour joue-t-elle
par rapport à son feu persistant ?
Le printemps de l’amour

Viens, ma bien-aimée,
marchons au milieu des tertres.
Car la neige a fondu,
et la vie a émergé de son sommeil
et elle parcourt les collines et les vallées.

Suivons les traces du printemps


jusqu’aux champs lointains,
et gravissons les collines pour contempler
loin au-dessus des plaines fraîches et vertes.

L’aube du printemps a étalé


sa robe gardée par l’hiver et en a vêtu
les pêchers et les citronniers 1.
Et ils apparaissent comme des mariées dans
leurs robes de cérémonie à la Nuit du Destin 2.
Les brins de vigne
s’embrassent comme les amoureux,
et les ruisseaux s’élancent
dansant parmi les rochers,
répétant le chant de la joie.
Les fleurs bourgeonnent subitement
du cœur de la nature,
telle l’écume qui surgit du cœur abondant de la mer.

Viens ma bien-aimée,
buvons les dernières larmes de l’hiver
dans les coupes en lys
et apaisons 3 nos esprits
avec la mélodie des oiseaux,
et errons dans l’exaltation
à travers la brise enivrante.

Asseyons-nous près de ce rocher où se cachent les


violettes.
Imitons leur échange
des plus doux des baisers.

1. « Pommiers » dans le texte d’origine en arabe. (N.d.T.)


2. Aussi appelée Laylatul Qadr, « la nuit de la Destinée ». Dans la tradition musulmane,
c’est la nuit où le prophète Mohamad a commencé à recevoir pour la première fois le
Coran. Il est souligné en l’un des dix derniers jours du mois de Ramadan. On dit que
cette nuit apporte des bénédictions particulières, ainsi a-t-elle été considérée comme un
temps favorable pour un mariage au Liban.
3. « Remplissons » dans le texte d’origine en arabe. (N.d.T.)
La beauté dans le cœur

Il n’y a que deux éléments ici,


la beauté et la vérité –
la beauté vit dans les cœurs des amoureux
et la vérité dans les bras
des cultivateurs de la terre.

La grande beauté me séduit


mais une beauté encore plus grande me libère,
même d’elle-même.

La beauté brille plus fort


dans le cœur de celui qui la désire
que dans les yeux de celui qui la voit.
Premier amour

J’avais dix-huit ans quand l’amour m’ouvrit les yeux de ses rayons
magiques et toucha mon âme pour la première fois de ses doigts
ardents. Et Selma Karamy fut la première femme qui réveilla mon
esprit de sa beauté et me conduisit dans le jardin de grande affection,
où les jours passent comme des rêves et les nuits comme des
mariages.

Selma Karamy fut celle qui m’apprit à adorer la beauté en


donnant l’exemple de sa propre beauté et qui me révéla le secret de
l’amour par son affection. Elle fut celle qui chanta pour moi pour la
première fois la poésie de la vraie vie.

Chaque jeune homme se souvient de son premier amour et


cherche à saisir à nouveau cet instant étrange, un souvenir qui
change ses sentiments les plus profonds et qui le rend si heureux
malgré toute l’amertume de son mystère.

Il y a une « Selma » dans la vie de chaque jeune homme, qui lui


apparaît soudainement au printemps de la vie, qui transforme sa
solitude en instants de joie et qui emplit de musique le silence de ses
nuits.
J’étais profondément pris par les pensées et la contemplation,
cherchant à comprendre le sens de la nature et la révélation des livres
et des manuscrits quand j’entendis le mot AMOUR murmuré dans
mes oreilles à travers les lèvres de Selma. Ma vie était un coma, vide
comme celle d’Adam au paradis, quand j’ai vu Selma debout devant
moi comme une colonne de lumière. Elle était l’Ève de mon cœur, elle
l’a rempli de secrets et de merveilles et m’a fait comprendre le sens de
la vie.

La première Ève a sciemment fait sortir Adam du paradis, alors


que Selma m’a fait volontairement entrer au paradis de l’amour pur
et de la vertu par sa douceur et sa passion. Mais mon sort fut celui du
premier des hommes, et le mot enflammé qui chassa Adam du
paradis était comme celui qui m’effraya par sa lame aiguisée et qui
m’éloigna du paradis de mon amour sans avoir désobéi à aucun ordre
ni goûté au fruit de l’arbre interdit.

Aujourd’hui, après de nombreuses années, rien ne reste de ce


beau rêve sauf des souvenirs douloureux battant autour de moi
comme des ailes invisibles, remplissant les profondeurs de mon cœur
de désespoir et mes yeux de larmes.

Et ma bien-aimée, ma belle Selma est morte. Et il ne reste plus


rien pour la commémorer sauf mon cœur brisé et une tombe entourée
de cyprès. Cette tombe et ce cœur sont tout ce qui reste pour
témoigner du passage de Selma.

Le silence qui garde la tombe ne révèle pas le secret de Dieu dans


l’obscurité du cercueil. Et le bruissement des branches, dont les
racines aspirent les particules du corps, ne dévoile pas les mystères de
la tombe. Il n’y a que les soupirs torturés de mon cœur pour révéler à
l’existence le drame que l’amour, la beauté et la mort ont joué.

Ô amis de ma jeunesse dispersés dans la ville de Beyrouth !


Lorsque vous passez à côté du cimetière près de la forêt de pins,
entrez-y silencieusement et avancez doucement pour que vos pas ne
perturbent pas le sommeil des morts. Arrêtez-vous humblement
devant la tombe de Selma et saluez la terre qui entoure son cadavre,
rappelez-vous mon nom en poussant un profond soupir et dites-vous :
« Ici sont enterrés tous les espoirs de Gibran, qui vécut comme un
prisonnier de l’amour au-delà des mers. À cet endroit, il a perdu sa
joie, a vidé ses larmes et a oublié le sourire. »

Devant cette tombe, la douleur de Gibran ainsi que les cyprès


grandissent ensemble. Et au-dessus de cette tombe, son esprit brille
chaque nuit en commémorant Selma, rejoignant les branches des
arbres avec des gémissements douloureux, pleurant et se lamentant
du départ de Selma, qui, hier, était une belle mélodie sur les lèvres de
la vie mais n’est plus aujourd’hui qu’un secret silencieux dans la
poitrine de la terre.

Ô camarades de ma jeunesse ! Je fais appel à vous au nom de ces


vierges que vos cœurs ont aimées pour déposer une gerbe de fleurs
sur la tombe abandonnée de ma bien-aimée, car les fleurs que vous
déposez sur la tombe de Selma sont pareilles à des gouttes de rosée
tombant des yeux de l’aurore sur les feuilles d’une rose fanée.
Désir errant

Quand tu étais un désir errant dans le brouillard,


Moi aussi j’y étais, un désir errant.

Ensuite, nous nous sommes cherchés


et de notre désir
les rêves sont nés.

Et les rêves étaient infinis dans le temps


et les rêves étaient sans bornes dans l’espace.

Et quand tu étais un mot silencieux


sur les lèvres tremblantes de la vie,
moi aussi j’y étais, un autre mot silencieux.

Ensuite la vie nous prononça et nous traversâmes les


années
palpitant des souvenirs d’hier
et du désir de demain.

Car hier était la mort conquise


Et demain, la naissance attendue.
Chanter le cœur

Notre esprit est une éponge.


Notre cœur est un torrent.

Quand la vie ne trouve pas


un chanteur pour chanter son cœur,
elle produit un philosophe
pour dire son esprit.
La beauté et l’amour

La beauté a son propre langage divin, plus haut que les voix des
langues et des lèvres. Il s’agit d’un langage sans temps, commun à
toute l’humanité, un lac calme qui attire les ruisselets chantants
jusqu’à ses profondeurs et qui les rend silencieux.
Seuls nos esprits peuvent saisir la beauté, ou vivre et grandir avec
elle. Elle intrigue nos esprits. Nous sommes incapables de la décrire
avec des mots. C’est une sensation que nos yeux ne peuvent voir,
constituée à la fois par les sentiments de celui qui observe et l’essence
de celui qu’on observe.

La vraie beauté est un rayon qui émane du saint des saints de


l’esprit et qui illumine le corps, telle la vie qui jaillit des profondeurs
de la terre et qui donne sa couleur et son parfum à la fleur.

Est-ce que mon esprit et celui de Selma se sont rapprochés le jour


où nous nous sommes rencontrés, et est-ce que ce désir m’a amené à
la voir comme la femme la plus belle sous le soleil ? Ou bien étais-je
enivré par le vin de la jeunesse, qui me faisait imaginer ce qui n’a
jamais existé ?
Ma jeunesse a-t-elle rendu aveugles mes yeux naturels, et m’a-t-
elle fait imaginer l’éclat de ses yeux, la douceur de sa bouche et la
grâce de sa silhouette ? Ou bien sont-ce son éclat, sa douceur et sa
grâce qui m’ont ouvert les yeux et m’ont montré la joie et la peine de
l’amour ?
Il est difficile de répondre à ces questions. Mais, je dis
honnêtement qu’à cette heure-là j’ai ressenti une émotion que je
n’avais jamais ressentie auparavant, une affection nouvelle et calme
dans mon cœur, tel l’esprit flottant au-dessus des mers lors de la
création du monde. Et de cette affection sont nées ma joie et ma
peine.
Ainsi s’acheva l’heure de ma première rencontre avec Selma. Et
c’est ainsi que la volonté céleste me libéra de la chaîne de la jeunesse
et de la solitude et me permit de suivre le cortège de l’amour.
Si vous avez des désirs…

L’amour n’a d’autre désir que de se s’accomplir.

Mais, si vous aimez et que vous ne pouvez échapper


aux désirs,
que ceux-ci soient les vôtres :

Fondre en un ruisseau limpide


qui chante sa mélodie à la nuit.

Connaître la douleur d’un excès de tendresse.

Être blessé par sa propre perception de l’amour


et en saigner volontiers et avec joie.

Vous réveiller à l’aube avec un cœur ailé


et rendre grâce pour une nouvelle journée d’amour.

Vous reposer à midi et méditer l’extase de l’amour.

Regagner votre foyer au soir avec gratitude


Puis vous endormir avec une prière au cœur
pour votre bien-aimée
et un chant de louanges sur vos lèvres.
Décrire le premier amour

Une femme que la Providence a dotée de la beauté d’esprit et de


corps est une vérité, à la fois claire et obscure. Nous ne comprenons
cette vérité que par l’amour et nous ne la touchons que par la vertu.
Et si l’on essayait de décrire une telle femme par des mots, elle
disparaîtrait comme de la vapeur.
Selma Karamy était belle de corps et d’esprit, mais comment
pourrais-je la décrire à celui qui ne l’a jamais connue ?
Un homme mort peut-il se souvenir du chant d’un rossignol, du
parfum d’une rose ou du soupir d’un ruisseau ?
Un prisonnier lourdement menotté peut-il suivre la brise de
l’aube ?
Le silence n’est-il pas plus douloureux que la mort ?
L’orgueil m’empêche-t-il de décrire la silhouette de Selma avec de
vains mots, car je ne peux la dessiner fidèlement avec des couleurs
lumineuses ?
Un homme affamé dans le désert ne refusera pas de manger du
pain sec même si le ciel ne le couvre pas de manne et de cailles.
L’identité erronée

Un jour, la Beauté et la Laideur se rencontrèrent au bord de la mer. Et


elles se dirent : « Allons nous baigner. »
Ensuite elles se dévêtirent et nagèrent dans l’eau. Quelque temps
plus tard, la Laideur s’en retourna au bord de la mer, se revêtit des
habits de la Beauté et partit.
La Beauté émergea de même de la mer sans pouvoir trouver ses
vêtements. Elle eut si honte de sa nudité qu’elle se vêtit des habits de
la Laideur. Et la Beauté reprit son chemin.
Et depuis ce jour, hommes et femmes les confondent.
Pourtant, il y en a qui ont vu le visage de la Beauté et qui la
reconnaissent malgré ses vêtements. Et il y en a qui reconnaissent le
visage de la Laideur et ses atours ne la cachent pas à leurs yeux.
L’été de l’amour

Allons dans les champs ma bien-aimée.


Car la saison de la moisson s’approche,
et les yeux du soleil mûrissent le grain.

Récoltons le fruit de la terre,


car l’esprit se nourrit
des grains de joie
issus de la semence de l’amour
semée au plus profond de nos cœurs.

Remplissons nos corbeilles


avec les produits de la nature,
car la vie remplit généreusement
le royaume de nos cœurs
d’une abondance sans fin.

Faisons des fleurs notre lit


et du ciel notre couverture
et reposons nos têtes ensemble
sur des oreillers de foin doux.

Détendons-nous après notre labeur de la journée


et écoutons le murmure nocturne du ruisseau.
Ô amour

Ils disent que le chacal et la taupe


boivent du même ruisseau
où le lien s’abreuve.

Et ils disent que l’aigle et le vautour


plongent leurs becs dans la même carcasse
et sont en paix, l’un envers l’autre,
en présence de l’objet mort.

Ô Amour, dont la main généreuse


a comblé mes désirs,
et qui a élevé ma faim et ma soif
vers la dignité et la fierté,
ne permets pas au fort et au constant en moi
de manger le pain et de boire le vin
qui tentent mon moi plus faible.

Laisse-moi plutôt crever de faim,


et dessèche mon cœur par la soif
et laisse-moi mourir et périr
avant que je ne tende ma main
vers la coupe que tu n’as pas remplie
ou le bol que tu n’as pas béni.
Le désir est la moitié

Le désir est la moitié de la vie.


L’indifférence est la moitié de la mort.
Entre désir et paix

Ils me disent : « Tu dois choisir entre les plaisirs de ce monde et la


paix de l’au-delà. »

Et je leur réponds : « J’ai choisi à la fois les délices de ce monde et


la paix de l’au-delà. Car je sais du fond de mon cœur que le Poète
Suprême n’a écrit qu’un poème, parfaitement scandé et aux rimes
parfaites. »

La foi est une oasis dans le cœur


qui ne sera jamais atteinte par
la caravane de la pensée.

Quand vous atteindrez votre sommet,


vous ne désirerez que pour le désir.
Et vous n’aurez faim que pour la faim.
Et vous n’aurez soif que d’une soif plus grande.
Dieu se meut dans la passion

Votre raison et votre passion sont le gouvernail et les voiles de votre


âme qui navigue par le monde.
Si vos voiles se déchiraient ou votre gouvernail se brisait, vous ne
pourriez que déraper et dériver, ou bien vous resteriez à l’arrêt en
pleine mer.
Car la raison régnant seule est une force restreinte. Et la passion
abandonnée par la raison est un brasier qui se consume jusqu’à sa
propre destruction.
Laissez donc votre âme exalter votre raison au comble de la
passion qu’elle pourrait en chanter.
Et laissez-la guider votre passion avec raison, pour que votre
passion puisse vivre en ressuscitant chaque jour et tel le Phénix,
qu’elle s’élève au-dessus de ses propres cendres.
Je voudrais que vous considériez votre discernement et votre désir
comme si vous aviez deux précieux convives dans votre foyer.
Certes, vous ne voudriez pas honorer un invité plus que l’autre,
car privilégier l’un vous fera perdre l’amour et la foi des deux.
Quand vous serez assis parmi les collines, à l’ombre fraîche des
peupliers blancs, partageant la paix et la sérénité des champs et des
prés lointains, laissez votre cœur dire en silence : « Dieu repose dans
la raison. »
Et lorsque vient l’orage, que le vent puissant secoue la forêt et que
le tonnerre et l’éclair proclament la majesté du ciel, laissez votre
cœur effrayé dire : « Dieu se meut dans la passion. »
Et puisque vous êtes un souffle de la création de Dieu et une
feuille de sa forêt, vous aussi vous devriez vous reposer dans la raison
et vous mouvoir dans la passion.
Les voix enchantées

[Les anciens dieux de la Terre, las et abattus, débattent du but de la


vie ou de son absence, jusqu’à ce que l’un d’entre eux remarque…]

Un jeune dans la vallée


chante son cœur pour la nuit.
Sa lyre est d’or et d’ébène.
Sa voix est d’argent et d’or.

Dans le bosquet de myrte


une fille danse pour la lune
mille étoiles de rosée miroitent dans ses cheveux
mille ailes battent autour de ses pieds.

La fille a trouvé le chanteur !


Elle voit son visage enchanté.
Telle une panthère, elle glisse d’une démarche subtile
à travers vigne et fougères qui bruissent.
Et maintenant, au milieu de ses sanglots ardents
il la fixe du regard.

Ô mes frères, mes frères insouciants !


Est-ce un autre dieu exalté
qui a tissé cette toile écarlate et blanche ?
Quelle étoile débridée s’est égarée ?
Quel secret la nuit cache-t-elle au matin
et quelle main surplombe notre monde ?

Ils se rencontrent,
comme deux âmes liées aux étoiles
se rencontrent dans le ciel.

Ils regardent en silence


l’un vers l’autre.
Il ne chante plus,
et pourtant sa gorge brûlée par le soleil
vibre avec la chanson.
Et dans son corps
la danse joyeuse s’est figée
mais ne s’est pas assoupie.

Frères, mes étranges frères !


La nuit est plus profonde,
et la lune est plus brillante,
et entre le pré et la mer
une voix en extase nous appelle vous et moi.
Votre corps est la harpe de votre âme

Dites-moi qui est celui qui peut blesser l’esprit ?


Le rossignol peut-il troubler le silence de la nuit, la luciole peut-
elle perturber la lumière des étoiles ?
Et votre flamme ou votre fumée peuvent-elles être un fardeau
pour le vent ?
Pensez-vous que l’esprit est une mare immobile que vous pouvez
perturber avec un bâton ?
Souvent, en vous refusant le plaisir, vous ne faites que conserver
le désir dans les recoins de votre être.
Qui sait si ce qui semble être négligé aujourd’hui attendra
demain ?
Même votre corps connaît son héritage et son besoin légitime et
ne se trompe pas.
Et votre corps est la harpe de votre âme.
À vous d’en tirer une musique douce ou des sons confus.
Et maintenant vous demandez dans votre cœur : « Comment
distinguons-nous ce qui est bon dans le plaisir de ce qui ne l’est
pas ? »
Allez dans vos champs et vos jardins et vous apprendrez que c’est
le plaisir de l’abeille de recueillir le miel de la fleur.
Mais c’est aussi le plaisir de la fleur de donner son miel à l’abeille.
Pour l’abeille, une fleur est une fontaine de vie, et pour la fleur,
une abeille est un messager de l’amour.
Et pour l’abeille et la fleur, les deux, donner et recevoir le plaisir
est un besoin et une extase.
Le corps est un volcan

Si votre corps est un volcan


comment pouvez-vous espérer que les fleurs
s’épanouissent dans vos mains ?

Je suis la flamme
et je suis le buisson sec.
Et une partie de moi
consume l’autre partie.
L’amour à travers les âges

Le jeune poète dit à la princesse : « Je vous aime. »


Et la princesse répondit : « Je vous aime aussi mon enfant. »
« Mais je ne suis pas votre enfant. Je suis un homme et je vous
aime. »
Et elle dit : « Je suis la mère de fils et de filles, et ils sont les pères
et les mères de fils et de filles. Et l’un des fils de mes fils est plus âgé
que vous. »
Et le jeune poète insista : « Mais je vous aime. »
Peu de temps après, la princesse mourut. Mais, avant que son
dernier souffle ne soit recueilli à nouveau par le plus grand souffle de
la terre, elle dit dans son âme :
« Mon bien-aimé, mon fils unique, mon jeune poète, il se peut que
nous nous rencontrions un jour et que je ne sois pas âgée de soixante-
dix ans. »
Un désir inachevé

Salomé parlant de Jésus à une amie :

Il était pareil aux peupliers


étincelant au soleil,
et pareil à un lac parmi les collines isolées,
brillant au soleil.
Et pareil à la neige sur les sommets des montagnes
blanc, blanc au soleil.

Oui, il était comme tous ceux-là


et je l’aimais.

Pourtant, je craignais sa présence,


et mes pieds ne soutenaient pas
mon fardeau d’amour
car je me serais jetée à ses pieds
pour les enlacer avec mes bras.

J’aurais voulu lui dire :


« J’ai égorgé votre ami 1 dans un moment de passion.
Pardonneriez-vous mon péché ?
Et ne libéreriez-vous pas ma jeunesse par pitié
de son acte aveugle
pour qu’elle puisse marcher, guidée par votre
lumière ? »

Je sais qu’il aurait


pardonné ma danse
pour la sainte tête de son ami.
Je sais que j’aurais inspiré
une partie de ses propres enseignements.

Car il n’y avait aucune vallée de la faim


qu’il ne pouvait couvrir d’un pont,
ni aucun désert de soif
qu’il ne pouvait traverser.

Oui, il était même comme les peupliers


et comme les lacs parmi les collines
et comme la neige qui couvre le mont Liban.

Et j’aurais refroidi mes lèvres


dans les plis de son vêtement.

Mais il était loin de moi


et j’avais honte.
Et ma mère me retenait
quand le désir de le chercher me submergeait.

Chaque fois qu’il passait,


mon cœur souffrait par sa beauté
mais ma mère le regardait en fronçant les sourcils avec
mépris
et me poussait de la fenêtre
à ma chambre.

Et elle pleurait à haute voix en disant :


« Qui est-il sauf un autre mangeur de sauterelles du
désert ?
Qu’est-il sauf un moqueur et un renégat,
un semeur d’émeutes séditieux,
qui nous volerait le sceptre et la couronne,
et nous offrirait aux renards et aux chacals de sa terre
maudite
hurlant dans nos couloirs et souillant notre trône ?
Va cacher ton visage de ce jour,
et attends le jour où sa tête tombera,
ailleurs que sur ton plateau. »

Ainsi dit ma mère.


Mais mon cœur ne tint pas compte de ses mots.

Je l’aimais en secret,
et mon sommeil était
entouré de flammes.

Maintenant, il est parti.


Et quelque chose
qui était en moi
est parti aussi.

Peut-être était-ce ma jeunesse


qui ne s’attarde pas ici,
depuis que le dieu de la jeunesse a été égorgé.
1. Épisode de la Bible où Jean le Baptiste fut décapité sur l’ordre d’Hérode Antipas,
après que Salomé l’eut charmé par sa danse. (N.d.T.)
Une passion inassouvie

Dans la cité de Shawakis vivait un prince, et il était aimé de tous,


hommes, femmes et enfants. Même les animaux du champ venaient
auprès de lui pour le saluer.
Cependant, tous les gens disaient que sa femme, la princesse, ne
l’aimait pas. Voire qu’elle le détestait.
Et un jour, la princesse d’une cité voisine vint rendre visite à la
princesse de Shawakis. Et elles s’assirent et parlèrent ensemble, et
leur discussion en vint à leurs époux.
Et la princesse de Shawakis déclara avec passion : « Je vous envie
votre bonheur avec le prince, votre époux, quand bien même vous
seriez mariés depuis tant d’années. Je déteste mon époux. Il ne
m’appartient pas à moi seule, et je suis en effet une femme très
malheureuse. »
Alors son invitée la regarda et dit : « Mon amie, la vérité est que
vous aimez votre époux. Oui, et vous avez toujours pour lui une
passion inassouvie. Et c’est ce qui donne la vie chez une femme,
comme le printemps dans un jardin. Mais, ayez pitié de moi et de
mon époux, car nous nous supportons avec une patience silencieuse.
Et pourtant, vous et les autres y voyez du bonheur. »
Toutes les étoiles de ma nuit s’éteignirent

Marie Madeleine parlant de sa première rencontre avec Jésus :

C’était le mois de juin quand je le vis pour la première fois. Il


marchait dans le champ de blé alors que je passais avec mes
servantes, il était seul.
Le rythme de ses pas était différent de celui des autres hommes et
le mouvement de son corps ne ressemblait à rien de ce que j’avais vu
auparavant.
Les hommes ne parcourent pas la terre de cette manière. Et même
maintenant, je ne saurais affirmer s’il marchait vite ou lentement.
Mes servantes le pointèrent du doigt et murmurèrent timidement.
Et je m’arrêtai un instant et levai la main pour le saluer. Mais il ne
tourna pas son visage et ne me regarda pas. Et je le détestai. Je me
repliai sur moi-même et j’avais aussi froid que si je m’enfonçais dans
une congère. Et je frissonnai.
Cette nuit-là, je le vis dans mes rêves. Et on me dit par la suite
que je criais dans mon sommeil et que j’étais agitée.
C’était au mois d’août que je le revis par la fenêtre. Il était assis à
l’ombre du cyprès dans mon jardin et il était immobile comme s’il eut
été sculpté dans la pierre, telles les statues à Antioche et dans
d’autres villes du Pays du Nord.
Et mon esclave, l’Égyptienne, vint vers moi et me dit : « Cet
homme est à nouveau ici. Il est assis là dans ton jardin. »
Et je l’observai et mon âme tressaillit au fond de moi, car il était
beau. Son corps était unique et chaque partie semblait aimer toutes
les autres.
J’endossai alors un vêtement de soie de Damas, quittai ma maison
et me dirigeai vers lui.
Était-ce ma solitude ou était-ce son parfum qui m’attirait vers lui ?
Était-ce une faim dans mes yeux qui désirait sa beauté ou bien était-
ce sa beauté qui s’accaparait la lumière de mes yeux ?
Je ne le sais toujours pas.
Je me dirigeai vers lui avec mes vêtements parfumés et mes
sandales dorées que le capitaine romain m’avait offertes.
Et quand je l’eus atteint, je l’abordai : « Bonjour à vous. »
Et il me répondit : « Bonjour à vous Miriam. »
Puis il me regarda, et ses yeux profonds me dévisagèrent comme
aucun homme ne l’avait fait. Et soudain je me sentis toute nue et j’en
fus gênée.
Pourtant il n’avait pas prononcé d’autres mots que : « Bonjour à
vous. »
Ensuite je lui ai dit : « Ne viendriez-vous pas chez moi ? »
Et il me répondit : « Ne suis-je pas déjà chez vous ? »
Je ne compris pas ce qu’il voulait dire, mais je le sais maintenant.
Et j’ai dit : « Ne partageriez-vous pas du vin et du pain avec
moi ? »
Et il déclina : « Si Miriam, mais pas maintenant. »
« Pas maintenant, pas maintenant », dit-il. Et le grondement de la
mer était dans ces deux mots, et le murmure du vent et des arbres. Et
quand il me les dit, la vie parla à jamais.
Or, mon ami, j’étais morte. J’étais une femme qui s’était séparée
de son âme. Je vivais à l’écart de ce moi que vous voyez maintenant.
J’appartenais à tous les hommes et à aucun. Ils me traitaient de
prostituée et de possédée de sept démons. J’étais maudite et enviée.
Mais quand ses yeux d’aurore me regardèrent dans les yeux,
toutes les étoiles de ma nuit s’éteignirent et je devins Miriam,
seulement Miriam, une femme perdue pour la terre qu’elle avait
connue et se retrouvant en de nouveaux lieux.
Et maintenant, j’insistai : « Venez chez moi, partageons du pain et
du vin. »
Et il répondit : « Pourquoi me demandez-vous d’être votre
invité ? »
Et je suppliai : « Je vous prie de venir chez moi. »
Et tout ce qui était terre en moi et tout ce qui était ciel en moi
m’incitait à l’implorer.
Il me regarda alors et le soleil de ses yeux se posa sur moi. Il dit :
« Vous avez plusieurs amants et pourtant je suis le seul à vous aimer.
Les autres hommes s’aiment eux-mêmes à vos côtés. Je vous aime
dans votre être. Les autres hommes voient en vous une beauté qui se
fanera plus rapidement que leur propre jeunesse. Mais je vois en vous
une beauté qui ne se flétrira pas. Et à l’automne de votre vie cette
beauté ne craindra pas de se contempler dans un miroir, et elle ne
s’offusquera point. Moi seul j’aime l’invisible en vous. »
Puis il continua d’une voix basse : « Partez à présent. Si ce cyprès
est à vous et si vous ne voulez pas que je m’asseye à son ombre, je
poursuivrai mon chemin. »
Et je lui criai : « Maître, venez donc chez moi ! J’ai de l’encens à
brûler pour vous et une bassine d’argent pour laver vos pieds. Vous
êtes un étranger et pourtant vous ne l’êtes pas ici. Je vous en supplie,
venez chez moi ! »
Alors il se leva et me regarda, telles les saisons dominant du
regard les champs, et il sourit. Il me dit de nouveau : « Tous les
hommes vous aiment pour eux-mêmes, je vous aime pour vous. »
Puis il s’éloigna.
Mais aucun autre homme n’a jamais marché comme lui. Était-ce
un souffle né dans mon jardin qui se déplaçait vers l’est ? Ou était-ce
une tempête qui bouleversait toute chose jusqu’aux racines ?
Je l’ignorais, mais ce jour-là, le coucher de soleil de ses yeux tua
le dragon en moi et je devins une femme. Je devins Miriam, Miriam
de Magdala.
2

Les voiles de l’amour

À mesure que l’amour mûrit, nous sommes mis


au défi par la culture qui nous entoure ainsi
que par les suppositions et les illusions non exprimées que nous
possédons. Les larmes viennent avec la séparation, la solitude
et le désir. À travers toutes ces expériences, l’amour se voile
et se dévoile.
Les cadeaux de l’amour

L’amour m’a offert


une langue et des larmes.
Le cœur en cage

Au milieu du champ, au bord d’un ruisseau cristallin, je vis une cage


d’oiseau dont les barreaux et les charnières furent forgés par les
mains d’un expert. Dans un coin se trouvait un oiseau mort et dans
l’autre deux bassins, l’un vide d’eau et l’autre de graines.
Je me tenais là respectueusement, comme si l’oiseau sans vie et le
murmure de l’eau méritaient un profond silence et respect – quelque
chose qui méritait d’être examiné et médité avec le cœur et en
conscience.
En observant et en réfléchissant, je me rendis compte que la
pauvre créature était morte de soif au bord d’un ruisseau d’eau et de
faim au milieu d’un champ fertile, un berceau de la vie. C’était
comme si un homme riche s’enfermait dans son coffre-fort, et qu’il
mourait de faim au milieu d’or.
Devant mes yeux, je vis soudain la cage se transformer en un
squelette humain et l’oiseau mort en cœur d’homme qui saignait
d’une profonde blessure pareille aux lèvres d’une femme triste.
Une voix issue de cette blessure dit : « Je suis le cœur humain,
prisonnier de la matière et victime des lois de la terre.
« Dans le champ de la beauté de Dieu, au bord de la source de la
vie, j’ai été emprisonné dans la cage des lois promulguées par
l’humanité.
« Au centre de la belle création, je suis mort négligé, car j’étais
privé de liberté de la bonté divine.
« Toute beauté qui éveille mon amour et mon désir est une honte,
selon les lois humaines. Toute bonté à laquelle j’aspire n’est rien selon
ces jugements.
« Je suis le cœur humain perdu, emprisonné dans le cachot
immonde des préceptes humains, enchaîné par l’autorité terrestre,
mort et oublié par l’humanité réjouie dont la langue est nouée et dont
les yeux sont vides de larmes visibles. »
J’entendis toutes ces paroles et je les vis émerger avec un ruisseau
de sang de plus en plus mince provenant de ce cœur blessé.
Il parla encore, mais mes yeux embués et mon âme en pleurs
m’empêchèrent de voir ou d’entendre davantage.
L'amour ou la loi

Ceux qui retournent à l’Éternité avant de goûter à la douceur de la


vie réelle sont incapables de comprendre le sens de la souffrance
d’une femme tiraillée entre son âme, qu’elle consacre à un homme
qu’elle aime par la volonté de Dieu, et son corps, qu’elle doit à un
autre qu’elle caresse par application de la loi terrestre.
Trois personnes séparées

Trois personnes étaient séparées dans leurs pensées mais unies dans
leur amour, trois personnes innocentes avec beaucoup de sentiments
mais peu de connaissance.
Un drame était joué par : un vieil homme qui aimait sa fille et qui
se souciait de son bonheur, une jeune femme de vingt ans qui
observait l’avenir avec anxiété et un jeune homme, rêveur et inquiet,
qui n’avait goûté ni le vin de la vie ni son vinaigre, et qui essayait
d’atteindre le sommet de l’amour et de la connaissance mais était
incapable de se lever.
Nous trois, assis au crépuscule, nous mangions et buvions dans
cette maison solitaire, gardée par les yeux du ciel, mais au fond de
nos verres se cachaient amertume et angoisse.
Ce que les amoureux embrassent

Les amoureux embrassent ce


qui se trouve entre eux
plutôt qu’ils ne s’embrassent l’un l’autre.
Deux sortes d’amour

Un homme et une femme s’assirent près d’une fenêtre qui donnait sur
le printemps. Ils s’assirent près l’un de l’autre.
Et la femme dit : « Je vous aime. Vous êtes beau, vous êtes riche et
vous êtes toujours bien vêtu. »
Et l’homme dit : « Je vous aime. Vous êtes une belle pensée, une
chose bien lointaine pour tenir dans la main et une chanson dans mes
rêves. »
Mais la femme se détourna de lui avec colère et dit : « Monsieur, à
présent laissez-moi s’il vous plaît. Je ne suis ni pensée ni une chose
qui passe dans vos rêves. Je suis une femme. Je voudrais que vous me
désiriez, comme une épouse et comme la mère des enfants à venir. »
Et ils se séparèrent.
Et l’homme se disait dans son cœur : « Un autre rêve est encore en
train de s’évanouir comme un brouillard. »
Et la femme se disait : « Qu’est-ce que cet homme qui me
transforme en brouillard et en rêve ? »
Qui aimons-nous ?

Quand je me suis tenu, comme un miroir clair devant


vous,
vous avez regardé en moi et vu votre image.

Ensuite, vous avez dit : « Je vous aime. »


Mais en vérité, vous avez aimé vous-même en moi.

L’amour est le voile entre aimé et amant.


Rire et larmes

Alors que le soleil retirait ses rayons du jardin et que la lune lançait
des faisceaux de velours sur les fleurs, je m’assis sous les arbres,
réfléchissant aux phénomènes du climat et regardant à travers les
branches les étoiles qui scintillaient comme des éclats d’argent sur un
tapis bleu. Et j’entendais de loin le murmure agité du ruisseau qui
chantait en dévalant la vallée.
Lorsque les oiseaux prirent refuge parmi les branchages, que les
fleurs eurent plié leurs pétales et que le grand silence s’installa,
j’entendis un bruissement de pas dans l’herbe. Je prêtai attention et
vis un jeune couple s’approcher de mon abri. Ils s’assirent sous un
arbre où je pouvais les observer sans être repéré.
Après avoir regardé dans toutes les directions, le jeune homme
dit : « Assieds-toi près de moi ma bien-aimée et écoute mon cœur.
Souris car ta joie est le symbole de notre avenir. Sois joyeuse car les
jours brillants se réjouissent avec nous.
« Mon âme m’avertit du doute dans ton cœur, mais le doute en
amour est un péché. Bientôt, tu seras la propriétaire de cette vaste
terre, éclairée par cette belle lune. Bientôt, tu seras la maîtresse de
mon palais et tous les serviteurs et toutes les servantes obéiront à tes
ordres.
« Souris ma bien-aimée, comme l’or qui sourit des coffres de mon
père.
« Mon cœur refuse de te cacher son secret. Douze mois de confort
et de voyage nous attendent. Pendant un an, nous dépenserons l’or
de mon père à visiter les bords des lacs bleus de Suisse, à admirer les
monuments d’Italie et d’Égypte, et à nous reposer sous les cèdres
sacrés au Liban. Tu rencontreras des princesses qui t’envieront pour
tes bijoux et tes parures.
« Je ferai toutes ces choses pour toi. Seras-tu satisfaite ? »
Peu de temps après, je les vis marcher, écrasant les fleurs comme
le pas du riche sur le cœur du pauvre.
À mesure que je les perdais de vue, j’entamai une comparaison
entre l’amour et l’argent et une analyse de leur place dans le cœur.
L’argent ! L’origine de l’amour dépourvu de sincérité, la source de la
fausse lumière et de la fausse fortune, le puits d’eau empoisonnée, le
désespoir de la vieillesse !
J’errais toujours dans le vaste désert de la contemplation
lorsqu’un couple triste et pâle passa près de moi et s’assit sur l’herbe :
un jeune homme et une jeune femme qui avaient abandonné leurs
cabanes de fermiers dans les champs avoisinants pour cet endroit
frais et solitaire.
Après quelques instants de silence absolu, j’entendis les mots
suivants entrecoupés de soupirs par des lèvres mordues par le temps.
« Ne verse pas de larmes ma bien-aimée. L’amour qui ouvre nos
yeux et qui a fait de nos cœurs ses adorateurs peut nous donner la
bénédiction de la patience. Sois consolée pour notre attente, car nous
avons prêté serment et sommes entrés dans le sanctuaire de l’amour.
Notre amour grandira ainsi à travers les épreuves. C’est bien au nom
de l’amour que nous subissons les obstacles de la pauvreté, les affres
de la misère et le vide de la séparation. J’affronterai ces épreuves
jusqu’à ce que je triomphe et que je dépose entre tes mains une force
qui aidera à tout surmonter pour achever le voyage de la vie.
« L’amour – qui est Dieu – considérera nos esprits et nos larmes
comme de l’encens brûlé sur son autel et nous récompensera avec
force. Au revoir ma bien-aimée. Il faut que je parte avant que la lune
ne disparaisse. »
Une voix pure, combinée à la flamme dévorante de l’amour, à
l’amertume sans espoir du désir inassouvi et à la douceur résolue de
la patience, dit : « Au revoir mon bien-aimé. »
Ils se séparèrent et l’élégie de leur union fut étouffée par les
gémissements de mon cœur en pleurs.
Je contemplai la nature endormie et y découvris par une profonde
réflexion la réalité d’une chose vaste et infinie – une chose qu’aucun
pouvoir ne pourrait exiger, influencer ou acquérir, et qu’aucun riche
ne pourrait acheter. Elle ne pourrait pas non plus être effacée par les
larmes du temps ou étouffée par le chagrin – une chose que l’on ne
peut découvrir ni au bord des lacs bleus de la Suisse ni dans les beaux
monuments d’Italie. C’est une chose qui prend de la force avec
patience, grandit malgré les obstacles, se réchauffe en hiver, fleurit au
printemps, souffle une brise en été et porte des fruits en automne. J’ai
trouvé l’amour.
L’amour purifié par les larmes

Des cœurs unis par le chagrin


ne seront pas séparés par la gloire du bonheur.
L’amour purifié par les larmes
restera pur et beau éternellement.
Le cœur d’une femme

Selma m’a dit :


« Le cœur d’une femme ne changera pas avec le temps ou les
saisons. Même s’il meurt à jamais, il ne sera pas pour autant perdu.
« Le cœur d’une femme est comme un terrain transformé en
champ de bataille. Après que les arbres sont déracinés, que l’herbe est
brûlée, que les roches sont rouges de sang, et que la terre est
parsemée d’os et de crânes, il reste calme et silencieux comme si de
rien n’était.
« Car le printemps et l’automne viennent à tour de rôle et
reprennent le travail. »
L’amour caresse et écrase

De même qu’il vous couronne


l’amour vous crucifiera.
De même qu’il vous fait grandir,
l’amour vous élaguera.
De même qu’il se porte à votre hauteur
et caresse vos plus tendres branches
qui tremblent au soleil,
l’amour tombera à vos racines
et secouera leurs attaches à la terre.

Telles des gerbes de maïs


l’amour vous attire à lui.
L’amour vous bat pour vous mettre à nu.
L’amour vous tamise pour vous libérer de vos coques.
L’amour vous broie jusqu’à la blancheur.
L’amour vous pétrit jusqu’à ce que vous soyez malléable,
alors il vous assigne à son feu sacré
pour que vous deveniez
pain pour la fête sacrée de Dieu.

L’amour accomplit tout cela pour vous


afin que vous connaissiez les secrets de votre cœur,
et par cette connaissance
que vous deveniez un fragment du cœur de la vie.
L’automne de l’amour

Allons cueillir des raisins


dans la vigne pour remplir la cuve
et conservons le vin dans de vieux vases
comme l’esprit garde la connaissance des âges
dans la vaisselle éternelle.

Rentrons dans notre foyer,


car le vent a fait tomber les feuilles jaunes
et enroulé les fleurs fanées
qui murmurent une élégie à l’été.

Rentrons, mon éternel amour !


Les oiseaux sont en pèlerinage vers la chaleur
et ont quitté les prairies gelées
souffrant de solitude.
Le jasmin et le myrte
n’ont plus de larmes.
Rentrons
car le ruisseau fatigué a cessé de chanter
les sources bouillonnantes sont
vidées de leurs larmes abondantes,
et les vieilles collines prudentes ont
ôté leurs parures colorées.

Viens ma bien-aimée !
La nature est bien fatiguée et
elle présente ses adieux à l’enthousiasme
d’une calme et satisfaite mélodie.
Entre cœur et âme

Un amoureux parlait à sa bien-aimée :

Blâmer ne détourne jamais le cœur de son dessein


et la solitude ne détourne pas l’âme de la vérité.

Un homme entre son cœur et son âme


est comme une branche tendre
battue par les vents du nord et du sud.

Je te suis, ô amour !
Que veux-tu de moi ?
J’ai marché avec toi
sur le chemin enflammé,
et quand j’ouvris les yeux,
je ne vis qu’obscurité.
Mes lèvres tremblaient
mais tu ne les laissas prononcer
que des mots de misère.

Amour, tu as rendu mon cœur affamé


de la douceur de ta présence
car je suis faible et tu es fort.
Pourquoi luttes-tu contre moi ?

Les ruisseaux se précipitent vers leur amoureuse, la


mer.
Les fleurs sourient à leur être chéri, le soleil.
Les nuages descendent vers leur prétendante, la vallée.
Je suis inaudible par les ruisseaux,
invisible pour les fleurs
inconnu par les nuages.

Quand je découvris que tu étais une princesse,


et que j’eus constaté ma pauvreté,
j’appris que Dieu possédait
un secret non révélé à l’humanité :
qu’un chemin secret mène l’esprit aux
endroits où l’amour pourrait oublier
les coutumes de la terre.

Quand j’ai regardé tes yeux,


je sus que ce chemin mène au paradis
dont la porte est le cœur humain.
Les larmes et les gouttes de rosée

Vous pouvez oublier celui


avec qui vous avez ri,
mais jamais celui
avec qui vous avez pleuré.

Il doit y avoir quelque chose d’étrangement sacré dans


le sel.
Il se trouve à la fois dans nos larmes et dans la mer.

Notre Dieu dans sa soif gracieuse


nous boira tous,
la goutte de rosée et la larme.
Profondeur

Il en a toujours été ainsi :


l’amour ne connaît pas sa propre profondeur
jusqu’à l’instant de la séparation.
Où es-tu maintenant mon autre moi ?

Ô compagne de mon âme, où es-tu ?


Te souviens-tu du jour de notre rencontre, lorsque ton esprit
rayonnant nous entoura tel un halo de lumière et que les anges de
l’amour flottèrent autour de nous, chantant les louanges des actes de
l’âme ?
Te souviens-tu que nous nous assîmes à l’ombre des branches,
elles nous abritaient de l’humanité, comme des côtes protégeant le
secret divin du cœur des blessures ?
Te souviens-tu des sentiers et des forêts que nous parcourions,
main dans la main, et nos têtes penchées l’une contre l’autre, comme
si nous nous cachions en nous-mêmes ?
Te souviens-tu du moment où je te dis adieu et du baiser que tu
posas sur mes lèvres ? Ce baiser m’apprit que joindre des lèvres en
amour révèle de profonds secrets que la langue est incapable
d’exprimer !
Ce baiser était une introduction à un grand soupir, comme le
souffle du Tout-Puissant qui transforma la terre en un être humain.
Je me souviens quand tu m’embrassas encore et encore, des
larmes coulant sur tes joues, et que tu as dit : « Les corps terrestres
doivent souvent se séparer pour des raisons terrestres et doivent vivre
séparés, par une volonté qui les dépasse.
« Mais l’esprit reste en sécurité entre les mains de l’amour, jusqu’à
ce que la mort arrive et amène les âmes unies jusqu’à Dieu.
« Va mon bien-aimé. L’amour t’a élu comme délégué. Obéis-lui, car
il est la Beauté qui offre à son adepte la coupe de la douceur de la
vie. »
Où es-tu maintenant, mon autre moi ? Es-tu réveillée dans le
silence de la nuit ? Laisse la brise pure te transmettre chaque
battement et chaque affection de mon cœur.
Caresses-tu mon visage dans ta mémoire ? Cette image n’est plus
la mienne, car le chagrin a jeté son ombre sur mon visage heureux du
passé.
Les sanglots ont fané mes yeux, qui reflétaient ta beauté, et ont
séché mes lèvres que tu adoucissais de tes baisers.
Où es-tu ma bien-aimée ? Entends-tu mes pleurs au-delà des
océans ? Comprends-tu mon dénuement ? Connais-tu l’étendue de
ma patience ?
Où es-tu ma belle étoile ? L’obscurité de la vie m’a jeté sur son
sein. Le chagrin m’a conquis.
Fais naviguer ton sourire dans les airs. Il me parviendra et me
réanimera !
Instille ton parfum dans l’air. Il me maintiendra en vie !
Oh, comme l’amour est grand et comme je suis petit !
Qui crucifie le soleil ?

Suzannah de Nazareth parle de Marie, la mère de Jésus :

Il y a deux sabbats, mon cœur était serré comme une pierre dans ma
poitrine, car mon fils m’avait quittée pour partir à bord d’un navire à
Tyr. Il voulait devenir marin. Et il m’annonça qu’il ne reviendrait plus.
Et un soir, je cherchai Marie.
Quand j’entrai chez elle, elle était assise derrière son métier à
tisser mais elle ne tissait pas. Elle regardait le ciel au-delà
de Nazareth.
Et je la saluai : « Bonjour Marie. »
Et elle tendit le bras vers moi et dit : « Viens t’asseoir à côté de
moi et regardons le soleil versant son sang sur les collines. »
Je m’assis à côté d’elle sur le banc et nous regardâmes vers l’ouest
à travers la fenêtre.
Et après un moment, Marie dit : « Je me demande qui crucifie le
soleil ce soir ? »
Ensuite, je dis : « Je suis venue vers toi cherchant le réconfort.
Mon fils m’a quittée pour la mer et je suis seule dans la maison d’en
face. »
Puis Marie dit : « Je voudrais te réconforter mais comment puis-je
le faire ? »
Et je lui répondis : « Si tu parles uniquement de ton fils je serai
réconfortée. »
Marie me sourit alors, posa sa main sur mon épaule et dit : « Je
vais parler de lui. Ce qui te consolera me donnera la consolation. »
Ensuite elle parla de Jésus et elle parla longuement de tout ce qui
advint au début.
Et il me semblait qu’il n’y avait aucune différence entre son fils et
le mien dans son discours, car elle me dit : « Mon fils aussi est marin.
Pourquoi ne confierais-tu pas ton fils aux vagues, alors que je leur ai
fait confiance ?
« La femme sera pour toujours la matrice et le berceau mais
jamais le tombeau. Nous mourons afin de donner la vie à la vie,
même si nos doigts tissent le fil pour l’habit que nous ne porterons
jamais.
« Et nous lançons le filet pour le poisson que nous ne goûterons
jamais.
« Et pour cela nous sommes affligées, mais c’est dans tout cela que
réside notre joie. »
Ainsi me parla Marie.
Et je la quittai et rentrai chez moi. Et même si la lumière du jour
était partie, je m’assis derrière mon métier à tisser pour tisser plus
d’étoffe.
Les saisons de votre cœur

Votre chagrin est la rupture de la coque


qui enferme votre compréhension.

De même que la coque dure du fruit doit se casser


pour que son cœur retrouve la lumière du soleil
vous devrez connaître le chagrin.

Si vous gardiez votre cœur dans l’émerveillement


aux miracles quotidiens de votre vie,
votre chagrin ne semblerait pas
moins merveilleux que votre joie.

Et vous accepteriez les saisons de votre cœur,


comme vous avez toujours accepté
les saisons qui défilent sur vos champs.
Grand désir

Le fou dit :

Ici je m’assieds, entre mon frère la montagne et ma sœur la mer.


Nous trois sommes unis dans la solitude, et l’amour qui nous unit
est profond, puissant et étrange. Non, il est plus profond que la
profondeur de ma sœur et plus puissant que la puissance de mon
frère et plus étrange que l’étrangeté de ma folie.
Des éternités se sont écoulées depuis que la première aube grise
nous a rendus visibles les uns aux autres. Et bien que nous ayons vu
la naissance, la plénitude et la mort de nombreuses personnes, nous
sommes toujours avides et jeunes.
Nous sommes jeunes et avides, et pourtant nous sommes seuls et
vierges. Et bien que nous soyons dans une demi-étreinte
ininterrompue, nous sommes mal à l’aise. Et quel confort y a-t-il pour
un désir contrôlé et une passion inassouvie ? D’où viendra le dieu
enflammé pour réchauffer le lit de ma sœur ? Et quel déluge éteindra
le feu de mon frère ? Et qui est la femme qui commandera mon
cœur ?
Dans le silence de la nuit, ma sœur murmure dans son sommeil le
nom inconnu du dieu du feu et mon frère appelle la déesse fraîche et
lointaine. Mais qui puis-je appeler dans mon sommeil ? Je ne saurais
dire.
Ici je m’assieds entre mon frère la montagne et ma sœur la mer.
Nous trois sommes unis dans la solitude et l’amour qui nous unit est
profond, puissant et étrange.
Désir au-delà des mots

Nous flottions, errions,


des créatures désireuses
des milliers de milliers d’années
avant que la mer et le vent dans la forêt
ne nous donnent des mots.

À présent, comment pouvons-nous exprimer


l’héritage des jours en nous
avec pour seules paroles les sons
de notre proche passé ?

Le Sphinx ne parla qu’une fois


et le Sphinx dit :
« Un grain de sable est un désert,
et un désert est un grain de sable.
À présent, gardons silence à nouveau. »
Seul ?

Seul ?
Eh bien ?
Seul tu es venu,
et seul, tu disparaîtras
à travers la brume.

Bois donc ta coupe


seul et en silence.

Les jours d’automne ont donné


d’autres lèvres, d’autres coupes et
les ont remplies de vin,
amer et doux,
comme ils ont
rempli ta coupe.

Bois ta coupe seul


bien qu’elle ait le goût de
ton propre sang et tes propres larmes
et loue la vie
car elle t’a fait le don de la soif.
Car sans la soif
ton cœur n’est que
le rivage désert d’une mer
sans chant et sans marée.
Desceller le cœur

Comment peut-on desceller mon cœur


sans le briser ?
Seuls un grand chagrin ou une grande joie
peuvent révéler votre vérité.
Si vous étiez révélé
vous devriez
danser nu au soleil
ou bien porter votre croix.
Parler au cœur et l’écouter

La voix de la vie en moi ne peut


atteindre l’oreille de la vie en vous,
mais parlons pour
ne pas nous sentir seuls.

Si l’on devait dire un mensonge qui


ne blesse ni vous ni personne d’autre,
pourquoi ne pas dire en votre cœur
que la demeure des faits
est trop petite pour ses fantaisies,
et qu’il a dû la quitter
pour un espace plus grand ?

Un grand Homme a deux cœurs :


l’un saigne et l’autre endure.

La réalité des autres ne réside pas


dans ce qu’ils vous révèlent,
mais dans ce qu’ils ne peuvent vous révéler.

Si vous cherchez donc à les comprendre,


n’écoutez pas ce qu’ils disent
mais plutôt ce qu’ils ne disent pas.
Liberté et esclavage

Vous êtes libre devant le soleil du jour


et libre devant les étoiles de la nuit.
Et vous êtes libre quand il n’y a
ni soleil, ni lune, ni étoiles.

Vous êtes libre quand


vous fermez vos yeux
sur tout ce qui existe.

Mais vous êtes l’esclave de


celui que vous aimez
parce que vous l’aimez.
Et l’esclave de celle
qui vous aime
parce qu’elle vous aime.

Si vous possédez,
vous ne devez pas réclamer.
Pleure pour la bien-aimée

La femme de Byblos entonne une lamentation à l’époque de Jésus 1 :

Pleurez avec moi, filles d’Astarté,


ainsi que vous toutes amoureuses de Tammouz.

Que votre cœur fonde, déborde


et coule en larmes de sang,
car celui qui a été fait d’or et d’ivoire n’est plus.

Dans la forêt sombre, le sanglier l’a vaincu


et les canines du sanglier ont transpercé sa chair.
Maintenant, il gît, souillé par les feuilles d’antan
et ses pas ne réveilleront plus les graines
qui dorment dans le sein du printemps.

Sa voix ne viendra pas


avec l’aube à ma fenêtre
et je serai seule pour toujours.

Pleurez avec moi, filles d’Astarté,


ainsi que vous toutes amoureuses de Tammouz,
car mon bien-aimé m’a échappé.
Celui qui parlait comme parlent les rivières,
celui dont la voix était la jumelle du temps,
celui dont la bouche était un chagrin rouge adouci,
celui sur les lèvres duquel le fiel deviendrait miel.

Pleurez avec moi, filles d’Astarté,


ainsi que vous toutes amoureuses de Tammouz !

Pleurez avec moi autour de son cercueil


comme pleurent les étoiles et
comme tombent les pétales de lune
sur son corps blessé.
Mouillez de vos larmes
les draps en soie de mon lit
où mon bien-aimé reposa une fois dans mon rêve
et s’en alla
à mon réveil.

Je vous demande, filles d’Astarté,


et vous amoureuses de Tammouz !

Dénudez vos poitrines, pleurez et consolez-moi


car Jésus de Nazareth est mort.

1. Byblos (appelé Jbeil aujourd’hui) est une ancienne ville sur la côte méditerranéenne
du Liban d’aujourd’hui. Autrefois occupée par l’Égypte et l’Assyrie, Byblos est liée à la
grande déesse Astarté (appelée « la Dame de Byblos ») et à son époux mourant,
Tammouz. Leur vénération était sans doute encore très importante au temps de Jésus.
Récolter la douleur du cœur

Une voix de poète parle :

Le pouvoir de la charité sème la graine au fond de mon cœur, et je


récolte et rassemble les épis de blé et les donne aux affamés.
Mon âme donne vie à la vigne, et je presse ses grappes et j’en
offre le jus aux assoiffés.
Le ciel remplit ma lampe d’huile et je la pose à ma fenêtre pour
guider l’étranger dans l’obscurité.
Je fais tout cela parce que j’en vis. Et si le destin devait attacher
mes mains et m’empêcher de le faire, alors la mort serait mon seul
désir. Car je suis un poète, et si je ne peux pas donner, je refuse de
recevoir.
L’humanité sévit comme une tempête, mais je soupire en silence
car je sais que la tempête doit passer, tandis qu’un soupir va vers
Dieu.
L’humanité s’accroche aux sujets terrestres, mais je cherche
toujours à embrasser le flambeau de l’amour pour qu’il me purifie
avec son feu et brûle l’inhumanité de mon cœur.
Les sujets matériels tuent sans souffrance ceux qui essaient de
vivre. L’amour les réveille avec de vives douleurs.
L’humanité est divisée en différents clans et tribus et chaque être
humain appartient à un pays et à une ville. Mais je me trouve
étranger à toutes les communautés et je n’appartiens à aucune terre.
L’univers entier est mon pays et la famille humaine est ma tribu.
Les hommes sont faibles et il est triste qu’ils se divisent entre eux.
Le monde est étroit et il est insensé de le diviser en royaumes,
empires et provinces.
L’humanité ne s’unit que pour détruire les temples de l’âme, tandis
qu’elle se donne la main pour construire des édifices destinés aux
corps terrestres.
Je reste seul, écoutant la voix d’espoir dans mon for intérieur :
« Comme l’amour réveille notre cœur avec la douleur, ainsi
l’ignorance nous enseigne le chemin de la connaissance. »
La douleur et l’ignorance engendrent une grande joie et
connaissance, car l’Être suprême n’a rien créé en vain sous le soleil.
3

Toutes nos relations

L’amour a plusieurs visages, de nombreuses façons de jouer,


de cacher et de chercher. Ceux que nous appelons famille, amis,
étrangers et ennemis,
tous se révèlent les doigts d’une seule main aimante.
Mère

Le mot le plus doux sur les lèvres de l’humanité est celui de « mère ».
Et le plus bel appel est celui de « ma mère ! ». C’est un mot plein
d’espoir et d’amour, un mot doux et aimable venant du fond du cœur.
La mère est tout – elle est notre consolation dans la douleur, notre
espoir dans la misère et notre force dans la faiblesse. Elle est la
source de l’amour, de la miséricorde, de la compassion et du pardon.
Tout dans la nature évoque la mère. Le soleil est la mère de la
terre et la nourrit de sa chaleur. Le soir venu, il ne quitte jamais
l’univers avant de bercer la terre, au chant de la mer et aux cantiques
des oiseaux et des ruisseaux.
Et cette terre est la mère des arbres et des fleurs. Elle leur donne
naissance, les nourrit et les nettoie. Les arbres et les fleurs deviennent
des mères affectueuses pour leurs grands fruits et graines. Et la mère,
le modèle de toute existence, est l’esprit éternel, plein de beauté et
d’amour.
Le mot « mère » est caché dans nos cœurs et il arrive sur nos
lèvres aux moments de chagrin et de bonheur, tout comme le parfum
qui émane du cœur de la rose et qui se mélange avec de l’air clair ou
nuageux.
La chanson silencieuse

La chanson silencieuse
au cœur d’une mère
chante sur les lèvres de son enfant,
aucun désir ne demeure insatisfait.
À propos des enfants

Pendant longtemps, vous avez été un rêve dans le


sommeil de votre mère,
puis elle se réveilla pour vous donner naissance.

Le germe de la race est dans le désir de votre mère.

Mon père et ma mère ont voulu un enfant et ils m’ont


engendré.
Et j’ai voulu une mère et un père et j’ai engendré la nuit
et la mer.

Certains de nos enfants sont nos justifications et


certains ne sont que nos regrets.
Berceuses

Nous chantons souvent des berceuses à nos enfants


afin que nous puissions dormir nous-mêmes.
Si l’amour était dans la chair

Ainsi parla la mère de Judas :

Si l’amour était dans la chair


je le brûlerais
au fer rouge
pour être en paix.

Hélas, il est dans l’âme,


inaccessible.
Cache-cache

Jouons à présent à cache-cache.

Si vous vous cachiez dans mon cœur,


il ne serait pas difficile de vous débusquer.

Mais, si vous vous cachiez derrière


votre propre coquille,
alors il serait inutile
pour quiconque de vous chercher.
Chanson d’amour

Un poète écrivit un jour une chanson d’amour, et elle était belle. Il en


fit plusieurs exemplaires qu’il envoya à ses amis et connaissances,
hommes et femmes, et même à la jeune femme qu’il n’avait
rencontrée qu’une seule fois, elle vivait par-delà les montagnes.
Un ou deux jours plus tard, un messager apporta une lettre de la
part de la jeune femme. Et dans la lettre elle disait : « Laissez-moi
vous rassurer, je suis profondément touchée par la chanson d’amour
que vous avez écrite pour moi. Venez maintenant, rencontrez mon
père et ma mère et prenons les dispositions nécessaires pour les
fiançailles. »
Le poète répondit à la lettre en disant : « Mon amie, ce n’était
qu’une chanson d’amour du cœur d’un poète, que pourrait chanter
chaque homme à chaque femme. »
Et elle lui répondit encore : « Hypocrite et menteur ! Désormais et
jusqu’à ma mort, je détesterai tous les poètes à cause de vous. »
L’amour et la haine

Une femme déclara à un homme : « Je t’aime. »

Et l’homme répondit : « C’est à mon cœur d’être digne


de ton amour. »
Et la femme demanda : « Ne m’aimes-tu pas ? »
Et l’homme se contenta de la regarder sans rien dire.
Alors la femme s’écria : « Je te hais ! »
Et l’homme dit : « C’est aussi à mon cœur d’être digne
de ta haine. »
Deux côtés

Hier soir, sur les marches en marbre du temple,


je vis une femme assise entre deux hommes.

Un côté de son visage était pâle,


l’autre rougissait.
L’ermite, les bêtes et l’amour

Il y avait autrefois un ermite qui vivait parmi les collines verdoyantes.


Il avait un esprit pur et un cœur blanc. Et tous les animaux du pays et
tous les oiseaux du ciel venaient vers lui par couple et il leur parlait.
Ils l’écoutaient avec joie, ils se rassemblaient près de lui et ne
partaient pas avant la tombée de la nuit, quand il les renvoyait, les
confiant au vent et au bois avec sa bénédiction.
Un soir, alors qu’il parlait d’amour, un léopard leva la tête et dit à
l’ermite : « Vous nous parlez d’aimer. Dites-nous, maître, où est votre
compagne ? »
Et l’ermite dit : « Je n’ai pas de compagne. »
Alors un grand cri de surprise s’éleva de la compagnie des bêtes et
des oiseaux et ils commencèrent à se dire : « Comment peut-il nous
parler d’amour et d’accouplement quand il ne sait rien lui-même de
tout cela ? » Et calmement et avec mépris ils le laissèrent seul.
Cette nuit-là, l’ermite s’étendit sur sa natte, le visage face à la
terre, et il pleura amèrement et frappa des mains contre sa poitrine.
Travailler avec amour

Qu’est-ce que de travailler avec amour ?


C’est de tisser l’étoffe avec des fils tirés de votre cœur, comme si
votre bien-aimée devait porter ce tissu.
C’est de construire une maison avec affection, comme si votre
bien-aimée devait y habiter.
C’est de semer des graines avec tendresse et de récolter la
moisson avec joie, comme si votre bien-aimée devait goûter le fruit.
C’est d’accompagner tout ce que vous façonnez avec un souffle de
votre esprit.
Et de savoir que tous les défunts bénis se tiennent debout devant
vous et qu’ils vous observent.
Remue-toi un peu plus près

Une branche fleurie dit à une branche voisine : « C’est une journée
terne et vide. » Et l’autre branche répondit : « Elle est vraiment vide
et terne. »
À ce moment-là, un moineau se posa sur l’une des branches, puis
un autre moineau à côté.
L’un des moineaux pépia et dit : « Ma compagne m’a quitté. »
Et l’autre moineau s’écria : « Ma compagne est également partie et
elle ne reviendra pas. Mais cela m’importe peu. »
Alors les deux oiseaux commencèrent à gazouiller et à gronder, et
bientôt ils se battirent en émettant des bruits aigus dans l’air.
Tout à coup, deux autres moineaux descendirent du ciel et se
posèrent tranquillement à côté des deux oiseaux agités. Et il y eut le
calme et la paix.
Ensuite, les quatre quittèrent la branche en s’envolant deux par
deux.
Et la première branche dit à sa branche voisine : « Il y avait un
bruit extrêmement fort ! »
Et l’autre branche répondit : « Appelle cela comme tu veux, il est
maintenant à la fois paisible et spacieux. Et si l’air d’en haut est
paisible, il me semble que ceux qui séjournent en bas peuvent faire la
paix aussi. Ne peux-tu pas t’agiter dans le vent un peu plus près de
moi ? »
Et la première branche dit : « Oh, peut-être, pour la paix, avant
que le printemps ne finisse ! »
Et puis elle se remua avec le vent fort pour embrasser l’autre
branche.
À propos des ennemis

Je n’ai aucun ennemi, mon Dieu,


mais si je devais en avoir un
faites que sa force soit égale à la mienne,
que cette vérité seule puisse être le vainqueur.

Vous seriez bien amical


avec votre ennemi
si vous mourriez tous les deux.

J’ai souvent détesté la légitime défense.


Même si j’étais plus fort,
je n’aurais pas utilisé une telle arme.
Les amis et les étrangers

Georges de Beyrouth parle de Jésus :

Il était avec ses compagnons dans le bosquet de pins au-delà de ma


haie et il leur parlait. Je me tins près de la haie et tendis l’oreille. Et je
sus qui il était, car sa renommée avait atteint ces côtes avant même
sa visite.
Quand il cessa de parler, je m’approchai de lui et dis : « Maître,
venez avec ces hommes et honorez-moi et mon toit. »
Et il me sourit et dit : « Pas aujourd’hui, mon ami. Pas
aujourd’hui. »
Il y avait une bénédiction dans ses mots et sa voix m’enveloppa
comme un vêtement par une nuit froide.
Puis il se tourna vers ses amis et dit : « Voici un homme qui ne
nous considère pas comme des étrangers, et bien qu’il ne nous ait pas
vus avant ce jour, il nous propose de rejoindre son seuil.
« En vérité, dans mon royaume, il n’y a pas d’étrangers. Notre vie
n’est que la vie de tous les autres, elle nous est donnée afin que nous
connaissions nos semblables et que nous les aimions par cette
connaissance.
« Les actes des gens ne sont que nos actes, à la fois ceux qui sont
cachés et ceux qui sont révélés.
« Je vous invite à ne pas être un, mais plutôt plusieurs, le maître
de la maison et le sans-abri, le laboureur et le moineau qui cueille le
grain avant qu’il ne repose dans la terre, celui qui donne
généreusement et celui qui reçoit avec fierté et reconnaissance.
« La beauté du jour n’est pas uniquement dans ce que vous voyez,
elle est aussi dans ce que les autres voient.
« Pour cela, je vous ai choisis parmi tous ceux qui m’ont choisi. »
Ensuite, il se tourna de nouveau vers moi, sourit et dit : « Je vous
dis ces choses aussi, et vous devez vous en souvenir aussi. »
Alors je le suppliai : « Maître, ne viendriez-vous pas chez moi ? »
Et il répondit : « Je connais votre cœur et j’ai visité votre plus
grande maison. »
Et comme il s’en allait avec ses disciples, il dit : « Bonne nuit, et
que votre maison soit assez grande pour abriter tous ceux qui errent
sur terre. »
Amitié – des heures à vivre

Quand votre ami vous partage ses pensées, ne craignez pas de faire
part du « non » dans votre propre esprit, ne refusez pas le « oui » non
plus.
Et quand votre ami cesse de parler, que votre cœur ne cesse pas
de l’écouter.
Car, en amitié, toutes les pensées, tous les désirs, et toutes les
attentes naissent et sont partagés sans paroles, avec une joie passée
sous silence.
Quand vous vous séparez de votre ami, vous n’éprouvez pas de
chagrin, car ce que vous aimez le plus en lui est peut-être plus
évident en son absence, tel le grimpeur pour qui la montagne est plus
visible que la plaine.
Faites que l’amitié ne vous serve qu’à approfondir l’esprit.
Car l’amour qui ne cherche que la révélation de son propre
mystère n’est pas amour mais un filet à la mer qui ne fait que des
mauvaises prises.
Et que la meilleure part de vous soit pour votre ami.
S’il doit connaître le reflux de votre marée, laissez-lui connaître
son flux également.
Car qu’attendez-vous de votre ami si vous ne venez à lui que pour
des heures à tuer ?
Venez à lui toujours avec des heures à vivre.
La douce responsabilité de l’amitié

L’amitié est toujours une douce responsabilité,


jamais une opportunité.

Si vous ne comprenez pas votre ami


en toute circonstance,
vous ne le comprendrez jamais.
Aimer le voisin

Quand vous appréciez d’aimer votre voisin


cela cesse d’être une vertu.
Votre voisin est votre moi inconnu

Joseph d’Arimathie se souvient des paroles de Jésus :

Et il disait : « Votre voisin est votre moi inconnu, rendu visible. Son
visage se reflétera dans vos eaux calmes, et si vous l’observez, vous
verrez votre propre visage.
« Si vous écoutez la nuit, vous l’entendrez parler, et ses mots
seront les battements de votre cœur.
« Soyez pour lui celui que vous voudriez qu’il soit pour vous.
« Ceci est ma loi, et je la dirai à vous et à vos enfants, et eux la
diront à leurs enfants, jusqu’à ce que le temps soit passé et que les
générations ne soient plus. »
Et un autre jour, il dit : « Vous ne serez pas vous-même seul. Vous
êtes dans les actes des autres, et eux, même s’ils ne le savent pas, sont
avec vous tous les jours.
« Ils ne commettront pas de crime sans que votre main ne soit
dans la leur.
« Ils ne tomberont pas sans que vous ne tombiez également. Et ils
ne se relèveront pas tant que vous ne serez pas levé avec eux.
« Leur chemin vers le sanctuaire est votre chemin, et quand ils
chercheront le désert, vous le chercherez aussi avec eux.
« Vous et votre voisin êtes deux graines semées dans le champ.
Vous poussez ensemble, et vous vous balancerez ensemble dans le
vent. Et aucun de vous ne réclamera le champ, car pendant sa
croissance, une graine ne réclame même pas sa propre extase.
« Aujourd’hui, je suis avec vous. Demain, je partirai vers
l’Occident. Mais avant de partir, je vous dis que votre voisin est votre
moi inconnu, rendu visible.
« Cherchez-le dans l’amour afin que vous puissiez vous connaître,
car ce n’est que dans cette connaissance que vous deviendrez mes
frères. »
Voisin mais pas ami

L’espace qui se situe entre vous et


votre voisin proche, si vous ne le portez pas dans votre
cœur,
est certainement plus grand que celui qui vous sépare
de votre bien-aimé
qui demeure au-delà
des sept terres et des sept mers.
Votre voisin est un champ

Pierre se souvient du temps passé auprès avec Jésus :

Une fois à Capharnaüm, mon seigneur et maître parla ainsi :


« Votre voisin est votre autre moi, demeurant derrière un mur.
C’est par la compréhension que tous les murs tomberont.
« Qui sait si votre voisin n’est pas votre meilleur moi, dans un
autre corps ? Veillez à l’aimer comme vous vous aimeriez.
« Lui aussi est une manifestation du Très-Haut, que vous ne
connaissez pas.
« Votre voisin est un champ où les printemps de votre espoir se
promènent dans leurs habits verts et où les hivers de votre désir
rêvent des sommets enneigés.
« Votre voisin est un miroir dans lequel vous verrez votre visage
embelli par une joie que vous ignorez et par un chagrin que vous
n’avez pas partagé.
« Je voudrais que vous aimiez votre voisin comme je vous ai
aimé. »
Ensuite, je lui demandai : « Comment puis-je aimer un voisin qui
ne m’aime pas et qui convoite ma propriété ou qui volerait mes
biens ? »
Et il répondit : « Quand vous labourez et que votre serviteur sème
la graine derrière vous, voudriez-vous vous arrêter, regarder en
arrière et chasser un moineau se nourrissant de quelques-unes de vos
graines ? Si vous faites cela, vous n’êtes pas digne des richesses de
votre récolte. »
Quand Jésus eut dit cela, j’eus honte et me tus. Mais je n’avais pas
peur, car il me souriait.
L’amour et le patriotisme

Une voix du poète parle :

J’ai un désir ardent pour mon beau pays, et j’aime ses habitants à
cause de leur misère. Mais si mon peuple se levait, stimulé par le
pillage et motivé par ce qu’on appelle « l’esprit patriotique », pour
assassiner et envahir le pays voisin, alors, à la moindre atrocité
commise, je détesterais mon peuple et mon pays.
Je chante les louanges de mon lieu de naissance et espère voir la
maison de mes enfants. Mais si les habitants de cette maison
refusaient d’abriter et de nourrir ceux qui sont dans le besoin, je
convertirais mes éloges en colère et mon désir ardent en oubli. Ma
voix intérieure dirait : « La maison qui ne réconforte pas ceux qui
sont dans le besoin ne mérite pas moins que la destruction. »
J’aime mon village natal avec une partie de mon amour pour mon
pays. Et j’aime mon pays avec une partie de mon amour pour la Terre
qui est tout mon pays. Et j’aime la Terre de tout mon être, car elle est
le refuge de l’humanité, la manifestation de l’esprit de Dieu.
L’humanité est l’esprit de l’Être suprême sur la terre et cette
humanité se tient parmi les ruines, se cachant derrière des haillons en
lambeaux, versant des larmes sur ses joues creuses et appelant ses
enfants d’une voix pitoyable. Mais les enfants chantent l’hymne de
leur clan. Ils aiguisent les épées et ne peuvent pas entendre le cri de
leurs mères.
L’humanité appelle son peuple mais il ne l’écoute pas. Si quelqu’un
écoutait et consolait une mère en essuyant ses larmes, d’autres
diraient : « Il est faible, affecté par ses sentiments. »
L’humanité est l’esprit de l’Être suprême sur terre et cet Être
suprême prêche l’amour et la bonne volonté. Mais les gens se
moquent de tels enseignements. Jésus de Nazareth écouta et la
crucifixion était son lot. Socrate entendit la voix et la suivit, et lui
aussi le paya de sa vie. Les adeptes du Nazaréen et de Socrate sont
les adeptes de la divinité, et puisque les gens ne les tueront pas, ils se
moquent en disant : « Le ridicule est plus amer que de tuer. »
Jérusalem ne put tuer le Nazaréen, de même qu’Athènes ne put le
faire pour Socrate. Ils vivent encore et vivront éternellement. Le
ridicule ne peut pas triompher des adeptes de la divinité. Ils vivent et
grandissent pour toujours.
Des espaces dans votre union

Vous êtes nés ensemble et


ensemble vous serez à jamais.

Mais laissez de l’espace dans votre union,


et laissez les vents du ciel
danser parmi vous.

Aimez-vous les uns les autres


mais ne faites pas de l’amour des attaches.
Faites qu’il soit plutôt une mer en mouvement
entre les rives de vos âmes.

Chantez et dansez ensemble et soyez joyeux,


mais faites que chacun de vous soit seul,
comme les cordes d’un luth qui sont distinctes
mais qui vibrent avec la même musique.

Donnez vos cœurs, mais sans en confier la garde à


l’autre.
Car seule la main de la vie peut contenir vos cœurs.
De flamme à flamme

[Les anciens Dieux de la Terre poursuivent leur conversation à propos


du but de la vie tout en observant un couple amoureux s’enlacer :]

Regardez l’homme et la femme,


de flamme à flamme dans l’extase blanche.
Des racines qui tètent le sein de la terre pourpre,
les fleurs enflammées aux mamelles du ciel.
Et nous sommes le sein pourpre
Et nous sommes le ciel éternel.

Notre âme, même l’âme de la vie,


votre âme et la mienne,
demeure cette nuit dans une gorge enflammée,
et couvre le corps d’une fille avec des vagues furieuses.

Votre sceptre ne peut influencer ce destin,


votre lassitude n’est qu’une ambition.
Cela et tout est effacé
dans la passion d’un homme et d’une femme.

Ceux qui sont conquis par l’amour,


et sur les corps desquels
le char de l’amour traverse de mer en montagne
et encore de la montagne à la mer,
se tiennent maintenant dans une demi-étreinte timide.

Pétale contre pétale


ils respirent le parfum sacré.
D’âme à âme
ils trouvent l’âme de la vie.
Et sur leurs paupières
se dessine une prière
qui nous est destinée à vous et à moi.

L’amour est une nuit inclinée


vers une tonnelle ointe,
un ciel devenu prairie,
et toutes les étoiles se transforment en lucioles.

C’est vrai, nous sommes l’au-delà


et nous sommes les plus hauts.

Mais l’amour est au-delà de notre questionnement,


et l’amour dépasse notre chant.
Aimer la brebis perdue

Un berger du sud du Liban parle de sa rencontre avec Jésus :

Ensuite, il dit avec de la joie et des rires dans sa voix : « Allons vers le
Pays du Nord pour rencontrer le printemps.
« Viens avec moi sur les collines, car l’hiver est passé et les neiges
du Liban descendent dans les vallées pour chanter avec les ruisseaux.
« Les champs et les vignobles ont banni le sommeil et sont
réveillés pour accueillir le soleil avec leurs figues vertes et leurs
raisins tendres. »
C’était la fin de l’été lorsque lui et trois autres hommes
marchèrent pour la première fois sur cette route. C’était le soir, il
s’arrêta et resta au bord du pâturage.
Je jouais de la flûte et mon troupeau paissait tout autour de moi.
Quand il s’arrêta je me levai et me dirigeai vers lui.
Et il me demanda : « Où se trouve la tombe d’Élie ? N’est-elle pas
quelque part près d’ici ? »
Et je lui répondis : « Elle est là, monsieur, sous ce grand tas de
pierres. Même à ce jour, chaque passant apporte une pierre et la pose
sur le tas. »
Il me remercia et s’éloigna et ses amis le suivirent.
Après trois jours, Gamaliel, qui était aussi berger, me dit que
l’homme qui était passé était un prophète en Judée. Mais je ne le crus
pas. Pourtant, je pensai à cet homme plusieurs nuits.
Quand le printemps arriva, Jésus passa encore une fois dans ce
pâturage et cette fois-ci, il était seul.
Ce jour-là, je ne jouais pas de la flûte, j’avais perdu une brebis et
j’étais endeuillé. Et mon cœur était abattu en moi.
Je m’approchai de lui et restai immobile devant lui car je désirais
être réconforté.
Et il me regarda et dit : « Vous ne jouez pas de la flûte
aujourd’hui. D’où vient le chagrin dans vos yeux ? »
Je répondis : « Une de mes brebis est perdue. Je l’ai cherchée
partout mais je ne l’ai pas trouvée. Et je ne sais que faire. »
Il resta silencieux un moment. Puis il me sourit et me dit :
« Attendez un peu ici et je trouverai votre brebis. » Et il s’éloigna et
disparut dans les collines.
Au bout d’une heure, il revint et ma brebis était juste derrière lui.
Dès qu’il se tint devant moi, elle leva les yeux vers lui, de même que
je le regardais. Puis je l’embrassai avec joie.
Et il posa sa main sur mon épaule et dit : « À partir de ce jour,
vous aimerez cette brebis plus qu’aucune autre de votre troupeau, car
elle était perdue et maintenant elle est retrouvée. »
Et j’embrassai de nouveau ma brebis avec joie, et elle s’approcha
de moi, et je me tus.

Mais, quand je levai la tête pour remercier Jésus, il s’était


déjà éloigné et je n’eus pas le courage de le suivre.
Les doigts d’une main aimante

Une voix de poète parle :


Vous êtes mon frère et ma sœur, parce que vous êtes des êtres
humains. Nous sommes tous les enfants d’un même Saint-Esprit.
Nous sommes égaux et faits de la même terre.
Vous êtes ici comme mes compagnons sur le chemin de la vie et
mon soutien pour comprendre le sens de la vérité cachée.
Vous êtes des êtres humains, et cela suffit, je vous aime. Vous
pouvez parler de moi à votre guise, car demain vous emmènera et
utilisera votre discours comme preuve de son jugement. Et vous
recevrez la justice.
Vous pouvez me priver de tout ce que je possède. Car ma cupidité
a provoqué l’accumulation de richesse et je vous livre mon sort si telle
est votre volonté.
Vous pouvez faire ce que vous voulez de moi, mais vous ne
pourrez pas toucher ma vérité.
Vous pouvez verser mon sang et brûler mon corps, mais vous ne
pouvez ni tuer ni blesser mon esprit.
Vous pouvez lier mes mains avec des menottes et mes pieds avec
des chaînes et me jeter dans une prison obscure. Mais vous
n’asservirez pas ma pensée, car elle est libre comme la brise dans le
ciel spacieux.
Vous êtes mon frère et ma sœur et je vous aime. Je vous aime
priant dans votre église, à genoux dans votre temple et priant dans
votre mosquée. Vous, moi et tous, nous sommes les enfants d’une
même religion, car les diverses voies de la religion ne sont que les
doigts de la main aimante de l’Être suprême, tendus vers tous, offrant
la complétude d’esprit à tous, soucieux de tout recevoir.
Je vous aime pour votre vérité, issue de votre connaissance, cette
vérité que je ne peux voir à cause de mon ignorance. Mais je la
respecte comme une chose divine, car c’est l’acte de l’esprit. Votre
vérité et la mienne se rencontreront dans le monde à venir et se
confondront comme le parfum des fleurs. Elles deviendront une
vérité entière et éternelle, se perpétuant et vivant dans l’éternité de
l’amour et de la beauté.
Je vous aime parce que vous êtes faible devant le puissant
oppresseur et pauvre devant les riches avides. Pour ces raisons, j’ai
versé des larmes et je vous réconforte.
Et derrière mes larmes, je vous vois dans les bras de la justice,
souriant et pardonnant à vos persécuteurs.
Vous êtes mon frère et ma sœur et je vous aime.
4

Un amour au-delà

L’amour est plus qu’une émotion. C’est une


force sacrée qui brise notre conception de
nous-mêmes et nous emporte
sur un chemin qui s’étend à travers cette vie
et au-delà.
L’hiver de l’amour

Approche-toi,
Ô compagne de toute ma vie !

Viens près de moi


et ne laisse pas le souffle de l’hiver
s’immiscer entre nous.

Assieds-toi près de moi devant ce poêle,


car le feu est le seul fruit de l’hiver.

Parle-moi de la gloire de ton cœur,


car elle est plus grande que
les éléments hurlants derrière notre porte.

Ferme la porte et scelle les impostes,


car l’expression en colère du ciel
afflige mon esprit,
et le visage de nos champs enneigés
fait mon âme pleurer.
Nourris la lampe avec de l’huile
et ne la laisse pas s’assombrir
et place-la près de toi
afin que je puisse lire avec les larmes ce que
ta vie en ma compagnie a écrit
sur ton visage.

Apporte le vin de l’automne !


Laisse-nous boire et chanter
la chanson en souvenir
des semences insouciantes du printemps
et du soin vigilant de l’été
et de la récompense de l’automne par la récolte.

Viens près de moi,


Ô bien-aimée de mon âme !
Le feu se rafraîchit et s’enfuit
sous les cendres.

Embrasse-moi,
car je crains la solitude.
La lampe est faible,
et le vin que nous avons pressé
nous ferme les yeux.
Laissons-nous nous regarder
avant qu’ils ne soient clos.

Trouve-moi avec tes bras et embrasse-moi.


Laisse le sommeil ensuite embrasser nos âmes comme
une seule.

Embrasse-moi, ma bien-aimée,
car l’hiver a tout volé
sauf nos lèvres en mouvement.
Tu es proche de moi, mienne pour toujours.

L’océan du sommeil est si large et si profond.


La dernière aurore remonte à si loin !
Un rythme pour les amoureux

Vous vous élèverez au-delà de vos mots,


mais votre chemin restera
un rythme et un parfum –
un rythme pour les amoureux
et tous ceux qui sont aimés
et un parfum pour ceux qui voudront
vivre la vie dans un jardin.

Vous descendrez plus profond


que vos mots, oui,
plus profond que tous les sons,
au cœur même de la terre.
Et là-bas vous serez seul
avec celui qui marche
lui aussi sur la Voie lactée.
L’amour est la seule liberté

L’amour est la seule liberté au monde


car il élève l’esprit si bien
que les lois de l’humanité et
les phénomènes de la nature
ne le dévient pas de son chemin.
L’amour est la justice

Une voix de poète parle :

Vous êtes mes frères et sœurs, mais pourquoi nous disputons-nous ?


Pourquoi envahissez-vous mon pays et tentez-vous de me subjuguer
pour le plaisir de ceux qui recherchent la gloire et le pouvoir ?
Pourquoi laissez-vous vos femmes, maris et enfants et suivez la
mort vers un pays lointain pour le bien de ceux qui achètent la gloire
avec votre sang et l’honneur avec les larmes de votre mère ?
Est-ce un honneur pour un homme de tuer son frère ? Si vous le
considérez comme tel, faites-en une prière et érigez un temple à Caïn
qui a assassiné son frère Abel.
Est-ce la préservation de soi la première loi de la nature ?
Pourquoi alors la cupidité vous pousse-t-elle à vous sacrifier pour
atteindre son objectif de blesser vos frères et vos sœurs ? Prenez
garde, mes frères et sœurs, du chef qui dit : « L’amour de l’existence
nous oblige à priver les gens de leurs droits ! »
Mais je vous dis ceci :
Protéger les droits des autres est l’acte humain le plus noble et le
plus beau. Si mon existence exige que je tue les autres, alors la mort
est plus honorable pour moi. Et si je ne peux pas trouver quelqu’un
pour me tuer afin de protéger mon honneur, je n’hésiterai pas à me
priver de ma vie par mes propres mains pour l’éternité avant que
l’éternité ne vienne.
L’égoïsme, mes frères et sœurs, est la cause de la supériorité
aveugle et la supériorité crée le clan et le clan crée l’autorité qui
conduit à la discorde et à la soumission.
L’âme croit au pouvoir du savoir et de la justice face à la sombre
ignorance. Elle nie l’autorité qui fournit les épées pour défendre et
renforcer l’ignorance et l’oppression. Cette autorité détruisit Babylone
et ébranla les fondements de Jérusalem et laissa Rome en ruine. C’est
ce qui a poussé les gens à considérer les criminels comme des grands,
a forcé les auteurs à respecter leurs noms et a obligé les historiens à
réciter les histoires de leur inhumanité comme des éloges.
La seule autorité à laquelle j’obéis est la connaissance du devoir
de protéger et d’accepter la loi naturelle de la justice. Quelle justice
l’autorité fait-elle quand elle tue le tueur ? Quand elle emprisonne le
voleur ? Quand elle s’abat sur un pays voisin et tue son peuple ?
Que pense la justice de l’autorité en vertu de laquelle un tueur
punit celui qui tue et un voleur condamne celui qui vole ?
Vous êtes mes frères et sœurs, et je vous aime. Et l’amour est la
justice avec toute son intensité et sa dignité. Si la justice ne soutenait
pas mon amour pour vous, quelles que soient votre tribu et votre
communauté, je serais un imposteur, cachant la laideur de l’égoïsme
derrière l’habit extérieur de l’amour pur.
Le silence murmure au cœur

Ce ne sont pas les syllabes qui proviennent des lèvres et des langues
qui rapprochent les cœurs. Il y a quelque chose de plus grand et de
plus pur que ce qu’énonce la bouche.
Le silence illumine nos âmes, murmure dans nos cœurs et les
rassemble.
Le silence nous sépare de nous-mêmes, nous fait naviguer dans le
firmament de l’esprit et nous rapproche du ciel.
Il nous fait sentir que les corps ne sont que des prisons et que ce
monde n’est qu’un lieu d’exil.
Chant d’amour de la vague

Le rivage puissant est mon bien-aimé,


et je suis son amoureuse.

Nous sommes enfin unis par l’amour,


et ensuite la lune 1 me retire de lui.

Je vais vers lui en hâte et


le quitte à contrecœur,
avec maints petits adieux.

Je me faufile rapidement
derrière l’horizon bleu
pour lancer l’argent de mon écume
sur l’or de son sable,
et nous nous unissons dans une brillance fondue.

J’étanche sa soif et couvre son cœur.


Il adoucit ma voix et atténue ma fureur.

À l’aube, je récite les règles de l’amour à ses oreilles,


et il m’embrasse avec envie.
Au soir, je lui chante la chanson de l’espoir,
et ensuite, je marque des baisers doux sur son visage.

Je suis rapide et craintive,


mais il est calme, patient et pensif.
Sa large poitrine apaise mon agitation.

Quand la marée monte, nous nous caressons.


Quand elle se retire, je me jette à ses pieds en
adoration.

Maintes fois je dansai autour des sirènes


comme elles émergeaient des profondeurs
pour se reposer sur ma crête
et contempler les étoiles.

Maintes fois j’entendis des amants


se plaindre de leur petitesse,
et je les aidai à soupirer.
Maintes fois je taquinai les grands rochers
et les caressai avec un sourire,
mais je ne reçus jamais
leurs rires.

Maintes fois, je secourus les âmes qui se noyaient


et les portai lentement
jusqu’à mon bien-aimé rivage.
Il leur donnait la force
alors qu’il prenait la mienne.

Maintes fois je volai


des pierres précieuses des profondeurs et
les montrai à mon bien-aimé rivage.
Il les prenait en silence,
mais je donnais tout de même
car il m’accueillait toujours.

Dans la lourdeur de la nuit,


quand toutes les créatures cherchent
le spectre du sommeil
je m’assieds, alternant
chants et soupirs.
Je demeure réveillée.

Hélas ! L’insomnie m’a affaiblie !

Mais je suis une amoureuse


et la vérité de l’amour est forte.
Je peux être fatiguée,
mais je ne mourrai jamais.

1. « L’air » dans le texte original en arabe, jeu de mots entre hawa, un des nombreux
mots désignant l’amour, et hawaâ, l’air. (N.d.T.)
Graines de cœur

Chaque graine est un désir.

Semez une graine et


la terre vous donnera une fleur.

Rêvez votre rêve au ciel


et il vous apportera votre bien-aimée.
Le chant de l’amour

Je suis les yeux de l’amant,


le vin de l’esprit
et la nourriture du cœur.

Je suis une rose –


mon cœur s’ouvre à l’aube,
la vierge m’embrasse et
me place sur sa poitrine.

Je suis la demeure de la vraie fortune


l’origine du plaisir
et le début de la paix et de la tranquillité.

Je suis le doux sourire sur les lèvres d’une belle femme.

Quand le jeune me voit


il oublie ses tourments,
et toute sa vie devient
le théâtre de doux rêves.

Je suis la joie du poète


la révélation de l’artiste
et l’inspiration du musicien.

Je suis un sanctuaire sacré


au cœur d’un enfant
adoré par une mère miséricordieuse.

J’apparais au pleur d’un cœur.


Je fuis une demande.
Ma plénitude poursuit le désir du cœur.
Elle fuit la revendication vide de la voix.

J’apparus à Adam à travers Ève


et l’exil fut leur sort.
Pourtant je me révélai à Salomon
et il tira la sagesse de ma présence.

Je souris à Hélène et elle détruisit Tarwada 1.

Pourtant je couronnai Cléopâtre et


la paix domina la vallée du Nil.

Je suis comme les âges –


construisant aujourd’hui pour tout détruire le
lendemain.
Je suis un dieu qui crée et ruine.

Je suis plus doux que le soupir d’une violette.


Je suis plus violent qu’une tempête déchaînée.

Les cadeaux seuls ne m’attirent pas,


la séparation ne me décourage pas,
la pauvreté ne me chasse pas,
la jalousie ne prouve pas ma conscience,
la folie n’atteste pas ma présence.

Oyez, je suis la vérité


la vérité que vous poursuivez.
Et votre sincérité en
me cherchant, en me recevant
et en me protégeant
déterminera mon comportement.

1. Transcription du mot « Troie » en arabe. (N.d.T.)


La lumière de l’amour

L’amour est un mot de lumière,


écrit d’une main de lumière,
sur une page de lumière.
L’amour se suffit à lui-même

L’amour ne donne rien sauf lui-même


et ne prend rien sauf de lui-même.
L’amour ne possède pas
et ne saurait être possédé.

Car l’amour suffit à l’amour.

Quand vous aimez, vous ne devriez pas dire


« Dieu est dans mon cœur », mais plutôt
« Je suis dans le cœur de Dieu. »
Quand l’amour devient vaste

En se souvenant, Jean de Patmos parle de Jésus :

Une fois de plus je parlerai de lui.


Dieu m’a donné la voix et les lèvres brûlantes mais pas l’éloquence
et je suis indigne de la parole complète, pourtant je laisserai mon
cœur commander à mes lèvres.
Jésus m’aimait et je n’en connaissais point la raison. Et je l’aimais
parce qu’il a poussé mon esprit à atteindre des sommets au-delà de
ma condition et des profondeurs qui dépassent ma compréhension.

L’amour est un mystère sacré.


À ceux qui aiment,
il reste à jamais sans mots.
Mais à ceux qui n’aiment pas,
il n’est qu’une amère plaisanterie.

Jésus nous appela mon frère et moi alors que nous travaillions dans
les champs. J’étais jeune en ce temps et seule la voix de l’aube avait
visité mes oreilles.

Mais sa voix et l’écho de sa voix marquaient la fin de mon labeur


et le début de ma passion. Et il ne me restait rien d’autre que marcher
au soleil et vénérer la beauté de l’heure.

Pourriez-vous concevoir une majesté trop gentille pour être


majestueuse ?
Et une beauté trop radieuse pour paraître belle ?
Pourriez-vous entendre dans vos rêves une voix intimidée par sa
propre extase ?

Il m’appela et je le suivis.
Ce soir-là, je retournai chez mon père pour prendre mon autre
manteau. Et je dis à ma mère : « Jésus de Nazareth voudrait que je
sois de sa compagnie. »
Et elle répondit : « Suis son chemin mon fils, comme ton frère. »
Et je l’accompagnai. Son parfum m’appela et me commanda, mais
uniquement pour me relâcher.

L’amour est un hôte aimable envers ses invités,


pourtant aux interdits
sa maison n’est que mirages et chimères.

Maintenant, vous voudriez que j’explique les miracles de Jésus.


Nous sommes tous les signes miraculeux du moment. Notre
seigneur et maître était le centre de ce moment. Pourtant, ce n’était
pas dans son désir que ses signes soient connus.

Je l’entendis dire au boiteux : « Lève-toi et rentre à la maison,


mais ne dis pas au prêtre que je t’ai guéri. »
Mais l’esprit de Jésus n’était pas avec le mutilé. Il était plutôt avec
le fort et l’intègre. Son esprit cherchait et retenait d’autres esprits et
son esprit entier visitait d’autres esprits. Et c’est ainsi que son esprit a
changé ces idées et ces esprits.
Cela semblait miraculeux, mais pour notre seigneur et maître,
c’était simplement comme respirer l’air de chaque jour.
Et maintenant, laissez-moi parler d’autres sujets.
Un jour, alors que lui et moi étions seuls dans un champ, nous
avions tous les deux faim, et nous atteignîmes un pommier sauvage.
Il y avait seulement deux pommes suspendues à la branche. Il attrapa
alors le tronc de l’arbre avec son bras et le secoua, et les deux
pommes tombèrent.
Il les prit toutes les deux et m’en donna une. Il tenait l’autre dans
sa main. Ayant faim, j’ai mangé la pomme, je l’engloutis rapidement.
Ensuite, je le regardai et vis qu’il tenait toujours l’autre pomme
dans sa main. Et il me la proposa en disant : « Mange celle-ci aussi. »
Et j’ai pris la pomme et dans ma faim sans vergogne, je la
mangeai également. Et alors que nous marchions, je regardai son
visage. Mais comment vous raconter ce que je vis ?

Une nuit où les bougies brûlent dans l’espace…


un rêve au-delà de notre portée…
un midi où tous les bergers sont en paix et
heureux que leurs troupeaux paissent…
une tombée du jour, et un calme et un retour au pays…
puis un sommeil et un rêve.

Je vis dans son visage toutes ces choses.


Il m’avait donné les deux pommes. Et je savais qu’il avait faim
alors même que j’avais faim. Mais maintenant je sais qu’en me les
donnant, il était satisfait. Il avait lui-même mangé d’autres fruits d’un
autre arbre.
Je vous en dirais plus sur lui, mais comment ?
Quand l’amour devient vaste
il devient sans mots.
Et quand la mémoire peine sous son fardeau
elle cherche le profond silencieux.
Du fond de mon cœur

Du fond de mon cœur


un oiseau s’éleva et s’envola vers le ciel.
Il montait de plus en plus haut,
et pourtant il grandissait à mesure qu’il montait.
Au début il était comme une hirondelle,
puis comme une alouette, puis tel un aigle,
ensuite aussi vaste qu’un nuage printanier,
et enfin il emplit les cieux étoilés.
De mon cœur un oiseau s’envola vers le ciel,
et il grandit en volant,
pourtant, il ne quitta pas mon cœur.

Ô ma foi,
ma connaissance sauvage !
Comment volerai-je à votre hauteur,
comment verrai-je avec vous notre moi suprême
dessiné dans le ciel ?
Comment vais-je transformer cette mer en moi en
brume
et me mouvoir avec vous dans un espace
incommensurable ?
Comment un prisonnier dans le temple
peut-il observer ses dômes dorés ?
Comment le cœur d’un fruit
peut-il s’étirer pour couvrir le fruit aussi ?

Ô ma foi !
Je suis enchaîné derrière ces barreaux
d’argent et d’ébène,
et je ne peux m’envoler avec vous.
Cependant, vous montez de mon cœur vers le ciel
et c’est mon cœur qui vous retient,
et je serai heureux.
Envie du cœur de la bien-aimée

Lazare se lamente d’avoir été ramené à la vie par Jésus et parle à sa


sœur, Marie de Béthanie. Un fou écoute et commente à proximité.

Lazare :

J’étais un ruisseau et je cherchais la mer


où habite ma bien-aimée.
Et quand j’eus atteint la mer,
je fus amené sur les collines
pour courir à nouveau parmi les rochers.

J’étais une chanson emprisonnée dans le silence


ayant envie du cœur de ma bien-aimée.
Et quand les vents du ciel me libérèrent
et me poussèrent dans cette forêt verte,
je fus repris par une voix,
et on me retourna dans le silence.

J’étais une racine dans la terre sombre,


et je devins une fleur
et ensuite un parfum montant dans l’espace
pour couvrir ma bien-aimée
et puis on m’attrapa et
on me prit dans la main
et je redevins une racine
une racine dans la terre sombre.

Le fou :

Si vous êtes une racine,


vous pouvez toujours vous échapper
des tempêtes dans les branches.
Et il est bien d’être un ruisseau courant
même après avoir atteint la mer.
Il est certainement bien pour l’eau
de courir vers le haut.

Marie :

Mais mon frère !


Il est bien d’être un ruisseau courant
et il n’est pas bien d’être une chanson pas encore
chantée,
et il est bien d’être une racine dans la terre sombre.

Le Maître savait tout cela


Et il vous a rappelé
afin que nous sachions qu’il n’y a
pas de voile entre la vie et la mort.
Ne voyez-vous pas comment
un mot prononcé dans l’amour
peut réunir les éléments
dispersés par une illusion appelée la mort ?

Crois et aie foi,


car c’est seulement dans la foi
qui est notre connaissance la plus profonde
que vous pouvez trouver du réconfort.

Lazare :

Du réconfort ?
Du réconfort, le traître, le mortel !
Un réconfort qui trompe nos sens et
nous rend esclaves de l’heure qui passe !
Je n’aurais pas de réconfort.
J’aurais de la passion !
Je brûlerais dans l’espace frais
avec ma bien-aimée.
Je serais dans l’espace illimité
avec ma compagne, mon autre moi.

Ô Marie, Marie, vous étiez autrefois ma sœur,


et nous nous connaissions même
quand notre plus proche parent ne nous connaissait
pas.
Maintenant, écoutez-moi, écoutez-moi avec votre cœur.

Ma bien-aimée et moi, nous étions dans l’espace,


et nous étions tout l’espace.
Nous étions dans la lumière
et nous étions toute la lumière.
Et nous avons même erré comme l’esprit ancien
qui bougeait sur la surface des eaux,
et c’était pour toujours le premier jour.

Nous étions l’amour lui-même qui réside


au cœur du silence blanc.
Ensuite, une voix comme le tonnerre
une voix comme d’innombrables lances
perçant l’éther s’écria :
« Lazare, sors ! »

Et la voix résonna et
résonna encore dans l’espace
et moi, comme une marée montante,
j’étais devenu une marée descendante.
Une maison divisée, un vêtement déchiré,
une jeunesse perdue, une tour écroulée,
et de ses pierres brisées
un repère a été fait.

Une voix s’écria : « Lazare, sors ! »


Et je dégringolai
de la demeure céleste vers
une tombe dans une tombe,
ce corps dans une grotte scellée.
L’amour et le temps

Qui parmi vous n’a pas le sentiment que


son pouvoir d’aimer est sans limites ?

Et encore, qui n’a pas le sentiment que


cet amour même, bien qu’infini,
se situe au centre de votre être,
et ne bouge ni d’une pensée d’amour à une pensée
d’amour
ni des actes d’amour aux actes d’amour ?

Et le temps n’est-il pas, tout comme l’amour,


indivisible et sans allure ?

Mais si dans la pensée


vous deviez mesurer
le temps en saisons,
faites que chaque saison
encercle toutes les autres saisons,
et faites que le présent
embrasse le passé avec le souvenir
et l’avenir avec la nostalgie.
L’amour créé en un instant

Il est faux de penser que l’amour vient


d’une longue compagnie
et d’une séduction persévérante.

L’amour est le fruit de l’affinité spirituelle,


et à moins que cette affinité
ne se produise à un instant,
l’amour ne verra pas le jour
ni après des années ni même des générations.
Les jardins de notre passion

Trente ans plus tard, Marie Madeleine réfléchit :

Une fois encore je dis qu’avec sa mort Jésus vainquit la mort et se


leva de la tombe en un esprit et un pouvoir. Et il marcha dans notre
solitude et visita les jardins de notre passion.

Il ne repose pas dans cette crevasse, derrière la pierre.


Nous qui l’aimons, nous le perçûmes avec nos yeux, qu’il a fait
voir. Et nous le touchâmes avec nos mains auxquelles il a enseigné à
saisir.
Je vous connais, vous qui ne croyez pas en lui. J’étais des vôtres et
vous êtes nombreux. Mais votre nombre diminuera.
Devez-vous casser votre harpe et votre lyre pour y trouver de la
musique ?
Ou devez-vous abattre un arbre avant de croire qu’il porte des
fruits ?
Vous détestez Jésus, car quelqu’un du Pays du Nord a déclaré qu’il
était le fils de Dieu. Mais vous vous détestez les uns les autres, car
chacun d’entre vous s’estime bien trop formidable pour être le frère
de l’autre.
Vous le détestez parce que quelqu’un a dit qu’il était né d’une
vierge et non pas de la semence d’un homme.
Mais vous ne connaissez pas les mères qui vont au tombeau,
vierges, ni les hommes qui descendent dans la tombe, étouffés par
leur propre soif de vivre.
Vous ne savez pas que la terre a été offerte en mariage au soleil, et
que c’est cette terre qui nous projette vers la montagne et vers le
désert.
Il y a un gouffre entre ceux qui l’aiment et ceux qui le haïssent,
entre ceux qui croient et ceux qui ne croient pas.
Mais quand les années auront comblé ce gouffre, vous saurez que
celui qui a vécu en nous est immortel, qu’il était le fils de Dieu de
même que nous sommes les enfants de Dieu. Qu’il est né d’une vierge
comme nous qui naissons d’une terre sans époux.
Il est étrange que la terre refuse aux incrédules les racines pour se
nourrir de son sein, et les ailes pour voler haut et s’abreuver de la
rosée de son air.
Mais je sais ce que je sais, et cela me suffit.
L’assaut sauvage de l’amour

[Les anciens Dieux de la Terre concluent que leur lassitude de la vie


est injustifiée et que la présence de l’amour a tout changé.]

Premier Dieu :

Autel éternel !
Voudrais-tu bien cette nuit
un dieu pour sacrifice ?
Maintenant je viens,
et en venant, j’offre
ma passion et mon chagrin.

Là ! voici un danseur,
taillé dans notre ancien empressement,
et le chanteur pleure
mes propres chansons au vent.

Et dans cette danse et dans ce chant


un dieu est tué en moi.
Mon dieu-cœur entre mes côtes humaines
crie à mon dieu-cœur qui demeure dans l’air.
La fosse humaine qui m’a fatigué
appelle la divinité.
La beauté que nous avons
recherchée depuis le début
appelle à la divinité.

J’observe
et j’ai mesuré l’appel
et maintenant je cède.

La beauté est un chemin


qui mène à soi,
le soi qui se suicide.

Battez vos cordes !


Je veux suivre le chemin.
Il s’étend toujours vers une autre aube.

Troisième Dieu :

L’amour triomphe !
Le blanc et le vert de l’amour au bord d’un lac.
Et la fière majesté de l’amour dans la tour ou dans la
loge.
L’amour dans un jardin ou dans le désert inexploré –
L’amour est notre seigneur et notre maître.

Ce n’est pas une décomposition gratuite de la chair,


ni l’effondrement du désir
quand désir et soi luttent.
Ce n’est pas non plus la chair qui prend les armes
contre l’esprit.

L’amour ne se rebelle pas.


Il ne laisse que le chemin parcouru
des destins anciens
pour le bosquet sacré,
pour chanter et danser
son secret pour l’éternité.

L’amour est une jeunesse avec des chaînes brisées,


la virilité libérée de la tourbe
et la féminité réchauffée par la flamme
et brillante de la lumière du ciel
plus profond que notre paradis.

L’amour est un rire lointain dans l’esprit.


C’est un assaut sauvage qui
vous tue à votre réveil.

C’est une nouvelle aube sur la terre,


un jour non encore révolu
dans vos yeux ou les miens
mais déjà atteint dans
son cœur suprême.

Frères, mes frères !


La mariée vient du cœur de l’aube
et l’époux du crépuscule.
Il y a une noce dans la vallée –
une journée trop importante pour qu’on la relate.
Maintenant je vais me lever et me libérer du temps et
de l’espace,
et je danserai dans ce champ inexploré
et les pieds du danseur suivront mes pas.
Et je chanterai dans cet air plus élevé,
et une voix humaine palpitera dans ma voix.
Nous passerons au crépuscule,
peut-être nous réveillerons-nous à
l’aube d’un autre monde.
Mais l’amour restera
et ses traces de doigts
ne s’effaceront pas.

La forge bénie brûle,


les étincelles montent,
et chaque étincelle est un soleil.
Il est bien mieux pour nous, et plus sage,
de chercher un coin d’ombre
et dormir dans notre divinité terrestre.

Et laisser l’amour, humain et frêle,


commander le jour à venir.
Mon âme est mon amie

Une voix de poète parle :

Mon âme est mon amie, elle me console dans la misère et la détresse
de la vie. Ceux qui n’apprivoisent pas leur âme sont des ennemis de
l’humanité, et ceux qui ne trouvent pas de guide humain en eux-
mêmes périront désespérément.
La vie émerge de l’intérieur et ne découle pas des environs.
Je suis venu dire un mot, et je vais le dire maintenant. Mais si la
mort m’empêche de le prononcer, il sera dit demain, car demain ne
laisse jamais de secret dans le livre de l’éternité.
Je suis venu vivre dans la gloire de l’amour et la lumière de la
beauté, qui sont les reflets de Dieu. Je vis ici et les gens sont
incapables de m’exiler du domaine de la vie, car ils savent que je
vivrai dans la mort.
S’ils me déchirent les yeux, j’entendrai les murmures de l’amour et
les chants de la beauté.
S’ils obstruent mes oreilles, j’apprécierai le contact de la brise avec
l’encens de l’amour et le parfum de la beauté.
S’ils me placent dans le vide, je vivrai avec mon âme, l’enfant de
l’amour et de la beauté.
Je suis venu ici pour être pour tous et avec tous, et ce que je fais
aujourd’hui dans ma solitude sera repris demain pour les gens.
Ce que je dis maintenant avec un cœur sera dit demain par une
multitude de cœurs.
Rester et partir

Ma maison me dit :
« Ne me quitte pas, car ici réside ton passé. »

Et la route m’interpelle :
« Viens et suis-moi, car je suis ton avenir. »

Et je dis à ma maison comme à la route :


« Je n’ai ni passé ni avenir.
Si je reste ici, il y aura un départ dans mon séjour.
Et si je pars, il y aura un séjour dans mon départ.
Seuls l’amour et la mort changeront tout. »
Mon désir rassemblera

Un petit moment,
et mon désir rassemblera
poussière et écume
pour un autre corps.

Un petit moment,
un moment de repos au vent,
et une autre femme me portera.

Adieu à toi et
à la jeunesse que j’ai passée avec toi.

Ce n’était qu’hier
que nous nous sommes rencontrés dans un rêve.

Tu as chanté pour moi


dans ma solitude
et à partir de tes aspirations,
j’ai construit une tour dans le ciel.
Les sources des sélections

Les Esprits rebelles – Spirits Rebellious (1908) : SR


Les Ailes brisées – The Broken Wings (1912) : BW
Larme et sourire – A Tear and a Smile (1914) : TS
Processions – The Procession (1918) : TP
Le Fou – The Madman (1918) : M
Le Précurseur – The Forerunner (1920) : F
Le Prophète – The Prophet (1923) : P
Le Sable et l’Écume – Sand and Foam (1926) : SF
Jésus, Fils de l’Homme – Jesus The Son of Man (1928) : JSM
Les Dieux de la Terre – The Earth Gods (1931) : EG
L’Errant – The Wanderer (1932) : W
Le Jardin du Prophète – The Garden of the Prophet (1933) :
GP
Lazare et sa bien-aimée – Lazarus and His Beloved (1933) : LB
Les notes des sélections

Le début de l’amour
Le printemps de l’amour (TS) de « La Vie de l’amour » (The
Life of Love)
La beauté dans le cœur. SF
Premier amour. BW
Désir errant. F
Chanter le cœur. SF
La beauté et l’amour. BW
Si vous avez des désirs… P
Décrire le premier amour. BW
L’identité erronée. W
L’été de l’amour (TS) de « La Vie de l’amour » (The Life of
Love)
Ô amour. F
Le désir est la moitié. SF
Entre désir et paix. SF
Dieu se meut dans la passion. P
Les voix enchantées. EG
Votre corps est la harpe de votre âme. P
Le corps est un volcan. SF
L’amour à travers les âges. W
Un désir inachevé. JSM
Une passion inassouvie. W
Toutes les étoiles de ma nuit s’éteignirent. JSM

Les voiles de l’amour


Les cadeaux de l’amour. BW
Le cœur en cage (TS) de « Visions »
L’amour ou la loi (SR) de « Madame Rose Hanie »
Trois personnes séparées. BW
Ce que les amoureux embrassent. SF
Deux sortes d’amour. W
Qui aimons-nous ? SF
Rire et larmes. TS
L’amour purifié par les larmes. BW
Le cœur d’une femme. BW
L’amour caresse et écrase. P
L’automne de l’amour (TS) de « La vie de l’amour » (The Life of
Love)
Entre cœur et âme (TS) de « Vainqueurs » (The Victors)
Les larmes et les gouttes de rosée. SF
Profondeur. P
Où es-tu maintenant mon autre moi ? TS
Qui crucifie le soleil ? JSM
Les saisons de votre cœur. P
Grand désir. M
Désir au-delà des mots. SF
Seul ? GP
Desceller le cœur. SF
Parler au cœur et l’écouter. SF
Liberté et esclavage. SF
Pleure pour la bien-aimée. JSM
Récolter la douleur du cœur (TS) de « La Voix d’un poète » (A
Poet’s Voice)

Toutes nos relations


Mère. BW
La chanson silencieuse. SF
À propos des enfants. SF
Berceuses. SF
Si l’amour était dans la chair. JSM
Cache-cache. SF
Chanson d’amour. W
L’amour et la haine. W
Deux côtés. M
L’ermite, les bêtes et l’amour. W
Travailler avec amour. P
Remue-toi un peu plus près. W
À propos des ennemis. SF
Les amis et les étrangers. JSM
Amitié – des heures à vivre. P
La douce responsabilité de l’amitié. SF
Aimer le voisin. SF
Votre voisin est votre moi inconnu. JSM
Voisin mais pas ami. GP
Votre voisin est un champ. JSM
L’amour et le patriotisme (TS) de « La Voix d’un poète » (A
Poet’s Voice)
Des espaces dans votre union. P
De flamme à flamme. EG
Aimer la brebis perdue. JSM
Les doigts d’une main aimante (TS) de « La Voix d’un poète »
(A Poet’s Voice)

Un amour au-delà
L’hiver de l’amour (TS) de « La Vie de l’amour » (The Life of
Love)
Un rythme pour les amoureux. GP
L’amour est la seule liberté. BW
L’amour est la justice (TS) de « La Voix d’un poète » (A Poet’s
Voice)
Le silence murmure au cœur. BW
Chant d’amour de la vague. TS
Graines de cœur. SF
Le chant d’amour. TS
La lumière de l’amour. SF
L’amour se suffit à lui-même. P
Quand l’amour devient vaste (JSM) de « Jean de Patmos »
(John of Patmos)
Du fond de mon cœur. F
Envie du cœur de la bien-aimée. LB
L’amour et le temps. P
L’amour créé en un instant. BW
Les jardins de notre passion. JSM
L’assaut sauvage de l’amour. EG
Mon âme est mon amie (TS) de « La Voix d’un poète » (A
Poet’s Voice)
Rester et partir. SF
Mon désir rassemblera. P
À propos de l’auteur

Voici les dates de la vie de Gibran Khalil Gibran, nom arabe complet
de l’auteur qui a été changé de l’orthographe habituelle en « Kahlil »,
suite à une faute d’orthographe lors de son inscription à sa première
école aux États-Unis.

1883 : Naissance à Bsharri, un village au nord du Liban.


1895 : La mère de Gibran émigre à Boston avec ses quatre enfants,
espérant fuir la misère et le malheur, tandis que son mari reste au
Liban, emprisonné pour détournement de fonds publics.
1898 : Retour au Liban pour étudier l’arabe et le français dans une
école préparatoire des Maronites à Beyrouth. D’une certaine façon, sa
mère veut le soustraire aux influences artistiques peu
recommandables de Boston.
1902 : Retour à Boston. En l’espace de quinze mois, la tuberculose
emporte tour à tour sa mère, sa sœur et son demi-frère.
1904 : Par l’intermédiaire du photographe Fred Holland Day, il
rencontre Mary Haskell, une directrice d’école, qui devient son
mécène, sa muse, son éditrice et peut-être son amante. Il publie
plusieurs poèmes en prose rassemblés plus tard sous le titre Larme et
sourire.
1908-1910 : Financé par Mary, il fréquente une école d’art à Paris.
1911 : Il s’installe à New York où il entretient une correspondance
intime avec May Ziadeh, intellectuelle libanaise vivant au Caire.
1918 : Le Fou, premier livre de Gibran écrit en anglais, est publié.
1920 : Il fonde avec d’autres auteurs et poètes arabes et libanais
vivant aux États-Unis une association littéraire appelée Al Rabita al
Qalamiyyah (The Pen Bond – La Ligue de la plume).
1923 : Le Prophète est publié, rencontrant un succès immédiat.
Gibran se lie d’amitié avec Barbara Young, qui deviendra plus tard sa
nouvelle muse et éditrice.
1928 : Jésus, Fils de l’Homme est publié.
1931 : Il meurt dans un hôpital de New York à l’âge de 48 ans, d’une
cirrhose. Conformément à sa volonté, ses restes sont transférés en
1932 au Liban et enterrés dans sa ville natale, Bsharri. Un ancien
monastère est acquis et transformé en musée en sa mémoire.

Ces simples faits démontrent la complexité et la turbulence de la


vie tant intérieure qu’extérieure de Khalil Gibran. Comme l’indique
un de ses biographes, Suheil Bushrui :

Plus on a écrit sur Gibran, plus l’homme lui-même a eu


tendance à devenir insaisissable, car les critiques, les amis et
les biographes ont brossé de l’écrivain une variété de portraits
disjoints. Gibran lui-même est en partie à blâmer. Il a très peu
écrit sur sa propre vie, et dans ses moments récurrents
d’insécurité et « d’ambiguïté », en particulier pendant ses
premières années de reconnaissance, il a souvent inventé ou
embelli ses origines simples et son passé troublé. Cette
autoperpétuation de son mythe – une tendance suivie par
d’autres figures littéraires comme Yeates et Swift – n’était pas
une malhonnêteté intellectuelle, mais une manifestation du
désir de l’esprit poétique de créer sa propre mythologie
(Bushrui, 1998).

Une bonne biographie en ligne se trouve sur le site du Comité


national de Gibran : www.gibrankhalilgibran.org.
Comme le mentionne Bushrui, les nombreuses biographies et
études biographiques de Gibran divergent sur plusieurs points. Elles
ressemblent beaucoup aux différentes voix présentées dans le livre de
Gibran Jésus, Fils de l’Homme, chacune décrivant diverses facettes
d’une personne à la vie pleinement humaine, avec ses hauts et ses
bas, ses lumières et ses ombres. Voici une sélection des biographies et
correspondances de Gibran :

Bushrui, S., et Jenkins, J. (1998), Khalil Gibran : Man and Poet


(traduction française du titre : L’homme et le poète), Oxford :
Oneworld.

Bushrui, S., et al-Kuzbari, S.H. (1995), Gibran : Love Letters


(traduction française du titre : Gibran : lettres d’amour), Oxford :
Oneworld.

Gibran, J., et Gibran, K. (1974), Khalil Gibran : His Life and World
(traduction française du titre : Khalil Gibran : sa vie et son monde),
Boston : New York Graphic Society.

Hilu, V. (1972), Beloved Prophet : The Love Letters of Khalil Gibran


and Mary Haskell and Her Private Journal (traduction française du
titre : Le Prophète bien-aimé : Lettres d’amour de Khalil Gibran et Mary
Haskell et son journal intime), New York : Alfred Knopf.
Naimy, M. (1950), Khalil Gibran : A Biography (traduction
française du titre : Khalil Gibran : Une biographie), New York :
Philosophical Library.

Waterfield, R. (1998), Prophet : The Life and Times of Khalil


Gibran (traduction française du titre : Le prophète : La vie et les temps
de Khalil Gibran), New York : St. Martin’s Press.

Young, B. (1945), This Man from Lebanon : A Study of Khalil


Gibran (traduction française du titre : Cet homme du Liban : Une étude
sur Khalil Gibran), New York : Alfred Knopf.
À propos du compilateur

Le Dr Neil Douglas-Klotz est un écrivain de renom, spécialiste de


la spiritualité moyen-orientale et de la traduction et l’interprétation
des langues sémitiques anciennes que sont l’hébreu, l’araméen, et
l’arabe. Habitant en Écosse, il dirige l’Institut d’Édimbourg pour
l’apprentissage avancé et a été pendant de nombreuses années le
coprésident du Groupe de mysticisme de l’académie américaine de
religion.
Conférencier régulier et animateur d’ateliers, il est l’auteur de
plusieurs livres. Voici une liste non exhaustive de livres sur la
spiritualité araméenne de Jésus : Prayers of the Cosmos (Prières du
Cosmos), The Hidden Gospel (L’Évangile caché), Original Meditation :
The Aramic Jesus and the Spirituality of Creation (Méditation
originale : Jésus l’Araméen et la spiritualité de la création), et Blessings
of the Cosmos (Les Bénédictions du cosmos). Parmi ses livres sur la vue
comparative de la spiritualité autochtone du Moyen-Orient : Desert
Wisdom : A Nomad’s Guide to Life’s Big Questions (La Sagesse du
désert : un guide des nomades pour les grandes questions de la vie) et
The Tent of Abraham (La Tente d’Abraham) (avec Rabbi Arthur
Waskow et Sr. Joan Chittister). Ses livres sur la spiritualité soufie
comprennent The Sufi Book of Life : 99 Pathways of the Heart for the
Modern Dervish (Le Livre soufi de la vie : 99 voies du cœur pour le
derviche moderne) et A Little Book of Sufi Stories (Un petit livre
d’histoires soufies). Ses collections biographiques des œuvres de
maîtres soufis incluent : Sufi Vision and Initiation (La Vision et
l’intention soufies) (avec Samuel L. Lewis) et Illuminating the Shadow
(Illuminer l’ombre) (avec Moineddin Jablonski). Il a également écrit
un roman policier qui se déroule au premier siècle apr. J.-C. en Terre
sainte, intitulé A Murder at Armageddon (Un meurtre à Armageddon).
Pour plus d’informations sur son travail, on peut se référer au site
web du Réseau Abwoon www.abwoon.org ou à sa page Facebook :
https://www.facebook.com/AuthorNeilDouglasKlotz/.
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